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AIX-MARSEILLE UNIVERSITÉ
Ecole Doctorale des Sciences de la Vie et de la Santé – ED 62
UMR1252 Sciences Economiques et Sociales de la Santé & Traitement de
l’Information Médicale (SESSTIM)
Thèse présentée pour obtenir le grade universitaire de Docteur
Discipline : Pathologie humaine
Spécialité : Recherche clinique et Santé publique
Caroline ALLEAUME
Retour au travail et maintien en emploi après un
diagnostic de cancer : des trajectoires socialement
différenciées
Thèse financée par La Ligue contre le cancer
Dirigée par : Patrick PERETTI-WATEL, Directeur de recherche Inserm, IRD, VITROME
et Anne-Déborah BOUHNIK, Ingénieure de recherche Inserm, SESSTIM.
Soutenue le 30 septembre 2019 devant le jury :
Dr Anastasia MEIDANI –Université Toulouse Examinatrice
Pr Lionel DANY – Aix-Marseille Université Examinateur
Pr Thomas BARNAY – Université Paris-Est Créteil Examinateur
Dr Lionel LAFAY – Institut National du Cancer Examinateur
Dr Virginie RINGA – Inserm UMR1018, CESP Villejuif Rapporteuse
Pr Olivier L’HARIDON – Université de Rennes 1 Rapporteur
2
Remerciements
Je souhaite adresser ici toute ma gratitude aux personnes suivantes, sans qui ce travail
n’aurait pu être :
L’association La Ligue Nationale Contre le Cancer qui m’a offert deux allocations de
recherche pour conduire ces travaux.
Monsieur Patrick Peretti-Watel*, Directeur de recherche en sociologie, et Madame Anne-
Déborah Bouhnik*, Ingénieure de recherche en biostatistique, qui ont accepté de co-encadrer
ce travail de recherche. Pour leur temps, leurs précieux conseils, leurs lectures approfondies et
leur soutien tout au long de ce travail.
Madame Virginie Ringa, Chargée de recherche en épidémiologie, et Monsieur Olivier
L’Haridon, Professeur en sciences économiques, qui m’ont fait l’honneur de rapporter cette
recherche doctorale. Pour leur intérêt porté à mon travail et leurs précieuses contributions à la
version finale.
Madame Anastasia Meidani, Maîtresse de conférences en sociologie, Monsieur Lionel
Dany, Professeur en psychologie sociale, Monsieur Lionel Lafay, Chargé de projets, et
Monsieur Thomas Barnay, Professeur en sciences économiques, qui m’ont fait l’honneur de
siéger dans ce jury et d’évaluer ma recherche. Pour leur attention et leur bienveillance. Un merci
particulier à Monsieur Lionel Lafay qui a contribué à cette version finale en me faisant part de
ses remarques.
Monsieur Marc-Karim Bendiane (SESSTIM) qui m’a accompagné dans ma démarche de
recherche et dans mes premiers congrès. Merci pour ses encouragements et ses conseils.
Monsieur Alain Paraponaris (AMSE), Monsieur Lionel Dany (LPS), Madame Léa
Restivo (LPS), Madame Bérengère Davin (ORS PACA), Monsieur Julien Mancini (SESSTIM),
Madame Valérie Seror (VITROME), Monsieur Sylvain Besle (SESSTIM), Madame Aline
Sarradon-Eck (SESSTIM), Monsieur Sébastien Cortaredona (SESSTIM), pour leurs
encouragements, nos fructueux échanges et leurs précieux conseils.
L’équipe du SESSTIM qui a permis mon intégration. Merci notamment à Monsieur Roch
Giorgi, directeur de l’unité, pour sa confiance accordée. Merci à mes collègues et mes co-
doctorantes pour leur soutien (à Asmaa, à Adeline et à Rajae). À l’ensemble des membres de
l’équipe CANBIOS. Également à l’équipe administrative et technique qui facilite grandement
l’organisation de notre travail (à Lamia, à Carole, à Laurent, à Zohra, à Najoua et à Priscilla).
3
Je remercie également,
Ceux qui furent mes partenaires pour ce travail de recherche. Je remercie Le Cancéropôle
PACA qui nous a attribué un financement spécifique pour mon projet d’enquête qualitative,
ainsi que les partenaires qui l’ont rendu possible : Mme Guelmani du SESSTIM, Pr Duffaut, Pr
Dany, Dr Meurer, Dr Deville et Mme Chapon de l’Assistance Publique des Hôpitaux de
Marseille, Mme Dokoui, Mme Brunel et Dr Tallet de l’Institut Paoli Calmette, Dr Combo-
Cocheme de l’Hôpital privée de Marseille Beauregard, Mme De Wolf, Mme Verrieres, Mme
Estienne et Mr Rachid du Centre Ressource, Mme Damjanovic de La Ligue contre le cancer et
Mme Patoux-Gavaudan de Caire13. Aux ingénieures d’étude qui m’ont accompagnée : Mme
Vila-Masse, Mme Heck et Mme Henin. Ainsi qu’aux membres du groupe VICAN et à l’Institut
National du Cancer pour leur travail et la mise à disposition des données de l’enquête VICAN5.
Samantha Vila* (Udem) et Olivier Joseph* (Céreq) qui m’ont fait l’amitié de lire une
partie de ce travail. Pour leur temps et leurs précieuses remarques.
Ma famille, mes amis pour leur considérable et indéfectible soutien. Je remercie tout
particulièrement Isa* Sophie* et Pauline* qui m’ont accompagnée dans mes derniers moments
de relecture, chassant avec moi les coquilles. Merci pour votre temps, votre extrême attention.
Enfin, tous mes remerciements vont aux répondants aux enquêtes sans qui cette recherche
n’aurait simplement pas pu exister. Pour leur temps, leur intérêt et leurs expériences partagées.
*Si ce document a été enrichi de l’attention portée par les personnes sus-citées, je reste
entièrement responsable des erreurs et maladresses qu’il contient sans doute.
4
Sommaire
REMERCIEMENTS .............................................................................................................................................. 2
LISTE DES TABLEAUX, DES FIGURES ET DES ENCADRES ..................................................................... 5
LISTE DES ABREVIATIONS .............................................................................................................................. 8
INTRODUCTION ................................................................................................................................................ 10
PARTIE 1. CADRES CONJONCTUREL, CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
........................................................................................................................................................... 14
CHAPITRE 1. ELEMENTS DE CONTEXTES DE LA RECHERCHE ........................................................................... 15
CHAPITRE 2. OBJECTIFS ET HYPOTHESES DE LA RECHERCHE .......................................................................... 44
CHAPITRE 3. PRESENTATION DES SUPPORTS METHODOLOGIQUES .................................................................. 52
PARTIE 2. FREINS AU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ..................... 75
CHAPITRE 4. MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : DES REALITES SOCIALEMENT
CONTRASTEES ............................................................................................................................ 76
CHAPITRE 5. PRECARISATION FINANCIERE APRES LE DIAGNOSTIC : UN EFFET « DOUBLE-PEINE » POUR LES
PERSONNES VULNERABLES ...................................................................................................... 111
CHAPITRE 6. VALEUR HEURISTIQUE D’UNE ANALYSE AU PRISME DU GENRE ................................................ 133
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 : DE L’INTERET DE L’ANALYSE DE LA VULNERABILITE .................................... 160
PARTIE 3. LEVIER DE LA REPRISE DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE APRES UN DIAGNOSTIC
DE CANCER : ANALYSE D’UN PROCESSUS BIOGRAPHIQUE ........................................... 166
CHAPITRE 7. LES LEVIERS DU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER .............................. 167
CHAPITRE 8. MODELE THEORIQUE DU RETOUR AU TRAVAIL APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : L’APPORT
D’UNE APPROCHE PAR LA MOTIVATION .................................................................................... 195
CHAPITRE 9. LA MOTIVATION, ELEMENT CENTRAL DU PROCESSUS DE RETOUR AU TRAVAIL ........................ 217
CONCLUSION DE LA PARTIE 3 : CONSTRUCTION INDIVIDUELLE ET SOCIALE DE LA VULNERABILITE ............... 247
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 250
BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................................................. 263
ANNEXES .......................................................................................................................................................... 281
I. DOCUMENTS D’AIDE A LA COMPREHENSION ............................................................................ 283
II. LISTE DES PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES REALISEES OU EN COURS .......................................... 307
III. AUTRES PRODUCTIONS ............................................................................................................ 311
ABSTRACT ........................................................................................................................................................ 312
TABLE DES MATIERES .................................................................................................................................. 314
5
Liste des tableaux, des figures et des encadrés
Chaque tableau, figure et encadré est numéroté par le numéro du chapitre auquel il
appartient, suivi du chiffre correspondant à son ordre d’apparition dans le chapitre.
Tableaux
Tableau 4.1. Évolution de la situation professionnelle en fonction du statut occupé au moment
du diagnostic, cinq ans auparavant (en %).
Tableau 4.2. Facteurs associés à une réduction du temps de travail ou à la sortie de l’emploi par
rapport à un maintien en situation d’emploi.
Tableau 4.3. Facteurs associés au fait d’appartenir à une transition (versus les autres) parmi les
personnes en emploi au diagnostic (effets marginaux en %).
Tableau 6.1. Facteurs associés à la sortie de l’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer.
Figures
Figure 4.1. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au
moment du diagnostic selon la localisation (en %).
Figure 4.2. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au
moment du diagnostic selon la catégorie socioprofessionnelle de l’emploi occupé
(en %).
Figure 4.3. Vue d’ensemble de l’évolution mensuelle des trajectoires professionnelles au cours
des cinq années suivant le diagnostic de cancer (en %).
Figure 4.4. Durée moyenne du premier arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer selon la
transition ultérieure (en mois).
6
Figure 4.5. Délai entre la fin de l’emploi occupé au diagnostic et celui occupé à l’enquête selon
le niveau d’études.
Figure 4.6. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur le caractère
neuropathique des douleurs ressenties.
Figure 4.7. Situation professionnelle au moment de l’enquête des travailleurs indépendant en
emploi au moment du diagnostic selon leur catégorie socioprofessionnelle.
Figure 4.8. Facteurs associés à la sortie d'emploi (chômage, inactivité, arrêts longs) cinq ans
après un diagnostic de cancer.
Figure 5.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur les revenus du foyer
au diagnostic et cinq ans après.
Figure 5.2. Facteurs associés à la diminution des revenus disponibles par individu.
Figure 5.3. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur la perception des
individus de leur situation financière.
Figure 5.4. Perception de la variation des revenus selon la variation mesurée pour les personnes
en emploi au diagnostic et cinq ans après.
Figure 7.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur des modifications
au travail.
Figure 7.2. Part de recours aux aménagements selon le type proposé et taux d’emploi à cinq ans
associés.
Figure 8.1. Modèle exigences-ressources de Demerouti (2017).
Figure 8.2. Modèle théorique du processus de poursuite de l’activité professionnelle après un
diagnostic de cancer.
7
Encadrés
Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle.
Encadré 5.1 Méthode de prise en compte des réponses partielles sur les revenus : imputation
multiple et « bootstrap ».
Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (Heckman
1979).
Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca pour expliquer les différences de
salaire entre les femmes et les hommes.
Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension.
Encadré 7.2. Extraits d’entretiens portant sur la RQTH.
8
Liste des abréviations
AAH : Allocation adulte handicapé
ALD : Affection de longue durée
ANACT : Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail
ANDRH : Association nationale des directeurs de ressources humaines
AP-HM : Assistance public des hôpitaux de Marseille
ARACT : Association régionale pour l’amélioration des conditions de travail
CDD : Contrats à durée déterminée
CDI : Contrats à durée indéterminée
CNAMTS : ex-Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés
PCS : Catégorie socioprofessionnelle
DN(C) : Douleurs neuropathiques (chroniques)
ETM : Exonération du ticket modérateur
IDS : Indice de défavorisation sociale
IJ(SS) : Indemnités journalières (de la Sécurité sociale)
INCa : Institut national du cancer
INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques
INSERM : Institut national de la santé et de la recherche médicale
IPC : Institut Paoli-Calmettes
LMNH : Lymphome malin non-Hodgkinien
MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées
9
MSA : Mutuelle sociale agricole
OMS : Organisation Mondiale de la Santé
PACTE : Programme d’actions cancer toutes entreprises
RQTH : Reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé
RSE : Responsabilité sociale des entreprises
RSI : ex-Régime social des indépendants
RUC : Revenus par unité de consommation
SMIC : Salaire minimum de croissance
SST : Services de santé au travail
TPT : Temps partiel thérapeutique
VADS : Voies aérodigestives
10
Introduction
« Un homme sur cinq et une femme sur six dans le monde développeront un cancer au
cours de leur vie », estime l’Organisation Mondiale de la Santé (CIRC, 2018). En France, en
2008, trois millions de personnes de plus de 15 ans avaient connu un diagnostic de cancer au
cours de leur vie, soit 6,4 % de la population masculine et 5,3 % de la population féminine
(Colonna et al., 2015). Près de dix ans plus tard, ce chiffre est estimé à près de quatre millions
(INCa, 2019). Première cause de mortalité prématurée depuis 2004, le cancer est au cœur
d’enjeux politiques avec la mise en place des Plans Cancer 2003 – 2007, 2009 – 2013 et 2014
– 2019. Si son incidence demeure particulièrement élevée avec près de 400 000 cas enregistrés
chaque année dans l’hexagone, les progrès médicaux et technologiques réalisés pour son
dépistage aboutissent à des diagnostics de plus en plus précoces : sur 1 000 personnes
diagnostiquées chaque jour, 400 ont moins de 65 ans. De plus, l’amélioration de sa prise en
charge thérapeutique permet aux personnes atteintes de vivre plus longtemps avec la maladie,
et même dans environ 60 % des cas, d’en guérir. Dans les médias comme dans la recherche, de
nouveaux concepts apparaissent : l’« après-cancer » et le « vivre avec un cancer », dans lesquels
la notion de « maladie chronique » (OMS) est fondamentale. C’est donc dans cette réalité que
s’inscrit cette recherche qui vise à enrichir les connaissances sur les conditions de vie des
personnes atteintes de cancer en prenant pour objet un aspect spécifique du quotidien : la vie
professionnelle.
Composante principale de l’objectif 9 du 3ème Plan Cancer, favoriser le retour au travail
et le maintien en emploi après le diagnostic vise à « diminuer l’impact du cancer sur la vie
personnelle » (Plan Cancer 2014-2019). Ces vingt dernières années ont été marquées par
l’augmentation de l’intérêt porté à l’après-cancer ; de nombreuses études réalisées dans
différents champs disciplinaires tels que la santé publique, l’économie, la sociologie ou encore
la psychologie, ont investigué l’impact de la maladie sur les trajectoires professionnelles.
Néanmoins, la plupart de ces travaux restreignent leurs analyses aux femmes atteintes d’un
cancer du sein, du fait de son importante prévalence dans les populations en âge de travailler,
et reposent sur des durées d’observation relativement courtes (de moins de deux ans après le
diagnostic en moyenne). Cette recherche s’inscrit dans le sillage de ces premiers travaux et vise
à étudier l’impact de la maladie sur le maintien en emploi, en proposant une focale à moyen
terme et en essayant d’en comprendre les mécanismes.
11
La question du retour au travail et du maintien en emploi des personnes atteintes de cancer
se situe au carrefour de trois disciplines : la santé publique, l’économie et la sociologie. Pour
commencer, cette recherche se situe dans une démarche de santé publique, en ce sens qu’elle
aspire à contribuer à « l'amélioration de l'état de santé de la population et de la qualité de vie
des personnes malades, handicapées et des personnes dépendantes » (Article L1411-1 du Code
de la santé publique). L’essence même de ce travail est ainsi de mener une réflexion sur les
outils disponibles, et ceux à considérer pour faciliter la poursuite de la vie professionnelle de
ces personnes. De plus, nombreux sont les économistes à s’être penchés sur la question du coût
social du cancer. Si les estimations varient fortement en fonction des méthodes utilisées, la
« perte d’utilité sociale » due à la mortalité et à la perte d’employabilité représente des sommes
de plusieurs milliards d’euros pour la société (Amalric, 2007). Ainsi, dans un contexte de
vieillissement démographique, dans lequel le recul de l’âge du départ à la retraite est une
solution adoptée par les politiques publiques, la participation au marché de l’emploi des
personnes atteintes d’une maladie chronique constitue un enjeu de l’économie du travail. Enfin,
il s’agit également d’un objet sociologique du fait du poids des représentations sociales de la
maladie d’une part, et, d’autre part, de l’importance de considérer l’individu comme une entité
évoluant dans différents espaces sociaux (médicaux, professionnels, familiaux etc.) au sein
desquels il interagit avec différentes catégories d’acteurs (soignants, collègues, proches…).
L’appropriation de ce sujet d’étude par les sociologues a permis l’émergence de concepts
permettant de mieux appréhender l’articulation des trajectoires de la maladie avec les
trajectoires professionnelles.
L’analyse des enjeux sociaux du retour au travail après un diagnostic de cancer est au
cœur de cette recherche. Il s’agit de comprendre les difficultés soulevées dans la littérature,
auxquelles font face les personnes atteintes, qui persistent en dépit des dispositifs mis en place
par les pouvoirs publics pour y remédier. Plus spécifiquement, elle poursuit deux objectifs
principaux : 1) mettre en évidence les contrastes socialement marqués de la réalité des
« personnes atteintes d'un cancer » et leurs effets sur le maintien en emploi et 2) caractériser le
processus de reprise ou de maintien du travail en étudiant ses temporalités, ses acteurs et ses
enjeux.
Pour ce faire, nous situons notre investigation dans une démarche transdisciplinaire
puisqu’elle mêle des approches épidémiologiques, sociologiques et économiques du sujet. Sur
le plan méthodologique, cette recherche mobilise des méthodes mixtes prenant appui à la fois
sur des données quantitatives et des données qualitatives. Il nous semble que la complémentarité
12
de ces méthodes permet de dresser un panorama au plus près de la réalité, alliant la force
statistique du grand nombre d’observations quantitatives, standardisées et représentatives, à la
richesse et au détail des informations recueillies lors d’entretiens. À cette fin, nous avons dans
un premier temps exploité les données d’une enquête quantitative nationale, conduite par
l’Institut National du Cancer (enquête VICAN5) sur la thématique générale des conditions de
vie cinq ans après un diagnostic de cancer. Bien que conséquente, la partie relative à la vie
professionnelle des personnes concernées ne pouvait rendre compte de manière exhaustive du
sujet ; celle-ci n’ayant par exemple pas traité de la dimension subjective de l’individu vis-à-vis
de son travail. C’est pourquoi, dans un second temps, une enquête qualitative a été réalisée dans
le cadre même de cette recherche, tentant de répondre aux questions soulevées par les premières
analyses des données quantitatives.
Ainsi, toujours dans l’optique de proposer une vision pluridisciplinaire de notre objet
d’étude, l’exposé des résultats de notre recherche suit un cours peu conventionnel en santé
publique puisqu’il est présenté selon un plan thématique, chaque partie présentant un axe de
recherche. Au sein de ces parties, chaque chapitre développe une perspective de recherche issue
d’hypothèses spécifiques formulées à partir d’hypothèses plus générales. Si chacun des
chapitres comporte des études qui ont été, ou ont pour ambition d’être, valorisées
scientifiquement sous forme de communications et de publications listées en annexe, ces
dernières ne pourraient se substituer aux résultats présentés dans le présent document. Ainsi, et
contrairement aux formes valorisées, les chapitres pourront, lorsque cela semblera pertinent,
combiner différentes méthodes et sources de données (qualitative et quantitative) afin de
proposer au lecteur un aperçu global de l’objet étudié. Enfin, s’agissant de la rédaction,
l’écriture inclusive n’a finalement pas été choisie, afin de ne pas alourdir la lecture de ce
document, suffisamment conséquent.
Le déroulement de cette recherche s’effectue selon le plan suivant : une première partie
propose une mise en contexte de la recherche, de son objet d’étude et des partis pris sur les
plans conceptuel et méthodologique, une deuxième partie porte sur l’identification des
principaux freins médicaux et sociaux au maintien en emploi à distance d’un diagnostic de
cancer, tandis qu’en troisième partie, une approche plus individu-centrée est mobilisée afin
d’identifier les leviers de la reprise du travail et du maintien en emploi post-diagnostic.
Plus précisément, la Partie 1 présente dans un premier chapitre les motivations de la
recherche et la conjoncture économique et sociale dans laquelle elle s’inscrit, analysant d’une
13
part le contexte de l’étude de la relation cancer-travail dans la recherche en santé et, d’autre
part, la situation socio-économique dans laquelle évoluent les personnes actives, atteintes d’un
cancer en France (chapitre 1). Le deuxième chapitre de cette première partie expose les
principales questions de recherche ainsi que les hypothèses guidant le déroulé de l’étude
(chapitre 2). Le dernier chapitre présente les outils de la recherche, les enquêtes et les
principales méthodes mobilisées pour répondre aux hypothèses précédemment énoncées
(chapitre 3).
Dans la Partie 2 de cet exposé, il s’agit dans un premier chapitre d’étudier les principaux
freins pouvant influer sur le maintien en emploi, en mettant l’accent sur les réalités socialement
contrastées (chapitre 4). Les facteurs individuels, sociaux et médicaux et leurs éventuelles
interactions sont étudiés de manière à identifier les déterminants du maintien en emploi à
distance du diagnostic. En analysant l’évolution de la situation financière des personnes
atteintes de la maladie, le chapitre suivant poursuit l’analyse et invite à élargir la conception du
maintien en emploi afin d’en préciser les conditions (chapitre 5). Le dernier chapitre de cette
deuxième partie porte la focale sur les différences de sexe observées dans une approche
intersectionnelle et suggère une interprétation au prisme du genre (chapitre 6).
La Partie 3, dernière partie de ce travail, expose dans un premier chapitre les principaux
leviers identifiés dans la littérature ainsi que les ressources disponibles en France œuvrant pour
favoriser le retour au travail et le maintien en emploi après le diagnostic de cancer et, dans une
approche par les capacités (Sen, 1992), analyse l’effet spécifique d’un aménagement du travail
(chapitre 7). Dans la continuité de ce cheminement, le retour au travail et le maintien en emploi
sont ensuite appréhendés en tant que parties intégrantes du processus biographique et, en ce
sens, un nouveau modèle théorique mettant au centre de l’analyse la motivation individuelle est
proposé dans le deuxième chapitre de cette troisième partie (chapitre 8). Enfin, le dernier
chapitre est consacré à une application de ce modèle au matériau qualitatif (chapitre 9).
14
Partie 1. Cadres conjoncturel, conceptuel et
méthodologique de la recherche
La première partie de cette recherche consiste en une mise en perspective de son sujet.
L’objectif est d’en comprendre les fondements (pourquoi étudier le retour au travail et le
maintien en emploi après un diagnostic de cancer ?), la structure (quels sont les points qui seront
investigués pour rendre compte de ce sujet ?) et les appuis méthodologiques (comment va-t-on
répondre à nos objectifs de recherche ?). Elle est ainsi divisée en trois chapitres, chacun
essayant d’apporter des éléments de réponse à l’une de ces questions. Elle constitue un socle
nécessaire, partie intégrante de ce travail de recherche.
15
Chapitre 1. Eléments de contextes de la recherche
L’exploration des études scientifiques réalisées sur la relation entre cancer et travail fut,
de manière tout à fait conventionnelle, l’une des premières démarches effectuées pour ce travail.
La recherche des mots clés concernant le retour au travail et le maintien en emploi associés au
terme « cancer » sur Pubmed1 a donné 2 334 résultats, parmi lesquels 337 études mentionnent
une combinaison de ces mots clés dans leur titre. Après exclusion des trente études utilisant une
autre acception du terme « employment » et de celles portant sur l’emploi des aidants ou des
personnes atteintes d’un cancer durant leur enfance, encore une vingtaine d’études ont dû être
écartées dans la mesure où elles analysaient l’emploi et le cancer sous l’angle des risques de
cancer issus d’une exposition professionnelle. Parmi ces dernières, la quasi-intégralité des
études a été réalisée entre 1970 et 2000 tandis que, parmi les études retenues pour cette
recherche, seules dix-sept sont antérieures aux années 2000 ; la fréquence de ces publications
n’a cessé d’augmenter par la suite et jusqu’à aujourd’hui.
Ce constat témoigne d’une part d’une dichotomie temporelle dans l’approche de la
relation cancer-travail : principalement abordée sous l’angle de l’impact du travail sur le cancer
jusqu’aux années 2000, l’approche s’est finalement inversée pour s’intéresser par la suite à
l’impact de la maladie sur la vie professionnelle. D’autre part, il est révélateur de l’intérêt
croissant porté à l’étude de la poursuite de la vie professionnelle à la suite d’un diagnostic de
cancer. Pour mieux comprendre les éléments contextuels ayant conduit à pareil constat, ce
chapitre est consacré à une présentation de la conjoncture dans laquelle s’inscrit la présente
recherche. Plus précisément, les évolutions des contextes épidémiologique, social et
socioéconomique du cancer sont présentées afin de donner des éléments de cadrage aux
résultats qui seront présentés ensuite.
1 Dernière analyse datant du 03/04/19 « (cancer[Title]) AND ((job retention[Title/Abstract]) OR (return
to work[Title/Abstract]) OR (employment[Title/Abstract])) ».
16
1.1. La relation cancer-travail : un objet d’étude récent pour les sciences
sociales
1.1.1. Une relation définie par le contexte épidémiologique de la maladie
« Un cancer survient à partir d'une cellule normale altérée par un certain nombre
d'anomalies – des mutations – qui ne sont pas réparées par les processus habituels. La cellule
devient anormale et, si elle n'est pas détruite, se multiplie pour former une tumeur. »
INCa, site officiel rubrique ‘‘Qu’est-ce qu’un cancer ?’’
En chiffres, le cancer c’est environ 400 000 nouveaux individus diagnostiqués chaque
année en France : 204 600 chez l’homme et 177 400 chez la femme en 2018. Avec 150 000
décès par an, le cancer est la première cause de mortalité chez l’homme (89 600 décès
enregistrés en 2018) et la deuxième chez la femme (après les accidents vasculaires cérébraux,
avec 67 800 décès tous cancers confondus, enregistrés en 2018) (INCa, 2019). Le cancer est
également la première cause de décès prématuré avant 65 ans, aussi bien chez l'homme que
chez la femme. Si ce contexte épidémiologique place le cancer parmi les principaux enjeux de
santé publique en France, il est le fruit de profondes transformations marquées par deux
mouvements : d’abord une forte augmentation de l’incidence et de la mortalité jusqu’en 1985,
puis une importante diminution de cette dernière depuis la fin des années 1980 (Institut de veille
sanitaire2).
2 http://ireps-
picardie.fr/News/News_Cres_OR2S/Newsletter10juinjuil2009/rapp_sci_cancer_mortalite_web.pdf ;
http://invs.santepubliquefrance.fr/publications/2009/estimation_cancer_1980_2005/estimation_cancer
_1980_2005.pdf, consulté le 3 juillet 2019.
17
Un nouvel objet d’étude en sciences sociales
L’augmentation conjointe de l’incidence et de la mortalité par cancer jusqu’en 1985 est
principalement due au fait que cette maladie est de mieux en mieux diagnostiquée et donc de
plus en plus recensée3. Forte de ce constat, la recherche pour la lutte contre le cancer s’organise
exclusivement autour de deux axes principaux : la prévention primaire, visant à limiter
l’incidence, et la prévention secondaire, axée sur la thérapeutique, ayant pour objectif d’en
réduire la mortalité. Cette première phase est marquée par l’identification de facteurs de risques
qui permet l’émergence de la prévention en oncologie par la mise en place de politiques
publiques. La mise en cause de l’environnement professionnel comme lieu d’exposition à des
agents pathogènes (amiante, produits chimiques etc.) fut donc l’objet des premières recherches,
nombreuses, ayant porté sur la relation cancer-travail. C’est ainsi qu’ont pu être révélées les
premières inégalités socioprofessionnelles dans le cas du cancer, les études scientifiques
montrant une exposition aux risques socialement différenciées, en défaveur des individus
considérés comme vulnérables selon des critères socioéconomiques.
Par ailleurs, les progrès médicaux permettent en parallèle des diagnostics de plus en plus
précoces et des avancées thérapeutiques incessantes grâce auxquels la mortalité commence à
décliner. En effet, à partir des années 1980, les indicateurs épidémiologiques affichent une
nouvelle tendance, traduite principalement par une constante diminution de la mortalité (-10 %
entre 1980 et 2000) (Hill et Doyon, 2005). En revanche, l’incidence ne cesse d’augmenter
jusqu’en 2005 (+30 % entre 1980 et 2000) du fait notamment d’un dépistage plus systématique
mais également de l’évolution démographique de la population française (augmentation et
vieillissement de la population). Ainsi, l’amélioration considérable de la survie nette face au
cancer est la principale explication à la réduction de la mortalité (mesurée par le nombre de
décès chez les malades rapporté au nombre de nouveaux cas enregistrés dans la population
générale). Ce constat est le fruit d’une meilleure prise en charge, de progrès thérapeutiques ainsi
que d’une précocité des diagnostics permise notamment par le développement du dépistage
3 La connaissance du mécanisme de développement cellulaire anarchique depuis l’avènement de la
théorie cellulaire au XIXème siècle, toujours en vigueur aujourd’hui, a impulsé la recherche dans
l’innovation thérapeutique qui s’est rapidement développée. La lutte contre la maladie s’organise et
s’institutionnalise en France avec notamment la création de La Ligue contre le cancer (en 1918) puis de
la fondation Curie (en 1921) et enfin, avec le développement de services hospitaliers spécialisés ; le
dépistage devient alors plus systématique et les expérimentations thérapeutiques augmentent.
18
individuel et la mise en place de programmes de dépistage organisé (Cowppli-bony et al., 2016;
Monnereau et al., 2016). Bien que, depuis 2005, l’incidence du cancer soit légèrement en baisse
chez les hommes (en raison notamment de la baisse de l’incidence du cancer de la prostate) et
se ralentisse chez les femmes, l’amélioration de la survie entraîne alors mécaniquement une
augmentation de la prévalence de personnes concernées : le réseau français des registres de
cancer estimait en 2008 à 3 millions le nombre de personnes âgées de 15 ans et plus et résidant
en France ayant connu au moins un diagnostic de cancer au cours de leur vie (dont 1,1 million
pour lesquelles la maladie avait été diagnostiquée au cours des cinq dernières années) (Colonna
et al., 2015) et ce même chiffre à 4 millions en 2019.
L’augmentation de la survie après un diagnostic de cancer et l’allongement de la durée
de vie avec la maladie permettent, à partir des années 2000, l’émergence de nombreuses
recherches en sciences humaines et sociales qui prennent le cancer pour objet d’étude, apanage
jusqu’alors de la médecine. Une partie de ces nouveaux travaux décrit la vie après ou avec le
cancer, et montre ainsi les nombreux bouleversements provoqués par la maladie sur la santé
physique, mais également psychologique, des individus concernés, ainsi que sur différents
aspects de leur vie quotidienne : leurs bien-être social, familial et leur vie professionnelle. Ainsi,
l’appropriation par les sciences sociales du sujet cancer-travail permet d’inverser le regard,
jusqu’alors strictement épidémiologique, portant principalement sur l’impact du travail sur la
santé des individus. La littérature scientifique est aujourd’hui particulièrement prolifique sur
les questions d’impact de la maladie sur la vie professionnelle.
Des objets d’études médicales
Si en moyenne les taux d’incidence et de mortalité ont diminué ces dix dernières années,
ils varient fortement en fonction de la localisation cancéreuse. Les trois cancers les plus
fréquents sont ceux de la prostate, du poumon et du côlon-rectum chez l’homme et ceux du
sein, du côlon-rectum et du poumon chez la femme. L’augmentation de l’incidence de ce
dernier depuis dix ans laisse à penser qu’il deviendra la première cause de mortalité par cancer
chez les femmes (ce qu’il est déjà chez les hommes). En outre, selon la localisation de la tumeur
maligne, la survie nette estimée à cinq ans varie fortement : chez les hommes de 4 % pour le
mésothéliome pleural à 96 % pour le cancer du testicule, et chez les femmes, de 7 % pour le
19
cancer du pancréas à 98 % pour celui de la thyroïde4. Elle varie également en fonction du stade
de la tumeur (plus elle est diagnostiquée tôt, plus les chances de survie augmentent) et de l’état
de santé général de la personne atteinte (les personnes âgées ou présentant des comorbidités ont
des chances de survie plus faibles). Au regard de ces différences épidémiologiques, en termes
d’incidence et de létalité notamment, la maladie « cancer » cache donc des réalités médicales
très différentes. À ce sujet, le docteur Joseph Gligorov, cancérologue à l’hôpital Tenon à Paris,
interrogé dans l’hebdomadaire Le Journal du dimanche5, explique :
« Il n’y a plus un, mais des cancers du sein, du poumon, du côlon, etc. De ce fait,
les cancers vont possiblement être divisés en plusieurs maladies dont une des
caractéristiques sera la sensibilité à des thérapies ciblées qui agiront parfois sur des
cancers nichés sur deux organes différents mais très proches sur le plan biologique.
Notre horizon, c’est la construction de cartes d’identité biologiques des cancers
permettant leur prise en charge personnalisée. »
« L’horizon » évoqué par ce cancérologue illustre la nouvelle approche dans le développement
des traitements anti-cancéreux : celle d’une médecine personnalisée, appelée « médecine de
précision ». Jusqu’alors, les traitements dits « classiques » du cancer consistaient en une (ou
des) intervention(s) chirurgicale(s) visant à retirer, de manière plus ou moins élargie selon le
stade, la tumeur et les tissus environnants, et/ou en des séances de radiothérapie, l’irradiation
(interne dans le cas de la curiethérapie et externe dans le cas de la radiothérapie externe) ayant
pour objectif de détruire les cellules cancéreuses, et/ou en des injections médicamenteuses de
chimiothérapie conventionnelle, traitement systémique visant à éliminer les cellules
cancéreuses. Au cours des dix dernières années, les nouvelles techniques de séquençage de
l’ADN ainsi que les progrès de la recherche sur la caractérisation des mutations responsables
du développement de la tumeur ont permis l’apparition de deux nouveaux traitements
spécifiquement adaptés aux caractéristiques de la tumeur du patient considéré : les thérapies
ciblées, visant à bloquer la croissance ou la propagation de la tumeur en agissant en amont sur
4 Les taux présentés ici correspondent à la survie nette et non à la survie observée. Il s’agit d’une
estimation de la survie relative qui serait observée en l’absence de décès induit par une cause non liée
au cancer. Selon les localisations, ces taux diffèrent de ceux observés, notamment chez les populations
âgées.
5 Article du 23 septembre 2012 par Anne-Laure Barret, consulté pour la dernière fois le 09/05/2019 à
l’adresse : https://www.lejdd.fr/Societe/Sante/Interview-du-cancerologue-Joseph-Gligorov-Il-n-y-a-
pas-un-mais-des-cancers-559448-3209606.
20
les causes de la prolifération anormale des cellules, et l’immunothérapie spécifique, visant à
stimuler le système immunitaire du patient afin de renforcer son action de protection. Ainsi,
comme le précise l’INCa, « il n’existe pas un cancer par organe, mais une multitude de sous-
types de cancers présentant chacun des anomalies particulières »6, ce qui se traduit également
par une multitude d’effets secondaires indésirables relatifs à la maladie ainsi qu’à son
traitement.
Quelles que soient les trajectoires de la maladie (Ménoret, 1999), les traitements du cancer
impliquent le plus souvent des périodes d’hospitalisation plus ou moins longues et répétées
selon l’acte prodigué. À la suite du diagnostic de la maladie, l’équipe médicale se réunit pour
établir un plan thérapeutique et le médecin en charge remet alors au patient un calendrier
précisant la nature des traitements, ainsi que les jours et les lieux où ils seront administrés. Dès
l’annonce du diagnostic, la vie de la personne malade est alors rythmée par ce calendrier
médical, prévoyant les périodes de traitement, d’examens de contrôle, de consultations, mais
également les périodes de repos, parties intégrantes du soin. Ce calendrier peut alors s’étendre
sur plusieurs semaines, voire sur plusieurs mois, selon la gravité de la maladie, définie par
différents critères dont la classification internationale TNM7 (taille, extension ganglionnaire,
extension métastatique) est la plus utilisée pour les tumeurs solides.
La coordination de ce nouveau calendrier de soins avec le calendrier quotidien préexistant
peut ainsi devenir un vrai défi pour les personnes malades, en particulier pour les personnes
actives, pour lesquelles le calendrier professionnel doit également s’adapter à ce nouvel
impératif. Le plus souvent, la coordination des différents agendas est impossible, le travail de
soins entrepris par la personne malade requérant une activité à plein temps. Afin de répondre à
ces besoins de disponibilité et de repos, l’enregistrement en arrêt-maladie indemnisé (sur
proposition systématique du médecin), autrement dit l’arrêt de travail pour maladie, est alors la
solution la plus fréquente. Ce dispositif, instauré pour la première fois par une loi de 1928 et
déployé par l’Assurance maladie8, a pour objectif de protéger l’assuré en lui versant des
6https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Se-faire-soigner/Traitements/Therapies-ciblees-et-
immunotherapie-specifique/Medecine-de-precision, consulté le 13 juin 2019. 7 Classification fondée sur des critères médicaux tels que la taille de la tumeur, son étendue et la présence
de métastases, permettant d’estimer la gravité de la maladie et donc le taux de survie associé. Pour plus
d’information, voir : https://www.e-cancer.fr/Dictionnaire/C/classification-TNM, consulté le 13 juin
2019. 8 L’article 5 du Code de Sécurité Sociale disposait déjà en 1928 que « si l’assuré ne peut, d’après
attestation médicale, continuer ou reprendre le travail, il a droit, à partir du sixième jour qui suit le début
21
indemnités journalières destinées à compenser la perte de salaire conséquente à l’arrêt de
travail. En complément, le Code du travail prévoit que tout salarié ayant plus d’un an
d’ancienneté dans l’entreprise a droit à une indemnité complémentaire à celle prise en charge
par la Sécurité sociale9. Ces indemnités sont calculées à partir des revenus bruts du salarié et
lui sont versées tous les quatorze jours à partir d’un délai de carence de trois jours10. Ainsi, le
système légal français permet au salarié malade de se consacrer pleinement à ses soins pour une
durée maximale de trois années, tout en lui garantissant une source de revenus et la conservation
de son emploi (dans l’hypothèse où son état de santé est compatible avec une reprise du
travail)11.
L’absence au travail est donc déterminée par ce « calendrier médical » défini par l’équipe
soignante en fonction de la sévérité de la maladie. Plus celle-ci est grave, plus elle nécessite des
traitements dits « invasifs » et plus les arrêts de travail sont prolongés. Or, certaines études ont
de la maladie ou l’accident, et jusqu’à la guérison ou jusqu’à l’expiration des six mois prévus à l’article
4, à une indemnité par jour ouvrable égale au demi-salaire moyen quotidien. » En 1945, cette durée
maximale de l’arrêt de six mois est étendue, un décret d’application prévoyant en effet que « l'indemnité
journalière peut être servie pendant une période de trois ans », disposition toujours en vigueur
aujourd’hui.
9 L’article L1226-1 du Code du travail, tel qu’issu de la Loi n°2008-596 du 25 juin 2008), en vigueur du
27 juin 2008 au 23 décembre 2015, disposait que : « Tout salarié ayant une année d'ancienneté dans
l'entreprise bénéficie, en cas d'absence au travail justifiée par l'incapacité résultant de maladie ou
d'accident constaté par certificat médical et contre-visite s'il y a lieu, d'une indemnité complémentaire à
l'allocation journalière prévue à l'article L. 321-1 du code de la sécurité sociale, à condition : 1° D'avoir
justifié dans les quarante-huit heures de cette incapacité ; 2° D'être pris en charge par la sécurité sociale ;
3° D'être soigné sur le territoire français ou dans l'un des autres Etats membres de la Communauté
européenne ou dans l'un des autres Etats partie à l'accord sur l'Espace économique européen. Ces
dispositions ne s'appliquent pas aux salariés travaillant à domicile, aux salariés saisonniers, aux salariés
intermittents et aux salariés temporaires. Un décret en Conseil d'Etat détermine les formes et conditions
de la contre-visite mentionnée au premier alinéa. Le taux, les délais et les modalités de calcul de
l'indemnité complémentaire sont déterminés par voie réglementaire. » Depuis le 23 décembre 2015, la
première condition a été complétée de la mention suivante : « 1° D'avoir justifié dans les quarante-huit
heures de cette incapacité, sauf si le salarié fait partie des personnes mentionnées à l'article L. 169-1 du
code de la sécurité sociale » (c’est-à-dire sauf s’il a été « victime d'un acte de terrorisme, blessé ou
impliqué lors de cet acte » ).
10 L’indemnité journalière versée par la Sécurité sociale correspond à 50 % du salaire journalier de base,
calculé sur la moyenne des salaires bruts des 3 derniers mois précédant l’arrêt de travail (12 mois pour
les saisonniers). Ce montant est fixé dans la limite d’un plafond correspondant à 1,8 fois le salaire
minimum légal (Smic). Cette indemnité est majorée en cas de présence d’au moins trois enfants à charge.
11 Le licenciement (hors inaptitude) d’un salarié en raison de son état de santé est considéré comme
discriminatoire et est en ce sens strictement interdit par la loi : « aucun salarié ne peut être sanctionné,
licencié (…) en raison de son état de santé ou de son handicap. » (Article L1132-1 du Code du travail).
22
montré pour différentes pathologies, que la durée des arrêts de travail était positivement corrélée
aux difficultés rencontrées dans la reprise de l’activité professionnelle (Le Corroller-Soriano et
al., 2008; Sevellec et al., 2015; Barnay et al., 2015b).
Dans ce contexte, pourquoi continuer de parler du cancer au singulier ? Quel est l’apport
heuristique d’une recherche qui se focalise sur « le » cancer et « son » effet sur la vie
professionnelle ?
Une maladie chronique
Considérant les constats épidémiologiques présentés précédemment et l’allongement de
la durée de vie avec un cancer (concernant presque tous le types de cancers), la maladie entre
désormais dans la catégorie des « affections de longue durée qui, en règle générale, évoluent
lentement »12 définies comme maladies chroniques par l’Organisation Mondiale de la Santé
(OMS). Cette définition fait néanmoins débat parmi différents professionnels travaillant sur le
cancer. Pour l’oncologue Mario Di Palma, la chronicité ne fait aucun doute puisque « de plus
en plus de gens vivent avec le cancer ». On constate en effet de plus en plus un « allongement
généralisé de la durée de vie avec un cancer qui ne guérira pas »13. Pour le sociologue Philippe
Bataille, cette chronicité témoigne d’avancées médicales qui ont transformé l’appréhension de
la maladie. Si celle-ci est généralement « installée » dans le discours médical, mais encore très
peu dans la pratique (Ménoret, 1999), elle demeure, dans l’environnement social, qu’un savoir
expérientiel des patients et de leurs proches. Cette mécompréhension de la chronicité est
augmentée par l’organisation médicale, centrée sur la prise en charge de la phase aiguë. Lorsque
le traitement curatif de la maladie est arrêté, le patient ressent souvent un isolement : s’il n’est
plus pris en charge par l’équipe médicale c’est qu’il n’est plus malade, or, il ne se sent pas tout
à fait sain. Le sociologue explique que « les malades du cancer se sentent plus proches de la
notion de handicap » que de celle de maladie chronique (Bataille et Bretonnière, 2016), ce qui
se comprend principalement au regard d’une autre gestion nécessaire de la part des patients :
celle de l’après cancer. En effet, si pour certains la tumeur a disparu, elle a souvent laissé des
séquelles physiques, psychologiques ou sociales qu’il faut appréhender. De nombreuses études
ont recensé les effets secondaires indésirables provoqués par la maladie ou par ses traitements.
12 Extrait de la définition donnée par l’OMS. À retrouver sur le lien :
https://www.who.int/topics/chronic_diseases/fr/, consulté le 4 juillet 2019. 13 Extrait d’une chronique réalisée par Philippe Clouet sur la chronicité du cancer et interrogeant ici le
Pr Mario Di Palma, oncologue. À retrouver sur le lien : https://www.ligue-
cancer.net/vivre/article/41522_le-cancer-une-maladie-chronique, consulté le 4 juillet 2019.
23
Ainsi, douleurs, fatigue, symptômes dépressifs ou anxieux et troubles psychiques sont autant
de séquelles, souvent à caractère chronique, exprimées par les personnes concernées. Pour
évoquer ce point, certains parlent de « guérison chronique » en ce sens que si la maladie
n’évolue plus, la guérison est multidimensionnelle (guérison dans son corps, dans sa vie sociale,
dans sa vie professionnelle) et s’inscrit généralement dans le temps. Ainsi, quelle que soit la
manière de le qualifier, le cancer intègre une temporalité spécifique, ce qui en fait un objet
d’étude à part entière.
Dans une recherche in situ, réalisée au sein d’un centre anti-cancéreux, la sociologue
Marie Ménoret rend compte de ces « temps du cancer » par la description de trois types de
trajectoire : l’entrée dans la maladie, allant des premiers symptômes au diagnostic de la
maladie ; les trajectoires « ascendantes », de l’entrée en traitement à la rupture biographique
puis à la reconstruction et, enfin, les trajectoires « descendantes », avec une évolution plus ou
moins lente vers la mort lorsque la maladie résiste aux traitements (Ménoret, 1999). Chacune
de ces trajectoires peut s’inscrire dans un temps plus ou moins long selon la sévérité de la
maladie, la spécificité des traitements et les « considérations biographiques et psychologiques
à l’égard du patient ». Le travail biographique du patient peut intervenir au sein des deuxième
et troisième trajectoires. Il consiste en un travail individuel de reconstruction et de mise en
cohérence des parcours personnel et thérapeutique par le malade, qui fait alors appel à des
représentations sociales propres à la maladie « cancer ». L’individu mène ainsi une réflexion
philosophique sur les causes éventuelles de la maladie, ce qui pourrait favoriser la guérison (et
éviter la récidive), mais aussi sur ce qui faciliterait la vie avec le cancer, ses symptômes et/ou
ses séquelles.
24
1.1.2. Une relation définie par les représentations sociales de la maladie
Un objet de représentations sociales des personnes concernées
D’un point de vue étymologique, le cancer tire son origine du mot latin signifiant
« crabe ». Hippocrate (460-377 avant J-C) avait comparé la maladie tumorale à l’animal du fait
de sa morphologie : « la tumeur est en effet centrée par une forme arrondie et est entourée de
prolongements en rayons semblables aux pattes d’un crabe »14. Cette comparaison, encore
utilisée aujourd’hui, illustre bien les représentations sociales associées à une réalité biologique :
la tumeur est, comme le crabe, silencieuse et insidieuse et se déplace (ou plutôt s’étend) en
contaminant les cellules autour d’elle. De plus, à l’exception du cancer du col de l’utérus et de
la maladie de Hodgkin, les cancers n’ont a priori pas d’origine virale et ne peuvent ainsi pas
s’expliquer par l’attaque d’un agent extérieur, contrairement à d’autres maladies définies
comme chroniques (comme le SIDA, causé par une infection par le VIH). Dans le cas du cancer,
c’est notre propre corps qui se met à reproduire ses cellules de manière anormale, comme s’il
se retournait contre lui-même.
Cette représentation est renforcée par une méconnaissance générale du processus de
développement tumoral. Les caractéristiques biologiques de la maladie, attribuables à toute
forme de tumeur (du sein, du poumon, de la peau ou encore du sang), lui confèrent une identité
propre, pas encore complètement connue des experts scientifiques. En effet, dans la sphère
scientifique, on ne parle pas d’une cause unique qui serait à l’origine de l’apparition de la
maladie mais d’un schéma multifactoriel dont les effets sur l’organisme s’entrecroisent (Derbez
et Rollin, 2016). Plusieurs « facteurs de risque » sont identifiés comme pouvant être
« cancérogènes » tels que la pollution atmosphérique, la consommation de tabac et d’alcool,
une alimentation trop riche, l’exposition au soleil ou encore à des produits toxiques (amiante,
produits chimiques etc.) etc. sans qu’aucun de ces facteurs n’apparaisse comme nécessaire et
suffisant. Ce manque d’identification d’une cause simple, unique et sûre, crée une incertitude
qui participe à la peur15 du cancer : ce dernier peut toucher n’importe qui (même si on s’accorde
à dire que certains profils sont plus à risque que d’autres), à n’importe quel moment du cycle
de vie (enfants, jeunes, adultes et personnes âgées sont concernés) et n’importe où (toutes les
14 http://www.centre-paul-strauss.fr/comprendre-le-cancer/histoire-et-definition, consulté le 4 juillet
2019.
15 Le mot « cancérophobie » a même été intégré au dictionnaire de la langue française pour caractériser
une peur irrationnelle du cancer.
25
régions de France, tous les pays du monde sont concernés). On parle d’ailleurs d’« épidémie de
cancer » (Cicolella, 2007; Guérin et Hill, 2010).
Cette incertitude, mise en avant dans la littérature (Bataille et Bretonnière, 2016), quant
à « l’origine du mal » (Moulin, 2005), conduit les individus à construire des représentations
sociales (Jodelet, 2003; Moscovici, 1961) qui pourront les aider à comprendre, rationaliser et
maîtriser symboliquement leur cancer. En effet, comme le montre l’anthropologue Aline
Sarradon-Eck (Sarradon, 2009), le cancer est généralement défini comme une maladie de
l’individu qui porte alors « le mal en soi ». La recherche étiologique (Herzlich et Pierret, 1984)
amène donc certaines personnes à une introspection, et la survenue d’événements ayant
engendré du stress apparaît comme une des origines possibles de la maladie. Dans cette vision,
développée par la communauté scientifique et par les profanes, le cancer trouve son origine
dans l’histoire individuelle, ou plutôt dans la manière dont celle-ci a été intériorisée par la
personne malade, comme la manifestation biologique d’un mal psychologique. Ces
représentations se construisent alors différemment selon les individus puisqu’elles sont le fruit
d’une mobilisation de leurs connaissances, associée, dans le cadre de la maladie, à leur rapport
au corps d’une part et à la maladie d’autre part. Des études montrent que, pour certains,
« l’origine du mal » (Moulin, 2005) peut, au moins en partie, trouver racine dans
l’environnement professionnel, devenu l’une des premières sources de stress chronique dans
notre société. Ces associations faites entre conditions de travail et survenue de la maladie
peuvent interférer sur la manière d’appréhender la reprise du travail (Tarantini et al., 2014). Ces
études soulignent l’importance de prendre en compte les représentations du cancer par les
personnes malades dans une recherche portant sur l’impact de la maladie sur leur vie
professionnelle.
26
Un objet de représentations sociales en population générale
En raison de l’importante prévalence des cas de cancers en France, la maladie est bien
connue de la population générale qui, elle aussi, développe des représentations sociales « du »
cancer. En effet, les résultats de l’enquête Baromètre Cancer16 montrent que 100 % des
personnes interrogées situent le cancer parmi les trois maladies les plus graves et sept personnes
sur dix le placent en première position (Beck et Gautier, 2012). De plus, ces mêmes résultats
montrent que presqu’une personne sur deux associe directement le cancer au champ lexical de
la mort. Ces représentations rappellent que malgré l’avancée de la médecine dans le domaine
de la cancérologie (Derbez et Rollin, 2016), les taux de mortalité restent de l’ordre de 40 % en
moyenne, pouvant atteindre jusqu’à 70 % voire 80 % (selon la distance au diagnostic à laquelle
on se situe) pour certaines localisations. Cette réalité n’échappe pas à la population générale
d’autant que depuis les années 70, rappeler que « le cancer tue » fut le principal fer de lance des
campagnes de prévention en santé publique. Le mot « cancer » reste, jusqu’à présent, associé à
une maladie mortelle, particulièrement redoutée puisqu’il est souvent représenté comme
conduisant à une mort lente et tragique, d’un mal qui « ronge »17, opposée à la « belle mort »
généralement définie comme rapide et indolore. La préférence de certains, et notamment des
médias, pour la locution « longue maladie »18 témoigne de cette peur du cancer. Une étude
italienne a d’ailleurs analysé les représentations de la maladie dans le cinéma (De Fiore et al,
2014) et a montré les importantes divergences avec la réalité : les malades y sont le plus souvent
jeunes, ils sont atteints de formes bien spécifiques laissant peu de séquelles visibles (outre la
perte de cheveux avec chimiothérapie), le cancer du sein y étant très peu représenté. Les
malades décèdent très vite après le diagnostic et très rares sont les films qui évoquent l’« après-
cancer ». Par ailleurs, souvent caractérisé de fléau (Pinell, 1992), l’adjectif est devenu une
caractéristique intrinsèque au mot « cancer » qui est aujourd’hui souvent repris comme
16 Réalisée par l’Inpes en 2010, cette enquête nationale a interrogé un échantillon représentatif de 4 000
personnes âgées de 15 à 85 ans en population française au sujet de leurs connaissances et comportements
concernant les facteurs de risque connus du cancer, ainsi que sur leurs représentations de la maladie et
des malades (Beck et Gautier, 2012). 17 Définition du mot cancer par le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) :
« ulcère rongeant ». 18 « Qu’on arrête d’avoir peur du mot ‘cancer’ ! L’expression ‘longue maladie’, c’est stupide… »
explique le 12 novembre 2018 au quotidien Le Parisien le présentateur d’une grande chaîne de télévision
en France Jean-Pierre Pernaut qui a souhaité évoquer publiquement son cancer de la prostate. Si la
démarche a été saluée par de nombreuses associations, l’emploi de la périphrase demeure très courant.
http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/tv/jean-pierre-pernaut-je-reviens-avec-la-peche-12-11-2018-
7941303.php, consulté le 18/05/2019.
27
métaphore pour évoquer les maux qui rongent la société, tels que le chômage, le racisme ou
encore le terrorisme. Ceci illustre davantage les représentations sociales négatives que la
maladie inspire, encore aujourd’hui19.
Des représentations qui se retrouvent dans la sphère professionnelle
Ainsi, la maladie « cancer » fait l’objet de représentations sociales qui suscitent la peur,
par son association fréquente avec la mort, représentations qui se retrouvent naturellement au
sein des entreprises, microcosmes sociaux. Les employeurs, les responsables, les collègues, les
employés, les clients, et plus largement l’ensemble des acteurs de l’entreprise, ont eux-mêmes
des représentations sociales qui diffèrent selon leurs connaissances et leurs expériences de la
maladie. Ces représentations ont pour conséquence d’impacter les comportements individuels,
certains développant par exemple des stratégies d’évitement de la personne malade, voire de
rejets et d’exclusion, liées à une peur de la maladie ou à une peur de « mal faire », de ne pas
avoir la réaction adaptée face à la personne concernée. De plus, s’ajoute souvent le facteur
émotionnel : la proximité de la relation entretenue entre un salarié (quel que soit son statut) et
la personne malade peut également impacter les comportements du salarié en question, en proie
à ses propres émotions (Cuddy et al., 2007). Lors d’un colloque portant sur la thématique
« Cancer et travail »20, la psychologue du travail Julie Daul a montré comment la prise en
compte des émotions du personnel d’une entreprise pouvait permettre un meilleur
accompagnement des collaborateurs atteints de cancer. Ainsi, les représentations de la maladie
ont un effet spécifique dans le milieu de l’entreprise, pouvant avoir un impact direct sur les
comportements à l’égard des personnes atteintes et donc sur la reprise d’activité et le maintien
en emploi de celles-ci. Sur ce point, une étude a comparé les croyances de salariés atteints d’un
cancer et de cadres dirigeants non malades, vis-à-vis de l’impact de la maladie sur l’emploi.
Elle a montré que ces derniers étaient plus inquiets que les salariés malades, craignant
19 Voici quelques exemples pour illustrer les différentes utilisations et utilisateurs de ces métaphores
dans la sphère publique :
- Laurent Wauquiez, alors ministre des Affaires européennes, déclarait sur la radio française Europe 1
le 09 mai 2011 que « l'assistanat est aujourd'hui l'un des vrais cancers de la société française », ce à
quoi le sociologue Pr Nicolas Duvoux répondait quelques jours plus tard : « Le vrai cancer de la
société française, c'est le chômage de longue durée » ;
- « Comme un cancer qui rejaillit sans qu’on sache où et quand » : amorce d’un dossier consacré au
terrorisme par Paris Match, le 22 Décembre 2016 ;
- Enfin, François Fillon, candidat aux élections présidentielles, déclarait le 16 janvier 2017 lors de sa
visite au Mémorial de la Shoah, « Il est nécessaire aujourd’hui de (…) lutter contre l’antisémitisme
et le racisme qui continuent d’être une forme de cancer pour notre humanité ». 20 Colloque organisé à Nantes par le réseau SHS du Cancéropôle Grand Ouest, les 28 et 29 mars 2019.
28
davantage un impact négatif du cancer sur le travail, évoquant par exemple des difficultés de
contrôle des symptômes sur le lieu de travail ainsi que la peur d’une mécompréhension par les
collègues (Grunfeld et al., 2010).
Par ailleurs, le cancer est souvent associé à une situation d’incertitude pouvant être liée,
comme on l’a vu précédemment, à l’absence de cause définie de manière unique de la maladie
mais également aux zones d’ombre de la période de traitements ; la fin de la phase curative
n’est pas toujours connue, elle est fonction de la réponse aux traitements, définie lors des
résultats des examens de contrôle. Or, comme le rappellent le sociologue Lionel Pourtau et ses
coauteurs, « les entreprises ne détestent rien autant que l’incertitude (Pingaud et Gourc, 2004 ;
Gourc, Bougaret et Lacoste, 2004). La limitation des incertitudes est au cœur des stratégies de
gestion de projet » (Pourtau et al., 2011). Ils montrent alors, en s’appuyant sur des entretiens,
que le salarié peut être victime de discrimination, que les intentions de l’employeur soient
louables (volonté de protéger le salarié en lui dégageant des responsabilités par exemple) ou
non (volonté d’évincement pour faire avancer un projet par exemple). L’employeur, ou le
responsable hiérarchique selon la taille et l’organisation de l’entreprise, doit en effet faire face
à une incertitude quant à la continuité du poste occupé par la personne malade : combien de
temps la personne sera-t-elle absente ? Pourra-t-elle continuer son activité de manière efficace ?
Les réponses à ces questions semblent essentielles à l’employeur qui doit préserver la
performance de l’entreprise. Pourtant, la réponse n’est pas toujours simple, voire n’existe pas
selon les cas.
Proposant une sociohistoire du cancer, l’ouvrage Sociologie du cancer (Derbez et Rollin,
2016) montre comment une maladie individuelle incurable fut transformée en un problème de
santé publique, objet incontournable des politiques de santé contemporaines, avec le National
Cancer Act aux Etats Unis dans les années 1970 et la mise en place du premier Plan Cancer en
2003 en France. Si cet ouvrage souligne le caractère socialement construit du cancer, il révèle
également comment la maladie modifie l’environnement social des individus. De nombreuses
recherches se sont intéressées aux aspects sociaux modifiés par la maladie : qualité de vie,
relations patient-soignant, rapports de couple, rapports familiaux, rapport au corps de
l’individu, identité sociale, rapport à l’emploi... et ce, quelle que soit la localisation tumorale.
Ainsi, les chercheurs en sciences sociales affirment l’intérêt « du » cancer en tant qu’objet
d’étude singulier, un objet chargé de représentations négatives développées à la fois par les
personnes malades, leurs proches et la population générale, qui doit être pris en compte pour
étudier les transformations qu’il implique.
29
1.2. Impact du cancer sur la vie professionnelle
1.2.1. Etat des lieux
Dans la majorité des cas, les personnes diagnostiquées d’un cancer interrompent leur
activité professionnelle pour entreprendre « leur travail de soin » ; le suivi des traitements
nécessite généralement leur enregistrement en arrêt-maladie. Par la suite, la plupart des
personnes concernées souhaite reprendre une vie professionnelle, étape perçue comme un retour
à une vie « normale », à une vie sociale, où la maladie n’est plus au centre du calendrier. En
effet, outre sa dimension financière souvent nécessaire pour subvenir aux besoins individuels,
l’emploi a de surcroît un rôle de structure sociale, par le statut qu’il offre ainsi que les relations
sociales qu’il génère. Il est l’un des piliers de l’organisation de la société, « il structure de part
en part non seulement notre rapport au monde, mais aussi nos rapports sociaux. » (Méda, 1995).
D’après les enquêtes sur les valeurs des européens (Eurobaromètre rapport Commission
européenne, 201221), ces derniers placent le travail en troisième position des valeurs jugées les
plus importantes pour leur bonheur après la santé et l’amour (il est même devant l’amour pour
les hommes). Ainsi, le retour au travail et le maintien en emploi semblent être des enjeux
économiques mais également sociaux importants pour les personnes en âge d’être actives.
L’impact négatif du cancer sur l’emploi : un processus empreint d’inégalités sociales
« Il y a 10 % de taux d'emploi en moins chez les personnes atteintes d'un cancer [par
rapport à la population générale] ». Tel est le constat en France du rapport de synthèse des
recherches de l’appel à projets de la Fondation ARC et de l’INCa réalisé en 2006 (Situations de
travail et trajectoires professionnelles des actifs atteints de cancer. Rapport de synthèse des
recherches de l’appel à projets lancés en 2006 par la Fondation ARC et l’INCa, 2012).
Il précise également que « cette perte d'emploi varie en fonction du temps écoulé depuis le
diagnostic, puisque les chances de maintien dans l'emploi diminuent les quatre premières
années après le diagnostic, puis augmentent, chez les hommes comme chez les femmes ». De
plus, ce rapport met en évidence un effet socialement différencié du cancer sur la vie
professionnelle, en défaveur des travailleurs occupant des emplois dits « d’exécution » qui,
21 http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/archives/eb/eb77/eb77_value_fr.pdf, consulté le
16/05/2019.
30
d’une part, perdent davantage en employabilité22 du fait de la nature-même de l’activité
(demandes physiques importantes notamment) et, d’autre part, accèdent moins souvent aux
dispositifs d’aménagement visant à accompagner et donc à favoriser le retour au travail. Enfin,
ce rapport soulève le manque de connaissance des dispositifs mobilisables de la part des
travailleurs mais aussi des médecins, des acteurs de l’entreprise (ressources humaines par
exemple) et des partenaires sociaux, ce qui conduit à une sous-utilisation de ces dispositifs ; par
exemple, la visite de pré-reprise, pourtant largement recommandée par les instances médicales,
n’a lieu qu’une fois sur quatre en Île-de-France. Ces premiers résultats ont été confirmés par les
études françaises ultérieures. La détérioration de la vie professionnelle constatée deux ans après
le diagnostic est alors principalement caractérisée par une diminution du taux d’activité, une
diminution du taux d’emploi et par une augmentation du taux de chômage parmi un échantillon
représentatif de la population atteinte d’un cancer en France23 (INCa, 2014).
A la lecture des différents articles publiés sur le sujet en France mais également à
l’international24, deux approches semblent avoir principalement été documentées dans la
littérature scientifique : d’une part, le recensement des facteurs médicaux, professionnels et
sociodémographiques qui influencent le retour au travail ; d’autre part, l’évaluation des
interventions mises en place pour favoriser ce retour au travail. Par ailleurs, parmi les personnes
qui ne reviennent pas en emploi à la suite d’un diagnostic de cancer, deux profils se distinguent
: ceux qui perdent leur emploi et se retrouvent au chômage (le taux de chômage est trois fois
supérieur chez ces personnes par rapport à la population générale comparable) et ceux qui
partent en retraite anticipée (à âge et sexe donnés, les personnes atteintes de cancer ont un sur-
22 La notion d’employabilité peut renvoyer à différentes acceptions selon les courants économiques et
sociaux et selon la période étudiée. Dans le présent contexte, l’emploi de cette notion renvoie à la
définition canadienne proposée en 1994 : « l’employabilité est la capacité relative que possède chaque
individu d’obtenir un emploi satisfaisant compte tenu de l’interaction entre ses caractéristiques propres
et le marché de l’emploi » (Hassen et Hofaidhllaoui, 2012). Il semble important de préciser la coloration
donnée à cette notion ici, car cette définition s’inscrit dans un courant économique selon lequel il
s’agirait d’adapter l’individu au marché du travail et, pour les employeurs, d’accompagner cette
adaptation. Ainsi, dans cette phrase, le salarié « exécutant » perd davantage en employabilité lorsque la
maladie atteint sa santé physique et par conséquent sa performance professionnelle, source de sa
condition d’emploi. 23 Plus précisément, la population à l’étude dans cette enquête (enquête VICAN2) est représentative des
personnes âgées de 18 à 82 ans, résidant en France métropolitaine, diagnostiquées d’un cancer parmi les
douze localisations les plus prévalentes en France et enregistrées pour cela en Affections de Longues
Durée (ALD) chez l’un des trois régimes d’Assurance maladie obligatoires les plus communs en France
(Bouhnik et al., 2015; INCa, 2014). 24 Littérature anglophone et francophone uniquement.
31
risque relatif de retraite anticipée) (Boer et al., 2009; Carlsen et al., 2008; Mehnert, 2011;
Noeres et al., 2013; Spelten et al., 2002; Taskila-Åbrandt et al., 2004).
En outre, la reprise du travail après un diagnostic de cancer a également fait l’objet de
nombreux travaux en sociologie, qui ont notamment mis en évidence les potentiels
bouleversements induits par le cancer dans la vie des individus, leur quotidien et leurs
aspirations (Ménoret, 1999, Waser, ; Vidal-Naquet 2014), impactant ainsi directement leur vie
professionnelle.
Cancer et travail biographique : reconsidération du rapport à l’emploi et au travail
La reconstruction individuelle après le diagnostic d’un cancer passe, pour certaines
personnes, par un travail biographique. Celles-ci entreprennent une réflexion puis des
démarches pour retrouver « une vie normale » sur les plans personnel, social et professionnel.
Or, penser le travail, c’est penser l’emploi. Nous reprenons ici la distinction conceptualisée par
les sociologues André-Clément Decouflé et Margaret Maruani, qui nous semble essentielle à
l’appréhension de notre recherche, entre le travail « compris comme l’activité de production de
biens et de services, et l’ensemble des conditions d’exercice de cette activité » et l’emploi «
entendu comme l’ensemble des modalités d’accès et de retrait du marché du travail ainsi que la
traduction de l’activité laborieuse en termes de statuts sociaux » (Découflé et Maruani, 1987).
Cette distinction postule l’idée que « le statut de l’emploi structure le statut du travail et
contribue ainsi à la définition du statut social, de la stratification et des classes sociales »
(Maruani et Reynaud, 2004).
Dans son ouvrage Faire avec le cancer dans le monde du travail, le sociologue Pierre
Vidal-Naquet (Vidal-Naquet, 2009) reprend cette distinction et s’intéresse plus spécifiquement
à l’impact de la maladie sur le rapport des individus à l’emploi, notamment en termes de sens
et de sécurité de celui-ci. L’auteur choisit d’aborder cette thématique à travers différentes
expériences individuelles et présente dans l’ouvrage une partie des entretiens conduits en 2008
auprès de 30 personnes ayant vécu un diagnostic de cancer. Il évoque ainsi les différentes
trajectoires suivies par les individus sur le plan professionnel, qu’il définit à travers quatre
figures d’intégration professionnelle modélisées par Serge Paugam (Paugam, 2007), dont le
découpage tient compte de la différence entre le rapport à l’emploi et le rapport au travail, soit :
l’« intégration assurée », qui désigne une situation d’emploi sécurisée et une satisfaction dans
le travail ; l’« intégration incertaine », qui représente une satisfaction dans le travail mais une
absence de sécurité d’emploi ; l’« intégration laborieuse », qui regroupe les individus sécurisés
32
dans leur emploi mais qui n’éprouvent pas de satisfaction dans leur travail ; et enfin,
l’« intégration disqualifiante » qui désigne une situation professionnelle précaire définie par
une absence de sécurité d’emploi et une insatisfaction vis-à-vis du travail exercé.
Ainsi, l’auteur montre comment le cancer peut (ou non) faire évoluer ces situations.
Tandis que dans certains cas, ces situations sont confirmées (outre les événements successifs
engendrés par la maladie, la trajectoire professionnelle est linéaire et la maladie n’aura alors été
qu’une « parenthèse » au sein de cette trajectoire), certaines situations se fragilisent (se
maintiennent mais seulement au prix de laborieux efforts), se dégradent (« l’épreuve du cancer
peut également faire basculer » certaines personnes d’une intégration à l’autre), voire se
détériorent (situations difficiles qui se précarisent à cause de la maladie). Dans le cas de ces
deux dernières trajectoires, le cancer apparait comme le point de « rupture » de la trajectoire
professionnelle des individus. La représentation d'un travail rémunéré change après un cancer,
le retour au travail résulte alors d’un processus de planification et de prises de décisions
respectant à la fois l'empressement à travailler et la considération des difficultés liées aux effets
secondaires (Stergiou-Kita et al., 2014).
33
L’annonce du cancer, un événement de rupture biographique
C’est le sociologue Michael Bury qui, pour la première fois, en 1982 évoque la rupture
biographique (« biographical disruption ») qu’engendre une maladie chronique dans la
trajectoire d’un individu (Bury, 1982). Le système individuel, c’est-à-dire les postulats et les
comportements de chacun, est bouleversé, l’individu mobilise alors les ressources à sa
disposition pour s’adapter et faire face à cet événement. Si le concept de rupture biographique
a été critiqué par la suite, il demeure pertinent non pas dans l’analyse des points précis de
rupture mais dans la conception globale de la biographie d’un individu pour comprendre la
manière dont celui-ci réagit (Herzlich, 1998). Le sociologue Michaël Voegtli rappelle d’ailleurs
que « la maladie n’est pas seulement imposée, mais aussi vécue, et que les bouleversements
qu’elle peut provoquer sont à relier avec la question de la mobilisation, par l’acteur, des
ressources à sa disposition » (Voegtli, 2004). Il invite ainsi ceux qui s’intéressent notamment à
la carrière des individus atteints d’une maladie chronique à porter leur attention sur trois
éléments : le déroulement de la maladie, la mobilisation des ressources et le travail de mise en
cohérence réalisé par l’acteur. S’appuyant sur différentes études présentes dans la littérature, il
explique que « l’important n’est peut-être donc pas tant de s’intéresser à la rupture que
d’envisager la manière dont elle s’inscrit dans la carrière de l’acteur ».
Dans une approche biographique de l’analyse des bifurcations, la sociologue Valentine
Hélardot s’inscrit dans la proposition de Voegtli et étudie l’articulation entre parcours
professionnels et histoires de santé en s’intéressant aux « moments de rupture » comme parties
du parcours individuel, aux successions des différentes phases qu’ils créent et aux interactions
entre les différentes sphères de vie (Hélardot, 2006). Elle propose pour cela, la définition
suivante :
« Une « bifurcation » est une modification brutale, imprévue et durable de
l’articulation biographique entre la sphère de la santé et celle du travail, pour autant
que cette modification soit désignée par les acteurs concernés comme un point de
basculement donnant lieu à une distinction entre un « avant » et un « après » ».
(Hélardot, 2006, p.66).
Par l’analyse d’entretiens semi-directifs, l’auteur plaide ainsi pour une approche de
l’interaction entre travail et santé sous l’angle des bifurcations, en ce sens qu’elle permet de
prendre en compte la logique individuelle, nécessaire à la compréhension de son parcours.
34
Afin de prendre en compte ces éléments dans le cadre de notre recherche, il semble ainsi
essentiel de contextualiser l’acteur dans son environnement institutionnel. Ainsi, pour
comprendre comment les individus envisagent leur retour au travail et leur maintien en emploi
après un diagnostic de cancer, voici quelques éléments de contexte sur le marché de l’emploi
et du travail en France.
1.2.2. Contexte de l’évolution récente du marché du travail
Précarisation de l’emploi en France
Le marché de l’emploi a connu de profondes transformations ces cinquante dernières
années, marquées notamment par une baisse de la croissance (dont les points culminants sont
les chocs pétroliers de 1974 et 1979, la récession de 2008-2009) ayant entraîné des pertes
d’emploi massives25 et, par voie de conséquence, une forte hausse du taux de chômage26.
Oscillant entre 8 et 10 % depuis le milieu des années 70, le taux de chômage français se situe
parmi les plus élevés en Europe. Les emplois précaires ont alors doublé entre 1980 et 2000 (5 %
des actifs étaient en contrat à durée déterminée ou en contrat d’intérim en 1980 contre 12 % en
2000), de même que la part d’emplois à temps partiel qui représentait 7 % de la population
active en 1975 contre 16 % en 2012, proportion stable jusqu’à aujourd’hui (Beck et Vidalenc,
2018). L’évolution des emplois à temps partiel cache deux réalités bien différentes : pour
certains, le travail à temps partiel concrétise le choix de travailler moins pour consacrer plus de
temps à d’autres sphères de vie (familiale, personnelle) tandis que pour d’autres, il s’agit d’un
choix contraint par le marché de l’emploi. En effet, d’après l’enquête emploi de 2011, près d’un
tiers des salariés à temps partiel souhaiterait travailler à temps plein et occupe donc un sous-
emploi par défaut (faute d’avoir trouvé un emploi à temps plein), cette proportion étant stable
25 Impact d’autant plus important que ces événements interviennent à la suite de transformations
sociales : une augmentation démographique augmente de fait la part de population active et une entrée
massive des femmes sur le marché du travail. 26 Le taux de chômage est un indicateur fréquemment utilisé en économie pour rendre compte de la
conjoncture du marché du travail en France. Défini en 1982 par le Bureau International du travail (BIT)
comme le nombre de personnes « en âge de travailler (15 ans ou plus) qui [répondent] simultanément à
trois conditions : être sans emploi, c'est à dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une
semaine de référence ; être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ; avoir cherché
activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois
mois. » (Insee Définitions, 2016) rapporté au nombre de personnes actives en France. Il s’agit d’une
définition internationale qui ne correspond, de ce fait, pas nécessairement aux bénéficiaires d’allocations
chômage tels que prévu par le système d’Assurance sociale français. Il témoigne d’une « dégradation
du marché du travail » (OFCE).
35
d’après les enquêtes plus récentes (Beck et Vidalenc, 2018; Pak, 2013). Ces transformations
témoignent d’une précarisation du marché du travail qui n’est pas sans conséquence sur le
rapport à l’emploi des individus, de plus en plus à la recherche de sécurité et de stabilité
professionnelles.
De nouvelles organisations dans les entreprises
Outre le marché de l’emploi, le travail a également connu de profondes transformations
depuis les années 1960. La récession des années 70/80, associée au contexte de mondialisation,
perçu comme contexte concurrentiel se développant depuis les années 1990, et l’essor des
nouvelles technologies ont entraîné une transformation des besoins des entreprises mais aussi
des attentes des travailleurs. Le besoin d’« entreprises flexibles27 » a été présenté initialement
comme la solution à la crise économique en France, offrant liberté aux travailleurs et marge de
manœuvre aux entreprises (Pollert et Erbes-Seguin, 1989; Silvestre, 1986). Cette recherche de
liberté a conduit à une transformation des relations sociales au travail ainsi qu’à une hausse des
demandes physiques et psychologiques du travail nécessitant une capacité d’adaptation
constante et générant un manque de sécurité important (Lallement, 2008; Valeyre, 2007). Ces
changements économiques et sociaux sont ainsi résumés par Antoine Valeyre :
« Face aux limites, tant économiques que sociales, rencontrées par les organisations
tayloriennes/fordiennes du travail, de multiples innovations organisationnelles ont
été mises en œuvre depuis une trentaine d’années. Elles visent à améliorer les
performances économiques et productives des entreprises confrontées à un
environnement de marché plus instable et plus diversifié, à une concurrence
exacerbée et mondialisée et à une demande plus exigeante en termes de variété, de
qualité, de délais, de réactivité et de vitesse de renouvellement des produits. Elles
visent également à prendre en compte l’aspiration à plus d’autonomie et d’initiative
dans le travail qu’expriment de nombreux salariés dans un contexte d’élévation des
niveaux de formation et, tout au moins dans les années 1970, à répondre à un rejet
croissant des conditions de travail associées aux organisations
27 La flexibilité des entreprises en termes de volume de travail (flexibilité quantitative, variation du
nombre de salariés et du temps de travail en fonction de l’activité), de rémunérations (variation des
salaires) et d’organisation (d’une part flexibilité fonctionnelle renforçant l’autonomie des salariés et leur
polyvalence, d’autre part, externalisation vers la sous-traitance) a longtemps fait débat : solution contre
la crise pour les uns, nouvelle forme de précarisation et d’aliénation pour les autres.
36
tayloriennes/fordiennes du travail, qui se manifeste par une montée de
l’absentéisme, du turnover et des conflits sociaux. » (Valeyre, 2007, p.37).
Ces transformations ont abouti à une segmentation du marché du travail avec d’un côté les
personnes peu qualifiées auxquelles on offre des emplois dans des conditions de plus en plus
précaires, et, de l’autre, les plus diplômés pour qui la sécurité de l’emploi demeure une réalité
(Bevort et al., 2006).
Allongement de la durée de travail : zoom sur l’emploi des séniors
Le cancer est une maladie qui survient en moyenne tardivement dans la carrière
professionnelle d’un individu. Par exemple, parmi les 20-54 ans atteints de cancer, le dépistage
de la maladie a eu lieu après 45 ans dans plus de 60 %28 des cas (61 % pour les femmes et 69 %
pour les hommes). Ces personnes sont donc en majorité dans une phase avancée de leur carrière
et sont très peu concernées par les problématiques d’entrée sur le marché du travail (telles que
les embauches en contrat précaire de plus en plus fréquentes). Ils sont en revanche directement
impactés par les réformes du système de retraite. En effet, pour faire face à la croissance
démographique et au vieillissement de la population française, le système de solidarité sociale
a fait l’objet de plusieurs réformes depuis les années 1990. La durée de cotisations nécessaire
pour un départ à la retraite à taux plein est progressivement allongée, passant de 37,5 à 40 puis
41 années en 2012 et jusqu’à 43 années prévues pour 203529. Dans le même temps, l’âge
minimum légal pour un départ à la retraite recule de 60 à 62 ans en 2012. Néanmoins, pour
ceux n’ayant pas atteint la durée de cotisation nécessaire, un départ en retraite à taux plein est
possible à partir de 65 ans puis 67 ans à partir de 2010. Enfin, pour les personnes présentant un
handicap, un départ anticipé en retraite à taux plein est possible selon certaines conditions de
28 Calculs réalisés à partir d’une extraction de données sur l’incidence du cancer (les localisations les
plus courantes) estimée en 2012, disponibles sur le site de l’INCa : http://lesdonnees.e-
cancer.fr/Themes/epidemiologie/Incidence-mortalite-nationale/Incidence-et-mortalite-estimees-par-
classe-d-age-pour-toutes-les-localisations-cancereuses-en-2012/Incidence-estimee-en-2012-par-classe-
d-age-et-par-sexe2#donnees. 29 L’augmentation de la durée de cotisation passe de 37,5 à 40 années à partir de 1993 pour la majorité
des salariés (Réforme Balladur : loi du 22 juillet 1993), à partir de 2004 pour les fonctionnaires (Réforme
Fillon : loi du 21 août 2003) et à partir de 2008 pour les salariés des régimes spéciaux des établissements
publics à caractère industriel et commercial gérant un service public et pour les professions à statut
(Réforme des régimes spéciaux loi en vigueur au 1er juillet 2008). La Réforme Fillon prévoit également
une augmentation de cette durée à partir de 2009 pour atteindre 41 ans en 2012, durée dont l’allongement
est encore prévu de manière progressive, à partir de 2020, au fil des générations jusqu’à atteindre 43 ans
en 2035 (Réforme Woerth : loi du 9 novembre 2010). Pour plus d’information : https://www.vie-
publique.fr/actualite/dossier/retraites-2019/differentes-reformes-retraites-1993-2014.html
37
durée de cotisation mais également de taux d’incapacité permanente, celui-ci devant être d’au
moins 50 %. Ainsi, globalement, la ligne politique est au recul de l’âge de départ à la retraite,
ce qui implique un vieillissement des travailleurs.
La situation d’emploi des séniors est spécifique en France. Elle se caractérise par un
« décrochage particulièrement marqué » du taux d’activité à partir de l’âge de 55 ans (Govillot
et Rey, 2013). Si le taux d’activité des 50-54 ans est supérieur à la moyenne européenne, celui
des 55-59 ans y est similaire (en moyenne de 17 points inférieur à celui des 50-54 ans) tandis
que celui des 60-64 ans est l’un des plus faibles d’Europe30. Néanmoins, les réformes
d’assurance sociale, en termes de retraite notamment, conduisent depuis les années 2000 à une
augmentation progressive du taux d’activité des personnes âgées de plus de 55 ans, plus
importante pour les femmes que pour les hommes. Cette augmentation se traduit à la fois par
une hausse du nombre de personnes dans cette tranche d’âge en emploi, mais aussi du nombre
de chômeurs qui souhaiteraient retravailler. Parmi ces personnes âgées de 55 à 59 ans en non-
emploi qui aspireraient à travailler, les deux tiers sont d’anciens ouvriers ou employés. À
l’inverse, parmi celles de cette tranche d’âge qui sont en emploi, la majorité occupe des
fonctions de cadres, de professions intermédiaires ou des activités indépendantes et est plus
diplômée. La probabilité de retrouver un emploi diminuant avec l’âge, on constate qu’après 60
ans, les personnes transitent plus souvent du chômage vers l’inactivité que vers l’emploi.
Néanmoins, le taux de retour à l’emploi augmente pour les 50-59 ans et certains d’entre eux
retrouvent un emploi, le plus souvent à temps partiel, ce que les auteurs expliquent
principalement par l’offre de travail (« avec l’âge, les personnes recherchent de plus en plus un
emploi à temps partiel », (Govillot et Rey, 2013)) mais également par la demande (les contrats
aidés plus faciles d’accès sont souvent proposés à temps partiel). Pour résumer, « on observe
plutôt une tendance à l’augmentation du sous-emploi avec l’âge » en population française, ce
qui témoigne de la précarisation des travailleurs séniors, plus particulièrement des plus
vulnérables sur le marché du travail, qui doivent travailler plus longtemps et sont plus exposés
à des difficultés pour retrouver un emploi en cas de perte ou de démission.
Se posent alors des questions d’aptitude (ou plutôt d’inaptitude) au travail : par exemple,
les personnes ayant une santé altérée du fait d’une maladie chronique, mais n’étant pas tout à
30 D’après cette étude, en 2011, le taux d’activité des 50-54 ans en France est de 86 % (contre 82 % en
moyenne dans l’UE des 27). Il est de 69 % chez les 55-59 ans (contre 67 % en moyenne dans l’UE des
27) et de 20 % chez les 60-64 ans (contre 33 % en moyenne dans l’UE des 27) (source : Eurostat,
extraction du 31 août 2012)(Govillot et Rey, 2013).
38
fait inaptes, devront continuer de travailler si elles ne veulent pas subir une pénalité sur leur
pension.
La reprise du travail : bien plus qu’un enjeu économique
D’après les enquêtes européennes comportant un volet « valeur du travail », réalisées
entre 1981 et 2008 pour les European Values Surveys (EVS) et entre 1990 et 2015 (du moins
avec la France) pour l’International Social Survey Programme (ISSP), les français
entretiennent une ambiguïté spécifique dans leur rapport au travail (Davoine et Méda, 2009,
2008; Méda, 2017; Méda et Vendramin, 2013). Cette spécificité française se traduit, d’une part,
par un attachement très important au travail, considéré comme une source nécessaire au
développement des capacités et à l’accomplissement personnel. Cette vision serait associée au
système hiérarchique sur lequel repose notre société, fondé sur un principe méritocratique, et
serait renforcée par un contexte d’insécurité professionnelle inhérent à une conjonction de fort
taux de chômage par exemple ; « c’est (…) le fait que le travail soit un véritable statut social
qui pourrait expliquer les investissements dont celui-ci est l’objet » (Davoine et Méda, 2009).
D’autre part, les français sont plus souvent insatisfaits de leur salaire et de leur temps de travail,
se déclarant plus souvent « stressés » voire « épuisés » par le travail et voulant accorder plus de
temps à leur famille. Ils semblent à la recherche d’un juste équilibre, puisque la plupart d’entre
eux déclare néanmoins qu’ils « continueraient à travailler même s’ils n’avaient pas besoin
d’argent ». À travers ces enquêtes, les auteurs mettent en avant la spécificité française au regard
de la valeur travail et montrent que celle-ci est la même pour les femmes que pour les hommes,
malgré des conditions de travail qui se dégradent, et ce, particulièrement pour les femmes.
Au regard de notre sujet de recherche, ce constat pose de nombreuses questions : comment
la maladie chronique transforme-t-elle ce rapport spécifique au travail ? Comment les individus
concilient-ils soins, activité professionnelle et vie familiale ?
39
1.2.3. Politiques publiques mises en place
Promotion de la santé au travail
Depuis la loi n°46-2195 du 11 octobre 194631 relative à l’organisation des services
médicaux du travail, toutes les entreprises32 doivent avoir un service médical du travail assuré
par un médecin du travail dont le rôle, dans un premier temps « exclusivement préventif »,
« consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment
en surveillant les conditions d’hygiène au travail, les risques de contagion et l’état de santé des
travailleurs ». Son décret d’application33 prévoit néanmoins la mise en place de la visite de
reprise après un arrêt de travail pour évaluer l'aptitude du salarié à reprendre son poste et les
éventuels besoins d'adaptation (Fantoni-Quinton, 2016). La Convention n°161 de
l’Organisation Internationale du Travail sur les fonctions des services de médecine au travail,
adoptée en 198534, ajoute au principe de surveillance de la santé des salariés celui de
l’adaptabilité du travail au travailleur. Il ne s’agit alors plus seulement d’identifier la capacité
des personnes en situation de handicap ou d’invalidité à travailler mais également l’adaptation
de l’environnement professionnel à tous les travailleurs pour optimiser leur employabilité. En
2002 (article 193 issu de la Loi n°2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale35), ces
services médicaux du travail sont renommés dans le Code du travail en « services de santé au
travail » (SST) permettant ainsi d’inclure dans un seul service la participation de professionnels
non-médicaux tels que les psychologues, les assistants sociaux, les ergonomes ainsi que des
professionnels plus spécialisés dans le secteur d’activité concerné. Cependant les objectifs visés
par ces services ne sont pas atteints et de nombreux plans ont été mis en place pour endiguer la
désinsertion professionnelle36, et ainsi favoriser le maintien en emploi, des travailleurs ayant
connu une dégradation de leur état de santé (Fantoni-Quinton, 2016). Aussi, l’avancée de la
31 Dans les premiers temps, l’application de cette loi se matérialise par l’exercice de médecins non
spécialistes du travail qui, à temps partiel, interviennent dans les entreprises. La profession
s’institutionnalise dans les années 1970 avec notamment l’obligation en 1979 de détenir un « Certificat
d’Etudes Spéciales » (CES) pour exercer en entreprise et la reconnaissance de cette profession en tant
que « spécialité » en 1982 (Dubernet et al., 2001 ; Buzzi et al., 2006). 32 La loi du 28 juillet 1942 du régime de Vichy avait déjà instauré cette obligation mais seulement pour
les entreprises de plus de 50 salariés. 33 http://www.senat.fr/rap/l10-232/l10-2326.html, consulté le 27/10/2016. 34http://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=NORMLEXPUB:12100:0::NO::P12100_ILO_CODE:C161,
consulté le 27/10/2016. 35https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000408905&categorieLien
=id, consulté le 27/10/2016. 36 http://www.senat.fr/rap/l10-232/l10-2326.html, consulté le 27/10/2016.
40
question de la relation travail-santé, et plus particulièrement du maintien en emploi, sur le plan
juridique, résulte principalement de l’appropriation du sujet par les études en sciences sociales.
Le maintien en emploi d’une personne atteinte de cancer : un objectif des Plans cancer
Première cause de mortalité prématurée avant 65 ans, le cancer est au cœur des enjeux
sanitaires, politiques et sociaux. Il devient une priorité nationale avec la mise en place de trois
plans successifs en France sur les périodes 2003-2007, 2009-2013 et 2014-2019. Dès le premier
Plan, la problématique de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle est intégrée aux
objectifs (cf. Encadré 1.1).
Ajouté aux enjeux épidémiologiques et sociaux développés précédemment, le cancer
constitue également un enjeu économique majeur pour nos sociétés. Sa prise en charge annuelle
représente 10 % des dépenses de l’Assurance maladie (16,1 milliards d’euros, dont 13,5
milliards pour le seul régime général). Ceci inclut d’une part, la prise en charge thérapeutique
en ville et hospitalière (appelée à croître encore du fait du surcoût lié aux nouveaux traitements)
(Pajares y Sanchez et Saout, 2017) et, d’autre part, les indemnités (journalières ou d’invalidité)
versées par l’Assurance maladie pour compenser la perte de revenus consécutive à une
incapacité de travail temporaire ou permanente (Revel, 2015). Ainsi, en plus des coûts liés aux
dépenses publiques élevées en matière de santé qu’il engendre, l’emploi des actifs atteints de
cancer est un enjeu économique important, particulièrement dans un contexte de réforme du
système social par le recul de l’âge de la retraite. Or, pour favoriser l’emploi des travailleurs
malades, la qualité de vie sur le lieu d’activité professionnelle est garante de la préservation de
la santé au travail et ainsi de la pérennité du fonctionnement de notre système social de
redistribution et des réformes mises en place par le gouvernement (sur l’allongement de la durée
de travail avant la retraite notamment). Les autorités l’ont compris, il ne s’agit donc pas
seulement de promouvoir l’emploi des personnes atteintes de cancer mais de favoriser leur
maintien en activité conjointement à leur qualité de vie au travail.
Ainsi, en 2003, par le lancement du premier Plan cancer 2003-2007, le gouvernement
impulse la recherche dans le but de lutter contre l’une des principales causes de mortalité en
France. Dans cette optique, de nombreuses enquêtes sont réalisées, et notamment une première
enquête nationale française menée en 2004 - 2005 sur les conditions de vie des personnes
atteintes d’un cancer, deux ans après le diagnostic (Le Corroller-Soriano et al., 2008).
Professionnellement, une personne sur six déclare une baisse de ses revenus attribuable au
cancer, deux ans après le début de la maladie. Les difficultés pour contracter un crédit sont
41
également soulevées. Ainsi, pour la première fois en France, d’autres facteurs que ceux liés à
la contrainte des traitements ou à la fatigue physique sont identifiés pour étudier la qualité de
vie des personnes atteintes de cancer (Le Corroller-Soriano et al., 2008). Ces résultats
confirment la nécessité de documenter plus amplement les conditions de vie après un diagnostic
de cancer, et la mise en place des deux Plans suivant relance la recherche sur cette thématique
et inscrit la réalisation d’enquêtes supplémentaires comme priorité nationale. C’est dans ce
cadre que seront lancées les enquêtes VICAN2 (INCa, 2014), visant à documenter sur les
conditions de vie deux ans après un diagnostic de cancer, puis VICAN5 (INCa, 2018), comme
prolongement de la précédente, visant à décrire les conditions de vie cinq ans après le
diagnostic.
42
Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle
Plan Cancer 2003-2007 (Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées et
Ministère de la recherche et des nouvelles technologies, 2003), « Mesure 55. Améliorer les
dispositifs de maintien dans l’emploi, de retour à l’emploi, et de prise de congé pour
accompagner un proche. Favoriser l’insertion professionnelle, le maintien dans l’emploi et le
retour à l’emploi pour les patients atteints du cancer ou d’une autre maladie invalidante » :
- « Prolonger, lorsqu’ils existent, les délais d’intégration dans l’emploi (en particulier
l’emploi public), en cas d’arrêt pour longue maladie, à l’image de ce qui existe pour les congés
maternité. »
- « Améliorer et assouplir les conditions d’arrêt-maladie en cas d’affection de longue
durée comme le cancer, en permettant la reconstitution d’un nouveau délai d’indemnisation de
trois ans si pendant les trois précédentes années le patient a travaillé au moins douze mois
continus ou discontinus. »
- « Développer l’information sur les dispositifs de maintien dans l’emploi financés par
l’AGEFIPH pour les patients dont le cancer a provoqué une diminution des capacités
professionnelles. Mettre à disposition des réseaux de soins, des associations de patients, etc…,
un support d’information conçu spécifiquement à cette intention, et qui contiendra en particulier
les coordonnées des points d’information existants sur ces dispositifs de maintien dans
l’emploi. »
Plan Cancer 2009-2013 (INCa et al., 2009), « Mesure 29. Lever les obstacles à la réinsertion
professionnelle des personnes atteintes de cancer » :
- « Action 29.1. Étudier les moyens de lever les obstacles au maintien dans l’emploi ou à
la réinsertion professionnelle des personnes atteintes de cancer et de leurs aidants naturels. »
- « Action 29.2. Délivrer une information spécifique aux malades atteints de cancer sur
les facilités que leur offre la loi pour une insertion ou une réinsertion professionnelle. »
- « Action 29.3. Faire entrer les personnes atteintes de cancer dans la liste des publics
prioritaires pour bénéficier des prochains contrats aidés dans le cadre de l’extension du RSA
(Revenu de solidarité active). »
43
Encadré 1.1. Mesures des Plans Cancer sur la vie professionnelle (suite)
Plan Cancer 2014-2019 (Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées et
Ministère de la recherche et des nouvelles technologies, 2003), « Objectif 9. Diminuer l’impact
du cancer sur la vie personnelle » :
- « Action 9.4. Parfaire l’offre de solutions adaptées à chaque situation personnelle des
personnes atteintes de cancer. »
- « Action 9.5. Responsabiliser l’entreprise dans toutes ses composantes sur l’objectif de
maintien dans l’emploi ou la réinsertion professionnelle. »
- « Action 9.6. Progresser dans la coordination territoriale des différents acteurs qui
interviennent pour le maintien dans l’emploi ou son accès. »
- « Action 9.7. Valoriser le travail réalisé sur le maintien dans l’emploi pour le faire
connaître et le développer. »
En conclusion, le cancer apparaît comme un objet socialement construit, appréhendé au
regard de la temporalité observée et des acteurs qu’il met en relation, ce qui, en plus de
contribuer à l’enrichissement des connaissances sur le sujet, permet d’envisager des actions en
termes de politiques publiques. C’est cette « spécificité culturelle » [Saillant, 1990] de la
pathologie qui génère le regroupement des maladies caractérisées par la prolifération de
tumeurs malignes sous le nom unique de « cancer ». Elle justifie la distinction avec les autres
maladies chroniques et, a fortiori, les autres maladies en général, dans l’étude de ses
conséquences sociales et professionnelles. De plus, cette étude de la vie professionnelle ne peut
s’abstraire du contexte du marché du travail français qui, on l’a vu, a connu de profondes
transformations ces dernières années. Malgré les politiques publiques mises en place pour
favoriser la reprise du travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer, des
difficultés perdurent, et ce, particulièrement pour les personnes initialement les plus vulnérables
sur le marché du travail. Un effet double-peine semble s’illustrer à travers les différentes études
pour ces personnes, premières victimes à la fois des transformations économiques et sociales
du travail et de l’emploi, et de l’impact de la maladie sur leur santé et leur employabilité. La
présente recherche s’inscrit dans la lignée des travaux interrogeant l’effet du cancer sur la
reprise du travail et le maintien en emploi présentés ci-dessus. Le chapitre suivant en précise
les objectifs détaillés.
44
Chapitre 2. Objectifs et hypothèses de la recherche
Le chapitre précédent a permis de situer notre objet de recherche, Le retour au travail et
le maintien en emploi après un diagnostic de cancer, dans le contexte épidémiologique de la
maladie d’une part, et, dans les contextes social et économique dans lesquels il est étudié ici
d’autre part. Ces éléments ont particulièrement orienté cette recherche et constituent le
fondement même des objectifs qu’elle poursuit. C’est pourquoi, à l’aune de ce cadre
conjoncturel, nous présentons dans un premier temps dans ce chapitre les définitions retenues
pour orienter nos travaux et, dans un second temps, les objectifs et les hypothèses que nous
avons formulés afin de répondre aux différentes questions que le premier chapitre a fait
émerger.
2.1. Définitions du sujet
Si la notion de cancer ne présente pas de difficulté majeure quant à sa définition, les
notions de travail, d’emploi et d’activité, au cœur de cette recherche, peuvent être sujettes à
différentes interprétations. C’est pourquoi il semble essentiel de commencer cet exposé de notre
recherche par une présentation claire des définitions retenues pour ces notions.
- Le travail correspond à l’activité professionnelle. Tel qu’il est entendu dans cette
recherche, la notion de travail ne comprend que les activités rémunérées ; en sont
alors exclus le travail domestique et l’activité bénévole.
Le retour au travail (ou la reprise du travail) désigne le fait d’exercer à nouveau une activité
professionnelle, à la suite d’un arrêt-maladie par exemple. À l’inverse, le maintien au travail
(ou le maintien en activité) correspond à une situation continue d’activité professionnelle,
désignant ainsi les personnes n’ayant pas interrompu leur travail, pendant le traitement de la
maladie par exemple.
- L’emploi désigne le statut professionnel d’un actif occupé. Il regroupe les
individus salariés et en activité professionnelle indépendante.
Le maintien en emploi caractérise en ce sens le maintien dans une situation active d’emploi,
quelle que soit l’activité occupée (on peut ainsi s’être maintenu en emploi mais avoir changé
45
de travail). De même, une personne peut s’être maintenue en emploi sans avoir repris le travail
(période d’arrêt-maladie notamment ou situation de « placardisation »).
Le retour en emploi indique la reprise d’une activité professionnelle après une période de non-
emploi (chômage ou inactivité). Cette notion suppose que l’individu ait quitté (ou perdu)
l’emploi qu’il occupait au diagnostic.
Ces notions seront mobilisées tout au long du présent document au regard des définitions
exposées ici.
2.2. Questions de recherche et hypothèses
2.2.1. Questions et objectifs de recherche
Etant donné la conjoncture socioéconomique du marché de l’emploi et du travail décrite
dans le premier chapitre, nous souhaitons interroger ici l’effet de la survenue d’une maladie
chronique telle que le cancer sur la poursuite d’une activité professionnelle. Dans une société
mondialisée, où la concurrence a transformé les systèmes d’activité en exigeant toujours plus
de rendements et donc de performances de la part des travailleurs (salariés et non-salariés),
comment les personnes malades, dont les performances ont pu être altérées durablement,
continuent-elles leurs trajectoires professionnelles ? Quels sont les déterminants d’une
modification de leur trajectoire professionnelle ? Quelle réalité traduit une modification de
trajectoire : faut-il en favoriser la linéarité (c’est-à-dire une trajectoire continue dans l’emploi) ?
La littérature scientifique en France portant sur des données quantitatives fait état d’une
majorité de personnes qui reste dans le même emploi après un diagnostic de cancer quand
beaucoup d’études qualitatives insistent sur la rupture biographique que peut constituer
l’annonce de la maladie, comment expliquer ce constat a priori paradoxal ? La rupture
biographique est-elle nécessairement synonyme de bifurcation, entendue comme modification
nette de la trajectoire professionnelle ? C’est à toutes ces questions que la présente recherche
tentera d’apporter des éléments de réponses.
46
Pour cela, celle-ci poursuit deux objectifs principaux.
Le premier objectif est de mettre en évidence les contrastes socialement marqués de la
réalité des « personnes atteintes d'un cancer » et leurs effets sur le maintien en emploi.
En effet, le sous-emploi des personnes atteintes d’un cancer par rapport à la population générale
et l’effet « double-peine » sur des populations disposant des caractéristiques les moins
favorables sur le marché de l’emploi avant la maladie sont les deux principaux constats des
récentes études françaises sur la poursuite de la vie professionnelle post-diagnostic de cancer
(INCa, 2014; Institut national du cancer, 2012; La Ligue nationale contre le cancer, 2014). C’est
donc dans la lignée de ces travaux que s’inscrit cette recherche qui souhaite ainsi documenter
les freins et les leviers au retour au travail et au maintien en emploi après un diagnostic de
cancer à partir des données nationales les plus récentes sur le sujet. Cet objectif principal se
décline en trois sous-objectifs :
➢ Explorer les trajectoires professionnelles post-diagnostic sur un temps plus long, afin
d’investiguer les différentes formes que prend la vie professionnelle après l’annonce
de la maladie, et ce à distance du diagnostic, pour ainsi permettre une meilleure
compréhension de l’effet du cancer sur la pérennité de l’activité professionnelle.
➢ Mettre en évidence les profils sociodémographiques et cliniques des individus les
plus vulnérables face aux difficultés rencontrées pour le retour au travail et le
maintien en emploi après un diagnostic de cancer, en identifiant par exemple les
déterminants sociodémographiques et médicaux d’une modification de la trajectoire
professionnelle.
➢ Interroger la pertinence de la seule utilisation du taux de retour au travail comme
principal indicateur de dégradation de la situation professionnelle, en montrant
notamment l’intérêt de la mobilisation d’autres indicateurs objectifs tels que les taux
d’emploi à temps de travail réduit, de précarisation financière mais aussi subjectifs
tels que la perception de l’impact de la maladie.
47
Le second objectif principal est de caractériser le processus de reprise ou de maintien du
travail en étudiant ses temporalités, ses acteurs et ses enjeux.
Pour les personnes actives occupées, la question de la poursuite du travail se pose dès
l’annonce de la maladie dans le contexte d’incertitudes décrit dans le premier chapitre.
Lorsqu’ils sont utilisés, les arrêts-maladie par exemple sont temporaires et la date de reprise est
généralement conditionnée aux résultats des examens médicaux de contrôle. Le premier
chapitre a également mis en lumière le travail biographique de reconstruction individuelle que
peut entraîner le diagnostic d’un cancer durant lequel la situation professionnelle est souvent
reconsidérée. Ces dimensions traduisent le caractère processuel de la reprise du travail que ce
second objectif vise à mieux caractériser. Celui-ci se décline en deux sous-objectifs :
➢ Analyser comment les personnes atteintes de cancer abordent la reprise du travail,
les enjeux qu’elles se représentent et les motivations qu’elles formulent.
➢ Etudier la place de la personne malade dans la décision de reprise du travail en regard
aux acteurs évoqués précédemment, et notamment les éventuelles stratégies
développées par l’intéressée pour s’impliquer ou non dans le processus de reprise.
2.2.2. Délimitation du sujet
Après la définition de notre objet de recherche et la présentation de ses objectifs, nous
allons en délimiter le cadre d’analyse. Le premier parti pris est de focaliser cette recherche
exclusivement sur le retour en activité et le maintien en activité ainsi que sur le maintien en
emploi, ce qui, de fait, exclut les personnes qui n’étaient pas en emploi au moment du
diagnostic de la maladie. Du fait de l’âge avancé auquel survient généralement la maladie, la
majorité des personnes en âge d’être actives au moment du diagnostic sont en emploi37, c’est
sur cette majorité que porte notre étude. La problématique d’entrée dans l’emploi (à l’issue
d’une formation par exemple ou d’une période de chômage) n’est pas investiguée dans cette
recherche.
37 D’après l’enquête de l’INCa VICAN2, parmi les personnes âgées de 18 à 57 ans au moment du
diagnostic d’un cancer, 82 % étaient en emploi à cette date (INCa, 2014).
48
De plus, cette recherche se situe dans une approche émique, c’est donc le point de vue
de la personne malade qui sera étudié ; les autres acteurs pouvant influencer la reprise
professionnelle (tels que les collègues de travail, l’employeur, le personnel soignant, les aidants,
l’entourage familial et les acteurs sociaux) ne seront donc considérés qu’à travers le regard des
personnes concernées par la question du retour au travail et du maintien en emploi après un
diagnostic de cancer.
Enfin, pour les raisons évoquées en introduction sur la pertinence de l’analyse de l’objet
« cancer », nous avons fait le choix de ne pas restreindre davantage la population d’étude en
n’incluant par exemple que les personnes atteintes d’une pathologie spécifique. De même,
toutes les catégories professionnelles ont été étudiées, l’objectif étant d’analyser les similitudes
dans les situations vécues par un groupe hétérogène (en termes de localisations tumorales et de
catégories socioprofessionnelles notamment).
2.2.3. Hypothèses de recherche
Au regard des objectifs présentés ci-dessus, une revue de littérature a permis de formuler
les hypothèses de recherche suivantes :
➢ La première hypothèse est qu’à une distance de cinq années du diagnostic, la vie
professionnelle demeure impactée après un cancer.
Cela suppose notamment que la dégradation professionnelle constatée deux ans après le
diagnostic de la maladie témoigne d’une situation durablement impactée : l’observation de la
situation cinq ans après le diagnostic devrait donc montrer un niveau semblable, voire plus
élevé, de vie professionnelle dégradée. Ainsi, nous supposons ici que, cinq ans après un
diagnostic de cancer, les individus ayant vu leur vie professionnelle dégradée deux ans après le
diagnostic, ne retrouvent pas leurs conditions professionnelles relatives à l’emploi occupé
initialement mais qu’à l’inverse, après deux ans, celles-ci se stabilisent. En ce qui concerne les
personnes pour lesquelles aucune dégradation n’a été observée à deux ans, nous supposons
qu’une partie d’entre eux connaisse une dégradation à moyen terme. Cette hypothèse s’appuie
sur l’idée principale suivante : la durée d’un arrêt-maladie indemnisé (pour les salariés ayant
suffisamment cotisés) est de trois ans, aussi il est probable que de nombreuses personnes seront
finalement déclarées inaptes et enregistrées en invalidité à l’issue de ces trois années d’arrêts.
49
De plus, compte tenu de la précarisation des emplois à l’embauche et du fait que les personnes
ayant perdu leur emploi au cours des deux premières années sont les plus vulnérables sur le
plan de la santé et de l’emploi, il est donc probable que ces personnes rencontrent des difficultés
à retrouver une activité au même niveau de qualification et/ou de rémunération qu’avant la
maladie.
➢ La deuxième hypothèse de cette recherche est que les personnes ayant les
caractéristiques individuelles et socioéconomiques les plus défavorables avant le
diagnostic sont plus à risque de voir leur vie professionnelle négativement
impactée à la suite du diagnostic de la maladie.
Celle-ci s’appuie sur les précédents constats selon lesquels les personnes les plus impactées par
une perte d’emploi sont celles ayant les caractéristiques individuelles et socioprofessionnelles
les moins favorables. Cependant, nous souhaitons y ajouter une nuance supplémentaire : étant
donné les différences en termes d’emploi et de travail entre les hommes et les femmes, nous
supposons que ces différences se retrouvent dans le processus de reprise d’une activité
professionnelle et de maintien en emploi. Ainsi formulée, l’hypothèse suggère qu’à l’instar
d’autres indicateurs de vulnérabilité au travail (contrat précaire par exemple), le fait d’être une
femme est un critère supplémentaire d’inégalité face au retour au travail et au maintien en
emploi.
➢ La troisième hypothèse est que le taux de retour au travail ou de maintien en
emploi n’est pas suffisant pour caractériser une dégradation de la vie
professionnelle, la mise en inactivité pouvant par exemple être souhaitée et ainsi
témoigner d’une situation jugée favorable par l’individu.
En effet, les études précédentes montrent qu’une majorité de personnes reste en emploi après
un diagnostic de cancer, mais dans quelles conditions ? L’hypothèse s’appuie sur les travaux
ayant montré une précarité financière des personnes atteintes de cancer et suppose que celle-ci
est également présente chez les personnes qui se maintiennent en emploi. Ainsi, nous supposons
que le taux de maintien en emploi ne préfigure pas nécessairement d’une dégradation de la vie
professionnelle et que l’évolution du temps de travail, du changement d’activité ou de statut
conjointement à l’évolution financière sont des indicateurs complémentaires indispensables à
la compréhension du phénomène.
50
➢ La quatrième hypothèse est que la persistance des difficultés rencontrées en
dépit des dispositifs disponibles pour favoriser le retour au travail témoigne d’un
double effet : une sous-utilisation de ces dispositifs de la part des acteurs
(personnes éligibles mais aussi entreprises par exemple) et une sélection de ces
personnes (auto-sélection ou sélection externe).
On l’a vu dans le premier chapitre, les politiques publiques sur la santé au travail et sur le cancer
ont permis la mise en place de nombreux dispositifs visant à faciliter la reprise du travail.
Pourtant, certaines études françaises ont fait état d’une sous-utilisation de ces outils, qu’en est-
il aujourd’hui ? De plus, cette hypothèse ajoute la nuance suivante : en plus d’une sous-
utilisation, elle présuppose un effet de sélection. En effet, les salariés qui ne font pas de leur
retour au travail une priorité par exemple ou qui ne souhaitent pas rester dans l’entreprise,
pourraient ne formuler aucune demande particulière d’aménagement (auto-sélection). De
même, l’employeur peut être moins prompt à proposer des aménagements aux salariés qu’il ne
souhaite pas conserver, ni à accepter des demandes d’aménagement de salariés dont la
contribution n’est pas jugée essentielle (sélection externe).
➢ La cinquième hypothèse est qu’un individu développe une certaine motivation
face à la reprise du travail (qu’elle soit positive ou négative), déterminante de la
situation professionnelle post-diagnostic.
De nombreux acteurs gravitent autour de la décision de la reprise du travail, tels que le médecin
qui signe les arrêts de travail, le médecin du travail, le médecin conseil, d’autres professionnels
soignants mais aussi des acteurs sociaux ainsi que l’entourage social et familial de la personne
concernée qui constitue une influence, etc. L’hypothèse ainsi formulée présume qu’en dépit de
l’influence de ces différents acteurs, les individus font en sorte de satisfaire à leur
« motivation », c’est-à-dire à leur aspiration.
➢ La sixième hypothèse porte sur le caractère processuel de la reprise du travail
après un diagnostic de cancer, celle-ci s’inscrivant dans une période de temps
parfois longue, nécessitant des adaptations et parfois des allers-retours entre des
périodes de travail et d’arrêt de travail.
Celle-ci découle de l’hypothèse précédente préfigurant différentes temporalités entre la
construction de la motivation à reprendre (ou non) un (son) emploi, les stratégies et éventuelles
51
démarches à mettre en place pour satisfaire celle-ci et enfin, la reprise en elle-même qui pourrait
ne pas être réussie dès la première fois.
A ce stade de la présentation de la recherche, les hypothèses de recherche sont assez larges
car elles regroupent des hypothèses spécifiques à chaque notion particulière étudiée qui seront
détaillées dans les deuxième et troisième parties relativement au point analysé.
Les trois premières hypothèses interrogent les freins rencontrés pour la reprise du travail
et le maintien en emploi et feront en ce sens l’objet de la Partie 2 : le chapitre 4 présentera la
situation professionnelle des personnes atteintes d’un cancer cinq ans après le diagnostic en
regard avec les résultats observés à deux ans et mettra en avant les différences sociales des
trajectoires professionnelles post-diagnostic ; le chapitre 5 montrera que l’analyse de
l’évolution financière est complémentaire à celle du retour en emploi, apportant un éclairage
indispensable à l’analyse de la dégradation de la vie professionnelle ; enfin le dernier chapitre
de cette deuxième partie, le chapitre 6, poursuivra ces analyses en étudiant spécifiquement les
disparités entre les femmes et les hommes introduites précédemment et ce, au regard du concept
de genre, ajoutant ainsi à l’analyse des inégalités sociales. Les quatrième, cinquième et sixième
hypothèses portent davantage sur la démarche personnelle dans le processus de reprise du
travail interrogeant les ressources individuelles et les enjeux de leur mobilisation, elles seront
en ce sens étudiées dans la dernière partie de cette recherche, la Partie 3. Pour celle-ci, le
chapitre 7 présentera les dispositifs exploitables par les individus, leurs effets sur le maintien
en emploi et les aptitudes de ceux-ci à s’en saisir, tandis que le chapitre 8 présentera la
construction d’un modèle synthétique de compréhension du processus de reprise du travail post-
diagnostic de cancer. Enfin, le chapitre 9, dernier de cette partie, appliquera ce modèle au
terrain, en interrogeant les motivations individuelles, les acteurs de la décision et les différents
éléments constitutifs de ce processus.
L’ensemble de cette recherche porte sur l’exploitation de deux enquêtes, l’une
quantitative et l’autre qualitative, qui sont présentées dans un chapitre à part entière, de manière
à éviter toute lourdeur à la lecture du fait de la répétition des supports d’étude. C’est l’objet du
chapitre suivant.
52
Chapitre 3. Présentation des supports méthodologiques
Comme évoqué en introduction, nous avons pris le parti de mobiliser pour cette recherche
une méthode mixte permettant de combiner des données quantitatives et des données
qualitatives dans l’objectif d’utiliser la complémentarité de ces méthodes au service de notre
recherche. Si cette méthode est au cœur de débats dans la sphère scientifique qui rendent
difficile sa publication, son apport heuristique n’est plus à démontrer (Guével et Pommier,
2012). La présente recherche s’inscrit dans le cadre d’un protocole de type compréhensif
puisque l’enquête qualitative a succédé aux enquêtes quantitatives (préexistantes à cette
recherche) avec pour objectif d’utiliser les premiers résultats statistiques pour explorer ensuite
plus finement nos hypothèses (Guével et Pommier, 2012). Ainsi, ce chapitre présente les deux
dispositifs, quantitatif et qualitatif, sur lesquels s’appuiera la totalité des résultats présentés dans
les parties suivantes. Pour chacune de ces enquêtes, seront présentés les objectifs, les
populations étudiées ainsi que les méthodes et logiciels d’analyse mobilisés.
3.1. Etude d’une enquête nationale représentative : le dispositif VICAN
3.1.1. Présentation du dispositif
Une volonté politique
Le dispositif d’enquêtes VICAN se place dans la mise à l’agenda politique de la lutte
contre le cancer et les inégalités sociales qui s’y réfèrent. Acronyme de VIe après le CANcer
(VICAN), l’objectif de ce dispositif est en premier lieu de documenter les conditions de vie des
personnes deux (VICAN2) et cinq ans (VICAN5) après un diagnostic de cancer (Bouhnik et
al., 2015). Pour cela, chacune des deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 a bénéficié d’un
financement de l’INCa attribué dans le cadre d’un contrat de recherche et développement. Dans
un premier temps, le choix d’un recul de deux années par rapport au diagnostic pour l’enquête
VICAN2 permettait de se situer au-delà de la phase aiguë de la maladie et de sa prise en charge
thérapeutique. Les résultats ayant mis en évidence une importante dégradation de la qualité de
vie des personnes atteintes de cancer sur différents aspects du quotidien (état de santé, vie
professionnelle, sexualité, etc.), l’enquête VICAN5 avait pour objectif d’étudier ces mêmes
conditions de vie dans un temps plus éloigné du diagnostic. Le recul de cinq années a été choisi
car il correspond à la période pour laquelle sont estimées les chances de survie en oncologie.
53
En moyenne, les institutions, le personnel médical et, par conséquent, les patients, estiment
qu’une rémission complète est envisageable à une distance de cinq années du diagnostic (INCa
201738). Les deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 ont été réalisées par l’Institut National du
Cancer (INCa) conjointement avec les principaux régimes d’Assurance maladie obligatoires, la
Caisse nationale d’Assurance maladie et la Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole, et
le laboratoire de recherche UMR1252 SESSTIM. L’une des principales forces de ces deux
enquêtes consiste en la diversité des sources des données recueillies : données auto-rapportées
(questionnaires patients), données rapportées (questionnaire médical) et données
administratives (données de l’Assurance maladie, bases SNIIRAM).
Le dispositif VICAN (comprenant VICAN2 et VICAN5) a été approuvé par trois comités
éthiques : le Comité Consultatif sur le Traitement de l’Information en matière de Recherche
dans le domaine de la Santé (CCTIRS) (N°11-143), l’Institut de Santé Publique (ISP) (N°C11-
63) et la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) (N°911290). La
confidentialité des données est ainsi assurée pour l’ensemble des participants.
Différentes sources de données
Deux questionnaires patients ont été réalisés : le premier a été administré en 2012 aux
participants de l’enquête VICAN2 et le second entre 2015 et 2016 aux participants de l’enquête
VICAN5. La passation a été réalisée principalement par téléphone. Une alternative en format
papier envoyée par courrier a néanmoins été proposée aux personnes atteintes d’un cancer du
poumon ou des voies aérodigestives supérieures et ayant de ce fait des difficultés à participer à
un entretien téléphonique. Le questionnaire a abordé plusieurs thématiques relatives aux
conditions de vie après un cancer parmi lesquelles se trouvent l’état de santé, les séquelles, le
suivi médical et social, la qualité de vie physique et mentale, la vie professionnelle, la
parentalité et la sexualité. À ce jour, seul le questionnaire patient de l’enquête VICAN2 est
disponible en accès libre sur le site de l’INCa39. Le questionnaire VICAN5 étant similaire à
celui de VICAN2 (puisqu’il s’agit principalement des mêmes thématiques explorées à un
horizon plus lointain du diagnostic) et étant très long, il n’a pas été inclus dans le corps de ce
38 https://www.e-cancer.fr/Patients-et-proches/Se-faire-soigner/Suivi/Remission, consulté le 28 juin
2019. 39 https://www.e-cancer.fr/Expertises-et-publications/Catalogue-des-publications/Synthese-La-vie-
deux-ans-apres-un-diagnostic-de-cancer-De-l-annonce-a-l-apres-cancer, consulté le 28 juin 2019.
54
document de recherche. Les informations utilisées pour la construction des variables d’intérêt
seront néanmoins présentées au fil des présentations des études.
Le questionnaire médical a été envoyé par voie postale, après autorisation des
participants, au médecin ayant initié l’enregistrement en Affection Longue Durée (ALD) de la
personne interrogée. Ce questionnaire a permis de renseigner l’histologie du cancer (stade
TNM, taille de la tumeur) et la nature des traitements administrés.
Enfin, l’extraction des données administratives des bases SNIIRAM de l’Assurance
maladie a été réalisée pour l’ensemble des personnes éligibles à l’enquête. Celle-ci a permis la
mobilisation de données objectives concernant la consommation de soins réalisés en médecine
de ville ou en établissement (séjours hospitaliers, actes médicaux, prescription et délivrance
médicamenteuse). Ces informations sont disponibles pour la quasi-totalité des personnes
sélectionnées dans la base de sondage (seuls 20 répondants à l’enquête VICAN5 n’ont pas de
données administratives disponibles).
3.1.2. Population cible
Sur le plan médical, les critères d’éligibilité à l’enquête étaient les suivants :
- être bénéficiaire d’un des trois principaux régimes de l’Assurance maladie
suivants : ex-CNAMTS (Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des
Travailleurs Salariés), ex-RSI (Régime Social des Indépendants) et MSA
(Mutuelle Sociale Agricole)40,
- avoir été diagnostiqué entre 2010 et 2011 d’une tumeur cancéreuse parmi les
douze localisations suivantes : sein (pour les femmes uniquement), poumon,
côlon-rectum, prostate (pour les plus de 52 ans uniquement), rein, vessie (pour les
plus de 52 ans uniquement), voies aérodigestives supérieures, thyroïde (pour les
moins de 52 ans uniquement), lymphome malin Non-Hodgkinien, mélanome,
corps de l’utérus (pour les plus de 52 ans uniquement) et col de l’utérus41.
40 Ensemble, ces trois régimes d’Assurance maladie couvraient en 2010 plus de 90 % de la population
française (INCa, 2014). 41 La population cible a été restreinte aux personnes atteintes de cancer parmi les douze localisations
sélectionnées selon leur fréquence, le taux de survie à deux ans associé, la spécificité des groupes d’âge
concernés et l’intérêt scientifique. Les localisations cancéreuses retenues ont été regroupées selon leur
taux de survie estimé (Bouhnik et al., 2015; Mazeau-Woynar et Cerf, 2010) : quatre dites de « bon
55
S’agissant des caractéristiques sociodémographiques et professionnelles, les critères
d’éligibilité à l’enquête étaient les suivants :
- être âgé de 18 à 82 ans au moment du diagnostic de la maladie,
- résider en France métropolitaine au moment du diagnostic depuis au moins deux
ans,
- résider dans un logement à caractère privé,
- et maîtriser suffisamment le français pour répondre aux questions.
L’ensemble des personnes éligibles a été contacté par courrier par les régimes partenaires
de l’Assurance maladie qui les invitaient à retourner le formulaire de consentement au
laboratoire de recherche. Seules les personnes volontaires, ayant explicitement signé le
formulaire et dont les critères d’éligibilité avaient été vérifiés, furent invitées à répondre à
l’enquête.
3.1.3. Constitution des échantillons, taux de réponse et représentativité
VICAN2 et VICAN5 sont deux enquêtes transversales. À ce titre, elles ont mobilisé deux
bases de sondage stratifiées sur l’âge : la première réalisée en 2012 et la seconde en 2015. La
stratification sur l’âge des répondants a permis de surreprésenter les plus jeunes afin que ceux-
ci soient suffisamment nombreux pour faire l’objet d’analyses spécifiques, notamment vis-à-
vis de la situation professionnelle (dans la mesure où les cancers surviennent en moyenne à 64
ans chez les femmes et 67 ans chez les hommes, âges auxquels la problématique de l’emploi
n’est plus d’actualité pour une grande majorité de personnes en France). Chaque base de
sondage a donc été stratifiée selon deux groupes : le groupe des personnes âgées de 18 à 52 ans
au moment de l’attribution de l’Exonération du Ticket Modérateur (ETM) et le groupe des
personnes âgées de 53 à 82 ans. Dans chaque groupe, étaient représentées les localisations de
cancer sélectionnées dans l’étude. Seul le cancer de la thyroïde n’était pas représenté dans le
groupe des personnes âgées de 53 à 82 ans et, à l’inverse, seuls les cancers de la prostate et du
corps de l’utérus n’étaient pas représentés dans le groupe des plus jeunes et ce, pour des raisons
de pertinence vis-à-vis des caractéristiques épidémiologiques de la maladie. La sélection a
pronostic » (sein, prostate, thyroïde, mélanome), sept dites de « pronostic intermédiaire » (côlon-rectum,
VADS, vessie, rein, col de l’utérus, endomètre, LNH) et une dite de « mauvais pronostic » (poumon).
Cumulées, elles représentent 88 % de l'incidence globale des cancers en France (Bouhnik et al., 2015;
INCa, 2014).
56
ensuite été réalisée aléatoirement (par tirage au sort). L’organigramme, disponible en annexe 1,
présente les différentes étapes de la base de sondage jusqu’à la réponse des participants pour
les deux enquêtes. Comme le montre cet organigramme, l’enquête VICAN2 a regroupé 4 347
personnes diagnostiquées d’un cancer en 2010 dont 2 009 personnes ont également participé à
l’enquête VICAN5. Pour cette dernière enquête, 4 174 personnes diagnostiquées entre 2010 et
2011 ont été enquêtées. Les répondants à l’enquête VICAN5 se classent donc selon deux
échantillons : l’échantillon principal, constitué des répondants ayant également participé à
l’enquête VICAN2 (N=2 009) et l’échantillon complémentaire, regroupant les individus
n’ayant pas été interrogés dans le cadre de l’enquête VICAN2 (N=2 165).
Les taux de réponse calculés selon les standards définis par l’American Association for
Public Opinion Research (AAPOR) sont de l’ordre de 33 % pour VICAN2 (33,1 % pour la
strate 1 et 32,2 % pour la strate 2) (INCa, 2014). Ceux de l’enquête VICAN5 sont inférieurs à
cause des faibles taux de réponse de l’échantillon complémentaire (14,7 % pour la strate 1 et
15,2 % pour la strate 2) (INCa, 2018).
La quasi-exhaustivité de la disponibilité des données administratives a permis de définir
un coefficient de pondération attribué à chaque participant permettant d’avoir une population
représentative de la population cible en termes d’âge, de régime d’Assurance maladie et de
localisation de cancer. De plus, un poids de redressement a également été appliqué afin de
prendre en compte les caractéristiques des éligibles non-répondants suivantes : le sexe, l’âge,
le régime d’Assurance maladie, la localisation du cancer, l’indice de désavantage social de la
commune de résidence, l’indicateur d’accessibilité potentielle pour les médecins généralistes,
la catégorie de la commune dans le zonage en aires urbaines, la survenue d’un événement
péjoratif associé à la maladie l’année de l’enquête et la survenue d’un événement péjoratif
associé à la maladie depuis le diagnostic (Bouhnik et al., 2015).
57
3.1.4. Population à l’étude dans cette recherche
L’objet de cette recherche étant d’enrichir les connaissances sur le processus de retour au
travail et sur le maintien en emploi à distance d’un diagnostic de cancer, la totalité des analyses
portant sur l’enquête VICAN5 a été réalisée sur la population en emploi au moment du
diagnostic et pour cela, seules les personnes pour lesquelles les informations sur la vie
professionnelle étaient disponibles ont été considérées, soit 4 099 personnes sur les 4 174
répondants. Parmi elles, un peu plus de la moitié (54,6 %) étaient en emploi au diagnostic de la
maladie tandis que plus d’un tiers (36,5 %) étaient en retraite, ce qui s’explique principalement
par la réalité épidémiologique de la maladie qui concerne principalement les personnes de plus
de 60 ans. De plus, une grande partie des analyses a également été restreinte aux personnes
âgées de 18 à 54 ans (qui représentent moins de 14,6 % des personnes en situation de non-
emploi au diagnostic). Cette limite d’âge a été choisie de manière à contrôler les flux de sortie
de l’emploi associés au processus naturel de départ à la retraite : ainsi, cinq ans après le
diagnostic, la population d’étude reste sous l’âge légal de la retraite en France.
Le tableau des principales caractéristiques sociodémographiques et professionnelles est
mis à disposition en annexe 2 afin de présenter la population VICAN5 à l’étude dans cette
recherche. Cette population est à prédominance féminine (74,1 %). Plus précisément, la
majorité (51,0 %) de notre échantillon d’étude est constituée de femmes atteintes d’un cancer
du sein. Ceci s’explique par la réalité épidémiologique des cancers sélectionnés dans le cadre
de l’enquête : tandis que le cancer ayant la plus forte incidence et les taux de survie les plus
élevés chez les femmes est le cancer du sein qui survient en moyenne à 60 ans (avec environ
20 % des cas diagnostiqués chez des femmes de moins de 50 ans), il s’agit du cancer de la
prostate chez les hommes, diagnostiqué en moyenne à 70 ans (avec environ 5 % des cas
diagnostiqués chez des hommes de moins de 57 ans) (INCa, 2019). Ces différences expliquent
la prédominance de femmes atteintes d’un cancer du sein et la faible représentation d’hommes
atteints d’un cancer de la prostate (1,2 %) parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au moment
du diagnostic. D’autres localisations de cancer sont très faiblement représentées dans notre
sous-population d’étude (âgée de 18 à 54 ans) parce qu’elles concernent principalement des
personnes âgées. C’est le cas notamment du cancer de la vessie (présent ici dans 0,1 % des cas)
et du cancer du corps de l’utérus (0,1 %). Les autres localisations de cancer représentent entre
3,4 % (poumon) et 10,2 % (thyroïde) de notre population d’étude. La faible représentation du
cancer du poumon en dépit de sa forte incidence s’explique principalement par un faible taux
de survie à cinq ans du diagnostic.
58
Enfin, en ce qui concerne les caractéristiques de l’emploi occupé au diagnostic, la
distribution des catégories socioprofessionnelles représentées dans notre échantillon est
similaire à celle observée en population générale, bien qu’une surreprésentation des employés
et une sous-représentation des ouvriers soient à noter. Ces différences s’expliquent
principalement par les différences de distribution des deux populations en termes d’âge (notre
population est plus âgée en moyenne du fait de l’âge avancé auquel survient généralement un
diagnostic de cancer).
3.2. Approche qualitative du sujet : l’enquête CAREMAJOB
3.2.1. Présentation de l’enquête
Objectifs et population d’étude
L’enquête CAREMAJOB (acronyme de CAncer : REtour et MAintien au « JOB » pour
travail) a été mise en place de façon à suivre des individus concernés par la problématique de
la reprise ou du maintien d’une activité professionnelle après un diagnostic de cancer dans leur
processus de reprise du travail (prise de décision, préparation, action) afin d’identifier les
différents acteurs impliqués et les enjeux spécifiques de ce processus. L’objectif est ainsi
d’enrichir les connaissances et de compléter les premiers résultats des enquêtes quantitatives
sur les modalités relatives au processus de maintien ou de retour au travail des personnes ayant
été traitées pour un cancer. Plus précisément, les difficultés rencontrées et les leviers mobilisés
ainsi que les représentations individuelles liées à ce processus ont été investigués dans le cadre
de deux séries d’entretiens réalisées à six mois d’intervalle. Le premier entretien a été réalisé à
la fin du traitement initial de la tumeur (hors traitement au long cours de type hormonothérapie
par exemple). Un deuxième rendez-vous a été fixé six mois après le premier, l’objectif étant
d’explorer le processus individuel du retour au travail et du maintien en emploi. Ceci postule
qu’au cours des six mois suivant la fin du traitement initial de la tumeur, la personne atteinte
ait évolué dans sa situation vis-à-vis de la poursuite de sa vie professionnelle : soit qu’elle ait
entrepris des démarches de reprise, soit qu’elle ait avancé dans sa réflexion etc.
59
Les critères d’inclusion, définis de manière à répondre à l’objectif principal de l’enquête
d’investiguer le processus individuel de reprise du travail après un diagnostic de cancer, sont
les suivants :
- avoir été traité pour un cancer,
- être en période de fin de traitement initial (hors traitement de long cours),
- être âgé entre 18 et 60 ans42,
- être en emploi au moment du diagnostic du cancer,
- et maîtriser suffisamment le français pour participer aux entretiens.
Les personnes recrutées selon ces critères étaient donc enquêtées au sujet de grandes
thématiques, de manière à guider l’entretien tout en permettant le « discours libre » (entretiens
semi-directifs). Ces grandes thématiques avaient pour objectif de suivre le parcours individuel
de l’individu afin de faire ressortir le processus explicatif.
Pour la première série d’entretiens, les grands thèmes étaient les suivants :
- Description de la vie professionnelle avant le diagnostic de la maladie (description
de l’emploi, de l’activité, des conditions de travail, du vécu individuel etc.),
- Description de la maladie (contexte de diagnostic, prise en charge, vécu de la
maladie, gestion avec le planning professionnel),
- Situation professionnelle au moment de l’entretien (description de la situation
professionnelle, du stade de la prise en charge de la maladie, vécu individuel et
anticipation de la situation à venir au cours des prochains mois).
Pour la seconde série d’entretiens, les grandes thématiques étaient :
- Description rétrospective de la situation professionnelle depuis le premier
entretien,
- Présentation des éventuelles démarches entreprises et des éventuels freins
rencontrés,
- Description de la situation professionnelle au moment de l’entretien,
- Retour d’expérience.
42 La limite d’âge a été allongée de trois ans par rapport aux premiers critères proposés sur la plaquette
de présentation disponible en annexe 6.
60
Ancrage méthodologique
Cette recherche s’est inscrite dans une logique compréhensive, inductive et récursive
(Imbert, 2010). Compréhensive d’abord parce qu’elle vise à décrire le processus de la poursuite
professionnelle post-diagnostic de cancer, d’en comprendre le raisonnement et les acteurs
impliqués. Inductive car les questions et les hypothèses de recherche se sont majoritairement
définies au fil des entretiens. Il ne s’agissait pas de vérifier un raisonnement mais d’en
construire un à partir des discours. Enfin, récursive parce qu’elle a nécessité des allers-retours
avec la grille d’entretien et des remises en question permanentes de l’interprétation. Dans cette
logique, l’analyse a été réalisée en simultané de l’étude. Fondée sur la Grounded Theory (Glaser
et Strauss, 1967), la grille d’entretien a été amorcée en amont puis a été enrichie au fur et à
mesure des entretiens afin que chaque nouvelle hypothèse émergente puisse être directement
approfondie dans les entretiens suivants. Pour permettre cette construction progressive des
hypothèses de recherche, les entretiens semi-directifs sont les plus adaptés puisqu’ils permettent
de questionner des points précis tout en laissant une marge importante de liberté à la personne
enquêtée pour évoquer le sujet de la manière dont elle le souhaite. Aucune hypothèse n’a donc
été préétablie, l’exercice exigeant de faire abstraction des théories existantes sur le sujet
investigué afin de ne pas systématiquement illustrer des catégories d’analyses prédéfinies.
Autorisations administratives
L’Inserm a accepté de se porter responsable de la recherche (N°C16-35) et nous a ainsi
accompagné dans nos démarches administratives suivantes : l’enquête a fait l’objet d’une
déclaration normale auprès de la CNIL (N°1957169 v 0) et a obtenu un avis favorable du
Comité d’évaluation éthique de l’Inserm (CEEI) (N°IRB00003888). En accord avec ces
autorisations, un formulaire d’information et de consentement (cf. annexe 7) a été remis à
l’ensemble des participants à l’enquête et une lecture de ce formulaire a été réalisée avec eux
au début de chaque entretien. De plus, un consentement oral a été systématiquement recueilli
au début de l’enregistrement audio de chaque entretien. Ces derniers ont ensuite été anonymisés
en simultané de leur retranscription sur ordinateur, c’est-à-dire que toute information présentant
un risque d’identification n’a pas été retranscrite (noms, prénoms, hôpital, entreprise
employeur, villes de résidence etc.), afin de garantir la confidentialité des données individuelles
recueillies. À l’exception des données possiblement identifiantes, les entretiens ont été
retranscrits de la manière la plus exhaustive possible (mot à mot tels qu’ils ont été prononcés et
61
le langage audible mais non verbal a également été retranscrit dans la mesure du possible, tels
que l’émotion, les hésitations, les répétitions, emphase etc.).
Par ailleurs, cette recherche a bénéficié d’un soutien financier de la part du Cancéropôle
PACA (appel à projet SHS) grâce au soutien de la codirectrice de cette thèse, Anne-Déborah
Bouhnik qui a accepté de porter le projet. Cette allocation a permis de financer des
déplacements (lorsque les entretiens avaient lieu au domicile de l’enquêté) ainsi que le
recrutement d’ingénieurs d’étude pour la retranscription informatique des entretiens.
3.2.2. Présentation du terrain d’enquête
Afin d’assurer la confidentialité totale des personnes éligibles, des partenariats ont été
instaurés avec des acteurs travaillant directement avec la population cible. Le recrutement des
participants a ainsi été rendu possible grâce à la participation active des associations suivantes :
La Ligue contre le cancer, Centre ressources et CAIRE13. Ainsi que celle de différents agents
hospitaliers publics tels que le service d’oncologie générale de l’Assistance Public Hôpitaux de
Marseille (AP-HM), et privés tels que les services d’assistance sociale et de radiothérapie à
l’Institut Paoli-Calmettes (IPC), et le service de psycho-oncologie à l’hôpital Beauregard.
Toutes ces institutions sont présentes sur la région Sud.
Collaboration avec des professionnels de santé
Impliquant le recueil en amont de données de santé (seules les personnes atteintes d’un
cancer pour lequel elles ont reçu un traitement étant éligibles), le recrutement des participants
aux entretiens a nécessité la mise en place de partenariats avec des acteurs travaillant
directement avec la population ciblée. La rencontre avec le Pr Lionel Dany, psychosociologue
(AMU), a été déterminante sur ce point. Exerçant pour une partie de son activité dans un service
d’oncologie générale de l’AP-HM, il a permis la collaboration avec ce service dirigé par la
Pr Florence Duffaud. Ce service hospitalier traite des pathologies afférentes à tout type de
cancer survenant chez les adultes. De nombreuses recherches cliniques étant réalisées au sein
de ce service, les membres de l’équipe sont habitués au principe de recrutement de patients pour
la recherche. Après une présentation de ce projet d’enquête lors de leur réunion d’équipe du 2
février 2017, les personnes présentes se sont montrées intéressées et ont par la suite activement
participé au recrutement des patients qu’ils ont vus en consultation de fin de traitement. Leur
rôle consistait à identifier en fonction des consultations de fin de traitement programmées dans
62
la semaine les patients éligibles à l’enquête (dans la tranche d’âge correspondante et en état
physique de reprendre une activité professionnelle) afin de leur faire part du projet d’enquête
(support de présentation à l’appui, disponible en annexe 6). Ensuite, seules les personnes
intéressées étaient invitées à nous contacter directement pour avoir plus d’information et/ou
participer à l’étude. Ce filtrage par les professionnels a permis de conserver l’anonymat total
des personnes qui ne souhaitaient pas participer (seules les personnes ayant volontairement pris
contact ont été rencontrées). Afin de limiter les biais de sélection pouvant être engendrés par le
filtrage des professionnels, l’intérêt d’interroger des personnes quelles que soient leur origine
sociale, leur activité professionnelle et surtout leurs motivations vis-à-vis du travail leur a
explicitement été présenté43. En parallèle, d’autres professionnels de santé spécialistes ont été
contactés (médecins généralistes, oncologues, radiothérapeutes et psycho-oncologues
notamment) parmi lesquels Dr Agnès Tallet, radiothérapeute à l’IPC, Dr Hélène Carrier,
médecin généraliste et Dr Carole Cumbo-Cocheme, psycho-oncologue à l’hôpital privé
Beauregard ont participé activement au recrutement.
Collaboration avec des services sociaux
Nous avons également contacté de nombreux services sociaux au sein de différents
centres hospitaliers (à Marseille : IPC, Hôpital Saint Joseph, Services ERI et services sociaux
de l’AP-HM, Clinique Bonneveine ; à Aubagne : clinique privée La Casamance). Le service
social du centre de lutte contre le cancer, l’IPC, a été particulièrement actif en la personne de
Liliane Dokoui, responsable du dispositif d’aide à la réinsertion professionnelle. Celle-ci a listé
puis a contacté l’ensemble des personnes qu’elle avait rencontrées dans le cadre de son activité
et qui, selon elle étaient éligibles à l’enquête. À nouveau, le filtrage nécessaire au respect des
conditions de confidentialité des non-répondants a été contrôlé par de nombreuses discussions
avec l’assistante sociale sur les objectifs de l’enquête et les besoins de ne pas sélectionner les
patients en fonction de critères différents de ceux relatifs aux besoins de l’enquête. Liliane
Dokoui a été d’une grande aide dans cette entreprise puisque six des vingt-et-un participants
nous ont contactés par son intermédiaire. Si l’intérêt spécifique de Madame Dokoui pouvait
être lié à la spécialité de sa fonction, les participants qu’elle nous adressa n’étaient pas
systématiquement venus la consulter pour des raisons en lien avec leur activité professionnelle.
43 Par exemple un médecin ayant évoqué le cas de l’un de ses patients qui répondaient à tous les critères
d’éligibilité mais qui ne se posait pas du tout la question du travail, a été encouragé à lui faire part de
l’enquête.
63
Il s’agissait le plus souvent de personnes en demande d’aide pour la constitution de leur dossier
pour la Maison Départementale des Personnes Handicapée (MDPH) leur permettant d’accéder
à des dispositifs tels que des déductions d’impôts.
Collaboration avec des associations
Enfin, nous avons augmenté nos chances de recrutement en faisant appel à de nombreuses
associations spécialisées dans l’accompagnement de personnes atteintes de cancer, parmi
lesquelles nous avons finalement collaboré avec CAIRE13 basée à Marseille et représentée à
cette occasion par Christine Patoux-Gavaudan, le Centre Ressources basé à Aix-en-Provence
et représenté pour ce projet par Laetitia Dewolf et Soline Verrieres, et le comité départemental
des Bouches-du-Rhône de la Ligue contre le cancer représenté par Biliana Damjanovic qui a
organisé la collaboration avec deux antennes : celle d’Arles et celle de Salon-de-Provence.
Avec ces associations, nous avons fonctionné comme avec les professionnels de santé et les
services sociaux : celles-ci étaient chargées d’identifier les personnes éligibles à l’enquête et de
leur transmettre les informations nécessaires sur l’enquête.
Chaque association a une activité particulière. CAIRE13 par exemple propose un
accompagnement gratuit, spécifiquement et exclusivement adapté aux travailleurs indépendants
pour leurs démarches administratives et leurs difficultés professionnelles. Les personnes
rencontrées par cet intermédiaire étaient donc nécessairement des travailleurs indépendants. Le
Centre Ressources est avant tout un centre de bien être, il propose à ses adhérents des ateliers
sur différents aspects de leur bien-être physique et psychologique et, depuis 2015, un
programme intitulé « D’part » qui consiste en un atelier collectif accompagnant des personnes
malades et/ou des aidants sur la thématique de la reprise du travail. Cet accompagnement
consiste en plusieurs séances lors desquelles ont lieu des moments de parole (initiation aux
techniques de communication non-violente, groupe de parole etc.) et où interviennent des
professionnels bénévoles ayant une expertise sur la question (représentants des systèmes
d’Assurance maladie, chefs d’entreprise, représentants de ressources humaines, anciens
adhérents, médecins du travail, médecins conseil etc.). Les personnes interrogées dans le cadre
de l’enquête qui ont été recrutées par ce centre n’ont pas toutes participé à ce programme mais
étaient toutes adhérentes à l’association. Enfin, la Ligue contre le cancer est une association
nationalement connue dans ce domaine. Si certains comités ont mis en place des programmes
d’action cancer toutes entreprises (PACTE), ce n’était pas le cas des antennes rencontrées.
Celles-ci ne disposaient d’aucun accompagnement spécifique à la question de la vie
64
professionnelle mais des séances avec des psychologues étaient proposées lors desquelles la
question de la poursuite de la vie professionnelle pouvait être abordée, de même que dans les
groupes de parole collectif.
Ainsi, par sa construction le terrain d’étude a regroupé des profils hétérogènes incluant
des personnes susceptibles d’être actives dans leur reconstruction personnelle à la suite d’un
diagnostic de cancer (comme c’est souvent le cas des personnes ayant un contact régulier avec
des associations telles que le Centre Ressources). De même, si toutes les personnes étaient a
priori en capacité physique de reprendre une activité44, les motivations au regard de la poursuite
professionnelle étaient très diverses. Certaines personnes nous ont par exemple contacté en
précisant qu’elles n’étaient pas sûres d’être « bien placées » pour répondre à l’enquête parce
qu’elles ne rencontraient (ou n’allaient rencontrer) aucune difficulté au travail liée à la maladie,
ou encore parce que reprendre le travail leur semblait pour l’heure impossible. Cependant,
l’intérêt de cette enquête n’était pas de documenter les étapes à suivre pour la reprise du travail
mais plutôt d’interroger le processus décisionnel opéré par l’individu concerné afin d’en
comprendre les rouages. Il était donc particulièrement intéressant de pouvoir interroger des
personnes ayant une manière différente d’anticiper la poursuite de leur vie professionnelle.
3.2.3. Conduite de l’enquête
Difficultés rencontrées
La phase de recrutement a été plus longue qu’initialement prévue et n’a pas entièrement
respecté les objectifs fixés a priori. En effet, alors que nous souhaitions respecter la parité afin
de donner autant la parole aux femmes qu’aux hommes et d’éventuellement en dégager
certaines tendances, seuls 6 participants sur 21 étaient des hommes. Si la forte incidence du
cancer du sein chez les femmes de moins de 60 ans peut en partie expliquer ce résultat cela ne
suffit pas. Liliane Dokoui, assistante sociale à l’IPC, nous a fait part de son sentiment : d’après
son expérience, depuis les différents contacts qu’elle a pris pour cette enquête, les hommes
seraient moins enclins à participer, justifiant leur refus par le fait de n’avoir rien à dire ou de ne
pas vouloir en parler.
44 Il ne s’agit pas ici de rendre compte d’une mesure de la capacité physique. Cela signifie simplement
qu’aucune inaptitude totale n’a été déclarée pour ces personnes, bien que certaines aient fait l’objet
d’inaptitude au poste occupé au moment du diagnostic. Il s’agit d’une appréciation subjective, les
médecins ont pu appliquer un filtre mais cela n’avait pas d’importance spécifique pour cette étude.
65
Les entretiens réalisés
Le nombre d‘entretiens à réaliser n’avait pas été précisément fixé à l’avance, l’objectif
étant de tester chaque hypothèse émergente dans de nouveaux entretiens. Chacun des
participants ayant fait l’objet d’un entretien approfondi, la survenue de nouvelles hypothèses
s’est rapidement essoufflée et nous avons finalement décidé d’arrêter le recrutement au terme
du vingtième entretien (un vingt-unième a tout de même été réalisé car cette personne nous a
contacté au moment de la relecture de l’entretien précédent). La saturation des données a été
considérée atteinte lorsque toutes les hypothèses soulevées avaient été réinterrogées.
Les entretiens ont finalement été réalisés en face-à-face45 entre mars 2017 et février 2018
auprès de 21 participants résidant en région PACA, en emploi au moment du diagnostic de
cancer et étant, au moment du premier entretien, en fin de traitement. Les personnes ont été
rencontrées à deux reprises pour des entretiens semi-directifs réalisés à six mois d’intervalle de
manière à appréhender le caractère processuel du retour au travail et du maintien en emploi
après un diagnostic de cancer. Les entretiens se sont déroulés, selon la convenance des
participants, à leur domicile ou dans une salle de réunion située dans les locaux du SESSTIM
(au choix sur le site de la Timone, ou de l’IPC). Ils ont duré en moyenne 85 minutes pour la
première série (avec un intervalle de 15 à 166 minutes) et 65 minutes pour la seconde (avec un
intervalle de 26 à 131 minutes).
Chaque entretien a débuté avec une présentation de la recherche et la remise d’une lettre
de présentation relue avec la personne enquêtée. Ses droits en termes de consentement de
participation à la recherche ont été clairement explicités et toutes les informations nécessaires
(accord CNIL, avis comité éthique et mes coordonnées) lui ont été remises afin d’assurer une
liberté totale de retrait de l’étude. Enfin, un consentement oral a été demandé au début de chaque
enregistrement.
Les entretiens se sont ensuite déroulés en commençant systématiquement par la question
suivante : « Pour commencer, pourriez-vous me parler du travail que vous exerciez avant
l’annonce de la maladie ? ». Ils se sont poursuivis au fil de la grille d’entretien déroulée en
fonction du discours de la personne enquêtée. La majorité des matériaux recueillis se rapproche
45 A l’exception d’un entretien : le second réalisé avec Sandrine a été fait par téléphone. Cela lui a été
proposé afin d’assurer la conduite de l’entretien car ayant repris le travail, il lui était difficile de
consacrer un moment en présentiel.
66
davantage des récits biographiques que des résultats d’enquête car l’objectif était de laisser la
personne « se raconter », parler de son expérience du travail d’une part, de la maladie d’autre
part et la laisser faire éventuellement le lien tel qu’elle se le représentait.
Personnes enquêtées
Finalement, 21 personnes, soit 15 femmes et 6 hommes, ont participé à au moins un
entretien dont 18 ont participé aux deux séries, soit 14 femmes et 4 hommes (3 personnes n’ont
pas participé à la seconde série d’entretiens pour différentes raisons : décès, contact perdu et
indisponibilité). Les principales caractéristiques des participants sont présentées dans le
tableau, disponible en annexe 3. Ils étaient âgés de 25 à 59 ans au moment de l’enquête et ont
tous eu un diagnostic de cancer : douze femmes ont eu un cancer du sein, deux femmes ont eu
un cancer de l’ovaire, une femme et un homme ont eu un lymphome malin non-Hodgkinien, un
homme a eu une tumeur cérébrale, un homme a eu un cancer des sinus, un homme a eu un
cancer du testicule, un homme a eu un cancer de l’estomac et un homme a eu un cancer osseux.
Restitution
A l’issue de l’enquête qualitative CAREMAJOB, deux journées de restitution des
principaux résultats ont été réalisées auprès de membres de l’une des associations ayant
collaboré pour le recrutement des personnes volontaires pour participer à l’enquête, et plus
précisément auprès de membres ayant fait partie d’un groupe spécifiquement consacré au sein
de l’association à l’accompagnement des personnes atteintes de cancer sur la thématique de la
vie professionnelle. Nouvellement inscrits, aucun de ces membres n’avait préalablement
participé à l’enquête. L’objectif de ces journées était d’inclure les personnes concernées par le
sujet d’étude dans l’analyse des discours recueillis de manière à confronter notre analyse à leur
vécu, et à éviter au maximum la surinterprétation et les contre-sens.
67
3.3. Méthode d’analyses des données
3.3.1. Principales analyses statistiques
Indicateurs transversaux à la recherche
L’enquête VICAN5 est très riche pour décrire la situation des personnes enquêtées
disposant à la fois de variables sociodémographiques, socioéconomiques et des variables de
santé subjectives (données auto-rapportées) et objectives (données administratives). À partir
des informations recueillies, plusieurs indicateurs ont été utilisés afin de contrôler les analyses
sur des variables individuelles, sociales et médicales. Pour ces derniers, les codes extraits des
bases SNIIRAM sont mis à disposition en annexe 4.
Comme discuté dans le premier chapitre de cette première partie, la maladie « cancer »
recouvre des réalités très différentes selon la tumeur (son type et son stade au moment de son
diagnostic) ainsi que selon des caractéristiques individuelles (âge au diagnostic et état de santé
initial notamment). Aussi, l’ensemble des analyses statistiques conduites à partir des données
de l’enquête VICAN5 devra nécessairement prendre en compte le maximum de ces
caractéristiques. L’âge inscrit dans le fichier d’Assurance maladie sera systématiquement
intégré aux analyses et l’état de santé initial des individus sera approximé à partir d’un score de
comorbidités calculé à partir des données objectives de consommations de soins (SNIIRAM).
Pour ajuster nos analyses sur la sévérité de la maladie, différents indicateurs ont pu être pris en
compte : la localisation initiale de la tumeur (parfois classifiée selon trois catégories : « bons
pronostics », « pronostics intermédiaires » ou « mauvais pronostics » définies à partir des taux
de survie moyens associés46), la présence ou non de métastases au diagnostic tel que cela est
codé dans le SNIIRAM, le type de traitement initial reçu (chirurgie, chimiothérapie,
radiothérapie, thérapies ciblées) ainsi que l’évolution péjorative de la maladie au cours des
années suivant son diagnostic. Ce dernier indicateur a également été construit pour les analyses
à partir des données du SNIIRAM tel que présenté ci-après.
46 D’après cette classification réalisée par l’INCa, les cancers de « bons pronostics » comprennent : les
cancers du sein, de la thyroïde, de la prostate, du testicule, la maladie de Hodgkin et le mélanome. Les
cancers de « pronostics intermédiaires » sont : ceux du corps et du col de l’utérus, du rein, de la vessie,
du côlon-rectum, des ovaires, de l’estomac, du larynx, de la bouche et du pharynx ainsi que le myélome.
Enfin, les cancers du poumon, de l’œsophage, du foie ou encore du pancréas sont considérés de
« mauvais pronostics » (INCa, 2010). Dans l’enquête VICAN5, les cancers des voies aérodigestives
supérieures ont été inclus en une localisation et sont considérés comme des cancers de « pronostics
intermédiaires ».
68
Le score individuel de comorbidités est un indicateur de l’état de santé de l’individu
estimé à partir des données du SNIIRAM, et, plus précisément, des consommations
médicamenteuses témoignant d’une atteinte d’une maladie chronique en plus du cancer (telle
que le diabète par exemple) (Cortaredona et al., 2017). Ce score est disponible pour l’année du
diagnostic du cancer ainsi que pour l’année de l’enquête.
L’évolution péjorative de la maladie est un indicateur de gravité du cancer mesuré par
la survenue d’au moins un épisode péjoratif identifié à partir des données longitudinales du
SNIIRAM. Plus précisément, les personnes ayant été admises dans une unité de soins palliatifs
ou ayant eu un traitement anticancéreux (chimiothérapie, radiothérapie ou thérapie ciblée) à
distance du traitement initial (au minimum 24 mois après le diagnostic) ont été considérées
comme ayant eu au moins un épisode d’évolution péjorative de la maladie (INCa, 2018).
De plus, d’autres indicateurs ont été mobilisés de manière transversale aux études
s’inscrivant dans cette recherche afin de prendre systématiquement en compte à la fois des
caractéristiques individuelles (telles que le statut matrimonial) et des caractéristiques sociales
(telles que l’indice de désavantage social) pouvant influer sur les éventuelles difficultés
rencontrées pour la reprise du travail ou le maintien en emploi. Ces indicateurs ont été construits
de la manière suivante :
La situation matrimoniale renvoie dans cette recherche à un indicateur individuel
renseignant sur la situation conjugale et familiale de la personne enquêtée. Il ne correspond pas
nécessairement à une situation légale mais tend à décrire la réalité conjugale.
La catégorie socioprofessionnelle (PCS) est un indicateur correspondant à la
nomenclature des professions et des catégories socioprofessionnelles créé par l’Insee et souvent
utilisé en économie du travail pour décrire à la fois l’activité occupée, la qualification, le statut
professionnel et la position hiérarchique (PCS-2003, Insee47).
Le statut de travailleur indépendant a été identifié à partir des données déclaratives.
Exploitants agricoles, artisans, commerçants ou encore professionnels libéraux, ces travailleurs
regroupent des catégories socioprofessionnelles particulièrement hétérogènes pouvant exercer
seuls, avec des associés et/ou avec des salariés sous leur responsabilité. Cependant, l’intérêt de
47https://www.insee.fr/fr/metadonnees/pcs2003/categorieSocioprofessionnelleAgregee/1?champReche
rche=true
69
regrouper ces catégories réside en l’opposition avec les travailleurs salariés qui disposent d’un
système de protection sociale (et notamment d’un régime d’assurance maladie) différent. Ont
ainsi été considérés dans cette étude tous les individus se déclarant « travailleurs indépendants »
ou « chef d’entreprise » afin de pallier les incertitudes sur l’identification du statut par les
régimes d’Assurance maladie obligatoires ; certains pouvant par exemple cumuler une activité
salariée et une autre non-salariée et ainsi être enregistré à la Caisse Nationale des Travailleurs
Salariés (ex-CNAMTS) (exemples du médecin libéral qui travaille également à l’hôpital ou de
l’universitaire développant une activité de conseil).
Le revenu disponible par ménage est un indicateur sur le niveau de ressources des
ménages. Obtenu à partir des déclarations individuelles (questionnaire patient), il comprend
tous les revenus perçus par les membres du ménage : les revenus d’activité48, de propriété et de
prestations sociales. Tel qu’il est entendu dans cette recherche, il doit être distingué de la
définition utilisée par la comptabilité nationale qui y soustrait les cotisations sociales et les
impôts (Insee Définitions, 2018).
Le revenu par unité de consommation (RUC) est un indicateur individuel de mesure
de la situation économique de l’enquêté. Il est calculé à partir de la totalité des revenus
disponibles (ici revenus déclarés) du ménage, divisée par le nombre d’unités de consommation
(UC) du ménage, permettant d’établir le revenu disponible par individus au sein du ménage, en
tenant compte de la composition de celui-ci. Le nombre d’UC est calculé à partir de l’échelle
de l’OCDE par sommation des différents individus du ménage avec un poids différent selon
l’âge : 1 pour le premier adulte du ménage (ici la personne interrogée), 0,5 pour les autres
personnes de 14 ans et plus et 0,3 pour les enfants de moins de 14 ans.
L’indice de désavantage social (IDS) simplifié est un indicateur renseignant sur le degré
de précarité de la zone de résidence. Il tient compte de cinq variables du recensement de la
population réalisé par l’Insee : le revenu fiscal médian, la part des résidences principales en
location, le taux de chômage, la part de personnes de plus de 15 ans sans diplôme et enfin la
part de familles monoparentales. Cet indicateur, disponible pour l’ensemble des personnes de
l’échantillon de l’enquête VICAN, permet d’ajuster les analyses sur le contexte social de la
48 Le terme « salaire » sera également utilisé, par extension, pour faire référence aux revenus d’activités
des salariés et des indépendants.
70
zone de résidence et de comparer des territoires très différents. Plus le score est élevé, plus le
territoire est considéré comme socialement défavorisé (INCa, 2018).
Analyses statistiques
La population d’étude de cette recherche étant un sous-groupe de la population enquêtée
dans l’enquête VICAN5, la variable de pondération telle qu’elle a été présentée précédemment,
a été standardisée sur la population à l’étude dans cette recherche, soit les 18-54 ans ayant
renseigné leur situation professionnelle occupée au diagnostic et cinq ans après. Plus
précisément la formule utilisée est la suivante :
𝑃′ = 𝑃 × (𝑁
𝑁′)
avec P’ = Poids standardisé, P = Poids initial, N = Taille de la population source, N’ = Taille
de la population du sous-groupe après pondération (INCa, 2014).
L’ensemble des analyses descriptives a fait l’objet d’analyses univariées et bivariées
mobilisant des tests statistiques visant à évaluer la significativité de la comparaison observée.
Deux tests ont principalement été utilisés en fonction de la nature des données comparées : le
test du Khi-Deux pour comparer des proportions et le test de Student pour comparer des
moyennes. Ceux-ci postulent l’hypothèse H0 suivante : les variables comparées suivent une
même loi de probabilité. Si la distance entre les données observées et celles attendues est
supérieure à la distance « seuil » alors on conclut que cette différence n’est pas aléatoire et on
rejette l’hypothèse H0. Le seuil de significativité pour lequel on rejette H0 est systématiquement
précisé dans les tableaux (ou graphiques) correspondants, néanmoins de manière générale, à
l’instar de la plupart des études réalisées en santé publique, le seuil de significativité retenu
pour un rejet de H0 correspond à un risque d’erreur de première espèce de 5 %, c’est-à-dire qu’il
y a un risque de 5 % que H0 ait été rejetée à tort.
Pour décrire les données longitudinales, une série d’analyses avec la méthode
d’estimation non paramétrique de Kaplan Meier a été réalisée. Celle-ci donne une lecture
graphique d’ensemble de la probabilité instantanée de connaître un événement spécifique. Il
calcule ainsi le rapport entre le nombre d’individus qui accèdent à l’événement et ceux qui sont
toujours en attente à l’instant t. Cela signifie que pour chaque date t, on retire dans le calcul de
probabilité d’accéder à l’événement, les individus y ayant accédé. Il permet également de
réaliser des comparaisons par le test du Log Rank associé, qui teste la significativité de l’écart
71
entre deux courbes de survie en comparant les probabilités de sortie des deux populations
observées à chaque instant t. Il pose l’hypothèse H0 suivante : le cumul des écarts entre les
courbes mesurés à chaque événement est inférieur ou égal à l’écart attendu du fait du hasard.
L’hypothèse H0 est rejetée dès lors que l’écart total mesuré est supérieur à l’écart « seuil ».
En ce qui concerne les analyses multivariées, les plus mobilisées sont les modèles de
régressions linéaires lorsque la variable dépendante est quantitative (comme le salaire par
exemple, cf. chapitre 5), de régressions logistiques binomiales lorsque la variable à expliquer
est catégorielle avec deux modalités (telle que le fait d’être sorti de l’emploi ou non à l’instant
t, cf. chapitre 4) et de régressions logistiques multinomiales lorsque la variable à expliquer est
catégorielle avec plus de deux modalités (comme par exemple la situation professionnelle à
l’enquête : en emploi à temps plein, en emploi à temps partiel ou pas en emploi, cf. chapitre 4).
Pour les modèles de régression logistiques, le plus souvent, nous avons préféré présenter les
effets marginaux afin de permettre une meilleure lecture des résultats. L’effet marginal pour la
variable explicative xi correspond aux variations individuelles spécifiquement liées à l’effet de
la variable xi sur la variable dépendante y, toutes les autres caractéristiques explicatives étant
figées (Afsa, 2016).
Pour toutes les analyses multivariées, les variables explicatives intégrées dans les modèles
sont celles pour lesquelles une relation significative au seuil de 20 % avait été observée avec la
variable d’intérêt en analyses bivariées. En complément, lorsque cela nous a semblé pertinent,
certaines variables de contrôle ont également été « forcées » dans les modèles (incluses même
si aucune relation n’avait été observée en analyses bivariée).
Enfin, pour faciliter la lecture des résultats présentés sous forme de tableaux ou de
graphiques, la population d’étude et une note de lecture ont systématiquement été précisés.
L’effectif est donné par la lettre « N ». L’utilisation du groupe « Np » correspond aux effectifs
pondérés.
72
3.3.2. Principales analyses qualitatives
L’analyse des entretiens a été réalisée par la même personne qui les a conduits. La
méthode d’analyse choisie pour cette recherche est celle de l’analyse de contenu,
particulièrement répandue en sciences humaines et sociales lorsque l’objectif est, comme ici,
de rendre compte et de comprendre des opinions, et de questionner les représentations
individuelles et les mécanismes d’influence afférents à un objet d’étude (Bardin, 2007; Robert
et Bouillaguet, 1997). Pour cela, les entretiens recueillis ont tous été intégralement retranscrits
sur ordinateur le plus fidèlement possible, sous forme de verbatim intégrant la totalité du
discours, mot à mot, ainsi que les silences prolongés (Poland, 1995). Une première relecture
réalisée simultanément avec une écoute du fichier audio et les notes prises durant l’entretien a
permis d’ajouter aux écrits tous les éléments relevant de la communication non verbale. Cette
première relecture a également permis la vérification de l’anonymat des discours. Les corpus
ont ensuite fait l’objet d’une analyse thématique en continue (Paillé et Mucchielli, 2012) de
manière à identifier les différentes idées évoquées, leurs récurrences et de les catégoriser.
L’analyse a donc consisté en deux grandes phases : une analyse verticale des entretiens
et une analyse horizontale (ou transversale). Pour aider à la compréhension du discours,
l’analyse verticale de chaque entretien a systématiquement débuté par une écoute des
enregistrements simultanée à la lecture des retranscriptions. Cette première étape s’est
accompagnée d’une prise de notes des principaux thèmes relevés dans chaque entretien. À cette
étape, les thèmes relevés sont très proches du discours des personnes, de manière à limiter
l’interprétation (par exemple le vocabulaire utilisé est emprunté au discours). Ensuite, une
seconde étape a consisté en une lecture plus approfondie du document retranscrit et, au fil de la
lecture, les différents thèmes relevés précédemment furent regroupés en catégories. L’analyse
horizontale a quant à elle principalement donné lieu à une comparaison des différents thèmes
et catégories identifiés. Des allers-retours au corpus ont été nécessaires afin de valider les
possibilités de catégorisations de thèmes provenant de différents entretiens, en assurant leur
cohérence thématique. La grille d’analyse a ainsi été enrichie au fil des lectures des entretiens.
Pour faciliter l’analyse des entretiens, chaque participant s’est vu attribué un prénom fictif
associé à l’enregistrement.
73
De plus, avant la conduite de la seconde série d’entretiens, un résumé des trajectoires
professionnelles de l’individu et de son interprétation donnée dans le premier entretien a été
schématisé afin d’assurer la compréhension du processus. Ainsi, les éventuelles
incompréhensions, incohérences ou manques ont pu être investigués dans le second entretien.
À l’issue de cette seconde série, chacun des entretiens a été analysé selon les deux phases
exposées précédemment. Enfin, pour chaque personne enquêtée, les deux entretiens ont été
minutieusement comparés au regard des thématiques abordées, des éventuels changements de
discours (manières d’évoquer une même thématique, évolution des représentations etc.) et des
allers-retours avec les propos précédemment tenus ont pu être réalisés afin de comprendre le
processus d’évolution de la personne.
Enfin, c’est seulement à l’issue de ces quatre phases d’analyse (verticale puis horizontale
pour chaque série d’entretiens) que les thèmes obtenus ont été conceptualisés grâce notamment
à une mise en regard avec la littérature existante.
Pour faciliter la lecture et la compréhension de nos analyses, celles-ci seront illustrées par
des extraits d’entretiens, lorsque cela nous semblera pertinent. Le symbole [E] permettra
d’identifier les verbatims de l’enquêtrice, il sera pour cela intégré au dialogue et placé au début
de la phrase concernée. Le choix du format en italique pour certaines locutions a pour objectif
de représenter visuellement les termes accentués oralement par les enquêtés.
3.3.3. Logiciels
Pour l’exploitation statistique des enquêtes quantitatives VICAN2 et VICAN5, deux
logiciels de traitement de données ont été utilisés : SAS version 9.4 (SAS Institute, Cary, North
Carolina, USA) et Stata version 12 (Stata Corp., College Station, Texas, USA). En ce qui
concerne l’analyse des données qualitatives, eu égard à l’ampleur du corpus (les 39 documents
informatiques retranscrits représentent chacun 20 pages en moyenne, avec une étendue de 9 à
62 pages), l’analyse thématique n’a pas été réalisée de manière manuscrite, mais informatique
à l’aide du logiciel Microsoft Word. En revanche, aucun logiciel spécifiquement conçu pour
l’analyse de données textuelles n’a été utilisé.
74
C’est donc à l’aune de ces trois chapitres contextuel, conceptuel et méthodologique, que
la suite de cette recherche pourra être comprise. L’ensemble de ce qui suit consiste en une
présentation des résultats issus de l’exploitation des données présentées ci-dessus, et dont
l’objectif est de répondre aux hypothèses de recherche précédemment énoncées. L’enquête
qualitative ayant été pensée pour éclaircir une partie des zones d’ombre de l’enquête
quantitative, et donc envisagée en complément de l’enquête VICAN5, certains résultats
quantitatifs seront agrémentés de verbatims issus de l’enquête qualitative afin de renforcer, ou
à l’inverse de questionner, certaines interprétations. Il s’agit d’un parti pris pour cette recherche
visant à présenter une démarche mixte, dans le but de proposer une analyse la plus complète
possible de l’objet d’étude. Dans cette logique, les résultats de cette recherche seront présentés
en suivant une logique thématique et non méthodologique. Dans la deuxième partie, seront
exposés les différents freins identifiés, caractéristiques d’une dégradation de la vie
professionnelle post-diagnostic d’un cancer. Enfin, la troisième partie proposera une approche
davantage centrée sur l’individu explorant les leviers disponibles pour faciliter la reprise du
travail et le maintien en emploi, ainsi que les enjeux de leur utilisation dans le processus
biographique que cela représente.
75
Partie 2. Freins au maintien en emploi après un
diagnostic de cancer
Les constats mis en évidence par la littérature exposée précédemment interrogent sur la
persistance et la nature de l’impact négatif du cancer sur la vie professionnelle. Nous avons
formulé sur ce point trois hypothèses : la première portant sur la constance à cinq ans des
difficultés constatées à deux ans, la deuxième supposant une dégradation plus marquée chez les
populations les plus vulnérables professionnellement avant la maladie et enfin la troisième
évoquant la nécessité d’utiliser d’autres indicateurs complémentaires au taux de retour au travail
pour caractériser l’éventuelle dégradation de la vie professionnelle.
Pour y répondre, la présente partie propose d’explorer les freins à la poursuite d’une
activité professionnelle pour les personnes atteintes d’un cancer à une distance de cinq années
du diagnostic. Dans un premier chapitre (chapitre 4), nous présentons leur situation à cinq ans
du diagnostic à travers l’évolution des critères généraux de l’évolution de l’emploi (taux
d’activité, d’emploi et de chômage, transition vers le non-emploi etc.) mais aussi la
caractérisation des différents profils de transitions professionnelles. Les disparités
socioéconomiques des différentes situations seront ainsi exposées. Le chapitre suivant
(chapitre 5) complète l’analyse avec l’étude spécifique de l’évolution de la situation financière
entre le diagnostic et cinq ans après, montrant ainsi la pertinence de la mobilisation de deux
indicateurs complémentaires : celui de la variation financière et l’indicateur subjectif de la
perception de cette variation. Enfin, dans un dernier chapitre (chapitre 6), une attention
particulière est portée aux disparités entre les hommes et les femmes et, plus particulièrement,
à l’intérêt d’une analyse au prisme du genre pour mieux appréhender les inégalités dans
l’emploi et interroger la pertinence de l’analyse globale comparant femmes et hommes.
L’ensemble de ces trois chapitres utilise les données de l’enquête VICAN5, l’enquête
CAREMAJOB étant, par sa construction, peu propice à une analyse des différences
sociodémographiques et de genre, pour la caractérisation de la vie professionnelle post-
diagnostic de cancer.
76
Chapitre 4. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer :
des réalités socialement contrastées
Après la présentation des ancrages conjoncturels, théoriques et méthodologiques de cette
recherche, cette deuxième partie amorce la présentation des résultats par l’exploration des
principales difficultés rencontrées par les personnes diagnostiquées d’un cancer dans leur vie
professionnelle. Plus spécifiquement, il s’agit de montrer en quoi ces difficultés varient
fortement en fonction des conséquences de la maladie mais également de caractéristiques
individuelles et sociales. Pour ce faire, nous présentons dans ce chapitre la littérature
scientifique ciblée sur ces questions qui, on le verra, étudie le retour au travail et les difficultés
afférentes sur une période d’observation généralement restreinte aux trois premières années
post-diagnostic de cancer. Sont ensuite dévoilés les principaux résultats de recherche qui, par
l’analyse des données de l’enquête VICAN5, démontrent l’intérêt d’une investigation à plus
grande distance du diagnostic, les difficultés perdurant à un horizon de cinq années. Les facteurs
sociodémographiques et cliniques associés à ces difficultés, pertinents à cinq ans du diagnostic,
sont enfin discutés en fonction des différentes transitions professionnelles observées.
4.1. Retour au travail et maintien en emploi après un cancer dans la
littérature
4.1.1. Constat d’une situation professionnelle dégradée après un
diagnostic de cancer
La littérature internationale est riche de publications dont l’objet fut d’étudier le retour au
travail après un diagnostic de cancer. En moyenne, une personne atteinte de cancer a entre 20 %
et 30 % de sur-risque de ne plus être emploi en comparaison avec une personne non-atteinte
d’une maladie chronique, sur une même période (Noeres et al., 2013). Plus précisément, une
récente revue de littérature systématique a recensé les études européennes publiées depuis 2010
sur le sujet et montre la disparité des probabilités de se maintenir en emploi après un diagnostic
de cancer, les taux de retour au travail oscillant entre 60 % et 92 % pour les personnes en emploi
au moment du diagnostic, et entre 39 % et 77 % pour les personnes en âge d’être actives
(Paltrinieri et al., 2018). De même, dans sa revue de littérature, Mehnert a estimé que le taux de
retour à l’emploi après un diagnostic de cancer était en moyenne de 40 % six mois après le
diagnostic, 62 % après douze mois, 73 % après dix-huit mois et 89 % après 24 mois (Mehnert,
2011).
77
Dans le contexte français, plusieurs études conduites par Eichenbaum-Voline
(Eichenbaum-Voline et al., 2008), par Joutard (Joutard et al., 2012), mais aussi plus récemment
par l’Observatoire sociétal des cancers (La Ligue nationale contre le cancer, 2014), par l’INCa
(INCa, 2014) et par Barnay (Barnay et al., 2015b), trouvent que la maladie peut être à l’origine
d’une dégradation de la situation professionnelle deux ans après le diagnostic, estimant qu’en
moyenne près d’un quart de la population en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus deux
ans après.
4.1.2. Facteurs associés à une sortie de l’emploi
Des revues de littérature systématiques permettent la mise en parallèle des différents axes
de recherche mobilisés dans ces travaux portant spécifiquement sur l’étude des facteurs associés
au non-retour au travail après un diagnostic de cancer. Pour éviter l’éventuel biais engendré par
la comparaison de populations trop hétérogènes résultant du nombre important d’études portant
sur une seule localisation cancéreuse (avec une prédominance des études portant sur les femmes
atteintes d’un cancer du sein), Paltrinieri et ses coauteurs ont récemment publié une revue de la
littérature ciblée sur le retour au travail après un cancer en Europe en analysant plusieurs
localisations de cancer (Paltrinieri et al., 2018). Les facteurs identifiés comme étant associés au
retour au travail après un cancer sont relativement similaires à ceux identifiés par les revues
précédentes.
Les auteurs les identifient selon trois catégories fondées sur la Classification
Internationale du Fonctionnement49 : les facteurs personnels, les facteurs relatifs à
l’environnement professionnel et ceux relatifs à la maladie. Parmi les facteurs personnels, les
femmes reviennent moins en emploi que les hommes, les plus âgés sur le marché du travail
(généralement les plus de 50 ans) sortent plus souvent de l’emploi et les personnes ayant au
moins un enfant à charge ou vivant en couple poursuivent plus souvent leur activité
professionnelle contrairement aux personnes seules (célibataires, veuves). Des niveaux
d’études et de revenus élevés sont également des facteurs positivement associés au retour au
travail. Les facteurs négatifs relatifs à l’environnement professionnel identifiés sont le fait
d’occuper au diagnostic un emploi demandant un effort physique ainsi que le sentiment de faire
49 Créée par l’Organisation Mondiale de la santé (OMS), cette classification des fonctionnements des
individus permet d’identifier les difficultés que ceux-ci rencontrent dans leurs activités du quotidien.
Cette échelle donne des outils standardisés (elle a été traduite et validée dans plusieurs langues) pour
rendre compte de handicaps, les mesurer et évaluer les besoins associés (OMS, 2001).
78
l’objet de discrimination ou du moins de percevoir un manque de soutien au travail (de la part
de collègues ou de l’employeur), et ce, particulièrement chez les femmes. Enfin, les facteurs
liés au cancer sont le pronostic initial qui, lorsqu’il est bon, est positivement associé à un
maintien en emploi et, à l’inverse, le fait d’avoir des métastases, d’être atteint d’un cancer du
poumon ou d’une tumeur de stade avancé, le fait d’avoir été traité par chimiothérapie et de
conserver des séquelles sont des facteurs négativement associés au retour au travail. À
l’exception du sentiment de discrimination, dont l’effet n’avait été trouvé significatif vis-à-vis
du retour au travail que dans une seule étude (Bouknight et al., 2006 cité dans Taskila et
Lindbohm, 2007), les facteurs identifiés dans cette revue sont en parfaite cohérence avec ceux
identifiés dans les revues précédentes (Boer et al., 2009; Hoving et al., 2009; Spelten et al.,
2002; Taskila et Lindbohm, 2007).
Parmi ces facteurs, ceux de nature médicale ou épidémiologique sont les plus
documentés. En complément à ceux présentés dans les revues ci-dessus, certaines études
relèvent également la durée des traitements reçus (plus ils sont longs, plus le retour au travail
est difficile), et la longueur des arrêts-maladie (qui y est généralement associée) comme ayant
des effets négatifs sur le retour à l’emploi (Barnay et al., 2015a; Chow et al., 2014a; Mehnert
et al., 2013; Sevellec et al., 2015; Spelten et al., 2002). En effet, un court épisode d’arrêt-
maladie est un facteur de maintien dans l’emploi tandis qu’une longue période d’arrêt de travail
pour raison médicale (+ 30 jours) contribue à accroitre le risque de transition d’une situation
active occupée vers du chômage et de l’inactivité (Barnay et al., 2015a). Plus spécifiquement,
Azarkish et ses coauteurs montrent par exemple que l’intensité de la douleur ressentie ainsi que
la présence d’un lymphœdème influent négativement sur le retour en emploi des femmes ayant
été traitées pour un cancer du sein, de même que les patients ayant subi une jejunostomie pour
soigner leur cancer de l’œsophage ont plus de risque de quitter leur emploi que les autres
(Azarkish et al., 2015).
Considérant précisément le départ anticipé en retraite, les facteurs associés relevés dans
la littérature sont : un âge avancé, un niveau d’études faible ainsi qu’un faible niveau de
revenus. Des facteurs médicaux sont également identifiés, tels qu’un stade avancé de la maladie,
la présence de comorbidités ou encore la fatigue, ainsi que des facteurs liés à la santé mentale :
anxiété, dépression et trouble psychologique favorisent la mise en retraite anticipée (Carlsen et
al., 2008; Lindbohm et al., 2014; Singer et al., 2014). Une étude a également montré que le
stress au travail était un facteur de risque fortement associé à un départ anticipé en retraite
(Böttcher et al., 2013).
79
4.2. Des difficultés qui perdurent : résultats de l’enquête VICAN5
4.2.1. Constat transversal du maintien en emploi
Cinq ans après le diagnostic d’un cancer, on observe une baisse concomitante du taux
d’activité (de 94,2 % à 83,9 %) et du taux d’emploi (de 87,3 % à 75,9 %), soit une diminution
de plus de 10 points, des deux indicateurs. Cette baisse s’accentue avec l’âge : elle est de près
de 20 points pour les 50 ans et plus, de près de 9 points pour les 40-49 ans et enfin de seulement
4 points pour les moins de 40 ans. Dans le même temps, la part de personnes au chômage a
augmenté de 2,2 points (9,5 % des actifs sont chômeurs contre 7,3 % cinq ans auparavant). Or,
sur la même période, le taux de chômage est resté stable en population générale (9,5 % en 2010
et en 2015). À nouveau, l’augmentation de la part de chômage varie selon la tranche d’âge
étudiée : c’est chez les plus jeunes que l’augmentation est la plus forte (+ 4,6 points), suivis des
plus âgés (+ 2,8 points), tandis que l’augmentation n’est que de 1 point pour les 40-49 ans. Pour
les personnes atteintes d’un cancer, la baisse du taux d’emploi coïncide avec une augmentation
de 9 points du taux d’invalidité (0,8 % au diagnostic, 9,3 % cinq ans après). L’inactivité pour
invalidité est plus fréquente chez les plus âgés (16 % chez les 50 ans et plus). Enfin, la part
d’individus à temps partiel a également augmenté de 5 points depuis le diagnostic, concernant
27,8 % des individus en emploi cinq ans après le diagnostic (entre 26 % et 30 % pour les moins
de 40 ans et les 50 ans et plus respectivement) tandis que cette proportion est restée stable en
population générale (18 %).
Une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus cinq ans après
Parmi les personnes en emploi effectif au diagnostic (c'est-à-dire n’étant pas en arrêt-
maladie de longue durée) et âgées de moins de 55 ans au diagnostic, une sur cinq ne l’est plus
cinq ans après (tableau 4.1). Celles-ci sont en inactivité (avec une prédominance d’inactivité
pour invalidité), au chômage ou en arrêt de longue durée.
80
Tableau 4.1. Évolution de la situation professionnelle en fonction du statut occupé au moment
du diagnostic, cinq ans auparavant (en %)
Situation professionnelle cinq ans après le diagnostic
Emploi
effectif
Arrêt
long Chômage
Retraite
ou pré-
retraite
Autre
inactivité
Total
ligne
Total
colonne
Sit
uati
on
pro
fess
ion
nel
le
au
dia
gn
ost
ic
Emploi
effectif 80,0 2,4 6,8 1,2 9,6 100 85,9
Arrêt long 40,1 0,0 4,8 7,4 47,7 100 1,4
Chômage 46,7 0,0 27,2 0,0 26,1 100 6,9
Retraite ou
pré-
retraite
3,2 0,0 0,0 89,3 7,5 100 0,4
Autre
inactivité 25,0 0,0 3,2 0,8 71,0 100 5,4
Total 73,8 2,1 8,0 1,5 14,6 100 100
Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans au moment du diagnostic (Np=2 124).
Lecture : 80,0 % des individus interrogés dans VICAN5 qui étaient en emploi au moment du diagnostic,
le sont également au moment de l’enquête, cinq ans après.
Si la majorité des personnes en emploi au diagnostic s’est maintenue en emploi cinq ans
après, ce taux diffère selon des caractéristiques sociales et médicales. Le maintien en emploi
varie notamment selon la localisation du cancer (figure 4.1). Les personnes diagnostiquées d’un
cancer du poumon ont vu leur situation professionnelle se dégrader tout particulièrement cinq
ans après le diagnostic, avec une baisse considérable du taux d’emploi et une forte hausse du
chômage : deux personnes sur cinq en emploi ne le sont plus cinq ans après, contre une personne
sur cinq en moyenne. Une grande partie d’entre elles se déclare en invalidité. Les personnes
atteintes d’un cancer des voies aérodigestives supérieures (VADS), d’un cancer colorectal ou
du groupe vessie, rein et prostate50 connaissent également une détérioration de leur situation
professionnelle à cinq ans du diagnostic, avec des taux importants de mise en invalidité. Celles
avec un cancer des VADS ou un cancer colorectal sont également nombreuses à être en arrêt-
maladie de longue durée cinq ans après le diagnostic. Enfin, pour l’ensemble des localisations
considérées, une part non-négligeable d’individus en emploi effectif au diagnostic (6,8 %) est
au chômage cinq ans après (tableau 4.1). Cette part est particulièrement importante (13,0 %)
pour les personnes diagnostiquées d’un cancer de la thyroïde (figure 4.1). Au-delà de la
50 Pour rappel, ces trois localisations cancéreuses ont été agrégées dans les analyses pour pallier les
faibles effectifs de ces groupes liés à la réalité épidémiologique de ces maladies (les cancers de la
prostate, de la vessie et du rein surviennent généralement chez des populations plus âgées qui ne sont
donc, en majorité, plus concernées par ces questions d’emploi).
81
localisation cancéreuse, la situation professionnelle diffère selon le niveau de séquelles
déclarées (aucune, modérées ou importantes) au moment de l’enquête : le taux d’emploi
diminue avec le niveau de séquelles déclarées et, symétriquement, le taux de chômage, le taux
d’inactivité et le taux d’invalidité augmentent.
Figure 4.1. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au
moment du diagnostic selon la localisation (en %)
Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic
(Np=1 854).
Lecture : 81,9 % des personnes avec un diagnostic de cancer du sein et en emploi au moment du
diagnostic, étaient toujours en emploi au moment de l’enquête, cinq ans après (12,2 % en temps partiel
qui n’était pas déclaré au diagnostic et 69,7 % avec un temps de travail identique à celui au diagnostic),
tandis que 5,8 % sont au chômage, 2,2 % en arrêt-maladie de longue durée, 6,7 % en invalidité et 3,5 %
inactives (hors invalidité).
Ces résultats descriptifs sont en cohérence avec ceux de la littérature : le cancer recouvre
des réalités très différentes selon la localisation de la tumeur, les personnes atteintes d’un cancer
ayant l’un des taux de survie les plus faibles parmi ceux considérés (poumon, VADS) étant les
plus vulnérables face aux difficultés professionnelles. À l’inverse, les personnes atteintes d’un
des cancers ayant les taux de survie les plus encourageants (mélanome, sein et thyroïde) sont
les plus nombreuses à être en situation d’emploi au moment de l’enquête, soit cinq ans après le
diagnostic. Néanmoins, il nous faut noter que l’ensemble des localisations de cancer sont
concernées par des difficultés professionnelles qui perdurent jusqu’à cinq ans après le
diagnostic, les parts d’invalidité et de chômage chez ces individus en témoignent. La part
particulièrement élevée de chômage chez les personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde
(13,0%) interpelle : quelles pourraient être les difficultés spécifiques rencontrées par les
personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde - considéré comme « de bon pronostic » avec des
11,2
10,3
11,0
8,5
5,4
9,5
10,9
10,6
12,2
7,5
45,7
56,1
59,4
62,1
69,0
70,8
68,5
72,2
69,7
82,9
2,1
5,1
3,8
5,2
2,3
2,4
2,3
0,8
2,2
0,5
8,9
6,0
8,1
6,3
3,7
8,6
6,8
13,0
5,8
6,4
29,4
16,6
15,5
14,4
12,4
8,2
8,2
0,7
6,7
0,6
2,8
5,9
2,2
3,6
7,2
0,6
3,3
2,9
3,5
2,2
Poumon
VADS
Corps et col de l'utérus
Côlon et rectum
Vessie/Rein/Prostate
LNH
Ensemble
Thyroïde
Sein
Mélanome
Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long Au chômage En invalidité Autre inactivité
82
taux de survie estimés à plus de 80 % quel que soit le stade de la tumeur (INCa, 2010) - qui
conduiraient à une part de chômage plus importante par rapport aux autres ? Par ailleurs, si les
cancers du poumon, considérés comme de « mauvais pronostic » et des VADS, de « pronostic
intermédiaire », sont souvent associés à la présence de séquelles invalidantes pouvant nuire à
la poursuite de leur activité professionnelle, ils sont également plus fréquents chez des
populations défavorisées (Bryere et al., 2018) qui, elles-mêmes, quelle que soit la localisation
tumorale, rencontrent plus fréquemment des difficultés à rester en emploi après le diagnostic.
Ainsi, cinq ans après le diagnostic de cancer, la dégradation de la situation professionnelle de
ces personnes tiendrait-elle davantage de la maladie en elle-même ou des caractéristiques
professionnelles et sociales spécifiques dont elles peuvent disposer ?
En effet, l’évolution de la situation professionnelle varie fortement selon la catégorie
socioprofessionnelle de l’emploi occupé au diagnostic (figure 4.2), les emplois dits
d’« exécution » étant plus souvent associés à du non-emploi cinq ans après (p.value < 0,001).
Plus précisément, les ouvriers et les employés se sont significativement moins maintenus en
situation d’emploi que les cadres et autres fonctions supérieures et que les agriculteurs
exploitants. La différence est également statistiquement significative entre les ouvriers et les
professions intermédiaires d’une part et les artisans, commerçants et chefs d’entreprise d’autre
part. En comparaisons descriptives, ces différences de catégories socioprofessionnelles
s’observent au sein de chaque groupe d’individus atteints d’une même pathologie (femmes
atteintes d’un cancer du sein, hommes et femmes atteints d’un cancer du poumon ou des VADS
ou de la thyroïde etc.). Cependant, si des différences de catégories socioprofessionnelles
s’observent au-delà des différences de pathologies (et inversement), les faibles effectifs de
chaque groupe ne nous permettent pas de réaliser des comparaisons statistiques robustes.
Néanmoins, après agrégation des catégories socioprofessionnelles selon la classification
« exécution » versus « encadrement », des différences significatives ont été mesurées pour les
personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde : parmi ces dernières les personnes occupant au
diagnostic un emploi d’exécution sont significativement moins en emploi que les personnes
occupant un emploi d’encadrement (76 % pour les premières contre 94 % pour les secondes,
p.value < 0,01).
83
Figure 4.2. Situation professionnelle au moment de l’enquête des personnes en emploi au
moment du diagnostic selon la catégorie socioprofessionnelle de l’emploi occupé (en %)
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic,
hors données manquantes sur la variable de PCS (Np=1 813).
Lecture : 76,4 % des personnes qui occupaient un emploi d’exécution au diagnostic sont en emploi cinq
ans après (11,8 % sont passées à temps partiel et 64,6 % n’ont pas diminué de quotité) tandis que c’est
le cas de 84,3 % en personnes occupant un emploi d’encadrement.
Parmi ceux en emploi à cinq ans, un quart a réduit, voire changé, son activité
professionnelle
Parmi les personnes qui se sont maintenues en situation d’emploi à cinq ans du diagnostic,
13,8 % sont passées d’une activité à temps plein au diagnostic, à une activité à temps partiel
cinq ans après. Plus largement, elles sont 29,5 % à avoir réduit leur temps de travail d’au moins
quatre heures par semaine (ce qui correspond en moyenne à une demi-journée par semaine). De
plus, parmi ces quatre personnes sur cinq en emploi, près d’un quart (24,3 %) ne sont plus dans
le même emploi (qu’elles soient dans la même entreprise mais avec un poste différent ou
qu’elles aient changé d’employeur). Un changement d’emploi peut survenir pour différentes
raisons liées ou non au cancer. La maladie peut entraîner un changement d’activité forcé ou
choisi. Le premier résulte souvent soit d’un licenciement ou d’un non-renouvellement du
contrat professionnel, soit d’une incapacité pour la personne ayant (eu) un cancer de reprendre
son activité à la suite d’une inaptitude (par exemple, une coiffeuse ne pouvant plus lever le bras
à cause d’un lymphœdème persistant, lié à un cancer du sein). D’après la littérature, dans
certains cas, les personnes témoignent d’une remise en question des priorités personnelles
pouvant aboutir à une relégation de l’activité professionnelle au second plan ou, au contraire, à
10,2
11,8
74,1
64,6
2,8
1,8
4,5
8,4
5,6
9,5
2,8
3,9
Encadrement (43,7 %)
Execution (56,3 %)
Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long
Au chômage En invalidité Autre inactivité
84
une réorientation valorisant l’épanouissement personnel au travail (Tarantini et al., 2014; Vidal-
Naquet, 2009). En premier résultat, une forte association est observée entre le changement
d’emploi et la réduction du temps de travail : 26,5 % des personnes n’ayant pas changé
d’emploi ont réduit leur temps de travail d’au moins une demi-journée par semaine contre
39,2 % des personnes ayant changé d’emploi (p < 0,001). Deux hypothèses peuvent être
évoquées pour expliquer pareil constat : les personnes souhaitant, ou étant contrainte de, réduire
leur temps de travail, doivent pour cela changer d’activité ou, à l’inverse, voulant, ou contraintes
de, changer d’activité, celles-ci choisissent ou subissent un emploi à temps réduit. De plus, les
moins de 40 ans et les cadres supérieurs semblent être les plus concernés par un changement
professionnel, de même que les personnes ayant déclaré avoir changé de priorité dans la vie
depuis le diagnostic. Ainsi, un profil se dessine : celui d’un cadre, qui a un temps de travail
élevé, un emploi potentiellement stressant, et qui, après un diagnostic de cancer, réévalue ses
priorités et choisit d’adapter son activité professionnelle à sa convenance, en réduisant le
nombre d’heures de travail et en changeant d’activité ou d’employeur. De nombreuses enquêtes
qualitatives ont déjà documenté ce phénomène, mais il est sans doute également fréquent en
population générale, où les cadres et les moins de 40 ans sont également les plus sujets à la
mobilité professionnelle et notamment à la mobilité interne (au sein de l’entreprise) (Dupray et
Recotillet, 2009).
La situation observée à cinq ans du diagnostic illustre-t-elle une situation professionnelle
pérenne ou n’est-elle que la photographie d’une situation amenée à évoluer à court ou moyen
terme ? Pour répondre à cette question, il semble nécessaire d’explorer l’évolution de la
situation professionnelle des personnes atteintes de cancer entre le moment du diagnostic et le
moment de l’enquête. En effet, l’analyse transversale réalisée à deux instants donnés (au
moment du diagnostic et cinq ans après) fournit une image tronquée de l’impact de la maladie
sur l’ensemble de la trajectoire professionnelle et sa dynamique depuis le diagnostic. Par
exemple, nous avons montré que parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans en emploi au moment
du diagnostic, quatre sur cinq étaient en emploi cinq ans après (81,6 % au total) mais, parmi
elles, se trouvent des personnes qui ont changé d’emploi (et/ou d’employeur). De plus, la
transition d’un emploi à l’autre n’a pas toujours été immédiate ; elle s’est souvent accompagnée
d’une période de chômage ou d’inactivité. Or, des études internationales menées en population
générale ont fait le constat que l’alternance d’épisodes d’interruptions d’emploi et de chômage
peut entraîner des effets négatifs à la fois sur la carrière professionnelle (Gregg et Tominey,
2005) et sur la santé des individus (Barnay et al., 2015b). Il apparaît donc nécessaire d’explorer
plus finement ces différentes trajectoires.
85
4.2.2. Analyse longitudinale : description des trajectoires
Différentes trajectoires professionnelles après le diagnostic
Le chronogramme présenté en figure 4.3 donne une vision globale de la situation
professionnelle pour chaque mois de la période observée, soit les cinq années suivant le
diagnostic du cancer. Ce graphique donne à chaque instant t, correspondant au nombre de mois
écoulés depuis le diagnostic de cancer, la répartition globale des individus en fonction de leur
situation professionnelle. Ainsi, le diagnostic, qui survient selon les individus entre 2009 et
2011, est rapidement suivi d’une mise en arrêt-maladie, la part maximale de personnes en arrêt-
maladie étant atteinte trois et quatre mois après le diagnostic où la moitié des individus (50 %)
sont en arrêt (soit 53,7 % des actifs occupés). La part d’individus restant en arrêt-maladie long
est assez faible ; la grande majorité revient progressivement en emploi tandis qu’une part stable
d’environ 10 % des personnes se maintien en arrêt-maladie de longue durée. La part de
personnes en inactivité reste stable au cours du temps (entre 1 % et 2 %) contrairement à celles
des personnes au chômage, à la retraite ou en invalidité qui augmentent progressivement au
cours des cinq années suivant le diagnostic. Une légère augmentation de l’accroissement du
taux d’invalidité est néanmoins perceptible après trois années post-diagnostic, ce qui
correspond à la fin des droits de versement d’indemnités journalières de l’Assurance maladie.
86
Figure 4.3. Vue d’ensemble de l’évolution mensuelle des trajectoires professionnelles au cours
des cinq années suivant le diagnostic de cancer (en %).
Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi au moment du diagnostic,
hors données manquantes (Np=1 846).
Lecture : la part de personnes inactives pour invalidité croît progressivement après le diagnostic, jusqu’à
représenter près de 10 % de la population étudiée au terme des cinq années d’observation. À l’inverse,
la part d’emploi diminue à la suite du diagnostic, représentant à cinq ans 80 % des individus. La part de
temps partiel thérapeutique (tpt) augmente progressivement conjointement à la reprise de l’emploi après
un arrêt-maladie de longue durée.
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
DateDiag
+6 mois +1 an +1,5 ans +2 ans +2,5 ans +3 ans +3,5 ans +4 ans +4,5 ans +5 ans
Emploi TPT Arrêt long Chômage Formation Retraite Invalidité Autre inactivité Missing
87
En moyenne, les personnes en emploi au moment du diagnostic et qui sont dans une
situation professionnelle différente cinq ans après, ont quitté leur emploi au bout de deux ans
(24,7 mois). Parmi elles, les personnes en inactivité hors retraite sont celles qui ont quitté
l’emploi occupé au diagnostic le plus rapidement, notamment en comparaison avec celles qui
sont à la retraite ou au chômage. Parmi chaque situation, les différences de durée de l’emploi
occupé au diagnostic, observées entre les femmes et les hommes sont relativement faibles et ne
sont pas statistiquement significatives.
Zoom sur le (non-)recours aux arrêts-maladie
Les travaux de recherche visant à mieux comprendre le processus de mise en arrêt-
maladie et son impact sur les trajectoires professionnelles sont très récents en France et restent
peu nombreux. Une première étude française conduite par Barnay (2015) sur l’impact des
arrêts-maladie a néanmoins montré que l’occurrence d’arrêts-maladie accentue le risque de
sortir de l’emploi l’année suivante plutôt que de revenir à la situation d’emploi initiale. Plus
précisément, ces arrêts accroissent le risque d’une situation de chômage. Cette étude conclut
que l’effet négatif des arrêts-maladie sur les trajectoires professionnelles est accentué lorsqu’ils
sont de longue durée (à partir d’un mois d’arrêt l’effet négatif est significatif et augmente
ensuite avec la durée). Dans l’étude plus spécifique d’une population ayant eu un diagnostic de
cancer, des travaux révèlent également une association entre un arrêt-maladie de longue durée
et un plus faible maintien en emploi (Le Corroller-Soriano et al., 2008; Sevellec et al., 2015).
À partir des sources administratives (SNIIRAM) de l’enquête VICAN5, plus de trois
personnes sur quatre (77 %) sont identifiées comme ayant eu recours à un arrêt-maladie d’au
moins un mois au cours des cinq années ayant suivi le diagnostic de cancer51. Les indépendants
et les salariés de très petites entreprises ont les taux de recours les plus faibles, de même que
les plus âgés et les individus ayant les caractéristiques médicales les plus favorables (pas
d’épisode d’évolution péjorative, et cancer non traité par chimiothérapie ou radiothérapie).
51 Ce résultat est inférieur à celui observé à partir des déclarations faites au moment de
l’enquête (recueillies par le questionnaire patient) : 86,8 % des individus ont affirmé avoir connu au
moins un arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer. Cette différence de résultat peut s’expliquer
notamment par la non-prise en compte des arrêts de courte durée (inférieurs à un mois) dans la présente
étude. De plus, certains individus ont pu avoir recours à un arrêt-maladie sans que celui-ci soit pris en
charge par le système de sécurité sociale et sans qu’aucune indemnité journalière ait alors été versée
(exemple de certains groupes de travailleurs indépendants non couverts par le système public en cas
d’arrêt-maladie et se mettant néanmoins en arrêt de travail sans indemnité ou avec indemnisation de la
part d’organismes privés). Ce qui amènerait des personnes à déclarer comme arrêt-maladie des absences
au travail liées à des raisons de santé et expliquerait ainsi la surestimation des données déclaratives.
88
Pour ceux qui ont eu au moins un arrêt-maladie, le premier arrêt intervient en moyenne
6 mois après le diagnostic et sa durée moyenne est de 10 mois. Plus spécifiquement, les
personnes qui, par la suite, reprennent leur emploi le font à l’issue d’un premier arrêt de 9 mois
en moyenne : de 8 mois pour les reprises classiques et de 12 mois lors d’une reprise à temps
partiel thérapeutique (figure 4.4). Concernant les personnes qui perdent ou quittent leur emploi
et se retrouvent au chômage, la durée du premier arrêt-maladie aura été d’en moyenne 15 mois,
et de 16 mois pour celles qui ont connu une transition vers l’inactivité hors invalidité. La durée
du premier arrêt-maladie est la plus longue lorsque les individus passent ensuite en invalidité :
elle est alors en moyenne de 28 mois, soit presque deux ans et demi d’arrêt.
Figure 4.4. Durée moyenne du premier arrêt-maladie à la suite du diagnostic de cancer selon la
transition ultérieure (en mois).
Champ : répondants à l’enquête VICAN5, en emploi au diagnostic et pour lesquels les données de
consommation de soins étaient disponibles, ayant connu au moins un arrêt-maladie (Np=1 534).
Lecture : les individus qui ont repris l’emploi sans temps partiel thérapeutique à la suite du premier arrêt-
maladie ont connu un premier arrêt de 8,1 mois en moyenne (intervalle de confiance au seuil de 5 % :
7,5-8,6) contre 12,1 mois (11,1-13,2) pour ceux qui ont repris l’emploi avec le dispositif de temps partiel
thérapeutique.
0
5
10
15
20
25
30
35
Reprise emploi Reprise emploi à
temps partiel
thérapeutique
Chômage Inactivité Invalidité
89
Par ailleurs, les personnes qui n’ont pris aucun arrêt-maladie, sont moins souvent en
emploi à cinq ans du diagnostic : seuls 74,9 % d’entre elles le sont contre 83,3 % des autres
(p.value < 0,001). Parmi celles qui se sont maintenues en activité, c’est-à-dire qui n’ont pas eu
d’arrêt-maladie, et qui ne sont plus en emploi à cinq ans, la sortie de l’emploi occupé au
diagnostic est intervenue en moyenne à un an du diagnostic (13,8 mois). Parmi celles qui sont
en emploi mais qui en ont changé par rapport au diagnostic, elles sont sorties de l’emploi initial
en moyenne deux ans après le diagnostic (21,7 mois après) et ont connu une période
intermédiaire d’environ un an (13,8 mois) avant d’entrer dans l’emploi occupé au moment de
l’enquête.
Identification de cinq principales transitions entre le diagnostic et cinq ans après
Ainsi, cinq grandes transitions ont été observées entre la situation au diagnostic et celle à
l’enquête :
- L’emploi continu (61,8 %) représente les personnes qui se sont maintenues dans
la même activité au même poste entre le diagnostic et l’enquête cinq ans après.
Cette transition concerne plus souvent des personnes âgées de 40 à 49 ans au
diagnostic, diplômées d’au moins un baccalauréat ou équivalant, occupant un
emploi dans le secteur public au diagnostic ou travaillant en indépendant. Elle
concerne également principalement les personnes dont la santé a été le moins
altérée : celles déclarant ne conserver aucune séquelle ou encore n’ayant connu
aucun épisode d’évolution péjorative.
- Le changement d’emploi (19,9 %) caractérise les personnes qui occupent au
moment de l’enquête un emploi différent de celui occupé au diagnostic (poste ou
employeur différent). Elle concerne plus souvent des personnes jeunes ou, à
l’inverse, des personnes de 50 ans et plus, avec peu d’expérience dans l’emploi
considéré au diagnostic, ou encore des personnes ayant un niveau d’études au
moins équivalent au baccalauréat.
- De l’emploi au chômage (6,8 %) regroupe les personnes en emploi au diagnostic
et en recherche d’emploi à l’enquête. Cette transition concerne principalement des
personnes ayant un niveau d’études inférieur au baccalauréat, et en contrat
temporaire au diagnostic.
90
- L’emploi vers l’invalidité (8,2 %) définit les personnes en emploi au diagnostic
et inactives pour invalidité à l’enquête. Celles-ci avaient plus souvent un état de
santé initial altéré (comorbidités au diagnostic) et ont plus fréquemment connu
une dégradation de leur état de santé en lien avec le cancer (présence de séquelles,
épisode(s) d’évolution péjorative et cancer traité par chimiothérapie). Les
personnes de 50 ans et plus, et celles peu diplômées sont plus concernées.
- L’emploi vers l’inactivité (3,3 %) correspond enfin aux personnes en emploi au
diagnostic et inactives en retraite, en formation ou au foyer au moment de
l’enquête. Les plus âgées (de 50 ans et plus) sont les plus nombreuses à avoir
connu cette transition.
Après la sortie de l’emploi, la transition la plus rapide vers la situation connue au moment
de l’enquête correspond aux personnes qui sont parties à la retraite. Certaines ont néanmoins
connu une phase intermédiaire52 correspondant à une mise en arrêt (que ce soit par
l’intermédiaire d’un arrêt-maladie ou d’une mise en invalidité) avant le passage en retraite. Une
minorité d’enquêtés a perdu son travail, tout en connaissant des phases d’emploi et/ou de
chômage avant la mise en retraite. De même, la mise en inactivité, y compris l’invalidité, est le
plus souvent consécutive à l’emploi. Toutefois, pour quelques-unes des personnes considérées,
l’invalidité n’a pas été consécutive à l’emploi et a fait l’objet d’une demande après une
recherche de travail infructueuse ou une phase d’inactivité. La transition vers la situation de
chômage déclarée au moment de l’enquête a souvent été ponctuée de plusieurs périodes de
formation et d’emploi avant que la personne ne se déclare à la recherche d’un emploi. Une
minorité d’individus déclare également avoir mis à profit une séquence d’inactivité à la suite
de la fin de l’emploi occupé au diagnostic pour se soigner. Enfin, la période précédant le
changement d’emploi a le plus souvent été occupée par un épisode de formation et/ou une phase
de recherche d’emploi avec, pour certains, l’aide des institutions publiques Pôle Emploi ou Cap
Emploi et/ou la mise à profit de certains dispositifs comme le bilan de compétences. Celui-ci a
été plus court pour les personnes ayant un niveau d’études au moins équivalent au baccalauréat
(figure 4.5). De même, les hommes ont été plus rapides que les femmes à entrer dans l’emploi
occupé au moment de l’enquête après la fin de celui occupé au diagnostic.
52 La description des situations professionnelles des individus au cours de la phase intermédiaire (entre
les deux situations occupées aux deux points d’observation, au diagnostic et cinq ans après) a pu être
reconstruite grâce à une question ouverte. En tant que telle, le renseignement de chaque situation n’a été
ni exhaustif ni homogène dans la méthode de déclaration. Aussi, la description donnée ici ne peut être
mesurée statistiquement et a pour seul objectif de renseigner globalement sur cette situation.
91
Figure 4.5. Délai entre la fin de l’emploi occupé au diagnostic et celui occupé à l’enquête selon
le niveau d’études.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, ayant quitté l’emploi occupé au moment
du diagnostic au cours des cinq années suivantes et étant à nouveau en emploi à l’enquête, hors données
manquantes (Np=350).
Lecture : un an après la fin de l’emploi occupé au diagnostic, 29 % des personnes ayant un niveau
d’études au moins équivalent au baccalauréat ne sont toujours pas dans l’emploi occupé à l’enquête
contre 56 % de celles ayant un niveau d’études inférieur.
Dans la suite de ce travail nous allons montrer que chacune de ces transitions est associée
à différentes caractéristiques sociodémographiques et médicales.
4.3. Zoom sur les déterminants de la sortie de l’emploi et de la réduction
du temps de travail
4.3.1. Des différences médicales qui perdurent
Comme en témoigne la revue de littérature présentée en introduction de ce chapitre, la
recherche portant sur les facteurs associés au retour au travail et au maintien en emploi après
un diagnostic de cancer fut prolifique ces dernières années et de nombreux facteurs
sociodémographiques, économiques et médicaux ont été identifiés. Néanmoins, la grande
majorité de ces travaux a été réalisée sur une seule localisation de cancer (avec une
prédominance pour les cancers du sein) et a porté sur une période d’observation généralement
inférieure à 3 ans. Pourtant, la persistance de séquelles et de douleurs a été constatée dans la
littérature comme pouvant altérer la qualité de vie des personnes atteintes, sur un temps plus
long (Glare et al., 2014; Green et al., 2011; van den Beuken-van Everdingen et al., 2007). Plus
0
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1
0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60
Nombre de mois écoulés depuis la fin de l'emploi occupé au diagnostic
Baccalauréat et plus
Inférieur au baccalauréat
Log-rank : p-value < 0,01
92
spécifiquement, un intérêt particulier a récemment été porté aux douleurs neuropathiques
chroniques (DNC), causées par des lésions du système nerveux. Si peu de recherches ont porté
sur l’analyse de ces douleurs spécifiquement chez les personnes atteintes de cancer, leurs
prévalences sont néanmoins estimées entre 30 et 40 % dans cette population (Bennett et al.,
2012; Oosterling et al., 2016; Roberto et al., 2016), contre 7 à 8 % en population générale
(Bouhassira et al., 2008; Torrance et al., 2006). Engendrées par la tumeur elle-même ou par les
traitements du cancer (chirurgie ou médicaments neurotoxiques), ces lésions persistent
longtemps après leur apparition et causent des douleurs chroniques souvent sous-
diagnostiquées et mal prises en charge (Fallon, 2013; Lema et al., 2010; Treede et al., 2015).
De plus, des recherches non spécifiques aux personnes atteintes de cancer ont montré que les
DNC étaient à l’origine de limitation d’activités sociales (Gálvez et al., 2007; Meyer-Rosberg
et al., 2001; Oosterling et al., 2016), dont l’activité professionnelle (Liedgens et al., 2016;
McDermott et al., 2006; Meyer-Rosberg et al., 2001). Partant de ces constats, nous avons
cherché à explorer les facteurs associés au maintien en emploi à cinq ans d’un diagnostic de
cancer et en particulier l’impact des douleurs neuropathiques chroniques. Nos hypothèses de
recherche sont les suivantes :
- H4.1. La première suppose que les facteurs médicaux et d’état de santé identifiés
dans la littérature comme relatifs à la maladie sont des déterminants du non-
emploi et de la réduction de l’emploi à un horizon de cinq années après un
diagnostic de cancer. Plus spécifiquement, il est supposé que la présence de
douleurs chroniques, dont notamment celles à caractère neuropathique, limite
l’activité professionnelle des personnes ayant eu un diagnostic de cancer les
contraignant à restreindre voire à arrêter leur activité professionnelle.
- H4.2. La seconde suppose que les facteurs socioprofessionnels identifiés dans la
littérature demeurent pertinents pour expliquer le non-emploi et la réduction de
l’emploi à un horizon de cinq années après un diagnostic de cancer. Cela
présuppose que des différences en termes de continuité de l’activité
professionnelle entre les catégories socioprofessionnelles estimées plus
favorables et celles moins favorables sur le marché de l’emploi devraient être
mises en évidence dans nos résultats.
93
Méthodologiquement, une régression logistique multinomiale a été utilisée à partir des
données de l’enquête VICAN5 pour modéliser : 1) la probabilité de ne plus être en emploi au
moment de l’enquête, soit cinq ans après le diagnostic de cancer et 2) la probabilité d’avoir
réduit son temps de travail entre le diagnostic et l’enquête par rapport au fait d’être en emploi
avec un temps de travail similaire à celui travaillé au moment du diagnostic53.
Pour tester cette première hypothèse, la présence de douleurs neuropathiques a été estimée
à partir du questionnaire patient VICAN5 administré cinq ans après le diagnostic, et comprenant
l’échelle validée du DN4 dans sa forme française validée en sept items (Bouhassira et al., 2005).
Ces derniers consistent en des questions fermées au sujet des symptômes relatifs à ces douleurs
(figure 4.6). Le caractère chronique s’applique aux personnes ayant déclaré souffrir de ces
douleurs depuis plus de trois mois. Ainsi, l’éventuelle présence de douleurs neuropathiques
chroniques a été intégrée au modèle de régression en tant que variable explicative afin d’en
tester l’effet sur les deux probabilités exposées ci-dessus. L’étude portant sur le maintien d’une
activité professionnelle, seules les 1 854 personnes âgées de moins de 55 ans et en emploi au
moment du diagnostic ont été retenues pour les analyses.
Figure 4.6. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur le caractère
neuropathique des douleurs ressenties.
53 L’hypothèse IIA, relative à l’indépendance des alternatives (ou « indépendance par rapport aux choix
non retenus » (Afsa, 2005)) dans le modèle de régression multinomiale, a été testée à partir du test de
Hausman et McFadden (1984). L’hypothèse H0 présumant l’indépendance des options (ne plus être en
emploi, travailler à temps réduit ou travailler à temps équivalent par rapport au diagnostic) n’a pas pu
être rejetée. Si d’un premier abord, les modalités « travailler à réduit » et « travailler à temps non-
réduit » pouvaient paraître proche en comparaison avec la troisième modalité, il semblerait que la
probabilité de choisir chacune de ces trois options soit équivalente, le modèle est donc pertinent.
94
Moins de 6 personnes sur 10 sont en emploi à temps non-réduit à l’enquête
Il résulte de cette recherche que 18,3 % des personnes à l’étude ne sont plus en emploi
cinq ans après le diagnostic de cancer et, parmi celles qui le sont, 29,6 % sont en emploi à temps
réduit, c’est-à-dire qu’elles ont réduit leur temps de travail par rapport au diagnostic d’au moins
une demi-journée par semaine. Globalement, moins de six personnes sur dix (57,5 %) sont en
emploi non-réduit cinq ans après le diagnostic. Les analyses multivariées, dont les résultats sont
présentés dans le tableau 4.2, ont montré que, toutes choses égales par ailleurs, les hommes ont
une probabilité inférieure aux femmes d’avoir réduit leur temps de travail. Par ailleurs, la
présence d’enfant(s) à charge et le fait d’être en couple défavorisent la sortie de l’emploi
(augmentant ainsi la probabilité de se maintenir en emploi sans réduction de temps de travail).
Cette analyse des facteurs associés à ces situations aboutit à une validation des deux hypothèses
sus-citées : des facteurs médicaux essentiels pour expliquer la situation professionnelle à moyen
termes et des différences socioprofessionnelles qui perdurent cinq ans après le diagnostic de
cancer.
Tableau 4.2. Facteurs associés à une réduction du temps de travail ou à la sortie de l’emploi par
rapport à un maintien en situation d’emploi.
Facteurs associés Emploi réduit Non-emploi
OR [IC95% ±] OR [IC95% ±]
Caractéristiques sociodémographiques
Sexe
Homme 0,70 [0,50 ; 0,96] 1,06 [0,75 ; 1,51]
Femme (réf.) 1 1
Âge au diagnostic
18-39 ans 1,32 [0,98 ; 1,80] 1,46 [0,99 ; 2,15]
40-49 ans (réf.) 1 1
50 ans et plus 1,05 [0,78 ; 1,41] 1,84 [1,35 ; 2 ,52]
Situation matrimoniale
En couple 1,29 [0,98 ; 1,70] 0,73 [0,54 ; 0,97]
Célibataire (réf.) 1 1
Statut familial au diagnostic
Aucun enfant à charge (réf.) 1 1
Au moins un enfant à charge 0,94 [0,71 ; 1,23] 0,53 [0,37 ; 0,75]
95
Facteurs associés Emploi réduit Non-emploi
OR [IC95% ±] OR [IC95% ±]
Caractéristiques de l’emploi occupé au diagnostic
Secteur d’emploi
Public 0,69 [0,51 ; 0,93] 0,48 [0,34 ; 0,70]
Privé (réf.) 1 1
PCS agrégée
Exécution 1,18 [0,92 ; 1,52] 1,78 [1,32 ; 2,39]
Encadrement (réf.) 1 1
Rémunération 1,01 [1,00 ; 1,02] 1,01 [1,00 ; 1,02]
Temps de travail
Temps plein (réf.) 1 1
Temps partiel 0,52 [0,37 ; 0,72] 1,10 [0,78 ; 1,54]
Statut d’emploi
Salarié (réf.) 1 1
Indépendant 1,50 [1,08 ; 2,08] 0,69 [0,44 ; 1,07]
Caractéristiques médicales
Score de comorbidité au diagnostic 2,35 [1,65 ; 3,35] 2,53 [1,69 ; 3,77]
Pronostic initial de la maladie
Bon (réf.) 1 1
Intermédiaire 0,95 [0,72 ; 1,26] 1,30 [0,94 ; 1,80]
Mauvais 1,47 [0,82 ; 2,64] 2,86 [1,62 ; 5,06]
Traitement initial par chimiothérapie
Oui 1,52 [1,19 ; 1,93] 1,43 [1,08 ; 1,90]
Non (réf.) 1 1
Épisode(s) d’évolution péjorative
Oui 1,17 [0,87 ; 1,58] 2,19 [1,61 ; 2,99]
Non (réf.) 1 1
DNC
Oui 1,58 [1,21 ; 2,06] 2,68 [2,01 ; 3,57]
Non (réf.) 1 1
***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05 ; NS p-value > 0,05.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans et en emploi au moment du diagnostic,
hors données manquantes (N=1 825).
Note : cinq ans après le diagnostic de cancer, les hommes ont moins de chances que les femmes
d’occuper un emploi à temps réduit plutôt qu’à temps plein.
96
Des séquelles qui impactent la vie professionnelle à moyen terme
Il apparaît premièrement que les caractéristiques médicales impactent à moyen terme
(cinq ans) la vie professionnelle des personnes diagnostiquées d’un cancer. La présence de
comorbidités au moment du diagnostic, une localisation de cancer associée à un pronostic initial
défavorable, la survenue d’au moins un épisode d’évolution péjorative de la maladie ainsi que
le fait d’avoir été traité par chimiothérapie sont autant de facteurs positivement associés à une
sortie de l’emploi (tableau 4.2). En complément, la présence de comorbidité et le traitement par
chimiothérapie sont positivement associés à un temps de travail réduit au moment de l’enquête.
Plus spécifiquement, 28,0 % des personnes présentent des symptômes de douleurs
neuropathiques chroniques cinq ans après le diagnostic de cancer. Ces douleurs sont plus
fréquemment observées chez les femmes atteintes d’un cancer du sein (avec une prévalence de
31,4 %), chez les personnes ayant un niveau d’études inférieur au baccalauréat (34,4 % ont des
DNC contre seulement 23,9 % chez les personnes ayant un niveau d’études supérieur) et chez
les personnes dont le cancer a été traité par chimiothérapie (32,6 % ont des DNC contre 23,0 %
des autres). De plus, la présence de DNC s’est révélée particulièrement corrélée à la fois à un
non-maintien en emploi et à une réduction du temps de travail : 29,2 % des personnes ayant des
DNC ne sont pas en emploi cinq ans après le diagnostic (contre seulement 14,1 % de celles qui
n’en ont pas) et, parmi celles toujours en emploi, 38,9 % ont réduit leur temps de travail (contre
26,7 % de celles qui n’ont pas de DNC). En somme, seules 43,3 % des personnes ayant des
DNC occupent, cinq ans après le diagnostic de cancer, un emploi avec un temps de travail
similaire au diagnostic contre 63,0 % de celles ne présentant pas de DNC. Cette corrélation est
appuyée par l’analyse multivariée présentée dans le tableau 4.2 selon laquelle, toute chose égale
par ailleurs, la présence de DNC augmente d’une part le risque de ne plus être en emploi (OR
= 2,68, IC95% = [2,01 ; 3,57]) et, d’autre part, celui d’avoir réduit son temps de travail par
rapport au diagnostic pour ceux qui se sont maintenus en emploi (OR = 1,58, IC95% = [1,21 ;
2,06])54.
54 Ces analyses ont d’abord été conduites sur une population d’étude restreinte à l’échantillon principal
comprenant les personnes ayant répondu à l’enquête VICAN2 et à l’enquête VICAN5 (n=969 parmi
celles de moins de 55 ans en emploi au diagnostic). Les résultats sont similaires en tous points et ont fait
l’objet d’une publication mise à disposition dans le document des tirés-à-part (n°1). Dans le cadre de
ces analyses, le caractère longitudinal des données recueillies avait également permis de mesurer la
présence de séquelles telles que la fatigue et les DNC notamment, à deux ans du diagnostic et leur effet
sur l’emploi, les résultats obtenus étaient également similaires (la présence de DNC et la présence de
97
Cette recherche montre une persistance des vulnérabilités individuelles face à l’impact du
cancer sur la vie professionnelle et plaide pour un accompagnement personnalisé. Plus
spécifiquement, elle met en lumière la nécessité de diagnostiquer au plus tôt et de manière
systématique les douleurs à caractère neuropathique chez les personnes atteintes de cancer afin
de limiter la charge économique et sociale que celles-ci peuvent constituer jusqu’à cinq ans
après le diagnostic de la maladie. De plus, depuis la réalisation de cette étude, des chercheurs
ont mis au point une nouvelle option thérapeutique à visée curative (Rivat et al., 2018) et, si les
essais cliniques n’ont pas encore fait leurs preuves, cette possibilité ne fait qu’ajouter à la
nécessité de mieux dépister ces douleurs.
4.3.2. Le cancer révèle des vulnérabilités socioprofessionnelles
Des facteurs qui varient selon la classe d’âge
Les différentes analyses ont montré que certaines caractéristiques socioprofessionnelles
ont un effet sur le maintien en emploi cinq ans après le diagnostic de cancer, qui diffèrent selon
les catégories d’âge. La réalisation de régressions logistiques binomiales stratifiées sur la
catégorie d’âge a mis en évidence les différences de facteurs associés à la sortie d’emploi entre
les individus âgés de 18 à 39 ans, ceux âgés de 40 à 49 ans et ceux âgés de 50 à 54 ans au
moment du diagnostic (les variables explicatives étant les mêmes que celles présentées dans le
tableau 4.2). Si le fait d’occuper un emploi en contrat précaire au diagnostic est, toutes choses
égales par ailleurs, un facteur positivement associé à la sortie de l’emploi chez les moins de 50
ans, il ne l’est pas pour les plus âgés. À l’inverse, seuls ces derniers, observent des différences
significatives de statut d’emploi, les travailleurs indépendants étant plus susceptibles de se
maintenir en emploi par rapport aux salariés.
De plus, le secteur d’activité tertiaire s’est révélé être un facteur protecteur vis-à-vis du
maintien en emploi, chez les plus jeunes seulement. Chez les 40-49 ans (classe d’âge
intermédiaire), le salaire perçu au diagnostic était positivement associé à une sortie de l’emploi,
à l’inverse de l’expérience dans l’emploi occupé au diagnostic. Enfin, le niveau d’études, une
caractéristique individuelle fortement corrélée à la catégorie socioprofessionnelle, s’est trouvée
être la seule caractéristique (en dehors des facteurs médicaux), significativement associée au
fatigue cliniquement significative en 2012 augmentent fortement la probabilité d’avoir réduit, voire
quitté, l’emploi en 2015).
98
maintien en emploi à la fois pour les moins de 40 ans, pour les 40-49 ans et pour les 50 ans et
plus, en défaveur des moins diplômés, ce qui témoigne d’une persistance d’une certaine
vulnérabilité sociale dont le niveau d’éducation est l’un des marqueurs les plus utilisés en
sociologie et économie du travail. L’indicateur agrégé des catégories socioprofessionnelles
s’est révélé significativement associé au maintien en emploi des 40-49 ans spécifiquement en
l’absence dans le modèle de l’information sur le niveau d’éducation : les emplois dits
d’exécution augmentent le risque de sortie de l’emploi par rapport aux emplois dits
d’encadrement.
Zoom sur une population spécifique : les travailleurs indépendants
La stratification de l’échantillonnage réalisée pour le recrutement des participants à partir
des régimes d’assurance maladie obligatoires (ex-CNAM-TS, ex-RSI et MSA) et ainsi la
surreprésentation de la population des travailleurs indépendants nous permet notamment
d’explorer les éventuelles spécificités de ce groupe de travailleurs. Parmi les répondants à
l’enquête en emploi au diagnostic, 13,3 % ont déclaré être travailleur indépendant au moment
du diagnostic, soit 11,0 % de ceux âgés de 18 à 54 ans (les 89 % restants étant travailleurs
salariés). Si la situation professionnelle des salariés et des indépendants (non-salariés) semble
similaire cinq ans après le diagnostic avec des taux de maintien en emploi non statistiquement
différents (81,1 % pour les premiers et 86,0 % pour les seconds, p.value = 0,079), les
trajectoires professionnelles de ces deux populations diffèrent sur plusieurs points. Par exemple,
considérant le maintien en emploi effectif (c’est-à-dire qu’on adopte la définition du BIT qui
exclut les arrêts-maladie de longue durée du taux d’emploi), une différence significative
apparait entre ces deux groupes de travailleurs : 84,9 % des indépendants sont alors considérés
en emploi au moment de l’enquête (figure 4.7) contre seulement 78,6 % des salariés. Les
personnes sorties de l’emploi sont principalement en situation d’invalidité (autour de 44,5 %
pour les deux types de statut professionnel étudiés), tandis que la seconde situation la plus
fréquente est le chômage pour les salariés (38,6 %) et la retraite pour les indépendants (32,9 %).
99
Figure 4.7. Situation professionnelle au moment de l’enquête des travailleurs indépendant en
emploi au moment du diagnostic selon leur catégorie socioprofessionnelle55.
Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans au moment du diagnostic et en emploi
sous le statut de travailleur indépendant au diagnostic (Np=218).
Lecture : 94,0 % des agriculteurs sont en emploi cinq ans après le diagnostic de cancer, 16,6 % d’entre
eux étant passés d’un temps plein à un temps partiel.
Un premier modèle de régression a montré qu’après ajustement, les travailleurs
indépendants ont une probabilité minorée de 7,5 % par rapport aux salariés de sortir de l’emploi
(figure 4.8). Plus spécifiquement, d’après des analyses stratifiées sur le statut professionnel
(indépendant versus salarié), le niveau d’études (inférieur au baccalauréat), la rémunération
(importante au moment du diagnostic), l’aménagement du travail (absence d’aménagement), le
changement de priorité dans la vie ainsi que la présence de séquelles (importantes voire très
importantes) sont significativement associés à une sortie de l’emploi des travailleurs
indépendants. Pour les travailleurs salariés, à ces facteurs s’ajoutent le sexe (être un homme),
l’âge (avoir plus de 50 ans), la parentalité (ne pas avoir d’enfant), le type de contrat (à durée
déterminée), l’expérience professionnelle (manquer d’expérience dans l’emploi occupé au
diagnostic), le sentiment de discrimination (avoir perçu du rejet ou de la discrimination de la
part des collègues à cause de la maladie), la survenue d’événements péjoratifs liés au cancer
(avoir eu au moins un épisode d’aggravation de la maladie), la présence de séquelles (modérées
voire très modérées) et la fatigue (score de fatigue cliniquement significatif) (figure 4.8).
55 La catégorie socioprofessionnelle donnée ici découle d’un codage des enquêteurs basé sur les
déclarations individuelles des professions occupées. Cela explique la présence de certaines catégories
socioprofessionnelles normalement réservées à la description d’emplois salariés telles que les
professions intermédiaires ou encore les chefs d’entreprise. Ainsi, certaines catégories peuvent résulter
d’erreur d’interprétation (exemple de l’infirmier libéral qui pourrait être codé parmi les professions
intermédiaires par l’enquêteur comme pour les infirmiers salariés) mais ne définissent pas moins des
individus s’étant déclaré « travailleur indépendant ».
10,5
16,7
11,7
17,0
14,8
24,5
6,8
16,6
60,9
55,5
70,2
66,1
70,1
63,4
83,5
77,4
0,6
1,1
6,7
2,2
3
7,9
3,2
28,6
27,8
9,7
4,8
6,2
7,5
3
4,8
4,2
4,6
5,4
3
0% 20% 40% 60% 80% 100%
Autre (4%)
Chefs d'entreprise (3%)
Artisans (29%)
Commerçants et assimilés (29%)
Ensemble (100%)
Professions libérales (10%)
Professions intermédiaires (12%)
Agriculteurs (10%)
Nouveau temps partiel En poste En arrêt maladie long Au chômage En invalidité Autre inactivité
100
Cependant, ces résultats doivent être interprétés avec précaution : le faible effectif des
travailleurs indépendants qui ne se sont pas maintenus en emploi peut expliquer le nombre
réduit de facteurs associés cités précédemment.
Figure 4.8. Facteurs associés à la sortie d'emploi (chômage, inactivité, arrêts longs) cinq ans
après un diagnostic de cancer.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, en emploi au moment du diagnostic
(N=1 879).
Lecture : par rapport aux personnes âgées de 40 à 49 ans, les personnes âgées de 50 à 54 ans au moment
du diagnostic de cancer ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité majorée de plus de 10,8 %
d’être sorties de l’emploi cinq ans plus tard. Cette association n’est significative que pour les travailleurs
salariés.
Analyses : modèles de régressions logistiques binomiales. Ce graphique donne les résultats de trois
modèles : le modèle complet, réalisé sur toute la population d’étude (modèle 1), le modèle 2 ; réalisés
sur les individus en emploi salarié au diagnostic ; et le modèle 3, réalisé uniquement sur les individus
en emploi indépendant au diagnostic. Sont représentés ici uniquement les effets marginaux des variables
statistiquement significatives au seuil de 5 % sur la sortie d’emploi dans au moins un des trois modèles
pour simplifier la lecture et l’interprétation. Les barres non colorées du diagramme correspondent à des
modalités non significatives au seuil de 5 %.
-20 -15 -10 -5 0 5 10 15 20 25
Homme
50-54 ans (vs 40-49 ans)
< baccalauréat ou sans diplôme
Couple sans enfant
Seul sans enfant
Expérience professionnelle - Pour une année
Rémunération au diag - Pour une hausse de 1 000€
Discrimination perçue au travail
Aménagement du poste de travail
Changement de priorité dans la vie depuis le diagnostic
Episode(s) d'évolution péjorative
Séquelles (très) modérées
Séquelles (très) importantes
Fatigue significative
CDI/ Fonctionnaire (vs CDD)
Indépendant (vs salarié)
Effets marginaux (en %)
Modèle 1. Tous (N=1 879) Modèle 2. Salariés (N=1 629) Modèle 3. Indépendants (N=250)
101
Test : le test LR (test du rapport de vraisemblances), réalisé à partir des estimateurs de vraisemblance
de chaque modèle (-2LL), a permis de confirmer l’écart observé entre les deux sous modèles (modèles
2 et 3) et donc la pertinence de cette stratification (Test LR = 38,2 ; p-value = 0,004).
En outre, à la suite du diagnostic du cancer, le recours aux arrêts-maladie (au moins un
mois indemnisé) a été nettement plus fréquent pour les salariés (80,8 % contre seulement
53,4 % pour les non-salariés, p.value < 0,001). Ce dernier résultat a également été observé à
une distance plus courte du diagnostic, soit deux ans après. Il s’inscrit dans le cadre d’une
recherche impliquant plusieurs pays européens (Torp et al., 2018a)56 qui montre que ce moindre
recours des travailleurs indépendants aux arrêts-maladie n’est pas une spécificité française.
Cette motivation souvent contrainte a déjà été relevée dans la littérature (Rubio et al., 2014) et
peut s’expliquer par la spécificité de l’activité d’indépendant. Alors que pour les artisans et
commerçants, les conditions d’indemnisations journalières sont les mêmes que pour les salariés,
pour les professions libérales la cotisation pour des indemnités journalières dans le cadre
d’arrêts-maladie n’est pas obligatoire et donc pas systématique. En outre, quel que soit le
montant de leurs indemnités, si celles-ci ne sont pas cumulées avec une cotisation de
complémentaire santé, elles ne compensent généralement pas la perte de revenus. Or, dans le
système fiscal français, les indépendants doivent également assurer le paiement des charges
calculées sur leur activité de l’année précédente. Ajoutés aux menaces sur la pérennité de
l’activité en l’absence de son dirigeant, ces éléments constituent de lourdes contraintes,
notamment financières, pouvant fortement inciter au maintien dans l’emploi (Ha-Vinh et al.,
2015).
Par ailleurs, l’effet du sexe et les différences entre les catégories socioprofessionnelles
des indépendants mis en évidence dans la littérature (Ha-Vinh et al., 2014) ne se sont pas révélés
significatifs dans la présente étude. Concernant l’effet de sexe, cela s’explique principalement
par le fait que les différences entre hommes et femmes sont en partie attribuables à d’autres
traits caractéristiques (formation, type d’emploi occupé, etc.). Concernant les catégories
socioprofessionnelles, cela peut être lié à une trop faible précision des estimations réalisées, à
cause d’effectifs insuffisants pour certaines catégories de travailleurs indépendants.
56 La présente étude s’inscrit dans le cadre d’une collaboration avec un réseau européen qui a abouti sur
la publication d’un article dans une revue internationale. Pour plus d’information, voici les références
de l’article : Torp S, Paraponaris A, Van Hoof E, Lindbohm ML, Tamminga SJ, Alleaume C, Van
Campenhout N, Sharp L, de Boer AGEM. Work-Related Outcomes in Self-Employed Cancer Survivors:
A European Multi-country Study. J Occup Rehabil. 2018 Jun 26. DOI: 10.1007/s10926-018-9792-8.
102
Par ailleurs, d’autres recherches ont montré que la vulnérabilité accrue de cette population
était liée à une grande porosité entre vies professionnelle et personnelle (Dumas et al., 2014),
mais également à la spécificité de l’organisation de l’activité non salariée (Torp et al., 2018b,
2017). La nature souvent solitaire de l’activité et la faiblesse des droits et obligations de leur
statut social conduisent par conséquent à un sentiment d’isolement du travailleur indépendant
et à une détérioration de sa qualité de vie physique et financière.
Ainsi, le maintien plus fréquent en emploi des travailleurs indépendants n’est pas
nécessairement gage d’une moindre dégradation de la vie professionnelle et l’évolution de la
situation financière notamment, doit également être un indicateur à prendre en compte.
4.4. Des facteurs différents selon les transitions
Les différentes trajectoires professionnelles des personnes en emploi au moment du
diagnostic révèlent des profils individuels contrastés. Modéliser par régression logistique
binomiale les probabilités d’appartenance à une transition spécifique plutôt qu’à celle de
l’« emploi continu » prise en référence a permis d’identifier les différents facteurs associés à
chacune d’elles (tableau 4.3). Le premier résultat est qu’avoir eu au moins un aménagement du
travail à la suite du diagnostic est le seul facteur ayant un effet significatif quelle que soit la
transition observée, à l’exception du changement d’emploi : cela augmente (réduit)
systématiquement les probabilités d’être en (non-) emploi au moment de l’enquête.
Se maintenir dans le même emploi
Comparativement aux personnes ayant suivi une autre transition, le maintien dans le
même emploi s’est révélé significativement associé au caractéristiques suivantes : être âgé de
40 à 49 ans, avoir un niveau d’études au moins équivalent au baccalauréat, avoir au moins un
enfant à charge, être professionnellement en contrat durable au diagnostic, être salarié du
secteur public ou encore travailler en tant qu’agriculteur salarié, et avoir des années
d’expérience dans l’emploi occupé à cette date, augmentent la probabilité de s’être maintenu
dans le même emploi entre le diagnostic et cinq ans après. À ces caractéristiques
sociodémographiques et socioprofessionnelles relatives à la situation initiale observée,
s’ajoutent des éléments survenus après le diagnostic. Par exemple, sur le plan professionnel,
avoir connu au moins un aménagement du travail est positivement et très fortement associé à
un maintien dans le même emploi tandis qu’à l’inverse, le fait d’avoir perçu des attitudes de
103
rejets voire de discriminations au travail y est négativement associé. Enfin, des variables
relatives à l’état de santé initial, les personnes ayant un niveau de comorbidités élevé au
diagnostic ayant une probabilité réduite d’appartenir à cette transition, et à la maladie, la
survenue d’épisode(s) péjoratif(s) du cancer étant fortement négativement associée à la
probabilité d’avoir connu une telle trajectoire demeurent significatives pour expliquer la
transition professionnelle observée entre le diagnostic et cinq ans après.
Occuper à l’enquête un emploi différent du diagnostic
Contrairement aux personnes qui se sont maintenues dans le même emploi, les plus jeunes
ont une probabilité accrue d’avoir changé d’emploi. Professionnellement, le contrat de travail
et l’expérience dans l’emploi occupé sont les deux caractéristiques qui différencient
significativement les personnes ayant changé d’emploi de celles s’étant maintenues dans le
même (la trajectoire interrompue étant favorisée par le manque d’expérience et l’occupation
d’un emploi en contrat temporaire). Enfin, déclarer avoir changé de priorité dans la vie depuis
le diagnostic est également une caractéristique qui augmente la probabilité d’avoir connu la
transition « emploi-autre emploi » plutôt que l’« emploi continu ».
Être au chômage cinq ans après le diagnostic
Contrairement à d’autres transitions, les caractéristiques d’âge et celles relatives à l’état
de santé ou au cancer ne semblent pas être des critères de différenciation des personnes au
chômage par rapport à celles s’étant maintenues dans le même emploi. En revanche, avoir un
niveau d’études inférieur au baccalauréat, occuper au diagnostic un emploi en contrat
temporaire et/ou un emploi dans les secteurs primaires ou secondaires sont significativement
positivement associés à la transition « emploi-chômage » comparativement à la transition de
référence. Inversement, travailler dans le secteur public, avoir des années d’expérience et avoir
eu au moins un aménagement du travail sont des critères négativement associés au fait d’être
au chômage au moment de l’enquête plutôt que dans le même emploi que celui considéré au
diagnostic. Enfin, la perception de rejets ou de discriminations au travail et le fait d’avoir changé
de priorité dans la vie sont positivement associés au fait d’être au chômage plutôt que dans le
même emploi.
104
Avoir transité vers une situation inactive pour invalidité
Comme cela était attendu, les caractéristiques médicales sont fortement associées au fait
d’être en invalidité cinq ans après le diagnostic de cancer. En effet, la présence de comorbidités
initiales, le fait d’avoir eu un cancer traité par chimiothérapie et d’avoir connu au moins un
épisode d’évolution péjorative de la maladie augmentent significativement la probabilité d’être
en invalidité plutôt que s’être maintenu dans le même emploi. En outre, les personnes les plus
âgées et les moins diplômées ont plus de risque d’être en invalidité au moment de l’enquête
plutôt que dans le même emploi qu’au diagnostic. De même, les personnes en contrat
temporaire au diagnostic ont une probabilité majorée de 10 % par rapport aux autres d’être en
invalidité plutôt que dans le même emploi à l’enquête. Le montant de la rémunération
professionnelle au diagnostic est également un critère associé à l’invalidité : plus il est élevé,
plus la probabilité d’être en invalidité plutôt que dans le même emploi est minorée. Enfin, à
l’instar des résultats observés pour la transition vers le chômage, le sentiment d’avoir été
discriminé ou rejeté au travail et le fait d’avoir changé de priorité dans la vie augmentent la
probabilité d’être, au moment de l’enquête, en invalidité plutôt que dans la transition de
référence, tandis que le fait d’avoir connu au moins un aménagement du travail diminue cette
même probabilité.
De l’emploi au diagnostic vers l’inactivité cinq ans après
Les personnes de plus de 50 ans sont les plus « à risque » de connaître une transition vers
l’inactivité (telle que la retraite ou la situation « au foyer ») plutôt qu’une trajectoire continue
dans l’emploi. En outre, la seule caractéristique professionnelle significativement associée à
cette transition est le montant de la rémunération professionnelle au diagnostic : plus celui-ci
est élevé, plus la probabilité d’être inactif plutôt que dans le même emploi est augmentée. En
termes de perception, les résultats sont les mêmes que ceux observés dans les modèles
considérant le chômage et l’invalidité : le sentiment d’avoir été victime de rejets ou de
discriminations au travail et le fait d’avoir changé de priorité dans la vie augmentent
significativement la probabilité d’être en inactivité plutôt que dans le même emploi.
Ainsi, d’après ces premiers résultats, il semble que les personnes ayant les caractéristiques
les plus favorables se maintiennent le plus souvent dans la même activité professionnelle. À
l’inverse, les individus ayant les caractéristiques les moins favorables au diagnostic sont plus
susceptibles de suivre des transitions vers le non-emploi. En complément, le changement de
priorité dans la vie à la suite du diagnostic et le sentiment de rejet voire de discrimination au
105
travail se sont révélés être des facteurs négativement associés à une trajectoire continue
d’emploi et à l’inverse, positivement associés aux transitions de non-emploi. Cette association
entre un sentiment de stigmatisation et une situation de chômage ou d’inactivité peut également
résulter d’une rationalisation a posteriori de l’individu pour expliquer sa transition
professionnelle.
En conclusion de ces modèles, il est intéressant de noter d’une part que les caractéristiques
liées à la maladie ou plus largement à l’état de santé ne sont pas nécessairement en première
ligne pour expliquer la sortie de l’emploi si celle-ci ne se fait pas vers l’invalidité. D’autre part,
le changement d’emploi semble majoritairement résulter d’un changement souhaité par
l’individu, jeune, qui a encore de longues années avant la fin de sa vie professionnelle (il ne
semble pas résulter nécessairement d’une inaptitude professionnelle, les caractéristiques de la
maladie n’étant pas significatives) mais semble plus accessible aux personnes ayant un niveau
d’éducation similaire à celui des personnes qui se sont maintenues dans le même emploi, c’est
à dire au moins équivalent au baccalauréat. De plus, s’il est possible que la réponse à la variable
sur le changement de priorité résulte d’une relativisation a posteriori, il semble, dans cette
optique, plus probable que cette information permette d’expliquer le changement d’emploi.
Tableau 4.3. Facteurs associés au fait d’appartenir à une transition (versus les autres) parmi les
personnes en emploi au diagnostic (effets marginaux en %).
Facteurs associés
Transitions professionnelles
Emploi
continu
Emploi-
autre
emploi
Emploi-
chômage
Emploi-
invalidité
Emploi-
inactivité
Sexe
Homme NS NS NS NS NS
Femme (réf.) 1 1 1 1 1
Âge au diagnostic
18-39 ans -9,7*** 7,6** NS NS NS
40-49 ans (réf.) 1 1 1 1 1
50 ans et plus -6,4* NS NS 6,0*** 4,6***
Niveau d’études
Sans diplôme ou < au baccalauréat -5,0* NS 6,8*** 8,4*** NS
≥ baccalauréat (réf.) 1 1 1 1 1
Statut familial au diagnostic
Aucun enfant à charge (réf.) 1 1 1 1 1
Au moins un enfant à charge 6,1* NS NS -5,3* NS
106
Facteurs associés
Transitions professionnelles
Emploi
continu
Emploi-
autre
emploi
Emploi-
chômage
Emploi-
invalidité
Emploi-
inactivité
Catégorie socioprofessionnelle au diagnostic
Artisan – commerçant –
professions libérales NS NS NS NS
Agriculteur indépendant – Chef
d’entreprise NS NS NS NS
Employé NS NS NS NS NS
Agriculteur salarié 21,5* NS NS NS NS
Professions intermédiaires NS NS NS NS NS
Ouvriers NS NS NS NS NS
Cadres supérieurs (réf.) 1 1 1 1 1
Contrat de travail au diagnostic
Contrat temporaire
(CDD/Saisonnier) -21,1*** 15,5*** 9,6*** 10,2* NS
Contrat durable
(CDI/Fonctionnaire) (réf.) 1 1 1 1 1
Secteur d’emploi au diagnostic
Public 7,9** NS -5,0* NS NS
Privé (réf.) 1 1 1 1 1
Secteur d’activité au diagnostic
Primaire / Secondaire NS NS 4,2* NS NS
Tertiaire (réf.) 1 1 1 1 1
Expérience dans l’emploi occupé au diagnostic (en nombre d’années)
Pour une année en plus 0,5*** -0,5*** -0,4*** NS NS
Rémunération au diagnostic
Pour 1000 € en plus NS NS NS -0,9* 0,5**
A connu au moins un aménagement du poste de travail depuis le diagnostic
Non (réf.) 1 1 1 1 1
Oui 12,2*** NS -7,2*** -16,3*** -4,2***
Discrimination perçue sur le lieu de travail
Non (réf.) 1 1 1 1 1
Oui -8,0* NS 6,2** 6,8** 4,3**
A changé de priorité dans la vie depuis le diagnostic
Non (réf.) 1 1 1 1 1
Oui -12,6*** 7,3** 3,2* 7,0*** 4,7***
107
Facteurs associés Transitions professionnelles
Emploi
continu
Emploi-
autre
emploi
Emploi-
chômage
Emploi-
invalidité
Emploi-
inactivité
Évolution péjorative de la maladie depuis le diagnostic
Non (réf.) 1 1 1 1 1
Oui -9,8*** NS NS 8,1*** NS
Traitement initial par chimiothérapie
Non (réf.) 1 1 1 1 1
Oui NS NS NS 4,9** NS
Score de comorbidité au moment du diagnostic
Pour une augmentation de 1 point -10,2** NS NS 14,1*** NS
***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05 ; NS p-value > 0,05.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 en emploi au moment du diagnostic (N=1 879).
Note : les personnes âgées de moins de 40 ans au moment du diagnostic ont une probabilité minorée de
9,7 % par rapport aux 40-49 ans de connaître une trajectoire continue d’emploi.
Analyses : régressions logistiques binomiales non pondérées. Chaque transition est comparée à la
première « emploi continu », prise en référence, à l’exception de la régression modélisant la probabilité
d’appartenir à cette transition « emploi continu » pour laquelle la population de référence correspond à
l’agrégation des autres. Sont présentés ici les effets marginaux.
108
4.5. Synthèse des résultats et conclusion
Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :
- Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel
P. Chronic neuropathic pain negatively associated with employment retention of
cancer survivors: evidence from a national French survey. J Cancer Surviv. 2018
Feb;12(1):115-126. doi: 10.1007/s11764-017-0650-z. Epub 2017 Oct 4 (article
publié).
- Alleaume C, Bousquet P-J, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P, Bendiane M-K. La
reprise d’activité cinq ans après un diagnostic de cancer. La Revue du Praticien.
2019 Avril n°69 :449-453.
- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V,
Vernay P. Situation professionnelle cinq ans après un diagnostic de cancer. La vie
Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :
- Cinq ans après le diagnostic d’un cancer…
- …la situation professionnelle est dégradée par rapport au diagnostic :
le taux d’activité et le taux d’emploi ont diminué, tandis que le taux de
chômage et le taux d’invalidité ont augmenté sur la même période ;
- …une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est
plus, les plus concernées étant les plus vulnérables, c’est-à-dire les
personnes ayant les caractéristiques socioprofessionnelles les moins
favorables sur le marché du travail mais aussi celles ayant les
caractéristiques médicales témoignant d’une santé altérée par le cancer ;
- …si quatre personnes sur cinq sont toujours dans l’emploi, parmi elles,
les taux d’emplois réduits et de changements d’emploi sont
importants ;
- …les travailleurs indépendants se distinguent des travailleurs
salariés par des taux d’emploi plus élevés mais également des taux de
recours aux arrêts-maladie particulièrement faibles ce qui interroge sur
la précarité de leur situation.
109
cinq ans après un diagnostic de cancer (Ch11). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-
37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).
- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.
Trajectoires professionnelles après un diagnostic de cancer (Ch12). INCa, juin
2018. Issn : 978-2-37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).
- Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.
Recours aux arrêts-maladie et au temps partiel thérapeutique après un diagnostic
de cancer (Ch13). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-382-5 (chapitre d’ouvrage
publié).
- Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données
des études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie
professionnelle & ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer
(communication orale).
▪ Cette présentation a été adaptée la même année pour deux autres
communications orales invitées : Journée Prévention de la Désinsertion
Professionnelle (PDP) à la CARSAT Sud-Est et Journée de l’Axe 5 du
Cancéropôle Nord-Ouest « Cancers, Individu et Société ».
- Colloque du Cancéropôle PACA 2016. Alleaume C, Bouhnik A-D, Rey D,
Bendiane M-K, Peretti-Watel P. Impact of the disease on job retention among
cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the French VICAN
Survey (teasing poster).
- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2016. Alleaume C,
Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Factors affecting
job retention amongst cancer survivors five years after diagnosis: evidence from
the French VICAN survey (discussion poster).
- World Cancer Congress 2016. Alleaume C, Davin B, Bouhnik A-D, Bendiane M-
K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Impact of working time reduction on job
retention among cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the
French VICAN Survey (E-poster).
- 8ème Colloque du Cancéropôle PACA 2017. Alleaume C, Bendiane M-K,
Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P. Impact des Douleurs
Neuropathiques Chroniques (DNC) sur le maintien en emploi après un diagnostic
de cancer (poster).
110
Ainsi, ce premier chapitre de la deuxième partie a montré que la question du retour au
travail et du maintien en emploi après un diagnostic de cancer est une problématique avant tout
sociale qui reflète des inégalités sociales préexistantes et en révèle d’autres. Des profils
spécifiques de vulnérabilité ont pu être identifiés parmi lesquels les personnes atteintes de
maladies entraînant des séquelles parfois invalidantes et sous-diagnostiquées, les travailleurs
indépendants pour qui le faible taux de recours aux arrêts-maladie interroge sur leur qualité de
vie au travail, ainsi que les personnes disposant d’un niveau d’études peu élevé pour qui la
probabilité de sortir de l’emploi est plus importante que la moyenne. De plus, des différences
de sexe ont également été repérées à plusieurs reprises dans ce chapitre avec notamment un
maintien en emploi plus fréquent chez les femmes. Par ailleurs, l’analyse spécifique des
différentes transitions professionnelles effectuées entre le diagnostic et cinq ans après a mis en
lumière différents résultats dont notamment, le fait que les personnes ayant un niveau de salaire
élevé au moment du diagnostic ont une probabilité accrue d’être inactives à l’enquête. Ce
constat interroge quant aux préférences individuelles vis-à-vis de la poursuite de l’activité
professionnelle mais également au sujet du confort financier des différentes situations :
l’inactivité serait-elle une situation préférable à l’emploi mais dont le choix serait offert aux
plus aisés uniquement ? En ce sens, l’évolution de la situation financière entre le diagnostic et
cinq ans après pourrait nous apporter un éclairage supplémentaire sur la poursuite de la vie
professionnelle après un diagnostic de cancer. C’est l’objet du chapitre suivant.
111
Chapitre 5. Précarisation financière après le diagnostic : un effet
« double-peine » pour les personnes vulnérables
Les résultats exposés précédemment ont montré qu’une part importante des personnes en
emploi au moment du diagnostic de cancer ont, cinq ans plus tard, quitté l’emploi ou réduit leur
temps de travail. Considérant que l’activité professionnelle constitue la première source de
revenus de la plupart des ménages, la réduction et, a fortiori, la perte de cette activité, peuvent
générer une perte financière considérable en l’absence de compensation. Ce constat nous amène
à interroger l’évolution des revenus des ménages dans lesquels un individu est atteint de cancer.
A l’instar du chapitre 4, celui-ci s’appuie sur les données recueillies lors de l’enquête nationale
VICAN5, qui nous permettent d’explorer la situation financière des personnes à un horizon de
cinq années du diagnostic, au regard de l’évolution de leur situation professionnelle. Pour cela,
nous proposons, dans ce chapitre, de présenter une revue de littérature sur cette question dans
laquelle, nous le verrons, la participation française fait défaut. L’étude de l’évolution de la
situation financière des personnes atteintes de cancer à partir de l’exploitation de l’enquête
quantitative VICAN5 sera ensuite exposée. Enfin, un troisième point portera spécifiquement
sur l’analyse des informations portant sur la perception individuelle de l’évolution des revenus
du ménage après un diagnostic de cancer.
5.1. Revue de littérature
5.2.1. Un sujet peu documenté en France
Sur la thématique de la santé financière des personnes atteintes d’un cancer, la littérature
scientifique française paraît peu documentée. À l’international en revanche, des études ont
montré que les personnes atteintes de cancer sont plus susceptibles de déclarer des difficultés
financières par rapport à la population générale. Après le diagnostic, une diminution des
revenus professionnels annuels a été observée dans différents pays. Celle-ci a été estimée entre
7 % pour la Norvège (Syse et Tønnessen, 2012) et jusqu’à 40 % aux Etats-Unis (Zajacova et
al., 2015). Plus récemment, une étude canadienne (Jeon, 2017) a mis en évidence, par
l’observation d’un groupe contrôle composé de personnes ayant des caractéristiques socio-
professionnelles semblables à celles étudiées et n’ayant jamais été diagnostiquées d’un cancer,
que les revenus des personnes atteintes avaient diminué de 10 % au cours des trois années
suivant le diagnostic et que cette diminution était socialement différenciée. Plus précisément,
112
le niveau d’éducation s’est trouvé être le facteur le plus souvent associé à une diminution des
revenus après un diagnostic de cancer (Jeon, 2017; Mehnert, 2011; Syse et al., 2008; Syse et
Tønnessen, 2012).
Par ailleurs, les différences interpays s’expliquent principalement par le régime
d’assurance sociale en vigueur. En France, l’enregistrement du cancer parmi les affections de
longue durée (ALD) permet l’exonération du ticket modérateur et ainsi la suppression des frais
de santé associés au traitement de la maladie. Du dépistage à l’accompagnement thérapeutique,
ainsi que des frais de transport, la quasi-totalité des dépenses sont prises en charge par
l’Assurance maladie sans que cela ne nécessite une avance des frais par la personne concernée.
Malgré la subsistance de restes à charge liés notamment aux dépassements d’honoraires, à la
consommation de soins de confort et aux frais engendrés par certains produits non entièrement
remboursés par l’Assurance maladie, le principal impact financier du cancer semble plus
indirect. En effet, les résultats de l’enquête VICAN2 (INCa, 2014) ont souligné la précarisation
des individus ayant réduit, voire arrêté, leur activité professionnelle initiale deux ans après le
diagnostic.
5.2.2. Précarité financière et vulnérabilité sociale : mobilisation de la
théorie des causes fondamentales
Pour expliquer les corrélations persistantes entre le statut socioéconomique et les taux de
mortalité, les sociologues Link et Phelan proposent de considérer cet indicateur comme une
« cause fondamentale » des disparités en santé dans le monde (Link et Phelan, 1995; Phelan et
al., 2004). Ainsi, quel que soit le contexte socioéconomique du pays étudié ou la période
historique dans laquelle se place l’observation, la théorie des causes fondamentales
(« fundamental cause theory ») suggère de systématiquement tenir compte du statut
socioéconomique des individus ou des groupes étudiés. Le postulat associé est que la
persistance de ces disparités socioéconomiques en dépit de la diversité des contextes observés,
tient principalement d’un « réseau de ressources » telles que « l’argent, le savoir, le prestige, le
pouvoir, des liens sociaux bénéfiques, qui protègent la santé » comme l’explique la sociologue
Debra Umberson (Annandale et al., 2013). Ainsi, à l’instar de ce que le sociologue Pierre
Bourdieu appelle le « capital »57, les individus sont pourvus de ressources inégales, dépendantes
57 En effet, dans cette liste on peut associer l’argent au capital économique, le savoir au capital culturel,
les liens sociaux bénéfiques au capital social et le pouvoir au capital symbolique.
113
de leur statut socioéconomique, qui les protègent ou à l’inverse les exposent à des risques
sanitaires.
Dans la lignée de cette théorie des causes fondamentales, des études ont mis en évidence
une importante corrélation entre les difficultés économiques des individus atteints de cancer et
la dégradation de leur qualité de vie (Fenn et al., 2014; Short et Mallonee, 2006; Timmons et
al., 2013), ce qui constituerait pour eux une double-peine. En effet, un statut socioéconomique
peu élevé apparaît comme un facteur de développement de stratégies d’adaptation (« coping
strategies ») peu appropriées, par exemple dans le cas de douleurs chroniques, vecteur
d’inégalités de santé (Barbareschi et al., 2008; Roth et Geisser, 2002). Ces stratégies
d’adaptation désignent « l'ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à
maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les
ressources de l'individu » (Lazarus et Folkman, 1984). Conceptualisées dans le domaine de la
psychanalyse puis de la psychologie, ces stratégies ont un rôle modérateur de l’effet délétère du
stress sur la santé (Koleck et al., 2003). Cet effet a également été retrouvé dans l’analyse
spécifique du retour au travail après un diagnostic de cancer (Eberl-Marty, 2013).
Dans la lignée de ces recherches, ce chapitre58 vise à explorer l’évolution des revenus
entre le moment du diagnostic de cancer et cinq ans après. Pour ce faire, il repose sur l’analyse
de l’enquête VICAN5. Fondées sur la revue de littérature exposée précédemment, les
hypothèses investiguées sont les suivantes :
- H5.1. La persistance des effets néfastes du cancer et des séquelles, consécutives à la
maladie et aux traitements, sur la vie professionnelle de certaines personnes cinq ans
après le diagnostic présage une durabilité des difficultés financières rencontrées par
celles-ci. Les personnes sorties de l’emploi ou ayant réduit leur temps de travail
feraient alors face à une diminution de leurs revenus.
- H5.2. La théorie des causes fondamentales (Link et Phelan 1995), largement
mobilisée dans la littérature en sciences sociales pour montrer la constante association
entre facteurs socioéconomiques et inégalités de santé, nous amène à formuler
l’hypothèse selon laquelle la vulnérabilité sociale prédisposerait les individus à un
impact négatif de la maladie sur leur situation financière.
58 Cette étude s’appuie sur des travaux ayant fait l’objet de trois types de valorisation scientifique : un
article soumis à une revue internationale (tiré-à-part n°3), un chapitre d’ouvrage et une présentation
orale en colloque international.
114
- H5.3. En revanche, pour les personnes ayant maintenu une même durée de travail,
cette étude présume qu’aucune diminution significative de revenus ne devrait être
observée.
5.2. Evolution de la situation financière à cinq ans du diagnostic
5.2.1. Défis méthodologiques dans la considération des données
financières et résultats descriptifs.
Traitement des données manquantes et des données partielles
Pour répondre aux hypothèses formulées précédemment, il nous a fallu dans un premier
temps faire face à deux défis méthodologiques : la prise en compte des données manquantes et
celle des données partielles. En effet, parmi les 4 174 personnes interrogées, 576 personnes
présentaient des données manquantes concernant leur situation financière, et plus précisément
le montant de leurs revenus ; soit 13,8 % des personnes interrogées n’ont pas souhaité, ou n’ont
pas su, renseigner ces informations en ne répondant pas à l’une des questions d’intérêt
présentées en figure 5.1. Respectivement 11,1 % et 9,6 % n’ont pas répondu à ces questions
renseignant sur leur situation financière au diagnostic et à l’enquête. Si la proportion de non-
réponse semble élevée, elle est concordante avec la littérature selon laquelle la part de non-
réponse aux questions portant sur les revenus varie entre 4,6 % et 23,9 % selon le sujet de
l’enquête. Pour pallier ces difficultés, les investigateurs utilisent généralement une question
catégorielle comme cela a été fait dans VICAN5 (Little et Rubin, 1987; O’Prey, 2008).
Figure 5.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur les revenus du foyer
au diagnostic et cinq ans après.
Au diagnostic :
115
Cinq ans après :
En outre, les individus qui n’ont pas répondu à ces questions présentent des
caractéristiques sociodémographiques spécifiques. En effet, les hommes sont davantage non-
répondants que les femmes (16,9 % d’hommes n’ont pas répondu contre 11,9 % de femmes),
de même que les personnes âgées de 50 ans et plus (17,5 % d’entre elles n’ont pas répondu
contre seulement 8,8 % des 40-49 ans et 6,1 % des moins de 40 ans). Les personnes seules et
celles qui travaillaient au diagnostic ont été moins répondantes : 23,2 % des personnes seules
contre 9,2 % des personnes en couple et 19,2 % des personnes en emploi contre 9,2 % de celles
qui ne travaillaient pas au diagnostic. En conséquence, les analyses réalisées sur l’évolution des
revenus doivent tenir compte de la spécificité des non-répondants. Néanmoins, en l’absence de
données plus précises permettant d’estimer ces revenus, aucune imputation n’a été réalisée sur
cette population. Leurs caractéristiques ont donc été prises en compte dans les facteurs
d’ajustement des modèles à partir d’une méthode qui sera décrite plus tard dans ce chapitre,
lors de la présentation des résultats (pour la méthode, voir encadré 5.2 sur le modèle
d’Heckman).
Par ailleurs, parmi les 3 598 répondants, 26,4 % ont fourni une information partielle de
leurs revenus en répondant uniquement à la question catégorielle (et non à la question ouverte),
que ce soit pour la situation au diagnostic ou celle à l’enquête. Le revenu exact de ces individus
a ainsi été estimé à l’aide de la méthode de l’imputation multiple sur échantillons simulés (voir
encadré 5.1).
116
Encadré 5.1. Méthode de prise en compte des réponses partielles sur les revenus :
imputation multiple et « bootstrap »
L’objectif de ce travail étant de mesurer la part d’individus ayant connu une variation de
leurs revenus entre le diagnostic et l’enquête, seuls des montants exacts de revenus pouvaient
être exploités. Aussi, pour prendre en compte les réponses partielles (en tranches de revenus),
nous avons utilisé une méthode combinant imputation multiple et estimation par bootstrap
(Little et Rubin, 1987; Rubin, 2004; Schomaker et Heumann, 2018). Ainsi, pour chaque tranche
de revenu, nous avons réalisé une régression linéaire afin d’estimer, pour les personnes ayant
renseigné le montant exact de leur revenu exclusivement, les montants moyens des revenus en
fonction de caractéristiques individuelles (sexe, âge, situation familiale, niveau d’études,
situation de logement, situation professionnelle) et sociales (zone de résidence, IDS). Cent
régressions ont été réalisées sur cent échantillons simulés à partir du groupe des répondants,
pour chaque tranche de revenus. Cette multiplication des estimations avait pour objectif de
diminuer le « bruit statistique » (les marges d’erreur) lié à l’imputation (Rubin, 2004). La
moyenne de ces estimateurs a été identifiée pour chaque caractéristique explicative et celle-ci
a ensuite été imputée aux individus ayant ces mêmes caractéristiques dans le groupe des
répondants partiels en fonction de leur tranche de revenu déclarée.
Les variables intégrées dans la régression linéaire expliquant le revenu pour chaque
tranche déclarée sont les suivantes : le sexe, l’âge, l’IDS, la situation familiale, le nombre de
personnes dans le foyer, la situation de logement, la zone de résidence, le niveau d’études, la
situation professionnelle, le type d’allocation perçue et l’aisance financière ressentie. Celles-ci
diffèrent légèrement en fonction des tranches étudiées. Par exemple, la variable renseignant sur
la perception du RSA n’a été incluse que dans les modélisations effectuées pour les tranches de
revenu les plus modestes. De plus, pour le montant du revenu estimé au moment de l’enquête,
le montant du revenu perçu au moment du diagnostic a été ajouté à l’équation.
Enfin, des analyses de sensibilité ont été conduites afin de contrôler la robustesse des
estimations. Pour cela, la distribution des montants exacts des revenus post-estimation du
groupe des répondants partiels a été comparée à celle du groupe des répondants.
117
Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu une
diminution de ses ressources
Au moment du diagnostic, la situation financière était légèrement inférieure à celle
observée en population générale la même année : le revenu médian disponible par individu au
sein des ménages des personnes atteintes d’un cancer était de 1 400 € par mois contre 1 610 €
estimés en population générale par l’Insee59. D’un point de vue méthodologique, une variation
de plus (ou moins) 10 % entre les revenus déclarés au moment du diagnostic et ceux déclarés
au moment de l’enquête, a été considérée comme significative d’une augmentation (ou
diminution). Au deçà de ces 10 %, les montants déclarés ont été considérés semblables. Cette
proportion a été subjectivement choisie de manière à, d’une part, limiter les biais de
mémorisation et, d’autre part, prendre en compte l’inflation économique estimée autour de 2 %
par an en France (Insee, 2018). Ainsi, cinq ans après le diagnostic, un quart des personnes
interrogées (26,4 %) a connu une diminution des revenus mensuels totaux du foyer tandis que
trois sur dix (30,2 %) ont connu une augmentation et enfin, quatre personnes sur dix (43,5 %)
ont gardé des revenus stables. Rapporté à l’unité de consommation, 20,5 % ont déclaré au
moment de l’enquête des revenus par unité de consommation (RUC) au moins 10 % inférieurs
à ceux perçus au diagnostic, près de la moitié des personnes a eu une augmentation (46,7 %) et
le tiers restant (32,7 %) n’a eu aucun changement. Les personnes les plus concernées par une
telle diminution sont celles ayant connu une sortie de l’emploi en général et, en particulier,
étant, au moment de l’enquête, en situation de chômage ou d’inactivité professionnelle. Plus
précisément, considérant à présent les transitions professionnelles, la proportion de personnes
ayant connu une diminution est particulièrement importante chez celles étant passées d’une
situation d’emploi à une situation d’inactivité hors retraite ou invalidité (au foyer), parmi
lesquelles 71,3 % ont connu une baisse, suivies des personnes initialement en emploi puis à la
retraite au moment de l’enquête (prévalence d’une diminution des revenus de 44,2 %) ou au
chômage (parmi lesquelles 41,6 % ont eu une baisse). De plus, la diminution de revenus a
également concerné 36,4 % des personnes en emploi ayant transité vers de l’inactivité pour
invalidité, 23,8 % de celles ayant changé d’emploi ou d’employeur, 17,6 % de celles s’étant
maintenues en emploi et enfin 12,1 % des personnes s’étant maintenues en situation d’inactivité
(retraite ou au foyer). En revanche, celles ayant changé d’emploi et celles qui se sont maintenues
59 Insee, Les niveaux de vie en 2010, Carine Burricand, Cédric Houdré, Eric Seguin, division Revenus
et patrimoine des ménages, cf. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283651, consulté le 4 juillet 2019.
118
dans la même activité sont également nombreuses (respectivement 50,3 % et 52,3 %) à avoir
eu une augmentation.
Conformément aux études réalisées précédemment vis-à-vis des facteurs associés à une
sortie de l’emploi, les personnes les plus négativement impactées financièrement cinq ans après
un diagnostic de cancer sont celles âgées entre 51 et 62 ans, conservant des séquelles
importantes voire très importantes de la maladie et/ou de sa prise en charge. S’ajoutent
également les personnes ayant connu une séparation matrimoniale, les professionnels
indépendants artisans, commerçants et chefs d’entreprise et les personnes ayant un RUC élevé
par rapport à la moyenne de la population au moment du diagnostic. Pour les personnes toujours
en situation d’emploi au moment de l’enquête ayant réduit leur temps de travail, cette réduction
s’est avérée significativement associée à une diminution des revenus du travail ainsi qu’à une
diminution du RUC. Ces résultats confirment la première hypothèse selon laquelle les
personnes les plus impactées dans leur activité professionnelle (impact se traduisant par une
sortie de l’emploi ou une réduction du temps de travail) sont également les plus sujettes à une
diminution de leurs revenus. Néanmoins, ces premiers résultats descriptifs montrent également
une situation moins attendue qui infirme l’hypothèse 5.3 : les personnes qui se sont maintenues
en situation professionnelle a priori favorable, toujours en emploi cinq ans après le diagnostic,
ont également (à 17,6 %) connu une diminution de leur revenu disponible par individu. Dans la
suite de notre recherche, nous nous intéressons ainsi spécifiquement à ces individus, ayant
connu une détérioration de leur situation financière alors même que leur situation
professionnelle semble avoir été préservée.
5.2.2. Une diminution qui s’observe également chez les personnes qui se
sont maintenues en emploi
Revenu disponible par individu et revenu du travail : des stratégies de compensation ?
Parmi les personnes en emploi au diagnostic et cinq ans plus tard, une diminution
significative des revenus individuels disponibles a été observée pour 17,6 % d’entre elles. Plus
spécifiquement, elles sont 23,5 % à avoir connu une baisse de leurs revenus du travail. L’écart
ici observé suggère un rééquilibre dans l’apport de revenus dans le foyer, puisque 5,9 % des
individus ont connu une baisse des revenus du travail sans que celle-ci n’entraîne une baisse
des revenus par UC de leur foyer. Cette compensation peut-être le fruit de contributions des
membres du foyer (par exemple le conjoint qui augmente son temps de travail pour compenser
la baisse) ou bien l’objet d’un apport supplémentaire, qu’il s’agisse de pensions (familiales ou
119
individuelles telles que des pensions complémentaires d’invalidité par exemple) ou d’apports
d’autres natures (immobilier etc.). L’absence de données sur ces questions ne nous permet pas
d’analyser davantage ces éventuels éléments de compensation.
Pour les personnes ayant connu une baisse des revenus du travail, la réduction du temps
de travail en est la principale explication. Fortement associée à des caractéristiques de la
maladie, telles que le pronostic du cancer, le fait d’avoir été traité par chimiothérapie ou
éprouver de la fatigue, la réduction du nombre d’heures travaillées constitue le levier le plus
fréquemment utilisé lors de la reprise de l’activité professionnelle afin de tenir compte des
capacités physiques et intellectuelles réduites à la suite des séquelles de la maladie et de ses
traitements. Cependant, cette réduction ne suffit pas à expliquer la totalité de la baisse de
revenus observée. Les travailleurs indépendants au moment du diagnostic sont également plus
nombreux que les salariés à avoir déclaré des revenus professionnels et des revenus du foyer
diminués par rapport au moment du diagnostic (34 % versus 23 % pour les revenus
professionnels et 42 % versus 32 % pour les revenus du foyer rapportés à l’unité de
consommation) sans baisse du temps de travail. Ceci peut notamment s’expliquer par le
fonctionnement de l’activité non salariée qui nécessite de répondre aux demandes d’une
clientèle régulière, pouvant se tourner vers un autre professionnel en l’absence du travailleur
malade. En effet, pour les indépendants, la réduction de l’activité de l’entreprise n’a pas
nécessairement pour conséquence une réduction de leur temps de travail. Il est par exemple
possible de supposer que, face à la nécessité de réduire son effectif (en licenciant un salarié)
pour pallier le manque financier, le travailleur indépendant doive compenser la charge de travail
perdue, sans se rémunérer davantage. Pour les salariés, le changement d’entreprise et/ou
d’emploi s’est souvent accompagné d’une diminution des revenus, les personnes concernées (à
la suite d’un départ volontaire ou non) retrouvant dans un quart des cas un emploi moins
rémunéré.
Facteurs associés à une diminution du revenu disponible par individu
Afin d’approfondir davantage ces corrélations envisagées de manière descriptive, nous
avons exploré les facteurs associés à une baisse du revenu disponible par individu entre le
diagnostic et l’enquête, s’agissant uniquement des individus en emploi aux deux dates. L’intérêt
de cette analyse est de dépasser l’étude réalisée dans le chapitre précédent des facteurs associés
à la sortie de l’emploi, première cause de baisse des revenus, afin de comprendre ce qui
influence la diminution des revenus pour les personnes n’étant pas sorties de l’emploi.
120
A partir des résultats des analyses descriptives, nous avons, dans un premier temps, fait
l’hypothèse d’une relation d’endogénéité entre la réduction du temps de travail et la baisse du
revenu disponible par individu60 : la baisse du temps de travail entraînerait une baisse de la
rémunération fixe et ainsi une baisse systématique du revenu disponible. Cette relation
tautologique impliquerait un phénomène d’hétérogénéité inobservée qui biaiserait les
estimations. Nous avons ainsi modélisé la diminution des revenus en tenant compte de cette
endogénéité par la méthode des variables instrumentales. Pour cela, nous avons utilisé un
modèle à variable dépendante qualitative à deux équations : un modèle probit bivarié récursif.
La première équation vise à expliquer la probabilité d’occuper un emploi (différent ou non) à
temps de travail réduit par rapport à celui occupé au diagnostic. La seconde équation porte sur
la probabilité d’avoir un revenu disponible diminué par rapport au diagnostic. Les variables
explicatives de chacune des deux équations ne sont pas communes61. Nous supposons ainsi que
les termes d’erreurs des deux équations suivent une loi normale bivariée. La variable
dépendante de la première équation est incluse comme variable explicative dans la seconde
(modèle récursif). Cependant, cette analyse ne s’est pas avérée statistiquement pertinente
(indicateur non significatif : p.value du rho > 0,05) et seule l’équation de probit simple fut
finalement retenue.
De plus, comme expliqué précédemment, la réponse aux variables d’intérêt (montants des
revenus au diagnostic et cinq ans après) s’est révélée discriminante dans la mesure où 13,8 %
de l’ensemble des enquêtés, et plus spécifiquement 9,4 % des personnes en emploi aux temps
d’observation, n’ont pas renseigné les informations nécessaires. Afin de prendre en compte cet
60 Une relation d’endogénéité correspond à une forte corrélation entre une variable explicative (en
l’occurrence la réduction du temps de travail) d’un modèle et le terme d’erreur du modèle, qui violerait
l’hypothèse d’indépendance (ou orthogonalité). 61 La première équation modélise la probabilité d’avoir réduit son temps de travail d’au moins 4h par
semaine à partir des variables suivantes : l’interaction entre le sexe et la localisation du cancer agrégée
selon son caractère sexué, l’âge, le statut matrimonial, le fait d’avoir au moins un enfant à charge, le
milieu de résidence, la catégorie socioprofessionnelle, le fait d’avoir changé d’emploi et/ou
d’employeur, le score de comorbidité initial (au diagnostic), avoir reçu un traitement par chimiothérapie,
avoir connu au moins un épisode d’évolution péjorative du cancer et la durée du premier arrêt-maladie.
La seconde équation modélise quant à elle la variable dépendante qui nous intéresse ici, la probabilité
d’avoir eu une diminution de son revenu mensuel disponible, à partir des caractéristiques suivantes : le
fait d’occuper un emploi à temps de travail réduit à l’enquête, la variable d’interaction entre le sexe et
la localisation du cancer agrégée selon son caractère sexué, l’âge, le statut matrimonial, le fait d’avoir
au moins un enfant à charge, le milieu de résidence, les conditions de logement au diagnostic (locataire,
hébergé ou propriétaire), le statut professionnel au diagnostic (indépendant ou salarié), le niveau de
revenu disponible au diagnostic, le fait d’avoir changé d’emploi et/ou d’employeur et la durée du
premier arrêt-maladie.
121
effet de sélection dans nos analyses et ainsi limiter le biais induit, nous avons modélisé
l’équation probit de diminution des revenus en deux étapes selon la procédure d’Heckman
présentée dans l’encadré 5.2 ci-après. En résultat, la correction du biais de sélection s’est avérée
pertinente, la réponse aux variables d’intérêt ayant fait l’objet d’une sélection négative. La
figure 5.2 présente les principaux résultats (significatifs) des modèles avec et sans prise en
compte de l’effet de sélection selon Heckman62.
Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (1979)
Les individus n’ayant pas renseigné les informations nécessaires à la construction de
l’indicateur principal de cette étude (le montant des revenus, que ce soit au diagnostic ou au
moment de l’enquête) présentent des caractéristiques dont la répartition n’est pas aléatoire. Cet
effet de sélection des individus dans leur déclaration des revenus peut entraîner un biais dans
l’analyse des facteurs associés au fait d’avoir eu une baisse de revenus. En effet, répondre à des
questions sur les revenus peut relever d’un choix qui peut être corrélé à la variation de revenus
(on peut supposer que certaines personnes souhaitent cacher leur confort ou à l’inverse leur
inconfort financier par désirabilité sociale ou encore qu’il leur est difficile de répondre du fait
de la part variable de leurs revenus comme c’est quelques fois le cas de certains travailleurs
indépendants ou intérimaires etc.). Nous avons donc cherché à corriger ce biais. Pour cela, nous
avons mobilisé la méthode du modèle d’Heckman (Heckman, 1979) et avons ainsi estimé ce
biais potentiel dans une équation probit réalisée en deux étapes avec l’équation principale visant
à identifier les facteurs associés à la diminution de revenus. L’intérêt de ce modèle est
d’intégrer, dans le calcul des estimateurs de la seconde équation, le biais estimé dans la première
en procédant en deux étapes. Ainsi, soit (2) le modèle de diminution des revenus entre le
diagnostic et l’enquête, celui-ci n’est observable que lorsque w, l’indicatrice de réponse aux
questions d’intérêt, est égal à 1. La première équation, celle de sélection, s’écrit donc telle que :
(1) wi = Zi α + ui avec wi = { 0 𝑠𝑖 𝑤∗ ≤ 0 1 𝑠𝑖 𝑤∗ > 0
.
Zi correspond ici aux variables indépendantes de coefficients α et ui est le terme d’erreur
suivant une loi normale.
62 Pour une présentation de la totalité des résultats, voir le tableau 2 de l’article « Inequality in income
change among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French national
survey. » disponible en tiré à part (n°3).
122
Encadré 5.2. Prise en compte des données manquantes : le modèle d’Heckman (1979)
(suite).
La seconde équation de régression prend alors la forme suivante :
(2) y1i = Xiβ + βλ��i+ ei + βλ(��i - λi)
= Xiβ + βλ��i+ ei*
= [Xi ��i] [β
βλ] + ei
*
= Xi*β*+ ei
*.
λi et ��i représentent ici respectivement le ratio de Mills et l’inverse du ratio de Mills,
prenant tous deux en compte dans leur calcul Zi et α définis ci-dessus. Xi correspond aux
variables indépendantes de coefficients β et ei est le terme d’erreur suivant une loi normale. Il
est à noter que ceci suppose que les termes d’erreurs des deux équations sont indépendants
(Heckman, 1979; Protopopescu et al., 2009).
Dans notre cas d’analyse, les variables indépendantes Zi de la première équation incluent
des informations sociodémographiques (le genre, l’âge, le statut matrimonial, la présence
d’enfant(s) à charge et le niveau d’éducation), des informations relatives à l’emploi occupé au
diagnostic (statut professionnel salarié ou indépendant, catégorie socioprofessionnelle
agrégée), une information subjective portant sur la perception de son confort financier et enfin
des informations relatives à la santé (l’évolution du cancer et la présence de comorbidités). De
plus, l’échantillon d’appartenance (principal ou complémentaire) a également été intégré dans
l’équation de sélection afin de contrôler le délai écoulé entre le diagnostic et l’année de réponse
(les individus de l’échantillon principal ayant répondu en 2012 et ceux de l’échantillon
complémentaire en 2016). L’hypothèse est que les personnes ayant été interrogées cinq ans
après sur leurs revenus perçus au diagnostic (échantillon complémentaire) présentaient un
risque plus élevé de ne pas répondre en raison du biais de mémoire, par rapport aux personnes
ayant été interrogées deux ans après le diagnostic.
Enfin, l’analyse du coefficient correspondant à l’inverse du ratio de Mills permet, dans le
cas où celui-ci serait significativement différent de 0, de conclure à une sélection positive
lorsque le coefficient est positif, et à une sélection négative dans le cas contraire. Cela signifie
que sans la correction du biais par la méthode d’Heckman en deux étapes, les coefficients β
auraient été surestimés ou, à l’inverse, sous-estimés selon que le coefficient soit respectivement
positif ou négatif. En l’occurrence, nos résultats auraient été sous-estimés.
123
Figure 5.2. Facteurs associés à la probabilité de connaître une diminution des revenus
disponibles par individu.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 de moins de 55 ans, en emploi au moment du diagnostic et
cinq ans après (N=1 636).
Lecture : par rapport aux personnes âgées de 50 ans et plus, les personnes âgées de moins de 40 ans au
moment du diagnostic de cancer ont, toutes choses égales par ailleurs, une probabilité minorée d’avoir
connu une diminution de leur revenu cinq ans plus tard. Cette association n’est significative qu’après
prise en compte de l’effet de sélection lié à la non-réponse.
Analyses : modèles de régressions probit binomiales. Ce graphique donne les résultats de deux modèles :
le premier modèle, réalisé uniquement sur la population ayant répondu au moins partiellement aux
questions portant sur les revenus perçus au diagnostic et à l’enquête (modèle 1), et le second modèle,
réalisé sur l’ensemble de la population d’étude prenant en compte les non-répondants dans une première
équation de sélection par la méthode d’Heckman (modèle 2). Sont représentés ici uniquement les
coefficients estimés des variables statistiquement significatives au seuil de 5 % sur la diminution de
revenu dans au moins un des deux modèles, pour simplifier la lecture et l’interprétation. Les barres non
colorées du diagramme correspondent à des modalités non significatives au seuil de 5 %.
-2 -1,5 -1 -0,5 0 0,5 1
Homme
< 40 ans (vs 50 ans et plus)
En couple
Enfant(s) à charge
Baisse de l'UC
Niveau d'étude < bac
Locataire de son logement
Zone rurale
CSP Artisan, commerçant (vs cadre sup)
Travail à temps partiel
Niveau de revenus faible
Niveau de revenus intermédiaire
Changement d'emploi
Réduction du temps de travail
Durée de l'arrêt maladie (pour 1 semestre)
Traitement initial par chimiothérapie
Episode(s) d'évolution péjorative
Coefficients estimés
Modèle 1. Probit simple sans sélection (N=1 483) Modèle 2. Probit avec selection Heckman (N=1 636)
124
Ainsi, après prise en compte de l’effet de sélection et ajustement sur différentes
caractéristiques individuelles, sociales et médicales, on observe que les femmes présentent un
risque accru de connaître une diminution de leur revenu disponible entre le moment du
diagnostic et cinq ans après par rapport aux hommes, et cela, qu’elles aient été ou non
diagnostiquées d’un cancer sexué. Des analyses complémentaires stratifiées sur le genre
permettent d’ajouter à l’analyse de la différence femmes-hommes que l’effet de la situation
matrimoniale est genré. En effet, dans ces analyses (dont les résultats ne sont pas présentés ici
par soucis de concision), l’effet négatif du fait d’être en couple plutôt que seule sur la probabilité
de connaître une diminution de revenus s’est révélé significatif uniquement dans le modèle
réalisé chez les femmes. Les femmes seules au moment de l’enquête avaient donc une
probabilité majorée de connaître une diminution de leurs revenus relativement aux femmes en
couple, association non significative chez les hommes.
Par ailleurs, comme le montre la figure 5.2, les artisans, les commerçants et les
professionnels libéraux avaient un risque plus élevé de connaître une diminution de leur revenu
disponible par rapport aux travailleurs appartenant à d’autres catégories socioprofessionnelles.
Ce résultat est cohérent avec ceux des travaux précédemment réalisés au Canada (Lauzier et al.,
2010) et en Norvège (Torp et al., 2017) sur l’évolution des revenus, respectivement six mois et
un an après le diagnostic d’un cancer. L’enquête montre ainsi la vulnérabilité spécifique des
travailleurs indépendants vis-à-vis de l’impact du cancer sur la vie professionnelle. Les
hypothèses susceptibles d’expliquer les difficultés rencontrées par les travailleurs non-salariés
sont liées au manque de couverture sociale obligatoire pour les professions libérales, à la
variabilité du revenu de référence sur lequel est basé le calcul des indemnités journalières
versées en cas d’arrêt-maladie, et enfin, à la nature même de l’organisation nécessitant le plus
souvent la présence du travailleur en question pour en assurer l’activité et conserver sa clientèle,
pour ainsi permettre la pérennisation de l’entreprise (Ha-Vinh et al., 2015, 2014; Jeon, 2017;
Lauzier et al., 2010; Zajacova et al., 2015).
Une diminution des revenus qui intervient à plus de deux ans du diagnostic
L’enquête VICAN permet également de visualiser, pour une partie de la population
interrogée, un point intermédiaire à deux ans du diagnostic. L’analyse spécifique de
l’échantillon principal ayant répondu aux deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 a permis de
montrer que la baisse du revenu disponible par individu, observée à cinq ans, est intervenue
majoritairement après les deux premières années post-diagnostic ; pour 53,7 % cette diminution
125
intervient au cours des trois années suivantes (ceux-ci ayant jusqu’alors conservé des revenus
stables). Cependant, parmi les 20,5 % des individus pour lesquels une diminution du revenu
disponible par individu avait déjà été constatée à deux ans du diagnostic, seulement 37,0 % ont
récupéré, cinq ans après le diagnostic, une situation financière au moins similaire à celle
observée au moment du diagnostic. Pour les 63,0 % des individus toujours concernés par cette
baisse, un tiers a eu une nouvelle baisse entre la première et la seconde enquête (réalisées
respectivement à deux puis cinq ans du diagnostic) tandis que la majorité a déclaré cinq ans
après le diagnostic des revenus disponibles par individu au moins similaires à ceux déclarés
deux ans après le diagnostic de cancer.
5.3. Les mesures subjectives de l’évolution des revenus et de la situation
financière : un complément aux mesures objectives
La variation mesurée des revenus à partir des montants déclarés apporte des éléments
d’information nécessaires à la compréhension de l’évolution de la vie professionnelle après un
diagnostic de cancer. Ces données présentent néanmoins des limites relatives aux biais de
déclaration, et ne représentent pas réellement le pouvoir d’achat des individus, dans la mesure
où elles ne contiennent aucune information sur les taux d’imposition, ni sur l’évolution des
dépenses des individus. Pour compléter ces données, il nous a ainsi semblé que la mobilisation
de données subjectives pourrait s’avérer fructueuse en termes de compréhension.
Ces mesures sont fréquemment utilisées par l’Insee pour rendre compte des conditions de
vie avec « l’idée que la mesure de la performance économique et du progrès social ne peut
exclusivement reposer sur le suivi d’indicateurs économiques objectifs » (Kranklader et
Schreiber, 2015).
Le questionnaire patient de l’enquête VICAN5 comporte des informations subjectives,
relatives à la perception des personnes interrogées sur leur situation financière, concernant plus
précisément, leur aisance, la variation de leurs revenus, ainsi que l’impact perçu de la maladie
dans l’évolution de leurs revenus du travail. Les informations utilisées ici ont été recueillies à
partir des questions présentées en figure 5.3. Pour faciliter l’analyse et assurer la puissance
statistique dans chaque groupe, certaines questions ont été simplifiées, telles que celle portant
sur la situation financière déclarée, en agrégeant les modalités « c’est juste, il faut faire
attention », « vous y arrivez difficilement » et « vous ne pouvez pas y arriver sans faire de
dettes ». De même, les modalités de réponse à la question sur la variation des revenus depuis le
126
diagnostic ont été agrégées en trois catégories : « ont augmenté », « n’ont pas changé » et « ont
diminué ». Le sentiment d’une diminution des revenus du travail causée par la maladie a été
recodé en « oui » ou « non ».
Figure 5.3. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur la perception des
individus de leur situation financière.
5.3.1. Aisance financière
La perception des ressources disponibles est un indicateur différent du montant des
revenus déclarés, puisqu’il tient compte du pouvoir d’achat perçu par les individus. Cinq ans
après le diagnostic d’un cancer, la situation financière ressentie par les personnes de notre
échantillon, âgées de moins de 55 ans et en emploi, est quelque peu meilleure que celle décrite
en population française : 52,4 % de ces individus se sentent peu à l’aise financièrement (36,0 %
déclarent que « c’est juste, il faut faire attention » et 16,4 % que c’est difficile après
regroupement des modalités « vous y arrivez difficilement » et « vous ne pouvez pas y arriver
sans faire de dettes ») contre 57 % (respectivement 41 % et 16 %) des personnes résidant en
France métropolitaine, en emploi et interrogées dans le cadre de l’enquête Budget de famille
2011 (Kranklader et Schreiber, 2015). Cependant, cet écart peut s’expliquer aisément par la
structure de la population ayant connu un diagnostic de cancer et vivant cinq ans après,
différente de celle de la population générale, notamment en termes d’âge et de sexe.
Nous avons comparé l’aisance financière déclarée à deux ans et cinq ans du diagnostic
pour les personnes ayant répondu aux deux enquêtes VICAN2 et VICAN5 uniquement
(correspondant à l’échantillon principal) et les déclarations se sont révélées quasiment
identiques aux deux dates (51,8 % ont déclaré se sentir peu à l’aise financièrement en 2012,
deux ans après le diagnostic, contre 51,9 % en 2015). Si ces proportions sont identiques, elles
cachent néanmoins une autre réalité : celle du passage des individus d’une situation à l’autre.
127
En effet, la moitié seulement des répondants (53,4 %) a choisi le même item pour caractériser
la situation financière deux et cinq ans après le diagnostic.
Sur l’ensemble de l’échantillon, l’aisance financière perçue dépend particulièrement de
la situation professionnelle occupée. Ainsi, les personnes qui se sentent le moins à l’aise
financièrement sont principalement les bénéficiaires du RSA, de prestations sociales liées à la
maladie ou à l’invalidité et les chômeurs (96,0 % des personnes au RSA, 79,4 % des personnes
en invalidité et 77,2 % des chômeurs se disent peu à l’aise financièrement). De même, cet
inconfort financier a particulièrement été perçu par les personnes pour lesquelles une
diminution du revenu disponible a été observée (63,1 % d’entre elles ont déclaré se sentir peu
à l’aise financièrement contre 45,6 % de celles dont le revenu par UC est resté stable depuis le
diagnostic et 50,3 % de celles dont le revenu a augmenté). Enfin, cette perception est partagée
par des personnes en emploi aux deux dates d’observation (au moment du diagnostic et cinq
ans après), parmi lesquelles près de la moitié (47,3 %) a déclaré être peu à l’aise financièrement.
Plus spécifiquement, au moment de l’enquête, un indépendant sur cinq (20,5 %) et un salarié
sur sept (14,8 %) précisent à propos de leur situation financière, que « c’est difficile » ou « ne
pas pouvoir y arriver sans faire de dettes ». Parmi ceux qui sont toujours en activité, 15,6 % des
indépendants et 11,9 % des salariés déclarent ces mêmes difficultés financières. Ceci confirme
le résultat constaté précédemment d’une précarisation financière des travailleurs indépendants
en dépit d’un maintien plus fréquent en emploi.
128
5.3.2. Variation perçue
Plus d’un tiers des personnes interrogées (35,2 %) déclare avoir connu une diminution de
ses revenus depuis le diagnostic du cancer. Cette proportion, reflétant les perceptions des
personnes concernées, est supérieure à la baisse mesurée précédemment à partir des revenus
déclarés et rapportés à l’unité de consommation (soit 20,5 %). Cet écart entre les mesures
quantitative et subjective est plus important parmi les personnes qui étaient au chômage lors du
diagnostic (64,2 % indiquant une baisse de leurs revenus et 25,0 % ayant eu une baisse de leurs
revenus) que pour les personnes en emploi au diagnostic (respectivement 41,6 % et 25,7 %).
La perception de l’évolution des revenus est particulièrement dépendante de l’aisance
financière déclarée. C’est parmi les personnes percevant leur situation financière comme
difficile, voire impossible sans faire de dettes, que la perception d’une diminution des revenus
est la plus fréquente. Elle l’est beaucoup moins chez les répondants se déclarant, à cinq ans du
diagnostic, financièrement à l’aise. Chez ces derniers, la part des personnes ayant perçu une
augmentation de leurs revenus y est plus importante.
Parmi les personnes en emploi au diagnostic et à l’enquête, près d’un tiers (31,6 %) a
déclaré avoir perçu une diminution de ses revenus disponibles, ce qui est supérieur à la part
objective mesurée précédemment (17,6 %). Une hypothèse pour expliquer ces écarts détaillés
en figure 5.4 est que ceux-ci résulteraient d’une diminution conséquente du pouvoir d’achat.
Par exemple, une augmentation des dépenses liées au cancer (telles que les restes-à-charge
évoqués en introduction de ce chapitre) pourrait avoir entraîné une diminution des ressources
disponibles sans que les revenus n’aient diminué. Une diminution du pouvoir d’achat
conséquente à l’augmentation d’autres dépenses, indépendantes de la maladie, pourrait
également être à l’origine de cet écart.
Figure 5.4. Perception de la variation des revenus selon la variation mesurée pour les personnes
en emploi au diagnostic et cinq ans après.
12 2136
14 2628
5140
47 42
60
28 24 29 32
0%
20%
40%
60%
80%
100%
Diminution Aucun
changement
Augmentation Données
manquantes
Ensemble
Augmentation perçue Aucun changement perçu Diminution perçue
129
5.3.3. Variation des revenus professionnels et impact perçu de la maladie
Ecart entre la mesure objective et la mesure subjective
Parmi les personnes en emploi aux deux dates d’observation, trois sur dix (29,2 %) ont
déclaré que la maladie fut à l’origine d’une diminution de leurs revenus du travail. Cette
diminution a été précédemment mesurée (à partir des montants déclarés) pour 23,5 % d’entre
elles. Plus spécifiquement, parmi celles ayant déclaré une situation financière difficile (« vous
y arrivez difficilement » – « vous ne pouvez pas y arriver sans faire de dettes »), plus de la
moitié (55,6 %) estime que la maladie est à l’origine d’une diminution de ses revenus du travail
contre seulement 18,6 % de celles qui se déclarent « à l’aise » ou « ça va ». C’est également le
cas de six personnes sur dix pour qui une baisse du salaire a été mesurée précédemment. La
surreprésentation des personnes ayant déclaré que le cancer fut à l’origine d’une diminution des
revenus du travail, par rapport à celles pour lesquelles une diminution a été mesurée à partir des
montants déclarés, peut être expliquée par une rationalisation de la part de l’individu a
posteriori. En effet, de même que le sentiment de pénalisation au travail du fait de la maladie
peut résulter d’une réflexion postérieure à un événement jugé négatif (licenciement, refus de
promotion etc.) (Paraponaris et al., 2010), la perception d’un impact négatif de la maladie sur
les revenus peut par exemple être provoquée par le sentiment d’avoir perdu une occasion de
promotion. Cette rationalisation a posteriori peut amener la personne à penser qu’elle aurait dû
être augmentée, que cela n’a pas été le cas certainement à cause de sa maladie et qu’ainsi, celle-
ci lui a fait perdre une source de revenu supplémentaire.
Analyses longitudinales
En 2012, deux ans après le diagnostic de cancer, 26,6 % des personnes de l’échantillon
principal en emploi au diagnostic et à l’enquête ont mentionné que la maladie fut à l’origine
d’une diminution de leurs revenus du travail. Celles-ci sont également les plus nombreuses à
ne plus être en emploi trois ans plus tard, soit en 2015. En effet, 80,8 % de ces personnes sont
en emploi à cinq ans du diagnostic contre 91,4 % des personnes n’ayant pas fait état d’une
diminution de leurs revenus professionnels du fait de la maladie (p.value < 0,001). Ce constat
est confirmé par la réalisation d’une régression logistique binomiale estimant les facteurs
associés à un maintien dans l’emploi en 2015 spécifiquement pour les personnes interrogées à
deux et cinq ans du diagnostic et en emploi en 2010 et 2012. En effet, après ajustement sur les
130
caractéristiques identifiées dans le chapitre précédent63 comme ayant un effet significatif sur le
maintien en emploi, le fait d’avoir mentionné un impact de la maladie sur les diminutions des
revenus du travail occupé en 2012 augmente significativement (de 6,1 % par rapport au profil
de référence proposé n’ayant pas mentionné cet impact) la probabilité de ne pas être en emploi
en 2015 (OR [IC 95 %] = 1,75 [1,11 ; 2,76]).
Ainsi, la mesure subjective de la variation des revenus du ménage s’est avérée légèrement
différente de la mesure calculée à partir du montant des revenus déclarés et, en ce sens, être un
outil de mesure de la santé financière pertinent car complémentaire à la mesure effectuée dans
la sous-partie précédente. En effet, la part de diminution perçue est supérieure à celle calculée,
de 10 points de pourcentage. L’information recueillie ici est subjective, aussi, la
surreprésentation de la baisse des revenus mensuels peut résulter du ressenti de l’enquêté vis-
à-vis d’une baisse éventuelle de son pouvoir d’achat. Dans le cas de revenus mensuels stables,
une hausse des dépenses liées à la maladie par exemple amènerait la personne concernée à
déclarer une baisse de revenus, expliquant alors l’écart entre la mesure quantitative et la mesure
subjective. L’aisance financière est également complémentaire car elle dépend fortement du
niveau de vie initial des individus. Par exemple, des personnes vivant confortablement au
moment du diagnostic et qui connaissent une perte de revenus importante (exemple du cadre
qui perd son emploi) auront beaucoup de difficultés à maintenir le niveau de vie initial (payer
un loyer ou un crédit élevé, etc.) et considéreront alors que leur situation financière est difficile.
À l’inverse, des personnes ayant un niveau de vie plus modeste qui ne connaissent pas de
diminution de revenus à la suite du diagnostic, pourront se sentir plus facilement à l’aise, à
partir du moment où elles sont en capacité de maintenir leur niveau de vie. Enfin, comment
expliquer que la part d’individus déclarant que la maladie a été à l’origine d’une diminution de
leur revenu du travail soit supérieure à la part des personnes pour lesquelles une telle diminution
(liée ou non à la maladie) a été calculée ? La forte corrélation entre cette perception et le
sentiment d’avoir été pénalisé au travail du fait de la maladie (association qui n’existe pas avec
la diminution calculée), conduit à formuler l’hypothèse suivante : la perception d’un impact de
la maladie sur la diminution des revenus du travail peut être induite par le sentiment d’avoir été
63 L’ajustement a été réalisé à partir de caractéristiques sociodémographiques (le sexe, l’âge, le niveau
d’études, la situation matrimoniale et la présence d’enfant(s) à charge), socioprofessionnelles (la
rémunération professionnelle perçue au diagnostic, le type de contrat de travail, le statut professionnel,
le secteur d’activité, avoir eu un aménagement du travail au cours des deux premières années, déclarer
en 2012 avoir fait l’objet de discrimination au travail) et médicales (le traitement initial par
chimiothérapie, la présence d’épisode(s) d’évolution péjorative et la fatigue cliniquement significative
en 2012), mais aussi sur le changement d’entreprise entre le diagnostic et la première enquête (en 2012).
131
pénalisé à cause de la maladie, que ce soit par la conviction de rater une opportunité de
promotion ou par celle d’avoir perdu des primes liées à l’activité.
5.4. Synthèse des résultats et conclusion
Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :
- Alleaume C, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Income change inequality
among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French national
survey (article soumis, en révision à PLos One).
- Alleaume C, Joutard X, Lafay L, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V. Evolution des
revenus cinq ans après le diagnostic d’un cancer (Ch10). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-
37219-382-5 (chapitre d’ouvrage publié).
- European Cancer Congress 2017. Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-
Watel P. Evolution of resources 2 and 5 years after cancer diagnosis: evidence from the
French VICAN surveys (communication orale).
- Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données des
études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie professionnelle
& ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer (communication orale).
Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :
- Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu
une diminution de ses revenus du foyer rapportés à l’unité de consommation,
- Les artisans, les commerçants et les professionnels libéraux ont un risque plus
élevé de connaître une diminution de leur revenu disponible,
- Les femmes représentent une population particulièrement vulnérable face à
une diminution des revenus après un diagnostic de cancer,
- La mesure subjective de l’impact de la maladie sur les revenus donne le
constat d’une situation financière plus dégradée que celle déterminée par la
mesure calculée à partir des montants déclarés.
132
Après les résultats du précédent chapitre, celui-ci apporte un éclairage complémentaire
en mettant notamment en évidence la précarisation de la situation financière de certaines
personnes qui se sont maintenues en situation d’emploi, parmi lesquelles on retrouve plus
particulièrement les femmes et les travailleurs indépendants. Si des éléments de réponse ont pu
être conjecturés pour le cas des indépendants, la disparité homme-femme nous semble devoir
être plus précisément analysée. Pour rappel, le constat a été fait d’un taux de maintien en emploi
plus élevé chez celles-ci et, paradoxalement, également une dégradation de la situation
financière plus fréquente. La complexité de ces différences, augmentée par l’importante
quantité de facteurs de confusion, relatifs par exemple à la maladie, mais également à des
différences socioprofessionnelles, nous a poussés à focaliser la suite de notre recherche sur
l’intérêt d’une analyse spécifique de ces différences de genre. C’est l’objet du chapitre suivant.
133
Chapitre 6. Valeur heuristique d’une analyse au prisme du genre
La prise en compte du genre défini comme le « sexe social », complémentaire au « sexe
biologique », en tant que facteur de variation dans la recherche en santé des populations n’est
pas récente. Elle a évolué depuis les premiers travaux consacrés à la thématique genre et santé,
qui datent de la fin du XXème siècle. À l’origine, cette préoccupation a été particulièrement
motivée par les revendications féministes qui, outre les différences entre les femmes et les
hommes, avaient mis en lumière la marginalisation de celles-ci dans les travaux de recherche.
Aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de militer pour une mise en lumière des difficultés
rencontrées par les femmes mais plutôt de se détacher de l’idée selon laquelle la santé masculine
serait une référence normative implicite et de prendre en compte les spécificités de chacun afin
de mieux décrire les inégalités en santé. Cette nouvelle approche a notamment permis de faire
émerger des inégalités sociales plus marquées chez les hommes en termes de mortalité et de
morbidité (Hunt et Macintyre, 2000). Dans cette recherche, les différences entre les hommes et
les femmes sont nombreuses, à commencer par les différences biologiques qui impliquent des
différences épidémiologiques : certains cancers sont sexués (ils touchent des organes sexués ou
se développent différemment selon le sexe pour des raisons hormonales par exemple). De plus,
des différences d’ordre social ont cours tout au long de l’histoire de la prévention en santé (en
prévention primaire, secondaire, tertiaire et quaternaire). C’est pourquoi, ce chapitre est
consacré à l’analyse spécifique des liens entre genre et santé dans l’étude de l’impact d’un
cancer sur la vie professionnelle, deux sujets (cancer et vie professionnelle) qui, on le verra,
sont empreints de la notion de genre. Une première partie de ce chapitre porte donc sur une
revue de littérature visant à illustrer les liens entre genre et travail d’une part, et genre et cancer
d’autre part, afin d’affirmer l’intérêt d’une approche de type « gender studies » dans les
recherches s’intéressant à la poursuite de la vie professionnelle après un diagnostic de cancer.
Les résultats de l’exploitation de l’enquête VICAN5 seront ensuite présentés et le rôle du genre
sera discuté à l’aune de ces résultats. Sur ce point, il nous faut préciser que la nature des données
de l’enquête VICAN5 restreint notre étude à une approche binaire des rapports de genre selon
un modèle hétéro-spécifique.
134
6.1. Maladie sexuée et différences de sexe au travail : un effet de genre ?
6.1.1. Genre et travail
« Le principe de payer le même salaire pour le même travail quel que soit le sexe n’a pas
toujours été la norme légale » rappelle Dominique Meurs dans son ouvrage Hommes/Femmes.
Une impossible égalité professionnelle ? (Meurs, 2014). Il a en effet fallu attendre 1951 pour
voir ce principe énoncé pour la première fois dans la convention n° 100 de l’Organisation
internationale du travail (OIT) dans un objectif de lutte contre les discriminations fondées sur
le genre. Aujourd’hui, ce principe est soutenu par l'article 157 du traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne (UE) et par la loi française n°2014-873 pour l’égalité entre les femmes
et les hommes. Le genre constitue désormais un critère essentiel dans l’analyse de la vie
professionnelle depuis que celui-ci a été montré comme étant générateur d’inégalités sociales.
Pourtant, d’après l’édition 2018 des tableaux de l’économie française établis par l’Institut
national de la statistique et des études économiques (Insee), des inégalités salariales liées au
genre persistent sur le marché de l’emploi (de Plazoala et Rignols, 2018). Plus précisément,
celle-ci révèle que les femmes perçoivent des revenus professionnels inférieurs de 24 % en
moyenne à ceux des hommes. À caractéristiques professionnelles comparables, l’écart s’élève
à 8 % (Collet et al., 2017). Les facteurs qui expliquaient autrefois ces inégalités ne sont plus
valables aujourd’hui : les femmes sont désormais plus éduquées que les hommes et il n’existe
plus aucun métier strictement réservé à un genre. L’accès différencié aux fonctions les plus
rémunérées est aujourd’hui le principal facteur d’inégalité de genre au travail. Toujours selon
l’Insee, les femmes sont en effet plus souvent en situation de sous-emploi (9,5 % contre
seulement 3,5 % des hommes), celles-ci occupant notamment près de quatre emplois à temps
partiel sur cinq (de Plazoala et Rignols, 2018). De même, elles sont minoritaires parmi les
fonctions d’encadrement. Les femmes ont en effet souvent un accès plus limité aux fonctions
élevées dans la hiérarchie par rapport aux hommes, aussi bien en début de carrière, avec un
accès plus restreint aux promotions (principe du plancher collant), qu’en fin de carrière
puisqu’elles rencontrent de nombreux obstacles dans l’accès à des fonctions à haute
responsabilité (le fameux plafond de verre) (Guionnet et Neveu, 2009; Marry, 2008). Ces
notions de plancher collant et de plafond de verre sont souvent utilisées pour rendre compte
des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes (Alber, 2013; Joseph et
Lemière, 2005; Laufer, 2008, 2003, 2001; Laufer et Fouquet, 2001) : malgré un niveau
d’éducation moyen plus élevé, les femmes représentent 42 % des cadres en France en 2016 (ce
135
qui traduit néanmoins une progression puisqu’elles représentaient 31 % des cadres en 1995)
(Insee 201864), et seulement 19 % des postes à hautes responsabilités sont occupés par des
femmes en 2015 (Insee 201865). Ainsi, s’intéresser au devenir professionnel de femmes et
d’hommes en France, comme c’est le cas ici après un diagnostic de cancer, nécessite la prise en
compte des spécificités de genre qui préexistent à la maladie.
6.1.2. Genre et cancer
La tenue des assises interdisciplinaires et internationales sur la thématique « cancer et
genre – autour des inégalités sociales de santé » en novembre 2017 est, à notre connaissance,
une première en France et a été suivie de près (quelques jours après) par la journée « recherche
et santé - Sexe et genre dans les recherches en santé : une articulation innovante » organisée par
l’Inserm. Ces journées s’inscrivent dans le cadre d’un intérêt croissant de l’objet cancer en
sciences humaines et sociales et témoignent de la pertinence d’une analyse au prisme du genre
dans les recherches en santé et plus précisément de l’expérience de la maladie de cancer. La
mobilisation de la sociologie du genre est indispensable à la compréhension du cancer en tant
qu’objet social, notamment pour étudier les différents rapports sociaux qui rythment le
quotidien des patients tout au long de l’histoire naturelle du cancer, tels que le rapport aux
comportements de santé, celui aux soins, aux professionnels de santé ou encore le rapport à son
propre corps. Dans son intervention aux assises interdisciplinaires, la philosophe Brigitte
Esteve-Bellebeau définit trois temps dans la maladie : l’annonce, la réparation et la guérison.
C’est au cours de cette deuxième phase, la réparation, qu’elle explique que l’expérience de la
maladie, et plus particulièrement des traitements, conduit les patients à « s’abandonner », « à
disparaître » afin de ne laisser que l’identité médicale. Cette altération se fait dans toutes les
facettes de l’identité et notamment les rapports individuels à sa masculinité ou féminité peuvent
être perturbés par les effets des traitements (chute des cheveux, ablation d’attribut sexué,
stérilité). Sur cette question, des études ont principalement été réalisées auprès de femmes
atteintes d’un cancer du sein. Outre la modification de l’image du corps, la sociologue Anastasia
Meidani montre, à travers la réalisation d’entretiens, comment les rapports de genre peuvent
également être modifiés par le cancer. Elle explique que la « mise entre parenthèse du genre »
évoquée par Brigitte Esteve-Bellebeau transforme l’image de ces femmes et hommes atteints
d’un cancer qu’elle résume ainsi : « des femmes fortes et des hommes affaiblis par la maladie ».
64 https://www.insee.fr/fr/statistiques/3303378?sommaire=3353488, consulté le 27/05/2019. 65 https://www.insee.fr/fr/statistiques/2381342, consulté le 27/05/2019.
136
De plus, le cancer, par la fatigabilité et les douleurs qu’il suscite, implique la modification de
la répartition des tâches et des rôles au sein du ménage. Aussi, le cancer semble modifier
certains paradigmes sociaux ce qui justifie l’intérêt d’une analyse genrée.
6.1.3. Quelle place pour le genre dans la relation cancer-travail ?
Le genre est devenu en sciences sociales une variable incontournable dans l’analyse de
phénomènes sociaux. Comme évoqué précédemment, en économie et sociologie du travail, la
division sexuée des tâches, les écarts de salaire entre hommes et femmes, la moindre
qualification des emplois féminins, les phénomènes de plafond de verre et de plancher collant
sont autant de principes fondamentaux à prendre en compte dans l’analyse. Pourtant, s’il semble
aujourd’hui acquis dans le domaine des sciences sociales que le travail a un sexe (Le sexe du
travail, 1984), sa prise en compte dans les recherches n’est pas systématique. L’analyse genrée
des cancers professionnels a récemment permis de montrer que les études scientifiques portaient
jusqu’alors essentiellement sur l’analyse d’emplois à dominance masculine, l’impact des
conditions de travail sur les cancers féminins étant ainsi largement négligé, ce qui aboutissait à
des pratiques de prévention des risques professionnels centrées sur les emplois masculins. Ces
recherches ont ainsi mis en évidence les processus d’invisibilisation des femmes, notamment
dans la reconnaissance de l’origine professionnelle d’un cancer : plus souvent à temps partiel,
celles-ci sont considérées comme moins exposées, et, plus spécifiquement pour les conjointes
collaboratrices, par exemple dans le milieu de l’agriculture, l’exposition n’est pas considérée
comme relevant de l’environnement professionnel (Lippel, 2015; Paiva, 2016, 2012; Zahm et
Blair, 2003). Ainsi la valeur heuristique du genre est-elle importante dans l’analyse du cancer
et ce regard doit être mobilisé dans tout ce qui constitue l’histoire sociale du cancer, y compris
dans l’analyse des conditions de vie après le diagnostic. Elle reste le plus souvent mobilisée
pour expliquer les différences de santé entre les femmes et les hommes par les différences de
statut de chacun dans la sphère domestique et dans la sphère professionnelle, comme c’est le
cas dans l’exemple présenté précédemment mais également dans de nombreuses études (Hunt
et Macintyre, 2000). Mais qu’en est-il de l’impact genré d’une santé altérée sur les indicateurs
socioprofessionnels ou plus largement, sur la vie professionnelle des personnes concernées ? Si
la notion de genre est de plus en plus développée dans la recherche sur l’impact du travail sur
la santé, très peu d’études se sont intéressées à l’intérêt d’une analyse genrée dans l’impact de
la maladie sur la vie professionnelle post-diagnostic. Aussi, comment étudier le maintien en
emploi et la reprise du travail sans porter une attention spécifique aux éventuelles différences
de sexe ?
137
Si peu de recherches ont spécifiquement porté sur les différences de mécanismes de retour
au travail et de maintien en emploi après un diagnostic de cancer, certaines ont néanmoins
relevé des différences de sexe sur cette question. Par exemple, une étude coréenne a montré que
si le fait d’être une femme augmente le risque de perdre son emploi, être un homme augmente
le risque d’avoir fait l’objet de discrimination et d’un départ forcé (Park et al., 2010). Une revue
internationale a également montré que les hommes ont une probabilité plus grande de reprendre
leur emploi après un diagnostic de cancer par rapport aux femmes (Mehnert, 2011). En ce qui
concerne la littérature française, une enquête sur le rôle du service de santé au travail dans le
retour et le maintien dans l'emploi de salariés atteints de cancer constate une part plus
importante de changement d’entreprise chez les hommes, ce que les auteurs expliquent
notamment par une charge physique plus importante et des déplacements plus fréquents dans
les activités professionnelles masculines. À l’inverse, les femmes ont plus souvent accès aux
dispositifs d’aménagement tels que le temps partiel thérapeutique, la modification des horaires
ou l’aménagement du poste de travail (Fau-Prudhomot et al., 2012). De plus, une étude
comparant la population atteinte de cancer à la population générale en France a observé une
différence genrée des effets défavorables de l’âge, qui conduit plus souvent les hommes de plus
de cinquante ans à une prise de retraite anticipée, ce qui, pour les auteurs, témoigne des
difficultés plus importantes rencontrées par les hommes par rapport aux femmes (Centre
d’études de l’emploi et du travail (France), 2016).
Le recours aux arrêts-maladie semble également différencié : alors que les femmes sont
significativement plus souvent en arrêt-maladie que les hommes un et deux ans après la
survenue du cancer, cette situation s’inverse ensuite, les hommes sont alors significativement
plus souvent en arrêt-maladie quatre et cinq années post-diagnostic (Barnay et al., 2015b). De
plus, d’autres études se sont intéressées aux différences femmes-hommes dans le processus de
retour au travail, et montrent que les hommes reprennent plus vite l’emploi que les femmes avec
38 % des femmes et 53 % des hommes qui sont de retour sur le marché du travail après six
mois. Ce résultat est renforcé lorsque ces personnes sont en couple (Malavolti et al., 2008;
Marino et al., 2013). Si les traitements reçus expliquent une partie de ces écarts, le retour plus
rapide au travail des hommes renverrait également, selon les auteurs, à une plus forte pression
sociale sur le retour au travail (voir Crompton, 1999, pour un modèle du « male breadwinner »).
Ce constat est néanmoins inversé avec l’âge : à un âge avancé, les femmes reprennent plus
souvent et plus vite l’emploi que les hommes (Marino et al., 2013). L’étude spécifique d’une
population de travailleurs indépendants a montré que les hommes ont un risque de cessation
138
d’activité supérieur aux femmes (Ha-Vinh et al., 2014). Enfin, les résultats présentés dans les
chapitres précédents ont également soulevé des différences entre les hommes et les femmes. Il
a en effet été montré que, si les femmes se maintiennent plus souvent en emploi cinq ans après
un diagnostic de cancer, celles-ci ont également plus fréquemment une précarisation de leur
situation financière. Pour celles et ceux qui ne sont plus en emploi cinq ans après le diagnostic,
les femmes sont plus souvent en situation de chômage tandis que les hommes sont plus souvent
en invalidité (cf. Chapitre 4).
A l’aune de ces différents constats, l’objectif de ce qui suit est d’enrichir les connaissances
sur les différences entre les hommes et les femmes en termes de maintien en emploi cinq ans
après un diagnostic de cancer. Il s’agit d’approfondir les premiers résultats exposés
précédemment en termes de rapport de genre.
6.2. Avoir un cancer et être une femme : un cumul des handicaps au
travail ?
6.2.1. Approche par la théorie de l’intersectionnalité
Les recherches exposées précédemment ont montré que le genre et le cancer sont deux
facteurs qui influencent indépendamment les inégalités sur le marché du travail. Cependant,
lorsqu’ils se combinent, ces facteurs créent une nouvelle identité de femme ou d’homme malade
dans laquelle l’identité masculine et féminine et les rapports de genre associés peuvent être
modifiés. Compte tenu de la revue de littérature présentée ci-dessus, on peut se demander si la
survenue d’un cancer entraînerait une redéfinition des inégalités de genre sur le marché de
l’emploi, et auquel cas, de quelle manière ? Quelles différences entre les femmes et les hommes
pourraient expliquer un maintien en emploi plus fréquent de celles-ci ? C’est à ces questions
que la présente recherche tente d’apporter des éléments de réponse en décrivant la situation
professionnelle de femmes et d’hommes ayant été diagnostiqués d’un cancer.
Dans cette perspective, la théorie de l’intersectionnalité, développée par la professeure de
droit Kimberlé Crenshaw dans le cadre de l’analyse des rapports de dominations et des
inégalités, apporte un éclairage spécifique à notre analyse (Crenshaw, 1991). D’après l’auteure,
les caractéristiques individuelles et/ou sociales ne s’additionnent pas mais se combinent pour
créer de nouvelles identités et donc de nouvelles réalités sociales. Dans l’étude spécifique des
violences faites aux femmes aux Etats-Unis, et notamment celle des violences conjugales,
139
Crenshaw interroge les catégories globalisantes telles que le genre et la couleur de peau en tant
que groupes identitaires exclusifs. Ainsi, elle identifie la spécificité du combat des femmes
noires, expliquant leur marginalisation face aux combats plus généraux menés par les femmes
blanches d’un côté et par les personnes d’origine africaine ou d’Amérique latine de l’autre.
Cette étude souligne la nécessité de tenir compte à la fois du genre et de la couleur de peau dans
l’analyse des violences conjugales puisque les femmes noires, à l’intersection de deux
caractéristiques sujettes à des discriminations, vivent ces violences différemment des autres
femmes. Une organisation systémique invisibilise les violences subies par ces femmes en ne les
recensant pas statistiquement ; seule une analyse spécifique de ce groupe de personnes a pu
mettre en évidence ce phénomène d’invisibilisation.
C’est alors le point de départ de la théorie de l’intersectionnalité qui fut par la suite
largement reprise dans le monde entier, le plus souvent dans le cadre de recherches féministes
et même militantes féministes. Il nous semble que le cœur de cette théorie tient dans l’extrait
suivant : « Cette focalisation sur les intersections de la race et du genre vise uniquement à mettre
en lumière la nécessité de prendre en compte les multiples sources de l’identité lorsqu’on
réfléchit à la construction de la sphère sociale » (Crenshaw et Bonis, 2005). Il s’agit ainsi
d’interroger les catégories globalisantes afin de faciliter la mise en lumière des difficultés
rencontrées par des groupes spécifiques. Ainsi, la mobilisation de cette théorie dans le cadre de
ce travail de recherche n’a pas une visée militante ni même féministe mais a pour objectif de
rappeler que la population d’étude est constituée de personnes et non pas de cancers66, qui ont
une identité de genre notamment qui, on l’a vu en première partie de cet exposé, est soumise à
des représentations sociales spécifiques, et ce, particulièrement au sein de l’environnement
professionnel.
Appliqué à notre étude, il s’agit donc de comprendre dans quelle mesure être une femme
et avoir été diagnostiquée d’un cancer représentent-ils des handicaps sociaux qui se cumulent
ou au contraire qui se compensent vis-à-vis de la situation professionnelle. La maladie
chronique a-t-elle un effet sur la vie professionnelle différencié selon le genre ? La lutte des
femmes contre la maladie et notamment contre son impact sur leur vie professionnelle est-elle
de même nature que celle des hommes ? Comment l’interaction genre et localisation de cancer
66 Référence aux publicités médiatisées par l’INCa en 2011 : « ‘‘A chaque fois que je me retrouve devant
cancer, je ne sais pas quoi lui dire.’’ ‘‘Je suis une personne, pas un cancer.’’ ; La recherche sur les
cancers avance, changeons de regard ».
140
se traduit-elle dans le cadre de l’analyse du maintien en emploi ? La catégorie du genre est-elle
suffisante pour traduire les différences sexuées constatées dans le retour au travail post-
diagnostic de cancer ? Les femmes et les hommes atteints de maladie sexuée mènent-ils un
combat différent de leurs homologues atteints d’une tumeur dont la localisation n’est pas
sexuée ?
De ces questions, découlent les hypothèses de recherche suivantes :
- H6.1. Le cancer touchant indifféremment les hommes et les femmes, et impactant plus
particulièrement les activités manuelles et physiques (cf. Chapitre 1), telles que celles
des ouvriers, parmi lesquels les hommes sont plus souvent représentés, impliquerait une
dégradation plus importante de la situation professionnelle des hommes qui se traduirait
par une réduction plus fréquente de leur activité voire une sortie de l’emploi plus
fréquente.
- H6.2. Les différences de statut socioéconomique ont particulièrement été mises en
lumière dans les chapitres précédent, celles-ci devraient être un facteur déterminant à la
fois pour les hommes et pour les femmes pour traduire les difficultés professionnelles
étudiées.
- H6.3. Les localisations cancéreuses sexuées font l’objet d’une attention spécifique dans
la littérature (particulièrement le cancer du sein chez les femmes), il est attendu, du fait
notamment de la longue durée des traitements et des représentations sociales associées
au cancer du sein, que les femmes atteintes d’un cancer sexué diffèrent des autres.
D’un point de vue méthodologique, nous avons mobilisé pour explorer ces hypothèses,
les données recueillies dans le cadre de l’enquête VICAN5. Cette étude est un prolongement
des résultats présentés précédemment qui ont fait émerger des différences entre les hommes et
les femmes. Pour rappel, ces premières analyses concluaient sur un constat paradoxal en
première lecture : à la fois un maintien en emploi plus fréquent des femmes et une plus grande
précarisation de leur situation financière. Il s’agit, dans ce chapitre, d’investiguer plus finement
ces différences femmes-hommes afin de répondre aux hypothèses énoncées ci-dessus. Les
indicateurs utilisés pour mesurer les différences entre les hommes et les femmes sont les
suivants : taux de maintien en emploi cinq ans après le diagnostic, part de réduction du temps
de travail dans les cinq ans suivant le diagnostic, part de cadres supérieurs au moment du
diagnostic et cinq ans après, évolution des écarts de salaire entre ces deux dates et perception
de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle. Des modèles de régressions logistiques
141
stratifiés selon le genre ont également été réalisés afin de tester les éventuelles différences dans
les facteurs associés au maintien en emploi pour chacun des indicateurs.
6.2.2. Résultats de l’enquête VICAN : des disparités femmes-hommes dans
l’évolution de la situation professionnelle.
L’objectif de ce travail est donc de reprendre et d’approfondir les différences femmes-
hommes exposées dans le chapitre précédent, notamment en ce qui concerne le maintien en
situation d’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer, et d’explorer le rôle du genre dans
l’aspect sexuellement différencié des facteurs en jeu. Ce travail s’appuie également sur des
analyses secondaires ayant ciblé particulièrement les différences de genre parmi les personnes
diagnostiquées d’un cancer non sexué67 (hors cancers du sein, cancers de l’utérus et cancers de
la prostate) dont l’objectif est de tester la sensibilité des résultats obtenus précédemment et de
souligner la visibilité des différences hommes-femmes.
Recours aux arrêts maladie plus fréquent chez les femmes
A l’instar de travaux issus de la revue de littérature sur l’accès aux arrêts-maladie entre
le diagnostic de cancer et deux ans après (INCa, 2014; Le Corroller-Soriano et al., 2008),
l’analyse des arrêts-maladie au cours des cinq années suivant le diagnostic montre de multiples
différences entre les hommes et les femmes. Premièrement, les femmes ont eu plus
fréquemment recours que les hommes à un arrêt-maladie : 67,0 % des hommes ont perçu des
indemnités journalières pour arrêt-maladie pendant au moins un mois, soit 30 jours consécutifs,
contre 80,5 % des femmes. Cette différence est particulièrement importante pour les cadres
supérieurs, parmi lesquels 41,8 % des hommes n’ont pris aucun arrêt-maladie d’une durée au
moins égale à un mois contre seulement 19,8 % des femmes. Cette différence ayant été observée
en moyenne seulement, il n’est pas possible de conclure sur l’origine de cette différence :
relève-t-elle d’une différence liée au type de cancer ? Si cela ne semble pas être le cas du fait
notamment des écarts de moyenne observés (écarts non significatifs) entre les hommes et les
femmes atteints d’un même cancer, le manque d’effectif d’hommes dans certaines catégories
de localisation de cancer limite considérablement la comparaison statistique. Cette différence
de sexe relève-t-elle d’une différence de choix en termes de carrière professionnelle : par
exemple, les hommes cadres seraient-ils plus réticents à prendre un arrêt-maladie de peur de
67 Cette étude a été soumise pour publication dans un ouvrage collectif Genre et cancer.
142
compromettre leur carrière, considération moins présente chez les femmes ? Ou relève-t-elle
plutôt d’une différence de choix en termes de charge familiale ? Si ces résultats sont
concordants avec ceux trouvés en population générale (Chaupain et al., 2007), les données ne
nous permettent pas de répondre à ces interrogations. Par ailleurs, parmi ceux qui ont eu au
moins un mois d’arrêt-maladie, les hommes reprennent plus rapidement leur emploi que les
femmes : six mois après le diagnostic 55,6 % des hommes avaient repris le travail contre
seulement 43,8 % des femmes. À un an du diagnostic, l’écart persiste : 74,7 % des hommes
avaient repris le travail contre seulement 63,4 % des femmes. Enfin, être un homme s’est avéré
l’un des facteurs réduisant la probabilité d’avoir eu au moins un arrêt-maladie à la suite du
diagnostic de cancer, toutes choses égales par ailleurs.
Après un diagnostic de cancer, maintien plus fréquent des femmes en emploi : un résultat
des inégalités de genre ?
D’après l’enquête VICAN5, parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au moment du
diagnostic d’un cancer, cinq ans après, les hommes sont en moyenne plus souvent en situation
d’inactivité pour invalidité que les femmes (cf. chapitre 4). Ces dernières sont, quant à elles,
plus fréquemment au chômage. Ce résultat s’explique en partie par un effet d’âge : les personnes
les plus jeunes transitent plus souvent vers du chômage, leur carrière est encore longue, elles
sont donc nombreuses à rechercher un nouvel emploi tandis que les plus âgées transitent plus
souvent vers une situation d’inactivité pour invalidité en attendant d’atteindre l’âge légal de
départ à la retraite par exemple. Les hommes de notre échantillon étant en moyenne plus âgés
que les femmes, il n’est pas surprenant de les retrouver plus souvent en invalidité et, à l’inverse,
de retrouver plus souvent les femmes en situation de chômage. Cependant, les différences d’âge
ne suffisent pas à expliquer ces écarts. En effet, pour les personnes âgées de 50 à 54 ans au
moment du diagnostic (moyenne d’âge d’environ 51 ans pour les femmes et pour les hommes),
la part de femmes au chômage et la part d’hommes en invalidité restent significativement plus
élevées que celles respectives des hommes au chômage et des femmes en invalidité. En outre,
l’écart observé entre les hommes et les femmes en invalidité, au moment de l’enquête, disparaît
dès lors que la population d’analyse est restreinte à ceux ayant déclaré conserver d’importantes
séquelles de la maladie et de sa prise en charge. Pour les autres (hommes et femmes n’ayant
déclaré aucune séquelle ou ayant déclaré conserver des séquelles modérées), l’écart est
statistiquement significatif.
143
Ainsi, comment expliquer que, dans une société dans laquelle les femmes ont plus
tendance à être écartées de la vie active par divers processus sociaux (Maruani, 2017), cinq ans
après un diagnostic de cancer, celles-ci soient plus souvent en emploi que les hommes ? Ou, à
l’inverse, comment interpréter le sous-emploi constaté des hommes par rapport aux femmes ?
L’enregistrement en inactivité pour invalidité est le plus souvent irréversible et est conditionné
par un état de santé dégradé. Ainsi, comment expliquer une part d’invalidité plus importante
chez les hommes que chez les femmes à état de santé similaire68 ?
Le constat d’un maintien en emploi plus fréquent pour les femmes rappelle celui déjà
énoncé par Marino et ses coauteurs (Marino et al., 2013) selon lequel, à partir d’un certain âge,
les femmes reprennent plus souvent et plus rapidement leur emploi que les hommes. Le système
de compensation sociale (indemnités journalières pour arrêt-maladie ou invalidité) étant un
dispositif destiné à compenser la perte de salaire induite par une réduction de la capacité de
travail résultant d’une maladie ou d’un accident, le montant de la pension versée dépend des
revenus de l’activité professionnelle de l’individu. Or, l’économiste Thomas Barnay montre, à
partir de données issues d’une enquête de l’Insee, que « la dégradation de la santé conduit à
anticiper l’âge de cessation d’activité, après prise en compte des contraintes financières et
familiales » (Barnay, 2008, 2005), et ce, plus particulièrement en cas de cancer pour les
hommes (Barnay et al., 2010). Pour l’auteur, ce résultat concorde avec une volonté déclarée des
personnes ayant subi une dégradation de leur état de santé de quitter plus tôt la vie active
(Barnay, 2008). Compte tenu des inégalités de parcours professionnels entre les femmes et les
hommes en France, il n’est pas surprenant de retrouver ces inégalités en fin de carrière et
notamment dans l’accès à la retraite. Par exemple, des études ont montré que les femmes
perçoivent une pension de retraite moyenne nettement inférieure à celle des hommes et, étant
donné leurs trajectoires professionnelles plus souvent interrompues (études plus longues,
congés maternité, chômage) - impliquant des interruptions également dans leurs cotisations –
ainsi que les différences de rémunération en défaveur des femmes, celles-ci doivent travailler
plus longtemps pour valider le nombre de trimestres nécessaires à l’obtention d’une pension de
68 Ce résultat a été ajusté en fonction des niveaux de séquelles et de comorbidité. Plus
généralement, dans l’étude VICAN5, aucune différence n’a pas pu être observée dans la dégradation de
la qualité de vie physique des femmes et des hommes atteints d’un cancer non-sexué, à l’exception des
personnes atteintes d’un cancer de la thyroïde avec, dans ce dernier cas, un écart observé en défaveur
des femmes.
144
retraite complète (Bonnet et Hourriez, 2012; Dares, 2015; Lanquetin et al., 2004; Morin et
Remila, 2013; Rosende et Schoeni, 2012).
A la lecture de ces résultats et compte tenu des différences de genre en population
générale sus-explicitées, l’une des hypothèses que l’on peut avancer ici est que le départ vers
l’inactivité moins fréquent chez les femmes serait un résultat des parcours professionnels
différenciés aboutissant à une compensation financière moins importante, voire insuffisante,
pour les femmes qui seraient ainsi plus souvent contraintes à se maintenir actives (en emploi
ou au chômage).
Une deuxième hypothèse serait que les possibilités de reclassement professionnel
s’avéreraient, par la spécificité des secteurs d’activités masculins, plus rares pour les hommes
que pour les femmes, ce qui conduirait plus souvent les premiers à opter pour un départ pour
inaptitude. Cependant, cette hypothèse va à l’encontre des conclusions de Lanquetin, Letablier
et Périvier selon qui, « les cellules de reclassement fonctionnent sur le modèle traditionnel :
l’homme doit impérativement retrouver un emploi, la femme pourra toujours retourner à la
maison, ce que, découragée, elle finit par faire » en complément de leur constat de moindre
accès à la formation des femmes (Lanquetin et al., 2004).
Enfin, une troisième hypothèse tiendrait d’une différence de sexe dans l’auto-désignation
du niveau de santé de chacun. En ce sens, une étude réalisée à partir des enquêtes « Handicaps,
incapacités, dépendances » (HID) montrent qu’« à âge, incapacités, aides et limitation
équivalents, les femmes se déclarent au final 30 % de fois moins souvent handicapées que les
hommes ». Cette différence genrée dans l’« auto-attribution d’un handicap » pourrait-elle
amener les hommes à s’enregistrer plus souvent en invalidité que les femmes ? Ce phénomène
d’auto-attribution est, d’après les auteurs, très lié aux différences de genre dans la
reconnaissance sociale d’une invalidité qui, d’après cette étude, est plus fréquente chez les
hommes que chez les femmes, pour les personnes âgées de 30 ans et plus. Les auteurs ajoutent,
en se basant sur l’enquête « Vie quotidienne et santé » (VQS), que d’une part, à âge fixé, les
femmes font moins de demande d’invalidité et, d’autre part, lorsqu’elles le font, leur demande
est moins souvent acceptée. Ces résultats qui, d’après les auteurs, témoignent d’une « gestion
sociale du handicap différente entre les hommes et les femmes » font écho aux résultats
présentés ci-dessus et soulèvent la question suivante : dans le cas spécifique de la maladie de
cancer, l’invalidité plus fréquente chez les hommes résulterait-elle d’une différenciation genrée
des représentations sociales de la maladie ? Les données disponibles ne nous permettent
145
malheureusement pas d’aller plus loin sur cette question. Des études supplémentaires pourraient
analyser les différences hommes-femmes dans le recours et l’accès aux dispositifs de
reconnaissance de l’invalidité et plus largement du handicap.
Il est à noter que les différences observées ont été constatées en moyenne. Par exemple,
aucune différence de sexe n’a pu être mise en évidence au sein de chaque catégorie. En effet,
si les hommes de profession intermédiaire et les ouvriers ou agriculteurs salariés au diagnostic
sont plus souvent sortis de l’emploi que leurs homologues féminins, le manque d’effectif dans
ces catégories limite les comparaisons statistiques.
Effets de l’âge et de la situation familiale différents entre les hommes et les femmes : la
distribution de l’offre de travail au sein du couple en question
Contrairement à l’étude réalisée par Halima Bassem et ses coauteurs (Centre d’études de
l’emploi et du travail (France), 2016), l’effet délétère de l’âge sur l’emploi n’a été observé que
pour les femmes, pour lesquelles le risque de ne plus être en emploi cinq ans après un diagnostic
de cancer est plus élevé après 50 ans (tableau 6.1). En analyse descriptive, ce constat portait à
la fois sur les hommes et sur les femmes. C’est seulement l’intégration de la variable « présence
d’enfant(s) à charge », très corrélée à l’âge, qui fait disparaître pour les hommes l’effet de l’âge
sur le maintien en emploi à cinq ans dans une régression logistique. Ce résultat est stable, quelle
que soit la population d’étude (population d’étude complète, ou restreinte à l’échantillon
principal, ou aux personnes atteintes d’un cancer non-sexué). Il semble donc que pour les
hommes, l’âge seul ne soit pas un facteur de sortie d’emploi, il ne l’est que lorsque ces derniers
n’ont plus d’enfant à charge. Sinon, la présence d’enfant(s) à charge est prioritaire dans la
décision de maintien sur le marché de l’emploi.
Les études françaises montrent qu’une fois en couple, les hommes disposent d’une
meilleure « rentabilité » sur le marché du travail (meilleure rémunération et postes plus élevés)
(Insee, 2017; Morin et Remila, 2013) tandis que les femmes sont plus nombreuses dans les
emplois à temps partiels (souvent plus précaires) et ont ainsi plus tendance à réduire leur offre
de travail à la naissance d’un enfant (Allard et al., 2002; Dupray et Nohara, 2013; Lollivier,
2001). Dans notre cas d’analyse, ce n’est pas l’effet d’une naissance qui est étudié mais celui
de la situation familiale (situation matrimoniale et présence d’enfants à charge) dans le contexte
spécifique d’une carrière professionnelle possiblement ébranlée par la survenue d’une maladie
chronique telle que le cancer. Il en résulte que le fait d’être en couple et la présence d’au moins
un enfant à charge ont un effet significatif uniquement chez les hommes, favorisant leur
146
maintien en emploi. Ceci corrobore les résultats de l’étude de Marino et ses coauteurs qui
avaient montré que les hommes mariés retournaient plus vite au travail que les femmes mariées,
pour qui la probabilité de retourner au travail augmente avec la durée de l’arrêt-maladie (Marino
et al., 2013). Les auteurs expliquent cette différence significative par un écart entre le salaire et
les indemnités de compensation versées pendant l’arrêt-maladie plus grand pour les hommes
que pour les femmes, qui auraient ainsi un intérêt financier moindre à reprendre leur activité.
Au regard de ces différents résultats et des travaux évoqués en introduction du présent
paragraphe, nous pouvons supposer qu’en tant que principaux contributeurs financiers aux
revenus du foyer, les hommes en ménage ayant des enfants à charge sont plus souvent contraints
que les hommes célibataires ou sans enfant à charge de se maintenir en emploi. Cette hypothèse
est appuyée par l’analyse descriptive suivante : quatre hommes sur dix disposent d’un salaire
contribuant au moins à 70 % des revenus du foyer contre moins d’une femme sur quatre. Cet
arbitrage ne semble en revanche pas pertinent pour expliquer le maintien en emploi des femmes
dont plus de la moitié (53,4 %) disposent d’un salaire participant à moins de 50 % des revenus
globaux du ménage (contre seulement 21,7 % des hommes).
Des facteurs de sortie d’emploi au-delà du sexe
En plus des facteurs spécifiques aux femmes et aux hommes, d’autres sont transversaux
aux analyses stratifiées (tableau 6.1). Par exemple, un niveau d’études au moins équivalent au
baccalauréat est un facteur qui s’est avéré systématiquement et significativement en faveur du
maintien en emploi après un diagnostic de cancer, pour les femmes comme pour les hommes,
quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle. De même, les caractéristiques médicales
telles que le type de traitement reçu ou la présence d’épisode(s) d’évolution péjorative ou encore
la présence de séquelles importantes sont des facteurs significativement associés à une sortie
de l’emploi après un diagnostic de cancer, et ce, quel que soit le sexe des individus concernés.
147
Tableau 6.1. Facteurs associés à la sortie de l’emploi cinq ans après un diagnostic de cancer.
Facteurs associés
Modèle 1.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 2.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 3.
Femmes
(N=1 406)
Modèle 4.
Hommes
(N=481)
OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]
Genre
Hommes 1,38 [1,01 ;
1,88]*
Femmes (réf.) 1
Localisation selon le genre
Hommes tout cancer
1,41 [1,01 ;
1,97]*
Femmes cancers
féminins
1
Femmes cancers
communs
1,05
[0,76 ; 1,45]
Âge au diagnostic
18-39 ans 1,17 [0,79 ;
1,71]
1,16 [0,79 ;
1,71]
1,39 [0,90 ;
2,14]
0,50 [0,20 ;
1,30]
40-49 ans (réf.) 1 1 1 1
50-54 ans 1,91 [1,43 ;
2,55]***
1,91 [1,43 ;
2,55]***
2,20 [1,54 ;
3,14]***
1,46 [0,87 ;
2,45]
Niveau d’études au diagnostic
Inférieur au bac 2,35 [1,76 ;
3,13]***
2,34 [1,75 ;
3,12]***
2,51 [1,79 ;
3,54]***
1,96 [1,10 ;
3,49]*
Equivalent ou > au bac 1 1 1 1
Situation conjugale au moment de l’enquête
Couple 0,72 [0,55 ;
0,96]*
0,72 [0,55 ;
0,96]*
0,90 [0,64 ;
1,26]
0,42 [0,25 ;
0,73]**
Seul (réf.) 1 1 1 1
148
Facteurs associés
Modèle 1.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 2.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 3.
Femmes
(N=1 406)
Modèle 4.
Hommes
(N=481)
OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]
Enfant(s) à charge au moment de l’enquête
Oui 0,60 [0,42 ;
0,84]**
0,60 [0,42 ;
0,84]**
0,84 [0,56 ;
1,25]
0,26 [0,12 ;
0,53]***
Non (réf.) 1 1 1 1
Milieu de résidence
Urbain (réf.) 1 1 1 1
Rural 1,05 [0,79 ;
1,40]
1,06 [0,79 ;
1,41]
1,02 [0,72 ;
1,45]
1,21 [0,70 ;
2,07]
Niveau de rémunération du foyer au diagnostic
Elevé 1,39 [0,99 ;
1,94]
1,39 [0,99 ;
1,95]
1,60 [1,06 ;
2,40]*
0,96 [0,51 ;
1,80]
Autre (réf.) 1 1 1 1
Catégorie socioprofessionnelle au diagnostic
Agriculteur indépendant
/ Chef d’entreprise
0,48 [0,19 ;
1,21]
0,48 [0,19 ;
1,21]
0,32 [0,09 ;
1,14]
0,74 [0,18 ;
3,14]
Artisan / Commerçant /
Profession libérale
0,97 [0,56 ;
1,68]
0,99 [0,57 ;
1,71]
1,25 [0,65 ;
2,42]
0,43 [0,15 ;
1,25]
Profession intermédiaire 1,05 [0,70 ;
1,57]
1,05 [0,70 ;
1,58]
1,07 [0,64 ;
1,80]
1,04 [0,49 ;
2,19]
Cadre supérieur (réf.) 1 1 1 1
Employé 1,09 [0,73 ;
1,65]
1,09 [0,73 ;
1,65]
1,15 [0,70 ;
1,88]
1,45 [0,51 ;
4,13]
Ouvrier / agriculteur
salarié
1,19 [0,76 ;
1,85]
1,19 [0,77 ;
1,86]
1,59 [0,85 ;
2,97]
0,89 [0,45 ;
1,76]
Contrat au diagnostic
CDI /Fonctionnaire 1 1 1 1
CDD/ Intérim (réf.) 2,68 [1,85 ;
3,89]***
2,68 [1,85 ;
3,89]***
2,85 [1,89 ;
4,31]***
2,30 [0,87 ;
6,11]
149
Facteurs associés
Modèle 1.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 2.
Ensemble des
personnes en
emploi au
diagnostic
(N=1 887)
Modèle 3.
Femmes
(N=1 406)
Modèle 4.
Hommes
(N=481)
OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%] OR [IC 95%]
Secteur d’emploi au diagnostic
Privé (réf.) 1 1 1 1
Public 0,57 [0,40 ;
0,81]**
0,57 [0,40 ;
0,81]**
0,57 [0,38 ;
0,85]**
0,55 [0,24 ;
1,25]
Expérience dans l’emploi occupé au diagnostic (en années)
Pour une année en plus 0,99 [0,97 ;
1,00]*
0,99 [0,97 ;
1,00]*
0,99 [0,97 ;
1,00]
0,99 [0,96 ;
1,01]
Traitement initial par chimiothérapie
Non (réf.) 1 1 1 1
Oui 1,29 [0,99 ;
1,69]
1,30 [0,99 ;
1,71]
1,33 [0,96 ;
1,83]
1,23 [0,73 ;
2,08]
Évolution péjorative de la maladie depuis le diagnostic
Non (réf.) 1 1 1 1
Oui 2,11 [1,59 ;
2,80]***
2,09 [1,57 ;
2,79]***
1,99 [1,40 ;
2,82]***
2,70 [1,61 ;
4,53]***
Score de comorbidité au diagnostic
Non (réf.) 1 1 1 1
Oui 2,26 [1,58 ;
3,23]***
2,25 [1,57 ;
3,22]***
1,83 [1,19 ;
2,83]**
3,98 [1,98 ;
8,00]***
***p-value < 0,001 ; **p-value < 0,01 ; *p-value < 0,05.
Champ : répondants à l’enquête VICAN5 en emploi au moment du diagnostic (N=1 887).
Note : les hommes ont plus de risque que les femmes (plus 38 %) de ne plus être en emploi à l’enquête.
Analyses : régressions logistiques binomiales non pondérées. Sont présentés ici les odds ratio.
Test : le test LR (test du rapport de vraisemblances), réalisé à partir des estimateurs de vraisemblance
de chaque modèle (-2LL), a permis de confirmer l’écart observé entre les deux sous modèles (modèles
3 et 4) et par là même la pertinence de cette stratification (Test LR = 35,6 - p-value = 0,008).
150
6.2.3. Des conditions de maintien en emploi différentes selon le sexe :
étude des personnes toujours en emploi à cinq ans du diagnostic
Après un diagnostic de cancer, le temps partiel reste l’apanage des femmes… au détriment
des hommes ?
En France, le travail à temps partiel reste globalement l’apanage des femmes (quatre
emplois à temps partiel sur cinq sont occupés par des femmes) : 30,6 % d’entre elles occupent
un emploi à temps partiel contre seulement 7,7 % des hommes (Insee, 2017). Cette réalité
sociale se retrouve dans notre échantillon d’analyse au moment du diagnostic ainsi que cinq ans
plus tard (bien que la part d’hommes à temps partiel ait largement augmenté entre les deux
dates). Cinq ans après le diagnostic de cancer, les personnes en emploi sont nombreuses à avoir
diminué leur temps de travail. Les femmes, initialement plus souvent à temps partiel, ont plus
fréquemment réduit leur quotité de travail (elles sont 13,9 % contre seulement 9,4 % chez les
hommes), tandis que les hommes ont généralement réduit leur temps réel de travail tout en se
maintenant à temps plein. Les femmes comme les hommes sont généralement satisfaits de leur
modification de temps de travail : seulement 11,2 % versus 14,1 % respectivement ne s’en
disent pas satisfaits et l’écart de proportion n’est pas statistiquement significatif ce qui,
contrairement au constat fait en population générale selon lequel les hommes sont plus
nombreux en proportion à subir leur temps partiel de travail (Pak, 2013), ne révèle aucune
différence entre ces deux groupes en termes de temps de travail subi ou choisi (Maruani, 2011;
Moulin, 2016). Alors que la prévalence de temps partiel chez les femmes est généralement
associée à la présence d’enfant(s) à charge en population générale, cette corrélation n’a pas été
observée ici. Ainsi, la persistance de cet écart entre les hommes et les femmes en ce qui
concerne la mise à temps partiel malgré la survenue de la maladie ne peut s’expliquer
exclusivement par un impact genré de la structure familiale (Laufer, 2014). De plus, cet écart
constaté entre les femmes et les hommes est particulièrement significatif chez les personnes
exerçant une activité d’encadrement au diagnostic : les femmes cadres réduisent plus souvent
leur temps de travail que les hommes cadres. Ajouté au constat selon lequel les hommes ont
significativement moins recours au temps partiel thérapeutique que les femmes69, cela nous
amène à questionner l’acceptabilité du temps partiel masculin sur le marché du travail ; les
hommes sont-ils moins prompts à demander un temps partiel du fait de sa faible prévalence
69 Sur ce point, voir chapitre 7 du présent document ou le chapitre 13 tiré de l’ouvrage collectif La vie
cinq ans après un cancer de l’INCa (2018).
151
parmi les hommes en population générale ? Les employeurs seraient-ils moins enclins à
proposer ou à accepter une réduction de quotité chez leurs salariés hommes plutôt que chez
leurs salariées femmes ?
Les écarts de PCS et les écarts de salaire entre les hommes et les femmes restent stables :
signe d’un impact indifférencié du cancer ?
Parmi les personnes âgées de 18 à 54 ans au diagnostic en emploi aux deux temps
d’observation, la part de personnes exerçant une profession de cadre supérieur au moment de
l’enquête a légèrement augmenté depuis le diagnostic pour les hommes comme pour les
femmes : 34,7 % pour les premiers (contre 31,4 % au diagnostic) et 16,6 % pour les secondes
(contre 15,6 % au diagnostic). La différence de genre reste significative au seuil de 0,01 %, et
ce, quel que soit le niveau d’études. De même, si l’écart se resserre légèrement, il reste
néanmoins statistiquement différent entre les femmes et les hommes atteints d’un cancer non-
sexué. Cependant, bien que l’augmentation de la part de cadres soit plus marquée pour les
hommes que pour les femmes, celle-ci est faible et n’est pas statistiquement significative. Enfin,
cette catégorie socioprofessionnelle favorise le maintien en emploi aussi bien pour les hommes
que pour les femmes.
Au moment du diagnostic de la maladie, les femmes percevaient un revenu professionnel
mensuel moyen de 1 631 €, contre 2 381 € pour les hommes. Cinq ans après le diagnostic, le
même écart s’observe pour les personnes qui se sont maintenues en emploi : 1 652 € en
moyenne pour les femmes et 2 401 € pour les hommes. Ainsi, la maladie ne semble avoir ni
augmenté ni diminué les écarts de salaire observés entre les hommes et les femmes. Ce résultat
s’observe aussi bien en moyenne (à partir des personnes en emploi au diagnostic et de celles en
emploi cinq ans après séparément) que pour la population en emploi aux deux dates. Une
analyse par la méthode des différences de différences70 après appariement de la population
d’étude sur des caractéristiques socioprofessionnelles ainsi que sur les localisations du cancer
70 Pour cette analyse, la période considérée est le moment du diagnostic (salaires mesurés au diagnostic
et à l’enquête) et le « traitement » est le sexe de l’individu. Ainsi, parmi les personnes en emploi au
diagnostic et à l’enquête, diagnostiquées d’un cancer non-sexué et qui ont été appariées sur des
caractéristiques socioprofessionnelles (soit l’âge, le statut familial, le niveau d’études, le statut
professionnel, la catégorie socioprofessionnelle et l’évolution péjorative de la maladie), la différence
avant-après diagnostic des différences de salaires entre les femmes et les hommes est de 0,060
(p.value=0,515).
152
confirme la non-significativité de l’écart homme-femme dans l’évolution du salaire entre le
moment diagnostic et de l’enquête.
Par ailleurs, la différence de salaire observée aux deux dates ne semble pas toujours
explicable par des facteurs socioprofessionnels. En effet, la mise en place de la méthode
statistique Blinder-Oaxaca (encadré 6.1) montre que 41,2 % seulement (34,4 % après prise en
compte de l’effet de sélection de la participation au marché du travail) de l’écart observé au
diagnostic est expliqué par les caractéristiques sociodémographiques et professionnelles telles
que l’âge, la situation familiale, l’IDS, le milieu de résidence, le niveau d’études, le type de
contrat de travail, le nombre d’années d’expérience, la catégorie socioprofessionnelle, le secteur
d’emploi et le temps de travail (les écarts sont similaires au moment de l’enquête). En
population française, la part expliquée est de l’ordre de 80 % et de 50 % lorsque la population
d’étude est réduite aux salariés à temps plein (Meurs et Ponthieux, 2000). Le manque de
précision des données disponibles dans l’enquête ne nous permet pas de mesurer précisément
la part de discrimination dans l’écart de salaire entre les femmes, la part expliquée donnée
précédemment étant certainement sous-estimée par ce manque de données. Néanmoins,
l’objectif de ce travail n’est pas de mesurer précisément les différences entre les hommes et les
femmes mais plutôt d’analyser leur potentielle évolution entre le moment du diagnostic et de
l’enquête. Or, les écarts de salaire moyen mesurés au diagnostic et à l’enquête sont très
semblables (respectivement 41,2 % et 39,8 % sans effet de sélection et 34,4 % et 36,2 % avec).
De même, la part expliquée de l’écart salarial est la même entre le diagnostic et l’enquête. Ces
résultats ne nous permettent pas de confirmer ou d’infirmer un impact différencié du cancer sur
le salaire des hommes et des femmes.
153
Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca (1973) pour expliquer les
différences de salaire entre les femmes et les hommes
D’importants écarts de salaire ont été constatés entre les hommes et les femmes au
moment du diagnostic et cinq ans après. Cependant, comme nous l’avons vu en introduction de
ce chapitre, les différences hommes-femmes sur le marché du travail résultent le plus souvent
de différences professionnelles : la répartition des deux sexes étant différentes selon le secteur
d’activité, le secteur d’emploi, la catégorie socioprofessionnelle etc. Aussi, la méthode de
décomposition proposée à la fois par Blinder (Blinder, 1973) et Oaxaca (Oaxaca, 1973) consiste
à estimer indépendamment les équations de salaire des femmes et des hommes et d’en déduire
la part « expliquée » et la part « inexpliquée » de l’écart. La première étant relative aux
différences sociodémographiques et professionnelles entre les hommes et les femmes et la
seconde étant relative à la seule appartenance à un des deux sexes (ou du moins à des
caractéristiques non observables corrélées au sexe), une fois ces caractéristiques fixées. La part
inexpliquée correspond, lorsque le modèle est bien estimé, à une mesure de la discrimination
liée au genre. Cependant, celle-ci est souvent surestimée par la non-prise en compte de certaines
variables non observées, voire non-observables. La méthode de décomposition de Blinder-
Oaxaca permet d’estimer le niveau de salaire des femmes si elles avaient les mêmes
caractéristiques que les hommes. Ainsi, soit 𝑌𝐻 = 𝛼𝐻 + 𝛽𝐻𝑋 l’équation de salaire des hommes
et 𝑌𝐹 = 𝛼𝐹 + 𝛽𝐹𝑋 l’équation de salaire des femmes, on a :
(𝑋𝐻𝑘 − 𝑋𝐹𝑘
)��𝐻𝑘 comme mesure de l’écart expliqué et
∑ 𝑋𝐹𝑘 𝑘
𝑘=0 (��𝐻𝑘 − ��𝐹𝑘) comme mesure de la contribution des variables à l’écart inexpliqué
(Maillard et Boutchenik, 2018).
Pour prendre en compte les différences d’accès à certaines professions bien spécifiques,
Brown, Moon et Zoloth (Brown et al., 1980) ont proposé d’enrichir la méthode précédente en
intégrant dans la décomposition de l’écart de salaire moyen la ségrégation des emplois par sexe
estimée par la probabilité d’occuper telle ou telle profession (Meng et Meurs, 2001). Cette
méthode n’a néanmoins pas pu être mises en place ici, en intégrant les probabilités d’être dans
une catégorie socioprofessionnelle spécifique, à cause de la taille restreinte de notre échantillon
d’analyse.
154
Encadré 6.1. Méthode de décomposition de Blinder-Oaxaca (1973) pour expliquer les
différences de salaire entre les femmes et les hommes (suite)
La décomposition de l’écart a été réalisée en aval de la prise en compte de l’effet de
sélection de la participation au marché du travail (Meurs et Ponthieux, 2000). Plusieurs modèles
ont ainsi été testés : a) l’écart de salaire mesuré au diagnostic tenant compte de la probabilité
estimée d’être en emploi à cette date, b) l’écart de salaire mesuré à l’enquête tenant compte de
la probabilité estimée d’être en emploi à cette date, c) l’écart de salaire mesuré au diagnostic
tenant compte de la probabilité estimée d’être en emploi à la fois au diagnostic et à l’enquête,
d) l’écart de salaire mesuré à l’enquête tenant compte de la probabilité estimée d’être en emploi
à la fois au diagnostic et à l’enquête, e) l’écart de salaire mesuré au diagnostic tenant compte
de la probabilité estimée d’être dans le même emploi au diagnostic et à l’enquête, f) l’écart de
salaire mesuré à l’enquête tenant compte de la probabilité estimée d’être dans le même emploi
au diagnostic et à l’enquête, g) l’écart de salaire mesuré au diagnostic sans estimation d’effet
de sélection et h) l’écart de salaire mesuré à l’enquête sans estimation d’effet de sélection. Dans
les modèles concernés, l’estimation de l’effet de sélection (être en emploi) a été réalisée à l’aide
d’un modèle Probit, avec estimation de l’inverse du ratio de Mills intégrée dans l’équation de
salaire selon la méthode de correction en deux étapes d’Heckman (cf. Encadré 5.2), équation
effectuée selon la méthode de Blinder (Blinder, 1973) et Oaxaca (Oaxaca, 1973).
L’éventuelle hétéroscédasticité du modèle a été contrôlée.
Ainsi, le manque de données disponibles et la taille restreinte de notre échantillon d’étude
ne nous permettent ni de confirmer ni d’infirmer l’hypothèse d’un impact différencié de la
maladie sur les femmes et les hommes en termes d’évolution de carrière (évolution de la part
de cadre) ni en termes d’évolution de salaires.
Précarisation générale de la situation des femmes
Dans le chapitre précédent, un des constats exposés fut la précarisation de la situation
financière plus fréquente chez les femmes par rapport aux hommes parmi la population qui se
maintien en emploi. Si une partie de cette différence s’explique par une réduction du temps de
travail plus souvent formalisée chez les femmes (elles ont en effet plus souvent réduit leur
quotité de travail, tandis que les hommes ont généralement réduit leur temps réel de travail tout
en se maintenant à temps plein), elle reste pertinente toutes choses égales par ailleurs. En effet,
parmi les personnes en emploi au diagnostic et cinq ans après, et après ajustement sur
155
différentes caractéristiques sociodémographiques et professionnelles dont notamment l’âge, la
situation familiale, le niveau d’études, la catégorie socioprofessionnelle et le temps de travail,
les femmes ont une probabilité plus importante que les hommes de voir leurs revenus diminuer
à la suite du diagnostic d’un cancer. De plus, l’effet négatif d’être en couple plutôt que seule
sur la probabilité de connaître une diminution s’est révélé significatif uniquement pour le sous-
échantillon des femmes.
A la lecture d’autres travaux réalisés sur ce sujet, notre hypothèse initiale était contraire
aux résultats obtenus. Les hommes étant les principaux soutiens financiers d’un foyer
(« breadwinner ») et les femmes étant plus impliquées dans les activités domestiques (et
notamment l’activité de soins des membres de la famille) (Fontaine et al., 2007) et étant donné
que l’indicateur utilisé prend en compte les revenus du foyer rapportés a posteriori au niveau
individuel, on aurait pu s’attendre à une précarisation plus importante des hommes malades,
leur activité professionnelle serait en effet impactée ainsi que celle de leur conjointe qui
choisirait de travailler moins pour s’occuper de leur partenaire tandis que dans les foyers avec
une femme malade, seuls les revenus de celles-ci seraient impactés. Cette hypothèse était
soutenue par les travaux réalisés par Syse et ses coauteurs en Norvège (Syse et al., 2009), selon
lesquels les revenus des femmes connaissaient une diminution, que ce soit elles ou leurs
conjoints qui soient atteints d’un cancer, tandis que les revenus des hommes ne diminuaient que
dans le cas où eux-mêmes étaient malades. Cependant, les résultats du présent travail traduisent
à l’inverse une précarisation plus importante des foyers dans lesquelles les femmes sont
atteintes de cancer (sachant qu’aucune information sur la santé du conjoint n’est disponible
dans l’enquête).
Différence de perception selon le sexe
Plus d’une femme sur dix s’étant maintenue en emploi à cinq ans du diagnostic (10,5 %)
a déclaré avoir fait l’objet de rejet ou de discrimination à cause de la maladie de la part de
collègues de travail contre seulement 5,8 % des hommes (p-value < 0,05). De même, les
femmes sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à s’être senties pénalisées au
travail à cause de la maladie : respectivement 21,3 % contre 11,5 % (p-value < 0,001).
Financièrement, même constat : plus de trois femmes sur dix (31,1 %) ont déclaré au moment
de l’enquête que la maladie a été à l’origine d’une diminution de leurs revenus du travail contre
22,0 % des hommes (p-value < 0,01). Enfin, 12,0 % des femmes se disent insatisfaites de
l’emploi qu’elles occupent au moment de l’enquête contre 5,9 % des hommes (p-value < 0,001).
156
Ce résultat est en contradiction avec le constat réalisé en population générale selon lequel les
femmes se déclarent davantage satisfaites que les hommes dans leur emploi (Hauret et
Williams, 2017). Bien que cette insatisfaction des femmes ne soit pas associée à leur
changement d’emploi (p-value = 0,988), elle s’est avérée positivement corrélée à une réduction
du temps de travail d’au moins quatre heures (p-value < 0,05) et à une mise à temps partiel (p-
value < 0,01). De même, 30,1 % des femmes ayant réduit leur temps de travail au cours des
cinq années suivant le diagnostic ont déclaré au moment de l’enquête avoir été pénalisées au
travail contre 17,4 % de celles n’ayant pas réduit leur temps de travail (p-value < 0,001).
Ces résultats contrastés entre les hommes et les femmes sont d’autant plus marquants
qu’ils ne peuvent s’expliquer par la catégorie socioprofessionnelle occupée au diagnostic
(aucune différence n’a été observée en termes de discrimination ou de pénalisation perçue entre
les personnes exerçant une activité d’encadrement ou d’exécution au diagnostic). Il est
néanmoins difficile de conclure à une causalité directe entre la baisse du temps de travail et le
sentiment de pénalisation. En effet, ne disposant d’aucun repère temporel précis, ce sentiment
peut être l’objet d’une rationalisation individuelle a posteriori (Paraponaris et al., 2010). Ces
résultats sont analogues à ceux de Paraponaris et ses coauteurs qui montrent, dans leur étude
sur le maintien en emploi deux ans après un diagnostic de cancer, que la mesure de l’impact de
la discrimination perçue au travail était différente pour les femmes et pour les hommes. D’après
leurs analyses, le sentiment de discrimination serait endogène pour expliquer la sortie de
l’emploi pour les femmes uniquement : la simultanéité des causes (si la discrimination subie a
pu causer la sortie de l’emploi, cette dernière peut également être à l’origine d’un sentiment de
discrimination) constitue un biais dans le calcul des estimateurs. Cependant, l’étude VICAN
nous permet, par la nature longitudinale de l’échantillon principal, de contourner ce problème
d’endogénéité. En effet, l’analyse spécifique de cet échantillon de personnes ayant répondu aux
deux enquêtes réalisées à une distance de deux ans et cinq ans du diagnostic, permet de pallier
cette difficulté méthodologique. Les résultats montrent que les personnes ayant déclaré s’être
sentie pénalisée au travail deux ans après le diagnostic sont plus nombreuses à avoir diminué
leur temps de travail cinq ans après le diagnostic, ce résultat n’étant significatif que pour les
femmes. Cependant, la non-significativité des tests réalisés pour la sous-population des
hommes est nécessairement liée au moins en partie aux très faibles effectifs d’hommes ayant
déclaré avoir été pénalisés.
157
6.3. Spécificité des femmes atteintes d’un cancer du sein
6.3.1. Le cancer du sein aurait un impact spécifique sur la vie
professionnelle
Les femmes atteintes d’un cancer du sein représentant 55,6 % de notre échantillon, une
analyse de sensibilité excluant celles-ci a été réalisée afin, d’une part, de tester la robustesse de
nos principaux résultats exposés précédemment et, d’autre part, de mettre en application la
théorie de l’intersectionnalité : les femmes atteintes de cancer ont-elles toutes les mêmes
difficultés dans leur vie professionnelle, quel que soit le cancer ? C’est donc l’hypothèse H6.3
qui est testée ici.
Ainsi, des différences significatives ont été observées entre les femmes atteintes d’un
cancer du sein et les autres femmes de la population d’étude. Des corrélations observées jusqu’à
présent ne se sont plus révélées significatives : aucune différence n’a été observée entre les
hommes et les femmes en ce qui concerne la diminution de temps de travail (ni en quotité, ni
en heures réelles travaillées). La situation vis-à-vis du changement d’emploi s’inverse : parmi
les personnes atteintes d’un cancer non-sexué, les hommes sont plus nombreux que les femmes
à avoir changé d’emploi. En revanche, à l’instar des travaux réalisés par Ben Halima et al.
(2016), aucune différence n’a été observée entre les deux groupes de femmes en termes de
maintien en emploi et de transition professionnelle. Enfin, des différences significatives ont été
observées vis-à-vis de la perception d’avoir été discriminé ou rejeté par des collègues de travail,
de s’être senti pénalisé au travail à cause du cancer ou encore que la maladie ait été à l’origine
d’une diminution des revenus du travail : les femmes atteintes d’un cancer du sein sont
spécifiquement plus susceptibles d’avoir perçu un impact négatif de la maladie sur leur vie
professionnelle par rapport aux autres femmes qui elles, ne se distinguent pas des hommes sur
ce point.
Ce dernier résultat met en lumière une spécificité du cas des femmes atteintes d’un cancer
du sein qui ne semble pas s’expliquer à partir d’indicateur de gravité de la maladie, mais
tiendrait plus de la réalité sociale de cette pathologie. Cette étude soulève ainsi la nécessité de
prendre en compte la pluralité des cancers, en plus de leur niveau de gravité estimé, pour
analyser la vie professionnelle post-diagnostic. Si elle reste indispensable à l’étude d’une
certaine réalité sociale, la catégorie « femme » ne semble en l’occurrence pas suffisante pour
rendre compte des difficultés rencontrées par les personnes dans le retour au travail et le
maintien en emploi après un diagnostic de cancer.
158
6.4. Synthèse des résultats et conclusion
Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :
- Alleaume C, Peretti-Watel P. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer ;
l’intérêt d’une analyse au prisme du genre. Cancer et Genre (soumis, ouvrage collectif).
- Congrès International des Sociologues de Langue Française 2016. Alleaume C,
Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V et Peretti-Watel P. Inégalités
de genre sur le marché du travail en France : quand la maladie s’en mêle (communication
orale).
- Seminar of the European Trade Institute 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Bendiane
M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P. Gender inequality on employment
in France: when cancer interferes. First results from the French VICAN Surveys
(communication orale invitee).
- Assises du Cancer et du Genre 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.
Conditions de vie après un diagnostic de cancer : quelle place au genre ?
(communication orale).
Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :
- De nombreuses différences femmes-hommes ont été mises en évidence en ce
qui concerne la situation professionnelle post-diagnostic de cancer. Ainsi, à âge,
niveau d’études et catégories socioprofessionnelles contrôlées, les différences
suivantes ont été observées : recours aux arrêts-maladie plus fréquent chez les
femmes, reprise de l’activité professionnelle plus rapide chez les hommes, une
situation familiale particulièrement importante pour expliquer le maintien en
emploi des hommes seulement, les hommes sont plus nombreux que les femmes
à avoir changé d’emploi et enfin, parmi ceux qui ne sont plus en emploi à
l’enquête, les hommes sont plus souvent en invalidité et les femmes sont plus
souvent au chômage.
- Si les femmes se sont plus souvent maintenues en emploi, elles ont
paradoxalement plus souvent connu des difficultés financières.
- Les femmes atteintes d’un cancer du sein se distinguent des autres : elles ont
plus souvent perçu un impact négatif du cancer sur leur vie professionnelle par
rapport aux autres et ont plus souvent changé d’emploi à la suite du diagnostic.
159
En conclusion de ce chapitre, la notion de « genre » s’avère heuristiquement féconde pour
l’analyse du retour au travail et du maintien en emploi après un diagnostic de cancer, en ce sens
qu’elle permet de mieux appréhender les différences de sexe au-delà d’un rapport inégalitaire.
Nous avons par exemple montré que si certains facteurs, notamment de nature médicale,
influaient de la même manière la sortie de l’emploi pour les femmes et les hommes atteints de
cancer, d’autres sont plus spécifiques. Par exemple, l’âge semble un facteur pertinent pour
expliquer la probabilité de sortie de l’emploi des femmes alors que celui-ci sera évincé au profit
de l’éventuelle présence d’enfant(s) à charge, qui semble être un déterminant plus important
pour les hommes seulement. Ce résultat plaide en faveur des identités intersectionnelles : la
probabilité de se maintenir en emploi pour une femme âgée de plus de 50 ans ne résulte pas de
la simple addition des effets associés au fait d’être une femme d’une part et d’avoir plus de
50 ans d’autre part, mais d’une combinaison de ces facteurs.
De plus, les différences de situations des personnes sorties de l’emploi (chômage chez les
femmes et invalidité chez les hommes) semblent traduire des réalités sociales différentes vécues
par chacun des deux sexes du fait de leur appartenance sociale à un genre. Enfin, la spécificité
des femmes atteintes d’un cancer du sein, en particulier vis-à-vis de l’impact négatif perçu de
la maladie sur la vie professionnelle, interroge sur les origines de cette spécificité : est-ce la
longueur des traitements qui impliquent des arrêts de travail plus longs et ainsi un impact sur la
vie professionnelle plus important ? Sont-ce plutôt les représentations sociales associées à
l’atteinte d’un organe sexué et de ce fait à l’atteinte de la féminité pour certaines qui altèrent
ainsi les relations professionnelles ? L’absence de données spécifiques et la faible
représentation de certaines catégories (des hommes notamment mais aussi des femmes atteintes
d’un cancer du col de l’utérus par exemple) limitent notre recherche et ne permettent pas de
répondre aux nouvelles interrogations ainsi posées en cette fin de chapitre. De même, comme
cela a été dit en début de chapitre, notre analyse s’est restreinte à une approche binaire de la
notion de genre, notamment du fait de la nature de nos données. Ce chapitre aura néanmoins
permis de mettre en exergue la complexité des différences de sexe en termes d’évolution de la
situation professionnelle, au regard de la notion de genre. Complémentaire aux précédents, il
contribue à présenter les situations de vulnérabilités face au retour au travail et maintien en
emploi après un diagnostic de cancer.
160
Conclusion de la Partie 2 : de l’intérêt de l’analyse de la vulnérabilité
Le terme « vulnérable » est souvent revenu au fil de cette deuxième partie. Couramment
employé dans la littérature, nous nous le sommes approprié pour évoquer les difficultés accrues
rencontrées par les populations disposant des caractéristiques les moins favorables sur le
marché du travail. Cette « vulnérabilité » s’est avérée particulièrement associée à un impact
plus important de la maladie sur les trajectoires professionnelles. Mais de quoi parle-t-on
lorsqu’on emploie ce vocable ?
Identification des populations à risque
D’après les définitions consensuelles, la vulnérabilité tiendrait d’une inconscience du
risque ou d’une incapacité à y faire face. Lors du séminaire « Santé dégradée – Santé négociée :
le travail en question ? » organisé par le Laboratoire interdisciplinaire de sociologie
économique (Lise) du CNAM en décembre 2016, la notion de « vulnérabilité humaine » se
place au cœur de la journée de conférences et de débats portant sur la question de l’activité
professionnelle avec une « santé altérée » (accident ou maladie chronique). La psychologue du
travail Dominique Lhuilier reprend la définition donnée auparavant, qui attribue à la
vulnérabilité la notion de « réduction des capacités à faire face [aux risques] » et ajoute que sa
mesure conduirait alors à « évaluer le capital d’adaptation face au risque ou face aux contraintes
de l’environnement » de chaque individu. Or, justement, dans cette « société du risque », il
apparaît nécessaire de « détecter et d’accompagner les populations à risque ». « Détecter »,
identifier, c’est ce que nous nous sommes attachés à faire dans la deuxième partie de cette
recherche.
Synthèse des principaux résultats
Si les populations à risque de cancer en fonction de l’emploi occupé ont largement été
documentées dans la littérature scientifique, les recherches portant sur l’identification des
populations à risque d’une détérioration de leur vie professionnelle à la suite d’un cancer sont
plus récentes et moins nombreuses dans le contexte français. Ainsi, les trois chapitres de cette
deuxième partie répondent à nos trois hypothèses de départ, présentées dans le chapitre 2.
161
Pour rappel, la première était formulée ainsi : la dégradation professionnelle constatée
deux ans après le diagnostic de la maladie témoigne d’une situation durablement impactée,
l’observation de la situation cinq ans après le diagnostic devrait donc montrer un niveau
semblable, voire plus élevé, de vie professionnelle dégradée. En effet, les deux premiers
chapitres montrent que les difficultés professionnelles constatées à deux ans du diagnostic ont,
dans la majeure partie, perduré trois ans plus tard. Il semblerait ainsi que l’impact du cancer sur
la vie professionnelle puisse survenir à moyen terme. Ceci peut s’expliquer notamment par les
temporalités des différentes phases de protection sociale ; l’arrêt-maladie, par exemple, peut
durer jusqu’à trois ans, à la suite duquel une pension d’invalidité est proposée si la personne ne
souhaite pas ou n’est pas dans la capacité de reprendre une activité professionnelle. Cette
trajectoire décrit une sortie de l’activité trois années après le diagnostic de la maladie et explique
en partie les taux d’activité et d’emploi plus faibles dans VICAN5 par rapport à VICAN2
(INCa, 2014).
De plus, ces trois chapitres apportent un nouvel éclairage en ce qui concerne les personnes
vulnérables sur le plan professionnel face à un diagnostic de cancer et répondent ainsi à la
deuxième hypothèse. Celle-ci supposait que les personnes pour lesquelles la vie professionnelle
a été la plus impactée négativement sont celles ayant les caractéristiques socioéconomiques les
plus défavorables avant le diagnostic. En effet, les plus âgés sur le marché du travail, les
personnes ayant un contrat précaire au moment du diagnostic, les travailleurs indépendants et
les personnes qui conservent le plus de séquelles de la maladie (douleurs, fatigue, scores de
qualité de vie physique et mentale faibles) sont des populations particulièrement exposées à une
dégradation de leur situation professionnelle à la suite d’un diagnostic de cancer, dégradation
que nous avons identifiée par une sortie de l’emploi mais aussi par une précarisation de celui-
ci entre le diagnostic et l’enquête. En ce qui concerne les différences femmes-hommes, le
chapitre 6 a montré l’apport heuristique d’une approche par le genre et a souligné la complexité
des interprétations possibles.
Cette complexité illustre l’insuffisance du taux de retour au travail comme seul critère
d’une dégradation de la vie professionnelle, ce qui nous amène à la quatrième hypothèse. Celle-
ci présumait que le taux de retour au travail ou de maintien en emploi n’est pas suffisant pour
caractériser la dégradation de la vie professionnelle, la mise en inactivité pouvant être
souhaitée et ainsi témoigner d’une situation jugée favorable. Si, au premier abord, les femmes
semblent se trouver dans une situation plus favorisée avec un taux de maintien plus élevé en
emploi et un meilleur accès aux dispositifs de retour au travail, leur précarisation financière
162
plus fréquente interroge sur le processus de maintien en emploi. De nombreuses différences
entre les femmes et les hommes ont été mises en évidence dans ce chapitre, celles-ci témoignant
de la complexité de l’analyse liée à son aspect multidimensionnel. De même, le chapitre 5 a
souligné l’intérêt de considérer l’évolution de la situation financière en parallèle de la trajectoire
professionnelle, montrant notamment que les travailleurs indépendants, bien que plus souvent
en emploi, présentaient également plus souvent une dégradation de leur revenu du travail, signe
d’une dégradation de la vie professionnelle.
Limites de ces études
Avant la poursuite de l’analyse des principaux résultats de cette Partie 2, il nous faut en
considérer les principales limites. La première tient dans le design de l’enquête VICAN5,
utilisée dans ces trois chapitres. Ayant pour objectif de documenter sur les conditions de vie
deux (pour l’échantillon principal uniquement) et cinq ans après un diagnostic de cancer, la
population cible fut restreinte aux individus atteints d’un cancer et toujours en vie cinq années
après le diagnostic. Ainsi, les caractéristiques des personnes décédées dans cet intervalle n’ont
pas été prises en compte dans cette recherche. Or, considérant la corrélation entre certaines
caractéristiques socioéconomiques et la survie après un cancer (Woods et al., 2006), certaines
de ces caractéristiques pourraient être sous-représentées dans notre population d’étude
(Paraponaris et al., 2010). Néanmoins, celle-ci demeure représentative des personnes
diagnostiquées d’un cancer entre 2010 et 2011 et en vie cinq ans après.
Une deuxième limite qu’il nous semble important de présenter ici est l’absence, dans nos
analyses, de « population contrefactuelle », c’est-à-dire d’une population comparable à notre
population d’étude sur le plan des caractéristiques socioprofessionnelles, mais n’ayant pas
connu de diagnostic de cancer. Il nous est de ce fait impossible dans cette recherche d’imputer
la dégradation professionnelle constatée au seul fait du cancer. En effet, comment affirmer que
la population générale n’a pas connu pareil constat en l’absence de données longitudinales
adaptées ? Il n’existait, au moment de ces analyses71, aucune enquête en population générale
dont la vie professionnelle avait été observée sur une période de cinq années (les enquêtes
emploi de l’Insee suivant seulement sur deux ans une même population). Ainsi, lorsque nous
affirmons dans le chapitre 4 que la situation professionnelle est particulièrement dégradée pour
71 La réalisation d’une telle enquête a vu le jour depuis mais la mise à disposition des données ne fut pas
compatible avec le calendrier de réalisation de la présente recherche.
163
les populations les plus vulnérables initialement, telles celles ayant un faible niveau d’études,
nous pourrions supposer qu’en fin de carrière, un accroissement des inégalités professionnelles
se produise en population générale, dû notamment à une sortie de l’emploi plus courante chez
ces populations. De même, il est probable qu’en population française, une partie de la
population (non-atteinte de cancer) ait connu une précarisation de sa situation financière au
cours de la même période que celle observée dans le chapitre 5. Cependant, nous faisons
l’hypothèse qu’en l’absence d’un diagnostic d’une maladie grave comme le cancer, la vie
professionnelle des personnes ayant des caractéristiques semblables à celles de notre population
d’étude (majoritairement avancée dans la carrière) n’a pas été particulièrement perturbée. Cette
hypothèse est étayée par les constats réalisés par l’Insee en population française métropolitaine,
selon lesquels les taux d’activité, d’emploi et de chômage sont restés en moyenne relativement
stables entre 2010 et 2015 (de Plazoala et Rignols, 2017). Plus précisément, le taux d’emploi a
augmenté chez les seniors (hommes et femmes âgés entre 55 et 59 ans) tandis qu’il s’agit de la
population la plus impactée dans nos résultats. De plus, dans cette recherche, la majorité des
individus sortis de l’emploi est, au moment de l’enquête, en situation d’inactivité pour
invalidité, ce qui est moins fréquent en population générale. Enfin, la part d’emploi à temps
partiel n’a que très peu évolué en population française entre 2010 et 2015 (de Plazoala et
Rignols, 2017).
S’il nous semble nécessaire de garder ces points à l’esprit afin de ne pas surinterpréter
nos résultats, ces derniers n’en demeurent pas moins pertinents sous l’angle de la présente
recherche et, plus précisément, de cette deuxième partie, visant à caractériser les populations
les plus vulnérables face à une dégradation de la situation professionnelle après un diagnostic
de cancer.
La maladie révèle les vulnérabilités
Outre la catégorie socioprofessionnelle dont les analyses tiennent compte, le niveau
d’études est une information qui reste significativement pertinente pour expliquer le maintien
en emploi cinq ans après un diagnostic de cancer. Considérant qu’en moyenne le cancer est une
maladie qui survient à un âge plutôt avancé (moyenne globale à 65 ans, INCa ; moyenne de
notre échantillon restreint à 45 ans), la personne concernée se trouve généralement dans une
situation professionnelle pouvant être caractérisée de stable (majorité de contrat à durée
indéterminée et expérience dans l’emploi occupé). Aussi, le niveau d’études serait davantage
un reflet du statut social de l’individu. Le cancer aurait ainsi pour effet d’accentuer les inégalités
164
entre les groupes sociaux, en révélant la vulnérabilité de leur situation. Des études ont montré
par exemple que les personnes aux statuts socioéconomiques les plus modestes sont moins
promptes à s’impliquer dans leur parcours de soins (Boveldt et al., 2014; Mancini, 2018; Muscat
et al., 2016), ayant souvent une connaissance limitée de leurs droits. On peut dès lors supposer
que ces personnes ont moins connaissance des dispositifs auxquels elles pourraient prétendre
pour favoriser leur maintien en emploi. Par ailleurs, de nombreuses études mettent en lumière
l’employabilité réduite des personnes ayant un faible niveau d’études et, a fortiori, de diplôme
(Konle-Seidl, 2017; Prouet et Rousselon, 2018; Rhun et Pollet, 2011). Ajoutée à un risque plus
important de sortir de l’emploi, la perspective d’avoir moins de chances d’en retrouver un au
même niveau de qualification constitue une « double-peine » qui accentue la vulnérabilité des
personnes peu diplômées. Enfin, les difficultés rencontrées par les personnes de plus de 50 ans
pour retrouver un emploi sont une contrainte qui s’ajoute à celle sus-évoquée. Ainsi, outre les
conséquences négatives de la maladie sur l’emploi, le cancer semble révéler des inégalités
sociales préexistantes dont l’impact avait été jusqu’alors contenu par la performance et
l’expérience professionnelle.
De l’assistance à l’accompagnement
Dans son intervention au séminaire « Santé dégradée – Santé négociée : le travail en
question ? » évoqué précédemment, le philosophe Guillaume Leblanc revient sur les différents
« âges » de l’approche de la question sociale de la vulnérabilité. Tandis qu’au XIXème siècle,
la question était abordée principalement sous l’angle de l’assistance aux personnes vulnérables
(avec notamment la mise en place d’un service national de médecine gratuite pour les indigents
à la fin du siècle), au XXème siècle, se sont largement développés des systèmes d‘assurance
visant majoritairement à prévenir la situation de fragilité. Ainsi, la conceptualisation de la
vulnérabilité était jusqu’alors largement influencé par les positions d’Auguste Comte et de
Claude Bernard, qui se sont appliqués à définir le normal pour le premier et le pathologique
pour le second. Ces visions complémentaires impliquent ainsi que le pathologique est une
modification du normal (état de référence auquel il faudrait revenir) et doit ainsi être
« maîtrisé » et « corrigé ». Aujourd’hui, en revanche, l’approche de la vulnérabilité rejoint
davantage la vision développée par Canguilhem (1966), qui ne définit plus le pathologique
selon une modification quantifiable de l’état normal mais comme un état différent, disposant
d’une normativité qui lui est propre. Dès lors, une personne vulnérable n’est plus seulement une
personne fragile, se définissant strictement par son « caractère déficitaire », ayant vu sa santé
165
altérée, mais dispose également d’un « caractère capacitaire » ; être vulnérable, c’est avoir la
capacité de se sortir d’une situation de fragilité. Le « Nouvel âge » est alors à
l’accompagnement des personnes vulnérables. Cette vision influence grandement notre
approche des conditions de vie.
Par ailleurs, pour la psychologue du travail Lhuilier, malgré un caractère capacitaire
reconnu, la notion de vulnérabilité apparaît encore, d’une part, comme un « critère distinctif »
visant à différencier la personne apte de la personne fragile, renforçant ainsi les rapports de
dominations, et, d’autre part, comme un « principe explicatif » visant à mettre en cause et à
responsabiliser l’individu vulnérable.
Dans ce contexte, comment les individus usent-ils de leurs capacités pour aborder leur
reprise ou leur maintien d’activité et leur maintien en emploi ? En quoi peut consister leur
« caractère capacitaire » et quelle est la place du risque de stigmatisation ? Plus précisément,
quelles sont les ressources dont ils disposent et quels sont les enjeux de leur mobilisation ?
Comment les individus envisagent-ils en ce sens la reprise de l’emploi (lorsqu’ils sont en arrêt-
maladie notamment), et comment prennent-ils (ou non) leur décision ? Ce sera l’objet de la
partie suivante. Pour cela, la Partie 3 ciblera la réflexion sur l’individu, ses ressources et ses
contraintes. La maladie semble en effet révéler les vulnérabilités individuelles, comme si la
lumière était tout à coup pointée sur ces caractéristiques individuelles et sociales, déterminantes
des ressources individuelles et des capacités de chacun à affronter un événement traumatique
(altérant la santé) comme peut l’être un diagnostic de cancer.
166
Partie 3. Levier de la reprise de l’activité
professionnelle après un diagnostic de cancer :
analyse d’un processus biographique
D’après les résultats de l’enquête VICAN5 présentés dans la partie précédente de cette
recherche, plus de la moitié (54,1 %) des personnes en emploi au diagnostic a connu une
modification de sa situation professionnelle que ce soit en termes de sortie de l’emploi, de
changement d’emploi ou encore de réduction du temps de travail. Si des facteurs individuels,
socioprofessionnels et médicaux de ces changements ont pu être mis en évidence montrant
notamment le caractère cumulatif de la charge cancer aux vulnérabilités professionnelles, ce
type de matériau ne nous permet pas de comprendre plus finement le cheminement des
individus ayant abouti à ces changements d’ordre professionnel. De même, l’observation d’une
situation continue (maintien dans le même en emploi, avec le même temps de travail) ne permet
pas de conclure à l’absence de changement et a fortiori à l’absence de bifurcation. En effet, une
réduction de l’implication au travail n’est pas toujours mesurable alors qu’elle pourrait être le
signe d’un impact de la maladie sur le rapport au travail ou sur le changement de priorités,
témoin de l’existence d’une bifurcation professionnelle.
Ainsi, cette troisième partie a pour objectif principal de compléter les résultats précédents
en investiguant les ressources individuelles et d’explorer plus finement les angles morts
soulignés dans la partie précédente afin de comprendre comment le cancer peut entraîner de
telles divergences dans les trajectoires professionnelles post-diagnostic et, plus précisément,
d’analyser ce qui se joue en amont de ces transitions. Pour cela, le chapitre 7, analysera les
moyens mobilisables pour favoriser le maintien en emploi des individus puis le chapitre 8
proposera un modèle théorique synthétisant les différents éléments en jeu dans le processus de
retour au travail et de maintien emploi post-diagnostic de cancer, modèle qui sera, dans un
dernier chapitre, le chapitre 9, illustré au regard de l’analyse des données recueillies lors de
l’enquête qualitative CAREMAJOB.
167
Chapitre 7. Les leviers du maintien en emploi après un diagnostic
de cancer
L’objectif de ce chapitre est d’analyser les leviers du maintien en emploi après un diagnostic
de cancer. Pour cela, nous recensons dans un premier temps les ressources identifiées par la
littérature et celles proposées par les pouvoirs publics afin de contextualiser notre recherche au
regard de celles existantes ou expérimentées. En deuxième point, nous proposons de poser la
focale sur les dispositifs d’aménagement du travail recommandés par les autorités françaises,
étudiant les modalités de recours ainsi que leurs effets sur le maintien en emploi. Enfin, des
initiatives locales et nationales sont présentées afin d’alimenter la réflexion sur les leviers à
mobiliser pour faciliter la poursuite de la vie professionnelle. Nous verrons dans quelle mesure
celles-ci peuvent être complémentaires aux ressources disponibles.
7.1. Résultats de recherches interventionnelles et dispositifs disponibles en
France : état des lieux des ressources pour favoriser le maintien en
emploi
7.1.1. Interventions en faveur du maintien en emploi : revue de littérature
Le constat des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer s’agissant de
leur situation professionnelle a conduit des équipes de recherche à explorer les interventions
qui pourraient être mises en place pour pallier ces difficultés. Des revues internationales ont
recensé les études sur ce sujet. La première revue (Tamminga et al., 2010) identifie les
interventions selon le modèle proposé par la Classification internationale du fonctionnement et
du handicap (CIH) de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS, 2001), qui distingue les
interventions visant à améliorer la structure et le fonctionnement du corps par la pratique
d’activités physiques notamment, celles ciblées sur les facteurs environnementaux, telles que
des heures de travail réduites permettant un retour progressif à l’emploi, une formation
professionnelle ou encore un échange entre un professionnel de santé et l’employeur pour
optimiser les conditions du retour en emploi, et enfin les interventions centrées sur des facteurs
personnels, telles que les mesures d’encouragement, d’information, de conseils ou encore de
discussions thématiques en groupe.
168
Une deuxième revue (de Boer et al., 2015, 2011) propose une autre classification fondée
non plus sur les conditions d’implantation (sur qui ou quoi l’intervention est menée) mais sur
le domaine d’application. Les interventions peuvent être psycho-éducatives (telles que les
activités de conseils, d’éducation, d’enseignement de technique d’adaptation et de solution de
problème réalisées par des professionnels qualifiés), professionnelles (pouvant cibler le salarié,
comme des actions de coaching professionnel ou de réadaptation, mais également
l’environnement de travail telles que les aménagements du travail, ou encore des actions visant
à améliorer la communication entre ou avec les collègues, les supérieurs et les professionnels
de santé), physiques (programmes d’activités physiques et/ou de rééducation de certaines
fonctions physiques), médicales ou pharmacologiques (interventions médicales et/ou
médicamenteuses), et enfin multidisciplinaires (combinant des interventions psycho-
éducatives, professionnelles, physiques et médicales).
En termes de résultats, seules les interventions multidisciplinaires, focalisées au niveau
individuel selon la première classification et combinant des approches psycho-éducatives,
professionnelles, physiques et médicales pour la seconde, semblent avoir montré leur efficacité
sur le retour au travail, celle-ci se traduisant principalement par un taux de retour au travail
supérieur par rapport aux individus ayant eu une prise en charge classique. Quelle que soit la
classification choisie, la conclusion de ces différentes revues est unanime : elles constatent un
manque de données sur le sujet et plus particulièrement un manque d’études portant sur des
interventions dont l’intérêt exclusif est la reprise ou le maintien d’une activité professionnelle.
Par analogie, elles soulignent la pauvreté de la littérature scientifique sur l’évaluation des
différentes interventions réalisées, notamment vis-à-vis du maintien en emploi, la plupart se
focalisant principalement sur le retour au travail dans une courte période (un à deux ans
maximum après le diagnostic). Elles relèvent également l’absence d’étude évaluant l’efficacité
des interventions réalisées en milieux de travail et montrent que la majorité des interventions
est réalisée en milieu hospitalier, par des professionnels de santé. Les auteurs concluent en ce
sens sur la nécessité d’explorer des interventions spécifiquement ciblées sur l’environnement
professionnel dont l’efficacité a pu être démontrée dans le cadre d’autres pathologies (Franche
et al., 2005; Varekamp et al., 2006).
La revue la plus récente (Caron et al., 2017) soulève également la difficulté d’évaluer les
interventions professionnelles et l’inadéquation des protocoles expérimentaux, suggérant, pour
de futures études, l’utilisation de protocoles mixtes mobilisant une double approche quantitative
et qualitative. Cette revue ajoute la nécessité de développer des théories d’intervention en amont
169
de leur mise en place, théories absentes dans l’ensemble des articles étudiés. Enfin, ces
différentes revues soulignent également l’absence de directives globales mise en évidence par
la diversité des interventions poursuivant le même objectif.
7.1.2. Présentation des dispositifs nationaux en France
En France, de nombreux dispositifs nationaux ont été mis en place ces dernières années
pour lutter contre la désinsertion professionnelle des personnes présentant un handicap. Un
tableau recensant ces différents dispositifs et leurs conditions de mises en place est disponible
en annexe 8 afin de donner un aperçu des ressources disponibles. Comme le montre ce tableau,
certains dispositifs consistent en des compensations financières de l’arrêt de travail impliqué
par la maladie et ses traitements, telles que les indemnités journalières de la Sécurité sociale
(IJSS), les indemnités complémentaires, l’allocation Adulte handicapé (AAH), la pension
d’invalidité, tandis que d’autres permettent une reconnaissance administrative telle que la
reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), favorable, voire nécessaire, à la
mise en place de dispositifs financiers ou fonctionnels, et enfin des dispositifs fonctionnels sur
l’environnement professionnel sont également prévus tels que la visite de pré-reprise, les
dispositifs d’aménagement de poste et l’autorisation d’absence, afin de faciliter la reprise de
l’activité.
Cependant, si les deux premières catégories sont prévues pour tous, sous conditions
d’éligibilité, par des organismes sous l’égide de l’Etat, les dispositifs portant sur
l’environnement professionnel font l’objet d’une simple recommandation des autorités et n’ont
aucune obligation de mise en place. Par exemple, l’aménagement du travail est un dispositif
largement recommandé par la loi française (Code du travail, Article L1226-2) dans l’objectif
d’assurer une prise en charge adaptée des différentes séquelles afférentes au cancer comme
celles évoquées précédemment et ainsi de limiter la désinsertion professionnelle en limitant
notamment le licenciement et l’absentéisme. Si dans certaines entreprises (en particulier dans
de grandes entreprises) ce dispositif est inscrit dans la convention collective, il demeure, dans
les faits, difficile d’en contrôler l’instauration. Enfin, si l’objectif premier des dispositifs de
maintien en emploi portant sur l’environnement professionnel, tels que les aménagements du
travail, est de pallier des handicaps physiques ou psychiques, la qualification en tant que
travailleur handicapé n’est pas nécessaire à leur mise en place.
170
Ainsi, comment expliquer que, dans ce contexte où tant de dispositifs sont disponibles
spécifiquement pour favoriser le retour au travail et le maintien en emploi des personnes ayant
subi une altération de leur santé, des difficultés, telles que l’augmentation du taux de chômage
et la précarisation financière énoncées dans la deuxième partie de cette recherche, perdurent ?
Malgré l’existence de ces dispositifs et l’important recours à ceux-ci (Duguet et Clainche,
2016; Fau-Prudhomot et al., 2012; INCa, 2014), très peu ont fait l’objet de recherches
scientifiques visant à analyser leur efficacité. En France, une seule étude a montré l’impact
positif du recours à un aménagement sur un retour plus précoce au travail après un arrêt-maladie
lié au traitement d’un cancer (Duguet et Clainche, 2016). Ainsi, pour répondre à la question
précédente, ce chapitre s’inscrit dans la continuité de ces travaux et analysera plus finement les
dispositifs d’aménagement du travail en mobilisant la théorie des capabilités de Sen. Le parti
pris de mobiliser spécifiquement cette théorie nous a semblé s’inscrire dans la continuité
naturelle de notre réflexion sur la pertinence de notre sujet d’étude : après un diagnostic de
cancer, le maintien en emploi est-il un idéal, un objectif à atteindre ? S’ils le voulaient, les
individus concernés seraient-ils capables de reprendre leur activité ? Et, dans le cas contraire,
seraient-ils capables de ne pas reprendre ? Pour apporter des éléments de réponse, la deuxième
partie de cette recherche a porté sur les freins au maintien en emploi argumentant sur la disparité
des situations semblant défavorables aux individus les plus vulnérables sur le marché du travail.
Au cours de ce travail d’analyses statistiques, nous nous sommes interrogés également sur les
mécanismes pouvant expliquer un départ vers l’inactivité pour invalidité plus fréquent pour les
hommes que pour les femmes à âge et état de santé a priori similaires. De même, comment
expliquer le départ en inactivité autre que la retraite et l’invalidité des personnes ayant un niveau
de revenus particulièrement élevé au moment du diagnostic ? Ces réflexions nous ont conduit
à interroger la liberté individuelle dans les conditions de poursuite de leur vie professionnelle.
L’approche par les capabilités développée par l’économiste Armatya Sen permet de tenir
compte des disparités de ressources individuelles dans la considération du « fonctionnement »,
c’est-à-dire du phénomène observé, en l’occurrence la poursuite professionnelle.
171
7.2. L’aménagement du travail : un outil pour égaliser les capabilités ?
7.2.1. Ancrage théorique : l’approche par les capabilités de Sen
« la norme de l’intervention publique dans l’ordre social sera donc l’égalité des capabilités :
si une telle égalité est bien instaurée, l’ensemble des modes de vie entre lesquels les individus
arbitreront en toute responsabilité est le même pour tous ».
(Gamel, 2007, p.143)
Malgré l’investissement des autorités pour proposer des dispositifs d’aménagement du
travail afin de garantir une reprise progressive de l’activité professionnelle après un diagnostic
de cancer, les trois chapitres précédents ont montré les inégalités individuelles,
socioprofessionnelles et médicales dont fait toujours l’objet la question de la reprise et du
maintien d’une activité professionnelle post-diagnostic. Comme nous l’avons vu
précédemment, nous sommes en présence de personnes dont la capacité à accomplir leur tâche
professionnelle a été altérée. Elles doivent ainsi s’adapter à leurs nouvelles capacités ainsi qu’à
celles demandées par leur activité professionnelle. Au vu de ces constats, notre question de
recherche est la suivante : l’aménagement du travail constitue-t-il un outil pour adapter et
égaliser les capacités individuelles ? Au-delà de la question de l’égalité, cette question nous
renvoie à la notion d’équité selon laquelle l’adaptation des ressources mises à disposition pour
favoriser le retour au travail et le maintien en emploi en fonction des besoins individuels
permettrait de lutter contre les inégalités sociales et économiques mises en évidence dans les
trois chapitres de la partie précédente (vulnérabilité accrue des personnes de statut
socioéconomique modeste).
Cette question fait écho à la théorie de Sen, l’approche par les capacités72, en ce sens
qu’elle amène à étudier les latitudes d’actions des personnes atteintes d’un cancer pour faciliter
leur reprise professionnelle à la suite d’un arrêt-maladie. La théorie développée par Sen s’inscrit
en réponse à la théorie de la justice développée par Rawls qui prône l’égalité des « biens sociaux
premiers » pour tous (Rawls, 1982). Pour Sen, l’égalité sociale tient davantage des capacités
des individus à accéder à leurs biens premiers et à mobiliser les ressources à leur disposition
pour ce faire. Cette théorie prend en compte une notion inexplorée par la première : le handicap.
72 Le néologisme « capabilités » est également utilisé indifféremment pour exprimer en français la notion
de « capabilities » développée par Sen (Sen, 2012, 1992).
172
Analyser les capacités individuelles c’est tenir compte, pour chacun, des différences de moyen
pour satisfaire les biens premiers notamment. Ainsi, comme l’illustre la citation de l’économiste
Claude Gamel présentée ci-dessus, extraite d’un numéro spécial de la revue Formation emploi
sur l’approche par les capacités, il s’agit pour Sen de garantir une liberté laissée aux acteurs
pour choisir l’option qu’ils préfèrent pour atteindre leur objectif. La théorie oppose d’une part
les capacités et les fonctionnements (« capabilities » et « functionings »73) et d’une autre, les
capacités et les ressources (« ressources »).
Si tous les individus souhaitent la même combinaison de fonctionnements et s’ils
disposent tous des mêmes ressources matérielles et formelles, des inégalités pourront apparaitre
dans les capacités de chacun à convertir ses ressources en fonctionnement. Robeyns (2000)
identifie deux types de facteurs de conversion : les caractéristiques personnelles (conditions
physiques et mentales, compétences individuelles etc.) et les caractéristiques sociales
(infrastructures, politiques publiques, normes sociales etc.) (Robeyns, 2000). Parmi cette
dernière catégorie, Bonvin et Farvaque (2007) distinguent les facteurs de conversion sociaux
(normes sociales, contexte politique etc.) et environnementaux (tels que les infrastructures)
(Bonvin et Farvaque, 2007). Il est essentiel d’étudier précisément ces facteurs de conversion
car ils sont le seul moyen de mise en œuvre d’une capacité. L’intérêt de cette approche est
illustré par Sen dans l’exemple suivant : Sen considère deux individus qui, tous deux, ne
satisfont pas leur fonction première de se nourrir correctement. Si le résultat (le fonctionnement
effectif) est le même - tous les deux souffrent de la faim - le processus est totalement différent.
En effet, tandis que le premier individu est victime de la famine en Afrique, le second a décidé
d’entreprendre une grève de la faim devant l’ambassade de Chine pour protester contre
l’occupation au Tibet. Les deux individus ne peuvent être pris sur un plan d’égalité puisque
dans le premier cas, la personne ne dispose pas des capacités nécessaires à faire un choix en
toute liberté, contrairement au second. Cet exemple est repris dans l’article de Robeyns pour
argumenter sur l’intérêt de l’approche par les capacités en tant que modèle de pensée fondé sur
la notion de liberté (Robeyns, 2000).
Si, dans l’idéal, « l’analyse empirique des capabilités suppose de reconstituer, pour
chaque personne, l’ensemble des alternatives concrètes qui s’offrent à elle, c’est-à-dire
l’étendue des possibilités réelles – et non formelles – qui lui sont offertes » (Lambert et Vero,
2007 p.59), de nombreuses études font état de l’impossibilité de rendre compte de manière
73 « Capability is a set of vectors of functionings, reflecting the person’s freedom to lead one type of life
or another » (Sen, 1992, p.40).
173
exhaustive de la capacité d’une personne, ce qui constitue l’une des principales limites opposées
à l’application de cette théorie (Lambert et Vero, 2007). L’objectif de ce chapitre est donc plus
modeste et porte sur l’analyse spécifique des dispositifs disponibles pour favoriser le maintien
en emploi et le retour au travail.
Dans ce cadre, nous faisons le postulat suivant : après un diagnostic de cancer, les
personnes atteintes sont confrontées à un choix avant tout personnel de reprendre ou non leur
activité professionnelle et, le cas échéant, dans quelles conditions. Nous faisons l’hypothèse
que si ce choix peut effectivement être contraint par différents facteurs dont ceux évoqués
précédemment, la volonté individuelle reste déterminante dans la décision finale. Ainsi, si le
contexte de la décision était idéal au sens de Sen (donc non contraint), alors le résultat observé
(en l’occurrence la situation professionnelle) serait le fruit d’un choix reposant uniquement sur
des critères de préférences individuelles. Dans cette optique, la sortie de l’emploi résulterait
d’un choix personnel.
Ce postulat nous permet de questionner la norme sociale selon laquelle la reprise de
l’activité professionnelle telle qu’elle était exercée avant le diagnostic de cancer serait l’objectif
à atteindre. En effet, comme en témoignent les revues de littérature présentées dans le chapitre
4, l’indicateur le plus utilisé pour évaluer l’impact du cancer sur la vie professionnelle est le
taux de reprise de l’emploi occupé. Très peu d’études interrogent la satisfaction des individus
vis-à-vis de leur nouvelle situation professionnelle.
L’analyse suivante portera particulièrement sur le dispositif des aménagements du travail
sous l’angle de l’approche des capacités : tous les individus ont-ils accès aux aménagements ?
Ceux qui y ont accès ont-ils, tous, la même capacité de les mobiliser ? Quelle est la place de ce
dispositif dans le choix personnel d’une reprise de l’activité professionnelle ? Pour répondre à
ces questions, nous formulons l’hypothèse suivante :
- H7.1. Etant donné l’absence d’obligation et de systématisation de l’offre
d’aménagement du travail de la part d’une entreprise pour un salarié ayant eu un
diagnostic de cancer, et à l’aune des résultats apportés par la revue de littérature,
d’importantes disparités sont attendues dans le recours aux aménagements selon les
profils socioprofessionnels des individus. L’hypothèse est que les individus ayant
recours à un tel dispositif font l’objet d’une sélection en amont : de leur propre
initiative et/ou de celle de leur hiérarchie (manager ou employeur). Les personnes
vulnérables, ayant une situation professionnelle initiale moins favorable, seraient
174
ainsi moins disposées à demander de tels dispositifs. De même, celles-ci se verraient
proposer ces aménagements moins fréquemment.
Pour répondre à cette hypothèse, nous nous appuierons dans un premier temps sur les
données de l’enquête VICAN5 pour, d’une part, documenter le recours aux aménagements du
travail dans une population concernée par la reprise d’activité après un diagnostic de cancer et
les éventuelles spécificités des caractéristiques individuelles, sociales et médicales associées et,
d‘autre part, évaluer leur effet sur le maintien en emploi. Dans un second temps, les données
recueillies dans le cadre de l’enquête qualitative CAREMAJOB seront mobilisées pour apporter
un éclairage complémentaire.
Les variables relatives à la présence d’aménagements ont été construites à partir des
questions présentées en figure 7.1. Les types d’aménagements explorés dans cette étude portent
uniquement sur le poste de travail, le temps de travail et les horaires. D’autres catégories étaient
disponibles mais n’ont pas fait l’objet d’analyses approfondies pour les raisons suivantes : la
proposition « condition de travail » était sujette à une trop grande hétérogénéité d’interprétation,
et les modifications en termes de lieu de travail et de sécurité ont été peu choisies par les
participants, les faibles effectifs associés ne permettaient ainsi pas la poursuite des analyses. De
plus, un regard spécifique est également porté sur le temps partiel thérapeutique, un dispositif
d’aménagement du temps de travail temporaire visant à favoriser le maintien en emploi.
Par ailleurs, au fil des résultats obtenus et lorsque cela est pertinent, des discours extraits
des entretiens réalisés dans le cadre de l’enquête qualitative CAREMAJOB sont également
mobilisés pour appuyer notre propos. Les extraits sélectionnés ont pour objectif de compléter
les résultats de l’exploitation de l’enquête VICAN5 en apportant un éclairage supplémentaire,
nécessaire à l’analyse des capacités individuelles à se saisir des aménagements dans l’objectif
de reprendre une activité professionnelle, ainsi qu’à l’analyse du choix individuel. L’objectif
est donc de déterminer dans quelle proportion les personnes ont eu recours à ces dispositifs, si
les possibilités d’accès et de recours à ceux-ci sont égales pour tous et, enfin, dans quelle mesure
favorisent-ils, ou non, le maintien en emploi à un horizon de cinq années post-diagnostic.
L’alternance des analyses de données quantitatives et qualitatives permet d’apporter un
éclairage plus complet au sujet abordé, les témoignages venant, dans la mesure du possible
introduire ou, à l’inverse, compléter les résultats statistiques de l’enquête nationale.
175
Figure 7.1. Extrait du questionnaire VICAN5 : recueil des informations sur des modifications
au travail.
7.2.2. L’aménagement du travail, un dispositif d’accès socialement
différencié
Parmi les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête VICAN5, âgées de 18 à 54 ans
au diagnostic et qui étaient en emploi salarié au moment du diagnostic de cancer, 61,2 % ont
connu au moins un aménagement du travail au cours des cinq années suivant le diagnostic
(figure 7.2). Parmi celles qui n’ont pas eu d’aménagement, 19,0 % aurait souhaité en avoir.
L’aménagement le plus souvent mobilisé concerne la durée travaillée : la moitié des personnes
interrogées (49,2 %) a modifié au moins temporairement son temps de travail au cours des cinq
premières années suivant le diagnostic (figure 7.2).
176
Figure 7.2. Part de recours aux aménagements selon le type proposé et taux d’emploi à cinq ans
associés.
Champ : répondants de l’enquête VICAN5 âgés de 18 à 54 ans et en emploi salarié au moment du
diagnostic (Np=1 629).
Lecture : 61,2 % des salariés interrogés dans VICAN5 qui étaient en emploi au moment du diagnostic,
ont disposé d’au moins un aménagement du travail, que ce soit en termes de type de poste, d’horaires
ou de durée de travail, au cours des cinq années qui ont suivi le diagnostic. Parmi eux, 89,7 % sont en
emploi au moment de l’enquête (contre 77,8 % de ceux qui n’ont eu aucun de ces aménagements,
p.value < 0,001).
Comme attendu, les personnes ayant conservé des séquelles de la maladie ont plus
souvent bénéficié d’un tel aménagement (63,2 % contre 56,9 % de celles qui ont déclaré ne
garder aucune séquelle, p.value < 0,05). Cependant, moins de la moitié des personnes ayant
déclaré conserver d’importantes séquelles deux ans après le diagnostic et étant toujours en
emploi au moment de l’enquête, a bénéficié d’au moins un aménagement du travail. De plus,
cet accès s’est avéré différencié selon le genre, la profession, le statut d’emploi et le secteur
d’activité. Les femmes sont significativement plus nombreuses que les hommes à avoir eu
recours à au moins un aménagement du travail au cours des cinq années ayant suivi le diagnostic
et ce, qu’il s’agisse d’un aménagement de type de travail, de durée ou encore d’horaires de
travail. Les personnes ayant une activité professionnelle d’encadrement ont aussi plus souvent
bénéficié d’un aménagement en termes de temps de travail que les personnes exerçant une
activité d’exécution. De même, les travailleurs du secteur public ont plus souvent eu au moins
un aménagement, notamment en termes de temps et/ou d’horaires, en comparaison avec ceux
travaillant dans le secteur privé. Enfin, les personnes employées en contrat à durée indéterminée
(fonctionnaire, CDI) ont plus souvent eu un aménagement du travail que les personnes en
contrat temporaire (CDD, contrat saisonnier, contrat d’intérim ou temporaire et contrat
d’apprentissage), notamment en termes de temps et d’horaires de travail.
35,5 % 41,5 %49,2 %
61,2 %
88,9 % 90,2 % 90,5 % 89,7 %82,9 % 81,4 % 79,8 % 77,8 %
0
10
20
30
40
50
60
70
80
90
100
Type de poste Horaires Durée Au moins un
% de recours Taux d'emploi avec aménagement Taux d'emploi sans aménagement
177
Si ces résultats confirment l’hypothèse 7.1 sur un accès socialement différencié aux
dispositifs existants, ils soulèvent différentes questions en termes d’inégalités d’accès à ces
dispositifs : y aurait-il un effet de sélection impliquant que seuls les salariés que l’entreprise
souhaite conserver et ceux qui souhaitent reprendre le travail au sein de cette même entreprise
auraient accès à ces aménagements ? Y aurait-il un défaut d’information socialement orienté
qui privilégierait notamment les personnes occupant un métier d’encadrement ? Les écarts
constatés entre les secteurs d’emploi résulteraient-ils des différences d’obligations légales
appliquées au secteur privé et au secteur public ?
Si nous ne disposons pas des éléments factuels nécessaires pour répondre à ces questions,
il nous semble opportun de poursuivre la réflexion à l’aide de témoignages des personnes
concernées. Lors des entretiens menés dans le cadre de l’enquête CAREMAJOB, au sujet des
dispositifs pouvant favoriser le maintien en emploi, certaines personnes ont déploré le manque
général d’information autour des dispositifs disponibles :
« Si il y avait pas eu l’association jamais j’aurais su que je pouvais avoir droit à
ça [enveloppe pour recruter du personnel pour l’aider dans son activité
indépendante].(…). Ah sinon, jamais j’aurais su qu’il y avait ces choses-là,
comment ? Qui vous le dit ? » Rémi.
« Pour avoir l’information je pense qu’il y a un petit problème là-dessus. Vous
savez moi je trouve qu’à ce niveau-là il y a vraiment un gros problème parce que
si ce n’est pour la…, tout simplement même pour le complément de salaire, tous
ces… parce que au-delà de 6 mois vous n’êtes plus payés par votre employeur.
Personne te dit rien. (…) » Emilie, 46 ans, clerc de notaire.
Il est évident qu’un défaut d’information peut nuire au recours aux dispositifs de retour
au travail, ce qui constitue pourtant une ressource nécessaire à la capacité d’un individu de
choisir librement, par exemple en décidant d’entreprendre telle démarche pour accéder à tel
dispositif. Il est cependant difficile de dire si le manque d’information est socialement
différencié. Ces deux personnes ont finalement eu les informations nécessaires grâce aux
associations respectives qu’elles ont contactées. Peut-être est-ce là que se joue la différence ?
Sur ce point, les résultats des enquêtes VICAN2 et VICAN5 montrent qu’au cours des deux
premières années suivant le diagnostic, 6 % des personnes concernées ont été en contact avec
une association de malades, c’est le fait de 10,9 % si on étend la période d’observation à cinq
années post-diagnostic (INCa, 2018, 2014). Or ces contacts se sont avérés socialement
178
différenciés : les femmes y ont eu significativement plus recours que les hommes, de même que
les personnes jeunes par rapport aux plus âgées. De plus, à âge et genre ajustés, les personnes
diplômées de l’enseignement supérieur ont significativement plus souvent été en contact avec
une association de malades. Il nous faut cependant préciser qu’aucune différence n’a été
observée selon la situation financière mesurée ou perçue. Cette corrélation pourrait ainsi
expliquer le recours plus fréquent aux dispositifs d’aménagement des femmes par rapport aux
hommes. De plus amples études seraient néanmoins nécessaires pour confirmer ou infirmer
cette hypothèse.
Enfin, pour revenir aux résultats de l’enquête VICAN5, l’importante corrélation positive
entre le fait d’avoir bénéficié d’un aménagement et le fait d’être en emploi cinq ans après le
diagnostic de cancer alimente ces questionnements : 89,7 % des personnes ayant bénéficié d’au
moins un aménagement sont en emploi à cinq ans contre seulement 77,8 % de celles qui n’ont
eu aucun aménagement, p.value < 0,001 (figure 7.2). En outre, cette corrélation reste
significative à type de contrat de travail identique.
7.2.3. Un outil de maintien en emploi ?
Ainsi, une corrélation statistique significative a été constatée entre le recours à au moins
un aménagement de travail de type horaires, temps de travail ou type de poste et le maintien en
emploi cinq ans après le diagnostic. La première difficulté rencontrée dans l’interprétation de
ces résultats concerne l’absence de données temporelles relatives aux conditions de mises en
place de ces dispositifs : quand ont-ils été mis en place ? Combien de temps ont-ils duré ? Ces
informations n’ont pas été recueillies dans l’enquête. Nous pouvons dès lors supposer que
l’aménagement a eu lieu au moment de l’enquête ce qui de fait induit une source importante
d’endogénéité : seules les personnes en emploi à l’enquête ont eu un aménagement du travail à
cette date. Néanmoins, cette supposition est peu probable si l’on considère que l’aménagement
est censé être mis en place dans l’objectif de favoriser la reprise du travail après un arrêt-
maladie. Or, la reprise du travail a principalement eu lieu au cours des trois premières années
suivant le diagnostic de cancer comme cela a été présenté dans le chapitre 4.
Ainsi, pour la suite de notre recherche, nous faisons le postulat que l’aménagement est
survenu au cours des trois premières années à la suite du diagnostic de cancer. Cette hypothèse
est soutenue par deux éléments. Le premier est que, parmi les personnes de l’échantillon
principal interrogées à la fois deux et cinq ans après le diagnostic qui ont eu un aménagement
179
du travail, 71,1 % l’ont eu au cours des deux premières années. De plus, l’analyse spécifique
de cette sous-population permet de s’affranchir de la source d’endogénéité supposée dès lors
qu’elle offre la possibilité de considérer uniquement les aménagements ayant été mis en place
au cours des deux premières années suivant le diagnostic. Cette analyse confirme la corrélation :
parmi les personnes en emploi salarié deux ans après le diagnostic, 94,0 % de celles qui ont eu
au moins un de ces aménagements sont en emploi à cinq ans, contre seulement 84,4 % de celles
qui n’en ont pas eu (p.value < 0,001). Le second élément en faveur de notre hypothèse concerne
le dispositif spécifique du temps partiel thérapeutique. Celui-ci étant proposé par la Sécurité
sociale, les données précises de sa survenue et de la durée de l’indemnisation associée sont
disponibles dans les bases SNIIRAM de l’Assurance maladie. Cela nous permet d’affirmer que,
lorsque celui-ci a été mis en place, ce fut, dans 95 % des cas, au cours des trois premières années
post-diagnostic.
Par ailleurs, partant du constat d’un accès inégal aux aménagements du travail observé
précédemment, une nouvelle source d’endogénéité se dessine : et si les personnes ayant eu
recours à au moins un de ces aménagements étaient également les plus susceptibles de se
maintenir en emploi ? Cette question s’inscrit dans la continuité de l’hypothèse 7.1 présentée
précédemment, l’objectif est donc à présent de prendre en compte ce potentiel effet de sélection
afin d’estimer l’effet propre du recours à l’aménagement sur le maintien en situation d’emploi
à cinq ans du diagnostic de cancer. Ainsi, l’hypothèse testée dans cette étude est la suivante :
- H7.2. Au sujet des personnes n’ayant eu recours à aucun des aménagements du travail
proposé : si celles-ci avaient disposé d’au moins un de ces aménagements, alors leur
probabilité d’être en emploi au moment de l’enquête aurait été supérieure.
Pour tester cette hypothèse, nous avons choisi de contrôler l’effet de sélection constaté
précédemment en utilisant la méthode de l’appariement par score de propension, dont la
méthodologie est présentée dans l’encadré 7.1. L’objectif est ainsi d’estimer l’effet du recours
à un aménagement pour des populations ayant des caractéristiques comparables (de cette
manière l’effet estimé ne pourra être attribuable aux caractéristiques également associées au
maintien en emploi).
180
Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension
Partant du postulat de l’existence d’une double corrélation entre, d’une part, certaines
variables sociodémographiques (le sexe, l’âge et le niveau d’éducation), professionnelles (la
catégorie socioprofessionnelle, le contrat de travail, le secteur d’emploi et la taille de
l’entreprise) et médicales (le score de comorbidités au diagnostic et le type de traitement reçu
pour le cancer) et l’accès aux aménagements du travail et, d’autre part, ces mêmes
caractéristiques avec le fait d’être en emploi cinq ans après le diagnostic, il était nécessaire de
contrôler cette double causalité supposée. En effet, celle-ci constitue une source d’endogénéité
qui entrainerait des biais dans l’estimation de l’effet du recours à un aménagement du travail
sur le maintien en emploi à cinq ans. D’après notre hypothèse 7.1 traitée précédemment, cette
double causalité serait due à un effet de sélection : une auto-sélection de la part du salarié et
une sélection externe relative à l’employeur. Ainsi, pour traiter ce biais d’endogénéité induit
par cette sélection et en l’absence de variables instrumentales performantes, le parti fut pris
d’utiliser la méthode d’appariement afin de mesurer l’effet d’un aménagement du travail sur
une population d’étude comparable. Cette méthode consiste à créer deux groupes ayant les
caractéristiques sociodémographiques identifiées comme jouant à la fois sur le recours aux
aménagements et sur le maintien en emploi, identiques.
Ainsi, nous avons apparié deux sous-groupes de la population interrogée dans le cadre de
l’enquête VICAN5 : l’un ayant bénéficié d’un aménagement (n=927) et l’autre pas (n=587).
Etant donné les effectifs limités de nos groupes, ceux-ci ont été appariés selon la méthode du
score de propension estimé par régression logistique pour chaque individu sur la base des
variables sociodémographiques suivantes : le genre et le niveau d’éducation ; des variables
professionnelles relatives à l’emploi occupé au diagnostic telles que le type de contrat, le secteur
d’emploi, la taille de l’entreprise et la catégorie socioprofessionnelle dans son format agrégé ;
et les variables médicales suivantes : le score de comorbidités évalué au diagnostic et le fait
d’avoir été traité pour le cancer par chimiothérapie. Ainsi, deux individus de chaque groupe ont
été appariés par la méthode des plus proches voisins, définis par la distance de Mahalanobis,
avec un critère de Caliper fixé à 0,005 (Austin, 2011). La propriété d’équilibre étant respectée,
la moyenne du taux d’emploi de chaque groupe a ensuite été estimée et ce, pour 1000
simulations d’échantillon (méthode du bootstrap) (Becker et Ichino, 2002), ce qui a permis de
définir un écart-type ainsi qu’un intervalle de confiance estimé au seuil de 95 %.
181
Encadré 7.1. Méthode d’appariement par score de propension (suite)
Cette méthode a permis l’estimation des effets de plusieurs variables sur le maintien en
emploi à cinq ans : 1) l’effet d’avoir eu au moins un des aménagements tels que le type de poste,
la durée ou les horaires de travail, 2) l’effet d’avoir eu spécifiquement un aménagement du type
de poste, 3) l’effet d’avoir eu spécifiquement un aménagement de la durée et enfin 4) l’effet
d’avoir eu spécifiquement un aménagement des horaires de travail.
Enfin, les résultats de ces différentes estimations valident notre hypothèse 7.2 : le recours
à au moins un aménagement du travail tel que le type de poste, la durée, les horaires ou plus
spécifiquement le temps partiel thérapeutique, quel qu’il soit, augmente la probabilité d’être en
emploi au moment de l’enquête, jusqu’à 17 points de pourcentage pour le fait d’avoir eu au
moins un de ces aménagements. En d’autres termes, la méthode utilisée ici nous permet
d’avancer l’affirmation selon laquelle le recours à au moins un des aménagements du travail
considérés (type de poste ou durée de travail ou horaires) aurait permis au groupe contrôle
d’afficher un taux d’emploi à 89 % (contre 72 % actuellement parmi les individus ayant été
inclus dans l’appariement).
De plus, des analyses supplémentaires visant initialement à explorer la sensibilité des
premiers modèles a permis d’observer plus finement le processus positif de l’aménagement sur
l’emploi. Premièrement, si le taux de recours à ces dispositifs a été constaté inégal entre les
hommes et les femmes (avec une prévalence plus importante chez les femmes), l’ampleur de
l’effet estimé s’est également avérée sexuée. La stratification des analyses selon le sexe des
personnes interrogées a montré que la présence d’au moins un aménagement augmente de 13,6
points de pourcentage le taux de maintien en emploi chez les femmes tandis qu’il l’augmente
de 16,3 points chez les hommes. Cependant, du fait du faible effectif de la population masculine
analysée, ces différences ne sont pas statistiquement significatives, ce qui limite l’interprétation
de ces résultats et de nouvelles études devraient être réalisées pour comprendre ces différences.
Deuxièmement, une nouvelle stratification des analyses, cette fois en fonction du recours aux
arrêts-maladie après le diagnostic de cancer, a montré que l’effet de l’aménagement sur le
maintien en emploi à cinq ans était plus élevé pour les personnes n’ayant eu aucun arrêt
comparativement à celles ayant eu au moins un mois d’arrêt-maladie (l’augmentation constatée
du taux d’emploi avec l’aménagement était respectivement de 17,5 contre 9,3). Ce dernier
résultat indique que l’aménagement du travail permet, à ceux qui le souhaitent, de se maintenir
en activité, pendant les traitements par exemple, sans que cela n’impacte (ou du moins de
182
manière limitée) leur maintien en emploi sur le long terme. En plus d’être un outil de retour au
travail, l’aménagement devient alors un outil important pour ceux qui souhaiteraient ne pas
s’arrêter de travailler (de même que pour ceux qui y seraient contraints pour diverses raisons).
Ainsi, si l’aménagement du travail est un outil précieux pour le maintien en emploi des
travailleurs, le recours à celui-ci semble faire l’objet d’une sélection sociale en défaveur des
populations les plus vulnérables.
7.2.4. A quel prix ?
« Si les individus souhaitent de tels aménagements, les obtiennent et que ceux-ci leur
permettent de retourner au travail, c'est au prix d'un certain inconfort quant aux conséquences
qu'ils anticipent sur leur trajectoire professionnelle » (Chassaing et al., 2011). C’est ainsi que
les auteurs d’un rapport de recherche français sur les dispositifs d’aménagement des conditions
de travail et sur les ressources mobilisées pour « travailler avec un cancer » expliquent la
corrélation qu’ils observent entre le recours à ces dispositifs et un sentiment de pénalisation au
travail déclaré deux ans après le diagnostic. En ce sens, une dernière hypothèse a orienté notre
recherche :
- H7.3. Il est attendu que certains de ces dispositifs, comme la RQTH par exemple, font
écho à des représentations sociales auxquelles les individus ne souhaitent pas
s’identifier, notamment de peur que cela nuise à la poursuite de leur carrière. Aussi,
certaines personnes, et notamment les plus jeunes pour qui la carrière reste à faire,
pourraient choisir de ne pas avoir recours à ce type de dispositif.
L’enquête VICAN5 sur laquelle porte la majorité de nos analyses dispose également de
cette information et le constat est le même : parmi les salariés âgés de 18 à 54 ans et en emploi
au diagnostic et cinq ans plus tard, 22,2 % de ceux qui ont eu au moins un des trois
aménagements du travail considérés ont déclaré s’être senti pénalisé à cause de la maladie
contre seulement 10,6 % de ceux n’ayant pas eu d’aménagement (p.value < 0,001). Plus
précisément, parmi ceux ayant eu un aménagement, 12,6 % ont déclaré avoir été pénalisé par
leur employeur, 4,7 % par leurs collègues (ou associés pour les indépendants) et 4,9 % se sont
sentis pénalisés à la fois par leur employeur et leurs collègues de travail.
De plus, si les données quantitatives sont particulièrement restreintes sur le sujet, les
entretiens de CAREMAJOB ont permis de mettre en lumière le phénomène suivant : la
183
mobilisation des dispositifs disponibles pour faciliter le maintien en emploi des salariés a fait
l’objet d’une forme de balance bénéfices-risques pour certaines personnes interrogées. Cela a
pu se manifester sous différentes formes, le poids des représentations sociales dans la
reconnaissance en qualité de travailleur handicapé a par exemple constitué un frein pour
certains comme le montre l’encadré 7.2 alors que pour d’autres, cela a été le moyen de « faire
reconnaître » ses difficultés ou encore d’assurer ses arrières74. Parmi les 21 personnes
interrogées dans le cadre de l’enquête, presque la moitié (10 personnes) a entrepris de déposer
un dossier auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) afin
d’obtenir une qualification de travailleur handicapé. Cette demande a en grande majorité été
motivée par une stratégie de protection vis-à-vis de l’emploi et les personnes qui ont entrepris
la démarche ne se définissent pas toujours comme « handicapée » comme l’illustre le discours
de Mathilde (cf. Encadré 7.2).
L’expérience de Clémence est singulière à ce propos puisqu’elle est conseillère en
mobilité professionnelle depuis de nombreuses années et a donc souvent été confrontée à la
prise en charge de personnes reprenant le travail à la suite d’un accident ou d’une maladie
invalidante. Contrairement à ce qu’elle a toujours proposé aux personnes qu’elle a encadrées,
Clémence refuse de faire une demande de RQTH, ce qu’elle justifie par une peur d’être
discriminée. La « discrimination » dont semble avoir été souvent témoin Clémence peut
résulter de la stigmatisation qu’implique l’étiquette de « travailleur handicapé ». Dès lors,
comme le montre Goffman (Goffman, 1973) dans ces travaux sur le handicap et surtout sur les
interactions sociales, le travailleur change d’échelle de normalité. Une fois son handicap
stigmatisé, l’individu peut faire l’objet d’un discrédit et voir sa qualité de travailleur performant
remise en question. Dans le cadre de stigmates corporels invisibles, comme cela peut être le cas
à la suite d’un cancer, l’individu devient responsable de l’information qu’il donne à ce sujet
(ou, à l’inverse, qu’il dissimule) et donc acteur principal de l’image qu’il renvoie au sein de son
environnement professionnel. Pour reprendre les termes de Goffman75, les personnes observées
dans le cadre de ce travail sont principalement des acteurs dont la capacité à accomplir leur
74 La reconnaissance en qualité de travailleur handicapé permet notamment d’accéder aux emplois dédiés
spécifiquement à ces personnes. En effet, depuis la loi de 1987, renforcée par la loi de 2005 prévoyant
une pénalité financière en cas de manquement, les entreprises françaises de plus de 20 salariés sont
tenues de recruter des personnes en situation de handicap et ce dans un quota d’au moins 6 % de leur
effectif. L’accès à ces quotas peut ainsi constituer un bénéfice pour les personnes atteintes de cancer qui
cherchent un emploi. 75 Goffman, « La présentation de soi » dans La mise en scène de la vie quotidienne. Traduit de l’anglais
par A. Accardo.
184
tâche ou à garder la face a été altérée ; certains acceptent et assument le changement tandis que
d’autres feront leur possible pour « ne pas perdre la face ». Aussi, la peur de la stigmatisation
est un critère pris en compte dans la balance bénéfices-risques du recours à un dispositif tel que
la RQTH, ce qui confirme l’hypothèse 7.3.
De plus, certaines personnes ont également exprimé leurs inquiétudes quant à utiliser
l’ensemble de leurs droits trop vite, impliquant ainsi de ne plus pouvoir y recourir en cas de
récidive de la maladie :
« j’ai demandé un congé longue maladie parce que je savais très bien que le congé
longue durée on peut l’avoir qu’une fois. Et comme le cancer on n’est pas sûr que
ça récidive pas, j’ai préféré prendre un congé longue maladie. » Florence, 50 ans,
responsable formation.
- « Voilà, j’avais gardé 3 mois [de temps partiel thérapeutique] la première fois
[au diagnostic de la maladie] parce que tout le monde voulait que je continue
‘fin… que je continue à me reposer, que je reprenne plus tard. Mais je m’étais
dit : « on ne sait jamais » et j’ai bien fait apparemment [évoque sa récidive]…
- Vous l’aviez fait dans cette idée-là ?
- Oui. Oui et puis bon, je me sentais de reprendre aussi… hein…
euh…j’étais…j’étais suffisamment en forme pour reprendre mais, je l’avais fait
avec cette idée-là quand même. En me disant que bon… vu qu’on m’avait dit
que c’était un cancer qui récidivait beaucoup… j’ai prévu. » Claudine, 55 ans,
institutrice.
Pour d’autres, la balance bénéfice-risque a plutôt porté sur les concessions que certains
aménagements pouvaient nécessiter (selon leur anticipation) ;
« Un poste de travail aménagé c’est-à-dire euh… tout simplement on me
proposerait un poste de travail dans un… presque un cagibi… (…) Je veux pas faire
la fine bouche j’ai un très beau…, jusqu’à maintenant j’avais un très beau bureau
avec baie vitrée (…). Bah là si je demande un mi-temps thé… euh une reprise à mi-
temps je serais pas dans mon bureau. Parce que quelqu’un va l’occuper, donc… il
y a un problème de place donc on va me… m’attribuer un moins confortable,
voyez ? » Emilie.
185
Encadré 7.2. Extraits d’entretiens portant sur la RQTH
Sandrine, 36 ans, agent territorial. « - (…) remplir le dossier MDPH, pour être reconnue comme
travailleur handicapé par rapport au bras. Parce que dans la fonction publique quand même si
on fait pas ces démarches-là, qu’on n’est pas très carrée après bon bah… on n’est pas reconnue
quoi. (…) -Vous pensez que cette qualification est importante pour cette reprise ? - Oui, au
moins je veux dire c’est reconnu que voilà, que j’ai pas retrouvé la totalité de mon bras quoi
hein. »
Mathilde, infirmière libérale. « (…) elle [l’assistante sociale] m’avait dit ‘‘il faudrait quand
même penser à voir pour une MDPH’’, tout ça… je lui ai dit ‘‘mais attendez ! Je ne suis pas
handicapée moi !’’… (…) et puis petit à petit je me suis rapprochée d’elle… bon mon bras j’ai
une capsulite… je me suis dit bon l’employeur il est pas tenu de me garder pendant ad vitam
aeternam sur la longue maladie (…) alors elle m’a expliqué : (…) c’est que ce que je pouvais
faire avant d’être malade, j’arrivais à moins le faire après mon opération voilà… et c’était de
cette façon-là qu’il fallait que j’aborde le sujet… pas en me voyant handicapée parce que pour
moi je le suis pas, je suis toujours pas dans tous les cas. ».
Charlotte, 44 ans, infirmière libérale. « On s'est approprié des mots qui sont difficilement
entendables quand on a été actif toute notre vie, notamment être « handicapé », « invalide »...
Enfin voilà, c'est des mots qui sont assez durs, parce que moi, quand on me parle de quelqu'un
qui est handicapé, c'est vraiment sur la mobilité, ou une pathologie psychiatrique... mais pas
une pathologie comme nous. Donc on s'est approprié ces mots, on se les est appropriés. »
Clémence, 38 ans, conseillère en mobilité professionnelle. « Moi, je n'ai pas voulu faire la
démarche de reconnaissance de travailleur handicapé, parce que je n'y arrive pas
psychologiquement, et parce que, justement, j'ai tellement entendu de discrimination à ce
sujet... je peux pas le faire ! ».
Il semblerait ainsi en effet que le recours aux dispositifs disponibles pour favoriser le
maintien en emploi des personnes ayant connu un diagnostic de cancer fasse l’objet d’un calcul
par les individus mettant en balance les bénéfices qu’ils en retireraient (principalement en
termes de préservation de leur santé par une reprise progressive) et les risques qu’un tel recours
pourrait constituer, que ce soit sur la poursuite de la carrière ou même sur le renoncement d’un
certain confort de travail (comme c’est le cas pour Emilie par exemple). En outre, en amont
d’une telle décision, des inégalités ont été montrées suggérant que tous les individus ne
186
disposent pas de la même liberté de décision. Ainsi, des interventions devraient être mises en
place pour pallier les inégalités recensées précédemment issues pour certains d’un manque de
ressources (tels que le manque de connaissance sur leurs droits, les contraintes financières, les
difficultés liées aux séquelles de la maladie et de ses traitements ou encore le manque de soutien
social).
Cependant la théorie des capacités ne s’en tient pas au principe d’égalité des ressources
disponibles mais identifie des inégalités dans la capacité à transformer ces ressources à
disposition en outils pour accéder au « mode de vie » souhaité. C’est pourquoi, des
interventions devraient également être réalisées sous la forme de formation individuelle pour
que chacun soit capable de disposer des mêmes ressources et surtout de les mobiliser de la
même manière. Ainsi, une fois tous ces obstacles contrés et le contexte de la prise de décision
rééquilibré, le choix finalement opéré « ne pourra alors impliquer aucune injustice susceptible
de compensation, chacun ayant pu exercer son libre arbitre dans des conditions équitables »
(Gamel, 2007).
7.3. Des initiatives locales et nationales
Fort du constat des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer pour
reprendre leur vie professionnelle au-delà des dispositifs disponibles, de nombreux acteurs ont
mis en place, de leur propre initiative, des actions locales et proposent, pour certains, un
accompagnement spécifique pour les personnes diagnostiquées d’un cancer, pour d’autres, des
actions de prévention au sein de l’environnement professionnel. Il ne s’agit pas de faire ici un
inventaire des initiatives locales sur le sujet, néanmoins il nous semble opportun de présenter
certaines de ces initiatives, afin de voir ce qu’elles ont en commun dans ce qu’elles proposent
et d’interroger l’efficacité de ces actions au regard de la littérature scientifique sur le sujet.
7.3.1. Des interventions auprès des personnes malades
Des associations proposent d‘accompagner des personnes diagnostiquées d’un cancer
dans leurs questionnements au sujet de leur vie professionnelle. Le Centre Ressource propose
dans le cadre de son programme D’PART un accompagnement en groupe animé par une
psychologue et une assistante sociale : chaque semaine les personnes inscrites sont invitées à
se retrouver, à partager leur expérience, leurs questionnements et leurs inquiétudes et,
régulièrement, des professionnels (médecins du travail, chefs d’entreprise et médecins conseil
187
de l’Assurance maladie) interviennent dans ces groupes pour faire part de leur expertise.
L’association CAIRE13 propose un accompagnement exclusivement réservé aux travailleurs
indépendants : un groupe de soutien, ainsi qu’un diagnostic précis des difficultés rencontrées
par les personnes afin de proposer un accompagnement personnalisé grâce aux services de
bénévoles ayant différentes expertises (experts comptables, avocats, assureurs, banquiers etc.).
La plateforme digitale Allo Alex propose quant à elle une ligne téléphonique consacrée à
l’écoute des personnes malades se posant des questions sur leur vie professionnelle et à
l’information sur les ressources disponibles pour favoriser le maintien et la reprise de l’activité
professionnelle. De plus, certaines actions ne sont pas spécifiques à la thématique de l’emploi :
par exemple, la Ligue contre le cancer propose des ateliers d’écoute et de soutien lors desquels
peut être abordé le sujet de la vie professionnelle. Enfin, des centres hospitaliers proposent des
services sociaux dédiés ou non à l’accompagnement de personnes atteintes de cancer vis-à-vis
de leur vie professionnelle, services coordonnés par des assistants sociaux ou des médecins (par
exemple dans les espaces de rencontres et d’information dédiés au cancer, ERI). Ils mettent
notamment à disposition des personnes malades, des brochures éditées par l’INCa et par les
services régionaux de l’Assurance maladie.
Ainsi, la totalité des interventions décrites ci-dessus comportent au moins (voire
seulement) une action d’information, ce qui, ajouté aux extraits d’entretiens de notre enquête
qualitative, témoigne une fois de plus de la persistance de la méconnaissance générale des
ressources disponibles visant à favoriser le maintien en emploi et le retour au travail après un
diagnostic de cancer. Ce point rejoint les constats soulevés dans la littérature scientifique
(Tamminga et al., 2010). De plus, l’action de l’association CAIRE13 qui, à notre connaissance,
est la seule à apporter un soutien spécifique aux travailleurs non-salariés en France (elle est
d’ailleurs référencée à l’INCa à ce titre), semble pallier un manque important en France (Ha-
Vinh et al., 2014).
Enfin, dans un tout autre registre, l’Université des patients propose depuis 2009 aux
personnes ayant connu un diagnostic de cancer de reconnaître l’expérience de la maladie et de
la valoriser en expertise « au service de la collectivité ». Plusieurs formations diplômantes, du
diplôme universitaire au master, sont, chaque année, dispensées à plus de 90 ex-patients à Paris,
Marseille et Grenoble. L’objectif de ces formations est de renforcer et compléter le savoir
expérientiel des patients sur l’éducation thérapeutique ou la démocratie sanitaire. Les diplômés
peuvent ainsi intégrer des emplois de « patients experts », d’accompagnement de malades de
cancer au sein de centres de soins ou encore de conseils au sein de structures de santé publique
188
jusqu’à de grandes instances de santé. La pérennisation d’une telle offre de formation témoigne
du besoin des personnes diagnostiquées d’un cancer de valoriser leur expérience de patient dans
leur quotidien et, a fortiori, dans leur vie professionnelle. Ce besoin s’illustre également à
travers les interventions d’autres organismes présentés précédemment qui proposent par
exemple un accompagnement des personnes ayant des projets de reconversion, ainsi qu’à
travers le recours au dispositif de bilan de compétence.
7.3.2. Des interventions auprès des entreprises
L’initiative la plus médiatisée visant à améliorer l’accompagnement du retour au travail
est celle du « Club des entreprises » coordonné conjointement par des acteurs publics comme
l’INCa, l’ANACT et son réseau local l’ARACT et des acteurs privés tels que l’ANDRH. Il
s’agit d’une charte rédigée par différents acteurs experts des domaines concernés (sphères
professionnelle, médicale et relationnelle) qui recense l’ensemble des « bonnes pratiques » à
suivre pour prévenir les difficultés et accompagner le retour d’un salarié atteint de cancer.
Toutes les entreprises sont libres d’adhérer au Club en signant la Charte, s’engageant ainsi à
diffuser et à faire appliquer les principes énoncés76. Si certains principes énoncent des actions
concrètes à mettre en place (comme la nécessité d’informer le salarié sur la visite de pré-reprise
ou encore la nomination d’un référent qui sera son point de contact), d’autres sont des principes
beaucoup plus larges sans précision sur les démarches concrètes à mettre en œuvre (comme par
exemple la formation des référents aux entretiens de retour ainsi que l’accompagnement des
managers).
76 La charte prévoit les onze engagements suivants : « 1. Maintenir un lien en proposant au salarié absent
de le tenir au courant de l’actualité et des évolutions de l’entreprise afin de lui permettre de conserver
un sentiment d’appartenance ; 2. Informer et sensibiliser le salarié sur l’intérêt de la visite de pré-reprise
afin de lui permettre d’exprimer ses attentes et de construire avec lui, le cas échéant, son nouveau projet
professionnel ; 3. Construire avec le salarié un parcours de maintien ou de reprise en adéquation avec
son projet (constituer une équipe pluridisciplinaire, nommer un référent dans l’entreprise, systématiser
l’entretien de reprise, répertorier et faire connaître aux salariés l’ensemble des partenaires) ; 4.
Sensibiliser et informer les acteurs de l’organisation concernés sur les effets des pathologies cancéreuses
et leurs conséquences au travail ; 5. Former les référents aux entretiens de retour à l’emploi et à
l’accompagnement des managers ; 6. Accompagner les managers dans la gestion du collectif de travail
impacté par cette nouvelle organisation ; 7. Mettre à disposition des salariés des offres d’associations de
patients et d’usagers du système de santé ; 8. Diffuser auprès de l’ensemble des salariés des outils
d’information et de promotion de la santé ; 9. Mettre en œuvre des actions concrètes de promotion de la
santé en s’appuyant sur les différents acteurs ; 10. Établir un bilan annuel avec suivi des actions ; 11.
Participer au Club des entreprises pour échanger sur les bonnes pratiques et faire le point sur les
différentes actions mises en place. » Au 21 mars 2019, 41 entreprises en sont signataires.
189
Cette démarche visant à proposer aux entreprises de mettre en avant leur responsabilité
sociétale (RSE), a également été choisie par des associations telles que La Ligue contre le
cancer qui a créé le label « Label Ligue Entreprise », symbole de leur soutien à la cause, et
Cancer@Work qui propose aux entreprises de signer une Charte actant leur engagement moral.
En parallèle, d’autres acteurs mettent en place des actions au niveau local. L’emploi du
terme local ne fait pas référence ici à une action qui serait disponible sur un territoire spécifique
mais plutôt à des actions mises en place par des groupes privés (associations) ou généralement
par des individus ou des groupes d’individus qui, de leur propre initiative, ont construit leurs
propres programmes d’intervention. Si, de ce fait, le contenu et la forme de l’intervention
diffèrent d’un acteur à l’autre, de nombreuses similitudes ont pu être observées. Pour
commencer, toutes les associations et organismes étudiés proposant des interventions dans le
milieu professionnel dans le but d’améliorer les conditions de reprise d’un salarié malade
s’accordent sur l’objectif suivant : changer positivement le regard porté sur le cancer en
entreprise77. D’autres acteurs proposent des conférences visant à informer et sensibiliser sur la
maladie de cancer, les traitements et leurs effets secondaires, sur l’aspect chronique des
séquelles et sur les difficultés souvent rencontrées lors de la reprise d’un salarié, ainsi que des
actions d’accompagnement d’une personne malade dans sa reprise du travail (voir à ce sujet La
Ligue contre le cancer, projet PACTE et Entreprise et Cancer). De plus, à l’instar du premier
axe de la Charte INCa, « accompagner le salarié dans le maintien et le retour en emploi » est
un enjeu central des interventions locales. Le Programme d’Actions Cancer Toutes Entreprises
(PACTE) de La Ligue ainsi que l’association Entreprise et Cancer proposent sur ce point des
actions ciblées au plus près des entreprises pour répondre à leurs besoins particuliers (à ceux
des entreprises et à ceux du salarié malade).
Au cours d’un entretien téléphonique, la présidente de l’association Entreprise et Cancer,
Nathalie Vallet-Renart, nous a présenté les actions qu’elle et son équipe mènent quel que soit
le statut hiérarchique du salarié, « quelle que soit l’activité de l’entreprise, quelle que soit la
taille de l’entreprise » et ce, dans toute la France. Si la plupart des entreprises qui font appel à
l’association sont « des grosses PME », employant au moins quelques centaines de salariés, il
77 Dans la Charte de l’INCa, l’un des axes porte sur « les démarches de formation et d’information [qui]
apparaissent essentielles pour inverser positivement le rapport à la maladie et accompagner de manière
efficace les salariés ». Pour La Ligue, la formulation utilisée est la suivante : « La Ligue contre le cancer
vous accompagne pour lever les tabous et changer le regard porté sur le cancer et sur les personnes
touchées par cette maladie ». Cancer@Work s’engage à « faire évoluer les savoirs et les représentations
liés au cancer en entreprise » etc.
190
arrive que de petites entreprises, de moins de dix salariés, soient également demandeuses d’un
accompagnement, généralement personnalisé. D’après son expérience, les grandes entreprises
mettent bien en place les dispositifs recommandés par les autorités, les principales difficultés
étant davantage de l’ordre de l’organisation en cas d’absence du salarié mais également de
rapports humains. Selon elle, une grande partie de la manière dont va se passer la reprise du
travail dépend avant tout de la relation initiale entre la personne malade et son entreprise, une
personnification regroupant l’ensemble des relations que le salarié a au sein de l’entreprise
(manager, employeur, collègue etc.). Elle précise :
« Là, juste avant vous, j’ai eu une entreprise qui m’a dit ‘‘voilà on a une femme qui
vient de terminer sa chimiothérapie, qui va démarrer ses rayons et euh… elle veut
reprendre son activité professionnelle pendant ses rayons mais à temps partiel
thérapeutique… ben aidez-nous à comprendre là où il faut qu’on soit vigilant, ce
qu’on peut faire pour elle, est-ce que vous pouvez l’accompagner pour peut-être
aussi lui expliquer certaines choses, est-ce que vous pouvez appeler le
manager…’’… voilà l’entreprise dit ‘‘on a envie que ça se passe du mieux possible
pour tout le monde, on a imaginé faire déjà ça, ça et ça mais aidez-nous et dites-
nous si on peut faire d’autres choses’’. (…) Nous notre objectif c’est de leur dire
aussi, quand ils réintègrent un salarié, c’est de leur dire attention, les gens qui
reviennent après un cancer souvent ont envie de revenir, très envie et ils
fonctionnent avec l’envie et pas forcément avec la réalité de leur énergie donc il
faut les accompagner, c’est-à-dire veiller, faire des points réguliers pour voir
comment ça se passe et qu’ils ne se mettent pas tout seul en surrégime et donc qu’ils
n’aillent pas vers un burnout qui refait un arrêt-maladie et qui fait que la personne
pour la récupérer après c’est encore plus long. Donc on est très là-dessus de dire il
vaut mieux prendre un petit peu plus de temps et faire bien attention plutôt que
vouloir à tout prix que ça redémarre et partir dans un mur ». Nathalie Vallet-Renart.
Si elle n’a, au moment de l’entretien, jamais entendu parler des autres initiatives réalisées
par des acteurs sociaux dans le même sens, elle évoque l’idée de développer un partenariat avec
d’autres structures.
191
En conclusion, ce que proposent ces acteurs apparaît être un complément nécessaire aux
dispositifs existants, les actions étant principalement constituées d’un accompagnement
personnalisé, centré sur l’individu. Les interventions présentées ci-dessus visent des champs
très peu, voire pas du tout, investis dans le cadre du processus classique de reprise d’une activité
professionnelle après un diagnostic de cancer. Le besoin de « changer le regard », exprimé par
l’ensemble des acteurs proposant des interventions dans l’entreprise rappelle la campagne
publicitaire lancée par l’INCa en 2011 : « Je suis une personne, pas un cancer. ». Ces actions
témoignent de la persistance des représentations négatives liées au cancer dans nos sociétés et,
a fortiori, dans nos entreprises. Enfin, qu’elles soient réalisées auprès de personnes malades ou
d’entreprises, la grande majorité de ces interventions entrent dans la catégorie des
« interventions professionnelles », identifiée par De Boer et ses coauteurs (de Boer et al., 2015,
2011), ciblant à la fois le salarié, comme des actions de coaching professionnel ou de
réadaptation, mais également l’environnement de travail, telles que les aménagements du
travail, ou encore des actions visant à améliorer la communication entre ou avec les collègues,
les supérieurs et les professionnels de santé. Pour rappel, les revues de littératures
internationales présentées en introduction de ce chapitre s’accordaient sur une absence d’étude
portant sur ce type d’intervention et sur leur évaluation (Caron et al., 2017; de Boer et al., 2015,
2011; Tamminga et al., 2010). Ainsi, une collaboration entre chercheurs et acteurs de terrain,
semble nécessaire pour évaluer l’action de chacune de ces interventions, d’en évaluer la relative
efficacité ainsi que la capacité de diffusion.
192
7.4. Synthèse des résultats et conclusion
Si le manque de précisions concernant les circonstances d’aménagement du travail
(instigateurs, date de survenue, durée, connaissance de leur existence par le salarié etc.)
limite les conclusions sur les conditions de l’effet de ces dispositifs sur le maintien en
emploi, nous pouvons néanmoins retenir de ce chapitre les points suivants :
- Le recours à au moins un aménagement du travail en termes de poste, de durée
et/ou d’horaires après un diagnostic de cancer est positivement corrélé au
maintien en emploi à un horizon de cinq années : 90 % d’entre eux sont en
emploi à l’enquête contre seulement 78 % de personnes en emploi au diagnostic
n’ayant eu aucun de ces aménagements du travail ;
- En plus de facteurs de santé (traitements reçus, présence de séquelles etc.)
déterminant les besoins d’adaptation des individus touchés par un cancer, le
recours aux dispositifs d’aménagement du travail semble également soumis à une
sélection en faveur des personnes ayant les caractéristiques socioprofessionnelles
les plus favorables sur le marché du travail (telles que les professions
d’encadrement, les salariés du public et les travailleurs en contrat pérenne). Les
ressources disponibles ne semblent donc pas équitables du fait notamment
d’un défaut d’information ;
- Après prise en compte des principales caractéristiques corrélées au phénomène
de sélection, la corrélation positive entre le recours à au moins un
aménagement du travail, quel qu’il soit, et la probabilité d’être encore en
emploi cinq ans après le diagnostic de cancer demeure significative ;
- Les capabilités nécessaires à la transformation des ressources en
fonctionnement ne sont pas les mêmes pour tous. En l’occurrence, l’utilisation
des dispositifs disponibles pour faciliter le maintien en emploi des salariés a fait
l’objet d’une forme de balance bénéfices-risques par les personnes concernées.
Ces derniers ont fait un calcul mettant en balance d’une part le risque de
discrimination, le risque de marginalisation, le risque de récidive impliquant de
ne pas utiliser tous leurs droits et, d’autre part, le bénéfice principal de
préservation de la santé physique et mentale.
193
Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :
- Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Positive
impact of workstation layouts on maintenance in employment among five-year cancer
survivors. (article soumis, en revision à Supportive Care in Cancer) ;
- Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du travail »
dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la responsabilité
sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions Législatives ESF. Juin
2019 (chapitre d’ouvrage, sous presse) ;
- Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail » 2019. Alleaume
C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. L’aménagement du
travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au maintien en emploi à un
horizon de 5 années (communication orale) ;
- 12th European Public Health Conference 2019. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane
M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. The positive effect of workplace accommodations
on employment five years after a cancer diagnosis (communication orale) ;
- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2018. Alleaume C,
Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts
after a cancer diagnosis: who, what, when and how? (poster) ;
- Colloque Cancéropôle PACA 2018. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K,
Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer diagnosis (teasing
poster).
Pour conclure ce chapitre, de nombreux dispositifs sont disponibles en France, pourtant,
leur recours socialement différencié met en relief l’impact des inégalités sociales et
professionnelles sur la santé individuelle. S’il ne s’agit pas ici de l’impact des conditions du
travail sur la santé (études dont la littérature est abondamment pourvue), ce sont les conditions
du travail et de l’emploi qui semblent néanmoins déterminer l’accès à des dispositifs de santé
au travail qui, de plus, s’avère particulièrement efficace sur le maintien en emploi à moyen
terme. Le manque de systématisation et d’obligation de proposition des aménagements
constitue un frein à l’égalisation des capabilités individuelles en ce qui concerne la décision de
la poursuite de la vie professionnelle. Soumises à la volonté et à la capacité de l’entreprise de
mettre en place de tels dispositifs, les droits des individus sont informels et inégalitaires.
194
Ainsi, à l’aune de ce travail de revue de littérature sur l’intervention et de revue d’actions
de terrain, il nous semble nécessaire d’étudier de plus près la multitude d’actions mises en place
par les acteurs sociaux (publics ou privé) et de collaborer en vue de définir plus précisément les
critères d’évaluation des interventions, en évaluer l’intérêt et enfin de proposer leur diffusion.
Par ailleurs, ces interventions remettent au centre de leurs actions l’individu, ses envies, ses
capacités et ses besoins, ce qui nous amène à notre tour à orienter la suite de nos réflexions non
plus sur les différences sociales des groupes d’individus mais sur les différences individuelles
intégrant une dimension sociale, afin d’en analyser l’impact dans le processus de maintien et
de retour en emploi. En effet, l’approche par les capabilités mobilisée dans ce chapitre est
« individualiste au plan normatif » (Robeyns et al., 2007) en ce sens qu’elle s’intéresse aux
structures et plus largement à l’environnement dans lequel évolue l’individu seulement en
fonction de l’importance que cela revêt pour l’individu. Elle s’intéresse non pas à la société
mais à l’individu confronté à « un choix social ». Ainsi, dans ce premier chapitre de la troisième
partie de cette recherche, nous avons choisi de faire état des principaux leviers d’ordres social
et structurel, en portant un intérêt particulier à l’aménagement du travail, qui interviennent dans
le retour au travail et le maintien en emploi après un diagnostic de cancer. Aussi, si l’ensemble
des barrières identifiées en Partie 2 sont levées (grâce notamment à la généralisation
systématique des leviers recensés dans ce chapitre), alors la situation professionnelle observée
après un diagnostic de cancer ouvrirait le spectre des libertés pour l’individu concerné. C’est
donc dans la continuité de cette réflexion que le chapitre suivant propose d’explorer davantage
le parcours biographique de l’individu, dans ses volontés exprimées et ses éventuelles
démarches pour sa reprise du travail.
195
Chapitre 8. Modèle théorique du retour au travail après un
diagnostic de cancer : l’apport d’une approche par la motivation
« c’est en partant de ce qu’éprouve l’acteur, et de comment il l’éprouve, qu’il s’agit de
rendre compte des grands défis structurels d’une société »
(Martuccelli, 2015, p.55)
C’est d’un article écrit par le sociologue Danilo Martuccelli (Martuccelli, 2015) et portant
sur la notion d’épreuve et, plus précisément définissant l’« épreuve-défi » qu’est issue la
citation ci-dessus. Pour l’auteur, décrire la structure sociale ne suffit plus à comprendre une
société, il faut dépasser les positions sociales et professionnelles des individus et analyser les
processus d’individuation à travers les épreuves auxquelles ceux-ci sont confrontés au cours de
leur vie.
A l’instar de l’approche proposée par le sociologue, dans ce chapitre, nous portons un
intérêt spécifique à l’individu et, plus particulièrement, à sa perception de son expérience du
rapport cancer-travail. L’objectif est d’explorer davantage le processus décisionnel de
l’individu dans la poursuite de son activité professionnelle.
À ce propos, dans son ouvrage Forgé par l’épreuve. L’individu dans la France
contemporaine, Martuccelli réalise une centaine d’entretiens (auprès de femmes et d’hommes
de différents statuts sociaux) à partir desquels il étudie notamment le travail, en tant que grand
domaine institutionnel auquel tous les individus sont confrontés en France (Martuccelli, 2006).
L’« épreuve-type » qu’il identifie à partir du travail est le rapport « vertu-récompense » et plus
précisément le besoin de réalisation d’un individu à travers le travail et la récompense qu’il en
retire. De plus, certaines recherches (Bakker et Demerouti, 2017; Wrzesniewski et Dutton,
2001) montrent que les travailleurs disposent de ressources au travail qu’ils peuvent augmenter
de manière significative afin d’atténuer certaines tensions (qui peuvent émerger des conditions
de travail à l’instar de celles évoquées précédemment) en étant proactifs. Cela s’applique-t-il à
l’étude de la reprise du travail après un diagnostic de cancer ? Si c’est le cas, comment se
construit et s’affirme cette proactivité dans une décision de reprise du travail ?
Nous pouvons envisager plusieurs formes de prise de décision. La première, d’ordre
chronologique porterait sur le recours à un arrêt de travail. Dans cette recherche, nous avons
pris le parti de porter une attention particulière à la reprise du travail (et donc de considérer
196
exclusivement les personnes qui ont eu un arrêt-maladie). C’est donc sur ce point que porte
l’objet de la décision étudiée dans ce chapitre. Le retour au travail après un diagnostic de cancer
s’inscrit dans un processus résultant de l’interaction entre l’acteur principal (la personne
atteinte), sa maladie et son environnement social, familial et professionnel. Notre investigation
s’inscrit dans la pensée des travaux menés par le sociologue Andrew Abbott (Abbott, 2001) qui
s’est attaché à prôner une prise en compte de la topographie du contexte, ainsi que de son
caractère mouvant et interactif. L’objet d’étude devient alors un « événement » évolutif parmi
tout un réseau d’événements contingents en interaction. Il ne s’agit donc pas d’étudier quels
sont les éléments associés à telle ou telle forme d’événement (retour au travail ou non) mais de
décrire par quel mécanisme ceux-ci aboutissent à tel résultat. Notre question d’étude est donc
la suivante : dans quelle mesure la reprise du travail résulte-t-elle d’une décision et quelle place
prend la personne atteinte de cancer dans ce processus ?
Nous postulons qu’un individu confronté à un diagnostic de cancer envisage la poursuite
de son activité professionnelle d’abord par la reprise du travail et non par la question du
maintien en emploi, telle qu’elle a été abordée dans la Partie 2 de cette recherche, qui suppose
une anticipation à plus long terme. Pour étudier les circonstances décisionnelles de la reprise
du travail, nous proposons, en première partie de ce chapitre, un état des lieux de la littérature
scientifique sur la thématique et les modèles théoriques mobilisés puis, au regard de ces
constats, un nouveau modèle théorique plaidant pour la prise en compte de la motivation
individuelle dans le processus de reprise sera exposé en seconde partie.
8.1. Modèles théoriques du rapport santé et travail
8.1.1. Approche individuelle de la relation cancer et travail
Comme cela a été évoqué dans le premier chapitre de cette recherche, le cancer peut
constituer une rupture dans la trajectoire professionnelle des individus. Dans son ouvrage Faire
avec le cancer dans le monde du travail (Vidal-Naquet, 2009), le sociologue Pierre Vidal-
Naquet s’intéresse aux rapports des individus à l’emploi et au travail qu’ils occupaient au
moment du diagnostic. Il évoque ainsi les besoins de sécurité et d’épanouissement des individus
sur le plan professionnel et montre comment ces besoins peuvent évoluer en fonction de
l’expérience de la maladie. Par exemple, une « intégration assurée » alliant satisfaction au
travail et sécurité de l’emploi, peut être « confirmée » lorsque le salarié bénéficie de beaucoup
de soutien de la part de son employeur et de ses collègues de travail. Elle peut également être
197
« fragilisée » par une altération de l’état de santé limitant la bonne pratique de l’activité.
L’auteur identifie également des points de « basculement » défavorable d’une intégration à
l’autre dans le cas par exemple d’un désinvestissement au travail ou d’un licenciement. À
l’inverse, la situation peut s’améliorer lorsque l’environnement de travail est favorable.
Dans une revue de littérature consacrée aux études qualitatives sur le retour au travail
après un diagnostic de cancer, Stergiou-Kita et ses coauteurs présentent une synthèse de 39
articles anglophones dont les résultats sont classés selon quatre catégories : l’expérience du
travail, la planification de la reprise, les facteurs associés au succès de la reprise et la
communication autour de la maladie (Stergiou-Kita et al., 2014).
A travers l’expérience du travail, les auteurs évoquent les différentes sources de
motivation que les individus ont pour reprendre le travail : la distraction, dans le sens où la
reprise permettrait à l’individu de se concentrer sur autre chose que la maladie et lui donnerait
ainsi un sentiment de contrôle ; « le retour à la normale » motiverait l’individu à fermer la
parenthèse de la maladie ; le travail-thérapie tel que nous l’avons évoqué précédemment, la
reprise devenant un moyen de lutter contre la maladie (Tarantini et al., 2014) ; les besoins
financiers ; et la réévaluation de l’équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle,
fortement liée au sens que l’individu attribue à son travail.
Pour ce qui est de la planification de la reprise, plusieurs éléments sont exposés : la date
de la reprise, la disposition à reprendre qui tient compte à la fois du parcours de chaque individu
et des capacités de chacun, de son sens de la responsabilité et de la loyauté envers son
environnement professionnel. La planification concerne également la compréhension des
droits, notamment en termes d’indemnisation, ainsi que les considérations financières qui
peuvent constituer une pression à reprendre le travail rapidement, et enfin leur perception du
soutien social reçu que ce soit de la part de leur environnement professionnel (en termes de
soutien émotionnel et d’aménagement du travail) ou de la sphère personnelle. Les auteurs de la
revue insistent sur l’importance du « rôle actif » de la personne malade dans la planification de
sa reprise et sur les besoins d’étudier les facteurs liés à « la prise de décision ».
Parmi les facteurs associés à un bon retour au travail, les auteurs de la revue identifient
neuf barrières et leviers, parmi lesquels quatre sont des facteurs personnels : les symptômes et
les séquelles afférant à la maladie, la capacité individuelle à travailler et à réaliser les tâches
professionnelles, la capacité des individus à faire face à des perturbations émotionnelles
(anxiété, stress) et enfin la motivation de chacun à reprendre le travail. De plus, trois de ces
198
facteurs concernent l’environnement du travailleur, qu’il soit professionnel, social et familial
ou lié aux professionnels de santé, avec le soutien social et l’aménagement professionnel. Les
deux derniers facteurs concernent la nature du travail : le type de travail occupé et plus
précisément la demande physique et psychologique de l’activité, et sa flexibilité (latitude
professionnelle).
Enfin, la dernière catégorie identifiée par les auteurs concerne la communication autour
de la maladie, les stratégies et les calculs développés par les individus auprès de leur famille,
leurs amis, leurs supérieurs hiérarchiques et leurs collègues de travail, pour obtenir du soutien
sans être stigmatisés.
En conclusion de cette revue, les auteurs insistent sur l’importance de considérer le
caractère chronique du cancer qui évolue et fait évoluer l’état de santé des individus et, en
conséquence, leur aptitude à travailler. Ils soulignent ainsi la nécessité d’informer, d’éduquer
la population, les managers et les professionnels de santé sur la maladie, ses symptômes et sa
gestion en entreprise et plaident pour un suivi régulier des personnes qui reprennent le travail
après un diagnostic de cancer.
Cet accompagnement, c’est notamment ce que propose l’association Entreprise et cancer
mentionnée dans le chapitre précédent pour son activité auprès des salariés qui reprennent le
travail après des traitements pour un cancer. Nous citions sa présidente, Nathalie Vallet-Renart
qui explique : « les gens qui reviennent après un cancer souvent ont envie de revenir, très envie
et ils fonctionnent avec l’envie et pas forcément avec la réalité de leur énergie donc il faut les
accompagner, c’est-à-dire veiller (...) qu’ils ne se mettent pas tout seuls en surrégime et donc
qu’ils n’aillent pas vers un burn-out ». L’emploi répété du mot « envie » traduit la motivation
exprimée par les individus que nous évoquions précédemment et qui nous semble de première
importance pour parler de la décision de la reprise. Aussi, si le terme générique « santé
mentale » n’est presque jamais employé, les notions de stress, d’anxiété, voire de « burn-out »
sont souvent utilisées comme des barrières à la reprise du travail après un diagnostic de cancer.
Ces mots témoignent de la charge mentale que constitue la maladie et en l’occurrence de sa
gestion dans la sphère professionnelle. Considérant de plus que, pour certains, l’environnement
professionnel est un facteur de causalité de la maladie78, « travail-menace » (Tarantini et al.,
2014), la notion de santé mentale nous semble être d’un apport heuristique pour notre recherche.
78 Nous faisons ici référence à la fois aux personnes atteintes d’un cancer d’origine professionnel et à
celles qui attribue, au moins en partie, l’origine de la maladie à leur environnement professionnel.
199
Les études que nous venons de mobiliser sont toutes pertinentes pour comprendre certains
facteurs du processus de retour au travail ou retour en emploi après un diagnostic de cancer,
cependant, elles ne permettent pas de comprendre le lien entre les conditions de travail et la
santé mentale. Or, tout comme le dit Mme Vallet-Renart, Présidente d’Entreprise et Cancer, et
comme nous venons de l’expliquer, la relation entre le travail et la santé mentale est un aspect
important dont il faut tenir compte pour appréhender le retour au travail ou en emploi après un
arrêt-maladie de longue durée. Pour ce faire, certains modèles théoriques permettent de
comprendre comment les conditions de travail peuvent avoir un impact sur la santé mentale des
travailleurs. Dans la section qui suit, nous présentons ces modèles.
8.1.2. Modèles théoriques du rapport entre les conditions de travail et la
santé mentale des travailleurs pour une meilleure compréhension de
la motivation professionnelle post-diagnostic de cancer
Depuis plus de quarante ans, des études mettent en évidence le lien entre les conditions
de travail et la santé mentale des travailleurs. Trois grands modèles prédominent dans la
littérature : le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990), le modèle
efforts-récompenses de Siegrist (1996) et le modèle demande-ressources de Demerouti (2001).
Ces modèles permettent de montrer que certaines caractéristiques de l’organisation du travail
telles que les exigences psychologiques, les exigences physiques, le manque de latitude, et
certaines caractéristiques relatives à l’individu et à ses ressources telles que le déséquilibre entre
les efforts fournis par le travailleur et les récompenses perçues, pourraient se révéler des sources
de tensions chroniques pouvant contribuer au développement de certains troubles de santé
mentale (pour une synthèse des connaissances, voir : Ibrahim et Ohtsuka, 2012; Lesener et al.,
2019; Stansfeld et Candy, 2006). Le stress engendré par ces différentes sources de tensions
résulterait d’un déséquilibre entre la demande inhérente à l’emploi et les capacités (ou
capabilités) dont dispose l’individu (Lazarus et Folkman, 1984).
Ces modèles d’impact des conditions de travail sur la santé mentale constituent une base
essentielle à la compréhension de l’impact de l’environnement professionnel sur la motivation
de la personne à reprendre son activité. En effet, les individus atteints d’un cancer en âge d’être
actifs ont, le plus souvent, une histoire professionnelle, ils occupaient pour la plupart un emploi
au moment du diagnostic et leur appréhension de la reprise ou du maintien de cette activité est
conditionnée par le rapport qu’ils entretenaient avec cet emploi et cette activité.
200
Le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990)
Karasek fut l’un des premiers à proposer un modèle de compréhension du rôle de
l’environnement professionnel sur l’état de santé mentale des travailleurs. En 1979, il propose
le modèle demande-contrôle (« job demand-control model » ou « job strain model »), modèle
bidimensionnel expliquant qu’un déséquilibre entre les demandes psychologiques de l’emploi
occupé (charge de travail exigée, contrainte organisationnelle sur le temps d’exécution par
exemple) et la latitude décisionnelle dont dispose l’individu (participation aux décisions,
capacité de contrôle sur son activité, autonomie et utilisation de ses compétences) conduit à une
augmentation de la charge mentale du travailleur, traduite notamment par du stress et/ou une
insatisfaction au travail (Karasek, 1979). À l’inverse, des exigences professionnelles élevées
associées à une importante latitude décisionnelle favoriseraient le développement personnel de
l’individu au travail et seraient ainsi plus souvent associées à des situations de bien-être.
Ce modèle est agrémenté par la suite et prend une nouvelle dimension : le soutien social.
Il devient le modèle demande-contrôle-soutien (« job demand-control-support model ») de
Karasek et Theorell (Karasek et Theorell, 1992). Les auteurs corrigent ainsi une des limites
majeures fortement reprochées au modèle précédent de Karasek. Le nouveau modèle postule
que la pression professionnelle que l’individu peut subir par le fait de l’interaction entre la
demande psychologique et la latitude professionnelle peut être modérée par un soutien au travail
important, qu’il provienne des collègues de travail ou bien de l’employeur. A contrario,
l’absence de soutien au travail augmenterait les risques de troubles psychologiques en cas de
demandes psychologiques plus importantes que la latitude individuelle.
Cependant, si l’effet positif du soutien social fut démontré dans la littérature, ce n’est
pas le cas de son rôle modérateur dans la relation demande-contrôle. Largement validé dans la
littérature, ce modèle propose un effet d’interaction et suppose que les trois dimensions se
combinent pour avoir un effet sur la santé mentale du travailleur. Cependant, les synthèses des
connaissances portant sur le modèle de Karasek et Theorell montrent que les effets d’interaction
entre la demande, le contrôle et le soutien sont rarement soutenus empiriquement (Häusser et
al., 2010; Ibrahim et Ohtsuka, 2012; Stansfeld et Candy, 2006). En revanche, la majorité des
études recensées dans ces revues s’accorde sur l’effet additif des dimensions du modèle, les
demandes psychologique et physique pouvant avoir un impact sur la santé mentale, y compris
en présence d’une autonomie importante.
201
Le modèle effort-récompense de Siegrist (1996)
En 1996, le sociologue Siegrist propose un modèle qui permet d’expliquer d’autres
composantes des conditions de travail qui ne sont pas prises en compte par le modèle de Karasek
et Theorell. Dans ce modèle, le stress au travail est expliqué en fonction de deux dimensions :
les efforts et les récompenses (Siegrist, 1996).
Ce modèle effort-récompense (« effort-reward imbalance ») illustre l’hypothèse selon
laquelle un déséquilibre entre les efforts fournis par le salarié et les récompenses qu’il en retire
constituerait un facteur de risque pour sa santé. Le sur-engagement ou le surinvestissement au
travail (effort intrinsèque) traduit ainsi un besoin de reconnaissance du salarié (Siegrist, 2005,
2001) et si celui-ci n’est pas satisfait, cela pourrait entraîner une détresse psychologique
importante. De même, les salariés contraints de fournir d’importants efforts pour répondre à
une forte charge de travail et/ou à de nombreuses responsabilités (efforts extrinsèques) et qui
seraient peu récompensés (par exemple par la rémunération, l’estime des collègues et/ou de
l’employeur, le sentiment d’auto-efficacité ou encore la perspective de promotion ou de
sécurité) sont les plus à risque d’effets délétères sur leur santé. À l’instar du modèle de Karasek
et Theorell, le modèle de Siegrist donne lieu à la construction d’une échelle psychosociale (« the
Effort-Reward Imbalance Questionnaire ») largement utilisée dans les enquêtes quantitatives
portant au moins en partie sur l’impact de l’environnement professionnel sur la santé mentale
des individus, y compris dans le contexte français (Niedhammer et al., 2000). Si on lui reproche
souvent d’être trop simpliste (Demerouti et Bakker, 2007; Tsutsumi et Kawakami, 2004), ses
hypothèses ont largement été validées par la littérature (Jones et Kinman, 2008).
Le modèle demandes-ressources de Demerouti (2001)
En 2001, Demerouti et ses coauteurs proposent un modèle (Demerouti et al., 2001) inspiré
à la fois de celui de Karasek et Theroell et de celui de Siegrist : le modèle exigence-ressources
(« job demands ressources model ») présenté dans la figure 8.1 (Bakker et Demerouti, 2017).
D’après ce modèle, l’ensemble des caractéristiques professionnelles peuvent être catégorisées
dans l’une des deux dimensions suivantes : les demandes professionnelles ou les ressources
professionnelles. Celui-ci postule qu’une importante charge de travail associée à un manque de
ressources disponibles serait un facteur de risque à la fois de stress et d’usure professionnelle
puisque cela entraînerait une hausse de l’effort à fournir concomitante à une baisse de la
motivation. Résultat, l’altération de la santé combinée à une diminution de la motivation
entraînerait une baisse de la performance. Il ajoute les ressources personnelles qui, à l’instar
202
des ressources professionnelles, ont un rôle direct sur l’engagement au travail. D’une part les
salariés motivés sont plus susceptibles de prendre des initiatives professionnelles, ce qui
augmente le niveau de ressources professionnelles et personnelles, qui deviennent moteurs de
motivation et favorisent ainsi la performance. D’autre part, le stress au travail peut entraîner
des comportements d’auto-sabotage, ce qui conduit à une augmentation des exigences
professionnelles et renforce ainsi le stress.
Figure 8.1. Modèle exigences-ressources de Demerouti (201779).
Ces trois modèles nous invitent à penser la question du rapport de l’individu à son activité
professionnelle à travers différentes caractéristiques liées à l’organisation même du travail telles
que la demande physique, la demande psychologique, la latitude décisionnelle, la présence de
soutien social au travail, les ressources organisationnelles (liées aux politiques de l’entreprise)
et la présence de reconnaissance, ainsi qu’à travers des caractéristiques liées à l’individu
notamment ses ressources personnelles et sa perception de son activité : le sens qu’il lui donne,
la reconnaissance qu’il perçoit et ses capacités à surmonter les difficultés. Pour cela, ces
éléments sont pris en compte dans notre recherche pour penser le mécanisme de reprise du
travail dans le cadre particulier d’un diagnostic de cancer, source de tension supplémentaire que
l’individu doit affronter.
79 A la suite du modèle proposé en 2001, Demerouti et ses collaborateurs ont continué à améliorer la
représentation schématique du modèle « Job Demands-Resources ». La version proposée ici est la
dernière en date.
203
La mobilisation de ces modèles dans notre recherche nous amène à formuler les
hypothèses suivantes :
- H8.1. La première hypothèse concerne la motivation individuelle, identifiée comme un
facteur personnel de succès de la reprise du travail après un diagnostic de cancer
(Stergiou-Kita et al., 2014). Nous supposons dans cette recherche que, plus qu’un
facteur associé, la motivation constitue un élément central de la reprise du travail. Elle
déterminerait les conditions de reprise d’un individu quel que soit son environnement
professionnel.
- H8.2. La motivation d’un individu à reprendre le travail résulte d’un processus évolutif
de construction individuelle. À l’image du modèle de Demerouti, la motivation serait
influencée par les ressources personnelles, les ressources professionnelles mais aussi
par la santé mentale des individus, éléments contingents à la tension entre les demandes
professionnelles, les ressources et les capacités de contrôle personnelles. S’ajouteraient
spécifiquement dans notre cas d’analyse les éléments relatifs à la maladie.
- H8.3. Comme dans le modèle de Siegrist, nous supposons que l’équilibre entre les
efforts fournis et la récompense perçue est un élément important du rapport des
individus au travail, a fortiori dans un contexte marqué par une rupture biographique
comme peut l’être la maladie. Ainsi, un déséquilibre dans la balance effort-récompense
devrait s’avérer explicatif d’un changement professionnel radical.
- H8.4. Une multitude d’acteurs, principalement de la sphère médicale, intervient lors du
retour au travail des individus. Cependant, nous faisons l’hypothèse que la motivation
individuelle reste le fil directeur du processus de reprise guidant l’interaction avec ces
acteurs impactant la prise de décision. Ainsi, au-delà des caractéristiques
sociodémographiques et économiques des individus dont l’effet a notamment été
montré dans la Partie 2 de cette recherche, la motivation des individus permet
d’expliquer les stratégies que ceux-ci adoptent en vue de la poursuite de leur vie
professionnelle.
Pour étayer ces hypothèses, la suite de ce chapitre est consacrée à la présentation d’un
modèle schématique du processus de retour au travail, lequel accorde une place centrale à la
motivation individuelle. L’ensemble des déterminants supposés de ce processus sont exposés
de façon détaillée.
204
8.2. Modèle théorique « Processus motivation - reprise du travail » après
un diagnostic de cancer
8.2.1. Le diagnostic de cancer, un point de bifurcation ?
Dans le chapitre 1, nous avons fait état de la littérature sur le phénomène de rupture
biographique post-diagnostic de cancer. L’expérience de la vulnérabilité individuelle et sociale
peut entraîner un point de rupture dans le parcours biographique : les envies et les priorités
changent, les besoins de chacun se modifient ou prennent plus de place et surtout les attentes
personnelles et professionnelles sont (ré)interrogées. Pour certains, la maladie entraîne une
« bifurcation biographique » telle qu’elle a été définie par le sociologue Michel
Grossetti (Grossetti, 2009) : « un processus dans lequel une séquence d’action comportant une
part d’imprévisibilité produit des irréversibilités qui concernent des séquences ultérieures »
(p.147). Le cancer est un événement imprévisible (bien que la présence de certains facteurs
augmente les risques) et a des conséquences qui peuvent être irréversibles sur le plan de la santé
(séquelles physiques et mentales laissées par la maladie et/ou ses traitements) mais également
sur différents pans de la vie personnelle et professionnelle (perte d’emploi, etc.).
Parmi les participants à l’enquête quantitative VICAN5, 61,4 %80 des personnes de moins
de 55 ans en emploi au diagnostic ont déclaré avoir changé de priorités dans la vie depuis la
maladie. Si cette notion n’a pu être explorée plus précisément, elle fait écho aux résultats de
l’enquête qualitative CAREMAJOB, lors de laquelle nombreuses étaient les personnes ayant
également manifesté un changement de priorités comme nous allons le montrer ici.
Contrairement à une analyse classique des trajectoires de vie sous l’angle des bifurcations,
les personnes interrogées dans le cadre de l’enquête avaient pour seul point commun le fait
d’avoir été diagnostiquées d’un cancer alors qu’elles étaient en emploi. La présence d’une
bifurcation dans leur parcours n’a été initialement qu’une hypothèse fondée sur les enjeux de
santé et de conditions de vie post-diagnostic impliqués par la maladie, largement documentés
80 La population d’étude, c’est-à-dire les personnes âgées de moins de 55 ans au moment du diagnostic,
se distingue de l’ensemble de la population sur cette question puisqu’en moyenne 44,2 % des 4 174
personnes interrogées dans VICAN5 ont déclaré avoir changé de priorité depuis le diagnostic contre
plus de 60 % parmi celles de moins de 55 ans (61,5 % globalement et 61,4 % de celles en emploi au
diagnostic). La différence de moyenne dans ces deux populations (population totale et population de
moins de 55 ans) s’est avérée statistiquement significative.
205
dans la littérature. Pour l’ensemble des personnes interrogées lors des entretiens (N=21), la vie
professionnelle a été modifiée de manière temporaire ou permanente créant ainsi sur le plan
professionnel un avant et un après cancer. Néanmoins, peut-on toujours parler de bifurcation ?
Une bifurcation professionnelle a été observée selon deux schémas : contrainte par la
maladie ou choisie par l’individu. Par exemple, lorsque la gravité de la maladie entraîna une
altération de l’état de santé qui se trouva en conséquence incompatible avec la nature de
l’activité professionnelle occupée avant le diagnostic, comme ce fut le cas pour Clotilde (qui
ne peut plus porter de charges lourdes ni lever le bras, son activité de mise en rayon devenant
ainsi impossible). À l’inverse, pour Quentin, la bifurcation fut un choix personnel. Il a préféré
quitter le secteur du commerce international, domaine dans lequel il faisait son stage au moment
du diagnostic, pour le secteur de la restauration. Cette situation de rupture professionnelle a été
observée pour neuf personnes parmi les vingt-et-une interrogées. Cependant, l’analyse plus
précise de chaque trajectoire révèle qu’en plus de ces neuf personnes, six autres ont connu des
modifications parfois importantes de leurs conditions de travail. En outre, cinq personnes se
trouvaient au moment de l’enquête, en phase aiguë de la maladie, rendant dès lors l’analyse
inefficiente sur ce point.
Pour l’ensemble des cas, ces observations ponctuelles de la situation professionnelle
occupée au moment du diagnostic puis entre le diagnostic et la seconde phase de l’enquête
CAREMAJOB, sont racontées par les individus concernés à travers une mise en cohérence de
chaque étape en fonction de leurs motivations. En effet, le processus de reprise est
systématiquement évoqué en regard des motivations individuelles. Par exemple, certains
justifient leur reprise par une volonté de combattre la maladie, d’autres, à l’inverse, expliquent
la prolongation de leur arrêt de travail par un besoin de se recentrer et préserver sa santé. Dans
l’ensemble des entretiens, les actions entreprises ou non pour reprendre le travail sont toujours
expliquées, justifiées, « mises en cohérence » (Voegtli, 2004). C’est pourquoi, nous souhaitons
considérer la motivation comme un élément central du modèle de la reprise du travail.
Par ailleurs, les résultats exposés dans les chapitres précédents ont montré que la reprise
du travail telle qu’elle fut observée notamment à une distance de cinq années du diagnostic, ne
s’est, dans la plupart des cas, pas opérée de manière instantanée. Nous avons en effet montré
par exemple qu’un quart des salariés avaient eu une reprise progressive requérant un temps
partiel thérapeutique (chapitre 7). De même, pour les personnes ayant changé d’emploi, une
phase intermédiaire a souvent eu lieu entre la situation occupée au diagnostic et celle observée
206
à l’enquête (chapitre 4). Ainsi, il semble essentiel de considérer la poursuite professionnelle
comme un processus pouvant aboutir au bout de quelques jours pour certains (comme pour la
retraite par exemple) à quelques années pour d’autres. Nous faisons néanmoins le postulat que
l’« aboutissement » intervient systématiquement, que ce soit dans l’emploi ou dans l’inactivité
(retraite ou invalidité notamment).
Ainsi, pour la suite de notre analyse, nous retenons une acception large de la motivation
afin d'en délimiter les contours. Nous considérons la motivation comme un processus évolutif,
issu d’une construction identitaire. À l’inverse de la réaction, la motivation se définit au fil des
étapes contingentes de compréhension de la maladie, d’acceptation de son nouvel état de santé
et d’appréhension de la reprise du travail. Elle peut se modifier en fonction des expériences
individuelles de la maladie d’une part et du travail d’autre part. Elle est le fil directeur du
processus de reprise du travail.
8.2.2. Modèle synthétique du retour au travail après un diagnostic de
cancer : pour une prise en compte du processus
Dans la littérature portant spécifiquement sur le retour au travail avec une maladie
chronique, les différents modèles disponibles (Caron et al., 2013, Chow et al., 2014) portent le
plus souvent sur les facteurs qui y sont associés. Peu de travaux tiennent compte du caractère
dynamique du retour au travail et aucun n’accorde une place centrale à la motivation de
l’individu. Ainsi, comme le montre la figure 8.2 ci-dessous, la version schématisée proposée
représente la reprise du travail comme un processus dynamique visant la stabilité de la situation
professionnelle. Celle-ci peut s’observer par un retour à la situation initiale - c’est-à-dire une
reprise de l’emploi occupé au diagnostic dans les mêmes conditions - ou à travers un
changement radical, tel que la sortie du marché du travail pour un départ à la retraite par
exemple ou un enregistrement en inactivité pour invalidité, ou encore tel qu’un changement
d’emploi. En revanche, le chômage, s’il peut être de longue durée, est de notre point de vue une
situation intermédiaire dont l’objectif est l’emploi, il ne peut en ce sens être considéré comme
une situation « stable ». De plus, la stabilité supposée de la situation n’est pas analogue à
l’irréversibilité de la situation et ne constitue pas en ce sens une variable binaire de la forme :
retour à la situation initiale versus bifurcation. En effet, il peut s’agir également d’un retour à
l’activité occupée au diagnostic de manière réduite. Cette réduction se définit par une
diminution du temps de travail par exemple ou encore par une baisse de l’investissement.
207
Ces modifications, moins visibles que les bifurcations, n’en sont pas moins des marques
de l’impact de la maladie sur la vie professionnelle des individus. Celles-ci témoignent de la
motivation des individus qui, selon nous, peut être classée en trois grandes catégories : 1) la
volonté de « fermer la parenthèse », c’est-à-dire de reprendre sa vie personnelle et
professionnelle initiale, 2) la volonté de redéfinir ses priorités et généralement préserver sa
santé, et 3) la reconsidération de ses attentes professionnelles, notamment de l’adéquation avec
ses valeurs personnelles. À l’image du schéma présenté en figure 8.2, cette motivation serait le
fruit d’interactions entre différentes dimensions individuelles et sociales telles que le contexte
économique et social, les caractéristiques de l’individu concerné, les caractéristiques de la
maladie et les caractéristiques de l’environnement professionnel dans lequel il était au moment
du diagnostic.
208
Figure 8.2. Modèle théorique du processus de poursuite de l’activité professionnelle après un
diagnostic de cancer.
209
Contexte économique et social
L’environnement dans lequel évoluent les individus est particulièrement important pour
comprendre dans quelles dispositions ils sont amenés à faire des choix de vie. Dans leur modèle,
Caron et ses coauteurs avaient intégré « les politiques, les procédures et les facteurs
économiques » (Caron et al., 2013). En l’occurrence, l’état du marché de l’emploi et du travail
et le système de solidarité sociale en place semblent particulièrement importants pour
comprendre les motivations des individus. On postule ainsi qu’une personne évoluant dans une
société caractérisée par un très faible taux de chômage et par une offre importante et variée
d’emplois, serait peu contrainte pour envisager la poursuite de sa vie professionnelle après un
diagnostic de cancer : la peur de ne pas retrouver un emploi à son niveau de compétence serait
moindre et les possibilités de reconversion sembleraient plus abordables. À l’inverse, une
société caractérisée par un taux de chômage important et une forte concurrence dans l’offre de
travail pourrait restreindre les choix des individus qui prendraient alors plus de risque s’ils
quittaient leur emploi. Si ces considérations sont plausibles dans leur globalité, elles dépendent
également fortement du travail et de l’emploi occupé (secteur d’activité, niveau de qualification,
etc.). Par ailleurs, le contexte social est également un élément décisif dans la construction de la
motivation à reprendre. En effet, l’existence en France d’un système de solidarité sociale traduit
par des cotisations obligatoires reversées sous formes d’indemnités de compensation en cas
d’arrêt de travail pour raison de santé permet d’accorder un temps consacré exclusivement au
travail de soins. Dans des pays où ce système de solidarité n’existe pas, les durées d’absence au
travail après un diagnostic de cancer sont généralement plus courtes (Amir et al., 2007;
Stergiou-Kita et al., 2014). De même, les sociétés caractérisées par un faible niveau de
protections sociales (revenu de solidarité, allocations de chômage etc.) pourraient amener les
individus à rechercher plus souvent une reprise du travail plus rapide. Enfin, la loi française
impose un quota minimum de salariés présentant un handicap pour toute entreprise de plus de
20 salariés, ce qui peut faciliter l’emploi des personnes atteintes de cancer, dont la situation est
éligible à la qualification de travailleur handicapé.
210
Caractéristiques individuelles
Caractéristiques sociodémographiques. De nombreuses études ont soulevé la disparité
des probabilités de se maintenir en emploi après un diagnostic de cancer selon les
caractéristiques individuelles (Mehnert, 2011; Paltrinieri et al., 2018; Spelten et al., 2002;
Taskila et Lindbohm, 2007). Ainsi, un âge avancé et un niveau d’études faible sont des
caractéristiques sociodémographiques positivement associées à la sortie de l’emploi. De même,
la situation familiale, comme la présence d’enfant(s) à charge est un facteur favorable pour la
reprise pour les hommes uniquement.
Connaissances. On suppose qu’en fonction de leur niveau de connaissances de la
maladie, sur ses symptômes et ses séquelles, les individus auront une motivation à reprendre
différente. Par exemple, les connaissances sur les facteurs de risque de la maladie pourront
freiner certaines personnes à s’exposer à ces facteurs de risque pour travailler (exposition
professionnelle ou encore exposition à des chutes ou des accidents durant le transport etc.).
Les croyances personnelles. Aux caractéristiques démographiques et
socioéconomiques dont les effets ont été analysés dans la première partie de cette recherche, le
modèle proposé par Chow et al. (Chow et al., 2014b) ajoute les croyances personnelles vis-à-
vis du rapport au travail qui se trouve modifié à l’épreuve de la maladie. Dans le modèle proposé
ici, nous distinguons les croyances personnelles, relatives à la maladie, à la perception du risque
et à l’environnement professionnel, et les croyances normatives, relatives aux normes sociales
intériorisées par l’individu. Sans explication médicale sur les causes du cancer, la plupart des
personnes atteintes développent de multiples théories étiologiques visant à comprendre ce que
l’anthropologue Pierre Moulin nomme « l’origine du mal » (Moulin, 2005). Parmi ces
différentes théories, celle de la psychogénèse est massivement partagée malgré l’absence de
validation scientifique (Sarradon, 2009). Or, les pressions psychologiques et physiques mises
en cause se rapportent souvent à celles subies au sein de l’environnement professionnel. La
croyance selon laquelle le diagnostic du cancer constituerait un signal d’alarme sur la
dangerosité de la situation est particulièrement associée à un recul de la reprise du travail, à un
désengagement professionnel, voire à une volonté de sortir de la vie active (Tarantini et al.,
2014). De plus, les croyances liées à l’emploi peuvent également avoir un rôle dans la
construction de la motivation individuelle. Les personnes qui anticipent les réactions et les
actions qui pourraient être mise en place (ou non) au sein de l’environnement de travail tiennent
compte de ces croyances dans la construction de leur motivation.
211
Les croyances normatives. La pression sociale de la bonne conduite à tenir est souvent
un facteur à prendre en compte pour analyser un comportement individuel. Dans notre cas
d’étude, les croyances sur ce que l’individu concerné pense être le bon comportement à tenir
(parce qu’il pense que les autres agissent comme tel ou parce qu’il pense que c’est le
comportement qu’on attend de lui) peuvent être des caractéristiques associées à la motivation
que la personne aura vis-à-vis de la suite de sa vie professionnelle, pour répondre à un principe
de désirabilité sociale.
État de santé. La présence de comorbidités (diabète, troubles psychiques etc.) constitue
un élément d’augmentation du risque de sortie de l’emploi après un diagnostic de cancer.
Ajoutée au cancer, elle contribue à l’altération de la santé physique et mentale de la personne
malade. De plus, au-delà des comorbidités, l’état de santé initial perçu est également un facteur
à prendre en compte dans la motivation des individus à reprendre le travail. En effet les
personnes se sentant en mauvais état de santé auront plus de risques de connaître une mauvaise
expérience de la maladie et de vouloir préserver leur santé, redéfinissant ainsi leurs priorités.
Capacité de contrôle. Elle traduit la capacité individuelle à faire face aux difficultés
rencontrées, en l’occurrence la maladie, et à ses éventuels impacts sur la vie professionnelle.
Cette notion peut être appariée à celle des stratégies d’adaptation évoquées dans le chapitre 5,
et est relative aux caractéristiques sociodémographiques d’un individu.
Soutien social. Le soutien social et familial a souvent été cité dans la littérature comme
favorisant la reprise du travail (Berry, 1993; Spelten et al., 2002; Stergiou-Kita et al., 2014;
Taskila et al., 2007, 2006; Taskila et Lindbohm, 2007). Si aucun effet de causalité sur le
maintien en emploi n’a pu être mis en évidence dans la partie précédente (chapitre 4), nous
supposons que celui-ci a néanmoins un effet modérateur sur les difficultés rencontrées.
Caractéristiques médicales
Les caractéristiques médicales ayant un impact sur le retour au travail ont été largement
renseignées dans la littérature scientifique (Alleaume et al., 2018; Chow et al., 2014b; Mehnert
et al., 2013; Paltrinieri et al., 2018). En concordance avec ces résultats, les caractéristiques
référencées dans ce modèle se divisent en deux catégories : celles de la maladie et celles
afférentes aux traitements.
212
La maladie. Comme souligné dans la première partie, et plus particulièrement dans le
chapitre 4, la nature du cancer est la première caractéristique associée au retour au travail. Les
personnes atteintes d’un cancer dit « de mauvais pronostic » (INCa, 2010), comme le cancer du
poumon, ont plus de risque de ne pas reprendre leur activité du fait de la gravité de la maladie
et des risques de séquelles qui y sont associés. Quelle que soit sa localisation, un stade avancé
de la tumeur au diagnostic et une évolution péjorative de la maladie par la suite sont deux
facteurs de risque de sortie de l’emploi.
Ses traitements. D’après la littérature portant sur le sujet, la quasi-totalité des travaux
identifie la chimiothérapie comme ayant un effet négatif sur le maintien en emploi (Paltrinieri
et al., 2018). La durée des arrêts-maladie dans le cas d’un traitement par chimiothérapie est
généralement plus longue et les effets secondaires – parmi lesquels la fatigue et les troubles
cognitifs sont les plus souvent cités - sont très fréquents. Dans le cas spécifique du cancer du
sein, la chirurgie non conservatrice a également été associée à des taux de maintien en emploi
plus faibles que la chirurgie conservatrice. Ce résultat peut s’expliquer par la gravité de la
maladie, par les temporalités souvent très longues de la reconstruction lorsqu’elle a lieu, par
une altération de l’image du corps qui y est souvent associée mais également par la présence de
douleurs neuropathiques chroniques dont la prévalence est plus importante parmi les personnes
ayant subi ce type de chirurgie. Enfin, la radiothérapie a également été identifiée comme
associée à une sortie de l’emploi chez les hommes atteints d’un cancer colorectal (Chow et al.,
2014a). La durée des traitements et la présence d’effets secondaires définissent le caractère
chronique de la maladie (exemple de l’hormonothérapie prescrite sur dix ans ou de la fatigue
souvent conséquente de la chimiothérapie pouvant devenir chronique).
L’ensemble des caractéristiques médicales citées ici témoigne d’une altération des
capacités physiques et mentales des individus ce qui peut avoir diverses conséquences. Cela
peut à la fois induire une incapacité à exercer l’activité professionnelle telle qu’elle était
occupée avant le diagnostic (inaptitudes) mais aussi une altération de la motivation, elle-même
gage de la performance dans l’exercice de l’activité comme cela a été modélisé par Demerouti
(Bakker et Demerouti, 2017).
213
Environnement professionnel et caractéristiques de l’emploi occupé avant le diagnostic
L’environnement professionnel regroupe différentes dimensions, ayant chacune un effet
spécifique sur le processus de reprise : les caractéristiques de l’entreprise, les caractéristiques
de l’emploi et celles liées au travail, c’est-à-dire à l’activité professionnelle.
Caractéristiques de l’entreprise. La taille de l’entreprise définie par le nombre de
salariés qu’elle emploie, est un indicateur de sa capacité d’adaptation matérielle et humaine
(aménagement de poste, remplacement, offre de formation). En effet, les petites entreprises
disposent d’une marge de manœuvre réduite pour remplacer un salarié absent. Parfois, il est
difficile de compenser la charge de travail de celui-ci tant son savoir-faire peut être unique au
sein de l’entreprise. Le secteur d’activité auquel elle appartient influence également ce qui
pourra être mis en œuvre pour le salarié : la loi prévoit notamment une obligation de
reclassement pour tout salarié du secteur public en cas d’inaptitude. Enfin, la politique de
gestion des ressources humaines en termes de fidélisation de son équipe par exemple est
déterminante dans les moyens que l’entreprise pourrait mettre en place pour conserver son
salarié. Ceci est particulièrement lié à la taille de l’entreprise, mais également à l’emploi occupé
et, plus spécifiquement, au niveau de qualification nécessaire à son affectation. Par exemple,
dans le cas d’emplois peu qualifiés, une entreprise peu soucieuse de la fidélisation de son
personnel ou n’ayant pas les ressources nécessaires, sera plus encline à remplacer le salarié
malade limitant ainsi les possibilités de réintégration de ce dernier au même poste qu’avant la
maladie.
Caractéristiques du travail. La demande physique, la demande psychologique, la
latitude décisionnelle, la présence de soutien social au travail et la présence de reconnaissance
des pairs ou de la hiérarchie constituent des éléments essentiels à la compréhension des
conditions de travail d’un individu. Ils sont, en tant que tels, pris en compte dans cette recherche
dans la relation entre l’environnement professionnel et la motivation d’une part et celle entre
l’environnement professionnel et la reprise d’activité d’autre part. En effet, cela a été soulevé
précédemment, le manque de reconnaissance au travail est un des facteurs clés dans l’altération
de la santé mentale des travailleurs (Demerouti et al., 2001; Siegrist, 1996) et, en ce qui nous
concerne, dans la manière dont la personne appréhende sa reprise. Dans notre cas d’analyse, ce
besoin de reconnaissance est double : il porte à la fois sur la reconnaissance du travail effectué,
ainsi que sur la reconnaissance de l’expérience vécue en tant que malade du cancer. De plus,
l’adéquation des compétences individuelles à l’activité occupée au diagnostic peut également
214
influencer la motivation : si le travailleur n’est pas à l’aise dans son activité du fait de ses
compétences, l’absence au travail pendant le traitement d’un cancer peut participer au
développement d’une motivation très modérée pour la reprise.
Caractéristiques de l’emploi. Les conditions d’emploi du travailleur sont déterminantes
à la fois sur sa motivation à reprendre et sur la reprise en elle-même. Sur ce point, les différences
entre les travailleurs salariés et les travailleurs non-salariés ont été spécifiquement documentées
dans les deux premiers chapitres de la deuxième partie de cette recherche (chapitres 4 et 5). La
couverture sociale associée au statut d’emploi incite plus ou moins la personne à reprendre son
activité en fonction des compensations financières reçues pour la perte de salaire relative à
l’arrêt de travail. De même, le statut professionnel et les conditions de rémunérations associées
peuvent impacter la motivation à reprendre plus ou moins rapidement l’activité. Par exemple,
les cadres supérieurs disposent souvent d’une part variable dans leur salaire (primes, avantages
en nature etc.), or les indemnisations relatives à l’arrêt de travail total ou partiel sont calculées
exclusivement à partir de la part fixe de cette rémunération, il est donc fréquent que certains
perdent une part financière non négligeable lorsqu’ils sont en arrêt-maladie (en fonction des
complémentaires sociales auxquelles ils ont éventuellement cotisé).
Intersections des dimensions sociales, médicales et individuelles
Comme le montre le schéma (figure 8.2), ces trois dimensions s’entrecroisent et c’est le
fruit de leur intersection qui définit la motivation d’un individu à poursuivre sa vie
professionnelle. Ainsi, nous supposons qu’une même altération de la santé physique et mentale
entraînée par la maladie n’aura pas les mêmes conséquences sur la motivation selon les
caractéristiques de l’individu, ou encore selon ses caractéristiques professionnelles. Sur la
figure 8.2, la double-flèche A reliant les caractéristiques médicales et les caractéristiques
individuelles représente l’expérience individuelle de la maladie ; la double-flèche B reliant les
caractéristiques individuelles et les caractéristiques professionnelles représente le rapport au
travail et à l’emploi de l’individu et, enfin, la double-flèche C reliant les caractéristiques
médicales et les caractéristiques professionnelles représente l’adéquation entre l’éventuelle
altération de l’état de santé d’un individu et son environnement professionnel.
Ainsi ces dimensions entrent en interaction et construisent autant de situations que
d’intersections possibles. Notre modèle théorique s’inscrit en ce sens dans une approche
215
intersectionnelle81, chaque intersection créant de nouvelles identités qui façonnent la motivation
individuelle. Le résultat de ces trois types d’interactions est présenté ci-dessous.
L’expérience de la maladie (flèche A). La manière dont l’individu vit ou a vécu la
maladie est très importante pour comprendre sa motivation face à la reprise du travail comme
l’explique Voegtli (Voegtli, 2004). Selon les caractéristiques de la tumeur et, en fonction des
connaissances de l’individu, ses croyances relatives à la maladie, celui-ci aura une expérience
différente. Par exemple, une femme atteinte d’un cancer des ovaires qui serait informée du
risque important de récidive associé à cette pathologie aurait plus de risque de développer une
peur de la récidive. Elle sera alors plus encline à vouloir se protéger, à préserver sa santé, et
donc à ménager ses forces reconsidérant ainsi ses priorités et sa motivation d’investissement
personnel au travail. De plus, une maladie nécessitant une intervention chirurgicale mutilante
(telle que la mastectomie pour le cancer du sein ou la laryngectomie pour le cancer du larynx
etc.) peut entraîner une détérioration de l’image du corps qui, en fonction du rapport au corps
de la personne concernée et en fonction de son rapport aux autres, pourrait entraîner un
sentiment de stigmatisation.
Rapport au travail et à l’emploi (flèche B). Ces deux notions sont fortement liées,
néanmoins si un changement du rapport à l’emploi entraîne nécessairement un changement du
rapport au travail, l’inverse n’est pas systématique. Le rapport à l’emploi se définit
principalement par l’objectif d’occupation d’une activité professionnelle : alimentaire,
d’épanouissement, social. D’après Vidal-Naquet, le rapport au travail « s’inscrit dans un
processus c’est-à-dire se construit et se transforme au fil du temps aussi bien sous l’effet de
facteurs internes à l’univers professionnel que de facteurs qui lui sont externes » (Vidal-Naquet,
2009, p.205). En reprenant les termes du sociologue, nous envisageons le rapport au travail
comme un objet individuel, qui évolue en fonction de trois dimensions principales : « l’acte de
travail » c’est-à-dire la nature de l’activité, les valeurs et le sens qu’y accorde l’individu, la
« rétribution que le travail procure » ou les récompenses (« reward » dans Siegrist, 1996) et le
« cadre social dans lequel s’effectue l’acte de travail », c’est-à-dire les relations sociales tissées
avec les collègues, la hiérarchie et/ou les clients et prestataires lorsque c’est applicable.
81 Nous faisons ici référence à la théorie de l’intersectionnalité présentée dans le chapitre 6 (Partie 2).
Développée par Kimberlé Crenshaw en 1991, traduite en 2005, celle-ci suppose que les différentes
caractéristiques sociales de l’individu ne se cumulent pas en termes d’effet discriminatoire par exemple,
mais se mêlent pour créer de nouvelles identités individuelles (Crenshaw, 1991; Crenshaw et Bonis,
2005).
216
Ainsi, celui-ci peut évoluer après le diagnostic d’un cancer. L’absence au travail,
l’incertitude du retour, les représentations sociales associées à la maladie etc. sont autant de
facteurs pouvant altérer les relations sociales au travail. De même, dans un contexte où la charge
de travail de la personne absente a été reportée sur les autres travailleurs, si la personne malade
a préféré communiquer le moins possible sur sa maladie, invisibilisant le plus possible ses
séquelles et/ou ses symptômes, ces difficultés peuvent ne pas être comprises par le collectif de
travail. Un sentiment d’injustice peut alors se manifester chez les collègues de travail assurant
la charge de travail supplémentaire, ce qui entraînerait une altération des relations sociales au
travail. Par ailleurs, la peur de la mort peut conduire à une remise en question des attentes
personnelles de la vie en général et de la vie professionnelle en particulier. En fonction de l’acte
de travail, mais aussi des caractéristiques de l’individu, le rapport au travail peut en être changé.
Par exemple, une personne proche de l’âge de la retraite qui occupe une activité à laquelle elle
n’accorde pas de valeur ou d’intérêt spécifique, pourrait être amenée à se distancer de son
activité en s’impliquant moins ou en prolongeant son arrêt jusqu’à la retraite. À l’inverse, une
personne en début de carrière, dans les mêmes circonstances médicales et professionnelles,
pourrait être plus facilement amenée à vouloir changer d’activité.
Adéquation santé - environnement professionnel (flèche C). Les symptômes et les
séquelles afférents à la maladie n’ont pas le même impact selon l’activité professionnelle
occupée par la personne malade. Par exemple, un ouvrier du bâtiment sera a priori plus
handicapé par une impossibilité à porter des charges lourdes qu’un salarié cadre en entreprise.
De même, une aide-soignante pourrait être déclarée inapte à son activité du fait d’un
lymphœdème qu’elle conserve à son bras à la suite de son cancer du sein, tandis qu’une
psychologue pourrait plus facilement adapter son activité.
Les dimensions individuelles, médicales et professionnelles interagissent sans
qu’aucune hiérarchie ne semble pouvoir être définie. Ces trois dimensions constituent la
personne atteinte de cancer qui envisage sa poursuite professionnelle, ce qui multiplie les
identités intersectionnelles. Par exemple, le sentiment de culpabilité qu’un salarié a pu ressentir
vis-à-vis de son absence au travail (parce que la charge de travail a été reportée sur les collègues)
peut l’inciter à s’investir davantage pour récupérer sa place dans l’entreprise et décharger les
autres. Mais, dans le cas où la personne a peur de la récidive, ce qui la pousserait davantage à
préserver sa santé et modérer son investissement professionnel, elle réaliserait alors un
compromis pour répondre à ses différentes considérations.
Le chapitre suivant vise à tester empiriquement ce modèle théorique.
217
Chapitre 9. La motivation, élément central du processus de retour
au travail
Au regard des modèles proposés dans la littérature pour analyser la reprise du travail après
un diagnostic de cancer, l’originalité de notre approche consiste à appréhender le retour au
travail comme une construction de l’individu, un processus dans lequel la motivation occupe
une place centrale.
Dans ce chapitre, nous proposons de confronter notre modèle théorique présenté dans le
chapitre 8 à l’analyse des entretiens réalisés auprès de personnes en emploi au moment du
diagnostic du cancer. Pour cela, l’ensemble de ce chapitre repose exclusivement sur
l’exploitation des données qualitatives recueillies lors des entretiens semi-directifs de l’enquête
CAREMAJOB. Pour rappel, la population d’étude a été rencontrée à deux reprises et est
constituée de quinze femmes et de six hommes, tous âgés entre 25 et 60 ans, en fin de traitement
pour un cancer (pour davantage d’information sur les caractéristiques de la population d’étude,
voir le tableau descriptif disponible en annexe 5).
9.1. La motivation : fruit de construits sociaux et individuels
9.1.1. L’expérience de la maladie, un principe explicatif de la motivation
Lorsque nous présentons lors de la première journée de restitution, nos résultats
concernant les séquelles exprimées par les participants aux entretiens comme étant parfois
invalidantes et conservées à distance du diagnostic de la maladie, une personne du premier
groupe de restitution précise : « Non, on ne sait pas tout ça [fait référence à la persistance de
séquelles] quand on commence les traitements mais heureusement ! C’est comme une relation
de couple, heureusement qu’on ne sait pas tout dès le départ sinon on n’irait pas ! ». D’autres
personnes sont d’accord, le vocabulaire guerrier est très présent dans cette partie de la
restitution, on parle beaucoup de « combat », de « lutte » puisqu’il s’agit de « combattre la
maladie ». Ainsi, les participantes82 expliquent qu’il est important d’apprendre au fur et à
82 Pour rappel, deux journées de restitutions des principaux résultats de l’enquête CAREMAJOB ont été
réalisées auprès de membres de l’association Centre Ressources (antennes d’Aix-en-Provence et de
Montélimar) et plus précisément auprès de membres ayant fait partie du groupe « D’part »,
218
mesure parce que, selon elles, le trop plein d’informations au départ pourrait annihiler l’espoir
de guérison, nécessaire à l’entreprise d’un tel combat. Ce vocabulaire témoigne de l’expérience
de la maladie qu’a la personne concernée et cristallise parfois l’état d’esprit déterminant de la
motivation exprimée vis-à-vis de la poursuite professionnelle. Deux profils ont été rencontrés
lors des entretiens : les personnes pour lesquelles la reprise du travail constitue un moyen de
lutte contre la maladie, pour « fermer la parenthèse » et revenir à la situation initiale, et celles
qui « acceptent » l’impact de la maladie sur leur quotidien et décident de « s’adapter » à leur
nouvelle vie.
« Je veux que la parenthèse [de la maladie] soit fermée »
On retrouve chez ces personnes ce que Stergiou-Kita et ses coauteurs catégorisent dans
« l’expérience du travail » (Stergiou-Kita et al., 2014). La reprise du travail est souvent motivée
par la lutte contre le cancer dont elle devient un outil supplémentaire. La reprise prend alors la
forme d’une distraction, d’une thérapie ou encore d’un moyen de reprise de contrôle sur sa vie.
L’exemple de Béatrice83 illustre bien cette motivation. Elle se définit comme « une battante »,
« quelqu’un qui résiste » et la reprise du travail constitue pour elle une étape essentielle pour
reprendre sa vie d’avant comme elle l’explique ci-dessous :
« J’ai hâte de reprendre le travail parce que je veux que ça soit une parenthèse dans
ma vie et que la parenthèse elle soit fermée. (…) je… n’ai pas voulu me mettre en
grande maladie. Euh parce que c’est une grande maladie certes, mais dans ma tête
c’est une parenthèse donc je ne veux pas une étiquette dessus qui dise que je suis
étiquetée cancer grande maladie (…) Alors tout le monde me dit ‘‘oui comment tu
vas faire ? Tu devrais faire un mi-temps thérapeutique’’ prrrrt Non ! Mi-temps
thérapeutique ça veut dire encore euh… ? Bah je suis malade ! (…) je ne veux pas
que cette maladie ait le dessus sur moi. » Béatrice, 59 ans, 1er entretien.
spécifiquement consacré à l’accompagnement sur la thématique de la vie professionnelle. L’objectif de
ces journées était d’inclure les personnes concernées par le sujet d’étude dans l’analyse des discours
recueillis de manière à confronter mon analyse à leur vécu, et à éviter au maximum la surinterprétation
et les contre-sens. La première journée évoquée ici a été réalisée à Aix-en-Provence et a réunis 15
femmes des groupes « D’Part » et 2 professionnelles de l’association. 83 Atteinte d’un cancer du sein, Béatrice décide de reprendre son travail après un arrêt-maladie de six
mois seulement, soit moins d’un mois après sa dernière séance de radiothérapie, en dépit de ses douleurs
persistantes.
219
Dans cet exemple, nous pouvons voir la motivation de Béatrice mais également le fait qu’elle
considère la maladie comme temporaire, telle « une parenthèse ». De plus, elle déploie des
stratégies pour renforcer cette momentanéité et rejeter l'étiquette de malade, qui, à l’inverse,
l’entérinerait. Cela renvoie aux représentations sociales du cancer, à la peur d’une
stigmatisation du fait de la maladie qui exclurait la personne malade de la norme à travers le
processus d'étiquetage décrit par Becker (Becker, 1985).
De même, lors de notre première rencontre, Clémence, soignée pour un cancer des
ovaires, revient rétrospectivement sur les premiers temps de son arrêt-maladie, période durant
laquelle elle avait demandé à son chef le matériel nécessaire pour faire du télétravail, pensant
être absente six mois tout au plus.
« (…) à l’époque j’avais besoin de sentir que voilà, j’étais encore dans le coup et
que j’étais encore présente et que j’étais encore au courant… (…) C’était très
important. Je n’imaginais pas que ça durerait aussi longtemps mais au moins c’était
l’idée de dire il va y avoir un après quoi. Je pense que sur le coup de la maladie qui
prend toute la place et comme mon travail comptait beaucoup pour moi avant...
(…) je pense vraiment que voilà j’avais besoin que mon travail soit là quoi. La
maladie prenait tout mais quelque part voilà quand je pensais au professionnel ça
m’aidait à me dire ‘‘il y aura un après cancer’’ » Clémence, 38 ans, 1er entretien.
Comme nous le voyons dans l’extrait, ce maintien en semi-activité par le biais du télétravail
était important pour elle dans la mesure où il l’aidait « à se sentir dans le coup ». Cette forme
d’aménagement du travail dans ce cas-ci, est un moyen de lutter contre la maladie et d’avoir
“un après cancer”. L’expression “après cancer” est très importante puisqu’elle témoigne du
caractère temporel, comme une sorte de parenthèse, de la maladie et de la volonté des
participants à fermer la parenthèse.
Pour d’autres personnes interrogées, il ne s’agit pas tant de lutter contre la maladie en tant
que telle mais contre ses effets négatifs sur la vie personnelle et notamment contre l’isolement
social qu’elle engendre. Dans nos sociétés, la place sociale des individus est principalement
garantie par le statut professionnel qui structure les relations sociales (Castel, 2013; Méda,
1995). Ainsi, reprendre son travail, c’est en quelque sorte retrouver son identité sociale et sortir
de l’environnement fermé, cloisonné entre le domicile et les centres de soins.
220
Bien que ce discours soit marginal parmi ceux recueillis lors de l’enquête CAREMAJOB,
la notion qui y est rattachée n’en est pas moins importante et est largement documentée dans la
littérature (Stergiou-Kita et al., 2014; Tarantini et al., 2014). Ce rôle distrayant (au sens de
distraction face à la maladie) et social de la reprise du travail permet ainsi d’envisager la vie
sans la maladie, ce qui apparaît comme une étape du « travail biographique » (Ménoret, 1999),
soit de reconstruction individuelle.
Par ailleurs, la présence de séquelles liées à la maladie et ses traitements impose à la
plupart des personnes enquêtées de repenser leur vie d’avant et de s’adapter, la parenthèse qui
se ferme n’est alors plus celle de la maladie mais celle de la vie antérieure au diagnostic.
« J’ai fait le deuil de ma vie d’avant » : accepter une nouvelle échelle de normalité
Les personnes confrontées à la chronicité de la maladie et de ses effets ne peuvent (plus)
envisager le cancer comme une parenthèse. Concernant ces séquelles, les personnes enquêtées,
comme celles des groupes de restitution, font part de la grande fatigabilité dont elles font l’objet,
même à distance des traitements (pour celles du groupe de restitution). Elles s’accordent sur
une précision : la fatigue est chronique mais n’est pas constante, elle survient par phases ce qui
est très difficile à anticiper, et donc à gérer.
Cette prise de conscience de la chronicité constitue ainsi une nouvelle étape pour les
personnes concernées qui ne se sentent, pour certaines, plus vraiment malades mais pas encore
tout à fait guéries. On retrouve ainsi les différentes temporalités de la maladie définies par
Ménoret (Ménoret, 1999). Ces personnes doivent alors s’adapter à leur nouvel état de santé,
l’échelle de mesure sur ce point a changé, la normalité ne correspond désormais plus à celle
considérée avant la maladie. Pour certaines, les conséquences semblent irréversibles, il s’agit
alors d’un travail de deuil de sa vie antérieure à la maladie comme l’illustre l’extrait suivant,
issu de l’entretien réalisé avec Rémi :
« Tu sais comme le deuil ? Putain je te jure c’est exactement pareil ! C’est
exactement comme faire le deuil. Tu sais le deuil, quand tu fais le deuil, c’est
d’abord c’est la colère, hein ? Tu as la colère, ensuite tu as la culpabilité, ensuite tu
as le chagrin ou dans un ordre différent c’est-à-dire le déni et puis, à la fin tu as
l’acceptation. Et une fois que tu as accepté bah t’as fait le deuil et tu peux passer à
autre chose. Bah une maladie comme ça c’est un peu pareil. D’abord tu vois, t’es,
t’en veux à tout le monde quoi, ‘‘c’est quoi cette connerie… pourquoi j’ai ça ?’’
221
ensuite tu vas mourir et tout. Enfin, tu as le chagrin mortel tu vas mourir nani nana,
ensuite tu passes à l’étape de, bon bah tu te soignes, tu vas mieux ‘fin tu vois que
finalement bon bah t’es pas mort. Tu vois ? Toutes ces étapes et puis au bout d’un
moment t’as accepté tati tata et puis tu te dis : ‘‘bon et tu fais quoi maintenant ?’’
Bah il te faut des projets quoi, si t’as pas de projet, tu vois je pense que si tu n’as
pas de projet, malade comme ça sans projet tu t’effondres. (…) moi j’ai fait le deuil
de ma vie d’avant. J’ai une nouvelle vie, qu’il faut que je m’adapte aujourd’hui
maintenant j’ai une maladie, j’ai une plaie, je peux pas m’en séparer c’est comme
ça. Il faut que je vive avec. Et bah, adapte-toi et trouve-toi une vie avec. » Rémi, 43
ans, 1er entretien.
Rémi est atteint d’un cancer inopérable dont les symptômes sont chroniques et particulièrement
handicapants. Située au cerveau, la tumeur entraîne notamment des troubles de l’équilibre et
des paralysies partielles. Il lui faut donc apprendre à vivre avec sa maladie, ce qui nécessite un
besoin d’adaptation constant. « S’adapter », selon lui, est le maître mot de son expérience : « en
fait finalement quand t’es prêt à t’adapter ça va tout seul, tu trouves les solutions ». Ainsi,
douleurs, fatigabilité et symptômes contraignants sont le quotidien de nombreuses personnes à
la suite d’un diagnostic de cancer. Cette nouvelle échelle de santé nécessite des adaptations
dans plusieurs pans de leur vie, et notamment dans leur vie professionnelle.
Ce vocabulaire exprimant les étapes du deuil a été utilisé à plusieurs reprises lors des
entretiens, le terme « acceptation » revenant particulièrement. Il illustre tout à fait le caractère
processuel de l’après diagnostic de cancer, comme l’exprime Clémence : « C'est compliqué de
se dire qu'on sera plus comme avant, mais en même temps, ça évolue tout le temps ». L’état de
santé évolue sur le plan physique mais également sur le plan mental. Lors de ce processus
d’acceptation, l’individu passe par des phases de reconstructions identitaire, individuelle et
sociale, qui participent à l’appréhension de la problématique professionnelle, à la construction
de sa motivation. Ces personnes apprivoisent leur nouvel état de santé au fur et à mesure. Avec
le temps, elles découvrent leurs forces et leurs faiblesses et apprennent à faire de nouveau
confiance à leur corps, ce qui peut prendre un certain temps. Elles apprennent ainsi à vivre avec
la maladie.
222
Modifier sa trajectoire professionnelle pour donner du sens à la maladie
À l’instar de ce que l’on trouve dans la littérature, l’attribution de la survenue de la
maladie au travail est généralement associée à une volonté de réorientation de sa vie
professionnelle. C’est le cas de Christine, selon qui le diagnostic de la maladie est un symptôme
de son surinvestissement personnel dans son activité d’infirmière libérale :
« C’est impossible, je peux pas. Je peux pas reprendre le libéral comme euh...
avant. C’est pas possible. Même si j’ai la forme, c’est complètement stupide. C’est
pas parce que… au contraire ça m’aurait à rien servi d’avoir cette maladie pour
reprendre complètement comme avant, c’est complètement stupide, c’est parce que
je pense que c’est lié. C’est quand même… si j’ai eu ça, c’est quand même pas…
c’est parce que j’ai trop travaillé, j’étais trop fatiguée, plus peut-être d’autres
paramètres mais ça ça y a contribué ça…, ça a contribué au fait que j’étais malade
je pense. » Christine, 57 ans, 1er entretien.
La motivation de Christine est très claire lors de cette première rencontre : elle souhaite se
réorienter professionnellement et a déjà entrepris des démarches en ce sens (bilan de
compétence, candidatures à des postes salariés et demande d’inscription à une formation).
L’important pour elle est de donner du sens à la survenue de sa maladie qui eut l’effet d’un
signal d’alarme sur son surinvestissement professionnel. Dans cette logique, reprendre son
activité professionnelle serait « stupide », ce serait nier le signal envoyé par son corps et la
maladie n’aurait eu alors aucun sens, soit, plus précisément, « ça aurait à rien servi d’avoir cette
maladie ».
9.1.2. S’apprivoiser et adapter sa reprise
L’adéquation entre l’état de santé et les caractéristiques du travail pour lequel la reprise
est envisagée, peut être une source de stress pour les personnes, qui découvrent au fur et à
mesure les capacités de leur corps et nécessite ainsi des adaptations, qu’elles soient officielles
et organisées, comme le recours à un temps partiel thérapeutique par exemple, ou officieuses et
souples comme la réduction de son investissement professionnel.
223
La peur de ne pas être à la hauteur
Dans ce contexte d’apprivoisement de soi, la reprise du travail apparaît comme une étape
de test et peut être en ce sens anxiogène ; « Déjà que le premier jour, je pense que ça va être un
stress inévitable... je pense que je vais avoir l'impression d'attaquer un nouveau boulot ! »
anticipe Charlotte, infirmière libérale. En effet, ils sont nombreux à s’interroger, comme
Vincent : « la question c’est… est-ce que mon corps va suivre quoi ? ». Certains déclarent
partager ces mêmes craintes vis-à-vis de leurs compétences, de leur capacité à réintégrer leur
poste de travail tels que Jeanne, enseignante de lettres en collège, qui a l’impression d’avoir
« perdu beaucoup de neurones » et qui se demande si elle est « toujours capable de leur parler
[aux élèves] correctement », ou Dominique, secrétaire de direction, qui « doute de [ses]
capacités » ou encore Laure, préparatrice en pharmacie, qui « angoisse » à l’idée d’être face à
sa clientèle alors qu’elle cherche constamment ses mots. Cette peur de ne pas être à la hauteur
est analogue à la prise de conscience de la chronicité de la maladie par l’altération de sa santé
physique et/ou mentale.
Préserver sa santé et savoir s’adapter
Ces personnes abordent leur reprise professionnelle avec une même motivation : celle de
préserver leur santé. Une fois l’étape de la reprise passée, une nouvelle routine s’instaure, dans
laquelle elles s’adaptent et aménagent leur travail en fonction de leur état de santé, comme
Sandrine, agent d’entretien, qui s’octroie des pauses lorsqu’elle en ressent le besoin ou Rémi,
photographe indépendant, qui rentabilise ses déplacements et n’accepte désormais que des
missions suffisamment conséquentes. Si pour Sandrine, l’emploi semble avant tout alimentaire
et social, pour Rémi, c’est un projet de vie, il en est passionné. Pourtant, le constat est le même :
ils ont redéfini leurs priorités, et même s’ils reprennent leur activité avec plaisir, celle-ci ne doit
pas se faire au détriment de leur santé. On retrouve ici une composante essentielle du modèle
proposé récemment par Demerouti et Bakker : le « job crafting » (Bakker et Demerouti, 2017).
Qu’il soit salarié ou indépendant, le travailleur modèle son activité professionnelle, ou plus
précisément ses conditions de travail, afin d’améliorer son bien-être au travail.
De plus, si c’est une étape de se reconnaître changé après la maladie et de s’adapter à son
« nouveau soi », c’en est une autre de le faire comprendre aux autres. En effet, le manque de
reconnaissance de la fatigue chronique, accru par son invisibilité, par exemple de la part de leur
entourage social et professionnel, semble particulièrement affecter les personnes interrogées,
davantage que le manque de reconnaissance dont peut faire preuve l’environnement médical.
224
Ainsi, l’expérience de la maladie est propre à l’individu qui réagit en fonction des
caractéristiques de sa maladie et de ses caractéristiques propres. Cette expérience est un
processus qui évolue avec le temps et fait avancer les personnes concernant leur motivation à
reprendre le travail.
9.1.3. Rapport au travail et à l’emploi, troisième élément constitutif de la
motivation
En parallèle de l’expérience individuelle de la maladie, le rapport à l’emploi et au travail
de l’individu vis-à-vis de son activité professionnelle occupée au diagnostic est fondamental
pour comprendre sa motivation à reprendre cette activité. Sur ce point, notre enquête entre en
résonnance avec les travaux de recherche menés par Chassaing et Waser (Chassaing et Waser,
2010), en ce que le temps de l’arrêt de travail est propice à un questionnement philosophique et
personnel sur ses choix et ses besoins, notamment en ce qui concerne l’adéquation entre la vie
personnelle et professionnelle. Le sens du travail et le rôle du soutien social sont notamment
des éléments que l’on retrouve souvent dans nos entretiens à l’instar de cette étude. Néanmoins,
notre recherche s'en distingue par certains aspects et principalement par l’analyse du rapport au
travail à travers l’équilibre (ou plutôt le déséquilibre) entre l’investissement individuel et la
reconnaissance perçue. Le soutien social est, dans cette approche, étudié comme un éventuel
modérateur des effets négatifs de ce déséquilibre.
Donner du sens à son travail
La période de l’arrêt de travail (pendant l’arrêt-maladie) peut être propice à une
reconsidération des attentes personnelles et professionnelles. Elle permet d’octroyer du temps
à la réflexion, au cours duquel certaines personnes philosophent sur la vie et font le bilan de
celle qu’ils ont vécue jusqu’à aujourd’hui. Pour beaucoup, la nature de l’activité professionnelle
et la place de celle-ci dans la société constituent des considérations importantes pour leur bien
être personnel. Or, le monde du travail s’est vu largement transformé ces deux dernières
décennies, la recrudescence d’emplois n’ayant aucune utilité directe pour la société, qualifiés
de « bullshits jobs » par l’anthropologue David Graeber (Graeber, 2018, 2013), est en
contradiction avec la quête de sens et le besoin d’utilité qui semblent exacerbés à la suite de
l’expérience d’un événement traumatique comme le diagnostic d’un cancer.
225
L’expérience de Quentin, qui, avant la maladie, avait entrepris des études de commerce
international et était en stage en entreprise au moment du diagnostic, est particulièrement
éclairante sur ce point. Lors de la récidive de son cancer osseux, il quitte son stage et trouve un
travail dans le secteur de la restauration. Il explique avoir « pris du recul » et avoir réalisé le
manque de sens de son activité antérieure, ayant ainsi préféré exercer une activité plus concrète,
c’est-à-dire dont l’intérêt est visible (il donne des exemples d’activités utiles telles que remplir
les rayons d’un supermarché ou encore nourrir les gens à travers le secteur de la restauration).
La maladie semble ainsi l’avoir fait réfléchir sur ses attentes professionnelles, le besoin
d’exercer une activité « utile » est prédominant dans son discours ;
« j’avais déjà eu des expériences où j’avais bossé vraiment et après là quand je suis
retourné ré-envoyer des mails toute la journée ouais ça m’a saoulé. Après s’il y
avait pas eu la maladie, je dis pas que j’aurais pas continué parce que le salaire est
intéressant, la boite est intéressante. Mais bon... La maladie a fait que j’ai réalisé
que c’était pas mon truc quoi. Je préfère gagner moins et faire un truc qui me plait
maintenant que… qu’essayer de grimper dans la société. Voilà du coup j’ai
complètement changé de ce point de vue-là. » Quentin, 25 ans, 1er entretien.
Quentin n’est pas le seul à vouloir donner du sens à son travail. Trois des quatre personnes
interrogées qui travaillaient en accompagnement de personnes malades, formulent un besoin de
valoriser, de mettre à profit leur expérience de la maladie. Mathilde, aide-soignante, Christine,
infirmière et Clémence, conseillère en mobilité professionnelle, expliquent par exemple que la
maladie les a rendues « plus dans l'empathie », elles se sentent plus à même de comprendre les
patients (pour les soignantes), et/ou les salariés qu’elle accompagne (dans le cas de Clémence,
pour leur réinsertion professionnelle). Cette dernière ajoute :
« Je me rends compte que je peux appréhender mon métier encore mieux, parce que
du coup j’ai été de l’autre côté. Et finalement…, bon après faut accepter les erreurs
hein… parce que du coup je me dis ‘‘papapa tout ce que j’ai fait à certaines
personnes… mais les paroles que j’ai pu dire et tout…’’. Mais je ne pouvais pas
imaginer ! Et je me dis demain matin quand j’accompagnerai quelqu’un qui revient
après une longue maladie, je pense que je serai plus à même de comprendre ce qu’y
s’y passe parce que j’ai… voilà. J’ai été de l’autre côté » Clémence, 38 ans, 2nd
entretien.
226
Le besoin d’utilité formulé ici par ces personnes est différent de celui exprimé par Quentin, il
s’agit principalement d’utiliser l’expérience de la maladie dans leur emploi qui par nature sont
des emplois dont l’utilité est largement reconnue dans la société. C’est une forme d’acceptation
de leur nouvelle vie et la reprise du travail constitue dans ce cas un moyen de la valoriser à
travers leur activité professionnelle.
Un déséquilibre entre investissement et reconnaissance, facteur de bifurcation
professionnelle
Parmi les vingt-et-une personnes rencontrées, quatre ont connu leur diagnostic de cancer
pendant une phase de restructuration de l’entreprise et, plus précisément, de fusion de plusieurs
services ou sites de l’entreprise. Ce contexte fut une période très stressante pour les salariés
concernés, car cela s’est accompagné d’une charge de travail supplémentaire, d’une réduction
des effectifs par licenciement ou encore de mutations du personnel. Dans ces quatre cas, un
sentiment de danger pour leur santé a été exprimé. Tandis que pour Karine, cette situation a
entraîné des difficultés dans la reprise du travail qu’elle a finalement pu surmonter, les
situations professionnelles de Dominique, Florence et Béatrice se sont détériorées et elles ont
entrepris des démarches de bifurcations professionnelles (reconversion et/ou rupture
conventionnelle).
Pour Florence, les conditions de travail initiales étaient particulièrement stressantes du
fait de sa position de « tampon entre la direction et les vendeurs ». La situation s’est
particulièrement dégradée pendant son arrêt-maladie durant lequel l’entreprise l’a convoquée à
deux expertises médicales de contrôle. Elle est fortement blessée par la démarche : « comme si
j’allais au cinéma quoi en fait. Je l’ai très très très mal pris ». À la suite de cette seconde
expertise, le comité médical de l’entreprise lui explique que l’arrêt de travail signé par le
médecin expert primera sur celui fait par son oncologue. Elle est sommée de se rendre au travail
le jour même où elle est hospitalisée pour le retrait du port-à-cath. Elle estime avoir subi « du
harcèlement » et se sent trahie du fait de la dépersonnalisation de la relation et du manque de
considération de sa personne et de son état. Elle réalise alors le déséquilibre entre son
investissement personnel au travail et la considération qu’on lui en fait.
227
Sa motivation à reprendre son travail s’amenuise ainsi rapidement, comme l’illustre cet
extrait :
- « Maintenant je vais droit à l’essentiel si vous voulez. Je choisis euh je choisis un
travail selon mes aspirations et [mon entreprise] ne correspond plus du tout à mes
aspirations.
- [E] C’est l’expérience de la maladie qui vous a… ?
- Oui. (silence) Je me suis vraiment focalisée sur l’essentiel en fait. Je me suis
rendue compte que cette boîte, contrairement à ce qu’elle prononce, d’ailleurs
quand on le met haut et fort c’est qu’on n’est pas…, ce n’est pas une entreprise
humaine. Voilà. En fait je me dis ‘‘si je reste dans cette boîte, je vais récidiver’’ »
Florence, 50 ans,1er entretien.
L’expérience de Florence met en lumière un élément dont l’importance a été soulevée dans de
nombreux entretiens : un déséquilibre entre les efforts fournis par le salarié et les récompenses
qu’il en retire, ne serait-ce qu’en termes de reconnaissance. Ce débalancement semble s’avérer
déterminant sur la volonté de réintégrer ou non son emploi. Ce déséquilibre, repris dans notre
modèle à partir de celui développé par Siegrist présenté dans le chapitre 8 (Siegrist, 1996), a
été soulevé dans la plupart des discours des personnes souhaitant ou ayant entrepris une
démarche de réorientation professionnelle. Quentin, par exemple, pointe particulièrement ce
manque de reconnaissance et explique avoir été déçu par l’activité qu’il occupait au diagnostic
et pour laquelle « on n’est jamais récompensé ». Le déséquilibre entre l’effort fourni au travail
et le manque de reconnaissance est donc ici à l’origine d’une réduction de la motivation à
reprendre cette activité.
Pour Dominique, la situation était délétère bien longtemps avant le diagnostic de la
maladie. Des restructurations au sein de son entreprise avaient contribué à une forte dégradation
de ses conditions de travail et à une augmentation de son stress, comme elle l’explique dans
l’extrait suivant :
- « (…) le fait de retourner là-bas. Ça ça m’angoisse, ça m’a angoissé et ça
m’angoisse énormément.
- [E] Par rapport à l’ambiance de travail ?
- Par rapport à l’ambiance de travail et ce que c’est devenu. Et puis aussi, retrouver
la, la société comme juste avant que je sois malade. C’est comme si je me re-
balançais au moment du diagnostic.
228
- [E] Comme refaire un pas en arrière ?
- Ouais. Parce que j’étais mal dans mon travail.
- [E] Qu’est-ce qui vous rendait mal ?
- Bah… j’avais quand même beaucoup d’amis proches quand même dans la société
qui ont été licenciés quand même tous au fur et à mesure. À la fin j’avais
quasiment plus de… personnes enfin plus de relations avec grand monde. Et
euh… et mon poste il avait diminué comme une peau de chagrin (…) Dans cette
entreprise, c’est impo… j’arrive pas, j’arrive pas. Dès que je… j’imagine y
retourner, là avec la date limite là [qui approche]…, bah là je suis repartie, je
redors plus je suis dans un état mais… c’est, c’est pas croyable quoi. (…) J’associe
tellement ce que j'ai vécu dans ce travail... la placardisation que j'ai vécue dans ce
travail... à mort ! Maladie, mort ! C'est trop fort, quoi ! J'ai à peine accepté le
reclassement, que derrière après, je disais : mais non, c'est pas possible, je peux
pas ! » Dominique, 49 ans, 1er entretien.
Dans certains cas, l’association travail-maladie est plus complexe. Par exemple, si
Clémence estime que son travail, ou plutôt son grand investissement dans son travail, est à
l’origine de la survenue de la maladie, elle déclare également beaucoup aimer son activité et
son collectif de travail. Sa réaction est donc moins radicale que celles exprimées par Christine
ou Dominique. Au début de la maladie, elle fait même une demande auprès de sa hiérarchie
pour être toujours mise au courant de l’actualité de l’entreprise. Finalement, l’arrêt lui fait
prendre du recul vis-à-vis de son travail et elle remet en question son investissement.
« J’étais très investie, je pense même que je travaillais trop et que j’étais limite…
limite. Je pense que voilà, si ce n’était pas un cancer, le burnout aurait pu être pas
loin aussi. Je pense que voilà, j’étais pas… avec le recul hein. Quand on a du temps
pour y réfléchir, je pense que… ça prenait trop de place. Et je m’épuisais dans mon
travail et euh… (…) et après ce que j’ai pris conscience aussi c’est que je me
définissais beaucoup par mon métier. C’est-à-dire que quand on m’a dit que je suis
malade je me suis dit ‘‘je n’existe plus, je suis plus là, je n’ai plus d’existence, je
ne suis plus rien’’ un moment je me le suis dit. (…) ’fin voilà je me suis
repositionnée en disant mais euh voilà j’ai passé ma vie à penser boulot, vivre
boulot, bon en même temps quand on fait un métier qu’on aime, voilà… c’est pas
évident hein. » Clémence, 38 ans, 1er entretien.
229
Aussi, son investissement important dans son travail, potentiellement source d’une dégradation
de sa santé selon elle, est lié à son affection pour celui-ci. La balance effort-récompense
(Siegrist, 1996), jusqu’alors plutôt équilibrée puisqu’elle fait part à de nombreuses reprises de
la reconnaissance dont elle jouissait au sein de son collectif de travail, est tout à coup ébranlée
par la mise en jeu d’un nouvel élément : sa santé. Cette ambivalence a ainsi construit sa
réflexion, à la suite de laquelle sa motivation de reprise est finalement modérée : elle souhaite
reprendre son activité mais en restreignant son investissement afin de préserver sa santé.
Par ailleurs, les entretiens ont également révélé que le besoin de reconnaissance n’est pas
limité à la relation avec les efforts fournis au travail. Une nouvelle forme absente dans la
littérature est évoquée par différents participants à l’enquête : le besoin d’être reconnu eu égard
aux efforts fournis pour reprendre le travail, malgré les difficultés liées à la maladie. Sur ce
point, Karine, qui reprend son activité de secrétaire technique à la suite d’un cancer du sein, a
mal vécu sa première reprise qui n’avait pas du tout été anticipée :
« Je le vivais mal. De pas… être reconnue en tant que quelqu’un qui revient et qui
a envie de travailler et qui revient de loin et… qui revient et qui a passé des épreuves
difficiles. Si elle revient c’est parce qu’elle a envie de reprendre et je pensais que
ça allait être valorisé ou euh… bien perçu, en tout cas reconnu. (…) En fait je me
dis : toi tu prends sur toi pour reprendre mais au boulot ils font rien pour t’accueillir
donc pourquoi ? Il y a un espèce de…. De ouais de décalage entre nous ce qu’on
met dans la reprise et ce qu’on attend de l’employeur et ce que l’employeur nous
donne ou est prêt à nous donner ou met en place lui… enfin là en l’occurrence il a
rien mis en place. » Karine, 42 ans, 2nd entretien.
« Mais, le boulot qu'elle faisait [sa collègue dont le contrat n’a pas été renouvelé]
... ben, mon cadeau de bienvenue, ça a été de récupérer son travail ! Voilà ! Donc
quand on parle de retour à l'emploi, alors, soit on est regardé d'un air bizarre, soit
on fait comme s'il ne vous était rien arrivé et que vous rentrez d'un séjour, peut-être,
de villégiature... et vous devez être opérationnelle ! Donc moi, dans mon retour, on
ne m'a pas ménagée du tout ! Et encore moins maintenant ! Parce que la peau de
chagrin... tic, tac, tic, tac ! Et ils ont licencié à tour de bras tous les CDD... voilà.
Les CDI sont déplacés. Et donc moi, on me dit : ‘‘on va te déplacer’’ » Béatrice, 59
ans, 2nd entretien.
230
Cette reprise fut très difficile pour Karine et Béatrice, qui se sont senties très seules face
à la restructuration de leur entreprise dont elles ne connaissaient pas les modalités. Dans les
deux cas, le médecin du travail a finalement signé un nouvel arrêt, un mois après la reprise pour
Karine, et quatre mois après pour Béatrice. Même constat pour David, qui a moins mal vécu la
maladie du fait de son stade peu avancé et de la relative légèreté des traitements reçus, mais qui
a eu besoin de faire reconnaître à son entourage professionnel ce qu’il avait vécu. Il en a même
« joué », selon ses propres mots.
Le soutien social au travail, un modérateur de l’effet négatif de la maladie sur le rapport
au travail ?
L’appréhension de la dimension chronique de la maladie et des séquelles est très difficile
pour les personnes concernées qui doivent sans cesse s’adapter, mais également l’expliquer à
leur entourage. Cette étape est importante car elle est déterminante du soutien social reçu, que,
dans notre modèle, nous considérons également comme un élément influençant la motivation.
En effet, lorsque l’entourage ne comprend pas les difficultés auxquelles doit faire face la
personne atteinte de cancer, il devient moins attentionné et certaines peuvent alors vivre une
« exclusion sociale », comme Thierry qui a préféré taire sa maladie dans son environnement
personnel comme professionnel. Ses relations professionnelles étaient déjà conflictuelles au
moment de l’annonce de la maladie, cette distance a par la suite entériné ces tensions. À
l’inverse, d’autres ont choisi de tenir informé leur entourage de leur état de santé. Rémi par
exemple, communiquait régulièrement avec ses clients sur son état de santé par l’intermédiaire
d’un réseau social. En tant qu’indépendant, il était important pour Rémi de conserver sa
clientèle, le réseau social lui a permis d’informer tout en gardant ses distances, comme il
l’explique dans l’extrait suivant :
« (…) sinon les gens ils vous appellent en permanence, nanani il faut répondre, c’est
pas le bon moment alors vous répondez pas. Du coup, ‘‘ah j’ose plus l’appeler nia
nia ni’’, ah non ! Les réseaux sociaux c’est parfait quoi. On dit juste ce qu’il faut,
l’essentiel, les gens ils comprennent et voilà. » Rémi, 43 ans, 1er entretien.
Grâce à cela, les relations professionnelles de Rémi se sont maintenues à distance et ses clients
étaient tenus informés de sa reprise d’activité.
231
C’est également un moyen d’entretenir des relations avec ses collègues de travail et de se
tenir informé de l’évolution de la vie de l’entreprise. Vincent apportait chaque mois ses arrêts
de travail en main propre afin de discuter avec ses équipes. C’est ainsi qu’il a appris que la
secrétaire et d’autres salariés se mobilisaient en interne pour obtenir l’ouverture d’un poste,
plus adapté à l’état de santé de Vincent.
Pour certains, la communication avec les autres a été moins aisée. Plusieurs personnes
ont fait part de leurs difficultés à faire comprendre à leur entourage que leur état de santé était
modifié et que si, en apparence, rien ne semblait avoir changé, ils devaient néanmoins
désormais faire face à des contraintes physiques invisibles. Pour Clémence, convaincre son
entourage c’est démontrer, c’est-à-dire expliquer, détailler son quotidien marqué par les
séquelles :
« quand vous avez fini la chimio ‘‘bah alors ? C’est reparti’’. En fait, c’est comme
une grippe pour eux. Eux ils ont la grippe ils sont par terre, ils prennent un
médicament, et puis 2 jours après c’est reparti comme en 40. Donc ils se disent
‘‘elle a un cancer, elle fait sa chimio, puis au bout de 2 trucs, c’est bon’’ (…) Même
moi, je le comprenais pas donc, l’expliquer aux autres, c’est un peu compliqué. (…)
mon collègue, qui est responsable des ressources humaines, donc voilà,
concrètement qui m’a dit ‘‘mais pourquoi tu reviens pas ? Qu’est-ce que t’attends ?
tu fais quoi ? tu fais quoi chez toi ?’’ Voilà, il comprenait pas. Et donc il a fallu que
je lui décrive mes douleurs, mes souffrances, ce que me coûtait le fait de me lever,
de me laver, mes essoufflements enfin cet état, que lui ne voit pas. Et je lui ai dit
‘‘comment tu veux que je vienne travailler en étant comme ça ?’’ en ayant
clairement la diarrhée 5 fois par jour enfin voilà je lui ai dit ‘‘tu me vois aller au
bureau dans cet état-là ? tu veux la réalité ?’’ et là il me dit ‘‘mon dieu !’’ il me dit
‘‘tu sais j’ai eu untel dans mon service, je me demandais après son cancer qu’est-
ce qu’il foutait je pensais qu’il était chez lui et qu’il me prenait pour un con, mais
en fait à aucun moment j’ai pu imaginer que…’’ » Clémence, 38 ans, 1er entretien.
À travers l’exemple donné dans cet extrait par le collègue de Clémence, travaillant dans
les ressources humaines, on remarque en effet que, ajoutée au manque de visibilité des
symptômes de la maladie, l’absence d’explication peut entraîner dans l’environnement
professionnel une incompréhension chez les pairs mais surtout au sein de la hiérarchie et ainsi
constituer une source de tension sociale.
232
À l’inverse, de nombreuses personnes ont fait part de l’important soutien social qu’elles
ont reçu de la part de leur environnement professionnel. Ce soutien peut être une source de
motivation à reprendre le travail, comme pour Béatrice par exemple, qui, lors de nos deux
rencontres, évoque à plusieurs reprises ses collègues de travail qu’elle qualifie de
« fantastiques », elles qui l’« attendent avec impatience ». Ce soutien constitue la preuve-même
que la personne malade a échappé à la « mort sociale » (Moulin, 2005) pouvant être engendrée
par le cancer. Pourtant, si lors de notre première rencontre Béatrice parle en effet de ses
collègues de travail comme d’une motivation pour reprendre, celles-ci ne constituent cependant
pas un soutien lorsque la situation tourne mal avec sa hiérarchie. La restructuration qui a lieu
dans son entreprise au moment de sa reprise, la conduit finalement à une mise en arrêt-maladie
puis à une rupture conventionnelle. Ses bons rapports sociaux avec ses collègues de travail ne
semblent en aucun cas avoir modéré cette dégradation de sa situation professionnelle.
Ainsi, il apparaît que l’interaction des différents éléments contextuels relatifs à l’emploi
occupé au diagnostic, à la maladie mais également à des caractéristiques individuelles, participe
à la réflexion, et donc à la construction de la motivation de la personne atteinte de cancer vis-
à-vis de sa reprise d’activité professionnelle. Cette motivation peut être le fruit à la fois d’une
intériorisation de la recherche étiologique, mais également des rapports que la personne
construit avec son corps, avec la maladie et avec son environnement professionnel. Néanmoins,
l’individu n’est pas seul dans l’organisation de sa reprise du travail, celle-ci nécessitant
l’intervention de plusieurs acteurs. Dès lors, comment la motivation individuelle trouve-t-elle
sa place pour influencer le retour au travail ?
9.2. Décision de reprise : quelle place à la motivation individuelle ?
9.2.1. Confrontation de la logique profane à la logique médicale
Lorsqu’une personne est en arrêt-maladie, celle-ci a l’interdiction d’exercer son activité
professionnelle. Cet arrêt est signé par un médecin à l’issu d’un entretien avec le patient pour
une durée donnée (généralement un, trois ou six mois selon le cancer) et peut être reconduit
autant de fois que nécessaire selon la pathologie, mais surtout l’état de santé de l’individu. Lors
de cet entretien, il s’agit donc pour le médecin de juger l’état de santé de son patient afin de
conclure notamment sur sa capacité à exercer une activité professionnelle.
233
« C’est le médecin qui donne son feu vert »
Telle fut la réponse de Vincent, chef de chantier, qui explique qu’il aimerait reprendre
après l’été, mais cette décision dépendra principalement de son oncologue. Ce type de réaction
était attendu dans l’enquête, considérant que l’arrêt de travail est, le plus souvent, conditionné
par la poursuite des traitements, eux-mêmes dépendants des résultats des examens médicaux.
Indépendamment de leur état de santé, plusieurs personnes ont tenu ce discours. Selon Karine,
ce fut la raison de l’échec de sa reprise. Elle explique que, lors de la prise de décision, elle ne
se sentait pas prête, qu’elle a été « poussée » par son médecin généraliste à qui elle a « fait
confiance ». Si Karine semble avoir plié devant le discours médical, certaines personnes ont
plutôt une attitude a priori passive vis-à-vis de leur reprise. C’est le cas de Sandrine qui
explique ne pas s’être posé la question car elle attendait la chirurgie de reconstruction et que
« pour [elle], c’était planifié comme ça ». Elle ajoute ne pas avoir été incluse dans la prise de
décision relative aux prolongations de son arrêt maladie, réalisées par l’oncologue :
« Début novembre je l’ai vue [l’oncologue], et c’est là qu’elle m’a fait le papier
pour reprise à mi-temps thérapeutique. Elle m’a demandé comment ça allait tout ça
machin, et elle m’a dit ‘‘bon début d’année…’’ fin voilà, février. Je lui ai dit ok.
Puis elle m’a fait les papiers. » Sandrine, 36 ans, 1er entretien.
Néanmoins, la suite de ce premier entretien a montré que ce qui pouvait passer dans un premier
temps pour une attitude passive vis-à-vis de la reprise de son activité professionnelle, était en
fait principalement lié à sa motivation, elle était en accord avec le médecin et se sentait
suffisamment en forme physiquement. Elle explique ensuite comment elle a agi pour reprendre
dans les conditions qu’elle souhaitait, ce qui sera explicité ultérieurement.
Le cas Clémence est tout autre. Elle explique n’avoir jamais évoqué sa situation
professionnelle avec le personnel soignant, à l’exception de son médecin généraliste qui, selon
elle, n’était pas impliqué dans la réflexion. Pour l’illustrer, elle relate leurs rendez-vous relatifs
aux renouvellements de son arrêt-maladie :
« C’est comment vous dire… c’était comme si vous alliez… je sais pas moi, chez
l’écrivain public quoi : ‘‘bonjour’’, ‘‘bonjour madame, vous venez pourquoi ?’’
‘‘Ben mon arrêt de travail arrive à…’’ ‘‘Ah bon ? Bon… on repart pour un mois ?’’
‘‘…’’ ‘‘on repart pour un mois allez au revoir madame ». Cinq minutes, montre en
main, voilà (rire). » Clémence, 38 ans, 1er entretien.
234
De plus, au moment de la reprise, lorsque l’arrêt-maladie a duré plus de 30 jours consécutifs,
une visite de reprise est organisée avec le médecin du travail qui a la compétence spécifique
d’évaluer les capacités d’un salarié au regard de l’activité qu’il souhaite occuper, il lui délivre
alors un certificat d’aptitude pour cette activité. Pourtant, malgré l’obligation régie par l’Article
R4624-22 du Code du Travail (Décret n°2012-135 du 30 janvier 2012 - art. 1), certaines
personnes interrogées déclarent n’avoir jamais vu le médecin du travail.
Les médecins sont donc des acteurs importants de la décision de reprise, en tant que
signataires des arrêts-maladie. Néanmoins, leur implication n’est pas systématique, laissant
souvent les personnes assumer seules cette décision.
Une affaire de négociation
Si le médecin tient ainsi le rôle de « juge » dans la décision de la reprise professionnelle
de ses patients, certaines personnes interrogées ont fait part de leurs « négociations » avec le
personnel soignant afin de reprendre comme elles le souhaitent. Béatrice par exemple explique
lors de notre premier entretien ne pas avoir laissé le choix à son médecin en lui présentant un
argumentaire bien ficelé sur ses conditions de reprise, qu’elle a anticipées. De même, Claudine,
institutrice en milieu spécialisé, explique son rendez-vous avec son oncologue :
« je l’ai rencontré [l’oncologue] en octobre. Et donc moi à ce moment-là je ne
pensais qu’à une chose, c’était reprendre le travail et, lui voulait me reprolonger,
me faire finir l’année euh… en maladie et, je n’ai pas voulu donc euh… on a négocié
(rire) et j’ai demandé une reprise pour janvier. » Claudine, 59 ans, 1er entretien.
À l’instar de Claudine, Rémi souhaitait reprendre son activité rapidement. Dans le cadre de sa
négociation avec son oncologue, Rémi a fait des efforts pour répondre aux principales exigences
de son médecin (démarches administratives et prise de poids), comme il l’explique dans l’extrait
suivant :
« Donc je la [l’oncologue] vois régulièrement pour le suivi de l’évolution de la
tumeur etc. etc. etc. et au mois de janvier je lui dis : ‘‘eh bien moi je voudrais
reprendre le travail début mars’’, elle me dit : ‘‘mais comment vous faites pour
reprendre le travail ? Vous pouvez pas conduire, vous pouvez pas ci, vous pouvez
pas là’’, j’ai dit : ‘‘bah je peux pas reconduire, regardez, moi je me suis fait un statut
de travailleur handicapé je vais avoir une subvention pour conduire [embaucher un
chauffeur] nani nana’’ Le docteur elle me regarde elle me dit : ‘‘vous savez que à
235
mon avis vous devriez pas reprendre le travail’’, je dis ‘‘qu’est-ce que vous en
savez ? Moi je sens que je vais mieux’’, elle me dit : ‘‘vous pesez 65 kilo monsieur,
vous pouvez pas reprendre le travail à 65 kilo’’, ‘‘ah ! il faut que je reprenne du
poids ? ok !’’ je me suis inscrit à une salle de sport et je fais du sport 3 fois par
semaine à fond pour reprendre du poids et j’ai continué à faire les papiers. Et du
coup elle me dit : ‘‘ouais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Moi je peux
pas vous interdire de travailler. Moi je vous le déconseille mais je peux pas vous
l’interdire’’, bon bah très bien, alors je retravaille. (…) je voulais le faire [l’arrêt-
maladie] jusqu’au 1er mars mais l’oncologue elle m’a dit ‘‘1er mars c’est pas
possible’’, ‘‘pourquoi c’est pas possible ?’’ ‘‘Non 1er mars là je veux vous faire les
derniers examens, faut absolument qu’on vérifie 2-3 petites choses. Reprenez pas
le travail comme ça, vous êtes plus à 15 jours près, faites-vous faire un arrêt au
moins jusqu’au 20’’, bon bon allez ça va ! ». Rémi, 43 ans, 1er entretien.
Cette phrase objectée par Rémi à son médecin : ‘‘qu’est-ce que vous en savez ? Moi je sens que
je vais mieux’’ illustre parfaitement la mise en opposition de la logique médicale à la logique
profane et ainsi l’impact de la motivation individuelle sur la décision de reprise. Selon lui, il
sait mieux que son médecin quelle est sa capacité à reprendre le travail puisqu’il ressent son
corps, ses limites et ses forces. Cette discordance rappelle les tensions évoquées par le
sociologue Patrick Peretti-Watel et ses coauteurs qui montrent comment, deux ans après le
diagnostic d’un cancer, certaines personnes confrontent leurs sentiments de guérison au point
de vue médical (Peretti-Watel et al., 2008). De plus, au-delà de la confrontation des points de
vue, ces négociations traduisent la dimension processuelle de la décision de la reprise du travail.
Rémi entreprend différentes démarches, souvent sur un temps plutôt long (l’activité sportive et
le régime strict qu’il s’est imposé ont nécessité du temps avant qu’il ne reprenne du poids) pour
avoir l’accord de son médecin quant à la reprise de son activité professionnelle.
A l’inverse, pour certains, la négociation s’est faite dans l’objectif de ne pas reprendre le
travail. Pour faire entendre son impossibilité de reprendre son activité en raison de son état de
santé, Clotilde a par exemple dû faire un recours contre la décision du médecin-conseil de
l’Assurance maladie.
Ainsi, si le médecin (qu’il s’agisse du médecin généraliste, du médecin du travail, de
l’oncologue etc.) est un acteur généralement prépondérant dans la reprise du travail, puisqu’il
en est le juge, ces témoignages montrent que les individus concernés prennent une part
236
importante dans la décision de reprise, certains décidant de négocier avec le médecin voire de
contester son avis en faisant un recours, ce qui peut engendrer un processus parfois long.
9.2.2. L’entourage : un soutien plus qu’un acteur de la décision
Les participants aux entretiens étaient majoritairement d’accord sur l’importance du
soutien social, qu’il provienne de l’entourage proche (conjoint, famille, amis) mais aussi de la
sphère professionnelle (collègues, responsables, employeur). Se sentir soutenu c’est à la fois se
sentir en confiance pour faire son cheminement personnel mais également être reconnu au sein
d’un collectif, y conserver son identité sociale.
En outre, l’entourage est très présent dans le processus décisionnel vis-à-vis de la reprise
d’activité, comme cela a déjà été montré dans d’autres études (Tarantini et al., 2014), que ce
soit dans la volonté de préserver la personne malade et/ou de lui redonner le moral. Ce constat
se retrouve également dans nos entretiens comme dans l’exemple de Béatrice qui nous explique
en riant que son mari l’avait menacée de l’« attacher au radiateur » si elle travaillait pendant
son arrêt-maladie, ou encore dans le cas de Charlotte qui se dit stressée par son fils, qui la pousse
à reprendre un travail. Pour Clémence aussi, l’entourage exerce une pression sociale comme
une injonction à reprendre une vie normale. Néanmoins, si ces personnes peuvent être une
source de motivation, ou à l’inverse de stress, elles ne semblent pas réellement influencer la
décision de l’éventuelle reprise d’activité et de sa temporalité. Certes, Béatrice ne se rend pas
au travail pendant son arrêt-maladie satisfaisant ainsi la volonté de son mari, néanmoins
lorsqu’il a été question de la reprise effective, personne n’aurait pu entraver sa décision. De
même, si Charlotte est blessée par le comportement de son fils, sa réaction est principalement
la recherche du dialogue, elle reprendra quand elle se sentira suffisamment en forme et cela,
elle doit réussir à l’expliquer à son fils.
237
9.2.3. Le patient acteur principal de sa poursuite professionnelle
Une plus grande liberté de décision pour « une maladie légitime » ?
David a un cancer du testicule, dit de « bon pronostic » en ce sens que les taux de survie
à cinq ans sont estimés entre 90 % et 100 %, pour lequel il a été mis en arrêt de travail afin de
subir une opération chirurgicale curative ainsi qu’une chimiothérapie adjuvante. La question de
la durée de son arrêt s’est posée avec l’interne en médecine qui le suivait. Lors de l’entretien,
David confie avoir pu, sur ce point, profiter des représentations sociales du cancer. Il explique :
« Mais, avec cette maladie, j’ai l’impression qu’on se sent davantage légitime à
s’arrêter. Vous voyez ce que je veux dire ? Je sais pas si c’est… ‘fin là je pense que
c’est pertinent de le dire, en tout cas je crois que moi je me suis senti… plus
légitime… (…) par rapport à …, au rapport qu’on peut avoir avec le mot « cancer »,
déjà on se sent légitime, et en plus autour de soi et les proches, et même si on en
parle un peu au… et ben il y a tout qui légitime, il y a tout le monde qui vous dit
‘‘repose-toi, prends soin de toi… l’important c’est la santé…’’, vous voyez ce que
je veux dire ? Et puis là on m’a pas emmerdé pendant mes… ou peu pendant le
temps de la chimio quoi. » David, 43 ans, 2nd entretien.
Pour illustrer son propos, David donne le contre-exemple d’une pathologie bien plus
douloureuse et contraignante à son sens qu’il a eu quelques années plus tôt et pour laquelle
l’arrêt avait été plus strict et surtout moins respecté par son entourage professionnel (pourtant
identique). Il explique également avoir beaucoup culpabilisé lors de ce précédent arrêt, ce qui
ne fut pas le cas pour celui induit par son cancer, alors même qu’il se sentait en meilleure forme
physique. Il ajoute avoir profité de cette légitimité, en avoir joué, pour avoir de la
reconnaissance de la part de ses collègues de travail. Cet entretien est intéressant car il fait écho
à une intervention des sociologues Anita Meidani et Arnaud Alessandrin à laquelle nous avons
assisté lors des Assises du Cancer et du Genre84 : un homme interrogé sur sa maladie expliquait
être devenu « un malade de luxe » depuis son diagnostic de cancer. Il justifie cela en expliquant
qu’il est atteint, depuis de nombreuses années, du VIH et d’une pathologie cardiaque
particulièrement handicapante, et qu’il n’avait jusqu’alors pas la même prise en charge. Ainsi,
les représentations sociales du cancer, synonyme de maladie grave quel qu’il soit, semblent lui
84 Déjà évoqué dans le chapitre 6, ce séminaire s’est tenu à Toulouse en novembre 2018.
238
conférer une certaine légitimité dont il ne disposait pas auparavant. Celle-ci laisserait ainsi
potentiellement une liberté plus grande que pour d’autres pathologies, s’agissant de
l’implication de chacun dans la prise de décision, relative à ses conditions de vie.
Dans le cadre plus spécifique de la décision relative à la poursuite de l’activité
professionnelle, David a par exemple « profité » de son arrêt-maladie plus long que nécessaire
(selon lui) pour s’adonner à d’autres activités (il a notamment monté son autoentreprise).
Des calculs bénéfices-risques
Dans un comportement que nous qualifierons de « procéduralement rationnel » pour
reprendre la conception simonienne (Simon ; Quinet 1994), les individus réalisent un calcul
bénéfice-risque avant de définir les actions à entreprendre pour leur retour au travail. D’après
les entretiens, trois dimensions principales sont mises en balance : la préservation de leur santé,
leur bien-être social et leur confort financier. Ce calcul n’est cependant pas immuable puisqu’il
est soumis au processus de motivation de l’individu et donc aux différentes dimensions qui s’y
réfèrent. Les personnes disposent en effet d’une rationalité limitée : elles n’ont a priori jamais
fait auparavant l’expérience d’une reprise du travail après un diagnostic de cancer et ne
connaissent généralement pas la totalité des dispositifs existants pour la faciliter, ni les réels
bénéfices ou risques de leur utilisation. Ce calcul varie donc selon l’état de connaissance des
individus, des expériences qu’ils ont pu avoir par le passé et des ressources dont ils disposent.
Il varie également en fonction de l’état de santé de la personne.
Pour Sandrine par exemple, qui s’estime en bonne santé, la préservation de celle-ci est
importante et doit être prise en compte dans les modalités de poursuite de sa vie professionnelle.
Cependant, cela ne doit pas se faire aux dépens de sa situation financière. Ainsi, elle a fait le
choix de reprendre le travail à 90 % à la suite du temps partiel thérapeutique, afin de prendre
en compte à la fois son état de fatigue et sa situation financière (d’après son calcul, la perte
salariale consécutive à la diminution du temps de travail à 90 % est acceptable compte tenu du
temps de repos que cela lui accorde). D’autres exemples allant dans ce sens ont été présentés
dans le chapitre 7 (cf. sous-partie 7.2.4) et montrent en effet que le recours aux dispositifs,
notamment d’aménagement, n’est pas naturel (c’est-à-dire qu’il ne répond pas à une logique
universelle) : il n’est pas systématique et résulte d’une réflexion, parfois même d’un calcul, de
la part de la personne concernée.
239
Ainsi, lorsque les individus sont amenés à négocier avec les médecins, développant par
exemple des calculs stratégiques en termes d’aménagement ou autres, c’est dans un objectif
précis : reprendre ou non l’activité dans des conditions spécifiques. Cet objectif est donc
construit en amont de cette décision : c’est ce que nous avons appelé jusqu’à présent « la
motivation ».
9.3. Processus de reprise : des allers-retours parfois nécessaires
9.3.1. Evolution de la motivation au fil des mises en actions
Une ouverture des possibles puis… un retour à la réalité pour certains
La réalisation des deux entretiens à six mois d’intervalle a permis, dans la quasi-totalité
des cas, de suivre l’évolution de l’état d’esprit des personnes au fil de leur expérience de la
relation cancer-travail. À chaque rencontre, il était demandé aux enquêtés de « raconter leur
histoire » de manière à suivre leur parcours mais également leur perception de leur expérience.
Nous avons ainsi pu observer les réactions des individus face à des événements imprévus (tels
qu’une rechute de la maladie, ou une mauvaise expérience de la reprise) et leur manière de les
rationaliser. Cette sous-partie est donc le fruit de cette observation longitudinale.
Pour la sociologue Claire Bidart (Bidart, 2006), l’« ouverture des possibles » constitue
une étape nécessaire de la bifurcation. Elle suit la phase de doutes ayant provoqué une remise
en question de différents paramètres de la vie d’un individu et précède celle de la décision et de
l’action, c’est-à-dire de la bifurcation. Si nous avons en effet retrouvé cette étape chez
l’ensemble des personnes ayant connu une bifurcation professionnelle dans notre enquête, elle
fut plus largement énoncée par une majorité des personnes interrogées (16 sur 21), qu’elles
entreprennent finalement une démarche de bifurcation ou non.
En effet, plusieurs personnes sont finalement contraintes par la réalité de leur état de santé
ou par celle du marché du travail par exemple. Prenons l’exemple de Clotilde, licenciée pendant
son arrêt-maladie de son emploi de cheffe de rayon dans un supermarché, qui explique que cela
peut être l’occasion de se lancer dans la vente. Pourtant, trois ans après son diagnostic, les effets
secondaires de ses traitements sont particulièrement handicapants et elle ne peut alors envisager
une reprise d’activité professionnelle pour le moment.
240
Entre le premier et le second entretien avec Fabien, un de ses examens de contrôle révèle
qu’une reprise des traitements est nécessaire. Finalement, la phase aiguë de la maladie n’est pas
encore terminée, sa priorité est donc de se soigner, se préserver. Naturellement, la reprise de
son activité professionnelle, et plus précisément son projet de reconversion, est remis à plus
tard. Sa réflexion est alors tout à fait différente par rapport au premier entretien. Alors qu’il était
important pour lui de voir aboutir son projet professionnel, pour changer de vie, il lui semble
finalement plus bénéfique de conserver son emploi dans l’armée qui lui offre une bonne
couverture sociale. Cette fois, l’activité professionnelle importe peu, la sécurité de l’emploi
présente de plus grands avantages au regard de sa nouvelle situation.
La recherche de l’équilibre entre ce qui est voulu par l’individu et les possibilités
effectives dont il dispose est donc un processus qui prend du temps, l’acteur compose en
fonction de ses connaissances, de ses croyances (construites notamment par son expérience) et
de son entourage pour aboutir à la situation la plus adaptée à ses besoins et à ses envies. Cela
nécessite également parfois des allers-retours et des négociations avec les autres (comme on l’a
vu précédemment vis-à-vis du personnel soignant) mais aussi avec soi-même.
En effet, pour certaines des personnes rencontrées, le souhait de changer radicalement de
situation professionnelle n’a pas toujours été réalisable tel qu’il fut exprimé initialement. Par
exemple, Christine ne souhaitait pas du tout reprendre son activité professionnelle estimant que
son surinvestissement personnel au travail était à l’origine de la survenue de la maladie. Elle a
alors entrepris des démarches de reconversion qui se sont finalement révélées infructueuses
(réponses négatives, voire aucune réponse, à ses différentes candidatures). Or, ses droits de
couverture sociale relatifs à son arrêt-maladie arrivant à leur fin, sa situation financière et donc
son niveau de vie, étaient tout à coup menacés. L’intégration de cette nouvelle information
associée à l’expérience de ses échecs à trouver l’activité professionnelle qu’elle désirait a
finalement modifié son approche et la reprise de son activité initiale d’infirmière libérale lui
sembla alors la solution la plus adaptée. Cependant, cette reprise fit l’objet d’une négociation
intérieure vis-à-vis de son souhait premier de préserver sa santé et son envie de changement en
fut modérée, elle a finalement choisi de reprendre son activité libérale pour s’assurer une
situation financière suffisante mais avec un temps de travail réduit de moitié pour protéger sa
santé. L’expérience de sa tentative de reconversion n’en fut néanmoins pas vaine puisqu’elle
lui a finalement permis de faire « un point sur [elle]-même ». Mais cela a également modifié
son propos vis-à-vis de son activité comme le montre l’extrait ci-après.
241
« Mais en fait, après, j'ai organisé ma vie, donc... je fais mes 6, 8 jours par mois, le
reste du temps, soit je vais au sport faire de la musculation pour mon genou, soit je
vais faire des petites randonnées... Donc j'organise ma vie, maintenant. (…) ça n'est
pas difficile. Au contraire, je me mets encore plus à la place du patient, et je sais
pas... je comprends encore mieux les choses... J'ai une autre patiente qui a été
atteinte d'un cancer du sein, que je vois de temps en temps. Là, elle a été opérée
récemment – pas du sein, ailleurs. Donc je suis retournée la voir. Et c'est vrai que
vous comprenez mieux ce qu'elle vous explique. (…) Donc après, je pense que c'est
pareil pour la reprise du travail, les patients en face de moi... Voilà, je fais avec et
au contraire, je pense que ma maladie a fait que je suis encore plus dans l'empathie.
Je me mets un peu plus à leur place, à dire : ouais, c'est vrai que d'être malade...
Tous les gens qui sont malades autour de moi, maintenant... avant, j'étais plutôt dans
la prise de recul, mais là, je me dis : ben oui, c'est vrai que c'est dur, la souffrance !
J'ai une patiente qui souffre beaucoup, je lui dis : je sais ce que c'est, la souffrance !
» Christine, 57 ans, 2nd entretien.
Dans cet extrait, le discours de Christine est très différent de celui recueilli lors du premier
entretien (cf. 9.1.1). Sa réaction face à la maladie fut dans un premier temps de chercher
l’origine de sa survenue et de la rejeter. Elle a entrepris de nombreuses démarches pour se
réorienter professionnellement avant de reprendre finalement son travail. Ce revirement n’est
pas incohérent dans la mesure où dès le premier entretien Christine expliquait aimer son activité
professionnelle, c’est son investissement personnel qu’elle remettait en question. Ainsi, la
solution pour satisfaire sa motivation de préservation fut finalement de modérer cet
investissement, en l’occurrence en diminuant son temps de travail.
Expérience de l’échec
Le processus du retour au travail et du maintien en emploi est donc dynamique, il évolue
au regard des différentes informations dont l’individu prend connaissance comme cela fut le
cas pour Christine. Mais ces allers-retours peuvent également résulter d’une mauvaise
expérience de la reprise amenant à reconsidérer les choses et parfois même transformant a priori
complètement la motivation première. C’est le cas de Béatrice dont l’enthousiasme de reprendre
son travail illustré précédemment (cf. 9.1.1), s’est finalement évanoui lors de l’expérience de
sa reprise. Le contexte de restructuration dans lequel elle reprend son travail fut un véritable
choc pour Béatrice. Quatre mois après sa reprise, elle retourna voir le médecin qui lui signa un
242
arrêt-maladie puis elle fit finalement la demande de son licenciement. Outre le contexte
structurel difficile de l’entreprise, c’est le manque de reconnaissance ressenti que l’on retrouve
largement dans son discours et qui semble être à l’origine du changement radical de sa
motivation vis-à-vis de son investissement professionnel :
« Donc la reprise du travail a été chouette dans un premier temps, parce que j'étais
très contente de reprendre, et je dirais, j'ai très vite déchanté ! Alors, pas parce que
mon travail me fait déchanter, non, parce que j'aime mon job ! Mais, c'est dans les
conditions... et vous êtes confrontée à quelqu'un qui a été embauché pour faire le
nettoyage et pour faire la réorganisation. On comprend très bien qu'elle compatit à
votre état... mais qu'elle n'en a rien à faire ! Parce que c'est la boîte et c'est le chiffre,
qui vont passer en premier ! (…) J'ai pas envie de donner ma santé à un employeur
qui en définitive n'en a rien à faire, et qui, dans tous les cas, s'il ferme son secteur,
il me larguera. Parce que c'est l'économie qui compte et c'est pas le reste ! (…) C'est
bête, parce que j'aime ce que je fais. Mais, j'aime pas la façon dont on nous le fait
faire. On nous utilise, on nous pompe, on nous ponctionne... (…) On relativise pas
mal, de quelle priorité on fait passer en premier : si c'est son travail ou si c'est soi.
J'ai choisi de me faire passer en premier. Alors, peut-être qu'avant, j'aurais fait
passer mon travail en premier. » Béatrice, 59 ans, 2nd entretien.
L’expérience du manque de reconnaissance et du manque de considération semble sonner le
glas de son enthousiasme à reprendre le travail. Si dans un premier temps le travail pouvait tenir
lieu de thérapie, lui permettant de « tourner la page », il constitue à présent une menace pour sa
santé. À l’inverse de Béatrice, Karine n’était pas très motivée vis-à-vis de sa reprise du travail
qu’elle trouvait un peu prématurée, néanmoins elle a déclaré avoir fait confiance à son médecin
généraliste comme cela fut précédemment évoqué. Cependant, l’expérience de sa reprise
entraîna une dégradation de son état de santé jusqu’à ce qu’au bout d’un mois le médecin du
travail insiste pour la déclarer inapte provisoirement. Par la suite, c’est dans un premier temps
la rencontre avec une association de personnes atteintes de cancer qui lui a permis de prendre
connaissance du dispositif de pré-reprise puis, grâce à cette visite avec le médecin du travail,
elle a pu partir de son expérience précédente pour identifier ce qui n’allait pas et mieux anticiper
cette seconde reprise (se reposer les jours non travaillés et donc fixer les rendez-vous médicaux
les autres jours notamment). Cependant à nouveau sa reprise n’a pas été anticipée par son
employeur ce qui ajoute à sa première frustration :
243
« Mais là vous savez j’en suis à un point où je me dis ‘‘pourquoi j’ai repris quoi ?
Pourquoi j’ai pas profité de mes enfants ? de l’été, du mois de juillet qui arrive ils
vont être en vacances moi je vais être obligée de les faire garder à droite à gauche’’
et je me dit ‘‘mais t’es trop bête quoi tu aurais dû prolonger ton arrêt-maladie et
profiter encore de tout l’été et reprendre en septembre en mi-temps thérapeutique
et t’aurais fait ce que t’as pu et voilà quoi’’. En fait je me dis ‘‘toi tu prends sur toi
pour reprendre mais au boulot ils font rien pour t’accueillir donc pourquoi ?’’ il y a
un espèce de de…. Ouais de décalage entre nous ce qu’on met dans la reprise et ce
qu’on attend de l’employeur et ce que l’employeur nous donne ou est prêt à nous
donner ou met en place lui… enfin là en l’occurrence il a rien mis en place. Il a rien
mis en place en janvier et il a rien mis en place en juin. C’est ça qui est décevant en
fait c’est la répétition de la non-anticipation. » Karine, 2nd entretien.
L’analyse de ces allers-retours permet de mieux comprendre les dispositions dans
lesquelles se trouve la personne vis-à-vis de sa reprise du travail et montre l’importance de
saisir l’ensemble de ces éléments et leurs interactions afin de lutter contre la désinsertion
professionnelle après un diagnostic de cancer.
244
9.4. Synthèse des résultats et conclusion
Les principaux points à retenir dans ce chapitre sont :
- Toutes les personnes interrogées dans l’enquête CARMAJOB ont relaté leur
expérience de la relation cancer-travail en regard avec ce que nous avons nommé
ici leur motivation. C’est-à-dire que chaque discours était empreint des besoins
de chacun, de leur envie et l’ensemble des démarches mises en place a été réalisé
en cohérence avec cette motivation ;
- L’expérience de la maladie et le rapport au travail et à l’emploi sont deux
éléments déterminants de la construction de la motivation. Relativement aux
caractéristiques de la maladie et de l’individu atteint, le premier concerne
l’attitude adoptée face à la maladie : le combat, l’acceptation et l’adaptation, et la
volonté de donner du sens à la maladie. Le second dépend des caractéristiques
individuelles en interaction avec les caractéristiques professionnelles. En
l’occurrence, le déséquilibre entre les efforts fournis par le travailleur et la
reconnaissance qu’il en retire est fortement lié à une reconsidération des attentes
personnelles et professionnelles conduisant à une bifurcation professionnelle ;
- En plus de la reconnaissance liée au travail effectué, la reconnaissance de la
motivation à reprendre constitue en soi un besoin fort exprimé par les
salariés interrogés ;
- Si la décision de reprise du travail est avant tout liée à une décision médicale (non-
reconduction de l’arrêt-maladie), la motivation individuelle s’exprime à travers
les négociations et les calculs opérés par les individus ;
- Enfin, la reprise du travail apparaît comme un processus pouvant être plus ou
moins long selon le processus de construction de la motivation et celui de la mise
en action. De mauvaises expériences de la reprise conduisent à des retours en
arrêt-maladie et participent à un allongement de la durée du processus.
245
Les références des productions scientifiques relatives à cette étude sont les suivantes :
- Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du travail »
dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la responsabilité
sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions Législatives ESF. Juin
2019 (chapitre d’ouvrage, sous presse) ;
- Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail ». Alleaume C,
Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. L’aménagement du
travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au maintien en emploi à un
horizon de 5 années (communication orale) ;
- European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress. Alleaume C, Paraponaris
A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer
diagnosis (poster).
À divers degrés et pour différentes raisons, les personnes rencontrées dans le cadre de
l’enquête ont été actives dans leur processus de reprise de l’emploi en développant plusieurs
stratégies. Nos résultats en ce sens rejoignent les propos de la sociologue Valentine Hélardot
(Hélardot, 2006) selon qui : « l’événement donnant lieu à une bifurcation ne relève pas
initialement d’une décision personnelle, pour autant les individus ne sont pas passifs : ils
accompagnent le changement par un ensemble d’ajustements matériels et symboliques. »
(p.67). Dans ce chapitre, nous avons confronté notre matériau au modèle théorique proposé
dans le chapitre précédent (chapitre 8) dans lequel l’individu est un agent actif, motivé,
disposant d’une marge de manœuvre relative à son environnement social et professionnel et à
sa maladie.
Selon leur état de santé, les personnes enquêtées dans CAREMAJOB ont exprimé leurs
motivations et leurs stratégies pour les réaliser. Au-delà de leur état de santé, les entretiens ont
montré l’importance du rapport au travail et à l’emploi relatif à l’environnement professionnel
occupé au diagnostic. Le cancer semble être un révélateur de difficultés préexistantes ou
latentes. Lorsqu’elles n’étaient initialement pas très bonnes, les relations sociales se sont
détériorées après la maladie. Dans le cas de conditions de travail jugées stressantes et délétères,
la maladie est apparue comme un signal d’alarme et a favoriser la bifurcation professionnelle.
À l’inverse, lorsque la personne accordait beaucoup de valeurs et de sens à son activité, la
246
reprise était facilitée par la motivation du travailleur. Dans ces interactions, le soutien social fut
un élément catalyseur de la volonté de reprise lorsque celle-ci était présente mais n’a pas semblé
être un levier de poids dans l’une ou l’autre des directions. A contrario, la présence de
comportements jugés déplaisants par le travailleur (jusqu’au harcèlement moral pour certains),
- ce qui est différent du manque de soutien puisqu’il s’agit ici de nuisances volontaires - prend
une dimension particulièrement importante au moment de la reprise et peut s’avérer décisif pour
le non-retour au travail, déséquilibrant de manière très importante la balance effort-récompense
et dégradant fortement la qualité sociale du travail.
Ainsi, si certains éléments de notre modèle présenté dans le chapitre 8 n’ont pas pu être
testés au regard de notre enquête, tels que les croyances personnelles et normatives notamment
ou encore les caractéristiques de l’entreprise, il nous semble pertinent d’analyser le retour au
travail et à l’emploi post-diagnostic de cancer en tenant compte de l’interaction des
caractéristiques sociales, médicales, professionnelles et individuelles afin de comprendre
comment l’intersection de ces différents facteurs peut influencer les motivations individuelles
et expliquer, en partie, le processus de reprise. Ces résultats nous ont également montré que le
temps (de la maladie mais aussi celui de la reprise) était un indicateur essentiel de
l’appréhension du processus qui devrait être plus systématiquement pris en compte dans les
enquêtes qualitatives notamment.
247
Conclusion de la Partie 3 : construction individuelle et sociale de la
vulnérabilité
La vulnérabilité au service des « capabilités »
Synthèse des principaux résultats
Quel est l’intérêt d’une mobilisation du concept de vulnérabilité ? Ces approches de la
vulnérabilité permettent d’une part, une portée critique puissante par la généralisation de la
personne vulnérable, quelle que soit la nature de son altération, et d’autre part, une portée
politique pouvant donner lieu à des obligations sociales. En ce sens, faire l’« éloge de la
vulnérabilité », selon Lhuilier, permettrait de mettre en visibilité cet état en tant que différence,
et ainsi de développer le pouvoir d’agir des politiques publiques. L’enjeu est ainsi de « tenir
ensemble singularisation des normes et valeurs et de développer l’approche collective des
conditions du travail de santé ».
C’est bien ce caractère capacitaire que nous avons souhaité mettre en évidence dans cette
troisième partie. La théorie des capabilités de Sen, présentée dans le chapitre 7, permet
d’aborder les facteurs qui favorisent, ou au contraire limitent, la reprise ou le maintien d’une
activité professionnelle en tant que ressources pouvant être à la disposition des individus, et
surtout d’insister sur le fait que ces ressources ne seraient mobilisables que par le biais de
facteurs de conversion internes ou externes à l’individu. Ce dernier développe des stratégies,
des calculs coûts-bénéfices, l’amenant à refuser son enregistrement en qualité de travailleur
handicapé en raison de la stigmatisation que cela engendre, et ce, malgré les bénéfices qu’un
tel dispositif peut apporter en termes de maintien en emploi. Ou encore, cela l’amène à
aménager ses modalités de travail avec, par exemple, une réduction de son temps de travail, de
manière à limiter sa perte de revenu tout en lui permettant de préserver sa santé. Cependant, le
chapitre 7 a également montré que ces dispositifs pouvaient faire l’objet d’une inégalité d’accès
des individus, les plus vulnérables sur le marché du travail étant les moins susceptibles d’en
disposer. Le manque de ressources (informations, accès aux médecins du travail etc.) est une
hypothèse envisagée pour expliquer ces inégalités. Ainsi, ce chapitre confirme la quatrième
hypothèse exposée dans la première partie de cette recherche (chapitre 2) sous la forme
suivante : la persistance des difficultés rencontrées en dépit des dispositifs disponibles pour
favoriser le retour au travail témoigne d’un double effet : une sous-utilisation de ces dispositifs
248
de la part des acteurs (personnes éligibles mais aussi entreprises par exemple) et une sélection
de ces personnes (auto-sélection ou sélection externe). Le phénomène d’auto-sélection constaté
s’explique en partie par la peur des individus d’être stigmatisés et/ou de perdre des avantages.
Le phénomène de sélection des entreprises peut quant à lui s’expliquer par la structure de celle-
ci (le nombre restreint de salariés pouvant par exemple limiter la flexibilité des aménagements)
ainsi que par les caractéristiques socioprofessionnelles des individus. Compte tenu de l’effet
positif de ces dispositifs sur le maintien en emploi à moyen terme, il apparaît nécessaire que
chacun puisse choisir librement d’en disposer ou non.
Au-delà du recours à ces dispositifs, la reprise du travail est en elle-même apparu comme
un sujet de réflexion pour les individus concernés. Les stratégies individuelles évoquées lors
des entretiens dépendent principalement des motivations individuelles, ce qui nous a amené à
proposer dans le chapitre 8 un nouveau modèle écologique du retour au travail après un
diagnostic de cancer. L’application des modèles théoriques de santé au travail de Karasek et
Theorell, de Siegrist et de Demerouti a permis de considérer la relation entre travail et santé
mentale dans le cas spécifique d’un après diagnostic de cancer, et d’une rupture biographique
contingente. Ainsi, dans le chapitre 9, la confrontation du modèle aux entretiens recueillis lors
de l’enquête CAREMAJOB montre que la reprise de l’activité professionnelle fait le plus
souvent l’objet d’un processus à la fois dans la construction de la motivation professionnelle,
dans les démarches entreprises pour y répondre, et enfin, dans les allers-retours consécutifs aux
éventuels échecs rencontrés pour la satisfaction de la motivation, impliquant une évolution de
celle-ci. Ces résultats corroborent notre sixième et dernière hypothèse formulée en début de
recherche (chapitre 2), portant sur le caractère processuel de la reprise du travail après un
diagnostic de cancer, celle-ci s’inscrivant dans une période de temps parfois longue,
nécessitant des adaptations et parfois des allers-retours entre des périodes de travail et d’arrêt
de travail. Les expériences des personnes rencontrées illustrent les différentes dimensions
prises en compte pour appréhender la question de la reprise d’activité, et surtout la place de
l’individu concerné, en tant qu’acteur de cette décision. Le caractère longitudinal de l’enquête
a mis en lumière la nécessité de considérer le temps comme unité centrale du processus : la
stabilisation de la situation professionnelle prend généralement du temps et l’effet intrinsèque
de chaque dimension (individuelle, médicale et sociale) dépend de la temporalité dans laquelle
il est observé.
249
Limites de ces études
La construction de l’enquête quantitative VICAN5 ayant été réalisée en amont de la
réalisation de la présente recherche, certains éléments n’ont pas pu être investigués.
Notamment, aucune échelle psychosociale permettant de renseigner sur le caractère stressant
de l’activité professionnelle exercée lors du diagnostic n’avait été incluse, et les capacités
individuelles à se saisir de certaines ressources n’ont pas été questionnées. Sur ces points,
l’enquête qualitative CAREMAJOB apporte des éléments de compréhension, mais aucune
conclusion ne peut être formulée quant à l’effet propre des conditions de travail initiales sur le
maintien en emploi à distance du diagnostic.
Par ailleurs, il est possible que le recrutement des personnes enquêtées ait fait l’objet d’un
biais de sélection dans la participation aussi bien à l’enquête VICAN5 qu’à l’enquête
CAREMAJOB. En effet, on peut supposer que les personnes ayant souhaité répondre à ces
enquêtes se soient senties particulièrement concernées par un impact négatif de la maladie,
touchant spécifiquement à la reprise professionnelle s’agissant des enquêtés de CAREMAJOB.
Si les données recueillies ont été redressées à partir de certaines caractéristiques des non-
répondants dans l’enquête quantitative, aucune information sur ceux-ci n’était connue pour
l’enquête qualitative. On peut dès lors présumer que les personnes recrutées par l’intermédiaire
de milieux associatifs spécialisés dans l’aide au retour au travail étaient particulièrement
investies dans ce questionnement et éventuellement plus susceptibles d’avoir rencontré des
difficultés spécifiques lors de ce processus. Néanmoins toutes les personnes enquêtées n’ont
pas été rencontrées par cet intermédiaire, certaines ayant été recrutées au sein de services
hospitaliers.
250
Conclusion générale
Laurent Boghossian85
Extraite d’une facilitation graphique augmentée réalisée par Laurent Boghossian, cette
phrase tient lieu de conclusion de la table ronde intitulée « Pourquoi un patron n’a pas le droit
d’avoir le cancer ? ». Le choix de l’auteur nous a semblé être une conclusion idoine pour ce
travail de recherche. Le cancer apparaît comme révélateur des vulnérabilités (définies par
l’adéquation entre la fragilité et l’aptitude à survivre) et des ressources individuelles et sociales.
Pour expliciter ce point, nous proposons de reprendre ici les principaux résultats de ce travail
doctoral.
Synthèse des résultats
L’approche écologique et interactionniste adoptée dans cette recherche pour analyser
l’impact du cancer sur la vie professionnelle permet d’appréhender les dynamiques interactives
des freins (liés à la maladie, tels que la présence de séquelles, de DNC, liés aux conditions de
travail, celles des professions d’exécution et des contrats temporaires notamment, ou encore à
des caractéristiques sociales telles qu’un âge avancé ou un faible niveau d’études) et des leviers
(comme les aménagements du travail par exemple) identifiés. Cela répond ainsi, au moins en
partie, aux besoins formulés par de Moor et ses coauteurs (de Moor et al., 2018) pour mieux
comprendre les différentes formes de l’emploi après un diagnostic de cancer. Nous abordons
ainsi le processus de reprise d’activité et de maintien en emploi en tenant compte à la fois du
poids du social (aussi bien du contexte social qui permet ou non de faciliter la reprise que de
l’entourage de l’individu), des spécificités individuelles (dépendantes des caractéristiques
85 Extrait d’une facilitation graphique augmentée réalisée par Laurent Boghossian lors de la table ronde
intitulée « Pourquoi un patron n’a pas le droit d’avoir le cancer ? » et organisée à Marseille par
l’association CAIRE13 le 05/12/2018. La facilitation graphique augmentée consiste en la réalisation
d’un dessin concomitante au déroulé d’une conférence, et dont l’objectif est de marquer les moments
forts de l’événement et d’en synthétiser les principaux résultats.
251
individuelles et des envies personnelles) et de données cliniques (sur la maladie et ses
traitements).
La première observation faite à partir de l’enquête nationale VICAN5 peut sembler
encourageante : quatre personnes sur cinq sont toujours en emploi cinq ans après le diagnostic
de cancer. Néanmoins, les résultats de notre recherche nous amènent à pondérer cette
interprétation : d’une part, le taux de chômage a augmenté de plus de deux points parmi les
actifs au diagnostic et ce, particulièrement pour les personnes disposant des caractéristiques
socioéconomiques les moins valorisées et, d’autre part, parmi les personnes qui se sont
maintenues en situation d’emploi, trois sur dix ont déclaré que la maladie a été à l’origine d’une
diminution de leur revenu professionnel. En effet, au-delà des disparités médicales attendues –
les personnes dont la santé a été particulièrement altérée du fait de la maladie et de ses
traitements sont les plus concernées par des difficultés professionnelles –, les résultats de nos
analyses confirment les inégalités sociales de maintien en emploi relatives aux caractéristiques
socioprofessionnelles des personnes au moment du diagnostic de la maladie. Le cancer renforce
le poids des inégalités sociales et économiques sur les conditions d’emploi.
Le niveau d’éducation est apparu comme un « facteur de conversion » essentiel à la
mobilisation de ressources. Accorder un « caractère capacitaire » au sujet vulnérable, c’est
reconnaître qu’il dispose de ressources et permettre de penser les actions à mettre en place pour
favoriser les facteurs de conversion. Avec cette approche par les capacités (Sen, 1992), la
question principale n’est plus d’adapter l’individu vulnérable à son environnement social mais
d’aménager la société en fonction des (nouvelles) capacités de cet individu, ne pas le soumettre
à des normes impossibles et analyser ce dont il est capable à partir de sa situation, quelle qu’elle
soit. C’est aussi plaider pour une analyse plus fine de l’« hétérogénéité humaine » dans
l’aptitude à convertir les ressources en « fonctionnements » mais également dans les
aspirations, notamment professionnelles. En effet, penser la poursuite d’une activité après un
diagnostic de cancer nécessite de prendre en compte les nouvelles capacités des individus. La
théorie des causes fondamentales de Link et Phelan (Link et Phelan, 1995) a été évoquée dans
le chapitre 5 pour montrer que les caractéristiques socioéconomiques, telles que le niveau
d’éducation, constituaient des facteurs essentiels à l’analyse des difficultés individuelles,
notamment car ils renvoient à des stratégies d’adaptation (« coping strategies ») (par exemple
actives versus passives) facilitant ou non la confrontation à la maladie et à ses conséquences.
Ces « facteurs de conversion » devraient être systématiquement analysés dans les travaux de
recherche.
252
Dans son étude sur l’intérêt de l’application de la théorie de Sen en économie féministe,
Robeyns (2007) explique : « comme les femmes sont discriminées sur le marché du travail, il
sera plus difficile à une femme d’utiliser son diplôme pour réaliser tous ces fonctionnements,
comparée à un homme avec le même diplôme ». Cela nous renvoie aux différences observées
dans le chapitre 6 entre les hommes et les femmes : comment expliquer le résultat paradoxal
selon lequel les femmes se maintiennent plus souvent en emploi que les hommes et que,
parallèlement, elles subissent plus souvent des difficultés financières ? Celles-ci disposeraient-
elles de facteurs de conversion réduits du fait de la discrimination qu’elles peuvent subir en
milieu professionnel ? Pour expliquer ce résultat, nous avons formulé des hypothèses à partir
du contexte socio-économique différent entre les hommes et les femmes (pour rappel, les
femmes ayant plus souvent des interruptions de carrières, elles cotiseraient moins que les
hommes et auraient ainsi le droit à des prestations sociales inférieures à celles des hommes qui
ont plus souvent une carrière professionnelle linéaire) qui, à l’aune de l’approche par les
capacités, nous amène à formuler l’interprétation suivante : le maintien en emploi des femmes
serait le signe d’un choix contraint en réponse à une nécessité financière relative à ces inégalités
sociales.
Après un événement traumatique comme peuvent l’être le diagnostic d’un cancer et les
traitements associés, les aspirations professionnelles peuvent évoluer et les modèles de
participation au marché du travail, fondés sur la maximisation des revenus devraient alors
prendre en compte des dimensions de bien-être relatives à une préservation de sa santé par
exemple. Aussi, l’approche par la théorie des capabilités conduit à la question suivante : dans
quelle mesure la poursuite de l’activité professionnelle est un choix « en toute liberté » et/ou
est contrainte par l’environnement dans lequel l’individu prend sa décision ? En effet, nos
analyses (Partie 3) ont montré que compte tenu des contraintes sociales et médicales que
pouvaient rencontrer les individus dans leur reprise du travail post-diagnostic de cancer, ceux-
ci faisaient preuve d’initiatives, de stratégies (telles que des négociations de la date de reprise
avec le personnel soignant ou un recours aux aménagements) pour satisfaire leurs volontés.
Implications en santé publique
Avant toutes choses, il nous faut préciser qu’est paru récemment le 5ème rapport au
Président de la République relatif au Plan cancer 2014-2019 (2019) et, vis-à-vis des avancées
réalisées contre l’impact du cancer sur la vie professionnelle, celui-ci présente les trois éléments
suivants : l’extension du droit à l’oubli, l’augmentation du nombre d’entreprises signataires de
253
la Charte INCa des « 11 engagements pour améliorer l’accompagnement des salariés touchés
par un cancer et promouvoir la santé » et en parallèle l’augmentation des membres du Club des
entreprises « cancer et emploi » et enfin le développement de l’engagement de l’Assurance
maladie dans la prévention de la désinsertion professionnelle notamment par la mise en place
« dès 2019 » d’expérimentations locales visant la prévention de « la désinsertion
professionnelle articulée autour de la médecine du travail et des employeurs ».
Pour un accompagnement personnalisé
Cette thèse invite à tenir compte des processus sociaux de production du handicap
« cancer » qui, par son statut de maladie grave, légitime le plus souvent l’arrêt de travail mais
dont la chronicité semble encore peu reconnue : on l’a vu notamment à travers certains extraits
d’entretiens, le cancer on en meurt ou on en guérit, comme « une grosse grippe ». Cette dualité
empêche de penser la vie avec un cancer, une réalité pourtant de plus en plus présente. Ainsi,
le modèle théorique présenté dans le chapitre 8 propose de se défaire de cette dualité en
appréhendant la reprise comme un processus dans lequel la motivation individuelle tient une
place importante et est influencée par une multitude de facteurs en interaction. En résultat de
cette recherche, nous souhaitons insister sur le critère capacitaire des individus avec pour
objectif non pas de responsabiliser mais d’impliquer et d’accompagner les personnes
concernées dans la reconstruction de leur vie professionnelle post-diagnostic de cancer. En ce
sens, la thèse que nous souhaitons soutenir ici porte sur la nécessité de proposer un
accompagnement personnalisé des personnes atteintes de cancer dans leur retour au travail.
Nous avons discuté dans le chapitre 3 des difficultés rencontrées pour le recrutement
des participants à l’enquête CAREMAJOB. Nous pensons que l’une des explications tient du
manque d’anticipation des personnes concernées. Cela a été évoqué, certaines personnes nous
ont contacté en nous mettant en garde sur le fait qu’elles n’étaient pas particulièrement
concernées car la poursuite de la vie professionnelle ne constituait pas un problème dans leur
cas puisqu’elles allaient bientôt reprendre. Les entretiens réalisés avec ces personnes se sont
pourtant révélés riches d’informations et le suivi à six mois a montré que des complications
dans le processus de poursuite professionnelle étaient survenues après leur reprise. Ainsi, nous
pensons que le retour au travail est souvent peu anticipé dans ses modalités, ce qui constitue
une difficulté majeure de la reprise puisque cela entraîne des déceptions et des désillusions. La
motivation du travailleur à reprendre est ainsi progressivement altérée, ce qui participe
davantage à une dégradation de la vie professionnelle. C’est pourquoi l’accompagnement doit
254
être personnalisé et doit intervenir précocement. La visite de pré-reprise nous semble sur ce
point un outil indispensable pour organiser le retour au travail d’un salarié et devrait, selon
nous, être rendue obligatoire dans toutes les entreprises. Une campagne d’information au sein
des entreprises et des services de santé (médecin traitant notamment) apparaît également
nécessaire pour favoriser l’accessibilité à ce dispositif.
De plus, les entretiens réalisés avec des salariées de l’éducation nationale ont révélé que
la rencontre avec un médecin du travail n’était pas systématique, même après une année passée
en arrêt-maladie. Pour certaines, la réunion d’un conseil ayant étudié leur dossier à distance a
suffi à autoriser leur reprise. Ce phénomène mérite d’être quantifié et des efforts doivent être
menés pour le pallier.
Pour une spécification des indicateurs
Si les recherches en santé publique et les politiques publiques semblent principalement
évaluer l’impact de la maladie à travers les taux de retour en emploi et les taux de chômage, les
résultats de cette recherche plaident pour une intégration de nouveaux indicateurs évaluant
notamment la précarisation financière des travailleurs et la satisfaction vis-à-vis des
changements (ou non-changements) effectués. Cette mesure implique de repenser les outils
d’enquêtes et les catégories utilisées qui ne permettent pas, le plus souvent, de mesurer des
situations hybrides (telles que le cumul d’un emploi et d’une allocation chômage ou
d’invalidité, le dispositif même de retraite progressive, ou le cumul de plusieurs activités
professionnelles par exemple).
Perspectives de recherche
Enquêter par cohortes
La mobilisation de données de cohorte, comportant des informations à la fois sur les
carrières professionnelles des individus et sur leur histoire de santé permettrait de capter plus
finement l’impact propre du cancer, en comparant une population atteinte avec une population
contrôle, non concernée par cette maladie. De plus, cela permettrait d’identifier l’effet
spécifique de cette maladie sur les trajectoires professionnelles, en comparaison avec d’autres
maladies chroniques. Le projet d’appariement des données de la CNAV (Assurance retraite) et
de la CNAM (Assurance maladie) est en ce sens prometteur.
255
Favoriser la recherche interventionnelle
Au regard des nombreux travaux de recherche ayant permis d’enrichir les modèles de
compréhension des freins et des leviers du maintien en emploi et du retour au travail après un
diagnostic de cancer (auxquels, on l’espère, cette recherche a participé), il nous semble que les
futures recherches devraient privilégier une approche interventionnelle. Peu nombreuses en
France, ces études permettent de tester la pertinence de modèles expérimentaux dans l’objectif
de définir le plus adapté aux populations ciblées. Si certains travaux de ce type sont en
expérimentation actuellement, il nous paraît plus opportun d’engager des études d’évaluation
de dispositifs existants. Une liste non-exhaustive mais néanmoins fournie de dispositifs locaux
ou nationaux, privés ou publics, existant pour favoriser le retour au travail après un diagnostic
de cancer, a été présentée dans le chapitre 7. La collaboration entre les acteurs de terrain et les
acteurs de recherche pourrait être heuristiquement féconde pour identifier les
accompagnements les plus efficaces en termes de poursuite de l’activité professionnelle. Il
s’agirait alors d’évaluer l’efficacité, le coût et la capacité de diffusion des dispositifs proposés
par des associations, des partenaires sociaux ou médicaux, de manière régulière, à leurs
adhérents, cotisants ou patients. Cela permettrait de faire face à l’un des enjeux majeurs de la
recherche appliquée, la course au temps. En effet, la recherche exige un temps suffisamment
long, pour mettre en place, adapter et évaluer les interventions publiques, qui ne coïncide plus
avec le rythme des politiques publiques, instaurées et réformées régulièrement. L’évaluation de
dispositifs existants offre la possibilité de cibler une mesure ancrée dans le paysage, déjà mise
en place et adaptée à la demande. Il nous semble que ce point devrait constituer une priorité des
financeurs publics.
Quid des actifs non occupés et des inactifs au moment du diagnostic ?
Cela a été présenté dans le deuxième chapitre de cette recherche, l’un des partis pris
initiaux fut de restreindre la population d’étude aux actifs occupés au moment du diagnostic de
cancer afin d’explorer les notions de maintien et de retour au travail (l’arrêt de travail faisant
référence à l’arrêt-maladie). En complément, des études devraient être spécifiquement
conduites sur les populations actives non-occupées au moment d’un diagnostic de cancer. En
effet, des études montrent l’impact négatif du chômage de longue durée sur la probabilité de
reprendre un emploi (Decreuse et Paola, 2002; Nichols et al., 2013). En contexte de recherche
d’emploi, l’arrêt-maladie suspend les droits d’assurance chômage afin de percevoir les droits
d’assurance maladie (les indemnités journalières remplacent l’allocation chômage le temps de
256
l’arrêt). La recherche d’emploi est alors impossible pour ces chômeurs qui devront se réinscrire
à l’issue de leur arrêt-maladie. Ainsi, on peut faire l’hypothèse que la durée prolongée de cette
recherche d’emploi et l’altération de la santé, souvent afférente au diagnostic d’un cancer,
constituent des barrières majeures dans la réinsertion professionnelle des chômeurs. De plus,
dans la mesure où les salariés des instituts sociaux de type Pôle Emploi n’ont pas de formation
médicale et ne disposent pas systématiquement de connaissance sur la maladie, ses symptômes
et ses séquelles, comment pourraient-ils alors accompagner des travailleurs atteints d’une
maladie chronique dans leur démarche de recherche d’emploi adapté ? Si d’autres structures
existent (telles que Cap emploi par exemple), celles-ci sont réservées aux personnes disposant
d’une reconnaissance de travailleur handicapé.
De même, peu d’études s’intéressent à l’insertion dans l’emploi après le diagnostic de
cancer, chez les populations en formation initiale par exemple, ou en inactivité (personnes au
foyer n’ayant jamais travaillé) au moment du diagnostic. Le diagnostic d’un cancer chez les
adolescents et jeunes adultes (AJA) peut entraîner des difficultés spécifiques sur la vie
professionnelle qui n’ont pas été étudiées dans notre recherche, cela devrait faire l’objet
d’études ad hoc.
Un sujet ancré dans l’actualité
Transformation du travail et de l’emploi dans nos sociétés
Selon des études fortement médiatisées et réalisées par des groupes privés, plus de la
moitié des salariés en France estiment que le « sens au travail » se dégrade86, et près d’un salarié
sur cinq estime faire un « bullshit job »87. Dans une conjoncture où la question de
l’épanouissement au travail prend la forme d’une quête du Graal, et dont la question du sens est
une composante nécessaire, le besoin d’exercer une activité d’utilité sociale et celui de valoriser
86 Etude réalisée par le cabinet indépendant Deloitte, Observatoire du Capital Humain : « Sens au travail
ou sens interdit ? Pour s’interroger enfin sur le travail. », publiée en décembre 2017. Pour plus
d’information : https://www2.deloitte.com/fr/fr/pages/talents-et-ressources-humaines/articles/etude-
sens-au-travail.html, consulté le 21 juin 2019. 87 Etude réalisée par le groupe Randstad, cabinet de conseil en ressources humaines, intitulée « Etude
Randstad sur le sens au travail » et publiée en avril 2019. Pour plus d’information :
https://www.grouperandstad.fr/wp-content/uploads/2019/04/randstad-cp-sens-travail-vf.pdf, consulté
le 21 juin 2019.
257
son expérience de la maladie pourraient devenir plus en plus présents et nécessiteraient alors
une adaptation des entreprises, de plus en plus confrontées à des salariés « intransigeants » sur
leurs conditions de travail. L’apparition de théories en psychologie sociale, largement reprises
dans la presse, formalisant le mal-être des travailleurs en quête de sens (après le « burn-out »,
pointant un épuisement professionnel lié à un déséquilibre avec les attentes individuelles du
travail et la réalité, et le « bore-out » représentant les méfaits de l’ennui au travail sur la santé
des travailleurs, le « brown-out » fut théorisé pour évoquer l’impact du manque de sens au
travail sur la santé : démobilisation, baisse de l’estime de soi, etc.) mais également de
professions autour de l’accompagnement au développement personnel et notamment au
travail88, témoignent de cette quête du sens et de l’épanouissement professionnel dont
l’injonction est dénoncée par certains sociologues et psychologues (Eva Illouz et Edgar
Cabanas, 2018). Ces débats ajoutent aux réflexions sur la place du travail dans la construction
identitaire des individus qui, par leur statut social notamment, ont des conceptions différentes
du « bonheur » au travail (Baudelot et Gollac, 2002). Comment ce phénomène retentit-il sur les
travailleurs touchés par une maladie chronique ?
En premier élément de réponse, nous souhaitons revenir ici sur la métaphore de la fable
de la grenouille dans l’eau chaude89, utilisée dans ce contexte par une participante au premier
groupe de restitution des résultats de l’enquête CAREMAJOB. En prenant pour référence cette
fable, cette personne explique avoir vécu l’arrêt-maladie faisant suite au diagnostic d’un cancer
« comme si on [l’]avait sortie de la marmite » et qu’elle se retrouvait à l’extérieur, observant ce
bain toujours bouillonnant. Exclue de cette société active en ébullition, elle a réalisé qu’elle ne
souhaitait plus retourner dans cette marmite, dangereuse pour sa santé (ce que Clément
Tarantini et ses coauteurs nomment le « travail-maladie », Tarantini et al., 2014). La métaphore,
reprise ensuite par plusieurs participants des deux groupes de restitution, traduit pour certains
88 De nombreuses professions portant sur cette thématique ont vu le jour ces dernières années telles que
les coachs de vie, de développement professionnel les coachs professionnels, les « chiefs happiness
officer » etc. La naissance de ces professions est notamment supportée par la recrudescence des études
statistiques montrant qu’un salarié « heureux » est plus performant. 89 D’après la fable dont les origines remontent à des expériences menées au XIXème siècle, une
grenouille plongée dans une marmite bouillante en ressortirait immédiatement d’un bond pour éviter
une mort certaine. En revanche, si la grenouille est plongée dans une marmite d’eau froide que l’on
chauffe progressivement, celle-ci s’habituerait, s’adapterait au changement de conditions et finirait par
mourir ébouillantée sans avoir tenté de s’échapper. Bien que l’expérience scientifique soit largement
controversée, l’histoire de cette grenouille perdure en tant que métaphore d’une accoutumance à un
environnement auquel on s’attache, car il y fit bon vivre (la grenouille était confortable dans une eau à
peine tiède), même si la situation se dégrade continuellement.
258
une relation causale entre l’activité bouillonnante, stressante de l’emploi et la survenue ou la
gravité de la maladie. Le bain qui bouillonne progressivement illustre une société toujours en
train de courir de plus en plus vite, qui ne s’arrête jamais et qui mène les individus à
l’épuisement professionnel90. Ainsi, la sortie du bain, par l’arrêt de travail, est une prise de recul
qui donne du temps propice au questionnement, à la réalisation d’un bilan de sa vie
professionnelle et, sans établir nécessairement de lien entre la maladie et l’activité antérieure,
constitue une ouverture des possibles. La reconsidération des priorités, le besoin de se
questionner sur ses attentes professionnelles et de valoriser son expérience de la maladie, tels
qu’ils ont été présentés dans le chapitre 9 sont des éléments qui façonnent avec le temps la
décision de la reprise professionnelle et de ses conditions. On peut ainsi supposer que ce type
de réflexion prendra de plus en plus d’ampleur en regard avec le contexte professionnel exposé
ci-dessus.
Pour autant, nous l’avons vu, la bifurcation biographique n’est pas nécessairement
synonyme de rupture professionnelle et celle-ci peut passer tout à fait inaperçu si l’unique
critère de jugement est le retour en emploi par exemple. La Partie 2 a montré que le changement
d’activité ou d’employeur, la réduction du temps de travail, l’évolution des revenus sont autant
de marqueurs complémentaires d’une modification de la trajectoire professionnelle. En
conclusion de cette recherche, il ne s’agit pas de généraliser ces changements en choix
individuels, ceux-ci pouvant résulter, comme expliqué dans la Partie 2, d’une précarisation des
conditions de travail que les individus ont probablement subie.
Or la société devra faire face à l’intégration de salariés ayant une nouvelle forme de
productivité dans un contexte où l’exigence de performance est de plus en plus forte. Le
développement à toutes les entreprises des plans de gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences91 (GPEC), telle qu’elle est encouragée par le spécialiste en sciences politiques
90 Le deuxième groupe de participants avaient pour leur dernière séance illustré leur parcours depuis
l’intégration du groupe associatif sous différentes formes : dessins, chansons, frise chronologique ou
encore discours. Une chanson choisie par une participante illustre également la métaphore du bain
bouillonnant : « ♫ Le monde est trop pressé, Le monde va trop vite, Alors j’ai décidé, Aujourd’hui de
me transformer, Il faut toujours courir, Jamais le temps de vivre, Toujours aller plus haut, Moi j’en ai
vraiment plein le dos, Je fais le gros dos, (…) Et je suis un escargot ♪ ». 91 Le Code du travail français impose aux entreprises de plus de 300 salariés (et aux entreprises de la
communauté européenne employant 150 salariés en France) qu’un plan de GPEC soit négocié tous les
trois ans avec les partenaires sociaux (Loi du 18 janvier 2005, dite « loi Borloo » : articles L. 320-2 et
L. 320-3 du Code du Travail). L’objectif est de prévoir l’évolution d’une entreprise afin
d’« accompagner le changement ». Offres de formation, recrutement, accompagnement dans l’évolution
des carrières internes et externes sont une partie de ce dispositif. Pour plus d’information, voir le site du
259
économiques Carmelo Zizzo (Zizzo, 2019)92, pourrait-il être une solution à la désinsertion
professionnelle des travailleurs atteints de cancer ? D’après l’auteur, « La GPEC réarme
l’importance pour les entreprises de lier stratégie et gestion des ressources humaines et le rôle
central des salariés comme facteur clé de développement et d’innovation. ». En effet, en
focalisant sur les compétences individuelles des salariés en interne mais aussi en pré-
recrutement, cela garantirait l’employabilité des travailleurs. Si en 2015 un quart des entreprises
privées était engagé dans cette démarche de manière systématique, une généralisation du
dispositif permettrait par exemple d’accompagner les salariés atteints de cancer dans leur projet
de reconversion, mais également d’adapter l’entreprise à une absence pour maladie prolongée.
Cela permettrait aussi par exemple de reconnaitre de nouvelles compétences. L’Université des
patients évoquée dans le chapitre 7 propose de qualifier l’expertise acquise par l’individu dans
son expérience de patient. De même, dans nos entretiens, plusieurs personnes ont fait état de
nouvelles capacités (ou du moins de développement de celles-ci) liées à l’expérience de la
maladie qu’elles souhaiteraient mettre à profit dans leur activité professionnelle. On pourrait
alors imaginer que le GEPC devienne un outil de construction ou d’ajustement de poste adapté
à ces nouvelles compétences.
La reconnaissance de ces nouvelles compétences et l’attention qui devrait être portée à
l’individu, à ses besoins, ses envies, ses nouvelles aspirations, ne doivent néanmoins pas se
faire au détriment de leur professionnalité. Dans son ouvrage La comédie humaine du travail,
De la déshumanisation taylorienne à la sur-humanisation managériale, la sociologue Danièle
Linhart alerte ses lecteurs sur la « métamorphose identitaire des salariés », dans laquelle les
nouvelles techniques de management ciblent la sur-humanisation des salariés et, par analogie,
la négation de leur professionnalité (Linhart, 2015). En effet, l’auteur montre comment
Ministère du Travail : https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/accompagnement-des-mutations-
economiques/appui-aux-mutations-economiques/article/gestion-previsionnelle-de-l-emploi-et-des-
competences-gpec, consulté le 17 juin 2019. 92 L’auteur reprend l’approche définie par Zarifian (2005) selon laquelle « la gestion des compétences
constituerait le lien entre la stratégie de l’entreprise et l’organisation du travail (c’est-à-dire les attentes
vis-à-vis des salariés). Plus précisément, il s’agirait de « l’ensemble des moyens permettant d’identifier,
évaluer et reconnaître les compétences, mais aussi d’articuler évaluation régulière de ces dernières et
mise en place de formations au sens large ». (…) la GPEC peut s’appuyer sur des dispositifs de formation
dits « classiques » (plan de formation, compte personnel de formation, validation des acquis de
l’expérience, bilan de compétences, congé individuel de formation) mais également mobiliser des outils
plus généraux de gestion des ressources humaines tels que l’entretien professionnel, le tutorat ou encore
le contrat de professionnalisation ».
260
l’attention portée à l’humain par les « managers » et les employeurs, est devenue source de
souffrance au travail.
Dans une époque marquée par le développement continu des nouvelles technologies
associé à l’avènement d’une société concurrentielle, l’organisation du travail est alors empreinte
de « changements perpétuels » et adaptabilité, endurance et engagement sont désormais les
qualités essentielles du travailleur idéal. Ce dernier est donc évalué sur ses compétences
humaines, qui prévalent sur son expertise professionnelle, amenée à être rapidement obsolète
sans capacité d’adaptation. Le « processus d’individualisation »93 qui marque cette organisation
moderne du travail peut ainsi entraîner un sur-engagement de l’individu et une désillusion
lorsque celui-ci n’entre plus dans le cadre imposé. Sur ce point, l’extrait suivant fait
particulièrement écho à nos entretiens :
« Alors qu’on leur faisait croire qu’ils étaient précisément au centre des
préoccupations managériales, que l’entreprise s’intéressait non seulement à leurs
compétences mais aussi à leur personne, voilà qu’ils deviennent transparents dès
qu’ils cherchent à trouver des ajustements entre leur vie privée et personnelle. »
(p.124)
C’est exactement ce que disent avoir vécu Florence, Béatrice et Clémence qui, à leur
retour de l’arrêt-maladie pour le traitement de leur cancer, sont devenues « transparentes » voire
gênantes pour leur hiérarchie dès lors que leurs qualités professionnelles ont été affectées
(lorsque Florence a dû prolonger son arrêt, que Béatrice n’a pu assumer son importante charge
de travail et Clémence occuper son poste à temps partiel thérapeutique). Dans le chapitre 9,
nous avons alors évoqué le déséquilibre entre les efforts fournis par l’individu et les
récompenses reçues qui, selon l’auteure, semble être une conséquence des nouvelles gestions
managériales modernes.
Ainsi, dans cette logique de course effrénée à la performance dans laquelle l’individu doit
s’engager et toujours s’adapter pour survivre en entreprise, comme la grenouille qui en oublie
de sauter de la marmite, le cancer devient un signal d’alarme faisant prendre conscience aux
individus de la détérioration des conditions de travail. De plus en plus nombreux à revenir en
93 L’auteure donne différents exemples de cette individualisation du travail tels que la polyvalence des
salariés contraints d’évoluer dans des environnements changeants, les augmentations individuelles de
primes et de salaires favorisant la compétition entre salariés, et les entretiens individuels évaluant le
travail de l’individu niant de fait la part du collectif.
261
emploi, toute profession confondue, les travailleurs atteints de cancer pourraient-ils participer
à une redéfinition de l’organisation du travail dans laquelle la recherche de performance ne
serait pas conditionnée à une abnégation de soi ?
Evolution du système de protection sociale
La généralisation du dispositif d’emploi accompagné par la loi du 8 août 201694 fait suite
au succès des initiatives locales sur ce point et témoigne de la volonté politique de favoriser
l’emploi des travailleurs handicapés en France. Ce dispositif pourrait favoriser le maintien en
emploi des travailleurs atteints d’un cancer qui seraient accompagnés selon leurs besoins, dans
leur recherche d’emploi, dans la détermination de leur projet professionnel, dans leur accès à la
formation et dans l’adaptation de leur poste de travail95. Néanmoins, il faut noter que la loi
précise que « ce dispositif (…) peut être sollicité tout au long du parcours professionnel par le
travailleur handicapé et, lorsque celui-ci occupe un emploi, par l'employeur » (Article 52, loi
du 8 août 2016). Or, dans le cas où les volontés du salarié ne correspondent pas aux besoins de
l’employeur, dans quelle mesure le dispositif peut-il être mis en place ? De plus, on l’a vu dans
le chapitre 7, la qualification de travailleur handicapé n’est pas automatique et peut ne pas être
souhaitée par les personnes concernées qui craignent d’être « étiquetées » et ainsi
« stigmatisées ».
En outre, concernant l’évolution du système de protection sociale français, le début
d’année 2018 a été marqué par une mesure phare du « Plan Indépendant » lancé par le
gouvernement96 : la suppression du RSI, le régime social des indépendants, qui seront alors
progressivement intégrés au régime général (la nouvelle organisation est prévue d’être effective
pour 2020). Depuis 2019, l’assurance maladie des travailleurs indépendants est gérée par la
94 Voir sur ce point l’Article 52 de la loi du 8 Août 2016 (dite « loi Travail ») qui prévoit notamment que
« Les travailleurs handicapés reconnus au titre de l'article L. 5213-2 peuvent bénéficier d'un dispositif
d'emploi accompagné comportant un accompagnement médico-social et un soutien à l'insertion
professionnelle, en vue de leur permettre d'accéder et de se maintenir dans l'emploi rémunéré sur le
marché du travail. Sa mise en œuvre comprend un soutien et un accompagnement du salarié, ainsi que
de l'employeur. » (Art. L. 5213-2-1.-I).
Disponible sur :https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032983213&
categorieLien=id, consulté le 02/05/2019. 95 Les modalités du dispositif sont détaillées plus amplement sur le site du Ministère du travail, cf.
https://travail-emploi.gouv.fr/emploi/emploi-et-handicap/article/emploi-et-handicap-le-dispositif-de-l-
emploi-accompagne (consulté le 02/05/2019). 96 Décret d’application 2018-174 du 9 mars 2018 relatif à l’article 15 de la loi n°2017-1836 du 30
décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018.
262
CPAM. Si cela constituait un espoir d’accéder à de nouvelles formes de prestations sociales
calquées sur celles des salariés, le dossier de presse de la réforme est clair : « La réforme ne
modifie pas les droits des travailleurs indépendants : les pensions de retraite, les
remboursements de soin, les indemnités journalières restent inchangées. Elle est également sans
incidence sur les taux de cotisation. » (ACOSS et al., 2017). L’accès de ces travailleurs à une
médecine du travail souhaité par de nombreux acteurs de l’accompagnement après-cancer ne
fait l’objet d’aucune mention dans cette réforme. Néanmoins, la mise en place de cette nouvelle
organisation est progressive et des adaptations vont être nécessaires au fil de l’eau, ce qui offre
la possibilité d’expérimenter ce type de mesure. De plus, la Sécurité sociale pour les
indépendants propose le programme « Prévention Pro Indépendants » (déjà proposé
ponctuellement par le RSI par secteur d’activité) qui offre une prise en charge à 100 % d’une
consultation médicale visant la prévention des risques professionnels. À quand la prise en
charge d’une consultation visant la reprise d’activité après le diagnostic d’une maladie
chronique ?
Néanmoins, à partir du 1er novembre 2019 entrera en vigueur la réforme sur l’Assurance
chômage présentée par le gouvernement le 18 juin de la même année. Celle-ci prévoit une
assurance pour tous les travailleurs indépendants (commerçants, artisans, entrepreneurs,
professions libérales et agriculteurs non-salariés) ; une indemnisation de 800 € mensuelle leur
sera versée pendant six mois dès lors que ceux-ci peuvent justifier d’un revenu annuel minimum
de 10 000 € sur les deux dernières années. Cela constituera un complément pour tous les
travailleurs indépendants atteints de cancer qui se verront confrontés à une liquidation judiciaire
(du fait ou non de la maladie).
Le retour au travail et le maintien en emploi constituent ainsi des sujets d’actualité amenés
à évoluer au regard des changements structurels de notre société et méritent d’y porter une
attention particulière. Le bon fonctionnement de notre système social de redistributions, dont
les réformes tendent vers l’allongement du nombre d’années de travail, en dépend.
263
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Zizzo, C., 2019. Quelles entreprises pratiquent la gestion des compétences ? France stratégie,
La note d’analyse 7.
281
Annexes
282
283
I. Documents d’aide à la compréhension
I.1. Présentation des participants aux enquêtes
Annexe 1. Organigramme VICAN
284
Annexe 2. Principales caractéristiques de la population VICAN5 à l’étude
(% col.)
Tous
(Np = 2 321)
Âgés de 18 à 54 ans
(Np = 2 132)
Caractéristiques sociodémographiques au diagnostic
Sexe
Femme 74,1 80,1
Homme 25,9 19,9
Âge : Moyenne 46,8 44,2
18-39 ans 17,6 21,3
40-49 ans 45,7 55,3
50 ans et plus 36,7 23,4
Situation matrimoniale
En couple avec enfant(s) à charge 23,5 28,0
En couple sans enfant à charge 60,6 56,2
Seul avec enfant(s) à charge 1,5 1,8
Seul sans enfant à charge 14,4 14,0
Zone de résidence
Urbain 74,4 75,0
Rural 25,6 25,0
Niveau d’études
Aucun diplôme 8,0 5,9
Diplôme inférieur au baccalauréat 32,5 33,7
Diplôme au moins équivalent au baccalauréat 59,5 60,4
Caractéristiques professionnelles au diagnostic
Catégorie socioprofessionnelle
Agriculteurs exploitants 2,4 1,9
Artisans, commerçants et chefs d’entreprise 9,0 7,8
Cadre supérieur 18,8 17,2
Professions intermédiaires 23,8 24,7
Employés 32,8 34,9
Ouvriers 10,6 11,1
Donnée manquante 2,6 2,4
Secteur d’emploi
Public 20,9 21,9
285
Privé 77,4 76,5
Donnée manquante 1,7 1,6
Conditions d’emploi
Fonctionnaire 12,4 12,9
Contrat à durée indéterminée 58,9 60,9
Contrat à durée déterminée (y compris contrat
d’intérim et contrat d’apprentissage)
11,4 12,0
Indépendant 15,2 12,5
Donnée manquante 2,1 1,6
Temps de travail
Temps plein 76,6 75,5
Temps partiel 21,4 22,6
Donnée manquante 2,0 1,9
Caractéristiques médicales
Localisation
Sein 51,0 55,6
Poumon 3,7 3,4
Côlon-rectum 7,7 7,1
VADS 4,4 4,2
Prostate 6,6 1,2
Vessie 0,7 0,1
Rein 3,6 3,8
Thyroïde 8,4 10,2
Mélanome 6,1 6,6
LMNH 4,4 4,4
Col de l’utérus 3,0 3,4
Corps de l’utérus 0,4 0,1
Traitement initial par chimiothérapie
Oui 48,7 52,1
Non 51,3 47,9
Traitement initial par radiothérapie
Oui 59,3 62,4
Non 40,7 37,6
Episode(s) d’évolution péjorative
Oui 21,0 19,3
Non 79,0 80,7
286
Etat de santé à l’enquête
Etat de santé perçu
Très bon 21,2 21,2
Bon 41,8 42,0
Moyen 28,3 27,9
Mauvais 7,0 7,1
Très mauvais 0,9 1,1
Donnée manquante 0,8 0,7
Fatigue clinique
Oui 54,6 58,1
Non 45,4 41,9
Séquelles perçues
Très importantes 6,5 6,6
Importantes 18,2 18,3
Modérées 28,7 29,2
Très modérées 16,6 16,3
Aucune 29,4 29,0
Donnée manquante 0,6 0,6
287
Annexe 3. Principales caractéristiques des participants à l’enquête
CAREMAJOB
Prénoms
et âge au
1er
entretien
Situation
familiale
Localisation
(délai depuis
le
diagnostic)
Situation professionnelle
Au diagnostic Au 1er entretien Au 2nd
entretien
Clotilde,
43 ans
En couple, 3
enfants dont
1 à charge
Sein
(2 ans et
demi)
Arrêt-maladie,
cheffe de rayon
supermarché, CDI
Licenciée, Arrêt-
maladie Invalidité
Sandrine,
36 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Sein
(2 ans)
Agent d’entretien,
fonctionnaire
Arrêt-maladie,
reprise
imminente
TPT,
nouveau
contrat à
temps partiel
Mathilde,
50 ans
En couple,
sans enfant
Sein
(3 ans)
Aide-soignante,
CDI
Licenciée, Arrêt-
maladie Invalidité
Jeanne,
38 ans
Célibataire, 1
enfant à
charge
Sein
(1 an)
Enseignante en
collège,
fonctionnaire
Arrêt-maladie,
reprise prévue
Arrêt-
maladie
prolongé
Claudine,
55 ans
En couple,
sans enfant
Ovaire
(récidive)
(1 an)
Enseignante
spécialisée,
fonctionnaire
A repris en TPT2
Nouveau
contrat à
temps partiel
Fabien,
32 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Sinus
(1 an)
Pompier dans
l’armée de l’air,
CDD
Arrêt-maladie,
en reconversion
Arrêt-
maladie
prolongé,
projet de
reconversion
avorté
Rémi,
43 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Cerveau
(1 an)
Photographe
indépendant
A repris à temps
réduit
Activité
réduite
Christine,
57 ans
Célibataire, 1
enfant
LMNH1
(2 ans et
demi)
Infirmière libérale Arrêt-maladie,
en reconversion TPT
288
Clémence,
38 ans
En couple,
sans enfant
Ovaire
(2 ans)
Conseillère en
mobilité
professionnelle et
en formation,
fonctionnaire
A repris en TPT
TPT,
négocie un
aménageme
nt
Dominique,
48 ans
En couple, 1
enfant
Sein
(3 ans)
Assistante de
direction, CDI
Arrêt-maladie,
développe son
activité ind. de
coaching
Arrêt-
maladie
prolongé
Florence,
50 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Sein
(2 ans)
Coordonnatrice
de formation,
fonctionnaire
Arrêt-maladie +
formation de
reconversion
Laure,
52 ans
Célibataire,
sans enfant Sein (2 ans)
Préparatrice en
pharmacie, CDI Arrêt-maladie
Arrêt-
maladie
Quentin, 25
ans
En couple,
sans enfant
Osseux
(récidive)
(2 ans)
Stage en
commerce
international
Livreur,
préparateur
pizzeria, non
déclaré
Livreur,
serveur autre
restaurant,
non déclaré
Béatrice,
59 ans
En couple,
sans enfant
Sein
(1 an)
Secrétaire dans un
centre de
formation, CDI
Arrêt-maladie,
reprise
imminente
Arrêt-
maladie
après échec
de la reprise,
en
licenciement
Emilie,
46 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Sein
(2 ans)
Clerc de notaire,
CDI
Arrêt-maladie,
reprise prévue
Arrêt-
maladie
prolongé
289
Laurent,
39 ans
Célibataire,
sans enfant
LMNH
(2 ans)
Chargé de
développement
pour une
mutuelle, CDD
Arrêt-maladie,
en procès contre
son employeur,
cherche un
emploi
Monte son
activité en
indépendant
Charlotte,
44 ans
En couple,
en instance
de divorce, 3
enfants à
charge à mi-
tps
Sein
(2 ans) Infirmière libérale
Arrêt-maladie,
reprise prévue
A la
recherche
d’un emploi
Karine,
42 ans
En couple, 2
enfants à
charge
Sein
(1 an et
demi)
Secrétaire
technique dans un
théâtre, CDI
Après l’échec
d’une 1ère
reprise, vient de
reprendre à
nouveau à TPT
TPT,
envisage
d’augmenter
la quotité
travaillée
Lucie,
59 ans
Célibataire,
sans enfant
Sein
(récidive)
(1 an et
demi)
Surveillante de
nuit et animatrice,
CDD
Arrêt-maladie Invalidité
David,
43 ans
En couple, 1
enfant à
charge
Testicule
(6 mois)
Chef de projet
industriel, CDI
Arrêt-maladie,
développe un
projet
d’autoentreprise
A repris son
poste mais
ne fait plus
les
déplacement
s
Vincent,
58 ans
En couple,
sans enfant
Estomac
(1 an)
Chef de chantier,
CDI
Arrêt-maladie,
négocie une
reprise aménagée
290
I.2. Supports méthodologiques
Annexe 4. Codes SNIIRAM utilisés pour la construction de certains
indicateurs médicaux (INCa, 2018)
Annexe 5. Grille d’entretien de l’enquête CAREMAJOB
Thèmes Questions
Emploi occupé au moment du
diagnostic
Description Pour cela, pourriez-vous commencer par me parler du travail que vous occupiez
avant le diagnostic de votre maladie ?
De quoi s’agissait-il, etc. (relancer pour avoir toutes infos sur l’emploi occupé)
Quelles sont les circonstances dans lesquelles vous en êtes arrivé à exercer ce métier ?
Condition de travail Comment étaient vos conditions de travail ?
-> Quelles étaient vos horaires généralement ?
-> Estimiez-vous exercer un métier dangereux ?
-> Diriez-vous qu’il est difficile physiquement ? Psychologiquement ?
Rapport au travail Que représentait-il pour vous à cette époque/ avant le diagnostic de la maladie ? Quelle
place tenait-il dans votre vie de tous les jours ?
Cancer
Contexte du diagnostic Si cela vous convient, je souhaiterais à présent aborder la maladie qui vous a été
diagnostiquée…
Dans quelles circonstances celle-ci a-t-elle été diagnostiquée ? (symptômes, lors d’une
visite de routine, dépistage organisé, dépistage individuel…)
Prise en charge Comment s’est organisée la prise en charge ? Quels traitements avez-vous suivis ?
Pendant combien de temps ? Avez-vous été hospitalisés pendant plusieurs jours ?
Gestion de la maladie avec le
travail
Avez-vous continué de travailler à l’annonce de la maladie ? Combien de temps ? En
avez-vous parlé à votre employeur ? A vos collègues ?
Perception du cancer Qu’est-ce que signifie pour vous le cancer ? Votre vision a-t-elle changé depuis le
diagnostic ? Pour quelle raison ? Comment votre entourage a-t-il réagi à l’annonce ? Et
si cela n’avait pas été un cancer mais plutôt une maladie du… (sein/poumon etc.),
292
comment l’auriez-vous vécu ? Pensez-vous que votre entourage aurait réagi
différemment ? De quelle manière ?
Situation pro au moment de
l’enquête
Description Où en êtes-vous aujourd’hui vis-à-vis de votre situation professionnelle ?
Si n’est plus en emploi : pour quelle(s) raison(s) ne travaillez-vous plus à … ? Cela fait
combien de temps ? Aviez-vous gardé des contacts avant la fin de cet emploi avec
l’employeur ? Savez-vous comment l’entreprise avait pallié votre absence ? Vous ont-
ils proposé des aménagements de poste ou d’horaires ? Avez-vous été en relation avec
le médecin du travail ? Quel rôle a-t-il joué ?
Quelle est votre situation actuelle ? (recherche d’emploi ? retraite anticipée ? etc.) Cela
vous convient-il ?
Si a changé d’emploi : pour quelle(s) raison(s) ne travaillez-vous plus à … ? (était-ce
votre volonté ?) Quelle est votre situation actuelle ? (type de travail, contrat de travail
etc). Depuis quand travaillez-vous à … Avez-vous rencontré des difficultés pour
retrouver un emploi ? Si oui : Lesquelles ? Si non : pourriez-vous développer sur les
circonstances ?
Si toujours en emploi : avez-vous connu des périodes d’arrêt-maladie ? Pendant
combien de temps environ ? Avez-vous gardé contact avec des personnes de l’entreprise
lors de ces périodes d’arrêt ? Avec qui ? Qu’avez-vous pensé de ces échanges ? Avez-
vous rencontré des difficultés pour vous maintenir en emploi ? Si oui : Lesquelles ? Si
non : pourriez-vous développer ?
Si toujours en emploi et en arrêt-maladie : depuis combien de temps êtes-vous en
arrêt ? Avez-vous gardé contact avec des personnes de l’entreprise ? Pensez-vous
reprendre votre travail ?
293
Si oui : pour quelle(s) raison(s) ? Comment envisagez-vous votre retour au
travail ? (Cela vous fait-il peur ou au contraire vous languissez-vous cette
reprise ?) Selon vous si le contexte avait été différent (par exemple pas de
besoins financiers etc.) envisageriez-vous ce retour différemment ? Comment
pensez-vous vous y prendre ?
Si non : pour quelle(s) raison(s) ?
Rapport au travail/emploi Diriez-vous que la maladie a eu un impact sur votre vie professionnelle, quel qu’il soit ?
Lequel ?
Diriez-vous que votre rapport à votre vie professionnelle a changé depuis le diagnostic ?
Comment ?
Perspectives professionnelles
Comment imaginez-vous votre vie professionnelle pour l’année qui arrive ?
Comment comptez-vous vous y prendre ?
Avez-vous eu/prévu d’avoir recours à un dispositif quel qu’il soit ayant pour objectif
de vous maintenir en emploi ? (seulement si cela semble être la volonté du patient).
Si oui : lequel ? comment en avez-vous eu connaissance ?
Si non : Avez-vous eu connaissance de l’existence de tels dispositifs comme
par exemple le mi-temps thérapeutique, l’aménagement du poste du travail, la
mise en invalidité ou encore la qualification handicap ?
294
Soutien
Avez-vous été entouré pendant la maladie ?
Que pense votre entourage de votre situation professionnelle ? Vous ont-ils incité à
reprendre plus rapidement ou au contraire à arrêter ? Avez-vous (eu) des avis contraires
à ce sujet ? Quels impacts ont-ils (eu) sur votre réflexion ?
Retro Selon vous, comment aurait pu/pourrait être amélioré votre retour/maintien au travail ?
Annexe 6. Support de présentation distribué aux personnes éligibles à
l’enquête CAREMAJOB
295
296
Annexe 7. Formulaire d’information et de consentement
FORMULAIRE D’INFORMATION ET DE
CONSENTEMENT
RECHERCHE NON INTERVENTIONNELLE
Patients volontaires
Retour et maintien en emploi des personnes atteintes de cancer :
enquête qualitative processuelle
CAREMAJOB
VERSION N°2.0 DU 09/06/2016
Organisme responsable : Inserm ITMO Santé Publique Pôle Recherche Clinique (PRC) Biopark, Bâtiment A 8 rue de la Croix Jarry 75013 Paris
Responsable de la recherche :
Doctorante, Caroline ALLEAUME
Dirigée par Patrick PERETTI-WATEL et Anne-Déborah
BOUHNIK
Fonction : Doctorante contractuelle
Unité Inserm d’affiliation : UMR 912 SESSTIM
Adresse : 27 Bd Jean Moulin, 13385 Marseille cedex 5.
Tel : 04.91.32.47.99 / 06.10.43.00.89
Email : [email protected]
N° Gestionnaire N°CEEI N°CNIL
C 16-35 IRB00003888 1957169 v 0
297
1. INFORMATION A L’ATTENTION DU PARTICIPANT
Madame, Monsieur,
Nous vous proposons de participer à la recherche intitulée :
Maintien et retour en emploi des personnes atteintes de cancer : enquête qualitative
processuelle (CAREMAJOB)
L’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm) est gestionnaire de
cette recherche.
Le doctorant-chercheur Caroline ALLEAUME ( 06.10.43.00.89 / 04.91.32.47.99 / E-
mail : [email protected]) en charge de la recherche est à votre disposition pour vous
présenter la recherche et la façon dont vous pouvez y participer, pour répondre à toutes vos
questions et pour vous expliquer ce que vous ne comprenez pas.
1. INFORMATION
Ce document a pour but de vous fournir les informations écrites nécessaires à votre
décision. Nous vous remercions de le lire attentivement. N’hésitez pas à poser des questions à
la personne en charge de la recherche si vous voulez plus d’informations. Vous pouvez prendre
le temps pour réfléchir à votre participation à cette recherche, et en discuter avec votre médecin
traitant et vos proches. En fin de document, si vous acceptez de participer à cette étude, la
personne en charge de la recherche vous demandera lors de l’entretien de confirmer oralement
votre souhait de participer à cette recherche.
2. CONSENTEMENT
Votre participation est volontaire : vous êtes libre d’accepter ou de refuser de participer à
cette recherche.
Si vous décidez de participer, sachez que vous pourrez retirer à tout moment votre
consentement à la recherche, sans encourir aucune responsabilité ni aucun préjudice de ce fait.
Nous vous demanderons simplement d’en informer la personne en charge de la recherche. Vous
n’aurez pas à justifier votre décision.
3. CADRE GENERAL ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
298
Cette enquête a pour objectif d’enrichir les connaissances sur les modalités relatives au
processus de maintien ou au retour au travail des personnes ayant été traitées pour un cancer.
Les difficultés et les leviers que vous avez pu rencontrer ainsi que les représentations
individuelles liées à ce processus seront investigués, ce qui permettra de mieux comprendre les
enjeux associés et documentera la recherche.
4. DEROULEMENT DE LA RECHERCHE
Deux séries d’entretiens seront enregistrés à deux temps différents avec votre accord et
retranscrits de manière totalement anonyme. Le premier entretien sera réalisé auprès des
personnes sélectionnées lorsque celles-ci seront en fin de traitement (bientôt terminés, ou
terminés depuis moins d’un mois). Le second entretien sera réalisé 6 mois après le premier afin
de suivre la personne enquêtée dans son processus de retour ou de maintien (ou non) de
l’emploi.
Chaque entretien sera d’une durée variable relative à chaque participant. Une durée
moyenne prévue est de 45 minutes.
Durée de votre participation : 2 fois 45 minutes en moyenne avec 6 mois d’intervalle.
Le lieu et la date de chaque entretien sera défini en fonction de vos préférences et de vos
disponibilités, en accord avec la responsable de la recherche.
5. CONFIDENTIALITE ET TRAITEMENTS DES DONNEES INFORMATISEES
Dans le cadre de cette recherche à laquelle l’Inserm vous propose de participer, un
traitement de vos données personnelles va être mis en œuvre pour permettre d’analyser les
résultats de la recherche au regard de l’objectif de cette dernière.
A cette fin, les données seront recueillies puis analysées par Caroline ALLEAUME. Ces
données seront complètement anonymes.
Vous disposez également d’un droit d’opposition à la transmission des données couvertes
par le secret professionnel susceptibles d’être utilisées dans le cadre de cette recherche et d’être
299
traitées. Ces droits s’exercent auprès du chercheur qui vous suit dans le cadre de la recherche
et qui vous connait par l’intermédiaire du pseudonyme que vous aurez donné auparavant.
Les résultats de cette recherche peuvent être présentés à des congrès ou dans des
publications scientifiques. Cependant, vos données personnelles ne seront aucunement
identifiables car aucune donnée identifiante ne sera conservée.
Vous pourrez, si vous le souhaitez, être tenu(e) au courant des résultats globaux de cette
recherche, en contactant directement Caroline ALLEAUME au numéro 06.10.43.00.89. La
personne responsable de la recherche pourra alors vous expliquer quels auront été les principaux
résultats de l’enquête ainsi que les retombées de l’étude.
Ce projet a reçu un avis favorable du comité d’évaluation éthique de l’Inserm,
IRB00003888 le 7 juin 2016.
Annexe 8. Tableau récapitulatif des dispositifs disponibles en France
Aides Définition Provenance Profil
concerné Montant d’indemnisation
Durée
maximale
Carenc
e Conditions d’obtention Article de loi
Pour ceux restent en emploi pendant les traitements :
Autorisation
d’absence
Le salarié a le droit
à des journées
d’absences pour
traitements
médicaux
Employeur Salariés - - -
Article L1226-5
du Code du
travail
Modifié par LOI
n°2015-1702 du
21 décembre
2015 - art. 59
(V)
Indemnités
journalières de
la Sécurité
sociale (IJSS)
Indemnités versées
pour compenser la
perte de salaire
éventuelle lors des
arrêts maladie. Ces
derniers permettent
de prendre du
temps pour se
soigner tout en
conservant sa place
chez son
employeur.
Assurance
maladie
CNAMTS,
MSA
Salariés et
certains
indépenda
nts
(artisans,
commerça
nts,
industriels)
50% de la rémunération brut
de base (moyenne des 3
derniers mois) sous plafond
66,66% de ce même montant à
partir du 31ème jour si au
moins 3 enfants à charge
(100% du salaire la 1ère année
pour les fonctionnaires avec
ancienneté d’au moins 3 ans
puis 50% les deux années
suivantes)
3 ans
3 jours (0
pour les
fonctionn
aires)
• Arrêt-maladie de moins
de 6 mois : Avoir
travaillé 200 heures au
cours des 3 dernières
mois.
• Arrêt-maladie de plus de
6 mois : Avoir travaillé
800 heures au cours des
12 derniers mois dont 200
heures les 3 derniers.
Article L321-1
Modifié par LOI
n°2015-1702 du
21 décembre
2015 - art. 59
Indemnités
journalières
complémentaire
Employeur Salariés
90% de la rémunération brutes
les 30 premiers jours puis
66.66% du même montant les
30 jours suivants.
Part plus importante selon les
conventions collectives
7 jours
(peut être
diminué
selon les
conventi
ons
• Avoir au moins 1 an
d’ancienneté dans
l’entreprise
Article L323-3-1
du Code de la
sécurité sociale
301
A ce montant sont déduis les
IJSS et indemnités des
régimes de prévoyance de
l’employeur.
Chaque durée est augmentée
de 10 jours par tranche de 5
ans d’ancienneté
collectiv
es)
Article L1226-1
/ D1226-1 à
D1226-8 du
Code du travail
Allocation pour
adulte
handicapé
(AAH)
CDAPH Tous
• 80% des revenus de base
(moyenne 3 derniers mois)
s'ils sont inférieurs à 30%
du Smic mensuel brut.
• 40% des revenus de base
s'ils sont supérieurs à 30%
du Smic mensuel brut.
Le montant de l'AAH est
recalculé tous les 3 mois
5 ans Ne pas avoir atteint l’âge
de la retraite
Article R821-4-1
Créé par Décret
n°2010-1403 du
12 novembre
2010 - art. 1
Reprise d’activité après un arrêt
Aménagement
du poste de
travail
Adaptation du poste
de travail occupé
pour optimiser la
reprise d’activité
Accord
employeur –
employé et
médecin du
travail
Salariés - - - Aucune
Article L4121-2
du Code du
travail
Pension
d’Invalidité
partielle
Indemnités
permettant de
compenser une
perte de revenu liée
à une réduction de
sa capacité de
travail
Assurance
maladie
(CNAMTS,
MSA, RSI)
Tous
30% de la rémunération brut
moyenne des 10 meilleures
années d’activité.
Peut être complétée par une
allocation supplémentaire
d’invalidité (ASI) selon les
revenus du ménage.
Capacité de travail réduite
d’au moins 2/3
Ne pas avoir atteint l’âge
de 65 ans
Indemnités
journalières
(Mi-temps
thérapeutique)
Indemnités qui
compensent la perte
de revenus liée à
une réduction
Assurance
maladie
(CNAMTS,
MSA, RSI)
Tous
Montant du salaire perdu par
la réduction du temps de
travail.
4 ans
auxquelles
on déduit
la durée
Ne pas être dans le cas
d’une convention
collective qui prévoit déjà
le maintien complet du
Article L323-3
du Code de la
sécurité sociale
302
temporaire de la
quotité de temps de
travail
des
indemnités
journalière
s perçues
en arrêt-
maladie
complet
salaire dans le cadre d’une
reprise en mi-temps
thérapeutique
Allocation pour
adulte
handicapé
(AAH)
CDAPH
• 80% des revenus de base
(moyenne 3 derniers mois)
s'ils sont inférieurs à 30%
du Smic mensuel brut.
• 40% des revenus de base
s'ils sont supérieurs à 30%
du Smic mensuel brut.
Le montant de l'AAH est
recalculé tous les 3 mois
5 ans Ne pas avoir atteint l’âge
de la retraite
Article R821-4-1
Créé par Décret
n°2010-1403 du
12 novembre
2010 - art. 1
I.3. Compléments d’information
Annexe 9. Glossaire
Allocation chômage (AC). Également appelé allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE),
l’allocation chômage est un revenu de remplacement versé aux personnes actives,
involontairement privées d’emploi et en recherche d’emploi. Elle est octroyée sous justification
d’une période minimale de travail et cesse au moment du début d’une nouvelle activité
professionnelle. (Pour plus d’information cf. https://www.service-
public.fr/particuliers/vosdroits/N178).
Allocation d’adulte handicapée (AAH). Aide financière attribuée aux personnes de plus de
20 ans résidant en France justifiant d’un taux d’incapacité au moins égal à 50 % et d’une
restriction durable d’accès à un emploi ne pouvant être compensée par des mesures
d'aménagement du poste de travail. Cette allocation est octroyée sous conditions de ressources.
(Pour plus d’information cf. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F12242).
Allocation personnalisée d’autonomie (APA). Aide financière réservée aux plus de 60 ans
dépendants, c’est-à-dire ayant un déficit d’autonomie pour réaliser certaines activités du
quotidien nécessitant l’intervention d’un tiers. (Pour plus d’information cf.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F10009).
Inactivité. Les personnes inactives sont celles qui ne sont ni en emploi ni au chômage :
étudiantes, retraitées, hommes et femmes au foyer et personnes en incapacité de travailler.
Invalidité. Situation d’inactivité consécutive à un accident ou à une maladie invalidante d’une
personne de moins de 60 ans reconnue par l’Assurance maladie comme en incapacité
permanente de travailler.
Pension d’invalidité. Une pension d’invalidité est versée lors de la reconnaissance par le
médecin du travail d’une incapacité de travail résultant d’un accident ou d’une maladie
d’origine non-professionnelle et conduisant à la perte d’au moins deux tiers des revenus
initiaux. Cette pension a pour objectif de compenser la perte de rémunération observée. La
pension est calculée sur la base d'un revenu annuel moyen, obtenue à partir des 10 meilleures
années de rémunération soumises à cotisations (dans la limite du plafond de la Sécurité Sociale,
304
soit 3 170 € par mois en 2015). Son montant est défini en fonction de la catégorie d’invalidité,
c’est-à-dire du niveau d’incapacité constaté.
Revenu de Solidarité Active (RSA). Ce revenu assure aux personnes sans ressource un niveau
minimum de revenu calculé selon la composition du foyer. (Pour plus d’information cf.
https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N19775).
Revenu par unité de consommation (RUC). Totalité des revenus (ici revenus déclarés) du
ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC) du ménage, permettant d’établir
le revenu disponible par individus au sein du ménage, tenant compte de la composition de celui-
ci. Le nombre d’UC est calculé à partir de l’échelle de l’OCDE par sommation des différents
individus du ménage avec un poids différent selon l’âge : 1 pour le premier adulte du ménage
(ici la personne interrogée), 0,5 pour les autres personnes de 14 ans et plus et 0,3 pour les enfants
de moins de 14 ans. (Pour plus d’information cf.
https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1802).
Secteur d’activité économique :
- Primaire : le secteur primaire regroupe l’ensemble des activités d’exploitation des
ressources naturelles (agriculture, pêche, forêts, mines, gisements,…).
- Secondaire : le secteur d’activité secondaire regroupe l’ensemble des activités consistant
en une transformation plus ou moins élaborée des matières premières (industries
manufacturières, construction, travaux publics, infrastructures,…).
- Tertiaire : le secteur d’activité tertiaire couvre un vaste champ d’activités qui va du
commerce à l’administration, en passant par les transports, les activités financières et
immobilières, les services aux entreprises, les services aux particuliers, l’éducation, la santé et
l’action sociale.
Seuil de pauvreté. En France, la pauvreté d’un individu ou d’un ménage est définie de façon
relative (en fonction des revenus perçus par l’intégralité de la population) et non absolue comme
aux Etats-Unis par exemple (vivre avec moins qu’un niveau considéré de revenu) : un individu
est considéré comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. La
définition retenue dans ce chapitre pour ce « seuil » est celle de l’Institut national de la
statistique et des études économiques (Insee) selon lequel une personne est considérée pauvre
dès lors qu’elle perçoit moins de 60 % du niveau de vie médian de la population (60 % du
305
niveau de vie que la moitié de la population la plus modeste ne parvient pas à avoir). (Pour plus
d’information cf. https://www.insee.fr/fr/statistiques/1283651).
Taux d’activité. Rapport entre le nombre d’actifs (actifs occupés et chômeurs) et l’ensemble
de la population correspondante (actifs et inactifs).
Taux d’emploi. Rapport pour une classe d’individus entre le nombre d’individus de cette classe
(en général d’âge) ayant un emploi et le nombre total d’individus de la même classe.
Taux de chômage. Part des actifs sans emploi dans la population active (constituée des actifs
en emploi et sans emploi).
Temps partiel thérapeutique (Tpt). Dispositif prévu par la loi (article L323-3 du Code de la
sécurité sociale) mis en place pour favoriser le rétablissement d’une personne après une maladie
ou un accident. Il propose aux personnes concernées de réduire leur temps de travail tout en
garantissant une compensation de la perte de salaire associée par l’Assurance maladie. Cette
réduction du temps de travail peut être mise en place quelle que soit la quotité souhaitée
(passage à 80 %, 40 % etc.).
306
Annexe 10. Version détaillée du modèle « Motivation – Reprise du travail »
307
II. Liste des productions scientifiques réalisées ou en cours
Annexe 11. Articles de revues
➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P.
Chronic neuropathic pain negatively associated with employment retention of cancer
survivors: evidence from a national French survey. J Cancer Surviv. 2018
Feb;12(1):115-126. doi: 10.1007/s11764-017-0650-z. Epub 2017 Oct 4.
o Tiré à part n°1.
➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P, Bendiane M-K. La reprise
d’activité cinq ans après un diagnostic de cancer. La Revue du Praticien. 2019
Avril n°69 :449-453.
o Tiré à part n°2.
➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Income change
inequality among cancer survivors five years after diagnosis: Evidence from a French
national survey (soumis).
o Tiré à part n°3.
➢ Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. Positive
impact of workstation layouts on maintenance in employment among five-year
cancer survivors (soumis).
o Tiré à part n°4.
➢ Torp S, Paraponaris A, Van Hoof E, Lindbohm M-L, Tamminga S-J, Alleaume C,
Van Campenhout N, Sharp L, de Boer AGEM. Work-related outcomes in self-
employed cancer survivors: a European multi-country study. J Occup Rehabil. 2018
Jun 26. doi: 10.1007/s10926-018-9792-8.
308
Annexe 12. Autres publications
Compte rendu d’ouvrage
➢ Alleaume C, Compte-rendu de lecture de l’ouvrage de Derbez B. et Rollin Z.,
Sociologie du cancer, Revue française de sociologie 2017, n°58-1.
Chapitres d’ouvrage collectif
➢ Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Courtois E, Delorme T, Janah A, Morin
L, Peretti-Watel P. Les douleurs récentes et leurs traitements. (Ch7). INCa, juin 2018.
Issn : 978-2-37219-382-5.
➢ Alleaume C, Joutard X, Lafay L, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V. Evolution
des revenus cinq ans après le diagnostic d’un cancer (Ch10). INCa, juin 2018. Issn :
978-2-37219-382-5.
➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V,
Vernay P. Situation professionnelle cinq ans après un diagnostic de cancer. La vie
cinq ans après un diagnostic de cancer (Ch11). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-
382-5.
➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.
Trajectoires professionnelles après un diagnostic de cancer (Ch12). INCa, juin 2018.
Issn : 978-2-37219-382-5.
➢ Alleaume C, Bousquet P-J, Joutard X, Paraponaris A, Peretti-Watel P, Seror V.
Recours aux arrêts-maladie et au temps partiel thérapeutique après un diagnostic de
cancer (Ch13). INCa, juin 2018. Issn : 978-2-37219-382-5.
➢ Alleaume C. « Emploi et cancer : expérience du handicap et aménagement du
travail » dans Gros K. et Lefranc G., Emploi et handicap : de la culture de la
responsabilité sociale à l’émergence de nouvelles formes de travail. Editions
Législatives ESF. Juin 2019 (sous presse).
➢ Alleaume C, Peretti-Watel P. Maintien en emploi après un diagnostic de cancer :
l’intérêt d’une analyse au prisme du genre (soumis).
309
Annexe 13. Communications
Communications affichées
➢ 8ème Colloque du Cancéropôle PACA 2017. Alleaume C, Bendiane M-K,
Bouhnik A-D, Cortaredona S, Seror V, Peretti-Watel P. Impact des Douleurs
Neuropathiques Chroniques (DNC) sur le maintien en emploi après un diagnostic
de cancer
➢ European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2018. Alleaume
C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation
layouts after a cancer diagnosis: who, what, when and how?
Communications affichées commentées
➢ Colloque du Cancéropôle PACA 2016. Alleaume C, Bouhnik A-D, Rey D,
Bendiane M-K, Peretti-Watel P. Impact of the disease on job retention among
cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the French VICAN
Survey.
➢ European Society for Medical Oncology (ESMO) Congress 2016. Alleaume
C, Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Factors
affecting job retention amongst cancer survivors five years after diagnosis:
evidence from the French VICAN survey.
➢ World Cancer Congress 2016. Alleaume C, Davin B, Bouhnik A-D, Bendiane
M-K, Rey D, Seror V, Peretti-Watel P. Impact of working time reduction on job
retention among cancer survivors five years after diagnosis: evidence from the
French VICAN Survey.
➢ Colloque Cancéropôle PACA 2018. Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-
K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P. Workstation layouts after a cancer diagnosis.
Communications orales scientifiques
➢ Congrès International des Sociologues de Langue Française 2016. Alleaume C,
Bouhnik A-D, Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P.
Inégalités de genre sur le marché du travail en France : quand la maladie s’en mêle.
➢ Seminar of the European Trade Institute 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D,
Bendiane M-K, Rey D, Davin B, Seror V and Peretti-Watel P. Gender inequality on
310
employment in France: when cancer interferes. First results from the French VICAN
Surveys (communication invitée).
➢ Assises du Cancer et du Genre 2017. Alleaume C, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.
Conditions de vie après un diagnostic de cancer : quelle place au genre ?
➢ European Cancer Congress 2017. Alleaume C, Bendiane M-K, Bouhnik A-D,
Peretti-Watel P. Evolution of resources 2 and 5 years after cancer diagnosis: evidence
from the French VICAN surveys.
➢ Colloque VICAN5 valorisation scientifique INCa 2018. Valorisation des données
des études VICAN2 & VICAN5 en économie et sociologie de la santé – Vie
professionnelle & ressources financières cinq ans après un diagnostic de cancer
➢ Colloque du Réseau SHS Cancéropôle Nord-Ouest « Cancer et travail » 2019.
Alleaume C, Paraponaris A, Bendiane M-K, Bouhnik A-D, Peretti-Watel P.
L’aménagement du travail après un diagnostic de cancer, un dispositif favorable au
maintien en emploi à un horizon de 5 années.
➢ 12th European Public Health Conference 2019. Alleaume C, Paraponaris A,
Bendiane M-K, Peretti-Watel P, Bouhnik A-D. The positive effect of workplace
accommodations on employment five years after a cancer diagnosis.
311
III. Autres productions
Annexe 14. Communications orales de valorisation (invitations)
➢ 2019, 2018 Intervention DIU « Référent Handicap », Université Paris est Créteil
(UPEC).
➢ 2018 Journée Prévention de la Désinsertion Professionnelle (PDP) à la CARSAT
Sud-Est.
➢ 2018 Table ronde GEFLUC/SEM.
➢ 2018 Table ronde CAIRE13/GIMS.
312
Abstract
Return to work and continued employment after a cancer diagnosis: socially
differentiated trajectories.
Each year, 355,000 new individuals are diagnosed with cancer in France and nearly half
of them are in working age. As survival rates has increased for most cancers, more and more
people face decisions about return to work. International literature have estimated return to
work rate between 60 % and 92 % (Paltrinieri et al., 2018). This rate was found to vary
according to sociodemographic features, occupational characteristics, and clinical aspects
related to the worker’s health status and the type of disease. Despite the increasing interest of
study in social and medical sciences, most of the French studies are carried out in a short period
of observation (lower than two years after diagnosis) and among a specific population (breast
cancer survivors are the most documented).
In this context, this doctoral research aims to 1) explore the continuation of working life
after a cancer diagnosis in a medium-term period, identifying factors associated with a
deterioration of the professional life, and 2) study the mechanism of return to work and job
retention, focusing on an individual approach.
To that end, this research proposes a mixed approach using two kinds of data:
quantitative, from the French national VICAN5 survey, conducted in 2015/2016 by the French
National Institute of Cancer; and qualitative, from the CAREMAJOB survey, carried out in
2017/2018 for this doctoral project. The VICAN 5-year cross-sectional survey questioned life
conditions of cancers survivors diagnosed in 2010/2011. The longitudinal CAREMAJOB
survey aimed to complete these data, focusing on return to work after cancer diagnosis. For that
purpose, two round of semi-directive interviews were conducted among cancer patients
employed at diagnosis with six-month intervals. They were asked about their intention to return
to work, and the envisaged mechanism of return.
Our results support those of the literature: individuals considered as the most vulnerable
(those with a low socioeconomic status and those with a poorer health status) were less likely
to still be employed five years after a cancer diagnosis. In addition, this research highlights the
needs to consider other indicators to report the continuation of professional life after a cancer
diagnosis such as: the part of working time reduction, occupational change, and financial well-
313
being. Furthermore, the individual approach emphases the active role of the patient in the return
to work process. Following subjective experiences of their disease and professional life before
diagnosis, the individual set up strategies in order to go back to work according to their
motivation. Nevertheless, the individual capacity to remain employed may be undermined by
socio-differentiated access to arrangements, such as workplace accommodations which has
been found to be strongly associated with continued employment at middle term.
Consequently, this thesis called for personalized support of cancer survivors, which need
to come early in their return to work process, in order to take into consideration their motivation,
and to face social inequalities, found to be barriers for their continued employment. More
specifically, more attention must be paid to self-employed workers, women, individuals with a
lower socioeconomic status, and those who had poorer working conditions before diagnosis.
Key words: Cancer survivors, Return to work and job retention, Career paths, Social
inequalities.
314
Table des matières
REMERCIEMENTS .............................................................................................................................................. 2
SOMMAIRE ........................................................................................................................................................... 4
LISTE DES TABLEAUX, DES FIGURES ET DES ENCADRES ..................................................................... 5
LISTE DES ABREVIATIONS .............................................................................................................................. 8
INTRODUCTION .................................................................................................................................................10
PARTIE 1. CADRES CONJONCTUREL, CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
............................................................................................................................................................14
CHAPITRE 1. ELEMENTS DE CONTEXTES DE LA RECHERCHE ............................................................................15
1.1. La relation cancer-travail : un objet d’étude récent pour les sciences sociales ..............................16
1.1.1. Une relation définie par le contexte épidémiologique de la maladie ........................................................... 16
Un nouvel objet d’étude en sciences sociales ............................................................................ 17
Des objets d’études médicales ................................................................................................... 18
Une maladie chronique .............................................................................................................. 22
1.1.2. Une relation définie par les représentations sociales de la maladie ............................................................. 24
Un objet de représentations sociales des personnes concernées ................................................ 24
Un objet de représentations sociales en population générale ..................................................... 26
Des représentations qui se retrouvent dans la sphère professionnelle ........................................ 27
1.2. Impact du cancer sur la vie professionnelle .....................................................................................29
1.2.1. Etat des lieux ............................................................................................................................................... 29
L’impact négatif du cancer sur l’emploi : un processus empreint d’inégalités sociales ............. 29
Cancer et travail biographique : reconsidération du rapport à l’emploi et au travail ................. 31
L’annonce du cancer, un événement de rupture biographique ................................................... 33
1.2.2. Contexte de l’évolution récente du marché du travail ................................................................................. 34
Précarisation de l’emploi en France ........................................................................................... 34
De nouvelles organisations dans les entreprises ........................................................................ 35
Allongement de la durée de travail : zoom sur l’emploi des séniors .......................................... 36
La reprise du travail : bien plus qu’un enjeu économique ......................................................... 38
1.2.3. Politiques publiques mises en place ............................................................................................................ 39
Promotion de la santé au travail ................................................................................................. 39
Le maintien en emploi d’une personne atteinte de cancer : objectifs des Plans cancer .............. 40
315
CHAPITRE 2. OBJECTIFS ET HYPOTHESES DE LA RECHERCHE ...........................................................................44
2.1. Définitions du sujet ..........................................................................................................................44
2.2. Questions de recherche et hypothèses ..............................................................................................45
2.2.1. Questions et objectifs de recherche ............................................................................................................. 45
2.2.2. Délimitation du sujet ................................................................................................................................... 47
2.2.3. Hypothèses de recherche ............................................................................................................................. 48
CHAPITRE 3. PRESENTATION DES SUPPORTS METHODOLOGIQUES ...................................................................52
3.1. Etude d’une enquête nationale représentative : le dispositif VICAN ...............................................52
3.1.1. Présentation du dispositif ............................................................................................................................ 52
Une volonté politique ................................................................................................................ 52
Différentes sources de données .................................................................................................. 53
3.1.2. Population cible ........................................................................................................................................... 54
3.1.3. Constitution des échantillons, taux de réponse et représentativité ............................................................... 55
3.1.4. Population à l’étude dans cette recherche .................................................................................................... 57
3.2. Approche qualitative du sujet : l’enquête CAREMAJOB .................................................................58
3.2.1. Présentation de l’enquête ............................................................................................................................. 58
Objectifs et population d’étude .................................................................................................. 58
Ancrage méthodologique ........................................................................................................... 60
Autorisations administratives .................................................................................................... 60
3.2.2. Présentation du terrain d’enquête ................................................................................................................ 61
Collaboration avec des professionnels de santé ......................................................................... 61
Collaboration avec des services sociaux .................................................................................... 62
Collaboration avec des associations........................................................................................... 63
3.2.3. Conduite de l’enquête .................................................................................................................................. 64
Difficultés rencontrées ............................................................................................................... 64
Les entretiens réalisés ................................................................................................................ 65
Personnes enquêtées .................................................................................................................. 66
Restitution ................................................................................................................................. 66
3.3. Méthode d’analyses des données .....................................................................................................67
3.3.1. Principales analyses statistiques .................................................................................................................. 67
Indicateurs transversaux à la recherche ..................................................................................... 67
Analyses statistiques .................................................................................................................. 70
3.3.2. Principales analyses qualitatives ................................................................................................................. 72
3.3.3. Logiciels ...................................................................................................................................................... 73
316
PARTIE 2. FREINS AU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ......................75
CHAPITRE 4. MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : DES REALITES SOCIALEMENT
CONTRASTEES .............................................................................................................................76
4.1. Retour au travail et maintien en emploi après un cancer dans la littérature ...................................76
4.1.1. Constat d’une situation professionnelle dégradée après un diagnostic de cancer ........................................ 76
4.1.2. Facteurs associés à une sortie de l’emploi ................................................................................................... 77
4.2. Des difficultés qui perdurent : résultats de l’enquête VICAN5 ........................................................79
4.2.1. Constat transversal du maintien en emploi .................................................................................................. 79
Une personne sur cinq en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus cinq ans après. .......... 79
Parmi ceux en emploi à cinq ans, un quart a réduit, voire changé, son activité professionnelle 83
4.2.2. Analyse longitudinale : description des trajectoires .................................................................................... 85
Différentes trajectoires professionnelles après le diagnostic...................................................... 85
Zoom sur le (non-)recours aux arrêts-maladie ........................................................................... 87
Identification de cinq principales transitions entre le diagnostic et cinq ans après .................... 89
4.3. Zoom sur les déterminants de la sortie de l’emploi et de la réduction du temps de travail .............91
4.3.1. Des différences médicales qui perdurent ..................................................................................................... 91
Moins de 6 personnes sur 10 sont en emploi non-réduit à l’enquête ......................................... 94
Des séquelles qui impactent la vie professionnelle à moyen terme ........................................... 96
4.3.2. Le cancer révèle des vulnérabilités socioprofessionnelles ........................................................................... 97
Des facteurs qui varient selon la classe d’âge ............................................................................ 97
Zoom sur une population spécifique : les travailleurs indépendants .......................................... 98
4.4. Des facteurs différents selon les transitions ...................................................................................102
Se maintenir dans le même emploi .......................................................................................... 102
Occuper à l’enquête un emploi différent du diagnostic ........................................................... 103
Être au chômage cinq ans après le diagnostic .......................................................................... 103
Avoir transité vers une situation inactive pour invalidité......................................................... 104
De l’emploi au diagnostic vers l’inactivité cinq ans après ....................................................... 104
4.5. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................108
CHAPITRE 5. PRECARISATION FINANCIERE APRES LE DIAGNOSTIC : UN EFFET « DOUBLE-PEINE » POUR LES
PERSONNES VULNERABLES .......................................................................................................111
5.1. Revue de littérature ........................................................................................................................111
5.2.1. Un sujet peu documenté en France ............................................................................................................ 111
5.2.2. Précarité financière et vulnérabilité sociale : mobilisation de la théorie des causes fondamentales .......... 112
5.2. Evolution de la situation financière à cinq ans du diagnostic ........................................................114
5.2.1. Défis méthodologiques dans la considération des données financières et résultats descriptifs.................. 114
Traitement des données manquantes et des données partielles ................................................ 114
Cinq ans après le diagnostic, un cinquième des personnes interrogées a connu une diminution de
ses ressources........................................................................................................................... 117
317
5.2.2. Une diminution qui s’observe également chez les personnes qui se sont maintenues en emploi .............. 118
Revenu disponible par individu et revenu du travail : des stratégies de compensation ? ......... 118
Facteurs associés à une diminution du revenu disponible par individu ................................... 119
Une diminution des revenus qui intervient à plus de deux ans du diagnostic .......................... 124
5.3. Les mesures subjectives de l’évolution des revenus et de la situation financière : un complément aux
mesures objectives .......................................................................................................................................125
5.3.1. Aisance financière ..................................................................................................................................... 126
5.3.2. Variation perçue ........................................................................................................................................ 128
5.3.3. Variation des revenus professionnels et impact perçu de la maladie ......................................................... 129
Ecart entre la mesure objective et la mesure subjective ........................................................... 129
Analyses longitudinales ........................................................................................................... 129
5.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................131
CHAPITRE 6. VALEUR HEURISTIQUE D’UNE ANALYSE AU PRISME DU GENRE .................................................133
6.1. Maladie sexuée et différences de sexe au travail : un effet de genre ? ...........................................134
6.1.1. Genre et travail .......................................................................................................................................... 134
6.1.2. Genre et cancer .......................................................................................................................................... 135
6.1.3. Quelle place pour le genre dans la relation cancer-travail ? ...................................................................... 136
6.2. Avoir un cancer et être une femme : un cumul des handicaps au travail ? ....................................138
6.2.1. Approche par la théorie de l’intersectionnalité .......................................................................................... 138
6.2.2. Résultats de l’enquête VICAN : des disparités femmes-hommes dans l’évolution de la situation
professionnelle. ....................................................................................................................................... 141
Recours aux arrêts maladie plus fréquent chez les femmes ..................................................... 141
Après un diagnostic de cancer, maintien plus fréquent des femmes en emploi : un résultat des
inégalités de genre ? ................................................................................................................ 142
Effets de l’âge et de la situation familiale différents entre les hommes et les femmes : la
distribution de l’offre de travail au sein du couple en question ............................................... 145
Des facteurs de sortie d’emploi au-delà du sexe ...................................................................... 146
6.2.3. Des conditions de maintien en emploi différentes selon le sexe : étude des personnes toujours en emploi à
cinq ans du diagnostic. ............................................................................................................................ 150
Après un diagnostic de cancer, le temps partiel reste l’apanage des femmes… au détriment des
hommes ? ................................................................................................................................. 150
Les écarts de PCS et les écarts de salaire entre les hommes et les femmes restent stables : signe
d’un impact indifférencié du cancer ? ...................................................................................... 151
Précarisation générale de la situation des femmes ................................................................... 154
Différence de perception selon le sexe .................................................................................... 155
6.3. Spécificité des femmes atteintes d’un cancer du sein .....................................................................157
6.3.1. Le cancer du sein aurait un impact spécifique sur la vie professionnelle .................................................. 157
6.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................158
318
CONCLUSION DE LA PARTIE 2 : DE L’INTERET DE L’ANALYSE DE LA VULNERABILITE .....................................160
Identification des populations à risque .......................................................................................................160
Synthèse des principaux résultats ............................................................................................................................ 160
Limites de ces études ............................................................................................................................................... 162
La maladie révèle les vulnérabilités ............................................................................................................163
De l’assistance à l’accompagnement ....................................................................................................................... 164
PARTIE 3. LEVIER DE LA REPRISE DE L’ACTIVITE PROFESSIONNELLE APRES UN DIAGNOSTIC
DE CANCER : ANALYSE D’UN PROCESSUS BIOGRAPHIQUE ............................................166
CHAPITRE 7. LES LEVIERS DU MAINTIEN EN EMPLOI APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER ...............................167
7.1. Résultats de recherches interventionnelles et dispositifs disponibles en France : état des lieux des
ressources pour favoriser le maintien en emploi.........................................................................................167
7.1.1. Interventions en faveur du maintien en emploi : revue de littérature ......................................................... 167
7.1.2. Présentation des dispositifs nationaux en France ...................................................................................... 169
7.2. L’aménagement du travail : un outil pour égaliser les capabilités ? .............................................171
7.2.1. Ancrage théorique : l’approche par les capabilités de Sen ........................................................................ 171
7.2.2. L’aménagement du travail, un dispositif d’accès socialement différencié ................................................ 175
7.2.3. Un outil de maintien en emploi ?............................................................................................................... 178
7.2.4. A quel prix ? .............................................................................................................................................. 182
7.3. Des initiatives locales et nationales ...............................................................................................186
7.3.1. Des interventions auprès des personnes malades....................................................................................... 186
7.3.2. Des interventions auprès des entreprises ................................................................................................... 188
7.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................192
CHAPITRE 8. MODELE THEORIQUE DU RETOUR AU TRAVAIL APRES UN DIAGNOSTIC DE CANCER : L’APPORT
D’UNE APPROCHE PAR LA MOTIVATION .....................................................................................195
8.1. Modèles théoriques du rapport santé et travail .............................................................................196
8.1.1. Approche individuelle de la relation cancer et travail ............................................................................... 196
8.1.2. Modèles théoriques du rapport entre les conditions de travail et la santé mentale des travailleurs pour une
meilleure compréhension de la motivation professionnelle post-diagnostic de cancer ........................... 199
Le modèle demande-contrôle-soutien de Karasek et Theorell (1990) ..................................... 200
Le modèle effort-récompense de Siegrist (1996) ..................................................................... 201
Le modèle demandes-ressources de Demerouti (2001) ........................................................... 201
8.2. Modèle théorique « Processus motivation - reprise du travail » après un diagnostic de cancer ...204
8.2.1. Le diagnostic de cancer, un point de bifurcation ? .................................................................................... 204
319
8.2.2. Modèle synthétique du retour au travail après un diagnostic de cancer : pour une prise en compte du processus
................................................................................................................................................................ 206
Contexte économique et social ................................................................................................ 209
Caractéristiques individuelles .................................................................................................. 210
Caractéristiques médicales ....................................................................................................... 211
Environnement professionnel et caractéristiques de l’emploi occupé avant le diagnostic ....... 213
Intersections des dimensions sociales, médicales et individuelles ........................................... 214
CHAPITRE 9. LA MOTIVATION, ELEMENT CENTRAL DU PROCESSUS DE RETOUR AU TRAVAIL .........................217
9.1. La motivation : fruit de construits sociaux et individuels...............................................................217
9.1.1. L’expérience de la maladie, un principe explicatif de la motivation ......................................................... 217
« je veux que la parenthèse [de la maladie] soit fermée » ........................................................ 218
« J’ai fait le deuil de ma vie d’avant » : accepter une nouvelle échelle de normalité .............. 220
Modifier sa trajectoire professionnelle pour donner du sens à la maladie ............................... 222
9.1.2. S’apprivoiser et adapter sa reprise ............................................................................................................. 222
La peur de ne pas être à la hauteur ........................................................................................... 223
Préserver sa santé et savoir s’adapter ....................................................................................... 223
9.1.3. Rapport au travail et à l’emploi, troisième élément constitutif de la motivation ....................................... 224
Donner du sens à son travail .................................................................................................... 224
Un déséquilibre entre investissement et reconnaissance, facteur de bifurcation professionnelle
................................................................................................................................................. 226
Le soutien social au travail, un modérateur de l’effet négatif de la maladie sur le rapport au
travail ? .................................................................................................................................... 230
9.2. Décision de reprise : quelle place à la motivation individuelle ? ..................................................232
9.2.1. Confrontation de la logique profane à la logique médicale ....................................................................... 232
« C’est le médecin qui donne son feu vert » ............................................................................ 233
Une affaire de négociation ....................................................................................................... 234
9.2.2. L’entourage : un soutien plus qu’un acteur de la décision ......................................................................... 236
9.2.3. Le patient acteur principal de sa poursuite professionnelle ....................................................................... 237
Une plus grande liberté de décision pour « une maladie légitime » ? ...................................... 237
Des calculs bénéfices-risques .................................................................................................. 238
9.3. Processus de reprise : des allers-retours parfois nécessaires ........................................................239
9.3.1. Evolution de la motivation au fil des mises en actions .............................................................................. 239
Une ouverture des possibles puis… un retour à la réalité pour certains ................................... 239
Expérience de l’échec .............................................................................................................. 241
9.4. Synthèse des résultats et conclusion ...............................................................................................244
CONCLUSION DE LA PARTIE 3 : CONSTRUCTION INDIVIDUELLE ET SOCIALE DE LA VULNERABILITE ................247
La vulnérabilité au service des « capabilités » ...........................................................................................247
Synthèse des principaux résultats ............................................................................................................................ 247
320
Limites de ces études ............................................................................................................................................... 249
CONCLUSION GENERALE .............................................................................................................................250
Synthèse des résultats ..................................................................................................................................250
Implications en santé publique ....................................................................................................................252
Pour un accompagnement personnalisé ................................................................................................................... 253
Pour une spécification des indicateurs ..................................................................................................................... 254
Perspectives de recherche ...........................................................................................................................254
Enquêter par cohortes .............................................................................................................................................. 254
Favoriser la recherche interventionnelle .................................................................................................................. 255
Quid des actifs non occupés et des inactifs au moment du diagnostic ?................................................................... 255
Un sujet ancré dans l’actualité ...................................................................................................................256
Transformation du travail et de l’emploi dans nos sociétés ..................................................................................... 256
Evolution du système de protection sociale ............................................................................................................. 261
BIBLIOGRAPHIE ..............................................................................................................................................263
ANNEXES ...........................................................................................................................................................281
I. DOCUMENTS D’AIDE A LA COMPREHENSION .............................................................................283
I.1. Présentation des participants aux enquêtes ...................................................................................283
Annexe 1. Organigramme VICAN ........................................................................................................... 283
Annexe 2. Principales caractéristiques de la population VICAN5 à l’étude (% col.) ............................... 284
Annexe 3. Principales caractéristiques des participants à l’enquête CAREMAJOB ................................ 287
I.2. Supports méthodologiques .............................................................................................................290
Annexe 4. Codes SNIIRAM utilisés pour la construction de certains indicateurs médicaux (INCa, 2018)
.............................................................................................................................................. 290
Annexe 5. Grille d’entretien de l’enquête CAREMAJOB ........................................................................ 291
Annexe 6. Support de présentation distribué aux personnes éligibles à l’enquête CAREMAJOB ........... 295
Annexe 7. Formulaire d’information et de consentement......................................................................... 296
Annexe 8. Tableau récapitulatif des dispositifs disponibles en France ..................................................... 300
I.3. Compléments d’information ...........................................................................................................303
Annexe 9. Glossaire ................................................................................................................................. 303
Annexe 10. Version détaillée du modèle « Motivation – Reprise du travail » ........................................... 306
II. LISTE DES PRODUCTIONS SCIENTIFIQUES REALISEES OU EN COURS ...........................................307
Annexe 11. Articles de revues .................................................................................................................... 307
Annexe 12. Autres publications ................................................................................................................. 308
Compte rendu d’ouvrage ......................................................................................................... 308
Chapitres d’ouvrage collectif ................................................................................................... 308
321
Annexe 13. Communications ..................................................................................................................... 309
Communications affichées ....................................................................................................... 309
Communications affichées commentées .................................................................................. 309
Communications orales scientifiques ...................................................................................... 309
III. AUTRES PRODUCTIONS .............................................................................................................311
Annexe 14. Communications orales de valorisation (invitations) .............................................................. 311
ABSTRACT .........................................................................................................................................................312
Retour au travail et maintien en emploi après un diagnostic de cancer : des trajectoires
socialement différenciées
Chaque jour en France, plus de quatre-cents personnes actives ou en âge de l’être apprennent qu’elles ont un cancer.
Or, plusieurs études françaises et internationales mettent en lumière l’impact négatif de la maladie sur la vie
professionnelle, ce qui positionne le sujet du retour au travail et du maintien en emploi après le diagnostic d’un cancer
au cœur d’enjeux sociaux, mais aussi politiques puisqu’il constitue un des objectifs du 3ème Plan Cancer. En moyenne,
ces études estiment que près d’un quart de la population en emploi au moment du diagnostic ne l’est plus deux ans
après. Ce taux varie entre 8 % et 40 % selon les études et les pays mais également selon les caractéristiques
socioprofessionnelles et médicales des populations enquêtées (Paltrinieri et al., 2018). Malgré un intérêt grandissant
des sciences sociales et médicales pour ce sujet, la plupart des études françaises s’intéressent à des populations
restreintes (parmi lesquelles les femmes atteintes d’un cancer du sein sont les plus représentées) sur des périodes
d’observation relativement courtes (inférieures à 2 ans du diagnostic). Dans ce contexte, cette recherche doctorale a
pour objectif de participer à la compréhension des difficultés rencontrées par les personnes atteintes de cancer dans
la poursuite de leur vie professionnelle en dépit des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics. Afin d’apporter
une vision complète du sujet, cette recherche se veut transdisciplinaire : elle s’inspire de théories de santé publique,
sociologique mais également économique, et mobilise des méthodes mixtes alliant analyses quantitatives et
qualitatives. Ces analyses reposent exclusivement sur deux sources de données : l’enquête nationale VICAN5,
conduite par l’Institut National du Cancer et l’enquête CAREMAJOB réalisée dans le cadre de ce travail doctoral.
VICAN5 est une enquête transversale réalisée par questionnaires auprès de personnes diagnostiquées d’un cancer en
2010/2011 et interrogées sur leurs conditions de vie cinq ans après, tandis que CAREMAJOB est une enquête
longitudinale pour laquelle deux séries d’entretiens semi-directifs ont été réalisés à six mois d’intervalle auprès de
personnes en emploi au moment du diagnostic de leur cancer. Nos résultats corroborent ceux de la littérature : les
personnes ayant les caractéristiques socioéconomiques les moins favorables sont les plus vulnérables face au
maintien en emploi à distance du diagnostic. En complément, cette recherche soutien l’intérêt de considérer des
indicateurs complémentaires au taux de retour au travail pour caractériser la situation professionnelle post-diagnostic,
tels que les parts d’emplois réduits et de changements de poste ou encore l’évolution de la situation financière. En
outre, l’approche individuelle souligne le rôle actif du patient tout au long du processus de retour au travail.
L’intersection subjective de ses expériences, de la maladie et du travail, construit progressivement sa motivation à
reprendre une activité professionnelle. Néanmoins, la capacité individuelle à se maintenir en emploi peut être altérée
par l’accès socialement différencié aux dispositifs d’aide, tels que les aménagements du travail qui, d’après nos
résultats, favorisent le maintien en emploi à moyen terme. Dans une perspective de politiques publiques, cette thèse
plaide pour un accompagnement personnalisé des personnes atteintes de cancer qui doit être réalisé précocement
dans le processus de retour au travail, et ce, afin de prendre en considération simultanément les inégalités
socioprofessionnelles et les motivations individuelles. Plus précisément, une attention spécifique doit être portée aux
travailleurs indépendants, aux femmes, aux individus disposant d’un faible statut socioéconomique et à ceux ayant
des conditions de travail délétères avant même la survenue de la maladie.
Mots clés : Cancer, Retour au travail et maintien en emploi, Trajectoires professionnelles, Inégalités sociales.