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GEORGES GORSE RETOUR EN GRECE OU LA DEFAITE DE SAMOTHRACE L es oiseaux d'or suivent le bateau d'une île à l'autre. Peut- être, Cyclades, tournent-ils en rond autour de Délos, jadis nombril du monde. Horreur : notre monde n'a plus de nombril ! Ni Délos, ni Rome, ni Paris, ni New York, ni Moscou. Peut- être la Côte des Pirates ? A Délos, seuls les lions ont survécu aux désastres, même aux plus grands, l'indifférence et l'abandon : ils rugissent la nuit quand les touristes sont partis et que nul ne peut les entendre, sous l'œil fixe d'Apollon, étoile polaire de la voûte marine. Les îles, apparemment désertes pour décourager les pirates, camouflent leurs villages derrière les crêtes ou dans les failles des rochers : une maison blanche, plus audacieuse, risque un œil dont les vitres accrochent le soleil et lancent des signaux optiques. L a mer est un peu savonneuse et se couvre de cette légère écume qu'Homère appelait « phlosbos ». Le capitaine du bateau arrose un pot de géraniums. En ce printemps de l'an de disgrâce 1979, l'on avait fait grand bruit pour élire une Assemblée européenne dont on ne savait au juste où elle siégerait, puisque l'Europe n'a pas de nombril, ni ce qu'elle aurait à faire. Les plus enthousiastes affir- maient, pour mieux convaincre, que la décision ne tirait pas à conséquence. Les plus hostiles prédisaient, comme Cassandre, de grands maux et n'étaient, comme elle, que distraitement écoutés. Le résultat déçut tout un chacun : nous n'eûmes pas grand succès, les autres non plus d'ailleurs. Le dieu qui nous boudait ne visita pas Mme Simone Veil. Nul taureau n'enleva Europe.

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GEORGES GORSE

RETOUR E N GRECE OU

L A DEFAITE DE SAMOTHRACE

L es oiseaux d'or suivent le bateau d'une île à l'autre. Peut-être, Cyclades, tournent-ils en rond autour de Délos, jadis

nombril du monde. Horreur : notre monde n'a plus de nombril ! N i Délos, ni Rome, ni Paris, ni New York, ni Moscou. Peut-être la Côte des Pirates ? A Délos, seuls les lions ont survécu aux désastres, même aux plus grands, l'indifférence et l'abandon : ils rugissent la nuit quand les touristes sont partis et que nul ne peut les entendre, sous l'œil fixe d'Apollon, étoile polaire de la voûte marine. Les îles, apparemment désertes pour décourager les pirates, camouflent leurs villages derrière les crêtes ou dans les failles des rochers : une maison blanche, plus audacieuse, risque un œil dont les vitres accrochent le soleil et lancent des signaux optiques. L a mer est un peu savonneuse et se couvre de cette légère écume qu'Homère appelait « phlosbos ». Le capitaine du bateau arrose un pot de géraniums.

En ce printemps de l'an de disgrâce 1979, l'on avait fait grand bruit pour élire une Assemblée européenne dont on ne savait au juste où elle siégerait, puisque l'Europe n'a pas de nombril, ni ce qu'elle aurait à faire. Les plus enthousiastes affir­maient, pour mieux convaincre, que la décision ne tirait pas à conséquence. Les plus hostiles prédisaient, comme Cassandre, de grands maux et n'étaient, comme elle, que distraitement écoutés. Le résultat déçut tout un chacun : nous n'eûmes pas grand succès, les autres non plus d'ailleurs. Le dieu qui nous boudait ne visita pas Mme Simone Vei l . Nul taureau n'enleva Europe.

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Je vins en Grèce. C'est le refuge de nos joies et de nos peines, de nos amours heureuses ou malheureuses, de nos dégoûts politiques, de nos désespoirs métaphysiques. C'est là qu'il convient de se retrouver, de se trouver. « Gnôthi seauton » disait l'oracle de Delphes, connais-toi toi-même. Bernard-Henri Lévy affirme que ce n'est pas ainsi qu'il faut entendre, mais n'est-ce pas mieux comme cela ? Le soleil, la mer, la nuit, sont des haltes dans le temps, dans le cours des événements plus ou moins graves. Je vins donc en Grèce, pour « me changer les idées ». Mais la Grèce venait de s'unir aux Communautés européennes. Plaise aux dieux grecs que les techniciens du Marché commun n'imposent pas leurs nor­mes au miel de l'Hymette (dont chacun sait combien i l diffère de celui d'Epidaure). Goût européen ! Peut-être le vin de Santorin, sang noir du volcan, entrera-t-il à son tour dans le mélange obscur vendu sous cette étiquette : « produit de divers crus de la Commu­nauté européenne »... Et puis, je retrouvai les traces de Démos-thène, poursuivi à Poros par les soldats d'Antipater.

Rien n'est jamais semblable à rien et, comme le disaient les Ephésiens, nous ne nous baignons jamais deux fois au même fleuve. Aucune analogie donc entre mes soucis et ceux de la Grèce déclinante. Ses cités désunies parlaient la même langue, même si l'on blaguait le dialecte béotien. Philippe de Macédoine était demi-barbare, mais son fils fut l'élève d'Aristote. Et pour­tant, la polémique qui opposa Démosthène aiguillonnant en vain les Athéniens à Eschine, stipendié du parti de l'étranger, et aussi à Isocrate, dont l'idéal panhellénique était sincère, garde un parfum d'actualité. Les événements donnèrent raison à Eschine, car seule une puissance militaire était capable de « faire la Grèce », et à Isocrate, car la fin d'Athènes était le prix à payer pour la gloire d'Alexandre et l'hellénisation de l'Asie. Mais i l est une histoire parallèle à l'autre, celle que retient la mémoire des hommes. Bizarrement, de cette grande querelle c'est le nom de Démosthène, le vaincu de l'Histoire, qui a survécu.

C'est à lui que Clemenceau se référait, tout naturellement, pour secouer les Français. Michel Debré eût-il tenté semblable rappel que cela n'eût convaincu personne. L a référence à l 'Anti­quité n'est plus de mise aujourd'hui. Quel fossé en un demi-siècle ! Clemenceau, polémiquant contre Jaurès, évoquait Amphion qui, au son de la lyre, édifiait les murs de Thèbes, et les honorables

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parlementaires souriaient de plaisir. Aux jours sombres de 1940, un vieil helléniste, Pierre Jouguet, me confia qu'il venait d'écrire « un pamphlet très violent » contre le régime de Vichy sous le titre Une révolution dans la défaite ; j 'y lus avec intérêt qu'il s'agissait de la révolution des Trente à Athènes. Ainsi se référait-on naguère, dans les plus graves questions, à ce monde familier. Aujourd'hui la simple citation au Parlement des pages roses du Petit Larousse provoque une stupeur incrédule (tes pages roses, c'est un peu de la pornographie) : seul M . le président de la commission des lois s'y risque quelquefois. Ambassadeur en Alger, je m'amusais à m'entretenir en latin, par le téléphone, avec le même Jean Foyer alors garde des Sceaux : c'était, nous sem­blait-il, le plus sûr moyen de décourager les nombreux services d'écoutes...

L es causes de cet abandon de la culture gréco-latine sont multiples. Le marxisme nous a amenés à situer l'âge d'or dans

l'avenir et non plus dans le passé. « Savez-vous, disait encore Clemenceau, à quoi l'on reconnaît un discours de M. Jaurès ? Tous les verbes sont au futur. » Jusqu'alors, le grand mythe hu­main de l'âge d'or se référait à quelque paradis perdu d'avant le règne de Saturne ou à l'Eden d'avant la chute. Renan lui-même, qui pourtant rêvait le Progrès comme ses contemporains, fit sa prière sur l'Acropole, d'ailleurs insipide. L'émergence du tiers-monde a ouvert le « concert des nations » à des pays fort éloi­gnés de notre vieille chanson. Enfin, quel est l'événemenut le plus important dans l'histoire de ces cinquante dernières années ? Dites ! L a guerre de 1939 ? Le partage du monde à Yalta ? Le réveil de la Chine ? L'homme sur la Lune ? Vous n'y êtes pas : c'est l'abandon du latin par l'Eglise. Depuis Alaric, la deuxième prise de Rome par les Barbares.

Que savent, même de l'art antique, nos contemporains? Les Français connaissent la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace. Voyons cela d'un peu plus près. Cette dame sans tête, magnifiquement drapée, fend l'air et les eaux. Les embruns et le vent (un « meltem » du mois d'août) plaquent son voile sur ses robustes cuisses. On peut s'interroger sur les raisons qui ont amené les Grecs (et presque tous les peuples du monde) à

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féminiser la Victoire. Repos du guerrier ? Ces anges sexués sont en tout cas plus gais que les statues des généraux. On peut pré­férer la Victoire de Samothrace au monument Leclerc. Mais qui est-elle ? Quelle victoire, remportée sur qui, commémore-t-elle ? Nul ne le sait au juste, si grande fut la confusion de ce temps où, après le démembrement de l'empire d'Alexandre (tiens, l'Europe s'était déjà défaite ?...), les tyranneaux locaux guerroyaient entre eux. Les périodes de transition échappent aux manuels d'histoire car elles sont en fin de programme et on les expédie à la hâte. Ce sont pourtant les plus passionnantes. « Ma chère, disait Adam à Eve en l'entraînant hors du Paradis terrestre, nous vivons une époque de transition. » Ainsi vivons-nous, nous aussi, une épo­que de transition... En ce troisième siècle avant notre ère, i l semble qu'un certain Demetrios Poliorcète ait remporté de nombreux succès sur ses rivaux, et que la bataille ainsi commémorée se soit déroulée quelque part entre le rocher de Samothrace et l'île plate de Lemnos. Celle-ci s'enorgueillit aujourd'hui d'un charmant hôtel tenu par un rapatrié d'Alexandrie (comment dit-on « pied-noir » en grec ?). J'y abordai un jour sans méfiance ; mais je me souvins aussitôt de cette tragédie de Sophocle où Polyctète se la­mente longuement pour avoir été abandonné sur cette île inhospi­talière. Etant sensible à ce genre de choses, je refis ma valise... V a donc pour Demetrios vainqueur, mais les vaincus de Samo­thrace, qui étaient-ils ? Car la victoire de Samothrace fut une dé­faite pour d'autres. J'avoue avoir assez de sympathie pour les vaincus de Samothrace. Leur femmes ont dû pleurer. Peut-être avaient-elles les oreilles en sang comme les filles de cette petite île près des côtes de Sicile que les Grecs prirent à Carthage. Les soldats, trop pressés pour leur ôter délicatement leurs boucles et leurs pendentifs, les arrachaient en tirant dessus... L a Défaite de Samothrace, quel beau titre pour un essai mélancolique sur une époque de transition !

Quant à la Vénus de Milo, on imagine mal que cette Aphro­dite fut un jour l'ornement d'une villa de cette île à l'abord si rude. Sa proue est une haute falaise blanche, veinée d'orange, que gardent deux écueils en forme d'ours. Pourtant, quand s'ouvre la baie, la ligne des crêtes s'incurve avec la mollesse d'une épaule. Voic i des plages, propices aux ébats des grands barbares blonds venus du Nord comme les anciens Achéens. « Punks » et « baba-

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cools », les deux branches rivales issues du tronc commun des hippies (descendants peut-être de cet Hippias auquel Platon con­sacra un Dialogue) ont établi leur quartier général à los. Bientôt, leurs jeunes compagnes, rejetant leurs voiles légers, viendront de leurs seins hâlés et périssables éclipser un instant les seins blanc pur du marbre de Paros.

« Toi, plus blanche cent fois qu'un marbre de Paros, Néère, dans mon cœur tu fais naître un paro­xysme d'amour brûlant comme l'est une lave... »

chantait un petit romantique épris de blancheur. Piriformes ou pomiformes ? Dans une églogue de Théocrite, le berger dit à la bergère : « Je tiens deux pommes dans mes mains. » U n éminent professeur de Sorbonne avait longuement médité sur ce vers d'in­terprétation difficile. « Faut-il croire, disait-il gravement, qu'ils sont assis à l'ombre d'un pommier ? ... Mais la scène ne se situe pas en automne ; et faut-il croire qu'il y avait, à cette époque, des pommiers en Sicile ? ... »Pas de pommiers à Mi lo mais des théories de familles endimanchées et piaillantes, venues célébrer le culte de la Vierge et assister à la procession annuelle.

Pendant la dernière guerre, les sous-marins allemands trou­vèrent dans cette baie un abri sûr. Il faut donc relire Thucydide, le premier historien moderne, car la guerre interminable que se l i ­vrèrent Athènes et Sparte ressemblait fort à celle que nous avons vécue : une grande puissance maritime et une grande puissance terrestre cherchant en vain à se porter des coups décisifs et pen­dant longtemps échappant l'une à l'autre. Mi lo , ou Mélos, vou­lait être neutre. Les ambassadeurs d'Athènes vinrent un jour expliquer crûment que c'était impossible et que, pour de hautes raisons stratégiques, i l fallait se soumettre, sinon... Leur dialo­gue avec les Méliens, tel que le rapporte Thucydide, nous don­nerait, si nous n'en avions vu d'autres, le plus parfait exemple de cynisme politique. Les Méliens subirent le même sort que les habitants d'Egine, coupables d'être, selon le mot de Périclès, « une taie dans l'œil d'Athènes ». Tendres Athéniens, dont toute la Grèce célébra l'humanité quand, réprimant la révolte de Mytilène, ils ne tuèrent qu'un homme sur dix ! L'histoire a imposé l'image d'une Athènes aimable et démocrate et d'une Sparte brutale et « fasciste ». Du moins les Spartktes enivraient-ils leurs esclaves, ce qui les égayait un peu, et laissaient-ils leurs filles se montrer

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les cuisses nues. Et tous les bons esprits de l'époque, même l'in­telligentsia d'Athènes, « laconisaient » volontiers. Si brève fut la durée de l'état de grâce athénien ; Périclès l'enterra avec les premiers morts de la guerre du Péloponnèse, dont i l dit sans rire que c'était une « acquisition pour toujours ».

a mère des démocraties », susurrait une speakerine de la télévision, par courtoisie pour le président Tsatsos, en visite

à Paris. Le garde des Sceaux donna en son honneur un déjeuner farci de tout ce que l'Académie des sciences morales et politiques compte de plus éminent. On y fit assaut de références à l'antique. Le président grec, portant un toast à la fille aînée de l'Hellade, saisit « l'occasion qui lui était offerte » de démolir l'image que l'on se fait communément de Platon. Non, Platon n'est pas pla­tonicien, non, on n'a jamais bien lu la République, non... Je ne sais trop qu'en penser. Je me demande pourquoi personne n'a songé à porter à la scène les Dialogues de Platon, puisqu'il s'agit, au moins théoriquement, de dialogues. Que l'un des personnages soit quasiment muet ou à peu près idiot, cela n'est pas pour em­barrasser nos metteurs en scène modernes, qui en ont fait d'autres, le Neveu de Rameau, par exemple : imaginez ce que donnerait, de préférence dans une gare désaffectée, le Théétète ou le Timée ! Mais je comprends l'exaspération du président Tsatsos, et j'aime­rais qu'un président français féru de philosophie dise un jour qu'il en a assez d'entendre toujours parler de Descartes à propos de la France. Non, la France n'est pas « cartésienne » au sens où le vul­gaire l'entend. Dieu merci, elle est un peu folle. Non, Descartes n'avait rien de « cartésien » ; i l était rose-croix et fit dit-on un enfant à sa bonne. Et i l y a une ironie cartésienne comme i l y a une ironie socratique. Exemple : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée »...

Parlons donc de la démocratie grecque. Elle se fondait le plus souvent sur le tirage au sort des assemblées. Nest-ce pas le meilleur système ? L a raison d'être d'une assemblée est d'être l'image aussi fidèle que possible de la nation, d'être le pays tout entier miniaturisé avec ses qualités et ses défauts. Pour être plei­nement représentative, elle devrait donc comporter la propor­tion la plus juste de génies et d'idiots, d'adonis et de bancals, de

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diserts et de bègues, d'hommes d'affaires et de clochards. Le sort est le distributeur le plus impartial de la justice, le moins soumis aux passions. A u lieu que la passion des campagnes élec­torales, la sympathie ou l'antipathie que soulèvent les candidats, le talent même qu'ils déploient, risquent de fausser le jeu. Nous avons reconnu l'intérêt du tirage au sort pour la composition des jurys criminels ; ce qui vaut pour la liberté et la vie des individus serait-il mauvais pour la prospérité des citoyens ? Evidemment, le léger élément de hasard qu'introduit le tirage au sort des députés, et qui serait l'apport personnel des dieux, appellerait quelques corrections. Peut-être qu'en y mêlant un peu de représentation proportionnelle ? L'idéal, ce serait un système Périclès remanié par Lecanuet.

Elle était pleine de bonnes idées, cette démocratie grecque. J'en vois deux, en particulier, qui pourraient heureusement, mu-tatis mutandis (1), être reprises aujourd'hui. D'abord en matière de contributions. Le montant des impôts que payait chaque ci­toyen d'Athènes était affiché et connu de chacun (je me demande, au fait, si nous n'avons pas en France une disposition de ce genre ? A défaut, les gazettes se chargent de cette publicité...). Lorsqu'un contribuable s'estimait imposé à l'excès par rapport à son voisin, i l pouvait proposer Yantidosis, c'est-à-dire l'échange des fortunes et des feuilles d'impôts. Je doute que cette disposition ait été sou­vent appliquée en Grèce. Mais je pense qu'il y a là matière à ré­flexion pour les énarques (quel beau nom grec !) du ministère du Budget.

Une autre pratique amusante était celle de l'ostracisme. Quant un citoyen déplaisait, ou gênait, ou trahissait, ou ennuyait, on votait contre lai l'exil. C'est ainsi que, lassés de s'entendre répéter qu'Aristide était un homme juste, qui parlait juste et voyait juste, les Athéniens décidèrent de s'en débarrasser. On re­connaît bien là ce goût de la mesure si cher aux Grecs (et, dit-on, aux Français) : rien de trop, même dans la vertu. Quelle

(1) Encore un bel exemple de locution dangereuse ! Elle valut, on s'en souvient peut-être, à un professeur français du Caire d'être accusé de vouloir renverser le régime de Nasser. Parmi les pièces à conviction figurait un article rédigé par lui qui concluait en ces termes : « Cette analyse peut s'appliquer, mutatis mutandis, à l'Egypte. » Une traduction hâtive en arabe amena les enquêteurs à conclure qu'on voulait « changer ce qu'il faut changer », c'est-à-dire évidemment faire la révolution.

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tentation de s'inspirer de cette disposition pour se délivrer des gêneurs, des incorruptibles, des politiques qui dénoncent les périls quelques années avant les autres. On exilerait, par exemple, Michel Debré pour avoir agacé avec des histoires de démographie avant que ce ne soit à la mode, Michel Jobert pour avoir parlé trop tôt de l'indexation de l'épargne, tel ou tel pour s'être prématurément « agité ». On resterait entre soi, entre gens mesurés et raisonna­bles... Décidément, i l sera beaucoup pardonné aux Grecs parce qu'ils ont beaucoup blagué.

D'une île à l'autre, d'une cité à l'autre, si peu de distance : quel petit monde ! Toujours une portée d'oiseau. Les bourgades qui s'illustrèrent dans de si effroyables haines, Argos, Mycènes, Corinthe, Athènes, Sparte, à peu près invisibles sous les nuages de la mémoire floconneuse, les voici unies d'un même trait de vol. Pourtant, le rétrécissement du monde, la vitesse de nos dé­placements, les moyens puissants de préhension, de diffusion, de sustentation, d'accélération, mis par la technique moderne à la disposition de l'homme, pour son exaltation ou son abrutissement, n'ont que peu changé sa nature. On aime et l'on hait comme tou­jours (on ne hait bien que ses voisins). Cette extraordinaire dis­torsion entre les moyens de l'homme et ce qu'il faut bien appeler son âme est sans doute la principale cause de notre « crise de civilisation ». U n caricaturiste nous montre deux astro­nautes tout équipés, marchant vers la fusée qui doit les emporter dans la Lune : « Bon, dit l'un d'eux, je verrai tout cela à mon retour. Evidemment avec Annie c'est l'aventure, mais avec Isabelle c'est la sécurité. » L a réalité dépasse toujours la fiction et la caricature. U n cosmonaute soviétique déclarait très sérieusement qu'il n'avait point, là-haut, rencontré trace de Dieu. Et les propos de ses collègues américains, transmis grâce aux pro­diges techniques de la N A S A , furent d'une pauvreté insigne, com­me ceux de ces gens qui, entr'aperçus à la télévision, en profitent pour dire bonjour à leur tante. De si grands événements appelaient (mais pourquoi, au fait ?...) des impressions inédites, des images neuves et des propos inouïs. L a découverte du Nouveau Monde, comme l'exploration de l'Ancien, avait mar­qué la Renaissance, rajeuni le mythe du bon sauvage, posé en ter­mes nouveaux le débat sur la Grâce, bref amené la pensée occiden­tale à quelques interrogations nouvelles. I l n'apparaît pas que la

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conquête de l'espace ait beaucoup dérangé notre confort intellec­tuel et changé notre petite âme, Yanimula vagula, blandula, chère à Marguerite Yourcenar. Dans l'ordre des passions, peu de progrès ont été faits depuis Mycènes, toute noire encore de la malédiction des Atrides. L'échelle humaine, petitement, gravement humaine, nous est encore donnée par les drames des cités grecques. D'où leur valeur de référence. Oui, petit monde, mais microcosme. Ainsi procédait, pour résoudre les énigmes policières, cette vieille de­moiselle dont nous parle Agatha Christie, miss Marple, je crois : par analogie, par référence aux histoires de son village, de la mercière, du garçon boucher et du colonel en retraite tailleur de rosiers, en qui gît, à l'état larvaire, l'essentiel des grandes passions. Nous avons encore beaucoup à apprendre des Grecs sur les hommes et sur les dieux.

J e souhaitais, depuis quelque temps déjà, parler des dieux, de façon mi-sérieuse, mi-plaisante. Ainsi faut-il, selon le Tintée,

« proposer ses idées comme un conte vraisemblable ». Je dirai pourquoi j'en fus empêché.

Les Grecs engagèrent, à l'aube de la pensée moderne, le dé­bat fondamental auquel toutes nos philosophies, quand elles se sont voulues métaphysiques, n'ont ajouté que fioritures et balbu­tiements, je veux dire celui qui opposa Parménide et Heraclite, celui de l'être et du temps. Maîtres en pensée spéculative, ils régnèrent aussi — on en convient — sur les arts. Pourquoi eus­sent-ils été stupides dans le seul domaine de la religion au point d'imaginer avec tant de gratuité élégante cet étrange panthéon ? Ce peuple qui fut (et demeure) l'un des plus religieux ne connut pas de mot pour désigner ce que nous appelons religion : ce n'est qu'à l'époque hellénistique et sous d'autres influences qu'apparut la théologie. Profondes, sincères, amusées, terrifiées, distraites, leurs relations réelles avec la divinité nous sont encore mystérieuses, ayant été snobées par leurs philosophes et ignorées, pour l'essen­tiel, des choses écrites.

J'y vois deux raisons : un esthétisme excessif et l'affectation de ne point porter intérêt à la mort. L'art était, entre l'homme grec et les dieux, la médiation la plus évidente. L a statuaire attei­gnit une telle perfection (nous voici revenus à la Victoire de Sa-

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mothrace et à la Vénus de Milo) qu'ils furent prisonniers de leur réussite. Ils ne purent échapper à l'anthropomorphisme, qui n'était plus pour eux une donnée primitive, l'incapacité de figurer au­trement le divin, mais le terme d'une élaboration où ils se com­plaisaient. Ces statues sont corps glorieux, déjà ressuscites, trans­figurés, transmutés... L a mort, en revanche, qui contraint à la ré­flexion sur les dieux, ne pesa que très légèrement sur les Grecs. Les Egyptiens avaient fondé toute une civilisation sur l'idée de la mort ; les Grecs en eurent une extrême pudeur et la mirent entre parenthèses. Leurs stèles sont d'une élégance à peine triste : le défunt y est toujours représenté vivant, dans ses occupations familières. Les morts vivent une forme affaiblie, usée, de la vie terrestre, dans un au-delà décoloré, sous un climat doux (ainsi le dit Protée à Ménélas) où le vent ne souffle jamais : plus de meltem. Ils se promènent sans bruit sur les champs Elysées. Ils ne vien­nent que quand on les appelle, en creusant un trou dans la terre, où l'on verse du sang chaud ; ils boivent et reprennent pour un temps quelques couleurs. S'ils sont malheureux, c'est discrètement. A peine une lamentation d'Achille (mais i l était exceptionnellement irritable) pour dire qu'il aimerait mieux être bouvier sur terre que régner sur le peuple des ombres. On ne s'interroge guère sur l'au-delà : pas une allusion à quoi que ce soit de ce genre dans l'oraison funèbre de Périclès. Nulle inquiétude chez Sopho­cle, nulle évocation d'un ailleurs : Electre attend la justice non d'une sanction future mais d'Oreste, le libérateur terrestre. D'ail­leurs, la législation funéraire s'applique à détourner la pensée de la mort : interdit de découvrir le corps, de vociférer dans la rue, d'amener les femmes au cortège. D'autant pourtant, sans doute influencés par des apports orientaux, ne domicilient plus les morts à l'Elysée, mais dans une île bienheureuse où l'on abordera en barque. L a vie est la mer, le soleil est le roi des morts, appelés les « Occidentaux ».

« Où sont les îles des Bienheureux, le Soleil et la Lune ? » Les oiseaux criards qui jouent autour de nous sont-ils l'oie dont le vol symbolisait, pour les Egyptiens, le voyage de l'âme ? Voic i que le volcan Santorin étend, dans la baie née d'un monde effondré, son gros poulpe noirâtre. Iles, joie du fini au bord de l'infini, mondes fermés, peu soucieux de communiquer, peu désireux d'échanger. A Paros son marbre, à Naxos ses loucoums, à Pras-

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l in ses cocofesses. L'amoureux des îles, « The mon who lovea islands » de Lawrence, va de l'une à l'autre par un mouvement naturel, sempre diminuendo, de la plus grande à la plus petite, tel Napoléon de la Corse à l'île d'Elbe et à Sainte-Hélène (mais pour lui c'était contre son gré car, faute d'intériorité, i l n'aimait pas les îles où i l se sentait enfermé). Il faut savoir que chaque île se double, la nuit, d'une autre, plus secrète, que la réalité sensible recouvre d'un masque. L'amoureux des îles cherche l'île des Bienheureux jusqu'à l'atoll des Maldives ou des Tuamotou, jusqu'au rocher de guano, jusqu'à ce qu'il ait trouvé l'Idée (pla­tonicienne) de l'île...

J avais commencé à parler des dieux et je voulais agiter un peu (mens agitât molem) l'idée que le polythéisme grec mé­

ritait quelque considération. Le monothéisme « judéo-chrétien » (la formule consacrée oublie l'Islam, pour le punir d'avoir du pétrole : pourtant l'Islam est, avec le judaïsme, le vrai mono­théisme, le christianisme ayant pour sa part composé avec le paganisme, sanctifié les petits dieux locaux, modernisé la Déesse-Mère, imaginé la Trinité, cru au Diable et su concilier les con­traires, d'où son succès), le monothéisme, donc, étant par nature voué à l'intolérance, ne pouvait-on imaginer qu'une certaine forme de polythéisme s'adapterait mieux au pluralisme de notre « cul­ture », tel, par exemple, qu'il s'était si brillamment illustré en mai 68, bref constituer une expérience libératrice ? Les chrétiens avancés acceptent les bonzes de Montparnasse : ne pourraient-ils tolérer des sectateurs d'Aphrodite, Apollon, Hermès et quelques autres ?

Les hommes de la Renaissance avaient constaté qu'il était difficile de limiter le retour à l'antique au seul domaine des arts et des lettres. Les poètes de la Pléiade croyaient confusément, ironiquement, poétiquement, aux dieux et aux déesses. Un peu plus que par un simple artifice poétique. « Arrête, bûcheron, écarte un peu le bras... » Pourquoi ne pas imaginer qu'un arbre cache une dryade ? Nos écologistes y viendront. Il faut toujours croire un peu les poètes, même quand ils mentent... Certes, l'approche du trépas rendant les choses plus sérieuses, Ronsard, dans les admirables sonnets dictés à son lit de mort, en revenait au Dieu

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unique : i l ne pouvait pourtant s'interdire de diviniser la Nuit, puissance maléfique qui lui apportait l'angoisse et la douleur.

« Méchantes Nuits d'hiver, Nuits filles de Cocyte, Servantes d'Alecton, d'Encelade les sœurs... »

C'est ainsi qu'un poète maudit son cancer. Et puis, ce pouvait être une autre manière de nommer les

forces obscures que nous révélait la physique. Un ministre éphé­mère de la Quatrième République, le soudanais F i l i Dabo Sissoko, aussi sage que laid, professait l'animisme sans complexes : « Pour­quoi, me disait-il, devrions-nous obligatoirement, pour nous intégrer au monde moderne, passer d'abord par le stade du christianisme ou de l'Islam ? Le vieil animisme africain n'est-il pas plus prompt à s'adapter aux données de la pensée scientifique de ce temps ? » Ce sage est mort, fort tristement, dans un cul de basse-fosse au Mal i .

Bref, je m'apprêtais à proposer sur ce thème un essai qui eût mérité l'accueil indulgent de la Revue des Deux Mondes, lorsque je sentis que je n'étais plus à l'avant-garde qui y est si fort prisée. L'idée était dans l'air et fusait de partout. France-Culture inter­rogeait Octavio Paz : « Je ne suis pas monothéiste, disait-il. Le monothéisme, c'est l'intolérance. Le polythéisme donne le choix... » U n savant professeur américain, Daniel L . Miller, con­sacrait au polythéisme un livre fort sérieux. L a pensée monothéiste, dit-il, nous porte préjudice à une époque où le vécu devient consciemment pluraliste, c'est-à-dire exprime radicalement ceci et cela... U n historique unique, une logique monovalente, ne per­mettent pas de comprendre le sens profond des choses. Les dieux ne sont ni d'aimables allégories ni des figures de rhétorique à l'usage des moralistes. Ils ne reflètent pas non plus des attitudes psychologiques ou sociales. Ils sont plutôt « des puissances infor­mant notre existence, les structures les plus profondes de la réali­té ». Oyez encore ce trait : « Le pluralisme des dieux a une correspondance dans un pluralisme de la Société et du Moi... Le mouvement de la culture contemporaine vers la technologie se joue selon les histoires de Prométhée, d'Héphaïstos et d'Europe. »

Nos nouveaux philosophes n'avaient pas attendu pour entrer en lice. Dans un brillant essai, relevant du canular normalien, Bernard-Henri Lévy foudroyait au nom du monothéisme judéo-chrétien ceux qui seraient tentés de se référer à l'héritage grec.

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Vidal Naquet et Castoriadis dénoncèrent avec violence (et quel­ques bons arguments) ses erreurs et sa mauvaise foi. Le Nouvel Observateur ouvrit ses colonnes à la polémique où l'on se traitait respectivement de cuistres et de faussaires. L a Nouvelle Droite vint, un peu lourdement, au secours du paganisme : pour comble de malchance, l'un de ses sigles se référait à la G .R .E .C .E . . . Enfin parut le spectre de Maurice Clavel. Je compris qu'il était dan­gereux de s'aventurer sur un terrain si profondément miné. Ce temps est si sévère qu'on ne peut s'amuser en paix. Mieux valait donc, tranquillement, errer d'une île à l'autre, parfois réchauffé de l'ardeur feinte des dieux et cherchant d'un œil distrait la tête tranchée d'Orphée qui flotte sur la mer, au large de Lesbos.

L es bons esprits qui aimeraient faire revivre les dieux antiques auraient-ils plus de chances de réussir que l'empereur Julien

en ce quatrième siècle où les dieux n'étaient pas encore définiti­vement enterrés ? Cette tentative de restauration lui valut de traîner pour la postérité le qualificatif un peu sommaire d'Apostat. I l est malaisé de démêler ce qu'il y avait de sérieux, voire de convaincu, dans ce retournement (il ne faisait à vrai dire que prendre le contre-pied de celui de Constantin, vieux seulement de quelques décennies) et ce qui relevait du souci, naturel à un empe­reur, de restaurer l'Etat ; de doux et pauvres hippies, les chrétiens étaient devenus fastueux et arrogants, intolérants, déchirés entre ariens et orthodoxes. Dans ses lettres, Julien se garde bien de nous donner ses vraies raisons. I l en ressort pourtant une figure atta­chante. Cet empereur romain n'aimait pas Rome, capitale chré­tienne. Son monde, si l'on excepte quelques bons souvenirs d'étu­diant parisien, était la Grèce et l'Orient. I l s'y était refait un paganisme à sa mesure, très personnel, idéalement reconstitué, digne d'un philosophe un peu mystique, un peu socialiste. Quel beau texte que celui-ci : « Le spectacle de leur misère imméritée pousse le vulgaire à incriminer les dieux. Ce ne sont pas les dieux pourtant qui sont cause de cette pauvreté, mais bien notre insa­tiable avidité à nous qui possédons... Que voulons-nous ? Que le dieu fît pleuvoir l'or sur les pauvres, comme jadis sur les Rhodiens ? Mais si ce prodige se renouvelait, aussitôt, dépêchant nos serviteurs et présentant partout des vases, nous écarterions

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tout le reste pour être seuls à ramasser les dons communs des dieux. On aurait le droit de s'étonner que nous réclamions le re­tour d'un tel miracle, alors que nous négligeons ce qui est en notre pouvoir. »

D'Akhenaton à Robespierre, pour ne citer prudemment que ceux-là, la rencontre d'un esprit original et du pouvoir, quand elle se produit par quelque fantaisie de l'histoire, dorme d'étran­ges résultats. Julien aimait dialoguer avec les dieux. Il aimait ré­former. C'est à Antioche que sa verve s'exerça avec prédilection. Considérant que la mort est un repos et que le repos s'accommode de la nuit, i l interdisait les funérailles de jour. « Durant la jour­née, on circule dans la ville, tout est plein de monde, les uns vont au tribunal, d'autres au marché... Et c'est alors que je ne sais quels gens déposent un mort sur une civière et le promènent au beau milieu de tant d'hommes affairés !... Il y a là un abus qu'il est absolument impossible de tolérer... » Tout près, dans ce bois de Daphné que fréquentait la jeunesse dorée (il ne fallait, disait le proverbe, aller à Daphné qu'en compagnie de courti­sanes), i l voulut écouter les oracles qui naguère jaillissaient de tous les bosquets. Mais les oracles étaient muets ; c'était la faute de l'église construite autour des ossements de saint Babylas. I l fit déplacer les reliques et rebâtir un temple à Apollon : le peuple prit mal la chose et le temple fut incendié. Comme tout le mon­de enfin, Julien voulut se mêler des affaires du Moyen-Orient et comme beaucoup i l y laissa la vie. I l fut tué d'une lance (romaine ?) du côté du Tigre en guerroyant contre l'ayatollah des Perses.

L a veille de sa mort, i l avait reçu sous sa tente la visite d'un fantôme qu'il avait rencontré autrefois en Gaule, lorsqu'il fut élevé à la dignité d'Auguste. Ce n'était pas le Dieu vengeur des Galiléens mais le « genius publicus » de l'Empire romain. Cette fois, sa tête était voilée, et renversée la corne d'abondance qu'il tenait à la main. Ainsi le Génie Public pourrait-il apparaître à nos gouvernants quand la corne d'abondance est vide. Mais ils ne savent pas dialoguer avec les dieux.

G E O R G E S G O R S E