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23 Depuis les travaux de P. Imbart de la Tour, la question de la mise en place du réseau paroissial dans les campagnes est un fructueux champ de recherche pour les historiens. Cet aspect de l’encadrement des hommes au Moyen âge a toujours suscité de nombreuses contributions, des études de M. Chaume sur la Bourgogne à cel- les de G. Fournier sur la Basse- Auvergne et de M. Aubrun sur le dio- cèse de Limoges 2 . De récentes thèses participent encore de ce mouvement 3 . Aujourd’hui, en joignant les sources écrites et archéologiques, on peut obtenir une synthèse, un cadre provisoire de réflexion 4 . Pour autant, un certain nombre de données jusque- là admises sont de nouveau l’objet de questionnement. Certains historiens insistent sur le décalage important entre les normes et les pratiques en ter- mes de délimitation des paroisses : si la territorialisation de l’Eglise se tra- duit par la délimitation d’un espace paroissial clairement défini dès le IX e siècle, sa mise en œuvre n’est pas tou- jours aboutie en 1790 lors de la créa- tion des communes. Ils l’expliquent en mettant en évidence deux obstacles, l’un conceptuel -l’absence de tout antécédent de découpage continu de l’espace-, l’autre pratique - la diversité des droits paroissiaux dont les ressorts ne se recoupent pas nécessairement. D’autres historiens pointent le rôle de l’église-bâtiment dans le processus de territorialisation de l’Eglise et la logi- que radioconcentrique que les prati- ques cultuelles ont généré : de l’autel à la paroisse, voire à la seigneurie ecclésiastique, en passant par le cime- tière et l’espace de paix. Les cher- cheurs s’interrogent également sur le rôle de la fiscalité ecclésiastique, notamment des dîmes, sur la délimita- tion des territoires ainsi que sur la fos- silisation, par les paroisses médiéva- les, d’entités territoriales antérieures (villae, territoires de vici…) 5 . C’est en profitant de ce renouveau historiographique que l’on peut examiner le cas de Blénod, dans le doyenné de Toul. Le choix de cette localité est dicté par la qualité de la documentation collectée et par les pro- blèmes d’interprétation qu’elle pose. Une concession du fisc r Une concession du fisc r oyal oyal Pour l’érudition lorraine du XVIII e siècle, le domaine de Blénod a été cédé à l’Eglise de Toul par le roi d’Austrasie Dagobert I er . Il faisait partie d’un ensemble de biens compre- nant, entre autres, les palais de Void et de Royaumeix ainsi que les châteaux de Liverdun et de Vicherey 6 . Le sou- verain mérovingien aurait également accordé un privilège d’immunité à la cité épiscopale dans un rayon de qua- tre lieues carrées, espace soustrait à la juridiction du comte de Toul qui ne pouvait y exercer les prérogatives de la puissance publique sans l’approbation de l’évêque (justice, levée de troupes, perception des taxes et impôts). Depuis R. Parisot, la critique est large- ment revenue sur cette donation et sur le privilège d’immunité, mais elle ne remet pas en cause le fait que Blénod 1. Etude réalisée en 2003 dans le cadre d’un mémoire de D.E.A. sous la direction de Patrick Corbet, professeur d’Histoire médiévale à l’uni- versité de Nancy 2. 2. Imbart de la Tour (Pierre), Les paroisses rura- les dans l’ancienne France du IV e au XI e siècle, Nogent-le-Rotrou, impr. de Daupeley- Gouverneur, 1898 (extrait de la Revue histori- que, 1896-1898) ; Chaume (Maurice), «Le mode de constitution et de délimitation des paroisses rurales aux temps mérovingiens et carolingiens», Revue Mabillon, 27 e année, n° 105, 1937, p. 61-73, 28 e année, n° 109, 1938, p. 1-9 ; Fournier (Gabriel), Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le Haut Moyen Age, Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Clermont-Ferrand, 2 e série, fasc. 12, Paris, P.U.F., 1962 ; Aubrun (Michel), L’ancien diocèse de Limoges des ori- gines au milieu du XI e siècle, thèse d’Etat, uni- versité de Clermont-Ferrand, 1978, éd. Publication de l’Institut d’Etudes du Massif Central, fasc. 21, Clermont-Ferrand, Institut d’études du Massif central, 1981. 3. Pour la Lorraine, voir Jacquot (Myriam), Christianisation et cadres de la vie religieuse au nord-ouest du diocèse de Toul des origines à la fin du XII e siècle, thèse de doctorat nouveau régime, université de Nancy 2, 2003, 3 vol. 4. Lire, entre autres, Reynaud (Jean-François), «Aux origines des paroisses», dans Decaëns (Joseph) et Flambard Héricher (Anne-Marie), ESTMA III, Actes du III e Colloque européen des Professeurs d’Archéologie médiévale (Centre de Recherches archéologiques médiévales, 11-15 septembre 1996), Publications du C.R.A.M., université de Caen, 1999, p. 145-157. 5. Atelier de Médiévales, Formation et transfor- mation des territoires paroissiaux, journées d’études organisées par le Laboratoire Archéologie et Territoires (UMR 6173 - CITE- RES) de l’Université François-Rabelais de Tours, 2-3 septembre 2004 (résumés disponibles sur le site du L.A.T. http://citeres.univ-tours.fr). Voir également le colloque «Autour du village». Etablissements humains, finages et communau- tés rurales entre Seine et Rhin (4 e -13 e siècles), Université catholique de Louvain-la-Neuve, 16- 17 mai 2003 (résumés disponibles sur le site de l’U.C.L. : http://www.fltr.ucl.ac.be/FLTR/HIST/mage/mage.html). 6. Lire par exemple Picart (Benoît), Pouillé ecclésiastique et civil du Diocèse de Toul, Toul, Loüis et Etienne Rolin impr., 1711, t. 1, p. 87-88. Dom Calmet ne semble pas avoir commis cette erreur dans laquelle il désigne bien Dagobert II comme donateur de Blénod à l’évêque Teufried ; voir Calmet (Augustin), Notice de la Lorraine, qui comprend les duchés de Bar et de Luxembourg, l’électorat de Trèves, les trois évê- chés Metz, Toul et Verdun, Nancy, Louis Beaurain, 1756, t. 1, col. 134. Retour Retour sur sur «la par «la par oisse primitive» oisse primitive» : le cas de Blénod dans le doyenné de le cas de Blénod dans le doyenné de Toul oul 1 par par Alexandr Alexandr e e L AUMOND AUMOND

Retour sursur «la paroisse primitive»oisse primitive»:: le cas ... - Etudes … · 2014. 4. 15. · que radioconcentrique que les prati-ques cultuelles ont généré : de l’autel

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Depuis les travaux de P.Imbart de la Tour, la question de lamise en place du réseau paroissial dansles campagnes est un fructueux champde recherche pour les historiens. Cetaspect de l’encadrement des hommesau Moyen âge a toujours suscité denombreuses contributions, des étudesde M. Chaume sur la Bourgogne à cel-les de G. Fournier sur la Basse-Auvergne et de M. Aubrun sur le dio-cèse de Limoges 2. De récentes thèsesparticipent encore de ce mouvement 3.

Aujourd’hui, en joignant lessources écrites et archéologiques, onpeut obtenir une synthèse, un cadreprovisoire de réflexion 4. Pour autant,un certain nombre de données jusque-là admises sont de nouveau l’objet dequestionnement. Certains historiensinsistent sur le décalage importantentre les normes et les pratiques en ter-mes de délimitation des paroisses : sila territorialisation de l’Eglise se tra-duit par la délimitation d’un espaceparoissial clairement défini dès le IXe

siècle, sa mise en œuvre n’est pas tou-

jours aboutie en 1790 lors de la créa-tion des communes. Ils l’expliquent enmettant en évidence deux obstacles,l’un conceptuel -l’absence de toutantécédent de découpage continu del’espace-, l’autre pratique - la diversitédes droits paroissiaux dont les ressortsne se recoupent pas nécessairement.D’autres historiens pointent le rôle del’église-bâtiment dans le processus deterritorialisation de l’Eglise et la logi-que radioconcentrique que les prati-ques cultuelles ont généré : de l’autelà la paroisse, voire à la seigneurieecclésiastique, en passant par le cime-tière et l’espace de paix. Les cher-cheurs s’interrogent également sur lerôle de la fiscalité ecclésiastique,notamment des dîmes, sur la délimita-tion des territoires ainsi que sur la fos-silisation, par les paroisses médiéva-les, d’entités territoriales antérieures(villae, territoires de vici…) 5.

C’est en profitant de cerenouveau historiographique que l’onpeut examiner le cas de Blénod, dansle doyenné de Toul. Le choix de cette

localité est dicté par la qualité de ladocumentation collectée et par les pro-blèmes d’interprétation qu’elle pose.

Une concession du fisc rUne concession du fisc royaloyal

Pour l’érudition lorraine duXVIIIe siècle, le domaine de Blénod aété cédé à l’Eglise de Toul par le roid’Austrasie Dagobert Ier. Il faisaitpartie d’un ensemble de biens compre-nant, entre autres, les palais de Void etde Royaumeix ainsi que les châteauxde Liverdun et de Vicherey 6. Le sou-verain mérovingien aurait égalementaccordé un privilège d’immunité à lacité épiscopale dans un rayon de qua-tre lieues carrées, espace soustrait à lajuridiction du comte de Toul qui nepouvait y exercer les prérogatives de lapuissance publique sans l’approbationde l’évêque (justice, levée de troupes,perception des taxes et impôts).Depuis R. Parisot, la critique est large-ment revenue sur cette donation et surle privilège d’immunité, mais elle neremet pas en cause le fait que Blénod

1. Etude réalisée en 2003 dans le cadre d’unmémoire de D.E.A. sous la direction de PatrickCorbet, professeur d’Histoire médiévale à l’uni-versité de Nancy 2.2. Imbart de la Tour (Pierre), Les paroisses rura-les dans l’ancienne France du IVe au XIe siècle,Nogent-le-Rotrou, impr. de Daupeley-Gouverneur, 1898 (extrait de la Revue histori-que, 1896-1898) ; Chaume (Maurice), «Lemode de constitution et de délimitation desparoisses rurales aux temps mérovingiens etcarolingiens», Revue Mabillon, 27e année, n°105, 1937, p. 61-73, 28e année, n° 109, 1938, p.1-9 ; Fournier (Gabriel), Le peuplement rural enBasse-Auvergne durant le Haut Moyen Age,Publications de la Faculté des Lettres etSciences humaines de Clermont-Ferrand, 2e

série, fasc. 12, Paris, P.U.F., 1962 ; Aubrun(Michel), L’ancien diocèse de Limoges des ori-gines au milieu du XIe siècle, thèse d’Etat, uni-versité de Clermont-Ferrand, 1978, éd.

Publication de l’Institut d’Etudes du MassifCentral, fasc. 21, Clermont-Ferrand, Institutd’études du Massif central, 1981.3. Pour la Lorraine, voir Jacquot (Myriam),Christianisation et cadres de la vie religieuse aunord-ouest du diocèse de Toul des origines à lafin du XIIe siècle, thèse de doctorat nouveaurégime, université de Nancy 2, 2003, 3 vol.4. Lire, entre autres, Reynaud (Jean-François),«Aux origines des paroisses», dans Decaëns(Joseph) et Flambard Héricher (Anne-Marie),ESTMA III, Actes du IIIe Colloque européen desProfesseurs d’Archéologie médiévale (Centre deRecherches archéologiques médiévales, 11-15septembre 1996), Publications du C.R.A.M.,université de Caen, 1999, p. 145-157.5. Atelier de Médiévales, Formation et transfor-mation des territoires paroissiaux, journéesd’études organisées par le LaboratoireArchéologie et Territoires (UMR 6173 - CITE-RES) de l’Université François-Rabelais de

Tours, 2-3 septembre 2004 (résumés disponiblessur le site du L.A.T. http://citeres.univ-tours.fr).Voir également le colloque «Autour du village».Etablissements humains, finages et communau-tés rurales entre Seine et Rhin (4e-13e siècles),Université catholique de Louvain-la-Neuve, 16-17 mai 2003 (résumés disponibles sur le site del’U.C.L. :http://www.fltr.ucl.ac.be/FLTR/HIST/mage/mage.html).6. Lire par exemple Picart (Benoît), Pouilléecclésiastique et civil du Diocèse de Toul, Toul,Loüis et Etienne Rolin impr., 1711, t. 1, p. 87-88.Dom Calmet ne semble pas avoir commis cetteerreur dans laquelle il désigne bien Dagobert IIcomme donateur de Blénod à l’évêque Teufried; voir Calmet (Augustin), Notice de la Lorraine,qui comprend les duchés de Bar et deLuxembourg, l’électorat de Trèves, les trois évê-chés Metz, Toul et Verdun, Nancy, LouisBeaurain, 1756, t. 1, col. 134.

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parpar AlexandrAlexandre e LLAUMONDAUMOND

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est, dans l’état actuel de nos connais-sances, l’une des premières terresreçues par l’Eglise de Toul.

Cette donation n’est connueque par les Gesta episcoporumTullensium, catalogue de notices épis-copales réalisé dans le milieu toulois,probablement au début du XIIe siècle.Les rédacteurs s’appuient sur une docu-mentation plus ancienne que mentionnedéjà l’ancien écolâtre de Toul, Adson,lorsqu’il écrit, dans la seconde moitiédu Xe siècle, les Vita et miracula sanc-ti Mansueti 8. Le diplôme original de ladonation est perdu mais, après N.Gauthier, Th. Kölzer admet l’authen-ticité d’une partie des informations desGesta et reproduit la version donnéepar G. Waitz dans les M.G.H. 9 : Qui[Teutfridus episcopus] inter plurimapietatis opera apud gloriosissimumregem Dagobertum, interventuvenerandæ genitricis ipsiusChimechildis reginæ, adquisivit adlocum, cui venerandus pontifexpraeerat, villam nuncupatamBladenau cum suis adiacentibus villis,videlicet Cotanicurtem ex integro,Montis et Montenonis, Gaiacum,Fredoni mansum. Adquisivit etiampraelibatus praesul alias villas adsupradictam sedem, scilicet Bladenau,aspicientes super fluvium Arufiamsitas, Vennam scilicet cum ecclesia,Medulfi mansum, Gebeni villare etmulta alia, sicut in cartis eius repper-itur.

L’analyse de cet acte a amenéles historiens récents à revoir l’identitédu donateur 10. Ils récusent la personnede Dagobert Ier au profit du roid’Austrasie Dagobert II, dont le règneintervient dans le contexte troublé dela seconde moitié du VIIe siècle,période marquée par des luttes pour lecontrôle du pouvoir politique au seindes trois entités du regnum Francorum(Neustrie, Austrasie et Burgondie).Elles opposent les souverains méro-vingiens à certains de leurs principes,en particulier les maires du palais. À lamort de Sigebert III, son fils Dagobertest un enfant sous la tutelle duPippinide Grimoald, omnipuissantmaire du palais dont l’ascendant sur ledéfunt roi avait conduit ce dernier àadopter le propre fils de Grimoald,Childebert. On ne sait pas exactementsi Dagobert II a succédé à son pèrejusqu’en 660/661 ou, ce qui est l’opi-nion la plus couramment admise, s’il aété écarté du trône messin dès 656.Dans les deux cas, sous couvert depèlerinage, Grimoald s’entend avecl’évêque Didon de Poitiers pour exilerDagobert II en Irlande. Il ceint alors dela couronne son fils Childebert«l’Adopté», mais c’est bien lui quidétient la réalité du pouvoir, en lientrès étroit avec le clan des Arnulfiens.

Opposée à ce coup d’Etat,l’aristocratie austrasienne facilite leretour des Mérovingiens et l’élimina-tion de Grimoald. Dès 662, ChildéricII -neveu de Sigebert III- monte sur le

trône et la charge de maire du palaisrevient à Wulfoald, adversaire déclarédes Pippinides. Durant les deux der-nières années de son règne, le souve-rain dirige l’ensemble du regnumFrancorum mais son assassinat ouvreune nouvelle phase de divisions politi-ques. Alors que le maire du palaisEbroïn impose en Neustrie et enBurgondie Théodoric III, le frère deChildéric, Wulfoald est en quête d’unsouverain mérovingien légitime pourl’Austrasie. Son choix s’arrête oppor-tunément sur Dagobert II qu’il tire deson exil irlandais. Ce dernier est cou-ronné en 676 mais son règne est decourte durée. Il est assassiné endécembre 679 dans la forêt de Stenay,probablement sur ordre d’Ebroïn, cequi fait de lui à la fois un roi martyr et,plus prosaïquement, le dernier souve-rain mérovingien d’Austrasie 11.

C’est dans ce contexte qu’ilfaut comprendre la concession d’unfisc royal à l’évêque de Toul. DagobertII cherche probablement le soutien deTeufried, personnage dont l’appui nelui est pas nécessairement acquis etqui, comme tout membre de l’aristo-cratie, est impliqué dans un jeu de pou-voir et d’alliances politiques. LesGesta notent d’ailleurs que la donationest réalisée sur l’intervention de lamère de Dagobert II, la reineChimnechild, veuve de Sigebert III[genitricis ipsius Chimechildisreginæ]. Sans apporter de réponse, onpeut s’interroger sur les éventuels inté-

7. Les travaux de R. Parisot et d’H. Collin visentà réfuter ce prétendu privilège d’immunité forgépar la chancellerie touloise au XIIe siècle. Voiren dernier lieu Collin (Hubert), «Le prétendu«ban royal» de Toul au Moyen Age et l’affairedu château de Gondreville (1147-1155)»,Annales de l’Est, 5e série, 19e année, 1967, p.345-354.8. Gesta episcoporum Tullensium, Waitz(Georg) éd., M.G.H., S.S., t. VIII, Hanovre,1848, p. 631-648. J. Dalhaus suggère que larédaction des Gesta s’est déroulée en trois éta-pes, le diplôme de Dagobert II faisant partie dela première phase, probablement vers 1049-1050. Voir Dahlhaus (Joachim), «Zu den Gestaepiscoporum Tullensium», dans Kohnle (Armin)dir., Papstgeschichte und Landesgeschichte,

Festschrift für H. Jakobs zum 65. Geburtstag,Beihefte zum Archiv für Kulturgeschichte, vol.39, Köhln - Weimar - Wien, 1995, p. 177-194.M. Goullet ne partage pas cet avis et considèreque les Gesta sont l’œuvre d’un auteur unique,du moins pour les 38 premières notices, qui atravaillé au début du XIIe siècle à partir d’uncatalogue ancien qu’il a remanié. Voir Goullet(Monique), «Les Vies de saint Mansuy(Mansuetus), premier évêque de Toul. Aperçu dudossier et édition critique des textes inédits»,Analecta Bollandiana, t. 116, 1998, p. 57-105.9. Gesta episcoporum Tullensium, Op. cit., p.635. Le diplôme perdu est répertorié dans DieUrkunden der Merowinger, M.G.H., Diplomataregnum Francorum e stirpe merovingica, Kölzer(Theo) dir., Hanovre, Hahnsche Buchlandlung,

2001, t. 2, Dep. 327.10. Gauthier (Nancy), L’évangélisation des paysde la Moselle. La province romaine de PremièreBelgique entre Antiquité et Moyen Age (IIIe-VIIIe

siècles), Paris, De Boccard, 1980, p. 421-424 ;Die Urkunden der Merowinger, Op. cit.11. Cardot (Fabienne), L’espace et le pouvoir.Etude sur l’Austrasie mérovingienne, Histoireancienne et médiévale, vol. 17, Paris,Publications de la Sorbonne, 1987, p. 165-200 ;Semmler (Josef), «SpätmerowingischeHerrscher : Theuderich III. und Dagobert II.»,Deutsches Archiv für Erforschung desMittelalters, vol. 55, 1999, p. 1-28 ; Ewig(Eugen), Die Merowinger und dasFrankenreich, 4e éd. complétée, Stuttgart-Berlin-Cologne, Kohlhammer, 2001.

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rêts que Chimnechild avait dans cetterégion et sur les liens qu’elle entrete-nait avec l’évêque Teufried 12.

La datation de l’épiscopat dece dernier -et donc de la donation- estpar ailleurs problématique. Le nom deTeutfridus n’apparaît qu’à deux repri-ses dans les sources : d’abord dans undiplôme de Sigerbert III en faveur desabbayes de Stavelot et de Malmedy,donné entre 643 et 647/648 13, ensuitedans les Gesta episcoporumTullensium à propos de la donation quinous intéresse. Si on admet queDagobert n’a régné qu’à l’instigationde Wulfoald, la concession du fisc nepeut être datée que de 676-679. A l’in-verse, si on accepte une premièrephase de règne avant l’exil irlandais,on pourrait ramener la donation à lapériode 656-660/661 14. Cette hypo-thèse est d’autant plus séduisante quel’épiscopat de Leudin-Bodon, succes-seur de Teufried, débute vers 660 15.Elle présente l’autre avantage de pro-poser une durée d’épiscopat plausiblepour Teufried, de 643-647/648 à660/661 16.

Quelle que soit la solutionadoptée, pour l’Eglise de Toul, cetteconcession s’opère alors que le tempo-rel semble à peine formé 17. Elle com-prend deux ensembles distincts, le pre-mier centré sur la villa de Blénod et sesdomaines environnants [cum suisadiacentibus villis], le second regrou-pant des biens situés le long de larivière de l’Aroffe, au sud de Blénod[aspicientes super fluvium Arufiansitas] 18. L’identification des lieuxmentionnés est sujette à discussion. Ilest vraisemblable que les villæ deMons et de Gaiacum correspondentaux localités de Mont-le-Vignoble etde Gye 19. Par contre, il est impossiblede voir Mont-l’Etroit dans la formeMontenonis 20. Située à seize kilomè-tres au sud de Blénod, cette localité setrouve au-delà de la vallée de l’Aroffequi constitue le second groupe dedonations du souverain mérovingien,alors que sa place dans l’acte l’intègredans le bloc des possessions situées àproximité immédiate de Blénod. Resteque dans une zone de relief de côte, legrand nombre de micro toponymesformés sur mons rend difficile la loca-

lisation de Montenonis. On peut seule-ment noter le lieu-dit Montoy à quatrekilomètres au nord de Blénod, enlimite des finages de Domgermain etde Charmes-la-Côte ou, mieux encore,le micro toponyme Moncel en borduresud de la villa de Bladenau. Ledomaine de Cotanicurtem pourraitcorrespondre au lieu-dit Cotémois,source captée située au débouché desvallons de Charmes et de Sorvigne, aunord-ouest de Blénod, dans l’une desrares zones cultivées du revers du pla-teau. L’abandon du suffixe court neserait pas une exception et rappelleraitsimplement qu’avant de se fixer dansleur forme définitive, les toponymesconnaissent de fréquentes variations 21.Quant à l’identification de Fredonimansus, elle est actuellement impossi-ble à faire : nous n’avons aucune don-née, y compris microtoponymique 22.L’altération ou la disparition de cesdeux derniers noms pourrait suggérerqu’il s’agisse de deux habitats désertésdès avant le Xe siècle.

12. La conception d’une propriété pleine etentière du patrimoine royal est une notion étran-gère au pouvoir franc qui conçoit la terre commeun outil permettant de tisser un réseau de fidèleset d’obligations : plus que de donation, on pour-rait parler de concession. Voir Barbier (Josiane),«Du patrimoine fiscal au patrimoine ecclésiasti-que. Les largesses royales aux Églises au nordde la Loire (milieu du VIIIe - fin du Xe siècle)»,dans Les transferts patrimoniaux en Europeoccidentale VIIIe-Xe siècles (1), Actes de la tableronde de Rome (6-8 mai 1999), Mélanges del’Ecole française de Rome, Moyen Age 111/2,Rome, Ecole française de Rome, 1999, p. 577-605.13. Die Urkunden der Merowinger, Op. cit., t. 1,n° 81.14. Ewig (Eugen), «Die Fränkischen Teilreicheim 7. Jahrhundert (613-714)», TriererZeitschrift, vol. 22, 1953, p. 85-144, rééd. dansEwig (Eugen), Spätantikes und FränkischesGallien. Gesammelte Schriften (1952-1973),sous la dir. de Atsma (Hartmut), vol. 1., Munich,Artemis Verlag, 1976, p. 172-230.15. Voir notamment Gaillard (Michèle), «Del’Eigenkloster au monastère royal : l’abbayeSaint-Jean de Laon, du milieu du VIIe siècle aumilieu du VIIIe siècle, à travers les sourceshagiographiques», dans Heinzelmann (Martin)

dir., L’hagiographie du haut Moyen Age enGaule du Nord. Manuscrits, textes et centres deproduction, Beihefte der Francia, vol. 52,Stuttgart, Thorbecke, 2001, p. 249-262. QueMme Gaillard, professeur d’Histoire médiévaleà l’université de Metz, veuille trouver ici nosplus vifs remerciements pour les données et leshypothèses de travail qu’elle nous a transmises.16. Reste que ni Th. Kölzer, ni J. Semmlern’évoquent cette hypothèse. N. Gauthier et Th.Kölzer admettent donc que Teufried a eu unépiscopat dont la durée est comprise entre 28 et36 ans, rejetant de facto celui de Leudin-Bodonau-delà des années 660. 17. La première donation connue date du débutdu VIIe siècle. Elle est l’œuvre d’une dénomméePraetoria qui cède plusieurs biens à l’évêqueEutulanus, en particulier une série de domainessitués dans un rayon d’une quinzaine de kilomè-tres autour de la cité de Toul. Voir Gesta episco-porum Tullensium, Op. cit., p. 635.18. Identification des localités du secondensemble : Vannes pour Vennam ; peut-êtreMérigny, sur la commune de Mont-l’Etroit, pourMedulfi mansus ; Gebeni villare, lieu-dit nonidentifié mais toujours associé à celui de Vannes.Voir Lepage (Henri), Dictionnaire topographi-que du département de la Meurthe, Paris, Impr.impériale, 1862.

19. S’appuyant sur Dom Calmet et H. Lepage,N. Gauthier identifie Gaiacum avec le montGaliaud, relief de côte qui domine Blénod ausud. Il serait plus judicieux de faire le rapproche-ment entre Gaiacum et Jaiacum, forme latine deGye dont l’étymologie est formée sur l’anthro-ponyme latin Gaius dérivé en -acum. Th. Kölzerpropose également Gye en y mettant un pointd’interrogation.20. Identification avancée par N. Gauthier etreprise avec prudence par Th. Kölzer.21. Voir les exemples cités par Girardot (Alain),«Genèse et topographie d’un village neuf auXIIIe siècle : Lahaymeix (Meuse)», Annales del’Est, 1993, n° 1, p. 5 et note 11 p. 14. Th. Kölzerpropose d’y voir Goussaincourt, dans le cantonde Vaucouleurs, mais on y opposera la remarquefaite pour Mont-l’Etroit.22. À partir de formations toponymiques pro-ches, Fredoni mansus devrait donner une formebasée sur Fra/o et -mez. M.-Th. Morlet donne lesexemples de Frodonisvilla qui a abouti àFroville (Meurthe-et-Moselle, c. Bayon) et deFredani ville qui est devenu Fraville (Seine-et-Marne, c. Chantreaux). Voir Morlet (Marie-Thérèse), Les noms de personne sur le territoirede l’ancienne Gaule du VIe au XIIe siècle, t. 3 :Les noms de personne contenus dans les nomsde lieux, Paris, C.N.R.S., 1985, p. 307.

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On peut enfin s’interroger surla nature des domaines concédés parDagobert II. Leur origine fiscale estévidemment suggérée par le statut dudonateur. Elle l’est aussi par la locali-sation des villae, presque toutes situéesen bordure de la zone boisée qui cou-vre le revers de la cuesta. Or, les mas-sifs forestiers constituent une partconséquente du fisc royal. Par ailleurs,il semble que Blénod dispose d’unstatut particulier car, si le terme villaest utilisé de manière générique pourdésigner tout domaine foncier, c’est laseule localité à être qualifiée de sedes,les autres étant suis adiacentibus villis.Il y a donc un lien de sujétion entreBlénod et les cinq autres domaines deCotanicurtem, Montis, Montenonis,Gaiacum et Fredoni mansum. Doit-oncomprendre que cette villa était lesiège administratif ou le centre d’ex-ploitation du fisc royal concédé àl’Eglise de Toul ? Sa position géostra-tégique pourrait l’expliquer puisquecertains présument l’existence d’undiverticule gallo-romain la reliant àVaucouleurs, facilitant ainsi les com-

munications entre les vallées de laMeuse et de la Moselle 23.

LL’éclatement du domaine’éclatement du domaine

À partir du Xe siècle aumoins, les évêques de Toul ne sontplus les uniques détenteurs de droitssur le domaine de Blénod. Ils semblenten avoir aliéné certaines fractions àd’autres acteurs, en particulier l’ab-baye de Saint-Mansuy et le chapitrecathédral. Néanmoins, Blénod aconservé un statut spécifique au seindu temporel épiscopal. Au XIe siècle,les évêques en confient l’administra-tion à des avoués comme Albricusadvocatus de Blandevaco 24. A la fin duXIIIe siècle, c’est le siège de l’une destrois châtellenies épiscopales 25 et leprélat toulois y possède une résidencefortifiée, un castrum mentionné pourla première fois en 1290 26.

Lors de la fondation de l’ab-baye de Saint-Mansuy 27, sous l’épis-copat de Gérard, l’église de Blénod

entre dans le temporel du nouvel étab-lissement, ce que l’évêque de Toul faitconfirmer par l’empereur Othon Ier en965. Le diplôme notifie notammentque les moines ont in Bladenaco pre-cariam quam fecit Blitdrada nobilisfemina de rebus sancti Stephani cumomni integritate sua, quidquidvidelicet ad eandem ecclesiam pertinetvel per eandem precariam jure haered-itario adquisitum constat, cum ecclesi-is, omnibus terris cultis et incultis,pratis, silvis, pascuis, aquis,aquarumque decursibus, servis etancillis et universis jure ad se perti-nentibus 28. Le diplôme précise doncque Blitdrada cède à Saint-Mansuy cequ’elle détient en précaire sur ledomaine de Blénod. L’origine de cettedonatrice nous est inconnue et l’an-throponymie nous fait simplementconnaître un Blidulfus laicus quisouscrit une charte de l’évêqueLudelme (898) 29. Elle est en tout casmembre de l’aristocratie, puisquequalifiée de nobilis femina. On peutaussi la supposer proche de l’évêque,comme ce quidam fidelis nomine

23. Les habitants de Châlaines auraient désignésous le nom de «Vieille-voie-des-Romains» unchemin qui se dirige vers Blénod en passant parQuatre-Vaux. Toutefois, J.-F. Gaudé note que lenivellement de la route de Vaucouleurs à Toulayant été fait par remblai et non par tranchées,aucune observation archéologie n’a pu être réa-lisée. Lire Gaudé (J.-F.), «Les voies romaines dela partie occidentale de la cité des Leuci»,J.S.A.L., 13e année, 1864, p. 75-80, 14e année,1865, p. 63-74 et 80-96 (carte). Le même auteurcite un tronçon de diverticule entre Sauvigny etBlénod : des pavés auraient été observés àdivers endroits de la forêt entre Sauvigny etVannes, à proximité de la voie dite de Toul ;selon lui, il s’agirait plutôt d’une « chausséeaustrasienne » reliant Toul au palais royal deSauvigny en passant par la forteresse de Galiaud(chaussée semblable à celles qui menaient deSauvigny à Vicherey et de Toul à Vaudémont).24. Signum au bas d’une charte de l’évêqueUdon en 1065, dans le cartulaire B du chapitrede la cathédrale de Toul, A.D.M.M., Rés. 2F 6,fol. 27-32. Cartulaire édité et étudié par Auclair(Mathias), Le cartulaire B du chapitre de lacathédrale de Toul (Archives départementalesde Meurthe-et-Moselle, Rés. 2F 6), mémoire demaîtrise, Université de Nancy 2, 1995, n° 24.25. Olland (Hélène), «La principauté épiscopalede Toul à la fin du Moyen Age (XIIIe-XVe siè-

cles)», dans Principautés et territoires et étudesd’histoire lorraine, Actes du 103e Congrès natio-nal des Sociétés savantes (Nancy-Metz, 1978),Paris, Bibliothèque nationale, 1979, p. 225-236 ;Olland-Schneider (Hélène), «Le polyptyque del’évêché de Toul (fin du XIIIe siècle)», Bulletinphilologique et historique du C.T.H.S. (1979),Paris, Bibliothèque nationale, 1981, p. 153-233 ;Morlet (Marie-Thérèse), «Le censier de l’évêchéde Toul : étude philologique et onomastique»,dans Seigneurs et seigneuries au Moyen Age,Actes du 117e Congrès national des Sociétéssavantes (Clermont-Ferrand, 1992), Paris,C.T.H.S., 1993, p. 229-273.26. En 1290, Ferry de Lorraine, prévôt de Saint-Dié, vend au chapitre de Toul ce qu’il possède invilla banno et finagio de Beligneyo [Bulligny]prope castrum de Blenodio ; voir A.D.M.M., G18. Cette mention apparaît alors que, depuisl’épiscopat de Roger d’Ostende de Marcey, unconflit récurrent oppose l’évêque et les bour-geois de sa cité. Sans savoir si un château exis-tait avant 1290, on notera que les chanoines deToul s’étaient retirés en corps à Blénod en 1284-1285 après s’être réfugiés dans un premier tempsà Vaucouleurs. Au même moment, l’évêqueConrad Probus avait dû s’établir dans la forte-resse de Liverdun. Au vu de l’opposition com-munale croissante à laquelle l’évêque doit faireface à Toul dès le milieu du XIIIe siècle, la

construction d’une nouvelle place-refuge dansson temporel semble justifiée. Toutefois, onpourrait aussi inscrire la construction du châteauépiscopal de Blénod dans la lignée de la politi-que castrale de l’évêque Pierre de Brixey qui fitrelever les fortifications de Liverdun à partir de1176-1177.27. Fondée dans le suburbium nord de la cité deToul, cette abbaye a très certainement succédé àune basilique hors les murs à l’emplacementd’un oratoire dédié à saint Pierre, au milieud’une nécropole antique, et dans laquelle futenseveli Mansuetus, premier évêque desLeuques entre la fin du IVe et le début du Ve siè-cle. Au Xe siècle, l’évêque Gauzelin reconstrui-sit l’oratoire qu’il confia à des moines de Saint-Evre puis son successeur Gérard l’érigea enabbaye entre 963 et 965.28. M.G.H., Diplomata regum et imperatorumGermaniae, t. 1. Conradi I., Heinrici I. etOttonis I. Diplomata, Sickel (Theodor) éd.,Hanovre, 1879-1884, n°89, repris dansSchaeffer (Michèle), Chartes de l’abbaye deSaint-Mansuy-lès-Toul des origines à 1165,mémoire de maîtrise, université de Nancy 2,1970, n° 3.29. A.D.M.M., 2 F 2, n° 1, édité dans Picart(Benoît), Histoire ecclésiastique et politique dela ville et du diocèse de Toul, Toul, impr. AlexisLaurent, 1707, pr., p. 65-66.

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Walfroid auquel l’évêque Drogonaliène, sous forme de précaire, l’égliseSaint-Martin sur Meuse et que réclamepar la suite les chanoines de la cathé-drale (après 907-922) 30.

La constitution de la précairerépond à un schéma contractuel pré-cisa31. Souvent pour des questionsfinancières, un donateur cède desdroits et / ou des biens patrimoniaux àun établissement religieux. Ce dernierles lui rétrocède, en y ajoutant quel-ques terres ecclésiastiques, afin qu’ilen conserve l’usufruit pour unepériode définie (souvent jusqu’à sondécès ou celui d’un proche désigné).En échange, le bénéficiaire paie uncens recognitif aux religieux qui, auterme du contrat, entrent en possessionde l’ensemble des biens 32. Ainsi, l’évê-que Gauzelin, ayant reçu de son archi-diacre Angelram des biens qu’il possè-dait dans la villa de Port, les lui rend enprécaire en y ajoutant une église,Saint-Amand de Saizerais ; l’ensembleest concédé à titre de bénéfice viagersur la tête de l’archidiacre et sur cellede son neveu, moyennant un censannuel de douze deniers payable à lasaint Etienne (923) 33. Dans le cas deBlitdrada, on peut supposer qu’un pro-che parent, peut-être son époux, adonné à l’Eglise de Toul des terres et /ou des droits familiaux sur le domainede Blénod, ensemble que l’évêque luia restitué sous forme de précaire en yajoutant certains rebus sancti Stephani,c’est-à-dire des biens issus du tempo-rel épiscopal. En choisissant de céder

le contenu de la précaire à l’abbaye deSaint-Mansuy, Blitdrada entérine defacto, mais avec l’assentiment deGérard, le transfert de possessionsépiscopales au nouvel établissementmonastique 34.

Outre l’évêque et l’abbaye, lechapitre cathédral de Toul détient desterres à Blénod. Une mention tardive -premier tiers du XIIe siècle- désigne lacuria de Blaviniaco comme l’un desdomaines des chanoines 35. On connaîtcependant une bulle de confirmationdouteuse de Léon IX qui mentionnedès 1051 cette curiam de Blaviniaco 36.Nous ignorons comment cette curtisest entrée en leur possession. Est-cepar une libéralité de l’évêque qui l’au-rait prélevée sur l’ancienne villa méro-vingienne lors de la mise en place dela mense capitulaire au IXe siècle ? Oubien est-ce le résultat d’une donationparticulière ?

Si les modalités et la chrono-logie de l’éclatement du domaine fis-cal de Blénod nous échappent engrande partie, on peut toutefois enbrosser un tableau sommaire.Incorporé par concession royale autemporel épiscopal (années 650-670),le domaine a fait l’objet d’une précairepartielle ou totale (probablement au Xe

siècle) restituée au bénéfice de la nou-velle abbaye de Saint-Mansuy (2e tiersXe siècle). L’existence d’une telle pré-caire constituée à partir de biens loca-lisés à Blénod indique que des laïcs

devaient aussi y être est possessionnés.Enfin, depuis le début du XIIe siècle aumoins, le chapitre épiscopal disposed’une exploitation autour d’une curtisdont nous ignorons l’origine.L’impression générale qui se dégaged’un tel schéma est celle d’un enche-vêtrement complexe de droits et de ter-res sur un territoire probablement plushomogène au VIIe siècle.

La fondation de l’église-mèrLa fondation de l’église-mèree

Dans le diplôme impérial de965, l’énumération des biens détenuspar Blitdrada s’apparente à une banaleformule de chancellerie que l’onretrouve dans de nombreux actes deconfirmation. Sont cités, de manièresommaire et sans aucune localisationou dénomination précise : terres cul-tes et incultes, prés, forêts, pâturages,eaux, ruisseaux, serfs et serves, etc.Toutefois, concernant les églises, lerédacteur utilise le pluriel avec l’ex-pression cum ecclesiis. Cette mentionpeut être comprise de deux manières :soit il s’agit d’une formule convenuesans rapport exact avec la réalité, soitle domaine de Blénod comprend effec-tivement plusieurs lieux de culte dansles années 960. Dans les deux cas defigure, l’un de ces lieux peut être rai-sonnablement confondu avec l’églisede l’ancien centre fiscal.

Par une bulle de 1155, on sait

30. A.D.M.M., 27 J 6, édité dans Picart (Benoît),Histoire ecclésiastique…, pr., p. 67-68.31. Morelle (Laurent), “Les “actes de précaire”,instruments de transferts patrimoniaux (Francedu nord et de l’est, VIIIe-XIe siècles)”, dans Lestransferts patrimoniaux…, p. 607-647.32. Le système de la précaire est très répanduparmi les établissements monastiques aux IXe-XIe siècles et, dans le diocèse de Toul, cette pra-tique est attestée par une charte de Frothaire(813-847) au sujet de l’abbaye de Saint-Evre.33. Paris, B.N.F., coll. Moreau, vol. 4, fol. 104,édité dans Bautier (Robert-Henri), Les originesde l’abbaye de Bouxières-aux-Dames au diocèse

de Toul. Reconstitution du chartrier et éditioncritique des chartes antérieures à 1200, Recueilde documents sur l’histoire de la Lorraine, t. 27,Nancy, Société d’Archéologie lorraine, 1987,pr., p. 3-4, n° 2.34. Blitdrada n’est pas la seule à agir de la sorte.Une charte de 982 de Gérard confirmant lesbiens de l’abbaye de Saint-Mansuy mentionnequidquid adquisitum est per precariam quamfecit Hugo de rebus sancti Stephani, ex loco quiBabani-villa dicitur, cum terris cultis et incultis,silvis, pratis, aquis aquarumque decursibus,cum integra piscaria in omni usu, molendinis,servis et ancillis, exitibus et reditibus, cum omni

banno ; voir Schaeffer (Michèle), Op. cit., n° 8.35. Bulle de confirmation d’Innocent II datée de1132. Cartulaire B du chapitre de la cathédralede Toul, A.D.M.M., Rés. 2F 6, fol. 9 v - 11 v.,repris dans Auclair (Mathias), Op. cit., n° 9. Unebulle de confirmation douteuse de Léon IX men-tionne également en 1051 la curiam deBlaviniaco. 36. A.D.M.M., 2 F 1, n° 4 (Artem n° 224) ; voirChoux (Jacques), « Les bulles de Léon IX pourl’Eglise de Toul», Lotharingia, t. 2, Nancy,1990, p. 5-19.

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que cette église est dédiée à saintMédard 37. Evêque de Noyon etconseiller des souverains mérovin-giens, Médard est inhumé en 545 àNoyon. Son corps est peu après trans-porté sur ordre de Clotaire Ier dans uneéglise suburbaine de Soissons queSigebert Ier achève de transformer enbasilique funéraire. A la même époque,son frère Chilpéric Ier compose unhymne dédié au défunt évêque dont leculte est ainsi clairement impulsé parla dynastie franque. Il figure parmi lessaints dont la virtus justifie de nom-breuses dédicaces, selon une listequ’établit l’évêque de Trèves Nicetiusdans une correspondance des années565. Cette ferveur est d’ailleurs confir-mée par la rédaction d’une premièrevita vers 610 38. La question est évi-demment de déterminer le chemine-ment de ce culte jusqu’à l’autel parois-sial de Blénod. Qui l’a promu et selonquelles modalités ?

Dans une première hypo-thèse, on peut admettre que les souve-rains mérovingiens ont diffusé le cultede saint Médard dans les fiscs royaux.Ils lui auraient dédicacé certains desautels qu’ils y firent élever. M. Roblin 39

relève que les actuelles paroisses deCreil et Nogent, de part et d’autre del’Oise, sont dédiées à saint Médard, etil suppose à l’origine l’existence d’uneparoisse primitive à Creil dont l’îleabrita une résidence de Dagobert Ier.Quant à J. Lusse 40, il note plusieurs casd’églises dédiées à saint Médard surdes biens fiscaux, en particulier àServais où un palais royal apparaîttardivement, en 820, mais qui fait pro-

bablement déjà partie du fisc mérovin-gien. C’est également le cas à Sinceny,dont Charles le Chauve donne les deuxtiers des dîmes à l’abbaye deCompiègne. Dans cette optique, unsouverain mérovingien a pu établir unautel privé, dédié à saint Médard, ausiège de son domaine fiscal de Blénod.Cette pénétration du culte dans larégion touloise peut être précoce puis-que dès 561, Sigebert Ier monte sur letrône austrasien. À l’encontre de cetteinterprétation, on note qu’aucuneecclesia n’est mentionnée à Blénoddans le diplôme de Dagobert II, ce quin’est pas le cas du domaine de Vannespour lequel il est explicitement notéVennam scilicet cum ecclesia. Pourautant, l’absence d’une église consa-crée à Blénod ne signifie pas l’absenced’un oratoire privé.

Une seconde hypothèserepose sur l’étude du culte de saintMédard dans l’est de la France. À l’is-sue de son travail, P. Corbet est enclinà considérer que sa diffusion relèvelargement des milieux épiscopaux.Dans le cas de Blénod, il propose pru-demment d’attribuer la fondation del’autel paroissial à un évêque de Toulproche des Pippinides, Garibaldus,dans les années 700-710. Il s’appuie enparticulier sur l’homonymie qui le lie àl’un de ses contemporains, abbé deSaint-Médard de Soissons. La possibi-lité d’une parenté expliquerait l’obten-tion de reliques du saint par l’Eglise deToul et la diffusion de son culte sur lesterres épiscopales 41.

Enfin, on ne peut totalement

exclure que l’église de Blénod soit, àl’origine, une Eigenkirche, c’est-à-direune fondation privée établie par despropriétaires laïques, à l’instar desbénéficiaires de la précaire mention-née précédemment. Dans ce cas defigure, la fondation de l’autel seraitrelativement tardive, guère antérieureau Xe siècle.

La configuration La configuration de la parde la paroisse primitiveoisse primitive

L’hypothèse -suggérée par lediplôme de 965- selon laquelle ledomaine de Blénod comprendplusieurs lieux de culte, est confirméea posteriori par la bulle pontificale de1155. Parmi les possessions dumonastère de Saint-Mansuy que con-firme Adrien IV, on compte l’ecclesi-am de Blaviniaco cum dotalicio ettribus capellis et altaribus de Monz,Jaiaco, Biliniaco. In Blavaniaco,omnes decimationes tam majoresquam minores. In Nativitate Domini,in Pascha et in festo sancti Medardi :oblationum duas partes. Apud Mons,decimas omnes exceptis triumhominum decimis. Apud Bilinaicum etapud Jaiacum, omnium decimationummedietatem 42. Au milieu du XIIe siècle,l’église-mère de Blénod est donc aucentre d’une paroisse qui comprendtrois chapelles dépendantes : Mont,Gye et Bulligny.

La mention de ces tribuscapellis et altaribus fait référence àl’«altare grégorien» 43. En effet, dansle cadre du mouvement d’incorpora-

37. La bulle confirme que l’abbaye de Saint-Mansuy perçoit les deux tiers des oblations de laparoisse de Blénod à la Nativité de Notre-Dame,à Pâques et à la saint Médard. La mention decette dernière fête renvoie très certainement autitulaire de la paroisse. Nous supposons quecette dédicace, attestée au milieu du XIIe siècle,est celle d’origine, même si des changements ontpu avoir lieu. Bulle pontificale d’Adrien IVconservée par une copie du XVIIe siècle, B.N.F.,collection Lorraine, vol. 329, fol. 220-223, édi-tée dans Schaeffer (Michèle), Op. cit., n° 64.38. Gauthier (Nancy), L’évangélisation…, p.180 et note 62.

39. Roblin (Michel), Le territoire de Paris auxépoques gallo-romaine et franque. Peuplementet défrichement dans la civitas des Parisii, Paris,Picard, 1951, 2e éd. augmentée, Paris, Picard,1971, p. 194.40. Lusse (Jackie), Naissance d’une cité. Laon etle Laonnois du Ve au Xe siècle, thèse de doctorat,université de Nancy 2, 1984, éd. Nancy, P.U.N.,1992, p. 176.41. Corbet (Patrick), «Le culte de saint Médard,patron de Blénod, dans l’est de la France(Champagne, Lorraine, nord de la Bourgogne)»,dans Sesmat (Pierre) éd., Hugues des Hazards etBlénod-lès-Toul. Un évêque de la pré-

Renaissance et son cadre de vie, Actes du collo-que de Toul et Blénod-lès-Toul (21-22 septem-bre 2001), à paraître aux éditions des Annales del’Est.42. Supra note 37.43. Tock (Benoît-Michel), «Altare dans les char-tes françaises antérieures à 1121», dans Hamesse(Jacqueline) dir., Roma, Magistra Mundi.Itineraria culturae medievalis. Mélanges offertsau Père L. E. Boyle à l’occasion de son 75e anni-versaire, Fédération internationale des institutsd’études médiévales. Textes et documents duMoyen Age, n° 10, Louvain-la-Neuve, 1998, t.2, p. 901-926.

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tion (XIe-XIIe siècles), les canonistesont distingué l’autel (altare) de l’église(ecclesia ou, dans notre cas, capella).Alors que l’altare comprend le droit deprésentation du desservant à l’évêqueet les revenus liés à l’activité pastorale(oblations, offrandes, etc.), l’ecclesiaregroupe les deux tiers des dîmes enthéorie et les biens de l’église, soit lesbâtiments et le foncier 44. Dans ce partage,l’altare -«bien spirituel»- est dévolu àl’établissement collateur, l’ecclesia -«bien temporel»- revenant au proprié-taire et souvent fondateur de l’église.Dans le cas qui nous occupe, la men-tion des trois capellis et altaribusimplique que l’abbaye de Saint-Mansuy regroupe entre ses mains lesfonctions de collateur et de proprié-taire des chapelles, soit parce qu’elleen est à l’origine, soit parce qu’elle lesa reçues de leur fondateur respectif.Cette analyse est corroborée par larépartition de la fiscalité ecclésias-tique, en l’occurrence les dîmes.L’abbaye perçoit l’ensemble des dîmesde Mont, à l’exception de la triumhominum decimis dont nous ignoronsla teneur. Le même constat peut êtrefait pour Blénod car Saint-Mansuypossède la totalité les dîmes, tantmajeures que mineures, démontrantbien qu’elle est à la fois propriétaire ettitulaire de la paroisse. C’est égale-ment ce que suggère la mention cumdotalicio qui renvoie à l’assise fon-cière de l’église. Elle perçoit parailleurs les deux tiers des oblations auxfêtes de la Nativité de Notre-Dame, dePâques et de la saint Médard, première

mention du vocable de la paroisse.Quant aux chapelles de Bulligny et deGye, Saint-Mansuy perçoit la moitiédes dîmes en vertu d’un partage quinous est inconnu.

Pourtant, ce schéma de laparoisse-mère de Blénod au milieu duXIIe siècle n’est que partiellementconfirmé par le reste de la documenta-tion. Certes, la chapelle de Gye est tou-jours citée comme dépendance.Absente du pouillé de 1402 45, elle estune annexe de Mont en 1711 et BenoîtPicart précise qu’elle dépendait aupa-ravant de Blénod. L’ancien lien cano-nique apparaît toujours dans la réparti-tion des dîmes de cette chapelle en1711 : 7/9e pour les moines de l’abbayede Saint-Mansuy et 2/9e pour le curé deBlénod 46. Pour autant, la bulle est encontradiction avec d’autres textes etsoulève de nombreuses questions.

La première a trait au statutde Mont. Chapelle annexe de Blénoden 1155, elle a pourtant fait l’objetd’une érection en paroisse indépen-dante dans le dernier tiers du XIe siè-cle. Par une charte interpolée et datéede 1079, l’évêque de Toul, Pibon enté-rine la séparation de l’autel de Mont decelui de Blénod, tout en rappelant lesconditions de ce démembrement 47. Eneffet, conformément aux obligationsattachées aux lieux de culte annexes,les paroissiens de la chapelle de Montdevaient se rendre trois fois l’an àBlénod pour les grandes fêtes chrétien-nes (Noël, Pâques, Pentecôte) et

devaient les oblations au curé [presby-terus] de la paroisse-mère [matremsuam ecclesiam de Blano]. Toutefois,un abandon progressif de ces obliga-tions aboutit à une plainte du prêtre deBlénod auprès de la cour épiscopale.En 1077, Pibon sanctionne la commu-nauté de Mont en prononçant l’inter-dit. Le conflit ne se réglant pas, le ducde Lorraine Thierry II intercède auprèsde l’évêque qui accepte la scission, enaccord avec l’abbé de Saint-Mansuy,patron de l’église. Dès lors, est érigéel’ecclesia de Munz antiquitus capel-lam de Blano avec ses attributs canoni-ques : le baptistère et le cimetière[praedictis hominibus de Munz ibidembaptisterium et liberam sepulturamconcessimus].

Pour J. Choux, cet exempleest typique des fondations de paroissesau XIe siècle par démembrement d’uneéglise-mère. Trois aspects méritentd’être retenus : d’une part l’acte juridi-que créant une paroisse entérine unétat de fait ; d’autre part cette érectionest généralement soutenue par unprince puissant ; enfin, la volonté pourune communauté d’obtenir un lieu deculte indépendant se heurte souvent àl’autorité religieuse, car il y a nécessitéde préserver les droits et les revenus dupatron de l’église mère. C’est ainsi quel’abbé de Saint-Mansuy doit céder unepartie des oblations aux nouveauxparoissiens de Mont pour l’entretiende la toiture de l’église et la fournituredes objets du culte 48.

44. Lire l’étude éclairante de Delmaire(Bernard), Le diocèse d’Arras du XIe au XIVe siè-cle, thèse d’Etat, université de Paris I, 1988, éd.sous le titre Le diocèse d’Arras de 1093 aumilieu du XIVe siècle. Recherches sur la vie reli-gieuse dans le nord de la France au Moyen Age,Mémoires de la Commission départementaled’Histoire et d’Archéologie du Pas-de-Calais, t.31, Arras, 1994, 2 vol.45. Pour le pouillé de 1402, nous privilégionsl’édition de Carrière (Victor) et Longnon(Auguste), Pouillés de la province de Trèves,Paris, Impr. nationale, 1915, p. 289 et suiv., carles auteurs ont collationné les manuscrits deParis (B.N.F., Lat. 5208) et de Bar-le-Duc(B.M., ms. 11), alors que H. Lepage n’a pu tra-

vailler que sur le premier. Voir Lepage (Henri),Pouillé du diocèse de Toul rédigé en 1402,publié pour la première fois d’après la copieconservée à la Bibliothèque impériale, Recueilde documents sur l’histoire de la Lorraine, t. 8,Nancy, Wiener, 1863.46. Picart (Benoît), Pouillé ecclésiastique…, t. 1,p. 106. En 1853, elle est annexe de Moutrot ;voir Lepage (Henri), Les communes de laMeurthe. Journal historique des villes, bourgs,villages, hameaux et cens de ce département,Nancy, A. Lepage, 1853, t. 1, p. 456.47. Schaeffer (Michèle), Op. cit., n° 18, d’aprèsune copie du XVIIe siècle. J. Choux pense quel’acte est interpolé : le fond devait figurer dansune notice de 1079. Pour en accroître la valeur

juridique, elle a été fondue dans un acte de Pibondonné à la fin du XIe ou au début du XIIe siècle ; voirChoux (Jacques), Recherches sur le diocèse deToul au temps de la réforme grégorienne.L’épiscopat de Pibon (1069-1107), Publicationde la Société d’Archéologie lorraine et du Muséehistorique lorrain, t. 23, Nancy, Impr. Sociétéd’impressions typographiques, 1952, p. 205-206.48. Choux (Jacques), «Paroisses nouvelles dansle diocèse de Toul à la fin du XIe siècle», Revuehistorique de la Lorraine, 1949, p. 62-68, rééd.dans La Lorraine chrétienne au Moyen Age.Recueil d’études, Metz, Serpenoise, 1981, p.107-114.

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Le cas de Bulligny offre uneconfiguration tout aussi complexe.L’absence de la localité dans le pouilléde 1402 suggère un statut d’annexe, cequi est d’ailleurs clairement notifiédans le pouillé de 1711 49. Toutefois, en1635, la paroisse de Bullegney faitbien partie des cures dépendantes dugrand archidiacre de Toul 50 et, dansl’Etat du temporel des paroisses, unenotice de 1708 précise qu’on prétendque Bulligny est une paroisse dontBlénod est l’annexe. Ce qui est un faitétably et justifié par différens actesdepuis l’an 1435, 1605, 1620 etplusieurs autres jusques à présent[…]. Surquoy l’on ajoute que la mèreéglise est audit Bulligny, que les curezy ont toujours résidé, qu’il y a unemaison curiale qui existe encoractuellement, et que si les curez ontchangé la résidence et ont demeuré àBlénod, ça esté du temps des guerresque Bulligny estoit abandonné, ce quine peut préjudicier au droit que leshabitans de Bulligny ont d’obliger lecuré d’y résider 51. Ces indications sontà rapprocher d’une charte de 1054 par

laquelle l’évêque de Toul, Udon,restitue à l’abbaye de Saint-Mansuyles ecclesiis trium villarum, scilicetBiliniaci [Bulligny], Ladii [Ludres] etRegniaci [Rigny-la-Salle] 52. Le statutfluctuant de Bulligny -capella ouecclesia- est confirmé par le travail deLouis Machon qui, dans son pouillé de1635, mène une comparaison entre lesdonnées d’un vieux polion d’evesché,qui est un grand rouleau de par-chemin, fait de vieilles lettres gotiques,sans datte et celles d’un auttre duchapitre de Toul, fait est compillé parHenry Vaultrin notaire apostolique &imperiale, en l’an 1402 au moyd’aoust ; conformement a un plusancien, qui fut fait l’an 1303 53. Or, ilest spécifié que Bulgney n’est pas dansceluy du chapitre, mais est dans celuyde l’evesché 54.

Le dossier de Bulligny tenddonc à dissocier cette localité de cellede Blénod et il faut constater que,jusqu’à la bulle d’Adrien IV, aucunlien ne semble les unir. Bulligny nefigure pas parmi les domaines con-cédés à l’Eglise de Toul par Dagobert

II. Certes, le clerc qui rédige les Gestaepiscoporum tullensium ajoute, à lasuite de la donation, une autre liste debiens concédés par le souverain maisson authenticité est généralementrécusée car il y a confusion quant audonateur 55. Le domaine de Bullignyn’est peut-être jamais entré dans letemporel épiscopal car la bulle de 1054évoque bien une restitution, et non unedonation, au profit de Saint-Mansuy.Quant à la dédicace de l’église, laNativité de Notre-Dame, elle n’exclutpas une datation aussi haute que cellede saint Médard. D’ailleurs, contraire-ment à Blénod, Bulligny dispose d’unfort potentiel archéologique qui inciteà y détecter un exemple de continuitédu peuplement entre le Bas-Empire etla période mérovingienne 56.

Dans le cas de Mont commedans celui de Bulligny, il y a doncmanifestement incompatibilité entreles différentes données. Comment con-cilier les informations de la charte dePibon qui a canoniquement sanctionnéla création d’une nouvelle paroisse et

49. Picart (Benoît), Pouillé ecclésiastique…, t. 1,p. 88-89. Dans son édition du pouillé de 1402,H. Lepage note que Bulligny a été momentané-ment érigée en cure le 14 janvier 1698 ; voirLepage (Henri), Pouillé du diocèse…, p. 5.50. B.N.F., ms fr. 18 913, p. 6.51. A.D.M.M., B 289, fol. 11 du registre, p. 21du Grand archidiaconé de Toul.52. Schaeffer (Michèle), Op. cit., n° 17.53. B.N.F., ms fr. 18 913, p. 94. C’est le secondpouillé, celui du chapitre de Toul, qui a étépublié par H. Lepage puis par V. Carrière et A.Longnon. Le premier document cité estaujourd’hui disparu, de même que ce pouillé de1303 dont il est fait mention.54. Ibidem, p. 101.55. Studuit etiam idem venerabilis antistes apudeundem regem adquirere alias villas super flu-vium Mosae, Traveronem, Paterniacum,Campaniacum, Biliniacum [Bulligny], Alonum,Huncilinimontem, et quicquid in Saviniaco etLamnari curte et Regniaco pertinens ad fiscumregale esse videtur ; voir Gesta episcoporumTullensium, Op. cit., p. 635, 1*. Cet ajout figuredans les manuscrits de Paris et de Nancy. Le pre-mier forme, avec ceux de Berlin et deCarpentras, une tradition manuscrite différentedu document de Nancy qui est, avec celui de LaHaye, issu d’un second ensemble. Le fait quel’ajout soit présent dans ces deux familles

démontre qu’il est un élément constitutif dumanuscrit original du XIIe siècle. Pour l’établis-sement des différentes versions, voir Dahlhaus(Joachim), Op. cit. et Goullet (Monique), Op.cit.56. Pour la période gallo-romaine, douze sites,villae ou établissements plus modestes, ont étéinventoriés sur les quatre communes citées dansla bulle de 1155 : six d’entre eux sont concen-trés sur la seule commune de Bulligny et troissur celle de Gye. Le complexe le plus importantest localisé dans le canton Sur le Fort, sur lacommune de Bulligny, à 1 500 m au sud du vil-lage. Il comporte des substructions repérées surune longueur de 500 m et une largeur de 250 mqui délimitent un groupe d’habitations avec laprésence de nombreux objets. Deux nécropolesdu haut Moyen Age sont également localisées àBulligny : comme le suggère la microtopony-mie, les lieux-dits voisins aux Tombois et auxTrépassés, à la limite sud-ouest du village, ontlivré de nombreuses sépultures creusées sur unesuperficie de plus de 100 m² et contenant unmobilier composé d’objets de parure et d’arme-ment. Malgré l’absence d’une étude du matériel,le site est considéré comme une probable nécro-pole mérovingienne puisque la pratique desdépôts funéraires disparaît entre la fin du VIIe etle début du VIIIe siècle. Voir Olry (Etienne),Répertoire archéologique des cantons de

Colombey et Toul-Sud, M.S.A.L., 2e série, vol.VII, 1865, p. 281 (pagination 53-108) ; Beaupré(Jules), Répertoire archéologique pour le dépar-tement de Meurthe-et-Moselle. Epoques préhis-toriques, gallo-romaine, mérovingienne, Nancy,Crépin-Leblond, 1897 ; Toussaint (Maurice),Répertoire archéologique du département deMeurthe-et-Moselle (période gallo-romaine),Nancy, Société d’Impressions Typographiques,1947 ; dossiers de la Carte archéologique auService régional de l’Archéologie de Lorraine(Metz). L’apport de la toponymie n’est pasdéterminant car les avis divergent. Blénod estbasé sur un anthroponyme masculin dérivé avecle suffixe roman -avus, mais les auteurs hésitententre un anthroponyme latin (Bladinus) ou ger-manique (Bladenus). Le problème est identiqueavec Bulligny : il s’agit d’un anthroponymemasculin dérivé en -(i)acum, mais il est soit latin(Bellinius), soit germanique (Billin). La mise enrelation des données toponymiques et archéolo-giques n’est donc guère pertinente puisque laforte concentration de sites gallo-romains àBulligny n’est pas assurément traduite dans saformation toponymique. Voir en dernier lieuWirth (Aude), Les noms et lieux de Meurthe-et-Moselle. Dictionnaire étymologique, Haroué, G.Louis, 2004, p. 97 et 106-107.

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celles de la bulle de 1155 ? Doit-onsupposer que la liste de biens et dedroits fournie par l’abbaye de Saint-Mansuy à la chancellerie pontificaleen vue de la confirmation n’a pas étémise à jour ? Cette négligence étantpeu convaincante, peut-on plutôt yvoir le signe que le conflit entre l’ab-baye, l’évêque et les paroissiens estencore latent ? Ou bien doit-on con-clure à la volatilité du vocabulaire, enparticulier des notions d’ecclesia et decapella qui pourraient être inter-changeables ?

A la suite des travaux de J.Choux sur les «trop petites paroisses»du diocèse de Toul 57, il faut plutôtadmettre que le statut canonique et lagéographie des lieux de culte ont étémodifiés beaucoup plus fréquemmentqu’on l’a cru, modifications qui reflè-tent la situation démographique etéconomique des communautés. Eneffet, face à l’appauvrissement ou audépeuplement d’une paroisse, deuxsolutions ont été mises en œuvre.Lorsqu’elle comprend une ouplusieurs annexes, le prêtre desservanta pu transférer le culte dans l’uned’elles qui, si la situation perdure etsans intervention de l’évêque, est con-sidérée de facto comme étant l’église-mère. Dans le cas d’une paroisse avecun seul lieu de culte, le système canoniquede l’union de paroisses est privilégié.Il consiste à réunir sous la directiond’un seul prêtre deux paroisses dis-tinctes, chacune d’elles conservant sesprérogatives canoniques, notammentla sépulture. Blénod et Mont entrentdans cette catégorie. En 1402, le pouil-

lé mentionne ensemble le bénéfice deBlenodio et Montibus (26 livrestouloises), mais distingue la décimedue pro curato (26 sous toulois) et provicario (8 sous toulois) 58. La situationsemble perdurer puisque le pouillé de1635 note encore Blenod & Mont sousla même rubrique, dans le dénombre-ment des bénéfices de l’évêché 59.Reste qu’entre la réalité du terrain etles actes de la pratique, un décalagepersiste. Dans le cas de l’union desparoisses d’Allamps et de Barisey-la-Côte, qui s’étend de la fin du XIIe audébut du XVe siècles, J. Choux relèveque la seconde est parfois qualifiée dedépendance de la première 60. Cetteexplication pourrait réduire l’appar-ente contradiction repérée précédem-ment : en 1155, Mont était peut-êtredéjà unie à son ancienne paroisse-mère, hypothèse plausible quand onconnaît l’exiguïté territoriale et le ter-roir de cette paroisse fondée pardémembrement au milieu du XIe siècle 61.Une semblable configuration pourraitexpliquer les rapports entre Bulligny etBlénod.

La difLa diffusion du culte fusion du culte de saint Mansuyde saint Mansuy

La question de la dédicacedes annexes est le dernier point quesoulève l’étude de Blénod. D’après lepouillé de 1711 62, les autels de Mont etde Gye ont pour titulaire saint Mansuy-Mansuetus-, premier évêque desLeuques, entre la fin du IVe et le débutdu Ve siècle, selon la liste des fastes

épiscopaux et les Gesta episcoporumTullensium 63. C’est, rappelons-le, à cemême saint évêque qu’est consacréel’abbaye qui a la possession et la colla-tion de Blénod, l’église mère des deuxchapelles. Il y a donc une cohérenceassez remarquable et on ne saurait yvoir le résultat du hasard, d’autant plusque le phénomène n’est pas unique.Dans la région touloise, quatre autelsdédiés à saint Mansuy sont desannexes dont l’église mère est à la col-lation de l’abbaye touloise : Mont etGye pour Blénod (saint Médard),Bouvron pour Lucey (saint Etienne) et,peut-être, Sexey-aux-Forges pourPont-Saint-Vincent (saint Julien). Onest donc amené à s’interroger sur lapolitique de diffusion du culte du pro-toévêque de la cité.

Il semble que toutes ces cha-pelles soient antérieures à la constitu-tion du temporel abbatial de Saint-Mansuy. L’hypothèse est plausibledans le cas de Mont et de Gye commele suggère la formule cum ecclesiis dudiplôme de 965. Elle est certaine dansle cas de Bouvron car la même sourceénumère une cappella in Bevrone cumdecimis et duobus mansionilibus adLuciacum olim pertinentibus quiBevronis vocantur 64. Quant à Sexey,son existence est probable : une chartede confirmation pour le nouveaumonastère toulois donnée par l’évêqueGérard en 982 mentionne la posses-sion de la capella de Sisseiaco et de lacapella de Beverone cum omnibusappendiciis ipsarum 65. Pour autant, sices chapelles sont antérieures à la res-

57. Choux (Jacques), «Le problème des troppetites paroisses dans le diocèse de Toul auMoyen Age», La Semaine religieuse de Nancy,1951, p. 204-207, 245-247, 259-261 et 331-333,rééd. dans Choux (Jacques), La Lorraine chré-tienne…, p. 115-124.58. Carrière (Victor) et Longnon (Auguste), Op.cit., p. 290. Le pouillé, registrum beneficiorum,donne, par archidiaconés et doyennés, la listedes paroisses du diocèse, ainsi que le cataloguedes abbayes, prieurés et commanderies. Il indi-que par ailleurs la valeur de chaque bénéfice etle chiffre du décime, payable par moitié en deux

termes.59. B.N.F., ms fr. 18 913, p. 6.60. Choux (Jacques), «Le problème des troppetites paroisses…», Op.cit.61. La superficie de Mont (412 ha) ne s’étendque sur 11 % de la paroisse-mère définie en1155. Quant à son terroir, hormis une étroitebande du front de côte, il est essentiellementformé de la dépression marneuse, moins rentableque le vignoble car elle nécessite d’importantsmoyens de mise en valeur, en particulier le défri-chement de bois parfois inexistant à l’époquegallo-romaine.

62. Picart (Benoît), Pouillé ecclésiastique…, t. 1,p. 105-106.63. Gesta episcoporum Tullensium, Op. cit., p.632-633. Voir Gauthier (Nancy), L’évangélisa-tion…, p. 104-107 et surtout Goullet (Monique),«Les Vies de saint Mansuy…» et, du mêmeauteur, «Les saints du diocèse de Toul (S.H.G.VI)», dans Heinzelmann (Martin) dir., Op. cit.,p. 11-89.64. Supra note 28.65. Schaeffer (Michèle), Op. cit., n° 8, d’aprèsune copie du XVIIe siècle.

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tauration de l’oratoire suburbain, celane signifie en rien que le premier évê-que de Toul en était déjà le titulaire.

En effet, les historiens esti-ment que le développement de sonculte est un phénomène limité, tardif etlargement lié à la politique épiscopaledans la seconde moitié du Xe siècle.Elle s’inscrit dans un mouvement plusgénéral de reprise de la vie monastiqueen Lotharingie qui se traduit à Toul,sous l’évêque Gauzelin (920-962), parla réintroduction de la règle bénédic-tine à l’abbaye de Saint-Evre. PourSaint-Mansuy, la restauration passepar plusieurs étapes. Gauzelin entre-prend d’abord de reconstruire la basili-que funéraire dans laquelle est inhuméle premier évêque de Toul 66, puis il enconfie l’oratoire dédié à saint Pierre àdes moines de Saint-Evre. Son succes-seur Gérard (963-994) érige l’ensem-ble en abbaye et, en 965, il obtient del’empereur Othon Ier un diplômeconfirmant la fondation. Il décide sur-tout de promouvoir le culte du saintévêque en demandant à l’abbé deMontier-en-Der, Adson, de rédiger,autour de 970, une Vita sanctiMansueti 67. Certes, il existe une tradi-tion hagiographique antérieure, ce

qu’atteste l’ancien écolâtre de Toul quiprécise avoir basé une partie de sontravail in Gestis praecedentiumLeucorum urbis antistitum. Il a doncutilisé une notice épiscopale comprisedans un recueil antérieur aux Gesta dudébut du XIIe siècle. Adson a doncréécrit et amplifié cette vita brevior et,pour M. Goullet, on est clairementdans un contexte de (re)développementdu culte, dont la rédaction d’une vita,qui sera utilisée dans la liturgie, estune étape essentielle 68. Les Vita sanctiGerardi et miracula illustrent parfaite-ment la place particulière que Gérardaccordait au culte des saints évêquesMansuy et Evre : procession de leursreliques dans la cité frappée par uneépidémie, songe évitant l’incendie del’église abbatiale de Saint-Mansuy,guérison de l’évêque grâce aux reli-ques des saints qui sont extraites deleur tombeau pour être exposées dansl’oratoire du baptistère de la cathédrale 69.

Gérard accentue et met enscène le culte du saint évêque confes-seur lors de la translation de ses reli-ques : sanctus Gerardus […] sacrumcorpus illius transtulerit atque infraecclesiam, quam sub ipsius nomineconsecratam invenerat, in archa

lignea loco congruo collocaverit 70.L’existence du tombeau de l’évêqueétait connue mais localisait-on réelle-ment son emplacement au Xe siècle ?On a pu parfaitement l’oublier d’au-tant plus que, d’après les Gesta, raressont les évêques à s’y être fait inhumer 71.Par contre, à partir du VIIe siècle, labasilique funéraire du septième évêquede Toul, Aper, a eu la préférence de sessuccesseurs : l’archéologie y a trèscertainement mis au jour la sépultured’Eutulanus 72 et les Gesta mention-nent plusieurs inhumations, la pre-mière étant celle de Magnardus qui sefit enterrer in cimiterio sancti Apri ;iacet transpositum in sinistro latereiuxta altare sancti martyris Christofori 73. Ilest donc possible que les travaux dereconstruction de l’oratoire de Saint-Pierre au Xe siècle aient abouti à l’in-vention des reliques de Mansuetus,c’est-à-dire à la découverte d’osse-ments qui lui furent attribués. Pourcomprendre la portée de cette transla-tion orchestrée par Gérard, il faut l’ins-crire dans une plus large perspective,les reliques étant l’un des outils de laréforme monastique qui visait à aigui-ser la ferveur religieuse et à garantirl’autonomie financière des monastères 74.Dès lors, on voit Gérard qui cherche et

66. Gauthier (Nancy), Topographie chrétiennedes cités de la Gaule des origines au milieu duVIIIe siècle, t. 1 : Province ecclésiastique deTrèves (Belgica Prima), Paris, De Boccard,1986, p. 55-59.67. L’ensemble comprend deux livres : le pre-mier forme la Vita proprement dite (B.H.L.5209), le second est un recueil de Miracula postmortem survenus au Xe siècle (B.H.L. 5210).68. Goullet (Monique), « Les saints du diocèsede Toul (S.H.G. VI) »…, p. 24.69. Rédigés entre 1031 et 1048 par l’abbé deSaint-Evre Widric et dédiés à l’évêque Brunonde Dabo, les Vita sancti Gerardi et miracula sontédités par Calmet (Augustin), Histoire ecclésias-tique et civile de la Lorraine, 1re éd., Nancy, J.-B. Cusson, 1728, vol. 1, col. 83-113 ; 2e éd.,Nancy, A. Leseure, 1745-1757, vol. 1, Preuves,col. 174-208 [l’édition donnée par Waitz(Georg) dans M.G.H., S.S., t. 4, Hanovre, 1841,p. 486-509, est tronquée]. Traduction de Gardoni(Anne-Marie), en collab. avec Paulmier(Monique) et Parisse (Michel), Vie et miraclesde saint Gérard, évêque de Toul, 963-994,

Nancy, Ed. Etudes Touloises, 1981. Pour lesexemples mentionnés, lire A.-M. Gardoni, p. 33-35 et 38-39 aux § 14, 15 et 18.70. Tractatus de translatione secunda sanctiMansueti a domno Pibone dicta et composita,Holder-Egger (Oswald) éd., M.G.H., S.S., t. XV/ 2, Hanovre, 1888, p. 931-932. Texte étudiédans Choux (Jacques), Recherches sur le dio-cèse de Toul…, p. 99-101.71. C’est le cas d’Amon, successeur immédiat deMansuetus (Gesta episcoporum Tullensium, Op.cit., p. 633). Au VIIIe siècle, Bodo est inhumé incimiterio beati Mansueti pontificis mais le corpsest ensuite translatus ad Ludunum [Lyon] urbem(Ibidem, p. 637). Quant à son successeur Iacob,il est enterré in cripta sancti Benigni martyrisecclesiae Divionensis [Saint-Bénigne de Dijon],habens ad capud altare in honore sanctiMansueti confessoris (Ibidem, p. 637).72. Les sépultures de l’évêque Eutulanus et dePraetoria, donatrice de l’Eglise de Toul au débutdu VIIe siècle, ont probablement été retrouvéesen 1974 lors de fouilles archéologiques opéréesà l’emplacement de l’ancienne abbaye de Saint-

Evre. L’identification a été permise dans lesdeux cas grâce au monogramme de la bague queportait chacun des défunts. Lire Guillaume(Jacques), Liéger (Abel) et Marguet (Roger),«Sépultures mérovingiennes de l’abbaye deSaint-Evre à Toul (Meurthe-et-Moselle)», RevueArchéologique de l’Est et du Centre-Est, t. 35,1984, p. 301-317.73. Gesta episcoporum Tullensium, Op. cit., p.636. Au IXe siècle, les Gesta y mentionnentl’inhumation des évêques Wanincus, Frotarius -Frothaire, Arnulfus et Arnaldus mais, pour lesdeux derniers, on précise que les corps ont étéensuite transportés près de l’autel de saint Pierre.Est-ce une référence à l’oratoire où est inhumésaint Mansuy ou bien à l’un des autels de la basi-lique funéraire de Saint-Evre, à l’instar de celuide saint Christophe mentionné à propos deMagnardus (Ibidem, p. 637-638).74. Goullet (Monique) et Wagner (Anne),«Reliques et pouvoirs dans le diocèse de Verdunaux Xe-XIe siècles», Revue Mabillon, n.s., t. 10(= t. 71), 1999, p. 67-88.

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75. Gardoni (Anne-Marie), Vie et miracles desaint Gérard…, p. 19-20 et 30-31 aux § 5 et 12.76. À titre de comparaison, voir Wagner (Anne),«Collection de reliques et pouvoir épiscopal auXe siècle. L’exemple de l’évêque Thierry Ier deMetz», Revue d’Histoire de l’Eglise de France,t. 83, 1997, p. 317-341. Le 15 juin 1104, l’évê-que Pibon opère une nouvelle translation - uneostensio - à la demande de l’abbé de Saint-Mansuy, Théomar. Ce dernier fait fabriquer un

nouveau reliquaire dans le but de procéder à unereconnaissance des reliques dont l’intégritéaurait été mise en doute. Cette translation n’apas la même signification que celle opérée parGérard : elle vise autant à glorifier le culte desaint Mansuy qu’à manifester l’unité du clergélorrain après les divisions nées de la Querelledes Investitures. Tractatus de translatione…, p.931. Lire Sigal (Pierre-André), «Le déroulementdes translations de reliques principalement dans

les régions entre Loire et Rhin aux XIe et XIIe

siècles», dans Bozóky (Edina) et Helvétius(Anne-Marie) éd., Les reliques. Objets, cultes,symboles, Actes du colloque international del’Université du Littoral-Côte d’Opale(Boulogne-sur-mer, 4-6 septembre 1997),Hagiologia, vol. 1, Turnhout, Brepols, 1999, p.213-227.77. Picart (Benoît), Pouillé ecclésiastique… ;A.D.M.M., B 288-298.

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obtient des fragments de saintGengoult auprès de l’évêque deLangres, de sainte Apronie auprès del’évêque de Troyes, mais aussi un mor-ceau de la pierre de la lapidation duprotomartyr que détenait le prélat mes-sin. Gérard procède également à l’in-vention des reliques de saint Evre et desaint Elophe dont une grande partie estdonnée à l’évêque Bruno de Cologne 75.Pour les prélats, cette politique d’ac-quisition et d’échange de reliques,quand ce n’est pas de vol, répond àplusieurs objectifs : glorifier leur citéen célébrant les saints évêques, en par-ticulier ceux qui auraient évangélisé laGaule sur l’injonction directe de saintPierre (thèse de l’apostolicité deMansuy) ; promouvoir le culte de mar-tyrs gaulois locaux, tel Elophe déca-pité, selon la tradition, sur ordre deJulien l’Apostat ; affirmer leur auto-rité sur les établissements monastiquespar la distribution de reliques et la fon-dation d’autels ; assurer et développerun réseau politique, ce que fait Gérarden donnant des reliques de saintElophe à Bruno de Cologne à qui ildevait sa nomination à l’évêché toulois 76.

En la replaçant dans lecontexte plus global de la réformemonastique, on peut légitimement sup-poser que la politique de l’évêqueGérard est à l’origine du développe-ment du culte de saint Mansuy (fonda-tion d’une abbaye, rédaction d’une vitaprolixor, multiplication de miraclespost mortem, translation). Il faut alorsadmettre qu’elle a eu aussi des consé-quences sur la dédicace des autels.Dans le cas de Blénod, il se pourraitque l’intégration des chapelles deMont et de Gye dans le temporel deSaint-Mansuy se soit accompagnéed’un changement de titulature. Dans

l’hypothèse où ces annexes n’exis-taient pas lors de la dotation initiale,l’abbaye aurait obtenu de l’évêque lafondation de nouveaux autels en lesdédiant à son saint patron.

ConclusionConclusion

In fine, on peut proposer leschéma suivant pour Blénod. Dans lesannées 650-670, ce centre fiscal entredans le temporel de l’évêché de Toulpar une concession du roi d’Austrasie.La fondation d’une église dédiée àsaint Médard peut y être antérieure sielle émane du pouvoir royal, maisl’étude de P. Corbet suggère plutôt uneinitiative épiscopale au début du VIIIe

siècle. Cette consécration tardive estpeut-être due à la proximité de la citéépiscopale, la mise en œuvre du mail-lage paroissial dans l’environnementimmédiat de l’église-mère du diocèsepouvant être plus lente que sur les mar-ches.

Avant le dernier tiers du Xe,deux sanctuaires secondaires sont éta-blis dans les anciennes villae de Montet de Gye. Parallèlement, la disparitiondans la documentation des domainesde Cotanicurtem et de Fredoni mansustémoigne de la concentration des hom-mes et de l’abandon de certains habi-tats. Lors de la constitution du tempo-rel de la nouvelle abbaye de Saint-Mansuy, la paroisse de Blénod y estintégrée avec très certainement unchangement de dédicace pour ses deuxannexes. À cette date, c’est-à-dire sousl’épiscopat de Gérard, le territoire dela paroisse primitive de Blénod semblecorrespondre à celui de l’anciendomaine fiscal mérovingien. Pourautant, du point de vue foncier, ce der-

nier a déjà fait l’objet de transactionscomme l’illustre la constitution d’uneprécaire au Xe siècle.

En un siècle, entre les années1050 et 1150, cette configuration estbouleversée. La paroisse est démem-brée au profit de la chapelle de Montqui est érigée en église canoniquementindépendante. Pour autant, la fragilitéde la nouvelle fondation aboutit à uneunion de paroisses très rapidement. Cephénomène se reproduit probablementavec une autre paroisse, celle deBulligny, dont la création peut êtrecontemporaine de celle de Blénod.Toutefois, si l’union entre Blénod etMont semble stable jusqu’au XVIIe

siècle, les rapports entre Blénod etBulligny semblent plus aléatoires.

L’étude de Blénod permet derappeler que, pour saisir la genèse duréseau paroissial au Moyen âge, lerecours à la démarche régressive pré-sente de sérieuses limites, même s’ilreste justifié. Pour le diocèse de Toul,on utilise fréquemment comme pointde départ le pouillé de 1711 et l’Etatdu temporel des paroisses de 1702-1713. Dans le cas de Blénod, onobtient l’image fossilisée d’uneparoisse primitive importante, dotéed’une église-mère et de trois chapellesannexes. Toutefois, une étude plus pré-cise laisse entrevoir une situationbeaucoup plus fluctuante : évolutiondu statut canonique, mobilité de lagéographie paroissiale, changement detitulature, décalage entre la réalité duterrain et les décisions épiscopales,multiplication des acteurs et, bien sûr,recomposition de l’habitat.

La cartographie des données

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de la bulle de 1155 apporte quelquesenseignements sur la morphologie dela paroisse de Blénod au milieu duXIIe siècle. Méthodologiquement, leslimites paroissiales retenues sont cel-les des communes actuelles, puisquedès 1790, la volonté politique desubstituer au réseau ecclésiastique unmaillage communal a fossilisé engrande partie les anciennes circons-criptions religieuses. Des remanie-ments sont possibles, mais aucunn’est connu dans le cas de Blénod.

En tenant compte de lasuperficie des quatre communes étu-diées, la paroisse devait s’étendre sur3 850 ha le long des Côtes deMeuse. Elle offre une série de ter-roirs très différenciés, du plateauboisé du revers de cuesta à la dépres-sion argileuse de la Woëvre, en pas-sant par le vignoble du front de côte.Mont et Bulligny sont situées à flancde côte alors que Blénod est au piedde la cuesta, à la sortie d’une percéepermettant de traverser le revers etde relier la vallée de la Moselle àcelle de la Meuse. Seule Gye est aucœur de la plaine. Les limites de laparoisse affectent une forme irrégu-lière. Son côté occidental parcourt lerevers des Côtes de Meuse et s’ap-puie sur le relief, en particulier surles vallons qui entaillent un plateaucouvert de feuillus. Deux chapellespositionnées en fond de vallons et aupied de sources marquent les confins

de la paroisse. La première, dédiée àsaint Fiacre, est construite en 1522par le frère Jean Gerrier, gouverneurde la maison du Saint-Esprit, quidirige l’hôpital de Toul. Elle fut unlieu de pèlerinage. La seconde cha-pelle est plus problématique. Situéesur la commune de Blénod, son ori-gine et sa titulature ne sont pasconnues avec exactitude. Le pouilléde 1711 mentionne une chapelle«Notre-Dame des Mines» et la cartede Cassini «Notre-Dame de Menes».E. Martin évoque une chapelle«Notre-Dame de Menne», mais iljuge factice le rapprochement avec lasœur des saints céphalophoresEuchaire, Elophe et Libaire.

De la chapelle Saint-Fiacre,la limite de la paroisse s’oriente versle nord-est afin d’épouser le flancsud de la cité épiscopale de Toul.Traversant le revers du plateau, ellesuit successivement le ruisseau de laNouelle et le massif forestier quibarre la dépression marneuse. De lapointe septentrionale de la paroissequi domine la vallée de la Moselle, lalimite orientale de la paroisse forme,sur 3,5 km, un axe parfaitement rec-tiligne en se surimposant à la voieromaine Langres-Toul (actuelle N74) puis glisse progressivement versle sud-ouest en longeant l’ancienbois de la Voivre. Quant à sa bordureméridionale, elle épouse égalementdes éléments naturels, en l’espèce la

lisière des bois de Bagneux et labutte-témoin de Châtillon. A traverscette brève description, on retrouveles caractéristiques constitutives desparoisses primitives : une localisa-tion le long d’un axe de communica-tion majeur, une vaste superficie, deslimites qui reposent sur des élémentsnaturels continus ou sur des infra-structures gallo-romaines. Pourautant, on ne peut généraliser car,contrairement aux remarques de M.Aubrun pour le diocèse de Limoges,J. Lusse constate que, pour leLaonnois, les dimensions des parois-ses éclairent d’abord l’histoire del’occupation du sol, les plus vastesétant concentrées dans les régionsinhospitalières et tardivement misesen valeur, avant de témoigner de lachristianisation (p. 188).

Aubrun (Michel), L’ancien diocèse deLimoges des origines au milieu du XIe siècle,thèse d’Etat, université de Clermont-Ferrand,1978, éd. Publication de l’Institut d’Etudes duMassif Central, fasc. 21, Clermont-Ferrand,Institut d’études du Massif central, 1981Lusse (Jackie), Naissance d’une cité. Laon etle Laonnois du Ve au Xe siècle, thèse de doctor-at, université de Nancy 2, 1984, éd. Nancy,P.U.N., 1992Martin (Eugène), La dévotion à la Sainte-Vierge dans le diocèse de Toul, Nancy, 1922Vuillemin (André), «La Chapelle de Saint-Fiacre (Rigny-Saint-Martin)», Pays lorrain,1962, n° 2, 43e année, p. 33-43.

La parLa paroisse-mèroisse-mère de Blénod au milieu du XIIe de Blénod au milieu du XII ee sièclesiècle