Révérend Père R. Th. Calmel : « Le Modernisme Actuel » - Extrait d'Itinéraires n°184

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Le Révérend Père Calmel écrivait cet article intitulé “Le modernisme actuel” dans la revue Itinéraires n°184, Juin 1974, p. 141-153)

Citation preview

  • LE MODERNISME ACTUEL par R.-Th. Calmel, O. P.

    Haec est praefatio catechismi adversus modernismum quem pater Lemius aliquando scripsit quemque hodie illustrissimi atque eminentissimi Fortes in Fide rursus edunt. Quam frater Calmel praedicator hic prodere voluit cum permissu superioris et piissimi et beatissimi patris Barbarae, qui mentionem non solum Fortium in Fide sed etiam proprii nominis ipsius sine qua non conditionem esse decla-ravit fratri auctori. Quae cum inania sint, ea benigne Madiranus director confirmavit atque in hoc loco imprimi jussit.

    J. M.

    LHRTIQUE CLASSIQUE, Arius, Nestorius, Luther, mme sil a quelque vellit de rester dans lglise catholique, fait ce quil faut pour en tre exclu : il combat visage dcouvert la vrit rvle dont le dpt vivant est gard par lglise. LHRTIQUE OU PLUTT LAPOSTAT MODERNISTE, un abb Loisy, un pre Teilhard de Chardin, rejette consciemment toute la doctrine de lglise, mais il nourrit la volont de rester dans lglise, et il prend les moyens quil faut pour sy maintenir ; il dissimule, il fait semblant, dans lespoir de mener terme son dessein de transformer lglise de lintrieur, ou comme lcrivait le jsuite Teilhard de Chardin, de rectifier la foi (1). Cest dans lhypocrisie quil faut placer la note caractristique et diffrentielle du moderniste. Le moderniste, on ne le saura jamais assez suffisamment, est UN APOSTAT DOUBL DUN TRATRE.

    141:184 Vous demanderez peut-tre : tant donn la position foncirement dloyale adopte par le moderniste, comment lui est-il possible de sy tenir longueur de vie sans faire craquer son quilibre intrieur ? Lquilibre psychologique est-il compatible avec une duplicit entretenue indfiniment et portant sur les questions suprmes ? Il faut rpondre par laffirmative en ce qui touche les chefs de file. Pour le grand nombre, qui sont des suiveurs, la question de lquilibre psychologique lintrieur dune hypocrisie sans faille est sans doute beaucoup moins aigu. Dautant que ces suiveurs, lorsquils sont prtres, ce qui est frquent, finissent gnralement par contracter mariage, ce qui met un terme leur ncessit de dissimuler. Une fois maris en effet, ils ont beau rester apostats, ils ne sont plus modernistes. Les choses deviennent claires leur sujet ; ils nont plus contrefaire les apparences du prtre catholique. Pour les chefs de file, pour les prlats placs un poste important, si le modernisme est praticable sans trop de dgts psychologiques cest sans doute parce quils sont divertis par des complices jamais en repos, par des flatteurs insatiables. tant distraits de faire retour leur propre cur, ils peuvent parvenir chapper aux questions torturantes dune conscience morale trop lente mourir. En tout cas si laveuglement de lesprit et lendurcissement du cur, si le cas bernanosien de labb Cnabre demeure un grand mystre, il ne laisse pas de se produire et il naboutit pas ncessairement la folie. Nous sommes certains que cet emprisonnement dans les tnbres spirituelles ne se fait pas dun seul coup mais se prpare longuement par de nombreuses rsistances la grce. Ce chtiment divin, car il sagit dun chtiment, est mrit par bien des pchs. En outre, encore que nimporte quel pcheur puisse se reconnatre un jour et crier misricorde, il faut bien voir quun pcheur de ce genre ne saurait tre converti que par un grand miracle de la grce ; un miracle trs rare.

    1 (1) Dans son livre LAvenir de lHomme, p. 239, Paris, dit. du Seuil, 1959. Voir surtout la lettre du Pre Teilhard lex-Pre Gorce, Revue ITINRAIRES, mois de mars 1965.

    1

  • Pour le moderniste, ainsi que le nom le dit, la religion est essentiellement moderne. Elle ne domine pas le temps. Elle est immerge tout entire dans lhistoire, dans les aventures de lhumanit en marche. Pas de rvlation donne une fois pour toutes pour enseigner les mystres divins. Pas de sacrifice mritant la grce une fois pour toutes. Pas de testament nouveau et ternel. UNE VOLUTION INDFINIE.

    142:184 Cest en ce sens que la religion est dite moderne par les modernistes.

    La religion catholique est purement et simplement humaine ; non pas reue de Dieu dans une initiative infiniment misricordieuse, par la Rvlation parfaite et la grce plnire du Seigneur Jsus, mais simple produit du progrs de lhumanit ; la religion catholique est, sans doute, un produit particulirement prcieux et raffin, mais enfin elle na rien voir avec ce quon appelle grce et rvlation. Elle est strictement contenue et enferme dans les limites de lesprit humain ; elle ne dpasse pas les virtualits de lhumanit en devenir, car ces virtualits nont pas de limites assignables. Lorsque le moderniste prononce les vocables chrtiens : intervention divine, rvlation ou grce, il ne les entend pas dans le sens chrtien. Il les rinterprte, les rduisant avec beaucoup dastuce ne pas dpasser lhumain. Dieu nest pas transcendant [Ni catholique]. Le moderniste ne dit pas, dans le sens o nous le disons : Notre Pre qui tes aux cieux pas plus quil ne dit, au sens catholique : Jsus est le Fils de Dieu incarn rdempteur. Pour le moderniste il nest pas vrai que Dieu a tant aim le monde quil lui a donn son Fils unique, n de la Vierge Marie. partir de cette conception particulire de la religion, ou plutt partir de cette ngation radicale, le modernisme du temps de saint Pie X et le modernisme actuel diffrent sur beaucoup de points. Toutefois lessence est identique ; les variations ne portent pas sur lessentiel. Dans CETTE HRSIE, OU PLUTT DANS CETTE APOSTASIE, un principe est immuable : la religion doit tre moderne. Un procd est invariable : se dguiser pour rester dans lglise et la changer du dedans. Cest parce que le catchisme du Pre Lmius sattaque vigoureusement ce principe et ce procd quil a gard sa valeur cinquante ans aprs sa parution, et quelles que soient les diffrences du second modernisme par rapport au premier. Les variations en effet sont accidentelles. Le fond dides moderniste na rien de trs original. Ces APOSTATS nont pas invent une philosophie particulire, mais ils ont tent daligner la religion sur une fausse philosophie, sur le subjectivisme et lidalisme qui empoisonnent le monde depuis trois sicles. Vous ne trouvez point, parmi les modernistes, un penseur qui rappellerait, serait-ce de loin, Descartes ou Hegel. Teilhard de Chardin, qui connut un moment de vogue, na rien fait de plus que multiplier les variations sur le thme rebattu du monisme volutionniste.

    143:184 Au point de vue des thories le second modernisme, celui daprs Vatican II, ajoute cependant au premier lide confuse, jamais justifie clairement, dun cumnisme effrn, un faux cumnisme, religieux et humanitaire, qui fusionnerait, aprs les avoir dmarqus, les croyances et les rites.

    Aussi bien ce nest pas le gnie de quelques grands penseurs qui a donn au modernisme sa force, cest la perfection des procds de pntration et de domination. Les procds eux-mmes sont calqus sur ceux des socits occultes, notamment les diverses franc-maonneries. Ce sont les vieux procds, mis en lumire jadis par Augustin Cochin (2), qui avaient fait dj leur preuve la Rvolution franaise, et qui ont t appliqus lglise pour la dvaster. On en connat les caractres distinctifs : avant tout UNE AUTORIT DE MENSONGE. Lautorit relle appartient des organismes varis, difficiles dcrire avec prcision, officiellement irresponsables, tandis que LAUTORIT OFFICIELLE EST RDUITE LEUR SERVIR DE PARAVENT et faire accepter par le peuple chrtien leurs directives antichrtiennes. Quon se rappelle donc, pour

    2 (1) Voir Augustin Cochin, surtout Les Socits de Pense et la Dmocratie Moderne (Plon dit.) et Abstraction rvolutionnaire et ralisme catholique (Descle de B. dit. Paris).

    2

  • avoir quelque ide du pouvoir destructeur qui est particulier une autorit de mensonge, souvenons-nous de la rapidit avec laquelle on a fait prvaloir la pratique dvastatrice des nouveaux rites de communion, les nouvelles eucharisties , et en gnral la liturgie nouvelle. [les nouveaux rits dordination] La forme par excellence des autorits de mensonge cest la COLLGIALIT postconciliaire. La victoire complte de lglise sur le modernisme passe par la suppression de la collgialit. La RINTERPRTATION cest--dire une explication mensongre des vrits de la foi qui, sous prtexte de les faire mieux comprendre par lesprit des modernes, les volatilise furtivement et sans bruit, la r-interprtation dis-je est devenue lun des procds les plus frquents du modernisme. Or voici quelle sest tendue toute liturgie. On sait que la liturgie de la Messe comprend deux lments de valeur du reste diffrente : dabord des oraisons et des lectures qui portent en eux-mmes une profession de foi ; ensuite loffrande relle, sous un signe non sanglant institu par le Seigneur, de son propre sacrifice unique, offert sur la croix le Vendredi-Saint.

    144:184 Quoi de plus facile qui dispose de la liturgie de sattaquer aux deux lments qui la constituent ? On changera la profession de foi sans donner lveil, et on prparera la destruction du sacrifice sacramentel. Pour la profession de foi il suffira de coups de pouce ou domissions dans les traductions des oraisons et des lectures. Pour le sacrifice sacramentel on introduira des formulaires et des rites quivoques qui nauront plus ce quil faut pour faire concider infailliblement lintention du prtre, ministre du Christ, avec lintention du Christ qui clbre par lui. Mme si lintention du prtre demeure plus ou moins souvent celle du Christ et de lglise, ce nest point en vertu de lensemble des signes officiellement tablis, en vertu des formulaires et des attitudes, cest une disposition toute subjective. Les signes nouveaux formulaires et attitudes, sont invents au contraire afin que, officiellement, ils puissent convenir la fois au pasteur qui nest point prtre et qui nie la messe et au prtre catholique qui est seul prtre vritable. Ne disposant plus que dun rite de soi quivoque, lintention du prtre sera trs expose devenir autre que celle du Christ et de lglise ; la messe elle-mme sera trs expose ntre plus une messe, ni la communion une communion. Or il est dautant plus facile de multiplier les quivoques dans la liturgie que la clbration comporte du feu et quelle ne peut tre fige dans un carcan ; telle omission dun geste en effet nest pas forcment hrtique, telle nouvelle rubrique nest pas forcment une ngation caractrise, tel silence peut tre sans importance ; mais la modification systmatique et oriente des gestes et des attitudes, la multiplication intentionnelle des silences calculs arrive fausser la liturgie et rendre invalides les sacrements. Jamais les procds modernistes nauraient connu un tel succs si la liturgie ne leur avait t livre. [Par qui ?] Et la liturgie ne leur aurait pas t livre sans la mise en train de cet immense appareil de trahison que nous avons dj signal : les collgialits piscopales. Au dbut du sicle si lon avait interrog le simple fidle sur ce quest le modernisme, il est probable quon laurait fort embarrass. Cinquante ans plus tard, le simple fidle aurait beaucoup moins de peine rpondre.

    145:184 Il dirait en substance : cest une nouvelle religion ; la messe nest plus la mme, les nouveaux enterrements nous curent, les mariages nouveaux sont de la pitrerie, on ne trouve plus se confesser, on a toutes les peines du monde faire baptiser les petits enfants ; les curs ne parlent que de prendre femme et leurs sermons sont devenus des boniments politiques ; pour tout dire, le modernisme sest mis dans la religion. De tels propos deviennent de plus en plus frquents parmi le peuple chrtien. Au dbut du sicle le simple fidle navait pas trop saisi ce que pouvait tre le modernisme ; cinquante ans plus tard il le sait surabondamment et il est dgot. Cest quen effet un demi-sicle aprs saint Pie X le modernisme est pass de la chaire du savant docteur en thologie dans la messe que clbre le vicaire ou le cur. Laberration dans lexgse est devenue crmonie

    3

  • liturgique et catchisme pour les petits enfants ; lapostasie qui tait le luxe de quelques intellectuels de haute vole est devenue la camelote de fabrication industrielle, la porte du premier prtre venu, la porte de pitoyables religieuses que des prtres diaboliques, trs conscients de leur travail, se sont acharns dvoyer. En un demi-sicle le modernisme sest introduit dans tous les secteurs de lglise ; pas un qui ait chapp. Mais aussi dans presque tous la rsistance se fait sentir. [des exemples ?]

    Comment expliquer que le virus ait pntr si avant dans lorganisme ? On peut numrer trois raisons principales : premirement limposture de Vatican II, le seul de tous les conciles qui ait refus dtre doctrinal ; deuximement loccupation progressive des charges les plus leves par des prlats modernistes ; troisimement la dbilit de la vie thologale dans tout le peuple chrtien, en commenant par la tte. Un concile qui a trahi (3), certains prlats qui ont trahi, un peuple chrtien incapable de rsister la trahison, parce quil tait spirituellement dbilit. Voil, en partie du moins, ce qui sest pass entre les deux modernismes : celui du temps de saint Pie X, qui est un saint ; celui du temps de Paul VI, qui ressemble trangement Honorius Ier. Ce disant je ne mconnais pas dautres causes, mais je les tiens pour moins dcisives. Entre les deux modernismes, le monde a connu la rvolution communiste et lextension des mthodes rvolutionnaires. Entre les deux modernismes, la maonnerie a beaucoup progress parmi les ecclsiastiques et jusque dans les rangs de la cour vaticane ; sur ce point le diagnostic de lvque de Ratisbonne, Monseigneur Graber, est un des plus clairants (4).

    146:184 Entre les deux modernismes il y eut la sauvage condamnation de lAction Franaise ; dans cette affaire lamentable un pape trs autoritaire narriva pas comprendre que ses oprations rpressives, tant menes comme il le faisait, nauraient dautre issue que dsastreuse : dabord lcrasement des catholiques attachs au Syllabus, ensuite lavnement dun piscopat non oppos aux erreurs modernes ; quant la fameuse action catholique elle ny trouverait dautre avantage que de se politiser et de sinflchir dans la direction du socialisme. Il y eut encore entre les deux modernismes le lancement mthodique des livres du pre jsuite Teilhard de Chardin. Ce fut pendant 15 annes au moins, de 1945 1960, le pilonnage par lartillerie teilhardienne de toutes les positions orthodoxes ; la destruction des ouvrages de dfense une fois acheve on a remis les bombardiers ; il est trs peu question de Teilhard depuis la fin du Concile. On ne peut sempcher dobserver ce propos que, lorsque la destruction battait son plein, les jsuites surent manuvrer avec assez dastuce pour viter leur grand homme la condamnation catgorique qui aurait prserv de son influence une bonne partie de lglise. Il ny eut aucune mise lindex ni de la part de Pie XII, ni de la part de Jean XXIII. Il y eut certes un monitum, mais les jsuites nignoraient pas que lefficacit dun monitum ntait pas comparable celle dune mise lindex De toute faon et quelle que soit la multiplicit des causes, les facteurs dterminants ou adventices des progrs du modernisme, il faut surtout nous dire nous-mmes, et nous dire en vue de nous rapprocher de Dieu, que sil y avait eu dans lglise une foi et une ferveur plus profondes, en PARTICULIER SIL Y AVAIT EU CHEZ LES VQUES ET LES PRTRES UN SENS PLUS CHRTIEN DE LA MESSE, LE MODERNISME NAURAIT PAS GAGN COMME IL A GAGN ; en tout cas, il naurait pas aussi facilement investi en tout lieu la sainte liturgie ; le peuple chrtien, la foule sans, nombre des pusilli nen serait pas rduit clamer et crier : Trs saint Pre rendez-nous la Messe, rendez-nous le catchisme, rendez-nous lcriture sainte (5).

    147:184 Existe-t-il un remde ? Pour sr, il existe. Un et mme plusieurs. Le mal nest pas incurable, puisquil est de foi que les portes de lEnfer ne prvaudront pas (Mt. XVI, 18) puisque le Seigneur ne nous laissera pas orphelins (Jn. XIV, 18) puisque nul ne pourra ravir au Seigneur les brebis quil tient en sa main (Jn. X, 28) puisque le Seigneur continuera doffrir son sacrifice par le ministre des prtres donec veniat, jusqu son retour (I Cor. XI, 26). Ainsi le mal dont souffre

    3 (1) Sur les bombes retardement de ce Concile, voir Mgr Lefebvre, Un vque parle, p. 196 (DMM). 4 (1) Dans son livre sur Saint Athanase et lglise de notre temps (ditions du Cdre). 5 (2) Voir la Lettre Paul VI de Jean Madiran.

    4

  • lglise ne va pas anantir lglise. Il est gurissable. Mais cette fois-ci, la diffrence de ce qui arriva au dbut du sicle, le mal a grandement pntr dans la hirarchie elle-mme. TANT QUE LA HIRARCHIE NAURA PAS LIMIN LE POISON QUI LINFECTE, LE REMDE NE PEUT TRE QUE PARTIEL ET LIMIT. Sans doute ce nest pas de la hirar-chie toute seule, ce nest pas non plus du chef tout seul que viendra le remde. Le corps, en tous ses organes, doit se dbarrasser du poison. Il reste quune gurison densemble rclame QUE LA TTE RETROUVE LA SANT. Ds que lon recherche quel remde appliquer contre le modernisme on soulve trois questions capitales : celle du chef de lglise, celle du tmoignage rendre, celle des tudes thologiques. IMPOSSIBLE DLUDER LA QUESTION DU CHEF, puisque LE SOUVERAIN PONTIFE ACTUEL SEST RENDU COMPLICE DE LAPOSTASIE. Les preuves en sont flagrantes : recours officiel des hrtiques notoires en vue de refondre les rites, de les refondre en faveur des hrtiques et contre les catholiques fidles ; collusion publique avec les francs-maons et les communistes ; absence de mesures canoniques contre les autorits parallles qui sapent la religion la base. Devant cette nouvelle manire de gouverner lglise de Dieu, quoi donc peuvent servir les discours de chaque mercredi ? Cette loquence intarissable narrive mme plus donner le change, parce quelle est en contradiction avec les pires innovations dans tous les domaines. LA QUESTION DU CHEF EST POSE CAUSE DE CES EFFRAYANTES INNOVATIONS. La question du chef ne deviendrait tragique que si elle tait pose lintrieur de linfaillibilit. Il nen est rien. Les bouleversements du pontife actuel, qui certes sopposent la tradition apostolique, se tiennent non seulement en de de linfaillibilit, mais mme en de de prceptes rguliers, prcis, assortis de sanctions canoniques. Le devoir dobissance nexiste donc pas. Dailleurs lobissance aucun homme, cet homme serait-il le Pape, ne peut tre illimite, inconditionnelle, soustraite aux limites du bien et du mal, de la vertu et du pch. En cela lobissance au Pape ne fait pas exception. Ce nest pas en faisant abstraction des circonstances, no-tamment en faisant abstraction de la tradition apostolique, que la parole du Seigneur qui vous coute mcoute dfinit une obligation pour les fidles.

    148:184 Il serait blasphmatoire de penser que, pour obir au Pape, le Seigneur nous aurait mis dans lobligation de faire un pch contre les murs ou contre la foi, de brader le catchisme romain ou de nous plier un rite de la messe quivoque et protestantis, aprs avoir envoy au diable le rite irrprochable et trs saint qui sest transmis intact depuis plus de quinze sicles. De mme que le qui vos audit me audit ne pouvait sappliquer dans le cas horrible de tel Pape de la Renaissance qui abusait de sa position pour sduire telle femme la fois indcise et intimide, de mme le qui vos audit me audit ne sapplique pas lorsquun PAPE CHIMRIQUE prtend se servir de son autorit pour faire accepter des rites quivoques ou traiter en catholiques des hrtiques sans repentance. Le Pape nayant dautorit lgitime que dans les limites de ce qui reste conforme la tradition apostolique, non de ce qui la contredit sournoisement, il sensuit que lobissance au pape sera contenue dans les mmes limites. Et voil pourquoi la question du mauvais chef, pose la conscience du fidle, ne demeure pas sans issue.

    Pour une part, mais pour une part seulement, la question de lautorit du chef visible de lglise se trouvera rsolue si nous savons que dans certains cas lexercice de son autorit peut tre mauvais. Le dogme de foi dfini au Concile premier du Vatican nous oblige de distinguer linfaillibilit, laquelle ne fait aucun doute dans certaines conditions donnes, de limpeccabilit laquelle nest pas un privilge papal ; IL PEUT DONC ARRIVER AU PAPE DE FAILLIR, NON SEULEMENT DANS LORDRE DES MURS, MAIS, JUSQU UN CERTAIN POINT, DANS LORDRE DE LA FOI ELLE-MME [Cette affirmation nest pas catholique]. Or partir dune certaine gravit dans les dfaillances du pape en tant que gardien de la foi, partir dun certain seuil, lpreuve est la limite de nos forces. Nous savons, nous savons dsormais dexprience, quil ne nous suffit point, pour la supporter sans flchir, davoir une juste notion, une notion

    5

  • chrtienne de lautorit rserve au pape et de lobissance que nous lui devons. La prire seule nous permettra daccueillir cette preuve, venue par le chef visible de lglise, de telle sorte que nous vivrons plus que jamais de la vie de lglise. Par suite de la dfaillance du chef visible [Si le chef dfaille, surtout dans la foi il cesse dtre chef], nous sommes obligs, plus que jamais, de nous tenir trs proches du chef invisible et victorieux, Notre-Seigneur Jsus-Christ. Nous sommes obligs, plus que jamais, de mettre notre recours et de trouver notre refuge dans le Cur Immacul de la Mre du Souverain Prtre, la Vierge de la Compassion et du Cnacle, dont la supplication est toute-puissante sur le cur de son Fils.

    149:184 Sans faire fi du raisonnement et de la rflexion qui sont toujours indispensables, il faudra que la prire purifie notre me et la rende docile ces inspirations du Saint-Esprit qui sont accordes aux curs purs ; qui permettent de dpasser, sans les contredire, les conseils et les rflexions les plus sages ; qui sont non pas lencontre mais au-dessus de la raison. La prire nous fera comprendre que le Seigneur avait prdit ces temps o labomination de la dsolation rgnerait dans le lieu de toute saintet (Mt. XXIV, 15) ; il les avait prdits afin que les fidles qui en seraient les tmoins ne perdent pas courage mais deviennent participants de sa victoire : ecce praedixi vobis (Mt. XXIV, 25). Sed haec locutus sum vobis ut cum venerit hora eorum, reminiscamini quia ego dixi vobis (Jn. XVI, 4). Confidite, ego vici mundum (Jn. XVI, 33). La rue no-moderniste post-conciliaire naurait point submerg lglise si un grand nombre dmes parmi les prlats, les prtres, les simples fidles, taient demeures vivantes ; vivantes par les vertus thologales et par loraison. Inversement, il est indispensable pour repousser le modernisme que la vie de prire refleurisse et saffirme parmi les fidles, plus encore parmi les prtres, plus encore parmi les prlats. Il est indispensable de confesser la foi, den rendre un tmoignage public avec autant dhumilit et de douceur que de fiert et de patience. Car la vraie confession de foi est uvre damour, dhumilit, de bont, et pas seulement uvre de force et de courage. Or nous nignorons pas quelles difficults nouvelles se prsentent en priode de rvolution moderniste pour empcher la confession de la foi et des sacrements de la foi dtre une grande uvre damour. Mais si elle ntait pas cela elle resterait trs insuffisante en prsence de Dieu, des anges et des hommes. Si ctait en face des perscuteurs classiques que nous devions rendre tmoignage de la Messe catholique tradi-tionnelle, si nous avions affaire comme nos ains aux tribunaux de la Terreur et du Directoire, nous nous trouverions videmment exposs la mort violente par le seul fait dassister la Messe catholique. Comment dans ces conditions extrmes ne pas entendre la Messe ou ne pas la clbrer avec une ferveur accrue ? La violence nous mettrait dans loccasion prochaine, si on peut dire, de tendre vers un grand amour pour ne pas commettre le pch de reniement. Mais voici que nous avons affaire la rvolution moderniste et non pas la perscution violente.

    150:184 Rendre tmoignage de la Messe catholique traditionnelle exige sans doute de nous un patient effort, mais ne nous met pas carrment en demeure de tendre une plus grande charit lorsque nous clbrons la Messe ou lorsque nous lentendons. Nous ne deviendrons pas forcment des rengats de la Messe si nous continuons dy aller avec des dispositions fortes insuffisantes, alors que nos ans des priodes de perscutions classiques seraient devenus rengats si leurs dispositions intrieures taient restes quelconques. De fait il se trouve des fidles et des prtres qui, certes, se donnent du mal pour confesser la foi dans la Messe catholique traditionnelle, mais enfin cest avec une tideur peu prs inchange quils persistent la clbrer ou lentendre. Il ne semble pas quils y apportent ce grand amour qui animait les martyrs de la Terreur, lorsquils sexposaient la mort pour tre alls la Messe dun prtre rfractaire. Ils rendent un certain tmoignage de la Messe catholique traditionnelle, sans tre obligs pour cela mettre beaucoup damour dans lassistance ou dans la clbration de la Messe. Aujourdhui le stimulant ne vient presque plus du dehors ; mais mme sans provocation extrieure, le feu intrieur de la vie thologale et de loraison doit devenir assez intense pour nous faire rendre tmoignage de la foi et des sacrements de la foi avec lamour que le Seigneur dsire. Non seulement le Seigneur, mais les mes de bonne volont lattendent ; elles esprent de le trouver en nous, pour avoir le courage leur

    6

  • tour de se tourner vers Dieu et de confesser la foi catholique et les sacrements de la foi. Si notre tmoignage est pntr de cet amour, lobjection spcieuse, reprise sous mille formes, sera vite balaye. On nous dit en effet : en enseignant le catchisme romain et maintenant la Messe catholique traditionnelle, latine et grgorienne, vous ne risquez pas davoir prise sur les mes ; vous conservez des pices de muse ; les mes ont besoin dune religion adapte ; or ladaptation consiste prendre lesprit du Concile, entrer dans ce mouvement dvolution que vous appelez le modernisme. (En vrit LE MODERNISME NEST PAS UNE ADAPTATION MAIS SOUS COULEUR DADAPTATION CEST UNE PERVERSION : non profectus sed permutatio, dirait saint Vincent de Lrins.) Nous savons parfaitement que les adaptations rituelles de porte gnrale, a fortiori les explicitations dogmatiques, relvent de lautorit suprme. Lorsque celle-ci est dfaillante, toute adaptation deviendrait-elle impossible et ne nous resterait-il que dtre dsadapts de nos frres de maintenant, dans la mesure o nous confessons la foi de toujours ?

    151:184 Question spcieuse et qui se trouve rsolue en grande partie lorsque le tmoignage est rendu par charit. En effet la charit rend attentif aux vritables besoins du prochain, fait deviner la bonne manire de prsenter la religion de toujours pour que, sans tre corrompue ni trafique, elle soit en rapport avec la conjoncture prsente. Mme lorsque lautorit suprme vient dfaillir et que les adaptations gnrales, loin dtre ralises en vrit, ont pris la forme de perversions gnrales, mme dans ces cas extrmes la charit fait dcouvrir au simple prtre et mieux encore lvque, dans le champ restreint de leur autorit, la meilleure manire de prcher la saine doctrine et de clbrer la Messe catholique pour y faire participer les fidles sans rien bouleverser. Du reste les exemples ne manquent pas. Les prtres qui gardent la messe catholique traditionnelle, latine et grgorienne, par un attachement damour au Souverain Prtre et donc, insparablement, par zle des mes, savent prendre en charge les fidles en vue de la participation la plus sainte possible. Ces mmes prtres captivent les enfants en leur enseignant le catchisme de saint Pie X et ne pensent pas quil faudrait cder au modernisme pour trouver une pdagogie convenable. Cependant ces prsentations adaptes ou cette adaptation fidle se ralisent seulement une double condition : dabord mditer sans cesse la doctrine et les rites traditionnels eu vue de les tenir tels quils sont, loin de les inflchir et de les dformer ; ensuite vivre uni Dieu de sorte que le tmoignage que lon rend de la foi catholique, la ferme attestation que lon porte, soit un effet de lamour.

    Parmi les moyens principaux de rsistance au modernisme nous avons signal un enseignement de la saine doctrine qui favorise la vie de prire et la contemplation, loin dy rester extrieur. Disons quelques mots dun enseignement de la thologie qui soit pntr de contemplation et dune tude thologique qui non seulement claire les intelligences mais qui dispose lme loraison et nourrisse la prdication. Le but premier de la thologie nest pas de dvelopper la vie de prire mais de pntrer intellectuellement les mystres rvls que nous tenons par la foi, dy accoutumer notre esprit, de nous rendre capables de les exposer au prochain. Le but premier de la thologie est de former des chrtiens dont lesprit soit vers dans les mystres surnaturels et qui soient en mesure de les prcher.

    152:184 Il reste que le thologien est appel tous les tournants de sa rflexion revenir aux vrits de la foi et par l mme il doit approfondir en son me la vie de prire. Les principes de la rflexion thologique en effet sont tenus par la foi ; ds lors comment poursuivre cette rflexion sans tre ap-pel nous taire dans la foi et dans une contemplation aimante ? Comment slever quelque peu une vue synthtique dun trait de thologie, ou de toute une Pars du corpus theologicum, sans prouver le double sentiment de la valeur de cette vision densemble mais plus encore de ses limites ; sans que le dsir savive en nous de nous laisser instruire par lEsprit de Dieu, au-del du discours, dans loraison et travers les sacrifices ? Comment par ailleurs dfendre intellectuellement les vrits du salut en vue de les prcher dans toute leur puret et ne pas aspirer en mme temps, en vue dassurer cette dfense, un accroissement des vertus de force, dhumilit,

    7

  • de misricorde ? Pour la dfense des vrits du salut, pour les vrits de cet ordre-l, il est tellement vident que la pntration de lesprit et la rectitude de la dialectique, toutes ncessaires quelles soient, demeurent trs insuffisantes.

    Ainsi donc lenseignement de la thologie se doit de nourrir la vie de foi, et le zle apostolique. Mais cela qui est normal est, de fait, peu rpandu. Il est assez rare que le labeur thologique procde de la prire et soit tourn vers la prire. De plus, lorsque la notion de la foi thologale est elle-mme mutile, comment ltude de la thologie pourrait-elle ne pas en ressentir les consquences fcheuses ? Que lon prsente donc la foi thologale non seulement dans son motif formel, qui est surnaturel par lui-mme, non seulement en manifestant la valeur des motifs de crdibilit, mais que lon prsente la foi dans son tat normal ; son tat normal cest dtre vivante par la charit, dtre la source dune contemplation inspire par les dons du Saint-Esprit qui sont insparables de la charit. Il faudrait encore dire un mot des systmes modernes qui ont dbilit la grande thologie, qui ont contribu, avant mme lavnement dune critique des textes rationaliste, rendre la thologie anti-contemplative, peu capable de favoriser la prire et la prdication. Le molinisme par exemple sous prtexte de sauvegarder la libert, est bti sur une mfiance profonde de la toute-puissance mystrieuse de la grce de Jsus-Christ ; par ailleurs, certains systmes de thologie morale sont hants par le souci misrable de nous dispenser dtre gnreux dans lamour du Seigneur mais proccups aussi de nous viter de pcher trop gravement (6), prtendent assurer notre salut en mettant de ct lobservation du premier prcepte qui est la perfection de lamour ;

    153:184 perfection qui est prescrite non comme matire raliser hic et nunc mais comme fin vers laquelle tendre en vrit et cela ds maintenant. Les divers systmes que je dnonce ont anmi la thologie, la rendant impropre nourrir notre intelligence et nous faire dsirer la nourriture suprieure de la contemplation. En revanche la thologie quand elle est convenablement enseigne dans le rayonnement de saint Thomas dAquin nous aide, pour sa part, mieux prier et oppose au dferlement de lapostasie moderniste un rempart imprenable. Notre lutte contre le modernisme, mme si elle est porte dans la prire, ainsi quelle doit ltre, mme si elle use des armes appropries, demeure sans proportion avec le mal. Cette fois lapostasie a trop perfectionn ses mthodes pour quelle soit vaincue sans un miracle. Ne cessons dimplorer ce miracle du Cur Immacul de Notre-Dame. Poursuivons la lutte de toutes nos forces comme des serviteurs inutiles, mais en mettant plus que jamais notre recours dans lintercession toute-puissante de Marie, Mre de Dieu toujours Vierge, car cest elle qui une fois de plus sera victorieuse de lhrsie. Gaude Maria Virgo, cunctas haereses sola interemisti quae Gabrielis archangeli dictis credidisti.

    R.-Th. Calmel, o.p.

    6 (1) Voir par exemple lart. Probabilisme dans le Dictionnaire de Thologie Catholique ou lexcellent petit volume du P. Deman, o.p. La Prudence, paru en 1949 dans les fascicules de la Somme Thologique, bilingue, de ldition dite de la Revue des jeunes.

    8