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LE NOUVEL OBSERVATEUR

Aux Journées de Strasbourg, porter “la plume dans la plaie” de la politique

Sauver la politique, c’était le sujet – ô combien crucial – choisi par “le Nouvel Obs” pour ses Journées de Strasbourg

Dans la grande salle de l’Aubette, place Kléber, les spectateurs sont debout. De nombreux bras se lèvent. Les applaudissements résonnent. La ministre de la Justice, Christiane Taubira, veste rose de circonstance, entre dans la salle. Et c'est l'effervescence. Manifestement, elle n'est pas une femme politique comme les autres aux yeux du public strasbourgeois. « Plutôt une héroïne, insiste Karine, jeune militante socialiste. Elle incarne le courage politique. La bataille des idées. »

« Que la garde des Sceaux vienne à notre rencontre est une excellente initiative », juge un monsieur de haute taille. « Je sais que le jour où il y aura une récidive douloureuse, je serai accusée de tous les maux. Je le sais, et je suis prête à en payer le prix », confie Christiane Taubira. Assumer ses choix politiques et les expliquer, c'était le défi lancé à la ministre lors de la clôture des Journées de Strasbourg, organisées par « le Nouvel Observateur ». Du vendredi 14 au samedi 15 juin, durant de multiples débats, de nombreux intervenants se sont penchés sur un sujet crucial : « Sauver la politique ».

« J’aime le thème de ces journées. » Anne Heintz, retraitée de l’enseignement, tient avec précaution son tract coloré de rouge. « C’est important de pouvoir rencontrer les intellectuels et les hommes politiques », confie cette petite femme à la voix fluette. Anne Heintz tient en horreur le pessimisme. Voilà pourquoi elle a souhaité venir aux Journées de Strasbourg. « Il faut nous redonner de l'espoir. »

L’idée que la politique n’a plus trop le vent en poupe et que le désenchantement et le scepticisme gagnent progressivement l’opinion a pourtant de quoi plomber le moral. Comment s’en sortir ? La question est sérieuse. « Moi, j’y crois, lance Anne. Mais il faut que l’on soit ensemble. » Et son regard embrasse alors la scène qui accueille Jean-François Kahn, fondateur de « Marianne », Eva Joly, candidate écologiste à la dernière élection présidentielle, et Roland Ries, le maire socialiste de Strasbourg.

Calme et sereine, Eva Joly évoque « la corruption qui règne dans le monde à cause de notre impuissance ». L’auditoire se fait plus attentif lorsqu'elle revient sur l’exemple de l’Islande, qui a décidé de « combattre l’injustice après la crise des subprimes ». Jean-François Kahn, plus provocateur, s’emploie à dénoncer les

« clivages artificiels qui plombent les vrais débats ». Tonitruant, il souhaite « avant tout » que « la France se réveille », « que la société change ».

Hugo Cordier, jeune étudiant en histoire, tend le cou pour observer les joutes verbales. « Il y a une vraie fracture entre nous, les petits, et eux, les grands. » Hugo Cordier imagine une autre façon de faire la politique. « Ce genre de débats nous rapproche des décideurs. Les pensées peuvent évoluer, lance-t-il. Mais les grands partis n'ont plus d'idéologies. »

C’est justement la question posée à Dominique Schnapper, sociologue et politologue, et à Freddy Thielemans, le bourgmestre de Bruxelles. Comment « réintellectualiser la vie politique » ? Freddy Thielemans estime que « le bipartisme et l’organisation de nos institutions sont deux des causes de la pauvreté intellectuelle de la politique ».

« Mais pas que… » assure la sociologue Dominique Schnapper. « Le fait que le Parlement ne puisse être l’exacte représentation de la société en fait partie. » Pour la politologue, « à l’Assemblée, les sujets débattus n’apparaissent pas pertinents aux yeux de la rue. Et dans la rue, on s'affronte sur des sujets qui ne pourront jamais être traités au Parlement ».

La transparence, sur laquelle le Parlement débat cette semaine, fait également l’objet d’âpres discussions à Strasbourg. Alain-Gérard Slama, essayiste et écrivain, avertit : « Moraliser la vie politique, bien sûr, mais donner à tout le monde le droit de tout savoir sur ce que possèdent les élus et porter ces informations sur la place publique, attention danger ! » Que peut faire l’Etat pour changer la société tout en préservant les droits des citoyens ? « Redonnons du sens au temps », demande Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean-Jaurès. « Et donnons du temps au débat. »

« Edwy Plenel, c’est l’idole des jeunes. » La phrase de ce jeune spectateur résume bien l’accueil qu’a reçu le cofondateur de Mediapart, samedi 15 juin. Face à Jean-Claude Guillebaud, essayiste et membre du jury du prix Albert-Londres, la bête noire des corrompus aiguise sa démonstration sur un sujet d’actualité : « La moralisation de la vie politique ».

Pour observer de près Edwy Plenel et Jean-Claude Guillebaud, les spectateurs jouent des coudes sans scrupules. « Albert Londres le disait si bien : il faut porter la plume dans la plaie » de la politique, de la démocratie et des contre-pouvoirs, assène Edwy Plenel.

Jean-Claude Guillebaud, lunettes posées sur le bout du nez, liste ses pratiques préférées en la matière. « Au Canada, les commissions d’enquête sont en direct à la télévision. L’une d’entre elles a même diffusé l’intégralité des écoutes de la police sur un homme politique. C’est magique », confie-t-il, sourire espiègle au coin des lèvres. Edwy Plenel explique ne pas être « un moralisateur ». « Ce qui m’effraie, c’est l’impossibilité pour le citoyen d’interpeller les pouvoirs publics. Aux Etats-Unis et en Angleterre, il y a le droit à l’information qui permet d'avoir accès aux documents officiels. » Le torse en avant, Edwy Plenel porte des coups d’estoc aux défaillances de la démocratie française.

Justement, comment donner du sens à la parole politique ? « Les politiques ont besoin des médias pour toucher l'opinion », explique Stéphane Fouks, président de l'agence Havas Worldwide et ancien conseiller de Dominique Strauss-Kahn. Le jugement d'Olivier Pourriol, écrivain et ancien chroniqueur du Grand Journal de Canal+, est plus sévère. « C'est un cirque incroyable. Un zapping sidérant où tout se mêle. Politique et people. » Pour Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du « Nouvel Obs », la conséquence du furieux jeu médiatique auquel sont soumis les politiques se résume ainsi : « Personne ne se souvient de ce qui a été dit. » Ce qui reste : « L'émotion et l'image. » A Strasbourg, le public gardera en mémoire l'intensité des débats et l'envie de sauver la politique.

Paul Laubacher