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REVUE MISSIONNAIRE DES JÉSUITES DU CANADA FRANÇAIS ET D’HAÏTI JANVIER-AVRIL 2016 - NO 521

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Édité auBUREAU DES MISSIONS JÉSUITES25, rue Jarry OuestMontréal (Québec) CanadaH2P 1S6Tél. : 514 387-2541Téléc. : 514 [email protected]

DirecteurPierre Bélanger, S.J.Directeur des Missions jésuitesMichel Corbeil, S.J.CollaborateursMonique SancheJulien Naud, S.J.AdministrateurJean BrissetteSecrétariat et communicationsDimy Ambroise514-387-2541, poste [email protected] – RéabonnementsLa direction514-387-2541, poste [email protected]

MEMBRE DE L’AMÉCOAssociation des médias catholiques etœcuméniques

Société canadienne des postesEnvois de publications canadiennes :Contrat de vente no 40009209

Conception graphique :Paul Raymond

Imprimerie H.L.N. inc.2605, rue HertelSherbrooke (QC) J1J 2J4

Tirage : 5500 exemplaires

Date de parution : mars 2016

La revue paraît trois fois par année.Elle est envoyée à tous les bienfaiteurs et bienfaitrices.

Le BRIGAND – fondé en 1930Ce titre de notre revue rappelle queson fondateur, le P. Joseph-LouisLavoie, a été en Chine la victime d’unbrigandage qui le força à revenir auCanada se remettre de ses émotions.Nommé procureur de la mission, ilprend à son tour le nom de BRIGANDpour soutenir l’effort missionnaire deses confrères.

LE BRIGAND est maintenant unerevue d’information sur les engage -ments missionnaires des jésuitesoriginaires du Canada français etd’Haïti. La revue met aussi en contactavec d’autres jésuites et avec lemonde missionnaire en général. Elleveut intéresser le lecteur à la causemissionnaire en suscitant unecollaboration active par la prière,l’aumône ou toute autre forme. Sur tout don reçu, les premiers 12,00 $ sont prélevés comme prix del’abonnement.

SOMMAIRELE BRIGAND, JANVIER-AVRIL 2016 - NO 521

Une publication de laProvince du Canadafrançais et d’Haïtide la Compagniede Jésus

ÉDITORIAL

L’Afrique. Ne jamais l’oublier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3Pierre Bélanger, S.J.

DOSSIER SÉNÉGAL

Mer et Monde aux couleurs africaines . . . . . . . . . . . 4Rencontre avec Madeleine PineaultDirectrice terrain au Sénégal

La « poussinerie » des femmes de Yendane . . . . . . . 7Reportage-photo

Les accompagnateurs des projets de . . . . . . . . . . . . 8Mer et Monde au Sénégal

Mer et Monde à Notto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

ÉTHIOPIE

Il y a 70 ans… . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12Extraits des mémoires du P. Roland Turenne, S.J.

Le Service jésuite des réfugiés . . . . . . . . . . . . . . . . 16à Addis-Abeba et en Éthiopie

Entrevue du P. Atakelt Tesfay, S.J.

HAÏTI - ALLEMAGNE

L’Église d’Allemagne au service d’Haïti . . . . . . . . . 19Rencontre avec Margit Wichelmannd’ADVENIAT

TAÏWAN

Barnabé Hounguevou, S.J. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22Un jésuite béninois en terre chinoise

Hommage au P. G.-E. Beauregard, S.J. . . . . . . . . . 26

IN MEMORIAM

Le frère Gérard Aubin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27Le père Adrien Léonard

Comme tant de Sénégalaises, Soda Nisung, de Notto,

travaille fort dans des conditions de vie exigeantes.

Cela ne l’empêche pas de sourire à la vie.

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Page couverture : Un baobab, arbre emblématique enAfrique de l’Ouest, dans le villa de Notto, au Sénégal.

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Des visages souriants, des sociétés où les jeunes sontnettement majoritaires, des gens déterminés à regarder versl’avenir malgré un passé et un présent souvent alourdis par desconditions de vie difficiles ou par les conflits, des pays où ladimension religieuse de la vie tient une place importante : voilàquelques traits qui me restent en mémoire après la « tournée »africaine que j’ai réalisée, pour le bénéfice des abonnés de notrerevue missionnaire, à la toute fin de 2015.

Je n’oserais pas affirmer que j’ai visité l’Afrique ; je ne suis allé que dans trois pays qui, chacun à sa manière, recèlent uneprésence jésuite spécifique ou avec lesquels, nous, du Canadafrançais, avons des liens ou des affinités. J’étais motivé par mon« ignorance », que je voulais combattre. En effet, nous ne pensonspas souvent à l’Afrique et aux Africains. Pourtant, il s’agit d’unepartie du monde considérée comme prioritaire à la fois aux yeuxdes Nations unies – le secrétaire général Ban Ki-moon l’a affirmédès le début de son mandat – et aux yeux de la Compagnie deJésus qui, lors de sa 35e Congrégation générale en 2008, a confir -mé la sollicitude pour l’Afrique comme une de ses cinq prioritésapostoliques.

Les sentiments qui nous habitent à propos de l’Afrique sontmixtes car souvent empreints de pessimisme ou de désolation.N’avons-nous pas tellement entendu des échos de nombreuxconflits armés, de guerres « tribales » provoquées par une mau -vaise répartition des ressources ? N’avons-nous pas le souvenir

de famines et d’épidémies qui semblent frapper ce continent plusque n’importe quelle autre partie du monde ? Ne sommes-nouspas portés à juger sévèrement les leaders africains qui entretien -draient des systèmes où la corruption joue un rôle important,alors que nous savons bien, maintenant, que la corruption guetteégalement nos sociétés ?

Au cours de l’année 2016, Le BRIGAND consacrera un bonnombre de pages à diverses formes de présence jésuite enAfrique. Comme c’est notre habitude et selon notre « point de vueéditorial », nous ferons ressortir les engagements de personnesqui s’investissent dans le service de ceux et celles qui sont dansle besoin mais qui, surtout, cherchent à croître à tous les niveaux.Les exemples de don de soi ne manquent pas dans tous cesmilieux où la vie l’emporte sur la lourdeur des défis rencontrés,que ce soit au Sénégal, en Éthiopie ou au Kenya.

Comme le pape François l’a fait dans le bidonville de Kangemi,à Nairobi en novembre dernier, approchons-nous de nos frères etsœurs d’Afrique avec le cœur ouvert, avec le désir de compren -dre ce qu’ils vivent, avec le goût d’être solidaires de leurs objec -tifs de développement, et, surtout, en nous laissant remuer, émer-veiller, transformer même, par la foi vivante dont ils font preuve.

Pierre Bélanger, [email protected]

L’AFRIQUE. NE JAMAIS L’OUBLIER

Concélébration du dimanche, en wolof et en français, à l’église de Lalane, au Sénégal.

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Les lecteurs et lectrices duBRIGAND savent bien que beaucoupdes œuvres jésuites, au Canadacomme dans la plupart des pays dumonde, sont animées par des collabo-rateurs et collaboratrices laïques. Cespersonnes adhèrent aux manièresd’agir de la Compagnie de Jésus etsont des rouages importants de nosengagements concrets.

!Parmi les œuvres associées auxjésuites du Canada français, il y a unepetite ONG d’initiation à la coopérationinternationale du nom de Mer et Monde.Elle a été fondée en 1984 par le P. MichelCorbeil, le directeur actuel des Missionsjésuites, et elle est menée par une équipede laïcs engagés à Montréal, au Nica -ragua et au Sénégal. Comme le précise laprésentation de l’organisme sur son siteweb, Mer et Monde est fondé sur uneconviction : le véritable développementdurable passe d’abord par la rencontredes personnes et la collaboration entreelles. Ses programmes de stages à l’é -tranger, pour les jeunes comme pour lesadultes, invitent à la solidarité et à lajustice comme balises à un engagementcitoyen responsable à moyen et à longterme.

Le BRIGAND a visité pour vous l’équi -pe et les stagiaires de Mer et Monde auSénégal. Les témoignages recueillis sontriches, aussi bien parmi les membres de

l’équipe, chez les organismes partenairesdu milieu que dans les rencontres avecles stagiaires en poste en fin d’année2015. Ils pourront nourrir plusieurs pagesde notre revue dans ce numéro commedans la prochaine édition.

Nous rencontrons d’abord MadeleinePineault, coordonnatrice et directrice deMer et Monde au Sénégal. En introduc-tion, il est bon de lire la présentationqu’elle faisait d’elle-même dans le bulletinde l’ONG à laquelle elle se dédie.

« Je suis née dans la vallée de laMatapédia et j’ai grandi à Drummondville.Je travaille présentement au Sénégal.Qu’est-ce qui fait qu’un coin de la planètenous attire? Je n’ai pas la réponse à cettequestion. Je crois seulement que, toutejeune encore, l’Afrique m’attirait. J’ai tou -jours su que j’y viendrais un jour. À 10 ans,je rêvais d’être religieuse missionnaire etde venir en aide à un pays d’Afrique. Monrêve a changé, évolué en même tempsque moi ; cependant, il m’a toujours habi -tée. Je me suis donc mariée, j’ai fondéune famille, ai travaillé. Mais au fond demoi, l’appel de ce continent a toujours étéprésent.

C’est après le décès de mon mari en2008 que j’ai pu réaliser ce rêve. Le départde mon mari avait ouvert un gouffre enmoi. C’est certain qu’en l’accompagnantdans la maladie et la mort, j’ai pris cons -cience de la grandeur de la vie, de l’im-

portance de vivre profondément chaqueinstant, du cadeau de la vie… Conscien -ce aussi de la finalité de cette vie et del’urgence de vivre ses rêves. »

Pierre Bélanger : Madeleine, qu’est-cequi vous rend heureuse dans votre travailà Mer et Monde?

Madeleine Pineault : Ce qui m’anime,c’est la rencontre avec les gens. Le côtéhumain du travail autant avec les sta -giaires qu’avec les partenaires. Avec lesstagiaires, c’est l’accompagnement danscette expérience fabuleuse : assister àleur évolution, leur ouverture et aussi leurémerveillement bien souvent. C’est aussila rencontre culturelle avec les membresdes organisations partenaires. C’est vrai -ment une expérience magnifique d’ac-compagner une communauté, un village,dans des projets de développement et devoir comment, grâce à l’engagement despersonnes, tout doucement, les projetsprennent forme.

MER ET MONDEAUX COULEURSAFRICAINESRencontre avec Madeleine Pineault, directrice de Mer et Monde au Sénégal

La direction de Mer et Monde impliqueaussi du travail de coordination

et d’administration.

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PB : En quoi ces activités rejoignent-ellesvotre philosophie de vie ?

MP : Je suis une personne avec unparcours de vie assez atypique. Je peuxdire que je suis à l’écoute de ce que la viepeut m’apporter. Que je me trouve auSénégal n’était pas dans mes « plans »,même si j’avais un intérêt pour l’Afriquedepuis mon enfance. Je suis venue auSénégal pour la première fois en 2010 entant que stagiaire « 50 ans et plus » de Meret Monde. J’ai fait de l’alphabétisation envillage à ce moment-là. Ce fut alors la porteouverte à d’autres séjours sénégalais.

Après la perte de mon mari à la suited’un cancer foudroyant, j’en voulais à lamaladie de me voler ma vie. Mais aujour-d’hui, je me rends compte que la vie nem’a rien volé, j’ai beaucoup grandi et l’ex-périence m’a amenée sur des routesinsoupçonnées. Aujourd’hui, je dis merci àla vie de me permettre de vivre cette belleexpérience de Mer et Monde. Après mapremière expérience comme stagiaire, jesuis restée très connectée avec l’Afrique.J’avais vraiment envie de revenir. J’avaisalors laissé un petit mot à MireilleChilloux, la directrice de Mer et Monde àMontréal, lui disant que si jamais il y avaitun besoin, je serais disponible. Aussi, en2011, je suis revenue au Sénégal pourdonner un coup de main à la coordination.Je suis retournée chez moi en pleurant,faisant mes adieux à l’Afrique une secon -de fois. Et puis, en 2012, nouvel appel : onm’offrait le poste de directrice terrain ! Je

n’ai pas eu à y réfléchir longtemps : j’aiappelé ma fille et mon fils pour leur enparler et tous deux m’ont encouragée. Etme voilà à nouveau en Afrique !

PB : Comment s’était fait votre premiercontact avec Mer et Monde?

MP : Après le choc du décès de mon mari,je m’étais fait une liste de priorités. Visiterl’Afrique était au sommet de cette liste.Mais je ne voulais pas le faire en touriste;je voulais faire une expérience culturelleprofonde. Ma sœur, qui connaissaitMireille Chilloux, m’a orientée vers Mer etMonde. L’approche m’a tout de suiteconquise : véritable rencontre intercul-turelle, vie dans les familles. Il nes’agissait pas d’apporter une aide maisd’aller à la rencontre de l’autre. Cetaspect m’a beaucoup attirée.

PB : Est-ce que vos expériences profes-sionnelles vous ont aidée dans votretravail à Mer et Monde?

MP : Il est vrai qu’au départ je suis venuepour vivre l’expérience africaine, mais ilfallait aussi travailler ! Comme j’avaisœuvré pendant plusieurs années engestion administrative dans le passé, celam’a beaucoup aidée. Gestion, adaptation,capacité de faire des changements sansêtre déstabilisée : voilà des atouts que jepossédais. Mon mari et moi avions dirigéune résidence pour personnes âgées,j’avais de la facilité à entrer en contactavec les gens, à écouter les personnes.

Je considère que c’est la vie qui m’a con -duite ici, de façon naturelle, après ce quej’avais fait et vécu. J’ai suivi mon cheminde vie et je me suis retrouvée au Sénégalà vivre la plus belle expérience de ma vie.

PB : Quel Sénégal avez-vous découvert ?Qu’est-ce qui vous apparaît le plus vivantici ?

MP : C’est d’abord l’aspect culturel. Onvient à la rencontre d’un peuple d’uneculture ancestrale tellement riche ! Onvient y découvrir une petite partie seule -ment de cette richesse culturelle. Jepense que je serais ici 10 ou 20 ans et quej’aurais encore des choses à découvrir.Cela est aussi lié à ce qui m’intéressedans mon travail : on est toujours mis ensituation d’apprentissage, d’adaptation etde découverte. J’ajoute que le peuple duSénégal est un peuple qui sourit en dépitde tous ses problèmes. En regardant lajeunesse sénégalaise, j’observe que cepeuple est à cheval entre les coutumesancestrales et la modernité. On voit parexemple la femme avec son fer à repasserau charbon mais qui, en même temps, ason téléphone cellulaire à l’oreille. Je voisaussi un peuple qui se remet en question,surtout au niveau de la jeunesse : lesjeunes sont moins fatalistes et sont enrecherche de solutions, les yeux tournésvers l’avenir. Ils le font sans d’abordchercher à émigrer. Je pense aussi quel’État sénégalais commence à compren -dre la nécessité de supporter la jeunesseet de chercher à garder les jeunes dans le

Madeleine visite une responsable du groupe defemmes de Yendane, partenaire de Mer et Monde.

Visite d’un stagiaire sur son lieu de travail; descontacts hebdomadaires assurent la qualité du stage.

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pays pour assurer le développement. Toutcela m’apparaît positif.

PB : Abordons maintenant un autre aspectde votre travail. Vous recevez des stagiai -res et vous les mettez en lien avec despartenaires ; parlez-nous de ces parte-naires sénégalais avec lesquels voustravaillez.

MP : Nous répondons à beaucoup dedemandes de divers organismes dumilieu. Mer et Monde est établi ici depuisl’année 2000 et nous collaborons aveccertains organismes depuis cette période.Nous, les gens de Mer et Monde, sommesmaintenant assez connus au Sénégal;nous avons bonne réputation. Nous rece -vons donc passablement de demandes departenariat. Nous devons faire des choixaussi en fonction des types de stagiairesqui sont disponibles. Nous avons desgroupes d’élèves du secondaire, desétudiants du cégep et de l’université quifont des stages liés à leurs études, des « 50 ans et plus » qui apportent uneexpertise spécifique selon leur expérien -ce. En 2015, nous avons eu moins destagiaires, en particulier des milieux sco -laires, à cause de la crainte qu’a suscitéel’Ebola dans des pays voisins. Quand il y abeaucoup de stagiaires qui veulent venir,il nous faut trouver de nouveaux parte-naires. Dans le dialogue et avec de la

créativité, on trouve habituellement desmilieux de stage tout à fait adaptés desorte qu’aussi bien les stagiaires que lespartenaires profitent à plein de l’expé -rience.

Prenons un cas original : quelqu’unvoulait faire un stage en ethnomusico -logie ; je n’avais aucune idée de ce qu’ilvoulait faire. Mais en parlant avec lui, j’aicompris qu’il voulait surtout rencontrerdes personnes. Il est effectivement venu,et est même revenu deux fois ensuite ; ilm’a dit qu’il avait amassé du matériel pourécrire trois thèses de doctorat ! Commevous le voyez, nous ne sommes jamaisdans la routine, toujours dans l’inventivitéen fonction de la demande soit desstagiaires, soit des partenaires.

PB : Dans le cadre de stages si divers,arrivez-vous à identifier ce que chacundes stagiaires a reçu de son expérienceici ?

MP : On fait une évaluation globale à la finde l’expérience de chaque stagiaire. Dansla grande majorité des cas, les stagiairesnous disent que Mer et Monde a été l’ex-périence la plus formatrice de leur vie.Alors, c’est certain que le séjour apportebeaucoup aux stagiaires. Les plus jeunesen particulier ne peuvent pas se rendre

compte de ça au début de leur stage; ilspensent qu’ils viennent aider des gensd’un pays en développement. Mais fina -lement, ils constatent qu’ils ont beaucoupplus appris que ce qu’ils ont donné, enparticulier à cause du temps passé dansles familles d’accueil. Ils n’imaginaientpas la force des liens qui seraient créés.Vivre le quotidien d’une famille séné-galaise est toute une expérience ! Lestage est aussi une grande expérience dedécouverte de soi. Et au niveau profes-sionnel, cela apprend aux stagiaires àêtre créatifs : parce qu’ils sont dans unpays émergent, ils sont souvent obligés decréer des outils et d’inventer des métho -des de travail. Cela leur permet de déve -lopper leur créativité au maximum.

PB : Le Sénégal est un pays où la religionest très présente. C’est un pays à majoritémusulmane mais où les relations entrechrétiens et musulmans sont générale-ment bonnes. Comment les stagiairesvivent-ils la dimension religieuse de l’ex-périence culturelle qui leur est proposée ?

MP : Je pense que c’est aussi une belledécouverte pour la majorité d’entre eux,surtout que l’image qu’on a de l’Islam auQuébec est tellement déformée. On asso -cie essentiellement l’Islam à l’extrémismeet on oublie que cette tradition religieuseest aussi autre chose. C’est une religionde paix, d’amour, de partage, des dimen -sions qu’on vit ici, dans les familles, tousles jours. Les chrétiens et les musulmansvivent ensemble, fêtent ensemble, semarient entre eux. C'est une très belledécouverte. Je parle de l’expérience desstagiaires, mais je peux parler aussi de mapropre expérience. Ce que j’ai vécu ici auniveau religieux m’a permis de me récon-cilier avec beaucoup d’aspects de lareligion. Naturellement, l’impact est diffé -rent pour chaque personne. Le fait que lesgens d’ici, chrétiens ou musulmans, soienttrès pratiquants amène les stagiaires à sequestionner. Certains vont même jusqu’àrevisiter leur foi : j’ai eu certains témoigna -ges en ce sens. Si nos stagiaires ne setournent pas tous vers la pratique reli -gieuse après leur stage, une ouverture esttout de même créée. ■

Chaque stagiaire est lié à une famille au point d’en faire intégralement partie.

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LA « POUSSINERIE »DES FEMMES DE YENDANE

Le développement, un peu partout dans le monde,repose bien souvent sur l’engagement des femmes dansleur milieu, y compris dans l’activité économique. Mer etMonde soutient plusieurs projets d’autonomisation et deprise en charge d’activités économiques par des femmesdans les villages de la région de Thiès. Un exemple : ceprojet d’élevage de poulets sous la responsabilité de l’association des femmes de Yendane.

Madeleine Pineault, la directrice nationale de Mer et Monde,est reçue comme une amie par l’association. Ce jour-là, en plusde venir prendre des nouvelles du poulailler, elle apportait unevidéo réalisée par des stagiaires québécois qui avaient vécu àYendane. Rires et souvenirs animaient le groupe durant levisionnement.

Sur le mur de la poussinerie, les drapeaux du Sénégal et duQuébec se côtoient, témoins du passage de l’équipe de Mer etMonde dans l’établissement du projet.

Trois fois par jour les femmes viennent en rotation nourrir lespoussins et nettoyer leur environnement. On engraisse 250poulets à la fois, veillant à ce qu’ils soient prêts pour être vendusjuste avant les jours de fête durant lesquels les gens mangent dupoulet, un mets plus cher que les légumes ou le poisson.

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Je suis avec Mer et Monde depuis2004. Si je suis là depuis si longtemps,c’est vraiment parce que j’aime ce que jefais. Le travail dans le domaine de lacoopération internationale implique deséchanges et pousse à garder l’esprit tou -jours ouvert. Au départ, imaginez-vous, j’aiune formation en mécanique automobile !Mais lorsque j’ai commencé à collaboreravec Mer et Monde, on m’a offert unebonne formation et, avec les années, jepuis dire que je suis un professionnel duterrain en coopération. Je me sens vrai -ment à l’aise dans ce que je fais.

Mon travail, c’est l’accompagnementet l’animation des stages. Je collabore aus -si à la coordination administrative et dansla recherche de nouveaux partenaires quipourraient recevoir des stagiaires. Danscertains domaines, Mer et Monde est déjàbien connu et les responsables d’orga -nismes viennent vers nous à la recherchede stagiaires. Mais dans d’autres champsd’activité, il nous faut des milieux de stage

très spécialisés et nous devons les débus -quer. Par exemple pour la physiothérapie,la nutrition, le droit, l’ergothérapie, le tra -vail social et la psychologie, il nous fauttravailler avec des spécialistes d’ici. Noussommes basés à Thiès, mais pour certainsstages, nous avons recours à des organis -mes de Dakar, la capitale.

Je suis responsable des stages à Da -kar. Concrètement, cela implique qu’avantl’arrivée des stagiaires au Sénégal, je vaisrencontrer les partenaires et je prépare unplan de stage avec eux. Puis, je dois m’as -surer qu’en arrivant ici et avant qu’ilssoient déployés sur le terrain, les stagiai -res reçoivent une bonne formation debase pour bien entrer dans l’expériencequi leur est proposée.

Il y a aussi la recherche des familles oùles stagiaires vont vivre. C’est moins dif -ficile de recruter des familles dans lesvillages qu’à Dakar. À la capitale, unegrande ville, le caractère communautairesemble moins fort qu’à la campagne. Maisla bonne nouvelle est qu’on parvienttoujours à trouver d’excellentes familles.

Je me souviens avec beaucoup deplaisir de nombreux stagiaires que j’aiaccompagnés ; je pense à Ismaël, à Ingrid.Mais la personne avec laquelle j’ai eu leplus de plaisir à travailler, c’est DenisLefebvre, un ancien directeur de Mer etMonde pour le Sénégal. Denis nous avraiment aidés, les animateurs terrain, ennous donnant de plus en plus de respon -sabilités. Cela m’a permis de développermes capacités. Il avait confiance en nous.Quant aux stagiaires, je peux dire hon-nêtement que chacun et chacune m’ontmarqué à leur façon. Grâce à eux, monunivers s’est agrandi ! ■

LES ACCOMPAGNATEURS DES PROJETS

C’est une longue histoire, celle demon itinéraire avec Mer et Monde. J’aitravaillé avec le frère d’un ancien coor-donnateur de Mer et Monde. Quand cejeune homme est parti pour la France,on m’a invitée à venir travailler à Mer etMonde… comme cuisinière. L’organis -me s’appelait à cette époque « Salut lemonde ! ». Je m’occupais donc de nour -rir les stagiaires. Mais je me suis viteintéressée aux activités de l’organisme.J’ai demandé à suivre des cours d’al-phabétisation ; j’ai appris le françaisavec Mer et Monde car je parlais wolof.J’ai ensuite suivi une formation sur laculture québécoise pour pouvoir accom -pagner les stagiaires qui viennent ici.Maintenant, je suis accompagnatrice.C’est grosso modo mon parcours… unparcours atypique, mais très valorisant.

Maintenant donc, j’accompagne lesstagiaires du Québec, qu’il s’agisse dejeunes du secondaire ou d’universi-taires. Parmi mes responsabilités princi-

Pierre Coulibaly

Si Madeleine Pineault administre, supervise et anime les projets de Mer et Monde au Sénégal, elle compte beaucoup sur son équipe d’animateurs locaux pour suivre, au jour le jour, les stagiaires québécois dans les communautés, organismesou villages de brousse où ceux-ci vivent et travaillent. Il vaut la peine de les connaître; ils sont un rouage essentiel de l’expérience Mer et Monde.

Adèle Dione

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LDE MER ET MONDE AU SÉNÉGAL

pales, je dois leur présenter la culturesénégalaise. C’est certain qu’au débutd’un stage, les arrivants expérimententun certain choc culturel. Nous sommeslà pour les rassurer et les aider à com -prendre nos us et coutumes.

Est-ce un travail difficile ? Est-ce queje rencontre des problèmes ? Je nepourrais pas dire qu’il n’y a jamais dedifficultés dans ce que je fais : tout en -gagement implique des défis à surmon -ter. Je dirais que ce qui m’est le plusdifficile à porter c’est, parfois, de ne pasarriver à faire comprendre à un stagiai -re que la réalité d’ici est véritablementdifférente de tout ce qu’il ou qu’elleconnaît. Cela arrive quand la personnerefuse de faire face aux différences.Mais une fois que le stagiaire ouvre sesfrontières intérieures, la compréhensiondes personnes et des situations vientrapidement. Les problèmes s’effacent.

En somme, il y a beaucoup d’aspectsde mon travail qui sont gratifiants. Lesimple fait d’accompagner les stagiai -res est très agréable. Nous les suivonsdans toutes leurs activités dans lesvillages. J’apprends beaucoup à leurcontact, en même temps qu’ils appren-nent bien des choses sur la culturesénégalaise. C’est une occasion pourmoi d’être en contact avec une autreculture ; cela me nourrit. Avant d’être àMer et Monde, je n’avais jamais eul’occasion de connaître des gensd’ailleurs. C’est enrichissant. Cela estprobablement dû à ce qui, à mon avis,est la plus grande force de Mer etMonde: l’implication directe dans lescommunautés, la vie avec les gens. ÀMer et Monde, ce qui compte d’abord etavant tout, ce sont les personnes ! ■

Je puis d’abord dire que je ne suispas parent avec Adèle… Les Dione auSénégal, c’est comme les Tremblay auQuébec ! Quant à ce qui m’a conduit àMer et Monde, je dirais que j’ai toujoursété quelqu’un qui aime aider. Et puis,j’aime mettre en valeur ma culture,expliquer aux gens d’ailleurs ce qui se vitvraiment au Sénégal. Ici, avec montravail, j’aide des gens à surmonter lechoc culturel. Au début, ce n’était pasfacile pour moi d’avoir affaire à desétrangers, j’étais timide. Mais mainte -nant, je me sens bien là-dedans, et je suistrès heureux de pouvoir travailler dans unmilieu comme celui-ci. C’est encore plusvrai depuis l’expérience que j’ai vécue auCanada. Je suis maintenant bien outillépour faire mon travail.

En 2009, l’organisme Québec sansfrontières avait un projet pour l’alpha -bétisation des femmes dans mon villa ge.Mon rôle au début était simplement defaire de la traduction, du wolof aufrançais et vice-versa. Mais avant la findu projet, les stagiaires m’ont donné uneformation pour que je puisse continuerd’accompagner les villageois après leur

départ. Quand Mer et Monde a ouvertun volet « réciprocité » pour que desgens d’ici puissent aller en stage auQuébec, les femmes avec lesquellesj’avais travaillé m’ont désigné pour yparticiper afin que j’acquière d’autresconnaissances. Même si c’était ungroupe de femmes, elles ont choisi unjeune homme comme moi à cause dema disponibilité. Pour elles, qui sonttrès occupées par leurs responsabilitésfamiliales, c’était difficile d’imaginerpartir pour plusieurs mois.

L’expérience au Québec a été enri -chissante à bien des égards. Elle m’a

permis d’être mieux préparé pour aiderles groupes de femmes ici. Mais sur tout,au niveau personnel, ça m’a aidé à avoirconfiance en moi et à développer monleadership. Ce fut une expérience « ga -gnante » pour moi autant que pour lesgroupes que j’accompagne. Pen dantdeux mois, à l’organisme d’éducationpopulaire L’Atelier des Lettres, sur Côte-des-Neiges à Montréal, j’ai suivi uneformation intensive en alphabétisation.J’ai facilement pu adapter pour leSénégal ce que j’avais appris au Qué bec,surtout que les stagiaires que j’avaisconnus avaient préparé le terrain.

Plus largement, pour moi, Mer etMonde c’est comme une famille. Quandje suis ici, je me sens bien. Nous avonsdéveloppé des liens importants entrenous, les membres de l’équipe, et avecles stagiaires qui viennent au Sénégal.Quand ceux-ci repartent, c’est comme sic’était mes frères et mes sœurs qui s’enallaient et cela m’attriste. Mais je me disque toute bonne chose a une fin et cela me permet de vivre ces dé -parts… et de me préparer à accueillird’autres stagiaires. ■

Gilbert Dione

À SUIVRE… Dans le prochain numéro du BRIGAND, nous poursuivrons notre reportage sur

Mer et Monde au Sénégal. Nous en profiterons pour rencontrer plusieurs stagiai -res qui étaient à l’œuvre au moment de notre visite.

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Le lendemain de mon arrivée auSénégal, je visitais avec MadeleinePineault, la directrice de Mer etMonde au Sénégal, le village de Notto,en région rurale. Un bon nombre deprojets ont été initiés là-bas par lacommunauté locale et Mer et Mondeles a soutenus par la participation destagiaires. Ce fut une journée en -soleillée, non seulement parce qu’ilfaisait beau et chaud, mais parce quej’y ai vu des gens de tout âge, hommeset femmes, fortement engagés pourl’avenir de leur communauté. Ce quim’a touché, c’est la qualité des rela -tions entre les personnes et les diversgroupes de Notto. Les gens travail-lent ensemble, sans esprit de com-pétition, pour réaliser quelque chosepour le bénéfice de tous. Voici quel -ques échos de rencontres mémora -bles à Notto-Diobass.

!

Pierre Bélanger : Monsieur Ali Ba, com -ment devient-on chef de village et quel estvotre rôle ?

Ali Ba : Toute la communauté se réunitpour nommer le chef. Cela fait à peu près15 ans que je suis en poste. Je m’occupede la déclaration de naissance des en -fants (et il y en a beaucoup !) et, quand il y

a des litiges ou des situations où il fautétablir la justice, j’interviens pour aider àtrouver une solution et éviter, dans lamesure du possible, d’avoir à mobiliser lapolice ou d’autres autorités.

PB : Est-ce que Notto est difficile à gérer ?

AB : Comme dans tout village, je diraisqu’on a des problèmes à résoudre, maisce n’est pas particulièrement difficile. Enfait, on arrive à résoudre la plupart des difficultés entre nous, ici même.

PB : Avez-vous eu des relations avec Meret Monde ?

AB : Je suis présent dans tout ce que faitMer et Monde ici ; parfois je présidemême les réunions. Lorsqu’il y a desprojets qui sont proposés, je suis là pouraccompagner les membres du village, pourles encourager à participer. Par exemple,j’ai suivi de près le projet du poulailler et leprojet du périmètre agricole avec lesjeunes.

PB : Quelle est votre évaluation desprojets de Mer et Monde dans le village ?

AB : Nous apprécions beaucoup le travailfait par Mer et Monde au village. Le projetdu poulailler est un succès ; il aide lesfemmes à générer un revenu. Nous avonscontribué à mettre en place le projet dupérimètre agricole et cela a apportébeaucoup d’améliorations dans la vie duvillage. Des jeunes peuvent rester ici pourtravailler au lieu d’aller dans les villes.

PB : Comment envisagez-vous l’avenir duvillage ?

AB : Selon moi, je dirais d’abord qu’il fautque les relations avec Mer et Monde puis-

sent continuer. Les projets réalisés icisont très importants : c’est grâce au pou -lailler qu’on peut donner de la nourriture àtout le monde à l’occasion des fêtes.J’espère d’autres développements, parexemple avoir nos propres poules pon -deuses au lieu d’acheter les poussins. Etpuis, comme vous le constatez, il y a beau -coup d’enfants ici et le village grandit. Onaura donc besoin de plus de ressources,et c’est possible de les développer grâceà des initiatives comme celles encoura -gées par Mer et Monde.

Un moment important de la visite aété ce temps de palabres avec desvillageois qui avaient été activementimpliqués dans des projets avec Mer etMonde. La rencontre a inclus un excel -lent repas traditionnel sénégalais où, enpetits groupes de quatre à six personnes,on se sert à mê me une grande assiettecommune. Beaucoup de saveur : le riz aupoulet était à l’honneur ; les légumes nemanquaient pas.

Les échanges ont surtout porté sur lesdéfis de la communauté, en particulierpour les jeunes qui, pour la plupart, sevoient obligés de quitter leur milieu pourla formation ou pour le travail. Il est clairqu’ils préfèreraient rester au village,surtout si les possibilités de développe-ment économique étaient meilleures.

MER ET MONDE À NOTTO

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Évidemment, on en a profité pour insistersur l’intérêt que tous portaient aux projetsconçus ou menés en collaboration avecMer et Monde. Les idées ne manquentpas ! Seulement pour le projet du péri -mètre agricole, les manguiers ont étéajoutés à la culture des légumes ; on acreusé un puits pour assurer l'irrigation ;on prévoit agrandir le terrain pour impli -quer plus de jeunes.

!Pierre Bélanger : Monsieur Thiendella,comment avez-vous connu Mer et Monde ?

Ousmane Thiendella : J’ai été le premier, à Notto, à être en contact avec Mer etMonde. Au début, je travaillais pourl’Association nationale des handicapésmoteurs, à Dakar ; j’en étais le secrétairepermanent. C’est en travaillant avec l’asso-ciation dans le cadre d’un projet italien decoopération que j’ai connu Mer et Monde.Il fallait trouver des partenaires locauxpour soutenir un grand projet de l’Unioneuropéenne. L’association avait profité destagiaires de Mer et Monde pour monterune petite unité de réparation de prothèseset d’orthèses. Ensuite, nous sommes allésvers la physiatrie pour aider des jeunesdéficients moteurs cérébraux de deuxvillages.

On avait alors ajouté un projet « Réci -procité » : des Québécois viennent ici, puisquelqu’un du Sénégal va aussi faire uneexpérience au Québec. J’ai donc été le

premier à vivre cette expérience en allant,en 2005, faire un stage au Centre deRéadaptation Lucie-Bruneau à Montréalet au CLSC d’Ahuntsic. De retour auSénégal, j’ai quitté l’association deshandicapés et je suis retourné dans l’en-seignement. J’ai tout de même continué àavoir des relations avec Mer et Monde, enparticulier en cherchant des famillesd’accueil. J’ai aidé Mer et Monde à serelocaliser de Dakar à Thiès. En cher -chant des familles dans la région, ici, marégion d’origine, je me suis rendu comptequ’à Notto, il y avait de la place pour Meret Monde et pour ses stagiaires, car denombreuses familles se disaient prêtes àles accueillir.

PB : Et vous, monsieur Yakhya Coly, quel aété votre lien avec Mer et Monde?

Yakhya Coly : Je commencerai par direqu’avec Mer et Monde, je n’ai pas qu’unerelation de travail, mais une expérience defraternité. Les projets de Mer et Monderépondent véritablement aux besoins de lacommunauté. À cause de cela, la popula -tion adhère toujours aux projets et contri -bue à leur réussite. Tout cela, parce quel’organisme met la population au centre deses projets.

Personnellement, en tant que profes -seur, j’ai été le représentant de l’école pourles projets de la communauté. À l’école,nous recevions des stagiaires et cela apermis un partage de connaissances.

Nous aidons les stagiaires à mieux com -prendre les pratiques propres au Sénégal,mais nous profitons bien sûr de leurexpérience. C’est vraiment un partenariatgagnant-gagnant.

PB : Les membres de l’association desjeunes vous considèrent comme un père,est-ce que vous vous reconnaissez dansce portrait ?

YC : Le directeur précédent, à Mer etMonde Sénégal, avait dit lors de son dé -part : « On n’est jamais plus grand que l’or-ganisation à laquelle on appartient ». C’estMer et Monde qui m’a permis de donner lemeilleur de moi-même. Comme membrede l’équipe de Mer et Monde, je ne peuxpas être plus grand ou plus important quel’organisation. Ce qui est important, c’estl’engagement communautaire et notrevillage a prouvé qu’on en est capable.Vous allez constater que, si tous les sta -giaires qui sont venus ici gardent des liensavec le village, c’est à cause de l’hospita -lité chaleureuse et de la solidarité remar-quable des Sénégalais. Des liens solidessont créés et les moments de séparationsont toujours très émouvants. ■

VOICI QUELQUES VISAGES DES PARTICIPANTS ET PARTICIPANTES

Bara THIAM, Secrétairegénéral du bureau villageois

de Mer et Monde à Notto.

Mamanba MBAYE, Trésorier général

du bureau villageois.

Ahma KANDJI,Représentant du Cercledes frères et sœurs du

village, stagiaire « Réci-procité » du projet « Un

avenir en héritage ».

Khalifa BA, Secrétaire général de

l’Association des jeunespour la promotion de

Notto-Diobass.

Fama DIOUF, Présidente du Comité

de gestion du poulailler.

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C’était à la fin de 1945, il y amaintenant 70 ans, que les premiersjésuites canadiens arrivaient enÉthiopie. C’était la première fois quedes jésuites pouvaient œuvrer dans ce pays depuis qu’au 17e siècle leursprédécesseurs en furent chassés etque la mission d’Éthiopie, bien entre -prise par le jésuite portugais PedroPaez, avait été ensuite mise à mal parun successeur peu sensible auxvaleurs culturelles et religieuses del’ancienne civilisation éthiopienne.Dans un prochain numéro duBRIGAND, nous reviendrons sur cettepage d’histoire qui, malheureusement,n’est pas parmi les plus glorieuses dela Compagnie de Jésus.

!Nous voici donc au 20e siècle. L’empe -reur Haïlé Sélassié se rend compte que, pourprogresser, son peuple a besoin d’un sys -tème d’éducation à la hauteur des exigencesdu monde qui naît. Il a connu les jésuites etleurs méthodes éducatives durant son exilen Angleterre alors que son pays était sousl’emprise coloniale de l’Italie. Au retour dansson pays, il communiqua avec le supérieurgénéral des jésuites, lui demandant spéci-fiquement que des jésuites canadiensfrançais – qui n’étaient liés à aucune puis -sance coloniale mais qui, quoique franco -phones, pouvaient travailler en anglais –soient envoyés en Éthiopie pour relancer lesystème d’éducation du pays. Il y avait desconditions, la plus importante étant que,

pour éviter toute friction avec l’Église ortho -doxe qui gardait encore de mauvais sou -venirs de l’épisode jésuite du 17e siècle, lesjésuites ne devaient pas se présenter com -me prêtres ni porter des vêtements cléri -caux, ne devaient être engagés dansaucune activité de prosélytisme pastoral etdevaient se dédier entièrement à leur métierd’éducateur.

Tout cela fut accepté par le Père Général.Au Québec, le supérieur provincial, AntonioDragon, avait d’abord réagi à la demande duGénéral en disant qu’il n’avait pas d’hommesdisponibles pour cette mission. Ce à quoi onlui avait répondu qu’on ne lui demandait passon opinion mais qu’étant donné que le papelui-même favorisait cette demande del’empereur éthiopien, son rôle ne consistaitqu’à choisir quelques compagnons douéspour cette mission.

C’est le seul jésuite d’origine canadienneencore actif en Éthiopie, le P. RolandTurenne, qui raconte les débuts de cettemission. Dans un manuscrit de quelque 250pages, le père Turenne a senti qu’il luiincombait d’assurer qu’on se souvienne deces jésuites, près de 50 en tout, qui ont menéà bien ce projet original en Éthiopie entre1945 et 1976. À partir de cette date, lesjésuites durent renoncer à leur rôle auniveau national suite à la mort de l’empereuret à la prise du pouvoir par un régime com -muniste défavorable aux congrégationsreligieuses et à leurs œuvres. Les mémoiresdu père Turenne présentent de courtsportraits d’une quarantaine de ses confrèresqui ont œuvré en Éthiopie. Son but, écrit-il en introduction, est de raconter la « petitehistoire » de cette communauté jésuited’Addis-Abeba et de recréer l’ambiance dela communauté à partir des traits de carac -tère des jésuites qui y vivaient.

Je laisse donc la plume au P. Turenne.Nous vous offrons ici quelques extraits deson œuvre en choisissant de mettre enlumière les contributions du P. Lucien Matte,des frères jésuites qui ont travaillé en Éthio -pie, en particulier du F. Rémi Laforest, puisdu P. Amédée Payeur. Finalement, unchapitre est consacré au premier jésuiteéthiopien de l’ère moderne, le P. GroumTesfaye. Tous ces noms évoqueront dessouvenirs chez un bon nombre d’abonnésdu BRIGAND.

Pierre Bélanger

IL Y A 70 ANS…Extraits des mémoires du père Roland Turenne, S.J.

Groupe de professeurs jésuites à Tafari MakonnenSchool, Addis-Abeba

Le P. Roland Turenne, S.J.

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LE PÈRE LUCIEN MATTE ET LES DÉBUTS DEL’AVENTURE

J’étais jeune jésuite encore en formationquand, en juin 1945, j’arrivais au CollègeCharles-Garnier de Québec. Le Père Minis -tre, l’assistant du supérieur, me dit : « Vousarrivez juste à temps pour assister au départde notre recteur, le père Matte. Il part pourl’Éthiopie ! » Dans son discours d’adieu auxjésuites de sa communauté, le P. Matte parlade l’empereur Haïlé Sélassié et des condi -tions qu’il avait spécifiées. Je me souviensencore des derniers mots du recteur. Il disaiten citant Péguy : « Je ne sais pas si je seraigrand, mais je vous promets de ne pas êtrepetit ». Il tint cette promesse, de son arrivéeen Afrique en 1945 jusqu’à son départdéfinitif de l’Éthiopie en 1962.

Justement, cette année-là, alors que le P. Matte revenait une dernière fois à Addis-Abeba faire ses adieux à Sa Majesté, celui-ci lui dit : « Votre supérieur à Rome ne peutimaginer la profondeur de mon amitié pourvous. Il ne saurait comprendre notre atta -chement l’un pour l’autre. Néanmoins, j’ac -cepte que vous deviez partir mais j’en suistrès attristé ». Le père Matte expliqua à l’em -

pereur qu’il allait prendre la direction del’Université de Sudbury, en Ontario. Et leNégus répliqua : « Ils ne savent pas quellechance ils ont ! »

Je les vois encore marcher ensemble,constatant les progrès dans la constructiondu collège universitaire. Le vice-ministre del’éducation suivait derrière, à une distancerespectueuse. Assurément, le P. Matte étaitl’homme tout désigné pour fonder un collègeuniversitaire dans un lointain pays d’Afriquerécemment libéré de l’occupation italienne,et cela malgré toutes sortes d’oppositionstant politiques que religieuses. Haïlé Sélas -sié aimait l’école Tafari Makonnen qu’il avaitconfiée aux jésuites ; il était reconnaissant àceux-ci d’en avoir fait la meilleure institutionsecondaire du pays. Je me souviens de sesfréquentes visites à l’école. Derrière lalimousine impériale, un camion plein defruits venait se garer discrètement derrièrenotre résidence. Après le départ de l’em -pereur, bananes et oranges réjouissaientnos pensionnaires.

Le père Matte était un leader-né. Rapidedans ses décisions, sûr de lui-même, impa -tient même quand on le contredisait. Lesinvestissements, parfois importants, ne l’ef-

frayaient pas. Il était un homme généreux ; ilrecevait tous nos salaires d’enseignants et ilen disposait librement pour le bien del’œuvre mais souvent aussi pour le bien des missionnaires d’autres congrégationsqui œuvraient loin de la capitale, dans la « brousse ».

Ce supérieur voyageait fréquemment. Ilpartait pour l’Angleterre, le Canada, lesÉtats-Unis pour se tenir au courant desprogrammes d’éducation secondaires etuniversitaires qui pourraient inspirer notretravail. C’était aussi souvent pour acheter dumatériel scolaire. Notre mission jésuite étaitentre bonnes mains, nous le sentions jouraprès jour. C’est certain, par ailleurs, que « monsieur Matte », comme on nous appelaittous en conformité avec l’entente initialeavec l’empereur, était un homme d’autorité.Le lendemain d’un vote à l’université où le P. Gilles Pion avait voté contre l’opinion durecteur, le P. Matte remettait à celui-ci unbillet d’avion pour Montréal, « un aller simple»souligna-t-il. Il avait aussi fait subir la mêmeexpérience au P. Paul-Émile Beaudoin. Tousdeux, cependant, purent revenir un peu plustard pour continuer leur œuvre en Éthiopie.

Le P. Lucien Matte, S.J.

Moment d’échange entre le père Matte et l’empereur Hailé Sélassié

À l’entrée du collège universitaire Hailé Sélassié, on rappelle l’histoire de l’institution ; la contribution des

jésuites y est mentionnée.

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E Monsieur Matte était un bon respon -sable, apprécié par le Ministère de l’éduca-tion et respecté des élèves. Par ailleurs, iln’était pas, comme supérieur, très prochedes membres de la communauté ; il était plussensible aux besoins de ses collaborateursreligieux et laïques dans l’activité éducative.Il avait rendu visite à l’hôpital à la femme d’unprofesseur à chacun de ses trois accouche-ments, avec fleurs et chocolat !

Après les succès obtenus à l’école TafariMakonnen, l’empereur avait demandé aupère Matte de fonder le collège universitaired’Addis-Abeba, ce qu’il fit avec un regaind’énergie. Après des années de travailacharné, il quitta l’Éthiopie pour une nou -velle mission, à Sudbury. Il nous fit sesdernières recommandations : « Continueznotre mission en Éthiopie en servant l’Églisepartout où nous pourrions être appelés àservir, que ce soit en éducation ou endéveloppement ». Il envisageait même lejour où l’interdit d’engagement apostoliquereligieux serait levé, ce qui arriva vers la findes années 80, après l’époque communiste.

LE FRÈRE RÉMI LAFORESTET D’AUTRES FRÈRESJÉSUITES DE LA MISSIONÉTHIOPIENNE

Pour notre mission d’Éthiopie, la présen -ce de nos frères jésuites fut une vraie béné-diction. Quand je me souviens de tout le tra -vail qu’ils ont accompli pendant des décen -nies et quand je pense à leur présenceamicale, je me demande ce que nousaurions pu faire sans eux. Leur travail ne futpas toujours reconnu, mais il ne sera jamaisoublié par les milliers de jeunes gens qui ont

reçu d’eux une solide formation pour en faired’éminents professionnels dans leur métier.Je me rappelle plus particulièrement deMarcel Charpentier, de Gilles Hardy, deGeorges Viens, d’Elphège Desgagnés et decelui qui est toujours parmi nous, RémiLaforest.

Le frère Rémi est arrivé à Tafari Makon -nen School en 1963. Il venait assister le frè -re « Charpy » qui était débordé. Mais il a faitplus encore, car il était un remarquable ébé -niste. Il enseignait à des élèves plus avancésque ceux du frère Charpentier et certainsd’entre eux ont pu ensuite, grâce à Rémi,monter leur propre atelier d’ébénisterie.

Plus largement, le tandem des frèresCharpentier et Laforest a permis la mise surpied d’une véritable institution d’enseigne-ment professionnel : menuiserie, travail dumétal, mécanique, ébénisterie, dessin indus -triel, métiers du cuir. Une de nos résidences,à Debre Zeit, a été garnie avec les meublesque Rémi et ses élèves avaient fabriquéspendant les vacances d’été. Quelle joie pournous, quelle consolation, d’arriver dans untel environnement ! Ces meubles m’ont suivi;je les ai encore avec moi au Centre Galiléeoù je vis actuellement.

Rémi quitta Tafari Makonnen après 12ans d’innovation, de travail désintéressé etjoyeux avec les élèves qu’il préparait à unavenir plein d’espérance. La paix que nousavions connue durant 30 ans fut brisée en1974 : grèves, manifestations organisées parles universitaires qui entrainaient les élèvesde notre école dans leur mouvement de con-testation. Nos élèves ne pensaient plus qu’àrenverser le gouvernement corrompu enfaveur d’un gouvernement « rouge » – c’est-

à-dire communiste – qui leur offrait leparadis sur terre. Pour le frère Laforest, lecoup de grâce fut le jour où nos propresélèves s’avancèrent vers notre résidencepour démolir le court de tennis que Rémiavait fait avec beaucoup de peine ; tout çaparce que le tennis était considéré commeun sport « bourgeois ». Pauvres enfants ! Ilsallaient la payer cher, leur révolution. Vingt-cinq ans de régime communiste !

Comme nous tous, Rémi comprenait lesgriefs des étudiants, en particulier l’indif-férence de la famille impériale pendant lagrande famine de 1973-74. Mais nous nepouvions accepter la malice des leadersuniversitaires qui voulaient détruire lesystème d’éducation que nous avions bâtien Éthiopie pour le remplacer par la doctrinecommuniste. Le frère Rémi rentra donc auCanada en 1975 mais il ne perdit jamais sonesprit missionnaire. Il fut appelé à quelquesreprises en Haïti pour y mettre en pratiqueses talents. S’il est maintenant passé à notreinfirmerie de Richelieu, son sourire et sarichesse spirituelle continuent de rayonner.

LE PÈRE JOSEPH-AMÉDÉEPAYEUR

« Médée », comme il aimait se faire ap -peler, était un homme déterminé, un franc-tireur pourrait-on dire. S’il suivait plutôt sonpropre chemin que celui tracé par les nor -mes et les règles, il était certainement animé

Le P. Amédée Payeur, S.J.Le F. Rémi Laforest, le P. Pedro Arrupe, alors Général des jésuites, et le F. Marcel Charpentier.

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Ed’une grande compassion pour les démunis.« Monsieur Payeur » arriva en Éthiopie en1963, après de solides études en sciences àMontréal et aux États-Unis. Il plongea dansson enseignement à l’école Tafari Makon -nen avec enthousiasme et devint très viterespecté et aimé de ses élèves. Leur estimegrandit encore quand il fonda avec eux un«Radio Club », le premier dans les écoles dupays.

Mais ce projet d’activités parascolairesn’assouvit pas la soif de Médée. Il mit surpied une œuvre plus durable et plus socialeà l’extérieur de l’école. Il intéressa les étu -diantes de la section « économie domes -tique » à s’occuper de femmes démunies.Les étudiantes leur donnèrent de la forma -tion pour qu’elles puissent trouver du travailcomme aides familiales. Le P. Payeur appelason œuvre « Women’s Promotion Centre ». Legouvernement s’y intéressa et lui donna unereconnaissance légale. Il y eut des dévelop -pements intéressants : cours du soir pour lesfemmes, maternelle, bibliothèque et salle delecture. Chaque soir, après le souper, le pèreAmédée disparaissait silencieusement pourse dédier à cette œuvre pendant que laplupart d’entre nous prenions des momentsde repos en communauté.

En 1974, au temps où commençait l’exo -de des jésuites de leur chère école TafariMakonnen, le P. Payeur se rendit à DiréDaoua, pour y enseigner dans une école desfranciscaines. Comme à Addis-Abeba, l’é -nergie et la compassion de Médée débor-dèrent le cadre de l’enseignement vers lesdémunis des taudis de la ville. La famine de1973-74 avait réduit les pauvres à quêterdans les rues de la ville. Son zèle le poussaà fonder le « Village de l’Espérance » quipermit à une centaine de familles de sortirde leur bidonville.

« ABBA » GROUM TESFAYE

L’année 1970 fut une année de grâcepour les jésuites canadiens en Éthiopie.Après 25 ans dans le pays, ils reçurent avecjoie leur premier candidat à la Compagnie deJésus : Groum Tesfaye. De fait, nous avionsvite reconnu en lui un jeune homme remar-

quable. Groum fit la transition entre la com -munauté canadienne et l’époque actuelle,celle d’une communauté jésuite interna-tionale en Éthiopie. En effet, ce « premierjésuite » des temps modernes est pleine -ment éthiopien, né à Addis-Abeba. Il estaussi devenu plus tard citoyen canadien,ayant passé plusieurs années de formationet de travail apostolique au Canada autemps du régime communiste éthiopien. Ilest, comme saint Ignace le souhaitait pourses fils, un « jésuite international », ayant faitson noviciat en Zambie, sa philosophie auCongo, sa théologie en Angleterre et auCanada. Il a aussi une maîtrise en éduca-tion de l’Université de Montréal et il a passéune année en Irlande pour approfondir laspiritualité ignatienne. Il fut ordonné prêtre àSaint-Jérôme, en 1983.

Groum aurait bien aimé exercer sonapostolat dans sa chère Éthiopie, mais lerégime communiste du dictateur Mengistul’a tenu en exil de sa propre patrie durant 18ans ; il a beaucoup souffert des tribulationssubies par son peuple et de l’impuissancedes Éthiopiens à trouver un chemin de libé -ration de cette emprise de terreur. Durant celong exil, il eut tout de même la consolationd’être appelé à Rome par le Père Général,qui lui demanda de mettre sur pied unservice pour les réfugiés éthiopiens arrivésen grand nombre en Italie. Il est le fondateurdu Centre Astalli.

Quand il put enfin rentrer en Afrique, cefut d’abord comme assistant du Maître desnovices de la jeune Province jésuite d’Afri -

que de l’Est, en Tanzanie. Puis il put rentrerdéfinitivement en Éthiopie et, à partir de2004, fut nommé supérieur des jésuites enÉthiopie.

LE PÈRE ROLAND TURENNE

Sans surprise, le père Turenne dédiequelque 25 pages de ses mémoires à sespropres souvenirs, depuis son enfance àSaint-Boniface jusqu’à ses divers engage-ments missionnaires en Éthiopie. Le BRI -GAND a déjà eu l’occasion de présenter cegéant ; le nombre de pages de notre revueétant limité, nous gardons pour plus tardcette section de ses mémoires. On lit letémoignage d’années remplies de joies et depeines, mais marquées par le désir de servir,comme éducateur, comme prêtre, commeami des déplacés, réfugiés ou délaissés.

Nous le remercions d’avoir été pour noustous un témoin fidèle et engagé de l’histoiredes jésuites canadiens en Éthiopie. ■

Le P. Groum Tesfaye, S.J.

Le P. Roland Turenne, S.J., au début deson ministère en Éthiopie.

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Dans le dernier numéro du BRI GAND, nous vous avionsprésenté un dossier sur le travail du service de parrainage deréfugiés des Missions jésuites, à Montréal. L’insistance étaitmise sur l’accueil de réfugiés syriens, au cœur d’un dramesans mesure qui se joue au Proche-Orient. Cette focalisationde notre attention sur les réfugiés de cette région ne doitpourtant pas nous faire oublier l’ampleur du phénomène desréfugiés à la grandeur de la planète. Depuis l’époque des « boat people » vietnamiens, à la fin des an nées 70, le Servicejésuite des réfugiés, une œuvre de la Compagnie de Jésusprésente dans quelque 50 pays, est une des organisations lesplus actives dans ce domaine.

L’Afrique compte un très grand nombre de réfugiés à causedu manque de sécurité pour les populations qui vivent enzones de conflit ou dans des contextes sociopolitiquesinhospita liers. Le SJR-Éthiopie est très actif dans ce pays dela corne de l’Afrique où les Missions jésuites du Canadafrançais ont joué un rôle important depuis la deuxième moitiédu 20e siècle. Nous avons rencontré pour vous le P. AtakeltTesfay, jésuite, directeur du SJR en Éthiopie.

!Le BRIGAND : Père Atakelt, quelle est la spécificité du SJR enÉthiopie ?

Atakelt Tesfay : La vision du SJR, ici com me ailleurs dans lemonde, est d’accompagner les réfugiés, de les servir et deprendre parti pour eux. Le SJR-Éthiopie est centré sur ces troisobjectifs. Nous le faisons d’abord dans des camps de réfugiés, làoù les réfugiés vivent sous un stress continuel : nous y organisonsdes activités culturelles, musicales, de la danse, des arts et dessports pour leur rendre la vie plus supportable. Mais l’éducation

est au cœur de nos activités, en particulier pour permettre auxjeunes de progresser; nous le faisons par des cours d’informa-tique, des cours d’anglais, des cours d’entreprenariat et deleadership. Nous proposons aussi des cours de sciencessociales pour aider les réfugiés à comprendre leur situation etdiscerner l’importance de la justice et de la paix dans notre

LE SERVICE JÉSUITE DES RÉFUGIÉSÀ ADDIS-ABEBA ET EN ÉTHIOPIEUn entretien avec le P. Atakelt Tesfay, S.J. Directeur de JRS-Ethiopia

Affiche du SJR-Éthiopie : Les réfugiés sont des gens comme vous et moi.

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Emonde. Dans beaucoup de pays, y compris le nôtre, le SJR offredes cours qui mènent à des certificats qui puissent être reconnusquand leurs détenteurs s’installeront dans un nouveau pays.

Le BRIGAND : Dans combien de camps le SJR est-il impliqué enÉthiopie ?

AT : Il y a, en Éthiopie, 24 camps qui regroupent près de 760 000réfugiés, des camps sous l’égide du Haut Commissariat desNations unies pour les réfugiés. Le SJR est impliqué dans quatrede ces camps. Toutefois, le Haut Commissariat nous demandesans cesse de nous occuper d’autres camps, mais nos ressour -ces sont limitées. Dans les camps dont nous avons la respon -sabilité, les gens viennent principalement de l’Érythrée, de laSomalie, du Yémen, du Soudan et du Congo.

Le BRIGAND : Avec des provenances si diverses, est-ce que destensions se font jour entre les groupes ?

AT : Je ne dirais pas cela. À partir de ma propre expérience, jedirais que des tensions existent souvent entre des gens de tribusdiverses à l’intérieur d’un même pays. Mais le programmeéducatif que nous offrons aide à amoindrir ces problèmes. Engénéral, c’est plutôt la fraternité qui ressort entre ces gens venantde divers pays.

Le BRIGAND : Vous avez déjà affirmé que l’Éthiopie est le paysd’Afrique, et peut-être du monde entier, qui accueille le plus grandnombre de réfugiés. Quelle est votre réaction devant des paysoccidentaux, le Canada y compris, qui annoncent en grandepompe qu’ils vont recevoir quelques milliers de réfugiés ?

AT : Je ne veux pas porter de jugement là-dessus. De mon pointde vue, l’essentiel est de cultiver le sens de l’humain dans lespopulations. C’est à cause de son humanité que l’Éthiopieaccueille un grand nombre de réfugiés. Car les Éthiopiens se sou-viennent que dans un passé assez récent, de très nombreuxÉthiopiens ont dû fuir leur pays et se réfugier ailleurs. C’est uneoccasion pour nous de rendre ce qu’on nous a donné. Je sais queplusieurs pays occidentaux apportent une aide financière signifi-cative devant la crise mondiale des réfugiés. Mais je pense qu’ilspourraient être plus disponibles pour accueillir chez eux plus deréfugiés parce que ces gens sont des êtres humains et qu’en finde compte, c’est tout ce qui compte.

Le BRIGAND : Vous nous avez parlé des réfugiés qui sont dans lescamps, mais ici, en pleine ville d’Addis-Abeba, vous offrez aussides services aux réfugiés.

AT : Les réfugiés urbains sont également en processus de relo-calisation, mais ils vivent dans un contexte différent et en sontsouvent à une autre étape que ceux qui vivent dans les camps. Ilsdépendent toujours des organisations de soutien comme la nôtrepour assurer leurs besoins essentiels, mais certains d’entre eux

sont soutenus également par des membres de leur famille quivivent à l’étranger. Ils ont une vie meilleure ou en tout cas plus « normale » en ville. De fait, la plupart des gens qui vivent dans lescamps aimeraient venir vivre en ville si c’était possible ; c’estcomme un pas dans la bonne direction. Mais les exigencescomme les coûts du logement les empêchent de le faire.

Sur le site de nos bureaux, ici à Addis, nous servons chaquejour un bon nombre de réfugiés urbains. Le Haut Commissariatinstalle ses bureaux ici quelques fois par semaine, nous orga -nisons des cours divers en commençant par une maternelle etdes classes du primaire, nous offrons un café internet pour aiderles réfugiés à entrer en contact avec les leurs, nous proposonsdes loisirs aussi, tout ça durant la journée. Car, le soir, tous cesgens doivent retourner chez eux, dans les lieux d’habitation qu’ilsont pu dénicher, ici à la capitale.

Le BRIGAND : En terminant, père Atakelt, comment voyez-vousque ce que vous faites ici est lié à votre vocation jésuite ?

AT : Ce qui a poussé le père Arrupe, notre ancien supérieurgénéral, à fonder le SJR en 1980, ce fut le discernement et laprière. Les « boat people » étaient repoussés à la mer et personnene voulait s’en occuper. Dieu a inspiré au père Arrupe de prendresoin de ces réfugiés. C’est cette mission initiale de notre ancienGénéral qui se continue ici et cela n’est possible que parce quebon nombre de jésuites, ici et ailleurs dans le monde, maintien-nent cet élan. Je me considère donc comme faisant partie de cegrand mouvement lancé par le père Pedro Arrupe et je suishonoré d’y contribuer. ■

Des millions de familles ont tout perdu.

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Pour les réfugiés urbainsd’Addis-Abeba, le SJR offredes cours du primaire, l’accès àl’internet, des cours d’anglaispour les adultes, une garderieet bien d’autres choses encore.

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Pierre Bélanger : Margit Wichelmann,vous êtes la responsable des projetsd’ADVENIAT pour Haïti ; pouvez-vous nousdire en quelques mots ce qu’est ADVE -NIAT ?

Margit Wichelmann : ADVENIAT est unorganisme créé par la conférence épis -copale allemande. Le nom est le mot latin« adveniat» qui fait partie du Notre Père : « Adveniat regnum tuum - Que ton règnevienne ». ADVENIAT a donc été créé pourcontribuer à ce que le règne de Dieuvienne sur la terre. Historiquement,ADVENIAT a été fondé après la DeuxièmeGuerre mondiale comne signe et symbolede reconnaissance et de solidarité avecl’Église en Amérique latine parce que lepeuple allemand avait reçu beaucoupd’appui de la part de l’Amérique latineaprès la guerre, quand l’Allemagne allaitmal. Il y avait eu un courant de fortesolidarité de l’Église en Amérique latinevers nous, les Allemands, à une époque où la vie était bien difficile en Allemagne.Quand notre pays s’est rétabli, en parti-culier au niveau économique, on a décidé,dans l’Église, de prendre des moyens pour exprimer notre fraternité en rendantquelque peu cette aide que nous avionsreçue.

PB : C’est intéressant de connaître les ori -gines historiques de votre organisation etde savoir qu’elle est depuis ses débuts une expression de réciprocité fraternelle.Nous reviendrons au travail d’ADVENIAT,mais pouvez-vous nous dévoiler un peu

qui vous êtes et nous dire quel cheminvous a menée ici ?

MW : C’est un chemin qui, en apparence,est en partie le fruit du hasard. Au départ,j’étais très engagée dans ma paroisse.J’étais chez les scouts, membre du conseilparoissial, enfant de chœur. J’ai animé lapastorale jeunesse, dans la région de laRuhr, dans le diocèse d’Essen où nousnous trouvons, dans le nord de l’Allema -gne. C’était un tout petit village, la paroissela plus petite du diocèse… qui n’existeplus aujourd’hui puisqu’il y a eu beaucoupde paroisses jumelées ou fermées. À unmoment donné, l’échéance du baccalau-réat approchait et je me demandais ce quej’allais faire ensuite. Par le réseau desscouts, j’avais prévu passer une année enFrance, dans un projet avec des handi -capés. Et je ne sais plus pourquoi, mais çan’a pas marché. Le curé m’a dit : «Pourquoine vas-tu pas au Brésil » ? J’ai dit : « Maisnon, on ne parle pas le français là-bas etc’est la langue qui m’intéresse ! » Mais, enprenant un peu plus de recul, j’ai réfléchisérieusement à cette offre et je me suis ditque c’était une bonne proposition, uneporte qui s’ouvrait pour une expérienceextraordinaire. C’est donc ce que j’ai faitaprès le bac : j’ai passé une année dans leNordeste, au Brésil, et je peux dire que çam’a marquée pour la vie car, de cette

première expérience à l’étranger, est venumon amour pour l’Amérique latine.

Ensuite, j’ai fait mes études universi-taires en pédagogie sociale. Puis j’aitravaillé trois ans en France chez lesscouts et, par hasard, au moment derentrer en Allemagne, j’ai découvertqu’ADVENIAT cherchait quelqu’un pourHaïti, quelqu’un qui parlait français. Je mesuis dit : « Voilà, c’est fait pour moi ! Ça medonne la possibilité de travailler en Alle-magne pour l’Amérique latine, de mettreensemble ma passion pour l’Amériquelatine et mes racines culturelles en Alle -magne. » Et j’ai eu la chance d’obtenir ceposte.

PB : C’est la langue française qui vous apermis d’unir l’Amérique latine et l’Allema -gne, par le chemin d’Haïti ! Parlez-nous unpeu maintenant du genre de travail quevous faites.

MW : J’essaie de donner le meilleur demoi-même pour faire le pont entre Haïti etnos donateurs en Allemagne. Je reçois

L’ÉGLISE D’ALLEMAGNE

AU SERVICE D’HAÏTIUn entretien avec

Margit Wichelmann, d’ADVENIAT

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E chaque jour les projets qui nous viennentd’Haïti et d’autres pays en Amérique latine.Je les lis, j’essaie de bien les comprendre,puis de les défendre auprès des instancesdécisionnelles de notre organisation. Etquand il y a des questions, des choses àéclairer, je fais le contact entre les deuxparties. Je suis, à ADVENIAT, une ambassa -drice pour les projets qui viennent d’Haïti.

PB : L’argent pour ces projets vient descommunautés catholiques d’Allemagne ?

MW : Notre source fondamentale pour desprojets est la collecte qui se fait chaqueannée durant la célébration de Noël, les 24et 25 décembre. C’est bien sûr un bonmoment pour solliciter la générosité car àl’époque de Noël les cœurs s’ouvrent etbeaucoup de gens sont plus disponiblespour donner. Toutes les paroisses font cet -te collecte pour ADVENIAT. Mais on cons -tate qu’avec la fermeture de paroisses, lefait que des fidèles plus âgés aient àparcourir de plus longues distances pouraller à l’église, plus fondamentalement lefait qu’on constate que bien des gensprennent leurs distances par rapport à lafoi, on voit que chaque année, le résultatde la collecte diminue substantiellement. Il nous faut trouver d’autres moyens definancement et c’est un travail que nous

sommes en train de mener pour pouvoircontinuer à appuyer les projets, pour con -tinuer cette solidarité avec nos partenai -res d’Haïti ou d’ailleurs en Amérique latine.

PB : Parlons plus spécifiquement d‘Haïti.Qu’est-ce que vous avez appris sur Haïtiau cours de la dizaine d’années durantlesquelles vous avez reçu des projets delà-bas. Comment voyez-vous le pays ? Onnous demande souvent : « Est-ce que lasituation d’Haïti s’améliore ? » Qu’est-ceque vous répondez ?

MW : En Haïti, j’ai beaucoup appris sur lafoi parce que j’ai senti que la force desgens, leur courage, sont enracinés dans lafoi. Après le séisme de 2010, j’ai ététouchée en voyant des gens qui n’ont rien,qui ont tout perdu, qui ont souffert dans lesdécombres, et qui, grâce à leur foi, ontréussi à survivre. Il s’agissait souvent, defait, de survivre; leur force devant l’adver-sité m’a beaucoup impressionnée. Je n’aipas entendu souvent la question à savoirpourquoi Dieu aurait permis ce qui estarrivé ; les gens ont plutôt perçu la pré -sence de Dieu dans toutes ces misères,dans toute cette souffrance. C’est quelquechose que je constate souvent en Haïti :les gens, malgré leurs souffrances, nedésespèrent pas. Ils souffrent, bien sûr, la

souffrance est terrible en Haïti dansbeaucoup de lieux, mais la foi est quelquechose qui leur permet de vivre. C’est untémoignage fort pour quelqu’un commemoi qui vient d’un pays où la connexionentre vie et foi est beaucoup plus faible.

Est-ce que ça va mieux, y a-t-il desavancées ? Avant le séisme, je connais-sais le pays et sa situation depuis quel -ques années. Je dirais que j’avais l’impres -sion que pas mal de choses bougeaient.Quand je parlais avec des gens, j’en-tendais parler de vision, ce qui était rareauparavant car, quand on lutte pour sasurvie, on ne peut voir loin devant, on nepense qu’à aujourd’hui et à demain. Maison commençait à parler d’écologie, deprojets à plus long terme, ce qui est pos -sible quand un pays a certaines assises,quand on vit dans une certaine sécurité.Malheureusement, avec le séisme, tout ças’est effondré avec les maisons. Pourtant,nous pourrions voir qu’il y a des petitespousses qui se font jour graduellement.C’est lent, trop lent pour une population quia tant souffert, mais on commence à fairedes petits pas en avant.

PB : Et comment l’Église se situe-t-elle,dans ce paysage ?

L’édifice et la chapelle du noviciat des jésuites à Dumay. ADVENIAT acontribué à ce projet de construction majeur pour les jésuites d’Haïti.

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EMW : Je pense que le fait que le papeFrançois ait nommé un cardinal d’Haïti aété une source de joie et de courage pourles catholiques, une forme de reconnais-sance pour l’Église d’Haïti. Je pense aussipar ailleurs que l’expérience du séismeforce l’Église hors de ses habitudes, l’en-courage à des approches nouvelles. Onsent le besoin de collaboration à l’intérieurde l’Église, mais aussi avec des gens etdes organismes de l’extérieur. Je diraisque tous nous avons beaucoup appris à lasuite de ce terrible tremblement de terre etque des bonnes leçons peuvent êtretirées, en particulier dans le sens de la col-laboration et de la solidarité.

PB : Quels sont les principaux projets danslesquels ADVENIAT est impliqué avecHaïti ?

MW : Il y a actuellement encore beaucoupde projets en vue de la reconstructiond’édifices détruits par le séisme – surtoutdes églises. Mais aussi des projets quivisent à reconstruire l’être humain. Dansce sens, nous soutenons des religieuses,renforçons leurs capacités pour l’accom-pagnement des gens, pour les aider àdépasser les traumas qu’ils ont vécus; ànotre avis, ce sont des projets importants.Nous avons aussi de nombreux projets deformation de toutes sortes pour rendre leslaïcs plus capables de s’investir, de s’en -

gager pour le bien de la paroisse ou pourle bien de leur communauté. Dans lemême sens, nous soutenons des projetsde communautés ecclésiales de base oud’écoles bibliques qui ont cette même perspective d’habiliter les laïcs à voir clair,puis à agir, à prendre les choses en mainet non pas à se fier seulement aux curés etaux prêtres.

PB : Vous avez eu quelques occasions decollaboration avec des jésuites, avec laCompagnie de Jésus ?

MW : Oui, nous avons à plusieurs repriseseu des contacts. Plus récemment, nousavons appuyé, avec le peu que nouspouvions offrir, la construction du noviciatdes jésuites en Haïti. On a eu des projetsplus petits, par exemple l’achat d’un oudeux véhicules. Et, dans le passé, nousavons appuyé aussi l’œuvre de SolidariteFwontalye ; nous l’avons fait des deuxcôtés de la frontière haïtiano-dominicaine,puisqu’il s’agit d’un travail de collabora-tion binationale.

PB : Terminons sur un plan plus personnel.Est-ce que vous sentez que vous êtes une« missionnaire » ?

MW : Je pense que, quand on fait quelquechose qui vise à étendre le règne de Dieu,on est toujours missionnaire. Je me vois

peut-être beaucoup moins missionnaireque les religieux, religieuses et prêtresavec lesquels j’ai des contacts quotidiensdans les pays en développement, mais j’es -père être un peu missionnaire à ma façon.

PB : Puis-je vous demander quelle placeoccupe le pape François dans l’ensem -ble de votre paysage ? Est-ce que le papeFrançois a fait quelque chose pourADVENIAT ?

MW : Il a fait beaucoup pour ADVENIAT.En fait, j’ai l’impression que, en Allemagne,pour nos donateurs et pour nous, commeéquipe, le pape a été un cadeau fantas-tique. Ceci à cause de l’exemple de viequ’il donne, de ce qu’il nous dit sur lamanière de vivre l’Église. C’est très prochedes principes et de la philosophie quenous avons toujours eus ; son témoignagerenforce notre motivation pour continuernotre œuvre. Je vois aussi l’impact qu’a cepape en Amérique latine. De plus, j’ai eu lachance exceptionnelle de le rencontrer àRome, en début 2015. C’était à titre per -sonnel et ce fut un moment important,émouvant pour moi.

PB : Dans cette même ligne, commentfaites-vous le lien entre votre activité pro-fessionnelle, dans la ligne du développe-ment, et l’évangile ou le donné chrétienauquel vous vous rattachez ?

MW : Mon sentiment, c’est que j’ai beau -coup de chance de pouvoir travailler dansun domaine qui a un lien direct avec mesconvictions, avec ma foi. Pour beau coupde chrétiens, il y a la vie professionnelled’un côté et la vie de foi de l’autre côté. Ici,à ADVENIAT, il y a un lien naturel entre lesdeux parties. Je ne fais pas ce que je faisstrictement parce que c’est mon travail etque ça me permet de gagner ma vie; c’estplutôt une mission que j’accomplis, en lienavec mes convictions pro fondes. Ça n’estpas difficile de faire le lien entre ma vieprofessionnelle, ma vie personnelle etl’évangile puisque tout cela est entrelacé.

PB : Merci beaucoup de votre témoignage,Margit. ■Camionnette du noviciat obtenue avec un subside d’ADVENIAT. Une autre

vient d’être mise au service des projets du F. Mathurin Charlot.

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Dans le dernier numéro du BRI GAND, nous vous avionsprésenté Ladislas Nsengiyumva, un scolastique jésuited’origine burundaise qui s’est donné à la mission chinoise.Voici le témoignage d’un autre jeune jésuite africain qui arépondu à l’appel de la mission en Chine. À la demande deses supérieurs, il a consacré deux ans à l’étude du manda -rin et il a continué son stage de formation, qu’on appelle « la régence », dans la pastorale jeu nesse à Taïwan.Laissons-le raconter son parcours et ses engagements.

!Pierre Bélanger : Barnabé Hounguevou, vous êtes un étudiant jésuiteoriginaire du Bénin et je vous retrouve à Taipei, en milieu chinois...Parlez-nous de votre itinéraire, celui qui a mené pour vous à la viereligieuse et celui qui vous a conduit ici, à Taïwan.

Barnabé Hounguevou : L’histoire de ma vocation a commencé dèsma jeune enfance. Je me souviens que j’ai eu beaucoup d’admirationpour un prêtre français des missions africaines. Sa vie m’inspirait ; c’estainsi que j’ai eu l’idée de devenir prêtre. Mais quand j’ai commencél’école secondaire, j’ai mis ce projet de côté. Au second cycle dusecondaire, j’ai commencé à fréquenter la Compagnie de Jésus, sansavoir comme objectif de devenir jésuite. Je voulais surtout mieuxconnaître Dieu et l’Église en échangeant avec les jésuites.

C’est à la suite d’une retraite de trois jours avec eux que quelquechose s’est produit en moi. J’ai été fortement touché par la manièreignatienne de prier et aussi par l’examen de conscience. À la suite decette retraite, j’ai continué à pratiquer ce que j’ai appris et, au bout d’un certain temps, j’ai pris conscience d’être plus attentif à ce que le

Seigneur faisait dans ma vie. J’étais devenu aussi beaucoup plusattentif à mes motivations intérieures. C’est ainsi que des questions ontsurgi en moi, que je me suis dit aussi que cette méthode de prière, jepourrais peut-être en faire profiter d’autres personnes. J’ai alorscommencé à m’imaginer jésuite.

BARNABÉHOUNGUEVOU, S.J.Un jésuite béninois en terre chinoise

Barnabé, au cours d’une activité de pastorale jeunesse.

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Après le secondaire, je suis entré à l’université, en géographie. J’aifait partie des mouvements étudiants et je voulais participer audéveloppement de mon pays. Et comme je ne voyais aucun lien directentre la vocation religieuse et le développement, j’ai mis la vocation decôté pour m’intéresser à autre chose. Au fond de moi, pourtant, il y avaitune tension : d’une part, je voulais changer les choses en jouant un rôledans le développement du Bénin, mais d’autre part, je sentais une soif inassouvie pour quelque chose de plus transcendant.

Je gardais ma foi vivante : j’avais des engagements dans la parois -se et j’appartenais à un mouvement de prière qu’on appelait FeuNouveau. Même si je n’en étais pas vraiment conscient, tout cela acontribué à nourrir ma vocation.

PB : Comment finalement en êtes-vous venu à prendre une décision ?

BH : Au milieu de cette tension intérieure, j’ai eu la chance de participerà une retraite de huit jours et c’est alors que tout est devenu clair. Je nepouvais plus continuer à mener deux projets d’avenir à la fois, il fallaitque je me décide. Je ne pouvais plus fuir : l’appel à la vocation reli -gieuse était là. J’ai tout de même laissé passer un peu de temps pourvérifier si mon désir demeurait fort en dehors du contexte de la retraite.Ce fut un temps de discernement : j’étais convaincu que le Seigneurm’appelait. Après deux ans, j’ai demandé à entrer dans la Compagniede Jésus.

Première épreuve : parce que j’ai terminé mon mémoire en géo -graphie une semaine après le début du noviciat, on m’a demandé d’at -tendre un an. Ce fut pourtant une autre occasion de discernement :étais-je prêt à « perdre » une année pour donner la place à ce projetjésuite ? Mais le Seigneur fait bien les choses : s’il n’y avait pas eu

cette année « perdue », je ne serais pas aujourd’hui à Taïwan. Si j’étaisentré au noviciat un an plus tôt, je n’aurais pu m’intéresser au projet de la mission chinoise auquel mon Provincial a ensuite donné de l’im-portance.

PB : Pourquoi l’Afrique de l’Ouest s’intéresse-t-elle à la Chine ou àTaïwan?

BH : La Chine et l’Afrique représentent des priorités de la Compagnie de Jésus au niveau universel. Il est donc important de bâtir des pontsentre ces deux entités. D’un autre côté, la Compagnie observe ce quise passe dans le monde : la Chine est en train de devenir un géantéconomique et politique. En même temps, la Chine intensifie sesrelations avec beaucoup de pays d’Afrique. Il est donc important qu’il y ait des jésuites qui connaissent les deux milieux pour travailler à unmeilleur rapprochement entre ces deux mondes. On peut aussi con -sidérer la longue histoire des jésuites en Chine au cours des siècles ; je pense que nous pouvons offrir une contribution significative dans lecontexte actuel, dans la perspective du rapprochement entre lespeuples.

Personnellement, durant mes études de philosophie, j’avais de -mandé à aller en régence dans une autre Province jésuite. Je voulaisexpérimenter une autre culture. Je pensais à la Zambie parce quej’avais entendu parler d’un centre de réflexion socio-théologique quim’attirait. Le Provincial m’avait dit : « On verra… », en me rappelant que notre Province d’Afrique de l’Ouest compte quatorze pays !

Pourtant, un an plus tard, j’ai reçu une lettre du Provincial m’an-nonçant qu’il désirait effectivement m’envoyer dans un pays en dehorsde notre Province, mais pas en Afrique ni en Occident… Il ne spécifiait

Un Africain plongé dans le monde chinois. L’équipe Magis au travail : les activités sont soigneusement préparées.

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AN pas où ! J’ai répondu que si le Seigneur m’appelle pour l’engagement

missionnaire, il m’accompagnera et me guidera. Et un mois plus tard,nouvelle lettre : j’étais envoyé à Taïwan. C’était vraiment une surprise;je n’y avais jamais pensé. Le Provincial précisait souhaiter qu’il y aitquelques jésuites africains qui aillent dans le milieu culturel chinois,parce que ça pourrait être très important pour l’avenir de la Compagnie.

PB : Votre régence a été plus longue que pour d’autres jésuites puisqu’ilfallait mettre du temps pour apprendre le chinois.

BH : Apprendre le chinois peut être un véritable défi ; c’est une languetrès différente des langues romanes. Je m’en suis bien tiré : avec lagrâce de Dieu, en quelques mois seulement, j’avais commencé àmaîtriser les tournures de la langue et à la parler. La phase la plusdifficile était l’écriture. Et puis, il y avait l’apprivoisement culturel : laculture est différente de celle du Bénin. Au début, il m’a fallu beaucoupde tact pour m’intégrer dans ce milieu. Accepter le fait que la connais-sance mutuelle prend du temps dans le monde chinois. Cependant,beaucoup de choses ont joué en ma faveur, d’abord et avant toutl’accueil jésuite que j’ai reçu ici et qui m’a mis en confiance.

PB : Au Québec, nous avons tendance à considérer l'Afrique commeterre de mission. Comment voyez-vous la participation de mission-naires africains au ministère de l'Église ailleurs dans le monde ? N’y-a-t-il pas tant de besoins pressants en Afrique ?

BH : L’Église d’Afrique a longtemps été évangélisée par des mission-naires étrangers. Il y a eu un tournant en Afrique avec l’appel de PaulVI à Kampala : « Africains, soyez vos propres missionnaires ! », a-t-il dit.Les chrétiens d’Afrique ont réalisé combien, à leur tour, il leur incombaitla responsabilité de semer la graine de l’Évangile sur leur territoire.Depuis quelques années, on assiste ailleurs dans le monde à un autremouvement avec la participation de missionnaires africains au minis -tère de l’Église. Je crois qu’il faut le voir dans la perspective d’une plusgrande contribution à la mission universelle de l’Église. L’Afrique

pendant longtemps a reçu des missionnaires étrangers. C’estmaintenant à son tour de manifester de la générosité. Il y a, il est vrai,des besoins pressants, des défis importants à relever en Afrique, maisl’Église d’Afrique ne peut pas se recroqueviller uniquement sur sesbesoins, en restant sourde aux appels de l’Église universelle. Elle estaussi appelée à un « mouvement de sortie ». Je dirais que l’Églised’Afrique s’est approprié l’épisode de la veuve de l’Évangile : il ne fautpas donner de son superflu mais donner du peu que l’on a.

Cela dit, ma mission, ici à Taïwan, s’inscrit en réalité dans un autrecadre. La Compagnie de Jésus à laquelle j’appartiens est, depuis sesorigines, missionnaire. En entrant au noviciat, le Père Maître ne cessaitde nous rappeler qu’on entre dans le corps de la Compagnie et nondans une Province. Les textes officiels insistent d’ailleurs sur le fait quela formation apostolique des jésuites doit « développer le sens de l'uni-versel en donnant l'occasion de faire l'expérience du caractère inter-national de la Compagnie ».

La mission dans laquelle je m'inscris ici à Taïwan peut donc êtrecomprise comme l’expression d’une volonté de collaboration entre les deux priorités de la Compagnie que sont la Chine et l’Afrique. Au moment où la Chine devient un géant aux plans politique etéconomique, et que la présence chinoise devient de plus en plus forteen Afrique, la Compagnie peut éventuellement contribuer à une plusgrande justice et à une plus grande humanisation dans les échanges etsurtout dans les relations entre ces peuples. C'est d'ailleurs là l'espritde la 32e Congrégation générale des jésuites, à savoir le service de lafoi qui implique la lutte pour la justice.

PB : Parlez-nous du projet dans lequel vous êtes impliqué ici, un travailpour rejoindre la jeunesse. Est-ce de la « catéchèse » pour les jeunescatholiques ou est-ce une manière de rejoindre les jeunes Chinois qui,pour la grande majorité, ne sont pas chrétiens ?

BH : Taïwan compte à peu près 23 millions d’habitants mais seulement

Magis offre une messe pour les jeunes, avec présentation théâtrale de l’Évangile.

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1 % de catholiques. Les pratiquants sont encore moins nombreux. Nousnous sommes rendu compte que les églises étaient fréquentéessurtout par des personnes d’un certain âge. Après discernement, lesjésuites d’ici ont senti que les jeunes constituaient une priorité pour laCompagnie. J’appartiens donc à une équipe de 6 personnes dirigée parune laïque qui oriente ses actions vers les jeunes catholiques et versles jeunes adultes qui sentent une aspiration, un désir de bâtir unerelation avec Dieu. Nous sommes le Magis Youth Center (Centre Magispour les jeunes). Nos programmes sont orientés vers la clientèleétudiante mais aussi vers les jeunes travailleurs.

Le centre a mis sur pied un projet de pastorale jeunesse pourTaïwan, une priorité pour la Province chinoise. Nous organisons unerencontre mensuelle au Tien Educational Center de Taipei; cetteactivité est centrée autour de l’eucharistie. C’est un rassemblementpréparé et animé par plusieurs comités de jeunes. On y propose uneinterprétation théâtrale de l’Évangile qui inclut des liens avec la vie quotidienne. Il y a des échanges en petits groupes à partir de deux outrois questions. En plus de l’eucharistie, d’autres activités sont propo-sées comme la prière de Taizé et des rencontres d’échange autour dethèmes.

Tout cela ouvre la porte vers la participation à des programmes deformation plus poussés. C’est la deuxième étape du plan du centreMagis. Nous croyons que la spiritualité ignatienne peut véritablementaider les jeunes à rencontrer Dieu au cœur de leur vie, puis à devenirdes témoins de l’Évangile. Nous avons donc commencé à offrir desateliers de spiritualité ignatienne et, bientôt, nous offrirons des retraitespour les jeunes. Tout cela veut aider à l’exercice du discernement, uneclé pour orienter son avenir.

Nous voulons aussi aider les jeunes à s’engager au service desautres, par exemple en organisant des occasions d’implication dansdes milieux défavorisés, à Taïwan auprès de personnes âgées ou ensoins palliatifs, mais aussi dans d’autres pays en développement, parexemple au Cambodge. Nous sommes aussi engagés dans l’accueil etl’appui aux migrants, en lien avec les sœurs du Bon-Pasteur.

Alors que les activités, au départ, étaient concentrées à Taipei, nousavons commencé à en offrir dans d’autres villes taïwanaises et nousespérons un jour servir toute la Province chinoise de la Compagnie deJésus. Je pense personnellement qu’en plus de prioriser la pastoraledes jeunes, la Compagnie d’ici pourrait s’investir dans la pastoralefamiliale. Beaucoup de problèmes de la société proviennent de la désintégration des familles et de ses corollaires.

PB : En terminant, Barnabé, et à un niveau plus personnel, qu'est-ce quinourrit votre engagement jésuite ? Comment vous sentez-vous à la foisafricain, religieux, jésuite et jeune du 21e siècle ?

Je crois que ce qui nourrit mon engagement jésuite, ce sont surtoutles moments de ressourcement intérieur que j’intègre à ma vie. Sansces moments, je ne serais que simple fonctionnaire au projet Magis. La tentation de faire des choses pour Dieu et non de faire ce que Dieuattend de nous reste permanente dans le ministère apostolique. L’exa -men de conscience demeure un véritable moment de discernement.

Pour ce qui est des fondements de ma vocation, je vis une con -fiance de plus en plus enracinée en Dieu. Dans ce sens, je crois que mavenue à Taïwan m’a beaucoup aidé. Le passage des appréhensions dudébut à une intégration dans l’environnement taïwanais et à uneamorce d’inculturation sans difficulté majeure a renforcé en moi laconviction selon laquelle « quand le Seigneur confie une mission, ildonne réellement les moyens pour l’accomplir ». Cette expérience defoi ou de confiance croissante en Dieu m’a permis de mieux assumeravec joie l’ordinaire de ma vie de jeune, de religieux et de jésuite. Ellem’a aussi permis de faire face à certains défis avec une plus grandesérénité. C’est cette expérience de confiance en Dieu qui a marquéjusqu’ici mon séjour à Taïwan. ■

Les activités sont variées; le programme est soutenu par la Province jésuite chinoise

et son Provincial, le P. John Lee Hua.

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TAÏW

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LE PÈRE GEORGES-ÉTIENNE BEAUREGARDREÇOIT LES HOMMAGES DE L’ÉTAT TAÏWANAIS

Le 21 décembre dernier, le doyen des missionnaires jésuites origi-naires de la Province du Canada français, le père Beauregard maintenantâgé de 102 ans, a eu la belle surprise de voir reconnaître au niveaunational son engagement total au service des défavorisés de Taïwan. Lorsd’une cérémonie officielle à laquelle assistaient plusieurs confrèresjésuites dont le P. Louis Gendron, ancien Provincial de Chine, on a remisau P. Beauregard un certificat signé par le Président de la République deChine, Ma Yung-jeou, par le Premier ministre alors en poste, Mao Chi-kuo,et par le Ministre des Affaires étrangères, Lin Yung-lo. Voici le texte decet hommage.

Certificat de reconnaissanceLe révérend père Georges-Étienne Beauregard, de l’église catholique de Nan’ao,dans le comté de Yilan, a dédié près de 70 ans de sa vie à servir le peuple taïwanais.Originaire du Canada, il a contribué au développement des régions éloignées ducomté de Nan’ao en y établissant des hôpitaux et des centres de la petite enfance.Il a offert ses soins à des groupes de personnes défavorisées dans la société et il a sauvé de nombreuses vies en donnant de son sang. Il a aussi aidé plusieursdécrocheurs à reprendre le chemin de l’éducation, il a aidé la jeunesse indigène àpoursuivre des carrières dans différentes parties du pays.

Le père Beauregard incarne les valeurs de bienveillance et de droiture, ses œuvresméritoires ont profité à beaucoup de gens, son amour et sa vertu ont été largementreconnus.

En reconnaissance pour les contributions remarquables du père Beauregard, le gouvernement de la République de Chine lui confère aujourd’hui l’Ordre del’Étoile Brillante, assorti du Grand Cordon violet.

Ma Ying-jeouPresidentRepublic of China(Taïwan)

December 21, 2015

Mao Chi-kuoPremierRepublic of China(Taïwan)

David Y. L. LinMinister of Foreign AffairsRepublic of China(Taïwan)

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C’est à la fin d’une vie généreusementofferte aux missions, à Taïwan, là où il vivaitdepuis 1953, que le frère Gérard Aubin estdécédé à Taipei. Il vivait dans la com -munauté de l’infirmerie de la Province deChine depuis près de deux ans.

Né à Upton, dans les Cantons de l’Est, ils’était présenté au noviciat des jésuites,inspiré par les seuls jésuites qu’il ait connus,grâce à un livre : les saints Martyrs cana -diens. Dès son noviciat, il a identifié ce quiserait au cœur de sa vie : l’amour et la prière.Sa vocation missionnaire s’est éveillée peu àpeu et il put convaincre ses supérieurs del’envoyer à l’étranger. Ce fut pour la missionchinoise où, à Taïwan, il rendra tous les ser -vices qu’on pouvait demander à un frèrejésuite : entretien général, sacristain, respon -sable de la lingerie, responsable des em -ployés, dans diverses maisons de Taipei, enparticulier à la paroisse de la Sainte-Famille.

Le frère Gérard a été marqué par le mou -vement charismatique catholique. En 1979, àl’occasion d’un séjour de repos au Québec,il a participé au congrès charismatique austade olympique de Montréal. La spiritualitéde ce mouvement a animé sa prière et lefrère Aubin a ensuite participé à sa promo -tion dans les milieux catholiques taïwanais.

Il s’en est allé vers le Père, paisiblement,le jour de Noël. Ses funérailles ont été célé -brées par le Provincial de Chine, le P. JohnLee Hua, et l’homélie a été prononcée par leP. Louis Gendron. ■

Le frère Gérard Aubin, S.J.

Le père Adrien Léonard, S.J.

Le père Léonard, originaire de Mont -réal, est décédé le 2 janvier. Il avait eu unparcours pastoral riche et diversifié, auQuébec comme au Sénégal. C’est en tantque missionnaire dans ce pays d’Afriquede l’Ouest que les lecteurs du BRIGANDse souviendront surtout de lui. En réponseà une demande – sans doute surprenante– de ses supérieurs, il partait en 1973 pourZiguinchor, à la direction d’un collège dio -césain. En 1983, conscient que d’autrespouvaient continuer le travail au collègeet préoccupé par les besoins de gens

beaucoup plus pauvres, à l’est du pays, ilemmène la communauté jésuite à Tamba -counda.

Il est considéré comme le père fonda -teur de la préfecture apostolique deTambacounda, devenue diocèse, et unbâtisseur de l’Église du Sénégal danscette région. Il fit construire l’église Saint-Pierre-Claver et offrit, à partir de la pa -roisse, divers services dont un centreétudiant comprenant une riche biblio-thèque. Dans un pays à forte majoritémusulmane, il a ouvert les portes à tous ;sa générosité et son dévouement ont étélargement reconnus.

À l’occasion de ses funérailles célé -brées à Montréal par son ami, le jeunejésuite Marc Rizzetto, on a entendu diverstémoignages de confrères jésuites afri -cains, dont voici quelques extraits :

Les chrétiens, l’Église de Tambacoun -da, voire l’Église du Sénégal se souvien-dront de lui. Il a été un apôtre infatigablepour ce peuple. [Hyacinthe Loua, S.J.,Provincial d’Afrique de l’Ouest]

Je remercie le Seigneur et la Provincedu Canada français qui nous l’avait sigénéreusement donné. C’est comme unprêt que le Seigneur lui-même a fait fruc -tifier pour la gloire de son nom en milieumusulman. [Jean-Roger Ndombi, S.J.]

Quel beau témoignage de service duprochain, de respect de la personne hu -maine et de l’ouverture au dialogue pourles autres cultures, dans une zone où lefondamentalisme religieux se signale déjàdans les pays voisins. C’est une œuvre àcontinuer, un défi à relever, un appel àentendre pour notre mission de demain.[Saturnin Claude Biterno, S.J.] ■

ACTION DE GRÂCE - En action de grâce pour la vie généreusement offerte par le frère Aubin à la mission chinoise, nous vous invitons à offrir desmesses pour nos missions (10 $ ou 15 $ chacune). Vous n’avez qu’à indiquer votre intention au bas de votre chèque, si vous utilisez le courrierrégulier. Vous pouvez aussi faire votre don en ligne (par internet) ; voir la p.4 de couverture à ce sujet.

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POSTE PUBLICATION NO. 40009209

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MISSIONS JÉSUITES25, rue Jarry OuestMontréal (Québec)H2P 1S6

PRIER POUR LES MISSIONSL’Église est missionnaire.Chaque chrétien est envoyé dans le monde pour y annoncer la Bonne Nouvelle, l’amour de Dieu, la paix, la justice, la joie à toutes les nations, toutes les races et toutes les cultures. À chacun, le Christ dit : « Va, je t’envoie ».La réussite de la mission dépend de la participation de chacun,participation spirituelle, matérielle, financière. Par-dessus tout, la prière occupe une place capitale et irremplaçable.

PRIONS« Dieu miséricordieux, Père, Fils et Saint-Esprit, nous te prions pour tous ceux qui cherchent un sens à leur vie. Soutiens et inspire tes serviteurs qui leur portent l'Évangile. Éclaire la foi qui vacille, soutiens-la pendant qu'elle est encore fragile. Vivifie notre zèle missionnaire. Donne-nous d'être les témoins de ta grâce, pleins d'amour, de force et de foi, pour ta gloire et pour le salut du monde. Amen. »

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