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Numéro 1 Octobre 2021 FOCUS SANTÉ À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE Revue étudiante de droit privé

Revue étudiante de droit privé

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Page 1: Revue étudiante de droit privé

Numéro 1Octobre 2021

FOCUS SANTÉ À L’ÉCHELLE EUROPÉENNE

Revue étudiante

de droit privé

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SOMMAIRE

Éditorial Page 2Sofia Touhami La gestation pour autrui - légiférer, enfin ? Page 5Julie Tassou

Réflexions sur l’abus de droit et l’imprévision dans le projet de réforme du droit des obligations Page 20

Louis Cornet

Nouvelle orientation en matière de troubles de discernement Page 28

Louis de Borggraef

Comprendre les actions judiciaires pour établir la filiation Page 36

Robin d’Herde

Prison en temps de Covid : double peine ou libération salvatrice ? Page 68

Justine Dal Bô

Focus santé à l’échelle européenne

Comparaison n’est pas raison, à moins que… Page 94

Sofia Touhami

Introduction au système de soins de santé espagnol Page 98

Melis Metin

De l’universalité au libéralisme - les soins de santé en Grande Bretagne Page 122Ninon Henry

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Éditorial

Première leçon

Sofia Touhami

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Cet édito pourrait commen-cer par une citation inspirante, proposant à qui voudra le lire de prendre son destin en main, d’aller de l’avant et d’être l’en-trepreneur de demain. Mais ce serait mentir sur la réali-té de la création de cette revue.

Ce numéro inaugural, premier d’une souhaitable longue sé-rie, détient entre ses mains toute l’essence de nos parcours. D’un premier jour glaçant sur les bancs d’un auditoire bondé, à la chaleur d’une nuit d’hiver, au dernier étage d’une biblio-thèque, éclairé partiellement par un néon cru et vif. D’une idée imaginée à un projet concréti-sé, tout a été épreuve, appren-tissage, et accomplissement.

Nous ne prétendons pas à l’ex-haustivité, loin de là. Mais nous prétendons à la filiation. Cette filiation méthodique que nous avons reçues de nos pères et mères académiques, dont nous espérons bientôt devenir les pairs.

Cette envie d’aller plus loin dans la précision, plus haut dans les attentes, plus fort dans la trans-mission. Nous avons reçu, telle-ment, pendant toutes ces années.

Et seule la reconnaissance en-vers nos enseignants nous vient à l’esprit lorsque nous posons les yeux sur ce premier numéro de la Revue étudiante de droit privé.

Construire est une entreprise émi-nemment complexe. Fédérer l’est encore plus. Organiser reste la plus difficile de toutes les tâches. Et pourtant nous voici avec un premier numéro dont on ne rougit pas, tant il reflète un investisse-ment sans borne et des sacrifices réalisés en pleine conscience.

Alors comme toute bonne rédac-tion, nous apprenons. Nous pré-sentons avec fierté ce petit bijou, mais nous faisons déjà le point. Pour aller plus loin, pour reve-nir plus conquérant, pour épin-gler d’éventuelles erreurs et faire encore mieux la prochaine fois.

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Et l’apprentissage fait partie de nous. Il est intimement lié à l’excel-lence de l’enseignement que nous avons reçu. Alors à vous, profes-seurs et professeures, assistants et assistantes, personnel des universités, nous disons merci.

Et à vous, lecteurs et lectrices, futurs rédacteurs nous l’espé-rons, nous disons bienvenue.

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LA GESTATION POUR

AUTRUI

LÉGIFÉRER, ENFIN ?

La gestation pour autrui (ci-après : la GPA) est très discutée à travers le monde. Certains discutent de la moralité de la GPA, de la commercia-lisation du corps des femmes1 pauvres issues de pays étrangers au profit de couples occidentaux riches qui, dès lors, possèdent tous les droits. D’autres encore se réjouissent des progrès de la Science permettant de concevoir un enfant pour un couple qui ne peut pas le faire lui-même2. Certains pays ont pris les mesures qui s’imposaient, selon eux. Ils ont légiféré en faveur de l’interdiction de la gestation pour autrui3, la ren-dant pénalement répréhensible et rendant les transactions rela-tives à la gestation pour autrui civilement nulle. D’autres pays ont dé-cidé de ne pas légiférer4 puisqu’ils ne sont pas arrivés à un consensus au niveau des instances législatives. Enfin, des pays ont, quant à eux, autorisé la gestation pour autrui et ont donc légiféré en sa faveur5.

Lorsqu’on considère ces différentes positions législatives, nous nous demandons quelle est la plus appropriée en prenant en compte les dif-férents droits des parties en cause et les intérêts de l’Etat et l’ordre public national. A cette fin, nous analyserons la Gestation pour au-trui en elle-même et les différentes formes qu’elle peut prendre.

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Ensuite, nous comparerons deux régimes législatifs, l’un décidant de ne pas légiférer sur le sujet (la Belgique) et l’autre légiférant, et de surcroît interdisant la gestation pour autrui sur son territoire (la France). En conclusion de cette comparaison, nous tenterons de trou-ver la réponse la plus appropriée au questionnement de départ.

Définition de la GPA

La gestation pour autrui est donc un sujet très discuté. Celle-ci se dé-finit par un contrat par lequel une femme est enceinte, porte l’en-fant (la mère porteuse) pour un couple et, donne cet enfant une fois qu’elle a accouché à ce même couple (les parents d’intention)6.

Il existe différents types de gestation pour autrui :

Premier cas : L’embryon est créé avec l’ADN des parents d’in-tention et implanté, par la suite, au sein de l’utérus de la mère porteuse7. Ce type de GPA n’apparait pas comme problé-matique car les liens biologiques prouvent la parentalité.

Deuxième cas : L’embryon est créé à partir de l’ADN d’un des pa-rents d’intention (homme ou femme) et avec l’ADN d’un donneur ou d’une donneuse ou encore avec l’ADN de la mère porteuse et im-planté par la suite au sein de l’utérus de la mère porteuse8. Cette hypothèse suscite quelques frictions avec le droit étant don-né que la mère d’intention ou le père d’intention se trouve dans le cas où il/elle n’a pas de liens génétiques avec l’enfant.

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Troisième cas : L’embryon est créé à partir de l’ADN d’un donneur ano-nyme et à partir de l’ADN d’une donneuse anonyme et ensuite, implanté au sein de l’utérus de la mère porteuse9. Cette hypothèse est la plus dif-ficile à envisager tant pour la France qui a interdit la GPA sur son territoire que pour la Belgique qui n’envisage pas de cadre légal autour de la GPA.

Au-delà des différents types de GPA, une sous-catégo-rie existe également. Celle-ci divise la GPA en deux parties : La GPA dite altruiste et la GPA dite commerciale.10 La GPA al-truiste est une GPA dont seuls les coûts liés aux soins de la gros-sesse sont payés à la mère porteuse par les parents d’intention.

Elle est pensée de façon à ce que la mère porteuse ne souffre pas d’une perte d’argent due à la grossesse. La GPA dite commerciale agit vé-ritablement comme un salaire, une contrepartie octroyée à la mère porteuse pour la gestation de l’embryon dans son utérus. La GPA dite commerciale implique donc que la mère porteuse gagne un bénéfice.

Les différents types de GPA sont importants à différencier car les Cours et Tribunaux évaluent les choses différemment lorsqu’il y a un lien ADN entre les parents d’intention et l’enfant né d’une GPA. Cet ar-ticle cherche à mettre en lumière l’utilité d’une législation sur la GPA et les conséquences se rapportant à l’existence d’une GPA au sein d’une part, du territoire belge et d’autre part, au sein du territoire français.

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Législation en Belgique

La Belgique n’a pas de législation concernant la GPA11. En consé-quence, ce qui n’est pas interdit par la loi est autorisé selon le prin-cipe, bien que rien ne soit explicite sur le sujet12 . De ce fait, la GPA est autorisée et certains hôpitaux ou centres spécialisés en fer-tilité proposent la réalisation de ce processus en Belgique13.

Malgré l’existence du principe selon lequel tout ce qui n’est pas in-terdit est autorisé, la législation existante interdit certaines moda-lités découlant des différents types de GPA décrits ci-dessus. En effet, la loi belge a promulgué l’indisponibilité du corps et l’état des per-sonnes14 tout comme la France15. En conséquence, le contrat de gesta-tion pour autrui est considéré comme nul aux yeux des Cours et Tri-bunaux car il contrevient aux dispositions du Code Civil s’y référant16.

L’absence de légalisation, comme déjà souligné, n’interdit pas la GPA mais cela implique également que les parents d’intention ou la mère porteuse ne sont pas protégés légalement en cas d’incident. On ne protège en ef-fet pas un contrat frappé de nullité17. En effet, si la mère porteuse dé-cide de ne pas remettre l’enfant au couple d’intention, le couple d’inten-tion n’a aucune possibilité de récupérer l’enfant normalement promis.

Inversement, si les parents d’intention ne désirent plus l’enfant à naitre, la mère porteuse n’a aucune possibilité de contraindre les parents d’in-tention à être les parents de l’enfant aux yeux de la loi. Enfin, à ce su-jet, des difficultés apparaissent lorsque la mère porteuse est mariée et que l’enfant à naitre devient automatiquement l’enfant du mari de la mère porteuse par l’effet de la loi (la présomption de paternité)18.

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A cet égard, le mari de la mère porteuse devra contester sa paterni-té dans le cas où il n’est pas le père biologique19. Ou encore, lorsque la mère porteuse n’est pas mariée, le père d’intention pourra recon-naitre l’enfant sans autre formalité que celle prévue par la loi lors d’une reconnaissance de paternité dite « classique »20. Par contre, la mère d’intention devra nécessairement passer par le processus de l’adoption afin d’être considérée comme la mère légale de l’enfant21.

Afin de pallier l’absence de législation dans ce domaine, les juges ont dû faire preuve d’inventivité. De ce fait, ceux-ci ont recours à la loi concernant la PMA ainsi que la loi relative à l’adoption afin de reconnaitre les liens de filiation découlant de la gestation pour autrui22.

A cet égard, nous pouvons légitimement nous demander si les juges ne font pas le travail du législateur en se prononçant sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, tout en utilisant des lois dont l’esprit n’avait pas anticipé qu’elles seraient utilisées pour combler les lacunes du législa-teur. En conséquence, nous pouvons nous interroger sur la sacralité de la division des pouvoirs et de son atteinte par l’édiction de règles suite à une construction juridique du juge. Le pouvoir judiciaire se substitue et pallie les manquements du pouvoir législatif. Est-ce la bonne solution ?

GPA réalisée en Belgique

En amont de la reconnaissance des liens de filiation avec les pa-rents d’intention et l’enfant, la GPA est donc pratiquée en Bel-gique puisque nulle loi ne l’interdit. Mais pour autant, est-ce que la GPA se réalise sans aucune condition, ni contrainte ?

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A cet égard, ce sont les centres hospitaliers pratiquant la GPA23 qui ont pris le relais et qui ont édicté des règles en la ma-tière24. Ceux-ci ont pensé à des règles minimales entourant la pratique de la GPA25. Les centres hospitaliers imposent que :

• Le couple intentionnel se présente au centre avec une mère por-teuse dite relationnelle ;

• La GPA soit altruiste ;• La mère porteuse doit être déjà mère ; • Et enfin, elle doit avoir moins de 40 ans au moment de la gestation.

Le relais pris par les centres hospitaliers spécialisés en fertili-té est équivalent au rôle du législateur puisqu’ils édictent des règles en la matière afin d’entourer d’une règlementation la GPA. A nou-veau, nous pouvons nous demander si l’édiction de ces conditions par les centres hospitaliers ne contredit pas les principes de l’état de droit. En Belgique, la GPA est entourée de conditions qui s’ap-parentent à des conditions légales même si elles ne le sont pas.

Les conséquences d’une GPA réalisée en Belgique sur les liens de filiation

En Belgique, lorsqu’une GPA est réalisée, les liens de filiation des parents intentionnels sont établis par l’adoption. Le Code civil impose que l’acte de naissance de l’enfant contienne obligatoirement la mention de la femme qui a mis l’enfant au monde26. En effet, en droit belge, la femme qui ac-couche d’un enfant est la mère de cet enfant ; Mater Semper Certa Est.

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Pour autant, cet adage n’est pas d’application partout. En France par exemple, la création de l’accouchement sous x permet de contour-ner l’obligation de la mention de la mère biologique sur l’acte de nais-sance27. D’autres difficultés peuvent surgir si la mère porteuse est mariée. Si la mère est mariée et qu’elle accouche de cet enfant, son mari sera automatiquement considéré comme le père de cet en-fant aux yeux de la loi28 et ce, même si la vérité biologique est dif-férente29. Il devra alors contester expressément sa paternité30.

En conséquence, il sera nécessaire pour le couple intentionnel de pas-ser par le processus de l’adoption afin d’établir les liens de filiation avec le nouveau-né31. Or, l’adoption doit être fondée sur de « justes motifs »32 . L’adoption n’ayant pas été pensée pour la GPA, la jurisprudence considérait que les « justes motifs » de l’adoption suite à une GPA n’en étaient pas et ne permettaient pas l’adoption33. Néanmoins, une mo-dification de la jurisprudence est intervenue afin d’avoir une approche plus permissive sur les « justes motifs », et ainsi d’autoriser l’adoption.

GPA réalisée à l’étranger dont la reconnaissance des liens de filiation

est demandée en Belgique

La GPA est parfois effectuée à l’étranger par un couple intentionnel belge. Dans certains cas, le couple intentionnel belge préfèrera se rendre dans un pays où la GPA est autorisée pour plus de sécurité ju-ridique en cas de problèmes avec le contrat de gestation pour autrui.

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Lorsque la GPA est effectuée à l’étranger, la Belgique est confrontée à la reconnaissance des liens de filiation de parents belges dont l’enfant est né d’une GPA. Les parents d’intention, malgré l’absence de législa-tion dans le domaine, sont souvent confrontés à des difficultés de re-connaissance de ces liens. L’ordre public belge est parfois invoqué pour refuser la reconnaissance des liens de filiation issus d’une GPA exercée à l’étranger via le Code de droit international privé34. En effet, la GPA et les liens de filiation sont issus d’un contrat de GPA, contraire à l’ordre public belge étant donné que le contrat place un corps dans le com-merce35. La reconnaissance des effets et la transcription de l’acte de naissance n’allait donc pas de soi. Ce refus avait pour effet de toucher les parents plus que l’enfant, qui se retrouvait alors sans filiation recon-nue par les autorités belges suite à l’action de ses parents d’intention.

Lors du refus de l’Officier de l’Etat civil, les parents intention-nels doivent entamer une procédure judiciaire longue et cou-teuse plaçant de ce fait l’enfant dans une incertitude latente concernant ses liens de filiation avec ses parents intentionnels.

La Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs arrêts relatifs à la reconnaissance des liens de filiation issue de la GPA ain-si qu’un avis consultatif (Le 10 avril 2019). Dans cet avis36, la Cour af-firme que l’intérêt de l’enfant prime sur l’ordre public des Etats lors de l’établissement des liens de filiation dudit enfant né d’une GPA. L’avis consultatif ne privilégie pas un mode d’établissement de la filia-tion plutôt qu’un autre. Néanmoins, la Cour insiste sur l’importance de la rapidité et l’effectivité de la reconnaissance de ces liens de filiation37.

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L’introduction d’une procédure judiciaire longue et cou-teuse pour reconnaitre les liens de filiation en Belgique n’est pas en accord avec ce que l’instance européenne préconise.

Progressivement, les Cours et Tribunaux belges ont reconnu presque systématiquement les liens de filiation lorsqu’il y avait des liens bio-logiques avec les parents intentionnels et l’enfant issu de la GPA38. Par la suite, le parent intentionnel qui ne possède pas de liens bio-logiques avec l’enfant peut procéder à une adoption au sein du cercle familial afin que pour lui aussi, les liens de filiation soient établis39.

Désormais, on peut voir que certaines décisions jurisprudentielles vont dans le sens de la double reconnaissance des liens de filiation, dis-sociant l’appréciation de la convention de la GPA (contraire à l’ordre public) et le lien de filiation40. Cependant, il reste rare que l’adminis-tration communale reconnaisse automatiquement le lien de filiation pa-ternelle biologique mais il arrive plus souvent que le Procureur du Roi accepte d’établir les filiations à la suite de nombreuses négociations.

Législation en France

La France, comme d’autres pays dont l’Allemagne41, l’Espagne42, l’Ita-lie43 et la Suisse44, a formellement interdit la pratique de la GPA sur son territoire par la loi n°94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain45. Cette loi a introduit explicitement un article dans le code civil qui énonce que toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle (Article 16-7 du Code civil ancien46).

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Cette loi très manichéenne est tout à fait remarquable. SI l’on compare avec la Belgique, bien que la loi fédérale n’ait pas de législation à ce su-jet, les conventions concernant la gestation pour autrui sont nulles sur le territoire belge car celles-ci sont en contradiction avec l’ordre public belge. Néanmoins, cette nullité porte uniquement sur une GPA rémuné-rée En France, la loi sanctionne purement et simplement de nullité toutes les conventions relatives à la GPA en raison des principes de l’ordre pu-blic de l’indisponibilité du corps humain et de l’état des personnes47. En plus de la nullité des conventions portant sur la GPA, la France a assor-ti ses dispositions civiles d’un article dans le Code pénal48, érigeant la GPA en infraction, incriminant toutes les personnes y participant et les sanc-tionnant d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15.000 € d’amende.

La Belgique, quant à elle, n’a pas fait ce choix puisque la GPA n’est pas une infraction au sens du Code pénal belge. Or, pour autant, l’inter-diction de la GPA n’a pas entrainé l’arrêt de ces pratiques en France. Les habitants de l’hexagone optent en général pour un autre pays où la GPA est autorisée afin de réaliser leur désir d’enfant. Par la suite, ceux-ci rentrent en France avec leur nourrisson et demandent que les liens de filiation soient reconnus entre eux et le nouveau-né.Nous pouvons donc constater que l’interdiction de la GPA en France n’est que peu efficace. C’est entre autre la raison qui a poussé la France à ne pas reconnaitre les liens de filiation de ces enfants nés d’une GPA afin de décourager les parents qui voudraient avoir recours à cette pratique à l’étranger. Par la suite, la Cour européenne des droits de l’homme est intervenue afin de sanctionner cette absence de reconnaissance des liens de filiation car celle-ci est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant49 qui, lui, n’est pas responsable des agissements de ses parents d’intention50.

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Suite à cette décision et les nombreuses qui suivirent, l’état français a reconnu la filiation de ces enfants nés par GPA mais toujours à la suite de longue et coûteuse procédure en reconnaissance de filiation. Tout ceci s’est fait sous l’impulsion de la CEDH, qui rappelle régulièrement l’impor-tance de l’établissement des liens de filiation concernant l’enfant né d’une GPA au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant à connaitre ses origines51.

La Cour de cassation française a par ailleurs demandé un avis consultatif à la CEDH53. L’avis consultatif a établi qu’il ne lui appartenait pas de prescrire un mode de reconnaissance au détriment d’un autre mais que la reconnaissance devait être rapide et peu onéreuse54. Bien que les autorités françaises interdisent toujours la GPA sur le territoire, la France est désormais tenue de reconnaitre les liens de filiation créé par la GPA, chose qu’elle fait désormais avec l’aide de l’Officier de l’état civil. En conséquence, la France agit à ce niveau de la même façon que la Belgique alors que la Belgique n’a pas promulgué de loi. Il est en fait légitime de s’interroger sur la pertinence de l’inter-diction de la GPA en France. Arrive-t-elle à prévenir la GPA ? Ou est-ce que la France profite des systèmes mis à l’étranger pour ne pas porter et susciter le débat en France quant à l’opportunité de modifier ou pas la loi ? Certains observateurs ont estimé que l’inefficacité de la loi interdi-sant la GPA est liée à l’absence d’évolution de cette même loi créée dans les années 90 mais qui n’avait pas pris en compte le tourisme médical.

La loi devrait peut-être être revue afin d’empêcher la promotion commer-ciale de la GPA en France et de proscrire le délit d’entremise sous toutes ses formes. Les observateurs ont également remarqué que les lois ban-caires et de financement étaient trop facilement contournées et servaient notamment à obtenir le financement nécessaire à la gestation pour autrui.

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Conclusion

Pour répondre aux diverses questions posées quant à l’opportunité d’éta-blir une législation interdisant la GPA, nous arrivons à un constat ; si ce n’est les conséquences pénales, l’interdiction ou l’absence d’interdiction ne modifie pas particulièrement le comportement des personnes vou-lant avoir recours à la GPA. La globalisation a permis l’accessibilité au tourisme médical. Désormais, seule la reconnaissance des liens de filia-tion est une problématique étatique discutable. Or, la reconnaissance des liens de filiation entre un enfant né d’une GPA et les parents d’intention est une obligation étatique. Elle devrait se faire de façon effective, peu coûteuse et rapide. Dès lors, l’activisme étatique refusant la transcrip-tion des liens de filiation pour cause de contrariété à l’ordre public ou au Code pénal n’est pas suffisant pour justifier l’absence de reconnaissance.

On est en droit de se demander s’il est bien utile d’interdire la pratique sur un territoire, alors même qu’aucun consensus ferme et définitif sur le sujet n’existe55. L’existence d’un consensus international sur le sujet per-mettrait la promulgation des lois interdisant le recours à la GPA. En de-hors d’une résolution du Parlement européen (septembre 2021) contre les GPA commerciales et de l’existence d’une coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution, les États, dans leur intégralité, ne semblent pas s’être ralliés à une seule position ferme dans la pratique. Il semblerait nécessaire, d’un point de vue juridique, d’entou-rer la GPA de conditions juridiques de validité ou à tout le moins, de déléguer la détermination de ces conditions aux hôpitaux pra-tiquant la GPA, comme cela peut déjà être le cas dans les faits.

Julie Tassou

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(1) M.-A. CATTO, « La Gestation pour Autrui : D’un Problème d’Ordre Public au Conflit d’Intérêts », La Revue des Droits de l’Homme, 2013, p. 21.(2) Ibid., p. 22.(3) France, Chypre, Italie, Allemagne, etc.(4) Belgique, les Pays-Bas, Pologne, Slovaquie, etc.(5) Ukraine, Russie, Grèce, Etats-Unis (dans certains Etats), Géorgie, Irlande, Royaume-Unis, etc.(6) G. WILLEMS, « La Gestation pour Autrui : Brève Synthèse des Réflexions relatives à un Eventuel Encadrement Législatif », Annales de Droit de Louvain, p. 114. (7) L. VAN BUNNEN, « La Gestation pour Autrui et les Droits de l’Homme », R.C.B.J., p. 41(8) Ibid.(9) L. VAN BUNNEN, op. cit, p. 41. (10) Avis du Comité consultatif de bioéthique de Belgique, consulté sur : https://www.senat.fr/lc/ l182/lc182_mono.html (dernier accès le 24/09/2021)(11) A. SHAMAVU WAKANYANFE, “Légiférer en Matière de Gestation pour Autrui : Un Regard du Contexte de Droit Comparé Belge, Français, Anglais et congolais », AFD-ULPG, pp. 185-186.(12) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. 114.(13) A. SHAMAVU WAKANYANFE, op. cit. n°11, p. 191.(14) C. civ, art. 331quater et 1128. (15) M.-A CATTO, op. cit. n°1, p. 31.(16) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. 114.(17) C. APERS, « La Gestation pour Autrui : Le Point sur la Jurisprudence », ADDE, Newsletter n°63, mars 2011, p. 2.(18) C. civ, art. 315. (19) C. civ., art 318. (20) C. civ., art. 329bis. (21) C. APERS, op. cit. n°6, p. 2.(22) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. 114.(23) A. SHAMAVU WAKANYANFE, op. cit. n°11, p. 191.(24) P. WAUTELET, « Bébés Papiers, Gestation pour Autrui et Co-Maternité : la Filiation Internationale dans tous ses Etats », Le droit des relations familiales internationales à la croisée des chemins, Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 179.(25) Parentalité Alternative – Le principe, consulté sur : http://cpma-ulg.be/les-traite-ments/parentalite-alternative/le-principe/, dernier accès le 23 septembre 2021.(26) WILLEMS, G., op. cit. n°6, p. 115.(27) M.-A. CATTO, op. cit. n°1, p. 3.

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(28) C. civ., art. 315. (29) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. 115.(30) C. civ., art. 318. (31) J. SOSSON et J. MARY, « Note : Gestation pour autrui pratiquée à l’étranger : l’inté-rêt de l’enfant, sésame d’une reconnaissance en Belgique ? », Rev. trim. Dr. f., 2014, p. 552(32) C. civ., art. 344-1.(33) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. 115.(34) Code D.I.P., art. 18, 21 et 28, §1, 1°. (35) J. SOSSON et J. MARY, op. cit. n°32, p. 562 et s.(36) Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, 10 avril 2019, De mande n°P16-2018-001(37) D. SZYMCZAK, “’Répondre et rassurer’: Quelques Enseignements à Propos du Pre-mier Avis Consultatif de la Cour Européenne des Droits de l’Homme », Rev. Trim. Dr. h., 2019, p. 966.(38) P. WAUTELET, op. cit. n°25, p. 179.(39) G. WILLEMS, op. cit. n°6, p. p. 115.(40) P. WAUTELET, op. cit. n°25, p. 179.(41) §134 et §138 (1) du Bürgerliches Gesetzbuch (BGB) et §13(a) de la loi sur la média-tion en matière d’adoption et sur l’interdiction de la médiation en gestation pour autrui - Gesetz über die Vermittlung der Annahme als Kind und über das Verbot der Vermitt-lung von Ersatzmüttern (Adoptionsvermittlungsgesetz - AdVermiG) du 22 déc. 2001 (BGBI. 2002, I, p. 354) et dont la dernière modification date du 10 déc 2008 (BGBI, I, p. 2403).(42)La loi n°14 du 26 mai 2006 sur les techniques de reproduction assistée – Ley 14/2006, de 26 de mayo, sobre técnicas de reproduccion humana asistida, BOE, num. 126, de 27 de mayo de 2006, Referencia : BOE-A-2006-9292.(43) La loi n°40 du 19 février 2004 sur la procréation médicalement assistée – Legge 19 febbraio 2004, n. 40, Norme in materia di procreazione medicalmente assistita, G.U. Serie Générale, n. 45 del 24 febbraio 2004(44) La loi fédérale Suisse du 18 décembre 1998 sur la procréation médicalement assis-tée. (45) Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain interdit expli-citement la gestation pour autrui, JORF n°175 du 30 juillet 1994.(46) D. SZYMCZAK, op. cit. n°38, p. 957.(47) A. SHAMAVU WAKANYANFE, op. cit. n°11, p. 192.

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(48) Code pénal français, article 227-12.(49) A. SHAMAVU WAKANYANFE, op. cit. n°11, pp. 194 et 195.(50) M.-A. CATTO, op. cit. n°1, p. 15.(51) J. SOSSON et J. MARY, op. cit. n°32, p. 569.(52) Cour eur. D.H., arrêt D. et al. c. Belgique, 8 juillet 2014, req. n°29176/13.(53) Cour eur. D.H., avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention, 10 avril 2019, demande n°P16-2018-001.(54) D. SZYMCZAK, op. cit. n°38, p. 966.(55) C. LEROY, ‘ La gestation pour autrui en droit pénal français, ‘ : Revue générale du droit on line, 2019, numéro 50288 (www.revuegeneraledudroit.eu/?p=50288)

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RÉFLEXIONS SUR L’ABUS DE

DROIT ET L’IMPRÉVISION DANS

LE PROJET DE RÉFORME DU

DROIT DES OBLIGATIONS

La théorie de l’imprévision permet la révision du contrat, et le cas échéant sa résiliation, lorsque surviennent des circonstances impré-visibles lors de sa conclusion qui alourdissent gravement l’exécu-tion des obligations d’une des parties, pour autant que ces circons-tances ne lui soient pas imputables et qu’elle n’en ait assumé le risque.

A défaut de base légale et en raison de sa contrariété avec le principe de la convention-loi, cette théorie est classiquement rejetée en droit belge1. Cet état de fait est néanmoins amené à changer prochainement. En effet, l’article 5.74, al. 2 de la proposition de réforme du droit des obligations2, actuellement discutée au parlement, consacre la théorie de l’imprévision. Aux termes de cet article, « […] le débiteur peut demander au créancier de

renégocier le contrat en vue de l’adapter ou d’y mettre fin lorsque les condi-

tions suivantes sont réunies: 1° un changement de circonstances rend exces-

sivement onéreuse l’exécution du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonna-

blement l’exiger; 2° ce changement était imprévisible lors de la conclusion du

contrat; 3° ce changement n’est pas imputable au débiteur; 4° le débiteur n’a

pas assumé ce risque; et 5° la loi ou le contrat n’exclut pas cette possibilité […] ».20

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Néanmoins, des situations devant en principe s’appréhender sous l’angle de l’imprévision se sont parfois vu appliquer d’autres mécanismes, pour leur part reconnus en droit belge, tels que l’abus de droit. L’objectif du présent article sera de mettre en lumière certains liens existant entre la théorie de l’imprévision et celle de l’abus de droit, lesquels partagent une même finalité d’équité. Nous exposerons ainsi comment doctrine et jurisprudence reconnaissent la possibilité de recourir à l’abus de droit dans un contexte d’imprévision en droit positif (1), avant d’examiner dans quelle mesure l’abus de droit demeurera applicable à ces situations si le projet de réforme est adopté dans sa mouture actuelle (2). En dernier lieu, nous évaluerons l’opportunité de mobiliser le critère général de l’abus de droit pour déterminer si l’exécution de l’obligation de la partie qui se prévaut du changement de circonstances est devenue excessivement onéreuse, comme le requiert l’application de l’article 5.74 en projet (3).

L’abus de droit et les situations d’imprévision de lege lata

De nombreux auteurs envisagent de longue date le recours à l’abus de droit pour remédier à des situations d’imprévision3. Selon la juris-prudence constante de la Cour de cassation, abuse de son droit ce-lui qui en fait usage d’une manière qui excède manifestement les li-mites de l’exercice normal de ce droit par une personne prudente et diligente4. Il en est notamment ainsi lorsque lorsqu’en faisant usage de son droit, le titulaire cause un préjudice sans proportion avec l’avan-tage recherché ou obtenu5. En matière d’imprévision, on considère ain-si que « l’exercice du droit, allant jusqu’à la ruine du débiteur, en cas de bouleversement profond de toute l’économie du contrat par suite de circonstances imprévisibles, procèderait d’un abus de ce droit »6.

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Les décisions faisant effectivement usage de l’abus de droit dans des situations d’imprévision ont pourtant été inexistantes pendant long-temps7, jusqu’à ce que la Cour de cassation en fasse une première application dans un arrêt remarqué du 14 octobre 20108. La déci-sion de la Cour Suprême a ensuite trouvé écho auprès des juridic-tions de fond9, lequel s’est amplifié à la faveur de la crise sanitaire10.

On a pu toutefois signaler l’insuffisance des remèdes offerts par ce mé-canisme. La sanction de l’abus de droit réside en effet dans la réduction du droit à son usage normal ou la réparation du préjudice causé par cet abus, tandis que les partisans de la théorie de l’imprévision préconisent un éven-tail plus varié de solutions, essentiellement la renégociation du contrat, la réfaction judiciaire, et en dernier recours la dissolution du lien contractuel11.

L’abus de droit et les situations d’imprévision au regard du projet de ré-

forme

La proposition de réforme du droit des obligations prévoit l’introduc-tion de la théorie de l’imprévision en droit belge, à l’article 5.74 intitulé « changement de circonstances ». Si les situations d’imprévision y trou-veront enfin un traitement adapté, la théorie de l’abus de droit demeu-rera néanmoins pertinente, puisqu’il s’agit d’un ultime remède d’équité ne connaissant pas de limitation à son application12 pour autant que ses conditions soient rencontrées. Toutefois, le souci de ne pas vider de leur substance les conditions d’application de l’article 5.74 en projet en per-mettant de les contourner par le biais de l’abus de droit imposera de confi-ner cette possibilité aux changements de circonstances les plus graves.

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En effet, premièrement, le changement de circonstances ne doit pas être imputable au preneur aux termes de l’article 5.74, tandis que l’abus de droit peut être invoqué alors même que la situation qui a donné nais-sance à l’abus en question résulte de la faute de celui qui s’en prévaut13.

Ensuite, l’article 5.74 exige un changement de circonstances impré-visible. A l’inverse, le recours à l’abus de droit peut en principe inter-dire au créancier d’exiger l’exécution forcée d’un contrat dont l’éco-nomie a été bouleversée à la suite d’un changement de circonstances quand bien même celui-ci aurait été prévisible pour les parties14. Toutefois, la prévisibilité du changement de circonstances, tout comme son imputabilité au débiteur, seront des éléments dont le juge tiendra compte, au titre du devoir d’« extrême concrétisa-tion » qui lui incombe dans son appréciation de l’abus de droit15.

Par conséquent, le juge conclura vraisemblablement plus difficilement à l’existence d’un abus de droit lorsque la situation résulte de la faute du preneur, ou que le changement de circonstances était prévisible.

Enfin, et de manière plus fondamentale, l’article 5.74 requiert que le contrat n’exclue pas la possibilité de recourir au mécanisme qu’il pré-voit. Les travaux préparatoires précisent que les parties peuvent sup-primer ou modaliser le droit de négocier et de voir le contrat modifié « sous réserve de l’abus de droit d’une partie entendant se prévaloir de

la clause dérogatoire »16. Dans ces circonstances, la sanction de l’abus de droit consistera dans l’interdiction de se prévaloir de la clause17, et le mécanisme de l’article 5.74 retrouvera alors sa pleine application.

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La nécessité de contenir l’application de l’abus de droit aux situations d’imprévision les plus extrêmes est ici frappante. Si toute situation d’imprévision permettait un recours à l’abus de droit, lequel ne peut jamais être exclu contractuellement dans le projet de réforme18, il se-rait fait fi de la volonté des parties qui, par l’introduction d’une clause écartant ou limitant l’application de l’article 5.74, auraient enten-du assurer à leur relation une stabilité en principe à toute épreuve19.

La caractérisation de l’onérosité excessive au moyen du critère général de

l’abus de droit

La condition fondamentale de l’imprévision, son élément déclen-cheur, consiste dans l’alourdissement excessif et déraisonnable de la charge du cocontractant dont l’obligation est affectée par le changement de circonstances. Cette condition figure dans le pro-jet de réforme à l’article 5.74, al. 2, 1° qui requiert que « [le] chan-gement de circonstances rend[e] excessivement onéreuse l’exécu-tion du contrat de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exiger ».

Parmi les premiers commentaires de l’article 5.74 figure une proposi-tion de caractériser l’excessive onérosité au moyen de la bonne foi, et plus particulièrement au moyen du critère général de l’abus de droit20.

Ainsi, selon l’auteur à l’origine de cette proposition, le débiteur pourrait se prévaloir de la théorie de l’imprévision si le créancier agit de manière ma-nifestement déraisonnable en exigeant du débiteur qu’il exécute son obli-gation malgré le changement de circonstances21. Cette proposition, malgré ses mérites22, fait resurgir notre crainte, détaillée au point précédent, de voir le mécanisme de l’abus de droit se superposer à celui prévu à l’article 5.74, et partant, de permettre d’en contourner les conditions d’application.

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En effet, si l’article 5.74 requiert que le critère général de l’abus de droit soit rencontré pour trouver à s’appliquer, l’abus de droit se-rait, de fait, toujours parallèlement applicable. Si le critère de l’abus de droit ne peut donc à notre estime être retenu pour caractériser l’oné-rosité excessive, la doctrine et la jurisprudence devront partir en quête d’autres pistes pour en préciser les contours. Le droit compa-ré pourra certainement servir de source d’inspiration à cet égard. Ain-si, l’article 1195 du Code civil français23, siège de l’imprévision en France, suppose également que l’exécution de l’obligation du débiteur soit ex-cessivement onéreuse à la suite du changement de circonstances.

Toutefois, l’article 5.74 du projet belge s’en distingue en ce qu’il précise que, pour trouver à s’appliquer, l’exécution de l’obligation doit être ex-cessivement onéreuse « de sorte qu’on ne puisse raisonnablement l’exi-ger ». Cette référence au raisonnable, absente de l’article 1195 du Code civil français, incitera davantage le juge à se poser en « amiable compo-siteur »24, tandis que la notion d’onérosité excessive évoque plutôt une logique purement économique25, rendant ces deux éléments à première vue difficilement conciliables. Une chose est sûre, la consécration lé-gale de l’imprévision ne mettra pas fin aux débats à son sujet, loin de là.

Louis Cornet

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(1) Cass. 19 mai 1921, Pas., 1921, I, p. 380 ; Cass. 30 octobre 1924, B.J., 1925, col. 297 ; Cass. 7 février 1994, Pas., 1994, I, p. 150 ; Cass. 14 avril 1994, J.L.M.B., 1995, p. 1591.(2) Proposition de loi du 24 février 2021 portant le Livre 5 « Les obligations » du Code civil, Doc., Ch., 2020-2021, n° 1806/001.(3) Voy. par ex. L. CAMPION, « La théorie de l’imprévision », B.J., 1926, col. 108 et 109 ; W. VAN GERVEN, « Variatie op het thema misbruik », R.W., 1979-1980, col. 2495 ; X. DIEUX, « Réflexions sur la force obligatoire des contrats et la théorie de l’imprévision en droit privé », note sous Comm. Bruxelles (8ème ch.), 16 janvier 1979, R.C.J.B., 1983, p. 386-409 ; P. VAN OMMESLAGHE, « Examen de jurisprudence (1974 à 1982). Les obli-gations », R.C.J.B., 1986, p. 43 ; P. WÉRY, « L’imprévision et ses succédanés », obs. sous Liège, 27 juin 1995, J.L.M.B., 1996, p. 102 à 110.(4) Cass., 10 septembre 1971, Arr. Cass., 1972, p. 31 ; Cass., 19 novembre 1987, Pas., 1988, p. 332 ; Cass., 10 juin 2004, Arr. Cass., 2004, p. 1031.(5) Cass., 1er octobre 2010, Pas., 2010, p. 2470.(6) P. VAN OMMESLAGHE, op. cit., p. 43.(7) D. PHILIPPE, Changement de circonstances et bouleversement de l’économie contractuelle, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 191 ; J. VAN ZUYLEN, « Quelques réflexions sur l’utilité économique du contrat au départ de l’arrêt de la Cour de cassation du 14 octobre 2010 », DAOR, 2012, p. 14.(8) Cass., 14 octobre 2010, R.A.B.G., 2011, p. 902. Voy. entre autres à ce propos D. PHI-LIPPE, « Le juge et la révision du contrat : le bouleversement de l’économie contrac-tuelle », Le juge et le contrat / De rol van de rechter in het contract, Bruges, la Charte, 2014, p. 375 et 376 ; J. VAN ZUYLEN, , op. cit., p. 5 à 17 ; C. BIQUET-MATHIEU, « Sou-bresauts en matière d’imprévision. Les arrêts des 19 juin 2009 et 14 octobre 2010 », R.F.D.L., 2012, n°3, p. 250 et s. ; S. GOLDMAN et S. LAGASSE, « Le déséquilibre contrac-tuel survenant en cours d’exécution en raison de circonstances extérieures », Le droit commun des contrats, R. Jafferali (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2016, p. 112-127.(9) Mons (21ème ch.), 30 mai 2013, J.L.M.B., 2014, p. 1072 ; Gand, 3 février 2014, N.J.W., 2015, p. 202.(10) J.P. Wavres (2ème canton), 10 novembre 2020, J.J.P., 2021, p. 351 ; J.P. Bruxelles (1er canton), 19 novembre 2020, J.L.M.B., 2021, p. 35 ; Voy. également J.P. Woluwe-Saint-Pierre, 2 juillet 2020, reproduite dans M. HIGNY et H. VYNCKE, Panoplie juridique face à une pandémie – Les premières décisions commentées en matière de COVID-19, Bruxelles, La Charte, 2020, p. 34. (11) D. PHILIPPE, Changement de circonstances…, op. cit., p. 651.

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(12) T. DELAHAYE, Le facteur temps dans le droit des contrats, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 241-244.(13) P. WÉRY, « L’imprévision et ses succédanés », obs. sous Liège, 27 juin 1995, J.L.M.B., 1996, p. 109.(14) Liège (7ème ch.), 21 décembre 2001, J.T., 2002, p. 564 ; contra, Anvers, 6 mai 1987, R.G.D.C., 1990, p. 299, cité par P.-A. FORIERS, « Observations sur le thème de l’abus de droit en matière contractuelle », R.C.J.B., 1992, p. 234, note 164.(15) S. STIJNS et F. AUVRAY, « Abus de droits contractuels dans l’exécution du contrat : critères et sanctions », Les obligations contractuelles, M. Dupont (dir.), Bruxelles, Lar-cier, 2016, p. 284 et 285.(16) Proposition de loi du 24 février 2021 portant le Livre 5 « Les obligations » du Code civil, Doc., Ch., 2020-2021, n° 1806/001, p. 85 et 86.(17) Cass., 8 février 2001, Arr. Cass., 2001, p. 245.(18) Proposition de loi du 24 février 2021 portant le Livre 5 « Les obligations » du Code civil, Doc., Ch., 2020-2021, n° 1806/001, p. 316.(19) Voy. en ce sens P.-A. FORIERS, op. cit., p. 233 et 234, qui préconisait déjà de limiter l’abus de droit aux situations d’imprévision les plus radicales, en raison notamment du respect dû à la volonté des parties qui n’auraient pas souhaité insérer de clause de hardship dans leur contrat.(20) M. DE POTTER DE TEN BROECK, « De overmachts- en de imprevisieleer: één ges-pleten persoonlijkheid ?», T.P.R., 2018, p. 297 et 298 ; 302 et s.(21) M. DE POTTER DE TEN BROECK, ibidem, p. 303.(22) M. DE POTTER DE TEN BROECK, ibidem, p. 302 et s.(23) Pour un commentaire détaillé de cet article, voy. P. ANCEL, « Imprévision », Rép. civ., 2018, n°55 et s.(24) L. THIBIERGE, Le contrat face à l’imprévu, Paris, Economica, 2011, p. 354 et 355, n°634.(25) P. ANCEL, op. cit., n°77.

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NOUVELLE ORIENTATION EN

MATIÈRE DE TROUBLES DE

DISCERNEMENT

La Cour de cassation a rendu le 25 mai 2021 un arrêt intéressant1 à propos de l’effet des troubles mentaux sur la responsabilité pénale du prévenu. Il concerne plus précisément le cas d’un prévenu souffrant de troubles mentaux causés par une consommation chronique d’alcool et de cannabis. Cet arrêt précise la définition des troubles mentaux et ex-clut tout examen de la responsabilité du prévenu sur son état mental.

Nous rappellerons dans un premier temps le cadre légal en-tourant la cause de non-imputabilité prévue par le code pé-nal. Nous analyserons ensuite l’arrêt du 25 mai 2021 et ten-terons de dégager les interrogations qui peuvent en résulter.

Rétroactes

Il est tout à fait courant au cours du procès pénal que le prévenu souffre, au moment des faits, d’un trouble mental. Le législateur a pré-vu une cause de non-imputabilité morale dans ce genre d’hypothèse.

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Elle s’applique lorsque « l’accusé ou le prévenu était atteint, au moment des faits, d’un trouble mental qui a aboli sa capaci-té de discernement ou de contrôle de ses actes … »2. La cause de non-imputabilité morale ne provoque pas l’absence de l’in-fraction, mais empêche la condamnation du prévenu atteint d’un trouble mental, conforme à l’article 71 du code pénal, à une peine3.

Cette cause de non-imputabilité n’est applicable que face à un trouble qui a pour effet l’abolition de la capacité de discernement ou de contrôle de ses actes du prévenu. Le prévenu qui souffre d’un trouble qui a des effets importants sur ses capacités mentales mais qui ne vont pas jusqu’à provoquer l’abolition de sa capacité de discernement ou de contrôle de ses actes ne pourra pas bénéficier de l’article 71 du code pénal4. Le projet de nouveau code pénal ne prévoit pas de changement par rapport au champ d’application de cette cause de non-imputabilité5.

Si, au moment du jugement ou de la comparution devant une juridic-tion d’instruction, le prévenu ou l’inculpé, souffre d’un trouble men-tal qui abolit ou altère sa capacité de discernement ou le contrôle de ses actes, l’internement peut être prononcé au titre de mesure de sû-reté6. Les faits, qualifiés de crime ou de délit, doivent avoir mena-cé ou porté préjudice à l’intégrité physique ou psychique de tiers et il doit exister un risque de récidive pour le même type de faits7.

Il est donc tout à fait possible d’être interné sans avoir bénéfi-cié de l’article 71 du code pénal, la loi du 5 mai 2014 ne demandant qu’une altération de la capacité de discernement ou de contrôle de ses actes et pas nécessairement une abolition de cette capacité.

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Dans le cas où le prévenu souffre d’un trouble mental qui ne remplit pas les conditions de l’article 71 du code pénal, le juge peut également décider d’une suspension du prononcé8, un sursis probatoire9, ou une peine de probation autonome10 peine que l’on assortira alors de condi-tions relatives à des soins de santé mentale. Ces peines et mesures ont l’avantage d’être prononcées pour une durée limitée, ce qui n’est pas le cas de l’internement dont la durée n’est pas déterminée a prio-ri par le juge du fond ou la juridiction d’instruction. Le trouble men-tal est parfois passager et causé, d’une manière ou d’une autre, par le comportement du prévenu. Celui-ci peut par exemple avoir abu-sé de la boisson, consommé des stupéfiants, ou oublié de prendre des médicaments nécessaires au maintien de sa stabilité mentale.

Le sujet de la consommation d’alcool ou de stupéfiants est délicat car il pose la question de la responsabilité du consommateur sur ses agissements.

Le droit pénal prenait en compte cet état mental passager de manière assez stricte en exigeant la présence de trois conditions cumulatives pour l’application de la cause de non-imputabilité de l’article 71 du code pénal : « le trouble doit annihiler totalement les facultés de discerne-ment de l’agent et non pas seulement les diminuer ; le trouble ne peut résulter d’un acte volontaire de l’agent ou de son défaut de prévoyance ou de précaution ; en outre, pour être exonératoire, la cause doit être imprévisible »11. Lorsque le prévenu a lui-même causé par sa faute, ou par négligence, le trouble passager dont il est victime, la cause de non-im-putabilité de l’article 71 du code pénal ne lui est donc pas applicable12. La question du trouble mental durable causé, d’une manière ou d’une autre, par le comportement du prévenu, par exemple une consommation d’alcool ou de stupéfiants, n’a à notre connais-sance jamais été directement abordée par la jurisprudence.

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La Cour de cassation a cependant déjà décidé en matière d’état de nécessité que l’auteur ne devait pas avoir créé cette situation lui-même13. Certains considèrent sur base de cette jurisprudence que le trouble mental durable appelle la même réponse et doit donc être ap-précié au regard de la faute de l’agent14. Nous allons voir que l’arrêt du 25 mai 2021 offre une solution différente à cette problématique.

L’arrêt du 25 mai 2021

Dans cette affaire, le pourvoi est dirigé contre un jugement du Tribunal correctionnel néerlandophone de Bruxelles siégeant en degré d’appel. Le demandeur soulève un moyen dans lequel il soutient que le Tribu-nal correctionnel a mal apprécié la notion de trouble mental car, après avoir constaté l’existence d’un tel trouble, il l’a tout de même reconnu responsable de ses actes car le trouble mental est la suite des choix de vie du demandeur, en l’espèce la consommation d’alcool et de cannabis15.

Ce jugement nous semble tout à fait conforme à ce qui était ad-mis en termes de troubles passagers du discernement.Le trouble dont souffrait le prévenu n’était toutefois ici pas passager, il n’était pas limité à la simple ivresse ou aux effets immédiats du can-nabis. Il s’agissait en l’espèce de troubles psychotiques avec délire16.

La Cour rappelle ensuite le contenu de l’article 71 du code pénal et ajoute deux subtilités qui ont toute leur importance17. Le trouble men-tal doit avoir un caractère durable et l’article 71 s’applique, peu importe que le trouble mental ait été causé par le comportement du prévenu18.

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Elle constate que le Tribunal a décidé que le prévenu souffrait d’un trouble mental qui avait aboli sa capacité de discernement et de contrôle sur ses actes mais qu’il l’a ensuite reconnu comme responsable de ses actes19. Elle conclut qu’en cela la décision n’est pas justifiée légalement, casse le jugement et renvoie l’affaire devant le Tribunal correctionnel de Leuven20.

Cet arrêt appelle plusieurs interrogations. La première est rela-tive à la définition même des troubles mentaux. La Cour rajoute une idée de durabilité dans la définition de trouble mental au sens de l’article 71. Il reste à déterminer ce qui se cache derrière cette notion de durabilité et quels troubles peuvent être concernés. La situation d’une personne souffrant d’un trouble men-tal passager n’est en revanche pas réglée par cet arrêt. Com-ment prendre en compte un tel état, non durable, qui ne ren-trerait alors plus dans la définition de l’article 71 du code pénal ?

Il pourrait être vu comme injuste que des personnes puissent se voir condamner à une peine si elles commettent une infrac-tion sous le coup d’un accès de folie inattendu, en raison de la prise d’un médicament par exemple. L’état de nécessité ne nous semble pas pouvoir être utilisé car il implique un choix posé face à une situation d’urgence21, ce dont est incapable une personne souf-frant d’un trouble mental passager. La contrainte22 pourrait éven-tuellement être utilisée lorsque ses conditions sont réunies.

Pour les personnes souffrant d’une maladie mentale passagère et inattendue, il pourrait certainement être soutenu que ces per-sonnes ne peuvent commettre de faute ou d’acte intentionnel pré-cisément car elles sont momentanément privées partiellement ou totalement de leurs capacités physiques et psychiques normales.

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La Cour de cassation a cependant jugé précédemment que les faits po-sés sous l’emprise d’un trouble mental répondant aux conditions de l’ar-ticle 71 du code pénal pouvaient remplir l’élément moral de l’infraction en cause23. L’existence d’un trouble mental n’exclut donc pas la présence de l’élément moral. Ce qui est somme toute logique car l’examen de l’exis-tence d’un trouble mental vient après la constatation de la présence de tous les éléments constitutifs de l’infraction, y compris l’élément moral.

La seconde question concerne l’implication de la faute ou du défaut de prévoyance de l’agent. La Cour exprime clairement que lorsque l’agent est atteint d’un trouble mental qui a une certaine durabilité et qui abolit ses ca-pacités de discernement ou de contrôle de ses actes, il ne peut être déclaré coupable, que le trouble trouve sa source dans son comportement ou pas24.

Le prévenu qui souffrirait donc d’un trouble durable causé par l’abus d’alcool ou de stupéfiants bénéficiera donc de l’article 71 du code pé-nal et ne sera pas reconnu coupable de ses actes. Qu’adviendra-t-il alors du prévenu qui consomme de l’alcool ou des stupéfiants, est at-teint par les effets de ces substances et commet une infraction en rai-son de ces effets ? L’indignation sociale risquerait d’être grande si l’on apprenait que des personnes échappent à toute responsabilité pénale si elles ont commis les faits sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants.

La Cour de cassation limite les effets de son arrêt aux troubles mentaux durables25. Le prévenu dont la capacité de discerne-ment ou de contrôle de ses actes est annihilée en raison de sa consommation, mais uniquement de manière temporaire, pour-ra donc toujours être condamné pour les faits qu’il a commis.

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En bref, l’arrêt du 25 mai 2021 offre, selon nous, une réponse humaine à la problématique des troubles mentaux causés par la consommation d’alcool ou de stupéfiants. Il permet aux personnes qui, au-delà des ef-fets immédiats de ces substances, sont tombées dans une dimension pathologique d’échapper à une condamnation pour se concentrer sur leurs soins. Il faudra toutefois examiner les décisions des juridictions de fond pour comprendre quels effets concrets cet arrêt peut apporter.

Louis De Borggraef

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(1) Cass. (2ème ch.) P.21.0266.N , 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361, T. strafr, 2021/4, p. 241. (2) C. Pén., art. 71. (3) N. COLETTE-BASECQZ et N. BLAISE, Manuel de droit pénal général, 3ème éd., Li-mal, Anthémis, 2016, p. 368. 4e édition, 2019, p. 388(4) N. COLETTE-BASECQZ et N. BLAISE, ibidem, p. 369. P. 390 (4e édition)(5) J. ROZIE, D. VANDERMEERSCH, J. DE HERDT, M. DEBAUCHE et M TAEYMANS, Un nouveau Code pénal pour le futur ? La proposition de la Commission de Réforme du Droit pénal, Bruxelles, La Charte, 2019, p. 6 et J. ROZIE, D. VANDERMEERSCH, J. DE HERDT, M. DEBAUCHE et M TAEYMANS, Commission de Réforme du droit pénal. Pro-position d’avant-projet de Livre Ier du Code pénal, Bruxelles, La Charte, 2017, p. 91 à 94. (6) Loi du 5 mai 2014 relative à l’internement, M.B., 9 juillet 2014, art. 9, §1er, al. 1, 2°. (7) Loi du 5 mai 2014 relative à l’internement, M.B., 9 juillet 2014, art. 9, §1er, al. 1, 1° et 3°. (8) Loi 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, M.B., 17 juillet 1964, art. 3 à 7. ; Corr. Liège, div. Liège (15ème ch.), 25 octobre 2018, J.L.M.B., 2018/41, p. 1955 à 1959. (9) Loi 29 juin 1964 concernant la suspension, le sursis et la probation, M.B., 17 juillet 1964, art. 8. (10) C. Pén., art. 37octies à 37undecies. (11) Av. gén. D. VANDERMEERSCH, concl. préc. Cass. (2ème ch.), 5 mai 2010, R.G. P.09.1576.F, disponible sur www.juportal.be . (12) T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, Eléments de droit pénal, Bruxelles, La Charte, 2019, p. 207 et 208. (13) C. BERNES, « L’alcool met le droit pénal dans tous ses états », L’alcool et le droit, S. Gilson (dir.), Collection du jeune barreau de Namur, Limal, Anthémis, 2021, p. 104. (14) C. BERNES, ibidem, p. 104. (15) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361. (16) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(17) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(18) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(19) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(20) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(21) T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, op. cit., p. 99. (22) T. MOREAU et D. VANDERMEERSCH, ibidem, p. 182 à 184. (23) J. ROZIE, D. VANDERMEERSCH, J. DE HERDT, M. DEBAUCHE et M TAEYMANS, Commission de Réforme du droit pénal. Proposition d’avant-projet de Livre Ier du Code pénal, op. cit., p. 92. (24) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.(25) Cass. (2ème ch.), 25 mai 2021, N.C., 2021, p. 361.

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Page 37: Revue étudiante de droit privé

COMPRENDRE LES ACTIONS

JUDICIAIRES POUR ÉTABLIR

LA FILIATION - ENJEUX ET

COMBAT Le droit de la filiation est sans doute un des pans les plus symboliques du droit familial et du droit civil en général. En effet, il ne se limite pas à une simple relation juridique mais implique une dimension sociale et affective très importante. C’est pourquoi cette étude et les questions qu’elle soulève ne peuvent s’arrêter à la simple interprétation des règles de droit sans prise en compte des implications humaines et sociales. À travers cet article nous nous intéresserons donc aux actions d’établis-sement judiciaire de la filiation. Bien entendu, nous étudierons l’action en recherche de paternité mais également l’action en contestation de paternité qui est intimement liée à la première de par l’impossibilité de rechercher sa paternité biologique tant qu’un autre lien existe déjà.

Après un propos liminaire concernant les délais de prescrip-tion il sera question de l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour constitution-nelle belge en cette matière. Leurs arrêts primordiaux jouant un rôle crucial dans l’évolution du droit de la filiation, ceux-ci se-ront brièvement analysés pour cerner la philosophie qui en découle.

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I. La prescription

Qu’est-ce ? Pourquoi ce mécanisme existe-t-il et comment en établir les limites sans méconnaître les libertés individuelles ?

Les délais de prescription

Nous commencerons par développer des concepts clés en droit de la filiation ainsi que des notions rela-tives aux délais de prescription des actions en la matière.

Définition

« La prescription est la limite posée, dans le temps, à l’accès des par-ticuliers aux actions visant à faire disparaître une filiation éta-blie ou à établir une filiation recherchée : le droit d’agir est en-fermé dans des délais, plus ou moins extensibles selon les cas »1.

Longueur variable des délais de prescription

De manière générale, toutes les actions personnelles sont prescrites par dix ans2. Néanmoins, certains délais sont prévus expressément sur mesure selon des critères que le législateur aura jugés pertinents en tenant compte des particularités de certaines actions en justice. Le lé-gislateur décide en effet quelle sera la durée la plus opportune pour ces délais. C’est le cas en matière de filiation. Un délai de prescrip-tion général de trente ans s’applique sauf lorsque la loi prévoit un dé-lai plus court3. Ce délai est transversal et s’applique au droit de la fi-liation sauf pour l’action en reconnaissance prévue à l’article 329bis4.

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En ce qui concerne ce délai « sur mesure » en matière de filiation, on notera notamment que le législateur doit prendre en compte certaines réalités sociales et patrimoniales au moment d’en établir la durée. C’est un réel exer-cice d’équilibre entre d’une part, une volonté d’atteindre les objectifs visés par le législateur et d’autre part, les risques concomitants à garder ouvertes des actions qui peuvent avoir d’importantes conséquences juridiques.

Il fut déjà question de telles complications dans les annales par-lementaires lors d’une séance plénière du 10 juillet 1986 : « (…) la dif-ficulté principale que nous avons rencontrée consistait dans le juste équilibre à trouver entre les conditions d’établissement de la filiation et les effets juridiques découlant de cette filiation »5.

La raison d’être de tels délais

De manière générale, les délais de prescription appliqués aux ac-tions en contestation et en recherche de paternité ont pour but d’as-surer la stabilité de l’état des personnes et la sécurité juridique. La stabilité de l’état des personnes est protégée en évitant de boulever-ser des liens de filiation qui seraient établis depuis longtemps. Cette stabilité concerne non seulement les justiciables mais également leur place au sein de leur famille ou encore au sein de la société. L’objec-tif est de préserver le caractère stable et définitif des liens familiaux6.

La sécurité juridique, quant à elle, est assurée en évitant de bouleverser tardivement les rapports de droit entre les parties. En outre, même si certains effets de l’établissement d’un lien de filiation n’ont pas d’inci-dence réelle sur le reste de la famille , certaines conséquences d’ordre patrimonial peuvent affecter significativement le reste de la famille7.

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En effet, les éventuels aliments que le nouveau parent devrait assumer appauvriraient le capital de celui-ci dans un premier temps de son vi-vant, mais surtout, les droits fraîchement acquis par l’enfant en matière de succession réduiraient considérablement la part des autres héritiers8.

La balance des intérêts

Le délai de prescription est à la filiation ce que l’écueil est à la na-vigation maritime. À l’instar de l’écueil9, le délai de prescription ne doit être ni trop proche, ni trop éloigné. En effet, il faut lais-ser un minimum de profondeur à notre délai pour que toutes les ac-tions en contestation et en recherche de paternité restent navi-gables sans que le justiciable ne se heurte trop facilement au fond.

Cependant, l’existence d’un tel écueil juridique est indispensable pour pouvoir ancrer l’état des personnes et atteindre une certaine sécurité juridique au bout d’un moment car sans fond pour se sta-biliser, les dangers sont certes différents mais tout aussi présents.

Ainsi, la longueur d’un délai de prescription doit être ce juste équi-libre entre deux nécessités primordiales : d’une part, le respect des droits et des besoins personnels des justiciables et d’autre part, la sécurité juridique et la stabilité de l’état des personnes.

II. L’évolution du droit belge de la filiation

Le droit de la filiation actuel tend, tout en gardant à l’es-prit l’importance de la réalité socio-affective, à per-mettre à la vérité biologique d’être reconnue juridiquement.

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L’exposé du professeur Gerlo dans les travaux préparatoires de la loi du 1er juillet 2006 10 invitait même à légiférer en privilégiant la vérité biolo-gique11 et une partie de la doctrine de l’époque semblait soutenir cette thèse. La réalité socio-affective, dont la possession d’état représente une véritable égide depuis des années, vient tempérer l’importance de la réalité biologique même si, nous le verrons, certains arrêts de ces 10 dernières années viennent fragiliser ce bouclier12. Le lien de filiation est le résultat de la recherche d’un équilibre13 entre d’un côté l’histoire et le vécu des parties (la réalité socio-affective) et de l’autre une réali-té génétique qui témoigne des origines et des racines de chacun (pan pouvant parfois prendre une importance symbolique conséquente).

La vision de la société, et par conséquent du droit familial, évo-lue vers un paradigme plus individualiste depuis 1987. Cette évolution a fait évoluer le droit de la famille qui avant régis-sait une situation juridique objective et qui aujourd’hui laisse de plus en plus de place aux droits individuels de la personnalité.

« Grondslag van deze wetgeving zijn niet meer de familie en/

of het gezin tot stand gekomen door het huwelijk, maar indivi-

duen die in het kader van het voortplantingsgebeuren toeval-

lig tegenover elkaar komen te staan. (…) Alleen individuen spe-

len mee, voortaan staat de familie meer en meer buiten spel »14.

Depuis l’arrêt Marckx il y a quarante ans, la législation belge n’a cessé d’évoluer pour rendre le droit de la filiation de plus en plus humain et accessible. C’est d’ailleurs encore ce qui se passe à l’heure actuelle. Il convient de garder à l’esprit ces évolutions législatives et la philosophie globale qui en découle pour repenser les délais en matière de filiation.

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Une grande partie de ce développement législa-tif fut insufflée par la jurisprudence constitutionnelle et eu-ropéenne. Voilà pourquoi la suite de cette étude concerne-ra les grands arrêts qui ont profondément marqué la matière.

III. Grands arrêts de la jurisprudence en matière de filiation

Ce n’est qu’en sortant des discussions théoriques des assemblées législa-tives et en se tournant vers la complexité des cas d’espèce que l’on peut mettre en évidence des détails ou des situations qui révèlent des incom-patibilités avec des droits fondamentaux. Voilà pourquoi nous nous arrê-terons rapidement sur la jurisprudence communautaire de la Cour euro-péenne des droits de l’homme et ses enseignements pour ensuite mieux comprendre l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle belge.

Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Malgré le fait qu’il s’agisse de deux choses différentes, c’est le droit fon-damental au respect de la vie privée et familiale (article 8 CEDH) pris dans son ensemble qui sera utilisé comme véhicule juridique pour justifier que la Cour européenne des droits de l’homme rende des arrêts en la matière.

« (…) le droit de chaque individu au respect de sa vie privée s’est de plus en plus dissocié de son appartenance familiale et de ses liens familiaux, puisque ce droit lui est intrinsèquement reconnu, quel que soit par ailleurs son sta-tut familial, mais aussi, et de manière plus fondamentale, puisqu’on a même progressivement reconnu à l’individu le droit d’opposer sa propre sphère d’intimité ou ses droits de la personnalité à sa famille et à ses proches»15.

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La Cour de Strasbourg est compétente pour vérifier la conformité des légis-lations en vigueur dans les états signataires avec la convention européenne des droits de l’homme. Arrêtons-nous sur quelques concepts importants en la matière qui découlent de l’interprétation à travers la jurisprudence.

L’ ingérence de l’autorité publique dans la vie privée est légale…

L’article 8 de la Convention veille au respect de la vie privée et à pro-téger les individus contre les ingérences arbitraires de l’autorité pu-blique dans celle-ci16. Nonobstant l’existence de cet article, la pro-tection n’est pas absolue car la Cour vérifiera toujours si le droit interne engendre un juste équilibre entre deux pôles : « les inté-rêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble »17.Au-delà de la protection contre les ingérences, cet article suscite éga-lement un comportement actif de la part des États pour qu’il y ait un respect effectif de la vie privée et familiale. C’est pourquoi l’État se voit imposer des obligations tant positives18 que négatives19 pour atteindre cet objectif. Il est tout autant interdit à l’État de faire ingérence de ma-nière démesurée dans la vie privée de ses citoyens qu’il lui est obliga-toire d’agir pour permettre au citoyen de jouir de ce droit à la vie privée.

… en cas de besoin social impérieux basé sur une disposition précise et

proportionnée à l’objectif légitime qu’elle poursuit

Nous faisions référence aux obligations positives dans le paragraphe précédent. Pour que l’autorité publique assure un respect effec-tif du droit au respect de la vie privée et familiale il convient parfois de prendre des mesures dans la sphère des relations individuelles20.

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C’est à ce moment-là que la balance entre les intérêts individuels et les inté-rêts de l’ensemble de la société ne suffit plus. Il s’agit également de prendre en compte les intérêts contradictoires des personnes concernées21. La Cour vérifie si la loi de l’État parvient à atteindre cet objectif à travers ses dispositions mais ne se substitue en aucun cas au législateur national 22

Pour éviter tout rappel à l’ordre de la Cour de Strasbourg, il sera donc nécessaire pour le législateur belge de garder en tête la ju-risprudence communautaire lors des travaux préparatoires et la Cour constitutionnelle fera de même lors de ses arrêts (voy. infra).

L’existence de délais en droit de la filiation au regard de l’article 8 CEDH

Si l’existence d’un délai de prescription est totalement acceptée par la Cour et est justifiée par la nécessité de garantir la sécurité juri-dique23, la compatibilité de la nature et de l’application de ce délai avec la Convention sont soumis à vérification24. Puisque la matière de la fi-liation est reconnue par la jurisprudence de Strasbourg comme englo-bant un des aspects importants de l’identité personnelle des citoyens25, il convient de porter une attention toute particulière aux délais d’action en contestation et en recherche de paternité lors de l’élaboration et de l’application de ceux-ci sous peine de les voir condamnés par la Cour.

La longueur idéale dudit délai pour la Cour européenne des droits de

l’homme

Nous avons vu plus haut que le délai « idéal » se trouve au point d’équilibre entre plusieurs intérêts divergents. Ce délai serait donc le résultat de la rencontre des intérêts des divers individus concernés et de ceux de l’État (voy supra).

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La Cour n’a pas d’avis tranché sur la question de la longueur de ce délai dans le sens ou aucun consensus ne semble se démarquer dans le droit communautaire. De manière générale, quand il est question de droit à l’identité, la marge d’ingérence de l’État est considérablement restreinte. Cependant, si l’intérêt en jeu où la manière de protéger ce dernier ne fait pas consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, la marge d’appréciation de l’autorité nationale est plus importante26.Aussi, faute de délai de référence proposé par la Cour, il reste des lignes directrices à suivre pour opérer la balance des intérêts :

• La jurisprudence est constante sur l’importance des deux actions étudiées ici par rapport au droit à l’identi-té personnelle et au droit à connaître son ascendance27.

• Le fait qu’un adulte ait pu développer une personnalité sans avoir eu connaissance de ses origines ne diminue en rien son intérêt à les découvrir avec le temps, bien au contraire28.

• La Cour fait remarquer que (même si aucun consensus n’existe réellement à propos des délais d’action) d’après une étude com-parée des législations nationales, la tendance est à la protec-tion des droits de l’enfant et que nombreux sont les États ne pré-voyant pas de délai pour l’action en recherche de paternité29.

• Le délai existant, peu importe sa longueur, ne peut pas empêcher l’enfant d’agir (en recherche de pa-ternité) dans les cas d’une découverte tardive30.

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Conclusion

Assez ironiquement, le fait que la Convention confonde en un seul article le droit au respect de la vie privée individuelle et le droit au respect de la vie privée familiale crée une réelle dicho-tomie en droit de la filiation. En effet, c’est sur ce même article que pourraient reposer les arguments des deux parties à la cause.

D’un premier point de vue, ce sera au nom du droit au respect de la vie pri-vée familiale que certains blâmeront une trop grande facilité d’accès à des actions qui sont un danger pour la paix des familles alors que d’un autre point de vue, ce sera au nom du droit au respect de la vie privée individuelle que d’autres dénonceront un manque d’accès à des actions centrales pour respecter le «droit au développement personnel» ou encore le «droit à l’épanouissement personnel»31. On peut néanmoins distinguer une cer-taine tendance qui ressort de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Nous avons vu que les délais de prescription sont acceptés en soi. D’ail-leurs, les États jouissent dans l’absolu d’une assez grande liberté dans leur manière de légiférer à ce sujet. Toujours est-il qu’il convient de garder à l’esprit que la Cour de Strasbourg : (1) promeut l’accès à l’identité (et ce même pour un adulte quel que soit son âge), (2) constate une importante tendance des États membres à favoriser la protection des droits de l’en-fant et (3) impose que les délais soient appropriés en cas de découverte tardive de la vérité biologique (ou qu’au moins une dérogation soit prévue).

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Jurisprudence de la Cour constitutionnelle

La Cour constitutionnelle contrôle les délais des différentes actions en filiation et vérifie que ces délais ne soient pas des obstacles abso-lus d’agir ou qu’ils ne violent pas la Constitution de manière générale. Le délai de prescription ne doit pas priver le demandeur d’une opportu-nité réelle et effective de faire apprécier par le juge tous les intérêts en présence32. Le délai doit être « praticable », c’est-à-dire qu’il ne doit pas laisser le justiciable dans une situation d’impossibilité technique d’agir33.

Arrêt N° 20/2011 – Éviction de la possession d’état comme fin de non-re-

cevoir absolue pour favoriser la prise en considération au cas par cas des

droits fondamentaux individuels34

L’arrêt du 3 février 2011 vient ébranler ce que l’on qualifiait plus haut d’égide de la réalité socio-affective, la possession d’état. Par extension, celle-ci veillait à la protection de l’intérêt de l’enfant et de la paix des familles dans son utilisation comme fin de non-recevoir de l’action en contestation de paternité. À l’origine, le législateur de 2006 institua la possession d’état comme fin de non-recevoir pour trouver un juste équi-libre entre la vérité biologique et la réalité socio-affective. Le principe était simple, une règle rigide devait permettre ou non à l’action d’être intentée. Un verrou qui, au nom d’un but légitime de protection des indi-vidus et de la société, était placé sur la porte du tribunal empêchant ain-si aux titulaires de présenter les spécificités de leurs situations au juge.

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Intérêt jurisprudentiel :

La Cour surprend les praticiens35 avec cet arrêt qui vient pertur-ber profondément une règle centrale dans la recherche constante de l’équilibre entre la paternité biologique et la paternité vécue. La doc-trine n’était pas unanime et certains auteurs s’inquiétaient d’ailleurs des conséquences que pourraient avoir l’interprétation que fait la Cour de l’article 318 C. civ dans cet arrêt dans la pratique36, pensant même être face à un arrêt isolé. Il ne faudra pas longtemps pour que la Cour vienne calmer les doutes avec d’autres arrêts rendus dans la même an-née37 et qui seront vite compilés par la doctrine38. Pourtant il n’est pas question pour la Cour de promouvoir l’établissement de la réalité bio-logique. Bien loin du débat politique de savoir ce qui est « la meilleure solution », la Cour entend rendre l’action en contestation de paternité plus personnalisée en utilisant la possession d’état comme dimension à prendre en compte devant le juge de fond dans chaque cas d’espèce.La Cour estime que dans un domaine aussi sensible les titulaires doivent au moins avoir le droit de contester leur paternité et d’accéder à un juge39.

Arrêt N° 96/2011 – Un délai inconstitutionnel pour l’action en contesta-

tion de paternité en l’absence de possession d’état40

Le délai d’un an pour agir qui court à partir de la découverte de la réalité biologique vise un but légitime selon la Cour. Celui de protéger la paix des familles, la sécurité juridique et l’intérêt de l’enfant41. Cela, parfois, au détriment du droit de l’enfant de connaître ses origines ou de voir reconnue sa filiation biologique42. Dans l’affaire qui passe devant le tribu-nal de Nivelles, le juge décide de poser la question à la Cour de savoir si le délai différé d’un an est constitutionnel dans le cas où le lien de filia-tion ne correspond ni à la vérité biologique ni à la réalité socio-affective.

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En effet, si le lien de filiation ne correspond à aucune de ces deux situations, il n’est plus pertinent de parler de paix des fa-milles et la balance des intérêts penche dès lors déraison-nablement en défaveur des droits individuels de l’enfant43.

Intérêt jurisprudentiel :

Dans cet arrêt, la Cour continue de détricoter un formalisme inutile-ment sévère. Sa réponse vient rappeler que le droit ne se résume pas à l’application rigide de règles démunies de sens. Si des ingérences dans la vie privée des citoyens peuvent légitimement être justifiées au nom de certains objectifs, il ne s’agit pas de justifier aveuglement ces ingé-rences en présumant de leur bien-fondé. Ainsi, la paix des familles peut justifier la brièveté du délai de l’action en contestation de paternité au sein d’une structure familiale, mais peine bien plus à convaincre quand le lien de filiation ne s’inscrit dans aucune réalité (ni sociale, ni biologique).Il paraît discriminatoire d’appliquer un délai aussi court à cette si-tuation, là où les enfants dont la paternité n’est pas établie par le mariage (par présomption que le mari de la mère est le père de l’enfant) bénéficient d’un délai d’action beaucoup plus long 44:

« (…) les premières (personnes nées en mariage) disposent d’un délai de 22

ans pour contester la présomption de paternité établie à l’égard du mari de

la mère, ou d’une année à compter de la découverte du fait que le mari n’est

pas le père de l’enfant alors que les secondes (personnes nées hors mariage)

disposent d’un délai de 48 ans »45.

Cet arrêt n’est pas sans rappeler l’impératif de cohérence entre les délais des différentes actions déjà vus plus haut.

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Plus tard, dans son arrêt 29/201346, la Cour transpose-ra ce raisonnement à l’action en reconnaissance de paternité47.

Arrêt N° 147/2013 – L’adaptation des délais d’action (droit procédural)

face au changement du droit de fond - Actioni non natae non preascribi-

tur48

Dans cet arrêt, la Cour vient se prononcer quant à l’interprétation qu’il faut donner à la réforme de 2006 concernant le point de départ de l’ac-tion en contestation de paternité de l’enfant qui découvre tardivement la vérité à propos de son père biologique. La question est de savoir s’il y a discrimination au sens des articles 10 et 11 de la Constitution si l’enfant né avant l’entrée en vigueur de la réforme ne bénéficie pas des mêmes avantages transitoires que les autres titulaires de l’action en contestation de paternité. En effet, le mari de la mère et la personne souhaitant établir sa propre paternité bénéficient tous deux d’un point de départ différé pour agir, qui correspond au jour de l’entrée en vigueur de la réforme :

« (…) la reconnaissance et la présomption de paternité du mari pourront

être contestées par la personne qui revendique (…) la paternité de l’enfant

pendant un délai d’un an prenant cours à l’entrée en vigueur de la présente

loi, quand bien même il se serait écoulé plus d’un an depuis la naissance ou

la découverte de la naissance de l’enfant »49.

Avant 2006, l’enfant ne bénéficiait que d’un délai lié à son âge et d’aucun délai différé relatif à la découverte de la vé-rité biologique. Contrairement aux autres titulaires de l’ac-tion, aucune disposition transitoire n’est prévue pour l’enfant.

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La Cour considère qu’il faut permettre à l’enfant (dont le droit d’agir en contestation de paternité est prescrit) qui découvre après l’entrée en vi-gueur de la réforme que le mari de sa mère n’est pas son père, de bé-néficier d’un délai d’action différé d’un an à partir de la découverte de la réalité biologique50. Comme ce droit d’action relatif au moment de la découverte de la réalité biologique n’existait pas encore auparavant, il ne peut donc pas déjà être prescrit (actioni non natae non preascribitur).

Intérêt jurisprudentiel :

Nous voyons ici que la sécurité juridique et la paix des familles que protègent les délais de prescription ne sont pas tout-puissants et qu’au nom de l’égalité et de la non-discrimination, certaines actions déjà prescrites peuvent être rouvertes le temps d’offrir un délai « praticable » aux titulaires. Il semble to-talement proportionné de rouvrir l’action pour un délai considérablement bref d’un an si cela offre au justiciable sa première réelle fenêtre d’action.

Arrêt N° 18/2016 – Élargissement de l’arrêt N° 96/2011 et essor du droit

à l’établissement de la filiation face à la paix des familles et à la sécurité

juridique

L’espèce fait partie de ces rares dossiers où l’entièreté du Royaume suit l’avancée d’une affaire. Son caractère médiatisé, la qualité des avo-cats représentant madame Boël, la fragilisation de la possession d’état comme fin de non-recevoir suite aux arrêts de 2011 et l’accès au pré-toire prôné par la « réalité sociale »51 de la Cour européenne des droits de l’homme furent les derniers assauts nécessaires pour pénétrer la sa-crosainte phalange52 protectrice que représentait la possession d’état.

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Intérêt jurisprudentiel :

Cet arrêt nous intéresse sur deux points :• La constitutionalité de la qualification de la possession d’état entre le

père légal et l’enfant comme fin de non-recevoir absolue (1) ;

• La compatibilité du délai préfix d’un an à dater de la découverte que son père légal n’est pas son père biologique avec l’article 22 de la Constitution lu en combinaison avec l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (2).

Pour commencer, la Cour va donc décider de suivre les mêmes lignes directrices que dans ses arrêts n° 20/2011 – 96/2011 – 147/2013 pour aboutir à déclarer cette fin de non-recevoir in-constitutionnelle au nom de l’accès au juge et de la possibili-té pour ce dernier de prendre en compte les intérêts de chacun :

« En érigeant la ‘ possession d’état ’ en fin de non-recevoir absolue de l’action

en contestation de la présomption de paternité, le législateur a cependant

fait prévaloir dans tous les cas la réalité socio-affective de la paternité sur

la réalité biologique. Du fait de cette fin de non-recevoir absolue, l’enfant est

totalement privé de la possibilité de contester la présomption de paternité.

l n’existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte des in-

térêts de toutes les parties concernées. Une telle mesure n’est pas propor-

tionnée aux buts légitimes poursuivis par le législateur et n’est dès lors pas

compatible avec l’article 22 de la Constitution, combiné avec l’article 8 de la

Convention européenne des droits de l’homme »53.

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IIl en ressort que le droit de tout individu à faire établir sa filiation doit primer sur les intérêts de la paix des familles et de la sécurité juridique

des liens familiaux54.

Dans un second temps, il est question du délai préfix en lui-même. Le délai d’un an porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des citoyens. L’ingérence de l’autorité publique dans le droit au respect de la vie privée en tant que telle n’est pas exclue et l’instauration de délais de prescription en matière de filiation est tout à fait tolérée et ne pose en soi aucun souci de conformité tant pour la Cour constitutionnelle que pour la Cour européenne des droits de l’homme55. Pourtant, cela ne veut pas dire qu’aucun contrôle ne sera exercé quant à la manière dont ces délais seront appliqués56 (voy supra).

En l’occurrence, le souci est double : la brièveté du délai d’action différé d’un an premièrement, et la discrimination résultant de la différence de délai d’ac-tion entre les enfants nés de parents mariés ou nés hors-mariage ensuite.

Si la protection de la sécurité juridique et la paix des familles consti-tuent des fondements légitimes à l’ingérence du législateur dans la vie privée des citoyens, la sévérité du délai prévu à l’article 318, §2 du Code civil restreignait trop les possibilités d’action en contesta-tion de paternité dans le temps. Ne permettant parfois pas à l’enfant d’agir en contestation de paternité après ses 22 ans et, par consé-quent, empêchant ce dernier d’agir en recherche de paternité pour établir un lien conforme à la vérité biologique, l’ingérence dans la vie privée de cette disposition est jugée disproportionnée par la Cour.

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Se basant sur les enseignements de la Cour de Strasbourg (voy supra) et partant du postulat que « la matière de la filiation englobe d’im-portants aspects de l’identité personnelle d’un individu, dont l’identi-té de ses géniteurs fait également partie »57, la Cour constitutionnelle déclare que la disposition portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée en raison de la brièveté de son délai.

Elle ajoute ensuite qu’au-delà de l’inconstitutionnalité de l’ingérence en elle-même, la discrimination qui découle de la différence de traitement (concernant le délai d’action) entre les enfants issus d’une présomption de paternité dans le mariage et les enfants nés hors mariage dont la filia-tion a été établie par reconnaissance, est également inconstitutionnelle.

La Cour promeut donc encore une fois l’accès au juge en condamnant la rigidité des délais de prescription. Elle prononce d’ailleurs une phrase lourde de sens :

« Dans une procédure judiciaire d’établissement de la filiation, le droit de

chacun à l’établissement de sa filiation doit dès lors l’emporter, en principe,

sur l’intérêt de la paix des familles et de la sécurité juridique des liens fa-

miliaux »58.

Arrêt N° 142/2019 – Mise au point de la Cour Constitutionnelle

Dans cet arrêt, le tribunal de la famille du Tribunal de première ins-tance du Hainaut, division Tournai interroge la Cour quant à la compati-bilité de la prescription trentenaire prévue à l’article 331ter du Code civil qui s’applique à l ’action en recherche de paternité avec les articles 8 de la Constitution et 22 de la Convention européenne des droits de l’homme.

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La jurisprudence constitutionnelle florissante des dernières années ayant divisé la doctrine au sujet des délais de prescription en matière de filiation, la Cour vient clarifier les choses dans son arrêt du 17 oc-tobre 201959. La Cour doit non-seulement répondre au fond de la ques-tion posée mais aussi éclaircir un point quant à l’énoncé de celle-ci.

En effet, la question préjudicielle posée à la Cour précise :

« (…) en matière de contestation de paternité, l’enfant peut désormais agir

sans plus aucun obstacle de prescription de sa demande »60.

Intérêt jurisprudentiel :

La Cour vient donc clarifier ses jurisprudences antérieures en rappelant que l’article 331ter du Code civil s’applique par défaut à toutes les actions en droit de la filiation « lorsque la loi ne prévoit pas un délai plus court »61. L’in-terprétation selon laquelle l’action en contestation de paternité intentée par l’enfant ne serait plus soumise à aucun délai est donc totalement erronée62.

Après cet éclaircissement à propos de l’action en contestation de pater-nité, la Cour va répondre à la question préjudicielle en indiquant que l’ac-tion en recherche de paternité viole les articles 22 de la Constitution et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’elle « per-met de priver d’action en recherche de paternité celui qui apprend l’iden-tité de son père supposé après l’expiration du délai de prescription »63.

En répondant à une seule question préjudicielle, la Cour vient éclaircir deux points d’ombre différents à propos des délais d’action en filiation.

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Malgré les efforts fournis par la Cour pour présenter une réponse complète, celle-ci ne peut s’improviser législateur et reste limi-tée au constat d’inconstitutionnalité sans pouvoir donner de solu-tion aux situations de découverte tardive de la réalité biologique.

Conclusions et tendances retenues par la Cour constitutionnelle dans ces

arrêts

Si la Cour constitutionnelle peut par moments sembler souffler le chaud et le froid 64en rendant tantôt des arrêts en faveur de la réalité biolo-gique (en écartant des fins de non-recevoir ou en relançant un nouveau délai) et tantôt des arrêts privilégiant la situation socio-affective (en fai-sant l’emporter l’intérêt de l’enfant sur la réalité biologique)65, une ten-dance reste assez intéressante à soulever, la volonté de donner accès à un juge pour pouvoir « tenir compte des faits établis et des intérêts de toutes les parties concernées »66. La Cour met également en garde contre un « formalisme excessif sous la forme d’un délai dont le respect est tributaire de circonstances échappant à son pouvoir»67, qui n’est pas sans rappeler un certain arrêt Melis c. Grèce68. Certes, les arrêts ren-dus sur question préjudicielle n’ont pas la même importance qu’un ar-rêt rendu sur recours en annulation devant la Cour constitutionnelle69, mais le législateur ne peut que prendre en compte une série d’arrêts aus-si conséquente pour les modifications à venir en matière de filiation70.

IV. Conclusion - Quel avenir pour les délais de prescription en droit de la

filiation ?

Venons-en enfin à la question de re-cherche qui est à l’origine de ces réflexions :

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• Si l’enfant découvre la véritable identité de son père biologique après ses quarante-huit ans, de quel délai (de déclenchement dif-féré) devrait-il disposer pour agir en recherche de paternité ?

• Dans les mêmes circonstances, de quel délai (de déclenche-ment différé) devrait profiter l’enfant qui, dans le but d’in-tenter par la suite une action en recherche de paterni-té, doit au préalable contester une paternité déjà établie ?

La place des droits individuels, du droit à connaître ses origines et du développement personnel dans la société actuelle est de plus en plus prépondérante. On sait qu’au niveau européen la Cour de Stras-bourg constate une tendance générale à protéger l’enfant et son droit d’agir pour voir sa filiation établie71. On sait aussi qu’au niveau national la Cour constitutionnelle considère que « le droit de chacun à l’éta-blissement de sa filiation doit (…) l’emporter, en principe, sur l’intérêt de la paix des familles et de la sécurité juridique des liens familiaux »72.

Madame le professeur Gallus, dans une doctrine récente, déduit que la Cour constitutionnelle : « semble favorable à l’instauration d’un droit ju-diciaire de la filiation permettant toujours la saisine du juge qui réali-sera la pondération des intérêts non pas de façon abstraite et générale comme le fait le législateur, mais de façon concrète »73. Untémoignage de plus que les individus et les intérêts de la famille (pris au cas par cas) se réapproprient le droit familial avec le temps déconstruisant ainsi « le droit de la contestation de filiation, en particulier sur deux plans qui, dans l’esprit du législateur, étaient destinés à garantir la sécurité juri-dique des filiations contre les contestations tardives ou abusives : d’une part, la possession d’état et, d’autre part, les brefs délais d’action »74.

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De quel délai devrait profiter l’enfant qui, dans le but d’intenter par la

suite une action en recherche de paternité, doit au préalable contester

une paternité déjà établie ?

Nous commencerons par l’action en contestation de paterni-té qui est parfois nécessaire avant d’agir en recherche de paternité.

Délai et point de départ de celui-ci (possession d’état)

Pour commencer, réfléchissons au délai minimum. Par consé-quent, partons du principe que le délai commence à courir au jour des dix-huit ans de l’enfant et qu’il n’y a pas de possession d’état.Il semble cohérent d’appliquer l’article 331ter du Code civil à l’action en contestation de paternité comme la Cour constitutionnelle l’affirme75.

L’enfant peut donc agir jusqu’à ses quarante-huit ans. En cas de posses-sion d’état ce serait le même délai qui s’appliquerait à partir du jour où la possession d’état a pris fin comme la jurisprudence de fin d’année 2020 semble l’accepter76. In casu, le tribunal accepte la plaidoirie de maître D. Pire qui (appliquant le raisonnement de la Cour constitutionnelle dans son arrêt 142/2019) affirme que l’action de sa cliente lui est ouverte jusqu’à ses soixante-sept ans et onze mois. Un test de paternité ayant révélé la vérité biologique à ses trente-sept ans et onze mois, âge auquel la possession d’état du mari de sa mère à son égare a également pris fin.

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Une différence de traitement ?

Dans l’exemple ci-dessus, la découverte de la réalité biologique entraîne la fin de la possession d’état. Néanmoins, ce n’est pas toujours le cas. L’enfant peut très bien découvrir la vérité biologique tout en gardant la possession d’état envers son père légalement établi tout comme il peut ne plus béné-ficier d’une quelconque possession d’état sans être au courant que celui qu’il croit être son père ne l’est pas vraiment. Il semble dès lors pertinent de garder un point de départ par défaut, la fin de la possession d’état.

Faute de possession d’état, le point de départ serait le jour de la majorité de l’enfant77. Cela laisserait aux enfants un dé-lai identique de trente ans pour agir tout en acceptant des points de départ différents en fonction des situations.

On pourrait se demander si cela ne violerait pas les articles 10 et 11 de la Constitution mais il n’est pas légitime de faire courir le délai dès leurs dix-huit ans pour les enfants qui bénéficient d’une possession d’état (même s’ils savent qu’elle ne correspond pas à la vérité biologique). On peut consi-dérer que les enfants qui ne bénéficient d’aucune possession d’état ont un intérêt à agir en contestation de paternité qui nait bien plus tôt et dans l’absolu, cette différence de traitement semble légitime et proportionnée.

Un délai différé universel en cas de découverte tardive

Néanmoins, cette différence de traitement n’est plus proportionnée s’il n’existe pas de délai commun en cas de découverte tardive de la réa-lité biologique. En cas de découverte tardive, la loi devrait prévoir un délai minimum identique pour tous. Cela répondrait à deux problèmes.

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Cela éviterait toute discrimination entre les enfants découvrant tardive-ment leur paternité biologique. Le délai trentenaire de base court à partir de points de départ différents (en fonction de l’existence ou non d’une possession d’état) ; cela n’est pas en soi contraire aux articles 10 et 11 de la constitution.

Par contre, prenons comme exemple un enfant « A » dont la posses-sion d’état prend fin à ses vingt-cinq ans et un autre « B » qui n’a ja-mais bénéficié de possession d’état78. S’ils découvrent la vérité biolo-gique tardivement, à 46 ans par exemple, « A » bénéficiera alors encore de presque dix ans pour agir là où « B » ne disposera que de deux ans. Cela mènerait sans doute à un constat de violation de la Constitution et de la Convention européenne des droits de l’homme dans le sens où cela pourrait être retenu comme disproportionné et discriminatoire.

Depuis l’arrêt 142/2019 de la Cour constitutionnelle, il faut aussi ima-giner que suite à une découverte tardive de la réalité biologique, le dé-lai d’action en recherche de paternité pourrait démarrer au-delà de la prescription trentenaire initialement prévue. Encore une fois, si cela arrive, il faudra penser à garder cet impératif de cohérence (voy su-pra) entre les deux actions car la recherche de paternité nécessite bien souvent d’agir au préalable en contestation de paternité. Il n’est donc pas concevable que l’action en recherche de paternité soit inacces-sible uniquement parce que l’action en contestation serait prescrite.

Si un délai différé minimum existe, ces deux problèmes trouvent en lui une solution. Prenons comme solution législative un délai différé de trois ans qui démarrerai au jour de la découverte de la réalité biologique (délai qui ne vient pas remplacer la prescription trentenaire mais uni-quement assurer le respect des droits fondamentaux des citoyens).

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Dans le cas où il reste plus de trois ans avant l’extinction de la pres-cription trentenaire, ce délai n’entre pas en compte (il ne le raccourcit pas). Dans le cas où la découverte tardive de la réalité biologique a lieu moins de trois ans avant l’extinction de la prescription trentenaire, ce délai vient assurer à l’individu d’avoir le temps d’agir. Le temps d’accepter l’information, de réfléchir à ses conséquences et de faire toutes les dé-marches légales nécessaires pour démarrer une action en contestation.

Ce délai différé permettrait non-seulement une approche plus hu-maine d’un domaine très chargé émotionnellement et socialement par-lant en laissant un minimum de trois ans aux enfants concernés pour agir. Il assurerait également qu’aucune discrimination ne soit faite entre des enfants qui ont un vécu et une histoire différents79 mais un même objectif : contester une paternité qu’ils ne veulent plus voir établie.

Dans le cas où la découverte tardive de la réalité biologique a lieu après l’extinction de la prescription trentenaire, ce délai permet à l’individu d’avoir une seconde fenêtre procédurale. Assez longue pour assurer une cohérence entre l’action en contestation et l’ac-tion en recherche de paternité tout en étant assez courte pour veil-ler à ne pas compromettre outre mesure la sécurité juridique.

Si l’enfant découvre la véritable identité de son père biologique

après ses quarante-huit ans , de quel délai (de déclenchement dif-

féré) devrait-il disposer pour agir en recherche de paternité ?

Nous nous rappelons de cette phrase issue de l’arrêt Phinikaridou c. Chypre : « Le délai existant, peu importe sa longueur, ne peut pas empêcher l’enfant d’agir (en recherche de paternité) dans les cas d’une découverte tardive »80.

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Méthode

Il semble également nécessaire de créer le même mécanisme différé pour éviter que l’action soit prescrite avant même que l’enfant ne prenne connaissance de la vérité biologique. L’enfant bénéficierait donc à nouveau d’un délai d’action relativement court (pour protéger la sécurité juridique) mais suffisamment long pour avoir le temps de réfléchir et surtout d’agir.

Grâce à un délai de déclenchement différé identique quant à son point de départ et à sa longueur pour les deux actions, nous évi-tons tout problème de cohérence ou d’inconstitutionnalité.

Application

Reprenons l’exemple du délai différé de trois ans qui démarrerait au jour de la découverte de la réalité biologique. Cela permettrait d’éviter que l’action en recherche de paternité soit, de facto, inaccessible du fait de la prescription de l’autre action en contestation de paternité (et inversement).

Cette solution viendrait aussi répondre à la violation soulevée par l’ar-rêt 142/2019. En offrant un délai minimum de trois ans pour agir, même au-delà de la prescription trentenaire initiale. Délai mini-mum qui permettrait également à la personne qui découvre la vé-rité sur sa paternité juste avant la fin de son délai prévu à l’article 331ter de bénéficier d’une fenêtre d’action d’au minimum trois ans.Enfin, même si certains enfants ayant bénéficié de la possession d’état peuvent actuellement agir bien plus tard81 que quarante-huit ans sans bé-néficier de délai supplémentaire, cette différence de traitement semble totalement proportionnée en raison du fait que ces enfants n’ont pas tou-jours de raison d’agir pendant qu’ils bénéficient de la possession d’état.

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La seule raison pour laquelle cela violerait la Constitution serait le fait qu’ils puissent agir en cas de découverte tardive là où les enfants n’ayant jamais bénéficié de la possession d’état ne le pourraient pas.Ce délai différé permet donc à tous d’avoir un même accès à la justice tout en tenant compte des différences existantes entre les situations de chacun.

Il a fallu faire un choix entre deux orientations pour cette étude : Soit traiter le sujet en profondeur en remontant dans les tra-vaux préparatoires des différentes réformes pour cerner d’où l’on vient ; Soit creuser la problématique de l’incompatibilité entre la sé-curité juridique et les différentes actions en matière de filiation.

En rédigeant les dernières lignes de cet article (qui est une partie de la réflexion de mon mémoire) je ne peux m’empêcher de relever un dé-tail qui m’obsède. Si le nerf de la guerre est la dichotomie entre l’accès à sa paternité biologique et la sécurité juridique, n’est-ce pas un signe que les actions existantes ne suffisent plus à répondre aux besoins de la société actuelle ? Faut-il éternellement changer les délais d’ac-tion ou repenser les actions elles-mêmes en en créant de nouvelles?

Robin d’Herde

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(1) N. MASSAGER, « I. - D’une réforme à l’autre » in Van Gysel, A.-Ch. (dir.), Filiation, au-torité parentale et modalités d’hébergement, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2011, p. 24.(2) C. civ., art. 2262bis.(3) C. civ., art. 331ter(4) Qui ne sera pas d’avantage développé ici car ce n’est pas l’objet du présent article.(5) Projet de loi modifiant diverses dispositions légales relatives à la filiation, discussion des articles et amendements, Ann. Parl., Ch., 1986-1987, séance du 10 juillet 1986, n°50, p. 1437.(6) M. CRESP et al., Droit de la famille : droits français, européen et international et comparé, Bruxelles, Bruylant, 2018, p. 651 et 652, n° 824-825.(7) Le droit de porter le nom de son père par exemple.(8) Qui devront partager inévitablement la réserve successorale du parent commun quand celui-ci viendra à mourir ; voir F. LALIÈRE, e.a., Les successions, Limal, Anthe-mis, 2020, p. 127 et s.(9) Fond de roche, sable ou de corail à faible profondeur.(10) Loi du 1er juillet 2006 modifiant des dispositions du Code civil relatives à l’établis-sement de la filiation et aux effets de celle-ci, M.B., 29 décembre 2006.(11) Proposition de loi modifiant les dispositions du Code civil relatives à l’établissement de la filiation et aux effets de celle-ci, audition du professeur Gerlo, Doc. Parl., Ch. 2004-2005, séance du 11 janvier 2005, n° 51-0597/024, pp. 93–94.(12) Voir par exemple C.C., 3 février 2011, n° 20/2011, act. dr. fam., 2011/3, p.75. On comprend dans cet arrêt la possession d’état comme fin de non-recevoir absolue est déclarée inconstitutionnelle.(13) N. GALLUS, « L’apport de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle au droit de la filiation », Pli juridique, 2021/55, p. 24.(14) F. VAN NESTE, « Asfstamming anno 1987 », T.P.R., 1987, p. 1029. Traduction : « Le fondement de cette législation n’est plus la famille et/ou la famille constituée par le mariage, mais les individus qui se retrouvent confrontés les uns aux autres dans le cadre de la procréation. (...) Seuls les individus jouent un rôle, et désormais la famille est de plus en plus mise à l’écart ». (15) J.-L., RENCHON, et G. WILLEMS, « XVI.G. - Le droit au respect de la vie familiale », op. cit., p. 1039 à 1040. (16) Cour eur. D. H., arrêt Keegan. c. Irlande, 26 mai 1994, §49.(17) Cour eur. D. H., Ibidem, §49.(18) Cour eur. D. H., arrêt Johnston et autres c. Irlande, 18 décembre 1986, §55 et §56.(19) Cour eur. D. H., arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, §39 et §42.(20) Cour eur. D. H., arrêt Kroon c. Pays-Bas, 27 octobre 1994, §31.

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(21) « These obligations may involve the adoption of measures designed to secure res-pect for private life even in the sphere of the relations of individuals between themsel-ves », Cour eur. D. H., arrêt Backlund c. Finlande, 6 juillet 2010, §39.(22) Cour eur. D. H., arrêt Rozanski c. Pologne, 18 mai 2006, §62.(23) Cour eur. D. H., arrêt Rasmussen c. Danemark, 28 novembre 1984, §41.(24) Cour eur. D. H., arrêt Çapin c. Turquie, 15 octobre 2019, §57 ; arrêt Phinikaridou c. Chypre, 20 décembre 2007, §52.(25) Cour eur. D. H., arrêt Pascaud c. France, 16 juin 2011, § 48 et 49.26) Cour eur. D. H., arrêt Ahrens c. Allemagne, 22 mars 2012, § 68.(27) Cour eur. D. H., arrêt Jäggi c. Suisse, 13 juillet 2006, § 37 ; arrêt Konstantinidis c. Grèce, 3 avril 2014 § 47.(28) Cour eur. D. H., arrêt Pascaud c. France, précité, § 65 ; arrêt Jäggi c. Suisse, précité, § 40.(29) Cour eur. D. H., arrêt Phinikaridou c. Chypre, précité, § 58.(30) Nous soulignons. Nous pouvons dès lors élargir cet enseignement en considérant que comme l’action en contestation de paternité est une condition sine qua non pour agir en recherche de paternité, la prescription de la première entraine de facto une prescription de la seconde. (Dans les cas où l’enfant a déjà une paternité établie) ; Cour eur. D. H., arrêt Phinikaridou c. Chypre, précité, § 62 et 63.(31) Cour eur. D. H., arrêt K.A. et A.D. c. Belgique, 17 février 2005, §83.(32) Y.-H. LELEU, « Section 3 - La filiation volontaire (reconnaissance) » in Droit des personnes et des familles, 4e édition, Bruxelles, Larcier, 2020, p. 626.(33) Idem.(34) C.C., 3 février 2011, n° 20/2011, Act. dr. fam., 2011/3-4, 75-77.(35) N. MASSAGER, « La prophétie de Gerlo. Réflexion à propos des derniers arrêts de la Cour constitutionnelle en matière de filiation », Act. dr. fam., 2011/7, p. 132.(36) N. GALLUS, « Filiation paternelle dans le mariage: le droit de contestation du mari et l’intérêt de l’enfant selon la Cour constitutionnelle », act. dr. fam. 2011, nr. 3, p.78. En ces termes :« on imagine mal que le juge du fond exerce un pouvoir d’appréciation, au cas par cas, sur l’application de fin de non-recevoir dans l’état actuel du texte; l’insé-curité juridique liée à ce pouvoir d’appréciation exercé différemment selon les juridic-tions est certaine ».(37) C.C., 7 juillet 2011, n° 122/2011, Rev. trim. dr. fam., 2011/3, p. 694.(38) C. MELKEBEEK, « Grondwettelijk Hof schiet, in versneld tempo, met scherp op hervormd afstammingsrecht », T.J.K., 2011/5, p. 305-309 ; N. MASSAGER, op. cit., p. 130-139.

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((39) Arrêt n° 20/2011, op. cit. B.8. : « L’intérêt potentiel de l’enfant à bénéficier de la «possession d’état» d’enfant du mari de la mère ne saurait l’emporter sur le droit légi-time de ce dernier à avoir au moins une occasion de contester la paternité d’un enfant qui, selon les preuves scientifiques, n’est pas de lui. Une situation dans laquelle une présomption légale peut prévaloir sur la réalité biologique ne saurait être compatible avec l’obligation de garantir le « respect » effectif de la vie privée et familiale, même eu égard à la marge d’appréciation dont jouit le législateur ». (Faisant référence à Cour eur. D.H., 12 janvier 2006, Mizzi c. Malte, §§ 112 et 113.)(40) C.C., 31 mai 2011, n° 96/2011, Act. dr. fam., 2011/7, p. 142.(41) A. RASSON-ROLAND et J. SOSSON, « Coups de tonnerre constitutionnels dans la filiation : l’article 318 du Code civil dans la tourmente... », Rev. trim. dr. fam., 2011/3, p. 607.(42) G. MATHIEU, « Le secret des origines en droit de la filiation », Wolters Kluwer, Waterloo, 2014, p. 99.(43) N. MASSAGER, op. cit., p. 136.(44) Arrêt n° 96/2011, op. cit. B.14. : « en prévoyant qu’un enfant ne peut plus contester la présomption de paternité établie à l’égard du mari de sa mère au-delà de l’âge de vingt-deux ans ou de l’année à dater de la découverte du fait que celui qui était le mari de sa mère n’est pas son père, alors que cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique, ni socio-affective, il est porté atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée de cet enfant ».(45) Arrêt n° 96/2011, op. cit. B.1.2.(46) C.C., 7 mars 2013, n° 29/2013, Act. dr. fam., 2013.5, p. 73.(47) J. SOSSON, « Actions en contestation de paternité : la Cour constitutionnelle ne souffle-t-elle pas le chaud et le froid ? », Rev. trim. dr. fam.., 2013/2, p. 547-548.(48) C.C., 7 novembre 2013, n° 147/2013, Act. dr. fam., 2014/3, p. 66.(49) Art. 25, §1er de la loi du 1er juillet 2006 précitée.(50) S. RAES, « Het afstammingsrecht opnieuw onder vuur door het Grondwettelijk Hof: gevolgen voor minnelijk verdeelde nalatenschappen », Not. Fisc. M., 2015/6, 185 et s.(51) C.C., 3 février 2016, n°18/2016, A.1.2, §7.(52) À comprendre au sens antique et militaire du terme.(53) C.C. 3 février 2016, op. cit., B.7.2. ; C.C. 7 novembre 2013, n° 147/2013, B.18.(54) P. SENAEVE, « Hoe het recht op identiteit wettelijk verankeren? », T. Fam., 2020/5, p. 122 ; C.C. 3 février 2016, op.cit., B.15.(55) Cour eur. D. H., arrêt Çapin c. Turquie, op. cit., §57 : « The Court observes that it has previously accepted that the introduction of a time-limit for instituting paternity proceedings was justified by the desire to ensure legal certainty »; Cour eur. D. H., arrêt Silva and Mondim Correia c. Portugal, 3 octobre 2017, §57 ;

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(56) Arrêt Çapin c. Turquie, op. cit., §57 : « the existence of a limitation period is not, per se, incompatible with the Convention. What the Court needs to ascertain in a given case is whether the nature of the time-limit in question and/or the manner in which it is applied is compatible with the Convention ».(57) Cour eur. D. H., arrêts Mikulic c. Croatie, 7 février 2002, §§ 53 et 54; Jäggi c. Suisse, 13 juillet 2006, § 25; Pascaud c. France, 16 juin 2011, §§ 48-49.(58) C.C., 3 février 2016, op. cit., B.15.(59) C.C., 17 octobre 2019, n° 142/2019, Act. dr. fam., 2020/1, pp. 7 à 10 : voir note N. MASSAGER, « Tout est devenu flou … », pp. 10 à 13.(60) C.C., 17 octobre 2019 arrêt n° 142/2019, disponible sur le site de la Cour constitu-tionnelle, p. 2.(61) Art. 331ter C. civ.(62) Arrêt n° 142/2019, précité, B.7.3.(63) C.C. arrêt n° 142/2019, précité, dispositif.(64) Expression empruntée à J. SOSSON, « Actions en contestation de paternité : la Cour constitutionnelle ne souffle-t-elle pas le chaud et le froid ? », op. cit. p. 543.(65) A. RASSON-ROLAND et J. SOSSON, op. cit., p. 612.(66) Formule revenant dans les arrêts 20/2011 du 3 février 2011 (B.10), 96/2011 du 31 mai 2011(B.14), 122/2011 du 7 juillet 2011 (B.8) déjà soulevée par A. RASSON-ROLAND et J. SOSSON dans l’article précité.(67) C.C., 6 avril 2011, n° 54/2011, Act. dr. fam., 2011/7, p. 149. (68) Cour eur. D. H., arrêt Melis c. Grèce, 22 juillet 2010, §§ 24 à 26, 28 et 29.(69) A. RASSON-ROLAND et J. SOSSON, op. cit., p. 589(70) Ce qu’il a d’ailleurs déjà fait, (sans répondre à la problématique du présent mé-moire) avec la loi du 21 décembre 2018 portant diverses dispositions en matière de justice, M.B., 31 décembre 2018, pp. 106.575 et s.(71) Cour eur. D. H., arrêt Phinikaridou c. Chypre, précité, §58.(72) C.C. 3 février 2016, op. cit., B.15.(73) N. GALLUS, « L’apport de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle au droit de la filiation », op. cit., p. 31.(74) N. GALLUS, Ibidem, p. 31.(75) C.C. arrêt n° 142/2019, précité, B.7.3.(76) Voir à ce sujet Trib. fam. Liège (10ème ch.), 11 décembre 2020, Act. dr. fam., 2021/3-4, p. 135. (77) Pour rappel l’article 2252 du Code civil prévoit une suspension des délais de pres-cription pendant la minorité.(78) « A » pourra ainsi agir jusqu’à ses 55 ans et « B » jusqu’à ses 48 ans.(79) Voir différence entre enfant « A » et « B » à la note 127.

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(80) Nous soulignons. Nous pouvons dès lors élargir cet enseignement en considérant que comme l’action en contestation de paternité est une condition sine qua non pour agir en recherche de paternité, la prescription de la première entraine de facto une prescription de la seconde. (Dans les cas où l’enfant a déjà une paternité établie) ; Cour eur. D. H., arrêt Phinikaridou c. Chypre, précité, § 62 et 63.(81) Prenons l’exemple cité plus haut de l’enfant qui, perdant la possession d’état à l’égard du mari de sa mère à trente-sept ans, peut agir jusqu’à ses soixante-sept ans ; Trib. fam. Liège (10ème ch.), 11 décembre 2020, op. cit.,133 à 136.

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Introduction

Voilà maintenant plus d’un an que la société est chamboulée par l’appa-rition d’un virus appelé le COVID-191. Celui-ci a engendré une crise sa-nitaire, engendrant elle-même une crise économique2; crises que peu auraient imaginé vivre. Personne ne s’est vu épargné par le changement de mode de vie, les mesures nationales et les privations de libertés.

Il s’agit là d’une crise mondiale qui a impacté au-delà de ce qui pouvait être imaginé : « Covid oblige, près de 10 000 détenus viennent d’être libé-rés. Ce que le ministère de la Justice, le législateur ou les juges n’avaient jamais réussi à faire, un impératif de santé publique l’a imposé »3. Alors, prison en temps de COVID : double peine ou libération salvatrice ?

À la vue de la densité du sujet, il est à souligner que des choix ont dû s’opérer. Ne pouvant me montrer totalement exhaustive sur celui-ci, il y a là un essai de jalonner au plus près de la thématique, sélection-nant soigneusement les chapitres abordés. Les pages qui suivent n’ont pas pour prétention de donner de solutions à la problématique soulevée.

PRISON EN TEMPS DE COVID

DOUBLE PEINE OU

LIBÉRATION SALVATRICE ?

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Elles ont pour unique vocation de baliser la réflexion, en posant là questions et interpellations, afin de tirer des conclusions juri-diques, politiques et humaines à une thématique ô combien actuelle.

Pour cadrer le cheminement de la réflexion, la thématique va être décor-tiquée. La réflexion partira de la question de la double peine (chapitre 1), s’en suivra la question de la libération salvatrice (chapitre 2) et se clôture-ra avec un chapitre davantage politique se questionnant sur l’avenir (cha-pitre 3). Partagé entre des analyses de périodes sans COVID et des analyses de périodes avec COVID, un cheminement spécialement choisi et élabo-ré tentera de répondre aux questions suivantes : ce que le confinement fait aux vulnérabilités ? Ce que la crise sanitaire dit de l’institutionnalisa-tion ? Le tout illustré par la thématique de la prison en temps de COVID. Chapitre 1. La double peine

En privant de liberté, de patrimoine, de libertés individuelles, et de droits, le droit pénal serait-il un droit violent ?4 Il semble pertinent de garder à l’esprit que le principe d’égalité5, étant institué constitution-nellement, indiquerait que l’État serait tenu par une obligation posi-tive et par une obligation négative, correspondant respectivement à: garantir l’égalité des individus et ne s’exposer à aucune forme de dis-crimination6. L’égalité matérielle étant l’égalité dans la loi et l’égalité for-melle étant l’égalité dans l’application de la loi par les cours et tribunaux7.

Il est à noter que ce sont des individus provenant majoritaire-ment de groupes sociaux vulnérables socialement et défavorisés économiquement qui font face à la justice pénale8. Serait-ce uto-pique de croire que, là où la société produit des inégalités, celles-ci seraient, par le principe d’égalité, effacées par le juge pénal ?9

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Section 1. Au tribunal

Lors du premier confinement, la vie s’est comme arrêtée un temps, les déplacements se sont vu limités, des secteurs ont été déclarés comme « non-essentiels »10, le télétravail est devenu la norme. Les tri-bunaux n’ont pas fait exception à ces changements, les audiences ont été fermées au public, les délais de procédure ont été prolongés. Dans toute l’Europe, les tribunaux ont réduit leurs activités et classé les contentieux par ordre de priorité11. En bref, une justice au ralenti12.

Devant les tribunaux de première instance francophone13, la com-parution des détenus n’est plus la règle. Il y a un défaut de transfère-ment des détenus qui parait justifié par la force majeure : la volon-té de limiter la propagation du coronavirus14. Il en va de même pour la suppression des audiences en prison, modalité qui a elle aus-si pour but de limiter les allers et venues en prison15. Devant le tribu-nal de l’application des peines ou le juge de l’application des peines, des difficultés se sont donc posées pour ce qui est des comparutions.

En effet, l’arrêté royal du 9 avril 2020 prend diverses mesures en matière d’exécution des peines, dont celle d’exclure les personnes condamnées et les victimes des audiences. Il prévoit que seuls les conseils du condamné seront entendus16, mais ne prévoit pas que ces audiences soient suspen-dues, ce qui fait varier les pratiques d’un juge ou tribunal de l’application des peines à un autre17. Si, étant couverte par le cadre législatif, la question de légalité de ces décisions ne se pose pas18, la question d’égalité de traitement des détenus se pose quant à elle bel et bien19. Partant du principe que le prin-cipe d’égalité lui-même se voit remis en question lors d’une crise, croire à la suppression des inégalités sociales par le juge se révèle être une utopie.

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Section 2. Au cœur de l’institution

L’institution carcérale aurait divers enjeux en fonction de l’angle de vue. Du point de vue de la société, il y aurait trois enjeux : mettre hors d’état de nuire un individu dangereux, punir voire dégoûter et réhabiliter20. Aux yeux du prisonnier, la prison aurait davantage comme but de punir de manière proportionnée à la faute, dissuader la récidive et réhabili-ter21. Et pour la victime, la prison aurait une vertu d’ordre plus symbo-lique22. Pour un sujet si actuel, il semble opportun d’établir une comparai-son de l’institution en période ordinaire et en période de crise sanitaire.

Sous-section 2.1. En général

Le système carcéral belge connait depuis de nombreuses années une surpopulation, des conditions d’insalubrité, voire des conditions de vie inhumaine et même des conditions de travail difficiles. L’État belge s’est d’ailleurs vu condamné à plusieurs reprises23, condamnations où la violation de droits fondamentaux s’y retrouve systématiquement. En effet, la situation des prisons belges et les conditions de détention se sont souvent vu qualifiées de lamentables24. Les lieux de détention sont considérés comme ne répondant pas aux règles d’hygiène et n’étant pas conformes aux règles de sécurité, même les plus élémentaires25.

Il est également à souligner que « les conséquences de cette surpopu-lation sont diverses : travail, hygiène, salubrité, soins de santé, sécurité, alimentation, relations entre détenus et agents pénitentiaires, etc. »26.

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Une situation débouchant de manière récurrente sur des grèves des agents pénitentiaires, ces dernières ayant pour conséquence, comme il a été vu dans un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles précédemment cité, d’accentuer le mauvais traitement des détenus durant cette période27.

Dans un rapport publié le 3 mars 2018, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe constate une évolution. Cependant, la surpo-pulation carcérale reste aujourd’hui une préoccupation prenante, et doit rester une priorité28. Le CPT a tout de même souligné dans son rapport l’un des objectifs à court terme : la jouissance d’une superficie minimale comme espace de vie pour le détenu, de sanitaires cloison-nés et de programmes d’activités adaptés29 afin d’améliorer la manière dont les personnes incarcérées sont traitées et leurs conditions de dé-tention. Dans un arrêté royal du 3 février 201930, de nouvelles normes pour améliorer les conditions de détention ont été exigées, donnant un délai de 20 ans aux 35 prisons belges pour se mettre aux normes31.

Il reste des conditions d’hygiène et de vie laissant tou-jours à désirer32, des conditions telles que la san-té mentale et physique des détenus ne peut que se dégrader.

De plus, l’accès aux soins n’est pas toujours garanti33 ou les dé-lais d’attente sont extrêmement longs34. La situation ne va pas en s’améliorant au niveau du régime alimentaire. Le budget dont disposent les prisons est de 3,5 euros par détenu pour les re-pas35, sachant que ce budget est alloué aux prisons en fonction de la capacité théorique de l’établissement36. La surpopulation car-cérale a donc un impact sur le budget alimentaire des prisons37.

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Toutes ces conditions de vie ont un impact sur l’une des fonctions de la prison, à savoir la réhabilitation. Elle ne parviendrait pas à aider le délinquant à se remettre sur « le droit chemin », mais le décourage-rait en créant chez lui un sentiment de victimisation38. « À ce jour, on n’a pas encore trouvé de peine qui génère plus de récidive que la prison »39. Par son manque d’efficacité en termes de réhabilitation, la prison protège-t-elle donc vraiment la société ?40 Des conditions de vie plus que difficiles, des droits fondamentaux bafoués, des droits sociaux perdus41, des politiques carcérales sans changements trans-cendants, telle est la situation dite ordinaire dans les lieux de déten-tion belges. Il s’agit là d’une situation de crise, durant depuis plusieurs années déjà, faisant de ce groupe d’individus, à savoir les personnes incarcérées, une population fragile, vulnérable et vulnérabilisée42.

Sous-section 2.2. En période COVID

Lors de l’apparition de la crise sanitaire, les problèmes déjà présents dans les lieux de détention n’ont pu que s’accentuer. Dans un lieu de promiscuité comme celui-là, où l’hygiène et l’intimité ne sont pas les caractéristiques premières, la gestion d’une crise sanitaire y pa-raît difficile. Lors des différentes vagues et, de manière plus géné-rale, le temps de la crise sanitaire, les droits fondamentaux des déte-nus se sont vu bafoués à plusieurs reprises et de diverses manières.

Tout d’abord, il est à noter que le cadre législatif de ges-tion de cette crise a différé au rythme des confinements. Pour le premier confinement43, un arrêté royal n°3 (portant

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des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exé-cution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19) a été adop-té par les pouvoirs spéciaux44. Pour le second confinement45, il y a eu l’adoption d’une loi du 20 décembre 2020 portant des disposi-tions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus46.

La Direction Générale des Etablissements Pénitentiaires47 a adop-té des « Instructions coronavirus »48 contenant une partie sur les instructions applicables au personnel et une partie sur les ins-tructions applicables aux personnes détenues et à l’organisa-tion interne de la prison ; cette dernière contenant elle-même des dispositions portant sur le régime de détention et sur l’exé-cution des peines privatives de liberté49. Ces instructions ont été envoyées, par courriel , aux établissements pénitentiaires51.

Alors, quelles décisions ont été prises au niveau des conditions de vie des détenus ? Isolement préventif des détenus entrants, isole-ment médical des détenus présentant des symptômes, formation de « bulles », port du masque obligatoire, suppression des visites (des compensations ont cependant été mises en place52), suppres-sion des activités, suppression du travail pénitentiaire (pour cer-tains établissements)53. Voici là quelques principaux exemples illus-trant bien le côté drastique de ces dernières. Ces mesures se sont vu évoluer progressivement au fil de l’évolution même de la pandémie.

Il est à savoir que, malgré les instructions générales, les fonc-tionnements internes varient en fonction des prisons, des condi-tions des cellules des détenus et de l’état général de la prison54.

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On peut également citer le fait d’être confiné seul en cellule ou à plu-sieurs, dans une prison neuve ou plus vétuste, dans une prison où le tra-vail pénitentiaire est maintenu ou pas55, tant de facteurs faisant consi-dérablement varier les conditions de vie en confinement des détenus.

Une évaluation de la réglementation adoptée en réaction à la pandémie fait ressortir de nombreuses pistes, plus criantes les unes que les autres au sujet du statut interne des détenus.

Premièrement, là où des mesures très strictes ont pu se comprendre (malgré leur atteinte aux droits fondamentaux des détenus) durant le premier confinement en raison de l’urgence de la situation, ces mêmes mesures se sont révélées disproportionnées56 lors du second confinement, au vu du délai endéans lequel des mesures auraient pu être mises en place. A titre d’exemple, lors de la seconde vague, des alternatives relatives aux visites auraient pu être trouvées. Cela aurait permis d’éviter leur suppression totale, ne violant ainsi pas le droit au respect de la vie privée et familiale, droit fondamental garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme57.

Deuxièmement, par l’adaptation des mesures de fonctionnement in-terne des prisons et sa longue période, la crise sanitaire aurait considé-rablement dégradé les conditions de détention dans les prisons belges58. Troisièmement, force est de constater que le législateur n’a pas visé les mesures relatives au régime carcéral, mais uni-quement celles concernant la procédure pénale et l’exécu-tion des peines privatives de liberté et de l’internement59.

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Ceci constitue une atteinte aux droits fondamentaux des in-dividus détenus, n’octroyant aucune sécurité juridique et vio-lant ainsi le principe de légalité60. De plus, il est pensé que les mesures adoptées n’ont pas été suffisantes pour garantir la san-té des individus en détention61. Alors, les conditions de vie des dé-tenus relèveraient-elles donc de l’impensé pour le politique ?

Enfin, il y aurait une violation des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme par le fait que « les atteintes aux droits des détenus ne sont pas fondées légalement et sont dispropor-tionnées »62, n’étant pas prouvé que « des mesures moins attentatoires aux droits des personnes détenues n’auraient pas été suffisantes pour atteindre l’objectif de lutter contre la pandémie en prison »63.

Le point qu’ont en commun ces différentes pistes est le carac-tère de vulnérabilité qu’ont les détenus face aux mesures prises. Les permissions de sortie des détenus se sont vu être suspen-dues pendant un laps de temps considérable64. Selon l’Observa-toire international des prisons65, il s’agit là de la mauvaise voie, rendant plus difficile la gestion de la pandémie66. De plus, cela porterait atteinte au droit à la réinsertion des détenus, où « les sorties et congés pénitentiaires sont indispensables pour entre-prendre les démarches nécessaires à l’élaboration d’un plan de re-classement, lui-même exigé pour demander un aménagement de peine (surveillance électronique ou libération conditionnelle) »67.

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Un point sur la situation carcérale en période de COVID-19 ne peut se faire sans soulever la question de la vaccination. Il est à savoir qu’en date du 29 mars 2021, les vaccinations dans les établissements pénitentiaires n’avaient pas commencé68. Il s’agit pourtant des établissements dont les conditions de promiscuité augmentant les risques de propagation du virus ne sont plus à remettre en question. Il semble donc opportun de se poser la question de l’égalité de traitement des détenus face au reste de la population. Les prisons sont-elles l’angle mort de la démocra-tie69 ? Les personnes détenues peuvent être légitimement considérées comme vulnérables. Cependant, qu’en est-il des politiques péniten-tiaires au sujet de la vulnérabilité qu’engendre la condition du détenu ?

Chapitre 3. La libération

S’en suit, le second pan de la thématique, faisant l’objet de ce chapitre, détaillant les deux pratiques utilisées lors de la crise sanitaire pour ré-duire la surpopulation carcérale et l’impact que celles-ci ont pu avoir sur la société et sur le monde pénitentiaire. Ces deux mesures ne concernent que les détenus des maisons de peines et non des maisons d’arrêt70, par conséquent, seuls les détenus jugés sont concernés, les personnes en attente de jugement ne le sont pas71. De plus, de nom-breuses conditions doivent être remplies afin de pouvoir en bénéficier.

Section 1. Interruption de l’exécution de la peine

L’interruption de l’exécution de la peine est une mo-dalité qui existait déjà en période ordinaire, mais qui en pratique n’était presque jamais accordée72.

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L’interruption de l’exécution de la peine COVID-19 est une forme élargie de la modalité préexistante en réponse à la crise sani-taire, qui demande des conditions cumulatives à remplir afin de pouvoir en bénéficier73. Cette modalité consiste à laisser sor-tir le condamné de la prison, le temps de la validité de l’arrêté. Sa peine se voit donc reportée dans le temps74, elle est comme sus-pendue. Ce caractère suspensif s’est vu remis en question pour violation des principes de l’égalité et de non-discrimination75.

En effet, une interruption de l’exécution de la peine veut que l’individu soit totalement libre. Cependant, toute une série de conditions à res-pecter s’étaient vu imposées aux condamnés sous peine de révoquer la mesure en cas de non-respect de celles-ci76. La Cour de cassation a, par conséquent, considéré que l’interruption de l’exécution de la peine COVID-19 s’apparentait à un congé pénitentiaire77 car « les nécessités de la lutte contre la propagation de la COVID-19 ne sauraient justifier que les condamnés à qui sont octroyée l’interruption de l’exécution de la peine prévue à l’article 6, § 1er, de l’arrêté royal n°3 du 9 avril 2020, dont ils doivent respecter les conditions, soient privés de l’imputa-tion de la durée de cette interruption sur l’exécution de leur peine »78.

Cette modalité poursuit plusieurs objectifs. D’abord, elle per-met de réduire la concentration de la population pénitentiaire79. En effet, lors de la première vague, le taux de la population car-cérale s’est vu diminuer de 10%80. Ensuite, elle permet de limiter les risques pour la santé liés aux entrées et sorties de la prison81. Il s’agit du même objectif que la suspension des audiences en pri-son précédemment évoquée, mais passant par une autre modalité.

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Enfin, elle permet ainsi la diminution du risque de pic d’infection82, l’objectif étant sur la même lignée des modalités prises en dehors du cadre pénitentiaire par les autorités fédérales. Afin de pouvoir bénéficier de cette interruption, le détenu doit remplir un certain nombre de conditions, de manière cumulative. Il doit : déjà avoir bénéficié, durant les six derniers mois, d’au moins un congé péni-tentiaire s’étant bien déroulé, ou faire partie des personnes vulné-rables étant susceptibles de développer des symptômes graves en cas de contamination par le COVID-1983, posséder une adresse fixe, ne présenter aucune des contre-indications données à l’article 7 de loi relative au statut juridique externe des personnes condam-nées à une peine privative de liberté et aux droits reconnus à la victime dans le cadre des modalités d’exécution de la peine, ne pas être un risque pour les personnes chez qui il va vivre et il doit mar-quer son accord par écrit aux conditions générales imposées84. De plus, il ne peut pas : être condamné pour une peine supérieure à dix ans, être condamné pour des faits de terrorisme ou de mœurs85.

Ces trois catégories sont exclues86 des modalités de l’interruption de l’exécution de la peine vue ici et de la modalité de libération anticipée exposée ci-dessous. Lors de la seconde vague, les conditions de cette mesure se sont vu être renforcées, notamment par de nouvelles ex-clusions : l’introduction d’une demande, le nombre de congés péniten-tiaires est passé à trois et la suppression des conditions à respecter87. Encore une fois, il semble opportun de se poser la ques-tion de la suffisance de la mesure. Est-elle une réponse suf-fisante à l’objectif visant à garantir la santé des détenus ?88

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Cette mesure d’interruption de l’exécution de la peine « COVID-19 » s’est vu prolongée89, après avoir pourtant été forte-ment diminuée après le premier confinement, sans justification quel-conque90. Peut-être serait-ce dû au durcissement des conditions.

Section 2. Libération anticipée

La libération anticipée COVID-19, est une mesure ayant les mêmes objectifs que la précédente, dans le cadre de la lutte contre le COVID-19. Elle est octroyée par le directeur de la pri-son au détenu se trouvant dans les six derniers mois de sa peine, et qui possède un logement et des moyens suffisants91.Les mêmes exclusions que pour la mesure précédemment dévelop-pée se retrouvent ici, à savoir : ne pas devoir purger une peine supé-rieure à dix ans, ne pas être condamné pour faits de terrorisme ou de mœurs, ne pas faire l’objet d’une condamnation avec mise à dis-position du tribunal de l’application des peines et disposer d’un titre de séjour valable. Notons l’ajout des mêmes motifs d’exclusion que pour l’interruption d’exécution de la peine lors de la seconde vague92.

Il y a, en cas d’octroi de libération anticipée, des condi-tions à respecter. En cas de non-respect de celles-ci, la libération anticipée se verra être révoquée93. Une fois de plus, la question d’égalité de traitement peut être soulevée et cela pour plusieurs raisons. La première rai-son est due aux conditions très restrictives de ces mesures. De plus, cela ne concerne qu’une partie des détenus, a fortio-ri ceux remplissant les conditions. Mais surtout, ces mesures ne s’adressent qu’aux détenus incarcérés ayant été condamnés94.

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Par conséquent, sont exclus du bénéfice de ces mesures les in-dividus en détention préventive, les individus sous surveil-lance électronique et les détenus dont les peines sont su-périeures à dix ans95. Il s’est révélé que la crise sanitaire a davantage renforcé les exclusions dans les institutions96.

Chapitre 4. Et après, quelles perceptives ?

Le système pénal est-il à abolir ? Voici une question que se pose l’Observatoire international des prisons. Produisant un grand nombre de souffrances, d’inégalités et d’exclusions, le sys-tème pénal est tout de même difficilement remis en ques-tion dans nos démocraties ayant tendance à penser qu’un monde sans ce système rimerait avec un monde de chaos97.

Attention, une distinction importante est à opérer : « les politiques pénitentiaires, qui concernent les modalités d’enfermement, et les politiques pénales, à travers lesquelles on pourra analyser la place de la prison dans différents dispositifs de régulation judiciaire des socié-tés démocratiques »98. Que ce soit au niveau des politiques péniten-tiaires ou des politiques pénales, il semble opportun de se question-ner sur leur sens même et sur l’impact du COVID-19 sur ces dernières.

Section 1. Prison et délinquance

Comme il a été vu au fil de la réflexion, la prison présente di-vers dysfonctionnements. Alors pourquoi est-ce que ce sys-tème pénal et la peine de prison sont tout de même préférés99 ?

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L’utilisation de la prison pourrait se justifier par son caractère utile et rétributif, son utilisation serait donc justifiée par le fait qu’elle réduirait la délinquance et la criminalité100. Cependant, Michel Foucault avait déjà dressé un constat contradictoire : « la prison échoue à réduire les crimes »101 et même plus, elle produirait la délinquance102. Il y aurait donc là une autre justification à la préférence de la peine de prison – justification se trouvant très probablement dans la manière qu’ont les sociétés démo-cratiques d’appréhender la prison et le système pénal dans sa globalité.

Section 2. Prison et réinsertion

La réinsertion, quant à elle, se prépare lors de la déten-tion103. Cette notion a été envisagée par la Cour euro-péenne des droits de l’Homme comme étant un but légi-time que les États poursuivent dans leurs politiques pénales104.

Il est ressorti des différentes analyses que les conditions de déten-tion et les politiques pénitentiaires ne sont pas propices à la ré-insertion. En effet, la surpopulation carcérale est l’une des bar-rières à la mise en œuvre d’un programme de réinsertion105. Les mesures prises dans le but de lutter contre la crise du COVID-19 portent aussi atteinte au droit à la réinsertion des détenus106.

Ainsi, l’expérience carcérale107 affecterait la condition du dé-tenu, le rendant vulnérable, ce qui engendrerait une situation d’exclusion à sa libération, créant alors une situation plus fa-vorable à la récidive108. Il s’agit là d’un schéma très restrictif et ca-ricatural de l’idée mais qui facilite sa compréhension et permet de faire des liens clairs sur une situation qui ne l’est pas forcément.

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Il s’avère qu’une réinsertion correcte et efficace passe par le res-pect des droits fondamentaux et humains des individus, tout au long de leur passage dans la machine pénale et carcérale. Un ac-compagnement est de rigueur, avec les centres et les profes-sionnels adéquats. Pour cela, il ne faudra pas craindre d’investir.

Section 3. Prisons, COVID-19 et politiques

L’un des objectifs actuels des politiques est de limiter la sur-population carcérale par l’agrandissement du parc péniten-tiaire. Un projet pourtant onéreux à l’aube d’une crise écono-mique. Il y a, dans les politiques, un programme se montrant répressif et sécuritaire. Cependant, l’ensemble de ce présent expo-sé peut laisser penser qu’il ne s’agit pas du programme le plus ju-dicieux, l’impact de la crise sanitaire venant renforcer cette idée.

Alors, la crise pandémique du COVID-19 aurait-elle permis de mettre sur la table internationale la responsabilité des États quant au res-pect des droits humains des personnes en détention, et du pour-quoi des mesures prises pour respecter ceux-ci devraient être prio-ritaires malgré les contraintes économiques109 ? Un changement de regard sur le monde carcéral est-il susceptible de s’opérer ?

Conclusion

À la lumière de l’ensemble de ces observations et réflexions, émane l’effet loupe qu’a pu avoir la crise sanitaire sur une crise ordinaire déjà présente au sein des prisons belges. Ce constat se révèle particulièrement interpellant, pour un milieu carcé-ral encore bien plus défaillant que l’idée qu’on peut s’en faire.

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Ces défaillances se sont vu être accentuées par la crise du CO-VID-19, mais ont d’une certaine manière permis que celles-ci soient mises en lumière. Ceci pourrait peut-être avoir comme conséquence que ces points puissent finalement être abor-dés et, ainsi, contraindre les politiques d’y apporter des éléments de résolution. D’une vision à l’autre, la crise ne créerait-elle pas une conjoncture favorable aux changements de politiques pé-nales et pénitentiaires, devenant ainsi, une « utopie concrète »110 ?

La société prône le respect des droits et libertés fondamentales, à cet effet, il y a lieu de faire un focus sur ce point : le confinement aura exacerbé le nombre de violations des droits fondamentaux des détenus, droits qui n’étaient déjà pas en bonne posture d’ordinaire. Comme il a été vu, il y a eu des mesures restrictives mais surtout une absence de mise en place d’alternatives tout au long de la crise sani-taire, mettant ainsi en péril le respect des droits fondamentaux. La question de l’égalité de traitement se trouve de manière incontestable parmi les mesures ayant été prises : que ce soit face aux tribunaux ou dans l’institution elle-même, les mesures laissent à croire que les détenus n’ont pas toujours été traités de manière égale et non-discri-minatoire. Il y a là des problématiques révélatrices sur le système pé-nal, qui mériteraient d’être prises en compte par le monde politique.

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En effet, cet exposé a pu révéler un certain manque de considéra-tion du monde politique concernant les conditions de vie dans les établissements pénitentiaires. En période ordinaire, le monde po-litique fait souvent le choix d’investir dans de nouvelles prisons, afin d’agrandir le parc pénitentiaire. Toutefois, il ne s’agirait proba-blement pas de la meilleure solution pour réduire la surpopulation carcérale111, d’autant plus lorsqu’il est remarqué que, en quelques semaines seulement, les mesures prises dans le cadre de la crise sa-nitaire ont permis de faire diminuer de 10% la population carcérale112.

Avec la crise économique émergente, quels vont être les choix des politiques ? De plus, dans une justice répressive et sécuri-taire, un balancement est sans cesse opéré entre droits des dé-tenus et enjeux sécuritaires. Cela pourrait avoir comme consé-quence de renforcer les exclusions, là où il conviendrait pourtant de favoriser des politiques sociales interventionnistes113 et in-clusives114. Il y a lieu de souhaiter une sensibilisation des repré-sentants de l’État, mais également des citoyens eux-mêmes.

À la suite des questions et interpellations qui en sont ressorties, il convient maintenant de reprendre de la hauteur, en se ques-tionnant sur ce que le confinement fait aux vulnérabilités, ou en-core sur ce que la crise sanitaire dit de l’institutionnalisation.

Justine Dal Bô

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(1) Maladie qualifiée de pandémie par l’Organisation mondiale de la santé depuis le 11 mars 2020.(2) Analyse du SPF Economie, « Impact économique du coronavirus », disponible sur https://economie.fgov.be/fr/themes/entreprises/coronavirus/impact-econo-mique-du, consulté le 7 mai 2021.(3) AMICUS RADIO, « Les prisons françaises, un « système » à repenser », 11 juin 2020, disponible sur https://radio.amicus-curiae.net/podcast/les-prisons-fran-caises-un-systeme-a-repenser/, consulté le 7 mai 2021.(4) K. FRANKLIN, « Le droit pénal et la précarité », Rev. dr. pén. crim., 2020, n°6, p.666.(5) Const., art. 10.(6) K. FRANKLIN, op. cit., p.662.(7) K. FRANKLIN, ibidem, p.662.(8) V. GAUTRON et J-N. RETIÈRE, « La décision judiciaire : jugements pénaux ou juge-ments sociaux ? », Mouvements, 2016/4, n°88, p.12.(9) K. FRANKLIN, op. cit., p.662.(10) Arrêté ministériel du 3 avril 2020 modifiant l’arrêté ministériel du 23 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 3 avril 2020, annexe.(11) J.-P. JEAN, « Les juridictions face à la pandémie de covid-19 », Les Cahiers de la Justice, 2020/3, n°3, p. 499.(12) A. TOURIEL, « La justice au ralenti à cause du coronavirus, vérifiez ici si votre audience aura bien lieu », Le Soir, 15 mars 2020, disponible sur https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_la-justice-au-ralenti-a-cause-du-coronavirus-verifiez-ici-si-votre-audience-aura-bien-lieu?id=10457642, consulté le 2 mai 2021. (13) Avis du 16 mars 2020. (14) L. KENNES, « L’influence de la pandémie sur la détention préventive », J.T., 2020, p. 293.(15) Ch. GUILLAIN (dir.) et al., Actualités en droit pénal et exécution des peines, 1e éd., Bruxelles, Larcier, 2020, p. 228.(16) Arrêté royal n° 3 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 9 avril 2020, art. 5.(17) O. NEDERLANDT et D. PACI, « La prison face au Covid-19 des mesures déséqui-librées au détriment des personnes détenues et/ou condamnées », J.T., 2020/18, n° 6814, p. 343.(18) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », Revue de droit et de criminologie de l’ULB - e-legal, Vol. spécial covid-19, 2021, p. 13.

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(19) O. NEDERLANDT et D. PACI, op. cit., p. 343.(20) B. DAYEZ, Pourquoi libérer Dutroux ? Bruxelles, Samsa, 2018, p. 38.(21) B. DAYEZ, ibidem, p. 37 et 38. (22) B. DAYEZ, ibidem, p. 38.(23) A titre d’exemple : C.C., 30 octobre 2013, N°143/2013 ; Bruxelles (18e ch.), 17 mars 2016, J.T., 2016/18, n° 6646, p. 297 à 300. ; Cour eur. D.H., arrêt Sylla et Nollomont c. Belgique, 16 mai 2017, §23 à 42 ; Violant ainsi l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 10.1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; Civ. fr. Bruxelles (4e ch.), 9 janvier 2019, J.L.M.B., 2019/9, p. 414 à 427 ; Loi du 5 mai 2014 relative à l’internement, M.B., 9 juillet 2014, art. 2. ; Cour eur. D.H., arrêt Venken et autres c. Belgique, 6 avril 2021, §167 à 171.(24) P. DERESTIAT, « Le Comité anti-torture du Conseil de l’Europe confirme la situa-tion lamentable des prisons belges », Justice en ligne, 15 janvier 2013, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Le-Comite-anti-torture-du-Conseil, consulté le 8 mai 2021.(25) D. PACI, « Conditions ordinaires de détention », Justice en ligne, 15 décembre 2008, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Conditions-ordinaires-de-de-tention, consulté le 23 avril 2021.(26) D. PACI, « Conditions ordinaires de détention », Justice en ligne, 15 décembre 2008, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Conditions-ordinaires-de-de-tention, consulté le 23 avril 2021.(27) D. PACI, « Conditions ordinaires de détention », Justice en ligne, 15 décembre 2008, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Conditions-ordinaires-de-de-tention, consulté le 23 avril 2021.(28) « Les efforts concertés des autorités belges méritent d’être salués. Il est néan-moins important que la priorité continue d’être donnée à la réduction de la popula-tion carcérale et à sa maîtrise dans des proportions raisonnables afin que l’incarcé-ration, lorsqu’elle est jugée indispensable, puisse retrouver tout son sens. Pour cela, il convient également de veiller à ce que l’attention ne soit pas portée de manière démesurée à l’augmentation de la capacité totale du parc pénitentiaire. » Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 27 mars au 6 avril 2017, CPT/Inf (2018) 8, 8 mars 2018, p. 5.(29) Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 27 mars au 6 avril 2017, CPT/Inf (2018) 8, 8 mars 2018, p. 24.

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(30) Arrêté royal du 3 février 2019 portant exécution des articles 41, § 2, et 134 § 2, de la loi du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, M.B., 14 février 2019. (31) Arrêté royal du 3 février 2019 portant exécution des articles 41, § 2, et 134 § 2, de la loi du 12 janvier 2005 concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, M.B., 14 février 2019, art. 11.(32) S. POURVEUR, « La prison nuit à la santé : un dossier, « La Santé en prison », de l’association des visiteurs francophones de prison de Belgique », Justice en ligne, 9 avril 2015, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/La-prison-nuit-a-la-sante-un, consulté le 8 mai 2021.(33) Sachant que le taux d’analphabétisme est élevé dans les prisons, selon une enquête réalisée en 2000-2001 par la Fédération des Associations pour la Formation et l’Éduca-tion permanente en Prison (FAFEP). (34) S. POURVEUR, « La prison nuit à la santé : un dossier, « La Santé en prison », de l’association des visiteurs francophones de prison de Belgique », Justice en ligne, 9 avril 2015, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/La-prison-nuit-a-la-sante-un, consulté le 8 mai 2021.(35) O. NEDERLANDT, « Deux témoignages sur la prison recueillis par l’Observatoire international des prisons », Justice en ligne, 3 juin 2020, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Deux-temoignages-sur-la-prison, consulté le 10 avril 2021.(36) D. PACI, « Conditions ordinaires de détention », Justice en ligne, 15 décembre 2008, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Conditions-ordinaires-de-de-tention, consulté le 23 avril 2021.(37) S. POURVEUR, « La prison nuit à la santé : un dossier, « La Santé en prison », de l’association des visiteurs francophones de prison de Belgique », Justice en ligne, 9 avril 2015, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/La-prison-nuit-a-la-sante-un, consulté le 8 mai 2021.(38) J-B. JACQUIN, « Non, la prison ne protège pas la société », Le Monde (site web), 17 septembre 2020, disponible sur https://www.lemonde.fr/police-justice/ar-ticle/2020/09/17/non-la-prison-ne-protege-pas-la-societe_6052563_1653578.html, consulté le 7 mai 2021. (39) S. LHUISSIER dans « Non, la prison ne protège pas la société » de J-B. JACQUIN, Le Monde (site web), 17 septembre 2020, disponible sur https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/09/17/non-la-prison-ne-protege-pas-la-so-ciete_6052563_1653578.html, consulté le 7 mai 2021.(40) J-B. JACQUIN, « Non, la prison ne protège pas la société », Le Monde (site web), 17 septembre 2020, disponible sur https://www.lemonde.fr/police-justice/ar-ticle/2020/09/17/non-la-prison-ne-protege-pas-la-societe_6052563_1653578.html, consulté le 7 mai 2021.

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(41) O. NEDERLANDT, « Deux témoignages sur la prison recueillis par l’Observatoire international des prisons », Justice en ligne, 3 juin 2020, disponible sur https://www.justice-en-ligne.be/Deux-temoignages-sur-la-prison, consulté le 10 avril 2021.(42) Ch. De BEAUREPAIRE, « La vulnérabilité sociale et psychique des détenus et des sortants de prison », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 125.(43) Du 17 mars 2020 au 3 mai 2020.(44) En vertu de la loi du 27 mars 2020 habilitant le Roi à prendre des mesures de lutte contre la propagation du coronavirus Covid-19 (II), M.B., 30 mars 2020.(45) Du 2 novembre 2020 au 31 janvier 2021. (46) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 21 à 23.(47) DGEPI.(48) Non publiées, ne donnant donc pas de sécurité juridique. (49) Ch. GUILLAIN (dir.) et al., Actualités en droit pénal et exécution des peines, 1e éd., Bruxelles, Larcier, 2020, p. 241.(50) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 15 à 20.(51) Ch. GUILLAIN (dir.) et al., op. cit., p. 241.(52) 40 euros de crédit d’appel et mise en place de vidéoconférence.(53) Ch. GUILLAIN (dir.) et al., ibidem, p. 241 et 242.(54) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 15 à 20.(55) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(56) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(57) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(58) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(59) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(60) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(61) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(62) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20. (63) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 15 à 20.(64) Arrêté ministériel fixant la période de suspension de l’exécution de certaines modalités de sortie des détenus en application de l’article 62 de la loi du 20 décembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19, M.B., 31 mars 2021, art. 1er. (65) OIP.(66) OIP, « Le ministre de la justice suspend à nouveau toutes les sorties », disponible sur https://www.oipbelgique.be/le-ministre-de-la-justice-suspend-a-nouveau-toutes-les-sorties/, consulté le 11 mai 2021.

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(67) OIP, « Le ministre de la justice suspend à nouveau toutes les sorties », disponible sur https://www.oipbelgique.be/le-ministre-de-la-justice-suspend-a-nouveau-toutes-les-sorties/, consulté le 11 mai 2021.(68) Arrêté ministériel fixant la période de suspension de l’exécution de certaines modalités de sortie des détenus en application de l’article 62 de la loi du 20 décembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de jus-tice dans le cadre de la lutte contre la propagation du COVID-19, M.B., 31 mars 2021.(69) RADIO LIBREX, « Privation de liberté : La prison, angle mort de la démocratie », Saison 1, épisode 5, 23 mars 2021, disponible sur https://radio-librex.simplecast.com/episodes/privation-de-liberte-la-prison-angle-mort-de-la-democratie, consulté le 27 mars 2021.(70) O. NEDERLANDT, « Lettre ouverte au vice-premier ministre et ministre de la Justice, Monsieur Vincent Van Quickenborne», Le Soir, 22 janvier 2021, disponible sur https://plus.lesoir.be/350567/article/2021-01-22/lettre-ouverte-au-vice-premier-ministre-et-ministre-de-la-justice-monsieur, consulté le 10 avril 2020.(71) Personnes en détention préventive représentant pourtant un tiers de la population carcérale. (72) O. NEDERLANDT et D. PACI, op. cit., p. 343.(73) O. NEDERLANDT et D. PACI, ibidem, p. 343.(74) CDVLex, « Nouveautés : procédure pénale et exécution des peines », disponible sur https://www.dvclex.be/categories/made-in-dvclex-12547/articles/nouveautes-procedure-penale-et-execution-des-peines-2002.htm, consulté le 7 avril 2021.(75) OIP, « Une victoire pour les détenus : Le temps passé hors de prison pendant la pandémie n’est pas une interruption de leur peine », disponible sur https://www.oipbelgique.be/une-victoire-pour-les-detenus-le-temps-passe-hors-de-prison-pen-dant-la-pandemie-nest-pas-une-interruption-de-leur-peine/, consulté le 11 mai 2021.(76) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 11 et 12.(77) Cass. (ch. vac.), 19 août 2020, J.T., 2020/27, p. 556 à 558.(78) Cass. (ch. vac.), 19 août 2020, J.T., 2020/27, p. 556 à 558.(79) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, préambule. (80) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 24.(81) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, préambule.

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(82) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, préambule.(83) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, préambule.(84) O. NEDERLANDT et D. PACI, op. cit., p. 343.(85) O. NEDERLANDT et D. PACI, ibidem, p. 343.(86) O. NEDERLANDT et D. PACI, ibidem, p. 343.(87) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 12.(88) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 19 et 20.(89) Arrêté ministériel portant la décision relative à la prolongation de la mesure d’interruption de l’exécution de la peine « COVID-19 » en application de l’article 66 § 2 de la loi du 20 décembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et struc-turelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du CO-VID-19., M.B., 3 mars 2021, art. 1er.(90) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 12.(91) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, art. 15 ; Loi du 20 dé-cembre 2020 portant des dispositions diverses temporaires et structurelles en matière de justice dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, M.B., 24 décembre 2020, art. 60 et 61. (92) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 12.(93) Arrêté royal n°3 du 9 avril 2020 portant des dispositions diverses relatives à la procédure pénale et à l’exécution des peines et des mesures prévues dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus, M.B., 9 avril 2020, art. 15. (94) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 19 et 20.(95) O. NEDERLANDT, ibidem, p. 19 et 20.(96) RADIO LIBREX, « Privation de liberté : La prison, angle mort de la démocratie », Saison 1, épisode 5, 23 mars 2021, disponible sur https://radio-librex.simplecast.com/episodes/privation-de-liberte-la-prison-angle-mort-de-la-democratie, consulté le 27 mars 2021.

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(97) OIP, « Système pénal et réflexion sur le sens de la peine », disponible sur https://www.oipbelgique.be/thematiques/systeme-penal-et-reflexion-sur-le-sens-de-la-peine/, consulté le 30 avril 2021.(98) P. COMBESSIE, op. cit., 2018, p. 55.(99) J-F. BERT, «« Ce qui résiste, c’est la prison. » Surveiller et punir, de Michel Foucault », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 164.(100) P. SIMON, « La condition carcérale et les minorités. Entretien avec Didier Fassin », Mouvements, 2016/4, n° 88, p. 25. (101) M. FOUCAULT, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975. p. 282.(102) M. FOUCAULT, ibidem, p. 282.(103) A-M. KLOPP, « De la réclusion à l’inclusion. La sortie de prison en Europe », Revue du MAUSS, 2012/2, n° 40, p. 194.(104) Cour eur. D. H., (Gde ch.), arrêt Mastromatteo c. Italie, 24 octobre 2002, § 72. (105) B. PASTRE-BELDA, « La notion de réinsertion des personnes détenues dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme », Rev. trim. dr. h., 122/2020, p. 33.(106) OIP, « Le ministre de la justice suspend à nouveau toutes les sorties », disponible sur https://www.oipbelgique.be/le-ministre-de-la-justice-suspend-a-nouveau-toutes-les-sorties/, consulté le 11 mai 2021.(107) C. ROSTAING, « Une approche sociologique du monde carcéral », La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 2012/3, n° 59, p. 51.(108) Ch. De BEAUREPAIRE, op. cit., p. 125 à 146. (109) N. JAIN, “Pandemics as rights-generators”, The American Society of International Law, vol. 114:4, 2020, p. 684.(110) « Bien possibles, mais seulement à moyen terme et moyennant des réformes structurelles et une conjoncture favorable. » H. DUMONT, Théorie générale de l’Etat et de l’Union Européenne, syllabus, Université Saint-Louis – Bruxelles, 2020-2021, p. 9.(111) Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) du 27 mars au 6 avril 2017, CPT/Inf (2018) 8, 8 mars 2018, p. 5.(112) O. NEDERLANDT, « Droits des personnes incarcérées durant la pandémie : quand la crise ordinaire se double d’une crise sanitaire », op. cit., p. 24.(113) K. FRANKLIN, op. cit., p.685.(114) B. BARD, S. GOVAERT et V. LEFEBVE, « Penser l’après-corona. Les interventions de la société civile durant la période de confinement causée par la pandémie COVID-19 », C. H. CRISP, 2020/12, n° 2457-2458, p. 85.

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Focus santé

Ce que nous disent les droits des pays euro-péens

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En dehors d’être un cours obligatoire dans le parcours universitaire, le droit comparé est une discipline à part entière qui connait un es-sor et un succès sans précédent depuis quelques dizaines d’années. Là où certains considèrent le droit comparé comme une « facilité de recherche dépourvue d’intérêt », d’autres y voient un moyen de mieux comprendre les pays voisins, et de sortir de l’ethnocentrisme automatique dans lequel nous nous plongeons souvent par facilité1.

Nous sommes de la seconde école. En tant que jeune génération devant faire face aux multiples défis politiques, climatiques, ju-ridiques et militants qui nous attendent, nous mettons tout en œuvre pour être à la hauteur de ces missions. Et nous considérons que nous apprenons plus en mettant le nez dehors et en écou-tant notre prochain, qu’en nous plongeant dans d’obscurs ma-nuels, certes très intéressants, mais parfois éloignés de la réalité.

En terme scientifique, cela se traduit par l’ouverture d’esprit. À travers ce dossier santé, nous vous proposons de replacer le système belge dans son contexte, puis d’analyser d’autres possibilités. D’un côté, un système post-dictatorial avec une visée universelle, et une organisa-tion difficile à mettre en pratique. De l’autre, un système universaliste au départ, basé sur une théorie claire, mais qui a laissé énormément de place à la libéralisation des services publics et à leur privatisation.

COMPARAISON N’EST PAS

RAISON, À MOINS QUE…

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À l’échelle belge, beaucoup de questions, peu de réponses

La crise du Covid-19 a mis en exergue plusieurs failles béantes dans la façon dont nous abordons les soins de santé. Nous avons pu découvrir à nos dépens que la prévention des risques n’était que matière d’entreprise, mais qu’à l’échelle nationale, il était par-fois bien difficile de prévenir plutôt que de guérir. À l’interna-tionale, le même constat a été fait. Spécialistes et scientifiques tentent désormais de motiver les gouvernements à plus de préven-tion dans leurs politiques publiques, surtout en matière de santé2.

La crise aura eu le mérite de nous faire remarquer que l’entière-té du système de soins de santé souffrait d’un sous-financement massif3 et que l’on exposait nos hôpitaux à un risque de privati-sation dont l’efficacité est à remettre grandement en doute4.

Il est tout de même étonnant de se questionner sur un système de soins de santé dans une revue de droit privé. Pourtant, la summa divisio que l’on connait habituellement est difficilement applicable au cas de la sécurité sociale en générale. Certes, il y a une grande part de relations et parfois de lutte entre les citoyens et la ma-chine étatique de l’autre. Mais ne voit-on pas de plus en plus l’État perdre du terrain, au profit d’une privatisation hors norme des soins de santé ? L’on peut par exemple citer le cas des maisons de re-pos, business juteux dans lequel nombre de membres du personnel se plaignent de la perte de vitesse du côté public de la profession5.

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Dans l’article ci-après portant sur les soins de santé en Grande Bre-tagne, il est tout aussi frappant de comprendre que certains docteurs doivent fonctionner au salaire par client, et doivent donc atteindre des objectifs d’efficiences pour espérer rentrer dans leurs frais. La question des soins de santé restent donc en zone grise, tanguant d’un côté ou de l’autre, au gré des fluctuations politiques et législatives.

Une piste de résolution : un regard vers la terre voisine

Heureusement pour nous, l’isolation et le repli sur soi ne font pas partie des valeurs que le droit belge porte en lui. Bien au contraire, il est permis et fortement encouragé de puiser cer-taines inspirations et de développer de nouvelles solutions adap-tées aux spécificités du pays, en prenant appui sur des construc-tions déjà existantes ailleurs, qui ont prouvé leur efficacité. À l’instar des Cours supranationales qui rythment la vie législative et judiciaire6, il nous est désormais loisible de faire un pas de côté.

Plutôt que de s’arracher les cheveux, à tenter de trou-ver une solution pour résoudre nos problèmes structurels, il peut être instructif de jeter un œil sur ce qui se fait à côté de chez nous. Pour en tirer quelques enseignements, mais aus-si et surtout pour en imiter les combinaisons gagnantes.

Nous vous invitons donc à vous plonger, le temps de quelques pages, dans l’étude de deux cas particuliers, et de lire entre les lignes quelques possibles solutions pour le système de soins de santé belge.

Sofia Touhami

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(1) T. Di Manno, « Première partie - La légitimité du recours au droit comparé » in Le recours au droit comparé par le juge, 1e édition, Bruxelles, Bruylant, 2014, p. 21.(2) “Having to control wave after wave of such outbreaks means not having suffi-cient resources or attention placed on preventing pandemics. This is analogous to the US Pentagon and the Soviet Union’s military parasitizing the pool of scien-tists and engineers needed to ensure the stability and productivity of domestic industrial production”, D. Wallace, R. Wallace, COVID-19 in New York City. An Ecology of Race and Class Oppression, SpringerBriefs in Public Health, 2021, p. 59. (3) Analyse de Francois Perl, anciennement directeur général du service des in-demnités de l’I.N.A.M.I. dans « Financement des hôpitaux Une réforme qui se fait attendre », RTBF Info, article de Claire Pineux, 17 juin 2021. (4) Voir étude sur la privatisation des maisons de soins pour personnes âgées, A. Romainville, « La privatisation des maisons de repos a ses gagnants et ses per-dants », Observatoire des Inégalités, 3 août 2020. (5) Une illustration parlante à ce sujet sera sans doute celle de l’immense chaîne de maisons de repos ORPEA dont le chiffre d’affaire s’élevait à 3,9 milliards d’eu-ros en 2020. On notera qu’ORPEA prodigue des soins mais est cotée en bourse, laissant une large part à la spéculation dans l’administration de soins aux per-sonnes âgées.(6) C.-N. K AKOURIS, « L’ utilisation de la méthode comparative par la Cour de justice des Communautés européennes », in U. D ROBNIG, S.VAN ERP (dir.), The Use of Comparative Law by Courts, XIVe Congrès international de droit comparé, Athènes 1997, La Haye, Kluwer Law International, 1999, p. 99

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INTRODUCTION AU SYSTÈME

DE SOINS DE SANTÉ

ESPAGNOL

Introduction

Ce travail a pour objet de résumer les éléments centraux qui ca-ractérisent les soins de santé en Espagne, en adoptant un point de vue critique à certains égards afin de mettre en avant les avan-tages et les problèmes de celui-ci. Ci-après seront passés en re-vue l’origine historique du régime, son organisation administra-tive, son mode de financement, ses bénéficiaires, ses conditions d’octroi et la nature des prestations qu’il offre. Enfin, nous ten-terons d’insérer le système de soins de santé espagnol dans l’une des catégories de la typologie d’États sociaux d’Esping-Andersen.

I. L’origine historique du système de soins de santé en Espagne

Lors de la dictature du général Francisco Franco, une période carac-térisée par l’interventionnisme de l’État, les premières législations sociales ont été adoptées1. En effet, la loi 193/1963 sur les bases de la sécurité sociale de 19632 a créé la première forme de la protection so-ciale et elle a instauré la gratuité des prestations de soins sanitaires.

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Les soins de santé dépendaient de la participation au marché du travail et étaient financés par les cotisations sociales et pa-tronales à la sécurité sociale. Initialement, ils avaient pour but de couvrir les risques sanitaires des ouvriers mais ont ensuite été étendus à toute personne active sur le marché du travail3. Le sys-tème franquiste était centralisé entre les mains du gouvernement.

La création d’un véritable système de sécurité sociale a eu lieu re-lativement récemment en Espagne comparé aux autres pays euro-péens4. En 1978 la Constitution démocratique a consacré la protec-tion sociale comme un droit en son article 435. Quelques années plus tard, le parti socialiste ouvrier espagnol a pris le pouvoir avec l’ob-jectif de créer un système de sécurité sociale. Ainsi, un système uni-versel des soins de santé a été conçu en 1986 en vertu de la Ley Ge-neral de Sanidad (la loi générale sur la santé) qui a octroyé à chaque individu le droit d’avoir accès aux prestations de santé6. Le mode de financement a changé, devenant basé uniquement sur les impôts. Une décentralisation progressive vers les 17 Comunidades autóno-mas (Communautés autonomes, ci-après « CA») a eu lieu et s’est achevée en 2002. Au fur et à mesure des années, le système devenait de plus en plus étendu en ce qui concerne les services et la popula-tion couverts – jusqu’au tournant important de la crise économique.

La crise économique et financière déclenchée par l’ef-fondrement de la banque Lehman Brothers en 2008 a eu un effet négatif considérable en Espagne.

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Cet impact lourd s’explique par le fait que l’État empruntait énormé-ment aux entreprises privées étrangères et que ses ressources finan-cières étaient concentrées de manière importante dans le secteur de la construction7. D’abord, l’activité économique a été fortement ré-duite en 2008 et 2009. La situation est restée inchangée jusqu’en 2011, où une récession aiguë a eu lieu et une importante chute du produit intérieur brut s’est produit jusqu’en 20138. En 2012, le gouvernement de droite de Mariano Rajoy (Partido popular) a décidé de répondre à la crise et aux demandes de l’Union européenne quant à la réduction de son déficit public, en adoptant des mesures fiscales restrictives9.

Celles-ci ont particulièrement atteint le système national des soins de santé puisque les dépenses publiques dans ce secteur ont fortement diminué10. Ainsi, le budget pour les soins de santé a diminué de 13.7 pour cent en ce qui concerne l’administration centrale et de 22.6 pour cent pour les CA11. Une recentralisation partielle a eu lieu, en ce qui concerne certaines décisions d’allocation des ressources dans les CA12.

Ensuite, le gouvernement a externalisé de plus en plus ses services en collaboration avec le secteur privé, il a réduit le personnel sa-nitaire et supprimé certains espaces de soins13. Certains auteurs appellent ces changements une « contre-réforme » puisqu’elle va à l’encontre de tous les efforts antérieurs qui avaient pour but d’uni-versaliser et d’étendre le système des soins de santé le plus possible14.

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Ce système a fait l’objet de nombreuses critiques, puisqu’à un mo-ment où le chômage a explosé, les revenus des individus ont baissé et la santé mentale a détérioré : les aides de l’État et leur couver-ture ont été restreints15. De plus, le déficit public étant de -5,4 pour cent en 2008, est seulement descendue à -4,5 pour cent en 201316.

En 2018 le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez (Parti-do Socialista Obrero Español) a réinstauré l’universalité des soins de santé et est actuellement en train de défaire certaines res-trictions qui avaient été introduites en 2012, notamment en ce qui concerne la couverture des prescriptions pharmaceu-tiques. Néanmoins, cette réforme est sujette à controverses et connaît des difficultés d’application. Tous les éléments relatifs à la situation actuelle seront expliqués dans les sections suivants.

II. L’organisation administrative du SNS

L’organisation administrative du SNS espagnol se compose de trois niveaux17. Le système des soins de santé en Espagne se nomme El Sistema Nacional de Salud (ci-après SNS) et est géré de manière conjointe par les services de santé de l’Administra-tion centrale de l’État (1) et par les services de santé des Com-munautés autonomes (2). Ils se réunissent pour former El Conse-jo Interterritorial del SNS (CISNS). Enfin, les interlocuteurs sociaux jouent également un rôle non négligeable via El Comi-té Consultivo (3). Après l’analyse de ces acteurs, une brève ex-plication des différents sous-systèmes de la SNS sera faite.

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Tout d’abord, une explication des compétences de l’administra-tion centrale s’impose. Le gouvernement central, via le ministère de la santé, crée des obligations minimales à respecter par les dé-partements de santé régionaux afin d’assurer une certaine éga-lité des conditions pour les citoyens qui se trouvent dans toutes les parties du pays et pour faciliter un flux des informations im-portantes entre les CA18. Les autorités nationales sont également responsables pour tout sujet relatif à la santé impliquant d’autres pays (par exemple le contrôle des problèmes sanitaires qui peuvent survenir via des produits importés ou exportés de/vers l’étran-ger). L’État espagnol a aussi des compétences liées aux produits pharmaceutiques : leur régulation, autorisation, financement pu-blic, … Dernièrement, à travers El Instituto Nacional de Gestión Sanitaria (ci-après INGESA), le gouvernement gère le système de soins de santé dans les villes autonomes de Ceuta et Melilla.

A un niveau plus bas : au sein des CA, il existe pour chacun d’entre eux un département de santé régional (Organismos Autonómicos de Sa-lud, Consumo y Bienestar Social), qui a la compétence centrale quant à la planification stratégique et opérationnelle au niveau régional, à l’allocation des ressources, aux achats et aux provisions19. Cette dé-centralisation importante a pour objectif de garantir les principes d’équité, de qualité et de participation20. L’équité concerne l’accès aux prestations dans des conditions égalitaires dans le pays entier.

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La qualité est assurée via l’évaluation de l’effectivité de l’ac-tion des cliniques locales. Et la participation : les CA prennent en compte les attentes des consommateurs du système de santé. Les conséquences d’une décentralisation aus-si importante sera faite dans les autres parties du présent travail.

Tel que mentionné ci-avant, le CISNS est l’organisme qui implique tant l’État espagnol que les CA et qui assure la coopération entre ceux-ci21. Il a également le rôle de débattre, analyser et faire des re-commandations sur la structure du système de soins de santé. Le CISNS est composé du ministre de la Santé, Services sociaux et de l’Égalité ainsi que les ministres régionaux correspondants des CA.

Quant au le comité consultatif susmentionné, il est subordonné au CISNS. Tel que vu supra, les interlocuteurs sociaux participent au système des soins de santé via cet organe22. Sur les 32 membres du comité, 16 sont des interlocuteurs sociaux, divisés de manière égale entre les représentants des syndicats et patronats. L’autre moitié des membres représente le gouvernement central, les CA et les gouvernements locaux. Le rôle du Comité consultivo est d’in-former, conseiller, faire des propositions sur les sujets d’actualité relatifs au fonctionnement du système national de soins de santé.

En ce qui concerne le SNS, il est lui-même subdivisé en trois sous-systèmes23. Le premier est le plus commun et il est géré par les CA (plus d’informations seront fournies infra). Le deu-xième régime de « mutuelle des fonctionnaires » est conçu spé-cialement pour les fonctionnaires du gouvernement central ou des CA (Mutualidad General de Funcionarios Civiles del Estado),

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l’armée (Instituto Social de las Fuerzas Armadas) et les individus qui travaillent au sein du système judiciaire (Mutualidad Gene-ral Judicial)24. Le troisième sous- système nommé Mutuas cola-boradoras con la seguridad social, est spécifiquement consacré aux accidents et aux maladies professionnelles. Ces « mutuali-tés qui collaborent avec la sécurité sociale » sont des associations sans but lucratif financés par la sécurité sociale via des contri-butions d’entreprises25. Compte tenu de l’espace limité, nous al-lons nous focaliser sur le premier sous-système, qui concerne le plus grand nombre d’individus et qui est le régime de base.

III. Le mode de financement du système

La source primaire de financement du SNS est constituée des dépenses publiques26. Environ 70 pour cent de la totali-té des frais sanitaires sont couverts par celles-ci (contre 30 pour cent par les revenus privés) et ces fonds publics pro-viennent presque totalement des impôts généraux. Ces sommes sont allouées aux trois sous-systèmes de la SNS vus supra.

En effet, le système général des CA est financé à concurrence de 94.5 pour cent par les impôts généraux qui leur sont alloués. Les communautés autonomes gèrent 92.2 pour cent des dépenses pu-bliques sanitaires et 64 pour cent des dépenses sanitaires totales : ce qui souligne encore l’importance de la décentralisation des soins de santé. Le gouvernement central distribue les fonds à chaque ré-gion en fonction de la proportion de la population qui y habite27.

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Néanmoins, les témoignages d’infirmières à Torrevieja soulignent un problème relatif à cette manière de fonctionner : il n’est pas tenu compte de l’afflux de touristes qui a lieu durant les mois d’été28.

Ainsi, compte tenu du manque de financement adéquat, les hô-pitaux sont submergés pendant ces périodes et il n’y a pas suf-fisamment de personnel pour prendre en charge tous les patients. Ceci crée un danger considérable, tant pour les lo-caux que pour les voyageurs internationaux dans certains CA.

Au régime spécial des fonctionnaires, il est octroyé 3.4 pour cent des fonds publics, composé d’impôts généraux (à concurrence de maxi-mum 85 pour cent des frais) mais également de cotisations salariales (au moins en ce qui concerne 15 pour cent). Enfin, il est mis à disposition du système des maladies et accidents professionnels 2.1 pour cent des fonds sanitaires, financés par des cotisations sociales et patronales.

Étant donné que le système est basé sur un financement par im-pôts généraux, au plus les impôts sont progressifs, au plus il y a une équité entre les personnes de tous niveaux de revenus puisqu’elles contribueront à concurrence de leurs moyens. La progressivi-té est plutôt assurée par des bénéfices distributives postérieures aux paiements d’impôts en Espagne et donc fait l’objet de critiques.

Les titulaires du droit au SNS doivent payer directe-ment par eux-mêmes (la totalité ou une partie) des pres-criptions et quelques services supplémentaires, sou-vent consistant en des prothèses orthopédiques

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(voy. VI. La nature des prestations : lors de l’explica-tion des différentes prestations, plus de détails concer-nant les contributions privées des patients sont donnés).

Il est important de relever que les dépenses privées en ce qui concerne les produits pharmaceutiques sont substantielles de-puis la réforme de 2012 qui avait pour but de réduire les dépenses publiques notamment en matière de soins de santé. En effet, ils constituent 24 pour cent des coûts assumés de manière privée en matière de santé, alors que la moyenne européenne le niveau se trouve beaucoup plus bas, à 16 pour cent29. Les produits pharma-ceutiques dispensés lors d’une hospitalisation sont couverts par le SNS mais, il y a un système de partage des frais entre le public et les individus pour les produits pharmaceutiques qui sont prescrits sans hospitalisation30. Les travailleurs dont les revenus annuels n’ex-cèdent pas 18 000 euros doivent payer 40 pour cent de ces frais31. Si leurs revenus se trouvent entre 18 000 et 100 000 euros, ils doivent supporter 50 pour cent de ceux-ci. Lorsque les revenus excèdent 100 000 euros par an, alors ils payent 60 pour cent de la somme.

Les personnes retraitées qui reçoivent plus de 100 000 euros par an doivent payer 60 pour cent aussi avec une limite de 60 euros par mois, mais s’il est moindre, ils paient 10 pourcent avec une limite de 18 euros si leurs revenus sont supérieures à 18 000 euros, et une limite de 8 euros s’il est au-dessus (sans dépasser 100 000 euros).

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Il existe à présent une exception pour les retraités qui ont une pen-sion de moins de 11 200 euros, les individus qui reçoivent des alloca-tions pour un enfant mineur ayant une invalidité d’au moins 33 pour-cent ainsi que les personnes qui vivent avec le revenu minimum vital : ceux-ci ne doivent plus contribuer aux frais pharmaceutiques32.

Ces exemptions ont été introduites en 2020 et en 2021, permettant ainsi à six millions d’individus vulnérables de ne plus devoir contribuer au paiement concernant les prescriptions pharmaceutiques33. L’accès aux médicaments est donc fortement facilité et ouvert à ces individus.Pour les migrants en séjour irrégulier en Espagne, depuis 2018, une partie de leurs frais sur les prescriptions pharmaceutiques sont pris en charge, et ils doivent payer par eux-mêmes 40 pour cent de ceux-ci34. Néanmoins, ce pourcentage n’est pas variable en fonction de leurs revenus comme il l’est pour les résidents espagnols35. Donc, bien que ce soit une avancée par rapport au système antérieur (où ils devaient payer l’entièreté du prix), il existe encore des obstacles considérables pour les personnes vulnérables en séjour irrégulier (voy. infra pour plus d’informations sur les droits de ces individus).

Un problème important est la (quasi) exclusion des soins den-taires du régime de soins de santé public. De plus, dans le sec-teur public, les soins dentaires sont prestés par des médecins gé-néralistes. Ce n’est que dans quelques villes très urbanisées qu’un dentiste est compris dans le système sanitaire du CA. De nou-veau, ceci souligne les différences dans la qualité des soins qui peuvent être fournis d’une CA à une autre, en raison de la décen-tralisation presque totale de ce secteur de la sécurité sociale.

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Les services dentaires couverts par le régime sont très li-mités : les extractions, le traitement des infections et in-flammations, la prévention des carries, certains traite-ments préventifs pour les femmes enceintes, et, pour les enfants, les traitements préventifs contre les carries.Dès lors, les résidents espagnols doivent recourir à des presta-tions de service privées afin d’obtenir des soins dentaires com-plets qui répondent à leurs besoins et surtout, un service de qualité. Pour les personnes à revenus faible, il leur arrive sou-vent de ne pas pouvoir accès aux soins dentaires nécessaires36.

Les individus peuvent également souscrire des assurances privées qui sont complètement financés par leur propres revenus (voy. infra VI. La nature des prestations). En 2018, une personne sur cinq avait recouru à une assurance privée, en plus de la couverture octroyée par le système public37. La rapidité de l’accès à certaines prestations de soins et les avantages fiscaux pour les personnes exerçant des profes-sions libérales sont les avantages principales du système volontaire38.

IV. Les bénéficiaires du SNS

A l’origine, en 1966, seul 53 pour cent de la population était couvert par les prestations de soins de santé, comprenant les travailleurs salariés et indépendants ainsi que leurs familles par le biais des droits sociaux dérivés39. Le champ d’application du système des soins de santé est devenu universel en 1995, couvrant alors 98,5 pour cent des individus.

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A sa version originale, la loi 4/2000 a rendue l’Es-pagne le pays le plus inclusif de l’union européenne en ce qui concerne l’accès aux soins de santé puisqu’il éten-dait la couverture à tous les migrants en séjour irrégulier40.

En 2012, la couverture par le SNS a été limitée en fonction de cri-tères liés au statut juridique et aux professions des individus : SNS n’était plus un droit mais la contrepartie d’une contribution41. Les personnes qui avaient droit au système étaient des « assurés » (tra-vailleurs, pensionnés, chômeurs) ou des « bénéficiaires » (un droit dérivé du lien familial avec un assuré)42. Parallèlement, le gouver-nement de droite de Mariano Rajoy (Partido popular) a exclu l’ac-cès des étrangers en séjour irrégulier, sauf en ce qui concerne les soins d’urgence, les enfants, les femmes enceintes et les personnes atteintes de tuberculose43. Les justifications pour la rétractation de leurs droits étaient basées sur la crise financière. Néanmoins, de nombreux experts ont relevé que le gouvernement n’avait pas jus-tifié ses propos avec les économies effectives qui seraient faites44.

La réelle raison pour cette exclusion semble avoir été de ré-duire la population migrante en Espagne45. La philosophie du sys-tème est passée d’universaliste à basée sur les contributions so-ciales des travailleurs : il fallait « mériter » d’avoir droit au SNS46.Les citoyens n’ont pas bien reçu ce changement de régime, plu-sieurs manifestations ont eu lieu et la majorité des CA ain-si que certains professionnels ont limité l’étendue de l’exclu-sion (voire ne l’ont pas appliquée) pour des raisons éthiques47.

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Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la « Résolution du Par-lement européen du 14 janvier 2014 sur une protection sociale pour tous, y compris pour les travailleurs indépendants », l’Es-pagne était en violation de celle-ci puisqu’elle prévoit explici-tement que l’accès à la sécurité sociale est un droit fondamen-tal et constitue un élément clé du modèle social européen48.

En revanche, en juillet 2018, la couverture universelle a été ré-tablie par le gouvernement de gauche de Pedro Sanchez (Par-tido Socialista Obrero Español) et les personnes en séjour irrégulier sont redevenues éligibles pour bénéficier des presta-tions de la même manière que les nationaux49. Le Real Decre-to-ley 7/2018 a reconnu que toutes les personnes de nationa-lité espagnole ainsi que les étrangers qui résident en Espagne ont le droit à la protection de la santé et aux soins de santé50.

V. Les conditions d’octroi des prestations

Les auteurs Maria Bruquetas-Callejo et Roberta Perna estiment que le régime introduit en 2018 n’est pas universel en tant que tel puisqu’il existe une procédure et des conditions assez lourdes pour qu’un mi-grant en séjour irrégulier puisse y avoir accès51. Celui-ci doit apporter la preuve qu’il ne bénéficie pas d’un droit aux soins de santé dans un autre État membre de l’Union, qu’il ne peut pas exporter ses droits sanitaires de son pays d’origine ou de résidence antérieure, et qu’il n’y a pas une personne tierce qui est chargée de payer les prestations pour lui52.

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Ces éléments de preuve peuvent être difficiles à réunir pour ces in-dividus étant donné que leur statut ne leur permet pas de voyager li-brement53. L’association Yo si sanidad universal quant à elle soutient qu’il est impossible de réunir toutes ces conditions et qu’elles rendent l’extension de la couverture aux personnes en séjour irrégulier seu-lement théorique54. L’État espagnol déclare essayer de réduire les obstacles administratifs, les résultats restent à voir dans l’avenir55.De plus, les soins en urgence, aux femmes enceintes, mineurs et malades de tuberculose, qui étaient couverts dans tous les cas et pour toute personne dans le système antérieur, ne sont plus men-tionnés dans le régime actuel. Dans l’attente ou l’impossibilité de fournir la preuve de toutes les conditions mentionnées ci-des-sus, les personnes en séjour irrégulier pourraient ne plus avoir droit à ces soins minimaux qui étaient prévus jusqu’en 201856.

Le Décret-loi royal 7/2018 prévoit que chaque CA doit déterminer en ce qui le concerne la procédure à suivre afin d’introduire une demande de protection pour ces individus vulnérables57 : ce pou-voir de discrétion large laissé aux communautés autonomes peut résulter en des inégalités dans l’octroi du droit d’être couvert par le SNS au sein du pays. L’avocat espagnol établi dans la CA d’An-dalousie, Víctor Martín Blanco, nous a informé lors d’un entretien personnel que la pratique est très différente à ce qui est indiqué dans le Décret-loi royal 17/201858. Il a constaté que le manque de clarté de la réforme de 2018 a conduit certains CA, dont l’Andalou-sie, à ne pas l’appliquer et continuer à utiliser le système antérieur. Il existe dès lors un problème considérable d’insécurité juridique.

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Quant aux personnes ayant la nationalité espagnole, l’ar-ticle 3 du Décret-loi royal prévoit que pour accéder au SNS, elles doivent avoir leur résidence principale en Espagne ou ne pas avoir une autre institution qui couvre leurs frais sanitaires.

Lors de nos recherches, nous avons rencontré des difficultés à établir si les statuts d’ « assuré » et de « bénéficiaire » sont en-core d’application et si leurs conditions doivent encore être ré-unies. En effet, le site officiel du SNS n’est pas mis à jour et ne contient pas les nouvelles mesures introduites en 201859. Un do-cument officiel de la commission européenne expliquant le sys-tème sanitaire espagnol datant de 2020 inclut la réforme de 2018 en ce qui concerne les migrants irréguliers mais indique qu’il est nécessaire de respecter les conditions pour être « assuré » ou« bénéficiaire »60. Or, le Décret-loi royal 7/2018 a annu-lé le décret qui réglait les statuts d’assuré et de bénéficiaire61 et les articles du décret-loi royal 16/2012 qui utilisaient ces termes62, et il a remplacé ces notions par « titulaires de droit » dans la loi 16/2003 qui règle les soins de santé publics63.

L’avocat Víctor Martín Blanco nous a expliqué que nous ne sommes pas seules dans le doute : il est vivement controver-sé de savoir si les personnes ayant accès au SNS sont des « titu-laires » ou « bénéficiaires/assurés ». Compte tenu des contro-verses et de l’application de ce système antérieur par certaines CA, en annexe se trouve une brève explication des condi-tions à réunir afin d’obtenir le statut d’assuré et de bénéficiaire.

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VI. La nature des prestations sanitaires

Toutes les personnes qui ont accès au SNS ont le droit aux presta-tions de soins de santé dans leur CA ainsi que dans toutes les autres CA64. Les prestations sanitaires sont divisées en deux catégories de services. Le premier est le « système commun » (dont la composi-tion est gérée par le CISNS), qui a lui-même trois sous-catégories.La première sous-catégorie, « le système commun de base », se compose de tout ce qui concerne la prévention, les diagnostiques, les traitements, la réhabilitation, les soins en urgence et le trans-port médical65. Au sein de celui-ci est inclu un régime assez large de soins primaires (pouvant être prestés par le médecin généra-liste) et de soins spécialisés (par exemple, l’hospitalisation, la réa-daptation, l’assistance spécialisée dans les consultations, …)66.

Tous ces soins sont couverts complètement par le financement public, les patients ne doivent faire aucun paiement supplémen-taire67. Pour rappel : les soins dentaires ne sont couverts que de ma-nière très limitative par le SNS (voy. supra III. Le mode de finan-cement). Les espagnols se plaignent des temps d’attentes qui ont augmenté depuis l’introduction des mesures d’austérité en 2012, surtout en ce qui concerne les soins spécialisés et les opérations68.

Ensuite, il y a le « système commun supplémentaire » qui concerne les prescriptions pharmaceutiques, les dispositifs orthopé-diques, et les produits diététiques, où il est nécessaire que les ti-tulaires du droit à la SNS contribuent de leur propres fonds69

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(voy. supra III. Le mode de financement).La dernière sous-catégorie, « les services accessoires », se compose des prestations qui ne sont pas considérées comme essentielles et/ou qui ont pour fonction d’aider à améliorer la situation d’individus qui ont une pathologie chronique70. Ces services sont parfois cofinancés par les personnes concernées, parfois totalement financés par elles71.

Les individus qui ont une maladie chronique sont donc pénali-sées, alors qu’elles sont souvent économiquement vulnérables72. La deuxième catégorie, « le système complémentaire des Com-munautés autonomes », permet aux CA d’ajouter, chacune pour sa région, des services complémentaires qui ne sont pas déjà cou-verts par le système commun, pourvu qu’elles puissent les financer elles-mêmes73. Elles doivent néanmoins demander l’autorisation au CISNS en fournissant les raisons pour l’inclusion d’une nou-velle prestation dans leur système complémentaire74. De ce point de vue, il peut exister des inégalités entre les CA, certains titu-laires du droit à la SNS paieront plus de leurs poches que d’autres.

Conclusion

Le sociologue danois Gøsta Esping-Andersen a élaboré une typo-logie tripartite des systèmes de sécurité sociale qui se compose du modèle libéral anglo-saxon, le modèle corporatiste continental et le modèle social-démocrate nordique75. Cette classification est ba-sée sur l’étendue de la démarchandisation qui a lieu par l’État so-cial concerné, c’est-à-dire le niveau auquel l’État assure la sécurité de l’existence des personnes de manière indépendante du marché76.

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Cependant, un nouveau modèle a émer-gé après les trois catégories initiales, nommé« familialiste méditerranéen ».L’Espagne est considéré comme relevant de ce modèle77 qui est caractérisé par certains sec-teurs de la sécurité sociale fortement développés, et d’autres en sous- développement, par un rôle important qui octroyé aux ac-teurs non-étatiques et où les soins de santé sont universels78.

Cependant, Paloma de Villota et Susana Vázquez-Cupeiro consi-dèrent que l’Espagne est un cas particulier de ce modèle puisqu’elle se trouve à mi-chemin entre les modèles de Bismarck et de Beve-ridge79. En ce qui concerne les soins de santé, à l’origine ils étaient plutôt Bismarckiens étant donné qu’ils étaient octroyés seulement aux travailleurs, et financés par des cotisations sociales80. Ensuite, le système a eu une vocation universelle et a été financée par les im-pôts, devenant alors Bevridgien. Mais, la crise et la réforme de 2012 ont restauré un système plus restrictif et moins universel. En 2018, malgré les intentions de retourner à un système universel, la pratique démontre que le régime juridique est peu compris par les autorités régionales et que le SNS est peu accessible pour les migrants en séjour irrégulier. Il semble que les origines Bismarckiennes se mélangent avec des éléments Bevridgiens, tel que les auteurs ont expliqué.

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Nous pouvons conclure que le système de soins de santé espagnol est avantageux en ce qu’il prévoit l’accès à de nombreuses presta-tions de manière complètement gratuite. En revanche, le fait que certains autres services ne soient presque pas du tout couverts, comme les soins dentaires et les dispositifs d’aide aux personnes souffrant d’une maladie chronique, peut rendre certains soins inac-cessibles pour une partie de la population. Le taux de chômage a fortement haussé depuis la récession économique, augmentant la part des individus incapables de se fournir ces services sans une aide publique. Par ailleurs, la forte décentralisation crée des inéga-lités en ce qui concerne les droits des individus et l’accès est rendu très difficile pour les migrants en séjour illégal. La réforme de 2018 semble avoir été contreproductive et selon nous, il devrait y avoir des modifications afin de clarifier ses ambiguïtés et d’atténuer les conditions d’accès strictes pour les personnes en séjour irrégulier.

Melis Metin

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(1) La source pour l’entièreté du paragraphe : P. de VILLOTA et S. VASQUEZ, “The welfare state in Spain: unfinished business”, The Handbook of European Welfare Systems, K. Schubert, S. Hegelich et U. Bazant (éd.), Londres-New York, Rout-ledge, 2009, p. 176.(2) Ley 193/1963, de 28 de diciembre, sobre Bases de la Seguridad Social, B.O.E., 30 décembre 1963.(3) E. RODRÍGUEZ, P. GALLO DE PUELLES, et A.J. JOVELL, “The Spanish health care system: lessons for newly industrialized countries”, Health Policy and Plan-ning, vol. 14, n° 2, 1999, p. 164.(4) E. RODRÍGUEZ, P. GALLO DE PUELLES, et A.J. JOVELL, ibidem, p. 164.(5) P. de VILLOTA et S. VASQUEZ, op. cit., p. 171.(6) La source pour le reste du paragraphe : P. de VILLOTA et S. VASQUEZ, ibidem, p. 171.(7) E. ORTEGA et J. PENALOSA, “Some thoughts on the Spanish economy after five years of crisis”, Documentos Ocasionales, n° 1304, Banco de España, 2013, p. 8.(8) S. LOPEZ-LOPEZ et al., “Catastrophic household expenditure associated with out-of-pocket healthcare payments in Spain”, International Journal of Environ-mental Research and Public Health, vol. 18, n° 932, 2021,p. 2.(9) Consejo económico y social España, « Economía, trabajo y sociedad : memoria sobre la situación socioeconómica y laboral España 2012 », Colección Memorias, n° 20, 2013, disponible sur : http://www.ces.es/documents/10180/786745/ME-MORIA_CES_2012.pdf/1379cc0a-40a3-4813-8c54- 24b37a07ec7c, p. 635 et s.(10) F. MARTI et J.J. PEREZ, “Spanish public finances through the financial crisis”, Documentos de trabajo, Banco de España, n° 1620, 2016, p. 32 : une diminution de 0.6 pour cent du PIB entre 2010 et 2013, et ensuite de 0.8 pour cent entre 2013 et 2018.(11) P. GALLO et J. GENE-BADIA, “Cuts drive health system reforms in Spain”, Health Policy, vol. 113, n° 1–2, 2013, p. 2.(12) E. BERNAL-DELGADO et al., “Spain: Health system review”, Health Systems in Transition, vol. 20, n° 2, 2018, disponible sur : https://www.euro.who.int/ data/assets/pdf_file/0008/378620/hit-spain-eng.pdf, p. 119.(13) S. LOPEZ-LOPEZ et al., op. cit., p. 2.(14) J.R. REPULLO, “Spain’s health care system and the crisis: a case study in the struggle for a capable welfare state”, An. Inst. Hig. Med. Trop., n° 17, 2018, p. 60.(15) S. LOPEZ-LOPEZ et al., op. cit., p. 2 et 3.(16) L. QUAGLIA et S. ROYO, “Banks and the political economy of the sovereign debt crisis in Italy and Spain”, Rev. Int. Political Econ., n° 22, 2015, p. 486 et 487.

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(17) Les sources législatives principales en ce qui concerne l’organisation admi-nistrative : Const. espagnole, art. 148 et 149 (répartition des compétences sani-taires entre le gouvernement central et les CA) ; Ley 14/1986 de 25 de abril, Ley General de Sanidad, B.O.E., 29 avril 1986 ; Ley 16/2003 de 28 de mayo, de cohe-sión y calidad del Sistema Nacional de Salud, B.O.E., 29 mai 2003. Voy. Ministry of Health, Social Services and Equality, «National Health System of Spain», 2012, Madrid, disponible sur / www.msssi.gob.es, p. 6 et s.18) Les informations des trois prochains paragraphes sont basées sur : Ministry of Health, Social Services and Equality, ibidem, p. 7 et 8. Les principes sont exposés dans les objectifs de la loi sur les soins de santé : Ley 16/2003 précitée, art. 1.(19) OECD/European Observatory on Health Systems and Policies, “Spain: Country Health Profile 2019, State of Health in the EU”, Brussels, OECD Publi-shing, 2019, p. 9. Pour les différents décrets pour l’organisation des soins de santé dans chaque CA, voy. https://www.mscbs.gob.es/fr/organizacion/ccaa/decre-tos.htm.(20) Les informations des paragraphes qui suivent relèvent de : Ministry of Health, Social Services and Equality, op. cit., p. 9 et 10.(21) Ley 16/2003 précitée, art. 69 et 71.(22) Ley 16/2003 précitée, art. 67.(23) E. BERNAL-DELGADO et al., op. cit., p. 18.(24) Ministerio de Sanidad, Servicios Sociales e Igualdad. « Sistema Nacional de Salud », Madrid, 2012, disponible sur : www.msssi.gob.es, p. 11.(25) E. BERNAL-DELGADO et al., op. cit., p. 19.(26) La source pour les deux prochains paragraphes : E. BERNAL-DELGADO et al., ibidem, p. 50 à 52.(27) X, “Overview of the Spanish Healthcare System”, HealthManagement, vol. 12, 2010, n° 5, disponible sur : https://healthmanagement.org/c/it/issuearticle/overview-of-the-spanish-healthcare-system, p. 3.((28) Entretien avec Maria Laura Philippas Suarez, le 4 août 2021 : sa grand-mère, habitante de Torrevieja (CA de Valence), est y actuellement hospitalisée et toute la famille est profondément choquée de la manière dont les patients sont pris en charge. L’ambulance est arrivée une heure et demie après leur appel, alors que l’hôpital se trouve à quinze minutes en voiture de leur habitation. Ensuite, le personnel est à ce point dépassé par la quantité de travail vu le peu de personnes qui sont engagées, que la communication avec les patients est quasiment inexis-tante. L’administration de médicaments et piqures se faisaient sans explication, après un temps d’attente de quatre heures sans aucune information. Lorsque Maria Laura a enfin pu parler avec deux infirmières, celles-ci lui ont expliqué ce mode de financement et le fait que les vacanciers ne sont pas pris en compte dans le calcul.

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Page 120: Revue étudiante de droit privé

(29) OECD/European Observatory on Health Systems and Policies, op. cit., p. 10.(30) Ministry of Health, Social Services and Equality, op. cit., p. 14.(31) La source pour le reste du paragraphe : Ley 29/2006, de 26 de julio, de garantías y uso racional de los medicamentos y productos sanitarios, B.O.E., 27 juillet 2006, art. 94bis.(32) Ley 29/2006 précitée, art. 94bis, §8.33) E. ANGULO-PUEYO et E. BERNAL-DELGADO, European observatory on Health Systems and Policies, “6 million people exempted of pharmaceutical co-payments”, Online Health Systems in Transition, 2021, disponible sur https://www.hspm.org/_layouts/livinghit/customforms/dispnews.aspx?id=103&-site=https://www.hspm.org/count ries/spain25062012&isdlg=1. Voy. Real Decre-to-ley 20/2020, de 29 de mayo, por el que se establece el ingreso mínimo vital, B.O.E., 1er avril 2020 ; Ley 11/2020, de 30 de diciembre, de Presupuestos Gene-rales del Estado para el año 2021, B.O.E., 31 décembre 2020.(34) Ley 16/2003 précitée, art. 3ter.(35) Yo si, Sanidad Universal, “Real Decreto-Ley 7/2018, de 27 de julio, sobre el acceso universal al Sistema Nacional de Salud”, publié le 16 août 2018, voy. le document PDF sur le site : https://yosisanidaduniversal.net/noticias/valora-cion-del-real-decreto-ley-7-2018, p. 8.(36) E. BERNAL-DELGADO et al., op. cit., p. 117.(37) E. BERNAL-DELGADO et al., op. cit., p. 66 et 67.(38) E. BERNAL-DELGADO et al., ibidem, p. 66 et 67.(39) La source relative à cette phrase et la suivante : R. PEREZ CIMENEZ, « Polí-ticas sanitarias y desigualdades en España », Cambios en el estado del bienestar. Políticas sociales y desigualdades en España, J. Adelantado (coord.), Barcelona, Universitat Autónoma de Barcelona, 2000, p. 253.(40) Ley Orgánica 4/2000, de 11 de enero, sobre derechos y libertades de los extranjeros en España y su integración social, B.O.E., 12 janvier 2000. H. LEGI-DO-QUINGLEY, “Spain shows that a humane response to migrant health is pos-sible in Europe”, The Lancet Public Health, vol. 3, n° 8, 2018, p. 358.((41) OECD/European Observatory on Health Systems and Policies, op. cit., p. 9.(42) Ministry of Health, Social Services and Equality, op. cit., p. 11.(43) H. LEGIDO-QUINGLEY, op. cit., p. 358.(44) La source pertinente jusqu’à la prochaine note de bas de page : H. LEGI-DO-QUINGLEY et al., « Will austerity cuts dismantle the Spanish healthcare system?”, British medical journal, vol. 346, n° 2363, 2013, p. 1 à 5.(45) V. NAVARRO, « El error de las políticas de austeridad, recortes incluidos, en la sanidad pública », Gaceta Sanitaria, vol. 26, n° 2, 2012, p. 174.

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Page 121: Revue étudiante de droit privé

(46) M. BRUQUETAS-CALLEJO et R. PERNA, “Migration and Healthcare Reforms in Spain: Symbolic Politics, Converging Outputs, Oppositions from the Field”, South European Society and Politics, vol. 25, n° 1, 2020, p. 81. (47) M. CIMAS et al., “Healthcare coverage for undocumented migrants in Spain: Regional differences after Royal Decree Law 16/2012”, Health Policy, vol. 120, n° 4, 2016, p. 388 et s.(48) Résolution du Parlement européen du 14 janvier 2014 sur une protection sociale pour tous, y compris pour les travailleurs indépendants, J.O.U.E., 23 décembre 2016, considérant A. Voy. J.A. MALDONADO MOLINA et J. ROME-RO COROADO, “The Predominance of a ‘Strong’ Economy over a ‘Weak’ Social Constitution: The Legacy of the Financial Crisis in Spain”, European Welfare State Constitutions after the Financial Crisis, Oxford, Oxford University Press, 2020, p. 337.49) OECD/European Observatory on Health Systems and Policies, op. cit., p. 9. Real Decreto-ley 7/2018, de 27 de julio, sobre el acceso universal al Sistema Na-cional de Salud, B.O.E., 30 juillet 2018.(50) Ley 16/2003 précitée, art. 3, §1, al. 1.(51) M. BRUQUETAS-CALLEJO et R. PERNA, op. cit., p. 89. Dans le même sens, voy. également : L.E. DELGADO DEL RINCON, « Nuevos avances en la universali-zación de la asistencia sanitaria en España: a propósito de la reforma apresurada, imprecisa e incompleta introducida por el Decreto Ley 7/2018, de 27 de julio», Revista de Estudios Políticos, n° 186, 2019, p. 105 à 136.(52) Real Decreto-ley 7/2018 précité, art. 3 ; Ley 16/2003 précitée, art. 3ter, §2.(53) La sources des informations jusqu’à la fin du paragraphe : M. BRUQUE-TAS-CALLEJO et R. PERNA, op. cit., p. 89.(54) Yo si, Sanidad Universal, op. cit., p. 4.(55) WHO Europe, “Spain moves towards a more resilient health coverage policy during COVID-19”, 25 février 2021, disponible sur : https://www.euro.who.int/en/countries/spain/news/news/2021/2/spain-moves-towards-a- more-resi-lient-health-coverage-policy-during-covid-19.(56) Yo si, Sanidad Universal, op. cit., p. 5.(57) Ley 16/2003 précitée, art. 3ter, §3.((58) Entretien personnel avec l’avocat Víctor Martín Blanco le 11 août 2021.(59) Le site officiel qui n’est pas mis à jour : https://www.seg- social.es/wps/portal/wss/internet/Trabajadores/PrestacionesPensionesTrabajadores/10938/30475/30476?changeL anguage=es#6101.(60) Directorate-General for Employment, Social Affairs and Inclusion, “Your so-cial security rights in Spain”, Bruxelles, Commission européenne, 2020, p. 15.

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Page 122: Revue étudiante de droit privé

(61) Real Decreto 1192/2012, de 3 de agosto, por el que se regula la condición de asegurado y de beneficiario a efectos de la asistencia sanitaria en España, con cargo a fondos públicos, a través del Sistema Nacional de Salud, B.O.E., 4 août 2012.(62) Real decreto-ley 7/2018 précité, disposition dérogatoire.(63) Real decreto-ley 7/2018 précité, art. 1.(64) Ley 16/2003 précitée, art. 4.(65) Ley 16/2003 précitée, art. 8.(66) Ley 16/2003 précitée, art. 12 et 13.(67) E. BERNAL-DELGADO et al., op. cit., p. 56.(68) OECD/European Observatory on Health Systems and Policies, op. cit., p. 17.(69) Ley 16/2003 précitée, art. 8ter.(70) Ley 16/2003 précitée, art. 8quater.(71) Ley 16/2003 précitée, art. 8quater.(72) J.A. MALDONADO MOLINA et J. ROMERO COROADO, op. cit., p. 330.(73) Ley 16/2003 précitée, art. 8quinquies.(74) Ley 16/2003 précitée, art. 8quinquies.(75) L.-A. VALLET, « Esping-Andersen Gǿsta, Les trois mondes de l’État-provi-dence. Essai sur le capitalisme moderne », Revue française de sociologie, vol. 43, n° 2, 2002, p. 424.(76) G. ESPING-ANDERSEN, The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity Press, 1990, p. 3.(77) P. de VILLOTA et S. VAZQUEZ-CUPEIRO, “The Spanish welfare system. Towards a new social and territorial pact?”, The Routledge Handbook of Euro-pean Welfare Systems, S. Blum et al. (dir.), Londres, Routledge, 2020, p. 164.(78) D. BÉLAND et R. MAHON, Advanced Introduction to Social Policy, Chelten-ham, Edward Elgar, 2016, p. 32.(79) P. de VILLOTA et S. VAZQUEZ-CUPEIRO, op. cit., p. 164.(80) Les informations relatives aux modèles de Beveridge et de Bismarck re-lèvent de : S. ROSSIGNOL et E. TAUGOURDEAU, « Beveridge ou Bismarck, quelles conséquences sur le bien-être d’agents hétérogènes ? », Presses de Sciences Po, vol. 54, n° 3, 2003, p. 542.

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Page 123: Revue étudiante de droit privé

DE L’UNIVERSALITÉ AU

LIBÉRALISME

LES SOINS DE SANTÉ EN

GRANDE BRETAGNEI. Introduction

Il existerait deux religions au Royaume-Uni : l’anglicanisme et le Natio-

nal Health Service (ci-après, en abrégé « NHS »), le système de santé pu-

blique du pays1. Le NHS, créé au sortir de la guerre en 1948, est un sys-

tème de santé national majoritairement financé par l’impôt. Premier fruit

du rapport Beveridge, le NHS s’appuie sur trois principes fondateurs :

universalité d’accès aux soins, gratuité et accès à des soins complets, au-

jourd’hui encore présents dans sa loi structurelle, le National Health Ser-

vice Act 20062. La couverture maladie dépend du seul critère de la rési-

dence et à la différence des logiques assurantielles, offre aux résident·e·s

un droit aux soins de santé et non pas un droit au remboursement des

soins3 - comme c’est le cas en Belgique -, dans un esprit de partage des

risques maximal4. Nous verrons au fur et à mesure de notre étude que si

l’idée même d’une couverture de santé universelle et financée par l’im-

pôt peut paraître être l’apothéose de la protection sociale, la mise en

pratique d’un tel système dans un monde libéral peut s’avérer épineuse.

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Page 124: Revue étudiante de droit privé

Nous devons par ailleurs indiquer que le Royaume-Uni connaît

depuis 1997 un processus de dévolution des pouvoirs, qui

consiste en un transfert de pouvoir du Parlement de Westmins-

ter en faveur du Pays de Galle, de l’Ecosse et de l’Irlande du Nord5.

Les soins de santé faisant partie des matières dévolues aux différentes

nations du Royaume-Uni6 , le National Health System est un terme pa-

rapluie qui regroupe 4 systèmes indépendants : le NHS anglais, le

NHS écossais, le NHS gallois et enfin le Health and Social Care d’Ir-

lande du Nord. Chacun de ces systèmes fonctionne de manière indé-

pendante et est responsable devant le gouvernement de la Nation à la-

quelle il appartient. Au vu des spécificités de chacun des systèmes, le

présent travail se concentrera principalement, en raison de la quan-

tité de littérature plus importante à son sujet, sur le NHS anglais.

L’objectif de cet article est de fournir un aperçu du fonctionne-

ment du système de soins de santé anglais, mais également de sai-

sir les différences et ressemblances saillantes de ce dernier et de

notre système belge ; la différence la plus notable et évidente étant

que le système anglais est fondé sur le modèle beveridgien de sécu-

rité sociale alors que le système belge est un système bismarckien.

Nous nous concentrerons successivement sur l’origine historique du NHS

(I), son organisation administrative (II), son financement (III), l’identification

de ses bénéficiaires (IV), la détermination des conditions d’octroi des presta-

tions de santé (V), la nature des prestations fournies (VI) avant de conclure par

l’évaluation du système de soins de santé britannique au regard de l’ouvrage

« The Three Worlds of Welfare Capitalism » de Gøsta Esping-Andersen (VII).

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Page 125: Revue étudiante de droit privé

II. Origine historique du National Health Service

a) De 1834 à 1948 : Poor Law, charité privée et naissance de l’assurance

maladie

La prise en charge, ne fût-ce que partielle, des soins de santé par

l’État remonte à 1834, année de la promulgation de la Poor Law ou

loi des pauvres victorienne7. Cette dernière « offrait » aux personnes

âgées, gravement malades ou handicapées des soins de santé de base.

Les autres soins étaient prodigués par des hôpitaux privés ou des dis-

pensaires gérés par des organismes de bienfaisance. Après 1867, le droit

de vote accordé aux ouvriers britanniques leur permettra de faire pres-

sion sur les partis politiques existants, le Conservative Party (le Par-

ti conservateur) et le Liberal Party (le Parti libéral), afin d’améliorer leurs

conditions de santé. Cette mobilisation aura notamment pour consé-

quence la création, sous un gouvernement libéral réformateur, entre

1909 et 1910, du National Health Insurance, un système d’assurance ma-

ladie national pour les travailleurs à faible revenu. Les médecins des pa-

tient·e·s couvert·e·s par cette assurance étaient payés par capitation,

c’est-à-dire un forfait attribué au médecin en fonction du nombre de

patient·e·s qu’il traite, et les travailleurs payaient quant à eux une coti-

sation obligatoire. Un ministère de la Santé fut ensuite créé en 1919, ai-

dant ainsi à confirmer la responsabilité de l’État dans la santé du peuple8.

Les prémices du système de santé britannique actuel sont déjà pré-

sentes en 1928, lorsque la Royal Commission on National Health

Insurance (la Commission royale sur l’assurance maladie na-

tionale) soutient l’idée proposée 8 ans plus tôt9 dans un rapport du Mi-

nister of Health’s Consultative Council on Medical and Allied Services

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Page 126: Revue étudiante de droit privé

(le Conseil consultatif du ministre de la Santé sur les services médicaux

et connexes) selon laquelle « les meilleurs moyens d’assurer la santé et de

réduire la maladie devraient être accessibles à tous les citoyens »10. L’entiè-

reté du système de soins de santé ne devrait plus reposer sur un système

assurantiel, mais devrait être un service public financé par des « fonds pu-

blics généraux »11. Qui plus est, les hôpitaux britanniques connaissent une

crise financière importante au milieu des années 30. Ils sont en effet de

plus en plus tributaires de la conjoncture économique, car leurs revenus,

dépendant auparavant principalement de dons et d’investissements, pro-

viennent de plus en plus des patient·e·s, soit par le biais de l’assurance

maladie, soit de la main même des patient·e·s. Les hôpitaux réclament

donc des subventions de l’État12. En 1939, à l’aube de la Seconde Guerre

mondiale, le gouvernement conservateur de Neville Chamberlain réqui-

sitionne tous les hôpitaux afin d’instituer un service médical d’urgence,

organisé par régions, pour procurer des soins de santé à certaines caté-

gories de la population, avant de l’étendre à la quasi-totalité de celle-ci13.

b) Le Rapport Beveridge et la création du National Health Service en 1948

La création du National Health Service (NHS) est précipitée par la paru-

tion du Rapport Beveridge en 194214. Ce rapport, officiellement intitulé «

Social Insurance and Allied Services », est un rapport commandé au dé-

but de la guerre par le gouvernement conservateur de Churchill à Wil-

liam Beveridge15, économiste favorable à une intervention étatique dans

l’économie et fonctionnaire au ministère du Travail, en vue d’une po-

tentielle réforme de la sécurité sociale d’après-guerre. Ce rapport pro-

pose une refonte globale du système des soins de santé, et pose plus

largement les bases de la social security. Le système imaginé par Beve-

ridge repose sur la conviction que la lutte contre la pauvreté ne peut se

faire sans la création d’un système de soins de santé national et gratuit16.

125

Page 127: Revue étudiante de droit privé

Au sortir de la Secone guerre mondiale, le NHS sera finalement mis en place en

1948 par Aneurin Bevan, secrétaire d’État à la santé au sein du gouvernement

du travailliste Clement Attlee. Conformément au rapport Beveridge, le NHS

aura 3 piliers : répondre aux besoins de chacun, être entièrement gratuit, et

être basé sur les besoins médicaux et non sur la capacité du patient à payer17.

Le principe clef qui ressortait du National Health Service Act de 194618 était

que la santé était un droit, et pas une marchandise à vendre ou à acheter19.

c) De 1952 à aujourd’hui : processus de réforme et éloignement des prin-

cipes fondateurs

En 1952, à la suite d’une facture médicamenteuse de plus en plus

élevée, le gouvernement travailliste d’Attlee introduisit un for-

fait rendant les médicaments prescrits20, jusqu’alors gratuits,

payants, ce qui entraîna d’ailleurs la démission d’Aneurin Bevan21.

Les gouvernements britanniques des années 1979 – au sortier des

trente glorieuses, donc - à 1997 furent dominés par les conservateurs,

avec d’abord Margaret Tatcher puis John Mayor à la tête du gouver-

nement. Ils initièrent une série de réformes managériales inspirées

des assurances privées et du New Public Management - « une nou-

velle forme de gestion publique basée entre autres sur une culture du

résultat et l’emprunt de pratiques et d’outils issus du privé »22- et vi-

sant à accroître l’efficacité du NHS tout en en réduisant les coûts23.

Premièrement, Tatcher mit en place en 1980 le Compulsory Competi-

tive Tendering, une obligation pour les institutions de santé d’émettre

des appels d’offres concurrentiels pour la fourniture de services tels que

la restauration, le nettoyage, le transport et l’entretien des bâtiments24.

126

Page 128: Revue étudiante de droit privé

La Patient’s Charter (Charte du patient) fut ensuite adop-

tée en 1991, encourageant le·a patient·e, consommateur·trice,

à user de son droit à choisir entre différents prestataires en

concurrence et ainsi à exiger une meilleure qualité de service25.

La formation d’un marché interne se concrétisa en 1992, quand les four-

nisseurs de soins furent mis en concurrence : les Hospital Trusts, des or-

ganismes semi-autonomes fournissant des soins au NHS via le marché

interne26, furent créés et mis en concurrence. Le marché opposait donc

les Hospital Trusts, principalement des hôpitaux ou des groupes d’hô-

pitaux, aux acheteurs de soins27, à savoir les autorités sanitaires locales

et les cabinets de médecine générale gérant leur propre budget d’achat

de soins28. Ces réformes furent vivement critiquées par la profession mé-

dicale et leurs syndicats, dénonçant le fait que la réponse apportée au

manque de financement des soins de santé fut non pas une augmenta-

tion du budget, mais « la régulation des dépenses à travers un double

principe d’autonomie budgétaire et de mise en concurrence des presta-

taires de soins, dans un contexte de réduction de la pression fiscale. »29.

En 1997, sous l’égide du parti travailliste, plusieurs agences détachées du

ministère visant à contrôler et améliorer la qualité des soins procurés furent

créées30. Cette réforme fut accompagnée, dès les années 2000, par une aug-

mentation substantielle des financements publics afin de rattraper la moyenne

européenne qui était de 8,1% du PIB en 2000 pour 7,2% au Royaume-Uni31.

Enfin, on ne pourrait parler du NHS sans évoquer la réforme amorcée en 2012

par le Secrétaire d’État à la Santé conservateur Andrew Lansley. Cette ré-

forme, formalisée dans le Health and Social Care Act, est considérée comme

la plus large depuis la création du NHS. Elle comprend deux grandes mesures.

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Page 129: Revue étudiante de droit privé

Premièrement, elle confie aux médecins généralistes, organisés en Cli-

nical Commissionning Groups (III), 2/3 du budget de la NHS ainsi qu’un

grand pouvoir décisionnel32, les considérant comme connaissant le

mieux les besoins des patient·e·s. Deuxièmement, la réforme a pour

but de « renforcer la concurrence et d’accroître la part du secteur pri-

vé »33 en mettant en concurrence les acteurs publics et privés. La ré-

forme accroît les possibilités de recours à des prestataires privés et a

pour objectif de transformer l’ensemble des hôpitaux publics en enti-

tés autonomes, les Foundation Trusts (IIIc), pouvant percevoir 49% de

leurs revenus du secteur privé34. La réforme eut également pour effet de

transférer la plupart des compétences du ministère de la santé anglais -

qui ne définira plus que les grandes orientations stratégiques - au pro-

fit du NHS England, dont nous examinerons la composition ci-dessous.

d) Naissance du système de soins de santé belge

En Belgique, dès la première moitié du XIXe siècle, les travailleurs s’or-

ganisent en caisses de secours mutuel. Elles seront reconnues en 1851

et acquerront alors la personnalité juridique35. Ces caisses sont ba-

sées sur la solidarité et la mise en commun des risques. Il faut ce-

pendant être affilié à ces caisses, et donc cotiser pour bénéficier

de leur soutien et cette affiliation n’est évidemment pas obligatoire.

Entre 1883 et 1889, le gouvernement allemand crée, sous l’impulsion

d’Otto von Bismarck, homme politique allemand conservateur, le pre-

mier système d’assurances sociales obligatoires dans les domaines de

la maladie, les accidents de travail et la vieillesse. Cette création, aux

allures sociales, aurait surtout eu pour objectif premier de désamor-

cer le mouvement ouvrier s’épanouissant alors au travers de l’Europe36.

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Page 130: Revue étudiante de droit privé

Le système bismarckien, dont la figure centrale est l’assurance sociale,

cherche avant tout à maintenir les acquis des travailleurs·euses confron-

té·e·s à un risque social. Il présente trois caractéristiques : il est avant tout

conçu pour les travailleurs salariés, est financé par cotisations sociales, et

les prestations touchées sont proportionnelles aux revenus perdus. Nous

sommes donc loin des principes fondateurs du système beveridgien an-

glais ; universel, financé par l’impôt et dont les prestations sont forfaitaires.

Les grèves insurrectionnelles belges de 1886 marquent la fin de la po-

litique non interventionniste de l’État belge dans la misère sociale. À

partir de 1886, le gouvernement subsidie partiellement les caisses de

secours mutuel, jusqu’alors financées par les travailleurs·euses. Le mou-

vement ouvrier développe de nouvelles revendications au début du XXe

siècle : il réclame l’affiliation obligatoire de tous·tes les travailleurs·euses

à des assurances sociales. Ce sera le cas pour les accidents de travail et

les pensions avant la Seconde Guerre mondiale. Il faudra cependant at-

tendre 1944 et l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité

sociale des travailleurs pour que le chômage et l’assurance maladie-in-

validité prennent également la forme d’une assurance sociale obliga-

toire : le système de sécurité sociale belge est alors né. L’arrêté-loi de

1944 est le fruit d’un Pacte social négocié par un comité ouvrio-patronal.

Cet arrêté généralise le principe de l’affiliation obligatoire – et soumet donc

tous·tes les salarié·e·s à cette l’assurance - et crée l’Office national de sé-

curité sociale (ONSS), un établissement public rassemblant les différentes

institutions de sécurité sociale. 1944 marque donc le passage d’un système

de santé auto-organisé par les travailleurs·euses et les mutuelles et fa-

cultatif, en un système d’assurance santé obligatoire, mais qui conserve

néanmoins ses acteurs d’avant-guerre : les mutuelles et les syndicats (III).

129

Page 131: Revue étudiante de droit privé

La Belgique s’inscrit donc dans un système de sécurité sociale – et donc de

santé - bismarckien, à la différence du système de soins de santé britannique,

beveridgien. Par ailleurs, le système institué par cet arrêté-loi n’est applicable

qu’aux salarié·e·s et à leur famille, mais sera élargi aux indépendants en 1967.

III. Organisation administrative

L’organisation administrative des soins de santé anglais est relative-

ment décentralisée. L’État central n’en donne que les grandes orien-

tations alors qu’un large pouvoir est laissé aux Clinical Commis-

sionning Groups, des groupes de médecins généralistes locaux.

a) Au niveau du Royaume-Uni et de l’Angleterre

Le ministère des Finances (United Kingdom Treasury) détermine le budget

qu’il alloue aux soins de santé écossais, gallois, nord-irlandais et anglais37.

Le secrétaire d’État à la Santé du Royaume-Uni, qui est à la tête du Dépar-

tement de la santé britannique (Department of Health and Social Care), est

responsable de la politique générale de la santé anglaise, tandis que ses ho-

mologues écossais, gallois et nord-irlandais le sont pour leurs propres sys-

tèmes de soins38. Le secrétaire d’État délègue la gestion des soins de santé,

et le budget y correspondant, au NHS England. Si le NHS est indépendant

de tout contrôle politique du gouvernement, il y est toute de même lié par

un « mandat », publié chaque année par le gouvernement et qui a pour

but de reprendre les objectifs annuels vers lesquels le conseil d’adminis-

tration du NHS doit tendre39. Ce mandat nous semble surtout justifié par le

fait que le NHS est principalement financé par l’impôt et que le gouverne-

ment doit, dans une certaine mesure, rendre des comptes au contribuable.

130

Page 132: Revue étudiante de droit privé

b) Au niveau du NHS anglais

Les soins primaires sont les soins de première ligne, le premier contact

entre le·a patient·e et un membre du corps médical. Cette fonction est prin-

cipalement assurée par les médecins généralistes, mais rentrent également

dans cette catégorie les pharmacien·ne·s, dentistes et opticien·ne·s. Les

soins secondaires sont principalement les soins spécialisés et les soins en

hôpitaux. Les médecins généralistes jouent le rôle de « contrôleur d’accès

» aux soins secondaires, auxquels les patient·e·s ne peuvent accéder, dans

le cadre du NHS, qu’après une recommandation du médecin généraliste40.

Le NHS anglais est un « executive non-departmental public

body », un organisme public indépendant du gouvernement41. Il a

pour rôle de commissionner - c’est-à-dire de prévoir et d’ache-

ter des soins de santé - les soins primaires et certains soins spé-

cialisés comme le traitement du cancer ou les transplantations42.

Le rôle de « commissioning », est compris dans un sens large et consiste

« en une série d’activités, notamment l’évaluation des besoins, la plani-

fication des services, la fourniture de services et le contrôle de la qua-

lité des services »43. Les soins octroyés par les médecins généralistes

sont commissionnés par le biais de négociations avec des représen-

tants des médecins généralistes. Depuis peu, le NHS compte égale-

ment en son sein le NHS Improvement, qui est responsable de la su-

pervision des foundation trusts (cf. infra), des trusts du NHS, et des

prestataires de soins indépendants fournissant des soins pour le NHS.

131

Page 133: Revue étudiante de droit privé

Il nous semble pertinent de souligner que le conseil d’administration du

NHS England, qui compte 13 personnes, est composé pour moitié d’an-

cien·ne·s ou d’actuel·le·s membres de conseils d’administration d’entre-

prises comme Unilever, Tesco, Sainsbury’s ou encore de banques comme

Lehman Brothers ou Goldman Sachs44 ainsi que d’une infirmière et de 3

médecins. Les membres du Conseil d’administration du NHS sont nom-

més par le ministre de la Santé selon la procédure de public appoint-

ment45. Cette composition, ainsi que la part croissante que, comme nous

le verrons ci-dessous, prend le secteur privé dans les soins de santé an-

glais s’ancrent dans le New Public Management46 (cf. supra II). Cette ges-

tion fait l’objet de critiques de la part d’une partie du corps médical, du

monde académique et des syndicats47 pour ce qu’elle serait radicalement

inadéquate aux professions de soins et diminuerait leur qualité et leur ac-

cessibilité. De plus, nous pouvons également nous interroger sur l’absence

de représentation syndicale au sein du conseil d’administration du NHS.

c) Au niveau local : les Clinical Commissionning Groups

Le NHS confie une partie de son budget aux « Clinical Commissioning Groups

», fruits de la réforme Lansley, qui sont responsables de commissionner les

soins hospitaliers, les soins urgents, la maternité, les soins à domicile, les

soins liés à la santé mentale et les soins de rééducation48. Le NHS a donc une

organisation assez décentralisée. Les Clinical Commissioning Groups sont

des groupements de médecins généralistes ayant pour mission d’identi-

fier les besoins locaux en matière de santé puis de financer et d’organiser

les services de santé pour la population de leur région49. Ils disposent d’un

conseil d’administration comprenant notamment un directeur financier,

un médecin spécialiste, un infirmier et deux représentants des patient·e·s.

132

Page 134: Revue étudiante de droit privé

Il en existe 106 en Angleterre50 - tous les médecins généra-

listes sont membres d’un CCG51- et chacun des CCG’s est respon-

sable de 60 000 à 850 000 patient·e·s. Ils peuvent négocier l’achat

de soins avec des prestataires publics, privés et à but non lucratif52.

d) Au niveau des prestataires de soins : les trusts et les médecins généra-

listes

Les prestataires du secteur hospitalier sont principalement organisés en

trusts53. Les NHS trusts sont des organismes de droit public bénéficiant

d’une certaine autonomie, qui peuvent comprendre un hôpital ou plusieurs

hôpitaux54 ainsi que divers autres sites cliniques. Leur conseil d’administra-

tion est nommé par le gouvernement anglais55. Un nombre croissant de NHS

trusts sont convertis en NHS Foundation Trusts, dès lors qu’ils répondent à

des critères de performance et, dans le futur, tous les NHS trusts deviendront

des NHS Foundation Trusts56. Les Foundation trusts se voient octroyer une

semi-autonomie à travers le statut juridique de « sociétés d’intérêt public

»57, un statut hybride entre le public et le privé58 qui les extirpe totalement

de la gestion du ministère de la Santé, tant qu’ils atteignent les standards

de qualité fixés par ce dernier. Ils ne sont pas sous le contrôle financier

du gouvernement, mais du Monitor, un organisme privé, ce qui leur laisse

donc davantage de liberté en matière d’investissement et de contraction de

prêts. Par ailleurs, le NHS peut, depuis le Health and Social Care Act de 2012,

contracter la provision de soins directement avec des entreprises privées.

Nous y reviendrons lors de l’exposé du financement des soins de santé (IV).

133

Page 135: Revue étudiante de droit privé

En dehors des NHS trusts et des Foundation Trusts, les Clini-

cal Commissioning Groups peuvent aussi contracter avec des ser-

vices de santé communautaires (infirmières à domicile, soins pal-

liatifs, soins de kinésithérapie), des associations caritatives ou des

fournisseurs de soins du secteur privé. Tous ces acteurs - NHS Trusts,

Foundation Trusts, services de santé communautaires, associations cari-

tatives et entreprises privées, sont en concurrence sur le marché local.

Quant aux médecins généralistes, qui seraient, selon une idée reçue, salariés

de la NHS, ils·elles ont le statut particulier de « contractuels indépendants

»59, qui leur garantit tout de même une certaine autonomie60. Les représen-

tant·e·s des médecins négocient chaque année un contrat fixant les règles

concernant les conditions d’exercice de la pratique médicale ainsi que la

rémunération des médecins61. Une partie des médecins est également sa-

lariée du NHS, notamment au sein des hôpitaux. Les médecins généralistes

contractuels indépendants sont payé par capitation, c’est-à-dire en fonc-

tion du nombre de patient·e·s inscrit·e·s chez eux. S’ajoute à ce paiement

par capitation des « bonus » liés à diverses actions, notamment de santé

publique62. Les spécialistes sont quant à eux généralement payés à l’acte63.

e) Organisation administrative belge : ONSS, implication des partenaires

sociaux et mutuelles

La sécurité sociale belge, et donc les soins de santé, est une compétence

résiduaire fédérale. Le cadre législatif général entourant les soins de santé

– dont la régulation de l’assurance obligatoire - est donc fédéral64. Cepen-

dant, depuis la réforme de 1980 et la sixième réforme de l’État négociée en

201265, les communautés ont des compétences connexes à l’organisation

des soins de santé, notamment la politique de santé66, ce qui inclut prin-

cipalement la promotion de la santé, l’éducation à la santé et la prévention

134

Page 136: Revue étudiante de droit privé

ainsi que la gestion des investissements dans les infrastructures de santé67.

L’ONSS, l’institution centrale de sécurité sociale, est chargée de col-

lecter les cotisations sociales et de redistribuer ces cotisations – ain-

si que des ressources fiscales – dans les différentes branches de la sé-

curité sociale. Ensuite, une institution publique de sécurité sociale gère

chaque branche de la sécurité sociale. Dans le cadre des soins de san-

té, ce rôle est assuré par l’Institut national d’assurance maladie-invalidité

(INAMI)68. L’INAMI est dirigée par un comité de gestion tripartite, c’est-

à-dire composé de représentants des employeurs et des travailleurs in-

dépendants, de représentants des organisations représentatives des tra-

vailleurs et de représentants des organismes assureurs, les mutualités69.

Elle est divisée en deux services distincts : le Service des indemnités et

le Service des soins de santé. Le Service des soins de santé est compo-

sé de représentant·e·s du gouvernement, de représentant·e·s des em-

ployeurs et des travailleurs·euses indépendant·e·s, de représentant·e·s

des organisations représentatives des travailleurs·euses, de représen-

tant·e·s des organismes assureurs ainsi que de représentant·e·s des dis-

pensateurs de soins. Les différentes commissions qui composent l’INA-

MI ont d’ailleurs systématiquement une composition tripartite, voire

quadripartite, incluant également des prestataires de soins. En outre,

les soignant·e·s sont représentés dans l’INAMI par différentes asso-

ciations comme l’Ordre des médecins ou l’Ordre des pharmaciens70.

Comme exprimé ci-dessus, lors de l’instauration de l’assurance santé obli-

gatoire, les caisses mutuelles sont des actrices centrales du domaine de

la santé et elles conserveront ce rôle primordial. Il existe donc 5 unions

nationales de mutualités ainsi qu’une caisse publique résiduaire, la CAAMI.

135

Page 137: Revue étudiante de droit privé

Les mutualités sont des associations de personnes physiques à but

non lucratif71 dont le fonctionnement est régi par la loi72 et dont l’as-

semblée générale est élue par les membres affilié·e·s. Elles ont pour

rôle de payer les prestations assurantielles à leurs affilié·e·s, c’est-à-

dire de rembourser les dépenses de santé, et de défendre et représen-

ter leurs affilié·e·s dans les instances de l’INAMI. Elles couvrent éga-

lement leurs affilié·e·s à travers des assurances complémentaires.

Nous pouvons diviser les prestataires de soins en deux catégories : les

institutions de santé comme les hôpitaux, les maisons de retraite ou en-

core les laboratoires et les professionnels de la santé comme les méde-

cins, les infirmiers·ères, les dentistes. Nous devons à ce propose souli-

gner que la médecine belge est une médecine libérale, c’est-à-dire qu’il

n’existe pas de médecine d’État et que les médecins dispensent des

soins librement73 et sous le statut de profession libérale74. Ils et elles

sont cependant soumis à un Code de déontologie médicale75. Le ou la

patient·e peut par ailleurs s’adresser au professionnel de son choix76.

f) Rapprochements et divergences entre le NHS et le système de soins belge

Si l’INAMI peut évoquer, en tant qu’organe chapeautant l’organisation des

soins, le NHS anglais, sa composition est radicalement différente de celle du

NHS en ce qu’elle inclut les partenaires sociaux dans sa prise de décision. Le

mécanisme de l’assujettissement à un régime de sécurité sociale lié au travail

a donc pour corollaire l’implication des représentants des travailleurs·euses

salarié·e·s et indépendant·e·s. Nous pouvons postuler que l’implication des

partenaires sociaux dans la gestion des soins de santé, et plus largement

de la sécurité sociale, augmente la probabilité que les institutions de san-

té soient en accord avec les besoins de la population et des soignant·e·s.

136

Page 138: Revue étudiante de droit privé

Une autre différence notable est le statut, et donc le mode de paiement, des

médecins généralistes. Les médecins généralistes anglais ont un statut hy-

bride de contractuels indépendants alors que les médecins généralistes belges

sont indépendants. Cette différence peut influencer la qualité des soins : les

médecins payés au patient vu et non au patient faisant partie de leur patientèle

peuvent avoir des objectifs de rendement, notamment horaire, différents77.

IV. Mode de financement

a) Financement du NHS

Les soins de santé britanniques au sens large sont financés principa-

lement par l’État (77,8%)78 à travers des ressources fiscales et des coti-

sations sociales, tandis que les contributions directes des ménages y

contribuent pour 16,7%79 et les assurances volontaires privées pour

5,5% 80. Le financement de l’État sert principalement à financer le

NHS ainsi que la « santé publique » comprenant notamment les cam-

pagnes de vaccination. Les ressources fiscales représentent 80% du fi-

nancement du NHS et les cotisations sociales un peu moins de 20%81 .

La part des cotisations sociales dans le financement du NHS a augmen-

té depuis 200282, ne représentant à l’époque que 12% du financement.

Elle est vivement critiquée, notamment par l’organisation Keep our NHS

public selon laquelle « la fiscalité générale est l’approche la plus équi-

table en matière de financement : l’impôt est progressif : les entreprises

et les personnes disposant de plus de revenus et de richesses paient

davantage ; les risques financiers et sanitaires sont mis en commun,

137

Page 139: Revue étudiante de droit privé

de sorte que les personnes malades ne paient pas plus

que les personnes en bonne santé »83, alors que les cotisa-

tions sociales sont dégressives par rapport aux revenus84.

Entre 2000 et 2007, les dépenses de santé du Royaume-Uni ont aug-

menté de 10%, permettant notamment l’augmentation des effectifs du

personnel soignant85. Cependant, depuis 2010, on observe que les dé-

penses de l’État (nous excluons donc les assurances privées et les dé-

penses directes des ménages) en matière de santé en pourcentage du

PIB régressent : elles étaient de 8,2% en 2010 pour de 7,8% en 201886 . Se-

lon une étude du British Medical Journal comparant le système de soin

de santé britannique à celui d’autres pays à hauts revenus87, le Royaume-

Uni dépensait 8,7% de son PIB (tous modes de financement confondus)

aux soins de santé en 2017 pour une moyenne de 11,5% pour les pays

de comparaison88. En outre, ces 10 dernières années les coûts de san-

té ont augmenté plus rapidement que l’augmentation du financement89.

Les défaillances du NHS ont eu pour conséquence d’attirer les patient·e·s qui

ont les moyens financiers suffisants vers le secteur privé, les fournisseurs de

soins contractants avec des assurances privées offrant des soins plus rapides.

En 2015, 10,5 % de la population britannique souscrivait à une assurance

maladie privée volontaire90 et en 2016, l’assurance maladie privée volontaire

représentait 3,3% des dépenses totales de santé91. Bien que les données sur

les assurances privées ne soient pas en libre accès, selon le Competition

and Markets Authority de 2014, 4 assureurs se partagent 87,5% du marché92.

138

Page 140: Revue étudiante de droit privé

D’un point de vue pratique, le Trésor de l’État alloue un budget au ministère

de la Santé anglais qui en conserve une partie pour ses frais de fonctionne-

ment et pour des organes comme Public Health England, la santé publique,

et octroie le reste au NHS England. Le NHS utilise en moyenne 1/3 de ce bud-

get pour ses frais de fonctionnement et les services qu’il commissionne lui-

même et les 2/3 restants sont transmis au Clinical Commissioning Groups93.

b) Financement du système de soins de santé belge : cotisations sociales et

fiscalisation

Le financement de l’assurance santé obligatoire représentait 8,3% du PIB

belge en 201894. Elle est financée par un système de financement mixte

comportant deux sources : les cotisations sociales – la parafiscalité95 – et

l’intervention de l’État – la fiscalité96. Les cotisations sociales se distinguent

de la fiscalité, soumise à une exigence d’universalité, car elles sont essen-

tiellement perçues directement par l’ONSS97 et sont exclusivement af-

fectées au financement de la sécurité sociale. Du reste, le financement

de la sécurité sociale dépend du régime de sécurité sociale : salarié ou

indépendant. Dans le régime des salarié·e·s, les cotisations sociales re-

présentent approximativement 2/3 du financement et la fiscalité 1/398.

La part des cotisations sociales est moindre dans le régime des indépen-

dants, bien qu’elle reste majoritaire99. Les cotisations sociales des salarié·e·s

sont linéaires, c’est-à-dire que le même taux est appliqué, peu importe le

montant du salaire. Les cotisations sociales des indépendant·e·s sont quant

à elles dégressives ; plus les revenus sont élevés moins le taux de cotisa-

tion sera élevé100. En outre, une partie non négligeable des soins – 18,2%

des dépenses totales en soins de santé101 - est financée par les patient·e·s

eux·elles-mêmes, principalement à travers le ticket modérateur (VII).

139

Page 141: Revue étudiante de droit privé

c) Royaume-Uni et Belgique : deux modes de financement des soins de san-

té aux antipodes ?

Alors que le NHS a pour principe fondateur le financement par l’im-

pôt, le système belge s’est quant à lui construit autour d’un système as-

surantiel financé par cotisations. Chacun de ces modes de financement

représente parfaitement leur modèle de sécurité sociale initial : le mo-

dèle beveridgien pour le NHS et le modèle bismarckien pour la Belgique.

Cette divergence dans les modes de financement pourrait cependant

s’avérer de plus en plus faible : la part des cotisations sociales dans le fi-

nancement du NHS augmente avec les années alors que l’État belge finance

bien davantage que lors de sa création le système de soins de santé du

pays. On peut aussi s’étonner des montants investis par les ménages dans

leurs soins de santé : 16,7% du financement total pour le Royaume-Uni

pour 18,2% pour la Belgique. Ces chiffres viennent tempérer l’affirmation

selon laquelle l’accès aux soins sur le territoire britannique serait gratuit.

V. Identification de ses bénéficiaires

a) Universalité du NHS

La couverture de soins de santé au Royaume-Uni est universelle et ba-

sée sur le seul critère de la résidence102. Cela signifie que les soins

de santé seront entièrement gratuits pour toutes les personnes ré-

sidant au Royaume-Uni. Le critère de la résidence se comprend

comme la résidence habituelle103, c’est-à-dire « légale, adoptée vo-

lontairement et à des fins fixes dans le cadre de l’ordre régulier de

leur vie pour le moment, qu’elle soit de courte ou de longue durée »104.

140

Page 142: Revue étudiante de droit privé

Pour pouvoir prétendre avoir sa résidence habituelle au Royaume-Uni

dans le sens du Département de la Santé, il faut être également en séjour

légal. Les nationaux qui ne résident pas habituellement au Royaume-Uni

ainsi que les visiteurs·euses étrangers·ères en séjour légal de 6 mois ou

plus au Royaume-Uni, en ce compris les citoyen·ne·s de l’Union euro-

péenne, doivent payer une « taxe de santé d’immigration » qui leur donne

accès à des soins gratuits au même titre que les résident·e·s habituel·e·s105.

Les consultations de médecine générale primaires ainsi que d’autres

soins, dont les urgences, les services de planning familial - excepté les

avortements -, le traitement des maladies infectieuses et les traite-

ments à la suite de violences domestiques ou de torture, sont cepen-

dant gratuits pour les patient·e·s temporaires, c’est-à-dire toute per-

sonne visitant le territoire britannique pour une durée supérieure à 24

heures et inférieure à 3 mois106. Les soins secondaires demeurent quant

à eux payants, sauf pour les réfugié·e·s et les demandeurs·euses d’asile107.

b) Assujettissement quasi universel du côté belge

On estime que 99% de la population belge est couverte en matière

de soins de santé108. La couverture, initialement réservée aux travail-

leurs·euses salarié·e·s a été progressivement élargie à partir des années

60 à de multiples catégories additionnelles. Nous109 n’énumèrerons ce-

pendant pas les 18 catégories prévues dans la loi coordonnée du 14 juil-

let 1994, mais allons tout de même tâcher d’en mettre en lumière les

grands principes. Dans les catégories énumérées, la loi distingue les ti-

tulaires d’un droit aux prestations des personnes à charge de ceux-ci110.

141

Page 143: Revue étudiante de droit privé

Les titulaires – principalement les travailleurs·euses, les bénéficiaires d’un

revenu de remplacement, les personnes handicapées, les étudiants, les

veufs et veuves, les orphelins et les personnes inscrites au Registre natio-

nal des personnes physiques – s’ouvrent donc un droit à l’assurance san-

té pour eux-mêmes, mais également pour les personnes qui sont à leur

charge, qui habitent sous leur toit – leur cohabitant·e, leur descendant·e·s

de moins de 25 ans et leurs ascendants qui ne bénéficient pas de reve-

nus professionnels ou de remplacement. Les personnes inscrites au Re-

gistre national des personnes physiques bénéficient ont donc droit à bé-

néficier de l’assurance santé. Cette catégorie vise les personnes qui sont

inscrites dans ce Registre et ne peuvent pas accéder à l’assurance par

un autre statut111 et comprend les Belges résidant en Belgique, les étran-

gers·ères autorisé·e·s à s’établir en Belgique, les étrangers·ères autorisé·e·s

à séjourner plus de 3 mois sur sol belge et enfin les demandeurs·euses

de protection internationale. Par conséquent, tout qui peut résider légale-

ment en Belgique s’ouvre l’accès au remboursement de ses soins de santé.

Les personnes qui séjournent en Belgique pour une durée de moins de 3

mois ne peuvent donc pas bénéficier de l’assurance santé belge, mais sont

couvertes dans leur pays de résidence habituelle. Les personnes en sé-

jour illégal et irrégulier en Belgique n’ont quant à eux dans la majorité des

cas accès à aucune couverture de santé, mais ont cependant accès à l’aide

médicale urgente belge (AMU)112. Cette aide, qui est une compétence des

Centres publics d’action sociale (CPAS) et non de l’assurance santé, est défi-

nie comme « les secours apportés à un étranger dont l’état de santé requiert

des soins immédiats, par suite d’accident ou de maladie, ainsi que le trans-

port de cette personne et son admission dans un établissement de soins »113.

142

Page 144: Revue étudiante de droit privé

c) Assujettissement (quasi) universel en Angleterre et en Belgique ?

L’universalité de la couverture de santé britannique, dont le béné-

fice est soumis à la seule (ou presque) condition de la résidence croi-

sée avec le taux estimé de 99% de la couverture santé belge, soulève

des interrogations quant à la pertinence des multiples catégories assu-

jetties à la sécurité sociale belge, et plus particulièrement aux soins de

santé. La Belgique franchira-t-elle un jour le pas de basculer vers un

champ d’application personnel universel, basé sur le modèle beveridgien ?

VI. Détermination des conditions d’octroi des prestations

a) Conditions d’octroi de la couverture santé du NHS

La seule condition d’octroi de la couverture offerte par le NHS est d’être ins-

crit·e chez un·e médecin généraliste ou pour les patient·e·s étrangers·ères,

de s’être enregistré·e auprès d’un médecin généraliste comme patient·e tem-

poraire114. Cette condition s’explique par le fait que, comme expliqué ci-des-

sus (III), les médecins généralistes ont un rôle de « contrôleurs d’accès » aux

soins. Un·e patient·e non-inscrit·e aura cependant droit aux soins urgents.

Le risque précis couvert par le système de soin de santé britannique n’est

pas défini par la législation, mais le devoir légal du Secrétaire d’État à la

santé est cependant, selon le Health and Social Care Act de 2012, d’assu-

rer une « couverture de santé complète »115. Cette couverture comprend

en pratique les soins primaires, les soins spécialisés, les soins de santé

mentale, les hospitalisations, les soins urgents et enfin, les soins de san-

té publique, comprenant notamment la vaccination et les dépistages116.

143

Page 145: Revue étudiante de droit privé

b) Conditions d’octroi des prestations belges

Les conditions d’octroi des prestations de santé belges sont en fait de simples

conditions procédurales : il faut que le·la titulaire soit affilié·e à un organisme

assureur117 – une des cinq unions nationales ou la CAAMI – et qu’il·elle dispose

d’un document de cotisation. La CAAMI doit inscrire tou·te·s bénéficiaire

qui souhaiterait y être affilié·e, mais si les bénéficiaires ne choisissent pas

d’eux-mêmes un assureur, ils·elles ne sont pas d’office affilié·e·s à la CAAMI.

Certaines personnes ne sont donc affiliées à aucun organisme assureur et

ne peuvent donc pas bénéficier du remboursement de leurs soins de santé.

Cette brèche remet donc en question le caractère obligatoire de l’assurance

soins de santé. Quant au fait de devoir disposer d’un document de cotisa-

tion, ce document est dans la quasi-totalité des cas automatiquement en-

voyé à l’organisme assureur ; par l’ONSS pour les salarié·e·s118 ou une autre

institution de sécurité sociale pour les autres. Les seules bénéficiaires de-

vant fournir cette attestation sont les étudiant·e·s de l’enseignement su-

périeur qui ne s’ouvrent pas de droit en tant que personne à charge ainsi

que les personnes inscrites au Registre national des personnes physiques.

VII. Nature des prestations

a) Gratuité partielle des soins anglais

Les soins de santé britanniques sont gratuits ; les patient·e·s ne doivent

donc pas payer leurs soins. Cependant, depuis les années 50, ils et

elles doivent payer une part de leurs coûts de dentiste et d’optomé-

trie et, pour l’Angleterre, un forfait pour les médicaments prescrits119.

144

Page 146: Revue étudiante de droit privé

Dans les contributions directes des ménages au système de santé (II), 30%

sont des frais de dentisterie. Il existe 3 types de tarifs pour les soins den-

taires fournis par le NHS : le premier tarif, à 18,50 £, couvre l’examen, le

diagnostic, les conseils et les soins de base comme le détartrage, le tarif

2, à 50,50 £, couvre les traitements du premier tarif ainsi que des trai-

tements supplémentaires tels que les plombages ou l’extraction de dents

et enfin le troisième tarif, à 219 £, couvre tous les traitements des 2 pre-

miers tarifs ainsi que des traitements plus complexes comme les cou-

ronnes, prothèses dentaires et ponts120. En outre une part importante

du secteur de la dentisterie est couverte par le secteur privé, à travers

des assurances de santé privées volontaires ou la participation directe

des patient·e·s121. Selon le rapport annuel de la Healthwatch England122, le

recours au secteur privé, dont les tarifs sont bien plus élevés que ceux

pratiqués par le NHS, s’est accru ces 10 dernières années, en raison de

la difficulté d’obtenir un rendez-vous chez les dentistes du NHS123.

Par ailleurs, l’Angleterre est, depuis 2011, la seule nation du Royaume-Uni

à encore faire payer les patient·e·s pour les médicaments prescrits. L’in-

tervention des patient·e·s dans le coût des médicaments prescrits est for-

faire124. Ce forfait est actuellement de £9.35 par médicament, soit 10,77€.

Il existe également « certificat de prépaiement des prescriptions », un

abonnement forfaitaire de 3 ou 12 mois pour respectivement £30.25 et

£108.10 et qui couvre l’achat de tous les médicaments prescrits par un·e

médecin du NHS. Néanmoins, certaines catégories de patient·e·s sont

exemptées de ces frais et peuvent obtenir tous les médicaments pres-

crits gratuitement : les patient·e·s atteint·e·s de certaines conditions, dont

le diabète ou l’épilepsie, les personnes âgées de 60 ans ou plus, les per-

sonnes de moins de 16 ans, les étudiant·e·s qui ont entre 16 et 18 ans, les

personnes enceintes ou ayant eu un bébé dans les 12 mois précédents,

145

Page 147: Revue étudiante de droit privé

les personnes bénéficiant de l’aide sociale, du chômage ou les personnes

pensionnées ainsi que les personnes de moins de 20 ans à leur charge.

Les patient·e·s ayant un faible revenu peuvent également prétendre à une

aide financière pour payer leurs médicaments de la part du « NHS Low

Income Scheme »125. De plus, les frais de médicaments pour les patient·e·s

atteint·e·s d’un cancer ont été supprimés en 2009 et la contraception

ainsi les médicaments prescrits lors d’un séjour à l’hôpital sont gratuits.

Le sous-financement du NHS (IV) aurait entraîné l’allongement des listes

d’attente pour avoir accès aux soins126: la proportion de patient·e·s atten-

dant une semaine ou plus pour voir un médecin généraliste est passée de

13% en 2012 à 19% en 2016127. Par ailleurs, si les patient·e·s ont le droit,

selon la Constitution du NHS128, d’être traité dans les 18 semaines suivant

la référence du médecin généraliste, dans la pratique, 13% des patient·e·s

présent·e·s sur les listes d’attentes attendent plus de 18 semaines129.

b) Droit à un remboursement des soins en Belgique

L’article 34 de la loi coordonnée de 1994 énumère les soins rembour-

sés par l’assurance obligatoire belge, qui comprend les soins pré-

ventifs et curatifs. Sont remboursés les soins courants tels que les

consultations de médecins, les soins prodigués par les dentistes, kiné-

sithérapeutes, infirmiers ainsi que des prestations plus spécifiques

comme les accouchement, les hospitalisations, les médicaments, etc.

L’assurance ne rembourse cependant pas les soins accomplis dans un but

esthétique, sauf exception130.

Le roi est habilité à établir une nomenclature des prestations de santé131

; une liste énumérant les actes médicaux et paramédicaux remboursés132.

146

Page 148: Revue étudiante de droit privé

Cette nomenclature reprend également la valeur relative de chaque

prestation. La valeur réelle d’une prestation est quant-à-elle déterminée

non pas par l’État, mais, conformément à la médecine libérale dans la-

quelle s’inscrit notre système de santé, dans un accord ou une conven-

tion entre les représentants des prestataires de soin et les mutuelles133.

Cette valeur est déterminée par multiplication de la valeur relative par

coefficient multiplicateur134. Un·e dispensateur·trice de soin peut ce-

pendant ne pas adhérer à l’accord par une manifestation expresse de

sa part135. Il·elle sera donc « déconventionné·e » et pourra appliquer les

honoraires qu’il·elle souhaite. Dans ce cas, il·elle devra le signifier à ses

patient·e·s, à tout le moins par une inscription dans la salle d’attente,

sans quoi le tarif conventionnel doit - en théorie - être de vigueur136.

Le système d’assurance belge ne prend pas en charge la totalité du coût

des soins de santé, son intervention est partielle137. L’intervention de l’as-

surance a lieu a posteriori : l’assuré·e doit avancer le coût de la presta-

tion et l’assurance rembourse une partie de celle-ci138. La part du coût

des soins qui n’est pas remboursée s’enseigne le ticket modérateur. Dans

la plupart des cas, l’assurance santé rembourse 75% des soins de san-

té. Cependant, il existe trois mécanismes qui viennent tempérer le coût

des soins de santé : l’intervention majorée, le maximum à facturer et le

tiers payant. L’intervention majorée est un mécanisme permettant à cer-

tains bénéficiaires, les bénéficiaires de l’intervention majorée, dits les

« BIM », de bénéficier d’une intervention plus élevée que celle prévue139.

Le maximum à facturer plafonne le coût annuel des soins de san-

té pour les ménages, en fonction de leurs niveaux de revenu140. Une

fois ce plafond atteint par un ménage, l’assurance prend en charge

la totalité des dépenses effectuées en matière de soins de santé.

147

Page 149: Revue étudiante de droit privé

Le tiers payant est un mécanisme qui déroge au principe de l’intervention a

posteriori141. Le·la patient·e ne devra donc payer au prestataire de soin que le

ticket modérateur. L’application du tiers payant n’est néanmoins obligatoire

dans certains cas142 comme pour les hospitalisations ou chez les médecins gé-

néralistes. Elle est facultative dans les cas qui ne sont pas énoncés par la loi143.

c) Gratuité (ou presque) versus droit au remboursement des soins

Une différence fondamentale entre le système de soins de santé britan-

nique et le système belge se situe dans la nature des prestations offertes

par la couverture de santé. Dans le système britannique, la majeure par-

tie des soins sont gratuits alors que dans le système belge, le bénéfice de

l’assurance santé n’ouvre qu’un droit au remboursement des soins. Néan-

moins, ces principes doivent être croisés avec, d’une part, la part de plus

en plus importante que prennent les assurances privées dans le système

de soins anglais et, d’autre part, par les trois palliatifs belges que sont l’in-

tervention majorée, le minimum à facturer et le tiers payant. Par ailleurs,

à ces deux données peut être liée l’interrogation formulée ci-dessus sur

le taux de participation des ménages au financement des soins dans les

deux pays, respectivement de 16,7% et 18,2% au Royaume-Uni et en France.

VIII. Conclusion

Ainsi s’achève la présente contribution, qui s’est attelée à décrire le sys-

tème de soins de santé britannique (ou du moins anglais) actuel ain-

si que son évolution, essentielle pour en saisir les contours, ainsi que

d’établir une comparaison avec le système belge de soins de santé.

148

Page 150: Revue étudiante de droit privé

Le système de santé anglais se révèle de prime abord, au vu des nom-

breux changements structurels qu’il a essuyés depuis sa création, être

malaisé à saisir. Il faut cependant selon nous l’aborder au sein d’un

contexte national : le système de sécurité sociale du Royaume-Uni s’in-

sère, comme indiqué ci-dessus, dans un modèle libéral. Les piliers du

National Health Service – l’offre d’une couverture de santé univer-

selle, gratuite et complète - peuvent alors apparaître en dissidence

avec le fonctionnement économique et social de l’État britannique.

D’un point de vue critique, nous estimons néanmoins pouvoir postuler que

le NHS tend depuis une trentaine d’années à s’éloigner de ses principes

fondateurs. En effet, il s’agit en premier lieu de relativiser sa gratuité et

sa complétude, car depuis sa création, la liste des prestations exclues de

cette gratuité, bien qu’elle reste réduite, s’est allongée. De plus, les listes

d’attentes pour accéder à certains soins étant conséquentes, certain·e·s

patient·e·s sont forcé·e·s de solliciter des soins en dehors de la couver-

ture offerte par le NHS. Ensuite, la gestion du NHS, qui se rapproche

de plus en plus du New Public Management, intègre les dynamiques de

marché dans son fonctionnement et semble donc remettre en question

le caractère national du système de santé. La comparaison avec le sys-

tème de soins de santé belge ne semble par ailleurs que confirmer les

doutes formulés dans notre introduction quant à la fidélité du NHS vis-

à-vis de ses principes fondateurs beveridgiens. Car si elle met en lumière

les différences de principe entre un système beverdigien et bismarckien

de sécurité sociale, cette comparaison éclaire également sur les défail-

lances du système britannique, qui devrait pourtant, conformément à

ses principes fondateurs, être plus protecteur que notre système belge.

Ninon Henry

149

Page 151: Revue étudiante de droit privé

1. Selon Nigel Lawson, ancien ministre de l’économie in « The English patient », The Economist,‎ 27 juillet 2000, disponible sur https://www.economist.com/britain/2000/07/27/the-english-patient, consulté le 25 juin 2021.

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RANCE, Report on the National Health Insurance, Londres, 1928, cité par S. SHEARD, op. cit. , p. 430.

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14. S. SHEARD, op. cit., p. 431.15. WILLIAM BEVERIDGE, Social insurance and allied services, Londres, HMSO,

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150

Page 152: Revue étudiante de droit privé

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27. A. KOBER-SMITH, op. cit., p. 72.28. Les General Practitioner Fundholding Pratices ; voy. A. KOBER-SMITH, op.

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titution pérenne en pleine transformation », Chronique internationale de l’IRES, n°91, 2004, p. 80.

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www.nhscc.org/ccgs/, consulté le 14 juillet 2021.50. NHS ENGLAND, « Clinical … », op. cit.51. A. DOZOL et al., « Mission d’étude sur l’expérimentation par le NHS anglais

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cier, 2014, p. 489., p. 289-29368. J.-F. FUNCK et L. MARKEY, ibidem, pp. 489 et 490.69. S. GERKENS et S. MERKUR, op. cit., p. 37. 70. J.-F. FUNCK et L. MARKEY, op. cit., p. 292.71. Loi du 6 août 1990 relative aux mutualités et aux unions de mutualités, M.B.,

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née le 14 juillet 1994, M.B., 27 août 1994, art. 73.73. J.-F. FUNCK et L. MARKEY, op. cit., p. 294.74. Code de déontologie médicale, 2018, disponible sur https://ordomedic.be/

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77. Pour l’année 2018, OCDE, ibidem.78. Pour l’année 2018, OCDE, ibidem.79. Pour l’année 2013. E. HAWE et L. COCKCROFT, « OHE Guide to UK Health

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94. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 191.95. Les cotisations sociales des travailleurs·euses indépendant·e·s sont perçues

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organisme public dont le rôle est d’enquêter sur l’avis des utilisateurs·trices du système de soins de santé et d’aide sociale anglais afin de suggérer des améliorations.

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128. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 34, §2.129. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 35.130. S. HOSTAUX, op. cit., pp. 85 et 86.131. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 44, § 1er.132. S. HOSTAUX, op. cit., p. 86.133. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 49, §3.134. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 50, §3bis.135. J.-F. FUNCK et L. MARKEY, op. cit., p. 295.136. J.-F. FUNCK et L. MARKEY, ibidem.137. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 37, §19.138. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 37 quinquies à 37vicies.139. C. HEYMANS, « Le tiers payant et l’accessibilité financière des soins de

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tembre 2015 portant exécution de l’article 53, §1er de la loi relative à l’assu-rance obligatoire soins de santé et indemnités, coordonnée le 14 juillet 1994, relatif au régime du tiers payant, M.B., 23 septembre 2015.

141. Loi du 14 juillet 1994 précitée, art. 53, §1er, al. 14.

156

Page 158: Revue étudiante de droit privé

Présidence Narjis TemsamaniVice-présidence Imane El Arnouki

Sofia Touhami

Responsable de rédaction en obligations Camelia Akrouh

Responsable de rédaction en droit pénal Mathieu Van Der Meerschen

Responsable de rédaction en droit de la famille Farid Mahsouli

Responsable de rédaction en droit social Sofia Touhami

Communication Jawad Leksir Noamane Latrache

Logistique interne Dirieh Dalier

Conception artistique de la revue Sofia Touhami

Conception du site web Sofia Touhami Illustration Atenais

Rédacteurs et rédactrices de ce numéro Ninon HenryMelis MetinJulie Tassou

Louis de BorggraefLouis Cornet

Justine Dal BôRobin d’Herde

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Remerciements

À Arnaud Picqué pour son aideÀ nos proches pour leur soutien Aux universités pour leurs enseignements précieux

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