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Rhétorique de la non-violence active Une analyse des discours socio-politiques des évêques
de la R. D. Congo
Mémoire
JOSEPH MUNDUVUYIRA KAKULE
Maîtrise en théologie
Maître ès arts (M. A.)
Québec, Canada
© Joseph Munduvuyira Kakule, 2015
iii
Résumé
La quête de la paix hante l’esprit de plus d’un Congolais d’autant plus que le pays est en
proie à des violences de guerre depuis plus d’une dizaine d’années. Pour les uns, la guerre
est un moyen d’accéder au pouvoir, et pour les autres un moyen d’exploiter illégalement les
ressources, voire une aubaine pour balkaniser la RD Congo. En conséquence, elle est
source de tueries, de viols des femmes, d’enrôlements forcés d’enfants dans des milices
pour servir de chair à canon, de pillages, de conflits interethniques, de corruption, de
misère, etc. Bref, elle porte atteinte à la dignité de la personne et détruit le bien commun.
Pourtant, le respect de ces principes moraux garantit la consolidation de la paix. La non-
violence gandhienne inspire les évêques de la CENCO dans leur quête de reconstruire la
paix en RD Congo. Ce faisant, par l’analyse rhétorique du discours socio-politique de ces
évêques, nous tentons de dégager la posture de la non-violence en tant que moyen pour
bâtir un État de droit, un État pacifique.
v
Table des matières
RÉSUMÉ...................................................................................................................................................... III
AVANT-PROPOS ............................................................................................. ERREUR ! SIGNET NON DEFINI.
TABLE DES MATIÈRES .................................................................................................................................. V
INTRODUCTION ........................................................................................................................................... 1
1. UNE SITUATION QUI POSE PROBLÈME ................................................................................................................... 2
2. LA QUESTION SPÉCIFIQUE .................................................................................................................................. 2
3. DÉFINITION DE LA NON-VIOLENCE CHEZ GANDHI .................................................................................................... 3
4. LE CORPUS À LA PORTÉE DE LA COMMUNAUTÉ DES CHERCHEURS ET LA MÉTHODE DE TRAVAIL .......................................... 5
CHAPITRE PREMIER : APPROCHE DE LA NON-VIOLENCE SELON LE MAHATMA MOHANDAS GANDHI .......... 9
1. GANDHI ET LA NON-VIOLENCE .......................................................................................................................... 11
1.1 Mise au point sur la notion de non-violence .................................................................................... 11
1.2 Bref aperçu de la violence ................................................................................................................. 12
1.3 La Non-violence : une lutte contre la violence .................................................................................. 15
1.4 La non-violence en deux volets ......................................................................................................... 18
2. LIEN ENTRE LA NON-VIOLENCE CHEZ GANDHI ET DANS LE CHRISTIANISME .................................................................. 24
2.1 Gandhi et son inspiration chrétienne ................................................................................................ 24
2.2 Bref aperçu sur le Sermon sur la montagne (Mt 5-7) ....................................................................... 26
3. NOTION PRÉLIMINAIRE DE LA DIGNITÉ DE L’HUMAIN ET DU BIEN COMMUN ................................................................ 27
3.1 Dignité de la personne ...................................................................................................................... 27
3.2 Le Bien commun ................................................................................................................................ 31
CONCLUSION PARTIELLE ...................................................................................................................................... 34
CHAPITRE DEUXIÈME : ANALYSE RHÉTORIQUE DES DISCOURS DE LA CENCO ............................................ 37
1. CHOIX DE LA RHÉTORIQUE PERELMANIENNE ........................................................................................................ 39
2. LES ÉVÊQUES FACE À LA RÉSURGENCE DE LA GUERRE À L’EST DE LA RD CONGO .......................................................... 41
2.1 De la persuasion de l’auditoire sur la gravité des crises .................................................................. 41
2.2 Engagement des évêques face à la violence de la guerre ................................................................ 47
2.3 Sources de la guerre et recommandations des évêques .................................................................. 52
3. COMBAT CONTRE LA POLITIQUE DE LA BALKANISATION .......................................................................................... 55
3.1 Définition du néologisme «Balkanisation » ...................................................................................... 55
3.2 Les évêques face à la balkanisation .................................................................................................. 57
4. ENGAGEMENT DES ÉVÊQUES DANS LES PROCESSUS ÉLECTORAUX .............................................................................. 60
4.1 De l’engagement en matière d’éducation civique et électorale ...................................................... 61
4.2 Défis auxquels l’Église fait face ......................................................................................................... 65
CONCLUSION PARTIELLE ...................................................................................................................................... 67
CHAPITRE TROISIÈME : VERS LE RAPPORT ENTRE LA NON-VIOLENCE GANDHIENNE ET CELLE DES ÉVÊQUES?
.................................................................................................................................................................. 71
1. MISE AU POINT SUR LA PAIX ............................................................................................................................. 72
vi
2. RAPPORT ENTRE LE PACIFISME GANDHIEN ET CELUI DES ÉVÊQUES CONGOLAIS ............................................................. 79
2.1 Le pacifisme gandhien ....................................................................................................................... 79
2.2 Le pacifisme des évêques ................................................................................................................... 81
CONCLUSION PARTIELLE ...................................................................................................................................... 93
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................................................ 95
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................................................ 100
ix
Avant-propos
Pour réaliser ce travail, plusieurs personnes m’ont soutenu de près ou de loin. Je me dois de
les remercier pour leur assistance. Mes sincères gratitudes au professeur Guy Jobin, qui, en
dépit de multiples occupations, a accepté de diriger les recherches pour la réalisation de ce
travail. Ses conseils et suggestions m’ont aidé non seulement à mûrir les idées sur
lesquelles s’appuyait le projet, mais aussi grâce à lui, ce dernier parvient à son
aboutissement.
Je salue Mme Monique Lortie et Mr Jean de Dieu Itsieki qui ont donné de leur temps à lire
nos manuscrits et à en corriger le style.
Je remercie également mes frères Assomptionnistes et la communauté chrétienne du
Montmartre (Québec-Canada) qui m’ont accueilli et m’ont donné la possibilité de
poursuivre mes études supérieures.
Un grand merci à mes parents, à mes frères et sœurs qui ne cessent de m’encourager malgré
la distance. Un merci tout particulier à mon papa Ferdinand Bambisa Muhuwo. J’aurais
aimé qu’il voit ce travail, hélas il nous a quittés plus tôt. Paix à son âme.
Je ne peux manquer de saluer le soutien moral que m’ont apporté mes amis et amies.
Introduction
2
1. Une situation qui pose problème
Lorsqu’en 1990, le vent de la Pérestroïka oblige les dictatures africaines à la
démocratisation, le combat pour la justice et la paix en RD Congo1 devient l’affaire de
tous. Force est de constater que ses objectifs sont déviés chaque jour davantage et les
moyens deviennent de plus en plus hypothétiques. En résultent, des phénomènes récurrents
et inquiétants, tels les guerres, la pauvreté, le mépris des droits humains, la violence, les
viols des femmes, les massacres sans merci, les conflits interethniques, les menaces de
balkanisation du territoire, l’exploitation illégale des ressources minières, la corruption et la
destruction de l’environnement.
La divergence des intérêts des élites politiques et du peuple, celles-là se nourrissant au
détriment de celui-ci, creuse un fossé entre la classe dirigeante et la population. La dictature
et le recours aux armes deviennent le moyen de se maintenir au pouvoir. Ainsi assiste-t-on
à l’accentuation des conflits et des violences, ce qui suscite dans l’esprit de plus d’un
Congolais des questions telles que : Est-ce là le destin du Congolais vivant en démocratie?
La « pacification », est-elle essentiellement une ruse de la classe politique pour
instrumentaliser le peuple? La nation (RD Congo) n’est-elle que la chasse-gardée de
certains gouvernants qui jouissent seuls de ses ressources et abandonnent le peuple à la
misère? Quel avenir peut avoir ce pays si chaque citoyen se fait complice de la prédation du
bien commun?
2. La question spécifique
Face aux lamentations et aux souffrances du peuple congolais, les évêques engagent une
lutte non-violente pour tenter de reconstruire la paix et la justice bafouées par l’abus du
pouvoir. C’est sur cet aspect de lutte non-violente que portera notre attention dans ce
travail. La question qui retiendra notre attention peut se formuler ainsi : comment la notion
de non-violence active est-elle présente dans les discours et les déclarations des évêques de
la CENCO2 sur la crise socio-politique congolaise ? À tout le moins, il s’agit de dégager en
tant que telles l’éthique de la non-violence et la posture qu’elle implique chez ceux qui la
1 Dans ce travail, RD Congo ou RDC désigne la République Démocratique du Congo. 2 CENCO est la forme abrégée de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo.
3
cultivent. Ainsi nous considérerons la non-violence non seulement dans l’essence de la
notion, mais également au niveau pragmatique – et plus spécifiquement dans la lutte pour la
reconstruction d’un État de droit; un État où règnent la paix et la justice. Nous
commencerons donc par préciser ce qu’est la non-violence.
3. Définition de la non-violence chez Gandhi
La référence à la non-violence active gandhienne est fondamentale dans ce travail, non
seulement parce qu’elle a inspiré nombre des militants3, mais aussi parce qu’elle inspire
largement les discours des évêques4 et surtout, fournit à ces derniers son langage et son
contenu conceptuel.
Il n’y a pas de définition univoque de la non-violence chez Gandhi, qui l’interprète tantôt
comme force de l’âme, tantôt comme force de la vérité5, laquelle consiste à accepter la
souffrance plutôt que de faire souffrir son adversaire6. Autrement dit, la non-violence est
«l’abstention pure et simple de brutalité physique7 ». Cette conception gandhienne séduit
les Congolais depuis la lutte pour l’indépendance. « En lisant les textes de ce livre8, indique
Philippe de Dorlodot, je me souvenais des déclarations courageuses publiées par l’Alliance
des Bakongo (Abako) dans ses journaux Notre Kongo et Kongo Dieto d’avant 1960,
intimant aux masses "l’ordre de boycotter dans la non-violence absolue et le sacrifice de
soi à l’égard de l’adversaire" ou encore ses affiches : "Dans le calme et la non-violence
3 Notons d’emblée que la doctrine de la non-violence est débattue par biens des penseurs. Nous voulons juste
à titre d’exemple, en nommer deux grands militants. Il s’agit ici de Martin Luther King et de Jean-Marie
Muller. 4 Au cours d’une session de formation sur « l’éducation civique et électorale » organisée par la Conférence
épiscopale nationale du Congo (CENCO) dans le cadre de préparation aux élections en RD Congo, les
évêques écrivaient à propos du combat contre la violence : « comme le dit Gandhi, " les seuls démons de ce
monde sont ceux qui grouillent dans notre cœur, et c’est là que doivent se livrer tous nos
combats".» (CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance. Module d’éducation civique et
électorale, Kinshasa, Éditions du Secrétariat Général de la CENCO, juin 2011, p. 29.) 5 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence, Paris, Seuil (coll. Maîtres spirituels), 1977, p. 137. 6 Ibid., p. 141. 7 Ibid., p. 140. 8 Philippe de Dorlodot fait allusion au livre sur les luttes non-violentes que Gandhi menait et que le groupe
Amos a utilisé pour animer un séminaire de sensibilisation sur la non-violence en RD Congo. Donc ce livre
avait beaucoup inspiré le groupe Amos lors de la rédaction de la lettre qu’il avait adressée au président
Mobutu le 26 mars 1990 intitulée « Doléances du groupe Amos ».
4
nous sourions à la mitraillette" puis chaque semaine sa "profession de foi politique" avec
une page de Gandhi9. »
Dans ce travail, nous adopterons la définition de la non-violence comme force de la vérité
et moyen pour dénoncer, condamner, combattre le mal au sein d’un système politique
comme celui de la RD Congo, enraciné dans la dictature et toujours enclin à l’usage des
forces armées. Cette non-violence s’inspire bien attendu de Gandhi, telle qu’on peut la lire
dans ce qui suit à propos de l’expérience douloureuse imposée par le racisme:
Supporter passivement les injustices dont les Blancs accablaient les Indiens
n’était que lâcheté; il fallait combattre. Par la violence? Il [Gandhi] ne le
pouvait ni ne le voulait : vanité lucidement reconnue d’une lutte trop
inégale, dégoût instinctif devant la brutalité, et plus encore, générosité
foncière d’un être pour lequel rendre le bien pour le mal est seul digne de
l’homme. Il fallait trouver un substitut de la force physique, une force
morale, spirituelle, capable d’établir la justice. La justice était la vérité des
rapports sociaux et politiques, elle exigeait l’authenticité des hommes en
présence, une emprise de la vérité telle que les adversaires, au lieu de
s’entre-déchirer, chercheraient le vrai d’un commun accord et se
reconnaitraient les uns les autres au plan des institutions comme au plan des
relations quotidiennes10.
En fait, la force dont il est question ici, c’est la non-violence qui ne se substitue pas à la
lâcheté, moins encore l’impuissance face à la tyrannie. C’est en d’autres termes la non-
violence constructive qui, somme toute, vise le rétablissement du citoyen dans ses droits
après des années de dictature, comme celle à l’origine de la crise socio-politique en RD
Congo. Ainsi, la non-violence devient une résistance active au mal et à l’injustice11. En ce
sens, la non-violence gandhienne se rapproche d’autant plus étroitement de celle des
Évangiles que l’idéal messianique est d’essence non-violente; ainsi que l’indique Jean-
Marie Muller12. « Certes Gandhi n’était pas chrétien, souligne Jean-Marie Muller, mais il
9 Philippe de DORLODOT, « Marche d’espoir » Kinshasa 16 février 1992. Non-violence pour la démocratie
au Zaïre, Préface de Jean Van Lierde, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 6. 10 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 141. 11 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance…, p. 32. 12 « Gandhi, en effet, nous presse de redécouvrir que l’idéal évangélique est un idéal de non-violence, il nous
force à refaire nos mentalités et à repenser nos engagements dans cette nouvelle perspective. » (Jean-Marie
MULLER, L’Évangile de la non-violence, Paris, Fayard, 1969, p. 13.)
5
admirait Jésus et il voyait dans le Sermon sur la Montagne la charte même de la non-
violence qui inspira toutes ses pensées et gouverna toutes ses actions13. »
Ainsi spécifiée et articulée sur le christianisme, l’éthique de la non-violence nous servira de
grille d’interprétation pour analyser les principes et les propositions d’actions citoyennes
libératrices que recèle le discours sociopolitique de l’épiscopat congolais.
4. Le corpus à la portée de la communauté des chercheurs et la
méthode de travail
Le corpus sur lequel nous nous appuierons sera constitué de l’ensemble des lettres que les
évêques de la RD Congo adressent aux autorités politico-administratives et aux hommes et
femmes de bonne volonté, dans le contexte précis de crise socio-politique congolaise.
Soulignons, en passant qu’en RD Congo, les autorités ecclésiales assument encore
pleinement une mission de « porte-parole du peuple ». On peut le lire dans cette
interpellation de Mgr Malula14 à l’endroit de Mobutu15 en août 1966: « Je voudrais être ici
le porte-parole de ce peuple qui souffre, de ce peuple qui reste pauvre au milieu de tant
d’abondance […]. Nous voulons […] vous dire à vous, gouvernants : sachez que notre
peuple attend de vous un peu de soleil. Notre peuple attend de vous un peu de joie de
vivre16. »
Prononcés et publiés au nom de la CENCO – la Conférence Épiscopale Nationale du
Congo –, les discours des évêques sur lesquels porte spécifiquement ce travail, sont
ponctués par cette lutte non-violente. Par-dessus tout, celle-ci vise la restauration d’un ordre
socio-politique juste et, mieux, la reconstruction d’un État de droit, fondé sur la paix, la
justice, la concorde, etc., ainsi que nous le verrons dans la rhétorique que met en lumière ce
travail. Nous pouvons citer, par exemple, la lettre intitulée : « Levons-nous et bâtissons! »
13 Ibid., p. 13. 14 Monseigneur Joseph Malula était archevêque de Kinshasa à l’époque de cette déclaration. Il deviendra
cardinal le 28 avril 1969. 15 Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Zabanga fut président de la 2e République (1962-1997). 16 Mgr Joseph MALULA cité par Saint MOULIN et GAISE N’GANZI, Église et société. Le discours socio-
politique de l’Église catholique du Congo (1956-1998), tome 1, Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa,
1998, p. 35.
6
(Ne 2,18) pour un Congo nouveau17. Les évêques y rappellent que « tant d’années après
l’accession de notre pays à la souveraineté internationale, […] notre peuple ne mérite guère
de continuer à porter ce lourd fardeau d’incertitude du lendemain, d’insécurité grandissante
et de misère intolérable18 ». Bien plus, les évêques mettent en évidence quelques signes
d’espoir et les situations préoccupantes sur les plans sécuritaire, politique et social.
L’enjeu ? Montrer que le temps est venu où chacun des fils et filles de la RD Congo doit
réaliser qu’il est concerné au premier chef par la question de la reconstruction du pays. Tel
est le combat mené par les évêques. On y reviendra dans d’autres discours.
Il apert donc que le combat mené par les évêques est porteur de sens, non seulement pour la
rééducation des citoyens au bon déroulement des élections19, mais également dans la
dénonciation et la condamnation du mal d’un système politique qui écrase le droit et la
dignité de l’humain. Ce combat vise aussi à persuader les Congolais de s’impliquer dans la
lutte non-violente contre un gouvernement tyrannique. Tel est également l’objectif que les
évêques assignent à leur engagement dans l’éducation civique : « l’Église a pris la mesure
du défi de l’éducation tant spirituelle, morale que civique aux fins de former le nouvel
homme congolais capable de résister face à la dictature d’un gain facile et de l’avoir. Elle
s’engage à poursuivre son programme d’éducation civique axé sur la participation des
citoyens à la gouvernance locale20 ».
Même si, dans leur ensemble, ces lettres ne traitent pas de façon spécifique de la non-
violence, l’analyse montrera que leur enjeu, leur objectif et donc, leur contenu, leur langage
et leur choix des termes construisent une rhétorique de la non-violence. En d’autres termes,
nous considérerons les arguments constitutifs du discours dont l’objet est de persuader et
17 Cette lettre est présentée comme une « déclaration du Comité Permanent des Evêques de la RDC adressée
aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté » 3 mars 2006. Dans cette lettre, les évêques alertent
les congolais de prendre bien conscience du tournant décisif de l’histoire du pays qui bientôt sera marqué par
un changement de régime par voie électorale – précisons-le bien; les premières élections (le 30 juin 2006)
depuis plus de 45 années de dictature –. (Faustin-Jovite MAPWAR BASHUTH, Église et société. Le discours
socio-politique des Évêques de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (CENCO) Tome 2 : Messages,
déclarations et points de presse des évêques de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo (1996-2006) et
la transition politique, Kinshasa, Facultés catholiques de Kinshasa, 2008, p. 149.) 18 Ibid., p. 149. 19 BENOÎT XVI, L’engagement de l’Afrique. Africae munus. Exhortation apostolique sur l’Afrique, Préface
de Monseigneur François Garnier, Paris, Bayard/Fleurus/Mame, 2011, no 23. 20 CENCO, « La justice grandit une nation » (cf. Pr. 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre
la corruption, Kinshasa, Éditions du Secrétariat Général de la CENCO, juillet 2009, no 20.
7
susciter l’adhésion de l’auditoire à l’action pour bâtir la paix. En d’autres termes, l’analyse
rhétorique permettra de voir comment les évêques eux-mêmes militent déjà pour l’avenir de
la paix par la prise de parole. Nous verrons également diverses techniques argumentatives
de discours épiscopaux dont l’objet est l’adhésion de l’auditoire aux thèses qu’on
présente21. Nous nous servirons de deux types d’analyse : l’analyse de contenu et l’analyse
rhétorique.
L’analyse de contenu nous permettra de cerner de près les conditions socio-politiques dans
lesquelles ces discours ont été prononcés. Cette méthode se rapportera principalement à la
dimension sémantique du discours. L’analyse rhétorique, quant à elle, s’attachera à leur
dimension pragmatique étant donné que ces discours ne composent pas un traité de non-
violence mais veulent promouvoir l’action de la non-violence. En d’autres termes, le
locuteur – en l’occurrence, les évêques – vise à orienter l’action vers l’avenir22 tel qu’on
vient de le voir dans le discours cité plus haut. Ceci dit, nous inscrirons surtout nos analyses
dans deux genres de la rhétorique : le genre délibératif et le genre épidictique.
Certes, la lutte que mènent les évêques s’étend sur une longue période. Mais dans le cadre
de ce travail, nous nous penchons sur les années 2006 à 2012. Ce choix est dû au fait que
cette période comprend trois grands évènements dans l’histoire de la RD Congo. En 2006,
s’organisent les premières élections démocratiques portant Joseph Kabila au pouvoir. En
2011, se déroulent les deuxièmes élections démocratiques, très contestées, mais par
lesquelles le même Joseph Kabila conserve le pouvoir. L’année 2012 a été marquée par la
montée de la crise dite de « balkanisation ». Il importe aussi de souligner qu’en cette
période se produit une abondante littérature de dénonciation et de combat, qui condamne la
mauvaise gouvernance du pays, sensibilise le peuple à la vigilance et appelle à la prise de
conscience en vue de la bonne gouvernance. Par ailleurs, il sied de préciser que l’analyse
déployée dans notre travail ne porte pas explicitement sur la justice ni la paix. Nous nous
intéressons plutôt à la non-violence comme moyen pour reconstruire la paix et la justice en
RD Congo.
21 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation. Nouvelle rhétorique,
Préface de Michel Meyer, 5e Édition, Bruxelles, Université de Bruxelles, 1992, p. 59. 22 Guy JOBIN, « Vatican II, le style et la rhétorique », dans Vatican II comme style. L’herméneutique
théologique du Concile, sous la direction de Joseph FAMERÉE, Paris, Cerf, 2012, p. 24.
8
Trois points constituent l’ossature de ce travail. Dans le premier chapitre, nous tâchons de
définir la non-violence selon Gandhi, d’en dégager le rapprochement avec le discours
chrétien et d’en repérer les influences dans certains discours et déclarations de la CENCO.
Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse de contenu et à l’analyse rhétorique de ces
discours afin d’en dégager la posture de la non-violence. Enfin, le troisième chapitre trace
un aperçu général de la paix. Il tente d’établir le rapport entre le pacifisme gandhien et celui
des évêques.
9
Chapitre premier : Approche de la non-violence
selon le Mahatma Mohandas Gandhi
10
Dans ce chapitre, nous tentons de définir la non-violence telle que l’entend Mohandas
Karamchand Gandhi, c’est-à-dire comme « la force de l’âme » mieux « la force de la
Vérité», ainsi que nous l’avons indiqué plus haut. Nous focaliserons davantage sur cette
dernière approche qui dérive du satyagraha.
En parlant de la non-violence, nous aurons en vue « une manière spécifique d’agir [plutôt
qu’] une argumentation contre la violence23 », car notre question de recherche consiste à
repérer les arguments attestant la permanence de lutte non-violente dans le mode d’action
des évêques de la RD Congo. La non-violence active dont il est question tout au long de
cette investigation est à situer dans une perspective de lutte : lutte par une prise de parole
épiscopale contre des situations de crises politiques génératrices de violences débordantes,
mais aussi lutte contre les injustices qui portent atteinte à la dignité et bafouent les droits du
Congolais.
Mais, pour mieux déployer cette analyse, il convient d’examiner au préalable la « force de
vérité » qui anime les évêques et les amène à dénoncer, condamner la violence24, voire à
proposer des voies alternatives pour sortir le pays de la crise sans recours à des moyens
violents dans l’action publique25. En définissant la non-violence de cette façon, nous
relèverons le rapport étroit qu’un Gandhi, par exemple, établit entre la non-violence en tant
23 À en croire Christian Mellon, la « notion de non-violence renvoie davantage à une manière spécifique
d’agir qu’à une argumentation contre la violence. » (Christian MELLON et Jacques SEMELIN, La non-
violence, Paris, PUF (coll. « Que sais-je? »), 1994, p. 3.) 24 Nous entendons par « force de vérité » le courage, la véhémence des évêques à travers leur prise de parole
pour dénoncer, condamner ouvertement des exactions perpétrées par l’autorité de l’État sur le peuple
congolais considéré ici comme un « sans voix » au nom de la vérité. Nous voulons donc signifier ici le
courage de dire la vérité aux dirigeants politico-administratifs lorsque ces derniers faillissent à leur
engagement. Par exemple dans la lettre intitulée Encore le sang des innocents en RD Congo! (cf. Jr 19,4), les
évêques écrivaient que « [la] CENCO condamne avec véhémence [la] manière ignoble de considérer la guerre
comme un moyen pour résoudre des problèmes ou assouvir des ambitions inavouées. Elle dénonce tous les
crimes commis sur des paisibles citoyens et condamne […] le recrutement des enfants aux fins de les
impliquer de force dans les hostilités. » (« Encore le sang des innocents en RD Congo! (cf. Jr 19,4) no 2 »,
dans CENCO, Appel à l’engagement pour la paix dans la vérité. Déclarations et Message des évêques de la
CENCO sur la guerre dans l’est et dans le Nord-Est de la RD Congo, Kinshasa, Éditions du Secrétariat
Général de la CENCO, 2009, p. 7.) 25 « Nous invitons nos fidèles catholiques et le peuple congolais dans son ensemble à la non-violence car la
violence appelle la violence. Elle engendre la destruction et la misère. En ce sens, nous demandons à nos
compatriotes vivant à l’étranger, avec qui nous partageons le souci pour un Congo nouveau, et dont nous
reconnaissons les sacrifices qu’ils endurent pour venir en aide à ceux qui sont au pays, de ne pas recourir à la
violence et de trouver les voies pacifiques pour apporter leur contribution à la construction d’un Congo
réellement démocratique. À l’exemple de notre divin Maître, nous devons répondre à la violence par l’amour
(cf. Mt 5, 43-44). » (CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité
(cf. 2 Co 7,14), no 12.)
11
que force de l’âme, mieux force de l’amour, et beaucoup plus force de vérité; et la non-
violence dans le christianisme. La non-violence ainsi comprise vise à sauvegarder des
valeurs inaliénables telles que le bien commun26, les droits de la personne, la dignité
humaine, etc. Pour ce faire, nous insérerons quelques détails notionnels de la dignité
humaine et du bien commun. Notre réflexion sera axée sur les contenus de la doctrine de la
non-violence gandhienne. Il ne s’agit pas de présenter ici toute la doctrine de la non-
violence, rappelons-le. De ces contenus, nous dégagerons la structure des notions clés de la
lutte non violente qui reviennent comme des arguments27 dans les discours des évêques
congolais. Ainsi, ce premier chapitre portera sur trois points : 1. tentative de définition de la
non-violence chez Gandhi, 2. vers le rapport de la non-violence gandhienne et le
christianisme, 3. notions préliminaires de quelques principes de la Doctrine sociale de
l’Église – entre autres la dignité de la personne et le bien commun.
1. Gandhi et la non-violence
La non-violence est une notion fondamentale chez Gandhi, qui en a fait un moyen efficace
de lutte contre l’injustice. Sur le plan politique, Gandhi précise que la lutte non violente
menée en faveur de la population consiste essentiellement à s’opposer à l’erreur des lois
injustes28. Elle évite d’infliger de la souffrance à l’adversaire. Pour comprendre la
particularité de cette conception gandhienne, il importe sans doute de définir la notion de
non-violence en tant que telle.
1.1 Mise au point sur la notion de non-violence
La non-violence est une notion complexe. Nous ne prétendons pas en faire une analyse
descriptive. Dans le Dictionnaire d’éthique et de philosophie, Giuliano Pontara précise de
prime abord que la non-violence est « essentiellement définie par rapport au terme
26 En parlant du bien commun, nous voyons ici l’idéal qui anime tout pouvoir en quête de démocratie, c’est-à-
dire comme le notait Vatican II : l’« ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à
chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée, […] [Le bien
commun] recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain. » (Concile Vatican II,
Constitution dogmatique Gaudium et spes no 26, §1.) C’est selon Jean XXIII, le « devoir qui incombe à tous
de servir avec empressement les intérêts communs. » (« Pacem in terris », dans L’Église et la question
sociale. De Léon XIII à Jean-Paul II, Québec, Éditions Fides, 1991, no 47.) 27 Par arguments nous attendons ici l’analyse de la question « comment les évêques parlent » au sens
rhétorique du terme (et non de style langagier) dans leur engagement décisif dans la lutte non-violente. 28 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente, Paris, Buchet/Chastel, 2007, p. 22.
12
"violence"29. » Étymologiquement, donc, elle se définit d’abord comme un contraire et une
résistance à la violence, puis comme méthode de lutte contre la violence. Autant dire que
c’est la « négation de », mieux l’« opposition à », bien plus le « refus de » la violence30.
Avant de devenir la méthode de lutte sans recours à la force tant physique qu’armée, la
non-violence est donc un état d’esprit, une prise de position éthique et philosophique. Cette
posture se comprend mieux au regard de ce à quoi elle s’oppose : la violence. D’où la
pertinente question : qu’est-ce que la violence?
1.2 Bref aperçu de la violence
La violence peut être définie et vécue, non seulement à plusieurs niveaux mais aussi en des
contextes différents. Le Dictionnaire critique de théologie en énumère certains. La violence
touchant l’intégrité physique : c’est l’agression physique de l’individu (meurtre, viol); la
violence dans le langage31 : celle consistant, par exemple de proférer des menaces verbales,
la diffamation, la médisance32. La violence, c’est aussi des « actes sans réalité physique
produisant un tort psychologique et spirituel; [la violence peut être] sociale (esclavage,
racisme, sexisme); [elle peut également être entendue au sens de] génocide; […] tout usage
d’instruments de destruction de masse33 », etc. Thomas Breidenthal est persuadé que
«[s]ous tous ces sens en tout cas, c’est une même négation de l’homme par l’homme qui se
dit, au sein d’un réel qui n’a plus que la dureté comme qualité34. » Étant donné les multiples
visages de la violence, on peut dire comme Gandhi, que l’on est entouré de la violence.
D’après lui, « les relations humaines, toute société, tout État comportent inexorablement
une part de violence impossible à éliminer, quels que soient nos efforts35. » Il ne s’agit pas
là de notre sujet comme tel mais, cette précision est essentielle pour comprendre son
opposé, la non-violence. Ainsi, la description que nous faisons de la violence éclairera le
bien-fondé de la lutte non-violente que mènent notamment les évêques du Congo.
29 Giuliano PONTARA, « Non-violence », dans Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique
et de philosophie, vol 2, Paris, Quadrige/PUF, 2004, p. 1350. 30 [s.a.], Non-violence : éthique et politique…, p.9. 31 On peut parler de la violence dans le langage quand, lors d’une discussion l’usage du langage se transforme
en une profération de menaces à l’endroit de l’interlocuteur ou quand l’on veut contraindre celui-ci à
l’adhésion sans tenir compte de ses opinions. 32CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 26. 33 Thomas BREIDENTAL, « Violence », dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire critique de
théologie, Paris, PUF, 1998, p. 1232, col. 1. 34 Idem.
35 Mahãtmã GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 140.
13
La violence a toujours eu des conséquences funestes dans l’histoire des nations en général,
et de la RD Congo en particulier. On peut citer les guerres incessantes, les viols des
femmes, les structures et systèmes socio-politiques injustes, les mépris des droits et de la
dignité de la personne, etc. Ainsi que l’explique un des modules d’éducation civique et
électorale élaborés par la CENCO, la RD Congo est la scène de toutes ces violences :
l’approche des élections nous impose un devoir de mémoire. Nous [évêques
et l’ensemble du peuple congolais à qui incombe le devoir d’élire leurs
dirigeants] portons dans la chair de notre histoire récente un lourd tribut
payé à la violence et nous ne pouvons oublier de sitôt ni les 6 millions de
morts, victimes de la guerre, ni les violations massives des droits des
Congolais et Congolaises! Nous ne pouvons oublier ni les centaines des
milliers de femmes violées, ni les populations déplacées, ni les enfants
arrachés à l’affection de leurs parents pour servir de chair à canon, etc. Nous
ne pouvons oublier ni les morts du processus électoral de 2006 ni les
violences post-électorales36!
Même s’il n’est pas exhaustif, l’inventaire de la violence et des effets de la violence que
dresse cette citation montre clairement que la violence est « une atteinte à la vie ou à
l’intégrité physique, morale ou psychologique d’un individu, dès lors qu’une responsabilité
humaine y est engagée37. » Par conséquent, la violence tue non seulement l’humain ou les
êtres vivants, mais également elle lèse la dignité et la vérité38.
Bien plus, dans ce discours des évêques, l’état de la situation revêt un caractère persuasif
sur la gravité de la violence à laquelle est confronté le peuple congolais. En usant du
«nous», de « notre » dans cet extrait, non seulement, le locuteur souligne la communion des
esprits autour de mêmes valeurs entre le locuteur et l’allocutaire, mais également il « se
présente comme le défenseur, non seulement du peuple opprimé, mais des intérêts
communs à tous les êtres humains victimes de la violence et de la guerre […]. Il est aussi et
surtout celui qui défend les intérêts39 » des peuples. Donc, non seulement le locuteur –
c’est-à-dire la commission des évêques de la RD Congo – témoigne ainsi de son
36 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance…, p. 29. 37 [s. a.], Non-violence : éthique et politique…, p. 10. 38 Paul BEAUCHAMP, « Violence. Théologie biblique », dans Jean.-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire
critique de théologie, Paris, Presse Universitaire de France, 1998, p. 1230. Col. II. 39 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction.
Comment peut-on agir sur un public en orientant ses façons de voir, de penser?, Paris, Nathan, 2000, p. 76.
14
ressentiment vis-à-vis de la violence perpétrée sur la nation congolaise, mais il convie
également celle-ci à la mémoire du drame causé par la même violence. En ce sens, l’on
peut se convaincre, surtout du point de vue de la morale, que la violence est une négation
de l’homme par l’homme40. Ainsi souligné, l’appel à la mémoire vise à convaincre de la
gravité des affres de la violence afin que l’on adhère à la position du locuteur, qui est ici de
voir comment se libérer de la violence. C’est ce qui transparaît un peu plus loin dans le
même discours en ces termes : « un regard lucide sur notre histoire nous oblige à dire à
l’unissons : "Plus jamais ça"41! ».
Néanmoins, on constate que, pour la plupart des idéologies dominantes, la violence serait
inhérente à l’action politique42. Les sciences politiques soutiennent cette acception en
définissant l’État comme le groupement politique qui, dans une société, possède le
monopole de la violence physique43. Tel est le cas des régimes dictatoriaux, despotiques,
tyranniques qui ont prévalu dans l’histoire de la politique. Au XXe siècle, on peut citer
entre autres les régimes de Hitler, de Staline, de Kadhafi et, en RD Congo, de Mobutu Sese
Seko qui est resté pendant 32 ans (1965-1997) au pouvoir. À terme, la violence génère des
lois injustes auxquelles le peuple est le plus souvent contraint d’obéir.
En démocratie, par contre, le but premier de la politique est de vivre en paix et donc de
lutter, s’il le faut, contre la violence. Ce qui veut dire que la violence doit être extirpée de la
loi44. Dans la même logique, Suzanne Lassier; commentatrice de Gandhi, cite celui-ci en
indiquant que « la violence étant inhérente à l’État et à ses systèmes de contrainte, les
réformes institutionnelles ne servent à rien; ce sont les hommes qu’il faut réformer pour
assurer, vierge de toute violence, la cohésion de la société, l’entente mutuelle, par le lien
40 Thomas BREIDENTHAL, « Violence. Théologie morale », dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire
critique de théologie…, p. 1505, col. II. 41 CENCO, Élections et questions majeures de gouvernance..., p. 29. 42 [s. a.], Non violence : éthique et politique…, p. 22. 43 En reprenant l’argument de Trotski selon lequel « tout État se fonde sur la violence », Max WEBER
soutient que la violence est vraiment indispensable dans les structures sociales de l’État. À défaut, le concept
de l’État n’existerait pas. En revanche, l’État se substituerait en « anarchie ». Ceci dit, la violence s’avère être
un des moyens normaux de l’État. Mieux; son moyen spécifique. Par conséquent, la violence et l’État sont
intimement liés. (Max WEBER, Le savant et le politique. Une nouvelle traduction. La profession et la
vocation de savant. La profession et la vocation de politique, Paris, La Découverte, 2003, p. 118). 44 [s.a.], Non violence : éthique et politique…, p. 22.
15
moral, intérieur de l’amour45. » Dans cette visée du vivre ensemble s’inscrit aussi la non-
violence gandhienne au sens de satyagraha – la vérité des êtres dans leur dignité, qui prône
le respect et consiste en l’amour désintéressé. Pour pressentir la vérité, il faut donc devenir
capable de ce respect et de cet amour. Il faut vaincre en soi la volonté de possession qui
transforme l’autre en objet, et la peur, vite tournée en haine; qui le transforme en bouc
émissaire46. L’amour est, pour ce faire, fondamental aux yeux de Gandhi.
Ce détour par son contraire permet de définir la non-violence comme un combat sans armes
mené contre la violence au sein de la société.
1.3 La non-violence : une lutte contre la violence
Dans cette logique de lutte, Giuliano Pontara distingue avant tout deux acceptions de la
non-violence : d’une part, elle est une méthode de lutte ou une stratégie contre les conflits;
d’autre part, elle constitue une doctrine éthique et politique qui s’identifie essentiellement
avec le gandhisme47. Le premier cas met en évidence les moyens non-violents pour arrêter
la guerre ou les conflits. On peut citer, entre autres moyens, le pacifisme48. La non-violence
en tant que méthode de lutte ne se confond pas avec le pacifisme : elle ne s’identifie à
aucune des trois formes de pacifisme, relevées par Pontara : le pacifisme éthique, le
pacifisme juridique et le pacifisme économique. Elle reste quand même compatible avec
chacune d’elles49 en ce sens que le pacifisme au tant que la non-violence visent la
restauration de la paix, le respect de la dignité et les droits de la personne.
45 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 33. 46 Mahãtmã GANDHI, Ma non-violence, Paris, Stock, 1973, p. 7. 47 Giuliano PONTARA, « Non-violence », dans Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale…, p. 1350,
col. 1. 48 Giuliano Pontara distingue trois types de pacifisme : le pacifisme éthique – entendu comme « la position
qui rejette la guerre pour des raisons morales » –, le pacifisme juridique – c’est celle qui prône comme « seule
façon de garantir une paix stable et durable [l’instauration d’] un ordre juridique international dans le cadre
duquel le pouvoir des États individuels se voit limité par une autorité supérieure pouvant mettre fin aux
conflits entre ces États. » On peut citer à titre d’exemple la création de l’ONU, le pacifisme économique :
dans ce cas, la cause principale de la guerre est à rechercher dans la forme de production capitaliste qui
conduit nécessairement au colonialisme, à l’impérialisme et à la conquête de marchés de plus en plus vaste.
De cette façon, l’auteur en vient à conclure que le remède pour une paix stable et durable n’est possible que si
l’on en vient à abolir le système de production capitaliste et instaurer une économie planifiée à l’échelle
mondiale. (Ibid., p. 1350.) 49 Ibid., p. 1350.
16
La seconde acception, celle de Gandhi, distingue la non-violence – le satyagraha – des
autres formes de lutte non violente sans bien-entendu les réfuter : la résistance passive, la
désobéissance civile50, la non-coopération51, etc. Nous y reviendrons dans le troisième
chapitre. Dans cette acception, la non-violence fait référence à une énergie, mieux, une
force qui incite à l’action subtile contre le mal, contre l’injustice. C’est donc la force de
vérité. Les principes les plus simples de la vérité, écrit Gandhi, sont : l’adhérence à la vérité
et la défense intégrale de cette vérité52. Ceci pose effectivement la question de savoir ce
qu’est la vérité!
Sans prétendre répondre exhaustivement à cette question, Gandhi soutient que la vérité est
ce à quoi tout homme aspire comme un bien. Elle est, dans sa considération la plus
profonde, Dieu53. Gandhi le précise mieux en indiquant que la vérité, « c’est ce que nous dit
la voix intérieure », tout en reconnaissant que la question de la vérité est toujours très
controversée54. On retiendra que, selon Gandhi, « [l]a Vérité est donc la source et le
fondement de tout ce qui est bon et grand […]. Tout véritable progrès est impossible sans
une poursuite acharnée de la vérité55. » La recherche de la vérité a hanté l’esprit de Gandhi
dans sa lutte contre la domination anglaise. Le seul et inéluctable moyen pour y parvenir,
écrit-il, ce fut l’amour, c’est-à-dire la non-violence56.
En effet, le contexte dans lequel Gandhi a émis ces principes est celui du racisme sans nom
dont les Indiens étaient victimes, tant en Afrique du Sud qu’en Inde, ainsi que l’avons-nous
déjà indiqué. Pour lui, face à l’énigme de vouloir sortir de la violence, seule la force de la
50 À en croire Gandhi, la « désobéissance civile » se manifeste par « une résistance de masse, sur une base non
violente, contre le gouvernement, lorsque les négociations et les méthodes constitutionnelles ont échoué. » Il
sied toutefois de préciser que c’est cette forme de lutte non violente qui a fait connaitre Gandhi à travers le
monde. (Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 9). 51 La non-coopération dont il est question ici n’est pas synonyme du refus de coopérer avec l’adversaire,
c’est-à-dire l’auteur des mauvaises actions. Elle refuse plutôt de coopérer avec les actes mauvais eux-mêmes.
Autrement dit, « le satyagrahi [le non-violent] coopère avec celui qui a pu mal agir dans le cadre de ce qui est
bon, car il ne le hait pas. Au contraire, il n’éprouve pour lui que de l’amitié. En coopérant avec lui dans le
cadre de ce qui n’est pas mauvais, le satyagrahi l’amène à renoncer au mal. » (Ibid., p. 9.) 52 Mahãtmã GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 143. 53 En soutenant que vérité et non-violence sont synonymes de Dieu, Gandhi déduit également que la « Vérité
est Dieu ». (Ibid., p. 145). 54 GANDHI cité par Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 80. 55 Ibid., p. 82. 56 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 146.
17
vérité était envisageable57. Autrement dit, il fallait avoir la hardiesse de dénoncer le mal, de
dénoncer l’injustice par la parole. Les divers discours des évêques dont nous traitons dans
ce travail empruntent la même voie.
En faisant leur l’appel du Pape Benoît XVI stipulant qu’« [à] cause du Christ et par fidélité
à sa leçon de vie, notre Église [l’Église catholique] se sent poussée à être présente là où
l’humanité connaît la souffrance et à se faire l’écho du cri silencieux des innocents
persécutés, ou des peuples dont des gouvernements hypothèquent le présent et l’avenir au
nom d’intérêts personnels58 », les évêques de la RD Congo, déçus de la façon dont les
élections du 28 novembre 2011 s’étaient déroulées59, avaient écrit : « Nous ne nous
lasserons pas de dénoncer tout ce qui met en péril l’édification d’un État démocratique.
L’on ne construit pas un État de droit dans une culture de tricherie, de mensonge et de
terreur, de militarisation et d’atteinte flagrante à la liberté d’expression60 ». Les évêques
font ici preuve de détermination au service de la vérité. Ils vont même jusqu’à sous-titrer ce
discours « Le courage de la vérité (cf. 2 Co 7,14) ». D’ailleurs, la portée théologique de
cette considération serait que la vérité – qui est Dieu chez Gandhi, et Jésus Christ chez les
chrétiens – est chez les humains une force libératrice. Elle est, au demeurant, le chemin sur
lequel on doit marcher ; c’est après tout le gage des actions de tout humain en quête d’un
ordre social juste et pacifique.
Par ailleurs, en précisant que la non-violence n’est pas une violence moindre, Gandhi fait
une mise en garde contre la tentative de réduction de la non-violence à l’impuissance ou à
la lâcheté. Pour Gandhi, c’est l’arme des forts entre les forts61. Ce genre de discours laisse
57 Ibid., p. 141. 58 BENOIT XVI, Exhortation apostolique post-synodale Africae munus, no 30, Cité par CENCO, Le peuple
congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité (cf. 2 Co 7,14), no 7. 59 Il sied de préciser que les élections du 28 novembre 2011 ont créé un tollé à tel point qu’elles ont été
contestées de plusieurs Congolais affirmant qu’elles étaient, non seulement entachées des irrégularités, des
fraudes, mais également des violences. Dans la même lettre, les évêques le précisent en ces termes :
«Aujourd’hui, il ressort du rapport final de la mission d’observation électorale de la CENCO et des
témoignages recueillis de divers diocèses et d’autres sources que le processus électoral s’est déroulé, à
beaucoup d’endroits, dans un climat chaotique. L’on a noté plusieurs défaillances, des cas de tricheries
avérées et vraisemblablement planifiées, de nombreux incidents malheureux entrainant mort d’homme, des
cafouillages, et, à certains endroits, un climat de terreur entretenu et exploité à dessein pour bourrer les
urnes». (CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix…, no 5). 60 Ibid., no 8. 61 Mahãtmã GANDHI, Ma non-violence.., p. 7.
18
entendre le type de conception de la non-violence dont les auditeurs de Gandhi étaient
familiers. C’est effectivement la non-violence passive.
Non seulement Gandhi fait l’éloge de la non-violence active en soulignant la force qui lui
est inhérente, mais il cherche également à persuader ses auditeurs et ses lecteurs de s’en
servir dans leurs actions. Au demeurant, la non-violence est toujours active dans son action
contre la violence. Gandhi précise d’ailleurs que « [l]a non-violence, sous sa forme active,
consiste par conséquent en une bienveillance envers tout ce qui existe. C’est l’Amour
pur62.» D’où l’idée de la non-violence comme force de l’amour, force de l’âme, force de
vérité, en un mot le satyagraha.
Dans la même perspective, la vérité se rapporte, par extension même, à l’âme ou à l’esprit.
«Par conséquent, écrit Gandhi, on […] appelle [vérité] la force de l’âme63 ». Autrement dit,
« [la] signification fondamentale [du satyagraha] est l’adhérence à la vérité, par
conséquent : la force de la vérité. Je [Gandhi] l’ai également appelé force de l’amour ou
force de l’âme64. » Ainsi, amour, vérité et non-violence deviennent des synonymes. Là, se
tisse aussi le lien fondamental avec le christianisme. Nous y reviendrons.
Somme toute, le terme non-violence couvre une diversité de sens, non seulement dans
l’univers des militants de la non-violence en général, mais aussi chez Gandhi en particulier.
Nous ne prétendrons pas les décortiquer ici. Toutefois, il importe d’indiquer que la non-
violence, telle que pratiquée par Gandhi, comprend deux volets qu’il faudra exposer
brièvement.
1.4 La non-violence en deux volets
Nous l’avons souligné, Gandhi est un militant convaincu de la lutte non-violente. Il
convient maintenant de préciser qu’il a mené cette lutte en deux volets qui, selon lui, sont
complémentaires. Il s’agit de la non-violence constructive – éducation, formation de
l’individu et des masses – et de la non-violence agressive – combat économique et
62 Ibid., p. 48. 63 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 17. 64 Ibid., p. 21.
19
politique. À en croire Gandhi, la non-violence constructive est à la non-violence politique
ce que la préparation militaire est à la guerre65.
1.4.1 La non-violence constructive
La non-violence constructive a une visée non seulement spirituelle mais aussi éthique, dans
la mesure où l’ordre social que vise la politique évite de soumettre l’histoire à la fatalité de
la violence. C’est pourquoi, « la stratégie de l’action non-violente vise à réconcilier
l’"éthique de conviction" et l’"éthique de responsabilité" en recherchant l’efficacité
politique par d’autres moyens que ceux de la violence (meurtrière ou non)66 ». Tout le
monde se voit donc appelé à collaborer à l’harmonisation des relations entre les personnes.
Pour ce faire, la non-violence constructive met en évidence la sensibilisation des masses par
Gandhi à travers des articles67 de sa plume sur la situation socio-politique des Indiens. Le
but est de persuader les gens à adhérer à la lutte pour le changement tel que Gandhi le
pressentait lui-même. Suzanne Lassier le précise et indique que ce que voulait Gandhi était
de faire lever une nation de saints68.
En effet, dans cette action de lutte, Gandhi prend comme cheval de bataille sa posture
religieuse dont la fin est l’union avec Dieu. Jean Herbert l’indique mieux en reprenant ce
qu’il a retenu de Gandhi :
On peut dire que dans toute la vie de Gandhi les deux principes directeurs
essentiels ont été la recherche de la Vérité et l’exercice de la non-violence
(ahimsâ) et que tout le reste en a découlé. « L’ahimsâ et la Vérité sont mes
deux poumons; je ne peux pas vivre sans elles. » « Je ne sacrifierai ni la
vérité ni l’ahimsâ, même pour sauver mon pays ou ma région.» « Je veux
65 GANDHI cité par S. LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 152. 66 [s.a.], Non violence : éthique et politique…, p. 21. 67 Suzanne Lassier énumère quelques articles dont les Lettres à l’âshram, La loi d’amour, l’Épée du sacrifice
de soi, etc. (Suzanne LASSIER Gandhi et la non-violence..., p. 152). 68GANDHI, cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence…, p. 152. Gandhi le dit autrement dans
son autobiographie : « Ce que je voudrais mener à bien – ce que j’ai tenté laborieusement, langui de mener à
bien, ces trente années – c’est d’atteindre à l’accomplissement de soi, de voir Dieu face à face, de parvenir au
Moksha [ce mot dérive de moksa qui veut dire « délivrance », note (1) dans le même livre]. Je ne vis, je ne me
meus, je n’ai d’être que dans la poursuite de cette fin. Tout ce que j’accomplis par le moyen de la parole ou de
l’écrit, comme toutes mes aventures dans le domaine de la politique, tend vers cette même fin. » (Mahãtmã
GANDHI, Autobiographie ou mes expériences de vérité, Trad. de l’anglais par G. Belmont, Paris, PUF, 2012,
p. 2.)
20
voir Dieu face à face. Je sais que Dieu est Vérité. Pour moi, le seul moyen
certain de connaître Dieu est la non-violence (ahimsâ), l’amour »69.
De cette façon, Gandhi incarne des vertus telles que l’amour, la vérité, le courage, la non-
violence, l’absence de peur, etc. Mais, dans son mode d’action, il laisse à ses lecteurs,
mieux à son auditoire, l’initiative d’engagement. On peut donc en déduire que Gandhi
vante ces valeurs qu’il considère inébranlables pour un ordre social juste. Chaïm Perelman
le clarifie autrement en indiquant que « les valeurs dont on fait l’éloge [doivent être] jugées
dignes de guider [nos actions] car, comme le dit spirituellement Isocrate, "à quoi bon écrire
des discours dont le plus grand avantage ne saurait être que de ne pouvoir persuader aucun
des auditeurs70?". »
La vérité, le courage, la non-violence, etc. s’avèrent donc des principes moraux pour
l’édification de l’ordre social. Aussi, Gandhi conseillera-t-il d’en faire matière à éducation
et à formation de l’individu et des masses71. Dans cette considération, d’après Perelman,
Gandhi est lui-même éducateur de l’auditoire dont il se fait le porte-parole, et par sa propre
autorité (l’ethos) et par son sens de défendre non plus son propre point de vue, mais celui
de tout l’auditoire72. Cette éducation se réalise surtout dans la rédaction d’articles et de
lettres adressés aux militants de la non-violence. Ceci rejoint la méthodologie de la lutte
menée par les évêques de la RD Congo à travers des discours et des lettres dont certaines
constituent notre corpus. L’objectif est parfois la sensibilisation à l’éducation civique de la
nation congolaise73.
L’idéal dans cette sensibilisation est donc d’aiguiser le sens de chaque patriote à l’intérêt du
bien commun autour duquel se définit la raison d’être de l’autorité politique74. Tel est l’un
69 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 79. 70 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 69. 71 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 152. 72 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTEC, Traité de l’argumentation. Nouvelle rhétorique…,
p. 69. 73 Au Synode des évêques africains sur « L’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et
de la paix » tenu à Rome du 04 au 25 octobre 2009, les évêques africains indiquaient que « grâce aux
Commissions Justice et Paix, L’Église s’est engagée dans la formation civique des citoyens et dans
l’accompagnement du processus électoral en différents pays. Elle contribue ainsi à l’éducation des
populations et à l’éveil de leur conscience et de leur responsabilité civiques. » (BENOÎT XVI, L’engagement
de l’Afrique. Africae munus..., no 23.) 74 [s.a.], Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, Città del Vaticano, Libreria editrice vaticana (coll.
Conseil pontifical « Justice et Paix »), 2004, no 168.
21
des principes-clés de la Doctrine sociale de l’Église75. On dirait même que les évêques
visent une éducation civique dont la toile de fond est la transformation de la nation
congolaise en un peuple vraiment démocratique. La lettre intitulée : La justice grandit une
nation (cf. Pr 14,34). La restauration de la Nation par la lutte contre la corruption est
significative de l’objectif d’éducation civique de la nation. Nous y reviendrons dans le
deuxième chapitre.
La non-violence constructive dont le regard est le combat spirituel intense au sens
gandhien, est affaire d’entraînement patient et énergique ; elle ne peut se pratiquer que dans
l’action sociale76. Suzanne Lassier, commentatrice de Gandhi, cite entre autres actions :
s’engager auprès de plus pauvres, partager la souffrance de ceux-ci, leurs humiliations, se
faire leur serviteur, travailler avec eux77, etc. Le souhait le plus cher de Gandhi, écrit-il,
«était de servir les pauvres. Or j’ai toujours été amené à vivre parmi eux au point de
m’identifier à leur cause78. » Un esprit similaire de compassion se dégage des déclarations
de la CENCO face à la reprise des hostilités à l’Est de la RD Congo en 2009. Par exemple,
dans la lettre intitulée Encore le sang des innocents en RD Congo!, les évêques expriment
leur profonde indignation du fait que les hostilités sèment de nouveau79 la désolation et le
deuil dans le pays. Les conséquences de ces hostilités – « des milliers de morts, des
populations condamnées à l’errance dans des conditions inhumaines, des enlèvements
d’enfants et leur enrôlement de force dans des groupes armés, etc. » – les stimulent à
l’action. Ils condamnent avec véhémence, écrivent-ils, cette manière ignoble de considérer
la guerre comme un moyen pour résoudre les conflits80.
Pour ce faire, dans la conclusion de la lettre, les évêques invitent le peuple de Dieu, les
hommes de bonne volonté, les Églises sœurs et les organisations caritatives à se montrer
75 À en croire les évêques de la CENCO, la Doctrine sociale de l’Église rappelle que chaque citoyen est
convié à s’engager dans la construction de la démocratie de telle façon que toute démocratie soit participative.
(CENCO, L’Église catholique en R.D. Congo et les élections. Repères et défis pastoraux, Kinshasa, Édition
du secrétariat général de la CENCO, 2011, p. 32). 76 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 153. 77 Ibid., p. 153. 78 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères. Vie et pensées du Mahãtmã Gandhi d’après ses œuvres,
Paris, Gallimard, 1990, p. 46. 79 Cette expression veut signifier qu’il y a eu des conflits aussi meurtriers que celui dont il est question dans la
présente lettre. 80CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, nos 1-2.
22
plus solidaires et plus compatissants aux souffrances des victimes des guerres81. Non
seulement les évêques témoignent de leur compassion, mais ils persuadent leurs auditeurs
d’éprouver le même sentiment, d’ailleurs beaucoup plus fortement qu’eux-mêmes. Nous
reviendrons plus loin dans notre analyse sur la façon dont ils en parlent. Toutefois, il
convient d’indiquer que la lettre se termine sur une note qui convie à l’inspiration par Dieu
des pensées et des actions de tous pour la victoire de la paix et l’engagement dans l’œuvre
de reconstruction d’un Congo de justice et de fraternité82.
Suzanne Lassier poursuit en se référant au conflit entre Indiens et Anglais lequel conflit
avait émasculé l’Indien. En citant Gandhi, elle écrit qu’il faut donc que l’Indien se virilise,
qu’il se forme à la vie politique, qu’il fonde désormais des institutions indépendantes,
écoles, tribunaux, et qu’il crée des conditions d’une économie autonome, etc.83 Autrement
dit, c’est pour les Indiens une phase de reconstruction ou de redressement d’une nation qui
a croupi longtemps sous le joug de la domination. Gandhi le dit mieux en ces termes :
«Partout, nous avons insisté sur la nécessité d’entreprendre des activités constructives, pour
parvenir au swaraj84. »
En définitive, la non-violence constructive consiste en un redressement de la nation vers un
ordre social qui promeut l’obéissance de tous aux lois justes, un ordre social dans lequel le
droit et la dignité de la personne sont respectés, un ordre social où le développement
économique est l’affaire de tous.
1.4.2 La non-violence agressive
À en croire Suzanne Lassier, la non-violence agressive est celle qui, face au dilemme
lâcheté et violence, choisirait paradoxalement la violence. Autrement dit, il vaut mieux
combattre pour défendre la justice et la vérité que de les trahir en cédant à une loi injuste85.
Dans cette perspective, Gandhi use des moyens de pression tels que le boycott des écoles,
des tribunaux, le refus de certaines prestations des services publics, la désobéissance civile,
etc., l’objectif étant de se désolidariser de l’injustice.
81 Ibid., nos 7-8. 82 Ibid., no 8. 83 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p.153. 84 Swaraj signifie gouvernement indépendant. (Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 132). 85 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 156.
23
Cependant, note Gandhi, l’épreuve de force ne peut s’engager qu’en ultime recours, lorsque
les moyens légaux de lutte non-violente – pétitions, articles dans la presse, mouvement
d’opinions, etc. – ont échoué86. À ce point, la vision de Gandhi se fait plus complexe.
Gandhi préconise l’acceptation de la souffrance que nous inflige le fait d’obéir à une loi
injuste. Mais quand la lutte devient nécessaire, il opte pour l’amour de l’adversaire, mieux,
de l’ennemi, et récuse son dénigrement. Cette posture est sous-tendue par l’obligation
morale de toujours sauvegarder la dignité de la personne. D’après Gandhi, « l’adversaire
n’est pas mauvais parce qu’il s’oppose à nous. Il arrive qu’il soit aussi honorable que nous
prétendons l’être, tout en ayant avec nous des divergences de vue fondamentales87. »
Évidemment, le rapprochement est aisé à faire entre ce précepte gandhien et l’amour de
l’ennemi prôné par le christianisme (Mt 5, 43). En somme, les deux sources soutiennent la
nécessité de lutter contre le mal commis par l’adversaire et non contre la personne de
l’adversaire.
Pour renforcer en lui cette disposition éthique, Gandhi s’adonne à des disciplines de
sanctification, notamment, l’ascèse, le jeûne, la purification. Ce qui montre que, pour
Gandhi, la souffrance conduit au triomphe ; l’homme purifié devient capable de l’action
non-violente88.
Ces attitudes de piété parmi lesquelles la confiance à Dieu est fondamentale, sont présentes
dans nombre de discours des évêques congolais. Ils invitent le peuple à prier pour la
situation de crise dont font état leurs discours. Dans la péroraison de la plupart de ces
discours, on trouve des formules telles que « nous demandons au peuple de Dieu
d’accompagner ce moment89, par la prière et le jeûne90 ».
En somme, la non-violence constructive vise l’édification d’un ordre social sain pour
remplacer un ordre entaché d’injustice et de conflit. Le retour d’un règne de justice, de
paix, de réconciliation, d’amour, de vérité dans le temporel est perçu comme une
préfiguration du bien commun ultime dont Dieu lui-même est le fondement. Ce qui
86 Ibid., p. 157. 87 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 134. 88 Mahãtmã GANDHI, Ma non-violence…, p. 7. 89 C’est le moment des préparatifs et déroulement des échéances électorales du 30 juillet 2006. 90 CENCO, Pour une fin de transition apaisée. « Le peuple avait le cœur à l’ouvrage » (Ne 3,38), Kinshasa,
Secrétariat général de la CENCO, juin 2006, no 10.
24
implique le deuxième volet de la non-violence dont la fin, d’ordre spirituel, consiste en
l’ouverture à Dieu. Chez Gandhi, ce cheminement est effectivement celui de l’homme
purifié par des exercices de piété et qui, dès lors, est devenu propre à l’action non violente.
Dans le christianisme, c’est le désir de s’identifier à Dieu : être parfait comme le Père est
parfait91, ainsi que le lisait Gandhi dans les Évangiles.
2. Lien entre la non-violence chez Gandhi et dans le christianisme
Adepte de l’hindouisme, Gandhi a rencontré le christianisme, autant que plusieurs autres
religions, dans son environnement et surtout grâce à son érudition. La personne de Jésus,
son enseignement et les témoignages qui en sont faits, ont ajouté leur lumière à la
conception gandhienne de la lutte non violente. Sans nous attarder à décrire le rapport de
fascination et de réticence qu’entretient Gandhi avec le christianisme – rapport dont la
complexité résulte sans doute de sa posture d’érudit pétri jusqu’à la moelle de sa religion –,
nous nous attacherons à montrer le pôle positif de cette oscillation, à savoir : la connivence
entre la lutte non-violente chez Gandhi et la non-violence dans le christianisme.
2.1 Gandhi et son inspiration chrétienne
Selon Jean Herbert, la personne de Jésus est le premier élément qui fascine Gandhi. À ses
yeux, Jésus est « le prince des politiques », Il est « un non-coopérateur », Il est « le plus
actif des résistants non violents de l’histoire humaine92 ». La dimension de la souffrance
qu’a vécue Jésus de Nazareth a aussi influencé Gandhi. Herbert rapporte que « l’exemple
de la souffrance de Jésus est un des éléments de [sa] foi inaltérable en la non-violence qui
règle les actes temporels93. » Dans cette dynamique, l’acceptation de la souffrance devient
un noble choix qui ne peut se confondre avec la collaboration à une loi injuste.
En ordre d’importance, le deuxième élément ayant marqué l’esprit de Gandhi réside dans
les témoignages de certains chrétiens94. Gandhi se réfère aux militants de la non-violence.
91 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 13. 92 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 70. 93 Ibid., p. 71. 94 Il faut bien le souligner, Gandhi marque une distinction nette entre l’enseignement de Jésus et les chrétiens
qui se réclament de cet enseignement. Dans son discours tenu à Lausanne, il répondit à ceux qui demandèrent
son point de vue sur le christianisme : « le christianisme est très bon. Beaucoup de chrétiens sont très
mauvais. » (Ibid., p. 74.)
25
En fait, il s’est inspiré des témoignages de ces derniers, lesquels, dès lors, sont considérés
comme les précurseurs de la non-violence. D’entre plusieurs, on peut citer Tolstoï et
Thoreau, considérés par Gandhi comme de grands maîtres.
Gandhi reconnaît que Tolstoï est celui qui a donné une forme durable à sa doctrine de
résistance passive95. De Thoreau, il affirme avoir étudié la notion de désobéissance civile96.
En somme, tout chrétien est, par essence, appelé à cultiver la non-violence dans son action
au sein de la société. Car, comme le dit le philosophe Jean-Marie Muller, la non-violence
est l’idéal de l’Évangile97.
Cette posture est bien présente dans nombre de discours de la CENCO. Par exemple, dans
le message intitulé « Ambassadeurs du Christ » (2 Co 5,20) dans les milieux politiques, les
évêques exhortent les chrétiens, acteurs politiques ou œuvrant dans les structures
gouvernementales, de témoigner de leur foi. En parlant de l’engagement de l’Église en tant
qu’œuvre et instrument de la paix de Dieu, Jürgen Moltmann indique que « l’Église existe
en différentes sociétés et aussi en différentes couches sociales, et donc au milieu des
conflits économiques, sociaux et politiques. Ces conflits pénètrent profondément dans
l’Église elle-même. Chaque chrétien se tient en eux, il est déterminé par eux et doit donc, là
où il est, rechercher ce qu’il peut et doit faire en faveur de la paix98. » La position
théologique qui en résulte commande chez le chrétien des actions imprégnées de la non-
violence en tant que valeur chrétienne reçue du Christ pour mieux vivre ensemble dans un
monde plus juste et pacifique, un monde réconcilié.
Le troisième élément du christianisme à avoir influencé Gandhi, c’est l’enseignement de
Jésus que lui a révélé la lecture des Évangiles. Jean-Marie Muller souligne, à juste titre, que
« Gandhi n’était pas chrétien, mais il admirait Jésus et il voyait dans le sermon sur la
95 Dans son discours à Lausanne en 1932, Gandhi expliquait que « Tolstoï a été l’un de mes grands maîtres. Il
a renforcé ma foi en ce que je ne connaissais encore qu’obscurément. Ma propre expérience en Afrique du
Sud m’a montré la différence entre non-résistance et non-violence. J’ai travaillé sur les fondations posée par
Tolstoï. Comme un bon élève, j’ai ajouté à ce qui m’avait été légué. » (Jean HERBERT, Ce que Gandhi a
vraiment dit, p. 73.) Gandhi précise que Tolstoï fait partie de trois modernes qui ont marqué d’un sceau
profond sa vie et qui l’ont porté au changement. (Mahãtmã GANDHI, Autobiographie…, p. 114). 96 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 74.) 97 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 13. 98 Jürgen MOLTMANN, « La justice crée la paix », dans Concilium. Une assemblée pour la paix, Paris,
Beauchesne, 215 (1988), p. 141.
26
montagne la charte même de la non-violence qui inspira toutes ses pensées et gouverna
toutes ses actions99. » Pourquoi le sermon sur la montagne fascine-t-il Gandhi ?
2.2 Bref aperçu du Sermon sur la montagne (Mt 5-7)
Sans prétendre mener une analyse exégétique du Sermon sur la montagne, cette brève
introduction voudrait souligner le rapport de l’enseignement contenu dans ce sermon avec
la non-violence active du point de vue éthico-moral. Nous y reviendrons dans le troisième
chapitre pour mettre en lumière l’engagement des chrétiens dans le combat pour la paix.
Parmi les principes chrétiens qu’il apprécie, Gandhi accorde une importance particulière au
Sermon sur la montagne dont l’influence spirituelle lui paraît presque égale à celle de la
Bhagavad-Gîta. Gandhi le souligne en ces termes : « si je n’avais devant moi que le sermon
sur la montagne et l’interprétation que je lui donne, je n’hésiterais pas à dire que je suis
chrétien100. »
Effectivement, de tous les textes fondamentaux du Nouveau-Testament, le Sermon sur la
montagne est celui qui élabore explicitement une éthique et une morale de la vie
typiquement chrétienne, dans le contexte d’une société en proie aux conflits. D’après
Gandhi, dans le Sermon sur la montagne, Jésus enseigne de ne pas répondre au mal par le
mal, ni répondre à la violence par la violence ou encore « rendre coup pour coup ». C’est ce
qui ressort de l’enseignement de Jésus sur la loi du Talion : « œil pour œil et dent pour
dent» (Mt 5,38). Face à ce code, Jésus enseigne de « ne pas résister au méchant ». Ainsi,
dira-t-il par exemple : « si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui aussi l’autre » (Mt
5,39). C’est le respect de la dignité de la personne qui y est fortement soulignée, bien qu’il
s’agisse d’un adversaire. Il faut donc répondre au mal par le bien.
Fort de cet enseignement, Gandhi conclut que « des exemples historiques montrent que ce
type de comportement non-violent a produit des résultats salutaires sur ceux qui font le
mal101. » Dans cette analogie, le Sermon sur la montagne constitue un fonds éthique de la
non-violence active. Il est une invitation à ne pas faire de mal à l’ennemi. Mais, en
99 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 12. 100 Jean HERBERT, Ce que Gandhi a vraiment dit…, p. 72. 101 Mahãtmã GANDHI, Résistance non-violente…, p. 589.
27
répondant au geste violent de celui-ci par un geste non-violent, cela conduit à la conversion
de l’ennemi. C’est donc une forme de non-coopération avec l’ennemi102. On dirait même
une quête ardente du bonheur, un désir non seulement de vivre heureux, mais également de
travailler pour l’accomplissement de ce bonheur déjà commencé dans la communauté
eschatologique dont parle Jürgen Moltmann : « il faut que [la] vie, [l’]œuvre, [la] passion et
[l’]action [de la communauté chrétienne] dans le monde et envers le monde, soient
déterminées par la zone ouverte où se prépare ce qu’elle espère pour le monde103. » C’est ce
qu’on peut lire dans cette béatitude : « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés
fils de Dieu » (Mt 5,9). Nous y reviendrons dans le troisième chapitre.
À ce niveau de la doctrine de la non-violence, surgit l’importante question des rapports
entre les humains du point de vue du respect des droits et de la dignité de la personne, et du
rapport au bien commun dans ce monde déchiré par les conflits et la violence.
3. Notion préliminaire de la dignité de l’humain et du bien
commun
Nous l’avons déjà indiqué, la violence porte atteinte à l’intégrité physique de la personne
et, partant, elle sape l’édification du bien commun. Sans prétendre faire ici une analyse
approfondie, nous présenterons ces deux valeurs, fondamentales dans la lutte non violente,
et principes des bases de la doctrine sociale de l’Église. À ce titre, elles servent de raison et
de fil conducteur pour l’action socio-politique de l’Église.
3.1 Dignité de la personne
Polysémique, le concept de dignité humaine réfère à des réalités variées, en fonction des
cultures, et selon qu’on l’envisage du point de vue de la médecine, de la philosophie, des
droits, de l’économie, de la politique, de la sociologie, etc. Succinctement et dans un sens
global, on peut dire que l’être humain, du fait même qu’il est humain, est une personne qui
a des droits et des devoirs. Sa dignité se définit en rapport avec ces droits et devoirs car
l’humain vit dans la société où son action a une portée constructrice des relations socio-
politiques, voire religieuses. La dignité est donc le contrôle de soi qui fait valoir aux yeux 102 Ibid., p. 590. 103 Jürgen MOLTMANN, Théologie de l’espérance. Études sur les fondements et les conséquences d’une
eschatologie chrétienne, Paris, Cerf/Mâme, 1970, p. 351.
28
de l’autre l’honneur et le respect. C’est ce que, du point de vue de la morale, Emmanuel
Kant appelle dignité de l’être humain104. Ainsi, soutient Kant, chaque être humain est doté
de dignité en vertu de sa nature rationnelle, mieux, en vertu de son intelligence. C’est
pourquoi il est au-delà de tout prix. Dans cette considération, l’autre devrait toujours être
traité non comme un moyen, mais plutôt comme une fin, soutient-il105.
En somme, si l’on en croit Kant, la dignité humaine est en son essence une valeur
incomparable qui se fait reconnaître par les droits reconnus à la personne et les devoirs qui
en découlent pour chacun. Parmi les droits énumérés par le pape Jean XXIII, on peut citer :
le droit à l’existence et à un niveau de vie décent, les droits relatifs aux valeurs morales et
culturelles, le droit d’honorer Dieu, le droit à la liberté dans le choix d’un état de vie, le
droit au travail, droit à l’intégrité physique106. Jean XXIII précise que ces droits sont
«universels, inviolables, inaliénables 107 ». C’est pourquoi Gandhi condamne ce qui attente
à la dignité de la personne : « quelle qu’en soit la raison, tout meurtre ou autre atteinte à la
personne est un crime contre l’humanité108 ».
La doctrine sociale de l’Église ne met pas d’abord l’accent sur la dimension intellectuelle et
consciente de l’humain. Pour elle, qu’il soit pourvu ou non de ces facultés, l’homme est
avant tout, et par-dessus tout, une personne. La considération primordiale est que, peu
importe sa condition, l’être humain est une créature de Dieu et jouit, par ce fait même, des
droits liés à sa nature. En effet, il est créé à la ressemblance de Dieu. Gandhi le dit
autrement : « nous sommes les enfants d’un seul et même Créateur; et, à ce titre, nous
104 Emmanuel KANT, « Dignité » dans Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique et de
philosophie morale Tome 1, Paris, PUF, 1996, p. 523, col. II. (pp 523-527). En distinguant la dignité du prix,
Kant écrit que « Le prix et la dignité sont des valeurs. Le premier est une valeur relative : ce qui a un prix est
soit relatif à nos besoins (il s’agit alors d’un prix marchand), soit relatif à notre goût (qui lui confère alors une
valeur affective). Ce qui a une dignité, en revanche, est au-dessus de tout prix et possède une valeur absolue.
La dignité s’attache à un être qui est une fin en soi. » (Emmanuel KANT, Fondements pour la métaphysique
des mœurs, Paris, Hatier, 2000, p. 170.) 105 Cette idée est stipulée dans un des impératifs catégorique de Kant en ces termes : « Agis de telle sorte que
tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre toujours en même temps
comme une fin, et jamais simplement comme un moyen. » (Emmanuel KANT, Fondements pour la
métaphysique des mœurs, Traduction nouvelle avec introduction et notes par Victor Delbos, Paris, Librairie
Delagrave, 1982, p.150.) 106 Dans Pacem in Terris, le Pape Jean XXIII traite de façon détaillée de divers droits dont doit jouir
l’humain. 107 JEAN XXIII, « Pacem in terris », dans L’Église et la question sociale. De Léon XIII à Jean-Paul II, p. 192,
§ 8. 108 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 153.
29
avons en nous des forces divines qui sont infinies. Maltraiter ne serait-ce qu’un seul être
humain, c’est porter atteinte à ces forces divines et nuire, de ce fait, aux autres hommes109.»
C’est pourquoi, « chaque individu doit aimer et respecter tous les êtres humains en tant que
créatures rationnelles, quels que soient leur statut social et leurs réalisations, non pour
obtenir l’amour de Dieu, mais pour reconnaître cet amour de manière appropriée en
s’efforçant d’agir d’une façon qui en soit digne110. » Par ailleurs, on peut convoquer dans la
même dynamique des droits, la Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée
par les Nations Unies, au nom de « toute l’humanité », le 10 décembre 1948.
En outre, dans ses rapports à l’autre au sein de la société, l’être humain est unique, partant,
irremplaçable. Il est, selon les termes de la doctrine sociale de l’Église, « compris dans sa
singularité inimitable et inéluctable. De fait, l’homme existe avant tout comme subjectivité,
comme centre de conscience et de liberté, dont l’histoire unique et non comparable à
aucune autre exprime l’impossibilité de le réduire à quelque tentative que ce soit de
l’enfermer dans les schémas de pensée ou dans des systèmes de pouvoir, idéologiques ou
non111. » De ce fait, concernant le rapport des valeurs, surtout à l’intérieur d’une société
structurelle, l’humain doit être traité avec justice afin d’éviter de l’instrumentaliser. Pour
Jürgen Habermas, par exemple, la dignité suppose la symétrie des relations. Ainsi,
respecter la dignité de la personne, c’est respecter celle-ci en tant qu’interlocuteur actuel ou
potentiel. Il y a ici une considération symétrique de la communication entre les
personnes112. Perelman dira, pour sa part, que l’usage de l’argumentation implique qu’on a
renoncé à recourir à la force et qu’on attache du prix à l’adhésion de l’interlocuteur, qu’on
ne traite pas celui-ci comme un objet, mais que l’on fait appel à sa liberté de jugement. Le
109 Ibid., p. 59. 110 Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale…, p. 524, col. II. 111 Compendium de la Doctrine sociale de l’Église…, no 131. 112 Jürgen HABERMAS cité par Gilbert HOTTOIS, Dignité et diversité des hommes, Paris, Vrin, 2009, p. 52.
Sous le même angle d’idée, Jürgen Habermas précise : « Les sujets capables de parler et d’agir sont plutôt
constitués comme individus par le seul fait qu’ils s’intègrent, en tant que membres d’une communauté
linguistique à chaque fois particulière, à un monde de la vie intersubjectivement partagé. Dans le processus de
formation communicationnels, l’identité de l’individu et celle de la communauté se forment et se
maintiennent co-originairement. » L’auteur poursuit en précisant du point de vue moral que « parce que les
morales sont taillées à la mesure de la vulnérabilité d’êtres vivants individués par socialisation, elles doivent
toujours résoudre deux tâches en une seule : elles font valoir l’inviolabilité des individus en exigeant l’égal
respect de la dignité de tout un chacun; mais elles protègent dans la même mesure les rapports intersubjectifs
de reconnaissance réciproque par lesquels les individus se maintiennent comme membres d’une
communauté.» (Jürgen HABERMAS, De l’Éthique de la discussion, Trad. de l’Allemand par M. Hunyadi,
Paris, Cerf, 1992, p. 19.)
30
recours à l’argumentation suppose l’établissement d’une communauté des esprits qui,
pendant qu’elle dure, exclut l’usage de la violence113.
De tous ces arguments découle le principe que tous les humains sont égaux en dignité, tant
sur le plan de la morale que plus fondamentalement sur le plan ontologique. Cela étant dit,
la doctrine sociale de l’Église est justifiée de dire qu’une société juste ne peut être édifiée
que dans la mesure où la dignité transcendante de la personne est respectée. Aussi, les
évêques de la RD Congo placent-ils le combat pour la dignité de la personne humaine au
cœur de leur préoccupation114. Le respect de cette dignité est donc la fin ultime de la
société. Vatican II l’indiquait déjà en conviant chacun à considérer son prochain comme un
autre soi115. Somme toute, c’est le respect de l’homme116 qui est mis en évidence117.
Par ailleurs, la dignité de la personne implique des devoirs à remplir. Ces devoirs sont
d’autant plus liés aux droits qu’ils sont imposés par la loi naturelle. Le pape Jean XXIII fait
siens les propos de Kant en réitérant la proposition que les devoirs de la personne tiennent
leur origine, leur persistance et leur force indéfectible de la loi naturelle118. En
l’occurrence : le droit de la vie entraîne le devoir de conserver celle-ci, le droit à une
existence décente comporte le devoir de se conduire avec dignité119.
Les devoirs sont des obligations qui incombent à la personne en vue d’une action bonne du
moins du point de vue de la morale. Dans leur complémentarité, les droits et les devoirs
font que la dignité de la personne soit respectée à ses propres yeux, mais également aux
yeux des autres. C’est aussi un décentrement de soi. Dans cette logique, on comprend
mieux la précision de Jean XXIII selon laquelle, « chacun est appelé à concourir
généreusement à l’avènement d’un ordre collectif qui satisfasse toujours plus largement aux
113 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTEC, Traité de l’argumentation.., p. 73. 114 CENCO, « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32). Le verdict des urnes dans la transparence, Kinshasa,
Secrétariat général de la CENCO, octobre 2006, no 2. 115 Telle est aussi la définition de l’ami que fait Aristote dans l’Éthique à Nicomaque, 116 L’homme est à voir ici au sens que lui donne la doctrine sociale de l’Église. C’est donc l’homme en tant
que « personne », c’est-à-dire comme sujet actif et responsable de son processus de croissance, avec la
communauté dont il fait partie. ([s.a.], Compendium de la Doctrine sociale de l’Église…, no 133. 117 Gaudium et spes no 27, §1). 118 Il y aurait sans doute lieu, ici, de se demander plus profondément de quelle « nature » il est question quand
on parle de la loi naturelle s’agissant de l’homme. Mais cela déborderait le cadre de notre travail. 119JEAN XXIII, Pacem in Terris…, p. 197, nos 27-28.
31
droits et aux obligations120. » En ce sens, le respect des droits et des devoirs rend possible la
construction d’un ordre social juste et, partant, concourt à l’édification du bien commun.
3.2 Le Bien commun
Le bien commun est un des principes fondamentaux121 de la doctrine sociale de l’Église.
Des divergences existent dans la conception du bien commun. Mais, on retiendra pour notre
étude l’excellente distinction que Jacques Maritain fait dans son analyse de la pensée
thomiste, entre « bien commun de la société politique » et « bien commun intrinsèque de
l’univers122 ». Comme cette notion est très récurrente dans les discours des évêques
congolais, il convient de la préciser.
Pour le Concile œcuménique Vatican II – qui inscrit sa position dans la recherche d’une
doctrine « sociale » pour l’Église –, le bien commun désigne l’« ensemble des conditions
sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur
perfection d’une façon plus totale et plus aisée123 ». En tant que membre de la société, la
personne trouve en celle-ci les conditions d’existence et de développement dont elle a
besoin. Dans cette perspective sociale, la personne tient de la société ce dont elle a besoin,
mieux, ses biens essentiels, voire sa dignité124. Dès lors, le bien commun fait allusion au
bien de la communauté, au bien du corps social dont il est la fin. D’une manière plus
générale, Jacques Maritain estime que le bien commun « c’est la bonne vie humaine de la
multitude, d’une multitude de personnes; c’est leur communion dans le bien-vivre125 ».
Du point de vue de l’accomplissement, l’enseignement social de l’Église souligne que le
bien commun est et demeure commun. Tout le monde doit concourir à l’atteindre,
l’accroître, le conserver en vue de l’avenir. De même que l’agir moral de l’individu se
120 Ibid., no 30. 121 Parmi les principes fondamentaux de la Doctrine sociale de l’Église on peut citer par exemple les principes
du bien commun, de la subsidiarité et de la solidarité. Dans l’enseignement social de l’Église, ces principes
sont une expression de l’entière vérité sur l’homme. Ils jaillissent alors de la rencontre du message
évangélique et de ses exigences résumées dans le commandement suprême de l’amour de Dieu et du prochain
et dans la justice avec des problèmes émanant de la vie de la société. (Compendium de la Doctrine sociale de
l’Église…, no 160). 122Jacques MARITAIN, La personne et le bien commun, Paris, Desclée de Brouwer, 1947, p. 11. 123 GS no 26, § 1. 124 Jacques MARITAIN, La personne et le bien commun…, p. 42. 125 Ibid., p. 45.
32
réalise en faisant le bien, l’agir social parvient à sa plénitude en accomplissant le bien
commun126.
Dans la même dynamique, Hollenbach dira que « pour être commun, [ce] bien poursuivi
sociétalement doit s’appuyer sur une recherche elle aussi commune, laquelle exige un
"engagement intellectuel traversant les frontières des traditions religieuses, philosophiques
et culturelles"127. » La nécessité de l’éthos des Grecs est impérative dans une pareille
recherche, qui implique un engagement de tous, c’est-à-dire une démarche entreprise
conjointement par tous les membres de la société. D’ailleurs, Hollenbach précise
«clairement que la poursuite du bien commun ne peut se réaliser sans une forme de sortie
de soi, sans un décentrement de la part des participants à la délibération commune128. »
Par ailleurs, cet engagement de tous pour le bien commun pose un défi majeur de
persuasion face à l’incompréhension du bien recherché. Guy Jobin cite encore Hollenbach,
en soulignant qu’« en effet, comprendre la position de l’autre ne signifie pas qu’[on se]
laisse convaincre ou qu’[on] y adhère. Il en va de même, on l’aura bien saisi, pour l’autre
qui n’a pas à adhérer à mes convictions pour me comprendre129. » Ainsi, le dialogue et
l’écoute jouent un rôle important dans cette recherche du bien commun.
Jean XXIII pousse plus loin en soulignant que « le bien commun engage tous les membres
de la société : aucun n’est exempté de collaborer, selon ses propres capacités, à la
réalisation et au développement de ce bien130. » Si tous doivent concourir à la réalisation du
bien commun, alors, ce dernier ne doit pas être asservi ni subordonné aux avantages
partisans de certains au détriment des autres. Tous doivent en bénéficier pleinement. Pour
le dire encore mieux, « tous ont […] le droit de bénéficier des conditions de vie sociale qui
résultent de la recherche du bien commun131. » On voit en somme que le bien commun est
l’affaire de tous.
126 Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, no 164. 127 Hollenbach est cité par Guy JOBIN, « Rhétorique, politique et parole croyante » dans Laval Théologique
et Philosophique. Vatican II et sa réception, volume 67, no 3, octobre 2011, p. 487. 128 Hollenbach, cité par Guy JOBIN, « Rhétorique, politique et parole croyante »…, p. 488. 129 Ibid., p. 489. 130 Compendium de la Doctrine sociale de l’Église…, no 167. 131Ibid., no 167, § 2.
33
Cependant, bien que tout le monde soit appelé à rechercher le bien commun, le rôle de
l’État s’avère primordial dans cette quête. D’ailleurs, le bien commun est la raison d’être de
l’autorité de l’État, ainsi que le rappelle l’enseignement social de l’Église. Car l’État doit
garantir la cohésion, l’unité et l’organisation afin de permettre à tous les citoyens de
contribuer à l’édification du bien commun132. Dans ce domaine politique, soutient Jacques
Maritain, le bien commun est
la somme ou l’intégration sociologique de tout ce qu’il y a de conscience
civique, de vertus politiques et de sens du droit et de la liberté, et de tout ce
qu’il y a d’activité, de prospérité matérielle et de richesses de l’esprit, de
sagesse héréditaire inconsciemment mise en œuvre, de rectitude morale, de
justice, d’amitié, de bonheur et de vertu, et d’héroïsme, dans les vies
individuelles des membres de la communauté, selon que tout cela est, dans
une certaine mesure, communicable, et se reverse dans une certaine mesure
sur chacun, et aide ainsi chacun à parfaire sa vie et sa liberté de personne.
C’est tout cela qui fait la bonne vie humaine de la multitude133.
Néanmoins, la violence qui gît souvent dans la gestion du pouvoir public demeure
destructrice de la dignité de la personne et du bien commun. Pourtant, le pouvoir public a la
mission de sauvegarder et de promouvoir l’effectivité de ces principes. En effet, « dans un
État démocratique, où les décisions sont prises d’ordinaire à la majorité des représentants
de la volonté populaire, ceux à qui revient la responsabilité du gouvernement sont tenus
d’interpréter le bien commun de leur pays, non seulement selon les orientations de la
majorité, mais dans la perspective du bien effectif de tous les membres de la communauté
civile, y compris de ceux qui sont en position de minorité134. »
En définitive, il revient à l’État de veiller à ce que son autorité ne soit pas diminuée par
quoi que ce soit, qu’aucune violence ne s’immisce dans sa politique, faute de quoi
l’absence de la vérité, de la justice, de la paix et de l’amour cèderait la place à la violence
dont les effets attentent à la dignité de la personne et au bien commun. C’est pourquoi, la
non-violence active demeure un moyen privilégié pour une société qui voudrait se libérer
du cycle infernal des conflits, a fortiori de la violence.
132 Ibid., no 168. 133 Jacques MARITAIN, La personne et le bien commun…, p. 46. 134 Compendium de la Doctrine sociale de l’Église…, no 169.
34
Conclusion partielle
Dans ce chapitre, nous avons présenté une esquisse de la doctrine de la non-violence active
selon Gandhi. La non-violence ayant plusieurs significations chez ce penseur, nous en
avons dégagé le sens fondamental de « force de vérité, force de l’âme, force de l’amour,
etc. » que l’Indien appelle Satyâgraha. Cette éthique distingue, dès lors, la non-violence de
la résistance passive, car le non-violent cherche à faire triompher la vérité en luttant contre
toute forme d’injustice. Dans cette optique, la non-violence vise la reconstruction d’un
ordre social où la dignité de la personne et la promotion du bien commun sont l’affaire de
tous.
Dans sa considération morale, la non-violence active est fondamentalement une valeur
chrétienne. Nous avons tenté de le démontrer en nous référant au Sermon sur la montagne.
On observe un rapport étroit entre la non-violence active dont Gandhi est l’instigateur et la
non-violence dans le christianisme. Une vision théologique de la non-violence a montré que
la paix de Jésus n’est pas seulement de l’ordre de l’intériorité. Elle est vécue au sein de la
société. Comme le souligne Jürgen Moltmann,
Dieu s’est plu à faire habiter en lui (Jésus Christ) toute la Plénitude et par lui
à réconcilier tous les êtres pour lui aussi bien sur la terre que dans les cieux,
en faisant la paix par le sang de sa croix. Tout ce qu’est l’Église et de même
tout ce qui constitue l’être-chrétien est redevable à cet agir divin justifiant,
réconciliant et fondant la paix en Jésus Christ. […] l’Église de Jésus Christ
ne peut absolument pas être autre chose qu’une Église de paix. […] De la
réconciliation de ceux qui n’ont pas la paix suit la mission des réconciliés
comme ouvriers de paix dans ce monde sans paix135.
Ainsi, le non-violent, mieux, le chrétien, ne doit pas se dérober de l’engagement socio-
politique. C’est dans ce contexte que s’inscrira le deuxième chapitre de ce travail.
Le deuxième chapitre focalisera sur le rôle de l’Église dans la résolution des conflits, plus
particulièrement de la crise socio-politique en RD Congo. Nous analyserons comment, à
travers leur prise de parole, les évêques congolais mènent le combat pour la justice, la paix,
la réconciliation. Par l’analyse rhétorique, ce chapitre sera axé sur les discours épiscopaux
bien ciblés afin d’en dégager non seulement la conviction des évêques, mais également les
135 Jürgen MOLTMANN, « La justice crée la paix » ..., p. 140.
35
moyens rhétoriques qu’ils mobilisent pour persuader le peuple congolais et l’engager dans
la même lutte. Au final, on verra que si la non-violence est la négation de la violence ou la
lutte contre la violence par des moyens non violents, elle n’est pas une fin en soi. Elle est
plutôt un moyen pour atteindre la justice, la paix et la fraternité136.
136Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 16.
36
Chapitre deuxième : Analyse rhétorique des
discours de la CENCO
38
Ce chapitre est consacré à l’analyse rhétorique des discours de la CENCO sur la crise
sociale et politique que traverse la RD Congo. Cette analyse porte sur trois messages :
«Encore le sang des innocents en RD Congo (cf. Jr 19,4) », « La RD Congo pleure ses
enfants, elle est inconsolable (cf. Mt 2,18) » et « Levons-nous et bâtissons! (Ne 2,18) pour
un Congo nouveau ». Outre ces discours, selon les besoins de l’analyse, nous évoquerons
aussi l’un ou l’autre message hors de ce corpus. De manière plus précise, nous serons plus
attentifs à la façon dont les évêques s’engagent dans la résolution de la crise par le combat
non-violent. Pour ce faire, nous chercherons à dégager la posture de la non-violence active
face à la violence qui ruine la RD Congo. Au mieux, nous voulons examiner, de manière
spécifique, comment l’Église participe à – et même engage – la reconstruction d’un État de
droit en prêchant la non-violence active. D’emblée, on peut indiquer que l’intention des
évêques est de persuader tous les acteurs concernés par cette crise à militer pour la même
cause de la reconstruction d’un État de paix, de justice et de fraternité en RD Congo.
Pour mettre en évidence la posture de la non-violence, nous analyserons les discours, dans
leur contenu, en vue de dégager les diverses thématiques qu’ils abordent, et dans leurs
moyens rhétoriques, pour mettre en évidence les arguments persuasifs de ces discours, dans
la perspective de Perelman137. Afin de préciser davantage ce choix méthodologique, nous
insérerons dans ce chapitre un point sur la rhétorique de Perelman.
La RD Congo fait face à une crise endémique et systémique138 dont les séquelles risquent
d’être indélébiles. Nous en aborderons trois aspects : les conflits des groupes armés, la
tentative de balkanisation et les défis ainsi que la stratégie de la lutte des évêques. Ainsi,
quatre points constitueront la charpente de ce chapitre : 1. choix de la rhétorique
perelmanienne, 2. les évêques face à la guerre au Kivu, 3. la tentative de balkanisation,
4.les défis et la stratégie de la lutte non-violente des évêques.
137 Sans prétendre faire ici une analyse en profondeur de l’argumentation comme il se doit dans la rhétorique
chez Perelman, nous verrons plutôt que la force persuasive du discours parlé ou écrit, tient compte de trois
éléments : l’orateur, l’argumentation et suppose toujours la présence de l’auditoire quel que soit le degré de
rationalité de ce dernier. (Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de
l’argumentation…, p. 8.) C’est dans ce contexte que nous situons les discours des évêques que nous tenons à
analyser dans leur forme d’écrits, bien évidemment dont l’argumentation se rapporte toujours à un auditoire. 138 CENCO, Il est temps de nous réveiller (Rm 13,11b). Appel à la vigilance pour sauvegarder la
souveraineté nationale et bâtir notre destinée, Kinshasa, Secrétariat Général de la CENCO, 2009, no 2.
39
1. Choix de la rhétorique perelmanienne
Dans certains usages, la rhétorique peut revêtir une connotation péjorative. Ainsi que
l’indique Olivier Reboul, « la rhétorique est pour le sens commun synonyme d’enflé,
d’artificiel, d’emphatique, de déclamatoire, de faux139. » Guy Jobin cite Bryan Garsten, qui
estime aussi que « la rhétorique a mauvaise presse […], qu’elle ne peut être qu’œuvre de
manipulation ou de flatterie140. » Cependant, Perelman présente une vision positive de la
rhétorique; celle d’une « réflexion féconde sur le pouvoir du verbe envisagé dans sa
dimension d’échange social141. » Sans prétendre retracer l’histoire de la rhétorique depuis
ses origines grecques, il convient de souligner que la rhétorique est, selon Aristote, l’art de
persuader par la parole142. Selon Ruth Amossy, la rhétorique aristotélicienne ‒ dite aussi
«ancienne » ‒, « apparaît comme une parole destinée à un auditoire qu’elle tente
d’influencer en lui soumettant des positions susceptibles de lui paraître raisonnable143. »
Dans cette optique, la force de la parole est envisagée comme moteur de l’action sociale144.
Par ailleurs, la rhétorique classique s’est opposée à la rhétorique ancienne, au point de se
réduire à une rhétorique des figures ‒ de style en littérature ‒, souligne Perelman. D’après
celui-ci, la rhétorique classique s’est consacrée au classement de diverses manières dont on
pouvait orner le style145. La rhétorique fut ainsi réduite à la dimension esthétique du
discours non seulement pour cette raison, mais également par le fait qu’elle n’a plus
accordé une place à l’argumentation. Pourtant, cette dernière doit entraîner un changement
de perspective de la part de l’auditeur146. D’où la critique de Roland Barthes, pour qui,
«c’est un contre-sens que de limiter la rhétorique aux figures147. » Aussi, Perelman conclut-
il que « si [les figures] ne sont pas intégrées dans une rhétorique conçue comme l’art de
139 Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique. Théorie et pratique, Paris, Quadrige/PUF, 2011, p. 3. 140 Bryan GARSTEN cité par Guy JOBIN, Vatican II, le style et la rhétorique…, p. 18. 141 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours. Discours politique, littérature d’idées, fiction, Paris,
Nathan, 2000, p. 7. 142 Ibid., p. 2. 143 Ibid., p. 3. 144 Ibid., p. 4. 145 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique. Rhétorique et argumentation, Paris, Vrin, 2002, p. 10. 146 « Nous considérons une figure comme argumentative si, entraînant un changement de perspective, son
emploi paraît normal par rapport à la nouvelle situation suggérée. Si par contre, le discours n’entraîne pas
l’adhésion de l’auditeur à cette forme argumentative, la figure sera perçue comme ornement, comme figure de
style. Elle suscite l’admiration, mais sur le plan esthétique, ou comme témoignage de l’originalité de
l’orateur.» (Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 14.) 147 Roland BARTHE cité par Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 11.
40
persuader et convaincre, elles cessent d’être des figures de rhétoriques et deviennent des
ornements concernant seulement la forme du discours : il n’est donc pas sérieux
d’envisager une reprise moderne, même d’une rhétorique des figures, en dehors du contexte
argumentatif148. » Face à ce déclin, Perelman tente de redorer l’image de la rhétorique
ancienne.
En effet, sans s’éloigner du sens aristotélicien, Perelman définit la rhétorique en tant
qu’«art de persuader et de convaincre149 ». À cela, il rattache le recours à l’argumentation
dont le but est de provoquer ou d’accroître « l’adhésion des esprits aux thèses qu’on
présente à leur assentiment : une argumentation efficace est celle qui réussit à accroître
cette intensité d’adhésion de façon à déclencher chez les auditeurs l’action envisagée
(action positive ou abstention), ou du moins à créer, chez eux, une disposition à l’action,
qui se manifestera au moment opportun150. » Cette adhésion est à obtenir à l’aide d’une
persuasion raisonnée, précise Perelman, afin de ne pas traiter l’interlocuteur comme un
objet, mais en faisant appel à sa liberté de jugement151.
Dès lors, la nouvelle rhétorique perelmanienne s’est intéressée à tout discours adressé à tout
espèce d’auditoire, qu’il s’agisse d’une foule réunie sur la place publique ou d’une réunion
des spécialistes, d’un individu ou encore de toute l’humanité152 dans le but de gagner
l’adhésion des esprits à la thèse que l’on présente ou encore de susciter une disposition à
l’action. C’est dans cette dynamique de persuasion et de stimulation de l’adhésion des
esprits que s’inscrit « la parole croyante », en l’occurrence les discours persuasifs des
évêques de la RD Congo, en tant que « prise de parole publique » face à la crise politique
qui ronge ce pays. D’où notre choix de la rhétorique perlemanienne. À propos de la parole
croyante, Guy Jobin note que « les convictions religieuses, portées par une parole croyante,
sont encore sources de prises de parole publiques de la part des croyants qui, loin de vouloir
déstabiliser la culture démocratique, cherchent plutôt à participer à la construction d’un
monde habitable pour tous153. » L’attention portée par la rhétorique perelmanienne aux
148 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique..., p. 14. 149 Ibid., p. 10. 150 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTEC, Traité de l’argumentation…, p. 59. 151 Ibid., p. 73. 152 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 21. 153 Guy JOBIN, Rhétorique, politique et parole croyante…, p. 486.
41
discours tant publics, politiques que religieux dans le but de susciter l’adhésion de
l’allocutaire à la thèse qu’on lui présente, constitue une autre raison de notre choix
méthodologique.
En résumé, la place que Perelman accorde à l’argumentation comme technique de
persuasion, nous permettra de cerner, dans les discours des évêques, l’objet même de la
rhétorique en tant qu’« art non violent de persuasion par la parole154 », lequel objet
constitue l’invitation de l’auditoire à l’action pour sortir la RD Congo de la violence de
guerre et bâtir un État de droit, un État de paix.
2. Les évêques face à la résurgence de la guerre à l’Est155 de la RD
Congo
D’aucuns le savent, l’Est de la RD Congo est si déchiré par des hostilités qu’il est considéré
comme le foyer de groupes armés qui sèment la misère et la violence156. On y voit naître et
renaître des affrontements dont les Congolais payent le prix fort de leur vie, à tel point
qu’ils s’interrogent constamment : à quand la fin des hostilités? Qui sont ces belligérants?
Où est l’autorité de l’État ? Qui sortira le pays de ces guerres qui font couler à flot le sang
des Congolais? Qui entendra les pleurs des Congolais? C’est dans ce contexte de chaos que
les évêques prennent la parole au nom de la population sans défense. Tel qu’il s’énonce
dans les messages que nous avons retenus, leur combat est sous-tendu par plusieurs
arguments. Nous retiendrons ici trois types d’arguments : la persuasion de l’auditoire sur la
gravité des crises, la prise de position des évêques face à la guerre, leurs propositions pour
la paix, la justice, l’État et, plus généralement, l’avenir de la RD Congo.
2.1. De la persuasion de l’auditoire sur la gravité des crises
Dans leur exorde, les discours des évêques décrivent brièvement, mais clairement, la
situation du pays – l’état de délabrement quasi-total – pour lequel ils brisent le silence. La
lettre intitulée Encore le sang des innocents en RD Congo (cf. Jr 19,4) en est un exemple.
154 Guy Jobin cite ici la thèse d’O’Malley qui « montre que la rhétorique, cet art non violent de persuasion par
la parole, donne une clé d’interprétation du style de Vatican II » (Guy JOBIN, Vatican II et la rhétorique…,
p. 15). 155 En parlant de l’Est nous aurons en vue toute la province du Kivu (Nord-Kivu, Sud-Kivu et le Maniema)
mais aussi le Nord-Est de la RD Congo c’est-à-dire la Province Orientale. 156 CENCO, Il est temps de nous réveiller…, no 2.
42
Les évêques y expriment clairement leur inquiétude face à la reprise des hostilités : « La
Conférence Episcopale Nationale du Congo est profondément préoccupée par la reprise des
hostilités dans l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo » (no1). Cette inquiétude ne résulte
pas seulement de la reprise des hostilités. Elle est également due aux conséquences
désastreuses de ces hostilités, notamment la « désolation » et le « deuil » qui ébranlent
irrémédiablement la vie des Congolais. Évaluant la crise, les évêques dénoncent « des
milliers de morts, des populations condamnées à l’errance dans des conditions inhumaines,
des enlèvements d’enfants et leur enrôlement de force dans les groupes armés. » (no1)
Devant ces malheurs, les évêques se demandent : « pourquoi cette reprise des hostilités
[…]? » (no1) « Jusques à quand notre terre doit-elle continuer à s’abreuver du sang de ses
fils et filles? » (no1) Dans cette description de la crise, non seulement les évêques montrent
à l’auditoire que la situation humanitaire est à la dérive, mais ils appellent aussi
implicitement à l’action : « un véritable drame humanitaire se déroule sous nos yeux et ne
peut laisser personne dans l’indifférence. » (no1)
Il en est de même dans le message : La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable
(cf. Mt 2,18). Les évêques s’y disent affligés et bouleversés par la tragédie humaine dans
l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo (no1). Pour eux cette tragédie constitue
un vrai drame humanitaire qui s’apparente à un génocide silencieux dans
l’Est de la RD Congo [qui] se déroule sous les yeux de tous. Les massacres
gratuits et à grande échelle des populations civiles, l’extermination ciblée
des jeunes, les viols systématiques perpétrés comme arme de guerre : de
nouveau une cruauté d’une exceptionnelle virulence est en train de se
déchaîner contre les populations locales qui n’ont jamais exigé autre chose
qu’une vie paisible et décente sur leurs terres. Qui aurait intérêt à un tel
drame157?
Dans les deux cas, les évêques présentent la situation des hostilités telle qu’elle est vécue
par le peuple congolais dans cette partie du pays. D’ailleurs, on le voit dans ces énoncés qui
stipulent que ces évènements « se déroulent sous les yeux de tous » (no2) ou encore
qu’«une voix en RD Congo s’est fait entendre, des pleurs et une longue plainte; c’est
157 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable (cf. Mt 2,18), Kinshasa, Éditions du
secrétariat général de la CENCO, Novembre 2008, no 2.
43
Goma, Kiwanja, Dungu…, c’est la nation tout entière qui pleure ses enfants et ne veut pas
être consolée, car ils ne sont plus (Mt. 2,18). » (no1) Nous sommes ici dans ce que
Perelman appelle, en langage rhétorique, « les lieux communs158 », du fait que le discours
est fondé sur des prémisses entérinées par le public. En d’autres termes, le lieu commun
désigne l’ensemble des éléments décrits et qui peignent le quotidien des Congolais
éprouvés par la guerre. Cet ensemble d’éléments constitue le savoir partagé entre le
locuteur ‒ évêques ‒ et l’allocutaire ‒ le peuple congolais outragé ‒. En l’occurrence : la
récurrence des guerres, des tueries, des enlèvements, l’errance, le viol, les massacres, le
pillage des ressources naturelles.
Michel Meyer précise que le savoir partagé est souvent implicite et lié à la question à
traiter159. Tel est le cas dans les arguments des évêques qui viennent d’être relevés. La visée
de cette stratégie argumentative est de susciter l’adhésion160 du peuple à la lutte pour « la
promotion de la paix161 ». Ruth Amossy souligne, à cet effet, en termes rhétoriques, que
dans tout discours en visée persuasive, l’orateur ne peut emporter l’adhésion du public
qu’en fondant son discours sur des prémisses qui sont d’ores et déjà entérinées par le
public162 : en l’occurrence quand les évêques disent « trop, c’est trop », « à vin nouveau
outre neuve ». C’est également le cas quand les évêques soulignent qu’« un véritable drame
humanitaire se déroule sous nos yeux et ne peut laisser personne dans l’indifférence163 ».
Les évêques sont en train de persuader ici les Congolais de défendre la dignité de la
personne dont eux-mêmes sont déjà les défenseurs. Michel Meyer et Perelman parleront
l’un et l’autre de convaincre le protagoniste164 à adhérer à la thèse que présentent165 ces
pasteurs.
158 Chaïm PERELMAN cité par Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 36. 159 Pour Michel Meyer, les « lieux communs sont des prémisses communément admises par les protagonistes
d’un débat, à l’aide desquelles ils s’efforcent de se convaincre l’un l’autre. Il s’agit donc d’un savoir partagé,
le plus souvent implicite, fait des connaissances générales, mais aussi particulières. » (Michel MEYER,
Principia Rhetorica. Une théorie générale de l’argumentation, Paris, PUF, 2010, p. 115.) 160 L’ensemble des éléments décrits par le locuteur définit, d’après les vocabulaires même de Ruth Amossy,
«l’ensemble des opinions, des croyances et des schèmes de pensée sur lequel peut s’appuyer la parole qui vise
à emporter l’adhésion. » (Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 36.) 161 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 6. 162 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 36. 163 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no1. 164 Michel MEYER, Principia Rhetorica…, p. 115.
44
Dans leurs messages, les évêques congolais travaillent à obtenir l’adhésion de leurs
allocutaires par le double processus de conviction-persuasion. En effet, dans la théorie de
l’argumentation, Perelman souligne qu’il y a une nuance entre persuader et convaincre :
«Pour qui se préoccupe du résultat, persuader est plus que convaincre, la conviction n’étant
que le premier stade qui mène à l’action […]. Par contre, pour qui est préoccupé du
caractère rationnel de l’adhésion, convaincre est plus que persuader166. » Les évêques
congolais, eux, mobilisent les arguments relevant du pathos (l’émotion, la compassion) et
de la raison (bon sens, jugement, honnêteté, sens critique) pour convaincre, d’abord, et
persuader, ensuite, en vue de l’action transformatrice. Par ailleurs, il sied de remarquer que,
dans ce même discours persuasif, il se dégage aussi l’idée de suppression de la distance. En
d’autres termes, le locuteur vise à abroger la distance qui le sépare de ses interlocuteurs.
Dans la lettre : Levons-nous et bâtissons! (Ne 2,18), pour un Congo nouveau, les évêques
s’adressaient au peuple congolais en ces termes : « À vous, plus que quiconque, nous vos
pasteurs, nous vous assurons que nous comprenons vos épreuves et nous communions aux
souffrances que vous endurez. […] nous connaissons le prix que vous avez payé, […] et
que vous continuez encore à payer pour poursuivre cette longue marche vers la liberté et
l’instauration d’un État de droit167. »
En effet, on voit se tisser ici le lien entre le locuteur et l’allocutaire qui passe soit par des
sentiments de compassion à la détresse qu’endure ce dernier, c’est-à-dire le peuple
congolais, soit par la fierté du locuteur d’appartenir à la même patrie. On verra, par ailleurs,
le locuteur user du « nous » (« nos », « notre », etc.168) afin de marquer le même
rapprochement. Ruth Amossy note qu’en usant du pronom « nous », l’orateur marque une
relation d’appartenance dans laquelle il s’inclut lui-même169. Guy Jobin identifie ce type
d’argument au genre épidictique parce que le locuteur se rapproche de son auditoire170.
165 Pour Perelman, il s’agit « de provoquer ou d’accroître l’adhésion d’un auditoire aux thèses qu’on présente
à son assentiment. » (Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique..., p. 28.) 166 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 35. 167 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 31. 168 Pour illustrer ce qui est dit ici, on peut lire : « Solidaires de la souffrance de notre peuple, nous nous
sommes engagés à apporter notre contribution sur le plan de l’assistance humanitaire et du processus de
pacification ». (CENCO, « Soyez vigilants (1P 5,8). La paix dans la justice et la vérité » dans CENCO, Appel
à l’engagement pour la paix dans la vérité. Déclarations et Message des évêques de la CENCO sur la guerre
dans l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo, Kinshasa, Secrétariat Général de la CENCO, 2009, no 3). 169 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 45. 170 Guy JOBIN, Vatican II, le style et la rhétorique…, p. 25.
45
L’objectif est de créer une position de solidarité par laquelle une parole fraternelle
d’exhortation171 à l’action pourra être dite, une parole d’interpellation ou de blâme, de
louanges, aussi bien que de dénonciation du mal au sein de l’appareil de l’État sans porter
atteinte à qui que ce soit. On y reviendra.
Il apert donc que, non seulement les évêques se rapprochent du peuple congolais violenté,
mais également ils tentent de le persuader, en amplifiant les faits, afin qu’il adhère au
combat qu’ils sont en train de mener. En témoignent des expressions telles que : « la
situation [de la guerre] […] n’a fait qu’empirer », « la terre s’abreuve du sang des
congolais», « la guerre cause la tragédie humaine », « la guerre devient répétitive ». Cette
amplification a pour objectif l’éveil des consciences sur la gravité des faits et, partant, sur la
nécessité, voire l’urgence d’engager l’action réparatrice au lieu de s’habituer au mal. Le
genre épidictique est fortement souligné ici172. Ce genre, précise Perelman, « a pour rôle
d’intensifier l’adhésion à des valeurs [et de] créer une disposition à l’action173 ». C’est
également le cas lorsque les évêques affirment que personne ne peut rester dans
l’indifférence face à l’ampleur du drame humanitaire généré par la guerre174.
Il s’agit bien là d’une incitation à l’action immédiate. Elle convie tout le monde à
s’impliquer dans la recherche des solutions au chaos qui paralyse la RD Congo. Voilà ce
qui se dégage de l’appel pathétique des évêques : ils montrent que la situation de la guerre à
l’Est de la RD Congo a atteint des proportions insupportables, très inquiétantes et
susceptibles, « si on n’y prend garde », de déstabiliser toute la sous-région175. Le « si on n’y
prend garde », est bien l’expression clé de cet appel à l’action d’autant plus qu’il est une
sonnette d’alarme contre la passivité. Il en est de même lorsque les évêques parlent d’un
véritable drame humanitaire qui « ne peut laisser personne dans l’indifférence176 ». En
d’autres mots, les Congolais doivent se lever pour agir et défendre la dignité de la personne
en péril. La vision théologique qui s’en dégage participe de la théologie de la praxis des
171 Guy JOBIN, Vatican II, le style et la rhétorique…, p. 25. 172 D’après Olivier Reboul citant Aristote dans la rhétorique, le genre épidictique « recourt surtout à
l’amplification; car les faits sont connus du public, et le propre de l’orateur est de les faire valoir, en montrant
leur importance et leur noblesse ». (Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique…, p. 58). 173 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 38. 174 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 1. 175 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 1. 176 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 1.
46
chrétiens dont parle Jean-Marc Éla. Cette théologie convie le chrétien (entendons ici
l’Africain) à lutter contre les situations d’injustice au sein de la société où il vit. Reste que
l’auditoire auquel les divers discours des évêques sont adressés n’est pas nécessairement
homogène. Il est également composite177.
En résumé, le discours des évêques cherche d’abord à convaincre le peuple congolais de la
gravité des effets de la guerre. Ensuite, il travaille à persuader l’allocutaire de la nécessité et
même de l’urgence d’engager des actions réparatrices, si l’on veut assurer à ce pays un
avenir meilleur. Enfin, dans ce discours la vision du locuteur est de renvoyer le peuple
congolais178 en lui-même afin de l’inciter à opérer un jugement de valeur sur les effets de la
guerre sous l’optique présentée par le locuteur lui-même. En fait, l’intention est, somme
toute, d’amener, sans aucune contrainte, l’auditoire à adhérer à la lutte que les évêques
engagent pour la paix. Cette lutte ne pourrait se faire que dans une atmosphère de
rapprochement, mieux le dialogue entre les protagonistes de la paix : « tout le monde
gagnera avec un Congo en paix plutôt qu’un Congo en guerre179. » Pie XII le dit
autrement : « avec la paix, rien n’est perdu; mais tout peut l’être par la guerre180. » Bref,
l’expression « tout le monde » laisse entendre un appel à l’engagement massif du locuteur
et de son auditoire dans la lutte pour la paix. Comme dirait Perelman, le locuteur vise à
accroître l’intensité de l’adhésion des Congolais à un idéal commun181 : lutter pour une RD
Congo pacifique.
177 À propos de l’auditoire, il convient de noter que la CENCO s’adresse à toutes les catégories
d’interlocuteurs. Il s’agit, entre autres, de tous ceux qui sont épris du sens de l’humain pour que les conditions
socio-politiques en RD Congo s’améliorent au bénéfice de la population congolaise, de la région des grands
Lacs et de l’Afrique tout entière. (CENCO, Appel à l’Engagement pour la paix dans la vérité, Kinshasa,
Secrétariat général de la CENCO, 2009, p. 4). 178 Comme nous le disions précédemment, « le peuple congolais » est ici générique d’autant plus qu’il fait
allusion à l’auditoire universel. Comme nous l’avons déjà défini, Il s’agit de « toutes les catégories
d’interlocuteurs, […] tous ceux qui sont épris du sens de l’humain pour que les conditions socio-politiques en
RD Congo s’améliorent au bénéfice de la population congolaise. » Cet auditoire varie parfois d’un discours à
un autre. Mais généralement, il s’agit du citoyen congolais lui-même dans diverses couches sociales : les
soldats, les forces armées de la RD Congo et les groupes armées opérants sur le territoire congolais, les
dirigeants gouvernementaux, les institutions compétentes de la RD Congo, la Communauté internationale,
etc. 179 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 5. 180 Pie XII cité par JEAN XXIII, Pacem in Terris…, no 115. 181 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation..., p. 59.
47
2.2 Engagement des évêques face à la violence de la guerre
Préoccupés profondément par la récurrence des guerres et tous leurs corollaires, les évêques
condamnent avec véhémence le recours à la guerre comme moyen de résolution des
conflits182. Pour les évêques, la guerre n’est pas un moyen pour résoudre les conflits. Jean
XXIII le disait déjà ‒ en faisant allusion à l’ère de la guerre atomique ‒ qu’il est impossible
de penser que la guerre ou le recours aux armes soit le moyen adéquat pour régler les
éventuels conflits entre les peuples183. En fait, dans nombre de discours, la première action
des évêques s’avère la condamnation des faits de violence. D’où la question : qu’est-ce que
condamner?
Pour le dictionnaire Larousse, « condamner » signifie frapper d’une peine quelqu’un qui est
déclaré coupable; ou bien blâmer, désapprouver184un acte, une idée. Dans le Vocabulaire
juridique, la condamnation est une « décision prononcée par une autorité ayant pouvoir de
juridiction et imposant à un individu une sanction à raison des agissements qui lui sont
imputés185. » Appliquée à la personne, la condamnation s’inscrit, bien entendu en langage
rhétorique, dans le genre judiciaire tel qu’on l’a toujours vu au tribunal186. Ainsi, dira-t-on,
par exemple, condamner quelqu’un à mort, condamné à une peine d’emprisonnement à vie,
condamnation pénale, etc.
Par ailleurs, dans le langage magistériel et surtout dans les énoncés conciliaires d’avant
Vatican II, on usait du langage d’anathème187. Henri-Jacques Stiker précise que « dans
l’histoire de l’Église, le terme [anathème] […] désign[ait] une sentence excluant de la
communauté chrétienne quiconque t[enait] pour vraie telle doctrine188. » Dans ce sens,
l’anathème est une condamnation assortie d’une peine à purger, en l’occurrence
182 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 2. 183 JEAN XXIII, Pacem in Terris…, nos 125- 126 184 Jean DUBOIS et Cie, Larousse dictionnaire du français contemporain, Édition pour l’enseignement du
français, Paris, Librairie Larousse, 1971, p. 275, col. II. 185 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, 10e Édition, Paris, PUF, 2014, p. 227. 186 D’après Olivier Reboul, le genre judiciaire a pour auditoire le tribunal. (Olivier REBOUL, Introduction à
la rhétorique…, p. 57). 187 Guy JOBIN, Vatican II, le style et la rhétorique…, p. 31. 188 Henri-Jacques STIKER, « ANATHÈME », Encyclopædia Universalis [en ligne], [URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/anatheme/] (consulté le 4 juillet 2014). L’auteur précise bien en
soulignant que « par cette sentence se terminaient les canons des conciles; elle consistait à un texte bref
résumant une opinion avant d'en prononcer la condamnation par la formule anathema sit : " Si quelqu'un dit
[...] qu'il soit anathème. " »
48
l’excommunication. En terme rhétorique, l’excommunication ou exclusion de la
communauté relève du genre judiciaire. Ainsi, l’anathème est le seul jugement judiciaire189
que l’Église peut rendre. Jadis fréquent dans le langage conciliaire, ce style est désormais
orienté vers le genre épidictique au sens de blâme190, même si, poursuit Stiker, anathème et
blâme sont des synonymes dans le langage courant. Ainsi, la condamnation des évêques est
à considérer comme un blâme sévère. Il ne revient pas à l’Église, quoi qu’il en soit, de
juger judiciairement les auteurs des conflits. En ce sens, la condamnation s’inscrit dans le
genre épidictique et non pas dans le genre judiciaire.
Il faudrait aussi préciser que, dans la prise de parole épiscopale, la condamnation ou le
blâme est appliqué aux actes et non à leurs auteurs. En voudrait pour illustrations, la
condamnation du « recrutement des enfants aux fins de les impliquer de force dans les
hostilités191 », et la condamnation des actes des rébellions192, pour laquelle la CENCO
remercie la Communauté internationale. Dans cette lutte, on observe une ressemblance
avec l’éthique et les actions que Gandhi prône dans sa théorie de la non-violence. Pour lui,
il faut lutter contre le mal commis par l’adversaire en tant qu’adversaire, sans s’attaquer à la
personne de celui-ci193. Gandhi le dit en ces termes : « il faut faire une distinction entre
l’homme et ses actes194. » En condamnant tout recours à la guerre comme voie ou moyen
de résolution des conflits ou d’accession au pouvoir195, les évêques prônent l’engagement
dans la lutte non-violente, qui seule permet d’en finir avec la guerre en RD Congo tout en
sauvegardant l’unité ou la cohésion nationale. C’était aussi le cas en 2006. Face à la
violence post-électorale, les évêques déclaraient : « nous condamnons toute violence, d’où
qu’elle vienne, ainsi que tout discours appelant à la haine, à la division et à l’exclusion. […]
nous devons relever le défi de l’unité et de la cohésion nationale196. » Somme toute, il faut
189 Reboul souligne que le genre judiciaire accuse (réquisitoire) ou défend (plaidoirie). (Olivier REBOUL,
Introduction à la rhétorique…, p. 57). 190 Ibid., p. 57. 191 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 2. 192 Ibid., no 5. 193 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 134. 194 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 158. 195 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 5. 196 CENCO, La vérité vous rendra libres…, nos 5-7.
49
sonner le glas au règne des violences de la guerre en persuadant l’auditoire, note Saint
Augustin, de rejeter ce que l’orateur condamne197.
En outre, les évêques dénoncent198 des crimes contre la population congolaise199 et tout ce
qui peut compromettre l’avenir de la nation200. La dénonciation qui invoque généralement
le genre judiciaire, continue d’inscrire les énoncés épiscopaux dans le genre épidictique au
sens de blâme. On le trouve clairement exprimé dans ce qui suit : « Nous dénonçons tous
les crimes commis sur de paisibles citoyens et désapprouvons de la manière la plus absolue
toute agression du territoire national201 ».
Le courage de dénoncer le mal émane de la mission dont sont investis les évêques, c’est-à-
dire leur charge de pasteur et leur mission de prophète. Les évêques le soulignent en ces
termes : « Notre charge de pasteur et notre mission prophétique nous obligent à dénoncer
tout ce qui peut compromettre l’avenir de la nation202 ».
De fait, ce propos s’inscrit dans la mission prophétique qui, selon Jacques Vermeylen, se
résume en trois actes : annoncer, dénoncer et renoncer203. L’acte de dénoncer est
intrinsèquement liée à la fonction prophétique de l’épiscopat. L’identité d’évêque ‒ pour le
197 Selon saint Augustin, « l’auditoire ne sera vraiment persuadé […] que : s’il est conduit par vos promesses
et effrayé par vos menaces, s’il rejette ce que vous condamnez, et embrasse ce que vous recommandez; s’il se
lamente devant ce que vous présentez comme lamentable, et se réjouit de ce que vous présentez comme
réjouissant; s’il s’apitoye devant ceux que vous présentez comme dignes de pitié, et s’écarte de ceux que vous
lui présentez comme des hommes à craindre et à éviter. » (St. AUGUSTIN cité par Chaïm PERLMAN,
L’empire rhétorique…, p. 31). 198 D’après le dictionnaire juridique, une dénonciation est généralement une « déclaration écrite ou orale par
laquelle une personne informe les autorités judiciaires de la commission d’un acte délictueux. » (Gérard
CORNU, Vocabulaire juridique…, p. 327). Autrement dit « dénoncer » c’est (selon Le petit Larousse)
«signaler comme coupable à la justice, à l’autorité compétente [ou c’est encore] s’élever publiquement
contre.» 199 La dénonciation des drames causés par la guerre s’avère une des preuves du courage dont témoignent les
évêques au nom de la vérité. Il sied de souligner en passant, que dans un régime de guerre tout se règle à coup
de canon ou d’intimidation. En revanche, à force de préserver sa vie, on finit par devenir complice des crimes
dans lesquels périssent les Congolais. 200 CENCO, Soyez vigilants (cf. 1P 5,8). La paix dans la justice et la vérité…, no 1. 201 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, Elle est inconsolable…, no 5. 202 CENCO, Soyez vigilant (cf. 1 P 5,8). La paix dans la justice et la vérité…, no 1. 203 Dans son article « Les prophètes et Jésus », Jacques Vermeylen résume la mission des prophètes en
trois éléments : annoncer, dénoncer et renoncer. En décrivant la mission du prophète Amos, il écrit par
exemple qu’Amos « voit la misère des pauvres, et il comprend qu’elle ne répond pas à la volonté divine, mais
qu’elle est produite par la rapacité des puissants. Alors, il les interpelle au nom de YHWH, dénonce leurs
crimes, annonce la terrible punition divine. » (cf. Am 2,6-16).
[http://www.maisondelabible.catho.be/articles/autres2.htm] (Consulté lundi 21 juillet 2014).
50
cas qui est le nôtre ‒ appuie indubitablement les actions des évêques. On le voit bien
exprimé dans ce qui suit :
Pasteur du peuple de Dieu qui nous est confié, stipulent les évêques, nous
voulons éclairer les consciences des fidèles et apporter, dans l’exercice de
notre mission prophétique au sein de la société congolaise, notre
contribution à l’édification d’un État de droit et à la reconstruction
matérielle et morale de notre pays. Car le mandat du Seigneur qui nous
envoie par le monde entier proclamer l’Évangile à toutes les créatures (cf.
Mc 16,15) concerne aussi tous les lieux où se décide la destinée de la
nation204.
Cette identité, c’est effectivement ce que, dans le langage rhétorique, Ruth Amossy205 et
Olivier Reboul appellent l’éthos du locuteur206.
Dans les discours des évêques, l’éthos est d’autant plus fondamental qu’il suscite l’intérêt
d’écoute de la part de l’auditoire, et l’adhésion de ce dernier aux arguments qui sous-
tendent leurs énoncés. Les évêques le laissent pressentir en déclarant : « Nous,
Archevêques et évêques, membres de la Conférence Épiscopale Nationale du Congo […],
tenons à adresser au peuple congolais un message d’espoir et un appel pressant aux futurs
dirigeants de la IIIe République pour un sursaut patriotique207. » L’identité fortement
soulignée dans cette citation sous-tend en même temps les deux objets du message : « le
message d’espoir » adressé au peuple congolais et l’« appel pressant […] pour un sursaut
patriotique » adressé aux dirigeants.
Pour Ruth Amossy, l’ethos s’élabore sur la base du rôle que remplit l’orateur, à savoir ses
fonctions institutionnelles, son statut, etc.208, tel qu’on l’a vu dans la longue citation
précédente. D’ailleurs, Olivier Reboul note que, sans la confiance que l’ethos inspire, les
arguments logiques ne peuvent rien209 sur l’auditoire. Voilà pourquoi les évêques parlent,
soit sous l’identité épiscopale, soit en leur qualité de pasteur à laquelle ils réfèrent toujours
dans les discours. Ainsi, trouve-t-on des expressions telles que : « nous,… archevêques,
204 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 1. 205 Ruth Amossy appelle éthos « l’image de soi que l’orateur construit dans son discours pour contribuer à
l’efficacité de son dire ». (Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours.., p. 60). 206 Olivier Reboul définit l’éthos comme étant le caractère que doit prendre l’orateur pour inspirer confiance à
son auditoire. (Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique..., p. 59). 207 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 1. 208 Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 70. 209 Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique…, p. 59.
51
évêques », « nous Église », « nous… veilleurs et éveilleurs des consciences210», « Pasteurs
du peuple211 », etc. C’est dans ce rapport à l’ethos que le logos épiscopal se déploie comme
force de vérité ou lutte non violente contre les injustices. Dans cette perspective, Charles
Pataya estime que « les évêques, [mieux] l’Église a toujours participé au « combat
légitime» pour la construction d’un État de droit. […] Elle ne s’est jamais tue et elle ne se
taira jamais quand les droits fondamentaux des citoyens sont bafoués212. » Cette mission est
donc liée à la vocation évangélisatrice de l’Église.
Les évêques congolais dénoncent tous les faits qui mettent en péril l’édification d’un État
démocratique : la tricherie (lors des élections de juin et octobre 2006, pire encore lors des
élections de novembre 2011), la corruption, la culture du mensonge et de la terreur, la
militarisation et l’atteinte flagrante à la liberté d’expression213. Ils dénoncent également
l’usage des milices et même des éléments de l’armée pour des intérêts partisans, surtout
dans le but d’entretenir la guerre ou des situations troubles214. Ainsi, en dénonçant le mal,
les évêques militent pour la vérité. Celle-ci étant un des principes de la non-violence, ces
pasteurs de l’Église sont donc convaincus qu’« un non violent ne peut pas s’habituer au mal
ni se taire devant l’injustice215 ». C’est pourquoi ils militent sans réserve pour le triomphe
de la vérité parce que c’est en elle que la paix trouve ses assises : « cette paix que nous
recherchons doit être fondée sur la vérité, la justice et la liberté216 » déclarent-ils.
En plus de la dénonciation, les évêques désapprouvent ou protestent contre la tragédie
humanitaire qui, au fait, plonge le pays dans un génocide silencieux, une tragédie qui se
déroule sous les yeux de ceux-là qui ont pourtant reçu mandat de protéger les populations
civiles217. Dans la lettre Encore le sang des innocents en RD Congo! les évêques
210 CENCO, Pour une fin de transition apaisée…, no 3. 211 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 2. 212 Charles KASEREKA PATAYA, Jalons pour une théologie pastorale du pardon et de la réconciliation en
Afrique. Cas de la République Démocratique du Congo (RDC), Préface d’Henri DERROITTE, Louvain-la-
Neuve, Académia-L’Harmattan, 2012, p. 115. 213 CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix…, no 8. 214 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 12. 215 CENCO, Élections et questions majeurs de gouvernance…, p. 32. 216 CENCO, Soyez vigilants (cf. 1P 5,8). La paix dans la justice et la vérité…, no 13. 217 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, nos 1-2.
52
désapprouvent avec fermeté « la prise en otage de la population civile et son utilisation
comme bouclier humain218 ».
En définitive, en regardant de près leur vocabulaire, on peut dire que la posture des évêques
est, d’une part, de s’opposer ou de résister de façon non violente à la guerre et à toute
tentative de faire de la guerre un moyen pour résoudre des conflits en RD Congo. D’autre
part, cette lutte vise à éradiquer les pensées qui entretiennent la guerre, et non porter
atteinte à la personne de l’auteur du mal. De ce fait, l’intention est de réconcilier les
Congolais entre eux par l’amour patriotique et la considération mutuelle. C’est pourquoi,
non seulement ils s’opposent, mais aussi ils proposent leur vision d’une RD Congo à venir.
Pour y arriver, ils élucident aussi les sources des conflits.
2.3 Sources de la guerre et recommandations des évêques
Dans la lettre Encore le sang des innocents en RD Congo! les évêques relèvent deux
indices permettant de cerner les motifs des belligérants. Premier indice : dans la plupart des
cas, la guerre sévit dans des zones riches en ressources naturelles. « On se bat là où il y a
des richesses que l’on exploite ou [l’on] voudrait continuer à exploiter illégalement219 »,
indiquent les évêques. Ce constat est réaffirmé dans la lettre intitulée La RD Congo pleure
ses enfants, elle est inconsolable (cf. Mt 2,18) : « Tous les conflits se déroulent dans les
couloirs économiques et autour des puits miniers220. » On en déduit que les ressources
minières sont, sans équivoque, la source du malheur des Congolais221. Pour l’illustrer, Jean-
Claude Willame révèle que beaucoup d’hommes d’affaires et sociétés étrangères sont
impliqués dans le pillage des ressources et, pour cette raison, favorisent la poursuite de la
guerre. Ils contribuent, indique-t-il, « aux ravages de la guerre et aux pertes en vies
humaines résultant de l’extraction et de la commercialisation des ressources naturelles de la
218 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 2. 219 Ibid., no 3. 220 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 4. 221 Ibid., no 4.
53
RDC222. » Les évêques ont donc raison de parler de « guerres récurrentes » sous lesquelles
les richesses de la RD Congo sont pillées223 et les vies humaines anéanties.
Vue sous cet angle, la guerre est, aux regards des évêques, un paravent pour couvrir le
pillage des ressources naturelles. Aussi, invitent-ils les Congolais à ouvrir l’œil et à se
dresser contre le pillage de leurs ressources et contre la fragmentation de leur territoire224.
Deuxième indice : l’exploitation illégale des ressources cacherait un autre problème qui
attise la guerre : l’éventuel projet de balkanisation225. Entre autres sources génératrices de la
guerre, les évêques mentionnent la conquête du pouvoir. En en faisant mention, les évêques
veulent éveiller l’attention des Congolais à la défense et à la protection de leurs droits. Pour
ce faire, les évêques montrent déjà un exemple par leur engagement dans cette lutte : « La
Conférence Épiscopale Nationale du Congo "ne rappellera jamais assez" que l’intégrité
territoriale, l’intangibilité des frontières et de l’unité nationale de la RD Congo ne sont pas
négociables226. » L’effort des évêques consiste donc à proposer des recommandations aux
divers acteurs des conflits en RD Congo et à les sensibiliser à la même lutte. Comme dirait
Perelman227, c’est susciter en eux une disposition à l’action.
Dans le message Encore le sang des innocents en RD Congo!, notamment, les évêques
exhortent un nouveau Premier ministre et son futur Gouvernement, « à considérer comme
priorité des priorités la tâche urgente du rétablissement total de la paix […] et de
[sauvegarder] l’unité [du pays] par la constitution d’une armée républicaine à même de
protéger ses frontières et sa population228 ». Si les évêques invitent ainsi le gouvernement à
prendre ses responsabilités229, c’est à cause du manque notoire d’encadrement des forces
armées. Plaidant pour leur réorganisation, ils rappellent que « nul n’ignore que l’absence
222 Jena-Claude WILLAME, Les « faiseurs de paix » au Congo. Gestion d’une crise internationale dans un
État sous tutelle, Bruxelles, Éditions Complexe, 2007, p. 109. 223 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 3. 224 Ibid., no 3. 225 Ibid., no 3. 226 Ibid., no 3. 227 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 30. 228 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 4. 229 Pour les évêques la restauration de la paix sur toute l’étendue du territoire congolais relève de la
responsabilité du Gouvernement. C’est en ce sens qu’ils écrivent par exemple que « c’est le devoir sacré de
nos gouvernants d’exercer leurs fonctions régaliennes afin de protéger le peuple et de garantir la sécurité aux
frontières. » (CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 9).
54
d’une armée républicaine est préjudiciable à la paix dans le pays230. » Cet appel à la
responsabilité vise aussi l’engagement des autorités politico-administratives et des forces
armées dans la bonne gouvernance. Il n’y aura pas d’avenir pacifique en RD Congo tant
qu’il n’y aura pas d’armée républicaine, soulignent les évêques. Ce discours exploite le
genre délibératif où se déploie le conseil pour bâtir la paix et en finir avec la guerre231 en
vue de l’avènement d’un Congo nouveau.
Bien plus, les évêques demandent à la Communauté internationale de prendre des mesures
effectives et efficaces pour obliger les bandes armées, mieux les rebellions, à respecter
l’engagement de ne servir que la nation et de sauvegarder l’intégrité du territoire
national232. En outre, la CENCO demande instamment à la même Communauté
internationale de s’impliquer sincèrement pour faire respecter le droit international. Elle
milite aussi fortement pour l’envoi d’une force de pacification et de stabilisation en RD
Congo afin de rétablir ce pays dans ses droits233. Dans ces exemples – qui n’épuisent pas
les recommandations –, le genre délibératif met en évidence les projets234 des évêques sur
l’avenir de la RD Congo.
En somme, le discours des évêques met en lumière les sources des violences d’une part, et
de l’autre, appelle à la responsabilité de tous les acteurs politiques et, particulièrement, à la
conscience patriotique des auteurs du malheur qui éprouve les Congolais. C’est un appel à
la prise de position contre les causes de cette violence. Tel est une autre acception de la
non-violence235. En découle une vision théologique – la responsabilité et la libération –
propre à éveiller la sensibilité de l’Église congolaise, en particulier, et du peuple de Dieu en
général, à la souffrance des humains dont nous sommes solidaires en tant qu’être créés à
l’image de Dieu. Pour les évêques congolais, seule pareille conscience patriotique permet
de lutter contre la balkanisation du pays.
230 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 9. 231 D’après Olivier Reboul, « Le délibératif conseil ou déconseille dans toutes les questions concernant la
cité : la paix ou la guerre, la défense, les impôts, le budget, les importations, la législation ». (Olivier
REBOUL, Introduction à la rhétorique…, p. 57). 232 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 5. 233 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 10. 234 Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique…, p. 57. 235 D’après Christian Mellon, « le mot "non-violence" n’est pas seulement un outil conceptuel permettant de
décrire certains modes d’action; c’est aussi une proposition qui appelle des prises de position. » (Christian
MELLON et J. SEMELIN, La non-violence…, p. 5).
55
3. Combat contre la politique de la balkanisation
La balkanisation est un danger réel auquel la RD Congo est exposée depuis plusieurs
années. Ayant ressurgi comme l’ultime visée des groupes armées, la balkanisation est
génératrice de la violence, des morts, des divisions et conflits interethniques, de pillages
des ressources, etc. Par voie des faits proposée aux Congolais contre leur gré, la
balkanisation a suscité plusieurs résistances armées et autres mouvements « d’autodéfense
populaire ». Le rêve de balkanisation constitue donc l’autre motif de la guerre civile dont
les conséquences sont innombrables. Dès lors, les évêques l’inscrivent parmi les maux à
combattre pour sauvegarder la souveraineté et l’unité nationale. Qu’entend-on par
balkanisation?
3.1 Définition du néologisme « balkanisation »
On entend par balkanisation le « processus qui aboutit à la fragmentation en des nombreux
États de ce qui constituait auparavant une entité territoriale et politique236. » En d’autres
termes, c’est le morcellement politique d’un pays en petites unités autonomes. Ces unités
deviennent dès lors dépendantes des puissances dont elles sont sous la tutelle. Le terme
«balkanisation » découle du verbe « balkaniser » qui, à en croire Michel Roux, est à
comprendre dans le contexte de la péninsule balkanique :
La péninsule balkanique a oscillé entre l’unité, réalisée par les Empires
romain, byzantin et ottoman, et la fragmentation, soit en principautés
féodales, soit en États nationaux. C'est au XIXe siècle, lorsque les
nationalités, manipulées par les grandes puissances, s'entre-déchiraient tout
en luttant pour leur indépendance, que fut créé le mot « balkaniser », avec le
sens de semer la discorde et diviser en mini-États pour affaiblir237.
Cela étant, balkaniser un État, c’est le démembrer, le segmenter, mieux le fractionner même
en plusieurs petits États que les évêques de la RD Congo nomment des « États nains »238
s’il faut le regarder dans le contexte de crise en RD Congo.
236 [s.a.], Le Petit Larousse 2003, Paris, Larousse/ VUEF, 2002, p. 113. 237 Jean AUBOUIN et Michel ROUX, « BALKANS ou PÉNINSULE BALKANIQUE », Encyclopædia
Universalis [en ligne], [URL : http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/peninsule-
balkanique/] (consulté le 2 septembre 2014). 238 CENCO, Encore le sang des innocents…, no 3.
56
En effet, le mot « balkanisation » n’est pas nouveau dans l’histoire de la RD Congo. Le
professeur Mbaya Mudimba239 indique que Patrice Lumumba l’invoquait déjà lors de la
lutte pour l’indépendance en ces termes : « Le complot était déjà fait; le plan était déjà
établi; c’est d’imposer un gouvernement contre la volonté du peuple; la Belgique désire
balkaniser le Congo; l’éclatement du Congo, c’est demain240. » La sécession katangaise
avec Moïse Tshombé en est un des exemples. En passant, on entend par sécession
katangaise la déclaration unilatérale d’indépendance de la province minière du Katanga en
État du Katanga en juillet 1960 avec l’appui de la Belgique241. La conséquence interne de
ce démembrement est bien la division et les conflits interethniques au sein des Baluba. On
parlera désormais des Baluba du Katanga et des Baluba du Kasaï. Dans une certaine
mesure, c’est aussi pour contrer cette balkanisation que les projets d’un État fédéral ont
toujours été rejetés au profit de la centralisation, considérée comme seule garante d’un État
uni et fort.
Bien plus, le vocable ne deviendra en vogue qu’avec les guerres d’invasion qui déchirent le
pays depuis 1996. Il s’agit d’abord de la guerre dite de libération menée par Laurent Désiré
Kabila en vue de renverser le régime de Mobutu en mai 1997. Cette guerre entraina
l’entrée massive des militaires rwandais, ougandais et burundais sur le territoire congolais.
Par conséquent, les frontières devinrent poreuses, le pillage et l’exploitation illégale des
richesses congolaises s’opérèrent sous le regard impuissant des Congolais. Des hommes et
femmes sont tués, kidnappés, violés. Au demeurant, le Kivu devint le fief de ces armées et
la RD Congo est divisée en deux parties, créant ainsi le clivage Est et Ouest242. Les évêques
le soulignent en ces termes : « notre pays est divisé par une guerre d’agression et
d’occupation. Dans les territoires occupés, les armées d’agression et d’occupation en
provenance du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda règnent en maîtres243. »
239 Mbaya MUDIMBA est professeur à l’Université de Kinshasa en RD Congo. 240 Mbaya MUDIMBA, « Réflexion sur le projet de balkanisation de la RDC – Géoéconomie et
Géopolitique», article publié le 11 février 2013 sur le site Web du Gouvernement Provincial du Nord-Kivu :
[http://www.provincenordkivu.org/reflexion-sur-balkanisation-rdc.html] (site consulté le 1er septembre 2014). 241 Thomas TURNER, Congo, Chichester, Polity, 2013, p. 9. 242 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 7. 243 CENCO, « Courage! Le Seigneur ton Dieu est au milieu de Toi (So 3,17) no 3 », dans Faustin-Jovite
MAPWAR, Église et société…, p. 82.
57
Le Kivu est donc coupé de tout le reste de la RD Congo puisqu’étant désormais contrôlé
par les agresseurs. En effet, de nouveaux conflits armés éclatent entre les milices
d’autodéfenses radicalement opposées à l’idée de balkanisation et les agresseurs qui la
provoquent pour mieux exploiter les richesses de cette partie de la RD Congo. Mbaya
Mudimba distingue deux types de balkanisation auxquelles la RD Congo est en proie: la
balkanisation géoéconomique et la balkanisation géopolitique244. Selon cet auteur, on parle
de la balkanisation géoéconomique lorsque, sans être démembré, un État est
économiquement exploité par un autre pays dont il subit l’emprise. C’est le cas du territoire
du Nord-Est de la RD Congo. Parmi les opinions des historiens et des hommes politiques
qui accréditent ce type de balkanisation, on citera celles d’Hermann Cohen et Nicolas
Sarkozy. Pour eux, la RD Congo « doit partager ses ressources naturelles avec le Burundi et
le Rwanda. Récemment, Nicolas Sarkozy, [alors] président de la République française, a
déclaré que la RDC devait partager ses ressources naturelles avec le Rwanda et ses autres
voisins245. » La balkanisation géopolitique, quant à elle, provoque le démembrement d’un
territoire ou d’une partie du territoire. C’est contre ces deux types de balkanisation que les
Congolais et les évêques luttent continûment.
3.2 Les évêques face à la balkanisation
Pour convaincre leur auditoire de la nécessité et de l’urgence de lutter contre toute forme de
balkanisation, les évêques soulignent ses innombrables conséquences sur le processus de
démocratisation de la RD Congo. Parmi ces conséquences, on peut citer : la fragilisation de
l’unité nationale246, la destruction de l’intégrité territoriale247, la division et l’exclusion
entre groupes ethniques248, les conflits et violences interethniques, la domination et la mise
sous-tutelle des fils et filles du pays249, l’usurpation de la nationalité, l’exploitation illégale
des ressources, etc.
244 Mbaya MUDIMBA, « Réflexion sur le projet de balkanisation de la RDC – Géoéconomie et
Géopolique»…, (Site consulté le 1er septembre 2014). 245 Ibid. 246 CENCO, « Conduis nos pas, Seigneur, sur le chemin de la paix (Lc 1,79) », dans Faustin-Jovite
MAPWAR, Église t société..., p. 69. 247 CENCO, « J’ai vu la misère de mon peuple (Ex 3,7). Trop, c’est trop! », dans Faustin-Jovite MAPWAR,
Église et société..., p. 107. 248 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 7. 249 CENCO, Pour une fin de transition apaisée…, no 9.
58
À en croire les évêques, le complot pour balkaniser la RD Congo se trame à l’étranger, bien
évidemment par l’entremise de certains traitres congolais. Ce « plan de balkanisation
qu’[ils ne cessent] de dénoncer est exécuté par les personnes relais250 ». Par exemple, sans
tergiverser, les évêques dénoncent les experts étrangers comme les artisans occultes de
cette balkanisation dont l’enjeu principal est de briser l’unité nationale, pire encore
d’entraîner la destruction du pays251. De ce contenu, on voit se dégager une hardiesse des
évêques de ne jamais se taire devant un mal ni en être complice. De cette façon, ils sont,
aux yeux des Congolais, des témoins de la vérité.
Autant les évêques réagissent contre la guerre, autant ils désapprouvent « de la manière la
plus absolue toute agression du territoire national252. » Aussi, demandent-ils au peuple
congolais de « ne jamais céder à toute velléité de balkanisation d[u] territoire national, de
ne jamais souscrire à une remise en question de ses frontières internationalement établies et
reconnues depuis la conférence de Berlin253 ». Le verbe directif « demander » indique un
appel à l’allocutaire à s’engager dans l’action254. Les modalisateurs de la négation stricte
(«la plus absolue », « ne jamais ») montrent l’opposition radicale des évêques à la
balkanisation.
La question de balkanisation traverse nombre de discours de la CENCO. Les évêques y
opposent une résistance en termes clairs et sans ambiguïté : entre autres « non » à la
balkanisation de la RD Congo, l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale « ne sont
pas négociables », l’invitation de la population à se « défaire des mentalités » pro-
balkaniques. Témoignent de cette résistance irréductible, des passages comme celui-ci:
face à la menace du prétendu « clivage entre l’est et l’ouest du pays »,
idéologie savamment entretenue dans certains milieux, avec le peuple nous
disons non à toute tentative de balkanisation du Congo pour le fragiliser et
l’exploiter à souhait. Aussi voulons-nous réaffirmer que l’intégrité
250 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 4. 251 CENCO, « Bienheureux les artisans de paix (Mt 5,9). Les évènements actuels et l’avenir du Zaïre.
Message des évêques du Zaïre », janvier 1997, dans Faustin-Jovite MAPWAR, Église et société..., p. 45. 252 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 5. 253Ibid., no 4. 254 À en croire Daniel Vanderveken « demander, c’est faire une tentative linguistique pour que l’allocutaire
fasse quelque chose en lui laissant l’option de refuser ». (Daniel VANDERVEKEN, Les actes de discours.
Essai de philosophie du langage et de l’esprit sur la signification des énonciations, Bruxelles, Pierre
Mardaga, 1988, p. 182).
59
territoriale et la souveraineté nationale ne sont pas négociables. Nous
demandons à notre peuple de demeurer vigilant pour barrer la route à tous
ceux qui veulent diviser les Congolais pour des intérêts inavoués. En outre,
nous invitons nos concitoyens à se défaire des mentalités et des
comportements par lesquels, même sans le vouloir, ils risquent de faire le
jeu de la balkanisation, notamment par la discrimination et l’exclusion sur
base d’identité ethnique ou régionale. Nous devons relever le défi de l’unité
et de la cohésion nationale255.
Dans ce paragraphe, non seulement les évêques mettent au jour les enjeux de la
balkanisation, véritable « menace » de l’unité et de la souveraineté nationale, mais ils en
dissuadent également tous les complices et les invitent à cultiver le sentiment patriotique
pour résister aux sollicitations divisionnistes.
Pour ce faire, les évêques s’adressent à tous les Congolais dans un langage de
rapprochement, sous forme de conseils : « nous demandons à notre peuple », « nous
invitons nos concitoyens », « avec le peuple nous disons non », etc. On est bien loin d’une
accusation comme le serait le genre judiciaire. En fait, le fondement de ce conseil est un
appel à se désolidariser de toute intention de balkanisation. Il sied de souligner par contre
que la volonté d’action est ici laissée au bon sens de l’auditoire, même si l’engagement de
lever le défi est toujours fortement souligné par le locuteur : « nous devons relever le défi
de l’unité et de la cohésion nationale. » C’est effectivement ce qu’Olivier Reboul appelle,
en rhétorique, « le genre délibératif256 ».
Les évêques s’opposent également à toute tendance à fragiliser et à exploiter la RD Congo.
Selon eux, il s’avère impérieux que l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale de la
RD Congo soient respectées tant par les étrangers que par les Congolais eux-mêmes.
Mieux, qu’on reconnaisse incontestablement que la RD Congo est un État de droit; un État
où la dignité de la personne est respectée. Dès lors, c’est à cette tâche que l’Église se
dévoue : « Pasteurs du peuple de Dieu qui nous est confié, nous voulons éclairer les
consciences des fidèles et apporter notre contribution à l’édification d’un État de droit et la
reconstruction matérielle et morale de notre pays […]. Seul le combat pour la dignité de la
255 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 7. 256 D’après Olivier Reboul, le genre délibératif conseille ou déconseille dans toutes les questions concernant la
cité : la paix ou la guerre, la défense, les impôts, le budget, etc. (Olivier REBOUL, Introduction à la
rhétorique…, p. 57.)
60
personne humaine reste notre principale préoccupation257. » Les évêques invitent leurs
auditeurs à prendre le même chemin de lutte contre les violences, la balkanisation, etc.
Autrement dit, les Congolais sont conviés à être de vrais artisans de la vérité, à l’instar de
Gandhi, pour qui la vérité est ce à quoi tout homme aspire comme un bien, ainsi que nous
l’indiquions dans le premier chapitre.
Par ailleurs, la CENCO souligne que les effets néfastes de cette balkanisation n’affectent
pas seulement l’ordre socio-politique, mais également l’ordre théologique. En effet, avec la
fragmentation de l’unité nationale, se disloque aussi la famille de Dieu. « Si un royaume est
divisé contre lui-même, ce royaume-là ne peut subsister […] » (Mc 3,24-25), rappellent les
évêques. Le pillage et la mise sous-tutelle du territoire balkanisé constituent un mépris
flagrant des droits souverains de la RD Congo et des droits de la personne. Les évêques le
soulignent en ces termes : « l’Église n’entend pas faire la politique. Mais elle [doit
revendiquer] "la liberté d’exprimer son jugement moral sur [la réalité politique] chaque fois
que cela est requis par la défense des droits fondamentaux de la personne humaine ou par le
salut des âmes"258. » Au final, le discours des évêques montrent dans cette balkanisation
une tendance au néocolonialisme portant une atteinte flagrante à la dignité de la personne et
au bien commun. C’est pourquoi l’Église milite inlassablement pour la prise de conscience
de l’unité et de la cohésion nationale dans la vérité. « La souveraineté nationale et
l’intégrité territoriale ne sont pas négociables », martèlent les évêques. En appelant les
Congolais et leurs dirigeants à une gestion responsable du pays, l’Église milite également
pour la reconnaissance d’un État de droit, à bâtir à travers des élections démocratiques.
4. Engagement des évêques dans les processus électoraux
La construction de la démocratie demeure une préoccupation de l’Église en RD Congo.
Jean-Paul II disait déjà que « l’Église apprécie le système démocratique, comme système
qui assure la participation des citoyens aux choix politiques et garantit aux gouvernés la
possibilité de choisir et de contrôler leurs gouvernants, ou de les remplacer de manière
pacifique lorsque cela s’avère opportun259. » Aux yeux de l’Église, les élections en
257 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 2. 258 Ibid., no 2. 259 Jean-Paul II cité par Compendium de la Doctrine sociale de l’Église…, no 406.
61
demeurent le moyen privilégié, soutiennent les évêques de la RD Congo260. Dès 1990, ces
derniers se battent pour la tenue des élections démocratiques en RD Congo, lesquelles ne se
tiendront pour la première fois qu’en 2006. Comment l’Église y a-t-elle contribué? Le
discours des évêques fournit deux éléments de réponse : l’éducation civique et électorale, et
les défis auxquels le mécanisme de lutte de l’Église fait face.
4.1 De l’engagement en matière d’éducation civique et électorale261
L’engagement de l’Église dans l’éducation civique de la nation congolaise relève de son
rôle de « mère et éducatrice », qui se place au cœur du village afin d’éclairer les
consciences. Dans cette posture, l’Église est solidaire des joies et des peines, des tristesses
et des angoisses du peuple congolais262. Vatican II le dit mieux : « Les joies et les espoirs,
les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux
qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples
du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur263. » Les
évêques engagent l’éducation civique et électorale, avec un accent particulier sur le volet
«électoral », parce que la notion de démocratie n’est pas encore familière en RD Congo.
L’Église associe cet apprentissage primordial à sa mission évangélisatrice, afin d’aider le
peuple à asseoir la démocratie, pari d’autant plus difficile à réaliser que les tensions, les
violences et conflits armées endémiques rendent ardue la tâche et hypothétiques les
résultats.
Pour avoir une idée de la manière dont les évêques préparent le peuple congolais aux
élections, on peut se référer à ce qu’ils en disent dans leurs messages de 2006 à 2012. En
2006, à l’approche des premières élections, le pays étant déchiré par des années de
violences et de guerres, les évêques publient un message dont l’intitulé est éloquent :
«Levons-nous et bâtissons! (Ne 2, 18) pour un Congo nouveau ». D’après les évêques, les
élections de 2006 constituent un tournant décisif de l’histoire de la RD Congo. Les prélats
déclarent : « nous n’avons pas le droit de rater ce rendez-vous qui, précisent-ils, marquera
260 CENCO, L’église catholique en RD Congo et les élections. Repères et défis pastoraux, Kinshasa, Éditions
du Secrétariat Général de la CENCO, 2011, p. 9. 261 Ibid., p. 17. 262 Ibid., p. 9. 263 GS, no 1.
62
la refondation de notre cher pays264. » L’impératif est clair : engager toute la nation dans
l’action en vue d’un Congo nouveau : « Levons-nous et bâtissons! »
Partageant les malheurs du peuple, les évêques s’engagent d’autant plus résolument dans la
préparation des élections que celles-ci leur paraissent le moyen efficace de mettre fin aux
souffrances de la nation. Pour ce faire, le peuple doit donc se réveiller265, se tenir débout266
et saisir cette opportunité pour bâtir un Congo nouveau; un Congo digne d’un État de droit
moderne. Pour les évêques, les élections sonnent le moment de libérer les Congolais de
l’oppression. « Notre peuple ne mérite guère de continuer à porter [le] lourd fardeau de
l’incertitude du lendemain, d’insécurité grandissante et de misère intolérable267 »,
préviennent-ils.
Afin de résister à cette adversité et d’œuvrer courageusement pour le changement, le peuple
a besoin d’une rééducation. C’est à celle-ci que l’Église s’est engagée en prenant pour
cheval de bataille la préparation aux échéances électorales268. L’apprentissage qu’elle
propose porte, notamment, sur « comment voter » et sur l’importance même des
élections269. Évidemment, la priorité accordée à l’apprentissage du processus électoral
n’amoindrit aucunement l’intérêt de l’Église pour la formation humaine intégrale,
l’éducation des consciences en divers axes de la vie (écoles, catéchèses, etc.)270.
L’éducation civique et électorale, elle, vise d’emblée à « mener le peuple à prendre
264 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 1. 265 « Réveillons-nous! disaient les évêques, L’heure de nous mettre au travail a sonné. Il n’est plus question
d’ajournements. Nous avons souvent subi notre destin, il est temps de choisir de bâtir notre destinée. La tâche
est certes immense, les défis à relever innombrables, les obstacles majeurs, mais ne succombons pas à la
tentation du défaitisme. » (CENCO, Il est temps de nous réveiller…, no 14.) 266 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 5. 267 Ibid., no 1. 268 Il sied de préciser que c’est depuis juillet 2003 que l’Église congolaise a pris l’engagement de préparer le
peuple aux élections, à travers le programme de l’éducation civique et électorale. L’engagement stipule que
«Solidaires des aspirations du peuple, nous, Pasteurs de l’Église catholique, réaffirmons avec force notre
engagement à contribuer à la préparation aux élections qui doivent sanctionner la fin de [la] Transition que
nous espérons être la dernière dans l’histoire de notre pays. Pour cela, fidèles à notre mission évangélique (cf.
Mt 28,19), nous préconisons d’aider la nation en préparant le peuple aux élections, à travers l’éducation
civique responsable et engageante dans nos diocèses, selon un programme pastoral conçu à cet effet. »
(CENCO, «Pour l’amour du Congo, je ne me tairai point (cf. Is 62,1)» (14 février 2004), no 24, dans Faustin-
Jovite MAPWAR, Église et société…, p. 113). 269 CENCO, L’Église catholique en RD Congo et les élections…, p. 18. 270 Ibid., p. 17.
63
conscience de ses propres responsabilités dans la construction de la cité271 ». Les évêques
appellent donc à se tenir débout pour la reconstruction de la RD Congo :
l’impératif doit maintenant être clair et absolument décisif : nous mettre
debout en vue de construire notre destinée. Comme Néhémie à l’égard de
son peuple, nous vous interpellons : « vous voyez la détresse où nous
sommes : Jérusalem est en ruines, ses portes sont incendiées. Venez!
Reconstruisons le rempart de Jérusalem et nous ne serons plus insultés! (…)
Levons-nous! S’écrièrent-ils et bâtissons! Et ils affermirent leurs mains pour
le bel ouvrage » (Ne 2,17-18). Il est impérieux d’affermir nos mains pour
bâtir un Congo nouveau. Dieu nous jugera272.
Cette citation de la prophétie de Néhémie constitue une argumentation par l’exemple. Cet
argument du genre délibératif s’adresse habituellement à un public moins cultivé273, moins
formé. Historique, la reconstruction de Jérusalem en ruine grâce à l’effort de tout le peuple,
est un exemple d’autant plus convaincant que la majorité de la population congolaise
croient en la Bible. Comme dirait Maingueneau, la force persuasive est bien dans le rapport
que le peuple congolais établirait entre les deux destructions (de Jérusalem et de la RD
Congo) mises en perspective274. Avec Perelman, on dira que cet exemple de la destruction-
reconstruction de Jérusalem opère comme une incitation à l’imitation275 : s’ils aiment leur
patrie en ruine, les Congolais doivent s’engager à la reconstruire, comme l’avait fait le
peuple de Jérusalem. Dans ce contexte de l’argumentation par l’exemple, les évêques
convient donc les Congolais à forger l’avenir de la RD Congo à partir des faits tirés de
l’histoire. Tel est le sens qui se dégage de la phrase qui clôt la citation : « il est impérieux
d’affermir nos mains pour bâtir un Congo nouveau ». Cet exemple est le logos susceptible
d’inciter le peuple congolais à adhérer à l’action de la reconstruction nationale, et à prendre
conscience que l’avenir du pays est entre ses mains.
Dans ce discours, les évêques louent aussi la participation du peuple au référendum
constitutionnel – acte intrinsèquement civique –. Pour eux, cette participation est une
preuve tangible de l’engagement du peuple dans la reconstruction du Pays : « Nos
concitoyens ont démontré que, quelle que soit la situation, ils sont capables, s’ils le veulent,
271 Ibid., p. 24. 272CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 5. 273 Olivier REBOUL, Introduction à la rhétorique…, p. 58. 274 Daniel MAINGUENEAU cité par Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 133. 275 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 471.
64
d’œuvrer ensemble pour changer le destin du pays. L’organisation du référendum
constitutionnel peut être considérée comme une étape importante pour doter le pays des
structures nouvelles. La population mérite d’être félicitée pour sa mobilisation276. » Tel est
le genre épidictique par lequel les évêques louent les efforts du peuple congolais dans ce
processus de reconstruction.
Des actions plus concrètes d’éducation civique sont aussi proposées par les évêques. Ils ont
préparé et distribué les matériels pédagogiques et ont formé plusieurs personnes pour
assurer cette tâche d’éducation civique et électorale sur l’étendue du territoire congolais277.
Dans la même dynamique, ils ont aussi initié la campagne « Non-violence et élections », en
mettant un accent particulier sur la non-violence active. Cette campagne vise à sensibiliser
la population à s’abstenir des actes de vandalisme lors des échéances électorales. En ce qui
concerne les partis politiques, par exemple, les évêques indiquent qu’ils doivent «s’abstenir
de toute forme de violence (verbale ou physique) envers les adversaires politiques ». C’est
donc un rappel au respect des codes de bonne conduite dont les politiciens doivent, à leur
tour, faire montre auprès de leurs membres278. Par tout ce dispositif, les évêques forment le
Congolais au respect des valeurs éthiques et morales, garantes d’une société démocratique.
En s’adressant au peuple, le langage des évêques traduit un discours adressé à un public
partageant les mêmes valeurs que le locuteur. « À vous [peuple congolais], plus que
quiconque, nous vos pasteurs, nous vous assurons que nous comprenons vos épreuves et
nous communions aux souffrances que vous endurez279. » Partant de cette posture
d’empathie, les évêques adressent une mise à garde au peuple et invite celui-ci à se
désintéresser des comportements nuisibles à l’ordre civique :
Nous pensons cependant que, si beaucoup de politiciens se permettent
d’abuser de votre bonne foi jusqu’à vous entraîner dans des conflits
fratricides, c’est aussi avec votre propre collaboration et votre assentiment.
Évitez donc de vous laisser induire en erreur et plus particulièrement, de
soutenir des politiciens pour la seule raison qu’ils appartiennent à votre
276 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 7. 277 CENCO, L’Église catholique en RD Congo et les élections…, p. 22. 278 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 26. 279 Ibid., no 31.
65
région ou à votre communauté ethnique. Tout frère n’est pas forcément un
bon dirigeant280.
Le genre épidictique est très récurrent dans ce discours. Comme dirait Perelman, « ne
craignant pas la contradiction, l’orateur y transforme facilement en valeurs universelles […]
ce qui, grâce à l’unanimité sociale, [acquiert] de la consistance281. » Les évêques utilisent
donc ce genre pour mieux atteindre le cap de l’éducation civique et électorale. Ce mode
d’énonciation leur permet aussi d’exhorter le peuple à s’« instruire les uns les autres en
toute sagesse (cf. Col 3,16) et à [se] former le mieux possible pour [s’] opposer à tout retour
à la dictature et progresser ainsi dans la culture démocratique282. » Par cette éducation, les
évêques visent, si on peut encore emprunter les termes de Perelman, « à renforcer une
communion autour de certaines valeurs, que [les évêques cherchent] à faire prévaloir, et qui
devront orienter l’action vers l’avenir283. »
En définitive, l’engagement des évêques dans l’immense champ de l’éducation civique et
électorale paraît exemplaire, surtout pour les élections de 2006. Ils ont donc raison de dire
que « par son Programme d’éducation civique et électorale, l’Église catholique a largement
contribué à la réussite des élections de 2006. Celles-ci ont connu une large participation des
populations qui ont voté dans le calme, l’esprit de tolérance et l’esprit patriotique […].
C’est là tout le mérite de l’action conscientisante de l’Église284 ». La finalité de cette
éducation est aussi d’éveiller la conscience des Congolais à la gouvernance responsable,
malgré les innombrables défis.
4.2 Défis auxquels l’Église fait face
Comme on peut le constater, les évêques se dépensent dans la lutte non-violente afin
d’aider à restaurer l’État de droit en RD Congo. Charles Pataya note qu’en dépit du statut
«apolitique »285 de l’Église, elle se montre de plus en plus active dans la politique par sa
280 Ibid., no 31. 281 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTEC, Traité de l’argumentation…, p. 68. 282 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 31. 283 Chaïm PERELMAN cité par Ruth AMOSSY, L’argumentation dans le discours…, p. 47. 284 CENCO, L’Église catholique en RD Congo et les élections…, p. 23. 285 Les évêques ne cessent de rappeler la position de l’Église face à l’engagement politique. Ils rappellent
toujours que « l’Église n’entend pas faire la politique ». (CENCO, La vérité vous rendra libre…, no 1).
66
forte mobilisation des masses286. Néanmoins les obstacles à son action sont encore
multiples. Qu’en disent les évêques eux-mêmes dans leurs discours ?
Nombre de discours de la CENCO évoquent des situations de crise que les évêques
supposent résolues, mais qui reviennent de manière persistante. C’est le cas, notamment, de
la résurgence de la guerre à l’Est287, causée par des groupes armés incontrôlés288. Malgré
les innombrables appels des évêques aux dirigeants politiques pour la réforme de l’armée
unifiée et républicaine, force est de constater que la situation sécuritaire va de mal en pis.
Il en va de même des intentions de balkanisation qui continuent d’être nourries par certains
dirigeants complices du pillage des ressources nationales. Aussi, les évêques ne se lassent-
ils pas de stigmatiser ce fait, en martelant : « nous rappelons une fois de plus à l’opinion
internationale que l’intégrité territoriale et la souveraineté nationale ne sont pas
négociables289. » Insistants, ces appels et rappels indiquent que les évêques font preuve de
ténacité dans la lutte contre la balkanisation : « nous rappelons une fois de plus ». Le même
rappel rebondira plus tard, dans la lettre Encore le sang des innocents en RD Congo! : « La
Conférence Épiscopale Nationale du Congo ne rappellera jamais assez que l’intégrité
territoriale, l’intangibilité des frontières et l’unité nationale de la RD Congo ne sont pas
négociables290. »
En dépit de ce combat tenace que mènent les évêques depuis plus de 15 ans, les pillages des
ressources congolaises, l’exploitation et la paupérisation de la population, les tueries et les
viols, bref, le mépris de la dignité humaine sont loin d’être abolis. Les évêques le
reconnaissent quand, par exemple, ils affirment que « depuis plus de 15 ans, "d’un seul
cœur et d’une seule âme" (Ac 4,32), nous avons toujours engagé une lutte contre toute
forme d’exploitation et de paupérisation progressive et en outrance de notre peuple, pour
286 Charles KASEREKA PATAYA, Jalons pour une théologie pastorale du pardon…, p. 152. 287 Nous l’avions déjà souligné, mais rappelons-le ici, en 2008 les évêques se disaient effectivement être
préoccupés par la "reprise" des hostilités dans l’Est. Ils se demandaient « pourquoi cette reprise des hostilités
alors que des avancées significatives ont été réalisées avec la signature de l’Acte d’engagement de Goma? »
(CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 1). L’acte d’engagement de Goma fut conclu le
23 janvier 2008 entre les groupes rebelles et le Gouvernement congolais afin de mettre fin à la guerre. 288 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, nos 4-5. 289 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 30. On trouve le même rappel dans plusieurs autres discours dont
« Pour une fin de transition apaisée », no 3. 290 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 1.
67
qu’il retrouve sa dignité humaine291. » Est-ce à dire que les mécanismes de lutte non
violente proposés par l’Église sont infructueux? Les évêques manifestent certes de
l’exaspération – notamment quand ils se désolent que « "malgré [leurs] appels pathétiques"
aussi bien [aux] gouvernants qu’à la communauté internationale, hélas! La situation […]
n’a fait qu’empirer292 » –, mais leur lutte n’est ni vaine, ni perdue d’avance. Car, les
combats comme celui pour la dignité de la personne humaine sont sans fin, et demeurent
également une priorité de tout le temps293.
C’est pour cette raison que les évêques ne se découragent point et tiennent à tout prix à
poursuivre inlassablement leur combat. Dans la durée, ils sont convaincus de l’efficacité de
leur stratégie de lutte : le combat non violent par lequel ils espèrent reconstruire un État de
droit, mieux un État où règnent la paix, la justice, la concorde et la vérité. Tout cela en
opposition avec la tendance de considérer la guerre comme moyen pour accéder au pouvoir
ou pour résoudre les conflits.
Conclusion partielle
Dans ce chapitre, nous avons présenté les diverses formes d’implication des évêques dans
la lutte contre les injustices. Pour ce faire, nous avons fait un synopsis de trois thèmes de
prise de parole. D’abord face à la guerre au Kivu, la stratégie de lutte porte d’emblée sur la
sensibilisation de la population concernant les diverses sources des conflits. Puis, elle
consiste à éveiller la conscience de la population sur l’ampleur de la crise que traverse le
pays et, à terme, elle vise à la persuader d’adhérer à la lutte non violente contre les conflits
et les violences de cette guerre infernale.
Ensuite, face à la balkanisation, nous avons montré que les évêques s’opposent
catégoriquement à ce projet qui comporte de lourdes conséquences dont la fragilisation de
l’unité nationale et l’anéantissement de la souveraineté de la RD Congo. Les évêques
lancent un appel urgent à l’action pour la reconstruction à tous les protagonistes de la crise.
La non-violence est ici un appel à l’engagement pour bâtir un État où la violence est
bannie, un État où règne la paix. Avec Jean-Marie Muller, on peut dire qu’il s’agit là de la
291 CENCO, Pour une fin de transition apaisée…, no 3. 292 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 1. 293 CENCO, La vérité vous rendra libres…, no 2.
68
théologie de la non-violence, laquelle doit « être aussi une théologie de l’engagement
temporel du chrétien dans la cité294. » Cette cité est celle qui place d’abord l’homme au
centre, soulignent les évêques, et où doivent converger tous les secteurs vitaux de la
société. Car, poursuivent-ils, c’est l’homme, créé à l’image de Dieu, qui est la route
fondamentale de l’Église295. C’est cet impérieux appel à la reconstruction que les évêques
de la RD Congo adressent à tout Congolais épris du patriotisme : « L’impératif doit être
clair et absolument décisif : nous mettre debout en vue de construire notre destinée. » Au
fond, c’est la praxis qui est au cœur de cet appel à la reconstruction, nous mettre débout et
construire. Deux actions qui sont simultanées.
Enfin, nous avons considéré l’engagement des évêques dans le processus électoral en RD
Congo, à divers niveaux, parmi lesquels l’éducation civique et électorale. À travers cette
lutte, les prélats montrent combien les élections sont incontournables pour la reconstruction
d’un État de droit en RD Congo; un État où règne la paix. La non-violence est une valeur
inaliénable pour cette cité qui veut s’édifier sur des valeurs morales telles que la dignité de
la personne humaine et le bien commun.
Sans prétendre couvrir tout le champ de la lutte que mènent les évêques, nous avons essayé
de démontrer que la visée de la lutte non-violente est l’éradication du mal ou des
antivaleurs, et non pas de s’attaquer à la personne de l’adversaire. Le Congolais est invité à
ne pas se faire le complice du mal, encore moins à se taire et à laisser le mal triompher. Au
contraire, il est convié à œuvrer pour la vérité. Tel qu’elle se reflète dans leurs discours,
l’action des évêques en est l’exemple vivant. Certes, cela n’est pas toujours aisé, surtout
dans ce pays où la loi de la violence commande l’agir des dirigeants et leurs pairs. Mais la
non-violence active reste et demeure le moyen pour bâtir la paix dans ce pays. C’est
pourquoi, dans le chapitre qui va suivre, nous examinerons le rapport qui existerait entre la
non-violence gandhienne et la non-violence dont il est question dans la prise de parole des
évêques de la CENCO.
294 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 19. 295 Compedium de la doctrine sociale de l’Église…, no 62.
69
Chapitre troisième : Vers le rapport entre la non-
violence gandhienne et celle des évêques?
72
Après avoir esquissé la notion de la non-violence active gandhienne dans le premier
chapitre et dégagé la posture de cette non-violence à travers la prise de parole épiscopale
dans le deuxième chapitre, nous tenterons de comparer ces deux types de « pacifisme ».
Nous considérerons la non-violence du point de vue de la morale, pour déterminer, au
niveau pragmatique, la finalité de la non-violence face aux enjeux éthiques des violences de
guerre en RD Congo. L’enjeu sera de savoir quels principes moraux sous-tendent le
pacifisme dont il est question dans ce travail. Au préalable, il importe de rappeler que nous
sommes en train d’esquisser la notion de non-violence active comme moyen pour instaurer
la paix. D’où la question, qu’est-ce que la paix?
Notre réflexion s’articule sur deux points. Premièrement, nous faisons une brève mise au
point sur la paix. Il s’agit de présenter, succinctement, la paix telle que l’entend la doctrine
sociale de l’Église. Deuxièmement, nous analysons le rapport entre la non-violence
gandhienne et celle des évêques. Nous relèverons les formes de lutte non-violente
gandhienne qui traversent les actions des évêques contre les enjeux éthiques de la guerre en
RD Congo.
1. Mise au point sur la paix
La question de la paix traverse toute la vie de l’humain, où qu’il se trouve. D’abord dans le
rapport à Dieu, d’autant plus que la paix est l’attribut même de Celui-ci : « Le Seigneur est
paix » disait Gédéon (Jg 6,24). L’apôtre Paul dira autant du Fils de Dieu : « Christ est notre
paix » (Ep 6,15). Dans le même sens, la doctrine sociale de l’Église enseigne que « la paix
se fonde sur la relation première entre chaque être vivant et Dieu lui-même296. » Cette
relation se manifeste dans le salut de l’humanité en Jésus. Shinji Kayama dira, entre autres
sens, que « la paix est un don personnel de Jésus297 ». Citant Jürgen Moltamann, Bruno
Chenu ajoute cette précision : « la paix est une expression positive du salut : c’est le
bonheur, la bénédiction, la plénitude, la joie parfaite, à la fois le salut et le bien-être, la
liberté et la justice; un état qui ne laisse rien, absolument rien à désirer; plénitude de vie,
296 Compendium de la doctrine sociale de l’Église…, no 488. 297 Shinji KAYAMA, « Paix », dans Jean-Yves LACOSTE (dir.), Dictionnaire critique de théologie…, p. 10-
14.
73
libérée de la soumission et l’oppression298 ». Le salut souligné ici est bel et bien une
promesse du bonheur pour tout le cosmos. Ce qui veut dire qu’il est loin d’être un profit
individuel, mais plutôt un bien de tous les humains.
Dans le contexte de guerre, mieux, celui des violences sur lesquelles portent ce travail, la
paix est bien davantage que la « non-guerre » ou « l’absence de menaces »299 dit le même
Moltmann. Pour Vatican II aussi
la paix n’est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement
à assurer l’équilibre de forces adverses; elle ne provient pas non plus d’une
domination, mais c’est en toute vérité qu’on la définit « œuvre de justice » (Is
32,17). Elle est le fruit d’un ordre inscrit dans la société humaine par son divin
Fondateur, et qui doit être réalisé par des hommes qui ne cessent d’aspirer à
une justice plus parfaite. […] la paix n’est jamais chose acquise une fois pour
toute, mais sans cesse à construire300.
Dans cette perspective, la paix est un processus, une quête constante, un cheminement
historique dans lequel les travaux de destruction et de construction alternent. En ce sens,
Moltmann souligne que « sur le chemin de la paix, il importe de détruire le système de la
terreur, de l’armement et de la violence structurelle, et de construire la communauté et la
confiance mutuelle. Sur le chemin de la paix, on cherche à détruire l’oppression
économique et à construire un ordre économique mondial juste. Sur le chemin de la paix, il
faut détruire l’esclavage et construire la participation du peuple aux décisions
politiques301.» De cette façon, la paix exige l’engagement de tous les humains et la
recherche des moyens adéquats pour la reconstruction d’un ordre social juste. Néanmoins,
les uns usent alors de moyens violents, entre autres la guerre par des armes de destruction
massive, et les autres usent des moyens non-violents.
En effet, Gandhi use de la non-violence active pour lutter contre les injustices et les
violences de la guerre. Entendue au sens de satyagraha, écrit-il, la non-violence active
298 Jürgen MOLTMANN cité par Bruno CHENU et Marcel NEUSCH, « Dieu et la violence », dans Bruno
CHENU et Marcel NEUSCH, Dieu au XXIe siècle. Contribution de la théologie aux temps qui viennent, Paris,
Bayard, 2002, p. 92. 299 Bruno CHENU et Marcel NEUSCH, « Dieu et la violence »…, p. 92. 300 GS no 78, § 1. 301 Jürgen MOLTMANN cité par Bruno CHENU et Marcel NEUSCH, « Dieu et la violence »…, p. 93.
74
«signifie donc la résistance au mal par la force de l’âme302 », mieux la force de vérité,
disions-nous dans le premier chapitre. On peut en déduire que les injustices et la violence
sont le mal auquel le satyagrahi doit s’opposer par la non-violence303. Or, le mal s’oppose
au bien. Il porte atteinte à la dignité de la personne. Le mal porte préjudice à la paix. Pour
Jean-Paul II, « le respect incontournable et effectif des droits imprescriptibles et
inaliénables de chacun est la condition sine qua non pour que la paix règne dans une
société304. » Aux évêques congolais de renchérir que « la paix […] se fonde sur une
conception correcte de la personne humaine et requiert l’édification d’un ordre social selon
la justice et la charité305. » Le respect de la dignité, des droits de la personne et le souci de
promouvoir le bien commun sont donc fondamentaux pour la sauvegarde de la paix. C’est
par la force de l’âme, mieux la force de l’amour, bien plus la force de la vérité que l’on peut
y parvenir, souligne Gandhi306.
À cette fin, Vatican II « lanc[e] un appel ardent aux chrétiens pour qu’avec l’aide du Christ,
auteur de la paix, ils travaillent avec tous les hommes à consolider [la] paix entre eux, dans
la justice et l’amour, et à en préparer les moyens307. » Parler du pacifisme ici, sous-entend
alors l’engagement des chrétiens du point de vue moral face à l’impératif « paix à
construire et guerre à éviter308 ». Dans cette dynamique d’engagement de tous pour la paix
s’inscrit l’attachement de Gandhi à l’enseignement chrétien à travers le Sermon sur la
montagne. Nous nous arrêterons un instant sur la septième béatitude : « Heureux les
artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5,9). Dans cette béatitude, la non-
violence et la paix renvoient à la même convocation : celle d’un processus d’engagement
contre les injustices, les conflits de guerre ; la non-violence reste toujours un moyen pour
instaurer la paix.
Le Sermon sur la montagne est un des textes fondamentaux du Nouveau Testament où l’on
voit se dégager la posture chrétienne de la non-violence active face aux conflits de la
violence. « Heureux les artisans de paix car ils seront appelés fils de Dieu. » L’engagement
302 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 7. 303 Ibid., p. 7. 304 Jean-Paul II, « Paix, don de Dieu confié aux hommes », La Documentation catholique, 1822 (1982), p. 70. 305 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 6. 306 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 7. 307 GS no 77, § 2. 308 Christian MELLON, Chrétiens devant la guerre et la paix, Paris, Centurion, 1984, p. 85.
75
dans l’action pour la paix est souligné ici, tel que le précise Marcel Dumais : « Le terme
είρηνοποιοί est à traduire littéralement par "les faiseurs de paix". La béatitude s’adresse, par
conséquent, aux personnes qui s’engagent activement à bâtir la paix309. » L’Église-famille
de Dieu se donne en modèle de ces personnes. L’engagement de l’Église en RD Congo
témoigne de ce modèle, ainsi que le disent les évêques : « Solidaire de la souffrance de son
peuple, l’Église-famille de Dieu qui est en R.D. Congo s’engage à accompagner ses fils et
ses filles meurtris pour les conduire sur le chemin de la réconciliation et de la paix310. »
L’évocation de la réconciliation laisse entendre l’existence des dissensions ou divisions
entre les membres d’une même communauté ou famille. L’évocation de la paix sous-entend
que celle-ci a été supplantée par la guerre, le massacre de la population, le pillage, le viol
ou toute autre forme de violence, comme nous l’avons montré dans le deuxième chapitre.
Dès lors, le travail de l’Église consiste à aider les Congolais meurtris par la violence à se
réconcilier comme membres d’une même famille dont Dieu est le Père. C’est dans cet
effort de réconciliation que s’installe la paix. Ainsi cette paix qui naît de l’amour du
prochain se trouve identifiée à la paix que le Christ; modèle de toute réconciliation, a
accordée lui-même au monde, comme l’indique Gaudium et spes311.
Perçus sous ce jour, les artisans de la paix non seulement portent en eux le désir d’une paix
durable, mais ils la bâtissent autour d’eux, et plus généralement, dans leur société. La prise
de parole des évêques de la CENCO, comme on l’a vu dans le deuxième chapitre, et la lutte
pour l’indépendance de l’Inde par Gandhi en sont des exemples parlant. Marcel Dumais
distingue deux significations à cette béatitude des artisans de paix : il s’agit, d’une part, de
la dimension réconciliatrice des partenaires du conflit. Autrement dit, s’il faut en croire
Dumais, « les artisans de paix sont les personnes "qui s’emploient activement à établir ou
rétablir la paix là où des hommes sont divisés entre eux"312. » Et d’autre part, il s’agit de
travailler à établir les conditions favorables en vue de l’épanouissement des humains. C’est
309 Marcel DUMAIS, Le sermon sur la montagne. État de la recherche. Interprétation. Bibliographie, Paris,
Letouzey et Ané, 1995, p. 158. 310 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 11. 311 « La paix terrestre qui naît de l’amour du prochain est elle-même image et effet de la paix du Christ qui
vient de Dieu le Père. Car le Fils incarné en personne, prince de la paix, a réconcilié tous les hommes avec
Dieu par sa croix, rétablissant l’unité de tous en un seul peuple et un seul corps. Il a tué la haine dans sa
propre chair et, après le triomphe de sa Résurrection, il a rependu l’Esprit de charité dans le cœur des
hommes. » (GS no 78, § 3.) 312 Marcel DUMAIS, Le sermon sur la montagne. État de la recherche…, p. 159.
76
ce que l’auteur précise en ces termes : « les artisans de paix sont aussi des personnes qui
travaillent à établir les conditions favorables afin que tous et chacun puissent s’épanouir
dans la ligne de leur humanité. Ici, la "paix" rencontre la "justice" au sens où ce terme est
entendu aujourd’hui313. »
La lettre Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix plaide pour la justice et la
paix. Les évêques invitent le peuple à bâtir la paix, la justice et l’amour. D’après les
évêques :
Notre pays traverse à l’heure actuelle un temps d’incertitude et d’angoisse.
Notre foi en Dieu et notre confiance en l’homme, créé à l’image de Dieu,
nous convainquent que cette incertitude et cette angoisse peuvent être
dépassées moyennant un changement de cœur, de mentalité et de pratiques.
Il faut l’amour du pays, la volonté de renoncer à des intérêts égoïstes pour
rechercher dans le dialogue, les voies pour bâtir la paix en RD Congo. Mais,
la paix que nous voulons est celle qui trouve sa source dans la justice et
l’amour de la vérité. Car la paix des hommes qui s’obtient sans la justice est
illusoire et éphémère. La justice des hommes qui ne prend pas sa source
dans la réconciliation par la vérité de l’amour demeure inachevée. C’est
l’amour et le courage de la vérité314.
Les béatitudes prônent un enseignement moral caractéristique d’un Royaume où l’humain
attend de jouir du bonheur, envisagé dans un contexte où l’aspiration introduit déjà
l’humain dans son actualisation. Marcel Dumais peut dire avec raison que « la béatitude
n’est donc pas une promesse de bonheur pour l’avenir (le ciel!), mais une déclaration de
bonheur dans le présent315. » Certes, le temps des verbes dans les béatitudes montre que
l’accomplissement parfait du bonheur est dans cet avenir. Mais, citant Rudolph
Schnackenburg, Jean-Marie Muller précise que « par Jésus, avec Lui et en Lui, "le temps de
l’accomplissement eschatologique est là"316. » Expliquant ensuite le lien entre l’Incarnation
et la Rédemption, il souligne : « Ce n’est pas Dieu qui vient délivrer l’homme des réalités
charnelles pour le sauver et l’introduire en son Royaume céleste, c’est Dieu qui vient
313 Ibid., p. 159. 314 CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix…, no 14. 315 Marcel DUMAIS, Le Sermon sur la Montagne (Matthieu 5-7), Paris, Cerf, 1996, p. 16. 316 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 26.
77
rejoindre l’homme au cœur même des réalités charnelles pour le sauver et lui permettre de
construire dès ici-bas un Royaume de justice, de paix et de fraternité317. »
Est ainsi exprimé l’amour vécu dans sa dimension verticale (amour de Dieu) et horizontale
(amour du prochain). On peut en déduire que l’effort de l’humain de bâtir la paix et la
justice s’inscrit déjà dans l’engagement social. Car, toujours selon Jean-Marie Muller, le
salut par Jésus Christ n’est pas seulement d’ordre spirituel donné à l’homme individuel. Il
est aussi et en même temps un salut temporel donné au monde et à toute la création.
Dès lors, l’Église est à considérer dans les deux dimensions, indissociables l’une de l’autre.
Par contre, elle ne perçoit pas l’homme seulement en tant que pure intériorité, en tant que
conscience et intention ; elle conçoit l’homme en tant qu’il est aussi engagé dans les réalités
sociales et politiques, en tant qu’il participe à l’histoire de ce monde318. Ce qui permet de
dire que le Sermon sur la montagne renvoie à la vie chrétienne dans sa dimension pratique.
On comprend alors que « la non-violence est inscrite au cœur même de l’Évangile et qu’en
conséquence les chrétiens sont tous appelés à se conformer à ses exigences, à la fois dans
leur vie privée et dans leur vie publique »319, soutient encore Jean-Marie Muller.
En ce sens, on comprend que ce qui séduit Gandhi dans le Sermon sur la montagne, c’est,
d’une part, l’esprit de non-vengeance et, d’autre part, le fait que Jésus soit venu pour établir
une loi nouvelle et non abolir la loi de Moïse. Gandhi explique que Jésus changea la loi de
façon telle qu’elle devint une loi nouvelle : non plus œil pour œil ni dent pour dent.
Dans la même perspective, le théologien Stanley Hauerwas souligne que le Sermon sur la
montagne inaugure un temps où l’on se garde de rendre le mal pour le mal. Donc, on est
dans le temps d’une loi qui crée une nouvelle communauté eschatologique dans laquelle
une autre façon de vivre est possible320. N’est-ce pas sonner le glas de la vengeance ? Jésus
pousse plus loin et convie à se disposer à recevoir deux coups si l’on vous en donne un, et
faire deux kilomètres si l’on vous demande d’en faire un321. Pour Jean-Marie Muller, cela
317 Ibid., p. 27. 318 Ibid., p. 28. 319 Ibid., p. 16. 320 S. HAUERWAS, « Le sermon sur la montagne. Guerre juste et recherche de la paix », dans Concilium.
Œcuménisme. Une assemblée pour la paix, Paris, Beauchesne, 215 (1988), p. 55. 321 Mahãtmã GANDHI cité par Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. annex.
78
ne veut nullement dire qu’on se mette en position de passivité. Les théologiens moralistes
le soulignaient déjà en ces termes : « la parole de Jésus commandant à ses disciples de
tendre l’autre joue […], elle ne pouvait être suivi "à la lettre". En fait, si nous la
comprenons bien, elle ne nous enseigne pas à supporter les coups sans rien dire et sans rien
faire, elle nous enseigne "l’esprit" dans lequel nous devons nous défendre322 ».
L’enseignement du Sermon sur la montagne est foncièrement l’esprit de dissuasion de la
vengeance par un amour sans limite. Aussi Gandhi voit-il dans le Sermon sur la montagne
la charte même de la non-violence et s’en inspire-t-il dans ses pensées et ses actions323.
Selon l’analogie « la fin est dans le moyen comme l’arbre dans la semence » Gandhi
souligne que la non-violence n’est pas une fin mais bien un moyen pour atteindre la justice,
la paix et la fraternité324. Ainsi, la personne de Jésus, son enseignement et les témoignages
dont certains font montre vis-à-vis de la non-violence donnent à penser que, par la lutte non
violente, l’édification d’un monde plus solidaire est possible, un monde pacifique et juste.
La paix est donc le fruit d’un combat non-violent dans lequel tout le monde est convié à
s’engager. Le respect des droits, de la dignité de la personne et du bien commun est le
moyen sûr de consolider cette paix.
L’espérance de l’Église est de pouvoir collaborer à l’édification d’une cité sur le respect des
valeurs morales, notamment la justice, la paix, la réconciliation, la dignité de la personne, le
bien commun, l’amour, la vérité, la liberté. En ce sens, la non-violence demeure un moyen
dont tout Congolais dirigeant et dirigé, doit se munir ‒ en tant qu’attitude325 ‒, dans
l’engagement pour la reconstruction d’une RD Congo pacifique et juste. C’est dans ce sens
que les évêques situent l’enjeu de leur combat : « Forts de notre mission prophétique
d’éclairer les consciences, confiants en Dieu dont la providence ne manque jamais à ses
enfants, nous [évêques] continuerons d’apporter notre contribution au processus de
pacification et à la coexistence de notre peuple dans la vérité, la justice et l’amour326. »
Comme nous l’avons montré dans le deuxième chapitre, la pacification est la principale
322 Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 40. 323 Ibid., p. 12. 324 GANDHI cité par Jean-Marie MULLER, L’Évangile de la non-violence…, p. 16. 325 La non-violence gandhienne est loin d’être une loi passive, mais bien un mode de vie devant imprégner
toute action et toute relation. (Robert DELIEGE, Gandhi, sa vie et sa pensée…, p. 151). 326 CENCO, Soyez vigilants…, no 12.
79
préoccupation des évêques. Pour sa part, Gandhi souligne que le non-violent « doit agir de
telle sorte que non-coopération et désobéissance civile comportent le minimum de danger
pour la paix publique327 ». Cela nous amène à examiner le rapport entre le pacifisme
gandhien et le pacifisme des évêques.
2. Rapport entre le pacifisme gandhien et celui des évêques
congolais
La définition du pacifisme comme « engagement en faveur de la non-violence328 » contre la
violence ou la guerre, rapproche d’autant plus la posture de Gandhi de celle des évêques
que tous engagent des actions non-violentes en vue de la paix. Relever ce rapprochement ne
revient pas à considérer le combat des évêques congolais comme une reprise in extenso des
actions non violentes de Gandhi. Le rapprochement permet plutôt de mettre en évidence le
fondement éthico-philosophique de ce combat, ce qui revient à en montrer la portée
universelle et donc la justesse. Observé naguère chez Gandhi et maintenant chez le collectif
des évêques congolais, cette lutte a des assises théologiques et rationnelles qui persuadent
de le soutenir.
2.1 Le pacifisme gandhien
Chez Gandhi, la non-violence ou le satyagraha se mue en diverses formes de lutte parmi
lesquelles on peut citer : la résistance passive, la non-coopération, le boycott, la
désobéissance civile, la grève de la faim, etc. C’est par ces actions que Gandhi engage la
construction de la paix auprès des Indiens, ainsi qu’il l’explique lui-même : « Je suis une
parcelle du grand tout et je ne puis trouver Dieu en dehors de l’humanité. Mes compatriotes
sont mes prochains les plus immédiats. Ils sont délaissés, si démunis, si abattus, que je dois
tout mettre en œuvre pour les secourir329 ».
Selon Jean-Marie Muller, la non-coopération est, par définition même, le refus de
collaboration ou de complicité, mieux de coopération passive, volontaire ou forcée de la
majorité silencieuse des citoyens avec les structures sociales, économiques ou politiques
327 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence...., p. 158. 328 Christopher MORRIS, « Guerre et paix », dans Monique CANTO-SPERBER (dir.), Dictionnaire
d’éthique et de philosophie morale, Volume 1, Quatrième édition, Paris, Quadrige/PUF, 2004, p. 803. 329 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 119.
80
qui engendrent et maintiennent les injustices330. C’est l’appel à se désolidariser de tout désir
ou projet qui entretient le mal ou l’injustice au sein de la société. Dans cette dynamique,
Gandhi écrit qu’« il arrive que le satyagraha prenne la forme de la non-coopération.
Lorsque c’est le cas, il s’agit non pas d’un refus de coopérer avec l’auteur de mauvaises
actions, mais avec les actes mauvais eux-mêmes331 ». La visée de Gandhi n’est pas de haïr
l’auteur de mauvaises actions, mais de l’amener à renoncer au mal332. Gandhi reconnait en
l’autre l’image de Dieu. Ainsi, ne doit-il qu’éprouver de l’amitié pour lui333.
La non-violence peut également se muer en désobéissance civile. Entant qu’action
politique, la désobéissance civile se définit alors comme « une initiative collective et
organisée visant à exercer sur les pouvoirs publics une pression qui les oblige à rétablir le
droit334 ». Au sens gandhien, la désobéissance civile est une affaire des masses qui, par une
action non-violente, résistent contre le gouvernement, surtout lorsque les négociations et les
méthodes constitutionnelles ont échoué335. Ce fut le cas, lorsque Gandhi mobilisa des
masses contre les « lois humiliantes appliquées par le gouvernement sud-africain à
l’encontre des Indiens de ce pays [Afrique du Sud]336. » Bien plus, en tant qu’avocat337,
Gandhi s’est dévoué pour la cause de plus faibles338, de ceux dont le droit était opprimé et
la dignité méprisée. Ces gestes sont un témoignage parlant de la véritable paix, celle qui ne
peut s’obtenir sur terre sans la sauvegarde du bien des personnes. Sans prétendre reprendre
ici toutes les formes de lutte non-violente, le pacifisme gandhien met en évidence le respect
de la dignité de la personne tout en soulignant la non-coopération avec l’injustice. 330 Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence, Gordes, Éditions du Relié, 2005, p. 137. 331 M. GANDHI, Résistance non violente…, p. 9. 332 Ibid., p. 9. 333 Ibid., p. 9. 334 Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence…, p. 105. 335 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 9. 336 Ibid., p. 10. 337 À propos de son métier d’avocat, Gandhi écrit : « Mon séjour d’un an à Pretoria fut une des expériences les
plus décisives de ma vie. C’est là que j’eus l’occasion de m’initier aux affaires publiques et d’y acquérir une
certaine compétence […]. C’est également à Pretoria que j’appris vraiment à exercer mon métier d’avocat.
J’avais compris que le véritable rôle de l’avocat est de chercher à réconcilier les deux parties en présence ».
(Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 46). 338 Suzanne Lassier écrit qu’après les émeutes entre les partisans de la Ligue Musulmane et les Congrès
National des Indiens, Gandhi était parti pour la région la plus déchirée, le Noakhali. « Il parcourut de janvier
à mars une cinquantaine de villages. Les décombres calcinés, les ossements entassés, les taches de sang
encore fraîches criaient la haine et la vengeance. Venu pour essuyer toutes les larmes de tous les yeux, il
écoute le récit des atrocités, compatit à toutes les souffrances, ne condamne personne. Il apaise, il tente
d’apaiser les fureurs à force d’amour et de tranquille courage. » (Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-
violence..., p. 116).
81
2.2 Le pacifisme des évêques
Les évêques insistent sur la non-coopération avec des structures qui génèrent les injustices.
Dans la lettre Levons-nous et bâtissons! (Ne 2,18) pour un Congo nouveau, ils exhortent le
peuple congolais de se désolidariser des politiciens véreux qui entraînent le peuple dans
des conflits fratricides :
nous [évêques] connaissons le prix que vous [peuple congolais] avez payé,
pendant [la période de] transition et que vous continuez encore à payer pour
poursuivre cette longue marche vers la liberté et l’instauration d’un État de
droit. Nous pensons cependant que, si beaucoup de politiciens se permettent
d’abuser de votre bonne foi jusqu’à vous entrainer dans des conflits
fratricides, c’est aussi avec votre propre collaboration et votre assentiment.
Évitez donc de vous laisser induire en erreur et plus particulièrement, de
soutenir des politiciens pour la seule raison qu’ils appartiennent à votre
région ou à votre communauté ethnique. Tout frère n’est pas forcément un
bon dirigent. Nous vous exhortons à vous instruire les uns les autres en toute
sagesse (cf. Col 3,16) et à vous former le mieux possible pour vous opposer
à tout retour à la dictature et progresser ainsi dans la culture
démocratique339.
Dans cette citation, déjà introduite dans le deuxième chapitre, les évêques appellent le
peuple congolais à éviter la complicité dans les conflits fratricides dont certains politiciens
peuvent être des instigateurs. La non-coopération permet d’éviter non seulement l’abus et
l’implication dans les conflits fratricides, mais aussi le cautionnement des erreurs des
politiciens. D’un ton impératif, les évêques interdisent de collaborer et de soutenir ces
politiciens, quelle que soit leur origine ou appartenance ethnique. L’obligation patriotique
et de conscience est exprimé par le mode impératif du verbe « évitez ». Dans ce cas, selon
Olivier Reboul, le genre délibératif permet au locuteur de souligner les éléments
nuisibles340 à la vie de la communauté politique ‒ entre autres l’abus de la foi des citoyens
et l’enrôlement dans les conflits fratricides.
339 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 31. 340 Olivier REBOUl, Introduction à la rhétorique…, p. 57.
82
Le locuteur recommande plutôt à son auditoire les éléments utiles, comme dit Guy Jobin,
«pour ce qui vient, pour une meilleure organisation des rapports au sein de la communauté
politique341 ». Ainsi les évêques convient le peuple congolais à travailler pour la liberté et
l’instauration d’un État de droit, mieux un État pacifique.
Dans cette citation, l’exhortation des évêques ne vise pas seulement à éviter la complicité
avec les auteurs des conflits fratricides. Elle appelle aussi le peuple à s’instruire, mieux à se
former afin d’être capable de « s’opposer » à tout retour à la dictature. Ainsi, la force de
s’opposer au mal résulte de la formation, de l’instruction aux valeurs démocratiques. Dans
le message La justice grandit une nation, les évêques le disent plus clairement : « l’Église a
pris la mesure du défi de l’éducation tant spirituelle, morale que civique aux fins de former
le nouvel homme congolais capable de résister face à la dictature d’un gain facile et de
l’avoir342. » Gandhi, lui, dirait que c’est dans cet effort de formation ou d’éducation aux
valeurs civiques que se construisent progressivement, l’action de groupe et la discipline343
de la non-violence active.
341 Dans son article « Vatican II, le style et la rhétorique », Guy Jobin note la présence de deux genres de
styles dans Gaudium et Spes. Il y a le genre épidictique et le genre délibératif. Ceci par une sorte de rupture de
ton. Ainsi, explique Guy Jobin, « Pourtant, les attitudes propres au genre épidictique cèdent le pas à celle du
genre délibératif, comme si le locuteur se trouvait dans une assemblée délibérative. Quand, dans la première
partie de GS sur les rapports Église/monde, on porte un jugement sur ce qui a été ou sur ce qui est – le passé et
le présent sont les temporalités propres à l’épidictique –, la seconde partie sur la vie de la communauté
politique fait des recommandations pour ce qui vient, pour une meilleure organisation des rapports au sein de
la communauté politique. » (Guy JOBIN, Vatican II, le style et la rhétorique…, p. 23.) 342 CENCO, La justice grandit une nation…, no 20. 343 Sans trop séparer la non-coopération de la désobéissance civile, l’auteur commentateur de Gandhi écrit que
« le satyagraha peut […] prendre la forme de la non-coopération avec le gouvernement, comme les
mouvements de désobéissance civile lancés par Gandhi en Inde en 1920-1922, 1930-1934 et 1940-1944. […]
Cette désobéissance civile exige, de la part de la population, une action de groupe discipliné, une aptitude
infinie à souffrir sans exercer des représailles et une obéissance stricte aux chefs. Comme cette discipline et
cette obéissance ne sont pas, comme dans l’armée, fondées sur la force, les chefs doivent être des hommes de
caractère et dévoués à la cause commune, que la population respecte et à qui elle obéit librement. Cela
implique que les chefs servent, constructivement, de diverses façons, la cause du peuple. C’est pourquoi
Gandhi considérait que le fonctionnement de son programme constructif était un élément fondamental du
satyagraha; non seulement pour cette raison, mais aussi parce que l’action de groupe et la discipline doivent
se construire progressivement au sein d’une population. Il faut lui enseigner, par exemple, la coopération,
l’unité communautaire, le courage, la conscience du bien social, l’autoassistance et l’habileté, la nécessité de
la puissance physique ainsi que de la force psychologique et morale. » (Mahãtmã GANDHI, Résistance non
violente…, p. 10.)
83
Dans cette perspective, l’éducation fait que la non-violence ne génère pas la violence344.
Pour Dietrich Bonhoeffer, la non-violence est « la mise en place d’une solution alternative
crédible et efficace à la violence et à la tyrannie, comme la résistance collective et la
construction concrète par des moyens qui respectent l’adversaire, d’un monde de justice et
de paix345. » En somme, bien que la non-coopération puisse parfois avoir de répercussions
négatives sur l’économie (par exemple paralyser et saper les ressources de l’État, mettre
celui-ci dans l’incapacité d’assurer son rôle de garant de la nation)346, elle vise davantage la
conversion des auteurs à des valeurs plus humaines347. Importe avant tout la grandeur de la
dignité humaine.
Par ailleurs, la lutte non violente peut revêtir la forme d’une désobéissance civile. Elle
consiste à boycotter une loi ou une décision politique que l’on juge injuste, le but étant la
suppression ou, du moins, la modification de la loi jugée injuste348. C’est le cas,
notamment, de la décision politique exigeant des parents d’élèves congolais de payer le
salaire des enseignants, décision contre laquelle se sont insurgés les évêques : « Nous
réaffirmons notre décision de supprimer la prise en charge des enseignants par les
parents349. » On voit ici comment opère la non-violence : sans se substituer au pouvoir
politique qui légifère, les évêques instaurent le dialogue avec l’État et exercent la pression
sur ce dernier afin qu’il assume pleinement ses responsabilités350. Comme nous l’avons vu
plus haut avec Jean-Marie Muller, la désobéissance civile s’exerce d’une façon organisée
en vue d’exercer une pression sur les pouvoirs publics pour obliger ceux-ci à rétablir le 344 À en croire Suzanne Lassier, « Gandhi […] sait [que] la violence peut faire irruption [de la non-violence]
dont les moyens sont non violents non point intrinsèquement […], mais seulement par la qualité d’âme de
celui qui les emploie. D’où la précision minutieuse avec laquelle il élabore des mesures pour canaliser les
foules, les contraindre à manifester, à agir avec ordre et dignité, […] encadrement par des volontaires
spécialement formés […] bref tout ce qui peut empêcher l’incident de naître et de dégénérer. » (Suzanne
LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 163). 345 Dietrich BONHOEFFER cité par F. (Fréderic) ROGNON, « Pacifisme et tyrannicide chez Jean Lasserre
et Dietrich Bonhoeffer » [http://www.cairn.info/revue-etudes-theologiques-et-religieuses-2005-1-page-1.htm],
(Consulté le 18 décembre 2014). 346 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 158. 347 Concernant la non-coopération, Gandhi indique qu’il ne s’agit pas « d’un refus de coopérer avec l’auteur
des mauvaises actions, mais avec les actes mauvais eux-mêmes. C’est une distinction importante. Le
satyagrahi coopère avec celui qui a pu mal agir dans le cadre de ce qui est bon, car il ne hait pas. Au
contraire, il n’éprouve pour lui que de l’amitié. En coopérant avec lui dans le cadre de ce qui n’est pas
mauvais, le satyagrahi l’amène à renoncer au mal. » (Mahãtmã GANDHI, Résistance non-violente…, p. 9.) 348 Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence…, p. 103. 349 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 21, 350 Dans le même article (no 21), le souhait des évêques est que « l’État congolais assume pleinement ses
responsabilités devant l’histoire. »
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droit. L’action des évêques s’organise de la même manière, pour la même visée : faire
supprimer ou modifier une loi injuste. Elle est engagée contre « un pouvoir injuste qui viole
délibérément les principes de la démocratie351 ». Analysant la situation sociale du peuple
congolais, les évêques déclarent :
après […] 10 années de guerre, la population a atteint un seuil de pauvreté et
de misère déshumanisante et insupportable. À cela s’ajoutent les pillages
des ressources naturelles, la destruction des infrastructures publiques, les
viols, les traumatismes de tout genre, la pandémie du Sida qui, tel un déluge,
ravage des vies humaines laissant de nombreux orphelins. Il n’est pas
exagéré de dire que le Congo connaît l’une des plus graves crises
humanitaires depuis la dernière guerre mondiale. Notre classe politique
porte la plupart des grandes responsabilités dans la mauvaise gestion sociale
du pays. De la dictature, on est passé à des guerres à répétition, caractérisées
par des flagrances énormes dans le cadre du manque de respect de la
personne humaine et de sa dignité. Tous ces régimes ont largement
contribué à la paupérisation du pays et de son peuple. On ne peut accepter
une démocratie à deux vitesses, où il y a d’un côté ceux qui vivent dans
l’opulence et de l’autre ceux qui, démunis, doivent se contenter des
promesses vaines352.
Les évêques dénoncent l’État comme le principal auteur des maux qui rongent la société.
Les termes utilisés sont éloquents : « notre classe politique porte la plupart des grandes
responsabilités dans la mauvaise gestion du pays. » À la suite d’Aristote, Perelman assimile
au genre judiciaire ce discours dans lequel l’orateur accuse. Par ailleurs, dans ce message,
l’intention de l’orateur est de « profiter de l’émotion suscitée [par l’incrimination de la
classe politique] pour exciter [l’auditoire] à l’action, et à la révolte353 ». Les évêques
s’opposent à la mauvaise gestion du social en des termes tout aussi clairs : « on ne peut
accepter une démocratie à deux vitesses ». La même réaction est reprise dans la lettre Il est
temps de nous réveiller (Rm 13,11b). Appel à la vigilance pour sauvegarder la
souveraineté nationale et bâtir notre destinée, cette fois-ci face à la misère qui accable les
Congolais. Interpelés par cette misère sociale354, les évêques soulignent qu’on « ne peut
accepter » ce genre de démocratie à deux vitesses. Sur le même ton, les évêques expriment
351 Jean-Marie MULLER, Dictionnaire de la non-violence…, p. 108. 352 CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 20. 353 Chaïm PERELMAN, L’empire rhétorique…, p. 38. 354 « La misère sociale nous interpelle, déclarent les évêques. Nous ne pouvons accepter une démocratie à
deux vitesses, où il y a d’un côté ceux qui vivent dans l’opulence et de l’autre ceux qui doivent se contenter
des miettes. » (CENCO, Il est temps de nous réveiller…, no 6.)
85
leur résistance ou leur opposition à un système qui, depuis dix années, paupérise le pays et
sa population. Bien plus, face à un pouvoir fondé sur les antivaleurs et la corruption, les
évêques en appellent à une lutte sans merci :
la corruption […] instaur[e] comme norme l’intérêt égoïste, le népotisme, le
tribalisme et le détournement. Il faut dès lors mener une lutte sans merci
contre la corruption si nous voulons que notre pays se développe de manière
harmonieuse. Le succès de cette lutte est aussi fonction de l’engagement de
la population appelée à sortir de sa passivité pour dénoncer la corruption et
éviter ainsi de devenir complice d’un mal dont elle est elle-même la
première victime355.
Notons par ailleurs qu’au sens gandhien, la désobéissance civile est une affaire des masses
qui, par une action non-violente, résistent contre le gouvernement surtout lorsque les
négociations et les méthodes constitutionnelles ont échoué356. Les évêques congolais se
retrouvent dans une impasse similaire. C’est au regard de l’échec des négociations,
précisément du viol des accords signés en vue de dénouer la crise à l’Est et au Nord-Est de
la RD Congo, qu’ils réagissent :
Comment comprendre que les différents accords soient violés sans aucune
pression efficace pour contraindre les signataires à les respecter? Les
diverses conférences et réunions pour dénouer cette crise n’ont toujours pas
abordé les questions de fond et n’ont fait que renvoyer et décevoir les
attentes légitimes à la paix et à la justice de notre peuple [...]. La grandeur
de la RD Congo et ses nombreuses richesses ne doivent pas servir de
prétexte pour en faire une jungle357.
À travers ces questions, les évêques éveillent la conscience de l’auditoire sur les
défaillances de l’autorité de l’État face aux injustices. Parmi celles-ci, nous citons le viol
des accords de paix et l’impunité dont jouissent ceux qui violent les accords conclus358.
Avec Perelman, on peut relever l’intention de renforcer l’intensité de l’adhésion afin de
déclencher l’action entendue359, c’est-à-dire, pour notre cas, la fin de la guerre, mieux
355 CENCO, La justice grandit une nation…, no 19. 356 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 10. 357 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 4. 358 La plainte des évêques contre l’impunité se dégage de la question qui stipule « comment comprendre que
les différents accords soient violés sans aucune pression efficace pour contraindre les signataires à les
respecter? » De cela, il y a lieu de déduire que la position du locuteur est de lutter contre l’impunité.
Autrement dit, l’État devrait, en principe, contraindre les signataires des accords de paix à rester fidèle à leur
engagement. 359 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 64.
86
l’accomplissement des attentes légitimes de la paix et de la justice. En effet, citant
Démosthène; Perelman indique qu’« "un décret n’est rien par lui-même, si vous n’y ajoutez
la volonté d’exécuter énergiquement ce que vous avez décrété" car, "si les décrets
pouvaient ou vous obliger à faire ce qu’il faut ou exécuter eux-mêmes ce qu’ils ordonnent,
vous n’aboutiriez pas, après tant de votes, à de si minces résultats, ou pour mieux dire, à
rien"360 ». Il en va de même pour les évêques qui s’interrogent sur le long temps d’inertie
entre le moment de signature des accords de Goma par les belligérants et la mise en
application des ententes conclues. Par conséquent, le manque d’adhésion à l’action par les
partenaires des accords ou encore l’absence d’action que devaient susciter ces accords,
dénotent l’oubli ou la minimisation de l’urgence de la question de paix par les acteurs
politiques. D’où la nécessité de renforcer les moyens de résistance pacifique pour aider le
peuple à prendre en main la situation.
En outre, dans le même message, les évêques récusent la tendance à considérer la RD
Congo comme « une jungle ». Cette métaphore réfère à un « milieu où règne la loi du plus
fort361 ». Pour sa part, Gandhi soutient que « la guerre est la loi de la jungle362. » Dans la
jungle, dit Thomas Hobbes en faisant allusion à l’état de nature, « l’homme est un loup
pour l’homme363. » Dans le cas précis de la RD Congo, cette métaphore met en évidence,
non pas le rapprochement entre le « phore » (la jungle) et le thème (la RD Congo et ses
richesses), mais bien l’opposition des valeurs entre les deux termes364. C’est donc dire qu’il
n’y a pas d’analogie entre la RD Congo et une jungle où les injustices se déchaîneraient en
toute impunité. Aussi, les évêques déplorent-ils la passivité de l’État face au « génocide
360 DEMOSTHENE cité par Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de
l’argumentation…, p. 65. 361 [s.a.], Le Petit Larousse 2003 en couleur, Paris, Larousse/VUEF, 2002, p. 572, col. 2. 362 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 162. 363 [http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Thomas_Hobbes/124041], site consulté le 30 novembre
2014. 364 Perelman définit la métaphore comme « un heureux changement de signification d’un mot ou d’une
locution ». Par la métaphore, poursuit-il en citant Dumarsais, « on transporte […] la signification propre d’un
nom à une autre signification, qui ne lui convient qu’en vertu d’une comparaison qui est dans l’esprit ». Alors
dans le cas qui nous concerne ici, la métaphore, « […] s’exprime par l’opposition des valeurs entre les termes
accolés ». (Chaïm PERELMAN, Traité de l’argumentation…, p. 540).
87
silencieux365» des Congolais dans l’Est du pays. Par-là, les évêques dénoncent le manque
d’engagement des autorités politiques pour la paix :
Le plus regrettable, c’est que ces évènements malheureux ont lieu sous l’œil
impassible de ceux qui ont reçu le mandat de maintenir la paix et de
protéger la population civile. Nos propres gouvernants se montrent
impuissants devant l’ampleur de la situation, donnant l’impression de ne pas
être à la hauteur des défis de la paix, de la défense de la population
congolaise et de l’intégrité du territoire national. La classe politique toute
entière ne semble pas prendre la mesure de sa responsabilité devant ce
drame qui risque d’hypothéquer l’avenir de la nation366.
Ainsi, les évêques exhortent le peuple congolais lui-même à concourir à l’édification d’un
État de droit, mieux à ne pas céder à la tentation de la violence ou de la division : « nous
[évêques] demandons au peuple congolais de ne jamais céder à toute velléité de
balkanisation de son territoire national. Nous lui recommandons de ne jamais souscrire à
une remise en question de ses frontières internationales établies et reconnues depuis la
conférence de Berlin et les accords ultérieurs367. »
Dans ce message, l’usage des verbes directifs « demander » et « recommander »368 montre
non seulement la persuasion de l’allocutaire, mais aussi suppose l’adhésion de ce dernier à
l’action par le locuteur, c’est-à-dire s’opposer ou résister par la force de la non-violence à
un pouvoir injuste, mieux un pouvoir impuissant face aux défis de la paix et la justice. Par
ailleurs, selon Gandhi, cette action conduit le militant de la non-violence à surmonter la
peur, à accepter même la prison. Les évêques, eux, disent que cet engagement peut aller
jusqu’au martyre pour la vérité et la justice. À cet égard, Gandhi écrit que :
365 En évaluant les conséquences de la guerre dans l’Est et le Nord-Est de la RD Congo, les évêques écrivent
qu’« un vrai drame humanitaire qui s’apparente à un génocide silencieux dans l’Est de la RD Congo se
déroule sous les yeux de tous. Les massacres gratuits et à grande échelle des populations civiles,
l’extermination ciblée des jeunes, les viols systématiques perpétrés comme arme de guerre : de nouveau une
cruauté d’une exceptionnelle virulence est en train de se déchaîner contre les populations locales qui n’ont
jamais exigé autre chose qu’une vie paisible et décente sur leurs terres. Qui aurait intérêt à un tel drame? »
(CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 2.) 366 Ibid., no 3 367 Ibid., no 4. 368 D’après Daniel Vanderveken, à qui nous avons déjà fait référence à propos du verbe « demander » dans le
deuxième chapitre, « recommander, c’est conseiller en présupposant (condition préparatoire) que ce qui est
recommandé est bon en général et pas seulement pour l’allocutaire. » (Daniel VANDERVEKEN, Les actes de
discours…, p. 185.)
88
nous devons considérer l’arrestation comme la condition normale de
l’existence d’un non-coopérateur. Car nous devons rechercher l’arrestation
et l’emprisonnement, tout comme le soldat qui va à la bataille recherche la
mort. Nous espérons abattre l’opposition du gouvernement en courtisant, et
non en invitant, l’emprisonnement […]. Notre triomphe, [souligne Gandhi],
consiste à nous laisser conduire en prison par milliers, comme les moutons à
l’abattoir […]. Notre triomphe consiste, je le répète, en notre
emprisonnement sans avoir commis le moindre mal369.
De leur part, les évêques invoquent le martyre d’Isidore Bakanja et d’Anuarite Nengapeta
comme modèle d’amour, de courage et de fidélité dans l’engagement du chrétien en milieu
politique370 et modèle d’humanisation de la société371. Dans tous ces cas, le genre utilisé est
l’épidictique, avec l’aspect panégyrique372 de l’héroïsme du martyre des personnes ci-haut
citées.
En effet, louant les vertus héroïques et la fidélité dans l’engagement chrétien, du martyr
Isidore Bakanja, les évêques le présentent aux politiciens congolais comme leur frère et
modèle. « Le Bienheureux Isidore Bakanja, laïc comme vous, votre frère de sang et dans la
foi, vous a donné l’exemple à suivre373 ». Pour expliciter le recours à des figures modèles,
Perelman note que « quand il s’agit de conduite, un comportement particulier peut, non
seulement servir à fonder ou à illustrer une règle générale, mais inciter à une action qui
s’inspire de lui374. »
369 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 266. 370 Les évêques écrivent aux acteurs politiques : « Nous […] demandons [au Seigneur] de vous envoyer son
Esprit pour vous raffermir dans la foi. Qu’il vous arme du courage des martyrs dans l’exercice de vos
fonctions. Que l’amour de la Vierge Marie vous maintienne dans la fidélité aux engagements de votre
baptême pour témoigner du Christ même dans les hautes sphères politiques. Le Bienheureux Isidore
BAKANJA, laïc comme vous, votre frère de sang et dans la foi, vous a donné l’exemple à suivre : "Pour moi,
vivre c’est être chrétien" ». (CENCO, Ambassadeurs du Christ…, no 26). 371 « Qu’à l’exemple de Marie Clémentine Anuarite Nengapeta, fille de notre peuple, qui par amour a versé
son sang pour la victoire de la fidélité à Dieu, de nombreux fils et filles de ce pays se mobilisent pour le
combat des vraies valeurs au service d’un Congo nouveau. » (CENCO, Levons-nous et bâtissons…, no 37.)
Bienheureuse Anuarite Nengapeta fut une religieuse de la sainte Famille. Elle est née à Wamba dans la
Province Orientale (en RD Congo) en 1939. Elle est morte assassinée par les milices de la rébellion des Simba
en 1964. Elle fut béatifiée par le pape Jean-Paul II le 15 août 1985 à Kinshasa. Elle est martyre de la fidélité à
Dieu de par sa résistance face au viol. 372 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 63. 373 CENCO, Ambassadeurs du Christ…, no 26. 374 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 488.
89
Dans ce sens, les évêques invitent les politiciens à s’armer du courage des martyrs dans
l’exercice de leur fonction375, à l’instar d’Isidore Bakanja. Bien plus, les mentions « laïc
comme vous », « votre frère de sang et dans la foi » soulignent que Bakanja est membre du
groupe (des Congolais). Ainsi, son exemple de martyre toucherait davantage le groupe, car,
explique encore Perelman : « le groupe s’enorgueillira de la conduite de ce qu’il considère
comme ses membres […] l’exemple de la mort des martyres nous touche; car ce sont nos
membres376 ».
Il en va de même pour Marie Clémentine Anuarite Nengapeta qui a versé son sang pour la
victoire de la fidélité à Dieu. Au fond, en louant l’héroïsme et le courage de ces fils et fille
du pays, les évêques visent à intensifier l’adhésion des Congolais au combat pour de vraies
valeurs. En substance, la désobéissance civile engage le peuple au service de la vérité,
mieux à l’opposition aux injustices qui compromettent la restauration de la paix et la
justice.
Enfin, la non-violence active – le satyagraha – pousse plus loin les diverses formes de lutte
non-violente, en mettant l’accent sur l’engagement dans l’action. En tant que « force de
vérité », « force de l’amour », mieux « force de l’âme », elle est l’énergie même qui incite à
l’action contre l’injustice, contrairement à la résistance passive que Gandhi appelle la «non-
violence des faibles ». Gandhi note que :
pour être efficace, la non-violence exige des efforts constructifs dans tous
les domaines de l’existence : individuel, social, économique et politique
[…]. La pratique de la non-violence dans le domaine politique ne consiste
donc pas simplement à prêcher, ou même créer, des tribunaux d’arbitrage ou
une Organisation des Nations unies, mais elle nécessite la construction
patiente, pierre à pierre, d’un ordre économique et social non violent. Elle
consiste à bout du compte, à bannir la violence du cœur de l’individu, à faire
de lui une personne transformée et disciplinée377.
375 « Nous [évêques] implorons la bénédiction du Seigneur sur vous [politiciens chrétiens]. Nous lui
demandons de vous envoyer son Esprit pour vous raffermir dans la foi. Qu’il vous arme du courage des
martyrs dans l’exercice de vos fonctions. Que l’amour maternel de la Vierge Marie vous maintienne dans la
fidélité aux engagements de votre baptême pour témoigner du Christ même dans les hautes sphères
politiques». (CENCO, Ambassadeurs du Christ…, no 26). 376 Chaïm PERELMAN et Lucie OLBRECHTS-TYTECA, Traité de l’argumentation…, p. 435. 377 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 12.
90
Dans ce cas, l’appel à l’action s’accompagne instamment de l’engagement dans la
construction d’un État pacifique, mieux un État où la violence est bannie. Cet appel à la
construction retentit fort dans les discours des évêques sur les défis de la misère sociale et
de la violence. Ainsi que nous l’avions dit dans le deuxième chapitre, « l’impératif doit
maintenant être clair et absolument décisif : nous mettre debout en vue de construire notre
destinée378 ». Quelles que soient les failles, la construction suppose un engagement de tous.
« L’heure a sonné pour nous lever afin de reconstruire notre pays sur des bases solides379. »
Les évêques invitent aussi les Congolais à s’ouvrir à Dieu, à ne pas rester indifférents à la
condition du frère qui croupit dans la misère, à ne pas accepter l’injustice sociale380. Pour
Vatican II, la ferme volonté de respecter les autres hommes et les autres peuples ainsi que
leur dignité, la pratique assidue de la fraternité sont absolument indispensables à la
construction de cette paix381.
Autre exemple : face à la tentative de « partition » de l’Inde par Jinnah382, idée qui
creuserait davantage le fossé entre les musulmans et les hindous, Gandhi avait opposé une
résistance au profit de l’unité du pays383. Suzanne Lassier souligne que, dans son
engagement pour faire face à cette crise384, « la foi de Gandhi en l’ahimsâ demeurait
intacte. Il fallait en démontrer la puissance face à la situation nouvelle; il fallait prouver que
la création du Pakistan était inutile, qu’hindous et musulmans pouvaient vivre côte à côte.
378 CENCO, Il est temps de nous réveiller…, no 3. 379 CENCO, La justice grandit une nation…, no 21. 380 Ibid., no 24. 381 GS no 78, § 2. 382 Mohammed Ali Jinnah était le chef de la Ligue musulmane. Il a milité pour la partition de l’Inde lors des
dissensions internes entre le Congrès National Indien (dont Gandhi sera le leader après sa libération de la
prison par les Anglais en août 1944) et la Ligue musulmane, et dont naîtra le Pakistan. Jinnah est donc connu
comme le fondateur même du Pakistan. [http://www.herodote.net/Mohammed_Ali_Jinnah_1876_1948_-
synthese-354.php] (site consulté lundi 17 novembre 2014). 383 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 112. 384 À propos de la crise, Suzanne Lassier écrit que « le 12 août 1946, après le mois des pourparlers
infructueux, Lord Wavell chargea Nehru de former un gouvernement provisoire de Rassemblement national.
Jinnah refusa la participation de la Ligue, il déclencha une « journée d’action ». D’effroyables émeutes
ensanglantèrent Calcutta : 5000 morts, 15 000 blessés d’après les documents officiels, chiffres au-dessous de
la réalité. La violence s’étendit des grands centres urbains jusque dans les campagnes. Hindous et musulmans,
frères ennemis, profanaient les lieux saints, convertissaient de force, pillaient, incendiaient, massacraient,
enlevaient femmes et enfants. L’horreur atteignit son comble tant dans la région de Noakhali (delta de Gange
et du Brahmapoutre à forte prédominance musulmane : 80%) que dans le Bihar (à majorité hindoue) où une
dizaine de milliers de musulmans furent tués. Le langage de la raison n’était plus écouté. Nehru parla
d’envoyer une escadrille de bombardement. Gandhi était écrasé de détresse, d’angoisse : "Jamais je n’avais
expérimenté de telles ténèbres". » (Ibid., p. 114.)
91
Et il fallait le prouver non par des paroles de politicien mais au cœur de la mêlée385. »
Gandhi milite ainsi pour l’unité de l’Inde et le vivre ensemble entre les hindous et les
musulmans.
Cette crise de partition de l’Inde, permet d’établir explicitement le lien de ressemblance
avec la crise de balkanisation dont nous avons longuement parlé dans le deuxième chapitre.
En s’opposant à toute tentative de balkanisation de la RD Congo, non seulement les
évêques luttent pour la sauvegarde de l’unité du pays, mais aussi pour l’unité du peuple
congolais et le rétablissement total de la paix386. Dans la même logique de conciliation pour
le rétablissement de la paix, Suzanne Lassier écrit qu’en continuant son pèlerinage de paix
dans chaque hameau, Gandhi demandait qu’un musulman et un hindou s’engagent à
protéger l’autre communauté387 car le lien entre les deux communautés était fragilisé. Ce
même souci traverse de bout à l’autre la lutte que mènent les évêques quand ils invoquent la
nécessité de l’amour et de la réconciliation dans la vérité pour l’avènement d’une paix
durable388.
En outre, Suzanne Lassier indique que fidèle à la vérité, Gandhi dénonçait aussi les crimes
commis sur les hindous et les musulmans lors des insurrections générées par les conflits de
partition de l’Inde389. Gandhi s’oppose ainsi à la guerre, car, d’après lui, « quelle qu’en soit
la raison, tout meurtre ou autre atteinte à la personne est un crime contre l’humanité390. »
C’est aussi la position des évêques congolais. Dans la lettre Encore le sang des innocents
en RD Congo! (cf. Jr 19,4), ils dénoncent les crimes commis sur de paisibles citoyens dans
des violences de guerre à l’Est et au Nord-Est du pays391, violences portant préjudice à la
paix et la justice. C’est pourquoi Vatican II condamne fermement et sans hésitation « tout
385 Ibid., p. 115. 386 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 4. 387 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 116. 388 « Il faut l’amour du pays, la volonté de renoncer à des intérêts égoïstes pour rechercher, dans le dialogue,
les voies pour bâtir la paix en RD Congo. Mais la paix que nous voulons, est celle qui trouve sa source dans la
justice et l’amour de la vérité. Car, la paix des hommes qui s’obtient sans justice est illusoire et éphémère. La
justice des hommes qui ne prend pas sa source dans la réconciliation par la vérité de l’amour demeure
inachevée. C’est l’amour et le courage de la vérité qui tracent le chemin de la justice et de la paix véritables,
celle que nous voulons pour la RD Congo. » (CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de
paix…, no 14.) 389 Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 116. 390 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 153. 391 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 2.
92
acte de guerre qui tend indistinctement à la destruction de villes […] avec leurs habitants [et
qualifie cet acte de] crime contre Dieu et contre l’homme lui-même392. »
En fait, condamner, dénoncer, blâmer ou désapprouver, tous ces actes non-violents
témoignent de l’engagement pour la vérité, et a fortiori concourent à bâtir la paix. Car, un
non-violent ne peut pas être complice du mal ou de l’injustice. Justement, Gandhi ne dit-il
pas que « convaincu par le fait que le satyagrahi rencontre l’injustice, la cruauté,
l’exploitation et l’oppression, [le satyagrahi] doit s’y opposer avec toutes les ressources
dont il dispose. Dans sa croisade, il s’en remet à la vérité ou à Dieu; et, comme la plus
grande vérité est l’unité de toute vie, on ne peut l’atteindre qu’en aimant les autres et en se
mettant à leur service, par la non-violence393. » Dans le même sens, Vatican II soutient
qu’en « accomplissant la vérité dans la charité, tous les chrétiens sont appelés avec
insistance à se joindre aux hommes véritablement pacifiques pour implorer et instaurer la
paix394. »
De là, se dégage l’impératif du respect de la dignité de la personne, respect qui est un des
enjeux fondamentaux de la lutte non-violente, laquelle engage à « ne jamais porter atteinte
à la vie395 ». Dans l’approche morale de la lutte non-violente gandhienne, on accepterait
donc de mourir de la main du prochain, plutôt que de tuer celui-ci, quelle qu’en soit la
raison. Faut-il le rappeler ? Pour Gandhi, tout meurtre ou autre atteinte à la personne est un
crime contre l’humanité396. L’homme est une créature de Dieu. Dans cette éthique,
l’humain est, par le fait même, la voie qui conduit à Dieu. Aussi, soutient-il : « c’est en me
consacrant au service de l’humanité que je pourrais, un jour, voir Dieu397. »
Gandhi convie donc son auditoire à l’engagement pour la cause de l’humain. Il en appelle à
l’amour de l’humain: « le seul moyen certain de connaître Dieu est la non-violence
(ahimsâ), l’amour ». Cultivant la même éthique, et pour les mêmes objectifs, les évêques
congolais lancent un cri de détresse et de protestation face à la tragédie humaine causée par
392 GS no 80, § 4. 393 Mahãtmã GANDHI, Résistance non violente…, p. 7. 394 GS no 78, § 4. 395 Robert DELIEGE, Gandhi, sa vie et sa pensée…, p. 81. 396 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 114. 397 Ibid., p. 114.
93
la violence des guerres dans l’Est et dans le Nord-Est de la RD Congo398. Ils restent
convaincus que le fondement de la paix réside dans le respect de la dignité humaine. Ils le
disent aussi en termes explicites : « la CENCO reste attachée à la promotion de la paix mais
elle est convaincue qu’il n’y a pas de paix sans justice. […] la paix […] se fonde sur une
conception correcte de la personne humaine et requiert l’édification d’un ordre social selon
la justice et la charité399. » Ainsi, les évêques invitent le peuple congolais à se montrer
solidaires et compatissants des souffrances de ceux et celles qui sont victimes de violences
de guerre400. C’est dans l’amour qu’un nouvel État de droit, de paix et de justice peut se
construire. Gandhi dirait que « la non-violence commence à partir de l’instant où l’on aime,
[même] ceux qui nous haïssent401 ». Commentant cette pensée, Robert Deliège, est d’avis
que Gandhi « croit […] à la contagion de l’amour : en semant, la haine, on récolte la haine
alors que l’amour appelle l’amour et il [Gandhi] voit donc dans la non-violence la solution
aux problèmes de société402. » Cet enjeu tisse le lien fondamental entre la non-violence
gandhienne et l’éthique chrétienne et citoyenne que défendent les évêques du Congo.
Conclusion partielle
Même si elle est synoptique, et pour cette raison ne prétend ni épuiser le thème du
pacifisme, ni couvrir tout le champ de lutte non-violente gandhienne, cette présentation
montre un lien étroit entre le pacifisme gandhien et celui des évêques congolais. Significatif
de cette solidarité éthique paraît le texte biblique du Sermon sur la montagne, qui pose
l’idéal éthique des « artisans de paix » et qui, à titre, a largement influencé la pensée et
l’action politique de Gandhi. Pour ce dernier, comme pour la CENCO, le combat non-
violent est un engagement constructif pour la paix et la justice sociale. La pensée
gandhienne et l’idéal des évêques se recoupent dans leur commune quête du respect de la
dignité de la personne, sans quoi la paix serait sans fondement. Cet enjeu explique la
déclaration insistante des évêques : « Nous voulons la paix. Nous la voulons dans l’amour.
398 CENCO, La RD Congo pleure ses enfants, elle est inconsolable…, no 1. 399 CENCO, Encore le sang des innocents en RD Congo…, no 6. 400 « La Conférence Épiscopale Nationale du Congo souhaite que [l’] appel à la paix soit entendu par tous
pour que la population de la RD Congo tout entière mène une existence calme et paisible. Le peuple de Dieu,
les hommes de bonne volonté, les Églises sœurs et les organisations caritatives sont invités à se montrer plus
solidaires et lus compatissants aux souffrances de nos frères et sœurs victimes de ces guerres. » (Ibid., no 7.) 401 Mahãtmã GANDHI, Tous les hommes sont frères…, p. 153. 402 Robert DELIEGE, Gandhi, sa vie et sa pensée…, p. 151.
94
Cette paix que nous cherchons doit être fondée sur la vérité, la justice et la liberté. Car
autant la paix est nécessaire autant la cause des victimes doit être défendue403. »
Gandhi et, après lui, les évêques congolais militent pour la liberté des peuples et la
reconnaissance des droits de la personne404. Certes, la tâche de bâtir la paix incombe à
l’État. Mais Gandhi et les évêques montrent que la construction de la paix est affaire de
tous les hommes. Elle se fonde sur des valeurs inaliénables de la morale, notamment le
respect de la dignité et des droits de la personne, le bien commun, l’amour, le courage de la
vérité, la justice, la liberté, la réconciliation. Ainsi, la non-violence active gandhienne reste
un moyen pour bâtir la paix, laquelle s’appuie sur Dieu. Elle est également une inspiration
pour les militants de la lutte non-violente, à toutes les époques.
403 CENCO, Soyez vigilants…, no 13. 404 Philippe de DORLODOT, « Marche d’espoir »…, p. 54.
95
Conclusion générale
96
La crise socio-politique dans laquelle sombre la RD Congo engendre des violences portant
atteinte à la dignité de la personne et à l’intégrité territoriale. La RD Congo est en mal de
paix et de justice. Nous avons tenté de montrer que la quête de paix et de justice habite les
esprits de plus d’un Congolais. À la lumière de la rhétorique de Chaïm Perelman, nous
avons analysé les discours des évêques. Se posant comme les porte-paroles du peuple, et en
vertu de leur rôle de pasteurs et prophètes (ethos), ces évêques militent de façon non-
violente pour arrêter les violences infernales de la guerre en RD Congo. Nous avons essayé
de démontrer, autant que faire se peut, la manière dont la non-violence active gandhienne
influence le combat des évêques à travers la prise de parole, non seulement en tant que
parole croyante, mais aussi en tant que discours politique.
Dans le premier chapitre, nous avons défini la non-violence comme l’entend Gandhi, c’est-
à-dire comme force de l’âme, force de l’amour, force de vérité. Cette non-violence
s’oppose d’autant plus à la non-violence passive qu’elle vise le triomphe de la vérité en
luttant contre les injustices et les violences. Dans cette perspective, elle vise à imprégner
toutes nos actions afin de construire un ordre social pacifique et juste, un État qui respecte
les droits et la dignité de la personne humaine. Gandhi qualifie cette lutte de non-violence
constructive405. Du point de vue de la morale, la non-violence active n’est pas seulement
une arme pour résister aux belligérants, elle constitue surtout une manière spécifique d’agir,
mieux, l’ensemble des valeurs chrétiennes qui président à nos actions. Ainsi comprise, la
non-violence active gandhienne a un lien indéniable avec la non-violence dans le
christianisme. Car, en tant que force de l’amour, elle conduit, dans un dialogue
argumentatif, à l’amour même de l’adversaire, le but étant de persuader l’interlocuteur à
adhérer à l’action proposée par le locuteur.
Davantage, une conception théologique de la non-violence se dégage de la pensée de
Gandhi qui considère cette éthique comme la voie royale pour atteindre la Vérité. En effet,
Gandhi soutient que, l’humain étant créé à l’image de Dieu, il convient de le servir pour
mieux parvenir à Dieu. Ainsi, Gandhi met en évidence le respect de la dignité et des droits
de la personne.
405 GANDHI cité par Suzanne LASSIER, Gandhi et la non-violence..., p. 152.
97
Dans le deuxième chapitre, nous avons montré comment, à travers la prise de parole
épiscopale, les évêques luttent de façon non-violente, pour l’édification d’un État de droit,
mieux un État où règnent la paix et la justice en RD Congo. Émus par l’ampleur des
violences et des conflits de guerre qui déchirent ce pays, ils s’engagent à dénoncer, à
condamner, à blâmer voire à désapprouver les actes et projets à l’origine de cette violence
qui met à mal la paix. Cette violence sape aussi les droits et la dignité de la personne. Nous
nous sommes arrêtés sur trois crises : la guerre au Kivu qui a causé des milliers de morts,
des viols d’hommes et de femmes, des enrôlements forcés des enfants dans des milices, etc.
En soulignant ces conséquences néfastes, les évêques cherchent à susciter et à accroître
l’adhésion des Congolais au combat non violent contre les conflits et les violences de la
guerre.
Deuxièmement, nous avons montré que les évêques s’insurgent contre la balkanisation de
la RD Congo dont les conséquences sont très lourdes : tueries, fragilisation de l’unité
nationale, anéantissement de la souveraineté, exploitation illégale des ressources nationales,
conflits interethniques, etc. Pour les évêques, cette balkanisation est une forme de
néocolonialisme dont les retombées sont une atteinte flagrante à la dignité de la personne et
à la souveraineté nationale. Aussi, les évêques exhortent-ils les Congolais à ne jamais
s’impliquer dans ce plan.
Enfin, nous avons montré l’engagement des évêques dans le processus électoral qui, au
regard de l’Église, favorise l’alternance du pouvoir avec le concours du peuple. En prenant
en main l’éducation civique et électorale, les évêques deviennent, par le fait même, des
artisans du changement pour un Congo pacifique. Ainsi formé, l’homme congolais devient
non seulement capable de bonnes mœurs pour la reconstruction de la démocratie, mais
surtout, capable de résister à la tyrannie, notent les prélats406. Au demeurant, la posture de
la non-violence – mais, qui n’est pas à comparer jusque-là à la non-violence active –,
s’esquisse à travers les divers engagements des évêques, soit dans leur conviction de ne
jamais céder à la complicité, ni jamais se taire devant l’injustice et le mal, soit dans leur
406 CENCO, La justice grandit une nation…, no 20.
98
courage de dire la vérité407 et dans leur effort de proposer des voies alternatives pour sortir
le pays du cycle des violences. C’est par l’usage de la parole (logos) en tant qu’« art de
persuader » que les évêques entendent influencer leur auditoire d’adhérer à la lutte qu’ils
mènent pour la reconstruction d’une RD Congo pacifique.
Dans le dernier chapitre, nous avons montré le rapport entre le pacifisme gandhien et celui
des évêques. Rappelons que nous n’avons pas traité du pacifisme tel qu’il est entendu en
tant que courant de pensée408, mais nous l’avons invoqué en tant que processus de
restauration de la paix. Dans ce chapitre, nous avons examiné deux points. Le premier est
une mise au point sur la paix qui nous a permis d’en dégager le sens selon la doctrine
sociale de l’Église : « la paix se fonde sur la relation première entre chaque être vivant et
Dieu lui-même409. » La paix est loin d’être une absence de guerre, souligne Vatican II. Elle
est une quête d’autant plus perpétuelle qu’elle n’est jamais acquise une fois pour toute, mais
sans cesse à construire. D’où l’appel des évêques à l’engagement pour la paix. C’est cet
appel qui a séduit Gandhi dans le Sermon sur la montagne : « Heureux les artisans de la
paix ». Nous avons tenté de ressortir cet appel à l’engagement pour la paix dans les
discours des évêques. Ainsi nous avons pu montrer que la posture de la lutte non-violente
constitue le socle du discours sociopolitique des évêques congolais.
Tout compte fait, nous ne prétendons pas avoir exploré tout le domaine de la non-violence
tant chez Gandhi que chez les évêques. En tant que force de vérité, force de l’amour, la
non-violence est le moyen pour bâtir la paix. Du point de vue de la morale, elle est une
attitude ou une manière de se comporter. Perçue sous ce jour, la non-violence est un appel à
l’engagement au service de la dignité de la personne et de la promotion du bien commun.
Car, il n’y a pas de véritable paix sans le respect de valeurs morales : dignité de la
personne, respect des droits de l’homme, etc. La paix exige de tout Congolais un
changement de l’échelle de valeurs410 et une ouverture à la réconciliation411.
407 « Nous ne pouvons pas nous taire devant [les] dérives […] que nous désapprouvons […] » déclarent les
évêques. (CENCO, Le peuple congolais a faim et soir de justice et de paix..., no 11). 408 Le pacifisme est vraiment un « mouvement représenté par des courants très divers » dans la recherche de la
paix. (Christopher MORRIS, « Guerre et paix »..., p. 803). Le pacifisme est en lui seul un champ à explorer
vu la complexité qui le compose dans la perspective de la recherche de la paix. 409 Compendium de la doctrine sociale de l’Église…, no 488. 410 CENCO, La justice grandit une nation…, no 15.
99
On l’aura constaté, nous avons abordé la non-violence dans la perspective du locuteur.
Nous ne prétendrons donc pas avoir épuisé tous les aspects du discours sociopolitique des
évêques. Par exemple, la trilogie éthos, logos et pathos, reste entièrement à explorer.
Pourtant, dans la mesure où un discours est efficace pour autant qu’il suscite l’émotion chez
l’allocutaire et le convainc d’adhérer à la thèse du locuteur, nous ne pouvons pas
profondément souligner l’efficacité de la lutte non-violente menée par les évêques. Nos
prochaines recherches pourront aborder cette triple dimension, sans lequel, il est difficile
d’analyser les défis ou alors les limites auxquels bute la lutte non-violente.
411 Les évêques précisent que « la paix que nous voulons, est celle qui trouve sa source dans la justice et
l’amour de la vérité. Car, la paix des hommes qui s’obtient sans la justice est illusoire et éphémère. La justice
des hommes qui ne prend pas sa source dans la réconciliation par la vérité de l’amour demeure inachevée. »
(CENCO, Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix…, no 14.)
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