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David Ricardo (1817) Des principes de l’économie politique et de l’impôt Traduit de l’Anglais par Francisco Solano Constancio et Alcide Fonteyraud., 1847 à partir de la 3 e édition anglaise de 1821. * * * Augmenté des notes de Jean-Baptiste Say Chapitres I à XVI Un document produit en version numérique par Pierre Tremblay, Collaborateur bénévole Courriel: [email protected] Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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  • David Ricardo (1817)

    Des principes delconomie politique

    et de limptTraduit de lAnglais par Francisco Solano Constancio et

    Alcide Fonteyraud., 1847 partir de la 3e dition anglaise de 1821.

    * * *Augment des notes de Jean-Baptiste Say

    Chapitres I XVI

    Un document produit en version numrique par Pierre Tremblay, Collaborateur bnvole

    Courriel: [email protected]

    Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppepar Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cgep de Chicoutimi

    en collaboration avec la BibliothquePaul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 1

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    Ricardo, David (1772-1823)

    Des principes de lconomie politique et de limpt (1817)

    Chapitres I XVI

    Traduit de lAnglais en 1847 par Francisco Solano Constancio et Alcide Fonteyraud, partir dela 3e dition anglaise de 1821.Collection des principaux conomistes, Tome 13 ; uvre complte de David Ricardo, Volume 1,Paris : Osnabrck ; O. Zeller, 1966, Rimpression de ldition 1847, pages 51-443.584 pages.

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    Table des matires

    Premier fichier (de deux)

    Prface de lauteur

    Avertissement pour la troisime dition

    Chapitre I De la valeur

    Section premire

    Section II

    Section III

    Section IV

    Section V

    Section VI

    Section VII

    Chapitre II De la rente de la terre

    Chapitre III Du profit foncier des mines

    Chapitre IV Du prix naturel et du prix courant

    Chapitre V Des salaires

    Chapitre VI Des profits

    Chapitre VII Du commerce extrieur

    Chapitre VIII De limpt

    Chapitre IX Des impts sur les produits naturels

    Chapitre X Des impts sur les rentes

    Chapitre XI De la dme

    Chapitre XII De limpt foncier

    Chapitre XIII Des impts sur lor

    Chapitre XIV Des impts sur les maisons

    Chapitre XV Des impts sur les profits

    Chapitre XVI Des impts sur les salaires

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    Second fichier

    Chapitre XVII Des impts sur les produits non agricoles

    Chapitre XVIII De la taxe des pauvres

    Chapitre XIX Des changements soudains dans les voies du commerce

    Chapitre XX Des proprits distinctives de la valeur des richesses

    Chapitre XXI Des effets de laccumulation sur les profits et les intrts des capitaux

    Chapitre XXII Des primes lexportation et des prohibitions limportation

    Chapitre XXIII Des primes accordes la production

    Chapitre XXIV De la doctrine dAdam Smith sur la rente de la terre

    Chapitre XXV Du commerce colonial

    Chapitre XXVI Du revenu brut et du revenu net

    Chapitre XXVII De la monnaie et des banques

    Chapitre XXVIII De la valeur comparative de lor, du bl, et de la main-duvre, dans les paysriches et dans les pays pauvres

    Chapitre XXIX Des impts pays par le producteur

    Chapitre XXX De linfluence que loffre et la demande ont sur les prix

    Chapitre XXXI Des machines

    Chapitre XXXII De lopinion de M. Malthus sur la rente

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    Prface de l'auteur

    Table des matires

    Les produits de la terre, c'est--dire tout ce que l'on retire de sa surface par les efforts com-bins du travail, des machines et des capitaux, se partage entre les trois classes suivantes dela communaut ; savoir : les propritaires fonciers, - les possesseurs des fonds ou des capi-taux ncessaires pour la culture de la terre, - les travailleurs qui la cultivent.

    Chacune de ces classes aura cependant, selon l'tat de la civilisation, une part trs-diffrente du produit total de la terre sous le nom de rente, de profits du capital et de salaires,et cette part dpendra, chaque poque, de la fertilit des terres, de l'accroissement du capitalet de la population, du talent, de l'habilet de cultivateurs, enfin des instruments employsdans l'agriculture.

    Dterminer les lois qui rglent cette distribution, voil le principal problme en conomiepolitique. Et cependant, quoique Turgot, Stuart, Smith, Say, Sismondi et d'autres auteursaient rpandu beaucoup de lumire sur cette science, leurs crits ne renferment rien de biensatisfaisant sur la marche naturelle des rentes, des profits et des salaires.

    En 1815, la vritable doctrine de la rente fut publie la fois par M. Malthus, dans un critintitul : Recherches sur la nature et le progrs de la rente, et par un membre du collge del'Universit d'Oxford dans son Essai sur l'emploi du capital en agriculture. Sans une con-naissance profonde de cette doctrine, il est impossible de concevoir les effets de l'accroisse-ment de la richesse sur les profits et les salaires, ou de suivre d'une manire satisfaisante les

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    effets des impts sur les diffrentes classes de la socit, surtout lorsque les choses imposessont des produits immdiats de la terre. Adam Smith, et les autres crivains distingus dontj'ai fait mention, n'ayant pas envisag avec justesse le principe de la rente, ont, ce me semble,nglig beaucoup de vrits importantes, dont on ne peut acqurir la connaissance qu'aprsavoir approfondi la nature de la rente.

    Pour combler ce vide, il faudrait, je le sais, avoir un talent bien suprieur au mien ; mais,aprs avoir mdit profondment sur cette matire, aprs avoir profit de tout ce qu'ont critles auteurs distingus dj cits, et aprs le grand nombre de faits prcieux que l'expriencedes dernires annes a fournis la gnration actuelle, j'ose esprer qu'on ne me taxera pas deprsomption si je publie mon opinion sur les principes qui rglent les profits et les salaires, etsur l'influence des impts. Si l'on reconnaissait que ces principes, qui me paraissent vrais, lesont en effet, ce serait alors d'autres crivains plus habiles que moi dvelopper toutes lesconsquences qui en dcoulent.

    En combattant des opinions reues, j'ai cru devoir plus particulirement examiner certainspassages des ouvrages d'Adam Smith qui ne s'accordent pas avec ma manire de voir ;j'espre nanmoins qu'on ne me souponnera pas pour cela de ne point partager avec tousceux qui reconnaissent l'importance de l'conomie politique, l'admiration si justement due l'ouvrage profond de cet auteur clbre.

    La mme remarque est applicable aux excellents crits de M. Say, qui a t le premier ouun des premiers parmi les crivains du continent savoir apprcier et appliquer les principesde Smith, et qui, non-seulement, a fait plus que tous les auteurs trangers pour inculquer auxnations de l'Europe les principes d'un systme aussi lumineux qu'utile, mais encore a russi disposer cette science dans un ordre plus mthodique et plus instructif en l'enrichissait enmme temps de recherches originales, exactes et profondes 1. Le cas que je fais des crits deM. Say ne m'a cependant pas empch d'examiner avec la franchise que les intrts de lascience exigent les passages de son Trait d'conomie politique qui ne s'accordent pas avecmes opinions.

    1 Le chapitre XV, liv. I, des Dbouchs, renferme surtout quelques principes trs importants, que cet crivain

    distingu a, je crois, dvelopps le premier. (Note de l'Auteur)

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 6

    AVERTISSEMENT

    POUR LA TROISIME DITION.

    parue en 1821.

    Table des matires

    Je me suis efforc, dans cette dition, d'expliquer plus nettement que dans les prcdentesmon opinion sur le problme important et difficile de la valeur : j'ai donc fait quelquesadditions au premier chapitre. J'ai aussi introduit un nouveau chapitre sur la question desmachines, recherchant ainsi l'effet que des perfectionnements mcaniques produisent sur lasituation des diffrentes classes de la socit. Dans le chapitre consacr aux propritsdistinctives de la valeur et des richesses, j'ai interrog et examin les doctrines de M. Say surce sujet, doctrines qu'il a d'ailleurs corriges dans la quatrime dition de son ouvrage. Dansle dernier chapitre, je me suis appliqu faire ressortir plus nettement que jamais ce principequi veut qu'un pays soit apte payer des impts additionnels en argent, alors mme quel'ensemble de la valeur pcuniaire de ses marchandises vient baisser, soit par unediminution dans la quantit de travail ncessaire pour produire le bl indigne, soit par lapossibilit d'obtenir une portion du bl qu'il consomme des prix moins levs au dehors, etcela, au moyen de l'exportation de ses produits fabriqus. Cette considration a un intrtimmense, car elle s'allie directement au systme de la libre importation des bls trangers,fait capital, surtout dans les pays qui plient sous le faix d'une dette nationale norme. J'aiessay de montrer que la facult d'acquitter des impts ne dpend ni de la valeur vnale de

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    l'ensemble des marchandises, ni du revenu net en argent des capitalistes et des propritaires,mais de la valeur en argent du revenu de chacun, compare la valeur en argent des objetsqu'il consomme habituellement.

    26 mars 1821.

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    Chapitre I.

    DE LA VALEUR.

    Section I.

    Table des matires

    La valeur d'une marchandise, ou la quantit de toute autre marchandise contre laquelle elle s'change,dpend de la quantit relative de travail ncessaire pour la produire et non de la rmunration plus ou moinsforte accorde l'ouvrier.

    Adam Smith a remarqu que le mot Valeur a deux significations diffrentes, et exprime,tantt l'utilit d'un objet quelconque, tantt la facult que cet objet transmet celui qui lepossde, d'acheter d'autres marchandises. Dans un cas la valeur prend le nom de valeur enusage ou d'utilit : dans l'autre celui de valeur en change. "Les choses, dit encore AdamSmith, qui ont le plus de valeur d'utilit n'ont souvent que fort peu ou point de valeurchangeable ; tandis que celles qui ont le plus de faveur changeable ont fort peu ou point devaleur d'utilit." L'eau et l'air, dont l'utilit est si grande, et qui sont mme indispensables l'existence de l'homme, ne peuvent cependant, dans les cas ordinaires, tre donns en change

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    pour d'autres objets. L'or, au contraire, si peu utile en comparaison de l'air ou de l'eau, peuttre change contre une grande quantit de marchandises 1.

    Ce n'est donc pas l'utilit qui est la mesure de la valeur changeable, quoiqu'elle lui soitabsolument essentielle. Si un objet n'tait d'aucune utilits, ou, en d'autres termes, si nous nepouvions le faire servir nos jouissances, ou en tirer quelque avantage, il ne possderaitaucune valeur changeable, quelle que fit d'ailleurs sa raret, ou quantit de travail ncessairepour l'acqurir.

    Les choses, une fois qu'elles sont reconnues utiles par elles-mmes, tirent leur valeurchangeable de deux sources, de leur raret, et de la quantit de travail ncessaire pour lesacqurir.

    Il y a des choses dont la valeur ne dpend que de leur raret. Nul travail ne pouvant enaugmenter la quantit, leur valeur ne peut baisser par suite d'une plus grande abondance. Telssont les tableaux prcieux, les statues, les livres et les mdailles rares, les vins d'une qualitexquise, qu'on ne peut tirer que de certains terroirs trs-peu tendus, et dont il n'y a parconsquent qu'une quantit trs-borne, enfin, une foule d'autres objets de mme nature, dontla valeur est entirement indpendante de la quantit de travail qui a t ncessaire leur

    1 La distinction que fait ici M. Ricardo, d'aprs Adam Smith, entre la valeur d'utilit et la valeur changeable,

    est fondamentale en conomie politique. Peut-tre aurait-il d remarquer que cette dernire, la valeurchangeable, est celle dont Smith s'est exclusivement occup dans tout son ouvrage, et que c'est en cela queconsiste le grand pas qu'il a fait faire l'conomie politique, la science de toutes, peut-tre, qui influe plusdirectement sur le sort des hommes. En effet, la Valeur, cette qualit abstraite par laquelle les choses devien-nent des Richesses, ou des portions de richesses, tait une qualit vague et arbitraire que chacun levait ouabaissait son gr, selon l'estime que chacun faisait de sa chose ; mais du moment qu'on a remarqu qu'ilfallait que cette valeur ft reconnue et avoue pour qu'elle devnt une richesse relle, la science a eu ds lorsune base fixe : La valeur courante ou changeable des choses, ce qu'on appelle leur prix courant, lorsquel'valuation en est faite dans la monnaie du pays. En raisonnant sur cette valeur, sur ce qui la cre, sur ce quil'altre, on n'a plus raisonn sur des abstractions, pas plus que deux hritiers, aprs avoir fait l'inventaired'une succession, ne se partagent des abstractions.

    Je ne saurais m'empcher de remarquer ici le cette ncessit de fixer la valeur des choses par la valeurqu'on peut obtenir en retour de ces mmes choses, dans l'change qu'on voudrait en faire, a dtourn laplupart des crivains du vritable objet des recherches conomiques. On a considr l'change comme lefondement de la richesse sociale, tandis qu'il n'y ajoute effectivement rien. Deux valeurs qu'on change entreelles, un boisseau de froment et une paire de ciseaux, ont t pralablement formes avant de s'changer ; larichesse qui rside en elles existe pralablement tout change ; et, bien que les changes jouent un granderle dans l'conomie sociale, bien qu'ils soient indispensables pour que les produits parviennent jusqu' leursconsommateur, ce n'est point dans les changes mmes que consiste la production ou la consommation desrichesses. Il y a beaucoup de richesses produites, et mme distribues sans change effectif. Lorsqu'un groscultivateur du Kentuky distribue sa famille et ses serviteurs le froment de ses terres et la viande de sestroupeaux ; lorsqu'il fait filer et tisser dans sa maison, pour son usage, les laines ou le coton de sa rcolte, etqu'il distile mme des pches pour faire sa boisson, lui et les siens produisent et consomment des richessesqui n'ont point subi d'change.

    La valeur changeable d'une chose, mme lorsque l'change ne s'effectue pas, sa valeur vnale, c'est--dire la valeur qu'elle aurait dans le cas o l'on jugerait propos de la vendre, suffit donc, mme sans qu'au-cune vente ait lieu , pour constituer la richesse. C'est ainsi qu'un ngociant connat sa richesse par l'inven-taire qu'il fait de son fonds, mme sans avoir l'intention de le vendre. J.-B. Say

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    production premire. Cette valeur dpend uniquement de la fortune, des gots et du capricede ceux qui ont envie de possder de tels objets.

    Ils ne forment cependant qu'une trs-petite partie des marchandises qu'on change journel-lement. Le plus grand nombre des objets que l'on dsire possder tant le fruit de l'industrie,on peut les multiplier, non-seulement dans un pays, mais dans plusieurs, un degr auquel ilest presque impossible d'assigner des bornes, toutes les fois qu'on voudra y consacrerl'industrie ncessaire pour les crer.

    Quand donc nous parlons des marchandises, de leur valeur changeable, et des principesqui rglent leurs prix relatifs, nous n'avons en vue que celles de ces marchandises dont laquantit peut s'accrotre par l'industrie de l'homme, dont la production est encourage par laconcurrence, et n'est contrarie par aucune entrave.

    Dans l'enfance des socits la valeur changeable des choses, ou la rgle qui fixe la quan-tit que l'on doit donner d'un objet pour un autre, ne dpend que de la quantit comparativede travail qui a t employe la production de chacun d'eux.

    "Le prix rel de chaque chose, dit Adam Smith, ce qu'elle cote rellement lapersonne qui a besoin de l'acqurir, est l'quivalent de la peine et de l'embarras qu'il afallu pour l'acqurir. Ce que chaque chose vaut rellement pour celui qui l'a acquise,et qui cherche en disposer, ou l'changer pour quelque autre objet, c'est la peine etl'embarras que cette chose peut lui pargner, et qu'elle a le pouvoir de rejeter surd'autres personnes. Le travail a t le premier prix, la monnaie primitive avec labelletout a t pay 1." Et dans un autre endroit il ajoute : "Dans cet tat grossier dessocits naissantes, qui prcde l'accumulation des capitaux, et l'appropriation desterres, le rapport entre la quantit de travail ncessaire pour acqurir chaque objetparait la seule donne qui puisse conduire poser une rgle pour l'change des unscontre les autres. Par exemple, si dans une nation de chasseurs il en cote ordinaire-ment deux fois autant de travail pour tuer un castor que pour tuer un daim, on don-nera naturellement deux daims pour un castor, ou, en d'autres termes, un castorvaudra deux daims. Il est tout simple que ce qui est d'ordinaire le produit de deuxjournes ou de deux heures de travail, vaille le double de ce qui n'exige ordinaire-ment qu'un jour ou une heure de travail 2."

    Il importe essentiellement en conomie politique de savoir si telle est en ralit la base dela valeur changeable de toutes les choses, except de celles que l'industrie des hommes ne

    1 Smith, et aprs lui, tous les crivains anglais, confondent les mots travail et industrie. D'aprs l'analyse des

    travaux productifs qui fait partie de mon Trait d'conomie politique, on voit que les travaux productifs sontceux du savant qui tudie les lois de la nature, de l'entrepreneur d'industrie qui les applique la satisfactiondes besoins de l'homme, et de l'ouvrier qui excute le travail manuel qui rsulte de l'indication des deuxpremier. Le mot travail exprime imparfaitement toutes ces oprations, dont quelques-unes renferment desrsultats de ce qu'il y a de plus relev dans l'intelligence humaine. C'et leur ensemble qu'il convient dedonner le nom d'industrie, pour rserver le nom de travail aux oprations qui sont plus dpourvues decombinaisons. L'analyse des divers oprations de l'industrie et d'autant plus ncessaire, qu'elles obtiennent,dans la distribution des valeurs produites par leur moyen, des rtributions trs-diverses. J.-B. Say

    2 Livre I, chap. 16, p. 65, dit. Guillaumin.

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    peut multiplier volont ; car il n'est point de source d'o aient dcoul autant d'erreurs,autant d'opinions diverses, que du sens vague et peu prcis qu'on attache au mot valeur.

    Si c'est la quantit de travail fixe dans une chose, qui rgle sa valeur changeable, ils'ensuit que toute augmentation dans la quantit de ce travail doit ncessairement augmenterla valeur de l'objet auquel il a t employ ; et de mme que toute diminution du mmetravail doit en diminuer le prix 1.

    Adam Smith , aprs avoir dfini avec tant de prcision la source primitive de toute valeurchangeable, aurait d, pour tre consquent, soutenir que tous les objets acquraient plus oumoins de valeur selon que leur production cotait plus ou moins de travail. Il a pourtant crlui-mme une autre mesure de la valeur, et il parle de choses qui ont plus ou moins de valeurselon qu'on peut les changer contre plus ou moins de cette mesure. Tantt il dit que c'est lavaleur du bl, et tantt il assure que c'est celle du travail ; non pas du travail dpens dans laproduction d'une chose, mais de celui que cette chose peut acheter ; - comme si c'taient ldeux expressions quivalentes, et comme si parce que le travail d'un homme est devenu deuxfois plus productif, et qu'il peut crer une quantit double d'un objet quelconque, il s'ensuivaitqu'il doit obtenir en change une double rtribution.

    Si cela tait vrai, si la rtribution du travailleur tait toujours proportionne sa produc-tion, il serait en effet exact de dire que la quantit de travail fixe dans la production d'unechose, et la quantit de travail que cet objet peut acheter, sont gales ; et l'une ou l'autreindiffremment pourrait servir de mesure exacte pour les fluctuations des autres objets: Maisces deux quantits ne sont point gales : la premire est en effet trs-souvent une mesure fixequi indique exactement la variation des prix des autres objets ; la seconde, au contraire,prouve autant de variations que les marchandises ou denres avec lesquelles on peut la com-parer. C'est ainsi qu'Adam Smith, aprs avoir, avec beaucoup de sagacit, dmontr combienune mesure variable, telle que l'or et l'argent, tait insuffisante pour servir dterminer le

    1 M. Ricardo me semble tort ne considrer ici qu'un des lments de la valeur des choses, c'est--dire le tra-

    vail, ou, pour parler plus exactement, l'tendue des sacrifices qu'il faut faire pour les produire. Il nglige lepremier lment, le vritable fondement de la valeur, l'utilit. C'est l'utilit qui occasionne la demande qu'onfait d'une chose. D'un autre ct, le sacrifice qu'il faut faire pour qu'elle soit produite, en d'autres mots, sesfrais de production font sa raret, bornent la quantit de cette chose qui s'offre l'change. Sa valeur s'lved'autant plus qu'elle est plus demande et moins offerte, et s'lve d'autant moins qu'elle est moins demandeet plus offerte. Ce principe est fondamental en conomie politique ; il est confirm par une exprienceconstante ; il est expliqu par le raisonnement. (Voyez mon Trait d'Economie politique , liv. II, chap. I.) Cene sont donc pas tes frais de production seuls, ce que M. Ricardo, d'aprs Smith, appelle le prix naturel d'unechose, qui rgle sa valeur changeable, son prix courant, si l'on veut exprimer cette valeur en monnaie.Lorsque les frais de production augmentent, pour que la valeur changeable augmentt aussi, if faudrait quele rapport de l'offre et de la demande restt le mme ; il faudrait que la demande augmentt aussi ; et il est defait qu'elle diminue ; il est impossible, toutes ces circonstances tant d'ailleurs les mmes, qu'elle ne diminuepas. La valeur changeable ne peut donc pas monter comme les frais de production. C'est pour avoir perdude vue ce fait constant, et par consquent ce principe fondamental, que M. Ricardo a t entran, je crois,dans quelques erreurs, que je prendrai la libert de relever dans l'intrt de la science, et sans m'carter desgards que mrite l'auteur par ses qualits personnelles autant que par ses talents. J.-B. Say.

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    prix variable des autres objets, a lui-mme adopt une mesure tout aussi variable, en choisis-sant pour cela le bl ou le travail 1.

    L'or et l'argent sont sans doute sujets des fluctuations de valeur par la dcouverte demines nouvelles et plus riches, mais ces dcouvertes sont rares, et leurs effets, quoique im-portants, se bornent des poques d'une dure comparativement courte. Leur valeur peutaussi prouver des variations par l'effet des amliorations introduites dans l'exploitation desmines et dans les machines qui y sont employes, ces amliorations produisant avec le mmetravail plus de mtal. Enfin l'puisement graduel des mines qui fournissent les mtauxprcieux, peut encore dterminer certaines fluctuations sur les marchs. Mais est-il une seulede ces causes de fluctuation laquelle le bl ne soit galement sujet ? Sa valeur ne varie-t-elle pas par les amliorations dans l'agriculture, dans les instruments aratoires, par le perfec-tionnement des machines, ainsi que par la dcouverte de nouveaux terrains fertiles, qui, livrs la culture dans d'autres pays, ne peuvent manquer d'influer sur le prix des grains dans toutmarch o l'importation sera libre ? D'ailleurs, le bl n'est-il pas sujet hausser, par les prohi-bitions, par l'accroissement des richesses et de la population, et par la difficult plus granded'extraire un plus fort approvisionnement de bl des mauvais terrains dont la culture exigebeaucoup plus de travail 2 ?

    La valeur du travail n'est-elle pas galement variable ; et n'est-elle pas modifie, ainsi quetoutes choses, par le rapport entre l'offre et la demande, rapport qui varie sans cesse avec lasituation du pays ? n'est-elle pas encore affecte par le prix variable des subsistances et desobjets de premire ncessit, l'achat desquels l'ouvrier dpense son salaire?

    Dans un mme pays, pour produire une quantit dtermine d'aliments ou d'objets depremire ncessit, il faut peut-tre dans un temps le double du travail qui aurait suffi dansune autre poque loigne ; et il se peut nanmoins que les salaires des ouvriers ne soient quefort peu diminus. Si l'ouvrier recevait pour ses gages, la premire poque, une certainequantit de nourriture et de denres, il n'aurait probablement pu subsister si on la lui avaitdiminue. Les substances alimentaires et les objets de premire ncessit auraient, dans cecas, hauss de cent pour cent, en estimant leur valeur par la quantit de travail ncessaire

    1 La vrit est que la valeur des choses tant une qualit essentiellement variable d'un temps un autre, d'un

    lieu un autre, la valeur d'une chose (ft-ce celle du travail) ne peut servir de mesure la valeur d'une autrechose, si ce n'est pour un temps et pour un lieu donns. C'est pour cela que, pour chaque lieu, il y a, tous lesjours, un nouveau prix courant des marchandises, et un nouveau cours du change (qui n'est que le prixcourant des diverses monnaies). Une mesure invariable des valeurs est une pure chimre, parce qu'on nepeut mesurer les valeurs que par des valeurs, c'est--dire par une quantit essentiellement variable. Il n'enrsulte pas que la valeur soit chimrique ; elle ne l'est pas plus que la chaleur des corps qui ne peut pas sefixer davantage. J.-B. Say

    2 M. Ricardo ne tient nul compte de la raison qui a t donne pourquoi la valeur du bl a du tre plusinvariable que celle de toute autre marchandise. La population dans tout pays s'levant et s'abaissant toujoursen proportion des subsistances, le rapport entre la quantit de bl produite (quelle qu'on la suppose), et laquantit demande, restant la mme, la valeur changeable a d rester la mme aussi. Le bl est un produitqui, par sa prsence, cre ses consommateurs, et qui par son absence les dtruit. On n'en peut pas dire autantde l'or. J.-B. Say

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    leur production, tandis que cette valeur aurait peine augment si on l'et mesure par laquantit de travail contre laquelle s'changeraient ces substances.

    On peut faire la mme remarque l'gard de deux ou de plusieurs pays. L'on sait qu'enAmrique et en Pologne, sur les dernires terres mises en culture, le travail d'une annedonne plus de bl qu'en Angleterre. Or, en supposant que toutes les autres denres soientdans les trois pays aussi bon march, ne serait-ce pas une grande erreur de conclure que laquantit de bl paye l'ouvrier doit tre dans chaque pays proportionne la facilit de laproduction.

    Si la chaussure et les vtements de l'ouvrier pouvaient tre fabriqus par des procdsnouveaux et perfectionns, et exiger seulement le quart du travail que leur fabricationdemande actuellement, ils devraient baisser probablement de soixante-quinze pour cent ;mais loin de pouvoir dire que par l l'ouvrier au. lieu d'un habit et d'une paire de souliers, enaura quatre, il est au contraire certain que son salaire, rgl par les effets de la concurrence etpar l'accroissement de la population, se proportionnerait la nouvelle valeur des denres acheter. Si de semblables perfectionnements s'tendaient tous les objets de consommationde l'ouvrier, son aisance se trouverait probablement augmente, quoique la valeur changea-ble de ces objets, compare celle des objets dont la fabrication n'aurait prouv aucunperfectionnement remarquable , se trouvt considrablement rduite, et qu'on les obtint parune quantit bien moindre de travail.

    Il n'est donc pas exact de dire avec Adam Smith ; "que puisque le mme travail peut quel-quefois acheter une plus grande, et quelquefois une plus petite quantit de marchandises,c'est la valeur des marchandises qui change, et non celle du travail." Et par consquent, "quela valeur du travail tant la seule qui soit invariable, elle seule peut servir de mesure fonda-mentale et exacte au moyen de laquelle on puisse en tout temps et en tout lieu estimer etcomparer la valeur de toutes les denres ou marchandises." Il est cependant exact de dire,ainsi que Smith l'avait avanc auparavant, "que les quantits proportionnelles de travail n-cessaires pour obtenir chaque objet, paraissant offrir la seule donne qui puisse conduire poser une rgle pour l'change des uns contre les autres ;" ou, en d'autres mots, que c'est laquantit comparative de denres que le travail peut produire, qui dtermine leur valeurrelative prsente ou pass, d non les quantits comparatives de denres qu'on donne l'ou-vrier en change, ou en paiement de son travail.

    Deux marchandises varient, je suppose, dans leur valeur relative, et nous dsirons savoircelle qui a subi cette variation, cette transformation. En comparant l'une d'elles avec dessouliers, des bas, des chapeaux, du fer, du sucre et toutes les autres marchandises, on trouveque sa valeur changeable est reste la mme ; en comparant l'autre avec les mmes objetsnous trouvons, au contraire, que sa valeur changeable a vari ; cela seul nous autorise suffi-samment dire que la variation porte sur cette marchandise dtermine et non sur tous lesautres objets avec lesquels on l'a compare. Si, en pntrant plus avant dans toutes les cir-constances relatives la production de ces diffrents objets, nous reconnaissons qu'il faut lamme quantit de travail et de capital pour produire des souliers, des bas, des chapeaux, dufer, du sucre, etc. ; mais que la production de telle marchandise dsigne est devenue moins

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    coteuse et moins lente, la probabilit se change en certitude. On peut dire alors hardimentque a variation de valeur retombe uniquement sur cette marchandise, et on dcouvre ainsi lacause de cette variation.

    Si je trouve qu'une once d'or s'change pour une quantit moindre de marchandise, et que,cependant, la dcouverte de mines nouvelles et plus fertiles ou l'emploi de machines plusparfaites permet d'obtenir une quantit dtermine d'or avec moins de travail, je suis autoris dire que les causes des variations de la valeur de l'or, relativement celle des autres mar-chandises, sont, la fois, une conomie de main d'uvre et un travail plus facile, plus rapide.De mme, si le travail venait baisser considrablement de valeur relativement aux autresobjets, si l'on reconnaissait que cette baisse vient d'une abondance extrme de bl, de sucre,de bas, abondance rsultant de moyens de production plus actifs, il serait exact de dire que lebl et les autres objets ncessaires l'existence ont perdu de leur valeur par suite d'une dimi-nution dans la quantit de travail consacr les produire, et que ce que l'ouvrier gagne en seprocurant plus facilement les moyens d'existence, il le perd par la baisse que subit bientt leprix de son travail. "Non, non, s'crient aussitt Adam Smith et M. Malthus : vous aviez sansdoute raison de dire, en parlant de l'or, que ses fluctuations se traduisent en ralit par unabaissement de valeur, parce que ni le bl ni le travail n'avaient encore vari ; et de plus,commet l'or achterait une moins grande quantit de denres, on pouvait en conclure hardi-ment que toutes les denres taient restes invariables, et que l'or seul avait chang. Mais,lorsque le bl et le travail, - les deux choses que nous avons adoptes comme mesure desvaleurs, malgr toutes les variations auxquelles nous les reconnaissons assujetties, - lorsque,dis-je, le bl et le travail baissent, on aurait tort d'en tirer les mmes conclusions : pour tredans le vrai, il faudrait dire alors que le travail et le bl sont rests stationnaires en face durenchrissement des autres choses.

    Or, c'est prcisment contre ce langage que je proteste. Je crois que la cause des variationssurvenues entre le bl et les autres objets, se trouve, comme pour l'or, dans une conomie demain d'uvre : aussi suis-je logiquement entran considrer ces variations comme lersultat d'une baisse dans la valeur du travail et du bl, et non comme un renchrissement deschoses contre lesquelles on les change. Supposons que je loue pour une semaine le travaild'un ouvrier, et qu'au lieu de dix schillings je lui en donne seulement huit ; si, d'ailleurs, iln'est survenu aucune variation dans la valeur de l'argent, il se pourra que cet ouvrier obtienneavec son salaire rduit plus d'aliments et de vtements qu'auparavant : mais ceci, il fautl'attribuer un abaissement dans la valeur des objets de consommation de l'ouvrier, et non,comme l'ont avanc Adam Smith et M. Malthus, une hausse relle dans la valeur de sonsalaire. Et pourtant, c'est pour avoir caractris ce fait, en disant qu'il constitue, au fond, unebaisse dans la valeur du travail, qu'on m'accuse d'avoir adopt un langage nouveau, inusit, etqu'on ne saurait concilier avec les vritables principes de la science. Quant moi, je crois queles termes inusits sont prcisment ceux dont se servent mes adversaires.

    Admettons qu'un ouvrier reoive par semaine un boisseau de bl une poque o le prixdu bl est de 80 sch. par quarter (2 h. 90 l), et que le prix descendant 40 sch., on lui endonne un boisseau et un quart. Admettons encore qu'il consomme chaque semaine, dans safamille, un demi-boisseau de bl, et qu'il change le surplus contre d'autres objets, tels que le

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    combustible, le savon, la chandelle, le th, le sucre, le sel, etc., etc. ; si les trois quarts deboisseau qui lui resteront dans ce cas ne peuvent lui procurer autant de jouissances et de bien-tre que le demi-boisseau dont il disposait autrement, dira-t-on encore que son travail ahauss de valeur ? Adam Smith insiste sur cette hausse, parce que son criterium est le bl, etque l'ouvrier reoit plus de bl par semaine : mais Adam Smith et d y voir, au contraire,une baisse, "parce que la valeur d'une chose dpend de la facult que transmet cette chosed'acheter les autres marchandises," et que, dans l'hypothse suppose, le travail a perdu decette facult.

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 16

    Section II.

    Table des matires

    La rmunration accorde l'ouvrier varie suivant la nature du travail ; mais ce n'est pas l une des causesqui font varier la valeur relative des diffrentes marchandises.

    Cependant, quoique je considre le travail comme la source de toute valeur, et sa quantitrelative comme la mesure qui rgle presque exclusivement la valeur relative des marchan-dises, il ne faut pas croire que je n'aie pas fait attention aux diffrentes espces de travail et la difficult de comparer celui d'une heure ou d'un jour consacr un certain genre d'indus-trie, avec un travail de la mme dure consacr une autre production. La valeur de chaqueespce de travail est bientt fixe, et elle l'est avec assez de prcision pour satisfaire auxncessits de la pratique : elle dpend beaucoup de la dextrit comparative de l'ouvrier, et del'activit avec laquelle il a travaill. L'chelle comparative une fois tablie, elle n'est sujettequ peu de variations. Si la journe d'un ouvrier en bijouterie vaut plus que celle d'un ouvrierordinaire, cette proportion reconnue et dtermine depuis longtemps conserve sa place dansl'chelle des valeurs 1.

    1 "Quoique le travail soit la mesure relle de la valeur changeable de toute marchandise, ce n'est pas celle

    d'aprs laquelle on l'estime ordinairement. Il est souvent difficile de dterminer la proportion qui existe entredeux diffrentes quantits de travail. Le temps employ excuter deux diffrentes espces d'ouvrage n'estpas toujours suffisant pour dterminer cette proportion. Il faut encore tenir compte des diffrents degrs defatigue que l'ouvrier a endure et de la dextrit qu'il a montre. Un travail violent d'une heure peut-trebeaucoup plus pnible que celui de deux heures employes un ouvrage ais ; et il peut y avoir beaucoupplus de travail dans une heure d'application un mtier qu'il a fallu dix ans de peines pour apprendre, quedans un mois de travail appliqu une occupation ordinaire et aise. Mais il n'est point ais de trouver unemesure exacte du degr de fatigue ou de dextrit. Il est vrai qu'en changeant les diffrents produits dediffrentes sortes de travail les uns contre les autres, on en tient compte ordinairement jusqu' un certainpoint. Cependant cela ne se rgle pas par une mesure exacte, et n'est que le rsultat du dbat entre le vendeurqui exige et l'acheteur qui marchande, et qui se dcide d'aprs cette espce d'galit approximative, qui,quoiqu'inexacte, suffit cependant dans les transactions ordinaires de la vie." Richesse des Nations, liv. I,chap. 10. (Edit. Guillaumin.)

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    En comparant donc la valeur d'un mme objet des poques diffrentes, on peut sedispenser d'avoir gard l'habilet et l'activit comparatives de l'ouvrier, car elles influentgalement aux deux poques. Des travaux de la mme nature excuts dans diffrents tempsse comparent entre eux ; et si un dixime, un cinquime ou un quart a t ajout ou t leurprix, il en rsultera un effet proportionn dans la valeur relative de l'objet. Si une pice dedrap valant actuellement deux pices de toile, venait valoir dans dix ans quatre pices detoile, nous serions fonds conclure en toute scurit qu'il faut plus de travail pour fabriquerle drap, ou qu'il en faut moins pour faire de la toile, ou mme que ces deux causes ont agi enmme temps.

    Les recherches sur lesquelles je voudrais porter l'attention du lecteur, ayant pour objetl'effet produit par les variations survenues dans la valeur relative des marchandises, et nondans leur valeur absolue, il est peu important de comparer les prix qu'on accorde auxdiffrentes espces de travail. Nous pouvons prsumer que le rapport entre les diffrents prixreste peu prs le mme d'une gnration l'autre, ou au moins que les variations qu'ilsprouvent d'une anne l'autre sont peu sensibles, quelque ingalit qui ait pu s'y trouverdans l'origine, et quels que soient la capacit, l'adresse ou le temps ncessaires pour acqurirla dextrit manuelle dans les diffrentes branches de l'industrie. Ces lgres variations nesauraient donc avoir, des poques rapproches, aucun effet notable sur la valeur relative deschoses.

    "Le rapport entre les taux diffrents des salaires et des profits dans les diffrentsemplois du travail et des capitaux, ne parait pas tre modifi d'une manire sensible,ainsi que nous l'avons dj remarqu, par la richesse ou la misre, ni par les progrsou la dcadence des socits. De telles rvolutions dans l'tat doivent, en effet,influer sur le taux gnral des salaires et des profits, mais elles finissent par modifiergalement les uns et les autres dans tous leurs diffrents emplois. Leurs rapportsmutuels doivent donc rester les mmes, et peuvent peine subir une grande variationtant soit peu durable 1, par la suite de semblables rvolutions."

    1 Richesse des Nations, liv. I, chap. 10.

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    Section III.

    Table des matires

    La valeur des marchandises se trouve modifie, non-seulement par le travail immdiatement appliqu leurproduction, mais encore par le travail consacr aux outils, aux machines, aux btiments qui servent les crer.

    Mme dans cet tat primitif des socits dont il est question dans Adam Smith, le chasseursauvage a besoin d'un capital quelconque, cr peut-tre par lui-mme et qui lui permette detuer le gibier. S'il n'avait aucune espce d'arme offensive, comment tuerait-il un castor ou undaim ? La valeur de ces animaux se composerait donc d'abord du temps et du travailemploys leur destruction, et ensuite du temps et du travail ncessaires au chasseur pouracqurir son capital, c'est--dire l'arme dont il s'est servi.

    Supposons que l'arme propre tuer le castor exige, pour sa fabrication, beaucoup plus detravail que celle qui suffit pour tuer le daim, en raison de la difficult plus grande d'approcherdu premier de ces animaux, et de la ncessit d'tre par consquent muni d'une arme propre porter un coup assur. Dans ce cas, il est probable qu'un castor vaudra plus que deux daims,prcisment parce que, tout considr, il faudra plus de travail pour tuer le premier.

    Tous les instruments ncessaires pour tuer les castors et les daims pourraient aussinappartenir qu une seule classe dhommes , une autre classe se chargeant du travail de lachasse ; mais leur prix comparatif serait toujours proportionn au travail employ, soit pourse procurer le capital, soit pour tuer ces animaux. Que les capitaux fussent abondants ou rarespar rapport au travail ; quil y et abondance ou disette des aliments et autres objets depremire ncessit, les personnes qui auraient consacr une valeur gale de capital un deces deux emplois, pourraient retirer une moiti, un quart, ou un huitime du produit, le resteservant de salaire ceux qui auraient fourni leur travail. Mais cette division d'intrts nesaurait affecter la valeur relle des produits ; en effet, soit que les profits du capital slvent cinquante, vingt, ou dix pour cent, soit que les salaires des ouvriers slvent ousabaissent, leffet en sera le mme dans les deux emplois diffrents.

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    Quon suppose les occupations de la socit plus tendues, en sorte que les uns fournissentles canots, les filets et les appareils ncessaires la pche ; et les autres, les semences et lesinstruments grossiers dont on se sert en commenant une culture : il sera toujours vrai de direcependant que la valeur changeable des objets produits est proportionne au travail employ leur production, et je ne dis pas seulement leur production immdiate, mais encore lafabrication des instruments et machines ncessaires lindustrie qui les produit.

    Si nous envisageons un tat de socit encore plus avanc, o les arts et le commercefleurissent, nous verrons que cest toujours le mme principe qui dtermine les variationsdans la valeur des marchandises. En estimant, par exemple, la valeur changeable des bas decoton , nous verrons quelle dpend de la totalit du travail ncessaire pour les fabriquer etles porter au march. Il y a dabord le travail ncessaire la culture de la terre o lon arcolt le coton brut ; puis celui qui a servi le transporter dans le pays o lon doit fabriquerles bas, - ce qui comprend une partie du travail employ la construction du navire qui doitporter le coton, et qui est pay dans le fret des marchandises. Puis, vient le travail du fileur etdu tisserand, et une partie de celui de lingnieur, du serrurier, du charpentier, qui a construitles btiments et les machines ; enfin les services du dtaillant et de plusieurs autres personnesquil serait inutile d'numrer. La somme totale de toutes ces sortes de travaux dtermine laquantit des divers objets qui doit tre change contre ces bas ; et une pareille estimation detout le travail employ la production de ces objets eux-mmes, rglera galement laquantit qui doit en tre donne pour les bas 1.

    Pour nous convaincre que cest l le fondement rel de toute valeur changeable, suppo-sons quil ait t fait un perfectionnement qui abrge le travail dans une des diffrentesoprations que le coton brut doit subir, avant que des bas de coton puissent tre apports aumarch pour tre changs contre dautres objets ; et observons quels en seraient les effets.Sil fallait effectivement moins de bras pour cultiver le coton et pour le rcolter ; si lon 1 M. Ricardo parat navoir pas compris l-dedans les profits ou lintrt des capitaux comme partie cons-

    tituante du prix des choses. Lorsquun acheteur paie la valeur dune partie de bas, et que le travail du plan-teur qui a cultiv le coton, le travail du ngociant qui la fait venir en Europe, le travail mme duconstructeur qui a bti le navire, qui a construit les mtiers du fileur, du tisserand ; lorsque tous ces travaux,dis-je, font partie du prix des bas, il ny a encore rien dans ce prix pour payer l'usage des diffrentes portionsde capitaux qui ont servi durant lexercice de tous ces travaux. Et remarquez bien que lorsque je dis lusagedes capitaux, je ne veux pas dire seulement leur dtrioration, la dpense ncessaire pour conserver auxinstruments aratoires, aux navires, aux machines, leur entire valeur. Je suppose quil ny a nulle dtri-oration dans la valeur capitale, et que les fonds qui ont servi dans ce commerce et dans ces manufacturessont, aprs la production, en raison de lentretien et de la restauration des valeurs employes, gaux cequils taient lorsquon a entrepris cette production. Je dis que lintrt de ce capital nest point encore payindpendamment de lacquittement de tous ces frais ; il faut ncessairement que cette production paie leprofit ou lintrt de ces mmes capitaux, et par consquent que lintrt du capital fasse partie du prix deschoses produites. On en peut dire autant du revenu des propritaires fonciers (rent of land ).

    Par suite, M. Ricardo ne comprend point, dans ce quil nomme, daprs Smith, le prix naturel des choses,ni lintrt du capital, ni les profits du fonds de terre qui ont concouru leur production. Cependant leconcours du fonds capital et du fonds de terre est tout aussi indispensable pour la production que le concoursdes facults industrielles ; les propritaires des facults productives du capital et des terres ne fournissent pasgratuitement ce concours, puisque lun retire un intrt et lautre un fermage. Cet intrt et ce fermage fontbien ncessairement partie du prix des produits , puisque les frais de production ne peuvent tre paysquavec le prix des produits qui en rsultent. - J.-B. Say.

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 20

    employait moins de matelots pour manuvrer, ou moins de charpentiers pour construire lenavire qui doit nous le porter ; si moins de personnes taient employes construire les bti-ments et les machines ; ou si aprs leur construction on en augmentait la puissance, les basbaisseraient infailliblement de prix, et par consquent on ne pourrait plus les changer quepour une moindre quantit dautres objets. Ils baisseraient de prix, parce quune moindreportion de travail suffirait pour les produire, et ils ne pourraient plus tre donns en changeque pour une quantit moindre darticles dans la fabrication desquels il ne se serait pointopr une pareille conomie de main-duvre.

    Une conomie dans le travail ne manque jamais de faire baisser la valeur relative dunemarchandise, - que cette conomie porte sur le travail ncessaire a la fabrication de lobjetmme, ou bien sur le travail ncessaire la formation du capital employ dans cette pro-duction. Quil y ait moins de blanchisseurs , de fileurs et de tisserands directement employs la fabrication des bas, ou moins de matelots, de charretiers, dingnieurs, de forgeronsoccups indirectement la mme production : dans lun et lautre cas, le prix devra baisser.Dans le premier, toute lconomie de travail porterait entirement sur les bas auxquels cetteportion de travail tait uniquement consacre ; dans le second, une partie seulement de cettepargne porterait sur les bas, - lautre retombant sur tous les autres objets la productiondesquels contribuaient les btiments, les machines et les moyens de transport.

    Supposons que dans un tat de socit peu avanc les arcs et les flches du chasseur aientune valeur et une dure pareilles celles du canot et des instruments du pcheur, - les uns etles autres tant, dailleurs, le produit de la mme quantit de travail. Dans un tel tat dechoses, la valeur du gibier, produit de la journe de travail du chasseur, sera exactement lamme que celle du poisson pris par le pcheur dans sa journe. Le rapport entre la valeur dupoisson et celle du gibier se trouvera entirement dtermin par la quantit de travail dpenspour se procurer lun et lautre, quelle que soit la quantit de chacun des produits, etindpendamment du taux plus ou moins lev des salaires ou des profits en gnral. Si, parexemple le pcheur avait un canot et des instruments de pche pouvant durer dix ans, et ayantune valeur de 100 liv. st. ; sil employait dix hommes dont le salaire serait de 100 liv. st. etdont le travail donnerait chaque jour vingt saumons ; si, dun autre ct, le chasseur,possdant des armes d'une gale valeur et dune gale dure, employait aussi dix hommesdont le salaire serait de 100 liv. st. et dont le travail lui procurerait dix daims par jour, le prixnaturel dun daim devrait tre de deux saumons, - que la portion du produit total accordeaux travailleurs qui lont pris ft , dailleurs, grande ou petite. La proportion de ce qui a putre pay comme salaire est de la plus haute importance pour la question des profits ; car ilest vident quils doivent tre forts ou faibles selon que les salaires sont levs ou bas prix ;mais cela ne peut nullement affecter la valeur relative du poisson et du gibier, le prix desjournes devant tre au mme taux dans les deux genres dindustrie. Dans le cas o le chas-seur voudrait exiger que le pcheur lui donnt plus de poisson pour chaque pice de gibier,en allguant quil a dpens une plus grande partie de sa chasse, ou de ce que vaut sa chasse,pour payer les journes de ses chasseurs, le pcheur lui rpondrait quil se trouve prcismentdans le mme cas. Par consquent tant quune journe de travail continuera donner l'un lamme quantit de poisson, lautre la mme quantit de gibier, le taux naturel de l'change

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    sera de un daim pour deux saumons, quelles que soient dailleurs les variations de salaires etde profits et laccumulation du capital.

    Si avec le mme travail on obtenait moins de poisson ou plus de gibier, la valeur du pre-mier hausserait par rapport celle du second. Si, au contraire, on prenait avec le mme travailmoins de gibier ou plus de poisson, le gibier renchrirait par rapport au poisson.

    Sil existait quelque autre objet dchange dont la valeur ft invariable, et que lon pt seprocurer dans tous les temps et dans toutes les circonstances avec la mme quantit de tra-vail, nous pourrions, en comparant cette valeur celle du poisson et du gibier, dtermineravec prcision quelle portion de cette ingalit doit tre attribue la cause qui change lavaleur du poisson , et quelle portion la cause qui change la valeur du gibier.

    Supposons que largent soit cette mesure invariable. Si un saumon vaut une livre sterling,et un daim deux livres, un daim vaudra deux saumons ; mais un daim pourra acqurir lavaleur de trois saumons, 1 dans le cas o il faudrait plus de travail pour se rendre matre desdaims ; 2 dans le cas o il faudrait moins de travail pour pcher. du saumon ; 3 dans le caso ces deux causes agiraient simultanment. Si une pareille mesure, invariable, fidle, exis-tait, on pourrait aisment valuer leffet de chacune de ces causes. Si le saumon continuait se vendre au prix dune. livre sterling, tandis que le daim en vaudrait trois, nous pourrionsconclure quil faut plus de travail pour se procurer des daims. Si les daims restaient au prixde 2 liv. st. pendant que le saumon aurait baiss 13 s. 4 d., il faudrait certainement enconclure que moins de travail est ncessaire pour avoir du saumon ; et si le prix des daimshaussait 2 liv. 10 s., le saumon baissant 16 s. 8 d., nous devrions en conclure que les deuxcauses ont opr conjointement pour produire ce changement dans la valeur relative de cesdeux objets.

    Il nest pas de variations dans les salaires de l'ouvrier qui .puissent influer sur la valeurrelative des marchandises, car, en supposant mme quils slvent, il ne sensuit pas que cesobjets doivent exiger plus de travail. Seulement, ce travail se paiera plus cher, et les mmesmotifs qui ont engag le chasseur et le pcheur hausser le prix du gibier et du poisson,dtermineront le propritaire dune mine lever la valeur de son or. Ces motifs agissantavec la mme force sur tous les trois, et la situation relative des trois personnes tant 1amme avant et aprs laugmentation des salaires, la valeur relative du gibier, du poisson et delor nauront prouv aucun changement. Les salaires pourraient monter de 20 pour cent, lesprofits diminuant par consquent dans une proportion plus ou moins grande, sans causer lemoindre changement dans la valeur relative de ces marchandises.

    Supposons maintenant quavec le mme travail et le mme capital on pt avoir plus depoisson, mais non pas plus dor ou de gibier ; dans ce cas, la valeur relative du poissontomberait par rapport celle de l'or ou du gibier. Si, au lieu de vingt saumons le travail dunjour en rapportait vingt-cinq, le prix dun saumon serait de 16 shellings au lieu de 1 livresterling, et deux saumons et demi, au lieu de deux, seraient donns en change contre undaim ; mais le prix des daims se maintiendrait toujours 2 liv. comme auparavant. Pareille-ment, si avec le mme capital et le mme travail on nobtenait plus autant de poisson, sa

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 22

    valeur comparative hausserait. alors, et le poisson augmenterait ou diminuerait de valeurchangeable, en raison seulement du plus ou moins de travail ncessaire pour en avoir unequantit dtermine ; mais jamais cette hausse ou cette baisse ne pourrait dpasser le rapportde 1augment.ation ou de la diminution du travail ncessaire.

    Si nous possdions une mesure fixe, au moyen de laquelle on pt estimer les variationsdans les prix des marchandises, nous verrions que la dernire limite de la hausse est en raisonde la quantit additionnelle de travail ncessaire leur production ; et que cette hausse nepeut provenir que dune production qui exige plus de travail. Une hausse dans les salairesnaugmenterait point le prix des marchandises en argent, ni mme leur prix relativement ces marchandises, dont la production nexigerait pas une augmentation de travail, ou decapital fixe et circulant. Si la production dun de ces objets exigeait plus ou moins de travail,nous avons dj montr que cela causerait linstant un changement dans sa valeur relative ;mais ce changement serait d la variation survenue dans la quantit de travail ncessaire, etnon la hausse des salaires.

    Section IV.

    Table des matires

    Lemploi des machines et des capitaux fixes modifie considrablement le principe qui veut que la quantitde travail consacre la production des marchandises dtermine leur valeur relative.

    Dans la prcdente section, nous avons admis que les instruments et les armes ncessairespour tuer le daim et le saumon avaient une dure gale, et taient le rsultat de la mmequantit de travail. Nous avons reconnu en mme temps que les variations dans la valeurrelative du daim et du saumon dpendaient uniquement des diffrentes quantits de travailconsacres a les obtenir ; mais tous les ges de la socit les instruments, les outils, lesbtiments, les machines employs dans diffrentes industries peuvent varier quant leurdure et aux diffrentes portions de travail consacres les produire. De mme les propor-tions dans lesquelles peuvent tre mlangs les capitaux qui paient le travail, et ceux engagssous forme doutils, de machines, de btiments, varient linfini. Cette diffrence dans ledegr de persistance des capitaux fixes, et cette varit dans les proportions, o ils peuvent

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 23

    tre combins avec les capitaux engags, font apparatre ici une nouvelle cause propre dterminer les variations survenues dans la valeur relative des marchandises. Cette cause, quise joint a la somme de travail consacre la production des marchandises, est labaissementou llvation de la valeur du travail.

    La nourriture et les vtements qui servent louvrier, les btiments dans lesquels iltravaille, les outils qui facilitent son travail sont tous dune nature prissable. Et cependant ilexiste des diffrences normes dans le degr de permanence de ces divers capitaux. Unemachine vapeur durera plus longtemps quun vaisseau, un vaisseau plus que les vtementsdun ouvrier, ces vtements eux-mmes auront une dure considrable, relativement cellede la nourriture quil consomme.

    Suivant que le capital disparat rapidement et exige un renouvellement perptuel, ou quilse consomme lentement, on le divise en deux catgories qui sont : le capital fixe et le capitalcirculant 1. Un brasseur dont les btiments et les machines ont une valeur et une dure nota-bles, est considr comme employant une grande quantit de capital fixe. Au contraire, uncordonnier dont le capital se dissipe principalement en salaires qui servent procurer l'ouvrier sa nourriture, son logement et dautres marchandises moins durables que les bti-ments et les machines, ce cordonnier est considr comme employant une grande partie deses capitaux sous forme de capital circulant.

    Il faut encore observer que le capital non engag peut rester plus ou moins longtemps dansla circulation, avant de rentrer aux mains du chef dindustrie. Ainsi, le bl que le fermierachte pour semer ses champs est un capital fixe, comparativement au bl qu'achte le bou-langer pour faire son pain. Le premier le dpose dans la terre, et ne len retire quau boutdun an ; le second peut le faire moudre, le vendre aux consommateurs sous forme de pain,retrouver tout entier son capital au bout dune semaine, et le consacrer dautres productions.

    Il peut donc arriver que deux industries emploient la mme somme de capital ; mais cecapital peut aussi se diviser dune manire trs-diffrente sous le rapport de la portion enga-ge et de la portion qui circule. Dans une de ces industries, on peut nemployer qu'une faiblefraction de capital sous forme de salaire, cest--dire comme fonds circulant : le reste peutavoir t converti en machines, instruments, btiments, toutes choses qui constituent uncapital comparativement fixe et durable. Dans une autre industrie, au contraire, la plus grandepartie du capital sera peut-tre consacre a dfrayer le travail, le reste servant lachat desbtiments, des instruments et des machines. Il est vident, ds lors, qu'une hausse dans lessalaires influera d'une manire bien diffrente sur les marchandises, selon qu'elles auront tproduites sous telles et telles conditions.

    Il y a plus. Deux manufacturiers peuvent employer la mme somme de capital fixe et decapital circulant, et cependant avoir un capital fixe dune dure trs-ingale. Lun peut avoirdes machines vapeur cotant 10,000 liv. st. lautre des vaisseaux de la mme valeur.

    1 Division peu essentielle et qu'il est d'ailleurs difficile d'tablir d'une manire bien nette.

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 24

    Si les hommes, privs de machines, produisaient par le seul effort de leur travail, et con-sacraient la cration des marchandises quils jettent sur le march, le mme temps, lesmmes efforts, la valeur changeable de ces marchandises serait prcisment en proportionde la quantit de travail employe.

    De mme, sils employaient un capital fixe de mme valeur et de mme dure, le prix desmarchandises produites serait le mme, et varierait seulement en raison de la somme detravail plus ou moins grande consacre leur production.

    Tout ceci est parfaitement dmontr pour les marchandises produites dans des circons-tances semblables. Celles-ci ne varieront, relativement les unes aux autres, que dans le rap-port de laccroissement ou de la diminution du travail ncessaire pour les produire. Mais, sion les compare avec dautres marchandises qui nauraient pas t cres avec la mmesomme de capital fixe, on voit quelles subissent l'influence de lautre cause que jai nonce,et qui est une hausse dans la valeur du travail : et cela, alors mme que lon aurait consacr leur production la mme somme defforts. Lorge et lavoine continueront, quelles que soientles variations survenues dans les salaires, conserver entre elles les mmes rapports. Il ensera de mme pour les toffes de coton et de laine, si elles ont t produites dans des circons-tances identiques ; mais une hausse ou une hausse des salaires survenant, lorge pourra valoirplus ou moins, relativement aux toffes de coton, et lavoine, relativement aux draps.

    Supposons que deux individus emploient chacun annuellement cent hommes construiredeux machines, et quun troisime individu emploie le mme nombre douvriers cultiver dubl : chacune des deux machines vaudra, au bout de lanne, autant que le bl rcolt, parceque chacune aura t produite par la mme quantit de travail. Supposons maintenant que lepropritaire dune des machines lemploie, avec le secours de cent ouvriers, fabriquer dudrap, et que le propritaire de lautre machine lapplique, avec le mme nombre de bras, laproduction de cotonnades ; le fermier continuant de son ct faire cultiver du bl ses centouvriers. A la seconde anne il se trouvera qu'ils auront. tous utilis la mme somme detravail : mais les marchandises et les machines du fabricant de cotons et du fabricant de drapsseront le rsultat du travail de deux cents hommes pendant un an ou de cent hommes pendantdeux ans. Le bl, au contraire, naura exig que les efforts de cent ouvriers pendant un an ; desorte que, si le bl a une valeur de 500 liv. st., les machines et les produits crs par les deuxmanufacturiers devront avoir une valeur double. Cette valeur sera mme de plus du double,car le fabricant de cotonnades et le fabricant. de draps auront tous deux ajout leur capitalles profits de la premire anne, tandis que le fermier aura consomm les siens. .II arriveradonc, qu raison de la dure plus ou moins grande des capitaux, ou, ce qui revient au mme,en raison du temps qui doit scouler avant que les diffrentes espces de marchandisespuissent tre amenes sur le march, leur valeur ne sera pas exactement proportionnelle laquantit de travail qui aura servi les produire. Cette valeur dpassera un peu le rapport dedeux un, afin de compenser ainsi le surcrot de temps qui doit s'couler avant que le produitle plus cher puisse tre mis en vente.

    Supposons que le travail de chaque ouvrier cote annuellement 50 liv. st., ou que le capitalengag soit de 500 liv. st., et les profits de 10 pour cent, la valeur de chacune des machines,

  • David Ricardo (1817), Des principes de lconomie politique et de limpt (trad. franaise, 1847) 25

    ainsi que celle du bl, sera au bout de lanne de 5,500 liv. st. La seconde anne, lesmanufacturiers et le fabricant emploieront encore 500 liv. st. chacun en salaires, et vendrontpar consquent encore leurs marchandises au prix de 5,500 liv. st. Mais, pour tre de pairavec le fermier, les fabricants ne devaient pas seulement obtenir 5,500 liv. st. en retour des5,000 liv. st. employes rmunrer du travail : il leur faudra recueillir de plus une sommede 550 liv. st., titre dintrts, sur les 5,500 liv. st. quils ont dpenses en machines, etleurs marchandises devront donc leur rapporter 6,050 liv. st. On voit donc ainsi que descapitalistes peuvent consacrer annuellement la mme quantit de travail produire des mar-chandises, sans que ces mmes marchandises aient la mme valeur, et cela, en raison desdiffrentes quantits de capitaux fixes et de travail, accumuls dans chacune delles. Le drapet les cotonnades out la mme valeur, parce quils rsultent dune mme somme de travail etde capital engag. Le bl diffre de valeur, parce quil a t produit dans des conditionsautres.

    Mais, dira-t-on, comment une hausse dans les salaires pourra-t-elle influer sur leur valeurrelative ? Il est vident que le rapport entre le drap et les cotonnades ne variera pas, car, danslhypothse admise, ce qui atteint l'un atteint galement lautre. De mme, la valeur relativedu bl et de lor ne changera pas, parce que ces deux denres sont produites dans des condi-tions identiques, sous le double rapport du capital fixe et du capital circulant : mais le rapportqui existe entre le bl et le drap ou les cotonnades devra ncessairement se modifier souslinfluence d'une hausse dans le prix du travail.

    Toute augmentation de salaire entrane ncessairement une baisse dans les profits. Ainsi,si le bl doit tre rparti entre le fermier et l'ouvrier, plus grande sera la portion de celui-ci,plus petite sera celle du premier. De mme, si le drap ou les toffes de coton se divisent entrel'ouvrier et le capitaliste, la part du dernier ne s'accrotra quaux dpens de celle du premier.Supposons, ds lors, que, grce une augmentation de salaires, les profits tombent de 10 9pour cent ; au lieu dajouter au prix moyen de leurs marchandises, et, pour les profits de leurcapital fixe, une somme de 556 liv. st., les manufacturiers y ajouteront 495 liv. st. seulement,ce qui portera le prix de vente 5,995 liv. st., au lieu de 6,050 liv. st. Mais comme le prix dubl resterait 5,500 liv. st., les produits manufacturs, o il entre une plus grande somme decapitaux fixes, baisseraient relativement au bl ou toute autre denre. L'importance desvariations qui surviennent dans la valeur relative des marchandises par suite dune augmen-tation de salaires, dpendrait alors de la proportion qui existerait entre le capital fixe et latotalit des frais de production. Toutes les marchandises produites au moyen de machinesperfectionnes, dans des btiments coteux et habilement construits, toutes celles, en dautrestermes, qui exigent beaucoup de temps et defforts avant de pouvoir tre livres sur lemarch, perdraient de leur valeur relative, tandis que celles qui, produites uniquement, ouprincipalement, avec du travail, peuvent tre rapidement jetes dans la circulation, augmen-teraient de valeur.

    Le lecteur remarquera cependant que cette cause n'a qu'une faible influence sur les mar-chandises. Une augmentation de salaires qui entranerait une baisse de 1 pour cent dans lesprofits, ne dterminerait, dans la valeur relative des produits, qu'une variation de 1 pour cent :cette valeur descendrait donc de 6,050 liv. st. 5,995 liv. st. Leffet le plus sensible qui pt

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    tre produit par un accroissement de salaires sur le prix des marchandises, ne dpasserait pas6 ou 7 pour cent, car on ne saurait admettre que les profits, dans quelque circonstance que cesoit, pussent subir dune manire gnrale et permanente une dpression plus forte.

    Il nen est pas de mme de cette autre cause modificative de la valeur, que nous avonsreconnue tre l'augmentation ou la diminution de la quantit de travail ncessaire pour crerdes marchandises. Sil fallait pour produire du bl quatre-vingts hommes au lieu de cent, lavaleur du bl descendrait de 5,500 liv. st. 4,400 liv. st., cest--dire de 20 pour cent : dans lamme hypothse, le prix du drap sabaisserait de 6,050 liv. st. 4,950 liv. st. De plus, toutealtration profonde et permanente dans le taux des profits, dpend dune srie de causes quinagissent qu la longue, tandis que les variations qui surviennent dans la quantit de travailncessaire pour crer des marchandises, sont des phnomnes de chaque jour. Chaqueprogrs dans les machines, les outils, les btiments, la production des matires premirespargne du travail, permet de crer une marchandise avec plus de facilit, et tend, parconsquent, en rduire la valeur. En numrant donc ici toutes les causes qui font varier lavaleur des marchandises, on aurait tort, sans doute, de ngliger linfluence rserve au mou-vement des salaires ; mais on aurait tort aussi dy attacher une trop grande importance. Cestpourquoi, tout en tenant compte de cette influence dans le cours de cet ouvrage, je consid-rerai cependant les grandes oscillations quprouve la valeur relative des marchandises,comme rsultant de la quantit de travail plus ou moins grande ncessaire leur production.

    Je crois peine utile dajouter que les marchandises dont la production cot la mmesomme defforts , diffreront nanmoins de valeur changeable si on ne peut les amener surle march dans le mme espace de temps.

    Supposons que pendant un an je consacre 1,000 liv. st. rtribuer le travail de vingthommes occups crer une marchandise. Supposons encore que lanne suivante jemploievingt hommes terminer, perfectionner le mme produit pour des salaires gaux. Si lesprofits sont de 10 pour cent, ma marchandise livre sur le march au bout de ces deux annesdevra se vendre 2,310 liv. st. ; car jy ai consacr la premire anne un capital de 1,000 liv.st., et la seconde anne un capital de 2,100 liv. st. Un autre individu emploie la mme quan-tit de travail, mais dans une seule anne : il paie 2,000 liv. st. de salaires quarante ouvriers.A la fin de lanne, le prix de la marchandise, y compris 10 pour cent de profits, ne dpasserapas 2,200 liv. st. Voil donc deux marchandises produites par une quantit gale de travail etdont lune se vend 2,310 liv. st., lautre 2,200 liv. st.

    Ce dernier cas semble diffrer du prcdent, mais au fond il est parfaitement le mme.Ainsi on y reconnat, comme toujours, que laccroissement de valeur d'une marchandise natdu temps plus ou moins considrable que ncessitent sa production et son transport sur lemarch. Dans notre premire hypothse, les machines et le drap ont valu plus de deux fois ceque vaut le bl, quoiquils eussent seulement exig le double de travail ; dans le second cas,la somme de travail reste la mme, et cependant. il y a accroissement de valeur. Cette diff-rence dans la valeur des marchandises nat de ce que, dans les deux cas, les profits se sontjoints au capital et rclament, consquemment, une compensation quitable.

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    De tout ceci, il rsulte que les diffrentes proportions de capital fixe et de capital circulantemploys dans les diverses branches de lindustrie, modifient considrablement la rgle quisapplique aux poques o la production nexige que du travail. Cette rgle gnrale voulaitque la valeur des marchandises ft dans le rapport du travail consacr les produire ; lesconsidrations prsentes dans cette section dmontrent que sans variations aucunes dans laquantit de travail employe, la hausse des salaires suffit pour dterminer une baisse dans lavaleur changeable des marchandises dont la production exige une certaine somme de capitalfixe : plus grand sera le montant du capital engag, plus importante sera la baisse.

    Section V.

    Table des matires

    Le principe qui veut que la valeur ne varie pas avec la hausse ou la baisse des salaires, se trouve encoremodifi par la dure du capital et par la rapidit plus ou moins grande avec laquelle il retourne celui qui laengag dans la production.

    Dans la section prcdente nous avons suppos deux sommes de mme importanceengages dans deux industries diffrentes et ingalement subdivises en capital fixe et capitalcirculant ; supposons maintenant que cette subdivision soit la mme, mais que la diffrencese trouve tre dans la dure de ces capitaux. Plus un capital se consomme rapidement et plusil se rapproche de la nature des capitaux circulants ; il disparat pour reparatre bientt etretourner au manufacturier. Nous venons de voir que plus le rapport du capital fixe dominedans une manufacture et plus la valeur des marchandises qui y sont produites tend, souslinfluence dune augmentation de salaires, sabaisser relativement aux marchandises cresdans des fabriques o lon trouve plus de capital circulant. Il en rsulte donc. que la mmecause produira les mmes effets avec dautant plus dintensit que le capital se consommeraplus rapidement et se rapprochera davantage die la nature des capitaux circulants.

    Si le capital engag est dune nature prissable, il faudra chaque anne de grands effortspour le maintenir dans son intgrit ; mais ce travail de reconstitution peut-tre considrcomme servant rellement a la production des marchandises, et devra se retrouver dans leurvaleur. Si javais une machine de 20,000 liv. st., susceptible de produire certaines marchan-

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    dises avec le secours dun faible travail ; si la dtrioration graduelle de cette machine taitpeu importante, et le taux des profits de 10 pour cent, je me contenterais dajouter 2,000 liv.st. au prix de mes produits, comme compensation de lemploi de ma machine. Mais si ladtrioration tait rapide et srieuse, sil fallait pour la conserver le travail de cinquantehommes tous les ans, jajouterais au prix de mes marchandises un excdant gal lexcdantobtenu par tout autre manufacturier qui naurait pas de machines et qui emploierait cinquantehommes crer dautres produits.

    Un accroissement de salaires agira donc dune manire ingale sur la valeur des marchan-dises produites au moyen de machines qui susent rapidement et celles produites au moyende machines dune grande dure. Dans un cas, il entrerait une grande portion de travail dansles produits fabriqus, dans l'autre, il en entrerait fort peu. Cest pourquoi toute augmentationde salaires ou, ce qui est la mme chose, tout abaissement dans le taux des profits tend affaiblir la valeur relative des marchandises produites avec un capital durable et leverproportionnellement au contraire la valeur de celles produites avec un capital dune natureprissable. Une diminution de salaires aurait leffet prcisment contraire.

    Jai dj dit que le capital fixe peut avoir une dure plus ou moins considrable. Suppo-sons maintenant une machine se dtruisant au bout dune anne, et accomplissant dans unecertaine branche dindustrie le travail de cent hommes. Supposons encore que la machinecote 5,000 liv. st., et que les salaires pays aux cent ouvriers slvent 5,000 liv. st., il estvident quil importera fort peu au manufacturier dacheter la machine ou demployer lescent hommes. Mais admettons maintenant que le prix du travail slve et atteigne 5,500 liv.st., nul doute alors que le manufacturier ne trouve son intrt acheter la machine et cono-miser ainsi 5,000 liv. st. sur la fabrication. On dira peut-tre : les salaires haussant, il se peutque le prix de la machine hausse en mme temps et atteigne 5,000 liv. st. Cest ce quiarriverait en effet si elle navait exig lemploi daucun fonds et sil navait fallu payer auconstructeur une certaine somme de profits. Ainsi, la machine tant le produit du travail decent ouvriers, occups pendant un an a raison de 50 liv. st. chacun, sa valeur serait naturelle-ment de 5,000 liv. st. ; les salaires venant atteindre 55 liv. st., le prix de la machine devraittre alors de 5,500 liv. st. ; mais il nen saurait tre ainsi. Il faut ncessairement que lamachine ait t cre par moins de cent ouvriers, car dans le prix primitif de 5,000 liv. st.doivent tre compris les profits sur le capital qui a servi payer les ouvriers. Supposons doncque quatre-vingts hommes seulement aient t employs raison de 50 liv. st. par an, soit4,250 liv. st. par an, lexcdant de 750 liv. st. que donnerait la vente de la machine, en dehorsdes salaires dpenss, reprsenterait alors les profits du mcanicien, et les salaires venant hausser de 10 pour cent, il serait oblig demployer un capital additionnel de 425 liv. st., cequi porterait ses frais de production 4,675 liv. st., au lieu de 4,250 liv. st. En continuant vendre sa machine 5,000 liv. st., son profit ne dpasserait donc pas 325 liv. st. Or cecisapplique tous les manufacturiers et tous les capitalistes ; la hausse des salaires les atteinttous indistinctement. Aussi dans le cas o le fabricant de machines lverait ses prix enraison de laugmentation des salaires, les capitaux afflueraient bientt dans cette branche dela production pour ramener, par voie de concurrence, les profits leur taux ordinaire 1. Nous

    1 Ceci nous indique pourquoi les vieilles socits sont constamment entranes employer des machines et les

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    voyons donc ainsi que laccroissement des salaires naurait pas pour effet de dterminer unehausse dans la valeur des machines.

    Cependant le manufacturier qui, au milieu dune hausse gnrale des salaires, se serviraitdune machine qui naccrotrait pas ses frais de production, jouirait ncessairement de troisgrands avantages sil pouvait continuer vendre ses marchandises au mme prix ; mais,comme nous lavons dj vu, il serait oblig dabaisser les prix, sous peine de voir sonindustrie inonde par un immense afflux de capitaux dont leffet serait de ramener ses profitsau niveau gnral. Cest ainsi que la socit en masse profite de lintroduction des machines ;ces agents muets et infatigables sont toujours le produit dun travail moins considrable quecelui quils dplacent, mme quand ils ont la mme valeur vnale. Ils ont pour effet de fairesentir un plus petit nombre dindividus laccroissement de valeur que prennent lessubsistances et qui se reflte dans les salaires. Dans le cas cit plus haut cette hausse natteintque quatre-vingt-cinq ouvriers, et lconomie de main-duvre qui en rsulte se rvle par lamodicit du prix de la marchandise fabrique. Ni les machines, ni les produits crs par lesmachines ne prennent une valeur relle plus considrable ; tous ces produits, au contraire,baissent et baissent proportionnellement leur destructibilit.

    Il ressort donc de ceci, quaux premiers jours de toute socit, avant quon nait mis enuvre une grande quantit de machines et de capital fixe, les marchandises produites aumoyen de sommes gales auront peu prs la mme valeur ; mais ces faits disparaissentaussitt aprs lintroduction de ces coteux agents. Les marchandises produites avec lesmmes capitaux pourront avoir une valeur bien diffrente, et tout en tant exposes hausserou baisser relativement les unes aux autres en raison de la quantit de travail consacre lesproduire, elles restent soumises une autre influence, celle de la hausse ou de la baisse dessalaires et des profits. Ds que des marchandises qui se vendent 5,000 liv. st. pourront tre leproduit dun capital quivalent celui qui a servi crer dautres marchandises se vendant10,000 liv. st., les profits du manufacturier seront les mmes ; mais ces profits deviendrontingaux toutes les fois que le prix des produits ne variera pas avec la hausse ou la baisse desprofits.

    Il parat encore que la valeur relative des marchandises auxquelles on a consacr uncapital durable varie proportionnellement la persistance de ce capital et en raison inverse dumouvement des salaires. Cette valeur slvera pendant que baisseront les salaires ; elleflchira au moment o saccrotra le prix du travail. Pour les marchandises, au contraire, quiont surtout t cres avec du travail et peu de capital fixe, ou du moins, avec un capital fixedune nature plus fugitive que celle de ltalon des valeurs, elles baisseront et hausserontparalllement aux salaires.

    socits jeunes employer surtout du travail : chaque nouvelle difficult que prsente la nourriture,lentretien des hommes, le travail hausse ncessairement et cette hausse est un stimulant pour la cration etla mise en uvre de machines. Or, cette difficult agit constamment dans les nations dj avances : tandisque la population peut se dvelopper subitement dans un pays neuf sans amener de hausse dans les salaires.Il peut tre, en effet, aussi facile de pourvoir la subsistance de 7, 8 ou 9 millions dindividus qu celle de 3ou 4 millions.

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    Section VI.

    Table des matires

    D'une mesure invariable des valeurs.

    Les marchandises variant dans leur valeur relative, il est dsirer que l'on trouve lesmoyens de dterminer quelles sont celles dont la valeur relle s'lve ou s'abaisse. Pour cela,il faudrait les comparer, sparment, avec un talon invariable, un criterium qui serait inac-cessible a toutes les fluctuations qu'prouvent les autres marchandises. Or, il est impossiblede se procurer cette mesure type, par la raison qu'il n'est pas de marchandise qui ne soit elle-mme expose aux variations qui atteignent les objets dont il s'agirait de calculer la valeur :en d'autres termes, il n'en est aucune qui ne ncessite pour sa cration des quantits variablesde travail. Mais, si mme il tait possible d'annuler pour un talon dtermin toutes lesoscillations de valeur ; s'il tait possible de consacrer toujours, par exemple, la mme sommede travail la fabrication de notre monnaie, on ne serait pas encore parvenu obtenir un typeparfait, une mesure invariable. Comme je l'ai dj indiqu, en effet, il faudrait encore tenircompte de l'influence produite par les mouvements des salaires, par les diffrentes propor-tions de capital fixe ncessaire pour crer cette mesure et les autres marchandises dont onvoudrait dterminer les variations de valeur, enfin, par la dure plus ou moins grande ducapital fixe, et le temps ncessaire pour amener les marchandises sur le march ; - toutes cir-constances qui enlvent un objet quelconque la facult de servir comme type exact etinvariable.

    Ainsi, on ne saurait prendre l'or comme talon, car l'or, comme toute autre marchandise,est produit par une certaine quantit de travail unie un certain capital fixe. Des amliora-tions peuvent tre introduites dans les procds qui servent le produire, et ces amliorationspeuvent dterminer une baisse dans sa valeur relative avec les autres objets.

    En supposant mme que l'or fit disparatre cette cause de variation, et que la mme quan-tit de travail ft toujours ncessaire pour obtenir la mme quantit d'or, il resterait encorecomme obstacle les diffrences entre les proportions de capital fixe et le capital circulant quiconcourent la production des autres marchandises : - quoi il faudrait ajouter encore ladure plus ou moins grande des capitaux, le temps, plus ou moins long, ncessaire pour livrer

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    l'or sur le march. L'or pourrait donc tre une mesure parfaite des valeurs pour toutes leschoses produites dans des circonstances exactement semblables, mais pour celles-l seules.Si, par exemple, il tait cr dans les mmes conditions que celles ncessaires pour produiredu drap ou des cotonnades, il dterminerait fort exactement la valeur de ces objets ; maispour le bl, le charbon, mille autres produits o ont t enfouies des portions plus ou moinsgrandes de capital fixe, il serait inhabile les mesurer. Nous avons dmontr, en effet, quetoute altration dans le taux des profits influe sur la valeur relative des marchandises,indpendamment mme de la somme de travail consacre les produire. Il en rsulte doncque ni l'or, ni aucun autre objet ne peuvent servir mesurer exactement la valeur des mar-chandises ; mais je me hte de rpter ici que les variations qui surviennent dans le taux desprofits, agissent faiblement sur le prix relatif des choses. L'influence la plus manifesteappartient aux diffrentes quantits de travail ncessaires la production : aussi, si nousadmettons que l'on soit affranchi de cette influence, aurons-nous acquis un criterium aussiapproximatif qu'on puisse le dsirer en thorie. Ne peut-on considrer l'or, en effet, comme lersultat d'une combinaison de capitaux circulants et de capitaux fixes, quivalente celle quisert produire les autres marchandises ? Et ne peut-on supposer en mme temps cettecombinaison galement loigne des deux extrmes, c'est--dire, du cas o l'on emploie peude capital fixe, et de celui, au contraire, o il faut une faible quantit de travail ?

    Si, tous ces titres, je puis me considrer comme possdant un talon des valeurs qui serapproche beaucoup d'un criterium invariable, j'aurai cet norme avantage de pouvoir indi-quer les variations des autres objets, sans m'inquiter sans cesse des variations survenues ou survenir dans la valeur de l'agent qui sert mesurer tous les prix.

    Pour faciliter nos recherches je supposerai l'or invariable, tout en reconnaissant, d'ailleurs,que la monnaie faite avec ce mtal est soumise aux mmes variations que les autres objets.Toutes les altrations de prix, je les considrerai donc comme provenant des variations surve-nues dans la valeur de la marchandise dont je m'occuperai.

    Avant de quitter ce sujet, je crois devoir faire observer qu'Adam Smith et tous les cri-vains qui l'ont suivi, sans exception aucune, ont soutenu que toute hausse dans le prix dutravail a pour effet ncessaire d'lever le prix des marchandises. J'espre avoir dmontr quecette opinion ne s'appuie sur rien et que les seules choses susceptibles de hausse seraientcelles qui auraient exig moins de capital fixe que l'talon par lequel s'valuent les prix.Quant celles qui en exigeraient davantage, leur prix baisserait paralllement la hausse dessalaires. Le contraire aurait lieu dans le cas o les salaires diminueraient.

    Je nai pas dit, et il est essentiel de se le rappeler, que par cela seul que le travail consacr une marchandise slve 1000 1. st. et celui consacr une autre marchandise 2000 1.st., la valeur de ces deux objets doive tre ncessairement de 1000 1. st. et de 2000 1. st. : jaidit simplement que cette valeur serait dans le rapport de 1 2, et que ces marchandisesschangeraient daprs ce rapport. Il importe fort peu la vrit de notre thorie, que lun deces produits se vende a raison de 1100 1. st. ou de 1500 1. st., lautre raison de 2200 1. st.ou de 3000 1. st. Je nexaminerai mme pas cette question en ce moment ; ce que jaffirme

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    seulement, cest que leur valeur relative se rgle sur les quantits relatives de travail consacr leur production.

    Section VII.

    Table des matires

    Des diffrentes consquences produites par les oscillations dans la valeur de la monnaie ou dans celle desmarchandises que la monnaie, - ce symbole des prix, - sert acheter.

    Quoique je me sois dcid reconnatre, en gnral, la monnaie une valeur invariable,afin de pouvoir dterminer dune manire plus nette les variations que subissent les autresmarchandises, je crois devoir indiquer ici les consquences trs-diverses quentranent lesaltrations de valeur produites par les diffrentes quantits de travail ncessaires pour crerles marchandises et les variations produites par des changements dans la valeur de lamonnaie elle-mme.

    La monnaie tant une marchandise variable, la hausse des salaires en argent devra rsultersouvent dune baisse dans la valeur de la monnaie. Toute augmentation de salaire, produitepar cette cause, sera ncessairement accompagne dune hausse correspondante dans le prixdes marchandises ; mais il sera facile de voir alors que le travail et les autres marchandisesnont pas vari et que les changements se rapportent uniquement largent.

    Par cela seul que la monnaie nous vient du dehors, quelle forme lagent intermdiaire deschanges entre tous les pays civiliss, quelle se distribue parmi ces pays, dans des propor-tions qui varient constamment avec les progrs de lindustrie et du commerce, et avec lesdifficults toujours croissantes que lon prouve pour entretenir une population ascendante ;par cela seul, dis-je, la monnaie est soumise d'incessantes variations: En dterminant lesprincipes qui rglent la valeur chang