Richir, Marc - L’aperception transcendantale immédiate

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    Rsum

    La refonte que nous avons engage de la phnomnologie depuis lesMditations phnomnologiques (1992) nous a conduit, ici, rexaminer laquestion de laperception transcendantale et du cogito transcendantal tellequelle est connue chez Husserl. La problmatique de la phnomnalisationet du schmatisme phnomnologique des phnomnes comme rien que ph-nomnes conduit sa dcomposition en trois registres architectoniques, dontla structure commune est chaque fois celle dun discord dans laccord: regis-

    tre du hors langage avec ses proto-temporalisations instables, registre du lan-gage avec ses temporalisations en prsence sans prsent assignable, et regis-tre proprement husserlien des sens intentionnels, se temporalisant en pr-sents. Est examine dans ce contexte la question de la Stiftung elle-mme desa priori idtiques husserliens.

    Mots-cls: Phnomne, phnomnalisation, clignotement, Stiftung, sch-matisme, idalit.

    Abstract

    The remake that we have started of phenomenology since thePhenomenological Meditations (1992) has led us here to reexammine thequestion of transcendantal aperception and transcendantal cogito such as it isknown by Husserl. The problematic of phenomenalization and phenomeno-logical schematism of phaenomena as but phaenomena leads to its decompo-sition in three architectonichal registers, whose common structure is each

    Revista de Filosofa

    2001, 26: 7-53ISSN: 0034-8244

    Laperception transcendantale immdiate

    et sa dcomposition en phnomnologie

    Marc RICHIR

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    time that of a discordance into the accordance: register of off language with,its instable proto-temporalization, register of language with its temporaliza-tions in presence without a present that could be set, and utterly husserlian

    register of intentionnal meanings wich temporalize themselves in presents. Inthis context, the question of the Stiftung itself of eidetic husserlian apriori isexamined.

    Key-words: Phaenomenon, phenomenalization, pulsing, Stiftung, sche-matism, ideality.

    Si elle se conoit dans lesprit de loeuvre husserlienne, la refonte ou lesnouvelles fondations que nous proposons pour la phnomnologie ne sontplus proprement husserliennes: procdant entre autres dune rinterprtationde la Stiftung, elles couplent l poch phnomnologique hyperbolique et larduction architectonique. Au lieu que les pluralits analyser dlmentsphnomnologiques actuels et potentiels soient dfinissables, originairement,par leur commune appartenance un mme genre ou a priori idtique(Husserl), elles sont coextensives, chaque fois, dune Stiftung (institution) quileur est propre, et se distinguent, alors mme quelles sont principiellementpotentielles et jamais compltement individuelles, dans telle ou telle actuali-sation par un a priori structural plus fondamental que la priori idtique, etqui va de pair, moyennant labandon de la temporalisation husserlienne parle prsent vivant comme mode originaire de temporalisation, pour chaquetype ou style de Stiftung, avec des structures diffrencies de temporali-sation. Ainsi le fond (Fundament) ultime de toute Stiftung nest-il plus ce quiserait plus ou moins rductible au champ perceptif (externe, interne) mais ceque nous nommons comme le champ le plus archaque de la phnomnolo-gie, lui-mme dpourvu de Stiftung, et seulement accessible, en clipses, parlhyperbole de lpoch phnomnologique hyperbolique, par le suspens detoute temporalit dans linstantan (exaiphns) platonicien. De ce fond, la

    phantasia, entendue en son sens le plus large (bien au-del de limagina-

    tion), avec ses caractres de non-prsent et de discontinuit temporelle bienrelevs par Husserl, est la premire attestation (Ausweisung) phnomnolo-gique: les apparitions dephantasia se temporalisent en prsence sans prsentassignable, tout comme le langage, et si elles se rapportent des objets, sins-tituant ainsi en aperceptions de phantasia, cest moyennant lintentionna-lit spatialisante trs particulire du Leib (corps vivant) et moyennant lesaperceptions institues de langue qui permettent de reconnatre lobjet (parexemple le centaure, auquel Husserl a trs frquemment recours). Sur ce fond

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    quil lui faut pour seffectuer. En phnomnologie, la Stiftung ne peut que serencontreret sanalyser, elle ne peut en aucun cas se driver ou se ddui-re. Elle y est toujours Stiftung per hiatum. En dautres termes, seule la prise

    en compte de la transpossibilit permet lanalyse gntique de la doublemtamorphose quil y a en toute Stiftung, et cette analyse nest possible,encore une fois, que par lpoch phnomnologique hyperbolique quiretourne mthodiquement, dans le suspens propre linstantan, la racinedes diverses structures de temporalisation. Cest par le revirement immatri-sable de linstantan, du mouvement au repos et du repos au mouvement, durassemblement la dispersion et de la dispersion au rassemblement, que loc-cultation du registre fondateur originel par ce qui enparatcomme le regis-tre fondateur du registre fond nest jamais totale, que la transpassibilit joue la fois dans le hiatus de la Stiftung eteu gard ce dont la Stiftung senl-ve (qui devient son dehors) cest--dire se rouvre doublement en clipsesdans le hors-temps. Quant au champ phnomnologique le plus archaque, ilnest un registre architectonique quaprs coup, depuis les Stiftungen quinont pas lieu en lui, mais sur lui, vritable abme du monde et de notre vie,consciente et inconsciente, qui est celle de notre Leib pas celle de notreKrper en saLeiblichkeit, diffrent du monde mais ultimement indiscerna-ble de lui. Cest dans cet cart originaire mais insituable (marqu chezHusserl par leLeib comme ici absolu), quil nous faut reprendre la questionde laperception transcendantale immdiate ou la question du cogito trans-cendantal en phnomnologie. Fidle a linspiration de Husserl, mais au-delde lui.

    A.

    Aperception transcendantale, schmatisme transcendantal de phnom-

    nalisation, image schmatique et institution de lidalit

    1. Phnomnalisation, schmatisme de phnomnalisation et apercep-tion transcendantale

    Cest par lpoch phnomnologique hyperbolique que nous effectuonsque nous accdons au clignotement (battement en clipses) en lequel se ph-nomnalise le phnomne comme rien que phnomne. Si nous partons, parexemple, du phnomne au sens husserlien, cest--dire du tout intentionnelconstitu dans la vise dun objet, plus prcisment dapparitions fus-sent-elles, dans les intentions vides, celles desAkterlebnisse, des vcus dac-

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    tes disposes par et en vue dun sens intentionnel, celui-ci comportant enlui-mme des prises dattitude, des Stellungnahmen, et si, dans ce cas, nousmettons le rapport intentionnel entre apparitions et sens dobjet hors circuit,

    il vient tout dabord que les apparitions ne le sont plus tout simplement dunsens intentionnel vis, mais prennent aussi le statut dapparences, de ce quenous nommons concrtudes phnomnologiques, dans un clignotementphnomnologique entre apparitions et apparences, o les deux acquirentune quasi-autonomie; les premires comme clignotant entre ce qui parat leurdonner statut dapparitions en propre et ce qui les met en ordre au sein de larelation intentionnelle; les secondes comme clignotant entre ce qui parat lesdtacher de toute relation intentionnelle et ce qui ne parat pouvoir le faireque dans la mesure o, par des synthses passives, elles paraissent, danslinstantan (exaiphns) de lpoch hyperbolique, se disposer autrement, eugard ce qui nest plus rapport intentionnel (vise de sens dobjet ou dtat-de-choses individu), mais phnomne en un sens plus radical en tant que cephnomne nest plus phnomne qui puisse tre rapport quelque chosedautre que lui-mme (un objet), mais phnomne comme rien que ph-nomne. Certes, celui-ci (ou ce qui parat dabord comme celui-ci) nappa-rat pas, au sens, prcisment, ou les apparences ne sont pas ses apparitions,mais il se phnomnalise en clignotant de manire instable et par clairscomme enchevtrement darrangements divers et dansants des apparences,dans une pluralit inchoative originaire et sans cesse en revirements de ceschatoiements dapparences. Cest dire que cest seulement premire vuequil y a un phnomne comme rien que phnomne, et quen ralit, dansles instabilits fugaces des arrangements dapparences, il y a originairement,tout ensemble, pluralit enchevtre de phnomnes comme rien que ph-nomnes. De ceux-ci, il ne peut donc jamais y avoir quentre-aperceptions,dans linstantan, dont les horizons temporels ne sont ni le pass en rtentionni le futur en protention (ceux-ci prsupposent la temporalisation en prsent),mais un pass pour toujours immmorial et un futur jamais immature. Etpareillement, en toute rigueur, de ces phnomnes, il ny a jamais seulement

    une phnomnalisation, mais, dans la pluralit immatrisable des chatoie-ments revirant (instantanment) des apparences,pluralit(nous disions quan-titabilit dans nos Recherches phnomnologiques1) des phnomnes enleurs phnomnalisations. Autrement dit, si nous reprenons les choses depuisle clignotement entre apparitions et apparences, du ct des apparitions,celles-ci, dune part, ne paraissent se dtacher du rapport intentionnel o elles

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    1 Ousia, Bruxelles, 1981, 1983.

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    sont toujours dj prises en un sens dapprhension que dans la mesure oelles sont prises aussi leur clignotement dans les apparences, sans jamaisapparatre comme telles (elles ne sont, phnomnologiquement, que des abs-

    tractions dun tout concret, le tout intentionnel vcu), et dautre part, ellesne paraissent entrer dans le rapport intentionnel en sy vanouissant commetelles que dans la mesure o elles paraissent sorganiser en vue duple un dusens intentionnel objectif o elles ne font que clignoter dans leur tout appa-rente diversit il ny a pas de lien a priori ncessaire entre le sens inten-tionnel et ses Darstellungen intuitives en apparitions: le sens intentionnel,Husserl la bien vu, peut tre vis vide ( vide dintuitions). On retrouveainsi, pour ainsi dire, les structures husserliennes de lintentionnalit, maisgnralises par la mise hors circuit du privilge accord par Husserl la temporalisation en flux du prsent vivant en coulement comme tempora-lisation universelle et originaire. Toujours par rapport au clignotement entreapparitions et apparences, si nous prenons cette fois les choses du ct desapparences, celles-ci, dune part, ne se dissolvent pas purement et simple-ment dans le chaos parce quelles ne cessent de clignoter avec les apparitions,et donc, elles napparaissent pas non plus comme telles, mais, dautre part,elles ne se tiennent de leur ct, phnomnologiquement en leur statut dap-parences que si, dans le mme clignotement, elles paraissent tenues ensem-ble, au-del ou derrire le flux du prsent en coulement, enjambant des lapsentiers dcoulement, dans ce qui les arrange dans leurs chatoiements enrevirements instantans et incessants depuis la masse inchoative et instabledes phnomnes multiples comme rien que phnomnes.

    On en vient donc aussitt, sur cet exemple que nous avons voulu le plusgnral, cette proprit remarquable que lpoch phnomnologique est enralit, dans sa radicalit, ouverture au clignotementque nous disons pourcette raison phnomnologique, et que, si lpoch phnomnologique estpoursuivie jusqu lhyperbole de la mise en suspens du rapport intentionnel,elle est susceptible, pour ainsi dire, dmigrer, jusquaux clignotements desapparences au sein des phnomnes comme rien que phnomnes tant

    entendu que cest toujours nous, phnomnologues, qui effectuons cette op-ration. Seulement la situation nest pas la mme lun ou lautre ple du clig-notement entre apparitions et apparences: du ct des apparitions, certes,nous avons affaire un apparaissant(ft-il vide, sans intuition), et unapparaissant qui nest quavec son sens intentionnel (y compris les prisesdattitude), mais qui nest pas comme tel phnomne, ne le devient lui-mmequen clignotant comme phnomne (cest linsaisissabilit du vcu husser-lien comme tout intentionnel) avec le clignotement des apparitions, cela

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    mme si lapparaissant est cependant un terme stable en principe, cest--dire, dans nos termes, toujours dj pris dans une Stiftung symbolique (quece soit comme perception, souvenir, imagination, prsentification dautrui,

    intuition idtique, etc.), laquelle, en fait, lui confre son sens intentionnelactuel et ses sens intentionnels potentiels (sdiments). Donc, de ce ct, etpar la Stiftung symbolique, nous avons bien du phnomne, mais chaque foisindividu (plus ou moins relativement) en un. De lautre ct, en revanche,du ct des apparences, il ny a rien dapparaissant, mais, dans les jeux revi-rant en chatoiements incessants des apparences, il ny a rien que des ph-nomnespluriels en clignotement qui, a priori, noffrent aucune prise quel-que Stiftung que ce soit, ce pourquoi lon peut dire deux quils sont sauva-ges, avec leurs concrtudes (leurs apparences en chatoiements), ou quilsrelvent du plus archaque larch nayant videmment ici rien de pleinet ne pouvant donc jouer le rle de principe. Quoi quil en soit, ce qui estcommun aux deux ples du clignotement, cest quil sagit, dun ct demanire chaque fois une, de lautre ct de manire originairement plurielle,de phnomne(s), cest--dire de clignotement phnomnologique. Or lecaractre de celui-ci, des deux cts et moyennant leur diffrence, est de clig-noter entre deux ples la fois apparaissants et disparaissants en alternancerciproque: au ple de lapparition, celle-ci, si elle apparat pour elle-mme,disparat comme apparition de, prise au sens intentionnel qui ds lors sembleapparatre pour lui-mme, et lapparition disparat comme apparition; cestdonc prcisment dans son mouvement de disparatre comme telle que surgit,quapparat lapparaissant avec son sens intentionnel, mais pareillement, sicelui-ci apparat pour lui-mme, sans apparitions (fussent-elles, encore unefois, seulement celles du vcu dacte), il disparat pour tomber en som-meil (se sdimenter), et cest dans cette disparition mme quapparat oupeut apparatre lapparition, plus prcisment lexcitation qui peut le fairerapparatre. Encore une fois, contrairement une erreur communmentcommise, le phnomne est le vcu intentionnel tout entier (avec linclusionintentionnelle, en lui, de son objet intentionnel, de son nome) et la ph-

    nomnalisation ne doit pas tre confondue avec lapparition, lapparatre oule rapport des deux. De la mme manire, mais mutatis mutandis, au ple delapparence, celle-ci, si elle apparat pour elle-mme, disparat comme appa-rence en sparpillant, smiettant ou se dissminant comme une sorte depoussire aspire vers le nant, mais cest dans ce mouvement de disparatreque surgit, quapparat, mais cette fois instantanment et en entre-apercep-tion, telle ou telle nue dapparences radicalement phmre en tant quemasse enchevtre et inchoative de phnomnes comme rien que phnom-

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    nes; cependant, si cet apparatre arrivait son terme au point que les ph-nomnes comme rien que phnomnes apparatraient sans apparences, poureux-mmes, ils ne seraient prcisment plus rien, mme plus des nues dap-

    parences, mais du nant, du vide sans concrtudes, sans points daccroc oudappui phnomnologiques concrets. Tous les ples du clignotement, depuiscelui dont nous sommes parti entre apparition et apparence, jusqu ceuxdapparaissant (avec son sens intentionnel) et de ses apparitions, et ceux desphnomnes comme rien que phnomnes et de leurs apparences multiplesen chatoiement, ont cela de commun, dans la phnomnalisation, donc dansle clignotement, de napparatre que pour revirer en disparatre, et rcipro-

    quement, de ne disparatre que pour revirer en apparatre. Encore une fois,la non symtrie apparente des deux clignotements aux deux ples du cligno-tement que nous avons choisi comme initial (apparition/apparence), vientseulement de ce que, du ct de lapparition, le ple extrme du clignotementse prsente chaque fois comme un, et ce, parce que le phnomne y a t prispar la Stiftung symbolique, alors que, du ct de lapparence, le ple extrmedu clignotement se prsente originairement et dentre comme multiple etenchevtr en sa multiplicit (chappant par surcrot toute temporalisationpossible en prsent qui le ramnerait ipso facto au premier ple extrme).Cest cela mme, nous nous en apercevons, qui autorise, dans loprationmthodique que nous effectuons de lpoch phnomnologique hyperboli-que, ce que nous venons de nommer lmigration, que nous pourrionsmieux nommer le nomadisme du clignotement.

    Car le clignotement, avons-nous dit, est la phnomnalisation. Ce quiveut dire aussi: la phnomnalisation est le clignotement, impossible stabi-liser dans un prsent, entre deux ples intimement solidaires dont aucun, danslpoch, narrive non plus se stabiliser dans un prsent, puisque lappara-tre de lun, dune part, fait disparatre lautre, et puisque dautre part cet appa-ratre revire aussitt en disparatre qui fait son tour apparatre lautre, et ce,en principe mais pas en fait(pour nous), indfiniment. Ce mouvement dap-paratre/disparatre de lun des ples est en effet tout aussi bien le mouvement

    antisymtrique de disparatre/apparatre de lautre ple, et les deux, dans cesdeux mouvements qui ne sont en ralit quun mouvement unique, ne peu-vent jamais, bien quils soient solidaires, apparatre ou disparatre ensemble sinon dans lvanouissement pur et simple de la phnomnalisation mme,cette dernire ne se produisant pas, on le sait, tout dabord et le plus souvent,mais ntant, pour chacun, quune exprience tout fait exceptionnelle ettout fait inopine dont la phnomnologie telle que nous la concevons doitfaire un usage mthodique.

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    Lhyperbole de lpochjoue sans doute de telle sorte que, par elle, nousouvrons une sorte de jarre de Pandore qui ne contient certes pas tous lesmaux, mais linfini. Et ce, doublement. Non pas uniquement, au sens o

    Husserl en a fait lpreuve, quil puisse sappliquer, en vue de lanalysephnomnologique, tout ce qui est susceptible de tomber dans le champde notre exprience car cest lui qui, pour une part, est disciplin dans ceque Husserl dsigne comme la dmarche en zig zag de la phnomnologie, mais encore en un autre sens quil nous faut prciser, parce que nousvenons seulement de nous y ouvrir.

    Posons brutalement la question: le clignotement lui-mme peut-il devenirple pour lui-mme et clignoter en lui-mme, ou la phnomnalisation peut-elle se phnomnaliser elle-mme en ce qui serait la phnomnalisation de la

    phnomnalisation en un phnomne de la phnomnalisation ? Tout dabordet le plus souvent, nous lavons dit, le clignotement est extrmement phm-re et svanouit. Ce sont pour ainsi dire les moments spontans du cligno-tement, ceux que la tradition, depuis Platon, a nomms illuminations, etqui, en fait, rpondent, pour nous, une phnomnalisation toujours suscep-tible dtre reprise. Ces phnomnalisations, comme surgissements aussitt(dans linstantan) vanouis, mais pas sans rpercussions sur la pense quisest mise au travail (ou sur laffectivit qui sen est trouve branle), sontessentiellement discontinues, et permettent pour ainsi dire de saisir une situa-tion, en ralit phnomnologique, en un coup doeil (Augenblick). Ellessont donc phnomnalisations oprantes, et par l, le sont, prcisment tou-

    jours de tel ou tel phnomne entre-aperu comme un, et qui se recouvre aus-sitt, en sy vanouissant, de ce que telle ou telle Stiftung symbolique y struc-ture, tant entendu quil y a diffrents types de Stiftung symbolique avecdiffrents types de structurations, dont celles de la temporalisation/spatialisa-tion de ce qui y parat. tant entendu aussi, dans le mme mouvement, quece qui devient ou se transmue ainsi en lapparaissant, se stabilise pour uneaperception, laquelle correspondchaque fois un certain style dapercep-tion immdiate de la conscience.

    Ce dtour ncessaire nous permet en fait de mieux comprendre jusquopeut aller lpoch phnomnologique hyperbolique: il suffit pour cela deressaisir ce que signifie le fait que, gnralement, le clignotement svanouitaussitt que surgi, que la phnomnalisation est lphmre par excellence.Autrement dit, il suffit, pour arriver au bout de lpoch hyperbolique, deviser saisir lphmre en tant que tel, cest--dire ce qui surgit dans sonvanouissement mme: cest alors le clignotement qui clignote en lui-mme,en principe linfini cest le second infini dont nous parlions , en tant quil

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    se rpte, ou plutt se rpercute linfini sans que nous ayons leffectuer,dans son surgissement/vanouissement. Son surgissement revire instantan-ment en vanouissement, et son vanouissement revire non moins instan-

    tanment en surgissement, pour peu que, par lhyperbole de lpoch quenous effectuons, nous y concentrions suffisamment notre attention atten-tion non plus telle ou telle chose ou tel ou tel moment de chose, mais lvanescence se rengendrant sans cesse dans des revirements linfini, ins-tantans et immatrisables, chappant mme lentre-aperception, de lva-nescent en tant que tel, ou plutt de lvanescent comme rien quvanescent,sans mmoire et sans anticipation, aux limites les plus extrmes de lef-fectuation. Tel est ce que nous nommons, en gnral, et faute de mieux, sch-matisme de phnomnalisation, o cest la phnomnalisation elle-mme, la pointe de lhyperbole, qui se phnomnalise. Sorte de phnomne abso-lu, en tant que sorte dobjet absolu absorbant tout en lui, et qui est tout lecontraire de quelque chose de stable nous ne pouvons maintenir cet effortdans le temps et tout le contraire de quelque chose de plein: cest la foisune fuite infiniment en fuite dans un advenir infiniment en train dadvenir, etdonc un mouvement infini, en lui-mme sans principe (arch) et sans fin(tlos), an-archique et a-tlologique, un progrs qui rgresse en lui-mme etune rgression qui progresse en elle-mme, un enfoncement en double vrille(de lapparaissant au disparaissant et du disparaissant lapparaissant) danslabme sans fond. Il ny aurait, pour paraphraser la tradition, quun dieu poursoutenir ce mouvement linfini, mais, dans cette sorte de noesis noeses laquelle tout cela fait penser (Aristote,Mtaphysique, , 7, 1072 b 18-30 et, 9, 1074 b 15 - 1075 a 10), le changement (par le revirement) est incessant(dans linstantan), le mouvement (kinesis) est pour ainsi dire perptuel,mme sil est, lui aussi sans matire (celle-ci vient, selon nous, des appari-tions dephantasia2). Ou encore, il ny a rien dimmuable ou en repos en lui,puisque cest la mutabilit infinie et instable de lvanescent lui-mme, et ence sens, ne se temporalisant pas de lui-mme, celui-ci est bien, dune certai-ne manire ternel, mais cest plutt de la-temporalit de la genesis dont

    parle Platon dans les deux premires hypothses du Parmnide. Un autreparallle possible est que, dans la mesure o la phnomnalisation y est aus-sitt rapporte elle-mme, le phnomnalis (le phnomne) ny est certespas diffrent de la phnomnalisation (il sagit du phnomne de la ph-nomnalisation qui lui-mme se phnomnalise), mais le schmatisme (infi-ni) de la phnomnalisation y est pareillement inoprant, suspendant toute

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    2 Cf. pour cela notre Phnomnologie en esquisses. Nouvelles fondations, Jrme Millon,Coll. Krisis, Grenoble, 2000.

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    autre phnomnalisation que celle de lui-mme comme schmatisme quoi-que cela implique une diffrenciation ultime et irrductible en lui-mme entrelapparition et la disparition, le surgissement et lvanouissement revirant

    incessamment, sans trve, lun dans lautre. Cette figure extrme de lhyper-bole, figure que nous bauchons, est donc, par rapport la figure classiquedu noein du dieu aristotlicien, qui est mtaphysique, sa figure antisymtri-que, laxe qui permet de rflchir cette dernire tant constitu par ce que lesdeux figures ont en commun, qui permet de coupler les oppositions. Pournous, la noesis noeses pense bien quelque chose, mais cest la variabilitinfinie de ce qui, sans principe et sans fin, lui chappe, ne lui revient queparce quil ne lui appartient pas. Cauchemar, donc, ou fiction de mtaphysi-que, o, si lon veut, la pense ne se pense quen sabsentant delle-mmepour revenir elle-mme en se sur-prenant dans une surprise qui aussitt s-chappe elle-mme et ainsi de suite. Forme pure de la rgression linfinitant abhorre par Aristote et toute la tradition. Car pur mouvement, au sensaristotlicien: entlchie sans achvement (atls) de ce qui est en puissanceen tant quil est en puissance, la puissance, la dynamis, la Potenz ntant

    jamais promise passer entire lacte qui lui donnerait forme mais nayantdautre acte (uvre, ergon) quun mouvement ds lors infini.

    Cette dernire caractrisation nous permet de faire un pas de plus. Il nyaurait effectivement rgression linfini que pour un dieu que nous ne som-mes pas, dautant moins, cela saute aux yeux, que ce dieu est mtaphysique-ment et symboliquement impossible tant entendu quil est dj manifeste-ment impossible en phnomnologie. Il y a en effet, en phnomnologie, etce, dj chez Husserl, quelque chose qui ne cesse de nous accompagner, quiest l paradoxalement comme une puissance agissante (chez Husserl: unepotentialit effectuante: leistend) et qui pourtant ne se ralise pas ncessaire-ment, ne le fait que si nous nous y prtons activement: cest laperceptiontranscendantale immdiate de la conscience (source de pas mal de risques dergressions linfini que Husserl doit chaque fois sefforcer de conjurer), etqui, pour Husserl, tait le flux en coulement de la temporalit originaire

    (se temporalisant chaque fois en prsent vivant muni de ses rtentions et deses protentions). Certes, par lpoch phnomnologique hyperbolique, noussommes bien au-del de ce type daperception immdiate. Mais il suffit defaire le rapprochement pour comprendre que, dans ce cas-ci comme dans lescas husserliens, la rgression linfini peut sviter si nous comprenons quele schmatisme de la phnomnalisation, schmatisme inlassable, est commeune aperception transcendantale immdiate, sans cesse en oeuvre (danslentlchie de la puissance) sans que nous ayons y penser, dans les pro-

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    fondeurs les plus abyssales de la conscience. De la mme faon que par la-perception immdiate de la conscience en son sens usuel, nous savons quenous sommes veills sans devoir en passer par un acte de rflexion qui th-

    matiserait laperception en lactualisant dans un prsent aussitt pass, de lamme faon aussi que nous avons cette mme aperception, mais, pour parlercomme Husserl, modifie, jusque dans le rve que nous faisons quand nousdormons, de la mme faon savons-nous, mme si cest par un savoir encorebien plus obscur, et sans avoir y rflchir explicitement, que le monde, leschoses et les tres qui y sont, doivent au moins nous apparatre pour tre cequils sont, mme sils svanouissent aussitt selon les changements ou lesrevirements internes au clignotement et cest prcisment de ce savoir pri-maire qui na rien dintellectuel, de philosophique ou de mtaphysique, quepart toute la phnomnologie. Lapparatre etle disparatre sont donc, pournous, originaires sans tre rflchis, et leur savoir tire sa source, non pas dece que le schmatisme de la phnomnalisation se phnomnalise lui-mme cest l lopration du phnomnologue la pointe extrme de lhyperbolede lpoch phnomnologique , mais de ce que, sans que, encore une fois,nous ayons y rflchir actuellement ou thmatiquement, ce schmatisme necesse dtre oprant(fungierend) dans lopration indfinie et le plus souventaveugle dunepuissance ou dune potentialit indfinie, sans statut mtaphy-sique a priori.

    Et pourtant, que se passe-t-il quand nous cherchons actualiser dans sathmatisation ce trs trange type daperception transcendantale immdiate ?Rien dautre, pour un moment qui ne peut se maintenir, que ce que nousvenons dexpliciter, ce moment ouvrant linfini de la mme manire que,par exemple, et mutatis mutandis, lnumration des entiers naturels, quenous navons pas besoin de poursuivre indfiniment, linfini, pour savoirquellepeuttre infinie. En ce sens, si nous interprtons le schmatisme dela phnomnalisation comme noesis noeses, comme auto-aperceptionimmdiate mais le plus gnralement loeuvre par et dans sa potentialit,oublie quelle est le plus souvent dans la phnomnalisation secrtement

    oprante, dans les abmes de la conscience, des phnomnes, il vient quenun sens, ce qui saperoit ainsi de cette manire paradoxale de schapperde soi pour se sur-prendre soi dans une surprise qui aussitt svanouit, etc.,nest rien dautre que le soi, le Selbst de la pense; donc que cetteipsit elle-mme, qui ne fait jamais que sentre-apercevoir dans ces surgis-sements revirant instantanment en vanouissements, est jamais inaccom-plie (atls) et sans arch, indfiniment en voie de constitution/dconstitu-tion, nexistant que dans le mouvementde se fuir et de se sur-prendre la fois

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    en retard et en avance lorigine par rapport elle-mme, et jamais en con-cidence avec elle-mme. Telle est bien la situation qui se prsente ds lorsque, se poursuivant jusqu lultime, lipsit qui se rflchit dans lapercep-

    tion immdiate de la conscience au sens usuel, part la recherche delle-mme pour se saisir et classiquement, en tout cas, par exemple chezAugustin ou chez Hegel, cette ipsit ultime, celle qui me permet de mindi-viduer et de me situer, est ipsit divine. Mais, nous lavons vu, si nousinterprtons la noesis noeses comme clignotement du clignotement ou ph-nomnalisation de la phnomnalisation, cette figure, cense stable, classi-quement, de lipsit, est en ralit foncirement instable, et est mmemtaphysiquement impossible. En ce sens, lhyperbole de lpoch ph-nomnologique conduit la rupture, sur ce point, avec la tradition mtaphy-sique. Ipse paradoxal, donc, en ce que, quand il croit se saisir, il est djailleurs, et que cest quand il fuit vers lailleurs quil a une chance de se sai-sir. Son retard et son avance lorigine par rapport lui-mme font que, seprcdant et se succdant toujours dj et toujours encore dans son infiniemutabilit, il ne parat que comme lternel retour de ce qui, toujours dj ettoujours encore, senfuit, bat comme le pouls mme de la pense ou de lip-se dans sa pense en son abme. Il lui correspond, en ce sens, un cogito hyper-bolique, au-del de lintrigue (symbolique) cartsienne du Malin Gnie, quintait dailleurs chez Descartes que le simulacre ncessaire lopration ducogito, seffectuant lui aussi, suivant le vif de la pense cartsienne, danslinstantan o il revire dans le sum aveugle toute cogitatio dtermine. Etselon ce contexte, le sum (ltre) a toujours dj t dans un pass pour tou-

    jours immmorial qui prcde tout pass temporel et est appel tre encoretoujours dans un futur jamais immature qui excde tout futur temporel, maiscela, dans la rptabilitinfinie qui le fait clignoter avec le cogito dans unedouble chane (pro-grdiente etretro-grdiente) non temporelle, unit dudouble mouvement de laperception transcendantale immdiate. Cela ne veutdonc pas dire, dans cette sorte trange daperception commeprogression/rgression de lentre-aperception du clignotement en lui-mme,

    donc comme unit du mouvement davancer/rgresser en lui-mme laper-ception, encore une fois, nexiste que dans le mouvement mme , que jaipens toujours et que jaie t toujours l pour penser toujours et tre tou-

    jours, donc que moi ou Dieu (mon ipse ou lipse de Dieu) soyons ternels,mais que, quand elle se produit, et cela toujours par clairs, la phnomnali-sation de la phnomnalisation (le clignotement du clignotement) se produitsous les horizons dun pass pour toujours immmorial qui na jamais eu lieuen se temporalisant (en prsence, en prsent) et dun futur jamais immatu-

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    re qui naura jamais lieu en se temporalisant (en prsence, en prsent)3 toutcomme je narriverai jamais, sagissant des entiers naturels, au nombre leplus grand, quil existt dans le pass o il aurait toujours t ou quil doive

    exister dans le futur infini de mes itrations successives.Nous arrivons donc cela quau schmatisme transcendantal de la ph-nomnalisation correspond bien un type daperception transcendantaleimmdiate, lui-mme paradoxal en ce que celle-ci nest rien dautre quunmouvement infini de laperception vers elle-mme et hors delle-mme, quelinstantan du revirement, pointe de lhyperbole, ne permet mme pas, linstar duZeitpunkthusserlien dans le flux de ce qui y est la temporalit ori-ginaire, de saisir dans la fuite du prsent vivant se temporalisant avec sesrtentions. Car rien, prcisment, ne peut sy fixer, ne ft-ce que le temps dertentions vives; ce quipourraitsy fixer revire aussitt dans la mobilit desa disparition, laquelle, son tour revire, dans linstantan, vers lapparition,et ainsi de suite, sans mme quil soit ncessaire de parler de souvenir oudanticipation, doubli ou de retour de loubli. On peut seulement dire,en toute rigueur, que, dans ce schmatisme, le clignotement se rpercute ins-tantanment linfini, sans avoir besoin de seffectuer linfini. Cest celaaussi que signifie la puissance, la Potenz dans son tre--loeuvre, en tant quePotenz, dans le mouvement comme son entlchie inacheve ou inaccomplie.De la mme manire que, chez Husserl, laperception immdiate de la cons-cience na lieu que dans le fluer du flux lui-mme, et nest mme rien dau-tre que le flux du temps lui-mme, laperception dont nous parlons nest quedans le mouvement infini du clignotement en lui-mme, mais alors que larupture du flux temporel par linstantan se traduit aussitt par sa temporali-sation en prsent vivant en coulement rtentionnel ouvert, dans le flux, sesprotentions, prsent vivant o se fixe pour un moment quelque chose, la rup-ture par linstantan dans le schmatisme du clignotement, dans laperceptioncomme mouvement, nest pas rupture dans un flux temporel continu, nimme dans une temporalisation en prsence, mais revirement dun mouve-ment vers lapparition en un mouvement vers la disparition (et rciproque-

    ment), et donc cela mme qui, au lieu douvrir la possibilit dune stabilittemporaire, lclipse instantanment et anime, pour ainsi dire, en la relanantincessamment, linstabilit incessante, mais cela, nous lavons vu, dans lesuspens de toute opration schmatique du schmatisme ou de lapercep-tion schmatique o la phnomnalisation se phnomnalise. Il ny a donc

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    3 Pour ce qui est de la temporalisation en prsence (sans prsent assignable), qui est tem-poralisation de sens de langage en langage, voir ce qui suit.

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    point, ici, de temporalisation daucun ordre, et cest par mtaphore que nousavons parl de progression et de rgression. Il y a plutt, en quelquesorte, proto-temporalisation, et ce, par rapport tout type possible de tempo-

    ralisation, puisque nous avons parl de pass pour toujours immmorial et defutur jamais immature, comme les horizons, en ralit proto-temporels, dela phnomnalisation de la phnomnalisation: cest dire que, pris en lui-mme, clignotant en lui-mme, le clignotement, le revirement instantan etrciproquement altern de lapparatre et du disparatre, ne se produit enaucun temps (qui serait dj temporalis) et ce, en quelque sorte, parce quilne laisse pas, en lui-mme, le temps de faire du temps. Du temps, il ne peuty en avoir que par lopration schmatique, par laquelle, au reste, on peutseulement parler proprement de schmatisme, de schema, cest--dire defigure ou darrangement.

    2.La phnomnalisation comme opration schmatique.

    Cest, encore une fois, nous qui avons poursuivi lpoch phnomnolo-gique jusqu la pointe de son hyperbole, et qui avons dcouvert les parado-xes du schmatisme se phnomnalisant de la phnomnalisation, cest--dire dun type extrmement archaque et instable de laperception transcen-dantale immdiate, qui ne se dvoile que par la phnomnologie, commefigure antisymtrique de la noesis noeses du dieu dAristote. Ce schmatis-me, devons-nous ajouter, non seulement ne sentretient en sa phnomnali-sation que par la mise en suspens hyperbolique de son opration, mais enco-re est aveugle par rapport toute arch et tout tlos. Cest dire que, quandson opration se produit, quand, comme schmatisme, il phnomnalise desphnomnes autres que lui-mme, ceux-ci se phnomnalisent dans le clig-notement, ou bien, ce qui est quivalent, lopration de phnomnalisationdes phnomnes autres que le schmatisme est elle-mme aveugle. Ou enco-re, cela signifie que le schmatisme de la phnomnalisation est toujours djpass dans son opration de phnomnaliser les phnomnes, et ce, notreradical insu, ds lors que laperception schmatique immdiate fonctionnecomme elle le fait gnralement, cest--dire sans que nous leffectuions th-matiquement pour un moment phmre. Cest pourquoi aussi, le plusgnralement, nous napercevons pas les phnomnes comme rien que ph-nomnes, mais seulement ce qui en est architectoniquement transpos parquelque Stiftung symbolique, et ce, mme si nous savons dun savoir trsobscur, par laperception schmatique dsormais enfouie dans les abyssesde la conscience, que quelque chose de phnomnal subsiste, ltat fuyant,

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    ou plutt clignotant, dans ce qui apparat pour la conscience. Lopration duschmatisme phnomnologique, que nous ne pouvons pressentir que parlaperception schmatique tombe en sommeil (non effectue), est donc

    aussi la vritable rupture de et dans cette aperception, qui la transpose unautre registre sans que, encore, pour cela, il y ait eu ncessairement Stiftungsymbolique. Cette rupture coextensive de lopration schmatique est donccelle o le schmatisme phnomnologique senfouitdans les phnomnesphnomnaliss par son opration: cela a lieu quand lopration schmatiqueva puiser son bien dans lautre source des phnomnes, savoir dans lesconcrtudes qui surgissent et svanouissent elles-mmes au fil de laisthsisen son sens platonicien (en genesis instable)4 et de laphantasia, en les dis-posant ou les arrangeant comme apparences, cest--dire comme concrtudesphnomnologiques des phnomnes, comme lambeaux apparents de leurphnomnalit.

    On en revient, par l, une version moins extrme de lhyperbole de l-poch phnomnologique, cest--dire au clignotement entre les apparenceset les phnomnes toute relation intentionnelle tant suspendue. Et leproblme est ds lors de dployer larticulation de ce qui se passe entre lesphnomnes comme rien que phnomnes, mais pourvus de leurs concrtu-des, et le schmatisme phnomnologique. Cette fois, ce nest plus le cligno-tement qui clignote en lui-mme, mais bien les phnomnes comme rien quephnomnes en leur phnomnalisation, et lpoch hyperbolique doit sou-vrir ce clignotement, cest--dire, en quelque sorte, migrer ou se dcalerpar rapport au clignotement entre apparitions et apparences, et arriver setenir, en ce dcalage, au clignotement des phnomnes comme rien quephnomnes par rapport aux apparences. Or, cela nest possible que si lesapparences ne chatoient pas en chaos, de faon tout fait quelconque, maisse disposent elles-mmes, en synthses passives5 surgissant/svanouissant etrevirant leur tour dans et avec les autres revirements instantans des cha-toiements. De cette manire, nous lavons dit, cest toujours une masseenchevtre et inchoative de phnomnes pluriels qui se phnomnalise dans

    les chatoiements des apparences, les phnomnes clignotant vers leur appari-tion quand les apparences clignotent vers leur disparition, et inversement, les

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    4 Cf. par ex. le Thtte.5 Cela fait cho ce que, dans une direction de pense quasiment inverse de celle qui est

    la ntre ici, Husserl dsigne par synthse passive (phantasia passive, pr-constitution passive)au 87, c dErfahrung und Urteil. Nous pouvons donc rejoindre en ce point de rencontre cequil labore. Mais nous y reviendrons amplement, car il y a l deux types de synthses pas-sives.

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    apparences clignotant vers leur apparition quand les phnomnes clignotentvers leur disparition. Rien de stable ne se produit non plus ici, et ce clignote-ment des apparences aux phnomnes et des phnomnes aux apparences ne

    se produit non plus dans aucun temps, nengendrant aucune temporalisation(en prsence, en prsent). Le propre des apparences est cependant quellesclignotent aussi vers les apparitions, et quainsi, en imminence suspendue deparatre comme des apparitions, elles paraissent aussi en imminence dtrereconnues, en quelque sorte tires hors du rapport intentionnel, cest--dire, si lon veut, abstraites de lui: elles sont donc en imminence de para-tre, dans leurs dsordres relatifs aux ordres intentionnels, comme une hylphnomnologique originaire, mais une hyl originairement clate ou dis-

    perse cest lautre source des phnomnes dans laisthsis (platonicienne)ou laphantasia en perptuelle gsine, et cest bien par des synthses passi-ves quelles paraissent sarranger, dans leurs chatoiements, autrement quentant reprises dans un rapport intentionnel. Les choses ne changent, danscette situation qui, elle aussi, ne doit pas en principe (ou intrinsquement)connatre darrt, que si, dans toutes ces entre-aperceptions coextensives auxmoments mmes des oprations schmatiques diverses qui seffectuent laveugle, lune et/ou lautre de ces entre-aperceptions entre-aperoit, sur

    fond de laperception transcendantale immdiate de la phnomnalisation, etdans tel ou tel moment instantan des chatoiements dapparences, lunet/ou lautre de leurs arrangements, lune et/ou lautre de leurs synthses pas-sives, et si par l, telles ou telles apparences de tel ou tel arrangement parais-sant sassocier dun coup telles ou telles autres apparences du mme arran-gement, cet arrangement lui-mme qui est, rappelons-le, schmatique, part la recherche de lui-mme, alors quil sest dj pour ainsi dire reconnu danslentre-aperception qui, ds lors, est appele instantanment se muer enaperception. Tel est, en toute rigueur phnomnologique, le commencementde la temporalisation la plus primitive, la temporalisation en prsence olopration schmatique se reconnat pour se viser du mme coup elle-mme dans ce qui est proprement parler le schme phnomnalisant tel ou

    tel phnomne. La reconnaissance, qui peut toujours en effet svanouiraussitt dans les chatoiements en revirements incessants des apparences etdans la masse enchevtre et inchoative des phnomnes qui en est coexten-sive, ne peut, autrement dit, se stabiliser en aperception quen visant se rat-traper elle-mme, comme le schme quelle a juste entre-aperu, en se tem-poralisant en prsence, lentre-aperception ne se muant en aperception poursy stabiliser que si le schme, en tant que tenant ensemble tel ou tel ph-nomne et telle ou telle synthse passive dapparitions suspendues, constitue

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    ce que nous avons nomm ailleurs6 masse fissure (entre reconnaissance etvise retrouver la reconnaissance autrement enfouie instantanment) de

    proto-protentions/proto-rtentions, o les apparences sont encore en ltat

    damorces de sens aussitt clipses en avortons de sens, en imminence delles-mmes. Ce nest bien, nous lavons dit que le commencementde la tem-poralisation en prsence, plus prcisment, en prsence de langage, et pasencore celle-ci elle-mme.

    Cette opration, son tour, na rien de ncessaire, car les apparences peu-vent aussi bien retourner aux apparitions que paratre en imminence de dis-paratre dans la masse enchevtre et inchoative des phnomnes pour resur-gir, en imminence, autrement, dans leffacement de leur schme que signifiele clignotement infini et rciproque (selon le schmatisme comme apercep-tion transcendantale immdiate et ultime, mais non actualise) des phnom-nes et des apparences dont les phnomnes disposent leur gr cette op-ration relve de ce que nous nommions, dans nosRecherches phnomnolo-giques, la contingence radicale du coup de phnomnalisation. Mais si ellese produit et cela relve de ce que Husserl nommait notre Vermglichkeit,et qui est dans un certain rapport avec le schmatisme comme aperceptiontranscendantale immdiate et ultime en tant quunit de son mouvement , leclignotement se remet en mouvement, cette fois entre le schme encore va-nescent (reconnu et recherch) de la phnomnalisation et le phnomnequi en parat ds lors porter lempreinte. De la sorte, cest laperception quiy surgit par clairs qui cherche se stabiliser en langage tant entendu quele schme ne vit lui-mme de sa pulsation quen paraissant en imminencecomme le mdiateur oprant du schmatisme la phnomnalisation, et que,de son ct, le phnomne en phnomnalisation ne vit aussi lui-mme de sapulsation quen paraissant en imminence de se dgagerde la masse inchoa-tive et enchevtre des phnomnes, rien nexcluant, a priori, que des multi-tudes de phnomnes, portant la mme empreinte schmatique, puissent sedgager tour tour. Cest dire, mais autrement, que le schme pris djcomme masse fissure de proto-protentions/proto-rtentions, est, en tant que

    commencement du langage, proto-langage, puisquil renvoie la fois auschmatisme phnomnologique avec son opration a priori aveugle et lamasse des phnomnes, ou puisque le schme, pareillementen avance et enretard lorigine sur lui-mme ( lcart de lui-mme), parat en imminence,dans le clignotement, la fois comme programme du phnomne en immi-nence de disparatre, et comme engramme de lui-mme dans le phnom-

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    6 Pour cette question, voir nos Mditations phnomnologiques, Jrme Millon, coll.Krisis, Grenoble, 1992.

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    ne en imminence dapparatre. Il sagit de proto-langage dans la mesure oce clignotement en chos linfini du schme et du phnomne na lui-mme, intrinsquement, en vertu de laperception transcendantale immdia-

    te et ultime du schmatisme, aucune raison de sarrter7

    .Il sarrte cependant, ou change de nature, ds lors que le proto-langagedu schme (la proto-prsence ouverte avec le schme) se temporalise en pr-sence de langage. Mais ce nest pas nimporte quel langage, puisque ce quicherche sy stabiliser nest pas tel ou tel phnomne avec ses concrtudes,mais tel ou tel schme o les concrtudes, les apparences, sont elles-mmesen clignotement, seulement sur le point de paratre pour disparatre aussittdans lapparatre en cho du schme. Et cette temporalisation en langage duschme, comme toute temporalisation en prsence, dforme et recoupe sontour les proto-protentions/proto-rtentions fissures pour les redistribuer, aufil de sa temporalisation, en protentions et rtentions dans la phase de pr-sence se temporalisant. Ainsi produit-elle bien un phnomne de langage,dont le rfrent phnomnologique nest pas tel ou tel phnomne avecses concrtudes (ses apparences qui ne font en fait que sembler luiappartenir8), mais bien tel ou tel schme en tant quen lui, les apparencesou les concrtudes sont suspendues, en poch. Nous appelons image sch-matique cette temporalisation en prsence du schme: en prsence, car leschme, qui sest reconnu pour se perdre et pour se viser lui-mme, ne peutse stabiliser que dans une prsence de langage sans prsent assignable, sansdonc que, en nulZeitpunk(qui serait prsent) de la phase, le schme ne soitlui-mme prsent; image non prsente, en vertu de cela mme que, ntantnulle part prsent dans la phase de langage, le schme ny est dploy quentant trans-form, en courant, tout au long de la phase, dans sa redistributiontemporalisante, tout la fois dans ses rtentions et ses protentions, sans doncque, pour tre fidle lexigence de stabilisation dans toute la phase de pr-sence, limage schmatique ne soit une copie plus ou moins conforme,un eikon ou un ectype du schme. Sil y a ici une mimsis, cest ce que nousnommons par ailleurs9 une mimsis non spculaire, active (par la temporali-

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    7 Nous rejoignons par l ce que, dans le chapitre XI de la Philosophie de larithmtique,Husserl dgageait comme moment figural et le caractre quasi-qualitatif de lintuition toutentire de la multiplicit. Cf. en particulier Hua XII, pp. 239-240 (tr. fr. par J. Englisch, pp.261-262).

    8 Les apparences sont en effet collectivement apparences de la pluralit originaireenchevtre des phnomnes. Aucun phnomne comme rien que phnomne nest substratou hypokeimenon dapparences qui lui reviendraient en propre. A ce registre du plus archa-que, il ny a pas de substrat.

    9 Cf. Phnomnologie en esquisses, op. cit. Cette mimsis relve pour nous de la chraou de laLeiblichkeit, et se distingue rigoureusement de toute spcularit.

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    sation en langage) et du dedans (depuis la fissure du schme en proto-pro-tentions et proto-rtentions). Et cependant, dans sa prsence, dont la tempo-ralisation nest dailleurs jamais acheve, limage, dont on voit que la pro-

    venance nest ni laisthsis (platonicienne) ni laphantasia, renvoie bien auschme. Cest donc par une certaine mtaphorisation que nous parlonsdimage le terme allemand de Bild, dans sa richesse smantique, con-viendrait mieux, dautant plus quil sintgrerait bien ce type de temporali-sation en langage quest lEinbildungskraft, qui na a priori rien avoir, parsa source, avec la Phantasie ou laphantasia10.

    Si lon pense que, classiquement, cest cette image schmatique, cons-tituant en fait delle-mme et en elle-mme sa prsence, qui sert, dsigne leplus souvent comme schme, de mdiatrice la noesis du noeton, lin-telligence de lidalit, il vient bien, en effet quelle peut tre considre, enphnomnologie, comme matrice de lidalit, et ce, au sens o, par laStiftung symbolique de cette dernire, limage schmatique passe, au fildune transposition architectonique, du statut dimage schmatique au sta-tut dimage de lidalit un peu, mutatis mutandis, comme limage de li-magination nest pas, dans la Stiftung symbolique de cette dernire, limagede laphantasia, mais celle-ci passe au fil de la transposition architectonique,pour devenir image de lobjet imagin11. Nous obtenons par l une indicationprcieuse pour penser, en phnomnologie, la structure gntique de laStiftung de lidalit, quelle soit formelle (structure de langage prise dansune langue naturelle ou formelle) ou matrielle (les eid classiques).

    3. La structure gntique de la Stiftung symbolique de lidalit et lerle de lidalit dans la langue de la phnomnologie. (Approche prlimim-

    naire).

    De ce qui prcde, il rsulte que lempreinte schmatique ne peut sedgager, dans ce que nous rencontrons, tout dabord et le plus souvent, danslexprience, comme phnomnes au sens husserlien touts intentionnels

    avec leurs structures doxiques, que si se dgagent des synthses passives quine relvent pas, en raison de leur passivit, dactes intentionnels rels et pos-sibles de la conscience. Ces synthses passives, tout dabord, se dcouvrentcomme ayant toujours dj mis des apparitions en relation, et ce sans quecette relation ne vise ncessairement un quelconque objet. Ces apparitions

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    10 Contrairement une erreur (phnomnologique et architectonique) devenue communedepuis Hegel et Heidegger.

    11 Cf. Phnomnologie en esquisses, op. cit.

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    peuvent tre, dans le champ phnomnologique husserlien, de diffrentsordres qualitatifs (par exemple, couleurs, sonorits, etc., formes, figures, etc.)et/ou quantitatifs, et cela, tout autant dans le champ perceptif que dans celui

    du souvenir, de limagination ou mme de laphantasia. Bien entendu, ellessont, ou bien redistribues comme rtentions et protentions lintrieur dephases de prsence, ou bien, par la Stiftung perceptive, remmorative ou ima-ginative, redistribues au fil de divers prsents dans la temporalisation enprsent. Et leur caractristique est bien, soit quelles traversent toute la phasede prsence, dans les entretissages de ses protentions et de ses rtentions pro-pres, soit quelles traversent les divers prsents, qui sont chaque fois prsentsintentionnels, en les mettant en relation pour ainsi dire par en dessous, etindiquent par l la phase de prsence o, dans laperception transcendantaleimmdiate corrlative, lempreinte schmatique, qui est originairementimage schmatique, sest temporalise linsu de la conscience intention-nelle. Or prcisment, lempreinte schmatique, la synthse passive desapparitions, ne se dgage comme telle que si elle se met clignoter aveclimage schmatique, cest--dire si, du mme coup, les apparitions se met-tent clignoter avec les apparences et si cest comme apparences quellesparaissent stre mises en ordre au gr de la synthse passive. Et il suffit depoursuivre plus loin lhyperbole de lpoch phnomnologique dans ce casde figure pour que les apparences disposes ensemble dans lempreinte sch-matique revirent leur tour vers leur disparition en faisant surgir corrlative-ment limage schmatique, en tant que ce qui les structure a priori dansleurs dispositions.

    Cette situation complexe ouvre en fait deux directions possibles, jamaistotalement spares, pour la Stiftung de lidalit, selon que laperceptiontranscendantale immdiate du clignotement se dirige vers les apparences enimminence dapparatre ou vers limage schmatique elle-mme seulementen train dapparatre les deux directions restent lies par le fait quelles serecroisent dans les synthses passives, dans les apparences lies entre ellespar lempreinte schmatique, car cest celle-ci qui, en quelque sorte, prlve

    dans toutes les apparences clignotant avec la masse enchevtre et inchoati-ve des phnomnes, les apparences ou les concrtudes qui en ressortentcomme synthtises a priori par elle, de manire passive par rapport toutacte intentionnel. Et cet gard, ces apparences ne sont pas exclusives maisconstituent pour ainsi dire des familles ou des grappes dapparences si lonpense que ce prlvement a lieu dans les clignotements de toutes les appa-rences avec la masse infinie des phnomnes, quil peut donc, lui aussi, serpercuter linfini sans compter que dautres schmes, et par consquent

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    aussi dautres images schmatiques peuvent jouer, par l, dans tel ou telschme et de l, dans telle ou telle image schmatique. De la sorte, dunpoint de vue mthodologique, ce sont bien les schmes et leurs images

    schmatiques qui, pour nous, exercent la fonction de discrimination desapparences qui chatoient linfini dans un apparent chaos.Or ces apparences, dans leur concrtude phnomnologique, ont une

    autre origine que le schmatisme: cest, encore une fois laisthsis en sonsens platonicien (instable car incessamment en genesis) et plus gnralementlaphantasia. Ds lors, les apparences associes par les synthses passivesont, quant elles, le statut phnomnologique gnral dapparences dephan-tasia, et cest pourquoi, dans la variation idtique husserlienne, mme si cesapparences sont prises au statut dapparitions en imagination dans une teneurde sens intentionnel, il faut, pour amorcer la variation, effectuer lpochphnomnologique par laquelle ces apparitions revirent en apparences de

    phantasia, ou places sur le mme registre que ces dernires. Il y a l, dj,et nous lanalyserons ailleurs en dtail, une sorte dmancipation possiblede la variation par rapport tel ou tel sens intentionnel visant tel ou telobjet dtermin. Quand Husserl explique, dans Erfahrung und Urteil (87-89), que la variation, cest--dire, en fait, dj la Stiftung symbolique delidalit, commence par le choix arbitraire (beliebig) dun Vorbildimaginai-re qui servira de guide la variation travers des Nachbilderpareillementimaginaires, cela veut dire, pour nous, que le Vorbild en question est lui-mme dj constitu, en fait, par des apparences portant une empreinte sch-matique, cest--dire synthtises de faon passive par une image schma-tique, mais condenses chaque fois en une image de cette image sch-matique par une prsentification en imagination de cette dernire. Cest parl quy est dj loeuvre la Stiftung de lidalit de leidos: le Vorbildet touslesNachbilderpossibles constituent, en leur prsentification de chaque fois,des images de second degr du schme clignotant avec ses apparences etne se temporalisant quen prsence. Images de limagination, en ce sens,mais selon un usage trs spcifique de limagination (qui sinstitue, en gn-

    ral, sur laphantasia), en parallle, pourrait-on dire lusage gnral de li-magination, dans la mesure o ce ne sont que des apparences qui sont elles-mmes apparences de laphantasia. Ce nest donc pas, en toute rigueur, li-magination elle-mme qui fabrique arbitrairement lesNachbilder, mais cestbien elle qui, nouveau, y prsentifie les autres familles dapparences (de

    phantasia) pareillement synthtises de faon passive par la mme emprein-te schmatique.

    Si nous disons que la Stiftung de lidalit de leidos commence dj par

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    le choix, notre libre gr, dun Vorbildpour la variation, cest bien quelentre en scne de limagination, elle-mme gestiftet, par ailleurs, dans laprsentification (Vergegenwrtigung) en image dapparences porteuses de

    telle ou telle empreinte schmatique (passivement synthtises), est ici, dansce cas seulement, congruente la Stiftung de lidalit et en fait, cettereprsentation en images de limagination est plus prcisment prsentifica-tion dune famille de phnomnes (avec leurs apparences), puisque ceux-ci ne sont pas eux-mmes prsents, mais en prsence, de mme que lem-preinte schmatique, image schmatique en eux, est elle aussi en prsence.Cest au gr de ces phnomnes, avec leurs diverses concrtudes, tenusensemble par telle ou telle empreinte schmatique, que lesBilderde la varia-tion sont en nombre infini: cela, parce que cest linfini des clignotementsentre apparences et phnomnes que le mme schme peut se reconnatreet se rechercher dans son image schmatique en se temporalisant en pr-sence tout en temporalisant en prsence les phnomnes qui portent sonempreinte. Cependant, ds que ceux-ci, distingus par cette temporalisationen prsence, sontprsentifis en images (VorbildetNachbilderde la varia-tion), ils sont chaque fois condenss en autant de prsents intentionnels qui

    jalonnent le parcours de la variation, et limage schmatique, elle-mmetemporalise en prsence, qui tient ensemble les phnomnes (et les appa-rences) de la famille, est elle-mme condense, non pas en tant aperue (cequi est impossible) dans linstantan o revire le schme en clignotement,mais en tant architectoniquement transpose en lidalit(leidos) qui sesubstitue elle. Leidos parat en effet, non pas dans linstant, mais dans uneversion du prsent qui en parat la plus proche, savoir dans le prsent delintuition idtique. Celle-ci nest cependant pas intuition intellectuelle deleidos, mais intuition de leidos sur la base (Fundament) de ce qui en parat,dans la Fundierung, comme lillustration (ou le remplissement, toujourspartiel) par une Darstellung intuitive o phnomnes et apparences sontarchitectoniquement transposes en images de limagination. Autrement dit,leidos (linvariant de la variation husserlienne) parat, dans lintuition id-

    tique, distance de tel ou tel sens intentionnel institu visant son objet (moins que le sens intentionnel ne soit pris lui-mme en imminence dappari-tion travers ses vcus dacte) comme une structure schmatique fige,une image de second degrdu schmatisme et potentiellement remplie parune multitude indtermine, et brouille par cette indtermination, dimages(en gnral: phnomnes et apparences transposes dans limagination) quisy superposent ou sy chevauchent en se rpercutant linfini la varia-tion ayant pour objet mthodique dtaler enBilder linfini ces superposi-

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    tions. Cest dire que linvariant ne tient que par sa structure dinvariance quiest ce que nous nommons limage au second degr du schme (image pr-sentifie de limage schmatique en prsence mais paraissant ds lors, par

    la transposition architectonique, que signifie la prsentification, commeimage de lidalit)12. En dautres mots encore cest par cette transpositionarchitectonique de limage schmatique (temporalise en prsence) enimage de second degr, image prsentifie de limage schmatique, que, dumme coup, par transposition architectonique, cette image de second degrse montre comme image de lidalit avec linfinit de ses illustrations(intuitives)potentielles, mais elles-mmes, en principe, actualisables chaque

    fois dans une prsent intentionnel, par prsentification dans limagination.Encore une fois, lmancipation de leidtique par rapport aux liens inten-tionnels est telle quelle peut prendre ceux-ci comme objets de la variation,dans leur imminence dapparatre coextensive de limminence de disparatrede leurs apparitions (y compris les vcus dacte, que nous pouvons, parei-llement, imaginer indfiniment pour la variation). Moyennant cette impor-tante mdiation, on peut dire que leidos est la prsentification intuitive,oublieuse de ses prmisses, du schme lui-mme dans ses phnomnes, ou,si lon veut, la seule reprsentation intuitive possible, dans le prsent, duschme dans ses phnomnes, cette reprsentation nallant pas, nous venonsde le voir, sans une double dformation. Et cest parce que leidos nous appa-rat phnomnologiquement tel, que son prsent, qui se substitue ce qui fait

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    12 On est en droit de se demander ce qui, par exemple dans le cas du rouge, que Husserldsigne comme un eidos, peut constituer sa structure dinvariance. Tout dabord, on dira avecraison que le rouge nest jamais intuitionn comme tel, mais toujours sur la base de tels ou telsrouges, et que ceux-ci ne surviennent jamais seuls, mais avec dautres couleurs et avec unestyle dintensit (une qualit) qui, pour tre variable dans les diverses perceptions (imagi-nations) possibles, ne len distingue pas moins par exemple du vert ou du bleu. Mais il sagitbien dune slection dun type dapparences dont on ne voit pas en quoi son invariance peuttre une structure dinvariance. Il est dautre part difficile dimaginer desBilder(Vorbild etNachbilder) purement rouges: on ne le pourra que deBilderdont une ou des parties concr-

    tes sont colores en rouge. Ds lors faudra-t-il mieux dire (provisoirement, avant dy revenirailleurs) et ce dans la mesure o il en va ainsi chez Husserl dans la VIeRecherche logique, quele rouge comme tel provient de la rflexion logique aprs coup de lenchanement logiquedes significations (Bedeutungen) et que cest cet enchanement formel en tant quontologiqueformel, qui porte la structure dinvariance, limage prsentifie de limage shmatique. Dupoint de vue idtique qui est ici le ntre, dans sa situation architectonique, il ny a pas destructures intrinsques dinvariance de telle ou telle couleur en soi, mais bien des structuresdinvariance schmatique de diverses couleurs en tant quapparences. Telle couleur (lerouge) est bien en ce sens une qualit seconde, parce que son origine phnomnologique esten dehors du logique, cest--dire en dehors du schmatique: dans nos termes, dans lautresource de laphantasia (aisthsis au sens platonicien).

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    clignoter le schme entre les phnomnes et les apparences, parat lui-mme,paradoxalement, intemporel, ayant toujours t, tant toujours, et devant tou-

    jours tre, alors mme que lintuition na jamais lieu que dans un prsent,

    chaque fois comme la mme, cest--dire comme stable et immuable tra-vers ses diverses prsentifications.Telle est donc la premire direction dans laquelle peut sengager la

    Stiftung de lidalit: dans le cas o laperception transcendantale immdiatedu clignotement prend en compte le clignotement des apparences, dune partavec les apparitions, dautre part avec les phnomnes, et ce, au travers delempreinte schmatique qui tient ensemble telles ou telles apparences, enfamilles, en grappes ou en groupes, et cela donne lieu ce que lon peutappeler, la suite de Husserl, lidtique matrielle, qui nest cependant pas,on le voit, sans lment structural formel travers lempreinte schmati-que, la structure dinvariance. Mais il en est une autre, nous lavons dit, quiprend les apparences en imminence de disparatre et limage schmatiqueen imminence dapparatre. Dans ce cas, puisque limage schmatique estelle-mme en temporalisation en prsence, ou, ce qui est le mme, en tem-poralisation en langage, laperception transcendantale immdiate du cligno-tement se porte sur tout ce qui se temporalise en langage, y compris dans telleou telle langue quelle met cependant en suspens comme telle, cest--diresur la structure dynamique de la temporalisation elle-mme, avec le suspensdes apparences concrtes qui se temporalisent en son dedans en protentionset en rtentions. De la mme manire que prcdemment, mais selon cetautre axe de laperception transcendantale immdiate du clignotement, laStiftung de lidalit, ici idalit logique formelle en son sens le plus gnral,a lieu quand cette structure dynamique, ce rythme de temporalisation, qui estlimage schmatique se faisant comme telle, est de la mme faon prsen-tifie par limagination en une image de second degr, ou plutt en une mul-tiplicit a priori infinie de telles images plus ou moins simples ou complexes(dans telles et telles expressions en langage, qui peuvent aussi bien, commeHusserl lavait vu, tre expressions mathmatiques quexpressions en

    telle ou telle langue), lesquelles, leur tour, ne sont plus, par la transpositionarchitectonique coextensive de la Stiftung, images de second degr du sch-matisme ou images de limage schmatique, mais images de lidalit logi-que formelle (syntaxique). De ces idalits, comme des idalits mat-rielles, il y en a en principe linfini, mme si, cela va de soi, nous nenreconnaissons quun nombre fini. Quoi quil en soit, toujours de la mmemanire, ces eid logiques-formels, qui sont chaque fois intuitionns dansle prsent, constituent les seules reprsentations possibles, dans le prsent,

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    des schmes par l doublement dforms, mais, pour ainsi dire, tant donnle lieu o sest situe laperception transcendantale immdiate du clignote-ment, des schmes comme tels ce que Kant avait en fait si justement pres-

    senti avec sa prsentation des deux schmatismes (des concepts purs et desides) dans la Critique de la Raison pure. Nous comprenons en outre quecest bien parce que les deux directions, que lon pourrait dire directions dat-tention, de laperception transcendantale immdiate du clignotement, serecoupent en fait, dans leur gense phnomnologique transcendantale, aulieu du clignotement de limage schmatique entre les apparences commeconcrtudes des phnomnes et le schme, que les eid matriels portenttoujours, secrtement, une empreinte schmatique, et de l, une empreintelogique formelle, prts quils semblent tre toujours leur mise en formelogique, et que, de leur ct, les eid logiques formels portent toujours secr-tement la possibilit infinie dapparences dj structures dynamiquementpar limage schmatique (amorant au moins sa temporalisation en prsen-ce), et de l lempreinte des eid matriels, prts quils semblent toujoursdj tre sappliquer13 ces derniers, les composer ou les dcompo-ser logiquement (par exemple en qualits secondes abstraites). Cest leursparation classique qui conduit vritablement leur abstraction, et par l, labstraction de la smantique et de la syntaxe. Celles-ci sont dans la pr-sentification logique des abstracta logiques quil est vain, ou spculatif(mtaphysique), de vouloir runifier comme telles, que ce soit dans dessystmes formels artificiels, ou, la manire de lidalisme allemand (Fichte,Hegel, le premier Schelling) dans un prtendu savoir originaire dont la phi-losophie devrait tre le dploiement systmatique. On aura compris, en effet,que la source commune de la Stiftung de lidalit dans ses deux rameauxmatriel et formel est vide de tout savoir, quelle nest pas seulementlinsaisissable fichten (quil sagit de comprendre en tant que tel: cf. W-L de1804, seconde version), mais surtout lindfiniment variable, mutable, etfluctuant, cela mme que leffectuation de lpoch hyperbolique jusquauplus extrme delle-mme peut faire revivre, par le nomadisme du cligno-

    tement, et le jeu nomade de laperception transcendantale immdiate du cli-gnotement.

    Par l, la phnomnologie reste bien transcendantale, il sagit toujours derendre sa vivacit unfungieren autrement aveugle et anonyme, par un voll-

    ziehen mthodiquement men, mais du mme coup, elle sest libre de

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    13 En termes husserliens: dans lontologie formelle ou la logique transcendantale. Nousanalyserons ailleurs ce point en dtail.

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    lidtique comme a priori universel, pour entrer dans le champ architecto-nique des diverses Stiftungen symboliques, cest--dire dans lexercice nonmoins mthodique, dont nous venons de donner un exemple seulement

    bauch et que nous dploierons ailleurs propos de la Stiftung de lida-lit, de la rduction architectonique. De la sorte, certes, la rduction idti-que reste bien un moment mthodique de la phnomnologie transcendan-tale, mais elle nest que cela, dans la ncessit den passer de ce monde-ciau(x) monde(s) en gnral, et dabord de circonscrire par une premire appro-ximation les phnomnes au sens husserlien. Ce moment doit tre relaypar lpoch phnomnologique hyperbolique qui, ouvrant (et souvrant) auclignotement, ouvre (et souvre) tout dabord aux clignotements des appari-tions et des apparences, pour se propager, jusquau schmatisme de la ph-nomnalisation (et son aperception transcendantale immdiate), la pointeextrme de lhyperbole de lpoch, et par l, pour en venir la nouvelle ph-nomnologie gntique qui met jour la gense structurale, non seulement delidalit, comme ici, mais aussi, en gnral, de la perception, du souvenir, delimagination, de laperception dautrui, etc., dans ce qui est chaque fois leurStiftung symbolique respective14. Lhomognit des champs idtiques quise projette dans des a priori transcendantaux trop vite compactifis faitplace la diversit des Stiftungen et des registres architectoniques que, cha-que fois, elles ouvrent, avec des contraintes structurales qui chaque fois leursont corrlatives, que nous avons rencontrer, et dont cest lobjet de larduction architectonique de les mettre en vidence, ventuellement, mais

    jusqu un certain point et pas universellement, avec lauxiliaire de la rduc-tion idtique. Ce faisant, en transgressant les frontires de ncessit de la

    priori idtique, la phnomnologie transcendantale na plus affaire des sta-bilits qui sont censes senchaner de faon stable, mais des instabilitsfoncirement non prsentes, car extrmement fugaces et phmres, entrelesquelles il nest possible de transiterque par le nomadisme du clignote-ment15 travers les diffrentes structures de son aperception transcendantaleimmdiate correspondant, chaque fois, une structure gntique deStiftung. Ainsi arrive-t-il trs souvent que, dans cet exercice de lpoch ph-nomnologique hyperbolique et de la rduction architectonique, les mots

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    14 Cf. notre ouvrage, Phnomnologie en esquisses, op. cit.15 Ce transit correspondant, chaque fois, aux passages en clignotement par transpassi-

    bilit(au sens de Maldiney), dun registre de possibilits un registre de ce qui est, pour cedernier, transpossibilit. Passages en hiatus que seul le nomadisme du clignotement permetdeffectuer, dun registre de laperception transcendantale immdiate un autre. Nous allonsy revenir au point B.

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    viennent manquer, tout au moins en ce quils donnent toujours limpres-sion( qui, au sens phnomnologique, est illusion, et illusion transcendanta-le) de la stabilit de leur rfrent. Pour nous, les eid, quils soient matriels

    ou formels, ne demeurent tout au plus que des guides ou des points dentrepour accder, moyennant lpoch hyperbolique, aux schmes comme diff-renciantdes familles de phnomnes; quant la rduction architectonique,elle doit permettre damorcer le passage, en sens inverse, des images de lex-tension de leidos ces familles elles-mmes et ce qui en structure leslments de lintrieuravant quelles ne soient reprises par les diffrentesStiftungen qui peuvent ou ne peuvent pas sy instituer. Ce nest pas tout da-bord par essence mais par la structure de leur Stiftung que percevoir est diff-rent de se souvenir, de simaginer, de phantasieren, dapercevoir autrui oudexercer lintuition idtique etc. Cest parce que chacune de ces Stiftungennominalement dsignes implique chaque fois son registre fondateur et sonregistre fond, et la structuration, qui va jusqu celle de la temporalisation-spatialisation, des lments (a priori potentiels et jamais compltementindividus) du registre fondateur pour quils puissent fonctionner, tousensemble et linfini, comme lments fondateurs du registre fond.Leidos et lintuition idtique nont pas, cet gard, de privilge spcifique,mme si, comme cela ressort ici, leur Stiftung est pour ainsi dire plus proche,en prise plus directe, moyennant cependant deux mdiations dformantes,sur le schmatisme phnomnologique ce qui leur confre, sans doute leurallure duniversel mais aussi un pouvoir redoutable dillusionner. Lechamp phnomnologique, en ce quil reprend aussi le champ des Stiftungen,mais pareillement en ce quil comporte de plus archaque, transcendantale-ment antrieur et postrieur toute Stiftung, nest pas homogne, et nar-ticule pas non plus, selon ses registres, des niveaux (ontologiques) quiseraient, par structure, en chane allant du plus ou moins plein, du plus aumoins originaire en lui, il ny a pas de drivations, mais des rupturesou des hiatus. Larchaque est ici prendre au sens de limmmorial et delimmature sauvages par rapport toute Stiftung mais lhabitant toujours de

    sonfungieren, le plus souvent anonyme et enfoui dans les profondeurs absys-sales de la conscience et du monde.

    Cela tant, il convient de prciser encore davantage son statut, cest--dire de dgager de plus prs, en explorant leurs structures, les possibilitsdattestation phnomnologique des diffrents types, en phnomnologie, delaperception transcendantale immdiate, ainsi que les possibilits de sonnomadisme o elle change de structure.

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    B.

    Du statut et de lattestation de laperception transcendantale immdiate

    (le cogito transcendantal): sa dcomposition et sa fonction analytiques enphnomnologie.

    Il nous faut, en toute rigueur phnomnologique, reprendre les choses parun autre bord: on sait que ce que lon nomme classiquement aperceptionimmdiate de la conscience est cet tat, le plus commun, mais en lui-mmedifficile cerner, o je sais que je suis veill (ou mme que je rve) sansavoir besoin, pour le savoir, dy rflchir, deffectuerun cogito. Et que cetterflexion, cependant,peuttoujours sy produire, ce qui veut dire que ce nestpas la rflexion, ft-elle implicite ou subconsciente, qui est constitutive delaperception, mais au contraire que cest laperception immdiate (un cogi-to muet) qui constitue la base de la rflexion. Celle-ci cependant, Husserlla montr tant et plus, ne dcouvre pas immdiatement un soi-substrat quitraverserait inchang lcoulement du temps, ou mieux qui serait le flux tem-porel lui-mme, mais un soi mondain ou mondanis, psychique, relevant,par son corps anim (Leibkrper), de la ralit du monde, et cest seulementla mise hors circuit phnomnologique de celle-ci qui doit dcouvrir, dvoi-ler (enthllen) le soi transcendantal (lego transcendantal et le cogito trans-cendantal) comme sujet des oprations (Leistungen) relles et possibles parlesquelles le monde est, quant son sens, constitu en monde. Derrire lcou-lement mondain du temps mondain des tats de conscience, il y a, pourHusserl, lcoulement transcendantal du flux transcendantal constituant, dutemps transcendantal qui est subjectivit absolue, coulement en fonction(fungierend), qui marche dun seul pas, du prsent vivant en rtentions et duressurgissement, mesure, du prsent vivant ouvert sur ses protentions. Direquil est constituant, matrice universelle de tous les phnomnes, revient dire, pour nous, quen tant que subjectivit il est simulacre ontologique dontlpoch phnomnologique hyperbolique montre quil est illusion transcen-

    dantale phnomnologique lillusion transcendantale quun phnomne (leflux temporel) est le lieu ou la matrice de constitution de tous les phnom-nes, et nous allons y revenir.

    Lillusion transcendantale est celle que, dun ct, le soi qui resurgit cha-que fois dans la rflexion (perception interne chez Husserl) est identiquementle mme dans lunique continuit du flux la rduction phnomnologiqueft-elle opre , et donc quil constitue originairement une subjectivit, unhypokeimenon subsistant travers lcoulement; et que, de lautre ct, en

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    accord apparent avec laperception immdiate de la conscience, lcoulementdu temps na pas connu dinterruption. Ce sont l, manifestement, les deuxfaces de la mme apparence, qui se renvoient lune lautre, lidentit tant

    finalement celle du temps lui-mme dans la temporalisation uniforme du pr-sent vivant et de lego non pas de lego-ple des actes et des affects de laconscience, mais de lego concret, ultimement le mme (ipse). Que celui-ci ne soit plus lego mondain ou mondanis est attest par le fait que le sus-pens de lpoch nest en fait que le suspens de lcoulement par unJetzt, unmaintenant, qui se retemporalise aussitt en rtentions et en resurgissementscorrlatifs du prsent avec ses protentions. Lego est du mme coup celui quisuspend le cours temporel de laperception immdiate pour sy surprendreet celui qui assiste la fois sa fuite immdiate en rtentions et son res-surgissement comme prsent muni de ses protentions. Cest l le propre de lastructure de temporalisation lie la Stiftung symbolique de laperceptionperceptive16. Comme sil ne pouvait se surprendre quen santicipant dansles protentions et ne sapercevoir que dj en fuite dans les rtentions, nas-sister sa (re)naissance que dans le comblement continuel, mesure, desrtentions, par du prsent aussittpass.

    Il ny a donc jamais concidence du Jetztavec lui-mme, ou le prsentvivant est toujours dj muni de ses protentions et de ses rtentions, cest--dire, prcisment, temporel. Ou mieux, cette temporalisation en prsent nemarche du mme pas quelle-mme que dans le cas trs prcis de la Stiftungde laperception perceptive, o le cours perceptif est continu; autrement ditencore, la structure de temporalisation de laperception immdiate nest pasipso facto et ncessairement rductible la structure de temporalisation au

    prsent. Car rien ne dit, a priori, ou en gnral, que ce qui est anticip soitidentiquement rductible ce qui est retenu ce serait l monotonie duntemps abstrait, ou dun temps concret particulier, celui du Vorhandensein per-ceptif, qui est toujours l, disponible pour le cours perceptif. Nous savonsque, dj, il nen va pas ainsi dans les phnomnes de langage, cest--diredans les phnomnes de temporalisation en prsence (sans prsent assigna-

    ble), o ce qui y est apprhend en protentions dans la phase de prsence delangage ne concide pas avec ce qui est retenu en rtentions dans la mmephase le mme tant ici dfini par lipsit(sans concept pralable) dusens, dj au-del du sens intentionnel husserlien, et parti la recherche delui-mme. Dans ce cas, certes, le sens ne se fait pas tout seul, il faut le tra-vail dune conscience, mais le soi de celle-ci vient pour ainsi dire se loger

    Marc Richir L'aperception transcendantale immdiate...

    Revista de Filosofa2001, 26: 7-53 36

    16 Cf. notre Phnomnologie en esquisses. Nouvelles fondations. Jrme Millon, Coll.Krisis, Grenoble, 2000.

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    dans le soi du sens: non pas donc, que le soi de la conscience se trouve,pour ainsi dire, en observateur immuable, depuis la structure soi-disant pro-pre de sa temporalisation, surveillant ce qui se passe dans la temporalisation

    en langage, mais quil soit impliqu dans cette dernire, pris ou emportavec elle, et, dune certaine manire, qui nest pas totale, en elle car laconscience qui fait aussi le sens ne se confond pas tout fait avec la con-science du sens se faisant, avec la rflexivit propre celui-ci qui le fait sechercher alors mme quil nest pas dj tout fait, qui le fait se corriger dansson droulement temporalisant alors mme quil na pas encore dunit demesure tablie.

    Cela, dj, pose autrementla question de laperception qui satteste de laconscience, et de l, la question de laperception transcendantale immdiate.Au lieu que la perception interne, la rflexion classique, en soit tout simple-ment, comme pour Husserl, lactualisation comme dune potentialit, elle enest une version qui est passe au filtre de la transposition architectoniquecoextensive de la Stiftung de laperception perceptive comme acte se tempo-ralisant dans le flux continu dcoulement du prsent et cette version netient dj plus dans le cas du langage. Nous avons montr dans nos

    Mditations phnomnologiques et dansLexprience du penser17 que cetteversion ne tient prcisment, dans laperception perceptive, que dans lamesure o du matriau (du vcu non peru), pourvoyeur delUrimpression, vient combler mesure lcoulement des rtentions par dumme qui louvre son prsent et son futur imminent, et que ce mme,quoique tout dabord non identifi comme tel, incarne pour ainsi dire lacontinuit, ou laccord entre lcoulement et le ressurgissement. Cependant,mme dans ce cas, le Jetzt, le maintenant, demeure insaisissable comme

    Jetztpunkt, comme point-source ou point-origine (Stiftung) de la temporali-sation en prsent, et cest ce qui lui donne lapparence de la phnomnalit:il clignote phnomnologiquement entre les rtentions et les protentions, ceque recouvre prcisment la notion de prsent vivant avec ses rtentions etses protentions. Il clignote, cest--dire que, dans laperception perceptive, il

    ne peut tre quanticip ou retenu, tant lui-mme dans lcartentre les deux,l o, en quelque sorte, le flux, tout la fois va plus vite que lui-mme etplus lentement que lui-mme, dans ce qui ne peut tre quun dsaccorden quoi consiste prcisment lpoch du flux par rapport lui-mme. Etcest ce dsaccord qui slargit en porte--faux incessant, en impossibilit dese rejoindre en talement (coulement) continu, dans la temporalisation en

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    17 Jrme Millon, Grenoble, 1996.

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    prsence du sens en langage: la prsence stend tout au long de la phase,elle est elle-mme le temps de len-mme-temps, dans lentretissage desrtentions et des protentions, en elle, et le sens ne vit dans la recherche de

    lui-mme comme ipse quaussi longtemps (temps de la prsence) que leporte--faux est ouvert, que le sens recherch ne concide pas identiquementavec le mme sens dj trouv, donc ds lors que le sens est parti laventu-re de lui-mme, sans senivrer dans lillusion de sa saturation. Finalementdonc, mme dans le cas o, comme dans laperception perceptive, il ny arien qui, dans la conscience, soit, comme ruptures, susceptible de faire v-nement (kairos), laperception immdiate de la conscience nest que cedsaccord dans laccord, ce plus vite et ce plus lentement que soi-mme qui, sans cesse, sans que jy rflchisse, accompagne ma conscien-ce, et o sancre lapossibilitde la rflexion, et donc lattestation de laper-ception immdiate. Et il en va a fortiori de mme dans les phnomnes delangage.

    Sans entrer ici dans les dtails de la question de savoir si lego concret dela conscience qui procde de la Stiftung symbolique de lindividu que noussommes dans sa singularit: cest un problme dont nous traiterons ailleurs peut sidentifier ceJetztpunkten clignotement dans le dsaccord du fluxavec lui-mme, nous pouvons dire que cest dans les ressources de ce clig-notement que va puiser lego qui effectue lpoch et la rduction phnom-nologiques. Il suffit pour cela de penser que leJetztpunktnest pas seulementune abstraction mtaphysique, mais que, derrire lui se cache, phnomnolo-giquement, linstantan(exaiphns platonicien) comme instantan du revire-ment au sein du clignotement celui qui fait revirer, instantanment, desrtentions aux protentions et rciproquement, de la fuite en rtentions au res-surgissement en protentions -, et que cest dans ces revirements eux-mmesque vient se loger le soi de la conscience comme soi qui anticipe (va plusvite) et retient (va plus lentement) le flux dcoulement du prsent; que lesdeux revirent en eux-mmes, cela se comprend par l quanticiper cest aussiretenir le pass (ralentir) pour voir plus loin ou en avant le futur et que

    retenir (ralentir) le pass cest aussi anticiper dans le futur pour voir ce quiva tre en arrire le pass. Sil ny avait ce double-mouvement o le mou-vement de la temporalisation (en prsent perceptif et en prsence de langage)se dsaccorde pour aller la fois plus vite et plus lentement que lui-mme, latemporalisation serait aveugle elle-mme, sans possibilit de rupture du

    fungieren anonyme pour donner lieu lopration (Leistung) par quelquun,un qui qui effectue et qui atteste, cest--dire sans autre conscience que sapropre con-science, que celle-ci le soit de la temporalisation du prsent

    Marc Richir L'aperception transcendantale immdiate...

    Revista de Filosofa2001, 26: 7-53 38

  • 7/30/2019 Richir, Marc - Laperception transcendantale immdiate

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    intentionnel (aperception perceptive) ou, dans le cas du langage, quelle lesoit de la rflexivit propre du sens sans concepts pralables. Le temps seraitsans ipse, adhrent lui-mme.