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Collège au cinéma Ciné 32 / 2010-2011 RIDICULE Un film de Patrice Leconte I France I 1995 I 1h42 Savant mélange d’humour acide et d’émotion, Ridicule est avant tout un récit dont l’esprit est le héros. Aussi habile dans l’art de la satire que ses personnages, le réalisateur des Bronzés (1978), de Monsieur Hire (1989) ou du Mari de la coiffeuse (1990) dépeint avec justesse et cruauté la cour de Louis XVI. Moderne et irrévérencieux, le film historique hésite tout du long entre la fable, la comédie de moeurs et la tragédie. Versailles y est dépeint comme un zoo, incarnation d’un pouvoir absolu aveugle à sa propre décadence. Occupés à la flatterie et au persiflage, les courtisans sont des marionnettes habitées par un éternel désir de pouvoir, auxquels s’opposent Ponceludon de Malavois et Mathilde, les deux figures humanistes symbolisant l’esprit des Lumières. Ridicule illustre ainsi la fin d’un régime, celui des jeux de masque et de pouvoir de la cours de Versailles, et l’avènement d’un temps nouveau. Tout comme dans Persépolis, proposé au premier trimestre, le film dépeint la lutte des Lumières contre l’obscurantisme, plus précisément celle des philosophes contre les courtisans, de l’être contre le paraître, de la conscience contre le bel esprit. 1/ UN RECIT DONT L’ESPRIT EST LE HEROS Pour l’aristocrate de province Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), rencontrer le Roi à Versailles constitue le derniers recours pour sauver les paysans de la putréfaction des marais de la Dombes. Après avoir, en vain, eu recours à des relations, puis à un généalogiste, il découvre que seul le bel esprit lui permet d’accéder, à titre de courtisan, aux faveurs royales : « c’est le bel esprit qui ouvre les portes, et vous n’en êtes pas dépourvu » (…) « Formulez des saillies spirituelles fines promptes et malveillantes alors votre pays guérira de ses plaies » lui dit le comte de Bellegarde (Jean Rochefort). Le verbe, souverain et mortel : Western et duel « Il me plaisait de montrer des gens qui sous couvert de poudre, de perruques et de falbalas, étaient en permanence aux aguets, comme des francs tireurs qui craignent de prendre une balle, perdue ou pas ». Patrice Leconte, L’Humanité, mai 1996 Jean Rochefort défini Ridicule comme un « Western à Versailles dans lequel les mots d’esprit remplacent les colts ». Les mots fusent à la vitesse des balles. Et la répartie laisse peu de place au manque de sang froid. Dans ce « western de cour » Patrice Leconte s’amuse à filmer le concours de bout rimé on donne vos rimes, vous annoncez les vers : alexandrins, décasyllabes, il y faut du sang froid ») avec la même tension qu’une scène de duel : suspens, champs /contre champ, tromperie, coup de poker et subterfuges, alternance de plans rapprochés et de plans d’ensemble... Les vilains y sont décris comme des personnages sans foi ni loi (le comte de Bellegarde à propos de l’abbé de Vilecourt (Bernard Giraudeau) « Quand il se tait il vous guette. Quand il parle, il est déjà trop tard », l’éventail de Madame de Blayac) et Versailles une arène feutrée dans laquelle on rivalise à coup d’allusions piquantes et autres jeux de mots Les armes du combat Le bout rimé, le bon mot, la répartie, la démonstration publique sont les armes du combat sans merci entre les courtisans. La joute verbale et l’humiliation mènent ainsi à la mort

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Ridicule Patrice Leconte

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Collège au cinéma Ciné 32 / 2010-2011

RIDICULE

Un film de Patrice Leconte I France I 1995 I 1h42 Savant mélange d’humour acide et d’émotion, Ridicule est avant tout un récit dont l’esprit est le héros. Aussi habile dans l’art de la satire que ses personnages, le réalisateur des Bronzés (1978), de Monsieur Hire (1989) ou du Mari de la coiffeuse (1990) dépeint avec justesse et cruauté la cour de Louis XVI.

Moderne et irrévérencieux, le film historique hésite tout du long entre la fable , la comédie de mœurs et la tragédie . Versailles y est dépeint comme un zoo, incarnation d’un pouvoir absolu aveugle à sa propre décadence. Occupés à la flatterie et au persiflage, les courtisans sont des marionnettes habitées par un éternel désir de pouvoir, auxquels s’opposent Ponceludon de Malavois et Mathilde, les deux figures humanistes symbolisant l’esprit des Lumières.

Ridicule illustre ainsi la fin d’un régime, celui des jeux de masque et de pouvoir de la cours de Versailles, et l’avènement d’un temps nouveau. Tout comme dans Persépolis, proposé au premier trimestre, le film dépeint la lutte des Lumières contre l’obscurantisme, plus précisément celle des philosophes contre les courtisans, de l’être contre le paraître, de la conscience contre le bel esprit.

1/ UN RECIT DONT L’ESPRIT EST LE HEROS Pour l’aristocrate de province Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling), rencontrer le Roi à Versailles constitue le derniers recours pour sauver les paysans de la putréfaction des marais de la Dombes. Après avoir, en vain, eu recours à des relations, puis à un généalogiste, il découvre que seul le bel esprit lui permet d’accéder, à titre de courtisan, aux faveurs royales : « c’est le bel esprit qui ouvre les portes, et vous n’en êtes pas dépourvu » (…) « Formulez des saillies spirituelles fines promptes et malveillantes alors votre pays guérira de ses plaies » lui dit le comte de Bellegarde (Jean Rochefort). ▪ Le verbe, souverain et mortel : Western et duel « Il me plaisait de montrer des gens qui sous couvert de poudre, de perruques et de falbalas, étaient en permanence aux aguets, comme des francs tireurs qui craignent de prendre une balle, perdue ou pas ». Patrice Leconte, L’Humanité, mai 1996 Jean Rochefort défini Ridicule comme un « Western à Versailles dans lequel les mots d’esprit remplacent les colts ». Les mots fusent à la vitesse des balles. Et la répartie laisse peu de place au manque de sang froid.

Dans ce « western de cour » Patrice Leconte s’amuse à filmer le concours de bout rimé (« on donne vos rimes, vous annoncez les vers : alexandrins, décasyllabes, il y faut du sang froid ») avec la même tension qu’une scène de duel : suspens, champs /contre champ, tromperie, coup de poker et subterfuges, alternance de plans rapprochés et de plans d’ensemble... Les vilains y sont décris comme des personnages sans foi ni loi (le comte de Bellegarde à propos de l’abbé de Vilecourt (Bernard Giraudeau) « Quand il se tait il vous guette. Quand il parle, il est déjà trop tard », l’éventail de Madame de Blayac) et Versailles une arène feutrée dans laquelle on rivalise à coup d’allusions piquantes et autres jeux de mots ▪ Les armes du combat Le bout rimé, le bon mot, la répartie, la démonstration publique sont les armes du combat sans merci entre les courtisans. La joute verbale et l’humiliation mènent ainsi à la mort

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sociale mais également physique (le duel entre monsieur de Chevernois et Grégoire Ponceludon de Malavoy, la pendaison du Baron de Guéret). Le ridicule tue. Dans un jeu de miroir, l’ouverture et la clôture du film nous présentent deux exécutions : en urinant sur Monsieur de Blayac impotent, le chevalier de Milletail l’achève. Piégé par Madame de Blayac (Fanny Ardant) lors du bal costumé, un croque en jambe tourne Ponceludon de Malavoy en ridicule et le bannit définitivement de la cour, entérinant sa mort sociale de courtisan. ▪ Le bel esprit contre la pensée Le film avançant, le scénario de Rémi Waterhouse dévoile peu à peu la vérité, à savoir que les réparties fines et vivaces cachent bien souvent des prouesses de perroquet (la scène de bout rimé). Le bel esprit du courtisan est sans consistance, vide car n’ayant d’autre but qu’un ridicule jeu de pouvoir. Son langage est une arme sans morale ni conscience.

Mathilde refusera de jouer ce jeu de cour et dans un dernier monologue, Ponceludon rétablira le vrai pouvoir du langage : celui de la dénonciation, de l’indignation, de la défense de la vérité et de la justice. Se référant à Voltaire, ses mots feront tomber les masques ridicules des auteurs du « Marquis des Antipodes » : « Demain des enfants de chez moi mourront, et ils mouront de ce ridicule qui m’éclabousse aujourd’hui. Vous enviez l’esprit mordant de Monsieur de Voltaire ? Le grand homme aurait pleuré car il était, lui, d’une ridicule sensibilité au malheur humain ». 2/ UN FILM HISTORIQUE IRREVERENCIEUX Ridicule est un film historique irrévérencieux, marqué par un détournement des codes du genre et un esprit provocateur, qui offre une vision moderne du siècle des Lumières. Les costumes et les décors (magnifiques et récompensés d’un César) n’intéressent pas tant la caméra que les personnages et les jeux de pouvoir qui les habitent. ▪ Le contexte historique Recenser tous les éléments qui situent le film dans un contexte historique pré révolutionnaire :

- la fascination pour la philosophie Rousseauiste (Mathilde est éduquée selon les préceptes de L’Emile de Rousseau) - les références à Voltaire - le contraste entre une province délaissée et Versailles luxuriant - les aspects de la vie à la cour et celles de la petite noblesse de province - l’esprit des Lumières qui irrigue le film et notamment l’intérêt pour les sciences nouvelles : Mathilde de Bellegarde expérimente un scaphandre de plongée, son père médecin se passionne pour la physique, Ponceludon est ingénieur hydrographe, Paul est pris en charge par l’abbé de l’épée (Charles Michel de l’épée) concepteur et initiateur du langage des signes… ▪ Un film historique marqué par un détournement des codes du genre et un esprit provocateur Dès l’introduction, avant même le générique, le film affirme sa fantaisie provocatrice. Nous sommes certes dans un film historique, mais Patrice Leconte se propose d’y faire un portrait de moeurs cachés, dévoilant toute la cruauté de la cour.

L’aspect documentaire historique n’est pas là pour sublimer mais pour dénoncer : les plans sur la maladie et la putréfaction des marées de la Dombes, sur les corps accroupis dans la boue infectée précèdent les fastes luxuriants et la perfidie de la Cour (la présentation de la Comtesse de Blayac, les messes basses autour du corps du Comte de Balyac ).

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A peine rentré des Amériques, le chevalier de Milerail s’empresse de se venger d’un mauvais mot (cause de son départ ?) en urinant sur le vieillard fautif. Son sexe en gros plan suivi de la présentation de Ponceludon donne le ton : d’un coté, un univers grotesque et obscène ; de l’autre, les valeurs des Lumières incarnées par le héros. Ponceludon est ainsi présenté dans un magnifique plan aérien, sur sa monture blanche, accompagné par une musique magistrale et un mouvement de caméra ample, à l’unisson de sa détermination. 3/ LUMIERE CONTRE OBSCURANTISME Le contexte socio politique pré révolutionnaire n’est pas explicite. Cependant, en choisissant pour héros un aristocrate provincial éclairé et en décrivant la décadence de Versailles, le film dresse le portrait d’une société qui jette ses derniers feux. ▪ Un provincial à la cour « Tout frais venu de voter province, vous devez avoir un regard aiguisé sur les ridiculités de la cours » questionne l’abbé de Vilecourt lors de sa première rencontre avec Grégoire Ponceludon de Malavoy. Choisir comme héros un noble provincial naïf révèle d’autant plus les perfidies de la cour. Car avec Ponceludon, c’est la France malade, le peuple méprisé, et la petite noblesse écrasée qui entrent à Versailles (on pense également à ces mots du Baron de Guéret humilié « Louis de France, souviens toi que c’est la noblesse qui t’a fait Roi, la vielle noblesse que tu humilie et qui s’entasse au poulailler »).

Entre les mains de Bellegarde (Jean Rochefort), l’aristocrate crotté se poudre à son tour, revêt les apparats du courtisan, charme la comtesse de Blayac dont la chambre mène au roi, et apprend les rudiments du bon mot, de l’équivoque et autres saillies drolatiques pour mieux servir ses desseins.

Mais au royaume des masques et des faux semblants, « la droiture et le bel esprit sont rarement réunis ». S’il se laisse prendre un temps au jeu de dupes et de pouvoir, Ponceludon ne laissera pas la métamorphose contaminer son amour ni sa morale, renoncera au masque et tournera, à son tout et par la force de son intégrité, la cour au ridicule dans une séquence finale magistrale. ▪ Masque et jeux de dupe Pour illustrer le pouvoir obscurantiste de la société d’ordres et de la Monarchie absolue, Patrice Leconte nous présente sans cesse des personnages complotant, chuchotant, se cachant derrière un judas (le roi voyeur), des poudres (Madame de Blayac se pare ; plus loin Ponceludon fait son éducation de courtisan) et des masques (le bal), soulignant l’importance du regard et de l’apparence.

Dans la scène de bal, le ridicule sera salvateur et non mortel à Ponceludon qui sort du bal démasqué aux bras de Mathilde, alors que la comtesse de Blayac, en tombant le masque, dévoile par ses larmes son échec et sa fragilité.

C’est la fin de la société des courtisans, vaincue par le ridicule. Le monde change, s’ouvre vers de nouvelles frontières (Bellegarde s’exile en Angleterre) et Grégoire et Mathilde font parti des premiers bâtisseurs de ce nouveau monde.