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8 forum 290 Dossier Beaucoup d’initiatives de banques de ressources biologiques canines ont en commun des programmes de recherche en pathologie comparée qui ne visent pas, dans un premier temps, à améliorer le bien-être de nos amis à quatre pattes, mais qui ont pour objectif premier la santé humaine. Si la prévention et une meilleure prise en charge des maladies graves affectant les chiens représentent un objectif commun à toutes ces démar- ches, celui-ci n’est considéré que comme un bénéfice induit. En effet, la médecine vétérinaire profitera bien évidemment, mais dans un deuxième temps seule- ment, de l’amélioration des connais- sances et des traitements qui est réalisée tout d’abord chez l’homme. Le « modèle chien » en pathologie comparée Dès lors, il est légitime de se poser la question du choix du chien en tant que « modèle » en pathologie comparée. Je tiens tout de suite à rassurer les lecteurs que le terme « modèle » n’implique en aucun cas le recours à l’expérimentation animale, bien au contraire. Tous les tra- vaux de recherche menés chez le chien décrits ci-après s’inscrivent dans un ca- dre scientifique, médical et éthique très rigoureux qui n’autorise aucune confu- sion possible avec l’expérimentation animale. Les aléas de l’industrie pharmaceutique dans le développement de nouveaux traitements destinés à des patients hu- mains atteints de cancer, permettent d’illustrer le potentiel exceptionnel du « modèle chien ». Malgré des investisse- ments croissants et l’apport d’approches technologiques de pointe, le processus de développement de composés anti- cancéreux connaît un fort taux d’échec dans les essais cliniques humains (1-4). La principale cause de ces échecs est le manque de pertinence et de perfor- mance des modèles expérimentaux (mo- dèles de rongeurs principalement), uti- lisés pour sélectionner les composés qui procèderont vers des essais cliniques humains. De manière très synthétique, les médicaments en cours de développe- ment en cancérologie sont testés dans un premier temps sur des souris généti- quement identiques vivant dans un en- vironnement contrôlé et chez lesquelles on induit une tumeur par l’injection de cellules tumorales humaines. Il y a aujourd’hui un consensus assez large dans la communauté scientifique qui tend à remettre en question la perti- nence de ces modèles par rapport aux cancers humains. Parallèlement, trente ans de travaux en cancérologie comparée ont démontré de façon formelle que certains cancers chez le chien sont d’excellents modèles pour l’étude des tumeurs correspondantes chez l’homme. En effet, les avantages du « modèle chien » par rapport aux mo- dèles de rongeurs sont nombreux : Les biobanques canines et leur intérêt en pathologie humaine Robert Barthel [...] trente ans de travaux en cancérologie comparée ont démontré de façon formelle que certains cancers chez le chien sont d’excellents modèles pour l’étude des tumeurs correspondantes chez l’homme. Même si elles ne reçoivent pas une attention médiatique comparable à celle de leurs contreparties humaines, les biobanques canines suscitent un intérêt croissant auprès de la communauté scientifique. En effet, ces collections de tissus, de cellules et de liquides biologiques prélevés sur des chiens sains et malades peuvent être mises à profit, par exemple, dans l’élucidation de la base génétique de certaines maladies et dans le développement de nouveaux traitements contre le cancer. Robert Barthel est médecin-vétérinaire spécialisé en anatomie pathologique. Il est titulaire d’un Ph.D de la Texas A&M University et a fait un stage post-doctoral à la Harvard Medical School. Actuellement, il est directeur scientifique de l’entreprise OncoBioTek ([email protected]).

Robert Barthel Les biobanques canines et leur intérêt en

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Beaucoup d’initiatives de banques deressources biologiques canines ont encommundesprogrammesderechercheen pathologie comparée qui ne visentpas,dansunpremiertemps,àaméliorerlebien-êtredenosamisàquatrepattes,mais qui ont pour objectif premier lasantéhumaine.Si lapréventionetunemeilleure prise en charge des maladiesgravesaffectantleschiensreprésententunobjectifcommunàtoutescesdémar-ches,celui-cin’estconsidéréquecommeunbénéficeinduit.Eneffet,lamédecinevétérinaire profitera bien évidemment,mais dans un deuxième temps seule-ment, de l’amélioration des connais-sancesetdestraitementsquiestréaliséetoutd’abordchezl’homme.

Le « modèle chien » en pathologie comparéeDès lors, il est légitime de se poser laquestionduchoixduchienentantque« modèle » en pathologie comparée. Jetienstoutdesuiteàrassurerleslecteursque le terme « modèle » n’implique enaucuncaslerecoursàl’expérimentationanimale,bienaucontraire.Touslestra-vauxderecherchemenéschez lechiendécritsci-aprèss’inscriventdansunca-

drescientifique,médicaletéthiquetrèsrigoureuxquin’autoriseaucuneconfu-sion possible avec l’expérimentationanimale.

Lesaléasdel’industriepharmaceutiquedans le développement de nouveauxtraitementsdestinésàdespatientshu-mains atteints de cancer, permettentd’illustrer le potentiel exceptionnel du«modèlechien».Malgrédesinvestisse-mentscroissantsetl’apportd’approchestechnologiques de pointe, le processusde développement de composés anti-cancéreuxconnaîtunforttauxd’échecdanslesessaiscliniqueshumains(1-4).

La principale cause de ces échecs estle manque de pertinence et de perfor-mancedesmodèlesexpérimentaux(mo-

dèles de rongeurs principalement), uti-liséspoursélectionnerlescomposésquiprocèderont vers des essais cliniqueshumains.Demanière trèssynthétique,lesmédicamentsencoursdedéveloppe-ment en cancérologie sont testés dansunpremiertempssurdessourisgénéti-quementidentiquesvivantdansunen-vironnementcontrôléetchezlesquelleson induit une tumeur par l’injectionde cellules tumorales humaines. Il y aaujourd’hui un consensus assez largedans la communauté scientifique quitend à remettre en question la perti-nence de ces modèles par rapport auxcancershumains.

Parallèlement,trenteansdetravauxencancérologiecomparéeontdémontrédefaçonformellequecertainscancerschezlechiensontd’excellentsmodèlespourl’étude des tumeurs correspondanteschez l’homme. En effet, les avantagesdu«modèlechien»parrapportauxmo-dèlesderongeurssontnombreux:

Les biobanques canines et leur intérêt en pathologie humaine

Robert Barthel

[...] trente ans de travaux en cancérologie comparée ont démontré de façon formelle que certains cancers chez le

chien sont d’excellents modèles pour l’étude des tumeurs

correspondantes chez l’homme.

Même si elles ne reçoivent pas une attention médiatique comparable à celle de leurs contreparties humaines, les biobanques canines suscitent un intérêt croissant auprès de la communauté scientifique. En effet, ces collections de tissus, de cellules et de liquides biologiques prélevés sur des chiens sains et malades peuvent être mises à profit, par exemple, dans l’élucidation de la base génétique de certaines maladies et dans le développement de nouveaux traitements contre le cancer.

Robert Barthel est médecin-vétérinaire spécialisé en anatomie pathologique. Il est titulaire d’un Ph.D de la Texas A&M University et a fait un stage post-doctoral à la Harvard Medical School. Actuellement, il est directeur scientifique de l’entreprise OncoBioTek ([email protected]).

Oktober 2009 �9Personalisierte Medizin

l’incidencedescancersesttrèsélevée chezlechien,

lechienestunanimaldegrandetaille avecunsystèmeimmunitaireintact,

lestumeursspontanéesduchien présententdesressemblances flagrantesaveclescancershumains correspondants(génétique,aspect microscopique,métastase,réponse auxthérapiesconventionnelles),

lastructuredelapopulationcanine estavantageusepouressayerdecom- prendrelabasegénétiqueducancer,

lechienestexposéauxmêmes facteursenvironnementauxque l’homme,

laphysiologieduchienestprochede celledel’homme,

l’évolutioncliniqueplusrapidedu cancerchezlechienpermetd’évaluer l’efficacitéthérapeutiqued’uncom- composédansunlapsdetempsplus restreintquechezl’homme.

A cela on peut rajouter que la profes-sionvétérinaireressentunefrustrationimportantedufaitdumanquecrueldetraitements anti-cancéreux efficaces etbientolérésetdelademandecroissantedesoinspoussésparlespropriétairesdechiens.

Quelques initiatives de biobanques caninesToutes ces considérations expliquentl’intérêt croissant de la communautéscientifique pour la pathologie canineet, par extension, la mise en place debiobanquescanines.Danscetarticle,jeme limiterai à évoquer trois initiativesdans le domaine des collections biolo-giques canines et de faire ressortir lespointslespluspertinentsvis-à-visdelapathologiehumaine.

1. LUPA (www.eurolupa.org), du nomdelalouveromaine,estunconsortiumdechercheurseuropéensquiapourob-jectifd’éluciderchezlechienlabasegé-nétiquedetouteunesériedepathologiesquifrappentégalementl’homme.Enef-fet,l’hommeetlechienontencommununelargepalettedemaladiesayantunebasegénétiquecommelesépilepsies,destroublesmétaboliques(diabète),certainscancersou encoredesmaladies cardio-vasculairesetdégénératives.Commelagénétiquecanineestmoinscomplexe,il

estplusfacilededécoderl’originegéné-tiquedecesmaladieschezlechien,pourensuite appliquer ces connaissances audéveloppement de thérapies adéquatespour l’homme. Le consortium collecteprincipalement des échantillons san-guinsenplusdesinformationscliniquesrelativesauxchienssainsetmaladesquiparticipentàceprogramme.

2. Le CCOGC (Canine ComparativeOncology and Genomics Consortium ;www.ccogc.net) est un consortium dechercheursacadémiquesaméricainsquipartagent lemême intérêtpour l’étudede la biologie et de la génétique descancershumainsetcanins.Suiteausé-quençagecompletdugénomeduchien,ceschercheursonttrèsviteréalisélepo-tentielquereprésenteraitunecollectionbien annotée de prélèvements biolo-giques canins pour des études en can-cérologiecomparéehomme-chien.Cettecollection, le Pfizer CCOGC Biospe-cimen Repository, a pour objectif decollecter et de caractériser 3 000 prélè-vements tissulaires canins sur des pa-thologiestumoralesprioritairescommepar exemple le mélanome, les tumeursosseuses et les lymphomes. Les princi-pauxobjectifsduCCOGCsont:

demieuxcomprendre,àunniveau fondamental,lagénétiqueetla biologieducancerchezlechien,

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demutualiserdesressources biologiquesetdesréactifspourla recherche,

dedévelopperdenouvellesapproches technologiquesquipermettront d’intégrerpluslargementl’étudedu cancerchezlechiendansuneap- procheglobaledelabiologiedu canceretdesontraitement.

3. OncoBioTek, dontjesuisundesini-tiateurs, est une jeune start-up fran-çaisequidéveloppeunebanquederes-sourcesbiologiquescaninecommepiècemaîtressedesondispositifderechercheencancérologiecomparée.Plutôtqu’unoutil de recherche fondamentale, cettebiobanque a une vocation purementfonctionnelle et qui consiste à démon-trer la pertinence d’un cancer donnéchez le chien pour la validation d’unnouveaumédicamentanti-cancéreux.

Il est important de noter que les labo-ratoires pharmaceutiques consacrentunepartiesanscessecroissantedeleuractivitéderechercheetdéveloppementen cancérologie aux thérapies ciblées.Contrairement aux thérapies conven-tionnelles comme la chimiothérapieouencorelaradiothérapie,cesthérapiesci-blées,commeleurnoml’indique,visentune cible spécifique dans la cellule tu-morale ou son microenvironnement.Cesnouveauxtraitements,dontcertains

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sontutilisésencliniquedepuisdenom-breuses années, sont donc potentielle-mentplusefficacesavecmoinsd’effetssecondairesindésirables.

Afindedévelopperpleinementlepoten-tieldu«modèleducancerspontanéchezle chien », nous avons très vite réaliséqu’ilestimpératifd’associernoseffortsde recherche aux programmes de re-chercheetdéveloppementprometteurs

concernant les thérapies ciblées. Or, àl’heure actuelle, la caractérisation cel-lulaireetmoléculairedescancersspon-tanésduchienestinsuffisante,notam-mentdansledomainedesbiomarqueursou encore des cibles thérapeutiques.Notre biobanque prend de ce fait uneplace centrale dans notre stratégie quiconsiste à valider un nouveau médica-mentanti-cancéreuxchezlechiendansunprocessusendeuxétapes:

1) une validation in vitro du composé et de la cible thérapeutique sur des tissus et des cellules de chien, pour démontrer la pertinence du modèle canin

Cette première étape, indispensable,permet de répondre aux questions sui-vantes:est-cequelaciblethérapeutiqueestprésentechez lechien?,est-cequelecomposéreconnaîtcetteciblechezlechien ? ou encore est-ce que l’interac-tion du composé avec sa cible produitl’effetdésiré?

2) un essai clinique chez des chiens atteints de tumeurs spontanées, pour tester l’effica­cité et la toxicité du composé

Cetteapprochedecancérologiecompa-rée représente une alternative attray-ante pour l’industrie pharmaceutique.Une validation supplémentaire de cescomposés dans des essais cliniqueschez le chien a le double avantage dei) mieux sélectionner les médicamentsquiserontensuitetestéschezl’hommeetii)d’identifieràunstadeprécocedescomposés anti-cancéreux qui pourrontêtreutiliséspour traiter le cancer chezlechien.

Enguisedeconclusion:unarticlerécentparudansleprestigieuxmagazinescien-tifiqueScienceaffirmaitquelechien,lemeilleur ami de l’homme, était égale-mentlemeilleuramidugénéticien(5).Noussommesconvaincusque,autraversdenosapprochesrespectivesenoncolo-giecomparée,ildeviendraégalementlemeilleuramiducancérologue. u

Références(1)M.DicksonandJ.P.Gagnon.«Keyfactorsintherisingcostofnewdrugdiscoveryanddevelopment».Nature Reviews Drug Discovery2004,3:417-429.

(2)A.Kamb.«What’swrongwithourcancermodels?».Nature Reviews Drug Discovery2005,4:161-165.

(3)J.D.Bensonetal.«Validatingcancerdrugtargets».Nature2006,441:451-456.

(4)V.N.Anisimovetal.«Cancerinrodents:doesittellusaboutcancerinhumans?».Nature Reviews Cancer2005,5:807-819.

(5)E.Pennisi.«Thegeneticist’sbestfriend».Science2007,317:1668-1671.

Kulturfabrik Esch, Das Ratelach (Eintritt frei)