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BOOK REVIEW
Rodolfo Sacco: Anthropologie Juridique: Apport a UneMacro-histoire du Droit, Dalloz (Coll. L’esprit du Droit),Paris, 2008, 270 pp
Carlos Herrera
� Springer Science+Business Media Dordrecht 2013
Tous ceux qui avaient suivi avec interet les recherches de Rodolfo Sacco en droit
compare ne peuvent que se sentir attires par un livre qui se presente comme un
apport a une macro-histoire du droit. L’approche diachronique apparaissait deja
comme le corollaire d’une theorie du droit compare qui se presentait comme « sci-
ence historique » , en s’appuyant sur l’une des theses du manifeste du « cercle de
Trente » : « [la comparaison] considere les propositions juridiques elles-memes
(actes du legislateur ou du juge, definitions du theoricien) comme des evenements
historiques 1 » . « Variance » , « pluralisme » , « conflits » apparaissent comme
les concepts idoines pour une vision « factuelle et diachronique du droit » .
Si l’anthropologie juridique est une connaissance qui compare, l’anthropologue, a la
difference du comparatiste, « etudie les hommes dans leurs diversites pour les connaıtre
dans leur integrite » , comme le condense Sacco, dans l’une de ces belles formules dont
le livre regorge (p. 11). Surtout, l’anthropologie permet au juriste d’approcher les
donnees non verbalisees, presentes dans tout systeme juridique. En effet, le droit parle
n’est qu’un moment qui, pour le comparatiste italien, « vient apres l’alpha juridi-
que » et n’est pas « l’omega de la macro-histoire du droit » (p. 95).
L’anthropologie juridique que l’auteur propose s’inscrit dans une anthropologie
culturelle plus vaste, ayant pour objet la connaissance des caracteres des
collectivites humaines en generale. Mais une composante biologique n’est pas
moins presente; Sacco est conduit des lors a integrer le « naturel » , synonyme pour
lui de « spontane » ou encore de « conforme a l’ADN ou aux instincts de
l’homme » . Car, si l’homme cree la regle juridique au moyen de la parole depuis
C. Herrera (&)
Centre de philosophie juridique et politique, Universite de Cergy-Pontoise, Cergy, France
e-mail: [email protected]
1 R. Sacco, La comparaison juridique au service de la connaissance du droit, Paris, Economica, 1991,
p. 39.
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Int J Semiot Law (2013) 26:969–970
DOI 10.1007/s11196-013-9338-5
une epoque relativement recente, il cree depuis toujours le rapport juridique et la
norme en les mettant a execution.
Certes, d’apres l’auteur, « la plus grande revolution juridique de tous les temps
eut lieu lorsque l’homme a commence a utiliser la parole pour les besoins du
droit » (p. 154); mais c’est l’importance attachee au « droit muet » qui devient le
moteur de cette recherche anthropologique. Il estime que pendant des millions
d’annees le droit des hommes a ete forme des regles instinctives. Et meme apres la
mise en parole de ce « droit muet » , des pans entiers sont restes en marge du
systeme juridique – en marge, mais sans disparaıtre pour autant, car pour Sacco la
norme juridique, comme « regle parlee » , comporte toujours un « element com-
posant muet » , un referent qui serait toujours present dans le reel humain (p. 163).
Dans un texte qui emprunte souvent les traits du manuel, on regrettera l’absence
d’une veritable introduction qui puisse degager l’originalite de l’approche, que l’on
decouvre chemin faisant. Mais Sacco est particulierement attentifs aux developp-
ements de l’anthropologie de langue francaise, tant a niveau general qu’au niveau
juridique, s’appuyant sur les travaux des auteurs comme Etienne Le Roy, Raymond
Verdier, Norbert Rouland. Plus encore, il considere que la France est « le pays de
l’anthropologie juridique par excellence » , ce qui ne manquera pas de surprendre
un peu le juriste des facultes de droit. Sacco reprend les theses de base de cette
anthropologie juridique, qu’il fait remonter a Marcel Mauss, Levy-Bruhl ou encore
Emile Durkheim, en commencant par l’affirmation de l’existence des societes non
dotees d’un pouvoir centralise. Dans la meme pente, il renoue avec la vieille
opposition entre etatisme et pluralisme. Sur un autre plan, Sacco donne une place
centrale au surnaturel dans la creation et l’obeissance du droit. Et bien entendu, sa
reflexion epouse cette mefiance envers l’ecriture, vehicule de l’asservissement,
presente chez des anthropologues de l’envergure de Claude Levi-Strauss.
L’interet principal de l’entreprise de Sacco est de rechercher dans l’anthropologie
juridique une nouvelle voie pour faire rentrer la discontinuite dans l’analyse du
droit, et pas seulement dans les cultures non-occidentales. Mais l’ouvrage comporte
une dimension tres actuelle aussi : au moment ou, dans l’espace europeen,
le « processus de Bologne » se traduit par une professionnalisation rampante des
etudes juridiques, il contribue a rappeler que sans ses dimensions culturelles, cette
technique sociale qu’est le droit ne peut pas etre comprise, et meme utilement
employee. En meme temps, les esprits les plus optimistes de nos facultes de droit
devraient mediter tout particulierement l’une des donnees qui leur rappelle Sacco :
le droit positif a pu exister sans juristes – le savoir juridique n’apparaıt qu’a un
moment donne de l’histoire du droit, a Rome, et par la suite, tous les peuples n’en
ont pas eu, a l’image des Francs du VIIIe et IXe siecles. En clair, l’histoire reste
l’aune la plus exacte pour mesurer leur fragilite …
970 C. Herrera
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