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ERROR WHITENING WIENER FILTERS: THEORY AND ALGORITHMS Jose C. Principe, Yadunandana N. Rao, Deniz Erdogmus Computational NeuroEngineering Laboratory EB 451 Electrical Engineering Department University of Florida Gainesville, FL 32611 {principe, yadu, deniz}@cnel.ufl.edu 1

ROGER CAILLOISChapitre I Àl’aube, Pilate fut averti presque en même temps de l’arrestation de Jésus et de la pré-sence d’Anne et de Caïphe qui demandaient à l’entretenir

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  • ROGER CAILLOIS

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    L’IMAGINAIRE

    GALL IMARD

  • Roger Cailloisde l’Académie française

    Ponce Pilate

    Gallimard

  • © Éditions Gallimard, 1961.

  • Roger Caillois naît à Reims le 3mars 1913. Élève brillant, ilest reçu à l’École normale supérieure en 1933, passe sonagrégation de grammaire et suit, entre autres, les cours deGeorges Dumézil à l’École pratique des hautes études. Aprèsavoir un moment fréquenté les surréalistes, il se lie avecMichel Leiris et Georges Bataille, avec qui il dirige le Collègede sociologie de 1937 à 1939, et publie deux essais :Lemythe etl’homme et L’homme et le sacré. Durant la guerre, il séjournechez l’écrivain Victoria Ocampo en Argentine où il fonde larevue Les Lettres françaises et l’Institut français de BuenosAires. À son retour, il crée « LaCroix du Sud », une collectionde littérature sud-américaine chez Gallimard ; le premiertitre qui paraît en avril 1951 est Fictions de Jorge Luis Borges.À partir de 1948, il dirige la division des lettres, puis dudéveloppement culturel, à l’Unesco. En 1952, il fonde larevue internationale Diogène dont il est le rédacteur en chef.Il publie de nombreux ouvrages importants (Anthologie dufantastique, Les jeux et les hommes, Méduse et Cie, Pierres…) eteffectue de nombreux voyages en Europe, Amérique et Asie.Cases d’un échiquier paraît en 1970. L’année suivante, RogerCaillois est élu à l’Académie française.

    Il prend sa retraite de l’Unesco,mais continue à s’occuperde Diogène, malgré des problèmes de santé, et écrit encore

  • beaucoup. Son autobiographie fantasmée, Le fleuve Alphée,paraît enmars 1978. Frappépar unehémorragie cérébrale, ilmeurt le 21 décembre 1978 et est enterré au cimetièreMontparnasse.

    Sonœuvre, qui doit beaucoup à l’exploration des mondespoétiques de l’imaginaire et du fantastique, constitue unapport essentiel et parfaitement original à la critique litté-raire et aux sciences humaines du e siècle.

  • Alenae non alienae

  • Chapitre I

    À l’aube, Pilate fut averti presque en mêmetemps de l’arrestation de Jésus et de la pré-sence d’Anne et de Caïphe qui demandaient àl’entretenir d’urgence, mais hors du prétoire,puisque leur religion leur interdisait decontracter la moindre souillure un jour saint.Pilate, qui occupait sa charge depuis plusieursannées, n’en continuait pas moins d’être exas-péré par de pareilles prétentions. Il était pour-tant contraint d’y céder. Ses ennuis les plusgraves étaient venus de pareils conflits avec lefanatisme de la population. Dans l’affaire desenseignes il avait finalement cédé. Dans cellede l’aqueduc, il avait tenu bon, mais il y avait eudes morts et des blessés. Récemment, quandles Juifs avaient voulu qu’il retirât les boucliersportant le nom de César de l’ancien palaisd’Hérode où il les avait fait suspendre, il avait

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  • recouru à la force d’inertie. Les Juifs s’étaientplaints à Tibère et l’Empereur avait désavouéPilate qui, la mort dans l’âme, avait dû enleverles emblèmes litigieux. Pilate était demeuréblessé par cette décision. Il avait voulu affichersur les murs de sa résidence la souveraineté deCésar et César, écoutant les doléances de lapopulation soumise plutôt que de soutenir sonreprésentant, lui avait commandé de faire dis-paraître des murs, avec son propre nom, lamarque de la puissance romaine.

    Les instructions de Rome étaient formelles :respecter autant que possible les croyances etles coutumes indigènes. Pilate voyait là unesorte de démission inexcusable. Instruit parl’expérience, il redoutait que l’incident de lanuit passée lui apportât à la fin une nouvellehumiliation. En tout cas, il lui était pénible etil lui paraissait grotesque d’accepter que desvaincus, fussent-ils prêtres, pussent obliger lereprésentant de l’Empereur à les recevoir ail-leurs que dans les salles où il s’acquittait nor-malement de ses fonctions. Il s’en voulait dese plier à des fantaisies superstitieuses, dont,à Rome, il ne se serait pas gêné pour raillerouvertement l’équivalent. Ce n’était pas, de sapart, mépris de Romain pour les Orientaux ou

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  • de conquérant pour les occupés, mais révoltede philosophe contre la crédulité humaine. ÀRome, rien ne l’empêchait de se moquer desaugures ou de sourire des interdits séculairespesant sur le flamine de Jupiter. Dans cesconditions, il supportait mal de ne pouvoir trai-ter, à Jérusalem, la religion juive avec la mêmedésinvolture qu’il faisait, à Rome, la religionromaine. Cette servitude politique l’indignait.En outre, représentant de Tibère, il incarnaitévidemment l’ordre, la raison et la loi, la justiceet le pouvoir. Il souffrait que les directivesreçues fussent absurdes au point que, pour évi-ter les heurts, qui d’ailleurs ne pouvaient man-quer de se produire de temps en temps, il dûtconsentir à des simagrées. Si Rome apportaitla civilisation et la paix, il était indigne d’elleque, par opportunisme, elle s’inclinât devantchaque usage imbécile. Mieux valait dans cecas être resté dans l’enceinte des Sept Collineset n’avoir jamais conquis ni l’Italie ni lemonde.

    Amer et résigné, Pilate fit dire aux déléguésdu Sanhédrin qu’il les rejoindrait sans tarder.Puis il écouta le rapport sur l’échauffourée dela veille, où il trouva de nouveaux sujets demécontentement. Il suspectait dès l’abord cette

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  • troupe disparate armée de glaives et bâtons,éclairée de torches et de lanternes, allant sansmandat et la nuit s’emparer d’un prédicateurqui n’était pas régulièrement inculpé. Avait-onvoulu par hasard le placer devant le fait accom-pli ? Encore s’il s’agissait d’une rixe fortuite,d’une bagarre impromptue, comme la nervo-sité de la populace en provoque fréquemment.Mais le complot paraissait clair. La présence simatinale d’Anne et de Caïphe dénonçait assezles auteurs de la machination.

    D’autre part, Pilate s’était fait depuis long-temps expliquer le sens du mot Messie et cen’était pas la première fois qu’il entendaitparler de celui-ci. Il avait son opinion sur leproblème. La chose lui paraissait en soi extrava-gante, mais les messies ne tombaient assuré-ment pas sous le coup des lois romaines. Ilestimait même que c’était bien la faute desJuifs, si périodiquement un exalté se proclamaitle Messie. Ils ne cessaient de parler de lui etd’attendre sa venue. De toute évidence, un telespoir entretenait une tentation permanentetant pour les imposteurs que pour les illuminésde bonne foi. En outre, à quels indices devait-on reconnaître le vrai Messie ? Aucun critèreprécis n’était prévu pour le distinguer des can-

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  • didats suspects ou indésirables. Comment, dansce cas, les Juifs ne se seraient-ils pas trouvésembarrassés chaque fois qu’un simple d’espritou un habile homme, se donnant pour l’Ointdu Seigneur, s’avisait de reprocher aux richesleur opulence, aux prêtres leur fourberie ?Pilate pensait alors avec une indulgence subiteaux procédures qui présidaient au choix desflamines ou à l’intronisation du Grand Pontife.Superstitions pour superstitions, il préféraitdécidément les mieux réglées, celles qui lais-saient le moins de place à l’arbitraire, à laconfusion et auxmauvaises querelles.

    Il haussa les épaules et écouta avec amuse-ment les parties pittoresques de la relation :l’histoire de l’oreille coupée par Simon Pierreet recollée par miracle, l’allusion aux douzelégions d’anges qu’on prétendait que le Messiepouvait faire descendre du ciel sur-le-champ.Pilate, heureux de retrouver un folklore quilui était devenu familier depuis qu’il était enposte en Judée, sentit fondre son inquiétude. Ilcomprenait qu’il ne valait pas la peine de s’alar-mer outre mesure. L’affaire, toute de routine,serait sans doute réglée rapidement au coursd’un bref colloque avec Anne et Caïphe. Sur cepoint, Pilate se faisait des illusions. C’est qu’il

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  • n’était pas un fonctionnaire zélé. Il était opti-miste par paresse, alors qu’il convient à l’hommepolitique de l’être seulement par calcul, ou plu-tôt de feindre de l’être, pour écarter d’embléeles difficultés inutiles ou pour essayer de hâterla solution des problèmes. L’optimisme chezPilate n’était pas tactique, mais issu spontané-ment de son horreur des complications.

    Dans un déambulatoire, hors de l’enceintedu tribunal et des bureaux, le Procurateur,détendu et presque désinvolte, salua d’abordAnne, qui n’avait cependant aucun titre offi-ciel, puis, paraissant s’apercevoir de la pré-sence de Caïphe, lui adressa du bout des lèvresune banale formule de bienvenue. Cet ordrede préséance, qui donnait à Anne la premièreplace, avait pour but de placer l’entretien surun plan en quelque sorte privé : Pilate recevaitAnne, personnalité distinguée, quoique dépo-sée par le précédent procurateur, et Anne setrouvait, sans doute par hasard, accompagnéde son beau-fils, président du Sanhédrin. NiAnne ni Caïphe ne furent dupes de la manœu-vre. Ils expliquèrent aussitôt à Pilate l’objet deleur visite qui, comme il pouvait s’en douter,n’était pas de simple courtoisie. Le Sanhédrin,en séance plénière, avait condamné Jésus à

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  • mort. Les Soixante et Onze attendaient quel’autorité romaine ratifiât sans tarder le verdict,formalité indispensable sans doute, mais qui nedevait prendre que peu de temps. Après quoi,le Conseil serait reconnaissant au Procurateurde faire procéder, dans la journée même, à lacrucifixion du prétendu Messie.

    Pilate répondit que rien n’était pressé. Puis ildemanda si les Soixante et Onze s’étaient réel-lement réunis, car il avait cru comprendre quecette assemblée n’était convoquée que pourdécider des affaires les plus graves et celle-cimanifestement n’en était pas une. D’autre part,quelle promptitude ! L’arrestation ne dataitque de la nuit, on était à l’aube, et déjà lacondamnation était prononcée et l’exécutionrequise sans délai.

    Caïphe énuméra dans l’ordre les cas où laprésence de tous les membres du Sanhédrinétait de rigueur : affaire concernant l’ensembled’une tribu, ou un faux prophète, ou le GrandPrêtre, ou une déclaration de guerre, oul’agrandissement de Jérusalem, ou un change-ment important dans le plan de la ville. Jésus deGalilée était un faux prophète. C’était doncaux Soixante et Onze, et non à la section pénaledu Grand Conseil, que la décision appartenait.

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  • Celle-ci avait été prise. C’était la mort. Mais leProcurateur n’ignorait certainement pas quetoute peine de mort devait être confirmée parle pouvoir romain. C’est pourquoi Caïphe, pré-sident du Grand Conseil, venait solliciter sonapprobation. Si Anne, son beau-père, l’accom-pagnait, c’était pour signifier qu’il appuyaitd’un prestige unanimement reconnu le verdictde la plus haute instance de la communautéjuive, à laquelle Rome avait toujours accordé ledroit de régler ses affaires intérieures en touteindépendance et conformément à sa législa-tion propre. Mais puisque Rome, d’autre part,s’était réservé le monopole des causes capitales,il était nécessaire que son représentant décidâten dernier ressort, dès qu’il s’agissait d’unecondamnation à mort. Le Grand Conseil, il estvrai, ne comprendrait pas un refus, lequel seraitcontraire à l’autonomie judiciaire qui lui avaitété solennellement consentie. Caïphe deman-dait respectueusement, mais fermement, lecontre-seing du Procurateur.

    Pilate avait recommandé lui-même à l’admi-nistration centrale cette mesure restrictive qui,dans son esprit, devait lui servir à limiter lesexactions du fanatisme. Aujourd’hui, il endécouvrait les inconvénients. Pour se débarras-

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  • ser d’un gêneur trop populaire à leur gré, lesdocteurs et les scribes, sous couvert de respec-ter la législation, transféraient l’odieux de sonsupplice sur le pouvoir romain, que l’inculpén’importunait nullement. La rouerie dont ilétait menacé, irrita Pilate d’autant plus quec’était une de ses initiatives qui la rendait pos-sible. Il résolut de jouer au plus fin.

    Il avait deux arguments en réserve. En pre-mier lieu, il pouvait soutenir que, contraire-ment à la thèse du Sanhédrin, le Procurateur,responsable exclusif des exécutions capitales,n’était nullement tenu d’approuver systémati-quement chaque sentence prononcée par lesjuridictions indigènes : il se devait de procéderà une instruction nouvelle, de dire la justice surla base de celle-ci et de prendre ensuite les dis-positions utiles à l’application de la peine.D’autre part, il croyait savoir que le Messie étaitGaliléen. Dans ce cas, il relevait normalementdes tribunaux d’Hérode, tétrarque de Galilée.Or celui-ci, par bonheur, se trouvait présente-ment à Jérusalem.

    En conséquence, Pilate, moins par convic-tion que pour défendre le principe des préro-gatives du pouvoir romain, annonça qu’il seréservait d’examiner les actes reprochés au

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  • Prophète à la lumière des lois qu’il était chargéd’appliquer ; mais que, préalablement, il luiparaissait régulier et courtois de le faire com-paraître devant Hérode, tétrarque du royaumedont le prévenu était originaire. Ce renvoine prendrait que quelques heures, puisqueHérode se trouvait précisément dans la ville.

    Il se leva pour mettre fin à l’audience. Ilsavait, et les Grands Prêtres le savaient aussi,qu’Hérode, fils d’un roi qui devait sa couronneà la faveur romaine, et en outre de descen-dance iduméenne, n’épouserait pas volontiersune querelle purement juive. Anne et Caïphetentèrent de protester. Pilate les interrompitavec hauteur : « Ce que j’ai dit, est dit. » Il quittala galerie sans même prendre congé.

    Une heure plus tard, un message du Sanhé-drin lui était remis. Le Conseil insistait sur lefait que l’agitateur, en se prétendant « roi desJuifs », portait atteinte à la souveraineté deCésar. L’affaire, dans ces conditions, n’était pasmoins politique que religieuse, de sorte que leProcurateur s’y trouvait directement intéressé.À supposer que le Prophète n’eût pas contre-venu aux lois romaines, ce qui n’était nul-lement assuré, le représentant de César nepouvait certainement pas déclarer innocent un

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  • usurpateur en puissance. S’y risquant, il prenaitlà une décision grave, dont le Sanhédrin étaitcontraint de lui laisser toute la responsabilité àl’égard de Rome. Probablement, le propréteurde Syrie, auquel Pilate devait se référer pour lesaffaires importantes, aurait de ses devoirs uneidée différente, plus stricte peut-être.

    Le chantage était manifeste. Ce n’était pas lapremière fois que les prêtres y recouraient.Seulement, cette fois, le danger était certain.Lors de l’affaire des boucliers, c’était parVitellius que les Juifs avaient transmis leur sup-plique à Tibère et c’est Vitellius qui avait com-muniqué à Pilate le désaveu de l’Empereur.L’attitude que le propréteur de Syrie adopte-rait dans cette nouvelle querelle n’était pas dif-ficile à présumer. Pilate se réjouit d’avoir rejetésur Hérode la responsabilité d’une affaire quis’annonçait épineuse.

    En fait, Pilate prenait une fois de plus sessouhaits pour la réalité. Il était exact quele Galiléen se prétendait roi des Juifs etqu’Hérode devait normalement s’offusquer dela prétention, mais le tétrarque était trop avisépour se compromettre dans une affaire quiregardait d’abord les Juifs et les Romains, etoù les monarques de paille, tels que lui, ne

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  • pouvaient que perdre. Il n’hésita donc pas :bientôt, une garde de légionnaires ramena auprétoire le Messie dans la robe blanche desinnocents. Des innocents, dans les deux sensdu terme : ceux qui n’étaient pas coupables etceux qui n’avaient pas leur raison. Un messageinformait Pilate qu’Hérode avait demandé auprisonnier d’accomplir un miracle pour preuvede sa divinité. Jésus était resté silencieux. Pilatefut déçu de voir sa manœuvre déjouée. Ilestima étrange, puis, à la réflexion, fort habiled’exiger du Prophète un miracle. On ne pou-vait plus élégamment, lui sembla-t‑il, débou-ter un Messie de ses prétentions. Au mêmemoment, une réminiscence de ses lecturesanciennes lui traversa la mémoire : «Dieu, quine fait pas de miracle en vain et qui n’en doit àpersonne. » Décidément, ces sophistes avaientréponse à tout…

    Le Procurateur n’en demeurait pas moinsdécidé à résister au Sanhédrin. Jésus, il va desoi, lui importait peu. D’après ce que savaitPilate, l’homme en tout cas valait mieux que sespersécuteurs. Il était haï par ceux que Pilatedétestait le plus : des fanatiques que la sagesseet la tolérance des philosophes de la Grèce neconvaincraient sans doute jamais. Rien que

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    CouvertureTitreCopyrightL'auteurDédicaceI. Les prêtres