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Rencontre avec les auteurs : Karine Tuil lycée H. Parriat Montceau-les-Mines Goncourt des Lycéens roman d’apprentissages « Ce prix Goncourt est pour nous une expérience unique, magique, pleine de surprises car nous ne nous attendions pas à être si proches des écrivains, à pouvoir leur parler, à échanger avec eux sur leur roman. » Ce témoignage de Tamara, une élève de 2 nde 3 du lycée H. Parriat de Montceau-les-Mines, résume une aventure de deux mois de lectures qui s’est soldée le 14 novembre par l’attribution du 26 e Prix Goncourt des Lycéens à Sorj Chalandon, auteur du Quatrième mur. Le 8 octobre, à la Fnac de Lyon, la classe de 2 nde 3 se rend au forum Goncourt pour rencontrer neuf des quatorze auteurs de la sélection 2014. Public nombreux, rituel sagement préparé des questions et des réponses. La conviction de l’auteur du Quatrième mur, futur lauréat de la 26 e édition, suscite d’ailleurs un engouement prémonitoire. « J’ai beaucoup aimé comment Sorj Chalandon a défendu son roman, se souvient Tamara. C’est pour cela que nous n’avons pas hésité à l’applaudir. » C’est cependant en marge de l’événement officiel qu’a lieu la véritable rencontre. Au moment du départ, les élèves reconnaissent quelques écrivains qui attendent leur taxi dans la rue. Profitant de l’aubaine, ils leur demandent une dédicace pour leur journal de bord. Au cours de ces « instants volés », comme les qualifie Yves Leblanc, le professeur principal qui accompagne sa classe, le dialogue se noue et les masques tombent. « Karine Tuil m'a impressionnée car sur la quatrième de couverture de L'invention de nos vies il y a une photo d'elle qui semble agressive mais en réalité c'est une femme très douce », commente une élève. Pour parvenir à cet instant privilégié où la figure de l’écrivain se trouve à la fois démystifiée et réenchantée, il aura fallu susciter l’engouement des élèves et l’ engagement des enseignants sur une période aussi dense que brève : quelques semaines de lectures intensives les uns, plusieurs mois de préparation et d’organisation pour les autres. L’aventure commence un an auparavant. Brigitte Burlier, professeure de français, a déjà fait participer ses élèves à différents dispositifs culturels. C’est le désir de sensibiliser ses élèves à la littérature d’aujourd’hui, souvent reléguée à la marge des programmes officiels, qui lui donne envie de s’inscrire au Prix Goncourt des Lycéens. Bien consciente que l’ampleur de la tâche requiert un soutien, elle sollicite ses collègues, suscitant l’adhésion des uns et les réserves de certains autres. En effet, le prestige intimide et la difficulté des romans sélectionnés par l’académie Goncourt fait peser un soupçon d’élitisme sur le Prix.

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Rencontre avec les auteurs : Karine Tuil

lycée H. Parriat – Montceau-les-Mines

Goncourt des Lycéens

roman d’apprentissages

« Ce prix Goncourt est pour nous une expérience unique, magique, pleine de surprises car nous ne nous

attendions pas à être si proches des écrivains, à pouvoir leur parler, à échanger avec eux sur leur roman. » Ce

témoignage de Tamara, une élève de 2nde 3 du lycée H. Parriat de Montceau-les-Mines, résume une aventure de

deux mois de lectures qui s’est soldée le 14 novembre par l’attribution du 26e Prix Goncourt des Lycéens à Sorj

Chalandon, auteur du Quatrième mur.

Le 8 octobre, à la Fnac de Lyon, la classe de 2nde 3 se rend au forum Goncourt pour rencontrer neuf des quatorze

auteurs de la sélection 2014. Public nombreux, rituel sagement préparé des questions et des réponses. La conviction

de l’auteur du Quatrième mur, futur lauréat de la 26e édition, suscite d’ailleurs un engouement prémonitoire. « J’ai

beaucoup aimé comment Sorj Chalandon a défendu son roman, se souvient Tamara. C’est pour cela que nous

n’avons pas hésité à l’applaudir. »

C’est cependant en marge de l’événement officiel

qu’a lieu la véritable rencontre. Au moment du

départ, les élèves reconnaissent quelques

écrivains qui attendent leur taxi dans la rue.

Profitant de l’aubaine, ils leur demandent une

dédicace pour leur journal de bord. Au cours de

ces « instants volés », comme les qualifie Yves

Leblanc, le professeur principal qui accompagne sa

classe, le dialogue se noue et les masques

tombent.

« Karine Tuil m'a impressionnée car sur la quatrième de couverture de L'invention de nos vies il y a une photo d'elle

qui semble agressive mais en réalité c'est une femme très douce », commente une élève.

Pour parvenir à cet instant privilégié où la figure de l’écrivain se trouve à la fois démystifiée et réenchantée, il aura

fallu susciter l’engouement des élèves et l’ engagement des enseignants sur une période aussi dense que brève :

quelques semaines de lectures intensives les uns, plusieurs mois de préparation et d’organisation pour les autres.

L’aventure commence un an auparavant. Brigitte Burlier, professeure de français, a déjà fait participer ses élèves à

différents dispositifs culturels. C’est le désir de sensibiliser ses élèves à la littérature d’aujourd’hui, souvent reléguée

à la marge des programmes officiels, qui lui donne envie de s’inscrire au Prix Goncourt des Lycéens. Bien consciente

que l’ampleur de la tâche requiert un soutien, elle sollicite ses collègues, suscitant l’adhésion des uns et les réserves

de certains autres. En effet, le prestige intimide et la difficulté des romans sélectionnés par l’académie Goncourt fait

peser un soupçon d’élitisme sur le Prix.

Page 2: roman d’apprentissages - ac-dijon.fr

Néanmoins, de telles réticences ne sont pas de nature à tempérer l’enthousiasme de cette enseignante qui, avant

d’intégrer l’Education nationale, a travaillé pendant vingt ans à la Protection judiciaire de la jeunesse. De fait, les

élèves de la classe de Seconde pressentie pour participer au Goncourt correspondent en tout point à la population

accueillie au lycée de Montceau-les-Mines : « public hétérogène », milieu souvent modeste, voire défavorisé. En juin

2013, la candidature de l’établissement, dont le volet culturel témoigne de l’implication de l’équipe pédagogique, est

soutenue par le proviseur et validée par la DAAC du rectorat.

Commence alors une période de préparation qui s’étendra bien au-delà du mois de juin : réunion nationale

d’information à Paris, contacts avec l’équipe de coordination du Goncourt des lycéens, et surtout, réflexion sur les

stratégies à mettre en place afin d’aider les futurs élèves à relever le défi qui les attend dès leur arrivée au lycée. En

effet, peut-être plus encore que pour des dispositifs analogues, une des clés de réussite du Goncourt réside moins

dans la définition de l’opération que dans la façon dont l’on s’en saisit, en cohérence avec des objectifs définis et en

accord avec la réalité du « terrain ».

« Pourquoi nous ? »

Le jour même de la rentrée, les trente élus de 2nde 3

apprennent qu’ils seront les seuls participants de

Bourgogne au fameux Prix Goncourt des Lycéens. Un

privilège dont certains feraient volontiers l’économie :

« Au début, les élèves étaient atterrés », rappellent

Maud Bey et Anne Lamborot. Motivées par le défi, ces

deux conseillères principales d’éducation se sont

associées à l’équipe enseignante pour lancer les

lectures. « Un travail d’approche sur les titres a permis

d’aborder la sélection. Après la phase d’intimidation, la

phase de motivation a été déclenchée par une dizaine

d’élèves, surtout des filles, qui se sont investies et ont

entraîné les autres avec elles. »

Le travail de sensibilisation est initié pendant les heures d’accompagnement

personnalisé, qui sont entièrement consacrées au suivi du dispositif. Ce choix

permet à d’autres enseignants, comme Fabienne Trombetta, de participer à

ces deux mois de lectures de différentes manières, allant de l’échange avec les

élèves sur les premières de couverture à la lecture à voix haute de certains

passages. Le moment que retiendra cette professeure d’espagnol est de se

« pencher par dessus les épaules des élèves et les voir écrire leur article ».

Pour elle, le Goncourt des lycéens est à la fois une immersion dans un univers

littéraire et une prise de recul par rapport à la lecture, dans un jeu subtil où le

rôle de l’enseignant consiste à la fois à favoriser un rapprochement avec

l’œuvre et une mise à distance par rapport à son impression immédiate.

Ouvrir l’école

Pour Yves Leblanc, qui a pris une part active dans l’élaboration et le lancement du projet, le Goncourt permet de

« parler d’autre chose au lycée ». Entre l’accompagnement et ses cours d’ECJS, le professeur d’histoire-géographie

Rentrée des élèves, rentrée littéraire : lancement du PGL

Y. Leblanc en plein débat avec une élève

Page 3: roman d’apprentissages - ac-dijon.fr

Brigitte Burlier échange avec une mère d’élève et sa fille

passe trois heures hebdomadaires à faire lire et à faire parler ses élèves de leurs lectures d’où, au fil des semaines,

émergent des thèmes récurrents faisant écho à des enjeux contemporains. On perçoit chez ce lecteur chevronné une

volonté tenace d’ouvrir ses élèves, et peut-être plus largement l’école, vers le grand dehors.

Pour Brigitte Burlier, qui a naturellement intégré

l’étude d’extraits de la sélection Goncourt dans sa

progression sa progression pédagogique sur le roman

et la nouvelle, le Goncourt semble répondre à une

autre passion : celle de donner, littéralement, la parole

à ses élèves. Comme par un fait exprès, le jour même

de l’apéritif littéraire où les lycéens sont invités à

s’exprimer sur leurs lectures, cette enseignante de

littérature se retrouve complètement aphone. Par un

effet de transmission assez remarquable, cette

extinction de voix paraît stimuler chez ses élèves un

évident souci de maîtriser une expression non

seulement correcte mais aussi précise de leur pensée.

Le 17 octobre au soir, en dehors du cadre des cours, les élèves reviennent au lycée pour débattre de leurs lectures,

mais cette fois avec leurs enseignants et leurs parents. En effet, les familles ont été associées à l’opération dès son

lancement en étant conviées lors d’une cérémonie inaugurale présidée par Marc Aubert, le nouveau proviseur, en

présence du maire de Montceau-les-Mines. Cinq semaines plus tard, cet apéritif littéraire confirme le

rapprochement intergénérationnel suscité par le Prix. Une volonté d’ouvrir la littérature à tous, au-delà des

disciplines, des classes, des différences d’âge et de statut –tendance déjà manifeste dans le phénomène de bouche à

oreille qui s’est développé dans le lycée, et amplifié au-delà par une importante couverture médiatique.

« Ca nous manquera quand ce sera terminé ! »

De l’accablement des débuts face à la somme de pages à

lire, les élèves seront passés progressivement à une autre

l’angoisse : celle de la fin d’une expérience unique.

Entretemps, tous seront entrés dans la lecture même si

certains n’en avaient pas ou plus l’habitude. Un élève

confesse même : « C’est la première fois que je lis un

livre ». La motivation se traduit notamment par le nombre

de candidatures pour accéder au rôle envié de délégué de

la classe Goncourt. En effet, postuler pour cette fonction

enviée requiert la lecture de l’intégralité de la sélection.

Afin de conjurer la possible retombée de l’effet Goncourt », Brigitte Burlier anticipe les prolongements à apporter à

l’opération, une fois le prix attribué. Elle a déjà obtenu l’accord de principe de l’association rennaise Bruit de Lire

pour appuyer ses démarches afin d’inviter au lycée des auteurs de la sélection 2013, ou même quelques grands

noms du journalisme littéraire. En attendant, les romans circulent et les lectures suivent leur cours.

Emmanuel Freund – novembre 2013 crédits photo : E. Freund et Y. Leblanc

Le Goncourt ou comment lire à tête reposée ?