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révolution du marché des produits biologiques : tendances et perspectives par Bertil Sylvander INRA Toulouse 1. Introduction L'agriculture et la filière biologique vont-elles se développer ? Quels types de techniques, de systèmes de production, de produits, de certifications vont dominer dans l'avenir ? Ces questions intéressent aujourd'hui aussi bien les responsables administratifs que les opérateurs économiques, au premier rang desquels se trouvent les agriculteurs. Les investissements que supposent le développement et/ou la re- conversion entraînent des risques importants qu'il leur faut adapter aux perspectives du marché. La situation actuelle est en effet étrange. Après presque un siècle de marginalité et de ténacité, l'agriculture biologique est aujourd'hui reconnue par de nombreux Etats en Europe et par la Communauté européenne elle-même depuis juin 1991. Elle y est parée de nombreuses vertus, dont celle d'aider à lutter contre la désertification, la paupérisation de régions entières et... les excédents agricoles. On sait qu'elle est bien perçue par l'opinion publique : de nombreux consommateurs, dits « potentiels », achèteraient des produits biologiques s'ils étaient disponibles. Beaucoup d'entreprises sont donc tentées de « prendre leurs marques ». Elles gardent cependant une attitude prudente : la production agricole reste encore faible, les qualités ne sont pas encore vraiment adaptées à la demande moderne ; les coûts et les prix encore trop élevés freinent le développement de la consommation. Dans cette situation de cercle vicieux, ou de « pompe en attente d'être amorcée », l'initiative de Monoprix,

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révolution du marchédes produits biologiques :tendances et perspectives

par Bertil SylvanderINRA Toulouse

1. Introduction

L'agriculture et la filière biologique vont-elles se développer ? Quels types de techniques, de systèmesde production, de produits, de certifications vont dominer dans l'avenir ? Ces questions intéressentaujourd'hui aussi bien les responsables administratifs que les opérateurs économiques, au premier rangdesquels se trouvent les agriculteurs. Les investissements que supposent le développement et/ou la re-conversion entraînent des risques importants qu'il leur faut adapter aux perspectives du marché.La situation actuelle est en effet étrange. Après presque un siècle de marginalité et de ténacité,l'agriculture biologique est aujourd'hui reconnue par de nombreux Etats en Europe et par laCommunauté européenne elle-même depuis juin 1991. Elle y est parée de nombreuses vertus, dontcelle d'aider à lutter contre la désertification, la paupérisation de régions entières et... les excédentsagricoles. On sait qu'elle est bien perçue par l'opinion publique : de nombreux consommateurs, dits« potentiels », achèteraient des produits biologiques s'ils étaient disponibles. Beaucoup d'entreprisessont donc tentées de « prendre leurs marques ». Elles gardent cependant une attitude prudente : laproduction agricole reste encore faible, les qualités ne sont pas encore vraiment adaptées à la demandemoderne ; les coûts et les prix encore trop élevés freinent le développement de la consommation. Danscette situation de cercle vicieux, ou de « pompe en attente d'être amorcée », l'initiative de Monoprix,

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qui, en 1990, a ouvert un rayon de fruits et légumes bio, peut jouer un rôle de déblocage et avoir uneffet fort positif sur la filière. D ne reste plus qu'à produire... Si on avançait il y a quelques années lechiffre de 4 500 agriculteurs bio, on en compte aujourd'hui 3 150. Il ne s'agit probablement pas d'unerégression de la bio, mais d'une plus grande rigueur dans le comptage de ce qui est bio et de ce qui nel'est pas, une sorte de « remise en ordre » avant la grande offensive... Dans cette veillée d'armes, on araison de s'interroger sur les perspectives du marché.La bio « pure et dure », que nous dénommerons « biologique écologique » peut, selon nos calculs et àcertaines conditions, escompter 2,25% de part de marché en l'an 2000.Dans cet article, nous montrerons que le marché potentiel existe et nous justifierons notre estimation.Ceci dit, nous voudrions tout de suite, et au sujet des perspectives de la bio dans l'avenir, soulignertrois idées importantes.La première est que ce marché ne se manifestera pas de lui-même. Comme une photo, il a besoin d'unrévélateur. En l'occurrence, ce sont les investissements et les politiques commerciales pertinentesadoptées dans l'avenir qui pourront jouer ce rôle... Nos estimations sont donc soumises à l'hypothèseque le révélateur aura joué. La seconde est que nous raisonnons dans le cadre de l'économie de marchételle qu'elle est aujourd'hui, c'est-à-dire de plus en plus marquée par les créneaux et les micro-marchés.Mais si les contraintes de l'écologie se combinent à moyen terme aux tendances de l'économie, c'est àdire que les problèmes écologiques sont suffisamment graves pour remettre ces tendancespartiellement en cause, la bio pourrait obtenir une part bien supérieure. La troisième idée est que lemarché de la bio se segmentera et que l'on verra inévitablement apparaître des produits« intermédiaires » entre le bio et les produits courants. Nous les appellerons « produits à imagebiologique ». De nombreux opérateurs, agriculteurs engagés dans la lutte intégrée ou transformateursdécidés à exploiter le créneau du naturel, sont décidés à aller dans ce sens. Cette évolution fait à notresens partie de l'analyse et il est important de l'y inclure. Cela peut représenter entre 6 et 7 % dumarché.

2. Quelques données globales sur le marché

On ne dispose pas de statistiques vraiment fiables sur le marché de la bio. Si la Fédération nationaledes agriculteurs biologiques (FNAB) avançait en 1984 le chiffre de 1% de la production agricole, ilimporte aujourd'hui de relativiser à la baisse une telle estimation. L'Association nutrition et dévelop-pement (AND), dans sa récente étude (AND, 1991), donne des parts de marché pour chaque pays de

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l'Europe des Douze. Pour les plus grands pays, ils s'échelonnent entre 0,1% pour l'Italie et 0,8% pourl'Allemagne, en passant par 0,2% pour la France et 0,3% pour le Royaume-Uni. Ces chiffres eux-mêmes font l'objet de variations de la part des observateurs dans chaque pays. Ainsi au Royaume-Uni,le marché est estimé à 80 millions de £ (1 £ valant à peu près 10 F) par le cabinet d'étude Mintel (deLondres) en 1990 et à 100 millions de £ par EIU (autre organisme londonien). Selon les chiffres deconsommation totale auxquels on se réfère, la part globale va de 0,3 à 0,11%, résultat qui me semblele plus probable.En France, nous ne disposons pas encore de système statistique apte à mesurer ce marché. On ne peutque se référer à des études par sondage. En céréales, P. Sivardière estimait le marché de 0,1 à 0,2% en1990. L'enquête VPI-INRA en 1991 évalue la récolte céréalière à 40 000t pour la consommation hu-maine, produisant 9 800 t de farines, ce qui représente 0,13% du marché à la production et 0,25% dumarché des farines. Dans le secteur des fruits et légumes, nous l'estimons, au ternie d'une étude de lafilière, à 1,8% au stade de la première mise en marché et à une fourchette de 1,1 à 1,4% au stade final(Foucault, 1991). A titre de comparaison, Leatherhead Food R.A. (1991) attribue, au Royaume-Uni,une part de 1,4% aux fruits et légumes, de 0,1% aux céréales et de 0,13% aux vins.

La plupart des données montrent que le premier secteur est constitué par les fruits et légumes ; vien-nent ensuite les céréales, les huiles et le vin et, pour une très faible part, la viande et les produitslaitiers.Paradoxalement, l'audience de la bio est beaucoup plus étendue que ne le laissent supposer les parts demarché. Les diverses études de consommation que nous avons pu consulter montrent que la part deconsommateurs dits « réguliers » va de 3 à 13% selon les pays et celle des occasionnels de 23 à 53%.

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Lorsqu'on rapproche ces chiffres de la part del'alimentation consommée en bio, on doit lesrelativiser à la baisse. Ainsi, à Toulouse, lenoyau de consommateurs « réels » se ramèneà 1,5 à 4% selon les produits (épicerie : 1,5%,produits laitiers : 1,8%, pain : 2,8%, légumes :4%). Au niveau national et jusqu'à trèsrécemment, le seul chiffre fiable provenaitd'une enquête du Centre de recherche pourl'étude et l'observation des conditions de vie(CREDOC),faite en 1985, qui estimait à 2,7 %la part des consommateurs achetant du bio enréponse à une préoccupation de santé. Lespremiers résultats de notre étude la plusrécente, non encore publiée, situe à 3% l'achatrégulier de produits biologiques au niveaunational.

Le paradoxe entre les parts de marché et les nombres de consommateurs sensibilisés n'est qu'apparent.En effet, la bio dispose d'une excellente image, comme nous le verrons, et nombre de consommateursachètent « régulièrement » leur pain bio dans une boulangerie ou leurs fruits et légumes bio sur unmarché. Mais cette notion de fréquence est à considérer avec précaution ! On peut acheter régulière-ment des oeufs de Pâques sans pour autant en manger tous les jours (« régulièrement » signifiant iciune fois par an). Il en est de même pour le pain ou les fruits et légumes bio. De plus, dans ces deuxcas, qui sont les plus courants, il s'agit de produits de base, pour lesquels la bio s'est le plusdéveloppée. Or, il faut comparer les achats en bio à l'ensemble de la consommation alimentaire, quireprésente en 1991 environ 750 milliards de francs. Il y a donc loin de la déclaration d'une fréquencede consommation à la détermination d'une part de marché. D'autre part, si l'on replace la bio dans soncontexte qui est celui des marchés de « produits de qualité », une part de marché de 1% ne serait pasun résultat ridicule. Que l'on songe par exemple au fait que celle de l'ensemble du diététique, secteurdynamique et innovant, est de 1,5%. Ce que nous dirons plus loin des perspectives du marché est àmesurer à cette aune.

Abordons, pour terminer cette introduction, la question des perspectives du marché.

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Le cabinet EIU (1991) estime le marché eu-ropéen en 1995 à 8,2 milliards de £, par rap-port à 2,7 milliards en 1991, ce qui supposeun taux de croissance annuel de 25%. Dansle même temps la surface en bio passerait de776 000 à 2 262 000 ha. L'AND arrive à untaux de croissance équivalent, mais à unesuperficie d'1 million d'hectares. La part demarché qui en résulte selon l'AND se situe à2,5%, mais « une part de 15 % est possiblesi les règles du marché se modifient radica-lement ».La répartition par branche est indiquée autableau I I .Au Royaume-Uni, les prévisions sont assez optimistes : la mention « Soil association » (1990) avanceune part de marché de 20% en 1995. The Organic Farmers and Growers Association donne une prévi-sion plus modeste : 2 à 5%. Le cabinet Mintel estime pour sa part le marché à 650 millions de livres en1995, soit une croissance annuelle de 45% (*).En général, les prévisions présentent deux dangers. D'une part, elles véhiculent l'idée que le marché sedéveloppe indépendamment de l'action de promotion des principaux opérateurs, ce qui les déresponsa-bilisent. D'autre part, elles n'explicitent pas en général leur méthodologie. Pour ces deux raisons, noustenterons ici de présenter les conditions auxquelles le marché pourra se développer et de justifier nosprévisions.

3. Les facteurs de développement du marché

Les facteurs qui incitent à un développement du marché sont effectivement de deux ordres. Il existebien, en premier lieu, des tendances générales au développement de la bio, tendances qu'il fautconnaître et expliciter pour mieux les exploiter. D'autre part, répétons le, ce marché ne se révéleraqu'en fonction de ce qu'on aura fait pour le dynamiser, c'est-à-dire que son évolution dépend des poli-tiques de développement suivies. Parmi elles, nous voudrions ici expliciter les politiques de marketing.

3.1. Les atouts au niveau généralLa filière biologique dispose d'atouts sérieux pour son développement.a) Le premier est qu'un marché potentiel existe et qu'il n'est pas satisfait. Nous avons été les premiersà montrer dans notre enquête de 1985 (Sylvander et Mougin, 1986), que le marché compte 23% deconsommateurs occasionnels et 25% de consommateurs potentiels. Cela ne veut pas dire que la moitiédes Français vont être des exclusifs de la bio, mais qu'une bonne partie d'entre eux sont tout simple-ment sensibilisés et pourraient augmenter leurs achats. Quels sont les éléments qui en freinent le dé-veloppement ? Chez les occasionnels, la première raison est que le produit n'est tout simplement pasfacilement disponible dans les magasins (52% des raisons avancées) et la seconde que les prix sonttrop élevés (34,1%). Chez les potentiels, les chiffres sont du même ordre, avec un score plus marquésur les prix (38%). Au Royaume-Uni, la revue Wich ? (1990) arrive à 33% pour le manque de disponi-bilité et à 25% pour le prix. En Allemagne, Hamm et Böckenhoff avancent 52% pour le prix et seule-ment 16% pour la disponibilité, ce qui confirme que la bio est plus implantée dans ce pays.De nombreux gestionnaires d'entreprise citent des cas où la demande existe et où l'offre ne peut passuivre, ce qui n'exclut pas les cas où l'on constate une surproduction, car le marché met du temps à seconstituer et à s'organiser. Malgré ce phénomène, la réalité d'un marché potentiel est indubitable carelle concrétise une aspiration fondamentale des consommateurs modernes vers la sécurité et la santé.L'initiative de Monoprix de lancer un rayon fruits et légumes bio montre que, si on le solliciteconvenablement, ce marché potentiel s'exprime (voir plus loin).

(*) En nous référant aux statistiques de consommations au Royaume-Uni, nous déduisons une part de marché de 3,3% pour les fruits etlégumes, 2,18% pour les céréales, 1,5% pour les viandes.

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b) Le deuxième atout est qu'une filière bio existe, même si elle est encore embryonnaire. Des entre-prises agricoles, de transformation et de distribution travaillent depuis longtemps et ont acquis unsavoir-faire. Nous avons estimé le chiffre d'affaires « transformateur » à 2 milliards de francs pour 350entreprises (enquête VPI-INRA, 1991) (*). Elles sont liées (parfois trop !) aux institutions qui gèrent labio (organismes gestionnaires, Groupement des apiculteurs biologiques, etc.). Si cette professions'unifie et s'organise, elle se débarrassera des faiblesses chroniques de l'atomicité et capitalisera sesforces, qui sont considérables. Dans cette hypothèse, c'est à partir de ce noyau professionnel que sedéveloppera une filière complète, qui accueillera et structurera les nouveaux arrivants.c) Ces nouveaux arrivants, parfois redoutés des pionniers, qui pensent y perdre leur âme, sont suscep-tibles de dynamiser fortement la filière. Par exemple, la venue de Monoprix, dans un contexte de ca-rence chronique au niveau de la distribution, amène les opérateurs d'amont à s'organiser pour répondreà la demande et stimulent la concurrence. Ce faisant, ils acquièrent un professionnalisme indispensableet sécurisent leur propre amont. L'apprentissage des méthodes techniques et commerciales nouvellesjette les bases d'une croissance solide. La bio, devenue une barque à deux rames - conviction et ges-tion - cessera de tourner sur elle-même.d) Les politiques publiques tendent à favoriser son développement, non pas toujours par conviction,mais par intérêt bien compris. A l'origine de la reconnaissance, il y a le souci d'organiser un marchéqui existe et de protéger le consommateur. Cela peut s'assimiler à une politique de la concurrence et dela consommation. On peut ensuite, entre 1980 et 1988, identifier l'apparition à la direction desIndustries agricoles et alimentaires au ministère de l'Agriculture (DGAL) d'une politique agro-alimentaire qui complète celle des marchés globaux indifférenciés par une politique de créneaux surles multiples dimensions de la qualité, où le développement de la bio peut avoir sa place. Cet intérêtest renforcé plus récemment par une stratégie européenne en matière de qualité. Il est important eneffet pour la France de renforcer les définitions « horizontales » de la qualité (définitions basées surdes caractéristiques des produits et non sur les produits génériques). Or, dans la mesure où lesopinions publiques de nos partenaires sont sensibles à l'écologie, le combat de ces dernières annéespour arriver à une réglementation sur la bio fournit un précédent qui promeut la position française surles autres démarches de ce type (genre label ou appellation d'origine contrôlée - AOC).Au niveau européen, pas moins de quatre raisons se combinent pour aller dans le sens du dévelop-pement de l'agriculture biologique :- les disparités croissantes entre régions européennes incitent à formuler des politiques d'aide au dé-veloppement ;- Les menaces de la désertification rurale deviennent pressantes ;- la dégradation de l'environnement, due en partie à la généralisation du modèle intensif d'agricultureprôné par les politiques nationales et européennes, préoccupe de plus en plus les populations et lesgouvernants ;- des problèmes aigus de régulation des marchés agricoles sont de plus en plus insolubles, provoquéspar les gains de productivité et le soutien des prix au dessus de ceux du marché mondial. C'est peutêtre là financièrement l'origine la plus pressante de l'intérêt de Bruxelles pour les produits biologiques.L'orientation, même marginale, vers ces produits est susceptible de retirer du marché soutenu de coû-teux excédents.La plupart des mesures récentes au niveau de la politique agricole commune européenne (PAC) sontreliées à ces préoccupations et favorisent plus ou moins directement la bio.

(*) Voir le règlement sur la montagne et les zones défavorisées, le lancement des PIM (programmes intégrés méditerranéens), le livre vert de1985, qui lance le principe des aides aux investissements. Le règlement 797/85 instaure l'aide à la reconversion vers les productions nonexcédentaires et à la lutte contre la pollution. Cette politique est encore accentuée en 1987 (1760/87) orientée explicitement versl'extensification. En juin 1987, l'acte unique européen réforme les fonds structurels, de manière à ce qu'ils accompagnent plus efficacementune politique fondée sur un double souci : continuera accroître la productivité tout en sauvegardant une agriculture dans les zonesdéfavorisées. Le deuxième volet est donc destiné à corriger les effets négatifs du premier... Les objectifs et les missions des fonds structurelssont définis par le règlement 2052/88. Les objectifs 1 et 5b concernent directement la diversification : rattrapage des zones en retard dedéveloppement et promotion du développement des zones rurales (PDZR). Les actions à ce titre sont au nombre de cinq : diversification,extensification, pluriactivité, lutte contre la pollution, productions de qualité. Sans être explicitement nommés, les productions biologiquessont concernés par les cinq ! Pour une analyse complète de la politique européenne, voire Anne Glandières (1991).NDLR : Cet article, écrit en novembre 1991, ne tient pas compte des modifications récentes de la PAC.

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3.2. Parmi les politiques à engager : le marketingCompte tenu de cet environnement favorable, tout dépendra donc de la capacité des opérateurs de lafilière et des institutions qui ont en charge son développement à exploiter ces atouts. Cela supposeévidemment des politiques à tous les niveaux. En termes d'institution, ces politiques sont syndicales,interprofessionnelles, de formation, de promotion collective, etc. En termes d'entreprise, il s'agitd'investissements, de regroupements, de politiques commerciales. C'est sur ce dernier niveau que jevoudrais concentrer mon propos.

« Le marché de la bio » est une expression vide de sens si l'on ne se préoccupe pas de définir les typesde produits concernés et les segments de marché visés pour en déduire des politiques. Une telle ap-proche a un nom : il s'agit de l'approche marketing (*). En voici le premier principe :Un groupe de consommateurs donné doit trouver dans son magasin habituel ou l'équivalent, un produitqui correspond à son attente (en qualité) à un prix adapté.

(*) Ce terme est souvent critiqué par les esprits « purs et durs », car il évoque chez eux une « manipulation du consommateur par la toutepuissante publicité ». A notre sens, il est dommage de négliger ou de dévaloriser le marketing, car cela n'est qu'une technique de gestioncomme une autre qui permet d'analyser correctement un marché.

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II existe aujourd'hui sur le marché un grand nombre de types de consommateurs différents, en termesde niveau culturel, de catégorie sociale, de revenus, d'âges, de composition familiale, de région, detype d'habitat. Ces groupes (ou segments de marché) n'ont pas les mêmes attitudes, ni les mêmesattentes, ni les mêmes comportements. Pour chaque grand groupe de produits, les variantes ne sont pasles mêmes selon les segments. C'est pourquoi il est essentiel de définir les « couples produit-marché »,c'est-à-dire les produits et les segments.Nous nous attacherons par la suite à définir deux grands types de produits et de segments pour la bio età esquisser les directions à adopter en matière de marketing.

4. Les produits et les segments4.1. Les produits bio dans leur univers concurrentielLes produits biologiques ne sont pas seuls sur le marché. Ils sont en concurrence avec un grandnombre d'autres produits agro-alimentaires, qui, la plupart du temps, ne sont pas déconsidérés par laplupart des consommateurs. Les produits biologiques n'ont, bien entendu, rien à gagner à se comparerà n'importe quel produit. En revanche, il est fondamental de les replacer dans un ensemble de produitsqui sont perçus par le consommateur comme directement concurrents à des degrés divers, quelle quesoit l'opinion que l'on a sur ces produits.En voici quelques uns, classés par ordre de similitude (toujours du point de vue du consommateur) -j'appelle cet ensemble « l'univers du naturel » - : le bio, pur et dur (c'est à dire avec une mention ho-mologuée), les produits achetés en direct à l'agriculteur, les produits fermiers, les produits « propres »(issus de l'agriculture intégrée ou raisonnée), les produits dits « naturels », les produits diététiques, lesproduits sous label rouge, les AOC.Ces produits sont plus ou moins amalgamés selon les groupes de consommateurs. Les connaisseurs (lenoyau de consommation de chaque produit) ne les confondent pas, mais une grande majorité deconsommateurs font peu de différences entre eux.En termes de prix également, les produits sont comparés à leurs voisins, parfois à tort d'ailleurs. Ainsi,par exemple, le pain bio voisinera avec le pain complet, les pains de campagne, le pain au son, etc. Lecamembert bio avec le camembert AOC, le poulet avec le label rouge, le poulet de grain, l'achat direct.Pour traiter valablement des perspectives du marché, il faudra se résoudre à le faire en relation aveccelui des produits du même univers. Nous verrons plus loin que cela suppose de raisonner sur deuxsegments de marché : un segment « bio écologique » et un segment « à image biologique ». Le pre-mier est ainsi dénommé car c'est bien sur le mode de production qu'il se différencie le plus de sonconcurrent « à image biologique ». Il revendique un impact déterminant sur l'équilibre naturel en rai-son de son cahier des charges et doit en faire un avantage distinctif.

4.2. Les segments de marché et les consommateursAvant de décrire les groupes de consommateurs à qui la filière bio a affaire, il faut aborder leurs atti-tudes générales vis-à-vis du bio.a) Les attitudes générales- La première réalité est que l'agriculture biologique est relativement bien connue par le grand pu-blic. Selon notre enquête de 1985, faite dans le Sud-Ouest, 35,7% des consommateurs donnent une dé-finition spontanée exacte du produit bio et 21,3% en donnent une définition approchée. Daguet (1989)arrive pour ces deux notions à 27,5% et 10,8%, dans une région où l'agriculture biologique est moinsdéveloppée. La moyenne nationale pourrait donc se situer entre ces deux extrêmes, ce qui n'est pas simal, pour un produit qui n'a jamais profité de promotion de masse.

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Notons que cette notoriété augmente fortement chez les consommateurs réguliers, dans les catégoriessociales aisées et chez les jeunes (*). En revanche, auprès de consommateurs plus « populaires », laperception est beaucoup plus floue et donne lieu à des ambiguïtés. 44,2% des consommateurs consi-dèrent par exemple que le biologique et le « naturel » sont peu ou pas du tout différents. 19% ont lemême jugement sur le diététique (**).- Deuxième réalité : l'attrait pour le bio n'est pas un phénomène de mode. Dans les années 70, denombreuses voix prétendaient que le surcroît d'intérêt pour le bio provoqué par les événements de mai1968 ne serait que passager. Les études de consommation montrent que c'est faux : en 1985, la moitiédes consommateurs réguliers avaient moins de 35 ans, et la pyramide des âges se renouvelle de ma-nière suivie.- La troisième réalité au sujet de la perception du produit biologique est très intéressante et vautqu'on s'arrête dessus. Il s'agit de l'écart considérable entre une très bonne image et des défauts patents.Plaçons les produits biologiques courants sur le triangle des perceptions de qualité représenté en figure3, construit autour des trois principaux axes de la qualité : santé (nutrition et sécurité), saveur (goût) etservice (associés au produit, comme la conservation, etc.). On constate, dans la très grande majoritédes cas, que le bio a une excellente image en terme de santé (***), du fait de ses techniques de pro-duction et en particulier l'absence de traitements par les pesticides.

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Le respect pour l'environnement que l'on serait en droit d'attendre pour de tels produits passe après lesqualités « individualistes ». Comme, en général, les réponses sont limitées, cela illustre la hiérarchieactuelle des valeurs. L'ex-Allemagne de l'Ouest fait exception avec environ 27% des raisons d'achatcentrées sur l'environnement, ce qui, bien sûr, doit être mis en relation avec le mouvement des Verts(Hamm et Böckenhoff, 1983). Au Royaume-Uni, Dixon et Holmes (1987) arrivent à 10% des raisonsd'achat. Nous arrivons au même chiffre dans notre enquête auprès des clients de Monoprix. Il est pro-bable que cette motivation d'achat s'affirmera vite, en raison du récent intérêt des médias pour cesquestions et de l'effet « génération », puisque les classes d'âges les plus jeunes y sont plus sensibles.Notre pyramide des « trois S » deviendra alors un tétraèdre avec un S supplémentaire, celui de« société ». D'ores et déjà, plusieurs produits industriels associent leur marque à une cause de société.La valeur santé de la bio est à replacer dans un contexte sociologique de fond, qui porte littéralementson développement. Avec l'intensification agricole de l'après-guerre, l'industrialisation del'alimentation et l'urbanisation de la population, de plus en plus de consommateurs se sont sentis enétat d'insécurité vis-à-vis des produits industriels. Le rejet des « poulets aux hormones », des veaux enbatterie « aux antibiotiques », la méfiance envers les colorants et les adjuvants chimiques divers,l'attrait pour le naturel, le biologique, les produits allégés, toutes ces attitudes font partie de la mêmevague de fond et favorisent le biologique (*).

A côté de ces points positifs généraux, il faut bien avouer que la rencontre avec les produits concrets alongtemps été et continue souvent d'être marquée par une déception de la part des consommateurs, quin'y trouvent pas tout ce que le produit courant leur propose. Ophuis (1991) en fait une excellente ana-lyse. Les reproches concernent la fraîcheur, le goût, l'apparence, le prix, le service et la marque !Autant dire qu'en règle générale un gros travail reste à faire pour moderniser le produit biologique.Hormis cette question de fond, il faut mentionner le problème de l'information et de la garantie dequalité. L'étude de Daguet (1989) montre que le défaut d'information est mentionné par 41,6% des en-quêtes et la mauvaise garantie par 10,5% d'entre eux. Si donc la notoriété générale n'est pas mauvaise,le besoin d'information n'en est pas moins aigu. En particulier, il est bien clair que le produit bio res-semble bien souvent à son homologue conventionnel. Les consommateurs en conçoivent de la mé-fiance, mais les moyens pour se garantir que la qualité est bien celle qui est réclamée sont complexes.Chez les consommateurs expérimentés, c'est la garantie offerte par l'Etat et la profession qui est dé-terminante, symbolisée par des mentions et le logo AB. Cette forme de garantie recueille 47,8% desréponses selon notre enquête de 1985, résultat confirmé par P. Daguet (35%) et par notre enquête chezMonoprix (34,5%). Avec le temps et l'arrivée de nouveaux types de consommateurs moins« militants », cette attitude change. Déjà, dans l'enquête Monoprix, la référence à des résultatsd'analyse sur le produit final « grignote » celle faite au logo AB. Nos derniers résultats, qui concernentune population beaucoup plus large, révèlent des attitudes beaucoup plus contrastées : importance du« zéro résidu » et des marques. Les récentes campagnes de dénonciation du « faux bio » peuvent pro-voquer une crise de confiance envers les signes officiels. Il y a là une question urgente à aborder sanspréjugé et à résoudre pour conforter et stimuler le marché (voir plus loin).Enfin, dernier problème et non des moindres : celui du niveau de prix des produits. Il est bien connuque les produits bio se situent à des niveaux de prix nettement supérieurs à leurs homologues conven-tionnels (**) et que les consommateurs sont prêts à payer. Quelles sont les raisons de cet écart et quelest l'écart optimal pour stimuler le marché ?Bien entendu, il n'est pas question de contester la légitimité de l'écart. On sait que les rendements sontinférieurs en bio à ceux constatés en conventionnel et que les coûts de production, en particulier liésau travail, sont supérieurs. Le problème est que la mesure n'en est pas assez systématique selon lesproduits, les régions et les périodes. D'autre part, il est clair que la pression de la demande joue à lahausse et qu'enfin les faibles volumes accroissent les coûts de manutention et de transport. Une incer-titude se généralise tous les niveaux, qui n'aide pas le marché à se structurer. Au niveau du consom-mateur, les niveaux actuels de prix freinent considérablement la demande potentielle. Toutes lesétudes montrent que c'est là un facteur dissuasif premier (***). Au niveau du marché final, il existe un

(*) On pourra consulter les analyses sociologiques de la consommation de Lambert (1986) et de Grignon et Grignon (1986).(**) Aux Pays-Bas, Ophuis (1991) estime que les produits bio sont de +40% à +200% plus chers. Au Royaume-Uni, Lampkin (1990) estimeque l'écart est situé entre +30 et +50% . Dans ce même pays, MINTEL donne une moyenne de +88%. En France, nos pointages avec VPI sesituent à +180%. Chez Monoprix, la moyenne sur les 6 premiers mois de 1991 était à +115%.(***) Hamm et Böckenhoff montrent que le prix est dissuasif pour 52% des consommateurs.

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optimum, dit « prix psychologique », qui contribue à débloquer l'acte d'achat et à développer le mar-ché. Il se situe aujourd'hui entre +25 et +35% par rapport aux produits conventionnels, sauf au Dane-mark, où des écarts supérieurs semblent supportables (Heinj et al.,...).

Tous ces éléments ont une valeur générale. Mais les attitudes pouvant varier selon les types deconsommateurs visés, ils n'ont pas une application uniforme. Nous allons donc nous intéresser mainte-nant aux profils de consommateurs de biologique.b) Profils de consommateurs et segments de consommationAu plan historique, la consommation de produits biologiques a longtemps été, comme leur productiond'ailleurs, une affaire d'initiés. C'était évidemment le cas pendant toute la première partie du siècle oùles amateurs de bio n'étaient qu'une toute petite minorité. La renaissance de l'agriculture biologiquesuit immédiatement le mouvement de mai 1968. Il n'est cependant question d'une reconnaissance largeque depuis le décret du 10 mars 1981, qui la fait sortir définitivement de sa marginalité et lui donne lesconditions d'un véritable développement.Si on ne connaît pas bien le profil sociologique des pionniers, la croissance des années 1970 repose surla « génération 1968 » qui trouve dans ce mode de production un moyen concret de lutter contre le ca-pitalisme et la société de consommation. Cela se traduit, pour les plus hardis, par un retour à la terre(ce sont les « néoruraux ») et, pour les autres, par l'adoption de modes de vie « alternatifs » qui peu-vent avoir de nombreux aspects : vie en communauté, crèche parentale, auto-approvisionnement, mé-decine parallèle, végétarisme, coopératives d'achats et... consommation de produits biologiques. Cesjeunes classes intellectuelles appartiennent, par exemple, lorsqu'ils arrivent à l'âge actif, aux pro-fessions enseignantes, littéraires, artistiques et médicales, qu'ils pratiquent conformément à leurs idées.Ils jouent également le rôle de leaders d'opinion auprès des catégories qui leurs sont proches. C'est cequi explique la sensibilisation des professions médicales intermédiaires préoccupées par les questionsde santé (infirmières, kinésithérapeutes) (*).Notre étude de 1985 identifie déjà cette évolution, puisqu'elle marque un renouvellement de la clien-tèle. Une nouvelle génération apparaît, sans que l'ancienne renonce à la bio. D'autre part, la diffusionsociale de cette pratique s'effectue vers de nouvelles catégories sociales, comme les professions inter-médiaires et, dans une moindre mesure, les employés.Pour son avenir, la bio compte sur deux types d'acheteurs, que les analyses sociologiques vont nousaider à caractériser. Le développement de ce marché ne pourra en effet se faire que de deux manières,non exclusives l'une de l'autre d'ailleurs : soit par pénétration sur les types de consommateurs actuels,soit par extension sur de nouveaux types d'acheteurs.La première catégorie est celle que nous avons définie plus haut : cadres supérieurs du secteur public,certaines professions intermédiaires, jeunes et urbains. Il s'agit de consommateurs motivés, informés etexigeants. La modernisation du produit est nécessaire à leurs yeux mais ne doit pas remettre en causeses qualité intrinsèques, liées aux cahiers des charges et aux organismes gestionnaires. Ils sont prêts à

(*) On trouvera un commentaire de diverses études de consommation dans notre rapport (Sylvander et Mougin, 1986, rééd. 1991). Lapremière étude de ce type est celle de Grangier (1975) citée par Dessau et Lepape (1975). Pour une anlyse des comportements alternatifs,voir Clément et al. (1973) et Ledrat et al. (1977).

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accepter un écart de prix de +25 à +35%, parfois jusqu'à +50% par rapport au conventionnel. Encomptant ceux qui correspondent au profil mais ne consomment pas du bio, on peut les évaluer à 8,1%de la population des ménages.

La seconde catégorie est composée de professions intermédiaires jeunes, de classes populaires jeunes(employés et ouvriers). Ces catégories sont susceptibles d'être sensibilisées. Certaines le sont déjà.Mais elles s'intéressent plus aux qualités du produit final, et surtout à son innocuité (absence de rési-dus de pesticides), qu'à ses conditions de production. Pour eux, la contrainte du prix est très forte : unécart de +20% par rapport au conventionnel est un maximum. Ils représentent environ 20% de la po-pulation des ménages.

5. Les politiques marketing

Pour que ces segments puissent se révéler, des politiques marketing sont à définir et à mettre enoeuvre. Voyons en les axes généraux avant de les spécifier par segment.

5.1. Les points générauxNous tirerons ici les conséquences des analyses d'attitudes des consommateurs exposées plus haut. Lesaxes généraux des politiques marketing sont les suivants.

a) La qualité doit conserver ses points forts, tout en évoluant vers une modernisation du produit. Sansreprendre toutes les caractéristiques des produits les plus « markétés », les produits bio doivent avoirune hygiène irréprochable, une bonne homogénéité, une régularité dans le temps, un aspect« moderne » par un préemballage similaire aux autres produits, tout en gardant leur originalité. Toutceci demande une adaptation par rapport aux habitudes acquises. C'est une condition impérieuse pourarriver à conquérir une place sur les marchés.

b) Les produits biologiques doivent devenir disponibles dans tous les types de points de vente. Celaveut dire que les produits biologiques doivent conquérir les circuits longs, sans pour autant abandon-ner leurs circuits actuels, qui tendront de toutes façon eux mêmes à s'allonger. Venir à la rencontre desconsommateurs urbains suppose en effet d'adopter des circuits adaptés en termes physiques et organi-sationnels aux fortes concentrations urbaines.

c) La question du prix est à raisonner particulièrement. Nous avons vu plus haut l'écart trop importantqui existe entre les prix actuels pratiqués et le niveau optimum. La croissance du marché est condi-tionnée par la réduction de cet écart. Plusieurs niveaux de réflexion sont concernés. Au niveau descoûts de production, un instrument d'observation et d'analyse est à construire rapidement, (selon lesproductions, les techniques, les régions, etc.) de manière à objectiver les négociations. Les surcroîtsactuels de coûts dûs aux faibles volumes et aux gammes restreintes (coûts de transports et de manu-tention par exemple) se réduiront avec l'augmentation de la production, ainsi que la pression à lahausse par demande excédentaire. Enfin, l'organisation et un certain regroupement des achats au stadede gros auront probablement un effet modérateur sur les prix.

d) Jusqu'à aujourd'hui, la communication sur l'agriculture biologique a été quasi inexistante. Elle estplus que jamais indispensable et urgente. Nous avons vu la relative notoriété dont elle profite généri-quement et une connaissance assez bonne, compte tenu de la complexité du message. Néanmoins, lesmentions et organismes gestionnaires sont très peu connus. Dans l'enquête Monoprix, cela concernaitmoins de 10% des acheteurs.

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C'est dans une première phase sur ce concept qu'il importe de communiquer. Il faut à ce sujet profiterde l'expérience du Label rouge sur lequel un gros investissement publicitaire a été fait entre 1970 et1975, années durant lesquelles il s'agissait d'établir la notoriété du concept, sans d'ailleurs que le mar-ché ne se développe encore. On est ainsi arrivé en 1975 à 70% de notoriété et une part de marché de2% sur les poulets par exemple. Là dessus, les marques privées ont pris le relais pour asseoir leurpropre croissance. Le même processus pourrait être appliqué à la bio.

5.2. L'expérience MonoprixNous consacrons un chapitre particulier dans notre analyse à cette expérience, car elle nous semblefondamentale en ce qu'elle éclaire les voies concrètes du développement du marché et l'existenceréelle des deux segments identifiés.Nous avions mis en évidence dans notre enquête de 1985 l'existence d'une clientèle potentielle condi-tionnée par la disponibilité du bio dans les points de vente qu'elle fréquente habituellement. Il était in-téressant de l'étudier « en vraie grandeur ».L'expérience, lancée en mars 1990, se fonde sur les principes suivants : présentation de fruits et lé-gumes biologiques, pré-emballés, sur un linéaire contigu au rayon fruits et légumes. Le taux demarque (*) est fixé également à 1,4. Les fournisseurs sont sélectionnés sur leur professionnalisme, leurappartenance à un organisme gestionnaire au dessus de tout soupçon, leur maîtrise del'approvisionnement, leur aptitude à trier, calibrer et préemballer les produits, et à pratiquerl'étiquetage poids/prix. Les volumes sont traités par les mêmes services qu'en conventionnel. Leservice des achats pratique, en plus, un contact suivi avec les producteurs concernés.Après presque deux ans, dont une courte interruption, l'expérience est jugée satisfaisante. Sur 201 ma-gasins disposant d'un rayon alimentaire, une centaine ont participé à l'expérience. L'objectif minimalde 1% du rayon est atteint dans la moitié des cas, certains arrivant jusqu'à 4%.L'étude de la clientèle (**) montre que, sur le tiers de consommateurs au moins ponctuels de bio, 83%connaissaient déjà ce type de produit et 47% n'en consommaient pas avant que Monoprix n'en vendît.Cette étude confirme également que deux types distincts de consommateurs apparaissent en tendance,qui correspondent aux deux segments de marché identifiés plus haut :- les acheteurs anciens, proches du noyau classique des partisans du bio, qui achètent souvent ail-leurs qu'à Monoprix et pour qui le cahier des charges et la garantie de l'Etat sont des éléments impor-tants ;- les acheteurs nouveaux, plus populaires, plus sensibles à la qualité du produit lui-même et, en par-ticulier, à l'absence de résidus de produits de traitement, très sensibles au prix.

6.3. Les politiques par segment de marchéLes analyses que nous venons d'effectuer convergent vers une séparation du marché en deux segmentset deux types de produits distincts. Sur le premier se développeront les produits biologiques tradition-nels, « purs et durs », fondés sur le cahier des charges officiel. Sur le second se développeront les pro-duits de grande consommation, à obligation de résultats (en termes de résidus de pesticides), mais pasforcément biologiques au sens strict, en ce sens que de nombreuses techniques exclues du cahier descharges pourront y être pratiquées, en particulier la fertilisation chimique. Peuvent y figurer aussi lesproduits issus de la lutte intégrée, les produits naturels (***), les produits diététiques.Cette distinction, redoutée de nombreux professionnels, est souvent critiquée. Elle est pourtant inévi-table à moyen terme. Elle ne nous semble pas être vraiment menaçante pour les produits biologiques,

(*) Taux par lequel le détaillant multiplie son prix d'achat pour établir son prix de vente.(**) Etude réalisée pour Monoprix au printemps 1991, sous notre responsabilité, par deux étudiants de l'INPSA de Dijon, Jean-René Picard etPascal Dourmap. Ses résultats, encore confidentiels, seront publiés ultérieurement.(***) « Produit naturel » au sens allemand du terme, c'est à dire des produits élabores à partir de matières premières conventionnelles, maistransformés sur la base de techniques de traitements plus respectueuses du produit (sans additifs chimiques par exemple).

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dans la mesure où elle stimulera le marché. Nous arrivons donc à deux segments de marché (*), ca-ractérisés au tableau IV.

Ces estimations concernent les marchés urbains de grande consommation. Il convient donc d'y ajouterles perspectives du bio en circuits courts ou semi-courts, tels que les achats direct à la ferme et sur lesmarchés forains dans les villes moyennes, en se rappelant que ce segment est également ouvert auxproduits fermiers, perçus comme très proches des produits de la bio. Ce segment concerne environ14% de la population et 5% du marché (Sylvander, 1989).Dans cette hypothèse et compte tenu de la part de marché globale du bio écologique, les répartitionspar produit pourraient se situer comme l'indique le tableau V.Sans entrer dans le détail, soulignons que les politiques marketing à adopter sur chaque segment sontbien différentes.

(*) Le nombre de consommateurs concernés est évalué sur la base de nos enquêtes de consommation. Les nombres sont pondérés par ledegré d'exclusivité de chaque type de consommateur pour arriver aux parts de marché.

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6. Conclusion : pour un programme économique interprofessionnel

Nous n'avons fait ici que replacer le bio dans une problématique plus large, qui, nous l'espérons,l'aidera à trouver sa place sur un marché agro-alimentaire extrêmement exigeant. Dans le contexte ac-tuel de « modernisation et de normalisation » de cette filière, il est bien clair que l'essentiel resterad'assurer la production, tout en l'orientant correctement au niveau du marché. Cependant, il est tout desuite nécessaire de penser à bâtir une grande politique interprofessionnelle. Celle ci est aujourd'hui encours de constitution et il ne nous appartient pas de la commenter. Pour rester sur notre terrain, nouspensons qu'elle devrait comporter, outre ses prérogatives syndicales classiques, un programme écono-mique ambitieux : communication professionnelle, constitution d'outils statistiques complets, élabora-tion de critères de gestion à tous les niveaux, études de filières et de marché, relation avec la formationinitiale et continue des cadres, relations internationales, etc.. La filière bio disposera alors d'un véri-table outil de développement •

RésuméDans la situation actuelle, où beaucoup de facteurs semblent favori-ser l'agriculture biologique, la production stagne en raison del'insuffisance de structures industrielles et commerciales capablesde la dynamiser. Dans cette contribution au congrès de l'ACAB(15-16711/1991 à Blois), notre projet est d'éclairer les conditionscommerciales d'un développement de la filière biologique.Estimée à 0,2% du marché en moyenne (0,25% en farines et 1,1 à1,4% en fruits et légumes), la filière ne fidélisera les 3 à 15% deconsommateurs qui s'en réclament que si elle valorise ses atouts enformulant des politiques marketing précises. Voici les atouts : unmarché potentiel existe et n'est pas satisfait, une filière « bio » or-ganisée commence à se structurer, elle dispose d'une excellente

image de marque, de nouveaux arrivants la dynamiseront, les poli-tiques publiques en favorisent le développement, la sensibilisationà l'environnement va prendre un grand essor.Les produits biologiques doivent se situer dans leur univers concur-rentiel. Nous aurons, dans l'avenir, inévitablement, deux segments :un segment bio écologique, que nous estimons à 2,25% en l'an2000 (fondé sur le cahier des charges et le logo AB) et un segmentà image biologique, qui pourra s'élever à 6,75% à la même période(diététique au sens large, produits fermiers, produits de culturesprotégées par la lutte intégrée, etc.). Ils devront se moderniser etévacuer les défauts généralement constatés (présentation, faiblequalité service, etc.). La garantie de la « qualité bio » devra êtreforte, fondée sur le logo AB et des marques (mentions et marquesprivées). Le niveau des prix constatés, beaucoup plus élevé (100%

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d'écart comparé au conventionnel) que les niveaux que sont prêts àpayer les consommateurs (+25 a +35%) continue de poserproblème.C'est au niveau de la distribution que le plus d'efforts doivent êtrefaits. A cet égard, l'expérience de Monoprix est importante, car elle

sort le « bio » de sa marginalité. Elle a révélé la clientèle potentiellede produits modernisés et montre l'existence du second segment demarché, constitué de clients plus populaires et plus exigeants sur leprix.

SummaryIn the present situation many factors seem to encourage organicfarming, although the production is not increasing because of thelack of distribution channels. In this contribution to the ACABcongress (15th-16thlllll991), we'd like to analyse the marketingconditions of a growth of the sector. The current marketassessements are today up to 02% , depending on the sorts ofproducts (025% in the cereal sector ! 1,1 to 1,4% in the fruit andvegetable sector). Consumers will increase their purchases if theorganic sector is able to exploit it's strenght : good réputation,existing potential market, supports from the governements, etc.In order to achieve it, the marketing policies must consider theorganic products in their concurrential environnement. Besides ofthe traditionnal organic product (wich we call for « ecological »,based upon the officiai requirements), an other market segmentappears, based upon the organic image, consisting in health food,

farmhouse products, etc.To be able to compete them, organicproducts hâve to be modernised, getting rid of their currentweakness : lack of convenience, poor présentation and packaging,etc..In the matter of facts, the price question is a crucial one. Theregular consumers are prepared to pay a price premium up to 15-35%. As long as the observed market priées for organic productsare averagely 100% higher titan for the conventionnal ones, thiswill remain for them the basic reason of not purchasing organicproducts in greater volumes. The second obstacle to the growth ofthe organic sector is the lack ofan efficient distribution channel. Asthe supermarkets « Monoprix » started selling organic productstwo years ago, the potential market has been revealed. The middleclass seems to be involved in purchasing such products as long astheir meet the requirements, specially about the price level.

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