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Extrait de la publication

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  • Extrait de la publication

  • Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptationréservés pour tous les pays.

    0 Éditions Gallimard, 1954

    ISBN 2-07-035002-9

    Extrait de la publication

  • Si un homme attribue tout ou partiedes malheurs du pays et de ses propresmalheurs à la présence d'éléments juifsdans la communauté, s'il propose de remé-dier à cet état de choses en privant lesJuifs de certains de leurs droits ou en les

    écartant de certaines fonctions économi-

    ques et sociales ou en les expulsant du ter-ritoire ou en les exterminant tous, on dit

    qu'il a des opinions antisémites.Ce mot d'opinion fait rêver. C'est celui

    qu'emploie la maîtresse de maison pourmettre fin à une discussion qui risque des'envenimer. Il suggère que tous les avissont équivalents, il rassure et donne auxpensées une physionomie inoffensive enles assimilant à des goûts. Tous les goûtssont dans la nature, toutes les opinions sont

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  • Ré flexions sur la question juive

    permises des goûts, des couleurs, des opi-nions il ne faut pas discuter. Au nom desinstitutions démocratiques, au nom de laliberté d'opinion, l'antisémite réclame ledroit de prêcher partout la croisade anti-juive. En même temps, habitués que noussommes depuis la Révolution à envisagerchaque objet dans un esprit analytique,c'est-à-dire comme un composé qu'on peutséparer en ses éléments, nous regardonsles personnes et les caractères comme desmosaïques dont chaque pierre coexisteavec les autres sans que cette coexistencel'affecte dans sa nature. Ainsi l'opinionantisémite nous apparaît comme une molé-cule susceptible d'entrer en combinaisonsans s'altérer avec d'autres molécules d'ail-

    leurs quelconques. Un homme peut êtrebon père et bon mari, citoyen zélé, finlettré, philanthrope et d'autre part antisé-mite. Il peut aimer la pêche à la ligne etles plaisirs de l'amour, être tolérant en ma-tière de religion, plein d'idées généreusessur la condition des indigènes d'Afriquecentrale et, d'autre part, détester les Juifs.S'il ne les aime pas, dit-on, c'est que sonexpérience lui a révélé qu'ils étaient mau-

    Extrait de la publication

  • Ré flexions sur la question juive

    vais, c'est que les statistiques lui ont apprisqu'ils étaient dangereux, c'est que certainsfacteurs historiques ont influencé son juge-ment. Ainsi cette opinion semble l'effet decauses extérieures et ceux qui veulent l'étu-dier négligeront la personne même de l'an-tisémite pour faire état du pourcentage desJuifs mobilisés en 14, du pourcentage desJuifs banquiers, industriels, médecins, avo-cats, de l'histoire des Juifs en France depuisles origines. Ils parviendront à déceler unesituation rigoureusement objective déter-minant un certain courant d'opinion égale-ment objectif qu'ils nommeront antisémi-tisme, dont ils pourront dresser la carte ouétablir les* variations de 1870 à 1944. De la

    sorte, l'antisémitisme paraît être à la foisun goût subjectif qui entre en compositionavec d'autres goûts pour former la personneet un phénomène impersonnel et socialqui peut s'exprimer par des chiffres et desmoyennes, qui est conditionné par desconstantes économiques, historiques etpolitiques.

    Je ne dis pas que ces deux conceptionssoient nécessairement contradictoires. Je

    dis qu'elles sont dangereuses et fausses.

    Extrait de la publication

  • Ré flexions sur la question juive.

    J'admettrais à la rigueur qu'on ait une opi-nion sur la politique vinicole du gouverne-ment, c'est-à-dire qu'on se décide, sur desraisons, à approuver ou à condamner lalibre importation des vins d'Algérie c'estqu'il s'agit alors de donner son avis sur l'ad-ministration des choses. Mais je me refuseà nommer opinion une doctrine qui viseexpressément des personnes particulièreset qui tend à supprimer leurs droits ou àles exterminer. Le Juif que l'antisémite veutatteindre ce n'est pas un être schématiqueet défini seulement par sa fonction commedans le droit administratif par sa situa-tion ou par ses actes, comme dans le Code.C'est un Juif, fils de Juifs, reconnaissableà son physique, à la couleur de ses cheveux,à son vêtement peut-être et, dit-on, à soncaractère. L'antisémitisme ne rentre pasdans la catégorie de pensées que protège leDroit de libre opinion.

    D'ailleurs, c'est bien autre chose qu'unepensée. C'est d'abord une passion. Sansdoute peut-il se présenter sous forme deproposition théorique. L'antisémite « mo-déré » est un homme courtois qui vousdira doucement « Moi, je ne déteste pas

  • Ré flexions sur la question juive

    les Juifs. J'estime simplement préférable,pour telle ou telle raison, qu'ils prennentune part réduite à l'activité de la nation. »Mais, l'instant d'après, si vous avez gagnésa confiance, il ajoutera avec plus d'aban-don « Voyez-vous, il doit y avoir « quel-que chose » chez les Juifs ils me gênentphysiquement. » L'argument, que j'aientendu cent fois, vaut la peine d'être exa-miné. D'abord il ressortit à la logique pas-sionnelle. Car enfin imaginerait-on quel-qu'un qui dirait sérieusement « Il doit yavoir quelque chose dans la tomate, puis-que j'ai horreur d'en manger. » Mais enoutre, il nous montre que l'antisémitisme,sous ses formes les plus tempérées, lesplus évoluées reste une totalité syncrétiquequi s'exprime par des discours d'allureraisonnable, mais qui peut entraîner jus-qu'à des modifications corporelles. Certainshommes sont frappés soudain d'impuis-sance s'ils apprennent de la femme avecqui ils font l'amour qu'elle est Juive. Il y aun dégoût du Juif, comme il y a un dégoûtdu Chinois ou du nègre chez certaines gens.Et ce n'est donc pas du corps que naît cetterépulsion puisque vous pouvez fort bien

    Extrait de la publication

  • Ré flexions sur la question juive

    aimer une Juive si vous ignorez sa race,mais elle vient au corps par l'esprit c'estun engagement de l'âme, mais si profondet si total qu'il s'étend au physiologique,comme c'est le cas dans l'hystérie.

    Cet engagement n'est pas provoqué parl'expérience. J'ai interrogé cent personnessur des raisons de leur antisémitisme. La

    plupart se sont bornées à m'énumérer lesdéfauts que la tradition prête aux Juifs.« Je les déteste parce qu'ils sont intéressés,intrigants, collants, visqueux, sans tact,etc. » « Mais, du moins, en fréquentez-vous quelques-uns? » « Ah! je m'en gar-derais bien! » Un peintre m'a dit « Je suishostile aux Juifs parce que, avec leurs ha-bitudes critiques, ils encouragent nos do-mestiques à l'indiscipline. » Voici des expé-riences plus précises. Unjeune acteur sanstalent prétend que les Juifs l'ont empêchéde faire carrière dans le théâtre en le main-

    tenant dans les emplois subalternes. Unejeune femme me dit « J'ai eu des démêlésinsupportables avec des fourreurs, ils m'ontvolée, ils ont brûlé la fourrure que je leuravais confiée. Eh bien, ils étaient tousJuifs. » Mais pourquoi a-t-elle choisi de

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  • Réflexions sur la question juive

    haïr les Juifs plutôt que les fourreurs ?Pourquoi les Juifs ou les fourreurs plutôtque tel Juif, tel fourreur particulier? C'estqu'elle portait en elle une prédisposition àl'antisémitisme. Un collègue, au lycée, medit que les Juifs « l'agacent » à cause desmille injustices que des corps sociaux « en-juivés » commettent en leur faveur. « UnJuif a été reçu à l'agrégation l'année où j'aiété collé et vous ne me ferez pas croire quece type-là, dont le père venait de Cracovieou de Lemberg, comprenait mieux que moiun poème de Ronsard ou une églogue deVirgile. » Mais il avoue, par ailleurs, qu'ilméprise l'agrégation, que c'est « la bouteilleà l'encre » et qu'il n'a pas préparé leconcours. Il dispose donc, pour expliquerson échec, de deux systèmes d'interpréta-tion, comme ces fous qui, lorsqu'ils se lais-sent aller à leur délire, prétendent être roide Hongrie et qui, si on les interroge brus-quement, avouent qu'ils sont cordonniers.Sa pensée se meut sur deux plans, sansqu'il en conçoive la moindre gêne. Mieux,il lui arrivera de justifier sa paresse passéeen disant qu'on serait vraiment trop bêtede préparer un examen où on reçoit les

  • Réflexions sur la question juive

    Juifs de préférence aux bonsFrançais.D'ailleurs, il venait vingt-septième sur laliste définitive. Ils étaient vingt-six avantlui, douze reçus et quatorze refusés. Eût-onexclu les Juifs du concours, en eût-il été

    plus avancé ? Et même s'il eût été le pre-mier des non admissibles, même si, en éli-minant un des candidats reçus, il eût eu sachance d'être pris, pourquoi eût-on éliminéle Juif Weil plutôt que le Normand Mathieuou le Breton Arzell? Pour que mon col-lègue s'indignât, il fallait qu'il eût adoptépar avance une certaine idée du Juif, de sanature et de son rôle social. Et pour qu'ildécidât qu'entre vingt-six concurrents plusheureux que lui, c'était le Juif qui lui volaitsa place, il fallait qu'il eût donné à priori,pour la conduite de sa vie, la préférenceaux raisonnements passionnels. Loin quel'expérience engendre la notion de Juif,c'est celle-ci qui éclaire l'expérience aucontraire si le Juif n'existait pas, l'antisé-mite l'inventerait.

    Soit, dira-t-on, mais à défaut d'expé-rience, ne faut-il pas admettre que l'anti-sémitisme s'explique par certaines donnéeshistoriques ? Car enfin il ne naît pas de

  • Ré flexions sur la question juive

    l'air du temps. Il me seraitfacile de répon-dre que l'histoire de France n'apprend riensur les Juifs ils ont été opprimés jusqu'en1789 par la suite, ils ont participé commeils l'ont pu à la vie de la nation, profi-tant, c'est certain, de la liberté de concur-rence pour prendre la place des faibles,mais ni plus ni moins que les autres Fran-çais ils n'ont pas commis de crime contrela France, ni fait de trahison. Et si l'on acru établir que le nombre de soldats juifsétait, en 1914, inférieur à ce qu'il auraitdû être, c'est qu'on a eu la curiosité d'allerconsulter les statistiques, car il ne s'agitpas là d'un de ces faits qui frappent d'eux-mêmes les esprits et aucun mobilisé n'apu, de son propre chef, s'étonner de ne pasvoir d'Israélite dans l'étroit secteur quiconstituait son univers. Mais comme, aprèstout, les renseignements que l'histoiredonne sur le rôle d'Israël dépendent essen-tiellement des conceptions que l'on a d'elle,je pense qu'il vaut mieux emprunter àun pays étranger un exemple manifeste de« trahison juive » et calculer les répercus-sions que cette trahison a pu avoir surl'antisémitisme contemporain. Au cours des

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  • Réflexions sur la question juive

    révoltes polonaises qui ensanglantèrent lexixe siècle, les Juifs de Varsovie, que lestsars ménageaient par politique, manifes-tèrent beaucoup de tiédeur à l'égard desrévoltés aussi, n'ayant pas pris part auxinsurrections, purent-ils maintenir et mêmeaugmenter leur chiffre d'affaires dansun pays ruiné par la répression. Le fait est-il exact, je l'ignore. Ce qui est certain, c'estque beaucoup de Polonais le croient et cette« donnée historique » ne contribue pasmédiocrement à les indisposer contre lesJuifs. Mais si j'examine les choses de plusprès j'y découvre un cercle vicieux lestsars, nous dit-on, ne traitaient pas mal lesIsraélites de Pologne alors qu'ils ordon-naient volontiers des pogromes contre ceuxde Russie. Ces procédés si différents avaientune même cause le gouvernement russeconsidérait en Russie et en Pologne lesJuifs comme inassimilables et, selon lesbesoins de sa politique, il les faisait mas-sacrer à Moscou ou à Kiev, parce qu'ils ris-quaient d'affaiblir l'empire moscovite illes favorisait à Varsovie, pour entretenir ladiscorde chez les Polonais. Ceux-ci, aucontraire, ne manifestaient que haine et

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  • Ré flexions sur la question juive

    mépris aux Juifs de Pologne, mais la raisonétait la même pour eux, Israël ne pouvaits'intégrer à la collectivité. Traités en Juifspar le tsar, en Juifs par les Polonais, pour-vus, bien malgré eux, d'intérêts juifs ausein d'une communauté étrangère, quoid'étonnant si ces minoritaires se sont con-

    duits conformément à la représentationqu'on avait d'eux? Autrement dit, ce quiest ici essentiel, ce n'est pas la « donnéehistorique » mais l'idée que les agents del'histoire se faisaient du Juif. Et lorsque lesPolonais d'aujourd'hui gardent rancune auxIsraélites de leur conduite passée, ils y sontincités par cette même idée pour quel'on songe à reprocher aux petits-enfantsles fautes des grands-pères, il faut d'abordqu'on ait un sens très primitif des respon-sabilités. Mais cela ne suffit pas il fautaussi que l'on se forme une certaine concep-tion des enfants d'après ce qu'ont été lesgrands-parents ce qu'ont fait les aînés, ilfaut qu'on croie les cadets capables de lefaire il faut qu'on se soit persuadé que lecaractèrejuif est hérité. Ainsi les Polonaisde 1940 traitaient les Israélites en Juifs,parce que leurs ancêtres de 1848 en avaient

  • Réflexions sur la question juive

    usé de même avec leurs contemporains. Etpeut-être cette représentation traditionnelleaurait-elle, en d'autres circonstances, dis-posé les Juifs d'aujourd'hui à agir commeceux de 48. C'est donc l'idée qu'on se faitdu Juif qui semble déterminer l'histoire,non la « donnée historique » qui fait naîtrel'idée. Et puisqu'on nous parle aussi de« données sociales », regardons-y mieux etnous trouverons le même cercle il y a tropd'avocats juifs, nous dit-on. Mais se plaint-on qu'il y ait trop d'avocats normands ?Quand bien même tous les Bretons seraientmédecins, ne se bornerait-on pas à dire que« la Bretagne fournit de médecins la Franceentière »? Ah! répliquera-t-on, ce n'est pasdu tout la même chose. Sans doute, maisc'est que, précisément, nous considéronsles Normands comme des Normands et les

    Juifs comme des Juifs. Ainsi, de quelquecôté que nous nous retournions, c'est l'idéede Juif qui paraît l'essentiel.

    Il devient évident pour nous qu'aucunfacteur externe ne peut introduire dansl'antisémite son antisémitisme. L'antisémi-

    tisme est un choix libre et total de soi-

    même, une attitude globale que l'on adopte

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  • Ré flexions sur la question juive

    non seulement vis-à-vis des Juifs, mais vis-à-vis des hommes en général, de l'histoireet de la société c'est à la fois une passionet une conception du monde. Sans doute,chez tel antisémite, certains caractères se-

    ront plus marqués que chez tel autre. Maisils sont toujours tous présents à la fois etils se commandent les uns les autres. C'est

    cette totalité syncrétique qu'il nous faut àprésent tenter de décrire.

    J'ai noté tout à l'heure que l'antisémi-tisme se présentecomme une passion. Toutle monde a compris qu'il s'agit d'une affec-tion de haine ou de colère. Mais, à l'ordi-naire, la haine et la colère sont sollicitéesje hais celui qui m'a fait souffrir, celui quime nargue ou qui m'insulte. Nous venonsde voir que la passion antisémite ne sauraitavoir un tel caractère elle devance les

    faits qui devraient la faire naître, elle vales chercher pour s'en alimenter, elle doitmême les interpréter à sa manière pourqu'ils deviennent vraiment offensants. Etpourtant, si vous parlez du Juif à l'antisé-mite, il donne tous les signes d'une vive irri-tation. Si nous nous rappelons par ailleurs,que nous devons toujours consentir à une

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  • Ré flexions sur la question juive

    colère pour qu'elle puisse se manifester, etque, suivant l'expression si juste, on se meten colère, nous devrons convenir que l'an-tisémite a choisi de vivre sur le mode pas-sionné. Il n'est pas rare que l'on opte pourune vie passionnelle plutôt que pour unevie raisonnable. Mais c'est qu'à l'ordinaireon aime les objets de la passion les fem-mes, la gloire, le pouvoir, l'argent. Puisquel'antisémite a choisi la haine, nous sommesobligés de conclure que c'est l'état pas-sionné qu'il aime. A l'ordinaire, ce genred'affection ne plaît guère celui qui désirepassionnément une femme est passionné àcause de la femme et malgré la passion onse défie des raisonnements passionnels, quivisent à démontrer par tous les moyens desopinions qu'a dictées l'amour ou la jalousieou la haine on se défie des égarementspassionnels et de ce qu'on a nommé le mo-noïdéisme. C'est là, au contraire, ce quel'antisémite choisit d'abord. Mais comment

    peut-on choisir de raisonner faux? C'estqu'on a la nostalgie de l'imperméabilité.L'homme sensé cherche en gémissant, ilsait que ses raisonnements ne sont queprobables, que d'autres considérations vien

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