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LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE n° 650 / mai 2014 / Prix de vente : 8 RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES ÉLECTIONS EUROPÉENNES : L’ALARME 21 à 29 ©Bebeto Matthews /AP/SIPA

RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

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LE PLUS ANCIEN JOURNAL ANTIRACISTE DU MONDE n° 650 / mai 2014 / Prix de vente : 8 €

RWANDA : OUVRONSLES ARCHIVES

ÉLECTIONS EUROPÉENNES : L’ALARME21 à 29

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3 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra ÉDITO

LA LICRA | LE DROIT DE VIVRE

N° 650 |MAI 2014• Fondateur : Bernard Lecache• Directeur de la publication :

Alain Jakubowicz.• Directeur délégué : Roger Benguigui• Rédacteur en chef : Antoine Spire• Comité de rédaction :

Delphine Auffret, Alain Barbanel,Karen Benchetrit, Raphaël Bocobza,Michèle Colomès, Alain David,Georges Dupuy, Baudouin-JonasEschapasse, Marie-Pia Garnier,Marina Lemaire, Alain Lewkowicz,Justine Mattioli, Déborah Piekarz,Ivan Sand, Mano Siri, Brigitte Stora.

• Coordinatrice rédaction :Mad Jaegge.

• Éditeur photo : Guillaume Vieira.• Abonnements : Patricia Fitoussi.• Maquette et réalisation :

Sitbon & associésTél. : 04 37 85 11 22.

• Société éditrice : Le Droit de vivre42, rue du Louvre, 75001 ParisTél. : 01 45 08 08 08E-mail : [email protected]

• Imprimeur : Riccobono OffsetPresse115, chemin des Valettes,83490 Le Muy

• Régie publicitaire : OPASHubert Bismuth41, rue Saint-Sébastien, 75001 ParisTél. : 01 49 29 11 00

Les propos tenus dans les tribuneset interviews ne sauraient engagerla responsabilité du « Droit de vivre »et de la Licra.Tous droits de reproduction réservés- ISSN 09992774- CPPAP : 1115G83868

ALAIN JAKUBOWICZ | Président de la Licra

Vendredi 4 avril 2014, sur le square des

44 Enfants d’Izieu, j’assiste, à l’invitation

du maire du 7e arrondissement de Lyon et

de l’Association des fils et filles des déportés

juifs de France, au 70e anniversaire de la rafle

des enfants d’Izieu. A cette commémoration,

point d’officiels ni de grands discours, que des

mots justes prononcés par des écoliers, des

collégiens et des lycéens de l’arrondis sement,

représentatifs de la France d’aujourd’hui, multi-

culturelle, multireligieuse et multiraciale. Il faut

avoir vu et entendu ces enfants, ces adolescents

et ces jeunes adultes raconter avec sensibilité et

émotion l’histoire des enfants d’Izieu, ces grands

gaillards « black » évoquant leur arrivée à

Auschwitz, la sélection, les chambres à gaz, la

crémation, et ces petits garçons et petites filles

« issus-de-l’immigration-arabo-musulmane » égre-

nant sans faute les noms des 44 enfants, dont

certains avaient leur âge.

Dans le climat délétère

que nous connaissons

aujourd’hui, cette céré-

monie simple, ponctuée

par le « Chant des parti-sans » et la « Marseillaise» chantée à l’unisson,

est signe d’espoir. Elle témoigne de l’utilité des

actions conduites depuis des années par la Licra

dans les établissements scolaires, et rend hommage

au travail réalisé par les enseignants. Elle nous

encourage à ne pas désespérer de la France fra-

ternelle à laquelle nous aspirons.

Merci au maire du 7e arrondissement de Lyon

pour celle belle initiative républicaine.

Dimanche 6 avril 2014, je suis à Izieu, comme

cha que année, pour la commémoration de la

rafle. J’ai plaisir à y rencontrer une délégation de

l’association Ibuka(1), qui œuvre pour la mémoire

du génocide des Tutsis du Rwanda. Cette présence

me fait chaud au cœur. Le 6 avril 1994, cinquante

ans jour pour jour après la rafle des enfants

d’Izieu, commençait le génocide des Tutsis du

Rwanda. En trois mois, de 800 000 à 1 million

d’hommes, femmes et enfants furent exterminés

par le seul fait d’être nés Tutsis.

Quelle différence y a-t-il entre un enfant juif

exterminé en 1944 et un enfant tutsi exterminé

en 1994 ? Cinquante ans, c’est tout. L’époque,

le continent, les modes opératoires étaient

différents, mais l’idéologie raciste et la folie

meurtrière étaient les mêmes. En ce dimanche

printanier, dans ce paysage majestueux où on a

peine à imaginer que se soient produites de

telles horreurs, je pense aux enfants tutsis. Merci

à l’association Ibuka pour ce moment d’une

fraternité dont je ne peux m’empêcher de penser

qu’elle constitue la meilleure réponse aux délires

antisémites du sinistre Dieudonné M’Bala

M’Bala.

Lundi 7 avril 2014, je participe au 20e anniversaire

du génocide des Tutsis sur le parvis de l’Hôtel

de Ville de Paris. J’y retrouve le président

d’Ibuka, mais aussi ceux de l’UEJF, de SOS

racisme, du Crif, du collectif VAN, et les repré-

sentants de la Fondation

pour la mémoire de la

Shoah et du Mémorial

de la Shoah. C’est ré-

confortant. Je suis en

revanche déçu par le fai-

ble nombre de participants et par l’absence de

personnalités du monde politique, culturel et

médiatique. Pourquoi nos concitoyens se sen-

tent-ils si peu concernés par le génocide des

Tutsis ? S’agit-il d’un vieux fond de racisme

post-colonial ou, un triste bégaiement de l’histoire,

du refus d’assumer notre part de responsabilité

dans les atrocités commises au Rwanda en 1994 ?

Faudra-t-il à nouveau attendre cinquante ans

pour que, comme l’a fait Jacques Chirac en

1995 s’agissant de la responsabilité de la France

dans la déportation des juifs, la vérité soit

inscrite dans le marbre de l’histoire et que justice

soit rendue aux victimes tutsies et à leurs des-

cendants ? Il s’agit là de l’honneur de la France,

bien au-delà de son armée et de ses diplomates,

pour qu’elle redevienne à la face des nations la

patrie des droits de l’homme, et pas seulement

la patrie des déclarations des droits de

l’homme.

Commémorations

« Un triste bégaiementde l’histoire ? »

1. Ibuka (Souviens-toi), qui regroupe les associations des rescapés du génocide, s’ouvre à tous ceux qui luttent contrele génocide rwandais et contribuent à la réhabilitation des rescapés et de la société rwandaise.

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5 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra LE MOT

ANTOINE SPIRE | Rédacteur en chef

Ce 5 avril 2014 au soir, les dépêches tom-

bent : Christiane Taubira, pressentie pour

représenter la France à Kigali et participer

au 20e anniversaire du génocide subi par les

Tutsis, restera à Paris. Pourquoi ? Paul Kagamé

a de nouveau mis en cause le rôle de la Belgique

et de la France, qui, accuse-t-il dans un article

donné à « Jeune Afrique », n’ont pas seulement

commis des erreurs, mais ont aidé à préparer le

génocide – et même, pour ce qui concerne la

France, participé directement à son exécution.

« La France » (le porte-parole du Quai d’Orsay,

Romain Nadal) est « surprise » par ces déclara-

tions, « en contradiction avec le processus denormalisation et de réconciliation engagé depuisplusieurs années entre nos deux pays. »Suivent des réactions multiples : on parle (Alain

Juppé) de « l’honneur de l’armée », d’une stratégie

de diversion de Paul Kagamé – lequel (déclare

Paul Quilès) « ne comprend que la force » et

cherche à retrouver une audience internationale

qui lui ferait actuellement défaut. Des députés

de droite pressent de leur côté François Hollande

de défendre l’honneur de la France contre les

attaques jugées intolérables du président rwandais,

alors même qu’on avait « engagé un processusde réconciliation ». Terme ultime de l’affrontement,

l’ambassadeur français à Kigali, Michel Flesh,

se voit refuser son accréditation pour les céré-

monies, alors qu’il y a encore dix jours il se

félicitait sur RFI de la bonne tournure que

prenaient les relations franco-rwandaises.

Voilà donc la France exclue de fait de la commé-

moration du génocide. Pour de bonnes ou de

mauvaises raisons ? La communauté des chercheurs

ne met plus en question le fait que la France -

– ou plutôt, une poignée de politiques et de mili-

taires – a, depuis 1990, aidé le gouvernement

génocidaire, dont les intentions criminelles étaient

dès ce moment prévisibles. Des Français ont

contribué à former des milices de tueurs, à aider

l’armée rwandaise en intervenant directement

contre les troupes du Front patriotique qui mena-

çaient de prendre le pouvoir – ceci sans que le

Parlement français ait été saisi, sans même

(contrairement aux allégations de Paul Quilès)

que des accords de défense aient été signés ;

alors que, lors du génocide proprement dit, les

militaires français, en position d’intervenir, sont

restés l’arme au pied tandis que les Tutsis se

faisaient massacrer sous leurs yeux. Bien plus,

les représentants du gouvernement génocidaire

furent reçus : à l’ambassade de France, d’abord,

puis à Paris, au Quai d’Orsay, à Matignon et à

l’Elysée... Comment ne pas mettre en évidence

l’appui actif apporté par les autorités françaises

de l’époque aux génocidaires ?

L’histoire de France a mis en scène une fois déjà

cet affrontement entre l’honneur de l’armée et la

vérité : c’était l’Affaire Dreyfus, dont Péguy

avait, en d’inoubliables pages, su montrer la

gravité. Aujourd’hui, ce n’est pas l’honneur d’un

homme qu’on veut salir, mais la mémoire d’un

million de victimes sacrifiées à la raison d’Etat.

Il faut ouvrir les archives, et permettre à tout un

chacun de vérifier ce qu’il en est exactement de

la responsabilité de quelques politiques et de

quelques militaires français dans la conduite du

génocide des Tutsis. Ouvrez les archives !

Alain David et Antoine Spire

Rwanda : ouvrez les archives

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SOMMAIRE | LE DROIT DE VIVRE

ÉDITORIAL | p. 3par Alain Jakubowicz

LE MOT | p. 5par Antoine Spire et Alain David

DOSSIER Rwanda | p. 7 à 20Le Rwandavingt ans après

DOSSIER Europe | p. 21 à 29Elections européennes :l’alarme

INTERNATIONAL | p. 31 à 35• Dans la sainte Italie,

des racistes déconcertants

• En Iran, la chasseaux bahá’ís bat son plein

• Quel retour d’antisémitismeen Ukraine ?

• Peut-on “réparer”l’esclavage ?• Tel-Aviv face aux clandestins

noirs musulmans

SPORT | p. 36• Port du voile dans le football  :

la Fifa bafoue ses principesde laïcité sportive

CULTURE | p. 37 à 40

BD /• Entre Guadeloupe et banlieue

• Adieu, mon pays

LIVRES /• “Longtemps, j’ai été antisémite...”• Des femmes libres avant tout

CINÉMA /• Vive “la Cour de Babel“

version 2014• Plus jamais ça...• D’une famille recomposée...

comme un dîner de la Licra !

EXPOSITION /• Cartier-Bresson, focus

sur l’Allemagne nazie

VIE DES SECTIONS | p. 42 à 45

CONVENTION /• Licra : la Convention à Genève

PORTRAIT /• La section de Dijon

est en pleine mutation

VIE DES SECTIONS /• Châlons-en-Champagne,

section prospère• Des lycéens face à un génocide

européen méconnu, celuides Roms...

COURRIER | p. 46

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Page 7: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

7 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

UN DOSSIER SUR LE RWANDA, c’est-à-dire (il faut être ici très scrupuleux quant aux mots)sur le génocide subi par les Tutsis : la réalité indicible de ce génocide auquel tout un payslivré à une folie meurtrière a pris part, faisant sans doute un million de morts, dans lavolonté exacerbée de faire souffrir  – corps démembrés, assassinés à coups de massuescloutées, « coupés » et jetés dans les latrines parmi les excréments, abandonnés, tendonsou membres tranchés, à d’interminables agonies, plus de 200 000 femmes violées, souventcollectivement –, éventrement systématique des femmes enceintes… Aujourd’hui des chercheurs sont à la tâche, des thèses, des enquêtes paraissent, au Rwanda,en France, en Belgique, aux Etats-Unis, ailleurs… qui explorent ces niveaux de l’horreur. Encontrepartie, le négationnisme inhérent au génocide ne désarme pas. Quelque soit le nom qu’onlui donne — celui de « double génocide » est le plus répandu, transformant des faits indiscutésen moyens de négation : puisqu’il y a aussi les morts hutus, morts pour morts il y a deuxgénocides, c’est-à-dire nul génocide —, ce négationnisme quant au génocide subi par les Tutsisreste à explorer. Cela est mentionné dans notre dossier. Et c’est ce négationnisme qui, endéfinitive, motive l’intervention de la Licra : car avant même les expertises (celles des historienset des juristes – et les juristes de la Licra sont présents, cela est aussi rappelé dans le dossier, demanière décisive), une association incarne cette bonne volonté civique qui, prêtant sa voix àceux qui n’ont pas eu de voix, fait effort pour que soit perçue, fût-ce dans l’abîme du génocide,la trace de ceux dont on a voulu nier qu’ils aient représenté une figure de l’humanité.

Alain David

LE RWANDAVINGT ANS APRÈS

Page 8: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 8DOSSIER Rwanda

Malgré les difficultés inhérentes à lanature même de son dossier, PascalSimbikang wa, le premier ancien

génocidaire rwandais jugé en France, a bénéficié,dans un procès-fleuve de six semaines, detoutes les garanties d’un jugement équitable.Pour Me David Reingewirtz, avocat de la Licra,partie civile dans ce procès instruit par le toutnouveau pôle « Génocide et crimes contre l’humanité » du tribunal de grande instancede Paris(1), le temps de l’impunité est révolu. Affichant à la barre sa hargne anti-Tutsis auxallures négationnistes, il a été condamné parla cour d’assises de Paris, le 14 mars dernier, àvingt-cinq ans de prison pour crime contrel’humanité.

Juger Pascal Simbikangwa pour sa participationau génocide des Tutsis, longtemps après les faits, enFrance, avec des témoins « déracinés »... le tribunalde grande instance de Paris n’a pas choisi la facilité !Me David Reingewirtz. Il n’a pas été facile de rassembler des témoignages et des preuvessur des événements qui se sont déroulés il y avingt ans, dans un pays lointain où les génoci-daires ont eu le souci d’effacer leurs traces,leurs ADN, leurs instructions et leurs docu-ments écrits. Quand on fait le parallèle avec d’autres géno-cides, on aimerait savoir où est la conférencede Wannsee(2) qui annonça le génocide rwan-dais. Mais ça n’existe pas. Peut-être qu’on vala découvrir un jour – ou pas, parce qu’elle n’apas eu lieu.

NOTRE SYSTÈME JUDICIAIRE ESTRODÉ… POUR CE QU’IL CONNAÎTAprès plus de trois ans d’instruction, il a fallufaire venir les témoins du Rwanda, la cour d’appel ne se fondant que sur l’oralité, sur cequi se dit lors des débats et des interrogatoires.Une étape indispensable, mais logistiquementcompliquée et coûteuse. Sans compter la dimension culturelle : comment allaient réagirces complices du génocide, des gens simples— ni des militaires, ni des membres des milices« interahamwe(3) » —, des gardiens ou des cultivateurs ayant purgé leur peine ou n’ayantpas été inquiétés par les gacaca, les tribunauxpopulaires, et qui ne sont jamais venus enFrance ? Ils savaient qu’on allait leur poser desquestions, mais on leur demandait, en fait, defaire une déclaration spontanée. Ils étaient désemparés. Notre système judiciaire est bienrodé, mais pour ce qu’il connaît. Comment contourner la barrière de la langue ?S’assurer que ce qui est transmis par les in-terprètes correspond exactement à ce qu’ona voulu dire. Ainsi, au bout de quatre semainesde procès, nous nous sommes rendu compteque le mot « fusil » — un terme essentiel,puisque l’une des accusations portées à l’encontre de Pascal Simbikangwa est juste-ment d’avoir fourni des fusils aux génocidaires hutus — est invariant dans la langue kinyar-wanda(4). Quand on dit « fusil », ça peut vouloirdire un seul fusil ou cinquante fusils. Çachange tout. L’absence de témoins victimes et des géno -cidaires qui ne vont pas au-delà de la limite del’auto-incrimination dans leurs déclarationsviennent couronner le tout. Enfin, comment juger un homme en évitant defaire un procès à l’Histoire, sans  se penchersur ce qui s’est passé entre avril et juillet 1994au Rwanda ? C’était il y a vingt ans. Pour lajustice, c’est long, mais pour l’Histoire ? Combien de temps a-t-il fallu attendre après laShoah pour lire les premiers travaux historio-graphiques sérieux ? Et que dire de Pascal Simbikangwa, enfermédans un déni qui l’implique, lui, et la réalité dece qui s’est passé,  déclarant que les 800 000morts sont le résultat d’actes fous et désor-donnés, et en aucun cas celui d’un génocidedélibéré des Tutsis ? C’est avec tous ces éléments qu’on a dû jugercet homme accusé d’avoir instruit, ravitaillé etencadré les génocidaires grâce à l’autorité qu’ilavait pour le faire.

REPÈRES

Le capitaine Barril en première ligneOmniprésent dans ledossier rwandais, l’anciengendarme de l’Elysée,Paul Barril, cofondateurdu GIGN, fait l’objetd’une plainte pourcomplicité de génocide,déposée en 2013 par lesassociations Survie, la LDHet la Fidh. Le parqueta retenu la qualification,l’homme est soupçonnéd’avoir vendu des armesaux autorités génoci dairespendant l’embargo de l’ONU. Une informationjudiciaire est en cours.

Me David Reingewitzétait l’avocat de la Licraau procèsde Simbikang wa. >

Le CPCRLe Collectif des partiesciviles pour le Rwanda(CPCR), association 1901créée en 2001, est présidépar Alain Gauthier et safemme Dafroza, les deuxchasseurs de génocidairesrwandais. Elle soutientceux qui portent plaintecontre des présumésgénocidaires réfugiés enFrance, et se porte partiecivile. C’est ce qu’elle vientde faire à nouveau dansla mise en examen du Dr Charles Twagira pour son rôle présumé dansdes massa cres commisà Kibuye, dans l’Ouestdu Rwanda. Une nouvelleaffaire, moins d’unesemaine après lacondamnation de Pascal Simbikangwa.

Procès Simbikangwa : une histoire en devenirAprès le premier procès en France de l’un des responsables du génocide perpétré il y a vingt ans au Rwanda,l’avocat de la Licra, Me David Reingewitz, considère que d’autres procès devront suivre : « Il reste beaucoupde choses à découvrir... avant d’engager la responsabilité de la France dans cette histoire... »

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9 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

Pourquoi un procès à Paris plutôt qu’au TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda)d’Arusha, en Tanzanie ?D.R. Il y avait trois options : soit un procès auRwanda, qui a délivré un mandat d’arrêt contrePascal Simbikangwa ; soit au TPIR, qui a déjàbeaucoup à faire ; et enfin, en France, où il aété arrêté en 2005 pour trafic de faux papiers,alors qu’il vivait incognito à Mayotte. Le Collectif des parties civiles pour le Rwandaporte plainte contre lui auprès d’une justicefrançaise peu enthousiaste, qui rejette pourtant la demande d’extradition déposée parle Rwanda, estimant finalement pouvoir lui offrir les garanties d’un procès équitable. Dotéed’un tout nouvel arsenal juridique jamais utilisé, la « compétence universelle en matièrede génocide et de crimes contre l’humanité »,la France a souhaité montrer qu’il était sansdoute temps de mettre un terme au climatd’impunité auquel elle a participé.

La France est-elle bien placée pour instruire unprocès dans lequel elle peut apparaître comme jugeet partie, tentant de se racheter une conscience ?D.R. Je ne pense pas que la France soit apparuecomme juge et partie. Le procès de PierrePéan, en 2008, pour diffamation et incitationà la haine raciale pour son ouvrage sur leRwanda(5), nous rappelle qu’il est très délicatde juger l’Histoire. S’agissant du génociderwandais, l’encre n’est pas encore sèche. Il y aencore beaucoup de choses à découvrir, àécrire, à consolider, à réécrire, avant d’engagerla responsabilité de la France dans cette histoire, et personne n’a voulu donner une coloration politique à l’affaire. Nous n’étions pas dans un procès de ruptureau sens « vergessien », qui aurait consisté àdire : qui êtes-vous, juges français, pour statuer,alors que vous appartenez à ce pays horriblequi a participé à ce génocide ? On peut toujours discuter de la responsabilitéde la France et de sa légitimité pour juger,beaucoup de questions restant en suspens :son soutien indéfectible au régime hutu, l’opération Turquoise, la présence en Franced’anciens responsables passés entre les maillesdu filet et qu’on est obligé de juger vingt ansaprès. Nous avons entendu l’ambassadeur de Bel-gique au Rwanda au moment des faits, mais leparquet, en charge de faire citer les témoins,n’a pas estimé utile de convoquer l’ambassa-deur de France et les responsables politiquesd’alors. C’est une bonne chose si on ne veutpas polluer les débats et donner au procès unedimension qu’il n’a pas. Mais que l’on se ras-sure. L’imprescriptibilité est l’assurance qued’autres procès sont en préparation. Les ins-tructions à venir, si elles vont jusqu’au bout,concernent aussi bien d’anciens génocidaires

rwandais que certains Français ayant fournides armes, organisé la logistique et instruit les

criminels. Les hommespolitiques ne sont pas àl’abri de poursuitespour les décisions qu’ilsont prises ou qu’ilsn’ont pas prises, si despreuves intangiblessont apportées.

Ne devrions-nous pasjustement utiliser ce type de procès pour aborder laquestion de la responsa bilité de la France ?Le rapport entre justice, histoire et mémoireest complexe. Cela commence par la justice, etde la façon dont elle est rendue dépend lafaçon dont on va écrire l’histoire, qui va donnerlieu à une certaine mémoire. Le procès dePascal Simbikangwa est le premier du genreen France. Il est un signe fort en direction deceux qui ont des choses à se reprocher. Le jugement prononcé le 14 mars dernier— 25 ans de réclusion — a fait l’objet d’un appel,et il peut se passer encore beaucoup de rebon -dissements sur ce simple dossier et sur ceuxqui suivent. Le pôle « génocide » va permettre de désen-gorger la justice et faire reculer l’impunité.Les associations concernées, comme la Licra,restent vigilantes. La France pourrait, bien sûr,faire son mea culpa, mais je ne suis pas certainque ce procès était le lieu pour le faire, ni lemoment. S’il a été largement suivi au Rwanda,je ne suis pas persuadé qu’il a suscité un grandintérêt chez nous. Qui se souvient encore aujourd’hui du rôle de la France dans cettehistoire ? S’il a été l’occasion de rendre hommage auxvictimes et de faire acte de mémoire, il nous aégalement appris des choses qu’on croyaitconnaître mais qu’on ne savait pas. On pro-gresse. Mais comme une information chasse l’autre, lemystère du vol MH370 passionne plus de nosconcitoyens que de savoir ce qu’il s’est passéil y a vingt ans au Rwanda.

Propos recueillis par

Alain Lewkowicz

« La France a souhaitémontrer qu’il était temps

de mettre un terme...au climat d’impunité

auquel elle a participé. »

1. Le pôle « Génocide etcrimes contre l’humanité »du TGI de Paris a été misen place le 1er janvier 2012.Il suit actuellement quelque33 procédures d’instruction,dont 27 concernentle génocide rwandais de 1994,et 9 enquêtes préliminairesconcernant d’autres pays etconfiées à la section de Paris. 2. La conférence de Wannseeréunit dans une villa deBerlin, en janvier 1942, quinzehauts responsables duIIIe Reich pour débattre del’organisation administrative,technique et économiquede la Solution finale.3. Les Interahamwe (« ceuxqui combattent ensemble »)sont la plus importantedes milices créées dès 1992par le parti du présidentJuvénal Habyarimana.4. Le kinyarwanda est unelangue bantoue. C’est lalangue nationale du Rwanda,parlée par la quasi-totalitéde la population (près de11 millions de locuteurs).5. « Noires fureurs, Blancs menteurs. Rwanda,1990-1994», de Pierre Péan,est consacré aux accusationsportées contre la politiquefrançaise au Rwanda, quel’auteur s’attache à réfuter,et aux accusateurs, à qui ilattribue des liens avecle Front patriotique rwandais.Pierre Péan entend mettreun terme à l’ensemble desaccusations, injustes selonlui, formulées à l’encontrede la France, de sa politiqueau Rwanda entre 1990 et 1994,et à l’encontre de l’arméefrançaise. SOS Racisme lui a intentéun procès pour racisme.

*

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 10DOSSIER Rwanda

Les excusespubliquesLa Belgique a présentéses excuses au Rwandaen 2004 ;Bill Clinton l’avait fait aunom des Etats-Unis, en1998, pour n’être pasintervenus ;Kofi Annan l’a fait demanière plus floue au nomdes Nations Unies. Lors de son voyage à Kigalien 2010, le premierd’un Président françaisdepuis le génocide, NicolasSarkozy, accompagnépar Bernard Kouchner,a reconnu « de graveserreurs aux conséquencesabsolument dramatiques ».Sans dire lesquelles.

Nos si tranquilles “invités“ rwandaisDans de « douces » banlieues françaises, ils passent quasi inaperçus. Plusieurs dizaines de présumés génocidaires rwandais vivent actuellement en France, comme s’ils y prenaient leur retraite,après (d’horribles) « services rendus »...

ABouffémont, petite ville du Val-d’Oise(6 000 habitants), à 30 km au nord deParis, tout le monde connaît, au moins

de vue, Manassé B. C’est un retraité au physiquepasse-partout  : un petit monsieur au sourirecharmant et au regard doux, dissimulé derrièred’épaisses lunettes. Le cheveu rare qui blanchit,cet homme affable de 78 ans se promènechaque jour dans le quartier de la rue de Lesseps, proche de la gare. On l’aperçoit régu-lièrement aux vœux du maire ou lors des inau-gurations d’équipements municipaux. Natif de Kivuye, province de Byumba, dans lenord du Rwanda, ce grand-père d’apparencepaisible n’est pourtant pas un citoyen commeles autres. Il fait en effet l’objet d’une « noticerouge » d’Interpol ! Il est accusé d’avoir participéau génocide perpétréau Rwanda contre lesTutsis, il y a tout justevingt ans, et le systèmejudiciaire de Kigali a demandé son extradi-tion pour qu’il répondede ses actes. L’homme est donc recherché.Réfugié en France à la fin des années 90, naturalisé français en 2010, ce septuagénaireest visé par de très nombreuses poursuitesdes autorités de son pays d’origine. Les faitsqui lui sont reprochés sont particulièrementgraves. Selon le dossier transmis à Interpol, ilaurait participé aux massacres de la paroisseet de l’hôpital de Kiziguro, en avril 1994. « Il était, en 1994, président du tribunal decanton dans la commune de Murambi (ex- préfecture de Byumba). Il lui est reproché

d’avoir planifié et organisé le génocide desTutsis (de cette région) en compagnie notam-ment de Jean-Baptiste Gatete, lui-mêmecondamné à la prison à vie par le tribunalpénal international pour la Rwanda (TPIR) »,expose Alain Gauthier, président du Collectifdes parties civiles pour le Rwanda (CPCR), quitraque, avec sa femme Dafroza, les génocidairesde Tutsis à travers le monde.En 2011, le CPCR avait saisi les tribunauxfrançais pour obtenir l’extradition de Monsieur B.vers le Rwanda. Ce dernier avait été interpellépuis relâché. La cour d’appel de Versaillesavait rejeté par deux fois sa demande. Inutile de dire que l’affaire avait fait grandbruit localement. Le conseil municipal de Bouf-fémont s’était ému, le 3 novembre 2011, de la

teneur d’un article dela presse locale faisantétat des poursuites dontManassé B. était l’objet.« L’ensemble du conseildénonce cet article, tantdans son contenu que

dans sa forme », indiquait le procès-verbal duconseil. Un seul conseiller municipal de la majorité s’était désolidarisé de cette motion. La justice française devrait se prononcer unjour sur le cas de Monsieur B. Une nouvelleplainte a en effet été déposée, en mars 2012,devant le tribunal de grande instance de Paris,en vertu de la compétence universelle des tri-bunaux français en matière de crimes contrel’humanité. Une information judiciaire est encours. Mais à Bouffémont, et en dépit des éléments

« Voilà près de dix ansque des juges rwandais ontréclamé son extradition... »

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11 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

rassemblés par Interpol, Monsieur B. n’est (curieusement) pas considéré comme un géno -cidaire. « C’est un homme tranquille, qui nepose aucune difficulté », note Catherine R, directrice de la résidence pour personnes âgéesoù il séjourne. Avant d’ajouter un peu mal-adroitement  : « Ce qu’il a fait, ou plutôt ce qu’iln’a pas fait, ne me regarde pas. » Même son decloche à la Mairie : « Tant qu’il n’est pascondamné, il bénéficie de la présomption d’in-nocence », émet-on àl’hôtel de ville, où l’onfeint d’ignorer l’épaisdossier judiciaire leconcernant.Un autre Bouffémontoisaffiche un avis bien plustranché. C’est Pierre Péan. Le journalistevedette est un ami de Manassé B. Et sur cetteaffaire, il s’est exprimé de manière on ne peutplus claire, le 3 septembre 2011, dans les co-lonnes du journal « Marianne ». Il y dénonçaitune véritable cabale menée « en liaison étroiteavec Martin Ngoga, procureur général de laRépublique du Rwanda, et Tony Kuramba, chefde la section rwandaise d’Interpol » par AlainGauthier, mais aussi par Jean-François Dupa-quier, un autre « chasseur » de criminels deguerre. Une manière un peu expéditive de balayer toutes les accusations contre Monsieur B,dont la proximité avec Pierre Péan pourraits’avérer gênante pour le journaliste si la culpa-bilité du Franco-Rwandais était confirmée.Cette prise de position n’étonnera cependantpas les connaisseurs du dossier. Pierre Péandéfend en effet avec constance l’idée que lesTutsis ne seraient pas de simples victimes,mais compteraient aussi dans leurs rangs denombreux bourreaux. Il cite, à l’appui de sathèse, « une instruction en Espagne et un rap-port de l’ONU [qui] parlent d’un possible crimede génocide commis par le régime FPR deKigali contre les Hutus, pourchassés jusqu’enRépublique démocratique du Congo ». Cette approche que les juges du TPIR qualifient

de « révisionniste » est choquante à plus d’untitre. Cette thèse du « double génocide » aboutit,en effet, à « relativiser » la tragédie tutsie.Pire  ! Elle conduit, in fine, à présenter les mas-sacres dont a fait l’objet cette ethnie martyriséecomme un retour de bâton d’autres méfaitsdont ils auraient été les auteurs. En définitive,elle sous-entend que les meurtres de masseperpétrés au cours de l’année 1994 pourraientêtre, d’une certaine manière, une forme de

« légitime défense » dela part des Hutus,comme l’ont prétenduen leur temps Wences-las Munyeshyaka ou Eugène Rwamucyo, euxaussi soupçonnés par

les juges internationaux d’avoir participé auxatrocités commises. (Pour mémoire, EugèneRwamucyo a été arrêté lors de l’enterrementdu génocidaire Jean-Bosco Barayagwiza, dontil ne s’était jamais démarqué.)La position de Pierre Péan résulte-t-elle d’une«  intoxication  » par ses sources massivementhutues (très présentes dans le Val-d’Oise) etimpliquées dans la mort de plus de 800 000Tutsis dans ces terribles mois d’avril à juillet1994  ? Est-elle susceptible de s’infléchir dansles mois qui viennent ? La condamnation dePascal Simbikwanga, en mars dernier, à 25 ansde prison, va-t-elle ouvrir les yeux à l’un desplus sagaces journalistes d’investigation ? A l’heure où se profile un nouveau procès,celui de Charles Twagira, ancien directeur del’hôpital de Kibuye, arrêté dans le Calvados le21 avril dernier et écroué depuis, le rôle et laresponsabilité de Manassé B. dans le génociderwandais devraient bientôt être élucidés. Deux autres procès sont prévus avant fin2015. Ils visent Octavien Ngenzi et Tito Bara-hira, arrêtés en 2010 à Mayotte et en 2011 àToulouse. Les génocidaires peuvent trembler.Pour eux, le temps de l’impunité pourrait biense terminer.

Baudouin-Jonas Eschapasse

« Un épais dossierjudiciaire concerne

Manassé B. »

La France, terred’asile de criminels ?Combien de génocidairesrwandais vivent en France ?Impossible de le savoir. Alain Gauthier, du Collectifdes parties civiles pourle Rwanda, recense« une trentaine de plaintes »déposées en France.Mais il estime probable quebeaucoup plusde génocidaires ont trouvérefuge en Métropole.« Vu le rôle joué par legouvernement français de1994, beaucoup de ces gensont gardé des liens avecla France. Certains y ont faitleurs études, d’autres y ontdes amis, des militaires ontsuivi leur formation enFrance. Ils pensent quela France, qui est un “paysde droit”, les protégera plusfacilement. Vue l’ampleur du phénomène ? La justicefrançaise a étofféle dispositif de traquedes génocidaires rwandaisces deux dernières années.Depuis sa création,en janvier 2012, le Pôle« crimes contrel’humanité » du parquetde Paris s’est développé.De deux magistrats à sesdébuts, il est passé àtrois  juges d’instruction,deux procureurs et quatreassistants spécialisés.Une dizaine de gendarmesenquêteurs de la sectionde recherche de Paris leurprêtent main-forte.

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 12DOSSIER Rwanda

Rwanda, une histoire françaiseQuelle fut l’attitude de Paris avant, pendant et après le génocide ? Retour sur une histoire qui ne passe pas.

La France a choisi de soutenir, au débutdes années 1990, un régime aux aboisface à la guérilla du FPR, le Front patrio-

tique rwandais(1). Seul le président Habyarimana,pourtant issu d’un coup d’Etat en 1973, est légi-time aux yeux de François Mitterrand, qui entendmaintenir l’influence de la France en Afrique.Le 4 octobre 1990, le Président français lancel’opération Noroît, pour protéger les ressortissantsfrançais face au retour des réfugiés tutsis,qualifiés de « rebelles » ou encore de « Khmersnoirs ». L’opération devient vite une missiond’assistance aux Forces armées rwandaises (FAR).Entre 1991 et 1993, les massacres se répètentet un nouveau mouvement ouvertement extré -miste se constitue, le Hutu Power et la RTLM(la Radio des Mille Collines). Sans que la Francene prenne ses distances avec le gouvernementrwandais. « Les diplomaties étaient parfaitementau courant de ce qui se passait, raconte la jour-naliste Colette Braeckman(2), spécialiste del’Afrique pour le quotidien belge « Le Soir ».« Des soldats de notre pays ont formé, surordre, les tueurs du dernier génocide du xxe siè-cle », accuse Patrick de Saint-Exupéry, qui étaitau Rwanda au moment du génocide et atravaillé longuement sur l’implication de laFrance. « Nous leur avons donné des armes,une doctrine, un blanc-seing(3). »

Le 6 avril 1994, dans les minutes suivantl’attentat qui a abattu l’avion du présidentHabya rimana, un Falcon offert par la France,les milices hutues enclenchent le génocide.La France poursuit ses relations avec le gouver-nement intérimaire, dont les représentants sontreçus, fin avril, par François Mitterrand et AlainJuppé, alors ministre des Affaires étrangères.Le 21 juin commence l’opération « militaro-humanitaire » Turquoise, sous mandat del’ONU. Certains des militaires français ontinstruit les FAR. Comme l’adjudant-chef ThierryPrungnaud, envoyé à Kigali en 1992 par Parispour former la garde présidentielle. « On nousavait dit que nous partions pour protéger lesHutus menacés d’extermination par les Tutsisde la rébellion », racontera ce soldat(4 ). Censéestopper les massacres, l’opération « d’interpo-sition » Turquoise n’arrête pas les génocidairesdans la zone qu’elle contrôle. Beaucoup demembres des milices et des FAR sont exfiltrésvers le Zaïre.« L’armée française ne s’est jamais guérie duRwanda, souligne Colette Braeckman. Quant àla magistrature française, elle a été humiliéepar l’affaire Bruguière. » De fait, c’est une instruction uniquement àcharge, sans aucune visite sur les lieux, ni ex-pertise balistique, qu’aura menée le juge anti-terroriste sur l’attentat du 6 avril. « Beaucoupde monde avait intérêt à accuser le FPR et leprésident Kagamé, raconte le journaliste belgePhilippe Brewaeys(5), d’où la thèse du juge Bru-guière, très politique, qui transforme les victimesen bourreaux. »Elle est balayée par les conclusions des jugesNathalie Poux et Marc Trévidic, qui ont reprisle dossier : les deux missiles ont été tirésdepuis la colline de Kanombe, sous contrôlede la garde présidentielle hutue.« Une trentaine de responsables politiques, militaires, diplomates, se cachent derrière “laFrance” et continuent d’entretenir un écran defumée », dénonce Patrick de Saint Exupéry. Aumépris des victimes, de la réalité et de l’honneurde la France qu’ils prétendent défendre ».

Karen Benchetrit

1. Le FPR est constitué deTutsis réfugiés en Ougandaaprès la révolution de 1959.Ils ont passé à l’actionarmée après les refus deKigali de les laisser revenirdans leur pays.2. Dès 1994, ColetteBraeckman publiait« Histoire d’un génocide »(Fayard). Et, toutrécemment, « Mille Collines,Mille Douleurs » (Nevicata).3. Prix Albert Londres,cofondateur et rédacteuren chef de la revue « XXI »,Patrick de Saint-Exupérya publié « Complice del’inavouable, la France auRwanda » (éd. Les Arènes,2004 et 2009), ainsi qu’unrécit bouleversant sousforme de BD, « Les Fantaisiesdes dieux, Rwanda 1994 »,avec le dessinateurHippolyte (2014).4. Avec la journaliste Laurede Vulpian, l’adjudant-chefrevient sur l’opération dans « Silence Turquoise »(éd. Don Quichotte, 2012).5. Dans « Noirs et blancsmenteurs », éd. Racine, 2013.

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L’enquête de la mission parlementaireChargé en 1998 par Lionel Jospin d’organiser une mission parlementaire sur le Rwanda — c’est la première foisque les députés vont analyser le « domaine réservé » de l’Elysée » —, le ministre de la Défense Paul Quilèsmet sur pied une « mission d’information » (aux pouvoirs moins étendus qu’une commission d’enquête).Des dizaines de témoins sont entendus (rapport disponible sur le net). Les auditions des militaires ont lieuà huis clos. Le gouvernement français y est désigné comme ayant d’importantes responsabilités, ce quin’empêche pas Paul Quilès de prêcher l’inverse.

Vitrail du mémorialdu génocide,musée de Kigali. >

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13 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

La tragédie de CorneilleLa longue marche intérieure d’un chanteur à succès qui revient de très loin. Après avoir vécu le pire au Rwanda,y retournera-t-il ?

I l a vécu le pire : assister à l’assassinat dessiens. Le chanteur Corneille, de son vrainom Cornelius Nyungura, révélé en 2003

par le succès de « Parce qu’on vient de loin »,avait 17 ans en 1994, lors du génocide rwandais.C’est dire s’il revient de loin…Né d’un père hutu et d’une mère tutsie, il estné en Allemagne avant que ses parents, ingé-nieurs, ne reviennent au Rwanda. L’évocationsensible du massacre, en mars dernier dansl’émission « La Parenthèse inattendue », surFrance 2, a ému de nombreux téléspectateurs.Toute sa famille, a-t-il redit, a été tuée àdomicile. S’il en a réchappé, c’est qu’il s’étaitréfugié derrière un canapé… De « ces émotionsqui ont été trop fortes », on sait qu’elles peuventlaisser place au déni protecteur.Dans « Sauve-toi, la vie t’appelle(1) », Boris Cyrul -nik évoque une crypte de souvenirs qui fige unmoment traumatisant et enferme celui qui levit… « J’arborais le sourire du survivant, confiait

Corneille en 2010 au “Parisien”, mais j’étais trèsfragile. » Sur les conseils de son épouse Sofia,le chanteur charismatique a fait une psychanalyse« pour entamer un vrai travail de deuil. Sinon,j’aurais pété un câble. Cela ne guérit pas, maisça aide à vivre », dit-il, convaincu qu’il faut unjour percer la carapace forgée pour « être vrai »,et ne pas se cantonner à donner une image« positive » trop forcée. La parole aide à évacuerla colère contenue. Celle que les autres nepeuvent ni entendre, ni comprendre. Corneilleraconte aussi que lorsqu’on lui posait des ques-tions sur le Rwanda, il pouvait, bien sûr, enparler, mais « de manière très détachée ». Il nes’était pas encore « approprié cette histoire ». En 2007, l’artiste déclarait ne pas « pouvoir par-donner au Rwanda ». Or, le temps fait son œuvre.Dans son album « Entre Nord et Sud », sorti fin2013, Corneille, aujourd’hui âgé de 37 ans, laisseentrevoir dans un titre(2) « un retour à Kigali ».

Marina Lemaire

1. Boris Cyrulnik : « Sauve-toi, la viet’appelle ».Ed. Odile Jacob, 2012.2. « Les Sommets de nos vies ».

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Le chanteur Corneille. >

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 14DOSSIER Rwanda

Survivre au pire, “sans déni ni amnésie”…Le génocide rwandais, cruel échec du « plus jamais ça ! », a remis en lumière le drame des survivantsdes massacres ou de la torture. Le Centre Primo Levi, à Paris, tente de faire face depuis dix ans. Ses thérapeutestémoignent à mi-mots.

On sait trop combien les mots manquentpour dire l’horreur vécue des massacresde masse ou des pratiques tortionnaires

qui ravagent encore bien des pays du monde.Or, soigner ne va pas « sans dire »… Un psy-chiatre rwandais, justement, le docteur NaassonMunyandamutsa, lauréat 2011 du prix de Genèvepour les droits de l’homme en psychiatrie, vientde le rappeler : « Tout ce qui ne se dit pas setransmet en direct… » Défi terrible pour chaquevictime, appelée à vivre après ça, donc avec...Pour pouvoir le refermer, faut-il d’abord toujoursécrire le livre de la torture ?A Paris, c’est le Centre Primo Levi qui tente patiemment d’aider ces victimes de la tortureou des massacres dans le monde à surmonterleurs traumatismes. Le Centre a été créé en2005 par plusieurs associations engagées dansla défense des droits de l’homme ; il a notammentpris en charge des exilés rwandais. Parmi les thérapeutes qui y travaillent, le psy-chanalyste Eric Sandlarz nous y a précisé, demanière pudique : « Il faut pouvoir continuer àvivre sans déni ni amnésie. Car il ne s’agit pasd’oublier, c’est impossible ! Il s’agit de cicatri-ser… » Le Centre prodigue donc des soins médicaux et psycho thérapeutiques, mais c’estaussi une structure d’accueil, attachée à fournirun accompagnement social et juridique.Sa directrice, Eléonore Morel, nous l’explique :« Pour restaurer les liens brisés par la tortureet les violences extrêmes, il est primordial d’or-ganiser une prise en charge pluridisciplinaireavec des interprètes professionnels et dans uncadre spécifique… Mais il n’y a rien de prévupour de tels cas dans le droit commun. Cesgens arrivent chez nous dans un état de trèsgrande souffrance et, bien souvent, ils n’ontjamais pu en parler à un médecin. »

ABORDER CETTE MÉMOIRE « COMMEUNE SUBSTANCE RADIOACTIVE »Eric Sandlarz poursuit, en psychologue clinicien« de l’extrême » : « Les patients, quand ils racontent (ce qu’ils ont réellement subi…), met-tent beaucoup de temps à le faire. C’est, pourune part, pour nous protéger  d’une rencontreavec l’horreur ! Et c’est pour préserver la pos-sibilité d’un semblable innocent qui, pour eux,a disparu. La présence de l’enfant en chacunreste vitale, et la violence génocidaire a écrasécette part d’innocence. Je ne suis pas d’ailleurscertain que les histoires que nous entendonspermettent de penser… Ne produisent-ellespas le même effet de sidération sur celui qui

les écoute ? Car la violence se sert du corpspour attaquer la pensée !  » Les témoignages et leurs traces, aussi indis-pensables qu’ils soient, constituent donc« comme une matière radioactive », délicate àmanipuler. « Les exposer, c’est risquer de verserdans la fascination ou l’obscénité, d’être dansune forme de dévoilement qui est précisémentce qu’a opéré la violence. A trop revenir sur lesactes commis, on peut tomber dans des géné-ralités et privilégier une vision victimaire, audétriment d’une réhabilitation de chaque sujet.Or, c’est la parole singulière de chacun qui estporteuse de vérité. Il est d’ailleurs presqueplus facile de décrire les faits d’horreur queleurs effets. Là, la parole est comme raptée…La littérature concentrationnaire après la Shoahnous aura aidés à penser le génocide rwandais,comme celui commis au Cambodge. »

UN IMPÉRATIF D’ACCUEIL QUIIMPLIQUE UN VRAI DROIT D’ASILE« Le danger, c’est aussi de parler de génocideet de balayer sous le tapis les conditionsd’accueil des demandeurs d’asile en France,qui sont absolument scandaleuses et constituentune autre forme de violence, qui vient alimenterla violence génocidaire dont ils n’ont pas pu seséparer et dont ils sont encore envahis. Un teltraumatisme les plonge dans l’incapacité d’êtreseuls : ils ne connaissent plus le recours àaucune personne de confiance. Et la manièredont l’Etat les accueille ne leur offre pas depossibilité de restaurer cette confiance. En tantque psy, c’est ce que je tente de faire : restaurerla possibilité de la “foi”, pas au sens d’unecroyance religieuse, mais au sens de la confiance.Aider les victimes du génocide, c’est donc aussidéfendre leur droit d’asile. »

Propos recueillis par Karen Benchetrit

L’associationd’Esther Mujawayo« Une vache pour chaqueveuve », c’est l’undes com bats d’EstherMujawayo(1), fondatriced’une associa tion pourles veuves du génocide– de 30 000 à 35 000.« Une vache procure du lait,du fumier pour les récoltes,de la viande, et un capital.Thérapeutiquement,avec une vache,tu es quelqu’un. »Plutôt que deréconciliation, EstherMujawayo parle de cohabitation pacifique :« Nous avons déjà du mal à nous accepter vivants…Les bourreaux et lesvictimes ne vont pass’embrasser, même si celasoulagerait peut-êtreles pays, les huma ni taireset les religieux. »

1. 107, avenue ParmentierParis, 11e. www.primolevi.org2. Esther Mujawayo :— « SurVivantes, Rwanda, dix ans après le génocide »,Ed. de l’Aube 2004 ; — « La Fleur de Stéphanie,Rwanda entre réconciliationet déni », Flammarion, 2006.

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Campagne de sensibilisationdu centre Primo Levy :« Vivre après la torture ». >

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15 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

Réparer les vivants en respectant les mortsDepuis Devereux et Tobie Nathan, la nouvelle ethnopsychiatrie permet de corriger certaines impasses de la psychiatrie occidentale et de resituer les thérapies dans leur contexte culturel, imaginaire et symbolique.

C ’est l’identité propre des personnes,mais aussi celle de tout un groupe, quiest attaquée dans un génocide. Pour

les spécialistes de l’ethnopsychiatrie, il fautdonc répondre en s’appuyant sur la culture,les objets, le monde qu’on a voulu détruirepour aider les victimes à reprendre pied parmiles vivants. Et sérieusement reconsidérer lesthérapies traditionnelles. Au Rwanda comme dans la majeure partie dumonde, les psychothérapies occidentales n’exis-tent pas. « L’essentiel des dispositifs de soinspsycho logiques et psychothérapeutiques y sontle fait d’institutions religieuses chrétiennes oud’ONG étrangères  », précise Nathalie Zajde(1),psychologue clinicienne et maître de conférenceà l’université Paris 8. Spécialiste des trauma-tismes psychiques, formée à l’ethnopsychiatrie,elle a travaillé de 2003 à 2004 au Rwanda etau Burundi, participant à la création d’un centreuniversitaire de recherche en psychologie clinique du traumatisme à l’université de Bujumbura.

UNE APPROCHEMOINS OCCIDENTALE« Les ONG ont importé leurs concepts psycho-sociaux comme si les sociétés où elles s’im-plantent n’avaient pas leurs propres théoriesexplicatives et leurs techniques thérapeu-tiques. » Une approche occidentale largementconcurrencée par les Eglises, qui rassemblentdes foules immenses et sont des lieux thérapeu -tiques et de solidarité sociale exceptionnelle :

chaque Rwandais, chaque Burundais est affiliéà une Eglise, il en existe des centaines, qu’ellessoient catholiques, protestantes, charismatiquesou évangéliques. La majeure partie de la population s’y fait soigner : par imposition desmains, prières, séances de transes… Reste enfin le recours aux thérapies ancestralesdes guérisseurs, disqualifiés par l’Eglise commepar la psychologie occidentale, longtemps interdits et persécutés. « La psychologie etl’Eglise sont efficaces, d’une manière qui inclueforcément des processus de conversion, àl’instar de ce qu’a fait la colonisation, expliquela spécialiste. Les guérisseurs, eux, détiennentd’autres savoirs, qui concernent l’ensemble desêtres concernés. Ils traitent les survivantsautant que les absents, les malmorts et les esprits. »

ET PAR-DELÀ LE TRAUMA COLONIALUn génocide attaque les liens sociaux à l’ex-trême. Au traumatisme provoqué par la pertede tous les proches s’ajoute la « réversibilité »des relations : le voisin, le collègue, voire leconjoint s’est soudain mué en assassin.« Reconstruire une société après un génocidese conçoit à partir d’un noyau qui réconcilietous les êtres, vivants et morts, humains et invisibles », souligne encore Nathalie Zajde.Au Rwanda comme dans d’autres pays d’Afrique,ce type de proposition constitue une réponsepolitique, à la colonisation autant qu’à la décolonisation….

Propos recueillis par Karen Benchetrit

1. Spécialiste des enfantscachés et des descendantsde survivants de la Shoah, elle est l’auteur, avec TobieNathan, de « Psychothérapiedémocratique »,éd. Odile Jacob.2. A lire, « Le génocide au village » (Seuil), de l’his torienne Hélène Dumas (cf. p. 20 de ce numéro).

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Le 7 avril 2014,lors du 20e anniversaire du génocide,au stade Amahoro de Kagali,une femme tutsie en état de chocest exfiltrée. <

L’ethnopsychiatrie Mêlant psychologieclinique et anthropologie,l’ethnopsychiatrie abordeles désordres psychiquesen lien avec leur contexteculturel.La discipline se pratiqueen groupe, de préférencedans la langue du patientet en présence decothérapeutes familiersde sa culture d’origine. Professeur de psychologieclinique et pathologiqueà Paris 8, Tobie Nathanest à l’origine de lapremière consultationà l’hôpital Avicenne deBobigny et au centreGeorges Devereux.

Les gaçaça Les gaçaça (prononcez« gatchatcha ») sontdes juridic tions populairescréées en 2001 surles lieux des massacres,dont les juges sont lestémoins directs(2).Elles ont permis à nombrede survivants de retrouverles corps de proches etde faire le deuil en leurdonnant une sépulture.

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 16DOSSIER Rwanda

MachettésLe long calvaire d’une mère de Kigali, réfugiée à Nanterre : elle a vu le grand vide se faire autour d’elle,toute sa famille disparue dans les massacres programmés par les épurateurs ethniques du Pays des Mille Collines...

Leiny est jolie. Elégante aussi. Sa voix estdouce et posée. Elle s’efforce de maîtriserchacune de ses phrases. Parce qu’elle

sait que témoigner est important pour les disparus. Par pudeur aussi. Elle hésite à parler,pressée à la fois par l’impérieuse nécessité deraconter et la crainte d’étaler une souffrancesi particulière et si mal comprise.Leiny a grandi au Rwanda, dans une grande etbelle famille, entourée de deux frères et deuxsœurs. Quand elle évoque son enfance, on entrevoit toute la complexité de la situationrwandaise. Longtemps, Hutus et Tutsis ont cohabité, mais non sans heurts, comme unepetite musique haineuse encore en sourdine.A 13 ans, Leiny avait dû changer d’école car lesTutsis n’étaient plus les bienvenus dans soncollège. Qu’à cela ne tienne, elle avait continuésa scolarité ailleurs, jusqu’au bac. La mêmeannée, son père, député apprécié de ses conci-toyens, avait été emprisonné et torturé : seulementparce qu’il était tutsi. Qu’à cela ne tienne, à sasortie de prison, toujours menacé de mort, il estredevenu simple enseignant — pour les petitsTutsis, mais aussi pour les petits Hutus. Au début des années 90, les persécutions anti-Tutsis se sont précisées, un des frères de Leiny,professeur d’histoire-géo, a été arrêté sous pré-texte de soutenir le FPR. Quelques mois après, il

est mort de la tubercu-lose contractée en cap-tivité.  Chaque nuit, despierres étaient lancéessur le toit de la maisonfamiliale et des tracts in-sultants étaient réguliè-rement déposés devantla porte par des voisinss’en cachant à peine. En avril 1994, Leiny a

33 ans. Elle vit à Kigali et est maman de troispetites filles. Avant même que l’avion du pré-sident rwandais ne soit abattu, elle décided’éloigner ses enfants à la campagne, chez sasœur, pour les préserver de cette peur qui lesétreignait chaque jour un peu plus. Les petitessont parties le 4 avril. Leiny ne les reverra jamais. La fureur génocidaire a déferlé dans lanuit du 6, à la fois subite et terriblement préparée : « Ils ont tué jusqu’aux bébés, auxvieillards. Ils voulaient l’extermination totale.Il faut répéter que tout cela a été bien planifié,depuis longtemps les gens ont été éduquéspour faire cela. Nous avons souffert d’un vraigénocide. » Très vite, son frère a été assassiné.Pendant des jours, elle a erré de cachette en

cachette, ne pensant qu’à rejoindre ses filles.Quand elle est enfin arrivée près de chez sasœur, on lui a expliqué que tout était fini. Leinyest allée plus loin. Après une nuit cachées dansles bois, les fillettes avaient été débusquées parles tueurs. Gisèle, Emeline et Jessica- Stéphanieont été massacrées à coups de machette. Ellesavaient 10, 9 et 2 ans. Leurs corps ont été jetésdans une fosse commune avec ceux de leurstrois cousins, de leur tante, de leur oncle, et enmême temps que ceux de dizaines d’autres. Dans la nuit du 6 au 7 avril, le village avait étéencerclé, les routes barrées pour empêcher toutefuite. La famille de Leiny a été livrée aux milicienspar des voisins qu’ils connaissaient depuis toujours.Les yeux de Leiny se ferment quand elle raconte :« Plus tard, je suis revenue là-bas, je n’avais riend’autre à faire, il fallait que je sache. Il fallait queje puisse les retrouver pour au moins les enterrer.Devant la fosse, j’ai pu voir un petit quelquechose de ma sœur et d’une de mes filles, et puisaussi j’ai bien vu mon beau-frère. C’était dur. »Dur. Quels mots pour dire le cauchemar sanglantqui défile derrière les paupières closes de Leinyquand elle se souvient de ces jours de 1994 ? Etquels mots pour dire la solitude qui, depuis, l’en-veloppe ? A chaque phrase on l’entrevoit, incom -mensurable et lancinante : « J’ai toujours eu del’énergie, mais la vie pour une personne seulecomme moi n’est pas facile. Je me sens vulnérable,alors que je voudrais retrouver tout mon dyna-misme... A force de vivre comme ça, sans personneà qui parler pour être soutenue, c’est pas évident ».Leiny incarne la perte, de tout et de tous. Après le génocide, Leiny a repris son travail àKigali, côtoyant dans un climat surréaliste lesassassins qui étaient aussi ses collègues de bureau, ses voisins ou ceux de sa sœur. Elle apoursuivi son chemin sans se demander si elleaura la force de vivre la prochaine minute. En 2008, Leiny a quitté le Rwanda. Aujourd’hui,elle travaille à Nanterre. Hantée par les siens,« machettés », restés là-bas, dans les fossesrwandaises. Elle se souvient du génocide, maisaussi des jolies choses, celles de la vie d’avant :« Je ne pensais pas vivre encore vingt ans. Jene suis pas morte, alors maintenant j’ai la détermination de continuer pour les miens.Comment je me tairais ? On a arraché unepartie de moi. Il faut que les gens comprennentque ce n’est pas une petite affaire. Ça ne medit rien de vivre avec la haine, mais je voudraisqu’il y ait la justice. »Ce mois d’avril 1994, c’était la première fois queLeiny dormait loin de ses trois filles.

Delphine Auffret

A LIRE

Patrick de Saint-Exupéry : « Complicesde l’inavoua ble ».Karthala, 2009, 317 p.Un livre de journalismeexemplaire, centré surl’implication de la Francedans le génocide.« La France complice […]ce n’est pas la bonnequestion. La question est :Mitterrand complice ? […]Védrine complice […]Villepin complice ? […]Le général Huchoncomplice ? […]Balladur complice ? […]Juppé complice ? »Trente procédures ont étéengagées contre Saint-Exupéry, par cinq officiersgénéraux et deux colonels,aux frais du contribuable,qu’il a toutes gagnéesen première instance,en appel et en cassation.

Le silencedes nationsQuinze jours aprèsle début du génocide,le Rwanda siégeaittoujours à l’ONU, tandisque le Conseil adoptaità l’unanimité sondésengagement,faisant passer ses effectifsde 2 539 hommes à 270.

« Au village l’atten daientses trois fillettes

massacrées, “machettées”une à une et jetées dansune fosse commune avecdes dizaines d’autres. »

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17 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

Table ronde sur le RwandaAu salon du Livre de la Licra, à Paris, c’est dans le contexte brûlant des accusations du président Kagamé pointant les responsabilités françaises dans le génocide rwandais que s’est tenue cette table ronde qui réunissait,autour d’Antoine Spire, Annie Faure, Georges Balandier, Madeleine Mukamabano et Marcel Kabanda.

Débattre des responsabilités, y comprisfrançaises, est essentiel ! », attaqued’entrée de jeu Antoine Spire, prenant

le contre-pied des propos de Juppé sur « l’hon-neur de la France », et ajoutant qu’il n’y avaitpas d’inéluctabilité du génocide, mais bienl’utilisation du racisme comme agent de contrôled’une population délibérément poussée au pogrom.

LA SOI-DISANT CAUSALITÉETHNICISTE DU GÉNOCIDEGeorges Balandier, ethnologue et sociologue,souligne l’existence d’une rivalité ancienneentre les éleveurs tutsis et les cultivateurshutus. Mais il est abusif de parler de deux eth-nies, car ce qui distingue ce pays de la régiondes Grands Lacs, c’est sa forte unité nationaleet linguistique. Pour Marcel Kabanda, de même qu’on ne peutexpliquer la Shoah sans recourir à cette cons -truc tion idéologique nazie qui distinguerait lesAryens des Sémites, on ne peut ignorer cetteconstruction idéologique coloniale qui a pesésur la société rwandaise, et qui faisait desTutsis des « faux nègres », descendants desHamites, des hommes et des femmes qui, bienqu’ayant la peau noire, n’étaient pas des Noirsdans leur tête et qui, pour cette raison, furenttransformés en auxiliaires du pouvoir colonial,une minorité mise en position d’exercer le pouvoir… Madeleine Mukamabano tempère cet avis : lesnotions de Hutu et de Tutsi recouvraient d’aborddes identités socio-professionnelles ; ce sont lescolonisateurs allemands, puis belges, qui ontfigé les choses et qui ont décidé qu’il y avaitdeux « races » dans le pays, dont l’une, les Tutsis,n’était qu’un avatar, une « race dégénérée issuedes Juifs ». Le génocide est une arme politiqueau Rwanda, une manière de gouverner, et il y aeu des précédents aux massacres de 1994 : en1961, en 63, en 66, en 73 et même en mars 1993,le pouvoir hutu recourt au massacre des Tutsispour affermir son autorité. Le génocide étaitdonc prévisible « politiquement ».

LE RÔLE DE LA FRANCE« Les cafards et les Tutsies pullulent, attrapez-les et faites-les souffrir », vociférait Radio MilleCollines, bien connue pour son rôle d’accélé-rateur génocidaire… Mais qu’en est-il de celui de la France et del’armée ?Madeleine Mukamabano souligne l’autisme

incroyable des politiques français : car la lecturedes différents rapports sur ce sujet est sansambiguïté, et les responsabilités de la Francesont claires, militairement, financièrement, politiquement… Quant à l’armée, on lui a faitjouer un sale rôle : les militaires croyaientqu’ils allaient sauver des victimes et se sontretrouvés à fraterniser avec des génocidaires…

RÉCONCILIATION ET DÉVELOPPEMENTLe paradoxe du Rwanda, de sa modernitésociale et économique soumise à l’autoritarismede Kagamé, c’est la place, dans cette sociétéen pleine transformation, qu’y ont les rescapés.Ont-ils la place nécessaire pour se reconstruire ?se demande Marcel Kabanda. Certes, les res-capés ont les mêmes droits que les autres,mais ils n’ont pas les mêmes capacités desuivre le mouvement que les autres… Mais lesprocès, le fait qu’il n’y ait pas d’impunité, quepour la première fois ils peuvent raconter cequ’ils ont perdu, est porteur d’espoir.Madeleine Mukamabano pense que les Tutsissont les sacrifiés du développement : dans lasociété hutu majoritaire, les rescapés n’ontplus rien, pas de famille. Or, dans les paysd’Afrique, la sécurité sociale, c’est la famille,et les rescapés n’en ont plus…Kagame a dit : «  S’il y a quelqu’un qui a une recette pour réconcilier un pays où des mèresont tué leurs enfants parce que le père étaitTutsi, je suis preneur… »La voilà, la contradiction…

Mano Siri

LES INTERVENANTS

Annie Faure, médecin,était au Rwanda lorsdu génocide et sera témoindes massacres. Elle estla première à porter plaintepour viols et tortures, avecdes femmes tutsies, contredes militaires français.Madeleine Mukamabanoest vice-présidente d’Actioncontre la Faim, journalisteà France Culture et à RFI, où elle a créé l’émission « le Débat africain ». Franco-Rwandaise d’origine tutsie,elle a perdu toute sa famillependant le génocide.Marcel Kabanda, historienet président d’Ibuka France,est l’auteur, avecJ.-P. Chrétien, de« Rwanda, ra cismeet génocide » (2013).Georges Balandier,professeur émérite àla Sorbonne, directeurd’études à l’EHESS, auteurd’« Anthro pologie politique »(2013), de « Carnavaldes apparences »(Fayard, 2012)…

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Table ronde du Salon du Livrede la Licra. De g. à d. : Antoine Spire,Madeleine Mukamabamoet Georges Balandier. >

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 18DOSSIER Rwanda

Kagamé tient le puzzle rwandaisDictateur éclairé mais réfractaire à la démocratie, le président rwandais s’est fixé pour tâche de contraindre ses compatriotes à refouler leur haine et à vivre ensemble.

Le Rwanda aujourd’hui, qu’on le veuille ounon, c’est Kagamé. Ce pays dévasté en1994, affreusement pauvre, miné par la

surpopulation, sans ressources, où l’espérancede vie était de 36 ans, est devenu non pas riche,mais l’un des plus dynamiques d’Afrique. Avecune espérance de vie passée à 56 ans, une croissance de 8 %, 64 % de femmes en sonParlement, ayant éliminé de façon drastique lacorruption, il s’est doté d’un système de sécuritésociale performant, de réseaux de fibre optique,de routes… Un pays dont les donateurs, par-delà le sentiment de culpabilité lié au génocide,se félicitent de voir chaque centime utilisé d’unemanière rationnelle et prendre la significationd’un placement. Tout cela, c’est Kagamé. « Ka-gamé est un génie », m’a confié un jour ColetteBraeckman(1). Qui est ce « génie » ?Né en 1957, il grandit en Ouganda. A 12 ans, explique-t-il, il prend conscience de l’injusticedu sort des réfugiés, rejoint la rébellion de Museveni contre Amin Dada, puis bénéficie d’unstage de formation au Kansas. En 1990, il rejointles Forces patriotiques rwandaises (FPR) et devient un personnage clé de la lutte contre le

gouvernement génocidaire. Ministre de la Défense en 1994, puis vice-président, il est éluPrésident en 2000, pour un mandat renouvelablede sept ans. Autodidacte, doté d’une capacitéde travail peu commune, il fait de la modernisa-tion de son pays un dogme. La contrepartie : ladémocratie passe au second plan. Le FPR estpratiquement le seul parti, la presse est muselée.Kagamé (qui cède parfois à des crises deviolence) ne recule pas devant l’assassinat poli-tique. Profitant de la situation politique de laRDC, où avaient fui de nombreux génocidaires,il soutient des groupes rebelles au Kivu (le M23)et détourne au profit du Rwanda les ressourcesminières de l’Est Congo – étain, tungstène.Kagamé est un dictateur éclairé, un hommed’Etat machiavélien, qui vraisemblablementn’abandonnera pas le pouvoir en 2017. Nos jugements, sans revenir à l’ancienne complai-sance pour l’Union soviétique, doivent prendreen compte la situation de l’Afrique en général,d’un pays qui fut livré au génocide le plusmeurtrier et le plus cruel qu’ait connu laplanète, Shoah incluse.

Alain David

1. Colette Braeckman,journaliste belge, l’unedes meilleures spécialistesdu Rwanda, est l’auteure deplusieurs livres sur l’Afriquecentrale, dont « Le Combatdu docteur Mukwege »,éd. André Versailles, 2012.

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Paul Kagamé, présidentde la république du Rwandadepuis le 17 avril 2000. >

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19 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Rwanda

Triple initiativeà Châlons-en-ChampagneTriptyque de la compagnie Uz et Coutumes, « Hagati Yacu » a été présentéà Châlons-en-Champagne, en mars, au théâtre l’Entre-Sort de Furies.

Le Rwanda au Mémorial de la Shoah, à Paris Au nom d’une « convergence mémorielle », une collaboration avec l’association Ibuka s’est mise en place,pour le « 20e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda ».

L’ambition du théâtre l’Entre-Sort de Furies est de proposer un lieu d’accom-pagnement artistique destiné au théâtre

de rue. En partenariat avec la Licra, la compa-gnie Uz et Coutumes a joué deux extraits duspectacle « Hagati Yacu »(1) dans les rues atte-nantes au théâtre. Une classe d’élèves de col-lège s’était déplacée et environ 70 personnesont assisté à la représentation. Les objectifs :parler du génocide, créer un « lieu mémorieléphémère », un instant de partage. « La repré-sentation artistique, explique Dalila Boitaud, directrice de la compagnie, permet une certainedistanciation avec l’horreur et les atrocités, maisassure une prise de conscience, un éveil. »Dalila Boitaud s’est intéressée à « la questionde la transmission de la mémoire par d’autresprismes ». Devant l’ignorance et les imprécisionshistoriques qu’elle a pu constater, l’équipe

théâtrale a souhaité inciter le public à « penser,réfléchir et se confronter à ses opinions ».Inspiré par les récits de Boubacar Boris Diop(2),le spectacle se déroule sur une journée, troisrendez-vous et trois modalités d’expressionartistique. « Il s’agissait de parler de la tempo-ralité du génocide, dont les prémices remontentà 1959, d’impacter dans la représentation cettedonnée temporelle », explique Dalila.La compagnie a présenté un projet à la foisartistique, mémoriel et militant. Au gré desrencontres entre la France et le Rwanda, ilsont proposé un spectacle au propos universel,une réflexion sur l’humanité, et le souhait de« rapprocher plutôt que d’éloigner ».Une discussion a clôturé la soirée autour desinvités présents : Alain et Dafrosa Gauthieraccompagnés par Alain David.

Justine Mattioli

Le Mémorial de la Shoah, qui travailleavec l’association Ibuka depuis long-temps, honore la mémoire des morts des

massacres d’avril à juillet 1994.C’est une exposition et un témoignage quepropose, jusqu’en octobre, le Mémorial de laShoah à l’occasion du 20e anniversaire du gé-nocide au Rwanda. Le Mémorial propose unedisposition scénique, un minisite internet, uncolloque sur les grands témoins, le 25 mai, etdes projections de paroles des rescapés.La partie scénique reproduit des mémoriauxrwandais avec des objets, des photographies,des archives sonores, des vidéos et des écrits. La manifestation a été conçue avec l’aide d’historiens spécialistes, comme Hélène Dumas,Stéphane Audoin-Rouzeau et Marcel Kabanda,le président d’Ibuka.Une institution dédiée à la Shoah se doit-elleévoquer d’autres génocides ? Le Mémorial se présente comme une institutionde référence sur les questions liées à l’exter-mination des Juifs d’Europe et d’autres géno-cides du XXe siècle. Selon Jacques Fredj, directeur du Mémorial, il

n’y a pas de « compétition » des mémoires.« Nous travaillons sur le Rwanda avec Ibukadepuis 2003, où nous avons organisé une tableronde d’anciens déportés et de victimes du gé-nocide rwandais. Cette rencontre a permis d’ou-vrir les yeux sur cette “communauté” de victimes.Pour nous, c’est s’ouvrir aux autres mémoires. »Le Mémorial a donc décidé de ne pas opposerhistoire et mémoire, et de viser une « convergencemémorielle ». En 2009, un numéro de la « Revued’histoire de la Shoah » a été consacré auRwanda(1). Le Mémorial a accompagné la créationet l’élaboration des archives rwandaises. Il accueille aujourd’hui cette manifestation.

Déborah Piekarz

REPÈRES

5e édition du festivall’Entre-Sort de Furiesen juin 2014. Le Théâtre des Routesa vocation de luttercontre la désertificationdes espaces ruraux.

À NOTER

« 20e anniversairedu génocide des Tutsisau Rwanda », Mémorial dela Shoah, 17, rue Geoffroy-L’Asnier, 75004 Paris.

Installationdu Mémorialdu génocide(Kigali)présentéeau Mémorialde la Shoah(Paris). <

1. N° 190, janvier-juin 2009.« Rwanda. Quinze ans après.Penser et écrire l’histoiredu génocide des Tutsis  »

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1. « Entre nous »,en kinyarwanda.2. Boubacar Boris Diop :« Murambi, le livre desossements », Stock 1999,réed. Zulma 2011.

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 20DOSSIER Rwanda

Peut-on rire d’un génocide ?Sur le principe d’une censure des humoristes, deux membres de la direction de la Licra,Alain David et Roger Benguigui, expriment ci-dessous leurs opinions divergentes.

FACE À QUOI TOUTHUMOUR S’EFFACE…

Le génocide subi par les Tutsis a fait récemment l’objet de deux sketchs

atterrants, sur Canal plus et Europe 1. Or, onne rit pas d’un génocide.

LE NÉGATIONNISME COMMENCE AVECLE MÉPRIS DE CETTE SOUFFRANCEPourquoi cette inconditionnalité ? L’insensibilitédes sketchs (on rêve cependant de confronterleurs auteurs à la dignité des rescapés, à l’hor-reur de leurs récits : auraient-ils alors le frontde ne pas s’excuser ?) est abjecte : car un génocide, aussi exotique qu’il paraisse, n’existeque si la souffrance est perçue, et devient lanôtre. Le négationnisme commence avec lemépris de cette souffrance. En appellera-t-on à la liberté d’expression ?Ce débat n’est-il pas obsolète dans la mesureoù protéger la liberté d’expression est justementlui assigner une limite : sans quoi, commentprétendre encore lutter contre le racisme ?Reste la question du rire. Faut-il admettre icides interdits, lesquels seraient alors, quelquenom qu’on leur donne, religieux : on invoquera,par exemple, « Le Nom de la rose », d’UmbertoEco, où il y va de la censure, au nom du chris-tianisme, d’un traité d’Aristote sur le comique.A nouveau, le débat est déjà tranché : le blas-phème n’existe pas en République, où le sacrérelève de choix privés. Mais il ne s’agit pas ici de sacré : un génocideest le seul registre d’absolu subsistant dans ladéflagration générale des valeurs qui, avec lexxe siècle, a affecté l’humanité. La déflagrationque le rire exerce sur les valeurs d’une sociétése subordonne elle-même à cet absolu. Cette proximité spéciale entre rire et humanitéa pris notamment la figure universelle de « l’hu-mour juif » (explique, par exemple, Freud). Il ya peu de chances que nos tristes humoristesen aient su quelque chose.

Alain David

UNE SEULE LIMITE :LA LOI LÉGITIME

Le procès de Pascal Simbakangwa a permisde rappeler l’ampleur du génocide des

Tutsis : tout un pays livré à une folie meurtrière,près d’un million de morts, la volonté affichéede faire souffrir. Ce fut un crime contre l’hu-manité. Par contre, la question reste : les humoristes peuvent-ils dénoncer un génocideou un crime contre l’humanité avec les ressortsde la dérision et du rire ?Face aux humoristes, notre posture est lamême que pour les historiens ou les hommespolitiques : la ligne rouge de la loi a-t-elle étéfranchie ? Sommes-nous face à des propos racistes ? Pouvons-nous constater une contes-tation de crime contre l’humanité ? En l’oc-currence, tel n’était pas le cas dans le sketchde Nicolas Cantelou(1), ou dans celui diffusépar Canal + fin 2013(2).Ce pastiche choque d’autant moins que le message paraît percutant et très bon : il dénoncele détachement coupable d’Occidentaux vis-à-vis des drames atroces vécus par des Rwandais. D’autres peuvent trouver ces sketchs de trèsmauvais goût et ne pas les apprécier. Maisfaut-il les interdire ?

NOUS NE SOMMES PAS JUGES DE LA QUALITÉ DE LEUR HUMOUR La liberté d’expression est une liberté fonda-mentale pour la démocratie, qui ne doit être limitée qu’exceptionnellement. La liberté d’expression des humoristes est encore plusfragile tant leur art est difficile. C’est le sens de notre position : la liberté d’expression des humoristes « doit être protégée— tant qu’ils restent des humoristes — et quelleque soit la “qualité” de leur humour, dont nousne sommes pas juges. Quant au respect de lamémoire des victimes des génocides, il est évident que c’est un point sur lequel il n’estpas question de transiger.  »

Roger Benguigui

1. L’humoriste imitait Julien Courbet se penchant sur le « conflit de voisinage » entre « M. Hutu » et « M. Tutsi » : « Vous avezdécoupé, machetté et carpaccioté sa famille, alors qu’apparemment, il n’en avait pas exprimé le désir. »2. Le CSA avait sanctionné Canal + pour un sketch sur le Rwanda dans le cadre de l’émission humoristique de Gilles Lelloucheet Jean Dujardin, « Le Grand Débarquement ». On y entendait des comédiens chanter : « Maman est en haut, coupéeen morceaux, Papa est en bas, il lui manque un bras… ».

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A LIRE

J.-P. Chrétien etM. Kabanda : « Rwanda.Racisme et Génocide. »Belin, 2013, 379 p.Deux historiens (dont leprésident franco-rwandaisd’Ibuka-France) scrutentles mythes qui ont fait leterreau du génocide. Ils enmontrent le déroulementhallucinant, soulignant aupassage l’étonnanteproximité avec les thèmesde l’antisémitisme.

Hélène Dumas :« Le Génocide au village ».Seuil 2014, 368 p.Ce livre est extrait d’unethèse sur les tribu nauxgacaca — ce qui impliquel’apprentissage dukinirwanda et, de plus,le courage de s’immerger,sur le terrain, dans lecontexte de l’horreur.Dans ces tribunaux deproximité, il s’agit de rendrela parole à un peuple,assassins et victimes toutensemble, pour qui legénocide fut une interruptionabsolue. « Il fallait quela langue traversât sa propreabsence de réponse, unmutisme redoutable et lesmille obscurités de discoursapportant la mort » : ceprogramme, par lequel PaulCelan avait défini son œuvre,convient point par pointau livre d’Hélène Dumas,une œuvre nécessaire à laconstitution d’un humanismede notre temps.

Jean-FrançoisDupaquier : « Politiques,militaires et mercenairesfrançais au Rwanda.Chronique d’unedésinformation ».Karthala, 2014, 479 p.Un journaliste familierdepuis plus de quarante ansavec les problèmes del’Afrique des Grands Lacsaccumule un matérieldocumentaire considérablepour dresser la chroniquedes événements et desdécisions qui ont conduit augénocide. Banalité du mal ?

A.D.

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TOUT PORTE À LE CROIRE : LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE MAI SE TRADUIRONTPAR UNE ABSTENTION RECORD ET LA MONTÉE EN PUISSANCE DES EXTRÉMISTES ETDES POPULISTES. Mais, même si les Européens déçoivent les espérances des ultras, cedossier « Européennes » a de quoi faire frémir. L’alarme sonne partout. Même les pays nor-diques réputés pour leur accueil et leur tolérance craquent – ne parlons pas de ceux où leracisme de haine est « naturel » . L’état des lieux confirme que le racisme est devenu culturel.D’autant plus difficile à combattre que la crise économique accable des millions d’hommeset de femmes déçus par les partis modérés. Prêts à écouter ceux qui surfent sur leurspeurs ; ceux qui leur parlent fermeture de frontières, repli sur soi, identité nationale ; ceuxqui leur désignent l’étranger comme forcément coupable de tous leurs maux, en oubliantque l’étranger – souvent citoyen de plein droit – est lui aussi mangé à la même sauce. Bien sûr, la crise n’explique ni ne justifie pas tout. Mais, en 2014, les priorités de millionsd’Européens ne sont pas de faire échec au populisme, à la xénophobie ou au racisme. Ellesne sont pas d’être ouverts et accueillants à l’autre. Elles sont simplement de finir décemmentle mois, de travailler, de se loger, de retrouver leur fierté et leur place dans une sociétéjuste, qui leur garantit la sécurité et une bonne éducation pour leurs enfants. Ensuite, ilspourront écouter d’autres sirènes que celles qui ont déjà résonné dans les années trente.

Georges Dupuy

ÉLECTIONS EUROPÉENNES :L’ALARME

21 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Europe

* En France, lors dela dernière électionprésidentielle,le Front nationalà réalisé un score de 17,9 %.

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 22DOSSIER Europe

Europe, la montée des périlsAux élections européennes de 2014, les partis d’extrême droite s’attendent à récolter les fruits de la crise économiquequi ravage l’Union et suscite partout des mouvements de rejet de l’autre et de haine. Même les pays nordiques craquent.La montée des périls est d’autant plus grande que les partis modérés se mettent à parler comme les populistes.

Apeine les élections municipales termi-nées, les Français retrouveront les bu-reaux de vote pour les européennes,

le dimanche 25 mai. Il s’agira d’élire à la pro-portionnelle les 74 députés qui rejoindront leParlement européen.Déjà, selon les instituts de sondage, le tauxd’abstention dépasserait le niveau record de2009 : environ 60 % de non-votants. Les eu-ropéennes de mai prochain pourraient aussiconfirmer la montée enpuissance du Front na-tional, qui recueilleraitentre 20 et 24 % desintentions de vote, soit6 points de plus que leParti socialiste. Ce quien ferait du Rassemble-ment Bleu Marine ladeuxième force poli-tique française à Bruxelles, derrière l’UMP.Après dix ans de baisse du vote pour l’extrêmedroite aux européennes, tous les partis extrêmeseuropéens — de gauche comme de droite —s’attendent à récolter les fruits du marasmequi secoue l’Union depuis quatre ans. Le dernierrapport de l’Agence des droits fondamentauxde l’Union européenne (FRA), intitulé « L’Unioneuropéenne, une communauté de valeurs : sau-vegarder les droits fondamentaux en période

de crise » (fra.europa.eu), consacre plusieurspages à la crise économique qui ravage les28 pays membres de l’Union. Le noir cortègedu couple maudit récession-austérité est connu :chômage de longue durée (1 Européen sur 10),précarité, sentiment de déclassement qui frap -pe les classes moyen nes, exclusions financièreet sociale, diminution de la qualité de vie, pro-blèmes de santé ou de logement.Les eurosceptiques, populistes pour la plupart,

ont alors beau jeu demontrer du doigt uneEurope qui n’a pas suprotéger les plus pau-vres, défendre ses exclus,s’opposer à la mondiali-sation. La mise en cause,voire pire, le désintérêtd’une Union européenneimpuissante — dont il ne

faut rien attendre pour améliorer le sort de sesconcitoyens — a constamment gagné du terraindepuis quatre ans.

RÉCESSION-AUSTÉRITÉL’Europe est également accusée de ne passavoir protéger ses habitants contre les inva-sions barbares. La rengaine est bien connue :face aux hordes immigrées, l’espace Schengenest une passoire. Mieux vaut alors s’occuper

REPÈRES

Le Parlement européenEn 2014, le futur Parlementeuropéen sera composé de751 députés (750 députés et le présidentdu Parlement) élus pourcinq ans, représentantles 500 millionsd’électeurs des 28 paysde l’Union européenne. Le nombre des députés(élus au suffrage universel)est fonction de lapopulation de chaque paysmembre ; il va de96 pour l’Allemagneà 6 pour l’Estonie,Chypre ou Malte. La France est ainsi appeléeà envoyer 74 repré sentantsvenus de 8 circonscriptionsélectorales (7 pour laMétropole). Le Parlementissu des élections de 2009comptait 9 groupespolitiques. Le siège duParlement est à Strasbourg,son secrétariatà Luxembourg. Mais lesdéputés peuvent êtreappelés à siéger à Bruxelles.

« Nous n’oublieronsjamais le massacre »,« Ecrasons le fascisme ! ».Manifestation devantle palais de justice d’Oslo,en novembre 2011,pendant l’audienced’Anders Behring Breivik. >

« Les Eurosceptiques ont beau jeu de montrer

du doigt une Europe qui n’a pas su défendre

les plus pauvres. »

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23 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Europe

de ses propres frontières pour rester entresoi, au chaud. Partout, ces temps difficiles ettroubles suscitent desmouvements de rejetet de haine de l’autre.Les boucs émissairessont juifs, musulmans,noirs, homosexuels,membres des minoritésvisibles, roms, et peuimporte que nombred’entre eux soient des citoyens européens.A Strasbourg, Marc Leyenberger, vice-présidentde la Commission européenne contre le racismeet l’intolérance (ECRI, www.coe.int/ecri), analyse :« En Europe, l’antisémitisme est toujours d’ac-tualité, mais le racisme culturel alimenté parla crise a remplacé le racisme biologique. »Partout en Europe, celui qui fait peur est celuiqui peut attenter à l’identité personnelle, quine mange pas pareil, qui ne prie pas pareil, quivient polluer l’environnement, qui menace depiquer le boulot, qui envahit les transports publics, qui ne respecte pas les règles ou donton a peur. Sous les coups de boutoir de lacrise, même le modèle nordique plutôt ac-cueillant a craqué. Bien sûr, la Finlande et laSuède sont parmi les cinq bons élèves, avec laGrande-Bretagne, les Pays-Bas et l’Irlande.Celle-ci a remplacé l’Espagne, maintenant classée parmi la douzaine d’Etats aux perfor-mances moyennes, tels que le Danemark (voirencadré), l’Italie, l’Allemagne ou la France— dont la qualité de l’arsenal législatif est pour-tant reconnue. Une douzaine de cancres, parmi lesquels la Hongrie, la Tchéquie, la Roumanie,la Bulgarie (voir encadré) et la Grèce, offrentun état des lieux inquiétant.

RACISME CULTURELToutes les sentinelles le disent : le ragoût européen ne sent pas vraiment bon. Selon laFRA, un tiers des 6 000 juifs interrogés indiquaitavoir été victimes de violence verbale ou physique. Un quart des 93 000 lesbiennes, homosexuels, bi- et transsexuels (LGBT) sondésavait souffert de violence à cause de son état.Un cinquième des 23 500 membres des mino-rités ethniques, Roms et Afrique subsaharienne,avait été inquiété à cause de leur origine. Régis de Gouttes, l’un des dix-huit experts duComité d’élimination de la discrimination raciale(CERD) de l’ONU, reconnaît : « L’Europe nousinquiète mais, aujourd’hui, dans le monde, jene connais pas un seul pays tranquille. » La si-tuation européenne est d’autant plus préoc-cupante que de nombreux Etats pratiquent unantiracisme de façade. Ainsi ont-ils fait ce qu’ilfallait pour satisfaire aux critères d’entréedans l’Union. Une fois à l’intérieur, ils n’ontguère brillé par leur détermination à faire

passer la lutte contre l’antisémitisme et le racisme dans les faits. A museler et à condam-ner, comme Athènes tente de le faire avec« Aube dorée », des groupes politiques plusnazis que populistes, avec lesquels ils se sententdes affinités, à l’image des relations inces-tueuses entre le Fides, le parti du présidenthongrois Viktor Orban, et les ultras du Jobbik.A s’attaquer au mal dès l’école primaire, quandle racisme de haine — contre les juifs, les musulmans, les Roms ou les homosexuels —est « naturel » en Hongrie, en Tchéquie, enBulgarie ou en Roumanie.

BLANCOSEn mai 2014, les partis d’extrême droite européens pourraient envoyer 90 députés àStrasbourg, pas assez unis, cependant, pourconstituer un groupe cohérent. « La crise n’explique pas tout, ni ne l’excuse, dit MarcLeyenberger. L’Europe aura le Parlement qu’ellemérite. »Henri Nickels, chef du secteur « Egalité » au département Egalité et droits citoyens de laFRA, note : « Le vrai problème est que lespartis modérés sont de moins en moins tolérantset de plus en plus alignés sur les populistes. » C’est bien là où le bât blesse. La parole est aujourd’hui libérée, qui accentue les confusions,débride les esprits, mélange les genres.On connaît Jean-François Copé, le patron del’UMP, et son pain au chocolat. Manuel Vallsqui, en juin 2008, dans sa bonne ville d’Evry,demande : « Tu me mets quelques Blancs,quelques white, quelques blancos… » Mais c’estaussi le vice-président du Sénat italien qui compare Cécile Kyenge, la ministre de l’intégrationnée au Congo-Kinshasa, à « un orang-outang ».Tous les observateurs dénoncent, çà et là enEurope, le glissement sémantique des politiques,mais également le comportement de certainsmédias qui relaient les propos racistes.

REPÈRES

Le Conseil européenLe Conseil européen estconstitué par les chefsd’Etat ou de gouvernementdes pays membresde l’Union et par sonprésident, auquel se jointle président de laCommission européennequand il est nommé.Le Conseil se réunitau minimum deux foispar an à Bruxelles.Sa présidence esttournante.

La CommissioneuropéenneLa Commission européennereprésente l’exécutifde l’Union européenne.Elle est composéed’un président et de27 commissaires(un par pays), nomméspar le Conseil européen,après les élections.Son siège est à Bruxelles,où est installée la majeurepartie de ses23 000 fonctionnaires.

Décision anonyme au Parlementeuropéen de Strasbourg. >

« La situation est d’autantplus préoccu panteque nombre d’Etats

pratiquent un antiracismede façade. »

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 24DOSSIER Europe

90 DÉPUTÉSDésenchantement, manifestation de rejet ouvote d’adhésion : pour des raisons diverses,les électeurs européens peuvent, en mai pro-chain, envoyer au Parlement européen des députés dont ils pensent, en toute bonne foi,qu’ils n’auront aucun pouvoir. Ce serait unegrave erreur. Les députés européens, qui co-décident du budget européen, ont vu leurs

pouvoirs notablement élargis. Ils participentainsi à la nomination du président de la Commission, qu’ils peuvent censurer.On croit rêver. Le parti néo-nazi grec AubeDorée, qu’Athènes veut éradiquer, a annoncéqu’il porterait plainte devant la Cour européennedes droits de l’homme.

Georges Dupuy

Mauvais points et tableau noir

Le Danemark. Les mauvais points d’un bon élèveDans la classe des pays européens en lutte contrele racisme et l’antisémitis me, le Danemark est bonélève. Les législatives de 2011 se sont traduitespar le retour des sociaux-démocrates et le reculdu Parti populaire danois, qui appuyait l’anciengouverne ment conservateur. Ce parti présentécomme centriste mais populiste et xénophobe avaitété à l’origine du rétablissement des contrôlesaux frontières, supprimés depuis. Le derniermonitoring publié par l’Ecri — la Commissioneuropéenne contre le racisme et l’intolérance — enmai 2012, félicite le royau me danois pour la créationdu Conseil pour l’égalité de traitement et ledévelop pement d’une politique active d’inté gration.L’Ecri n’en souligne pas moins les conditions trèsdures d’accès à la nationalité danoise, de mariageavec un citoyen danois ou d’obtentiond’une résidence permanente. Elle dénoncele manque d’envergure et d’ambitions du Conseil,sa faible visibilité et le travail à temps partiel de seséquipes. Elle signale la persistance d’une forteségrégation en matière de logement, d’éducation etd’emploi. Plus dangereux, l’Union européenne pointeles effets négatifs de certains discours publicsconcernant les populations immigrées ou d’origine,notamment les musulmans ou les Roms, qu’ils’agisse d’hommes politiques ou de journalistes.Entre autres mesures, l’Ecri encourage Copenhagueà intensifier le recrutement des minorités parla police et la coopération avec les ONG.

La Bulgarie. Un tableau encore très noirDes efforts, mais peut encore beaucoup mieux faire  !En 2012, l’Ecri avait enregistré les petitesavancées de la Bulgarie en matière de développementde la Commission pour la protection contre ladiscrimination, de forma tion des juges et d’intégrationdes enfants roms. Fin 2013, la création du Partinationaliste bulgare — à l’extrême droite des partis lesplus populistes — a noirci un tableau déjà très sombre.Rien n’a vraiment changé depuis 2009, quand laCommission européenne stigmatisait un code pénaltrès peu appliqué et un manque d’appétit à punirles criminels racistes. Elle mettait aussi l’accent sur la faiblesse des moyenshumains et financiers destinés à éliminerles ségrégations dont sont victimes les Roms,notamment les enfants scolarisés dansdes établissements pour handicapés ou à rééduquer. Selon l’Ecri, l’intégration des Turcs et des Pomaksserait loin d’être satisfaisante. D’autant que lamajeure partie des projets est l’œuvre d’ONG sansgrands moyens. Sophia était accusée de ne rien fairepour sanctionner les journalistes incitant à la haineou les responsables politiques aux propos racistesou xénophobes. La Bulgarie est également accuséede ne pas sensibiliser la société aux problèmesde tolérance, de ne pas combattre un antisémitismetoujours très présent, et aussi de ne pas condamnerles forces de l’ordre qui se seraient livrées à des actesracistes envers les Roms et les minorités visibles.

GD

REPÈRES

La Cour de justice de l’Union européenneLes 28 juges de la Coureuropéenne — installéeau Luxembourg — peuventêtre saisis en dernierrecours par les particuliersestimant que leurs droitsne sont pas respectés.

La Cour européenne des droits de l’homme Les 47 juges de la CEDH— installée à Strasbourg —peuvent être saisis parn’importe quel citoyende l’un des 47 Etatsformant le Conseilde l’Europe, qui estimeraitque son pays ou un autreEtat membre ne respectepas la Conventioneuropéenne des droitsde l’homme.

Forum mondialde la démocratie,

Conseil de l’Europe,2013. >

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25 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Europe

Depuis l’origine, en 1979, des électionspour le Parlement européen, la partici-pation y est faible et le vote protestataire

élevé (1). Marine Le Pen, Jean-Marie Le Pen etBruno Gollnisch sont les élus du Front nationalau Parlement européen, qui tient ses séancesplénières à Strasbourg. Ils font partie des non-inscrits, car ils ne sont pas membre d’un groupepolitique — il faut réunir au moins 25 personnespour en former un. Il est alors malaisé d’obtenirun texte à rapporter, ou d’avoir de longuesprises de paroles en séance.Mais en trois ans, Marine Le Pen n’a honoré leParlement de sa venue que 122 fois. Elle était715e sur 754 pour les votes dans l’hémicycle,n’a déposé que trois questions depuis 2009, etn’a pris que 44 fois la parole en cinq ans. Elledit être présente à toutes les séances… En fait,pour obtenir l’intégralité de l’indemnité, les dé-putés européens sont obligés d’être présents(2)!Quant à son père, il était 723e en nombre devotes. A 85 ans, il va se présenter et, pour lasixième fois aux élections européennes, dansla circonscription Paca, alors qu’il réside àSaint-Cloud en région parisienne. Marine Le Pen se présente néanmoins comme« une victime » de ce Parlement puisque, entant que non-inscrite, elle ne peut déposerd’amendement en session plénière. Mais ellepourrait en déposer lors du passage en com-mission. Pervenche Beres, député PS, membrede la même commis sion de l’emploi et des af-faires sociales, affirmen’avoir jamais vu siégerMme Le Pen dans cettecommission.Tout cela n’empêchepas la dirigeante du FNde se présenter en vic-time depuis que le Par-lement européen a levél’immunité de la dépu-tée frontiste(3).Ce qui est fortement paradoxal, c’est que Mme LePen a fait du combat contre l’Union européennesa priorité en 2014(4). C’est ce qu’elle inscrit sursa feuille de route pour son parti, et qu’elle pré-senta lors de ses vœux à la presse, le 7 janvierdernier. Après quoi vient la lutte contre l’insé-curité — en réalité, celle contre les Roms.La présidente du Front national a demandéaux députés européens de son parti de quitterl’Alliance européenne des mouvements natio-naux (AEMN). L’Alliance réunit des partis radicaux comme le BNP britannique et le partihongrois Jobbik, ou le parti démocratique bulgare. Ceci va s’avérer délicat, car l’AEMN

est considérée comme un parti et reçoit à cetitre des subventions publiques de près de40 000 euros. Elle s’est elle-même rapprochéede partis plus « respectables » en vue desélections européennes.Un accord était même presque trouvé entre leFN, le parti populiste islamo phobe des Pays-Basde Geert Wilders, et la Ligue italienne du Nord.Mais il n’y aura pas de candidat commun de l’ex-trême droite européenne — FN, le FPÖ autrichien

et le Vlams Beelangbelge — pour la prési-dence de la Commis sioneuropéenne, et ce pourdes raisons « démocra-tiques ». Si une vision communese dégage sur le réta-blissement de la souve-raineté des Etats mem-bres et la maîtrise de

leurs frontières, l’opposition à l’euro et l’arrêtdes négociations avec la Turquie, les diver -gences sont plus fortes. Comme sur l’Etat-nation. Les questions de représentation et depersonne ont fait échouer le projet.Selon certains chercheurs(5), 12 partis d’extrêmedroite des 28 pays pourraient avoir des élusdans le nouveau Parlement. Le score pourraits’élever à près de 34 euro-députés. Assez pouravoir un groupe. Trop hétérogènes néanmoins,ces formations ne sont pas prêtes à en formerun. Et ces élus ne représenteraient, sommetoute, que 4 % du Parlement.

Déborah Piekarz

REPÈRES

Les électionseuropéennes Elles sont l’occasion, pour510 millions de citoyensde l’Union, d’élire leurs754 représentants.Cette fois, les dirigeantseuropéens devront choisirle futur président dela Commission, en tenantcompte des résultatsdes urnes. Selon certainssondages, le reversprévisible des libérauxet des Verts coïncideraavec le renforcementdes populistes, notammenten France, en Italie eten Pologne.

Les « Tea Parties » d’Europe :Geert Wilders (Pays-Bas),Nigel Farage (Royaume-Uni)et Marine Le Pen (France).(« The Economist » du 4 janvier 2014). <

Les Le PEN au Parlement européenEn attendant les élections du 25 mai, quel est le bilan des trois euro-députés frontistes ?

« Marine Le Pen n’a honoréle Parlement de sa venue

que 122 fois. Elle n’a déposéque 3 questions depuis

2009, et n’a pris que 44 foisla parole en cinq ans. »

1. Voir « Paris Berlin Mag »n° 94, janvier 2014,« Elections européennes :le sursaut ou le chaos »,par Jacques Docquiert.2. L’indemnité deparlementaire européenest de 7 956,57 euros brutmensuel, avec un forfaitde frais généraux de4 299 euros. 3. Décision du 2 juillet 2013,à la demande du parquetde Lyon qui veut l’entendredans une enquête pourincitation à la haine raciale.4. « Le Monde », 15 janvier2014, Abel Mestre, « Europedes nations, dédiabolisation  :les incohérences du FNde Marine Le Pen ».5. Cas Mudde, universitairenéerlandais, fondateur del’ECPR (European Consortiumfor Political Research)

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 26DOSSIER Europe

Pascal Lamy : « La construction européennea manqué d’un débat politique ! »« La spécificité française ne peut pas se réduire à être le pays qui tourne le dos au monde ! », assure cet ancien DG de l’Organisation mondiale du commerce, en qui ses adversaires voient un Euro-champion de la globalisation.

Proche de Jacques Delors, Pascal Lamy,un Européen convaincu, ancien commis -saire européen chargé du commerce ayant

exercé deux mandats de directeur général del’Organisation mondiale du commerce (septembre2005 à septembre 2013), ne craint pas le débatpolitique nécessaire après la sanction des urnes.

L’abstention aux prochaines élections euro-péennes ne va-t-elle pas atteindre des sommets records dans ce climat actuel de défiance ? Pascal Lamy. C’est probable. Je pense que l’an-tidote possible à ce rejet serait que nos cham-pions, qui représentent chacun nos grandesfamilles politiques, animent personnellementla campagne européenne. Je crois aussi queles événements en Ukraine constituent uneanimation positive. Ceux qui défilaient avecdes drapeaux européens à Kiev, même s’ilsn’étaient pas tous exempts de manipulation locale, ont marqué les esprits. Le fait de donnerl’impression de fermer la voie européenne àl’Ukraine a fait descendre les gens dans la rue.La preuve que le rêve européen existe encore,et qu’il réagit quand on cherche à lui faire mal !

Ne pensez-vous pas que la montée prévisible despartis populistes aura forcément un impact sur lefonctionnement de l’Europe  ? P.L. Non, je ne le crois pas. Nous avons environ

750 députés européens dont 130 issus de partispopulistes. Dans l’hypothèse où ce chiffre monteà 200 députés anti-européens au Parlement,cela ne fait jamais qu’un quart ! Les partis majo-ritaires, socio-démocrates, le PPE (Parti popu-laire européen), les libéraux, les Verts sont unemajorité qui reste pro-européenne. On peut aussipenser que la montée de ces partis radicaux vapousser les autres formations à des coalitionsplus solides et plus permanentes. Certes, ils au-ront plus de moyens que par le passé, mais avecdes formations très hétérogènes, donc en situa-tion compliquée pour constituer des groupes.

A l’issue de ce scrutin, il n’y aura donc pas, selonvous, de conséquence négative sur l’ambition euro-péenne ?P.L. Voyons les choses de façon positive… Cen’est peut-être pas une si mauvaise chose qu’ily ait plus de débats au sein même de l’Europe,y compris avec des partis radicaux, pour l’ani-mation de l’espace politique européen. J’auraispréféré que le débat puisse se faire autrement.Mais la réalité existe et il faut l’affronter. Aprèstout, depuis cinquante ans, on vivait dans unconsensus sur l’Europe  !

Mais l’euroscepticisme va gagner du terrain, enaffaiblissant encore la crédibilité et la légitimité del’institution dans l’opinion…

Aux urnes,citoyens européens !« Elections européennes :en avant, toutes ! » Initié par le think tankeuropéen « Notre Europe -Institut Jacques Delors »,ce mot d’ordre inviteles concitoyens européensà se rendre aux urnes,le 25 mai prochain. Avec, comme feuillede route, la poursuitede la constructioneuropéenne sur la based’alternatives claires. A bon entendeur…

Pascal Lamy. >

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27 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Europe

Une vague populiste sur l’EuropeSurfant sur la crise, les partis d’extrême droite gagnent du terrain sur la scène européenne. Un mouvement que le politologue Dominique Reynié juge potentiellementdévastateur pour nos démocraties, s’il n’est pas rapidement enrayé.

P.L. Nous avons effectivement besoin d’un nou-veau discours sur l’Europe. Notre vieuxnarratif  fondé sur « la paix entre nous » s’es-tompe dans les mémoires. C’est dommage maisc’est ainsi. Je pense que l’euroscepticisme estnormal dans un système démocratique fondésur le débat politique. La légitimité d’une grandepuissance supranationale, qui est un grand défihistorique, est forcément difficile à installer, s’op-posant à l’idée d’appartenance à des commu-nautés. L’Europe a une légitimité octroyée et nonconquise. Jamais des milliers de personnes n’ontdéfilé dans les rues pour réclamer des députésélus au suffrage universel  ! Prenez la France : il ya dix ans, 60 % des gens répondaient oui à laconstruction européenne et pensaient que c’étaitbon pour leur pays ; aujourd’hui, ils sont 30 %.Nous vivons une crise de légitimité qu’il faut re-connaître, et à laquelle nous devons répondre.

Et comment y répondre  ?P.L. Je crois qu’il faut redonner un sens à cetteconstruction européenne. Une ambition histo-rique qui va plus loin que la dimension de lapaix et de l’amélioration du niveau de vie.Il faut pénétrer sur le terrain des valeurs, cequi est à mes yeux l’identité de l’Union euro-péenne, une idée qui est d’ailleurs plus clairedans le regard porté par les non-Européenssur l’Europe que par les Européens eux-mêmes.Elle est en effet considérée à l’extérieur commel’option la plus civilisée de la mondialisation,

avec des valeurs d’humanisme, d’équilibre entre les individus et la société, de laïcité, denon-discrimination et de libre circulation. Il nes’agit pas seulement d’un principe économiquemais d’une valeur qu’il faut préserver. Cettecolonne vertébrale doit être construite autourde règles communes convaincantes pour sasurvie et son fonctionnement.

Pour autant, l’Europe, dans l’esprit de l’opinionpublique, est ressentie comme une menace pour lesemplois. Est-il encore possible de vaincre ces peurs ?P.L. Je ne dis pas que la mondialisation est lenec plus ultra, ce qu’on me fait trop souventdire… Mais je crois qu’il faut voir le futur euro-péen à l’intérieur de ce monde qui sera dansl’avenir encore plus globalisé. Le terreau desanti-Européens fonctionne sur l’agitation de lapeur. Pendant trop longtemps, les partis poli-tiques français ont communiqué sur ces peurs,mettant ainsi du charbon dans l’idéologie duFront national. Mais on n’abolit pas les peurs parpure incantation. Cela se fait par la preuve deschiffres, l’expérimentation, le regard porté surdes faits concrets, en fournissant des élémentsde comparaison et en regardant comment lesautres ont su se sortir de situations difficiles. LaFrance doit prendre cette direction !Si la spécificité française se réduit à être le seulpays qui tourne le dos à ce monde, alors oncourt au-devant de problèmes sérieux  !

Propos recueillis par Alain Barbanel

Le discours populiste s’installe dans lepaysage européen avec la présence d’or-ganisations politiques qui se renforcent,

comme le Front national en France, ou émergent,à l’exemple du Mouvement 5 Etoiles en Italieavec Beppe Grillo, la Nouvelle Alliance flamande,le FPÖ autrichien, Jobbik en Hongrie, l’Uniondémocratique du centre en Suisse, le Parti dela liberté néerlandais, le Parti du peuple danois,l’Aube dorée en Grèce… Un développement ful-gurant, qui m’a obligé à rééditer une éditionaugmentée de l’ouvrage que j’avais publié il y adeux ans, “Populismes : la pente fatale” ».Dans sa nouvelle version, « Les Nouveaux Po-pulismes », Dominique Reynié, professeur àSciences po et directeur général de la Fondationpour l’innovation politique, pointe du doigtune évolution dans le discours et la posturepopulistes, même si la crise matérielle est le

premier carburant. « Le phénomène nouveauchez ces partis est ce que j’appelle l’appropria-tion du “patrimoine immatériel“, nourrie parcette perception fantasmatique d’une mondia-lisation menaçante contre laquelle il faut rentreren résistance. Avec en toile de fond l’idée qu’ilfaut “réserver l’Etat providence à ceux quisont de souche” », explique l’auteur. Autre constat alarmant : les populistes n’hésitentpas à assimiler la parole xénophobe à un testpour mesurer la liberté d’expression, et fontse répandre dans l’opinion l’idée que la causede la liberté est liée à celle de l’extrémisme. « Après les élections, l’Europe aura à répondreà cette question : que veut-on faire avec cetteinstitution démocratique prise d’assaut par lespartis populistes ? », s’interroge DominiqueReynié.

Alain Barbanel

A LIRE

Pascal Lamy : « Quandla France s’éveillera ».Ed. Odile Jacob.« Inviter les Français àregarder le monde tel qu’ilest, leur montrer quele monde est moins unemenace qu’une chance…  »,tel est le message d’espoirporté par Pascal Lamy dans son dernier essai.L’ancien président del’Organisation mondialedu commerce, en pleindébat sur le profil duprochain Parlementeuropéen issu des urnes,apporte ainsi une visionpositive, nourrie parses rencontres avecles responsables dela planète.

A LIRE

Dominique Reynié :« Les NouveauxPopulismes ». Ed. Pluriel, 377 p., 9 €.

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 28DOSSIER Europe

Les “Roms”, peuple européen, votent-ils ? La nation romani, qui regroupe Roms, Manouches (Sintés) et Gitans (Kalés), compte de 10 à 12 millions de citoyenseuropéens. Elle se définit elle-même comme « sans territoire compact et sans prétention à un tel territoire(1) ».

Le paradoxe de la situation de ceux qu’onappelle improprement « les Roms » estici énoncé : minorité la plus importante

de l’espace européen, dont les revendications,contrairement à d’autres, ne portent que surle droit et la justice et non sur l’espace, elle estaussi la plus malmenée et la moins représentéeau niveau politique. A la question de savoirs’ils votent, la réponse est donc à la fois simpleet complexe, comme toute réalité dont onignore les énormes disparités.

VOTER C’EST PRENDRELE RISQUE DE S’AFFICHERSelon Juliette Jourdan, réalisatrice du film« Mémoires tsiganes, l’autre génocide » (lireaussi p. 45), pour lequel elle a parcouru l’Europeromani pendant plus de sept ans, « ils » ne votent pas, malgré des situations très variables :les manouches français sédentarisés ont plusde chances ou d’opportunités de voter que lesRoms mobiles et sou-vent sans domicile as-signable où recevoirleur carte d’électeur.Leur inscription sur uneliste électorale n’estdonc pas ce qui les détermine, bien que cer-tains soient très politi-sés et engagés dans un activisme militant qui commence à se faire entendre. Mais militer,s’inscrire sur une liste, voter, c’est s’afficher etsortir de l’anonymat… C’est tout le problème.Faut-il ou non le faire et prendre le risqued’une stigmatisation supplémentaire ? Car,

rappelle la réalisatrice, c’est pour la mêmeraison que les enfants roms ne sont pas ou peuscolarisés, voire retirés de l’école : y aller, c’estse montrer, ou plutôt, se faire montrer du doigt.

DE NOUVEAUX VOTES ROMSPourtant, çà et là, on fait état d’une participationélectorale des Roms : ainsi à Tourcoing et àVilleurbanne(2), aux élections municipales, desfamilles, aidées notamment par des associa-tions(3), ont réussi à s’inscrire sur les listes etsont allées  voter pour la première fois, ce quin’a pas manqué de déclencher les commentairesles plus abjects sur le site du « Point » faisantétat de ces premiers votes romani. Installés les uns depuis trois ans dans un cam-pement sauvage à Villeurbanne, les autres depuis six mois près de la gare à Tourcoing, ilsont fait valoir leurs droits, motivés par l’enjeutrès concret de ces élections, comme par exem-ple l’installation de l’eau et l’électricité dansleur campement, et par le fait qu’en France,tout n’est pas décidé d’avance comme en Rou-manie. L’une de ces toutes nouvelles électrices,Marinella, « veut que son vote puisse avoir unsens » et compte revoter et encourager lesautres à voter aux européennes…

VERS UNE MULTIPLICATION D’ÉLUS ROMS ?Au Parlement européen, il n’y a qu’un seul représentant rom : la Hongroise Livia Jaroka,élue sur les listes du Fidesz, le parti conservateurdu Premier ministre hongrois Viktor Orban.Mais pour les prochaines européennes, en mai,l’AER (Agence européenne pour les Roms)compte y faire entrer 8 représentants romani :1 en France, 2 en Belgique, et d’autres en Alle-magne et en Roumanie.Mais au-delà de ce vote qui s’installe dans lestêtes, il faut souligner l’essor de l’activisme

militant, notamment desfemmes gitanes, très ac-tives dans les change-ments en cours, et dontle dernier congrès, auPortugal, en novembre2013, à l’appel du Conseilde L’Europe, a débattude toutes les questions

sociales : « N’être pas clientes mais actrices deschangements politiques, prendre des décisions,se mobiliser. » L’heure n’est peut-être plus seu-lement à la lutte contre les discriminations,mais à celle de la visibilité et… du vote

Mano Siri

1 .5e Congrès de l’Unionromani internationale,Prague, juillet 2000.2. Mais aussi à Saint-Deniset à Vitry-sur-Seine.3. Par exemple, le collectifRoms Citoyen et Solidaire,Tourcoing, Vallée de la Lys.

*

« A Tourcoing etVilleurbanne, les pionniersdu “vote rom” ne manquent

pas de courage. »

Vote d’une tsiganeen Roumanie,le 30 novembre 2008. >

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29 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra DOSSIER Europe

Des européennes en chute libre Les enjeux de l’élection du 25 mai (en France) ne sont pas minces par temps de crise économique, les abstentionnistesprenant aussi le risque de laisser progresser au Parlement européen les partis les plus xénophobes.

Du 22 au 25 mai prochain, nous, les510 mil lions d’Européens, serons appelésaux urnes pour remplir une nouvelle

fois les 766 sièges du Parlement. Ces députéscontinueront le combat contre l’ennemi publicnuméro 1 : la crise. Qui a considérablement affaibli l’Union (notamment les pays du Sud),l’euro (conduisant de nombreux gouvernementsà l’austérité) et le moral de tout le monde.Malgré les enjeux, on ne peut que remarquerl’affolante chute libre du nombre de votants,et cela proportionnellement à la populationdepuis 1979, date à laquelle eurent lieu lespremières élections. Un taux d’abstention dontpersonne ne se soucie vraiment.

QUESTIONNEMENT SUR LE CITOYEN : PEUT-ÊTRE...Pourquoi oublie-t-on de voter aux européennes ?Telle est la question. Peut-être, en premier lieu,par pure naïveté. Et il ne faut pas le nier.Il ne s’agit pas de blâmer : certains, en effet,n’ont pas conscience de l’importance de cevote, ils n’en connaissent peut-être même pasla date, ni le fonctionnement des listes.Evidemment, les élections présidentielles oumunicipales parlent plus au citoyen lambda :les élections européennes ne peuvent pasjouer la proximité, et les sommes investies parles partis politiques pour appeler à voter n’ontrien à voir avec les budgets publicitaires desmultinationales.A l’heure de l’hypercommunication, le voteaux européennes ne fait pas l’événement. L’Eu-rope, c’est loin ! On ne sait même pas si ceuxqu’on élit auront du pouvoir… Nul n’ignore queles enjeux paraissent éloignés, et surtout horsd’atteinte pour l’électeur ordinaire. Que font« ils » à Bruxelles, à Strasbourg ?S’il y a encore quelque chose à attendre de lapolitique, c’est peut être du maire qu’on peutrencontrer sur un trottoir, à la rigueur dudéputé et du Président (que la télévision nousdonne l’impression de côtoyer), mais certaine-ment pas d’un élu euro -péen dont on ne saitpas ce qu’il fabrique etqui est presque un in-connu.Ainsi de nombreux élec-teurs se sentent-ils inu-tiles face à cette lointaine Europe que les dis-cours politiques ne confron tent pas à l’expé-rience quotidienne.Mais il y a plus encore  : si la politique est l’artd’organiser ce que l’on appelait autrefois la

cité, on peut dire qu’elle a pratiquement perdutout son sens aujourd’hui pour de nombreuxFrançais, pour qui il n’y a plus de parti, plus degauche, plus de droite. Il n’y a plus d’honneur,c’est un métier d’argent. Les voilà blasés !

ALORS, QUI VOTE,  ET POURQUOI ?Pendant ce temps, le nombre de ceux quivotent aux extrêmes, et spécialement pour leFront national, progresse. On l’a vu aux muni-cipales : avec une dizaine de mairies sous leursailes, rien ne semble pouvoir arrêter leur désirde conquête. Une montée qui profite ausside… l’abstentionnisme. Le nouveau maire deFréjus, le frontiste David Rachline, vient d’enleverle drapeau européen de sa mairie. Ne confirme-t-il pas ainsi que voter FN ou s’abstenir, c’est lamême chose ?

Un sondage Ifop place les populistes devant lePS aux européennes, et non loin de l’UMP. Unsondage reste un sondage, il ne lit pas leslignes de la main de l’Europe. Mais ce qu’il dit,c’est que le peu de pouvoir démocratique quel’on peut encore avoir pour contrer ceux quiveulent voir le retour des monnaies nationales,qui se plaignent de l’ouverture des frontièrescomme de la peste, ces ethnocentristes quine voient pas de réel intérêt à l’Europe, est

chancelant.Aujourd’hui, on constateque ce parti est certai-nement le plus soudéqui existe en France.Il prend de l’importanceen jouant avec les règles

du jeu  : le suffrage universel. Mais ce jeu ne perd-il pas toute sa légitimité,son aspect démocratique, si tout le monde n’yjoue pas ?

Raphaël Bocobza

« Il y a commeune hiérarchisation

inconsciente des votes. »

REPÈRES

La France détient 74 siègesau Parlement. Elle est endeuxième position quantau nombre de députésau Parlement.L’UMP, le PS et les Vertssont actuellement les troispartis politiquesmajoritaires au sein desdéputés français.

Un sondage Ifop plaçait,il y a deux mois, le FN en tête, avec 24 %. Depuis les municipales,l’UMP l’aurait devancé(24 % devant 22 %). Le PS, lui, est à 19 %, et les Verts à 8,5 %.

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31 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra INTERNATIONAL

Dans la sainte Italie, des racistesdéconcertants Entretien avec Philippe Ridet, correspondant du « Monde » à Rome, sur les promesses du nouveau Premier ministre, dontle premier « décrochage » est celui de la ministre de l’Intégration qu’une droite raciste avait traitée d’« orang-outan ».

L’Italie, sa culture, son art du vivre ensemble,

mais aussi ses contradictions, sa xénophobie,

ses drames de l’immigration… c’est à y

perdre son latin. Nous avons demandé à Philippe

Ridet, qui la connaît bien, de nous en parler.

On a bien du mal à comprendre l’Italie, et notam-ment sa relation à l’autre, à l’étranger. On a l’impressiond’un pays où règne une grande tolérance pour l’intolé-rance, avec une parole raciste décomplexée qui fait par-tie du paysage politique... Comment l’analysez-vous ? Philippe Ridet. Lorsque, notamment l’an dernier, le

vice-président du Sénat a comparé la ministre noire

italienne de l’Intégration, Cécile Kyenge, à un orang-

outan, tous ceux qui l’ignoraient encore ont su qu’en

Italie, il y a pour ce genre d’exaction une sorte de

mansuétude, une loi du silence relatif. Il n’y a pas

ici d’équivalent à la loi Gayssot. Et c’est vrai, les

Italiens sont naturellement hostiles à ce qui n’est

pas eux. Il y a une forme de rejet a priori de l’altérité,

dont les racines plongent dans leur histoire. C’est

un pays d’identités locales et de particularismes

régionaux. Il est donc plus difficile pour un étranger

de devenir italien, de s’intégrer à un corps aussi

complexe à appréhender. Ce pays ne se dit pas au

singulier : il n’y a pas une Italie, mais des Italies.

Les Philippins, qui ont été la première grandevague migratoire en Italie, dans les années 70, donnentpourtant l’impression d’une communauté intégrée. Ph. R. Oui, et c’est également vrai des Sud-Amé-

ricains, des Polonais… En Italie plus qu’ailleurs,

l’intégration réussie est fonction de la proximité

culturelle. Ces immigrés-là sont catholiques. L’ac-

ceptation va donc se faire ici assez vite grâce au

réseau d’entraide que sont les paroisses et les

nombreuses associations catholiques, comme

Caritas, par exemple. C’est donc, ici, beaucoup

plus difficile pour les musulmans, notamment.

Pensez-vous que le racisme soit, en Italie, unearme politique aussi rentable qu’efficace ? Ph. R. Non. La Ligue lombarde est tombée de 10 %

à 4 %, et on voit bien que personne ne reprend ce

créneau. La parole raciste est partout diffuse, mais

n’est pas portée par un parti. Ces thématiques ne

sont donc plus payantes. Derrière tout ça, on revient

toujours à l’idée que, pour 80 % des Italiens, ce

qu’ils ont en commun, c’est avant tout leur catho-

licisme. L’accueil fait donc partie intégrante de la

tradition religieuse, ainsi qu’un entendement parti-

culier du « Aimons-nous les uns les autres » qui

nous fait un peu sourire en France et qui joue pour-

tant, ici, un rôle de frein actif au pire.

Le jeune Premier ministre italien Renzi a fait sa pre-mière visite officielle à Tunis et non à Bruxelles ; pour-tant, il n’a pas reconduit Cécile Kyenge et son ministère.En matière d’intégration, quelle est sa position ?Ph. R. Je crois qu’il veut une approche plus prag-

matique, qui ne durcisse pas le débat entre tenants

du droit du sol et tenants du droit du sang, une

approche qui en allège le pathos.

Sur le fond, je pense qu’il est pour un assouplisse-

ment législatif, et qu’il a pensé judicieux qu’il n’y

ait plus, pour l’instant, une ministre qui symboliserait

et incarnerait ces débats. Pourtant, la seule présence

de Cécile Kyenge, femme noire née au Congo, dans

un gouvernement italien a été un message fort, un

symbole important pour un pays qui peut sembler

aussi arriéré et qui, ici, a été à l’avant-garde.

Les deux gros dossiers qui étaient les siens – rac-

courcir les délais d’acquisition de la citoyenneté

et abroger complètement la loi Bossi-Finni(1) –

sont maintenant d’actualité. Elle a permis de leur

donner de la visibilité, et toute une partie des

libéraux est actuellement investie dans ce combat.

Renzi s’inscrit dans cette mouvance, mais comme

toujours avec l’Italie, il n’y a pas une explication,

mais des explications.

Propos recueillis par Marie-Pia Garnier

QUELQUES CHIFFRES

Population élargie :60 M, dont 5,5 M d’immigrésen situation régulièreet 500 000 clandestinsestimés (source Istat.) Taux de féconditéde la population : 1,4 % (en petite progression).Taux de chômagede la population active :12,7 %, dont 35 %pour les jeunes. 30 000 migrantsont accosté en 2013à Lampedusa (20 km2),première porte d’entréede l’immigration africaineen Europe.Plus de 20 000boat people ont péri depuis 1988 en Méditerranée.

POUR CONTINUER

LE VOYAGE…

— Suivre l’actualité commesi vous y étiez surCampagne d’Italie, le blogde Philippe Ridet.— Lire son deuxième essai,« L’Italie, Rome et moi »,dont l’épigraphe deNobécourt est justement :« Méfiez-vous de ceux quiont tout compris de l’Italieet peuvent l’expliquerclairement. Ils sontsûrement mal informés. »

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1er mai 2010,la marchedes travailleursimmigrés africainsà Rosarno,en Calabre. <

1. Loi Bossi-Fini de 2002, durcie en 2009, quotas par pays source ; fichiers d’empreintes digitales pour les demandeurs devisa ; retours forcés ; centres de rétention… Après le drame de Lampedusa, en octobre 2013, les centres de rétention ont étéfermés, et le délit d’immigration clandestine dépénalisé en janvier 2014. De l’avis des spécialistes, cette loi n’a jamais régulédes flux migratoires exponentiels.

*

Page 32: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 32INTERNATIONAL

En Iran, la chasse aux bahá’ís bat son plein Le nouveau Président iranien semble donner des signes d’apaisement. Pas pour les bahá’ís, la première minoritéreligieuse du pays, sur qui le régime des mollahs renforce constamment ses pires persécutions.

Huit mois après l’élection du président

Hassan Rohani, l’heure est à l’optimisme

quand on évoque l’Iran. En mai prochain,

la communauté internationale rédigera un traité

d’entente nucléaire, met-

tant ainsi un terme aux

velléités iraniennes de

constituer un arsenal

nucléaire. L’Iran ayant

respecté jusqu’ici ses

engagements dans le

domaine, certaines des

sanctions économiques touchant le pays sont

d’ores et déjà suspendues.

Cette détente dissimule aujourd’hui la dégradation

manifeste des droits de l’homme qui a lieu paral-

lèlement dans le pays. En effet, si Hassan Rohani

montre plus de modération que son prédécesseur

sur le plan international, il n’en est rien au niveau

du respect des libertés individuelles. En 2013,

l’Etat a fait mener 687 exécutions (contre 314 en

2012)(1) et, uniquement depuis le 1er janvier 2014,

176 personnes ont été pendues.

UNE RELIGION RÉCENTE, UNE FOI UNIVERSALISTEParmi les plus touchés par ces persécutions

figurent les membres d’une communauté mal

connue en France : les bahá’ís. Au nombre de

350 000 en Iran, ils forment la première minorité

religieuse du pays.

Si les juifs, les chrétiens et zoroastriens sont

reconnus par la Constitution islamique, il n’en

est rien des bahá’ís, qui sont totalement exclus

de la vie du pays. Sans aucun droit civil, ils n’ont

accès ni à l’université, ni à la fonction publique,

ni au logement ou à la propriété. Privés de la

possibilité de se réunir ou simplement d’être

inhumés dignement, les bahá’ís ne peuvent mener

une existence normale en Iran. Aujourd’hui, la

situation est devenue plus critique encore : inlas-

sablement, via des cam-

pagnes médiatiques quasi

obsessionnelles, le pou-

voir en place en Iran

décrit les bahá’ís comme

une secte déviante aux

accents satanistes, s’em-

ployant à détourner les

musulmans de la vraie foi, et répète sans relâche

que les bahá’ís sont à la solde des puissances

occidentales et des sionistes, en vue de déstabiliser

le régime des ayatollahs.

UN APPEL AU DIALOGUE ET AURESPECT DES DROITS DE L’HOMMEDans les faits, les grands axes de la foi bahá’íe

sont en complète antinomie avec les principes du

gouvernement iranien. En tout premier lieu parce

que les bahá’ís sont animés par des mobiles uni-

versalistes, explique leur porte-parole en France,

Sophie Ménard : « Profondément pacifistes, pro-mouvant l’éducation pour tous, ils ont pourobjectif de travailler à l’unité de l’humanité,sans rejet des diversités, dans le respect de toutescultures, des religions et de la justice sociale.Ils prônent une totale égalité entre hommes etfemmes. » Leur foi leur interdit de se positionner en tant

qu’opposants ou même de choisir l’exil pour

échapper aux persécutions, puisqu’ils doivent

servir les autres et perpétuer, coûte que coûte, le

dialogue avec les autorités en place en vue d’amé-

liorer les conditions de vie de leur pays. C’est

ainsi que, du fond de leur prison, sept responsables

bahá’ís ont écrit au président Rohani afin de par-

ticiper, en décembre dernier, à la très officielle

« consultation générale portant sur les droits etles responsabilités des citoyens ».A cette demande de dialogue répondent répression

et terreur : « Il y a aujourd’hui trois fois plus debahá’ís en prison que début 2012. Ils sont aumoins 136, dont le plus âgé a 81 ans », rappelle

Sophie Ménard.

Evoquer ces bahá’ís trop souvent oubliés est un

premier pas face à un régime qui met tout en

œuvre, inlassablement, pour les persécuter. La pres-

sion internationale, qui est en passe de fonctionner

quant à l’armement nucléaire, peut aussi être

opérante en matière de droits de l’homme : le

généreux pari de l’unité de l’humanité défendue

par les bahá’ís est aussi à ce prix.

Delphine Auffret

REPÈRES

Le fondateur de la foibahá’íe, Bahá’u’lláh, est néen 1817 à Téhéran. Il a été repoussé parles Perses jusqu’auxlimites de l’empireOttoman, à Acre.Depuis, les liens entreIsraël et les bahá’is sontcordiaux. Les lieux saintsbahá’is, Acre et Haifa,sont inscrits au Patrimoinemondial de l’Unesco. Les écrits de Bahá’u’lláhsont traduits en huit centslangues. Les fidèles sont environ7 millions dans le monde.

Un temple bahá’is détruit lorsd’une manifestation en 1979.Il sera rasé par le gouvernementiranien. >

« En Iran, le pouvoiren place stigmatise

inlassablementles bahá’ís. »

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1. Cf. Amnesty International.*

Page 33: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

33 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra INTERNATIONAL

Quel retour d’antisémitisme en Ukraine ?Celui des pires pogroms et des nazis y reviendrait si fort que Poutine s’en émeut... Guère plus qu’en Russie, enréalité, mais le Président russe fait feu de tout bois pour diviser les Ukrainiens et croquer leur pays par morceaux.

Le 5 mars dernier, l’association des organi-

sations et communautés juives d’Ukraine,

la Vaad, écrivait au président Poutine et

déclarait qu’il avait tenu des propos mensongers

concernant un antisémitisme caché derrière les

barricades de Maïdan. Un racisme ancré chez

certains nationalistes de l’ex-opposition.

En effet, dans une interview très attendue donnée

la veille, le Président russe a évoqué « des abusde la part de nationalistes, de néonazis, d’anti-sémites » se déroulant dans plusieurs régions

d’Ukraine. Ces paroles ont semé le doute sur la

teneur des événements en Ukraine. Plusieurs

agressions antisémites féroces – un rabbin tabassé

à Kiev, un couple de juifs israéliens attaqué – ont

effectivement marqué les esprits.

LE MYTHE DE L’UKRAINE ANTISÉMITELa communauté juive d’Ukraine, implantée depuis

plus de douze siècles, est l’une des plus grandes

d’Europe. Les juifs ont connu diverses formes

d’antisémitismes durant cette période (celui des

chrétiens au XVIIe siècle, les pogromes tsaristes

au début du XXe, les massacres nazis …), donnant

souvent lieu à des amalgames généralement

injustifiés.

Mais où s’est donc terré l’antisémitisme au-

jourd’hui ? S’est-il poli avec le temps, ou s’est-il

pratiquement évaporé ?

On peut évoquer le parti Svoboda (le Parti de

la Liberté), un parti nationaliste extrémiste

dont plusieurs membres

étaient au gouvernement

provisoire Yatseniouk,

comme Oleksandr Sych,

Dmytro Boulatov… Il

s’est placé en évidence

dans la mouvance de la

place Maïdan visant à destituer Ianoukovitch, et

certains de ses membres peuvent être tentés par

la haine du Juif.

Si de nombreux Ukrainiens se sont ralliés ces

dernières années à ce parti, ce n’est pas principa-

lement pour ses idées, mais plutôt pour son désir

profond de changer de gouvernement.

L’antisémitisme en Ukraine est, aujourd’hui, bien

plus un instrument de manipulation dans le conflit

russo-ukrainien qu’une tendance organisée de

l’opinion.

LA PAROLE AU PRÉSIDENT DE LA VAADDans son communiqué au président Poutine,

Joseph Zisels, dirigeant de la Vaad, dénonce le

comportement de l’Etat russe vis-à-vis de l’Ukraine,

cherchant à instaurer un climat de trouble. Il dément

formellement l’inflation de l’antisémitisme en

Ukraine, et revendique la présence de nombreux

juifs sur les barricades, aux côtés d’autres Ukrai-

niens.

« Il y a une unité absolue par rapport à ce qui sepasse dans le pays », écrit Joseph Zisels, qui

ajoute : « Nos rares nationalistes sont bien sur-veillés par la société civile et les nouvelles au-torités. On ne peut pasdire la même chose desnéofascistes russes, quisont encouragés par vosservices spéciaux. » Et

de demander au président russe Vladimir Poutine

de cesser d’interférer dans les affaires ukrai-

niennes.

On comprend ainsi que Poutine ne cherche qu’à

exciter les minorités et ceux qui pourraient leur

en vouloir. Il fait ici la propagande d’un racisme

endormi en amenant le sujet sur la table, tout en

se plaçant comme le dénonciateur qui aurait

prévenu les Ukrainiens. Poutine veut désunir un

peuple qui s’est ressoudé.

Le conflit interukrainien n’a pas favorisé le

développement du racisme ou de l’antisémitisme.

Les Ukrainiens étaient au contraire très focalisés

sur le changement de gouvernement. L’Ukraine

entre dans une nouvelle ère démocratique. Un

racisme nouveau peut-il vraiment prendre forme ?

Raphaël Bokobza

Kiev, place du Maïdan,en mars 2014. <

Joseph Zisels au président Poutine« Malheureusement, il fautadmettre que la stabilité,ces derniers temps dansnotre pays, est en danger.Et la menace vient desautorités russes, c’est-à-dire de vous. C’est votrepolitique d’incitationau séparatisme et à lapression brutale surl’Ukraine qui devientune menace pour nous,Juifs, comme pour tousles gens de l’Ukraine.  » Extrait de la lettrede Joseph Zisels, dirigeant de la Vaad,au président Poutine.

« L’accusationd’antisémitisme est

manipulatoire. »

Page 34: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 34INTERNATIONAL

Peut-on “réparer” l’esclavage ?C’est un crime contre l’humanité imprescriptible et « irréparable », ce qui rend d’autant plus urgent d’en diminuerles effets actuels par des « réparations » symboliques et morales, de type politique et judiciaire, donc matérielles.

La question peut paraître, à première vue,

« saugrenue ». Pourtant elle interpelle.

Parce que l’esclavage, notamment celui

des Noirs d’Afrique, est à la fois la cause et

l’effet du racisme, d’une conception remontant à

l’Antiquité, où c’était normal, tous les hommes

ne se valant pas, toutes les vies n’étant pas égale-

ment dignes d’être vécues. Qu’était-ce donc que

la vie d’un esclave ? Presque rien, puisqu’il était

compté au nombre des choses, des « biens meu-

bles » dont on héritait, qu’on pouvait vendre et

acheter comme le bétail.

Se poser la question des réparations, c’est donc,

à rebours, refuser de tourner la page de manière

trop rapide et oublieuse sur cet énorme gâchis

humain que constitua l’esclavage.

IMPRESCRIPTIBILITÉOn dira qu’il y a prescription, que, tous les pro-

tagonistes étant morts depuis longtemps, ce sont

des « affaires anciennes ». Mais l’esclavage est

un crime contre l’humanité, et donc imprescriptible.

Et l’exemple de Haïti, contraint de payer aux

anciens propriétaires

d’esclaves, en 1825, une

compensation financière

pour leur perte – estimée

à plus de 21 milliards de

dollars, qui a endetté le

pays jusqu’en 1946 –, montre amplement que

l’argument de l’ancienneté ne tient pas. Enfin, si

les responsables directs que furent les propriétaires

et les marchands sont morts, la machine du

dévelop pement économique née des profits

colossaux engendrés par une main-d’œuvre gratuite

est non seulement là, mais continue à contribuer

à la richesse de nombre d’entreprises, en France

et en Europe. De même, les dégâts engendrés

par l’esclavage se perpétuent et se renforcent

dans les sociétés et les groupes humains qui en

furent les victimes.

L’histoire de l’esclavage obère notre actualité.

RÉPARER L’IRRÉPARABLE« Réparer », c’est non seulement reconnaître ces

dommages, mais aussi contribuer à indemnisersur un plan légal, matériel, moral, voire symbolique,

ceux qui en furent victimes, et à défaut leurs

descendants.

L’esclavage n’est-il pas, de par son ampleur et

son étendue dans le temps(1), irréparable ? Mais

la Shoah, qui peut être une référence en termes

de pensée de la réparation, était-elle réparable ?

Par définition, non. On ne répare pas 6 millions

de vies exterminées, pas plus qu’on ne peut, de

ce point de vue, réparer les vies bafouées, écrasées

et torturées des millions d’esclaves. Le raisonne-

ment est donc spécieux : ce n’est pas parce qu’on

ne peut pas faire que ce qui a été ne le soit pas

qu’on ne peut pas, au moins symboliquement et

moralement, réparer. On doit chercher à le faire,

en trouver, voire en inventer, les formes…

LA RÉPARATION EST-ELLEPOSSIBLE « CONCRÈTEMENT » ?C’est la vraie question : que faire ? en faveur de

qui ? comment ?

Les propositions du Cran(2) ouvrent des pistes

de réflexion. Citons-en quelques-unes :

– proposer une loi-cadre sur les réparations de

l’esclavage ;

– rembourser à̀ Haïti le tribut imposé, sous forme

d’une fondation consacrée au développement

économique, à l’attribution de bourses à tous les

descendants d’esclaves qui en feraient la de-

mande ;

– réviser les programmes scolaires dans le sens

d’une prise en compte plus importante de l’histoire

de l’esclavage et du colonialisme ;

– Créer un Musé́e natio-

nal de l’esclavage et de

l’abolition…

L’enjeu n’est pas seule-

ment moral. La réparation

est politiquement néces-

saire ; elle constituerait un pas décisif vers une

forme de réconciliation nationale des identités

douloureuses qui sont celles, notamment, des

jeunes des quartiers, héritiers involontaires de cette

histoire qui leur pèse. Ils ont besoin de marcher la

tête haute pour se sentir des citoyens reconnus.

Mano Siri

1. L’esclavage ne commencepas au XVIe siècle et n’estpas le fait des seulsEuropéens, mais égalementdu monde arabe, où il s’estperpétué bien après sonabolition officielle, en 1848.2. Le Conseil représentatifdes associations noires.

*

« L’Abolition de l’esclavagedans les colonies françaises,le 27 avril 1848 ».Par François-Auguste Biard. <

« La réparation estpolitiquement nécessaire. »

Page 35: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

35 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra INTERNATIONAL

Tel-Aviv face aux clandestins noirs musulmansDe 50 000 à 60 000 Africains originaires du Soudan et d’Erythrée, dont ils ont fui les guerres civiles, seraientprésents en Israël, immigrants illégaux, pour la plupart sans papiers, sans emploi ni domicile fixes.

Ces réfugiés, que les autorités israéliennes

appellent « infiltrés » – en référence au

terme utilisé pour les Palestiniens qui

tentèrent de réintégrer leurs villages dans les

années 50 et furent considérés par le gouverne-

ment comme des terroristes en puissance –, sont

pour la plupart musulmans et choisissent de venir

en Israël. Pourquoi?

Le discours dominant qu’on peut entendre en

Israël dit à peu près ceci : « Ils auraient pu aller

au Liban ou dans un autre pays arabe, mais à

cause des liens diplomatiques et idéologiques

entre le Soudan et ces pays, ils n’auraient rien pu

dire contre le Soudan, on les aurait jetés en

prison... Car dans tous les pays arabes, c’est la

même chose qu’au Soudan ! C’est pour cela

qu’ils viennent en Israël, parce que c’est le seul

pays qui leur apparaît “sûr”… »

Ce serait donc, en somme, comme une déclaration

d’amour à la démocratie israélienne ? Cette

dernière, pourtant, n’y répond guère et ne leur

donne qu’une attestation provisoire de résidence.

Attestation qui ne se transforme que très rarement

en un statut officiel de réfugié, ne leur permet ni

de travailler, ni d’avoir accès aux services de

protection sociale, et décourage les citoyens

israéliens de leur louer des appartements.

Arrêtés sans visa, ils sont « assignés à résidence »

dans des centres de rétention situés dans le

Neguev, où ils peuvent désormais être « retenus »

pour une durée indéfinie, mais dont ils peuvent

sortir le jour sous condition de pointer quoti -

diennement trois fois: ainsi, le gouvernement

contourne-t-il la déclaration de septembre 2013

d’inconstitutionnalité par la Cour suprême de

justice des lois, qui stipulait que tout Africain

arrêté pouvait être emprisonné sans jugement…

Pourtant, tous ceux qui parviennent à échapper

aux arrestations et aux tentatives du gouvernement

de les renvoyer dans des pays où ils n’ont plus

rien montrent au contraire une forte volonté

d’intégration. Main-d’œuvre payée « au noir »

dans l’industrie hôtelière d’Eilat, où ils forment

plus du quart de la population, ayant appris à

parler hébreu, habitant les quartiers les plus

pauvres du sud de Tel-Aviv, ils se heurtent à une

population juive paupérisée par le démantèlement

de l’appareil social construit par les travaillistes,

en faveur du « Tout pour les colonies » qui a

appauvri le pays.

Y aurait-il du racisme en Israël ? La réponse

est oui, faisant de l’Etat hébreu un pays « comme

les autres ». En mai 2012, les quartiers Sud de

Tel-Aviv se sont enflammés, les émeutiers y

cassant tout ce qui était « noir », criant « Dehors

les Africains », mais ne faisant aucun mort grâce

aux militants israéliens qui avaient réussi à

prévenir les habitants. Plus inquiétant est le relais

idéologique de cette violence raciste dans la

classe politique. La condamnation, récente, du

bout des lèvres, de la part de Netanyahou, et

celle, plus ferme, de Shimon Peres rappelant que

« la haine de l’étranger contredit les principesfondamentaux du judaïsme » sont insuffisantes.

Pourtant, les choses ont bougé le 5 janvier dernier :

30 000 demandeurs d’asile (selon la police) sont

sortis dans la rue à Tel Aviv pour protester contre

le traitement qu’on leur impose. Et, en parallèle,

une grève de trois jours avait été déclarée,

demandant la libération des demandeurs d’asile

enfermés sans raison. Affaire à suivre…

Mano Siri

1. vimeo.com Yoni Maron2. Selon des chiffresdes militants israéliens desDroits de l’homme, seul0,8 % des demandes d’asilesont examinées, contre41 % en Australie, 28 %aux Etats-Unis et entre20 et 25 % dans les paysd’Europe.3. Miri Regev (Likoud) : « Les Africains sontun cancer » ;Ben-Ari (Ichud Leumi) :« On devrait tous,sans exception aucune,les emprisonneret les déporter. »

*

REPÈRES

La Déclaration d’indépendance de 1948Les pères fondateursd’Israël stipulèrent quele pays serait ouvertà l’immigration juiveet assurerait une totaleégalité de droits sociauxet politiques à tous seshabitants, quels que soientleur religion, leur raceou leur sexe.

Shimon Peres en 2011« Nous, peuple juif, avonsété victimes de racisme,persécution etdiscrimination. Mais nousn’avons jamais négligél’obligation de respecterchaque personne humaine.Chaque citoyen d’Israël,sans égard à sonappartenance religieuse ouà son origine, sait qu’Israëlest, et doit être, le pays leplus antiraciste du monde. »(Discours au Yad Vashem)Propos que semblecontredire le rapportde l’ARDC (African RefugeeDevelopment Center) :www.davidsheen.com/racism/

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Le 15 janvier 2014 : manifestationde femmes et d’enfants africains,place Levinsky, à Tel Aviv. <

Page 36: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 36SPORT

Port du voile dans le football  : la Fifabafoue ses principes de laïcité sportiveLa Fédération internationale de football (Fifa) a définitivement levé, le 1er février, l’interdiction du port du voilepour les joueuses, suscitant la colère de nombreuses fédérations nationales, notamment celle de la France.

La position de l’instance dirigeante du football

mondial était pourtant prévisible, compte

tenu de ses évolutions sur le sujet depuis

deux ans. Le 3 mars 2012, l’Ifab – l’organisme

faisant autorité en matière de règles du football(1) –

avait en effet ouvert la voie en prononçant une au-

torisation préalable, justifiée par la perception du

hijab en tant que « signe culturel et non religieux ».

Difficile de ne pas voir dans ce jugement une vo-

lonté manifeste de contourner la loi 4 de la Fifa

concernant l’équipement des joueurs, qui interdit

toute présence d’« une inscription ou un sloganpolitique, religieux ou personnel ».

LE PRESSING FINANCIER DES PAYS MUSULMANSA partir de cette date, la Fifa a ouvert une période

d’expérimentation, qui a pris fin en ce début d’année

2014 par la confirmation de cette autorisation.

Au cours de ces deux années, les partisans de ce

changement n’ont pas ménagé leurs efforts.

Le plus emblématique d’entre eux est sans doute

le prince Ali Ibn Hussein de Jordanie, l’un des

six vice-présidents de la Fifa depuis 2011. Dès

l’année de sa prise de fonction, il avait créé un

groupe de travail à Amman, en vue d’appuyer

l’intense lobbying engagé par la Confédération

asiatique de football (AFC).

Ce sont essentiellement des pays musulmans de

l’Ouest de ce continent qui se sont engagés dans

cette bataille, l’Iran allant même jusqu’à porter

plainte contre la Fifa pour l’exclusion de son

équipe féminine, en 2011, lors de matchs qualifi-

catifs pour les jeux Olympiques de Londres.

Trois ans plus tard, on peut mesurer l’immense

succès de la diplomatie déployée par le prince

Ali. Le secrétaire général de la Fifa, Jérôme

Valcke, reconnaît en effet que cette décision est

en partie liée à la tenue, en 2016, de la Coupe du

monde féminine des moins de 17 ans dans le

royaume hachémite.

MAIS LES FRANÇAISESPERSÉVÈRENT A JOUER TÊTE NUESi l’on constate ainsi l’importance de la realpolitik

dans les choix de la Fifa, on ne peut que regretter

que la France n’ait su imposer son agenda aux

instances du football mondial.

Paris est en effet généralement perçu comme le

fer de lance de l’opposition à toute concession

sur le principe de laïcité dans l’espace public.

Le président de la Ligue de football professionnel

(LFP), Frédéric Thiriez, avait affiché son désaccord

avec les orientations prises par la Fifa dès l’été

2012, dans une tribune du « Figaro » intitulée

« Le voile, linceul de l’esprit sportif ».Aujourd’hui, les instances du football français

vont devoir composer avec ces nouvelles régle-

mentations, en parfait désaccord avec la neutralité

religieuse promue par l’article 1er de la loi de 1905.

Quelles seront alors les conséquences en France

de la levée de l’interdiction ? Chaque fédération

nationale conserve son autorité sur cette question

pour les compétitions qu’elle organise, ainsi que

pour ses sélections engagées dans des compétitions

internationales. La Fédération française de football

(FFF) ayant rapidement exprimé son opposition à

cette nouvelle règle, aucune licenciée en France,

même de nationalité étrangère, ne sera autorisée à

jouer voilée. En revanche, une joueuse représentant

une nation étrangère pourrait a priori porter le

voile lors d’un match international organisé par la

Fifa sur le sol français, comme ce serait le cas lors

d’une Coupe du monde féminine, par exemple.

Au-delà de ces questions de règlements, on ne

peut que déplorer l’image que renvoie la Fifa

d’une instance qui privilégie ses relations diplo-

matiques avec une poignée de pays par rapport à

l’égalité entre les compétiteurs et les valeurs de

neutralité promues par l’esprit sportif.

Ivan Sand

REPÈRES

A partir de l’autorisationde principe, la questiondu port du voile a dû êtresoumise à la Commissiondes experts médicauxde la Fifa. Pour que celane présente aucun dangerpour les joueuses, le voilene peut pas être rattachéau maillot, ne doit avoiraucune partie qui dépasseet les épinglettes pourle faire tenir aux cheveuxsont proscrites.

1. L’Ifab (InternationalFootball Association Board)est l’instance en charge de faire évoluer les règlesdu jeu dans le football. Son système de voteconfère à la Fifa uneinfluence hégémoniquedans ses décisions.

*

Jeune femme musulmane portantla tenue officielle acceptée parle nouveau règlement de la Fifa. >

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Page 37: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

37 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra CULTURE BD

Entre Guadeloupe et banlieueL’ancien footballeur guadeloupéen Lilian Thuram sort le premier tome d’une BD,« Notre histoire », dans laquelle il se met en scène avec sa famille.

En juillet 1980, Mariana Thuram, la mère

de Lilian, futur champion du monde de

football, quitte la Guadeloupe sans ses

cinq enfants dans l’espoir de les faire venir en

France un an plus tard. Mariana est le premier

astre de Lilian Thuram, qui a publié en 2010

« Mes étoiles noires, de Lucy à Barack Obama » :autant de portraits de personnalités qui ont forgé

sa construction identitaire. Son texte est devenu

une bande dessinée.

Enfant, Lilian ne considérait pas le neuvième art

comme de la « lecture ». C’est devenu adulte

qu’il a compris l’impact que constitue une BD

pour le jeune public. Et c’est bien là le point fort

de l’album « Notre histoire » : expliquer aux

enfants(1) qu’« on ne naît pas raciste, mais qu’onle devient ».Le champion poursuit ainsi l’action de sa fondation

Eduquer contre le racisme, créée en 2008. Il n’a

jamais oublié qu’à Fontainebleau, un camarade

de classe l’a traité, par ignorance, de « noiraude »(ndlr : en référence à un dessin animé télévisé).

La BD, baignée de couleurs chaudes, dépeint la

rencontre du petit garçon avec un personnage

fictif, Neddo, symbole de la transmission des

connaissances. C’est ce dernier qui expose « leur »

histoire : l’abolition de l’esclavage, évidemment,

mais aussi et surtout la lutte pour les droits

humains.

Entre autres figures représentées dans ce volume,

le commandant Louis Delgrès, qui a combattu

contre le rétablissement de l’esclavage par

Bonaparte ; Joseph Antênor Firmin, scientifique

haïtien ; ou encore la mulâtresse rebelle Solitude.

L’auteur relie au passage les violences faites aux

femmes et les discriminations subies par ceux

qu’il nomme les « non-Blancs ».

Des photos de famille apportent une touche tendre

à cette entreprise généreuse et pédagogique.

Marina Lemaire

Adieu, mon paysL’« enfance algérienne » de trois gosses d’Oran, « au nord-est d’Azrew », dansles années 50-60... Un témoignage à plusieurs mains, d’une nostalgie poignante.

Quitter son pays et devoir tout laisser

derrière soi : famille, amis et souvenirs.

Pour tout recommencer ailleurs. Ils sont

des milliers à avoir vécu ce cheminement dou-

loureux dans l’urgence de la guerre d’Algérie.

A travers le regard de trois enfants – un juif, un

musulman et un chrétien –, un superbe roman

graphique, « Au nord-est d’Arzew, une enfancealgérienne », d’Alain Bonet, Paco Sales et Carlos

Maiques, raconte la fin de l’insouciance.

Chaque été, près d’Oran, Paul, Bachir et Pierre

partagent leurs vacances familiales dans des

cabanons. La plage d’Arzew est leur paradis.

Les belles aquarelles aux couleurs douces de

l’album magnifient d’ailleurs les lieux sans cacher

l’atrocité de la guerre. C’est là que le trio s’amuse.

Là qu’il regarde la mer et suit le tour de France.

La France ? « C’est loin », dit l’un des trois amis,

sans se douter qu’à l’automne 54, le mot « patrie »

fera son entrée à l’école.

Voilà le début de la guerre d’Algérie, et leur

avenir, à l’image de leur amitié, va exploser. Ni

réfugiés, ni immigrés, ces gamins, « des pieds-

noirs », subissent le changement et l’exode à

l’âge délicat de l’adolescence. Entre la découverte

de leur corps et, dans le récit, celle du racisme,

ils se cognent à la violence incompréhensible

des hommes.

Sur un parti pris de départ qui pouvait sembler

un peu basique, l’histoire, fondée sur les souvenirs

de jeunesse d’Alain Bonet, lui-même pied-noir

de la troisième génération, a le mérite de rappeler

que des liens de fraternité ont existé entre Français

et Arabes…

Reste la « cassure », irréparable, d’une enfance

« qui vole en éclats » et d’un pays, soixante ans

après, qui est encore dans la nuit.

Marina Lemaire

REPÈRES

Lilian Thuram, J.-C. Camus et Sam Garcia : «  Notre histoire  » (vol. 1).Ed. Delcourt/Mirages, 136 p.

REPÈRES

Alain Bonet, Paco Sales,Carlos Maiques : « Au nord-est d’Arzew, une enfance algérienne »,Ed. Steinkis, 180 p.

1. A partir de 9 ans.*

01 45 08 08 08juridique@licra ou licra.org

Le racisme n’est pasune opinion c’est un délit

Contactez la LicraAssistance juridique gratuite

Page 38: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 38CULTURE Livres

“Longtemps, j’ai été antisémite...”Raymond Pronier est allé puiser dans sa psychanalyse les ressources d’une autocritique ravageuse sur des réflexesjudéophobes qu’il s’était longtemps forgés comme par haine de lui-même.

L’antisémitisme est une maladie dont on

peut guérir, telle est la bonne nouvelle du

livre de Raymond Pronier. Ce témoignage

d’une sincérité et d’un courage bouleversants

nous habite longtemps. Tout au long d’un récit

écrit à la première personne, l’auteur aborde sans

pudeur la part d’ombre qui l’a longtemps habité.

Puis, à travers une cure psychanalytique (un bel

hommage au père Sigmund), comment il a fini

par se débarrasser d’une honte, d’une haine qui,

en ciblant les Juifs, le détruisait doucement.

Raymond est né dans une famille sans joie, on y est

souvent malade, les maux de ventre prennent souvent

le pas sur le verbe. Pour des raisons médicales, on

devra circoncire le jeune Raymond – « beaucouptrop tard », se lamente l’auteur… Une circoncision

triste, sans joie ni youyou, pas une alliance mais un

retranchement, une coupure qui le rend désormais

si terriblement proche et si exclu à la fois. Absence

d’amour, de soins, l’auteur, du fond de ses chagrins

d’enfance et de son étrangeté vis-à-vis des siens, se

dit que les Juifs, ces « élus de toute éternité »,avaient « tout l’amour maternel de la terre ».Longtemps, l’auteur a souffert de « ne pas enêtre », il raconte la fascination, ce mélange d’atti-

rance et de répulsion au fondement du sentiment

antisémite. « Tout vient du Juif, tout revient auxJuifs », résumait Drumont. Vaguement déclassé,

communiste dans une génération qui ne l’est déjà

plus, l’auteur poursuit son errance, dans sa vie

amoureuse, professionnelle politique, car « l’hommeest ainsi, il a deux faces ; il ne peut aimer sanss’aimer », écrit Albert Camus dans « La Chute ».

PERDU DANS SES GALERIES DE GLACES INTIMESLe World Trade Center, les soldats israéliens

lynchés... L’auteur raconte la jouissance perverse

devant l’horreur. Au terme d’un long et douloureux

parcours, il n’a plus envie de faire sauter les

kippas. Il finit par s’emparer des mots : « C’estquoi, un Juif ? » « Un homme, un nom, un mot. »Un homme qui ressemble à tous les autres Et

pourtant, un nom qui « convoque le désir et lemanque, la jouissance et la mort, l’or et la merde...Un nom sur lequel tous les hommes peuventprojeter leurs fantasmes, leurs frustrations, leurshaines. Un nom miroir qui trouble les esprits etse reflète dans nos galeries de glaces intimes ». Raymond Pronier décide de s’imposer un ultime

commandement : « Tu ne vomiras pas le juif quiest en toi. La petite part juive qui sommeillaitdouloureusement en moi est maintenant libre. »Libéré de cette triste passion, l’auteur semble

répondre à une convocation intime :

« J’ai mis devant toi la vie et la mort/ la bénédictionet la malédiction/ tu choisiras la vie. » (Deutéro-nome, 30.) Bienvenue au club, cher Raymond.

Brigitte Stora

Des femmes libres avant toutVingt paroles issues de la culture musulmane portent haut les mots de femme et de courage.

Cet ouvrage est composé des témoignages

de ces militantes de la démocratie et de la

liberté, et de leur regard lucide sur le

monde actuel. Vingt femmes qui ont « aboli leurpropre servage », de Ayaan Hirsiali, la députée

néerlandaise née en Somalie, à Rama Yade, en

passant par l’une des auteures, Malika Boussouf,

toujours sous la menace d’une fatwa.

Issues de « sociétés où la femme est sommée dese taire… où il existe une misogynie confondantede naturel, de bienveillance et de naïveté », elles

prennent la parole.

Bien souvent, « les témoins parlent de leur pèreavec reconnaissance et admiration » et affirment

que « les mères sont dans un rôle de “gardiennesdu temple” et reproduisent inconsciemment l’alié-nation dont elles ont été elles-mêmes victimes ».Leur révolte contre le système et le microcosme

familial sonnerait donc comme une reproduction

de leur combat contre le système politique.

Ce sont les parcours de ces femmes engagées,

qui ont pris beaucoup de recul face à leur histoire

familiale et religieuse. Ainsi, Nonie Darwish,

élevée à Gaza dans la haine des juifs, est aujour -

d’hui militante pour la paix au Moyen-Orient.

Leur point de vue sur la société démocratique

occidentale est critique : celle-ci serait trop per-

missive au nom du multiculturalisme, et se ferait

berner par le respect des cultures.

La condition des femmes est-elle le baromètre

de la condition de la société ?

Ces femmes font le constat qu’aucune religion

ne leur est très favorable, et que l’islam politique

est une impasse dangereuse.

Toutes celles qui témoignent ici prônent la laïcité.

Déborah Piekarz

A LIRE

Raymond Pronier :« Longtemps, j’ai été antisémite ». Editions Le bord de l’eau.

A LIRE

Monique Ayoun et Malika Boussouf :« Musulmanes et laïquesen révolte. Rencontre avec20 femmes d’exception »,préface de Malek Chebel.Ed. Hugo et Cie.

Page 39: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

39 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra CULTURE Cinéma

Vive “la Cour de Babel“ version 2014Voyage filmé dans la classe d’accueil d’un collège parisien. Le documentaire de Julie Bertucelli propose des histoires croisées d’adolescent(e)s reliés par l’exil et le désir d’avancer.

En 2012, la réalisatrice Julie Bertuccelli

a filmé la classe d’accueil d’un collège

parisien. Sa « Cour de Babel » se com-

pose d’élèves âgés de 11 à 15 ans qui viennent

de l’étranger et doivent apprendre la langue

française.

Vingt-quatre élèves, vingt-quatre nationalités, et,

à l’arrivée, un documentaire captivant sur ces

adolescents reliés par l’exil et le désir d’avancer.

Chacun raconte son histoire. Les parents de

Maryam sont demandeurs d’asile : du jour au

lendemain elle doit quitter la classe : sa maman

vient d’obtenir un logement social à Verdun.

Marko a quitté la Serbie avec sa mère, juive,

pourchassée par des groupes néo-nazis. Andro-

meda, la Roumaine dont le père est si fier, espère

« faire un futur » en France. Xin, Chinoise, a

enfin rejoint sa mère sur notre territoire. Elle ne

l’avait pas vue depuis… dix ans.

Les rencontres avec les parents qui ne parlent

pas, ou peu, le français, et leur professeur,

sont sidérantes. Tous souhaitent une autre vie

pour ces enfants déjà bousculés par l’existence,

mais tellement courageux et pleins d’espoir !

A Animata, originaire de Guinée, un membre

de sa famille explique le choix à faire entre

étudier ou s’amuser et retourner se marier à

13 ans au pays.

CO-NAÎTRE, EN FRANÇAIS, AUX SAVOIRS PARTAGEABLESEt Dieu dans tout ça ? Sur ce sujet délicat, chacun

défend son point de vue mais écoute l’autre. Et

si l’apprentissage de la langue reste un sésame,

la peur d’oublier ses racines subsiste. Leurs

adieux émouvants en fin d’année scolaire éclairent

aussi le besoin de faire partie d’une communauté.

« Au début, confie une élève, venir en classeétait comme “naître”. Maintenant, j’ai l’impressionque nous sommes frères et sœurs. »A nous, parents d’enfants qui vivent plus tranquilles,

de veiller au maintien de ces classes d’accueil.

Marina Lemaire

Plus jamais ça...Alexandre Arcady a voulu sonner l’alarme en filmant, comme cruel révélateur de l’époque,les « 24 jours... » de séquestration d’Ilan Halimi par un « gang » d’assassins antisémites.

Paradis. C’est paradoxalement le nom du

distributeur du film inoubliable qu’a réa-

lisé Alexandre Arcady sur l’enfer vécu par

Ilan Halimi, ce jeune homme d’à peine 23 ans,

enlevé et torturé en 2006 parce qu’il était juif.

« 24 jours – La vérité sur l’affaire Ilan Halimi »sort en salle le 30 avril.

Oui, le cinéma peut prendre sens civique. Oui, un

film peut être utile. C’est le cas de celui-ci,

construit à partir du témoignage de Ruth Halimi,

mère d’Ilan. Le réalisateur de « Coup de Sirocco »(1979) a choisi un angle fort : le calvaire d’une

famille comme les autres. Les parents (Pascal

Elbé, formidable dans le rôle du père que l’on

voit subir plus de 600 appels et autant d’insultes

du chef de la bande, et son épouse, Zabou Breitman,

sobre et juste) se plient aux choix stratégiques et

aux conseils de la police. Comme elle est glaçante,

la psychologue du 36, Quai des Orfèvres ! Le propos

de ce long-métrage oppressant n’est pas d’apporter

une explication sociologique du passage à l’acte

criminel, antisémite, d’un groupe d’individus

stupides et cupides, qualifiés ultérieurement de

Gang des Barbares. Non, ce film, malgré quelques

clichés, décrit simplement l’enfer sur terre. Ilan

sera retrouvé agonisant le long d’une voie ferrée

de Sainte-Geneviève-des-Bois, après vingt-quatre

jours de séquestration dans une cité de Bagneux.

Sa mère dira vouloir que la mort de son fils

« serve à donner l’alerte ».Le fait divers a certes saisi le pays. Mais c’était

en 2006. Depuis, il y a eu l’affaire Merah et la

libération progressive d’une parole antisémite et

d’humoristes pas drôles, notamment sur Internet.

Puisse cette fiction terrifiante réveiller une société

endormie sur ses droits de l’homme qu’elle

semble désormais incapable de renforcer.

Marina Lemaire

À VOIR

« La Cour de Babel », de Julie Bertuccelli.

ET AUSSI…

Julie Bertuccelli a tournéune dizaine dedocumentaires et deuxlongs métrages :« Depuis qu’Otar estparti… », en 2003, césardu Meilleur premier film,et « L’Arbre », en 2010.

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A LIRE

Le livre de Ruth Halimi et d’Emilie Frèche(coscénariste du film), « 24 jours, la vérité surla mort d’Ilan Halimi », est paru en 2009, au Seuil.

REPÈRES

« 24 jours. La vérité sur l’affaire Ilan Halimi »,d’Alexandre Arcady. Avec Zabou Breitman,Pascal Elbé, JacquesGamblin et Sylvie Testud.Durée  : 2 h. Sortie  : 30 avril.

Page 40: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

D’une famille recomposée... comme un dînerde la Licra !La comédie filmée par Philippe de Chauveron met en scène une famille ultra-multiraciale. On rit donc de tout, de tous et avec tous (ou presque...) !

Cartier-Bresson, focus sur l’Allemagne nazieExposition à Paris d’un artiste engagé, pour qui « photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur ». « Je marchais toute la journée, indique-t-il, l’esprit tendu, cherchant dans les rues à prendre sur le vif des flagrants délits. »

Ce n’est pas une réunion de famille, c’estun déjeuner de la Licra ! » Ce clin d’œil

amusant est issu des dialogues du film

« Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu », de

Philippe de Chauveron, où Christian Clavier et

Chantal Lauby interprètent un couple désespéré.

Leur malheur ? Les trois premières filles de ces

bourgeois de province se sont respectivement

mariées avec un Chinois, un Arabe et un Juif.

Claude Verneuil (Clavier) craque : « J’ai donnémes filles à des hommes issus de l’immigration ! »Ce bon républicain espère que le choix décisif de

la petite dernière se portera sur un catholique.

Vœu exaucé ! Le futur gendre se prénomme

Charles. Mais il est… noir. Et sa famille africaine

voit d’un mauvais œil le choix de cette épouse

blanche.

Un tas de clichés sont exposés dans cette comédie

aux dialogues percutants. Chacun en prend pour

son grade ! « Voici la famille Benetton », s’entend

dire Claude à l’église… « Avec tous ces a priorinégatifs, on aurait dû faire un pas vers eux »,finira par concéder son épouse (Chantal Lauby),

après des scènes de rencontres familiales – comme

la circoncision du nouveau-né – explosives et

hilarantes. « On a tous un petit côté raciste, dansle fond », reconnaît la mère...

Cette comédie sur les mariages mixtes et le

racisme est réussie. Humour pour tous ? Oui.

Car le rire, universel, peut rassembler. Avant la

projection parisienne du film, le 10 avril, le

comédien Ary Abitan (qui joue David, le beau-

fils juif), a déclaré : « Qu’il est bon de rire detous, de tout et avec tout le monde. » C’est donc

le film qui tombe à pic après les municipales…

Marina Lemaire

Clément Chéroux, commissaire de l’expo-

sition, a montré l’œuvre multifacette de

Henri Cartier-Bresson. Le focus sur l’Al-

lemagne nazie a retenu notre attention. A Paris,

en 1936, H.C.-B. collabore avec le cinéaste Jean

Renoir. Mobilisé pendant la Seconde Guerre

mondiale dans la section « Film et photographie »

de la 3e armée, il passe trois ans en captivité,

avant de s’évader et de rejoindre la Résistance.

Entre 1944 et 1945, il saisit avec son Leica les

ruines du village d’Oradour, la Libération de

Paris et le retour des prisonniers d’Allemagne.

Dans le camp de Dessau, il photographie une

ancienne détenue qui, ayant reconnu une indica-

trice, s’apprête à la gifler.

Parmi ces images fulgurantes en noir et blanc,

citons celle de l’enfant au grand manteau au

retour des camps, mêlant la poésie et la puissance

du témoignage.

« IL N’Y A RIEN EN CE MONDE QUI N’AIT UN MOMENT DÉCISIF »Ce photographe majeur, humaniste et intemporel,

évoluant de l’action à la contemplation, fixerait

son objectif actuellement sur tous les fronts de

révolte de la planète. La « Marche » de H.C.-B.

dans le siècle, au côté de son ami sculpteur

Giacometti, a fait avancer le huitième art dans sa

plénitude et sa simplicité.

Michèle Colomes

«

REPÈRES

« Qu’est-ce qu’on a fait auBon Dieu ?», de Philippe deChauveron. Avec ChantalLauby et Christian Clavier.Sortie 16 avril. Durée 1 h 37.

REPÈRES

Henri Cartier-Bresson :« 1908-2004, L’œil du siècle capteurde l’Allemagne nazie ». Paris, à Beaubourg.www.centrepompidou.fr

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Henri Cartier-Bresson, New York.Photo prise parGeorge Hoyningen-Huene. >

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 40CULTURE Ciné/Expo

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Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 42VIE DES SECTIONS

Licra : la Convention à GenèveLa Licra a tenu sa 48e Convention à Genève, invitée par sa ligue sœur, la Licra helvétique. On a pu y évoquerdes regains du racisme et de l’antisémitisme en Europe, mais aussi des moyens de combattre ce phénomène.

La Commission européenne contre le racisme

et l’intolérance (Ecri), rattachée au Conseil

de l’Europe, le reconnaît elle-même : nous

faisons face à « une intensification des discours dehaine contre les groupes vulnérables et des violencesracistes ». Depuis 2012, les rapports d’activité

annuels pointent tous une dégradation de la situation

des minorités et une poussée des discours et actes

xénophobes à l’échelon du continent.

L’Agence des droits fondamentaux de l’Union

européenne (FRA), qui examine la situation dans

les 28 Etats membres, parvient aux mêmes conclu-

sions. « Le racisme, la discrimination, l’extrémismeet l’intolérance constituent actuellement un granddéfi pour l’Union européenne », énonce-t-elle

dans son dernier rapport (décembre 2013), qui

scrute particulièrement la situation de la Grèce et

de la Hongrie – pays où, on le sait, la montée en

puissance de formations d’extrême droite ouver-

tement racistes s’est accompagnée d’une flambée

d’agressions racistes et antisémites.

« C’est une tendance générale depuis plusieurs an-nées. Aucun pays ne se distingue », explique Sarah

Isal, à la tête du Réseau européen contre le racisme

(ENAR), qui a récemment mis en place un obser-

vatoire sur son site (www.enar-eu.org) pour traquer

les dérives xénophobes à travers le continent.

UN CONGLOMÉRAT POPULISTE,DE MÖLZER AUX LE PENLes récentes déclarations d’Andreas Mölzer, tête

de liste pour les élections européennes du parti

autrichien FPÖ, ont montré que les démagogues

d’extrême droite ne s’embarrassent plus de pré-

cautions oratoires pour évoquer l’immigration.

En exprimant sa crainte de voir l’Union européenne

devenir « un conglomérat de nègres, le chaosabsolu », l’élu viennois a provoqué une levée de

boucliers au sein de la classe politique autrichienne.

Tout comme Marine Le Pen, figure de proue du

Front national en France, l’avait fait avant lui

lorsqu’elle avait vilipendé « l’occupation » des

rues par une minorité, démontrant par là-même

que le lissage du discours de sa formation n’est

que cosmétique.

LA BANALISATION D'UN CERTAINDISCOURS XÉNOPHOBELes responsables de l’Union européenne à leur plus

haut niveau ont eu l’occasion de dénoncer la montée

en puissance des partis nationalistes dans les vingt-

huit Etats membres. « Un populisme préoccupantse développe un peu partout en Europe », confiait

ainsi Viviane Reding, vice-présidente de la Com-

mission européenne, après l’entrée du parti d’extrême

droite Sverigedemokraterna (SD) au Parlement, en

janvier. « Il est dangereux de banaliser toute formede discours xénophobe ou raciste, et il est de notreresponsabilité de les condamner énergiquement àchaque fois. De ce point de vue, les insultes qui onttouché mes collègues Cécile Kyenge et ChristianeTaubira ne sont pas acceptables », poursuivait Mme

Reding après que la garde des Sceaux française eut

été injuriée lors de manifestations hostiles au mariage

pour tous. Tandis que Cécile Kyenge, ministre de

l’intégration en Italie jusqu’en février 2014, était,

elle aussi, la cible de propos racistes en provenance

de représentants de la Ligue du Nord, formation

d’extrême droite qui siège au Parlement à Rome.

Ce combat transcende les clivages partisans.

Il ne pourra être gagné que si les élus, au plus

haut niveau, s’emparent de la cause et mettent en

place des mesures plus efficaces et plus ciblées

dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme

dans l’UE. Les ONG qui participent à cette lutte

le réclament depuis plusieurs années.

C’est ce qu’ont rappelé encore les participants à

la 48e convention de la Licra, réunie à Genève.

Le « DDV » aura l’occasion de revenir sur

quelques-unes des interventions phares de ces

trois journées.

Baudoin-Jonas Eschapasse

REPÈRES

Une convention Licra à GenèvePour la première fois,la Licra a décidéd’organiser une convention(assemblée généraleannuelle statutaire) àl’étranger, en l’occurrenceà Genève. Plusieurs raisonsont emporté la décision :une convergence avecnos amis de la LicraSuisse : depuis plusieursannées, les liens entrela Licra Suisse et la Licrase sont renforcés.La convergence a d’abordété « politique », quandAlain Jakubowicz a misau cœur de son projetle renforcement de l’actioncontre le racisme (le « r »de notre logo) pourla porter au niveaude nos combats contrel’antisémitisme. La montée de la xénophobien’épargne pas la Suisse,et nos amis helvètes,qui partagent cet enjeu,souhaitent se saisir de tousles apports de la Licra.

La Licra Suisse :4 sections et plusde 1 500 adhérents La Licra Suisse est aussiune histoire marquée parles réfugiés juifs fuyantles persécutionsantisémites.Au fil des années, sesracines se sont enrichiesde toutes les sensibilitéshumanistes, soucieusesdu respect des étrangerset des droits de l’homme.Mieux nous connaîtresoutiendra nos efforts.

Une invitation pour renforcer nos liensL’organisation d’une Convention est toujours l’occasion d’échanges productifs, d’une ouverture des équipesà de nouvelles pratiques, de nouvelles visions. Pour le président de la Licra Suisse, cette Convention à Genèveparticipe de la nouvelle dynamique qu’il souhaite développer. Genève, siège du Conseil des droits de l’homme (CDH) de l’ONU : dotée du statut consultatif auprès des Nationsunies, la Licra travaille depuis des années pour que les institutions internationales progressent dans la luttecontre le racisme et l’antisémitisme.En complément de notre mission de veille et d’alerte, deux enjeux sont aujourd’hui au cœur de nosinterventions : en finir avec la notion de blasphème qui porte atteinte à la liberté d’expression et interdire auxEtats considérés comme des dictatures la participation à la commission internationale des droits de l’homme.Les rencontres, les débats seront autant d’enrichissements pour notre action.

Roger Benguigui

Page 43: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

43 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra PORTRAIT

La section de Dijon est en pleine mutationLa section vit une renaissance et se choisit un nouveau président emblématique, Abderrahim Mozher : ce militantlaïc, revenu du Maroc, s'attache à combiner indissolublement les luttes contre le racisme et l'antisémitisme.

Deux mois avant de célébrer son soixantième

anniversaire, Abderrahim Mozher a pu

fêter, le 8 mars dernier, son élection à la

section de Dijon. D’aucuns s’interrogent sur les

raisons qui ont conduit jusqu’à la Licra cet homme

d’origine marocaine, récemment naturalisé.

Rencontre avec un président accessible et déterminé

dans les combats qui l’animent.

UN CHEMINEMENT MOUVEMENTÉ :ENTRE LA FRANCE ET LE MAROCEn 1976, Abderrahim Mozher arrive en France

où il obtient une licence de droit. Il rentre alors

au Maroc pour se lancer dans l’import-export.

mais sera de retour en France en 2004, soulignant

qu’il lui fallait « changer d’air [… Il] n’enpouvait plus de la corruption, du manque de liberté ».Installé à Dijon, il passe un master de droit et

décroche un poste de chargé d’études au conseil

régional.

DE L’EXPLORATION DE PISTES MILITANTES…Comment est-il arrivé à la Licra ? « Au termed’un chemin sinueux », confie-t-il. Homme de

convictions, aimant et défendant les thématiques

liées à la démo cratie et à la liberté, il milite

d’abord à Amnesty International, puis à la Ligue

des droits de l’homme. En mars 2012, c’est l’évé-

nement Mérah. « Seule la Licra, dit-il, a organiséun rassemblement, très rapidement après l’évé-nement, devant l’Hôtel de Ville. J’y ai entenduavec soulagement et bonheur le discours d’unejeune militante, Hajer. Elle avait prononcé, cejour-là pour la Licra, des paroles qui, dans cecontexte, m’avaient semblé profondément justes.Je veux le croire, l’antisémitisme n’est pas l’affairedes Juifs, pas davantage que le racisme n’estcelle des Noirs ou des “Arabes” ».

… À LA PRÉSIDENCE DELA SECTION DE DIJON

Après ce 22 mars 2012, Abderrahim Mozher

décide de se rapprocher de la Licra. Il y milite et,

au début de l’année 2014, lorsque la section fait

un appel à candidatures pour la présidence, il se

présente.

Quelle vision a-t-il aujourd’hui de l’association ?

« Une association vénérable, mais en pleine évolution », indique-t-il. En effet, la section de

Dijon, forte d’une centaine de membres, compte

aujourd’hui une moitié d’adhérents de culture

musulmane.

Deux avantages peuvent découler de cette

évolution : pouvoir appréhender des problèmes

spécifiques liés à des cultures plurales, et en

aborder d’autres sans être tenté par le

communautarisme. A. Mozher considère qu’« unprésident musulman qui porte en étendard lalutte contre l’antisémitisme est un signe fort,aussi fort que sa méfiance affichée envers toutesles tentations de communautarisme ». Il complète

en soulignant qu’il est, « comme Valls, un enfantd’immigré ». Et précise : « Mon identité républi-caine, je peux la revendiquer, parce que je l’aichoisie. »Homme de compromis et d’ouverture, il symbolise

un véritable tournant. Alain David, ancien président

de la section, le connaît depuis plus de deux ans.

Il a apprécié l’homme pour « son engagementlaïc » : « Il était un inconditionnel des droits del’homme, ajoute l’ancien président, et ne souhaitaitpas faire de concessions aux cultures particulières.Cela qui m’a immanquablement plu ! »Simone Franck, première vice-présidente, reconnaît

qu’elle a pu émettre quelques doutes : « Sera-t-ilen mesure de combattre l’antisémitisme ? Quellesera sa position sur Israël ? » Les réponses d’Ab-

derrahim Mozher l’ont rassurée et convaincue :

« Quelles que soient nos origines, quelque chosedevait nous rassembler : la souffrance d’autrui.Elle ne devait jamais être ignorée. »Cette élection incarne un mouvement d’envergure.

Alain David conclut : « Le challenge est de démontrer qu’être musulman aujourd’hui, c’estaussi prendre à son compte le combat contrel’antisémitisme, puisqu’il est indissociable decelui contre le racisme. »

Propos recueillis par Justine Mattioli

REPÈRES

Abderrahim MozherNé à Casablanca où il passeson enfance, AbderrahimMozher est issud’une famille de sixenfants. Sa mère estau foyer, son pèrefonctionnaire des PTT.

À SAVOIR

La section de Dijon a le vent en poupeLa section de Dijon aenregistré une hausse de 50 % du nombred’adhérents. L’arrivée du nouveauprésident a permis d’enréunir une centaine.

Abderrahim Mozher,le nouveau présidentde la Licra Dijon. >

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icra

Page 44: RWANDA : OUVRONS LES ARCHIVES

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 44VIE DES SECTIONS

Châlons-en-Champagne, section prospèreLa section de Châlons est relativement récente. Mais elle s’acharne à développer une présence régulière par son réseau antidiscriminations en zones rurales et périurbaines, y compris sa page Facebook.

Dans les années 1980, la ville de Châlons-

en-Champagne connaît une résurgence

des idéologies d’extrême droite associée

à la montée du Front national. Avec à quelques

proches, Me Jean Sammut décide de créer une

section Licra en 1983. Présidée depuis 2003 par

Nelly Beaufort, la section est pérenne. Néanmoins,

entre enjeux urbains et ruraux, de nombreux défis

ponctuent son quotidien.

LES PROBLÉMATIQUES D’UNE VILLE MOYENNEAvec l’élection de Benoist Apparu (UMP), la pré-

sidente souhaite poursuivre et développer les rela-

tions avec la Mairie. Quelles que soient les

étiquettes, « ce sont des individus et non des partisque nous rencontrons », précise Nelly Beaufort.

La section compte une cinquantaine d’adhérents,

un chiffre que la présidente s’efforce de maintenir.

Si elle se réjouit de recenser l’adhésion récente

de quelques jeunes, elle concède toutefois que

l’effectif militant se raréfie : « Entre montée del’individualisme et frilo-sité à s’investir, nous ren-controns de véritablesdifficultés pour fidéliserles adhérents. Devenirbénévole est un engage-ment, une prise de posi-tion, et c’est égalementchronophage. »Les enjeux d’une section

comme Châlons sont multiples et complexes : le

territoire est étendu et se scinde entre espaces

ruraux et urbains.

Ancienne fonctionnaire du ministère de l’Agri-

culture, retraitée depuis 2009, Nelly Beaufort

possède une bonne connaissance des singularités

de la région. Elle estime qu’on y rencontre peu

d’actes antisémites : « La communauté juive deChâlons est relativement petite […]. Nous inter-venons principalement auprès de victimes de racisme et de discriminations. »

UNE ORGANISATION EFFICACE…La Licra jouit d’une visibilité notoire grâce au

développement de nombreux partenariats. Ses

principales actions se ventilent entre recours

judiciaires et actions de terrain, qu’elles soient

éducatives, préventives, d’intermédiation, etc.

Chaque année, fin août-début septembre, la section

anime un stand pendant une journée à la foire de

Châlons. Depuis 2008, l’équipe fait partie d’un

pôle antidiscriminations auprès du procureur de

la République, et travaille également avec la

Brigade de prévention de la délinquance juvénile

de la Marne. Ses membres interviennent aussi en

milieu scolaire et organisent, une à deux fois par

an, des conférences-débats.

Nelly Beaufort préconise une démarche pédago-

gique qui s’inscrit dans la répétition des actes et

des paroles. Elle est consciente de l’importance

de développer un réseau, qu’il soit physique ou

virtuel : la section a mis en place une page Face-

book et un compte Tweeter.

…MAIS DES OBSTACLES FREINENTSON ACTIONPour des raisons idéologiques et/ou politiques, il

existe peu d’actions en partenariat avec la section

de Reims ou avec les autres associations antira-

cistes.

La section de Châlons intervient dans le départe-

ment de la Marne, mais également dans l’Aube

et dans les Ardennes. Elle regrette la disparition

des sections d’Epernay et de Troyes et l’absence

de « maillage territorial Licra ».A l’isolement relatif de la section s’ajoute le

hiatus qui perdure entre

décisions nationales et

enjeux locaux. Nelly

Beaufort indique qu’elle

« souhaite qu’il y ait da-vantage de connaissancesdes réalités locales ».Elle ajoute : « J’aimeraisque la voix des sectionsait un poids dans les

décisions et les axes de réflexion du national. »Malgré des difficultés inhérentes au fonctionnement

d’une association, la section s’investit quotidien-

nement et considère son autonomie comme une

condition sine qua non.Justine Mattioli

L’équipe de la Licra Châlons-en-Champagne,au congrès 2013 de la Licra, à Paris. >

« A ce relatif isolement,s'ajoute, pour la présidente

de section, un hiatus qui persiste entre

national et local... »

REPÈRES

Châlons-en-Champagne, dans la Marne (51),compte un peu plus de46 200 habitants(estimation Insee 2009)et fait partiede la communautéd’agglomération deChâlons-en-Champagne,qui regroupe 38 communes.La section perçoitune subvention defonctionnement de600 euros et bénéficied’un local mis à sadisposition par la Mairie.Les huit membres quicomposent le bureause réunissent au moinsune fois par mois.

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45 | n°650 | mai 2014 | LE DROIT DE VIVRE | Licra VIE DES SECTIONS

Des lycéens face à un génocide européenméconnu, celui des Roms...Où la projection du film de Juliette Jourdan, « Mémoires tziganes : l’autre génocide », à des élèves du lycée Elisa-Lemonnier, dans le 12e arrondissement de Paris, illustre la pédagogie du vrai « détail » qui tue.

Dans ce lycée parisien situé à 50 mètres du

musée de l’Histoire de l’immigration, palais

de la Porte Dorée, quatre-vingts élèves nous

attendent, rassemblés dans un petit amphi. Ils sont

très agités : rien ne dit qu’ils vont prêter attention

au film que Martine Bernheim et Françoise Loeb,

toutes deux membres de la commission Education

et de la Licra Paris, viennent leur présenter en

compagnie de la réalisatrice Juliette Jourdan.

Les jeunes de ce lycée à dominante technologique

où une seule filière générale (ES) est proposée en

terminale sont, comme souvent dans les établissements

qu’on dit « de second vœu », plus bigarrés et plus

colorés qu’ailleurs, que dans les « grands lycées ».

DE LA MODERNITÉ DES GÉNOCIDESVont-ils être sensibles aux paroles de Martine

Bernheim qui leur présente rapidement la Licra,

rappelant qu’elle est passée de la défense des

Juifs à celle de toutes les victimes du racisme (les

Noirs, les Arméniens, les Arabes…), insistant sur

le travail de la mémoire, en particulier des géno-

cides, et sur la lutte contre le négationnisme ?

Les enseignants présents, dont leur professeur de

philosophie, ne sont pas sûrs que ces termes, « gé-

nocide » et « négationnisme » soient connus des

élèves : en effet, ils confondent plus ou moins

génocide avec guerre de religion… Il faut donc ex-

pliquer qu’un génocide, c’est l’extermination d’un

peuple en tant que tel, « sans raison », qu’il suffit

d’y être affilié de près ou de loin pour être visé par

les génocidaires. Le film d’aujourd’hui porte

justement sur la politique d’extermination dont les

Tsiganes ont été victimes pendant la Seconde Guerre

mondiale, génocide pas ou peu reconnu, si ce n’est

par l’Allemagne, en octobre 2012.

La projection démarre dans une ambiance

chahuteuse, voire houleuse : professeurs et CPE

doivent intervenir. Le film commençant par évoquer

Auschwitz, lieu de destination finale des Tsiganes

comme il le fut pour les Juifs, des exclamations

se font entendre : « Encore ! » Je me dis que c’est

mal parti, mais j’attends car je connais aussi ces

élèves-là, qui se disent souvent saoulés par la

Shoah, croyant tout savoir et estimant qu’il n’yen a que pour les Juifs… On peut les toucher.

Monté à la manière des films de Lanzmann, « Mé-moires tsiganes, l’autre génocide » fait l’historique

de l’entreprise génocidaire et repose sur une série

de témoignages récurrents qui disent la mémoire,

nous faisant entrer dans l’univers douloureux et

coloré de la vie manouche d’avant-guerre.

LE DÉTAIL CONCRET QUI LAISSE À PENSERLes élèves continuent à s’agiter mais se prennent

peu à peu au jeu des récits. Tout bascule lorsqu’une

vieille femme raconte, face caméra, comment,

petite fille internée à Auschwitz avec sa mère, elle

découvre « une montagne de cadavres » : « hautecomme un immeuble, sur 250 m de long. » Elle dit

s’en être approchée, avoir remarqué une belle

ceinture de cuir qui dépassait et l’avoir montrée à

sa mère qui, remarquant que c’était de la peau de

porc, en arracha un morceau avec ses dents, le

mâcha longuement et le donna à manger à sa fille.

Un frisson parcourt les élèves, qui se figent dans

un silence attentif, ne bronchant plus quand la

même femme évoque le travail de mémoire et de

reconnaissance de la Shoah initié par les Juifs,

sans lequel le génocide des Tsiganes n’aurait

jamais pu être ni reconnu, ni exhumé.

Juliette Jourdan, la réalisatrice, introduit le débat,

citant un proverbe tsigane : « Le racisme aime leflou comme le loup aime le brouillard. » Il faut

lutter contre le refus de la mémoire, car les

Tsiganes n’ont toujours pas les mêmes droits que

les autres Européens : on continue à stériliser de

force certaines femmes tsiganes en Hongrie…

Cette fois les élèves ont compris qu’on leur parle

d’eux. Opération réussie !

Mano Siri

Exhumer l’histoireJuliette Jourdan, 37 ans,a filmé les Tsiganespour la première foisen République tchèque,où un maire avait construitun mur de séparationavec les Tsiganes. Elle ainterviewé les enfantset ensuite les grands-mères,qui se sont mises à raconterles camps à leurs enfantset à leurs petits-enfants. « C’est là que j’ai comprisqu’il fallait exhumercette histoire, car tantqu’on ne raconterait pasce génocide, tout serépéterait comme avant. »

La Semainede l’éducationLa première manifestationavait lieu à Villepinte (93),dans un collège de ZEP,en partenariat avec laRégion, les footballeursde Claire-Fontaine,l’association Lilian Thuramet la Cité de la Musique :trois petits films — « Lettreà Abou » (Emilie Deleuze),« En chaîne » (Claude Zidi)et « Pour Angela » — ontété projetés, l’occasionde montrer commenton peut être victime,puis agresseur, commentsurmonter ses préjugés,et la nécessité de réparerpour vivre ensemble.

A Paris, le 6 octobre 2013,la Roma Pride,marche pour la dignitédu peuple rom. <

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CHER AMI,Le « DDV » a connu une véritable révolution ces

dernières années : d’un outil interne il est devenu

un élément utile de visibilité externe. Tu en es le

principal artisan, avec le président de la Licra et

son secrétaire général.

Toutefois, j’ai quelques critiques à faire :

1. Les suppléments mériteraient une biblio graphie

(en particulier celui sur l’antisémitisme), parfois

un lexique.

2. Un sujet sur les nouvelles formes de discrimi-

nation devrait faire l’objet d’un supplément.

3. La LDH et le Mrap couvrent-ils les faits antisémites,

l’homophobie ? Puisque la LDH et le Mrap sont

venus participer à nos événements, pourquoi n’irions-

nous pas assister aux leurs, pour dialoguer et

construire des ponts, toujours préférables aux murs.

4. Une page ou deux pourraient être consacrées à

l’expression d’un désaccord, comme vous l’avez

fait en attribuant une tribune à Alain Seksig sur

la laïcité à l’université. Ce serait la rubrique

« Coup de gueule »… Cela permettrait de

désamorcer les crises, qui sont nombreuses à la

Licra : oppositions modernes-anciens, province-

Paris, rôle des bénévoles face aux salariés, etc.

D’une façon générale, les numéros sont beaux.

Mais avez-vous des indicateurs de succès ?

Mesurez vous le nombre de « DDV » téléchargés,

l’évolution des abonnements ? Avez-vous engagé

une étude de satisfaction auprès des sections de

la Licra ?Yves Avigdor

RéponseMerci pour ces suggestions de contenu, dont noussommes très friands !Pour ce qui est du succès, les mesures sont difficiles.Comme vous le savez, nous diffusons surtout parabonnement, le journal et le nombre de lecteurs sontproportionnels au nombre d’adhérents de la Licra.Pour ce qui concerne les téléchargements, ils vont

progresser en nombre puisque le serviceCommunication de la Licra pro posera régulièrementcertains articles aux internautes.Quant à l’enquête de satisfaction, en attendant quenous en ayons les moyens, j’invite nos lecteurs àintervenir plus fréquemment dans cette page Courrier.

Antoine Spire

Licra | LE DROIT DE VIVRE | n°650 | mai 2014 | 46COURRIER

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