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This article was downloaded by: [UQ Library] On: 07 October 2013, At: 02:21 Publisher: Routledge Informa Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registered office: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK Loisir et Société / Society and Leisure Publication details, including instructions for authors and subscription information: http://www.tandfonline.com/loi/rles20 Rythmes événementiels et aménagement des espaces publics à Paris, Bruxelles et Montréal Benjamin Pradel a a Laboratoire Ville, Mobilité, Transport (UMR T9403), École des Ponts ParisTech, IFSTTAR , Université Paris-Est Marne-le-Vallée 6 et 8 , avenue Blaise Pascal, Cité Descartes Champs-sur-Marne 77455 Marne-la-Vallée Cedex 2, France Published online: 04 Jul 2013. To cite this article: Benjamin Pradel (2013) Rythmes événementiels et aménagement des espaces publics à Paris, Bruxelles et Montréal, Loisir et Société / Society and Leisure, 36:1, 78-93 To link to this article: http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2013.805581 PLEASE SCROLL DOWN FOR ARTICLE Taylor & Francis makes every effort to ensure the accuracy of all the information (the “Content”) contained in the publications on our platform. However, Taylor & Francis, our agents, and our licensors make no representations or warranties whatsoever as to the accuracy, completeness, or suitability for any purpose of the Content. Any opinions and views expressed in this publication are the opinions and views of the authors, and are not the views of or endorsed by Taylor & Francis. The accuracy of the Content should not be relied upon and should be independently verified with primary sources of information. Taylor and Francis shall not be liable for any losses, actions, claims, proceedings, demands, costs, expenses, damages, and other liabilities whatsoever or howsoever caused arising directly or indirectly in connection with, in relation to or arising out of the use of the Content. This article may be used for research, teaching, and private study purposes. Any substantial or systematic reproduction, redistribution, reselling, loan, sub-licensing, systematic supply, or distribution in any form to anyone is expressly forbidden. Terms & Conditions of access and use can be found at http://www.tandfonline.com/page/terms- and-conditions

Rythmes événementiels et aménagement des espaces publics à Paris, Bruxelles et Montréal

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This article was downloaded by: [UQ Library]On: 07 October 2013, At: 02:21Publisher: RoutledgeInforma Ltd Registered in England and Wales Registered Number: 1072954 Registeredoffice: Mortimer House, 37-41 Mortimer Street, London W1T 3JH, UK

Loisir et Société / Society and LeisurePublication details, including instructions for authors andsubscription information:http://www.tandfonline.com/loi/rles20

Rythmes événementiels etaménagement des espaces publics àParis, Bruxelles et MontréalBenjamin Pradel aa Laboratoire Ville, Mobilité, Transport (UMR T9403), École desPonts ParisTech, IFSTTAR , Université Paris-Est Marne-le-Vallée6 et 8 , avenue Blaise Pascal, Cité Descartes Champs-sur-Marne77455 Marne-la-Vallée Cedex 2, FrancePublished online: 04 Jul 2013.

To cite this article: Benjamin Pradel (2013) Rythmes événementiels et aménagement des espacespublics à Paris, Bruxelles et Montréal, Loisir et Société / Society and Leisure, 36:1, 78-93

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Rythmes événementiels et aménagement des espaces publics à Paris,Bruxelles et Montréal

Benjamin Pradel*

Laboratoire Ville, Mobilité, Transport (UMR T9403), École des Ponts ParisTech, IFSTTAR,Université Paris-Est Marne-le-Vallée 6 et 8, avenue Blaise Pascal, Cité Descartes Champs-sur-

Marne 77455 Marne-la-Vallée Cedex 2, France.

(Received 7 July 2012)

Leisure and culture play important parts in city planning and attractivity. In thiscontext, periodic festive events are used to organise urban centrality in its functionaland symbolic dimensions. As short-lived and labile as they are, they influence urbanpolicies in their way of producing and organizing space. In the short term they are usedas temporary public space planning, modifying uses and functions. In the mid-term,they generate institutional structures, mandated by politicians, to manage city events.In the long term, these institutions from part of the trajectory of urban developmentof public spaces and urban events. The periodicity of festive events influences thegovernance, urban planning and design of public spaces.

Keywords: Publics spaces; festive events; urban planning; temporality

Le loisir et la culture occupent une place importante dans les stratégies d’attractivité etde développement des villes. Dans ce cadre, les événements festifs périodiques sontmobilisés pour organiser la centralité urbaine dans ses dimensions symboliques etfonctionnelles. Par définition éphémères et labiles, ils n’en influencent pas moins lespolitiques urbaines dans leurs manières de produire et d’organiser les espaces. À courtterme, ils sont utilisés comme aménagements temporaires des espaces publics trans-formant les usages et fonctions. À moyen terme, cette utilisation engendre des institu-tions mandatées par le politique pour assurer la gestion événementielle de la ville. Àlong terme, ces institutions participent de la trajectoire urbanistique des lieux publicspar l’articulation des événements aux projets urbains. Le rythme des événements festifsinfluence la gouvernance, l’aménagement et le design des espaces publics.

Mots clés : Espaces publics ; événements festifs ; urbanisme ; temporalité

Les villes sont entrées dans une économie des signes qui fait évoluer les ressorts de laconcurrence inter et intra urbaine. La dimension symbolique des espaces constitue unevaleur montante (Urry, 1994) dans la production des espaces. L’imaginaire des lieux bâtisdevient un construit à exporter, leur ambiance un indice de qualité de vie et leur animationun révélateur de la vitalité des villes. Dans ce cadre, les loisirs, qu’ils soient culturels,ludiques, festifs, sportifs, sont de plus en plus convoqués dans les politiques urbaines.Tout en renouvelant l’offre urbaine, les activités de loisirs sont utilisées pour produire desimages fortes valorisées dans une néo-économie de « l’entertainment. » Il s’agit de capterles flux d’une « économie symbolique » (Zukin, 1995) et, plus indirectement, d’une

*Email: [email protected]

Loisir et Société / Society and Leisure, 2013Vol. 36, No. 1, 78–93, http://dx.doi.org/10.1080/07053436.2013.805581

© 2013 Université du Québec à Trois-Rivières

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« économie créative » (Florida, 2008) sensible à la qualité de vie, l’offre culturelle etl’animation des territoires. Ce marketing urbain, qui travaille les représentationsmédiatiques des villes, articule l’offre du secteur privé (parcs d’attractions, fondationsd’art, lieux d’amusement nocturnes, foires internationales), étatique (musées nationaux,bibliothèques nationales, fêtes nationales) et municipal (musées publics, équipementssportifs, médiathèques et bibliothèques municipales, patrimoine historique) (Boulin,2008). Ces activités de l’attractivité métropolitaine s’inscrivent durablement dans letissu urbain et produisent du lieu. Mais elles peuvent aussi entretenir un rapport pluslabile au territoire à l’image des festivals, fêtes et événements éphémères qui se multi-plient dans les villes depuis le début des années 1990 (Garat, 2005). Pris en main par lepolitique, l’acte festif fait aujourd’hui partie intégrante de l’organisation urbaine. L’objetde cet article est de questionner le rôle de ces activités de loisir éphémère dans leslogiques d’aménagement des espaces publics.

Nous questionnerons le lien supposé entre l’acte festif et l’urbanisme à partir del’étude de la fonction spatiale des festivals montréalais et plus spécifiquement duFestival International de Jazz, de Paris-Plages à Paris et de l’événement Plaisirs d’Hiverà Bruxelles. La plage urbaine à Paris, le marché de Noël de Bruxelles et le festival àMontréal sont autant de mises en scène de la ville et du rassemblement qui participentd’une logique politique de différenciation des territoires. Ils travaillent « l’image identi-fiante » (Augé, 1994) de ces métropoles en leur attribuant des valeurs de dynamismeculturel, d’animation ludique et de vie locale festive. Ils signifient la ville en tant quedestination potentielle pour les touristes et lieu d’une vie collective pacifiée pour leshabitants. L’organisation des événements festifs devient alors un enjeu de développementlocal. À propos du Festival International de Jazz,

« Depuis son lancement en 1980, cet événement rassembleur s’est non seulement imposécomme une des signatures les plus distinctives de Montréal, mais aussi comme une de sesplus importantes sources de rayonnement dans le monde »1. Paris-Plages « Avant c’étaitplutôt un médium d’accompagnement, (. . .) c’était plutôt quelque chose qui venait en« complément de », maintenant ça devient une opération de communication multimédia »

explique le directeur du service des événements de la mairie de Paris. Plaisirs d’Hiverporte un « objectif général de visibilité [qui] se décline tant à l’international, pouraugmenter la compétitivité de Bruxelles et braquer les projecteurs sur la ville, qu’eninterne, où l’enjeu de l’adhésion et de la mobilisation des bruxellois est essentiel ».2 Sices stratégies de visibilité produisent des images et des symboles valorisants à partir d’unacte éphémère par nature, elles entrainent en retour des transformations urbaines biensconcrètes et durables. Elles reposent sur le rythme événementiel définit par le déploiementpériodique, dans l’espace public, d’aménagements temporaires techniques, symboliques etfonctionnels qui mettent en scène la ville autour d’une thématique identifiée et organisentdes ambiances et des fonctions provoquant le rassemblement et l’animation sociale deslieux (Pradel, 2010). Ces modalités de déploiement du rythme événementiel deviennentdes outils d’aménagement des espaces publics pris en main par le politique. L’analyse deces modalités d’aménagement est l’objet de ce travail qui adopte un point de vuediachronique pour aborder les transformations événementielles des espaces urbains àdifférentes échelles de temps.

Si la fête a toujours eu une place dans la ville, voire a influencé sa forme (Pradel,2010), elle serait aujourd’hui devenue un levier institué d’un urbanisme municipalintégrant peu à peu le temps dans la pensée spatiale. Avec l’objectif d’organiserl’attractivité des villes, l’événement festif devient un outil politique d’aménagement par

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une action sur les usages et les temporalités urbaines. En quoi le développement desévénements festifs en ville influence l’aménagement des espaces publics et, au delà, révèleune évolution de la pratique urbanistique ? L’alternance programmée entre des périodesfestives et des périodes non festives s’apparente à un zonage temporel des villes. Mais sicette programmation repose sur un acte festif par définition éphémère et labile,l’événementiel marque durablement de son empreinte la matérialité des espaces urbains.De quelle manière s’effectue ce marquage et le rapprochement entre des logiquesévénementielles de court terme et des logiques urbanistiques de moyen terme ? Peut-onparler d’un urbanisme événementiel ? Nous formulons l’hypothèse de l’influence desrythmes événementiels dans la production des villes et de l’instrumentalisation de leurpériodicité en tant qu’outil d’aménagement des espaces publics.

Après un rappel méthodologique et la présentation des terrains, nous expliqueronsl’émergence d’un urbanisme événementiel à Paris, Bruxelles et Montréal par l’institution-nalisation d’une action concertée sur la ville portant sur les usages et les temporalitésfestives. Nous présenterons ensuite différents aspects et méthodes concrètesd’aménagement de cet urbanisme événementiel qui transforment à court terme les usagesdes espaces publics en leur donnant un nouveau visage. Nous replacerons enfin cesaménagements périodiques dans le temps long des projets urbains pour saisir l’influenceplus ou moins importante du rythme événementiel dans la production matérielle des lieuxpublics de Paris, Bruxelles et Montréal.

Méthodologie et présentation des terrains

Cette analyse du lien entre le rythme événementiel et l’aménagement des espaces publicsrepose sur trois enquêtes de terrain effectuées en Belgique, en France et au Québec. Cesenquêtes concernaient l’analyse des événements festifs Plaisirs d’Hiver 2006 à Bruxelles,Paris-Plages 2007 et le Festival International de Jazz de Montréal 2011 dans le rapportqu’ils entretiennent avec le territoire. Plaisirs d’Hiver est un marché de Noël inauguré en2001 qui mélange des activités commerciales, ludiques et de bouche dans le centre-villede Bruxelles du premier dimanche de décembre au milieu du mois de janvier.Essentiellement nocturne, il attire 2,5 millions3 de visiteurs invités à consommer au fild’une déambulation dans une vieille ville illuminée et animée d’activités ludiques. Paris-Plages est une plage urbaine en forme de promenade inaugurée en 2002 sur une autorouteurbaine le long de la Seine. De la mi-juillet à la mi-août, 4 millions de visiteurs profitentd’un mobilier de détente, d’activités ludiques et sportives gratuites et de commerces derestauration au cœur du Paris historique. Le Festival de Jazz de Montréal créé en 1980 sedéroule pendant une semaine durant le mois de juin. Plus important festival de la villeavec ses 2,5 millions de visiteurs, il propose des concerts dans des salles privées et unesérie de spectacles et d’activités essentiellement gratuites à l’extérieur attirant les amateursde musique, mais surtout d’ambiance nocturne festive. Si les thématiques, mais aussi lesmontages financiers et le statut des organisateurs de ces événements diffèrent, ilspossèdent assez de points communs pour constituer un corpus homogène afin d’analyserle lien entre rythme festif et aménagement. D’abord, entre offres gratuites et payantes, ilsdéploient annuellement dans l’espace public un mélange d’activités qui alimente lebrouillage des frontières entre loisirs, festivals et fêtes (Crozat et Fournier, 2005; Perrot,1982). Ensuite, ils représentent des formes festives polymorphes à l’accès gratuit, durantplusieurs jours, dont l’objectif est d’attirer les touristes et habitants selon un rythmeinstitué et annuel. Entre fête et festival, nous les qualifierons d’événements festifs.

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Enfin, ils se déroulent dans les espaces publics centraux de trois métropoles et sont initiésou encadrés par le politique via des structures de gouvernance spécialisées.

Ces événements ont fait l’objet d’une analyse en termes de sociologie des usages etd’urbanisme. Nous présentons ici la dimension urbanistique en n’utilisant qu’une partie dumatériel recueilli. Nous avons mené une dizaine d’entretiens semi-directifs dans chaque villeauprès des acteurs impliqués dans l’organisation des événements et/ou l’aménagementurbain (élus, techniciens, aménageurs, architectes, scénographes, programmateurs).L’objectif était de récolter des informations concernant l’action et le positionnement insti-tutionnel des individus qui concourent à intégrer l’acte festif dans l’organisation spatiale desvilles. Des observations de terrain d’une semaine au moins ont permis de saisir les pointscommuns et différences des trois aménagements événementiels ainsi que les transformationqu’ils faisaient subir aux villes (parcours commentés par les organisateurs, relevéssystématiques des aménagements, analyses des lieux en dehors en dehors de périodesfestives). Nous avons ensuite mis en place un suivi annuel des trajectoires urbanistiquesdes espaces événementiels, en amont, pendant et en aval de la présence sur le terrain etanalysé les documents d’urbanisme relatifs produits au cours de cette période. Cette tripleméthodologie alimente une approche diachronique des espaces permettant d’appréhender, àcourt et moyen termes, l’instrumentalisation des événements dans l’aménagement urbain.L’intégration des ressorts de l’acte festif dans les stratégies d’organisation spatiale s’ex-plique par une volonté d’agir sur les usages et les temporalités de la ville.

L’événementiel festif pensé et organisé comme action urbanistique

Les événements festifs et l’aménagement des usages

L’utilisation de l’événementiel festif dans l’urbanisme est à resituer dans le développementd’un marketing urbain qui conduit à « imaginer une ville par le biais de l’organisationd’espaces urbains spectaculaires [comme] moyen pour attirer du capital et des gens (de labonne espèce) à l’époque (depuis 1973) d’une compétition interurbaine intense et d’unentrepreneurship urbain » (Harvey, 1990, p. 92, trad.). Cette spectacularisation se révèle enpartie dans des projets d’aménagement liés à l’organisation d’événements internationaux.Plusieurs travaux analysent les opérations urbaines de grande ampleur que les métropolesdéploient pour remporter le droit d’accueillir des « mega-événements » (Hiller, 2000). LesJeux olympiques (Augustin, 2009), coupes du monde (Gras, 2007) ou capitales culturelles(Gravari-Barbas et Jacquot, 2007) produisent des enceintes sportives, des architecturesgrandioses, des quartiers novateurs sur lesquels les villes communiquent et capitalisent entermes d’images. Le concept « d’événements spatiaux » (Charre, 2000) est utilisé pourqualifier ce lien entre événement et urbanisme. Nous nous situons ici dans la veine d’autrestravaux qui s’intéressent aux événements que les villes initient ou encadrent chaque annéesur leur territoire selon une logique festive et calendaire. Ils démontrent l’instrumentalisationpolitique de l’événementiel festif pour revitaliser des centres anciens (Garat, 2005; Gravari-Barbas et Veschambre, 2005; Hughes, 1999; Richards et Wilson, 2004) ou médiatiser etfaire accepter leur rénovation (Paddison, 1993). Cependant, l’approche diachronique du lienentre urbanisme et événements festifs est rarement convoquée. Elle permet pourtant d’isolerce qui relève de la transformation durable des espaces, de ce qui relève d’un urbanismetemporaire, réversible, « soft ». Le premier travaille la matérialité des lieux à moyen terme,le second, davantage ciblé sur les usages et les temporalités, révèle une inflexion dans leslogiques d’aménagement traditionnelles.

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Dans ce cadre, l’événement s’apparente à une technique d’aménagement « soft » desvilles parce qu’il est utilisé pour produire des protocoles d’usage temporaires des lieuxpublics. Les espaces publics du quotidien sont ainsi organisés comme des supportsd’usages périodiques liés à des activités touristiques, ludiques et culturelles temporaires.Le Festival de Jazz pare le centre-ville de concerts, restaurants, bars ambulants, espaceenfant, boutiques souvenirs. Plaisirs d’Hiver s’organise autour d’un marché de Noëlagrémenté de manèges, patinoire, pistes de ski, tavernes, spectacles. Paris-Plages offretransats, hamacs, parasols, « stands » de glace, terrains de sports, bibliothèque, piscine.Cette offre d’activités s’articule avec la piétonisation des rues, la modification des trajetstransports en commun ou des offres spéciales de mobilité qui réorganisent l’accessibilitédes lieux et redessinent les usages quotidien des lieux bâtis : bronzer sur une routeensablée au cœur de Paris, patiner sur une fontaine publique au milieu des sapins etchalets à Bruxelles, écouter un concert géant allongé sur une place au pied des habitationsdu centre-ville. Des mises en scènes balnéaires, montagnardes, lumineuses et sonoresthéâtralisent ces usages collectifs rendus possible par l’augmentation des capacités d’ac-cueil des lieux. Plaisirs d’Hiver, « il faut que ça tienne la fréquentation de 3 millions depersonnes » avec le souci « que le site reste propre toute la journée et vue la fréquentationje pense que la mission est remplie » note un coordinateur du Bureau des GrandsEvénements (BGE). À Montréal « Le défi le plus gros c’est comment faire entrer autantde monde dans un si petit espace ? » explique le directeur des opérations du Partenariat duQuartier des Spectacles (PQDS) qui pose alors des limites: « Le Festival de Jazz çamaximise le potentiel et s’il y avait un événement plus lourd il faudrait qu’il ailleailleurs ». Paris-Plages « en apportant finalement des éléments de perturbation » dansl’utilisation ordinaire des berges doit augmenter la qualité du lieu et « un des indicateursde la mesure de la qualité, c’est l’utilisation en quantité des espaces » selon le respon-sable de la Mission Qualité des Espaces Publics à la mairie de Paris. Cette transformationdes usages de la ville n’est pas laissée au hasard mais organisée, encadrée,institutionnalisée comme outil d’aménagement par des structures spécialisées.

La Direction Générale de l’Événementiel et du Protocole de Paris (DGEP), le Bureaudes Grands Événements à Bruxelles (BGE) et le Partenariat du Quartier des Spectacles àMontréal (PQDS) organisent ces usages événementiels des villes. Leur action est àresituer dans une évolution de l’urbanisme qui « d’objectifs en termes de strictecréation de biens matériels contribuant à accroître cumulativement le patrimoinecapitalisé de la ville, se voit attribuer des objectifs en termes de création de supportsd’usages » (Beaufils, Janvier, et Landrieu, 1999, p. 49). À Bruxelles, le BGE né en 2005de l’intégration à la région Bruxelles-Capitale de l’entreprise en charge des Plaisirsd’Hiver pour constituer une « unité permanente au sein des instances parapubliques,spécialisée dans la prise en charge d’événements populaires à vocation touristico-cul-turelle4 ». À Paris, la DGEP est issue de la réorganisation des services de la mairie deParis en 2001. Elle s’occupe de divers événements mais surtout de l’organisation de Paris-Plages depuis sa création afin « d’en assurer l’organisation et la coordination sur le plantechnique, réglementaire et administratif avec le souci d’en optimiser les coûts et lasécurité juridique [et] de coordonner, en lien avec les élus, les directions techniques.»5.À Montréal, en lieu et place du Bureau des Festivals, le PQDS est apparu en 2003 pourgérer les besoins du Festival International de Jazz dans le nouveau Quartier desSpectacles, puis de l’ensemble des acteurs du lieu. Responsables pour les villes de lagestion de l’aménagement événementiel des espaces publics, ces structures réorganisentles manières de vivre, les heures d’activités et les usages des centre-ville dans un contextede rareté des espaces. Elles attestent d’une « festivalisation des politiques urbaines »

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(Boulin, 2008, p. 178) qui, en matière d’aménagement, repose sur l’organisation tempor-elle des usages des zones les plus denses selon des logiques calendaires.

Les événements festifs et l’aménagement des temporalités

L’exploitation événementielle des fonctionnalités matérielles des lieux relève d’une logi-que d’aménagements « soft » qui tranche avec les logiques hard de l’aménagementtraditionnel qui ont présidé à la création de ces fonctionnalités matérielles. Derrière lesaménagements événementiels transparaît la question de l’intégration d’une pensée tem-porelle dans une pensée urbanistique purement spatiale interrogée dans ses principes parl’évolution des sociétés. La tradition d’anticipation des conduites sociales de l’espace estde moins en moins confirmée par les pratiques habitantes (Genestier, 2001). Le principed’attraction gravitaire autour d’un point fixe s’affaiblit face à un individu devenu hyper-mobile. Le modèle, la planification, le zonage, le plan-masse, se confrontent auxévolutions rapides des villes dans un contexte d’incertitude croissant. Face à ce constat,une des pistes est celle d’une action sur les temporalités urbaines, d’un « d’urbanisme dela chronotopie » (Lussault, 2001) prenant en compte de l’intensité variable de la viesociale pour repenser l’aménagement des villes: « Ne devrait-on pas décliner égalementdans le temps les notions de centralité et de zonage, prendre en compte les « hautstemps » et pas seulement les « hauts lieux » dans les approches spatiales, dans lesconsidérations patrimoniales » (Ascher, Boulin et Godard, 2003). D’un côté, la ville 24 hsur 24 et la « ville de garde » (Ascher, 2000) proposent des centralités qui apportent latotalité des besoins des citadins à toute heure. De l’autre côté, les bureaux des tempsadaptent les services urbains à la désynchronisation et l’extension des plages d’activités.Mais l’événement festif est rarement convoqué comme une solution d’aménagementtemporel des usages et des fonctions urbaines car ils « ne modifient rien à la culturetemporelle quotidienne du lieu et de ses utilisateurs » (Boulin, 2008, p. 179).

Pourtant, dans l’esprit d’une « ville malléable » (Gwiazdzinski, 2007), l’urbanismeévénementiel s’apparente à un équipement programmable capable d’organiser l’offred’espace suivant des temporalités spécifiques, de qualifier temporellement les territoireset d’organiser leurs usages et fonctions. Pour son scénographe-concepteur, Paris-Plagespermet « d’agir sur les fonctions de l’espace (. . .) et faire que l’endroit devienne un lieu derencontre en donnant de nouvelles habitudes de fréquentation selon les moments de lajournée ». Et à l’échelle annuelle, Paris-Plages est présenté comme un espace temporairepour les parisiens qui ne peuvent pas partir en vacances, mais il répond aussi aux besoinsde ceux qui choisissent de rester à Paris l’été et qui alimentent la tendance à l’éclatementdes temps de vacances et à la multiplication des courts séjours dans l’année (Urbain,2002). L’animation urbaine constitue ici « une forme de réponse aux attentes liées auxusages contrastés des temps de la ville » (Masboungi, 2001). Plaisirs d’Hiver animeBruxelles durant une période hivernale traditionnellement peu fréquentée et inscrit denouvelles habitudes d’usages des lieux: « Plaisir d’Hiver a une mission de dynamisationdu tourisme sur Bruxelles qui n’était pas une destination d’hiver. (. . .) Après, il est clairque l’on ne travaille pas pour les touristes exclusivement, on travaille au niveau local etnational » confie le directeur du BGE. Enfin, le Festival de Jazz s’inscrit dans une traditiond’animation estivale de Montréal « l’été est assez complet avec le Jazz, les Franco, Justepour Rire, Nuit d’Afrique et Divers-cité. C’est des moments très forts (. . .) liés à uneréappropriation de ces espaces publics par les citoyens, les visiteurs. . . » explique leprogrammateur du PQDS. À côté des principes de spécialisation des fonctions (plateauxpiétons), de superposition des fonctions (urbanisme de dalle) et de juxtaposition des

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fonctions (boulevards urbains), l’urbanisme événementiel s’apparente à un principe d’al-ternance des fonctions. Il concrétise une forme de zonage temporel qui reste peu théoriséeparce que l’idée même de zonage reste empreinte d’une aura négative depuis les principesfonctionnalistes. Cependant, cet urbanisme temporaire (Pradel, 2008) est un début deréponse au « désarroi des aménageurs » (Peraldi, 1988) par sa dimension programmatique.

Paris-Plages, Plaisirs d’Hiver et le Festival International de Jazz constituent les pivotsdes calendriers festifs des villes qui renvoient à une dynamique de programmation desfonctions et des usages urbains. Ainsi, après avoir fait ses preuves dans l’organisation dePlaisirs d’Hiver, le BGE prend aujourd’hui en charge l’ensemble du calendrierévénementiel de Bruxelles. Le PQDS possède également cette fonction de programmationdans le quartier et doit le « rythmer avec un équilibre à tenir avec les résidents, ceux quivivent et étudient et payent des taxes, on est très sensible à ça. Il faut un dosage, (. . .) Y’a desfestivals, des événements sporadiques, de l’art visuel, des disciplines diverses » explique ledirecteur des opérations. À Paris, le Bureau d’Occupation Temporaire de l’espace public quidélivre les autorisations a intégré la DGEP qui peut alors réguler les manifestations festives,en lien avec les mairies d’arrondissement. Les événements festifs renvoient donc àune programmation instituée des usages des lieux publics et attestent de l’émergenced’un « urbanisme [qui] doit être capable de jouer avec les événements et avec « l’être-ensemble » pour donner du sens aux lieux » (Ascher, 2006). Cette logique de programma-tion événementielle n’est pas forcément pensée comme un outil d’aménagement, alors quece type de zonage temporel est une piste que certains formulent: « Ne s’agirait-il pas desubstituer au contexte des géographies la situation des moments comme nouvelle façond’aménager la métropole » ? (Burdèse, 1998). Dans les faits, l’acte festif est utilisé commeun levier d’aménagement à travers ce mouvement d’institutionnalisation politique. Dès lors,comment Paris-Plages, Plaisirs d’Hiver et le Festival International de Jazz aménagentconcrètement les espaces publics à court et à moyen terme ? Les configurations temporairesdes espaces publics dans la « ville événementielle » (Chaudoir, 2007) reposent sur dessavoir-faire dont nous analysons ici quelques dimensions6.

L’événement festif, un outil d’aménagement périodique des espaces publics

L’aménagement de parcours événementiels urbains

Les trois événements reposent sur un savoir-faire commun de mises en scène des villes etde leurs espaces publics, la technique étant entendue d’abord comme l’action d’organiserl’espace pour un récit ou un parcours possible (Joseph, 2000). Les événements sedéploient ainsi dans un périmètre identifié dans le tissu urbain par des effets defrontières plus ou moins appuyés. À l’intérieur, ils s’organisent selon une logique deparcours thématique le long duquel sont réparties les différentes activités. Les parcours etles activités séquencent la visite de l’événement et de ses offres de consommation, autantqu’elle norme la découverte de la ville suivant des lieux sélectionnés. Paris-Plages estorganisé sur le mode d’un parcours linéaire sur les berges de Seine fermées à la circula-tion. Les zones d’activités y sont réparties tout du long selon une mise en intrigue del’espace sur le mode d’une journée de vacances (Pradel, 2008): activités calmes et dedétente au début du parcours pour la matinée, plages et sports au milieu pour l’après-midi,concerts et terrasses à la fin pour la soirée, invitant le visiteur à terminer sa course devantla Mairie de Paris. L’événement permet de découvrir autrement cet espace patrimonial, auraz du fleuve, ordinairement autoroutier, mais aussi d’en organiser des usages conformes àla politique de déplacement de la mairie. À Bruxelles, Plaisirs d’Hiver est un parcourslinéaire dans la vieille ville de la Grand Place à la Place du Marché aux Poissons, et qui

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préserve la circulation automobile des artères qui le traversent. Le parcours s’articuleautour de lieux patrimoniaux tout en conduisant le visiteur à découvrir certains espacespeu fréquentés en temps normal. La stratégie est d’entraîner les visiteurs à passer devantles boutiques-chalets du marché et les activités payantes (patinoire, piste de luge, manège,etc.) qui ponctuent le cheminement, tout en travaillant la découverte de la ville: « Il y aune volonté politique de conquête de quartiers un peu oubliés » explique le directeur duBGE. À Montréal, le Festival de Jazz est organisé selon un parcours circulaire autour ducomplexe culturel de la Place des Arts. Les places accueillent les concerts, les rues, lesboutiques et « stands » de nourriture, et la place centrale sur dalle des espaces sponsors,enfants, restauration et souvenirs. Le public déambule au rythme des concerts qui sesuccèdent de part et d’autre de cet îlot central, provoquant des déplacements massifs etréguliers devant les « stands » qui se remplissent. La forme du parcours qui met en scèneles lieux et l’offre d’activitées est un protocole d’usage de la ville événementielle reposantsur un urbanisme orientant les déplacements dans un cadre symbolique thématisé.

L’aménagement symbolique des espaces publics

Une seconde caractéristique de l’urbanisme événementiel est sa forte dimension symbo-lique. La rupture symbolique d’avec la ville ordinaire est travaillée par l’aménagementd’espaces liminaires aux entrées des parcours (chicanes végétales, barrières, arches, effetsde lumière). À l’intérieur, le visiteur est plongé dans un espace où la ville du quotidiens’efface à la fois fonctionnellement et symboliquement. Si ce principe de subversioncaractérise l’acte festif, il n’est pas porté par le corps social mais par un renversementorganisé, normé, institué et utilisé à des fins d’aménagement. Pour les événementsnocturnes, un urbanisme lumière temporaire marque ce renversement identitaire desespaces du quotidien. À Bruxelles, des mâts lumineux temporaires, gélatines coloréessur les candélabres, spectacles lumineux sur la Grand Place, projections au sol, archeslumineuses dans les rues colorent la ville historique et marquent la rupture. À Montréal, auplan lumière déjà très coloré du quartier, s’ajoutent des projections en façade, des « spots »de couleur et les animations lumineuses des « stands » et des scènes. Cet urbanismelumière temporaire a une fonction symbolique. Il transforme Montréal en salle de concertgéante, avec ses spectacles, coulisses, parterres et « stands » pour se restaurer. Il renvoieaux illuminations traditionnelles des fêtes de fin d’année à Bruxelles s’inscrivant dans unesymbolique hivernale faite de références montagnardes (chalets, sapins), climatiques(fausse neige, flocons stylisés) et sportives (luge, patinoire). « L’ambiance, l’imagehomogène de l’événement se construit par touches successives et je pense qu’on va yarriver » avoue cependant le directeur du BGE. De son côté, Paris-Plages est illuminé dejaune (sable) et de bleu (mer) le soir tandis qu’en journée on y observe « des icônes et dessymboles qu’on ne trouve jamais ensemble [mais] qui renvoient sur tout un univers desplages françaises voire extra-françaises » explique son concepteur. Les parasols géantsouverts en permanence symbolisent le soleil; les oriflammes symbolisent la brise marine etles voiles de bateaux; les palmiers renvoient au littoral méditerranéen et la Promenade desAnglais de Nice; le sable le long de la Seine évoque la plage. Ces « centralités de mise enscène » (Bourdin, 2003) signalent la singularité du moment dans l’espace afin de lesrendre attractifs par une thématique, un panel de perceptions cohérentes et desaménagements qui jouent sur l’imaginaire, le symbole, le récit, l’ambiance des lieux.

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Le déploiement de services temporaires de gestion des rassemblements

Une troisième caractéristique de l’urbanisme événementiel est sa dimension sécuritaire. Lafréquentation des lieux est fortement encadrée et organisée. La mobilité des foules estencadrée par des dispositifs temporaires (barrières, signalétiques, tracés au sol, plantes enpots, etc.) qui travaillent la fluidité des déplacements collectifs. Il faut que les parcoursfonctionnent sans encombre et pour cela, prévenir tout problème. À cette fin, des agentsévénementiels veillent. À Montréal, le Festival de Jazz embauche des « Agents de sécurité »et des « Agents de gestion des foules » - les termes étant écrits sur leur veste. A Bruxelles cesont des « Stewards » et des organisateurs qui parcourent les lieux à côté des policiers. ÀParis-Plages, selon le responsable à la ville,

« y’a un flic ou un plagiste, un secouriste tous les 10m. Il vaut mieux avoir un arrêtcardiaque sur Paris-Plages ou se faire voler son sac à main sur Paris-Plages ou perdreson môme sur Paris-Plages que n’importe où ailleurs dans Paris. On est sûr de retrouver sonsac à main, on est sûr de retrouver son môme et on est sûr de se faire soigner ».

Des postes de secours, de pompiers, de police temporaires sont implantés le long desparcours sillonnés en permanence par des agents de propreté, privés à Montréal – bien queles services de la ville participent - municipaux à Bruxelles, en partie municipaux (Servicede propreté de la Ville de Paris) et en partie privés (technicien de propreté pour lessanitaires, vigiles) à Paris. La ville événementielle est une ville sous haute surveillance,traversée de personnel aux multiples statuts qui encadrent les usages possibles et impos-sibles par rapport à la ville du quotidien. Cette redéfinition du degré d’accessibilité estinhérent à la logique de site événementiel avec ses clôtures symboliques. Elle s’expliquepar des enjeux marchands: à Montréal où la fouille des sacs interdit les boissons rentranten concurrence avec les marques partenaires. Elle s’explique par des enjeux sécuritaires: àBruxelles des agents s’assurent du bon écoulement de la foule en déplaçant des barrièressuivant la fréquentation des barrières. Elle s’explique par des enjeux de préservation del’image du site: à Paris-Plages, les spectacles de rue sont soumis à autorisation tandis quele monokini est une pratique interdite. Le zonage temporel organisé par l’événementielpermet de nouveaux usages mais en restreint d’autres, au risque d’un sentiment dedépossession des villes par ses habitants.

Rythme et cristallisation des savoir-faire événementiels

Ces aménagements et les services déployés forment des « dispositifs organisationnels »(Ascher, 2006). Ils reposent sur des savoir-faire cristallisés, années après années, dans desméthodes d’aménagement légitiment la DGEP, le BGE et le PQDS dans leur fonction:« Face à plusieurs combats à livrer on a dû mettre en place petit à petit des recettes et desméthodes » qui permettent un « fonctionnement propre de notre structure alors que desfois la ville ça peut être lourd.» avoue le responsable de la programmation au PQDS. Lerythme de l’événement explique ainsi la constitution incrémentale d’un urbanisme tem-poraire relativement autonome. Les méthodes d’aménagement s’améliorent au fil des anset les compétences techniques, gestionnaires et administratives s’affinent pour produiredes schémas d’aménagement événementiel mais permanents. Si des modifications sontapportées à la marge, l’organisation change peu une fois que l’arrimage entre l’événementet le lieu est considéré comme le plus efficace en termes de gestion des fréquentations(sécurité, propreté) et de rapidité de déploiement. « Par le passé, chaque festival louait sesscènes, les démontait, les remontait, maintenant on leur dit: parlez-vous, louez la même

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scène pendant tout l’été ! » insiste le directeur des opérations au PQDS qui encadre leurdéploiement tandis qu’à Paris-Plages « on améliore les quais de Seine et on stocke. Jeconstruis, je stocke, j’entretiens, je stocke » explique le scénographe. La villeévénementielle est donc une ville qui se déplie et se replie, au point que certainséquipements sont réutilisés d’une opération à l’autre. Le PQDS a fait l’acquisition desanitaires mobiles pour l’ensemble des événements dans le quartier, les chalets de Noël dePlaisirs d’Hiver deviennent les paillotes de Bruxelles-les-Bains et le mobilier balnéaire deParis-Plages est réutilisé pour d’autres manifestations, tandis que le sable est recyclé dansles manèges à chevaux de la Garde Nationale. Mais si l’événement est « stockable » etréutilisable, son déploiement annuel influence la trajectoire urbanistique à moyen termedes lieux qui l’accueillent. Le rythme de cet urbanisme « soft » influence l’aménagementhard de la ville du quotidien selon des modalités diverses à Paris, Bruxelles et Montréal.

L’influence des aménagements festifs dans les projets urbains

Plaisirs d’Hiver : accompagner la mutation d’un quartier historique

Jusqu’à présent, Plaisirs d’Hiver est, parmi les trois événements étudiés, celui qui a lemoins influencé les projets d’aménagement pérennes de Bruxelles. Cela s’explique parcequ’il s’implante dans un tissu urbain fortement bâti et patrimonial qui a déjà fait l’objet deplusieurs politiques de réhabilitation. L’événement est utilisé avant tout comme un moyende faire découvrir le centre de la ville et un levier de réhabilitation symbolique de certainsquartiers. « Les événements n’ont de sens selon nous que quand ils réhabilitent certainsquartiers. Ça a d’ailleurs été motif de rupture dans notre majorité » avoue l’échevin autourisme. Si Plaisirs d’Hiver se déroule essentiellement sur la place du Marché auxPoissons c’est que le bourgmestre a décidé « de sortir le marché de la Grand Placevers les quartiers que l’on était en train de rénover, l’ancien quartier du Marché auxPoissons avec toute une nouvelle vie qui se développe » explique l’échevin à l’urbanisme.L’action porte sur la rénovation des logements, la dynamisation du tissu commercial, laréfection de la station de métro, le réaménagement de la chaussée et plus globalement desespaces publics alentour. Ce retour à la rue par l’événement constitue ici un système devaleurs et de sens porté politiquement et favorable à l’embourgeoisement des quartierspopulaires. Plaisirs d’Hiver s’articule avec un programme d’attraction de nouveauxrésidents portant « sur la requalification des espaces publics, l’animation des quartierscommerçants, la mise en valeur du patrimoine architectural, la mise en tourisme de sitesurbains, l’organisation d’événements » (Van Criekingen et Decroly, 2009, p. 5).

Au-delà, Plaisirs d’Hiver participe directement de l’évolution à moyen terme desespaces publics en y laissant sa trace. Certaines traces sont invisibles comme la réfectiondu réseau électrique de la Place Sainte-Catherine demandé par BGE avec augmentation duvoltage pour les manèges et enterrement des câbles d’alimentation accessibles par destrappes camouflées. L’adjoint à l’urbanisme de Bruxelles a refusé une demande d’implanta-tion d’une friterie dans un bâtiment en dur place Sainte-Catherine car le lieu doit pouvoircontinuer d’accueillir les Plaisirs d’Hiver. Cependant, le projet de friterie a vu le jour sous laforme d’un bâtiment mobile. Certaines traces sont plus visibles. La réfection de la station demétro Sainte-Catherine, sous la place du Marché aux Poissons, a été normée en partie parl’existence sur le lieu des Plaisirs d’Hiver. Quand les entrées et sorties de la station ont étédessinées, le schéma d’installation des chalets du Marché de Noël a été pris en compteexplique l’échevin au tourisme « Quand le collège de l’échevinat est mobilisé sur desprojets et comme il est très sensibilisé aux pratiques événementielles, ça nous interpelle tout

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de suite. Donc quand on regarde les plans, on dit attendez mais où est-ce qu’on va mettrenos événements ? ». Peu à peu émerge l’idée de dédicacer la place à Plaisirs d’Hiver,poussant le BGE à s’intéresser au Quartier des Spectacles de Montréal rénové pouraccueillir les festivals comme nous le verrons plus loin. Bruxelles en serait donc à lapremière étape d’une articulation plus forte entre l’événement et la ville.

Paris-Plages : médiatiser, tester, préfigurer des aménagements publics

Paris-Plages représente pour la municipalité un outil d’aménagement multifonctionnelpermettant d’atteindre divers objectifs. L’événement a été utilisé en 2006 pour médiatiserle projet urbain de rénovation du Port de la Gare en bord de Seine. Le lieu a fait l’objetd’un réaménagement complet, perdant sa vocation industrielle au profit de la créationd’une vaste esplanade. Cette opération s’est accompagnée de l’implantation de nouveauxéquipements municipaux: une piscine flottante et une passerelle piétonne. Paris-Plagestraditionnellement au centre-ville, a alors été dédoublé sur ce nouveau site : « Il y avaitune forte demande politique de mettre un coup de projecteur. Le site n’était pas idéal maisil fallait accompagner les deux gros nouveaux ouvrages qui étaient la piscine et lapasserelle » confie le directeur de la DGEP. Paris-Plages a été déployé au milieu destravaux pour médiatiser l’avancement du chantier, lui-même programmé pour permettre,un an plus tard, de faire correspondre la date de l’inauguration des nouveaux équipementsavec la date d’ouverture de l’événement. Ensuite, Paris-Plages a aussi servi de test pourcet « aménagement permanent conçu pour intégrer facilement des aménagements provi-soires7 ». Enfin, Paris-Plages a permis de préfigurer certains futurs aménagements desbords de Seine. Les « Navette Paris-Plages » et le lien piéton temporaire mis en placeentre le centre-ville et le Port de la Gare s’inscrivent dans les transformationsprogrammées des berges, et plus particulièrement de la Voie Georges Pompidou, sitehistorique de l’événement.

Paris-Plages s’inscrit dans le temps long du projet 2012 de transformation des bergesde Seine en boulevard urbain. L’événement a sensibilisé les Parisiens à une promenade lelong de la Seine et créé une habitude d’usage permettant d’augmenter l’acceptation socialedu projet. Déjà en 2006, le Plan Local d’Urbanisme soulignait que « Les multiplesoccasions offertes aux Parisiens de profiter, dans Paris, des bords de la Seine (. . .)montrent une véritable attente. Ainsi les réflexions sur la reconquête des voies sur bergesau profit des circulations douces devront se poursuivre. ». Ensuite, Paris-Plages a permisde tester la réorganisation de la circulation automobile que le projet allait engendrer, et à lamajorité municipale d’argumenter les débats face à l’opposition. Entre le tout-voiture et letout-piéton, l’idée d’un espace partagé a été retenue. Enfin, les installations temporairesont aussi permis de tester certains aménagements et au final, « Tout ce que nous avonsappris grâce à l’événement sera adapté aux voies sur berge sans voitures » admet ledirecteur de la DGEP. Plus encore, le projet a été architecturé par le scénographe quis’occupe de Paris-Plages depuis sa première édition. Cette forte imbrication del’événementiel et du projet se retrouve au final dans la nature même des futurs espacespublics en bord de Seine. Les lieux seront flexibles et adaptables pour accueillirdifférentes manifestations, pourvus de barges flottantes déplaçables selon les besoins etde dispositifs facilitant la piétonisation estivale du site. Paris-Plages a été utilisé à toutesles étapes du réaménagement des berges de Seine et se confond avec lui: en 2001 ensoutenant la réduction de la place de la voiture dans Paris défendue par le maire, en 2006en accompagnant les premiers travaux au Port de la Gare, en 2008 en préfigurant le projetdes berges, puis en 2012 en accompagnant le début des travaux.

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Par rapport à la relation entretenue entre Plaisirs d’Hiver et le centre de Bruxelles,Paris-Plages et les berges de Seine constituent une étape supplémentaire de l’imbricationde l’événementiel avec des projets d’aménagement. De l’utilisation des événements pourl’aménagement temporel des lieux, on passe à la construction d’espaces publics flexiblespermettant de pérenniser ces monuments invisibles.

Le Festival International de Jazz: dédier les espaces publics aux événements festifs

Le Festival International de Jazz de Montréal est l’événement le plus ancien et le plusimportant qui se déroule depuis 30 ans dans les espaces publics du Quartier desSpectacles. À l’époque, la zone abritait de nombreux terrains vacants (parking, dents-creuses, avenues) permettant le déploiement des scènes et l’accueil des publics, ainsiqu’une bonne accessibilité (centre-ville, nombreuses lignes de transport collectif). Dansles années 2000, la remontée des prix de l’immobilier et l’appétit des investisseurs ont faitcraindre une nécessaire délocalisation du festival. Face au danger, l’AssociationQuébécoise des Industries du Disque du Spectacle et de la Vidéo (ADISQ) propose en2001 de transformer les lieux en quartier dédié à la culture afin de pérenniser les festivals:« Les grands événements culturels continuent à dépendre de la présence de terrainsvacants : la « ville des festivals » ne dispose toujours pas d’espaces urbains aménagés àcette fin 8. L’idée d’adapter les lieux pour faciliter le déploiement d’événements festifs estvalidée un an plus tard. En 2008, le rachat et la rénovation des espaces publics débutentavec comme objectif « de créer des espaces publics intéressants pour les citoyens, pour ladétente, et qui deviennent un grand théâtre urbain quand les festivals s’y installent ». Lecœur de ce « Cultural Cluster » (Cooke et Lazzaretti, 2008) est ainsi composé d’un réseaude places et de rues pensé pour accueillir les scènes et festivaliers selon des configurationsmultiples. Le mobilier est réversible, les fontaines sans emprise verticale, le sol facilementnettoyable et des éléments architecturaux permettent d’accueillir les commerces. Le lieuest parcouru de réseaux techniques (fibre optique, électricité, collecte des déchets, eau,éclairage) commandés par une régie centrale. Le dispositif peut être calibré suivant lesbesoins de différents types d’événements.

L’influence du Festival de Jazz sur le projet se situe à trois niveaux. Le premier niveauconcerne l’influence de ses organisateurs sur la décision politique. À la tête de plusieurssalles de spectacle, producteurs d’autres grands festivals, implantés dans le tissu culturel etéconomique depuis 30 ans et membres de l’ADISQ, ces organisateurs représentent unpuissant acteur dans le développement d’une certaine culture de la ville. Les retombéeséconomiques et symboliques estimées de l’industrie culturelle et des festivals font du projetune initiative structurante de l’aménagement métropolitain intégré à un plan d’actionmunicipal « Montréal Métropole Culturelle »9, carte de visite de la majorité en place. Lesecond niveau d’influence concerne la capacité des organisateurs du festival à peser sur leschoix d’aménagement. L’implantation de la végétation, la surface des places et les sortiesdes réseaux pour les scènes ont été pensées en collaboration avec les responsables duFestival de Jazz. Cependant, les désidérata de ces derniers ont été tempérés par l’apparitiondu PQDS. D’abord « Il y a un « clash » avec ceux qui veulent amener le plus de mondepossible comme objectif ultime » avoue le directeur en ajoutant que son rôle est de cadrer lesfestivals qui « s’installaient dans les rues, sur les trottoirs, dans les terrains vagues. Ilsdébarquaient avec leur équipement et étaient comme chez eux ». Ensuite, le PQDS cherche àouvrir les lieux à d’autres types d’événements. Le troisième niveau concerne l’existencemême du PQDS dont le rôle de médiateur entre les différents acteurs du projet s’est imposépeu à peu. Si sa mission au cours du projet a été d’assurer l’articulation entre les

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aménagements et les besoins des événements, il assure aujourd’hui l’entretien des lieux, lacommunication autour du quartier et sa programmation événementielle. À ce titre, il estsouvent identifié, à tort, comme le responsable pour l’installation des terrasses ou l’octroi depermis de construire alors que son mandat reste culturel. D’un quartier dédié aux festivals, leprojet est devenu un quartier culturel dont la gestion s’éloigne peu à peu du giron de la ville.

Le rythme événementiel comme outil de l’urbanisme de projet

Le court terme de l’événement s’inscrit par petite touche dans la pierre et dans lesreprésentations urbaines des décideurs politiques. Cette fonction aménageuse del’événement est à resituer dans le mouvement global de redéfinition des étapes chron-ologiques dans l’élaboration des projets, dans une perspective de plus grande flexibilité.Les démarches linéaires, peu soucieuses des conséquences irréversibles d’une chronologieenchaînant diagnostic, identification des besoins et élaboration d’un scénario, réalisationet gestion, sont remplacées par des démarches heuristiques, incrémentales, itératives et lanotion de « feed-back » (Ascher, 2001). Les politiques urbaines doivent davantage êtrecapables de modifier les choix d’aménagement et d’investissement dans un contexted’incertitude, de crise économique. Mais elles doivent aussi ouvrir à une plus grandeparticipation de la société civile aux processus décisionnels et, à ce titre, l’événement estutilisé comme un indicateur de l’acceptabilité sociale des transformations urbaine lorsqu’ilpermet une évaluation des usages à venir. Le rythme événementiel ponctue les étapes duprojet urbain, oriente les décisions d’aménagement à et impose peu à peu sa présence dansl’espace pérenne. Trois niveaux d’intégration de l’acte festif à l’aménagement se distin-guent: Bruxelles réfléchit à la pertinence d’adapter la ville à Plaisirs d’Hiver alors que desaménagements ponctuels ont déjà été imposés par l’événement; Paris réalise unaménagement des berges préfiguré et inspiré de Paris-Plages mais ouvert à d’autresfonctions; Montréal a achevé un quartier dédié aux festivals et calibré à minima pour leFestival de Jazz. À chaque niveau correspond un type de structure de gouvernancespécialisées qui, peu à peu, s’impose comme la charnière experte entre les stratégiesévénementielles et les projets d’urbanisme. Le BGE, la DGEP et le PQDS entremêlent,avec plus ou moins de marge d’action, un processus décisionnel vertical et une coordina-tion technique horizontale des différents acteurs privés et publics prenant part à la villeévénementielle. Leurs actions s’inscrivent dans le cadre d’une mise en cohérence desacteurs intéressés à la mise en œuvre de l’action publique locale (Le Galès, 1995). Cesacteurs sont plus nombreux et certains jusque là ignorés (Chaudoir, 2003), notammentceux issus des sphères artistiques et de l’industrie du loisir. Ainsi, l’urbanismeévénementiel et sa particularité rythmique repose sur un faisceau de compétences deplus en plus reconnues dans l’aménagement des espaces publics.

Conclusion

L’approche diachronique des relations qu’entretiennent les villes avec les événementsfestifs démontre l’influence de ces derniers dans l’urbanisme des espaces publics à courtet moyen termes. Ces deux échelles de temps sont liées par le caractère périodique del’acte festif et son instrumentalisation par des structures de gouvernance spécialiséestravaillant à l’attractivité des métropoles. Le mouvement à Paris, Bruxelles et Montréalrévèle une prise en compte accrue de la variable temporelle dans la planification territor-iale. Un « urbanisme temporaire » (Pradel, 2008) et plus encore événementiel, se dessinesous les traits d’une action instituée à court terme et répétée. Elle transforme

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périodiquement les fonctions et les usages du quotidien urbain en changeant le niveau deservice et les protocoles d’usage des espaces bâtis. À moyen terme, l’urbanismeévénementiel intègre la chronologie des projets urbains en préfigurant, testant et accom-pagnant les futures réalisations. Cette tendance est à resituer dans un « urbanisme depensée faible » entendu comme le contraire d’une pensée simple, pétrie de certitudes(Chalas, 2004). L’urbanisme événementiel participe également d’un réaménagement desespaces publics tournés vers les activités ludico-festives organisant une ville festive dansla durée. Il influence la réalisation d’espaces publics facilitant son propre déploiement. Lanature rythmique de l’acte festif explique l’existence même de l’urbanisme événementiel.Elle permet la constitution progressive d’un savoir-faire spécifique à l’aménagementévénementiel des espaces publics qui permet, peu à peu, de s’instituer dans des structuresde gouvernance spécialisées. Le rythme annuel des événements permet à ces dernières demonopoliser l’expertise, de développer une autonomie décisionnelle, et de devenir indis-pensable à une ville cherchant à renouveler les leviers de son attractivité et ses modesd’intervention publique.

Cette fonction urbanistique du rythme événementiel et sa prise en main politique placela question temporelle au cœur de la réflexion spatiale. Les termes d’urbanisme temporaire,urbanisme « soft », zonage temporel et programmation spatiale sont en passe d’intégrer levocabulaire de l’urbanisme opérationnel. L’analyse de cet urbanisme événementiel devraitêtre approfondi afin d’alimenter la réflexion sur ce « chrono-urbanisme » (Ascher, 1997)que certains appelaient de leurs vœux. D’autant plus qu’en tant que pratique constituée,l’urbanisme événementiel soulève de nouvelles questions qu’il faut étudier. Si la program-mation des fonctions devient partie intégrante des politiques urbaines, il s’agit de faireattention à préserver l’équilibre entre les usages ordinaires, voire alternatifs, qui organisentla quotidienneté de la vie locale, et les usages festifs, ludiques, souvent rattachés à desenjeux économiques et touristiques. Cette programmation spatiale ne doit pas accorder uneplace démesurée aux acteurs de l’économie événementielle dans l’organisation des rythmesurbains, au risque d’une potentielle dérive privative et marchande des espaces publics par ledivertissement (Perraton, Paquette, Barrette, 2007) et dont les signaux d’alerte commencentà s’allumer. D’autant plus que l’orientation des investissements publics dans des projetsurbains tournés vers la production de la ville événementielle peut être interrogée, lorsqu’elleest légitimée par l’argument des bénéfices économiques que l’acte festif engendre alorsqu’ils restent, aujourd’hui encore, difficiles à évaluer objectivement.

Notes1. Éditorial du programme du Festival International de Jazz de Montréal de 2011, source

personnelle.2. « Plan de développement international de Bruxelles. Schéma de base. Rapport final », Price

Waterouse Coopers, 2008, p. 73 [En ligne] URL : http://www.quartier-midi.be/wp-images/PDI.pdf.3. Les chiffres cités sont les derniers communiqués par les organisateurs dans les communiqués de

presse. Ils n’ont pas de valeur scientifique. Ils ne permettent pas de distinguer le nombre devisiteurs uniques ou le nombre de visites. La Mairie de Paris a arrêté le comptage depuis 2007.

4. BGE, Rapport d’exercice 2006, [En ligne] URL : www.bitc.be.5. Site de la Mairie de Paris http://labs.paris.fr/commun/rapport_activite_2011/delegation-generale-a-

evenementiel-et-au-prot.html.6. Nous renvoyons le lecteur à la thèse de doctorat en sociologie de Benjamin Pradel, soutenue en

2010 à l’Université Paris-Est sous la direction de F. Godard et M-H. Massot et intitulée : Rendez-vous en ville ! Urbanisme temporaire et urbanité événementielle : les nouveaux rythmes collectifs.

7. Groupe de travail Berges et Déplacements, D. Althabegoity, architecte du Port Autonome deParis, 12 avril 05, www.parisrivegauche.fr.

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8. Arrondissement de Ville-Marie, 2008, Programme Particulier d’Urbanisme, Quartier desSpectacles – secteur place des Arts, p. 31.

9. Ville de Montréal, op. cit.

BibliographieAscher, F. (1997). Du vivre en juste à temps au chrono-urbanisme. Annales de la recherche urbaine,

77, 113–123.Ascher, F. (2000). Postface : les mobilités et les temporalités condensateurs des mutations urbaines.

Dans M. Bonnet et D. Desjeux (dir.), Les territoires de la mobilité, (pp. 201–214). Paris :Presses universitaires de France.

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