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S. C. Rose - ekladata.comekladata.com/.../accord-parfait-L-S-C-Rose.pdf · Prologue Voyez-vous la vie en couleurs ? Ma mère m’a toujours dit qu’au-delà des trois couleurs primaires,

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S.C.Rose

L’accordparfait

S.C.Rose©2015,tousdroitsréservés.

Illustrationdecouverture©JayAheer

Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, personnages, lieux et incidents sont le produit del’imaginationdel’auteurousontutilisésfictivement.Touteressemblanceavecdesévénementsréelsoupersonnes,vivantesoumortes,estunecoïncidence.

Tabledesmatières

TabledesmatièresRésuméPrologueChapitrepremierChapitre2Chapitre3Chapitre4Chapitre5Chapitre6Chapitre7Chapitre8Chapitre9Chapitre10Chapitre11Chapitre12Chapitre13Chapitre14Chapitre15Chapitre16Chapitre17Chapitre18Chapitre19Chapitre20Chapitre21Chapitre22Chapitre23Chapitre24Chapitre25Chapitre26Chapitre27Chapitre28Chapitre29Chapitre30Chapitre31ÉpilogueNotedel’auteur

Résumé

Deuxâmesmeurtriessetrouventetsereconnaissent.Maiscelapeut-ilsuffire?

AprèsavoirquittésaVirginienatale,Annas’installedansleWisconsin.Timideetintrovertie,sourisgrisesurlesbords,elleespèrepouvoiryprendreunnouveaudépartetfairepeauneuve.Mais c’était sans compter sur la présence envahissante de Ly’. Sarcastique et méprisant, tigre duBengaleenpleinepuissance,ildétestelesfemmesetnes’encachepas.Leurpointcommun?Lefrèred’Anna,Andy,quiestaccessoirementlemeilleurpotedeLy’.Quandunesourisgriseseretrouvefaceàuntigre,l’issueestinévitable.Non?Deuxâmesmeurtries,quetoutoppose,peuvent-ellesvraimentsecompléter?Etformer,ensemble,l’accordparfait…?Oubientoutcelan’est-ilqu’unleurre…?

Prologue

Voyez-vouslavieencouleurs?Mamèrem’a toujoursditqu’au-delàdes troiscouleursprimaires, ilyenavaitquantitéd’autres.

Plus belles et plus riches les unes que les autres. Un véritable feu d’artifice semblable au plussplendidedesarcs-en-ciel.Etl’onvoitcescouleursauquotidien,danslaviedetouslesjours.N’est-cepasmerveilleux?Parfois,onendécouvremêmeuneoudeuxquel’onneconnaissaitpas.Etpuis, il y a aussi les couleurs associées ànos sentiments.Chaqueémotion, chaque frissonest

définiparunecouleur.L’amourparlerouge,l’infidélitéparlejaune,l’ennuiparlegris,lapaixintérieureparlevert,et

j’enpasse.Bref, vous l’aurez compris, la vie est faite de couleurs.Mamère dit toujours que la vie est un

festival de couleurs. Il y a des couleurs gaies et des couleurs tristes, vives et pastel, intenses etpassives. Ilyenapour tous lesgoûts,enréalité.Mêmesi,certainesd’entreelles,honnêtement,ons’enpasseraitvolontiers.N’êtes-vouspasd’accord?Voyez-vouslavieencouleurs?Ouennoiretblanc?Moi, jesais reconnaître lescouleurs.Enfin,plusexactement, jesais reconnaîtrebonsnombrede

couleurs, car si l’onme demande la différence entre le bleu foncé et le bleumarine, je vais trèscertainementrépondre«Parcequecen’estpaslamêmecouleur?Bleufoncé,ben…c’estbleufoncé,quoi!».N’êtes-vouspasd’accordavecmoi?L’essentiel,c’estdereconnaîtrelescouleursetnondecapter

chacune de leur nuance. Et les couleurs que je vois, je les reconnais sans aucun problème.Mais,étrangement,mamèrenepartagepasmonavis.Selonelle,jenesuispasàmêmedevoircessuperbescouleursquinousentourent.Elleamêmeétéjusqu’àprétendrequejen’enconnaissaisquedeux.Etque,techniquementparlant,çan’étaitpasvraimentdescouleurs.À ce stade de la discussion, généralement, le tonmonte et nous débattons âprement sur le sujet.

Elle,ensoutenantquecesdeuxcouleursn’ensontpas,etmoi,enaffirmant lecontraire.Etçapeutdurerlongtemps.Trèslongtemps,même.Ducoup,d’unedécisioncommune,nousavonsfinalementdécidédetomberd’accordsurlefaitquenousneserionsjamaisd’accord.C’estunboncompromis,jetrouve.N’êtes-vouspasdecetavis?Voyez-vouslavieennoiretblanc?Mêmesij’aiparfaitementconsciencedescouleursquinousentourent,jen’envois,pourmapart,

effectivementquedeuxdanslaviedetouslesjours:lenoiretleblanc.(Sivouspartagezl’avisdemamèreàcesujet,jeproposequenousnousmettionsimmédiatementd’accordsurlefaitquenousnesommespasetneseronsjamaisd’accord.Celavousconvient-il?Merveilleux!)Donc,pardéduction,sijenevoispasdeblanc,jevoisforcémentdunoir.Etvice-versa.Mamèreenconçoituncertainagacementetnes’est jamaisprivéedem’enfairepart,maisqu’y

puis-je?Pourmoi,lavieestennoiretblanc.Point.Inutiled’épiloguerlà-dessusduranttroisheures.C’estainsietcelanechangerajamais.Pourtant,dans toutcenoiretdans toutceblanc, ilya toutdemêmeunepointedecouleur.Une

toutepetitepointedecouleur.Uneriquiquiminiquipointedecouleur.Unmagnifiquebleufoncé.(Nibleumarine,nibleuroi,ni jenesaisquelleautrenuance!Simplementbleufoncé.)Quisymbolisel’êtrequej’aimeleplusaumonde.Celuiquiaétémonrefugedanslesheureslesplussombresdenotrevie.AndrewCampbell.Andy.Mongrandfrère.Vousnevoyezpaslavieennoiretblanc?Alors,venez.Jevaisvousmontrer.JesuisAnnabelleCampbell.Voicimonhistoire.

Chapitrepremier

Larentréeuniversitaire.Enfin!Jedevaiscertainementêtrelaseulefollequiavaitattenducemomentavecautantd’impatience.Au

pointdecocherminutieusementchaquejourpassésurmoncalendrier,etdemettrerégulièrementdesalarmessurmon iPhone.Si j’avaiseudescopines,dont j’auraisétéparticulièrementproche, jenedoutaispasuninstantqu’ellesm’auraientregardéecommeunanimaldefoire.Maiscommecen’étaitpaslecas,laquestionnes’étaitheureusementpasposée.Attention, je nem’en étais jamais plainte. Évidemment, parfois, dans desmoments de faiblesse,

j’auraisbienaiméavoirquelqu’unavecquiparler,autrequ’Andy,maislerestedutemps,j’étaisbienmieuxtouteseule.Commeditleproverbe:mieuxvautêtreseulquemalaccompagné.Etaprèscequiétaitarrivéàmafamille,jepréféraismeteniràl’écartdesautres.Passeulementà

causede l’opinionqu’ilspourraientavoir surmoi,ousurAndy.Non,pasvraiment. J’avaisapprisquelasolituden’étaitpasforcémentsynonymedetristesseoudemal-être,bienaucontraire.Enétantseule,j’avaispum’adonnercomplètementàmapassion:lalecture.Jepouvais liredesmontagnesetdesmontagnesde livressans jamaisenêtre lassée,nidérangée

pardescopinesquivoulaient fairedushoppingoucritiquer telleou tellepersonne.Seconfierdessecrets,quilelendemain,seraientconnusdetoutlelycée.Non,vraiment,toutcelacen’étaitpaspourmoi.Enfin,plusexactement,toutcelan’avaitpasétépourmoi.À dix-neuf ans, je me disais qu’il était peut-être temps que les choses changent, que c’était le

moment de tenter le coup. De créer des liens d’amitié avec d’autres personnes et de voir ce quipourrait endécouler.Peut-êtreque jeme rendrais compteque cen’est pas simald’avoirdevraisamis.Etnondesfaux-culsquivoustournentledosaupremierobstacle.Ceux-là,sanshésitation,jem’enpassaisvolontiers!Jen’avaispasdetempsàperdreavecdescons.Etpuis,maintenantquej’avaisquittémabanlieuenatale,denouvellesportess’ouvraientàmoi.Les

possibilitésétaientmultiplesetdiverses.Uneoccasionderepartirdezéro,enquelquesorte.Loindelaméchancetéetdelamédisancedesmauvaiseslangues.Unenouvellevie.Unnouveaudépart.Alors,pourquoinepastenterlecoup?Aupire,ilyauraitunéchec.Maisqu’était-ceunéchecdans

une vie ? Une goutte dans la mer, rien de plus. En fin de compte, tellement petite et tellementinsignifiante.Toutefois,me faire des amisn’était pasmonobjectif premier envenantm’installer ici.Non, en

réalité,sij’avaisquittémaVirginienatale,c’étaitpourrejoindreAndy.Mongrandfrère.Celafaisaitmaintenant deux ans qu’il était parti, ne revenant que pour les vacances, et il me manquaithorriblement. Sans lui, la vie n’était plus lamême.Ma vie n’était plus lamême. J’avais perdumabouée, mon ancre, mon port d’attache. Et si cela m’avait finalement été bénéfique, car j’avais dûapprendreàmedébrouillertouteseule,jen’enavaispasmoinsétéprofondémentperturbée.Depuistoujours,Andyveillaitsurmoi.Ilétaitmonpreuxchevalierenarmurequipourfendaitles

méchantsdragons.L’imageétaitenfantine,certes,maistellementprochedelaréalité.Sanslui,sanssonadmirablecourage,jeneseraispluslàaujourd’hui.Ilétaitmonsauveur,celuiquiavaitterrassélemonstrequiavaitvoulumefairedumal.Etpourcela,ilavaitétépuni.Jen’avaispascomprispourquoi,àl’époque,etencoremaintenantje

medisaisquelaviepouvaitêtresacrémentvacheavecceuxquineleméritaientpas.Commel’avaitditPhoebe,dansCharmed,«Onnedoitpaspunirlescoupables,maisprotégerles

innocents».C’était un conceptque jepouvais comprendre.Rendre justice soi-mêmen’était jamaissouhaitable,nivraimentprofitable.Maisparfois,onn’avaitguèrelechoix.Ilarrivaitquelabarrièreentre « protéger » et « punir » soit relativement mince, voire inexistante. Alors, on avait deuxoptions:bienoumal.Pardonnerouchâtier.Blancounoir.Mon frère avait choisi le noir. Et en toute honnêteté, moi aussi j’aurais choisi cette couleur.

Malheureusement,lejugen’avaitpaspartagénotrepointdevue.Andyétaitdoncpartienmaisonderedressement.Durantdeuxlonguesetinterminablesannées.Commejem’enétaisvouluàl’époque.Alors que j’étais innocente, je m’étais sentie incroyablement coupable. Il m’avait fallu plusieursannées,etdelongsentretiensavecmonpsy,pourréaliserquejen’étaispasfautive.Quecen’étaitpasdema faute. Pourtant, si au fond demoi je le savais déjà, l’accepter n’avait pas été chose facile.Quandl’êtrequevousaimezleplusaumondeétaitpunipourvousavoirportésecours,commentnepass’envouloir?Mais cette tragique histoire remontait à sept ans. De l’eau avait coulé sous les ponts depuis. Et

malgrélamaisonderedressement,quifaisaittachedanssondossier,monfrèreavaitétéacceptésansproblèmeàl’UW-RiverFalls.(UniversityofWisconsin-RiverFalls.)Jenesavaispasbienpourquoiil avait décidé demettre les voiles jusqu’auWisconsin, surtout pour un bled paumé commeRiverFalls. (Dont j’avais totalement ignoré l’existence jusque-là.) Iln’avait jamaisvoulum’endonner laraison.Etpuis, finalement,c’étaitunÉtatcommeunautre.Enplus, ilétait suffisamment loinde laVirginiepourquepersonnenesoitaucourantdesonpassé.Etparlamêmeoccasion,dumien.NouvelÉtat.Nouvellevie.Nouveaudépart.Çaavaitété lecredodemonfrère,et,depuispeu,c’étaitdevenu lemienégalement.Unechance

incroyablederepartir,pourainsidire,dezéro.Pourtant, j’avaisquandmêmeunepetiteappréhension.Moi,denature timideetréservéeavecles

personnesquejeneconnaissaispas,arriverais-jeàmefaireàmonnouvelenvironnementetàtenirmes objectifs ? Tenter de se faire des amis, c’était facile à dire,mais concrètement, est-ce que jesauraislefaire?Rienn’étaitmoinssûr.Chaquechoseensontemps.Avanttout,jevoulaisrevoirmonfrèreetluifairelasurprisedesavie.Jeneluiavaispasditqueje

m’étaisinscritedanslamêmeuniversitéquelui,etquej’yavaisétéacceptéesanssouci.J’avaishâtedevoirsatêtelorsqu’ilmeverrait.Je pris une profonde inspiration pourme calmer lamoindre. J’étais excitée comme une puce à

l’idée de revoirAndy. Pourtant, j’avais passé trois semaines avec lui durant les vacances d’été, etqu’ons’étaitquittéàpeinequinzejoursplustôt.Premier jour d’université, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat. De plus, j’attendais ce jour

depuis tellement longtempsquecen’étaitpaslemomentdeflancher.Toutallait trèsbiensepasser.Qu’est-cequipourraitbienm’arriver?Ben,tupourraisglissersurlesmarchesdesescaliers,justeavantd’entrerdanslebâtiment,auvuet

ausudetous…Çaseraitlahontetotale,mapauvrefille!Mouais, j’allais peut-être éviter de penser à ce qui pourrait m’arriver, en fait, sinon, me

connaissant, je risquaisdepasser lamatinéedansmabagnole.Àpeser lepouret lecontre.Etàcerythme-là,lajournéeseraitfinieavantquej’aiepuprendreunedécision.Allez,A,courage!Tuprends tonsacet tusorsde labagnole.C’estaussisimplequeça.Allez…

Vas-y…Tuattendsquoi,là?QueleBonDieutetombesurlatête?Go!J’attrapaivivementmonsacetouvrismaportièredansunmêmemouvement.VLAN.—Aïe!Oh,non…Oh,merde…Nemeditespasquej’ai…Jesortisrapidementdemavoitureetjemerendiscomptequesi.Jel’avaisfait.J’avaisenvoyéma

portièredanslatêted’unefille.Oh,laloose….Zutdeflûtedecrottedebique!—Oh,merde!Jesuisdésolée!Est-cequeçava?demandai-jeenmeprécipitantverselle,rouge

dehonte.Tul’asassomméeavectaportière,A!Commentvoudrais-tuqu’elleaillebien?Deux yeux bleu clair, très clairs même, se vrillèrent sur moi et me foudroyèrent sur place. Ils

avaientl’airdemedire«Non,maist’essérieuse,là?Est-cequej’ail’airdebienaller?»Qu’est-cequejedisais,A?—Àtonavis?Tum’asenvoyétaportièreenpleinvisage!T’asfaillimepéterlenez,pétasse!Ok. Pour un premier contact avec le monde extérieur, c’était plutôt mal parti. Un très mauvais

départmême.Malgré son ton incisif,moi j’étais tellementmal, que je continuais àme confondre en excuses.

Pathétique.—Jesuisvraiment,vraiment,vraimentdésolée.Jeprenaismonsacetjen’aipasfaitattention.A,mets-toiàgenouxetimplorependantquetuyes.—Non.Mais.Je.Rêve!(Elledétachasoigneusementchaquemotpourquejelescomprennebien.

Commesic’étaitvraimentindispensable.)T’espasséeàdeuxdoigtsdemedéfigureràvie,ettucroisque tuvas t’en tireravecunsimple« jesuis tellementdésolée…»(Ellepritunevoixdemidinettesuperchianteenessayantdem’imiter.)Mapauvre…Tuvasregrettercequetuviensdefaire,jetelegarantis.Quandmonmec sera au courant, il va te faire passer unmauvais quart d’heure, je te lepromets.Elleenfaisaitunpeutroplàquandmême…Non?Cen’étaitpascommesij’avaisessayédelatuer,

enmêmetemps.Jeluiavaisjusteenvoyémaportièredanslafigure.Etsansfaireexprès.C’étaitunaccident.Unfoutuaccident!Àl’entendre,oncroiraitquej’avaiscommislecrimedusiècle.Ah,j’aimemieuxça,A,tuessurlabonnevoie,continue!Maisavantquejepuisseajouterquoiquecesoit,ellepartitcommeunefolleencontinuantàme

direquej’allaisleregretter.

Net’inquiètepas,Poupée,c’estdéjàfait!Biendit,A!Jepoussaiunprofondsoupiretrefermaienfinmaportière.Aprèsavoirverrouillémavoiture,je

prislentementlechemindelafaculté.Maismonentrainétaitbienredescendu.Jen’étaisplustrèssûredeparveniràmefondredanslamasse.Onallaitmepointerdudoigtunenouvellefois,c’étaitcertain.Alorsquejen’avaispasencoremisunpieddanslecampus.Çacraignaitgravepourmesfesses!Jem’arrêtaidevantl’entréeprincipaledubâtimentcentral,hésitantclairementàenfranchirleseuil.

Aprèsl’incidentdetouteàl’heure,était-cevraimentprudentdepersévérer?Visiblement,j’étaisdansune journée noire. Insister me serait préjudiciable. Le plus sage serait de rentrer dans mon petitmeublé,quej’avaisputrouverenlocation,etd’attendrelelendemain.Non,unesemaine.Leplussageseraitd’attendrepeut-êtreunesemaineavantderetentermachance.On a la trouille, A ? Tu sais que ce que tu fais revient à reculer pour mieux sauter. Tu en as

conscience?Etsitubaisseslesbrasmaintenant,tusaiscommemoiquetun’yremettrasplusjamaislespieds…CQFD.Non,jereviendraidansunesemaine.Quandlesespritsseserontapaisés.C’estplusprudent.Jesuis

dansunejournéenoire,sijepersiste,jevaisenchaînerlesmalheurs,jelesais.Jevaisrentrer.Situfaisça,tunereverraspasAndyavantlesvacances…Ettudevrasluidirecommentçasepasse

àlafac,ettout,ettout…Etilt’auraprislamaindanslesac,enpleinesalvedemensonges,endeuxtempstroismouvements.Tusaiscequisepasseraalors…?Ahhaaahhhh!Commejedétestaisquandmavoixintérieureavaitraison!Grrr.Sielleavaitunbouton«OFF»,ilseraitenclenchéenpermanence.Maispourlecoup,lemalétait

fait.Sijereculaismaintenant,elleavaitmalheureusementraison,jeneremettraiscertainementjamaislespiedsdanslecampus.Alorsquej’avaisfaitdespiedsetdesmainsauprèsdemamèrepourqu’elleacceptequej’yvienne.Vaincue, et belle joueuse, je reconnaissais ma cuisante défaite. J’inspirai un bon coup et je me

décidai,enfin,àfranchirleseuildubâtiment.Sansaudace,pasdegloire…—Hey,toi,là!Attends!Oh, non ! Oh, non ! Oh, non ! Un jour noir, je t’avais bien dit que j’étais dans un jour noir !

Regardeoùj’ensuisàcausedetoi.Zutdeflûtedecrottedebique!Jemepétrifiailittéralementenvoyantunefillerousseseprécipiterversmoi,àtoutesjambes.Elle

mepritfébrilementparlebrasetplongeasonregardvertpétillantdanslemien.—C’esttoiquiasmisLilyK.O.àcoupsdeportière?Affreusement gênée, je sentis mes joues chauffer et se teinter de rouge.Génial. Je me mis à

bafouillerdesexplications:—Euh…non…enfin, si…mais…pasvraiment… tuvois…c’était un accident… jen’ai pas…

fait…exprès,quoi…jenevoulaispasla…enfin,tuvois…Laroussenemelaissapasm’embrouillerdavantagedansmonmisérablecafouillageetm’entraîna

rapidement à sa suite.On rejoignit trois autrespersonnesqui l’attendaient, appuyées contreundesmursducouloir. Ilyavaituneautre fille, aux longscheveuxbruns ; etdeuxmecs,unblondetunnoiraud.Tousmeregardaientcommesijedébarquaisd’uneautreplanète.Oucarrémentd’uneautregalaxie.Mauvais.C’estmauvais.C’esttrèsmauvais…—C’estelle!C’estelle!Undesmecs,leblond,ricanaensecouantlatête.—Ons’enseraitunpeudouté,Marj’…Y’apasbeaucoupdeschtroumpfettesauxcheveuxrouges

danslecoin.Charmant.—Max!Lemecmelançaunrapidecoupd’œil,avantdehausserlesépaules.—C’est ladescriptionqueLilyafaitedetoi,endisantquetuavaisfailli la tuer.Elle l’ahurléà

pleinspoumonsy’amoinsdedixminutes.Àcetteheure-ci,toutlemondeestaucourant,c’estpasunsecretd’État!(Ilsetournaversmoi.)T’esdansunemerdeprofonde,majolie.Génial.J’avaisdéjàunpetitnomsupersexy.Schtroumpfetteauxcheveuxrouges.Sympa.Ettoutle

mondelesavait.Encoreplusgénial.Jesentaisquej’allaisencorem’éclatercetteannée.—Ça,c’estclair, t’as fait fort !T’aspas froidauxyeux, toi,en toutcas.Mais tudoisavoirdes

tendances suicidaires, par contre. T’en prendre à Lily… Sérieux… Tu ne pouvais pas faire pire,s’exclamal’autrefille,enmefixantavecdegrandsyeuxbrunsremplisdecompassion.Supergénial!J’auraisdûrentrerchezmoicommejelevoulais…Noir,noir,noir!Unjournoir,bon

sang!—SaufcrachersurLy’…Maisça,personneneleferait.Enfin…personnedesensé,évidemment…Letondunoiraudsous-entendaitclairementquemoi,j’enseraiscapable.Siseulement,ilsavait!—Jenel’aipasfaitexprès…Jenel’avaispasvueetj’aiouvertmaportière,c’esttout,tentai-je

d’expliquer,d’unepetitevoix.Lesilencequis’installasoudainmemitterriblementmalàl’aise.Enfin,encoreplusmalàl’aise

quejenel’étaisdéjà.Jesurprisdesregardséchangésencoinetdesmineseffarées.—D’accord…,déclara lentement laroussequise tenaitàmescôtés.T’esnouvelledans lecoin,

pasvrai? (Jehochai rapidement la têteenmemordillantnerveusement la lèvre inférieure.)Ok.Jecomprendsmieux.Tuneterendspasdutoutcomptedecequetuviensdefaire,enfait.Quet’aiesenvoyé ta portière dansLily, accidentellement ou non, n’est pas vraiment le fond du problème, tuvois.Letruc,c’estquetut’enespriseàlameufdeDrew.Etça,c’estmauvais,trèsmauvaispourtoi.— Drew, tu vois, c’est l’un des deux mecs à ne jamais chercher dans le coin. Et quand je dis

«jamais»,jeveuxvraimentdire«jamais».Àmoinsd’avoirenviedepasserunsalequartd’heure.Vraimentmoche,repritl’autrefilledugroupe.DrewetLy’sontlespersonnesàéviterparexcellence.—Ilsontmauvaiscaractèreetnesontpasréputéspourleurgentillesse,situvoiscequejeveux

dire,lacoupaabruptementlenoiraud.Tousceuxquileurcherchentdesnoises,àeuxouauxmembres

de leur groupe, s’en mordent les doigts. Filles ou garçons, ils ne font aucune différence. Tu lescherches,tulestrouves.Ettupaiesl’addition.C’estaussisimplequeça.—Ettoi,majolie,t’esdanslamerdeparcequetut’enespriseàlameufdeDrew.Tuvasmorfler

grave,poursuivitlemecblond,sansaucunecompassion.Bordel,j’voudraispasêtreàtaplace!—Max!Aprèstoutceflotd’informations,qu’ilsm’avaientdéversédessussanss’arrêteruneseuleseconde,

jemeraccrochaiàcedétail,pourtantbieninsignifiantauvudelasituationactuelle.Max.Leblonds’appelaitMax.Ellel’avaitdéjàditunefois.Jem’ensouvenaismaintenant.Etilal’aird’êtreunabrutiprofond,A,situveuxmonavis.Pourlemoment,jemepasseraisdetescommentaires,merci!J’aidéjàassezdemalàsuivrecomme

ça…C’esttoiquivois,A…C’esttoutvu!Donc,pourrésumé:Max,et les troisautresmevoyaientdéjàà l’articlede lamort,pournepas

carrément dire six pieds sous terre. Effectivement, la partie semblait mal engagée. Cela étant, jepossédaisunatoutdansmonjeuqu’ilsneconnaissaientpasencoreetquiétaitdetaille.Andy.—Jevois…,murmurai-je,duboutdeslèvres.C’estmalengagé,eneffet.Maiscommejemesuis

excuséeplatement…peut-êtrequesonpetitami…—Sonpetitami?Tusorsdequelpatelinpourparlercommeça?semoquaMax,engloussant

bêtement.Sonpetitami,sérieux…Puisilrugitderire.Abrutiprofondtotalementdénuédecervelle!Pourunefois,jenecontredispasmavoixintérieure.Prenantuneprofondeinspiration,jedécidai

de reformuler différemment ma pensée, sans prêter attention aux moqueries persistantes deMax.Aprèstout,j’enavaisvud’autres.Etbienpire.—Jemesuisexcuséeetjesuisnouvelle.Sonmecserapeut-êtrecompréhensif…—Oublie !Lily en fera toute unehistoire.Elle a déjà commencéd’ailleurs.Drew, oupireLy’,

viendra tevoir.Àmoinsqu’ilsneviennentensemble,c’estégalementunepossibilité.Quoiqu’ilensoit,tunevaspasycouper,majolie,m’interrompitMax,toujourshilare.Ok.J’allaisdoncvraimentavoirbesoindemonatout.Danscesconditions,mieuxvalaitquejeme

mette enchasse immédiatement.Unepetitepointededoute, avecun soupçond’espoir,me traversabrusquementl’esprit.Serait-cepossiblequeDrewsoit…Andy?—Drew,c’estlediminutifd’Andrew?demandai-jebrusquement,d’unevoixpourtanthésitante.—Okaaaayyyy.Onteditquet’esdanslapanadetotale,ettoi,toutcequit’intéressec’estdesavoir

siDrewestlediminutifd’Andrew.Ouah!Celle-cionmel’avaitjamaisfaite!s’exclamaunenouvellefoisMax,enmedétaillantcommel’onauraitobservéuninsecteaumicroscope.T’esvraimenttropspace…Lesgars,jemecasse.Àplus.Aprèsavoirdonnéunetapesurl’épauledunoiraud,Maxnousplantalà,immédiatementsuivipar

soncompère.Okay,d’accord.Demieuxenmieux.Visiblement, faireconnaissanceavecde tiercespersonnes,et

éventuellementcréerunliend’amitié,c’estpastroptacame,A.Maisbon,unabrutipareil,sérieux,ons’enpassera.Etplutôtdeuxfoisqu’une.Bienjoué,A!— C’est vrai que t’es plutôt zarbi…, déclara la brune en me fixant intensément, le visage

impassible, avant de se fendre dans un immense sourire. J’A-DO-RE !Tume plais bien. Si, si, jet’assure!Marj’,cettefillemeplaît!LadénomméeMarj’levalesyeuxaucielavantdepouffer.—Tum’étonnesqu’elleteplaît!ElleamisLilyK.O.àcoupsdeportière!Elles se tournèrent versmoi d’unmêmemouvement et levèrent simultanément leurs pouces en

l’air.—Laclasse!dirent-ellesencœur.Ouah,sijem’attendaisàça.—Dommageque tu risquesd’enmourir, soupira soudain la brune.Mais pour en revenir à nos

moutons,etrépondreàtaquestionparlamêmeoccasion,oui,Drewestbienlediminutifd’Andrew.AndrewCampbell,pourêtreprécise.Maispersonnenel’appellecommeça.Ici,c’estjusteDrew.Jepoussaiundiscretsoupirdesoulagementetmasquaimajoiecommejelepus.Vularéputation

demonfrère,mieuxvalaitattendredel’avoirvuavantd’annoncerquej’étaissapetitesœur.Trouillarde!Oh,maisfermetabouche,toi!Tuneveuxpasmelâchertrentesecondes?Naaaannnnn!Etpis,honnêtement,jetemanqueraistrop,avoue?Ouais,c’estça!Mêmepasenrêve…Aprèsceconstructifdébatavecmavoixintérieure,j’adressaiunsouriretimideàmespotentielles

nouvellescopines.Enfin,potentiellescopinestoutcourt,vuquejen’enavaispasuneseule.(Leterme«nouvelle»sous-entendaitquej’enavaisdéjà,cequin’étaitpaslecas.)Maiscommeellesavaientditquejeleurplaisais,j’avaismeschances.Quinetenterienn’arien.Allez,go!—Ok. C’était juste pour savoir. Curiosité maladive et déplacée, en l’occurrence, je le crains,

mentis-jeeffrontément.(Jen’avaisjamaisditquejeseraiscomplètementhonnête,nonplus.)JesuisAnnabelle,maisonm’appellegénéralementAnna.Jesuiseffectivementnouvelledanslarégion.JeviensdeVirginie,enfait.Mais,visiblement,jen’aipasétébieninspiréedevenirici…vuquejevaismouririncessammentsouspeu…,soufflai-jeduboutdeslèvres,lesyeuxrivéssurmeschaussures.Moi?Sarcastiqueettimide?Oh,sipeu.Labrunepouffadeplusbelleetmepritchaleureusementdanssesbras.Okay,d’accord…Jesuiscenséefairequoi,moi,maintenant?Complètement prise de court, je restai figée sur place, ne sachant pas quelle attitude adopter.

Heureusement,ellenes’envexapas.—Jet’adore!Jesensqu’onvasuperbiens’entendre,touteslestrois.Moi,c’estKimberly,maisje

préfèreKim,toutcourt.Kimberly,c’esttroppompeux.(Grimaceguindée,avechaussementdesourcilhautain.Illustrationparfaitedesapensée.)Elle,c’estMarj’,pourMarjory.Ouais,onestplutôtfana

desdiminutifsdanslarégion.Donctuvois,tutefondssansproblèmedanslepaysage!—Heureusedesavoirquejeremplisaumoinsuncritère,dis-je,d’unairpince-sans-rire.Mes nouvelles copinesm’adressèrent un clin d’œil aumoment où la première sonnerie retentit.

Danscinqminutes,lescoursdébuteraient.Finilaparlote,ilétaittempsquechacunrejoignesasalledeclasse.Àmoinsdevouloirêtreenretard.Trèspeupourmoi.Surtoutlepremierjour.Jem’étaisassezfaitremarquercommeça.—Merde,jevaisêtreenretard!Fautquej’yaille!s’exclamaMarj’,rejoignantinconsciemmentle

fildemespensées,avantdepartirencourant.Àplus,lesfilles!Alorsquej’ouvraisvivementmonsacpourenextrairerapidementlalistedemescours,ainsique

leplanducampus,Kimcontinuaàmeparlercommeside rienn’était.Êtreen retardne lui faisaitvisiblementpaspeur.—Tuasquellematièreenpremier,Anna?— Psycho, annonçai-je après un rapide coup d’œil à mon horaire. Ouf, je suis dans le bon

bâtiment ! Par contre, faut que jememagne le train si je ne veux pas être trop en retard. Je doismonter…—Ok.Onseretrouveàlacantinedubâtimentsudpourdéjeuner?Enfin,sitonemploidutempsle

permet,biensûr…(Hochementde têteaffirmatif.)Super! Ilparaîtque labouffeyestcorrecte,onverrabien.Enfin…situsurvisjusque-là,biensûr,ajouta-t-elleenmefaisantunclind’œil.Jemeretinsdejustessedeleverlesyeuxauciel.Àlaplace,j’acquiesçaibiensagement,avantde

m’élancerdanslesescaliers.Jedevaisallerautroisième.Fallaitquejememagne.Iln’yavaitriendepire que d’arriver en retard pour être dans la ligne demire de tout lemonde.Etmonbut, àmoi,c’étaitplutôtdepasserinaperçue.Surtoutaprèslefiascodelaportière.Jesentaisquetoutcelaallaitmecréerdesennuisdontjemeseraisbienpassée.

Chapitre2

Contrairement àmes prévisions, lamatinée s’était finalement plutôt bien passée. Je n’avaismispersonneK.O. à coupsde cahier, je n’avaismarché sur aucunpiedni heurtéqui que ce soit.D’unautrecôté,personnen’avaittentédemetuer,quecesoitaveclesmainsouavecunregardincendiaire.Bilandelamatinée:rienn’àsignaler,toutsemblaitêtresouscontrôle.Il fallait seulement espérer que cela durerait.Mais généralement, au moment même où l’on se

faisaitcetteréflexion,c’étaitlàquelesennuisdébarquaient.J’auraisdoncdûm’yattendre.Çan’avaitpasétélecas.Quelleerreur!—Hey,toi,là!Laschtroumpfetteauxcheveuxrouges!Eh,merde!J’avaisvraimentcruquejepourraism’entirerfacilement,aumoinsjusqu’auréfectoire.Touten

ayantl’espoirsecretqueceladureraitjusqu’àlafindelajournée.Journoir!Noir,noir,noir!Combiendefoisvais-jedevoirlerépéter?!Aujourd’hui,c’estunjour

N-O-I-R,noir!Jeme retournai lentement, enpoussantun léger soupirdedépit.Ducoinde l’œil, jevisque les

autresélèvesmelançaientdesregardsapitoyés.Génial!Jemeretrouvaifaceàlapoupéeblondedecematin,Lily,sijemerappelaisbien,etunmecàla

minepatibulaire.Quin’étaitenaucuncasmonfrère.Zutdeflûtedecrottedebique.C’estqui,lui,d’abord?PourvuqueçanesoitpasceLy’,dontlesautresavaientparléaveccraintecematin.Pourquoimon frèren’était-il pas avec sapetite…non, sameuf !Pourquoin’était-il pas avec sa

meuf?Noir,noir,noir.—Euhm…moi?demandai-je,unpeubêtement.Complètement prise de court, m’attendant à faire face à mon frère, je ne savais pas comment

réagir.—Àtonavis?Tuconnaisd’autresschtroumpfettesauxcheveuxrouges?Okaaaayyyy,d’accord.Ças’annoncemal.Zutdeflûtedecrottedebique.—Enréalité,jen’enconnaisaucune…—Ben,regarde-toidansunmiroir,ettuferasconnaissance!Poupéegloussa,commesiMinepatibulaireavaitditquelquechosed’hilarant.Lesblaguessurles

blondesprenaientenfintoutleursens.Poupéenelesavaitsûrementpasinventées,maisellelesavaitassurémentinspirées!

—Écoute,sic’estpourcettehistoiredeportière,jesuisvraimentdésolée,commejel’aidéjàditcematin.Jenel’aipasfaitexprès,tentai-jevainementd’expliquer,d’unevoixlégèrementtremblante.Monmanqued’assurancemehérissaitlepoil,maisj’étaiscommeça.Sansavoirmalanguedans

mapoche,j’étaisplutôtdugenre«sourisgrise».Discrèteeteffacée.Ainsiquetremblantefaceàundanger.Mouais,ça,c’estvalablepourlesinconnus,A,parcequ’aveclesautres…Tuasl’impressionquejelesconnais,cesdeux-là?Euh…non…Benalors?…bécasse…Voixintérieure:zéro;Anna:un.—Ha!T’enaurafalludutempspourdemanderpardon!Maisçaauraitpeut-êtreétémieuxsitu

l’avaisfaittoutdesuite,tunecroispas?Enentendant lesparolessarcastiquesdePoupée, j’écarquillai lesyeux,sidérée.Maisc’étaitquoi

cettehistoireencore?Jem’étaisexcuséeimmédiatementaprès.Qu’est-cequ’ellecherchaitàfaire?M’attirerencoreplusd’ennuis?—Tuplaisantes,j’espère?Jemesuisexcuséetoutdesuite!Mine patibulaire avança d’un pas, l’airmenaçant, et je sentis un frisson d’angoisse remonter le

longdemacolonnevertébrale.Mauvais,çasentaitdeplusenplusmauvais.Merde,merde,merde.MaisoùétaitAndy?—Lilytedonnel’impressiondeplaisanter,peut-être?Parcequejet’assurequec’estpaslecas!

Alorsmaintenant,tuluiprésentesdesexcuses.Etdanslesrèglesdel’art,Schtroumpfetteauxcheveuxrouges.—Pardon?—Tutemetsàgenouxettuimploressonpardon.Vite.Bouchebée,jelesfixaisansréagir.Était-ceuneplaisanteriedouteuse?Vulatêtedesixpiedsde

long qu’ils tiraient, tous les deux, j’en déduisis que non. Pensaient-ils vraiment que j’allaism’agenouillerdevanteux?Alorslà,ilsrêvaient.J’avaisbeauêtreterriblementtimide,sourisgrise,ettoutletralala,jen’étaispaspourautantunecarpette!Mêmepasenrêvequejem’agenouilleraisdevanteux!Mêmepasenrêve.—Là,c’esttoiquiplaisantes,j’espère?Minepatibulairem’agrippaviolemmentlebrasetserrafort,m’arrachantunegrimacededouleur.—Àgenoux!Maintenant!Je serrais les dents en tentant d’endiguer la douleur, tout en refusant catégoriquement de

m’agenouillerdevantcettepétasse.Pétassequibuvaitdupetitlaitencemomentmême.Celle-ci,sijepouvaisluifairesafête!C’étaitpeut-êtrelemomentde…—Maisqu’est-cequi sepasse ici,bordel ? s’exclamaunevoixgrave, et terriblement familière,

dansmondos.Sauvéeparlegong!Unefoisdeplus.Tuaseuchaudauxfesses,A.

Gnagnagna…Fichuevoixintérieure!Pourquoidevait-elletoujoursavoirraison?C’étaitagaçantàlafin.—Drew!Cettesalopedeschtroumpfetteauxcheveuxrougesm’aenvoyélaportièredesavoiture

enpleinvisage,cematin,etelleafaillimepéterlenez!Maislepire,c’estqu’ellenes’estmêmepasexcusée ! Joey vient de lui demander de le faire et elle refuse encore ! s’écria Poupée, en seprécipitantversmonfrère.—Uneschtroumpfetteauxcheveuxrouges…Sérieusement?(Ily’eutunecourtepause.)Maisquia

trouvécesurnomdébile?Cettevoix-ci,jenelaconnaissaispas.Àelleseuleelleauraitpucongelertoutlebâtiment,tantelle

étaitfroide.Pournepasdireréfrigérante,voirecarrémentglaciale.Auchoix.Unepeurirrationnelles’empara demoi. Cet homme était mauvais, j’en étais intimement convaincue. C’était de lui qu’ilfaudraitquejememéfieleplus.—Tantd’histoirespoursipeu,marmonnamonfrère,avantdemecontournerpourmefaireface.

Leplussimpleseraitque…Ils’arrêtanetencroisantmonregard.Jevissesprunellesbleufoncé,parfaitementidentiquesaux

miennes, s’arrondirent de surprise. Il me dévisagea longuement, les yeux ronds comme dessoucoupes, bouche bée. Évidemment, si j’avais pu choisir, j’aurais voulu que nos retrouvailles sepassentdansd’autrescirconstances,maisbon…Surprise,surprise!—Souris…?—Salut,Andy.(Petitsourired’excuse.)Depuisletemps,jepensaisquetusauraismieuxleschoisir.

(SignedetêteendirectiondePoupée.)Maisvisiblementpas.Riendanslatêteettoutdanslesoutif,hein?(Lesrèglesdujeuvenaientjustedechangeretj’enprofitaihonteusement.)J’entendisuneexclamationscandaliséedansmondos.—Nonmaishé,pétasse!Tuteprendspourqui?Tu…—Laferme!lacoupasèchementmonfrère.Ettoi(ilposaunregardmauvaissurlemecquime

tenaittoujours),lâche-latoutdesuite!Aussitôtdemandé,aussitôtexécuté.Mouais, c’était plutôt cool d’êtremon frangin !Donner des ordres, c’était en quelque sorte une

secondenaturechezlui.Ettantquecen’étaitpasàmoiqu’ilsétaientadressés,jen’étaispascontre!Encoremoinsdanslasituationactuelle.Tuasvraimenteuchaudauxfesses,A,tulesais,ça,pasvrai?Ouais,chais.Moi?Demauvaisefoi?Oh,sipeu…Justeunchouïa,àlarigueur…—Quiestcettefille,Drew?s’écriaPoupéeenrejoignantrapidementmonfrère.—Elleesttoutcequetun’espas…Poupées’esclaffabruyamment.—Ça,jelesais!Suffitdelaregarder!Monfrèresefigea.Illuilançaunregardneutrequinemetrompanullement.Ilétaitvertderageet

Poupée allait sacrémentmorfler.Bien fait pour elle !Meuf ou pasmeuf, personne ne parlait à sapetitesœurdecettemanière,encoremoinssurceton.Quec’étaitbond’êtremoi!Unsourirepurementsadiquenaquitdansmonesprit.T’essûred’êtreunesourisgrise,A?—Cequiveutdire?—Ben,regardes-laetregardes-moi,chéri.Iln’yaquandmêmepasphoto!—Ça,c’estclair…,approuvaDrewenhochantlatête.Elle,c’estducentpourcentnaturel,alors

quetoi…Cettefois,c’étaitmoiquim’esclaffaidevantlaminedéconfitedePoupée.Monfrèresavaitfrapper

làoùçafaisaitmal.J’auraispuéprouverdelacompassionpourcettepauvrefille,mais…Désolée,Poupée,jesuisdansunjournoir.Uneprochainefois,peut-être…—Drew,qu’est-ceque…,balbutia-t-ellepathétiquement,visiblementprisedecourt.Monfrères’approchademoietpassaunbrasautourdemesépaulesensouriant.—Lily,jeteprésenteAnna,lafillelaplushonnêteetlapluspurequejeconnaisse.(Ok,ilenfaisait

peut-êtreunpoil trop, là.)Anna,voiciLily,unementeuse invétérée,visiblement,etaccessoirementmonex.LamâchoiredePoupéesedécrochaettombadansunbruitsourd.Quelbruitdélectable.—Qu-qu-quoi?Drew,maisqu’est-cequeturacontes?Etpis,c’estquicettepétasse,d’abord?Mon frère se redressad’unbloc, etmêmesans levoir, je savaisque sonvisageétaitdevenuun

masqueduretimpénétrable.Dugraniteàl’étatbrut.—Faistrès,trèsattentionàlamanièredonttuparlesd’Anna!Maintenant,casse-toi!Jeveuxplus

tevoir.—Mais,Drew…—Casse-toi,j’aidit!Àtrois,vaudraitmieuxquetusoispartie.Un…—Drew…—Deux…—Mais…—Tro…Poupéenelelaissapastermineretpartitencourant,sansdemandersonreste.Choixjudicieux,à

mon humble avis. En la voyant fuir, je pris conscience que le couloir était désert. Incroyable ! Ilsétaienttouspartis,etjeneleremarquaiquemaintenant.Maisquellebandedelâches!JemetournaiversAndypourluilancerunregardnarquois.—Toietlesfilles,Andy…Sérieusement…Monfrèrefronçalessourcilsetmedonnaunechiquenaudesurlenez.—Salegamine,surveilleunpeutonlangage!Jetesignalequetuenasfaitfuirunenouvelle!Jeprisunairfaussementeffaré.—MonDieu,jesuiscomplètement,totalement, irrémédiablementdésolée.Situsavaiscommeje

m’enveuxdet’avoirfaitperdreunepoupéedeplus.Tuveuxquej’aillet’enacheteruneautre?Unevraiedevraie,pourmefairepardonner?Gonflableetmalléable,promis!Etsurtout…silencieuse…Andy éclata de rire, avant deme serrer fort dans ses bras, au point dem’étouffer.Mais j’étais

tellementheureusedeleretrouverquejen’yattachaiaucuneimportance.Nousétionsréunis,enfin,etc’étaittoutcequicomptaitvraiment.—Commec’estbondeterevoir,souris!Situsavaiscommetum’asmanqué!—Toiaussi,Andy,toiaussi.Monfrèresereculaetilmecaressatendrementlajoue.Sesyeuxpétillaientdejoie.—Et simaintenant tume disais ce que tu fais là, exactement ? Et qu’est-ce que tu as fait à tes

cheveux,BonDieu?Ladernièrefoisquejet’aivue,cequiremonteàunpeuplusdequinzejours,tules avais longs et bruns. Comme ils ont toujours été, d’ailleurs. Et maintenant, ils sont courts etrouges.Maisqu’as-tufait?J’arquaiunsourcil,unbrinmoqueur.—Un truc incroyableetcomplètement innovant.Du jamaisvu.Tunevaspasycroire…Jesuis

alléechezlecoiffeur…Andymetiralalangue.—C’estça,moque-toi, salegamine.Tuasde lachancequeça t’aillebien,sinon j’t’auraisbotté

l’arrière-trainsansétatd’âme!Mais,çanemedittoujourspascequetufaislà…Jeluisourismalicieusement,enprenantmonairleplusinnocent.—Ehbien,jetefaisungroscâlin?hasardai-je,enhaussantlesépaules.Ilmefitlesgrosyeux.Ok,l’heuredelaplaisanterieétaitterminée.Autempspourmoi.—Jevoulais te faireune surprise, en réalité.Vois-tu, il sepourraitque jemesois inscritedans

cetteuniversité…Unfrancsourireilluminalevisaged’Andy.—Sérieux?Jememordillailalèvreinférieureenhochantlentementlatête.—Vi.Surprise!Jeme sentis brusquement soulevée dans les airs et lemonde semit à tournoyer autour demoi.

J’éclataiderire,heureusecommejamais.Quandilmereposasurlaterreferme,jeluiembrassailajoue.—Tum’astellementmanqué,Andy.Tellementmanqué.—Toiaussi,souris.Toiaussi.Lavoixquej’avaisentenduetantôt,toujoursaussifroideetréfrigérante,s’élevaunenouvellefois.

J’eneuslachairdepoule.—Andy?Monfrèresedétachademoietsetourna,m’entraînantdanssonmouvement.Jedécouvrisenfinà

quoiressemblaitcethommequejepressentaiscommeinfinimentdangereux.Etmoncerveausedéconnecta.Commeça,sansprévenir.Black-outcomplet.

Cethommeétait…Ouah!Grand,trèsgrandmême(deuxtêtesdeplusquemoi,aumoins);larged’épaules;bicepsimpressionnants;pectorauxsaillants;ventreplatetmusclé(tablettesdechocolatgaranties…sijenepouvaispaslesvoir,jelesdevinaisfacilement);etunetaillefine.Jenotaitoutçaau premier coup d’œil. Je devais fournir des efforts colossaux pour ne pasme retrouver à baverd’envie. Langue pendante et tutti quanti. Il fallait reconnaître que le débardeur blanc qu’il portaitn’aidaitenrien,bienaucontraire.DwayneJohnson.CemecavaitlephysiquedeDwayneJohnson.Merci,monDieu,d’avoirconçuunetelleperfection!Sonphysiquetrèsavantageux,dumoinsc’étaitmonavis,necorrespondaitpasdutoutàcequesa

voixglacialepromettait.Unedélicieusesurprise.Vraimentdélicieuse.Etçanes’arrêtaitpas là.Ohquenon!Sescheveuxnoirs,mi-longs,tombaientharmonieusementautourdesonvisage,luidonnantun air de mauvais garçon (qu’il était très certainement) absolument irrésistible. Des pommettessaillantes,unebarbedetroisjoursainsiquedebelleslèvrescharnuescomplétaientcetteœuvred’art.Et cerise sur le gâteau (miam, miam), des iris vert pâle illuminaient merveilleusement ce visagesombre,yajoutantunetouchedecouleurbienvenue.Pour lapremièrefoisdemavie, jedonnaiunenuanceàunecouleur.(Ànoterdanslesannales.)

Vertmenthe.Sesyeuxétaientvertmenthe.A,as-tulamoindreidéedecequ’estexactementlanuancevertmenthe?Non,aucune.Maiselledoitêtreainsi.Pâle,claire,pastel.Voilàquetudevienspoétique…Onauratoutvu!—Attention,mec,seuleAnnaaledroitdem’appelercommeça!déclaraDrewd’untonamusé,

maisdur.Heureusementpourmoi,Andyplaisantaitjoyeusementavecsonpoteetn’avait,decefait,pasvu

quemalangueétaitentraindefaireleremakedutapisrouge.Lesummumdelahonte.Jetentaisdelaremettrediscrètementdansmabouche,sansquepersonnenes’enaperçoive.Maisvulesmètresquis’étaientmalencontreusementdéroulés,cen’étaitpasgagnéd’avance.—Vraiment…?susurraL’œuvred’art,l’airsardonique,sansmeprêterlamoindreattention.Comme c’était vexant ! Alors que moi j’en étais réduite à l’état de carpette ambulante, lui ne

m’avaitpasjetélepluspetitregard.Àcroirequej’étaistransparente.Jerisquaiunrapidecoupd’œilsurmoncorps,histoiredevérifierquej’appartenaistoujoursaumondedesvivantsetque,cefaisant,j’étaistoujoursparfaitementvisible.Affirmatif.J’étaisencorelà.Toutefois,jenefuspascertainequec’étaitvraimentunebonnenouvelle.—Vraiment.—Etpeut-onsavoirpourquoi(ilmelançaunbrefregard.Enfin!)Annaaceprivilège?Malangueregagnasaplaceinitialedansunclaquementsec.Leregardqu’ilm’avaitlancévenaitde

meglacerlesang.Ainsiquetoutlereste.Cemecétaitpeut-êtreunevéritableœuvred’art,uncanonambulant,maislafroideurqu’ildégageaitrefroidiraitunvolcanenéruption.Aucunechaleur,aucunelueurbienveillanten’illuminaitsesirisclairs.Uniquementunfroidarctique.Glacéejusqu’ausang,jefrissonnai.Jedusmefaireviolencepournepasreculer.Jeretirecequej’aiditprécédemment,A,tuesbienunesourisgrise!Commes’ilavaitsentilapeurquim’avaitsoudainenvahie,iltournasesyeuxdeglaceversmoi.

J’yvisdistinctementdelaméchancetéàl’étatpur.Encoreunefois,jefusconvaincuequecemecétaitdangereux.Sourisgriseauxtendancesparanoïaques,même…—Maisparcequec’estmapetitesœur,toutsimplement.La lueurmalveillante, qui brillait un instant plutôt dans lesprunellespâlesquimedévisageaient

sansciller,disparutcommeparmagie.Ellefutremplacéeparunéclatdesurprise.Cequimelaissaperplexe.Maisc’estquicemec,exactement?—Tapetitesœur?—Mmmhmmm.Andytournalatêteversmoietmefitunclind’œilcomplice.—Ly’, je te présente officiellementAnnabelle,ma petite sœur. Souris, voiciLy’,monmeilleur

pote.Uncoupdemassuenem’auraitpaslaisséeplushébétée.Ly’.Sonmeilleurpote.Cemec,àl’aura

maléfique,étaitlemeilleurpotedemonfrère.Oh,bonsang!C’étaitégalementlemecenversquil’onm’avaitmiseengarde.Unmecplutôtpascommode,au

basmot.Zutdeflûtedecrottedebique!Noire,journéenoire!Jedoisledireencoreunefois?Heureusement,jemereprisrapidementetadressaiunsouriretremblotantàLy’.—Salut,Ly’.—Annabelle…Savoixn’avaitpaschangéd’uniota.Toujoursaussifroide.Génial.Çapromettait…—Toutlemondem’appelleAnna,enfait.Haussementdesourcilsetsourirenarquois.Ok,maremarqueneluiavaitvisiblementpasplu.—Jenesuispastoutlemonde.Okaaaayyyy, d’accord. Je sensqu’on vadrôlementbien s’entendre, tous lesdeux.Comment je le

sais?Oh…monpetitdoigtvientdemelesouffler…— Oui, bien sûr. Quoi qu’il en soit, je suis enchantée de faire ta connaissance, Ly’, dis-je

finalement,fautedemieux,etvoulantmettreuntermeànotreéchangesansêtregrossière.Bonneéducation,quandtunoustiens.Son sourire s’effaça et ses yeux lancèrent des éclairs. Je venais de dire ce qu’il ne fallait pas

apparemment.Çadevenaitunedétestablehabitude…—Dommageque jenepuissepas endire autant…Mec,on se retrouveauparking…Oups ! Je

voulaisdire,Andy…,sifflotaLy’enremontanttranquillementlecouloir.(IlempoignafermementlebrasdeMinepatibulaireenpassantàsescôtés.)Oh,pétard!Pourquoijen’aipasditça,moi,d’abord??

Peut-êtreparcequetuaseupeur?Mêmepasvrai!Maisoui,biensûr!Jevaisfairecommesijetecroyais,OK?—Jesensqu’iln’estpasprèsdemelâcheravecça!Maisbon,sic’estleprixàpayerpourt’avoir

avecmoi,ici,jenevaispasfaireledifficileetronchonner!L’attitude distante (pour ne pas dire carrément inamicale) deLy’ ne semblait pas perturbermon

frère outre mesure. Mais voulant savoir à quoi m’en tenir, histoire d’éviter au maximum decommettreunnouvelimpair,jeluiadressaiunregardencoinquiendisaitlong.—Ilestunpeu…spécial,tonpote,non?Andyredevintinstantanémentsérieuxetmelançaunregardgravequim’interpella.—Ilestméfiantettrèsréservéaveclesexefaible.Commemoi,ilavécudestrucspasévidentset

çaafaitdeluicequ’ilestaujourd’hui.Maisc’estunmecbienetunamifidèle.Attendsdemieuxleconnaîtreettuteforgerastapropreopinion,d’accord?Mouais,perso, j’étaissceptique.Maiscommejenetenaispasvraimentàmeprendrela têteavec

monfrèrelejourdenosretrouvailles,jegardaimonopinionpourmoi.Surtoutpaspourunmecunpeu… zarbi, comme dirait Kim. Je tâcherais d’éviter Ly’ au maximum, comme ça je resteraissagement à distance de problèmes éventuels. Ce mec me donnait froid dans le dos et c’étaitabsolumenthorsdequestionquejerecherchesacompagniepourfaireconnaissance.Meilleurpotedemonfrèreoupas!Et puis, mon petit doigt me disait que Ly’ ne tenait pas à me connaître non plus. Garder mes

distancesétaitlechoixleplusjudicieuxquejepouvaisfaire.—Bon, si l’onallaitmangermaintenant ? Jene saispas toi, souris,maismoi, j’aiune faimde

loup.Connaissant l’appétitd’ogredemonfrère, jen’endoutaipasun instant.Pourtant, j’appréhendais

légèrement le moment où Kim et Marj’ comprendraient que j’étais la sœur de Drew. J’espéraisqu’ellesne leprendraientpas tropmaletqu’ellesnem’envoudraientpaspourcettecachoterie.Nipourêtrelasœurd’undesmecslespluscraintsducampus.Siellesnel’acceptentpas,c’estqu’ellesn’auraientjamaispuêtredevraiesamiespourtoi,A.Mouais, pas faux. Encore une fois, ma voix intérieure visait dans le mille. Combien de filles

s’étaient détournées de moi après ce qui s’était passé ? Sachant que j’étais la sœur du terrible etterrifiantAndrewCampbell,onm’avaitpointéedudoigtetmiseàl’écart.Etlesrarespersonnesquiavaientcontinuéàmeparler,c’étaituniquementpouravoirdeschosescroustillantesàraconterauxautres.J’yavaismisletemps,maisquandj’avaisdécouvertça,jen’avaiseuaucunscrupuleàcouperlespontsavectoutlemonde.J’étaisalorsdevenueunevraiesolitaire.Maisavoirdevraiescopines,çaseraitcool.Enfait,çaseraitcarrémentcool.Onallaitentrerdanslacafétériaquandmonfrèresefitinterpellerparunmec.Nevoulantpasfaire

connaissanceavecunautredesespotes,surtouts’ilressemblaitauxdeuxpremiers,jeluidisquejel’attendais à l’intérieur. Je repérai immédiatementKim,qui devaitmeguetter vu les grands signesqu’ellem’adressait à peine le seuil franchi, et luimontrai le buffet d’un doigt. Elle leva les deuxpouces,puism’indiqualaplacelibreàleurtable.Jehochailatêteensouriant.Messagereçu.

Jemeglissaihabilementdanslafileenprenantunplateau.Commeilfaisaitchaud,jemecontentaid’unesimplesalade, typeCésar,etd’unepetite saladede fruits. Je tendis lebrasversunebouteilled’eauquandunemainmasculinemedevança.—Toujoursenvie,Schtroumpfetteauxcheveuxrouges?JemetournaiverslemecquivenaitdemeparleretfronçailessourcilsenreconnaissantMax.Qu’est-cequiallaitencorem’arriver?—Benoui,commetuvois.Illançalabouteilleenl’air,puislarattrapa.—Tic-tac,tic-tac,l’heuretourne,majolie.—Unproblème?demandamonfrèreenpassantunbrasautourdemesépaules.Ce fut avec un plaisir nondissimulé que je vis le sourire narquois deMax se flétrir. Il leva les

mainsenl’air,aprèsavoirrapidementposélabouteillesurmonplateau,etsecouavivementlatête.—Non,non,dutout.Aucunproblème,Drew.—T’essûr?Parcequej’aieul’impressionquetuavaisunsouciavecAnna,dit-ilenmelançantun

regardinterrogateur.Cemectefaitchier,souris?JevislesyeuxdeMaxs’écarquiller.Pourunefois,ilavaitperdusonairsupérieuretilnefaisait

pluslemalin.Sonteintavaitmêmeviréaublanc.—Nan,aucunproblème,Andy.Maisàcausedel’incidentavecLily,ilpensaitquetuallaismefaire

mafête.Ilmemettaitengarde,c’esttout.Ok,cen’étaitpasvraimentlavérité,maisbon,jenevoulaispasmemettreàdoslamoitiédubahut

dès le premier jour. Fallait calmer le jeu. Il y avait déjà assez de personnes qui n’étaient pasfranchementcontentesdemeconnaître.Jene tenaispasàenajouterdenouvelles.SurtoutqueMaxétaitunamideKimetMarj’.Andyplissalesyeux,suspicieux,maisn’ajoutarien.Heureusement.—Onvamanger,souris?Jemordillaimalèvreinférieure,indécise.—C’estque…jedevaismangeravecdeuxfillesquej’airencontréescematin…Et…Andylevalesmainsetmefitungrandsourire.—Ok,pasdesouci.Vamangeravectescopines.Onestdanslamêmeuniversité,maintenant,on

peutsevoirquandonveut.Danslamêmeuniversité,danslamêmeville,danslemêmeÉtat…Ouais,çaallaitnouschanger!—C’estclair.Onseretrouveàlasortiedescours?—Nan,pascesoir.JedoisramenerLy’augarage.Maisdemain?JeretinsdejustesseunegrimaceaunomdeLy’.—Ok.Commeça,jepourraitemontrermonmeublé.—Tonmeublé?Mamant’alouéunappart?Toutàcoup,jefusgênée.Ellen’avaitpasfaitçapourlui.

—Euh…ouais, dis-je d’une toute petite voix. SurLakeStreet.C’est à tout juste dixminutes envoiture.Unmuscletressautasursajoue.—Jevois.Jevaisvenir levoirdemain,alors.Bon, laconnaissant jesuiscertainqu’ilestsuper,

mais jepréfèrem’enassurermoi-même.Si j’avaispu, jeseraismêmevenucesoir. (Il se frotta lementon.)Jepeuxéventuellementm’arrangeravecLy’et…—Maisnon!T’inquiètepas.Çafait troisjoursquejesuisdedansetjet’assurequejenerisque

rien.Nefaispastamèrepoule,tuveux?…J’enaidéjàuneetc’estbiensuffisant…Ilgloussaavantdeleverlesmains,ensignededéfaite.—Ok,ok.Tuasgagné.Bon,àdemain,souris.Jelesuivisdesyeux,lesourireauxlèvres.Cenefutquelorsquejemetournaipourallerrejoindre

Kim,Marj’etlenoirauddecematin,dontj’ignoraistoujourslenom,quejeréalisaiqueMaxavaitmislesvoiles.Tantmieux.Jen’avaispasvraimentenviedem’expliqueraveccemec.Maisàpeinelatabledemescopinesatteinte,jedusfairefaceàleursminesébahies.—C’étaitquoi,ça?Drewnet’apastuée?demandaMarj’,sidérée.—Ilt’amêmemisunbrasautourdesépaules!Ouah!Ilaflashésurtoiouquoi?Jerougis,trèsembarrassée.C’étaitl’heuredepasserauxaveux.—Non.Enfait,AndrewCampbellestmonfrère.

Chapitre3

Lesilencequiaccueillitlabombequejevenaisdelâchermerenditterriblementnerveuse.J’étaislepoint demire de trois paires d’yeux et celame gênait affreusement. Je n’aimais pas, et je n’avaisjamaisaimé,êtreaucentredel’attention.Pourtant,aufildesans,j’auraisdûm’yhabituer.Maisnon.Rien n’y avait jamais changé quoi que ce soit. Je n’aimais pas quand plusieurs personnes meregardaient.Nimêmeuneseule.Toutefois,j’auraisquandmêmedûm’yattendrepuisquemonfrèreétait tristement célèbre dans cette université. Comme partout ailleurs, cela dit. Où qu’il passe, ildevenaitaussiconnuqueleloupblanc.Affligeant.Maisj’avaiseul’espoirpathétiquedepasserentrelesgouttes.Jem’étaisditque,pourunefois,jepourraiséventuellementêtreépargnée.Ehnon.Depuisletemps,j’auraisdûmedouterquecegenredemiraclesneseproduisaitjamais.Enfinbon,l’espoirfaisaitvivre.JeposairapidementmonplateausurlatableetprisplaceàcôtédeMarj’.Jeprofitaidufaitqu’ils

ne soient pas encore revenus de leur surprise pourme cacher partiellement derrièremes cheveuxrouges. On était dans un de ces moments où je regrettais amèrement de ne pas avoir gardé mescheveuxlongs.Bon,jedisaisçamaintenant,parcequej’étaissupergênée,maisenréalité,pourrienaumondejenechangeraismoncarréplongeant.J’adoraisl’effetquecedégradérenversédonnaitàmonvisage.Leseulhic,c’étaitquelesmècheslespluslonguesn’arrivaientpastoutàfaitàmasquermonvisage.Unpoiltropcourtpourseplanquerefficacement.Jedevraispeut-êtreenvisagerdeleslaisserpousserdetroisouquatrecentimètres.Àréfléchir.—Tonfrère…Drew…AndrewCampbellesttonfrère…,soufflaMarj’,d’unevoixrauque.Ehouais!C’estmonfrangin.Sinon,vous,çava?—Oh,punaise!AndrewCampbellest tonfrère?Ton frère? s’écriaKim,ense redressantd’un

blocsursachaise.Soncriavaitattirél’attentiondeplusieurspersonnes,ettousmedévisageaientcommesij’étaisun

extraterrestrevenutoutdroitdelaplanèteMars.Génial.Dansmoinsdedixminutes,toutlecampusseraitaucourant:—Hey,tuneconnaispasladernière?—Non,quoi?—Drewaunefrangine!—Tudéconnes?—Non,jet’assure,c’estlaschtroumpfetteauxcheveuxrouges!J’allais mourir de honte. Je replaçai machinalement mes longues mèches rouges derrière mes

oreillespourpouvoirmanger.Aupointoùj’enétais,mecacherneserviraitplusàrien.Saufàsalirinutilementmescheveux.Beurk.—Ouais…AndrewCampbellestmonfrère…,marmonnai-jeenplantantmafourchettedansune

feuilledesalade,avantdelamâchouillerlentement.

Quelafêtecommence!Cequetupeuxêtrepessimiste,A,parfois!Seulement«parfois»?C’estcool…Mieuxquetoutletemps,déjà…Positiveattitude!—Maisc’esttropsuper,ça!—Ouais,c’esttrop…Quoi ? Qu’est-ce qu’elle venait de dire là ? C’est trop super ? C’est trop super ! Je me mis

instantanémentsurladéfensiveetluilançaiunregardencoin.Mesinstinctsdesourisgriseétaientenalerterouge.—Pourquoitudisça?Méfiance,mafille,méfiance…Qu’est-cequejedisais?Pessimismequandtunoustiens…Chut!J’écoute…Kimlevalesyeuxauciel,commesilaréponsecoulaitdesource.Etpeut-êtrequeétait-celecas.—Ben,ilnerisquepasdetetuerpouravoiraccidentellementmisLilyK.O.àcoupsdeportière!Jelafixaiunmoment,bouchebée,nesachantpastropcommentréagir.Puis,unsourireétirames

lèvres,avantdesetransformerenéclatderire.—Ça,c’estsûr!Sijem’attendaisàça!Quiavaitraison,unefoisdeplus,A?Voyantquelesdeuxautreslaregardaientdetravers,Kimhaussalessourcils.—Ben,quoi?C’estvrai,non?Marj’secoualentementlatêteenlevantlesyeuxauciel.—T’es complètement barjo comme fille.Complètement barjo.Elle nous annonce qu’elle est la

sœurdeDrew,ettoi,toutcequeturetiens,c’estqu’ilnevapaslatuer.Sérieusement?Desfois,jemedemandepourquoijesuisamieavectoi.—Ben,c’estunpointimportantquandmême,non?Çaauraitétésuperdommagequ’illuiarrive

desbricolespouravoirpartiellementamochéSaMajestélareineLily,non?—Mouais,vusouscetangle,effectivement,jeterejoins.Maiscen’estquandmêmepaslepointle

plusimportant.Kimclignadespaupièresavantdeluilancerunregardprudent.Jefisdemême,ànouveausurle

qui-vive.Méfiance,mafille,méf…Oh,tunevaspasrecommencer,A!!!Çasuffitmaintenant!Yenaquiécoute…C’étaitl’hospicequisefoutaitdelacharité!!!—Euhm…alorsc’estquoileplusimportantselontoi?Marj’setournaversmoi,l’airintrigué.

—PourquoitunenousaspasditqueDrewétaittonfrère,quandont’adonnésonnomcomplet?Pourquoinousl’avoircaché?Quiest-cequiavaitencoreraison?Hein,hein,hein???Jememordillailalèvreendéplaçantmasaladeaveclapointedemafourchette.—C’estunpeucompliqué…maispourfairecourt,monfrèrenesavaitpasquejem’étaisinscrite

danscetteuniversité.Ilpensaitquej’allaispoursuivremesétudesenVirginie.Etjetenaisabsolumentàluifairelasurprise.Jenevoulaispasqu’ilapprennemaprésence,ici,parunetiercepersonne.Cequi serait inévitablementarrivési j’enavaisparlé. (Réalisantque j’avaiscommisun impair,etquemesparolespouvaientprêteràconfusion,ouàunmalheureuxquiproquo,jemehâtaideprécisermapensée.)Sansvouloirinsinuerquevousenauriezparléàtoutlemonde,hein!Maisilyaforcémentquelqu’unquiauraitentendu.Surtoutaprèsmonarrivéefracassante.—Pasfaux,reconnutMarj’avecunpetitsourireencoin.Parcontre,situavaiseulemalheurd’en

parleràKim,toutlemondeauraitétéavertidanslessecondesquiauraientsuivi.Cettefilleestlapirecommèrequelaterren’aitjamaisconnue.Situtiensàgarderuntrucsecret,fautsurtoutpasluienparler.Mêmesiellet’imploreavecsapetiteminedechienbattu.—Oh!Maisc’estn’importequoi!Mêmepasvrai!Necroissurtoutpascettejalouse,Anna!C’est

unementeuseinvétérée!Jesuismuettecommeunetombe!Marj’ recracha brusquement la gorgée de Diet Coke qu’elle venait de prendre et manqua de

s’étouffer. Je lui tapotai ledospour l’aiderà retrouversonsouffle.Ellemeremerciad’unsourireavantdefoudroyerKimduregard.—Regardecequetuasfaitavectesconneries!gronda-t-elleenpointantsagorgedudoigt.J’ai

faillim’étoufferpartafaute!—Mais,genre…Commesi jepouvaisêtre responsabledeça.Pasdema faute si tune saispas

boire,quandmême…Cequ’ilfautpasentendre,jetejure.—Parfaitement que c’est de ta faute ! Jamais entendu unmensonge aussi gros que celui que tu

viensdedire.Aussimuettequ’unetombe.(Marj’branlalatêtetoutenessuyantlesdégâtsqu’elleavaitoccasionnés sur la table.) Les cimetières risquent d’être particulièrement bruyants ces prochainsjours,c’estmoiquivousledis!—N’importequoi!Kimcroisalesbrasetpritunairboudeur.—Sil’onrevenaitànosmoutons?Arrêtezdevouscomportercommedesgaminestoutesjustes

entréesàlamaternelle.Sérieusement,c’estflippantquandvousêtescommeça,marmonnalenoiraudenleurfaisantlesgrosyeux.Donc(ilsetournaversmoi),tueslasœurdugrandAndrewCampbell?Soudainmal à l’aisedevant son regard sombre, jeme tortillai surmachaise.Ne sachantquelle

attitudeadopter,jemeremisàdéplacermesfeuillesdesaladeduboutdemafourchette,ycherchantuneinspirationquinevenaitpas.Noir,noir,noir.—Ouais,acquiesçai-jefinalement,fautedemieux.Ilsepassanerveusementunemaindanssescheveuxnoirs,avantd’adresserunegrimaceauxfilles.—Maxnevapasaimerça…maisalorspasdutout.Déjàqu’ilafoutulecampcommes’ilavaitle

diableauxtroussesquandDrewluiamisunbrasautourdesépaules,jen’osepasimaginercequece

seraquandilsauraqu’enplusc’estsafrangine.—Dan,tun’exagèrespaslamoindre,là?demandaMarj’,entriturantsacanettedeDietCoke.Ilsecoualatête.—Ohquenon!Paslamoindre.MaxdétestefoncièrementLy’.Ettoutcequis’yrapproche,deprès

oudeloin.Etlademoiselle,là(ilmepointadudoigt),c’estlasœurdesonmeilleurpote.Plusprochequeça,tumeurs.Sceptique,jehaussailessourcils.—Heuhm-Heuhm…jenesuispasdutoutprochedeLy’.Nideprèsnideloin.Mêmepasenrêve.

Jel’aicroisétoutàl’heure,etjepeuxvousdirequejecomptebiengardermesdistancesaveccemec.Ilmedonnefroiddansledos,dis-jeenfrissonnant,lorsquedeuxyeuxvertmenthemerevinrentenmémoire.Tunesaistoujourspass’ilssontbienvertmenthe,A…Roh !Lâche-moi lagrappeà la fin !Tumeprends la tête, là…Etpourundétail insignifianten

plus!Jesuisenpleineconversation,jetesignale!Alors,vavoirailleurssij’ysuis!!!Tunepeuxpasêtreailleurspuisquetueslà…Genre…!!!—Ly’estquelqu’undedangereux.Dugenrequ’ilvautmieuxnepaschercher,approuvaKim,en

entamant son yaourt de bon cœur. Il peut discuter tranquillement avec quelqu’un et le flinguer,métaphoriquementparlant,l’instantd’après.Ilestdangereuxetimprévisible.Jenem’enseraisjamaisdoutée,tiens.Quellesurprise!— Ce que toi tu penses, en l’occurrence, c’est pas ce qui compte vraiment, reprit Dan,

imperturbable.Mêmesi tugardessoigneusement tesdistancesaveclui,çan’ychangerarien.Parceque lui ne va pas le faire.Dumoins, pas dans le sens où tu l’entends.Vous ne serez certainementjamaisproche,maisilauraunœilsurtoi.ParcequetueslapetitesœurdeDrew.Etc’esttoutcequeMax va voir. Comme le reste du campus, soit dit en passant. T’approcher, ça en reviendrait às’approcherdeLy’.Etilneleferajamais.Ok.Visiblement,ilyavaitquantitédechosesquim’échappaientpourlemoment.Deplus,Maxet

Ly’semblaientavoiruncontentieux.Plutôtchargé, jedirais,s’il réagissaitde lasortepourun trucaussianodin.J’étaiscurieusedeconnaîtrelequel.Ah,lacuriosité,quelvilaindéfaut!—Etc’estquoi lemalaiseentreMaxetLy’?Histoireque jenesautepasàpieds jointsdans le

plat?Laquestionsortittouteseule,sansquejepuisselaretenir.Curiosité,quandtunoustiens…—L’exdeMaxl’aplaquépourLy’.Etilenétaittrèsamoureux.Mabouches’ouvritengrand.Ouah.Ouah.—Ly’aunecopine?Oh,bonsang!Jen’auraisjamaisimaginéqu’unefillesoitassezfollepour

sortiraveccemec.Ondiraituntueurprofessionnel!

Dansecoualatêteavecunpetitsourireencoin.—Nan.T’yespasdutout.Ly’n’apasdemeuf.(Ilappuyabiensurcemot,soulignantainsimon

nouvel impair.) Iln’ena jamaiseuet iln’enauracertainement jamais.Lesmeufs,c’estpas tropsacame, tuvois.Lui,c’est lesplanscul.Vite faitbien fait,dans les toilettes.Et rarementdeux fois lamêmemeuf.Enfait,jecroismêmequec’estjamaisarrivé…Okaaaayyyy, d’accord.Charmant. Il me plaisait de plus en plus ce garçon, dit donc. Aurais-je

employéuntonironique?Naaaan,justeunchouïa.—Nellétaitunepoufiassequivoulaitsefairesauterparlemecleplusdangereuxducoin.Point

barre.Maxl’aéchappébelle.Saufquelui,malheureusement,ilnevoitpastroplachosecommeça.Sans le vouloir, Ly’ lui a finalement rendu service, marmonna Kim, en raclant les bords de sonyaourt.Quand je vis qu’elle commençait à carrément le lécher, je lui lançai un regard par en dessous,

ébahie.Jemeraclailagorge,gênée.—Euh,tusais,Kim,situasencorefaim,tupeuxcertainementallertechercherunautreyaourt…Marj’etDanpouffèrentalorsqueKimmefoudroyaitduregard.—Nonmaisoh!Tunevaspast’ymettretoiaussi!Jenettoie,c’esttout!Onvoitquetun’aspas

connulaguerre,toi.Oh, pétard ! Celle-là je ne l’avais jamais entendue. Le vocabulaire de Kim, ainsi que ses

expressions,étaitpourlemoins…intéressant.—Parcequetoitul’asconnue,peut-être?Kimlevalesyeuxauciel.—Évidemment!(Ellefitunecourtepauseavantdepoursuivre.)Dansunevieantérieure…Folle,cettefilleétaitcomplètementfolle.J’adorais.J’allaisvraimentbienm’entendreavecelle,je

lesentais.Enguisedereprésailles,jeluitirailalangue.—Etaprès,c’estmoiquisuiszarbi…Cequ’ilfautpasentendre,sérieux.—Mouais,jesuisd’accordavectoi,c’estmoche.L’alarmedemonsmartphonesemitsoudainàsonner.Je le sortis rapidement de mon sac pour y jetai un coup d’œil.Mon prochain cours était dans

quarante-cinqminutesetj’avaistrenteminutesdetrajet.J’allaisdevoiryaller.—Bon, cen’est pasque jem’ennuie avecvous, jeunesgens,mais jedoisy aller. J’ai coursde

littératureanglaisedanslebâtimentouest.—Ah,lapoisse!—Nan,lapoissec’estquejedoisreveniricipourlaphilo.Kimbonditsursespiedsettapadanssesmains.—Gé-nial!!!Jeluifislesgrosyeux.—Pardon?—Nan,c’estpasgénialquetudoivestetaperdeuxfoisletrajet,cequiestgénialc’estquetuaiesla

philo.Moiaussi!Onseraensemble!(Toutçad’unetraite,sanss’arrêter.)Ungrandsourirefenditmonvisage.—Ah,ouais.Ça,c’estcool!Onseretrouvedevantlaclasse?Kimfit lesigneokavecsamaindroite.Jebranlailatête.Cettefille,c’étaitquelquechose.Jeles

saluairapidementavantdepartir.Mieuxvalaitnepastroptraînersijenevoulaispasêtreunretard.Jeposairapidementmonplateausurundescharriotsprévusàceteffet,etjesortisduréfectoire,lepasléger.

*****

Lecoursdelittératureanglaiseavaitétérelativementintéressant.Cependant,jen’étaispasvraimentcertainequecettematièresoitfaitepourmoi.J’adoraislalittérature,c’étaitunfaitavéré,maisétudierlalittérature…cen’étaitpastoutàfaitpareil.Non,c’estvraiça,A?Heureusementquetumeledis,sinonjenem’enseraisjamaisdouté!Tiens,t’esderetour,toi?Jecroyaisquej’avaisenfintrouvélemoyendetedéconnecter.Ehoui, je suis toujours là !Faudra te faireune raisonun jour,A, jenepartirai jamais.En fait,

j’écoutaisleprof!Superintéressantcecours!Mouais,mouais…C’estça.Condamnéeàparleravecmavoixintérieure.Voilà la tristeréalitédemaviequotidienne.C’était

sansdoutepourcelaquejecherchaisdésespérémentàavoirdesamis.J’avaispeurdedevenirfolleàforce me parler à moi-même comme ça, en continu. Car si à une époque cela m’avait étéindispensable,depuisquelquetemps, j’enavaismarredecettevoixintérieurequimeprenait la têtepourun«oui»oupourun«non».Maisenmêmetemps,ellefaisaittellementpartiedemoiquejen’étaispascertained’êtrecapabledem’endébarrasserunjour.Diminuernoséchanges,parcontre,çaseraitunbondébut.Évidemment,pouraujourd’huicen’étaitpasvraimentgagné.Noire,noire,noire!Aujourd’huiestunejournéenoire!L’aurais-tudéjàoublié?Ah.Oui.Eneffet.J’avaisunpeuoublié.Maisçamerevenaitgentiment.Lajournéeétaitnoire.Et pour couronner le tout,mon cours de philo commençait dans trente-cinqminutes.Génial. Je

devaisdoncmarcherd’unbonpassijenevoulaispasarriverenretard.J’avaishorreurdenepasêtreàl’heure.Horreur.Ha!Sijeconnaissaisleconquiavaitfaitmonhoraire,j’iraisluidiremafaçondepenser.Surle

papier,c’étaitbienjolid’estimerlestrajetsd’unbâtimentàunautre,maisconcrètement,cen’étaitpasaussi simple. Ilpouvaity avoirpleindevariables àprendreencompte.Là,onétait la finde l’été,donctechniquementçadevrait lefaire,maisquandl’hiverarriverait,accompagnédelaneige,biensûr,çaneseraitplusaussifacile.Àmoinsdesedéplacerenvoiture.Maisbon,l’essencen’étaitpasgratuite !Prendremabagnolepourun trajet aussi court, sérieusement, ça serait justede lagrandeflemmardise.Trèspeupourmoi.Jeseraisenretard,voilàtout.T’es sûre, A ? Ça ne te dérangera pas d’être en retard ? De voir tous les regards de tes petits

camaradesseriversurtoi,neteferaabsolumentrien?T’enesbiencertaine?Jenepusretenirungrincementdedentsàcettepensée.Non,çaneleferaitpas.Mêmepasenrêve!

Devenirlecentredel’attentionentouteconnaissancedecause?Jamais!!!Plutôtmourir…Tout enmarchant à vive allure, je lançai des regards circulaires autour demoi et je constatai,

réconfortée,quejen’étaispaslaseuleàmedéplaceràpied.Ouf.Durant un instant, j’avais bien cruque ce sport était proscrit dans cetÉtat.Quel soulagementde

constaterqu’iln’enétaitrien.Tuesencoreironique,A.Sansdéc’?Je vis clairement ma voix intérieure me tirer la langue et je ne pus m’empêcher de glousser.

Heureusementque,pourunefois,personnenefaisaitvraimentattentionàmoi,sinonilsauraientpucroirequejem’étaiséchappéed’unasilepsychiatrique,àmebidonnertouteseuleenmarchant.…parcequecen’estpaslecas?Gnagnagna…Ayantatteintlepont,purementdécoratif,quimenaitàlazonecentraledel’université,jepoussaiun

soupirdesoulagement.Encorecinqminutes,etj’yserais.Jeregardaimamontreenvitesse,pourêtresûred’êtredanslestemps.Ilmerestaittreizeminutes.Héhé,j’avaisréussiàengrappillertrois.Avecdel’entraînement,jepourraisfaireletrajetenvingtminutes.Tropbalèze!Oupas.Parceque,pourinfo,tutranspirescommeunbœuf,A.Ettoutçapourquoi?Troispetites

minutesderiendutout?Pfff…J’allaisl’étrangler.C’étaitcertain,j’allaislefaire.Dèsqu’onm’auraitgrefféunnouveaupoumon,

promis, je me chargerais de son cas. En attendant, je ferais comme d’habitude, je prendraiscalmementmonmalenpatience.Dunoir,dunoiretencoredunoir!!!Quelchangement…Malheureusementpourmoi,unefoisencore,mavoixintérieureétaitdanslevrai.Jesuaiscomme

unbœufetdevaissentiraussibonqu’unputois.Ettoutçapourquoi?Pourtroismisérablesminutes?Enfin, non, pas tout à fait. Aujourd’hui, c’était pour être certaine d’arriver à l’heure. Avec del’entraînement,jetranspireraiscertainementmoins.Çam’étonneraitbeaucoup,A…Maisbon,l’espoirfaitvivre!Saloperiedefoutuevoixintérieuredemesdeux!Quellevulgarité,A!Cen’estpastrèsjoli…Unpeucommetoi,donc?Une exclamation horrifiée me fit piler net, avant que je n’entame la montée des marches du

bâtiment que je venais d’atteindre. Cela mit également fin à mon débat intérieur. (Enfin un pointpositif!)—Saperlipopette,Anna!Maisqu’est-cequetuasfoutu?Tut’entraînespourlemarathonouquoi?Saperlipopette?Sérieux?Ouah!Çafaisaitlongtempsquejen’avaispasentenducetteexpression,

moi.JefixaiKimavecdegrandsyeuxtoutronds.—Ouah!Tudissaperlipopette,toi?Sansdéc’?

Kimm’attrapafermementparlebrasetmetirasansménagementàsasuite.— Ouais, sans déc’. Ça remplace : putain, chier, saloperie… enfin, tous ces mots-là, quoi. La

dernièrefoisquej’enaiditun,mamèrem’alavélaboucheavecdusavon.(J’éclataiderire,cequimevalutun regardnoirdeKim.)Si tucontinuesà te foutredemoi, je teprometsque je te fais lamême chose, et je t’assure que ce n’est pas du tout agréable. Mais alors pas du tout ! (Je levaiimmédiatementlesmains,ensignedereddition.)Etnechangepasdesujetpournepasrépondreàmaquestion.Tuesaussirougequ’unhomardbiencuit.Maisqu’est-cequetuasfoutu?Onvenaitd’entrerdanslestoilettesdesfillesetKimmelâchadevantunlavabo.Jeluiadressaiun

grandsourire,avantdemerafraîchirlevisage.Exactementcequ’ilmefallait.Dieuquec’étaitbon!—Tueslameilleure,Kim.J’avaisexactementbesoindeça,dis-je,ensoupirantd’aise.—Jesais,jesais.Àpartça,tucomptesmerépondreunjour?—J’ai l’habitudedemarcherd’unbonpas…Maislà, j’aipeut-êtreunpeuforcél’allure…pour

êtrecertainedenepasarriverenretard,tuvois…(Oupas…)Maisoui,biensûr…Unpeuforcél’allure…Onvaycroire,A.—Okaaaayyyy.Alors,écoute,jevaistedonnerunconseil,aprèstuenfaiscequetuveux,c’estta

vieaprèstout,maisbon,moi,àtaplace,jelesuivrais.(Denouveaud’unetraite.Commentfaisait-ellepourpondredesphrasesaussilonguessanss’arrêterpourreprendresonsouffle?Hallucinant…Etflippant,aussi.)Donc,voicimonconseil:marchepluslentementetarriveenretard.Sinon,àlaplacede t’appeler « Schtroumpfette aux cheveux rouges », on va t’appeler « Homard bien cuit ». Etfranchement,çacraint.J’l’auraispasmieuxformulé,A!Çacraintgrave.Jefermaibrièvementlesyeuxenimaginantlahontequeçaseraitsijemefaisaisappelercomme

ça.OK,mieuxvalaitarriverenretard,eneffet.Youpi!!!—D’a-cco-rd, approuvai-je d’une voix lente, en détachant exagérément chaque syllabe. Je vais

leverlepied.—Super.Bon,onyva?Sinononvavraimentêtreenretard.Nousressortîmesdestoilettesetprîmeslechemindelaphilo,légèrementàlabourrepourlecoup.

SiKimnesemblaitpass’ensoucierplusquecela,pourmapart,iln’enallaitmalheureusementpasdemême.Rienqu’àl’idéed’êtrelesdernières,unesueurfroidem’envahitetcoulalentementlelongdemondos.Çan’auguraitriendebonpourlasuite.Maisalorsvraimentrien.Misère…pauvredemoi…

Chapitre4

Lescoursétantterminéspouraujourd’hui,jerepristranquillementlecheminduretour,aprèsavoirsalué Kim. J’avais retrouvémon frère, jem’étais fait deux copines ; somme toute, la journée nes’étaitfinalementpassimalpasséequeça.Demainseraitcertainementplusfacile.Etainsidesuite.Àmoinsquetunerenvoiestaportièredanslatêted’uneautrefilledemain,A.Évidemment,quand j’étaisoptimiste,mavoix intérieureétaitpessimiste.Etvice-versa.Comment

voirlavied’uneautremanièrequ’ennoiretblancquandc’étaitainsi?Impossible,c’étaitimpossible.Comme je l’avais déjà expliqué des centaines de fois à ma mère, je ne pouvais pas voir la vieautrementqu’ennoiretblanc.C’était toutbonnement impossible.Maisbiensûr,ellenemecroyaitpasetm’accusaitdefabuler.«Toutétaitunequestiondevolonté»,medisait-elle tout le temps.Onvoyaitbienqu’ellen’avaitpasdevoixintérieurecommelamienne!Avecmamère,toutétaittoujourssisimple.Situvoulaisquelquechosetrèsfort,ilsuffisaitdete

donner lesmoyensde l’obtenir.L’échecn’étaitpasuneexcuseacceptable.Etpetite, j’ycroyaisdurcomme fer.Après tout, c’étaitmamaman quime le disait, et lesmamans avaient toujours raison,n’est-cepas?Quelledésillusioncefut,quandjemerendiscomptequecen’étaitpasvraidutout!Onn’obtenait pas toujours ce qu’onvoulait,même si l’on faisait tout pour. Parfois, la vie en décidaitautrementetnousétionsimpuissants,simplesspectateursdecequisedéroulaitautourdenous.Sansaucunepossibilitéd’altérerlecoursdeschoses.J’avaisalorscomprisquemamèrenemedisaitpastoujourslavérité.Ellemedisaitsavérité,celleenlaquelleellecroyait,maispaslavérité.C’étaitàcetteépoquequemamèreetmoinousétionsgentimentéloignéesl’unedel’autre.Ouplus

exactement que moi j’avais pris mes distances. J’avais compris que la vie était, soit noire, soitblanche.Certainsjourssontnoirs,etd’autresblancs.Maisrarement,trèsrarement,lesdeuxàlafois.Jeposaimonsac sur le siègepassagerdemapetiteMiniCooper. (Cadeaudemesdix-huit ans.)

Puisjepoussaiunsoupirdedépitenmerappelantquejedevaisjustementappelermamère.Quandonparleduloup…Moiquiavaiscrupouvoirm’émanciperenpartantloind’elle,jedéchantaisprogressivement.Cela

faisaitàpeine trois joursque j’étaisarrivéeetellem’avaitdéjàappeléedeuxfois,enmeprécisantbienquejedevaisabsolumentluitéléphoneraprèsmonpremierjourdecours.Respire,A,respire.Avait-ellebiencomprisquej’avaisdix-neufansetquejepouvaismedébrouillertouteseule?Rien

demoinssûr.Turesterastoujourssonbébéd’amour,A.Mouais,ellecroiratoutesaviequejesuisencoreàlamaternelle,c’estça?Euh…Ouais,çasepourraitbien.Génial…Jemis lecontactetdécidaidefaireunsautà lasupéretteque j’avais repéréesamedi,histoirede

m’acheter un petit remontant. Une glace, à la vanille et aux pépites de chocolat, était clairementindiquéepourl’épreuvequim’attendait.Riennevalaitunebonneglacedanscescas-là.

Aprèsm’êtretrompéederoutedeuxoutroisfois,jen’avaispasvraimentlesensdel’orientation,jefinispararriveràbonport.Unefoisparquée,biendansleslignesetnonpasn’importecommentcommele4x4d’àcôté,jetrottinaijoyeusementverslerayonsurgelé.C’étaitincroyablecommeunesimpleglacepouvaitvousremonterlemoraletvousfaireoublierlessoucisquivouspourrissaientlavie.Quedubonheur!Unefoisl’objetdemesdésirstrouvé,jetendislamainpourouvrirlaporteducongélateur,prêteà

m’ensaisir.Unevoix,quejecommençaiàreconnaîtreetàcraindre,s’élevaalorsdansmondos,mecoupantdansmonélan.—Annabelle…Oh,pétard!!!Je fermai brièvement les yeux avant de me tourner lentement, très lentement vers mon

interlocuteur.—Ly’.Bonsang!Cemecavaitbeauêtreaussifroidqu’unebanquiseperdueaubeaumilieudel’Arctique,

et aussi dangereux qu’un tigre du Bengale, il n’en restait pas moins le mec le plus canon que jen’avaisjamaisvu.J’échangeraisvolontiersmaglaceàlavanilleetauxpépitesdechocolatcontresoncorps.Jemourraisd’enviedecaresser toutecettechairquis’offraitàmesyeuxgourmands.Etd’ypasserlapointedemalangue.Miam,miam.Non,maistudéconnes,là,A?Cemecestdangereux!Mortellementdangereux!Pastouche!Je retins de justesse un gémissement de désespoir.Ma voix intérieure avait raison, une fois de

plus!Etellevenaitdeflinguermonfantasme,parlamêmeoccasion.Quellegrincheuse,celle-ci…Maisbon,rienn’interdisaitdematerunpeu,non?—C’estbon,tuasfini?Devantl’airnarquoisdeLy’,jecomprisqu’ilm’avaitsurpriseenflagrantdélit.Jesentismesjoues

chaufferetvireraurougepourlaénièmefoisdelajournée.Mortedehonte,jepriailesoldebienvouloirs’ouvrirsousmespiedsetdem’engloutir.Oh,bonsang…—Maistuveuxpeut-êtrequej’enlèveunecouche?continua-t-il,impitoyable.Ledébardeural’air

d’êtreentrop,pourtoi…— Non, non, c’est bon. (Mais qu’est-ce que tu attends, bon sang de bois ? Vire-le, ce foutu

débardeur!!!)Je…Euhm…Je…Çavaaller,merci.Jebafouillai commeunecollégiennequi croisaitunmecpour lapremière foisde savie, etqui

avaitdumalàfaireladifférenceentrefantasmeetréalité.Enmêmetemps,A,cen’estpascomplètementfaux…Maisfermetabouche,toi!!!Mets-laenveilleuseunmoment,çameferadesvacances!—Tantmieux.J’auraispasvouludevoirêtreméchantavectoi,souris.Enl’entendantemployerlepetitnomquemedonnaitAndy,etsuruntonmoqueurquiplusest,je

sursautaietrelevailesyeuxpourlefoudroyerduregard.Nonmaioh!Ilseprenaitpourquicemec?Dieulepère?Imbécile…(Imbécilesupercanon,cela

dit.)

—Iln’yaquemonfrèrequialedroitdem’appelercommeça!Ilhaussaunsourcil.—Tupréfèresvraiment«Schtroumpfetteauxcheveuxrouges»?Jeserrailesdentsetdétournaibrièvementlesyeux.—Nil’unnil’autre.«Anna»,c’esttrèsbien.Ileutunepetitegrimace.—Pourtant,l’histoiren’apasététendreavecles«Anna».Beaucoupontconnuunsorttragique.Il

seraitdommagequ’ilt’arrivelamêmechose,tunecroispas?—Tumemenaces?Son visage devint unmasque de glace, et ses iris vertmenthe (no comment) semirent à briller

d’unelueurquimefitreculerd’unpas.Trouillarde…—T’eslapetitesœurdeDrew.Laseulequejetoucheraisjamais.(Ilavançajusqu’àcequesonnez

frôlelemien.Façondeparler,biensûr,puisqu’ilfaisaitdeuxtêtesdeplusquemoi.Ilmedominaitdetoutesahautetaille,etjemesentisencorepluspetitequed’habitude.)Maisçaneveutpasdirequejevaist’apprécier.Lesoufflecourt,jelefixaisanspouvoirrépondre.Ilmefaisaitpeur.Vraimentpeur.Jefermailes

yeux,commesilefaitdenepluslevoirpouvaitlefairedisparaître.Va-t’en,va-t’en,va-t’en!Laisse-moitranquille!Casse-toi!Jesentissonhaleinementholéevenirtitillerleboutdemonnezlorsqu’ilbaissalatêteendirection

delamienne.Jecommençaisàpaniqueretàmedemandercequ’ilallaitmefaire.J’avaisbeaubaversursonphysiquederêve, là, jevoulaisjustequ’ilreparteetqu’ilmelaissetranquille.Cemecétaitflippant et ilme filait la frousse. Je n’avais plus qu’une seule envie : partir en courant et allermeréfugierchezmoi.Telleunegamineapeuréeparunmonstreimaginaire,tapidanslenoiràguetterlemoindrefauxpasdesaproie.Carrémentflippant.Jecroyaisquetuvoulaisléchersoncorpsderêve,A?Simplefantasmestupide…Sortidejenesaisoù…Vraiment?T’essûre?Certaine!J’aiuninstinctdeconservationquandmême,oh!Situledis,A,situledis…—Àlarevoyure,souris.Jeclignaifrénétiquementdespaupières,avantd’avoirlecouraged’ouvrirfranchementlesyeux.Il

étaitparti.Aussisimplementqueça.Jememordillai lalèvreenlançantdesregardseffaréstoutautourdemoi.Maisnon,j’étaisbien

touteseule.Lerayonsurgeléétaitdésert.Ly’avaittoutsimplementdisparu.Moijedis:bondébarras!+1!C’estquoi,ça«+1»?

Çaveutdirequejesuisd’accordavectoi…Langagedegeek,quoi…Depuisquandtuparles«geek»,A?TusaismêmepasjoueràlaNintendo!N’importequoi…Sansmeposerplusdequestions, etdédaignantmavoix intérieure, j’empoignai fermementmon

potdeglaceetprisladirectiondelacaisse.Aussivitequejelepouvais.Jepayaiendeuxtempstroismouvementset jecourusjusqu’àmavoiture.Unefoisàl’intérieur, jeposaimesmainstremblantessurlevolantetprisdeprofondesinspirations.Inspire.Expire.Inspire.Expire.Inspire.Expire.Quandjemesentissuffisammentcalméepourpouvoirconduire,jemislecontactetprislechemin

demonmeublé.Heureusement, lepetit appartementquemamèreme louait était trois ruesplus loin. Je fusdonc

rapidementchezmoi,bienàl’abri,lovéedansmoncanapéàdévorermaglaceàcoupsdecuillèreàsoupe.Miam-miam!Tropbon!Etmespenséesrevinrent,bienmalgrémoi,surLy’.Franchement,A!Cemecétaitflippant,vraimentflippant.Jemedemandaisbiencequemonfrèrepouvaitfoutreavec

unmecpareil.Iltranspiraitledangeretlaméchancetépartouslesporesdelapeau.Moinsjeleverrais,mieuxjemeporterais.Jenetelefaispasdire,A.Alorspourquoij’avaisl’intuitionquejelecroiseraissouvent?Ilavaitsentiquej’avaispeurdelui,

voilàpourquoi.Etcommetousprédateursquiserespectaient,ilavaitcertainementadoréça.Ilallaitreveniretenredemander.Encoreetencore.Ilnemetoucheraitpas,ça,jevoulaisbienlecroire,maisiln’allaitpassepriverdemeficherlafroussechaquefoisqu’illepourrait.Etçaserapasfranchementdifficile,A,vuequetuaspeurdetonombre.Évidemment,jepourraisentoucherdeuxmotsàmonfrèreetilymettraitcertainementbonordre.

Mais…après toutcequ’ilavaitdéjà faitpourmoipar lepassé, jenevoulaispasqu’ilsebrouillâtavecsonmeilleurpoteparcequecelui-ciadoraitmefairepeur.J’allaissimplementdevoirapprendreàmaîtrisermapeur.Facileàdire.Ouais, ça, c’était clair.Bienplus facile àdirequ’à faire.Dumoinspourune trouillarde comme

moi.Laplupartdutemps,commel’avaitsoulignémavoixintérieure,demanièrefortdélicate,j’avaispeur de mon ombre, alors de Ly’ ! Fallait pas non plus oublier ce que m’avait dit mes copinesconcernantLy’. Ilpouvait rireavecunmecet luienvoyeruncoupdepoing l’instantd’après.Bon,elles exagéraient certainement, mais il n’y avait jamais de fumée sans feu. J’allais garder mesdistancesaveclui,c’étaitpourlemieux.Ilnerestaitplusqu’àespérerqu’ilpartageraitmonpointdevue.Doncteschancessontprochesduniveauzéro,A.Clairement…La chanson de Love Spit Love, How Soon Is Now, résonna soudain dans la pièce. Je tendis

machinalementlamainversmoniPhone,sachantd’avancequim’appelait.Leseulpointpositifdecet

appel,c’étaitdepouvoirentendreunechansonquej’adorais.Ducoup,jelaissaisonnerunpetitpeupluslongtempsqueprévu.Autantenprofiteraumaximum,çanedureraitpas.Zutdeflûtedecrottedebique!Résignée,jefinisparprendrel’appel.Sansquoimamèreseraitcapabledeprévenirlapolice,en

disantquej’avaisdisparu.Désespérant…—Salut,m’an.—Anna!J’étaismorted’inquiétude!Tudevaism’appelerenrentrantdescours!Etçafaitbien

troisquartsd’heurequ’ilssontterminés!Tusaisquejemefaisénormémentdesoucipourtoietquete savoir à l’autre bout du pays ne me plaît pas du tout ! Il pourrait t’arriver n’importe quoi etpersonnenelesaurait!Jelevailesyeuxaucieldevantletondramatiquedemamère.Àl’entendre,oncroiraitquej’avais

déménagédansunpaysétranger,aubeaumilieudenullepartetàdeskilomètresdetoutecivilisation,etnonpasdansleWisconsin.Ok,dansunepetitevillejusque-làinconnue,maisjen’étaispasnonplusenpleinecambrouse.Oh,pétard!Mamèreallaitmerendrechèvre…—M’an, arrête un peu avec ça. Je ne suis pas à l’autre bout du pays, et tu sais très bien que le

quartieroùj’habiteestsûretpastrèsloindel’université…C’étaitellequil’avaitminutieusementchoisi,aprèsavoirfaituneétudeapprofondiedelaville,de

lasituationdel’universitéetdesquartierslesplussûrs.Çaluiavaitallégrementpristroismois.Ellem’avaitmêmedonnéunitinéraireàsuivreimpérativement,demonmeubléàlafac.Biensûr,

une fois le cocon familial derrière moi, je m’étais empressée de bazarder ce fichu itinéraire. Jen’étaisplusàlamaternelle,bonsang!—…Jenerisqueabsolumentrienettulesaisparfaitement,alorsarrêtedet’inventerdesscénarios

plussordideslesunsquelesautres.—Situm’avaisappeléecommejetel’avaisdemandé,riendetoutcelaneseraitarrivé!Cen’est

quandmêmepaslameràboirequed’appelersamèredetempsàautre,non?Detempsàautre?Detempsàautre?Maislaissez-moirire.Sijel’écoutais, jedevraisl’appeler

touteslesheures.Onn’avaitdécidémentpaslamêmenotiondel’expression«detempsàautre».—M’an, je t’avaisdit que je t’appelleraisune fois rentrée.Or jeviens àpeinede rentrer.Etne

t’avisesurtoutpasdemedemanderpourquoijesuisrentréesitard,parcequejerisquedem’énerver.J’aidix-neufans,m’an,dix-neufans !J’aipassé l’âged’avoiruncouvre-feuetdedevoir tenirmamèreinforméedetousmesfaitsetgestes,non?Le ton montait, car je n’arrivais tout simplement plus à masquer mon agacement. J’avais

l’impressiond’étouffer.Ilétait tempsquecelachangeât.Et leplusviteserait lemieux.Pour tout lemonde.(Enfin,surtoutpourmoi!)Il y eut un court moment de silence. J’imaginais parfaitementmamère en train de déglutir, se

demandant comment sortir de cette impasse.À savoir : obtenir une réponse dema part quant à laraisondecette rentrée tardive, sans toutefoiscontinuerdans sa lancée.Elle savaitparfaitementquej’appréciais demoins enmoins qu’elle s’immisçât dansma vie de cettemanière. Je voulais monindépendance et je le lui avais dit à plusieurs reprises.Envain.Elle avait été contrainted’accepter

lorsque je l’avaismisedevant le fait accompli.M’inscrire dans cette université, sans lui enparler,avaitétéunebrillanteidée.Celanevoulaitpasdirequ’ellel’avaitacceptéedeboncœurpourautant.Cequil’avaitfaitflancher,c’étaitdesavoirqu’Andyseraitlàpourveillersurmoi.Mêmesicetteidéenel’enchantaitpasplusqueça.Etencore, jerestaispolie.Mamèredétestaitfoncièrement l’idéedenoussavoirànouveauréunis,ellequiavaittoutfait,oupresque,pourévitercela.—D’accord,mapuce.Excuse-moi.Jesaisparfaitementquetuesunegrandefille,maisj’aidela

peineàreconnaîtrequemonoisillonagrandietqu’ilestmaintenantcapabledevolerdesespropresailes.(Lesfameusesmétaphoresloufoquesétaientvisiblementderetour.)Àpartça,tajournées’estbienpassée?Tuasfaitdesrencontresintéressantes?Ungarçon,peut-être?Exitlamèresurprotectrice,bonjourlafuturegrandemère!Mamèreavaitl’artdesauterducoqà

l’ânedemanièrestupéfiante.C’enétaitinquiétant,parfois.—Majournées’esttrèsbienpassée.Aucunsouci.(Pieuxmensonge.)Jemesuisfaitdeuxcopines

et j’airetrouvéAndy.Ilétait tropcontentdemerevoir.Ilenrevenaitpasquejesoisdanslamêmeuniversitéquelui.Ilaadorémasurprise.En parlant de mon frère adoré, je devins volubile et faillis envoyer valser mon pot de glace.

Heureusement,lacatastrophefutévitéejusteàtemps.Ouf!—Jen’endoutepas.La voix morne de ma mère me fit comprendre que cette nouvelle ne la réjouissait pas

particulièrement (quelle surprise…), mais cela m’indifférait au plus haut point. Moi, j’étais ravied’avoir enfin retrouvémon grand frère. Ilmemanquait trop, depuis trop longtemps, pour que jelaissemamèremegâchermonplaisir.Biendit,A!—Ouais,c’esttropcool.Ilaprévudevenirvoirlemeublédemain,aprèslescours.Ilveutêtresûr

quejesuisbieninstallée,ettout,ettout.—Super.Etsinon,tuasrencontréungarçon?Meslèvressepincèrentetjesentisunedéceptionfamilièrem’envahir.Ellenedemandaitpasdeses

nouvelles.Commetoujours.Quandilrentrait,pendantlesvacances,elletoléraitsaprésencesoussontoitpourmefaireplaisir.Etparcequejeneluiavais jamais laissélechoix.Maiselleneluiposaitjamaisdequestionssursavie.Jamais.Andynedisaitrien,maisjesavaisquecetteattitudeleblessaitprofondément.Depuiscefameuxsoir,septansplustôt,ellefaisaitcommes’ilétaitunevague, trèsvagueconnaissance,etnonsonfils.Jedétestaiscela.Etjeladétestaispourlapeinequ’ellefaisaitàAndy en agissant de la sorte. J’aurais tellement voulu qu’elle fût différente.Qu’elle acceptât enfind’ouvrirlesyeuxetdevoir…—Tunemedemandespasdesesnouvelles?Tuneveuxpassavoircommevamonfrère?Tonfils…Je ne pus m’empêcher de poser la question. Pas plus que je ne pus retenir le ton mordant qui

l’accompagnait.—Ilt’aretrouvée,ilestdoncheureux.Etpis,jel’aivupendantlesvacances.Jesaisqu’ilvabien.—Moi, je suis partie depuis à peine trois jours et tu m’as déjà appelée trois fois pour savoir

commentj’allais.AlorspourquoipasAndy?

—Andrewestungrandgarçonquiaquitté lamaisondepuisdeuxans,déjà. Il a l’habitude.Necomparepascequin’estpascomparable.Sous-entendu:necomparepastongrandfrère,quejenepeuxpasvoirenpeinture;etmapetite

princesseadorée,quejevénère.J’exagéraisunpoil,maislefondétaitvrai.Ellenel’aimaitpas,toutsimplement.Ducoup,savienel’intéressaitpaslemoinsdumonde.Auboutdeseptans,j’auraisdûyêtrehabituéeetneplussourciller.Quedalle!Çafaisaittoujoursaussimal.Je dus me mordre la langue pour ne pas être méchante et dire des choses que je pourrais

éventuellement regretter plus tard.Après tout, j’avais promis. J’avais promis àAndy de ne jamaisreprocher ouvertement àmamère son attitude. C’était entre elle et lui.Mais cela n’arrêtait pas lasouffrancequejeressentais.Nilacolère.Noire,cettefoutuejournéeestdéfinitivementnoire.Vivementquej’aillemecoucherpourqu’ellese

termineenfin!Etpriepourquelajournéededemainsoitblanche,A.Voixintérieure:unmillion;Anna:un,toutnu!—Maistun’aspasréponduàmaquestion,mapuce.Tuasrencontréungarçon?L’image de Ly’me traversa rapidement l’esprit. Oh oui, j’avais effectivement fait connaissance

avec un garçon, bien que cette appellation ne lui allât pas du tout.Unhomme.Unmec pur et dur.J’avaisrencontréunmecavecun«M»majuscule.Maissimamèredécouvraitl’existencedecemec-là,ellemeferaitrentrerdare-dareenVirginie!Donc,ilétaitabsolumenthorsdequestiondeluienparler.Enplus,cen’estpascommes’ilyavaitquelquechosedespécialàdireàsonsujet…Jefronçailessourcils,cherchantàsavoirsic’étaitdulardouducochon.Avecmavoixintérieure,

mieuxvalaitêtreprudent.Ok,onrembobinemapetitesortieetonfaitcommesijen’avaisriendit.Ha,jepréféraisça.Nettement,même.— M’an, je viens d’arriver, je te rappelle. Comment voudrais-tu que j’aie déjà rencontré un

garçon?(Mensonge,mensonge,mensonge.Àcerythme,j’allaisfinircommePinocchio.)—Mais le plus simplement dumonde,ma puce.De lamêmemanière que tu t’es déjà fait deux

copines. Il n’y a pas un seul garçon qui t’a tapé dans l’œil ? L’université en est généralementremplie ! Il faut être particulièrement difficile pour ne pas trouver chaussure à son pied dans unendroitpareil!—Ouais, bon, enmême temps j’ai commencé aujourd’hui.Et j’avais plutôt la tête visée àmon

plan,situvoiscequejeveuxdire.Pis,niveaumec,j’ailetemps,m’an.J’entendissonsoupir,maisheureusementellen’insistapas.—D’accord,d’accord,jen’insistepas.Tuaseuunelonguejournée,mapuce,jevaistelaisser.Tu

doisalleraulittôtpourêtreenformedemain.—M’an!Maisçan’étaitpaspossible!Ellen’allaitpasrecommencer,quandmême.—Jedisçapourtonbien,mapuce.Ons’appelledemain,d’accord?

Ouais,onallaitfaire…Quoi???Alorslà,mêmepasenrêve!Jeluidisquejesuisgrandeetqu’elledoitmelâcherunpeuetelle

répondquoi?«Oui,oui,jesais.Àdemain.»Alorslà,pasd’accorddutout.Maisalorspasdutout!—Non.Demain,Andypasseàl’appart,jetel’aidit.Etilvasûrementresterdîner.Jen’auraipasle

temps.Courtsilence.—C’estvrai,j’avaisoublié.Après-demain,alors?—Nonplus.Jesorsavecmescopines.(Mensonge,mensonge,mensonge.)Autresilence.—Ma puce, est-ce vraiment raisonnable de sortir en semaine ? Tu pourrais les voir vendredi,

plutôt?—Oh !Mais on va aussi se voir vendredi. (Mensonge,mensonge,mensonge !)En fait, le plus

simple,c’estquejet’appellequandj’aiunmoment,ok?Ouais,onvafairecommeça.—Mais,mapuce,tusaisbien…Jelacoupaisansluilaisserletempsdefinir.Trop,c’étaittrop.Fallaitpaspoussermémédansles

orties,nonplus.—Jetelaisse,m’an.Maglaceestentraindefondre.Jeterappellequandj’aiunmoment.Àplus.

Bisous,bisous.Et je raccrochai avant qu’elle nepuisseplacer unmotdeplus.Mais j’imaginais parfaitement sa

réaction.«Mangeruneglace?Àcetteheure-ci?Mais,mapuce,est-cebienraisonnable?»Oui,jemangeaisuneglace.Parfaitement,àcetteheure-ci.Ehoui,c’étaitraisonnable,parcequej’enavaisbesoin.Jebaissailesyeuxsurlaglaceenquestionetgrimaçaidedépit.Fondu!Maglaceavaitfondu!Oh,pétard!Zutdeflûtedecrottedebique!Jemelevairageusementetjemedirigeaiaupasdechargedanslacuisine.J’ouvrislecongélateur

etlançaimaglacededans.—Faischier!criai-jeàvoixhaute.Noire,noire,noire!Foutuejournéenoire!

Chapitre5

—Ouah,Anna,quelchangementparrapportàhier,ditdonc!s’exclamaKimdèsqu’ellemevitarriver.Elle etMarj’ étaient dehors, adossées au bâtiment central, en train de fumer tranquillement une

clope.—C’estclair,t’esbienplussexyaujourd’hui!ajoutaMarj’,enmedétaillantdelatêteaupied.Commeilfallaits’yattendre,mesjoueschauffèrentetnetardèrentpasàvireraurouge.Seigneur!

Qu’est-cequejedétestaisêtreaucentredel’attention…Ettoutçaparcequej’avaisvirémonjeanetmonpetitpullstretchauprofitd’unepetite jupenoireetd’untopmauvemoulant.Si j’avaissu, j’yauraispenséàdeuxfoisenchoisissantmeshabits…—Ouais,bon,c’estjusteunejupeettop.Pasdequoienfaireunfromage,nonplus…,marmonnai-

jeenfixantlapointedemesballerines.—Hey,Anna, c’était juste une remarque comme ça.Un compliment, quoi…Tu sais, quand on

appréciequelquechoseetqu’onfaituneremarquepositive.Uncompliment.JefoudroyaiKimdemesprunellesbleufoncéetluitirailalangue.—Fous-toidemagueule,vas-y,netegênesurtoutpas,bougonnai-jed’untonmordant.Ellepoussaaussitôtunpetitcrietlevalesmainsensigned’innocencetoutensecouantvivementla

tête.—Oh,non,oh,non,surtoutpas!Jamaisdelaviejememoqueraisdetoi,Anna.Promis,juré!—Ouais,c’estça.Jevaisfairecommesijetecrois,tiens.—Genre…Tonmanquedeconfianceestblessant,Anna.Vraiment,blessant…,ronchonnaKimen

écrasantsacigarette.Marj’levalesyeuxaucieletmepritàpartie.—Cettemeuf,jetejure,fautselafarcir.Çafaitcinqansquejemelacoltine.Jesaisdequoije

parle.Jeluiadressaiunpetitsouriremoqueur.—Tuasl’airdet’enêtreplutôtbiensortie,jusque-là.—Ne te fiepasauxapparences,Anna.Là, à l’intérieur (ellepointa sonventrede son index), je

commence à sentir les signes d’infection. Elle m’a corrompue. Avant la fin de l’année, je seraiscommeelle.Sondouble.Sonsosie.Etlà…là,tuvascomprendretonerreur,Anna.J’éclataideriredevantlaminesérieusedeMarj’.Cesdeuxfillesétaientcomplètementgivrées.Il

n’yenavaitpasunepourrattraperl’autre.Lecôtépositifdelachose,A,c’estquetuneferaspastachedanslelot.Eh,merde…Tuesréveillée,toi?Jepensaisquetuétaisentréeenhibernation.Quelledéception…Ah.Ah.Ah.Trèsdrôle.Tuasmangéunclownaupetit-déj’ouquoi?Euhm…Jedirais…ouquoi!

Jelevailamaindroitepourglisserunemèchedemescheveuxderrièremonoreille,passablementfrustréeparleretourintempestifdemavoixintérieure.Quen’aurais-jepasdonnépourunejournéedesilence.—Avecunpeudechance,ellem’auradéjàcontaminéeàcemoment-là,etonseratouteslestroisà

lamême,m’exclamai-je joyeusement,biendécidéeà ignorercetteempêcheusede tourneren rond.Commeça,pasdejalouse!Marj’grimaçaavantdelittéralementbondirenavant.Surmoi.Ellem’attrapaparlepoignetetfit

pivotermonbras,desortequel’intérieurdemoncoudefûtbienvisible.Legesteavaitétébrusqueetrapide,maisdoux.Heureusement.Iln’auraitplusmanquéqu’ellemecassâtlebras.Lajournéeauraitéténoire…Àquiledis-tu!—Oh.Mon.Dieu!Tuasuntatouage!Surl’intérieurdetonavant-bras!Trop.La.Classe!Mateça,

Kim!Elleavait àpeine terminé saphrasequeKims’approchaitpour regarderattentivement l’ailequi

s’étalaitsurmonavant-bras.Del’intérieurdemoncoudeaucreuxdemonpoignet.L’aileétaitnoire,avecdesarabesquesblanchesà l’intérieur.Unvéritablechef-d’œuvre.Bon,biensûr,commec’étaitmontatouageetquejel’avaischoisiavecsoin,jenepouvaisqueletrouverbeau.J’étaisunpeupartipris,surcecoup-là.—C’estuneaile,hein?Elleestjustemagnifique!soufflaKim,enlacaressantduboutdesdoigts.Jeleuradressaiunpetitsourireencoin,creusantunefossettedansmajouedroite.—Ouais,c’estbiença.Uneailed’ange.Marj’fronçalessourcilsetmelançaunregardperplexe.—Pourquoinepasavoircarrémentfaitunange?Jeveuxdire,pasunpetitangeenculottecourte

avec une lolette et une auréole, mais un ange adulte. On peut avoir des trucs vachement bien,maintenant.Jehaussailesépaules.—Tropcliché.Jetrouvel’aileplusclasse,plusoriginale.Çameressembleplus.—Tuasraison.Perso,j’aimebien.Tuenasd’autres?demandaKim,surexcitée.Cettefilleétaitaussicurieusequemoi.Incroyable.Affligeant,ouais…Rabat-joie!!!—Pas encore,mais bientôt. Je voudrais avoir une petite fée,mais je ne sais pas encore où. Je

changed’avistropsouvent.J’attendsd’êtresûre.—T’asraison,untatouc’estpourlavie.Fautpaslefairen’importeoù.Moi, j’aimeraisbienen

faireun,maisj’aitroppeurdesaiguilles!Peut-êtrequej’iraiunsoiroùjeseraitropbourréepouravoirpeur!Jememordillailalèvre,hésitantàdirecequejepensais.JenevoulaissurtoutpasvexerKim.—Euhm…Tusaisquec’estlemeilleurmoyenpourteretrouveravecunerosesurlesfesses?dis-

jefinalement,l’airpince-sans-rire.

Kimouvritdegrandsyeuxetmelançaunregardencoin.—Pourquoitudisça?—Ben,parcequegénéralement,quandonestbourré,onditdesconneries.Onestunpeuàl’ouest,

danslemeilleurdescas,etducoup,cequisort,c’estlapremièreâneriequinouspasseparlatête.Envoyantcommenttuessobre,ben,jetevoisbienfiniravecunerosesurlesfessessituesbourrée…Marj’explosaderire.Super!Lamoitiéducampus,aumoins,avaitlesyeuxrivéssurnous.Zutdeflûtedecrottedebique.Jecroisaimalencontreusementdes irisvertmenthequimedévisageaient sansciller.De la sueur

froideenvahitmondos.Eh,merde!A, je me permets de souligner que les yeux, certes fascinants, de Ly’ ne sont pas vert menthe.

Définitivementpas.Tuasregardéhiersoirsurlenet,tun’esdoncpassanslesavoir…Pfff,n’importequoi!Jeterappellequelorsquej’aitapé«vertmenthe»dansGoogle,lesrésultats

étaient incroyablementnombreuxetvariés.Etsouvent incohérent.Lenombredenuancesdifférentespourlacouleur«vertmenthe»esttoutbonnementeffarant.Voilàprécisémentpourquoijenevoispaslanécessitédetouteslesconnaître!Certes.Maislerésultatfinaldemeurelemême.Sesyeuxnesontpasvertmenthe!Etpourquoidonc?Ilssonttropclairs,nomd’unepipeenbois!Nefaispastabornée,A!N’importequoi…Le souriremoqueur de Ly’me tira brusquement demon débat intérieur. Je l’avais fixé tout du

long!Oh,bonsang!Laloose…Pourvuqu’ilpassesoncheminetqu’ilneviennepasici.Pourunefois,maprièrefutexaucée.Ce

bad-boyparexcellencecontinuasaroute.Nonsansm’avoirlancéunbrefregardnoiraupassage.Ouf!Sauvée!Jen’avaisvraimentaucuneenviedemeretrouverfaceàlui.Surtoutaprèsavoirétésurpriseàbaverdevantlui,unenouvellefois…N’importequoi!—CommentAnnat’adéjàtropbiencernée,Kim!Parceque,honnêtement,çaseraitexactementça.—Jesais.C’estbienpourçaquej’aipasencoretentél’expérience,qu’est-cequetucrois?Jen’ai

pasenviedemeretrouveravecunerosesurlesfesses…oupire!—Oh,oui!Unepetitetêtedemortentouréedecœurs!Çaseraittropmignon!JepouffaiavecMarj’,imaginantparfaitementlascène.—C’estquandqu’onlasaouleetqu’onlatraînedansunsalondetatouages?proposai-jeàMarj’,

enignorantsciemmentleregardglacialquemelançaitKim.—Vendredi,onfaitçavendredi!

—Çamarche!Onsetapadanslamainenriantcommedesgamines.Sourisgrise,hein?Tuparles!—Vousmefaitesvraimentpitié.Jevouslaisse,jemecasse.Ciao!Kimramassasonsacetpartitaupasdecharge.—Euh…Onl’avraimentvexée,là?voulus-jesavoir,soudainplustrèsfièredemoi.—Nan.Elleboude.Tuverras,àmidi,elleauradéjàtoutoublié.Onseretrouveauréfectoirepour

ledéjeuner?Jepoussaiunsoupir,soulagéedesavoirqueKimn’étaitpasvraimentfâchée.Ilnemanqueraitplus

quejesoisdéjàenfroidavecunedemesnouvellescopines.Copinestoutcourt,A,parcequeleterme«nouvelle»sous-entendraitque…Jesais,jesais!Pasbesoindelepréciser!‘bécile!Oh!Restepolie,A!!!—Ok.Çamarche.Àtout!—Àplus,Anna.EnregardantMarj’partir,jeréalisaibrusquementquej’avaisplaisantéavecelleetKimcommeje

lefaisaisavecAndy.Naturellementetsanscomplexes.In-cro-ya-ble.Maisoùétaitdoncpasséemalégendairetimidité?Lesourireaux lèvres, jeprissilencieusement lechemindescours.La journéedémarrait sous le

signedublanc.Unblancéclatantdeblancheur.C’était…rafraîchissant.

*****

Lajournée,quiavaitpourtantcommencésouslesmeilleursauspices,auraitdûêtreàl’antipodedecelledelaveille.Oui,elleauraitdû.Etauraitpu…Il s’en était fallu de cinq minutes. De cinq petites minutes pour que cette journée soit blanche.

Parfaite.Sansaccrocs.Mais visiblement, il devait y avoir un problème avec mon karma. Et de taille ! Aucune autre

explicationn’étaitplausible.Monkarmamerdaitgraveetm’attiraittouteslesfoudresinimaginables.J’avaislapoisse,toutsimplement.Pourtant,à l’heuredudéjeuner, j’ycroyaisencore.Tranquillementassiseàunetable,en trainde

bavarder avecMarj’, Kim etDan, devant une succulente,mais oh combien graisseuse, portion defrites,jepensaisquej’étaisdansunjourblanc.Pasunseulnuageàl’horizon.Lecalmeplat.Durire,despotes,dufun!Toi,tuastropregardélapub«Oasis»!Chute devant… Hein, mais ça va pas non ?… Mais non, pas chut, chute devant…

ouaaaahhhhhhhaaaaaa.

Okaaaayyyy,d’accord.Mavoixintérieureetmoi,çan’allaitpasmieux.Jenesavaispasqui,d’elleoumoi,étaitlecasle

plusdésespéré.Maiselle,trèscertainement…Ben,non,c’esttoi,biensûr,A.Euh,non…ça,jenecroispas…Qu’est-cequejedisais?Gravementatteinte.J’étaisgravementatteinte.Pourenreveniràmajournée,toutsepassaitpourlemieux.Dumoins,jusqu’àlafindudéjeuner.

Aumomentdequitter lacafétéria,pourretournerencours,monfrèrem’avait interpellée.Ilvenaittoujoursvoirmonappartlesoirmême,ça,çan’avaitpaschangé,maiscommeLy’étaitsansmoyendetransportjusqu’àlafindelasemaine,ilseraitdesnôtrespourledîner.Etbiensûr,pourlavisitedemonnouveauchezmoi.Andyavaittoutefoiseuladélicatessedemedemandersicelamedérangeait.Latentationderépondreungrand«oui»avaitétégrande,trèstrèsgrande.Mais,évidemment,jen’enavaisrienfait.Souslepoidsdesprunellesvertmenthe(!!!)quinem’avaientpaslâchéeuninstant,jen’avaispaseulecouragededire:«Oui,çamedérange,Andy.Etplutôtdeuxfoisqu’une!»Deplus,monfrèreavaiteul’airtellementcontentquenouseussionsl’occasiondefaireplusample

connaissance, Ly’ etmoi, que je n’avais pas eu le cœur de lui dire ce que je pensais déjà de sonmeilleurpote.Honnêtement,jedoutaisdechangerd’opinionunjour.Ly’étaitunmecdangereuxetjecomptaisbienfairelemaximumpourl’éviter.Jen’avaispaschangéd’avissurcepoint.Ohquenon!Mêmesij’avaisététroplâchepourledireàmonfrère.Voilà pourquoi, une fois de retour dans mon appart, j’attendais leur arrivée avec une certaine

fébrilité. Ainsi qu’une crainte grandissante. Moi qui voulais tout faire pour éviter Ly’, j’allais lerecevoirchezmoi.Chezmoi,bonsangdebois!Lasituationpouvait-elleêtrepire?Leseulpointpositifétaitqu’ilss’occupaientd’amenerdequoimanger.Ly’n’étantpasprévuàla

base,ilsnevoulaientpasmedonnerunesurchargedetravailenm’obligeantàallerfairedescoursesdedernièresminutes.EtcommemoijenetenaispasspécialementàcuisinerpourLy’,entendantd’icilesremarquesdésobligeantesquisuinteraient,cettesolutionm’avaitbienarrangée.Aussijem’étaisempresséed’accepter.Lasonnettedelaported’entréemefitpresquebondirducanapé.Moi?Nerveuse?Oh,sipeu…Sourisgrise:ON!—Hello,dis-jeunefoislaportegrandeouverte.Bienvenuechezmoi!Andym’attira contre lui pourme faire un câlin, puisme tendit un pack de bières.Ouah. Ouah.

Ouah!!!Monfrèrem’apportaitdelabière…Delabière!Dansquelledimensionavais-jeatterri???—Tiens,souris,jepensequetun’aspascegenred’articlescheztoi.Jemetrompe?(Jesecouaila

tête car, effectivement, je n’avais pas de bières. Ceci expliquait cela. Ouf, j’avais eu un coup dechaud.)Tupeuxlesmettreaufrais,s’teplaît?Commeça,tuenaurasenréservequandjeviendraitetrouver!Jeprislesbièresetm’écartaimachinalementpourlelaisserentrer.Cefut làquejelevis.Ly’.Il

portaituncabasquisemblaitsurlepointdecraquer,tantilétaitrempli.Avait-ildévaliséunmagasinencroyantquenousserionsvingtàdîner?—Lacuisine?

Okaaaayyyy,d’accord.Salutàtoiaussi,Ly’.Çamefaitplaisirdeterecevoirchezmoi…crétin!Je fis volte-face en lui faisant signe de me suivre. J’en profitai pour me mordre la langue et

contenir le flot de gentillesses quimenaçait de sortir.Laprésence rassurante d’Andy aurait pumerendretéméraire.Ousuicidaire.—Viens,c’estparlà.Lesalonétait lepointcentraldemonmeublé.L’endroitqu’ondevait systématiquement traverser

pourchangerdepiècesoupoursortir.Nouspassâmesdoncparlesalonpourallerdanslacuisine.Petite et fonctionnelle, elle convenait parfaitement à une personne seule. Par contre à deux, on sebousculaitlamoindre.Jeposailepackdebièressurlapetitetabled’appointquej’avaistrouvéchezIkea.—Tupeuxposertoncabas,là.Évidemment, Ly’ n’avait pas attendumon autorisation pour le faire, ce quime valut un regard

narquois.Décidément,jemarquaidespointsaveclui…Àcerythme-là,jeseraisbientôtàmoinscentmille!Etsansmeforcer…—Non,sansdéc’?Moiquicroyaisquelatableétaitjusteunornement.Hallucinant…Jepinçaileslèvres,m’abstenantainsiderépondre.Àlaplace,jeglissairapidementlesbièresdans

lefrigo.Enfin,j’enmisquatre,fautedeplace.PresséederetrouverAndy, je frôlaiaccidentellementLy’ensortantde lacuisine.Unfrissonme

parcourut.Jerefusaicatégoriquementdemelaissertroublerparcefrisson.Cethorriblehurluberluenprofiteraitpoursemoquerunenouvellefoisdemoi.Non,merci.J’avaisdéjàdonnélaveille.Andy, les bras croisés sur sa poitrine, se tenait au centre du salon.Sourcils froncés, il détaillait

minutieusementmonnouvelenvironnement.—Alors,commenttutrouves?demandai-jed’untonjoyeux,quipourtantsonnaitfaux.—Petit,lâcha-t-ilsèchement.Ly’?Jemeraidisenentendantlavoixdecederniers’éleverdansmondos.Jelecroyaistoujoursdansla

cuisine.Erreur.—Lacuisineestminuscule.Ilyajustedeuxpetitesplaquesetunfourpourlilliputien.Jenevois

pascommenttasœurpeutsefairecorrectementàmangerlà-dedans.Okaaaayyyy,d’accord.Parlecommesijen’étaispaslà,çanemedérangeabsolumentpas.—Jesuislà,jetesignale…Maismabravadenefitpaslongfeufaceauxirispâlesquimedévisageaientintensément.Ouah.Je

mesentisblêmir.—Jesais.Surcetteréponselaconique,Ly’retournadanslacuisine.Desbruitsdeplacardsquisefermaientet

d’ustensilesquis’entrechoquaientsefirentrapidemententendre.Jemetournaiversmonfrèreetl’interrogeaiduregard.—Ly’cuisinecommeunas.Avantlafindelasoirée, tunoussupplierasdete laisservivreavec

nouspourpouvoirygoûtertouslessoirs.Jefaillism’étoufferdevantcetteodieuseaffirmation.Alorslà,horsdequestion.Plutôtmourirque

devivresouslemêmetoitquecetogre!Mêmepasenrêve!—L’importantc’estd’ycroire,répondis-jesuccinctement.—Attendsd’ygoûteravantdefairetacrâneuse.Jeteprometsquetuferasmoinslamaligneaprès.

Bon,tumemontreslereste?PréférantnepasdébattresurlestalentsculinairesdeLy’,jenerelevaipaslaprovocationdemon

frère.Àlaplace,jefiscequ’ilmedemandait.Jeluimontraid’abordlasalledebains:petite,commelereste,avecunesimpledouche,unlavaboetunetoilette.—Maisc’estminuscule!—Pasdutout!C’estparfaitpourunepersonneseule,Andy.Jet’assurequejesuistrèsbien,ici.Lamouedemonfrèremontraitqu’ilétaitdubitatifetqu’iln’ycroyaitguère.Pourtant,c’était la

véritévraie.Jemesentaisvraimentchezmoi,ici.C’étaitpetitetcosy.Justecequ’ilmefallait.Nousallâmesensuitedansmachambre,quisetrouvaitjusteàcôtédelasalledebains.Monfrère

survolamonlitetmatabledechevet,lançaunregarddiscretetrapideversmonpetitdressing,puissecoualatête.Mais,heureusement,ilneditriendeplus.Une foisde retourdans le salon,nousnous installâmes sur le canapé. Il jetaunnouveau regard

circulaire à cettepièce.Qui était de loin laplusgrande.Malheureusement, avec le canapé, la tablebasse, lemeuble téléet labibliothèque,ellesemblaitunpeu…surchargée.Etpluspetitequ’ellenel’étaitréellement.—Tuescertainequetuteplaisdanscemouchoirdepoche?Jelevailesyeuxauciel,m’exhortantàlapatience.—Oui,jesuissûreetcertainedemeplaireici.—Ok.Situessûredetoi,jen’insisteraipas,dit-il,avantdeselever.Jevaisprendreunebière,tu

enveuxune?J’écarquillai les yeux, estomaquée.C’était bien la première fois quemon frèremeproposait de

l’alcool.Cettefois,c’étaitsûr,j’étaisdanslaquatrièmedimension.—Euh,non,merci,bafouillai-jelamentablement,souslechoc.—Commetuveux.Ilfitunrapidealler-retouràlacuisineetserassittranquillement.Jememordillailalèvreinférieureenjetantunregardnerveux,etgêné,endirectiondelacuisine.

Jedevraispeut-êtreallerproposermonaideàLy’.Bienquecene fûtpasvraiment l’enviequimemotivait.Plutôtlesensdel’hospitalitéquem’avaitenseignémamère.Ah,lesbonnesmanières…C’étaitunequalitéraredenosjours…Je frottai nerveusementmesmains contre le jean que j’avais passé en rentrant etme levai pour

fairema«B.A.»dumois.Andym’attrapavivementparlepoignetensecouantlatête.—Mauvaiseidée.QuandLy’estauxfourneaux,ilneveutpersonnedanssespattes.S’ilabesoin

d’aide,illedira.Net’inquiètepaspourlui.Iln’apassalanguedanssapoche,commetuasdéjàpuleconstater.

Ça,c’étaitlalitotedusiècle!—Ok.Jevoulaisjusteêtrepolie,c’esttout,répondis-jeenmerasseyant,profondémentsoulagée.

Etsinon,toi,çava?Tuaspuremplacertapoupée,oupasencore?La pointe demoquerie dansmavoix n’échappa pas àmon frère.Et celamevalut un regard de

tueur.—Jet’interdisdetemoquer.Mais,plussérieusement,tum’asfournil’excuseparfaitepourrompre

sansêtreungrossalaud.J’arquaiunsourcil.—Parcequecelat’auraitretenu,peut-être?—Nan,jen’aijamaisditça.Justeditquegrâceàtoi,jenesuispasunimmondesalaud,pourune

fois.Çachange.—Tum’étonnes,tiens.Andypointalegoulotdesabouteilleversmonavant-bras.—Ilestmagnifique,souris.Encoreplusquedansmonsouvenir.(Jecaressaiamoureusementmon

ailed’angeduboutdesdoigts,lachérissantautantquelessouvenirsquis’yrattachaient.)Tuasfaitlaféeoupasencore?Jesecouailentementlatête,sansquittermontatouagedesyeux.—Non,pasencore.J’hésitetropsurl’emplacement.Monfrèreinclinalebusteensigned’approbation.Puis,ilenroulalentementlamanchedesonpull,

dévoilantsonavant-brasgaucheetletatouagequis’yétalait.Uneexacterépliquedumien.Unsouriretremblotantétirameslèvresetdeuxlarmessolitairesroulèrentlelongdemesjoues.Nousrestâmesainsiunlongmoment,ensilence.Andyremitsonpullenplaceetsecaladanslecanapé,l’airserein.Ilpritunegorgéedebièreen

mescrutantattentivement.Sonregardd’aiglecherchaitàlireentreleslignes.Quoi,exactement?Aucuneidée.Puis,unesoudainelueurdanssesyeuxfitjourenmoi,etjecomprisquenousallionsarriversur

LEsujet.Oh,misère…—Alorscommeça,mamant’alaisséepartir.Jen’auraisjamaiscruquecejourarriverait.Entout

cas,pasavanttestrenteans.EtencoremoinspourpartirdansunautreÉtat.Surtoutpaspourvenirmerejoindre.Commentt’yes-tuprisepourréussircetourdeforce?Jebaissailesyeuxettiraisurunfilquidépassaitd’unecouture,surlecanapé.—Jeneluiaipasvraimentlaissélechoix,pourtouttedire.Jesavaisbienquesijeluidemandais

l’autorisation,jenel’obtiendraisjamais.Jel’aidoncmisedevantlefaitaccompli,enquelquesorte.—Enquelquesorte…?—Ouais…(Jemegrattaidistraitementlajoue,enmetortillantsurplace.)J’aienvoyémondossier

decandidaturesans luienparler.Quandj’aireçulecourrierdisantquej’étaisacceptée, je le luiaidonné.Etlà,ben…tulaconnais,quoi.Elleapiquéunecrise,m’aditqu’ellenemelaisseraitjamaisyaller,ettout,ettout.

Andyavançaunemainetmecaressadoucementlajoue.—Visiblement,celan’apassuffi.J’eusunpetitsouriresansjoie.—Non, çan’apas suffi.Soit jevenais fairemesétudes ici,vers toi, soit jen’en faisaispas.Le

choixaétévitefait.Ensuite,touts’estmisenbranletrèsrapidementetmamanaabsolumenttenuàcequej’aiunlogementàmoi.Meconnaissant,moietmatimiditélégendaire,ellenevoulaitpasquejepartagelachambredequelqu’und’autre.Ellevoulaitquejemesenteàl’aise.Quej’aieunendroitàmoi.Jecroisqu’elleavaitpeurquejefasseunecrisedepanique.Quetoutcelafassetroppourmoi.L’université,desgensinconnus,dansunevilleinconnue…—Mouais,engros,elleflippaitmillefoisplusquetoi,quoi.Commed’hab.—Ouais,c’estça.Ly’ sortit de la cuisine enportant trois assiettes, dontuneenéquilibre sur sonavant-bras.Notre

discussionenrestadonclà,toutdumoinspourl’instant.—L’entrée est servie.Onmange sur la table basse du salon, je présume, vu qu’il n’y en a pas

d’autres?demanda-t-il,avantdeposerlesassiettessurlatableenquestion,sansattendrederéponse.Annabelle,ilnousfaudraitdesservicesetdesverres.Cen’étaitpasclairementunordre,maisçayressemblaitgrandement.Jepristoutefoissurmoiet

j’allaicherchercequ’ilfallaitensilence.J’enprofitaipourattraperunpullquitraînaitsurunechaise.Soudain,j’avaisfroid.(Allezsavoirpourquoi…)—Vousvoulezboirequoi?Àpartlabièrequevousavezapportée,j’aidel’eau,dujusdefruitsou

duSprite,criai-jedepuislacuisine.—Jusdefruit,répondirent-ilsenmêmetemps.

*****

Lerepasavaitétéexcellent.Etcommel’avaitpréditmonfrère,j’étaisdevenueaccro.D’abord, l’entrée : carpaccio de saumon sur lit de mangues et d’avocats, avec une vinaigrette

citronnée.Letoutservienpetiteportion.Justecequ’ilfallaitpournepasêtreécœurant.Trop,tropbon. D’habitude, je n’étais pas spécialement fan du poisson, mais là, rien à redire. Mise à part :encore!Ensuite,leplatprincipal:spaghetticarbonaraavecfromagerâpé.Ungrandclassique.Etpourtant.

Jamaisune saucecarbonaran’avait étéaussibonne.Unvrai régal.Aupointde regretterdenepasavoirdepainàsaucer!Et pour le désert : glace à la vanille et aux pépites de chocolat. Andy s’était souvenu que j’en

raffolais.Lagrandeclasse.Repus,noussirotionstranquillementunetassedecaféenparlantdechosesetd’autres,sansréelles

importances.Soudain,Andyreposasatasseetseleva.—Jevaisvidangeretonmettralesvoiles.Charmant. Le vocabulaire de mon frère ne s’était pas amélioré avec le temps. Comme quoi

certaineschosesnechangeraientjamais.Àpeinelaportedelasalledebainsrefermée,Ly’sepenchaversmoi.—Çanetegênepasd’avoirunpetitappartpourtoitouteseule,sansavoiruncentimeàdébourser

parcequec’estmômanquipaie,alorsqueDrewatoujoursdûsedémerdertoutseul?L’attaque,quejen’avaispasvuevenir,mepritàcontre-pied.Jeviraiaurouge,unefoisdeplus,

faceàcetteaccusationinjuste.—Oui,biensûrqueçamegêne,pourquitumeprends?—Pourunepetitefillepourriegâtée,peut-être?Connard…Jeserrailesdents,maisrefusaid’entrerdanssonjeu.—Cen’estpasdemafauteàmoisimamèreainsistépourmepayercetappart.—Tupouvaistoujoursrefuser.—Sij’avaisrefusé,mamèren’auraitjamaisétéd’accordpourquejevienneétudierici.Jen’aipas

vraimenteulechoix.Ly’m’adressaunsouriresardonique.—Biensûr…Saufquetuoubliesunpetittruc.Onatoujourslechoix,souris.Toujours.Tupouvais

dire«non».Cettesimplephrasemerenvoyaseptansplustôt.Dansunesituationquejen’avaispascherchée,

pas provoquée, et où l’on nem’avait pas laissé le choix, justement. J’avais dit « non », encore etencore.Jel’avaismurmuré,jel’avaiscrié,supplié.Rienn’yavaitfait.Jen’avaispaseulechoix.Onne l’avait pas toujours. Ce que Ly’ disait, c’était un mensonge. Comme ma mère, il disait desmensonges.Ilprenaitsescroyancespour laréalité,ennesebasantquesurcequeluipensait. Ilnedisaitpaslavérité.Ildisaitsavérité.Commem’an.Pareil.Pâlecommelamort,jemelevaietprislestassesàcafévides.—Pastoujours.Pastoujours,murmurai-jed’unevoixd’outre-tombe,enpartantverslacuisine.Jesentis le regarddeLy’surmoi,maisheureusement, ilnerajoutarien.Pasunmot. Ilsemblait

respectermondésirdesolitudeetpourcela,jeluienfusreconnaissante.Aprèscequ’ilt’adit,tuluiesreconnaissante?Non,maist’esgrave,toi,tusaisça?Tulesais,A?Jeserrailesdentsàmelesbriser,maisneréagispasauxprovocationsdemavoixintérieure.Non.

Pascette fois-ci. J’avaisdéjàsuffisammentà faireavecmessouvenirs.Noirs, sales, invasifs. Ils sefaufilaientàtraversmesfaiblesdéfenses,lesréduisantuneàuneenpoussière.Une terreur glacée planta ses griffes acérées dans mon crâne et un cri silencieux se fraya un

passage dans ma gorge. Le bord de mon champ de vision devint flou et je sentis les flashbacksaffluer.Lespoingsserrés,jemepréparaiàl’inévitable.Encore…—Bon,nous,onyva,souris.Onsevoitdemainaubahut,ok?Lavoixd’Andymefitsursauteretmeramenaimmédiatementauprésent.Sauvée!Jechassai les

nuagesqui recouvraientmonvisageenquatrièmevitesse,avantdemeretourner.Je luiadressaiun

grandsourire.—Çamarche.Merci d’être venu, c’était cool. Je suis vraiment trop contente d’être de nouveau

auprèsdetoi,Andy.(Undemi-mensongeetunevérité.)Jemejetaidanssesbraset luifisuncâlin.Ungroscâlin.Ilm’avait tellementmanqué, tellement

manqué.Quec’étaitbondeleretrouver!Lui,mongrandpourfendeurdedragons,monsauveur,monhéros.Ilsereculaetjelesraccompagnaijusqu’àlaporte.—Bonnenuit,Annabelle,meditfroidementLy’ensortant.—Bonnerentrée,Ly’.Soyezprudentssurlaroute,ajoutai-jeenmetournantversmonfrère.—T’inquiète.Onmaîtrise.Jepouffai.—Jen’endoutepasuneseconde.Unefoismesinvitéssortis,jerefermailaporteetm’yadossai.Tremblante,jevérifiairapidement

quemesdéfensesétaientànouveauenplaceetparfaitementopérationnelles.Done.Unebonnechosedefaite.Ilnerestaitplusqu’àespérerquemaprisondeglaceréussîtàlescontenir.Celafaisaitcinqansqu’ilsyétaientetiln’yavaitaucuneraisonpourquecelachangeât.Aucune.Lesouvenirdubeaugossequivenaitdequittermonappartvintalorsmenarguer.Eh,merde! Il

fallaitvraimenttrouverunmoyenpouréviterLy’.Çadevenaitvital.Cemecavaitl’artdememettredans des états pas possibles.D’une tristesse sans pareille à une excitation sans nom.Cela faisait àpeinedeuxjoursetdéjàjen’enpouvaisplus.Celadevaitcesser.Immédiatement.

Chapitre6

—Allez,viensavecnous!Tuverras,onvapasserunebonnesoirée!Kimme fixait avecuneminedechienbattu,quiavait trèscertainementdû fairecéderplusd’un

mec.Etquin’étaitpasloindemefairecraquermoiaussi.Marj’melançaunregardmoqueur.—Jet’avaisditquequandellefaisaitcettemine-là,onnepouvaitpasluirésister.C’étaitvrai.Ellem’avaitmêmeprévenuelepremierjour.Honnêtement,jen’yavaispastropcru.Je

pensaisquec’étaituneplaisanterie.J’étaisapparemmentdansl’erreur.Non,tucrois?—Okay,Okay,d’accooooord,capitulai-jeenlevantlesmains.Jevaisvenir.T’essérieuse?Toi,tuvassortirunvendredisoir?Pourdevrai?Aumomentmême où j’acceptai, je me demandai si je ne venais pas de commettre une grosse

erreur.Çafaisaittellementlongtempsquejen’étaispassortieavecdescopines,quejenesavaispascequ’ilconvenaitdefaire.J’étaiscomplètementlarguée,maisjen’osaipaspourautantrevenirsurmadécision.Unesortieentrefilles,cen’étaitpaslameràboirequandmême.Enfin…Çaseracertainementplussympa,etmoinspire,qu’uneénièmediscussionavectamère,A.Pasfaux.Carévidemment,mamèren’avaitpasattendumonappel.Normal,puisqu’ilétaitprévu

pour dimanche. Ma mère n’avait pas la patience d’attendre aussi longtemps… Elle m’avait donctéléphonémercredisoir,bienque je luiaieditque jeseraisavecdescopines. (Bon,c’étaitunpetitmensonge,mais ça ellenepouvaitpas le savoir.)Ainsiquehier soir. J’étaisprête àparierqu’elleallaitégalementm’appelercesoir.Finalement, leseulsoiroùellem’avait laisséetranquille,c’étaitmardi.QuandAndyétaitàl’appartavecmoi.Situnetemontrespasplusfermeavecelle,ellenetelâcherajamais.Lahonte,quandmême,àdix-

neufans,avoirsamèrequitéléphonetouslessoirs.Tucroisquetum’apprendsquelquechose?Jesais,toutça.Alorsqu’est-cequetuattendspouragir,A?Fichuevoixintérieure!Commesijenesavaispasquej’allaisdevoiravoirunefranchediscussion

avecmamère.Incessammentsouspeu,d’ailleurs.Ettupenseshonnêtementqueçasuffira?Qu’ellevabiengentimentt’écouteretfairecequetului

demandes?Commepourmercredi,parexemple?Grrrrrrr.Bouton « OFF », il me fallait absolument un bouton « OFF ». Ça devenait une priorité. Une

questiondevieoudemort,même.—Euh…Anna?Tuespartieoù,là?JesursautaiviolemmentenentendantlavoixdeKim.Eh,merde!

Mescopinesm’avaientcertainementparlé,maismoi,occupéeàdiscuteravecmavoixintérieure(lagrossemalade), jen’avais rien entendu.Cette fois-ci, aucundoute, j’étaisbonneà enfermer.Etplutôtdeuxfoisqu’une…Bon,jen’allaispasnonpluscriersurlestoitsquejeparlaisavecmavoixintérieure.Commentme

sortirdecetteimpasse…?Dissimplementquetupensaisàtamère…Ellespourrontpeut-êtret’aider…Maisoui,biensûr !Pourquoin’yavais-jepaspensé touteseule?Fichuevoix intérieuredemes

deux!!—Oh, euh, désolée… J’étais perdue dansmes pensées, dis-je piteusement, en passant unemain

embarrasséedansmescourtesmèchesrouges.—Oh…oh!s’exclamabruyammentMarj’.Etils’appellecomment?Hein?Ellemeparledequoilà?—Anna,tuasrencontréunmecettunenousasriendit?!s’écria,àsontour,Kim.Oh,bonsang.Lahonte!Ellescroyaientquejepensaisàunmec.Parlerdemamèremaintenantallaitjeterunfroid.J’eusunegrimacedégoûtée.— Si seulement ! Rien d’aussi glamour, malheureusement…Navrée de vous casser dans votre

élan,lesfilles,mais,jenepensaisabsolumentpasàunmec.Ohquenon.Enfait,c’està…àmamèrequejepensais.Latêtequetirèrentmescopinesvalaitsonpesantd’or!Quelledéceptionpourellesdepasserd’un

mecpotentielàunemèrepoule…Jecompatissais.Sincèrement.Tuessûr,A.?Évidemment!Genre…Mouais…Bizarrement,jesaispastroppourquoi,jetecroispas!N’importequoi…—Oh,merde ! lâchaMarj’, avantde sortir sonpaquetde clopesde sapoche.Fautque jem’en

fumeunepourpouvoirmeremettre.Lechoc,tucomprends…—Ça,c’estclairqueçacasseunpeunotredélire.T’espascool,Anna,renchéritKimenbranlant

latête,unemoueécœuréeauboutdeslèvres.Désolée…Faux-cul!!!Maisgenre…—Jen’aijamaisditquej’étaisquelqu’undecool,Kim…Ellemetiralalangue,avantdeleverlesyeuxauciel.—Bon…Donc,tupensaisàtamère…Jecroisquejenem’enremettraijamais,maisbon,passons.

Tuveuxnousenparler?Jemeretinsdejustessedebondirsurplace.—Oh,oui!

—Eh,merde…J’espéraisquetudiraisnon…,marmonnaMarj’,avantdemefaireunclind’œil.Tuviensdetefaireuneamiepourlavie,là,Anna,ajouta-t-elleenpointantKimdupouce.Kimadorequ’onluidemandeconseil.Letruc,c’estqu’onrisqued’enavoirpourtroisheures.Facile.—Cequ’ilfautpasentendre!N’écoutepascettejalouse,Anna.Etdis-moitout.Marj’levaunemaintoutenécrasantsacigaretteàpeineentamée—On peut aller s’asseoir à l’ombre, avant de commencer cette discussion, les filles ?On sera

mieuxetbienplusaucalmepourparler.C’étaitvraiquediscuterdetoutçadebout,àdeuxpasdel’entréeprincipale,aucœurdesalléeset

venues,cen’étaitpasvraimentl’idéal.—Ok.Allonsnousasseoir.Nousnousinstallâmesconfortablementàl’ombred’unarbre,dansleparcquientouraitlafaculté.

Loindesoreilles indiscrètes,nousserions tranquillespourbavarder.Etpuis,nousavions le temps,pourune fois quenoshoraires respectifs coïncidaient à la perfection.Nous avions toutes les troisdeuxpériodescreuses.Enprofiterpourdiscuterétaitunebonnemanièredepasser le temps.Çaenvalaituneautre,entoutcas.—Donc,tamère…,commençaKim,désireused’ensavoirplus.Ohlavilainecurieuse!Commesiçat’arrangeaitpas,A…—Ouais,mamère.(Grossoupir.)Elleatoujoursétédugenremèrepoule,dumoinsavecmoi.Je

présumequec’estparcequejesuisunefille,etlapetitedernière,vuquemonfrèren’ajamaiseucegenredeproblème.Sij’airéussiàobtenirunecertainelibertéenVirginie,depuisquejesuisdansleWisconsin,c’estunvéritablecalvaire.Ellem’appelletouslesjours,poursavoircommentc’estpassémajournée,sij’airencontréungentilgarçon—etlaréponseestnon,avantquevousledemandiez—sijemangecorrectement,mescours,mesdevoirs,etc,etc.Jeluiaiditàplusieursreprisesquejevoulais qu’elle me lâche, que j’avais dix-neuf ans, que j’étais plus une gamine, et que j’étaisparfaitementcapabledemedébrouillertouteseule.Etsij’yarrivedanspasmaldedomaines,celuidefaireentendreraisonàmère,jedoisavouerque…c’estunécheccompletetcuisant.Jesaisplusquoifaire,àpart l’envoyerbouler.Maisbon,c’estmamère, jenepeuxquandmêmepasfaireça…J’aimêmesongéàcoupermontéléphonedèsquejepasseleseuildemaported’entrée.Maisjesaisquesi je le fais, elle risque d’appeler les flics. Ou pire, de débarquer le lendemain ! (Je poussai unnouveausoupir,lourddesous-entendus,enmepassantnerveusementlesmainsdanslescheveux.)Jenesaisplusquoifairepourqu’ellearrêtedem’appelertoutletemps.Çametapesurlesnerfs,vousnepouvezpasimagineràquelpoint…Etencore,jerestaipolie.J’avaisl’impressiond’êtreunoisillon,frétillantàl’idéedeprendreson

envolpourlatoutepremièrefois,àquil’onvenaitbrutalementdecouperlesailes.Sijen’yprenaispasgarde, la rancœurpourraitbienprendrenaissanceenmonsein.Etelleseraitalimentéepardesannéesdefrustrations.Lesconséquencesseraientterribles.Pourmamère,pourAndy…etpourmoi.—J’imagineparfaitement,jeterassure,meditKim.Moi,c’estmonpèrequiétaitunpeucomme

ça.Saufquelui,ilvenaitmecherchertouslesjoursaulycée.Etilfoudroyaitduregardtouslesmecsquim’approchaientàmoinsdecentmètres.C’étaithypergênant.Finalement, ma mère n’était pas la pire. Si elle avait méticuleusement surveillé mes allées et

venues,ellen’avaitjamaisétéjusqu’àvenirmechercher,oum’amener,aulycée.Heureusement.

J’adressaiunsourirecompatissantàKim.—Effectivement,çanedevaitpasêtreunepartiedeplaisir.—Àquiledis-tu!—Ettuasfaitquoipourqu’ilarrête?Kimpouffaensortantunepommedesonsac.—Je luiaiditqu’ilm’étouffaitetques’ilcontinuaitcommeça, j’irais finirmesétudesdansun

autre État. Commemamère était d’accord avecmoi, il n’a pas eu le choix, il a dû s’incliner. Tudevraispeut-êtredemanderdel’aideàtonpère?Toutlesangdemonvisageseretirad’uncoupetjedevinsblanchecommeneige.Monpère…Je fermai les yeux pour endiguer les émotions qui commençaient à naître enmoi. Je ne parlais

jamaisdemonpère, jamais!Pour lasecondefoiscettesemaine,mesdéfensessemirentàvacillersousl’affluxdesouvenirsaussidéplaisantsqu’indésirables.Jerefusaisd’ypenser.Jenevoulaispluslaissercetteordureavoirlamoindreemprisesurmoi.Horsdequestion. Ilneméritaitriendemoi.Rien!Etc’étaitaussivalablepourlessouvenirsquepourlesémotions.Ilneméritaitabsolumentrien.Pasmêmemahaine.Uniquementmonindifférence.Inspire,expire.Inspire,expire.Inspire,expire.Malheureusement,unefoislaboîtedePandoreouverte,iln’étaitpasaisédelarefermer.Chasser

mon père de mes pensées était bien plus facile à dire qu’à faire. Maintenant que mes souvenirsflottaient à la lisière de ma mémoire, les repousser derrière les remparts de glace, dans l’oubli,n’étaitpaschosefacile.Bienaucontraire.Duranttoutcelapsdetemps, lesimagessetélescopèrentderrièremespaupièrescloses.Plusj’essayaidefermermonesprit,pluslesimagesdevenaientnettesetprécises.Intenses.C’étaithorrible.Horrible.Je ne voulais pas. Non, je ne voulais pas revoir tout cela. Je l’avais bien assez vu. Bien assez

revécu.Jenevoulaispas.Jenevoulaispaspenseràlui.J’avaisunseuletuniquedésir:lechasserdemamémoire.Pourtoujours.—Anna…?Anna!LecrideKimmesortitviolemmentdel’ouragandévastateurquis’étaitemparédemoi.Jerouvris

lesyeuxetlaregardai,l’airhébété.Ilmefallutdelonguesminutespourcomprendrequej’étaisici,dansleWisconsin,auprèsd’Andy,etnonseptansplustôt,enVirginie,seulefaceaumonstrehideuxquipeuplaitmescauchemars.Lecorpsparcourude tremblements, incapabledeparleretd’alignerdeuxpenséescohérentes, je

sentisdeslarmesroulersilencieusementlelongdemesjoues.Aprèsdelentesetprofondesinspirations,jefusenfincapabledeparler.Quoiquelemot«parler»

nefûtpasvraiment le termeadéquat.«Cafouiller»conviendraitmieux.Mêmesi«ânonner»étaitsansdouteleplusprochedelaréalité.— Mon père est mort. Je n’en parle pas. Jamais, soufflai-je d’une voix rauque, brisant ainsi

définitivementlesbrumesducauchemardontj’avaisétévictime.Jamais…Ellespensaientcertainementquej’éprouvaidelatristesseetquec’étaitpourcelaquej’étaisdans

tousmesétats.C’étaittrèsbienainsi.Ellesnesoupçonneraientpaslavérité.Monsecretdemeureraitensécurité.Ellescroiraientquejepleuraisencorelamortdemonpère.Siseulementellessavaient…Personnenedoitsavoir.Jamais.C’estmonsecret……etceluid’Andy.

*****

Alors que jeme préparais pourma sortie avec les filles, je réfléchis aux conseils quem’avaitdonnésKim.Premièrement : ne pas répondre au téléphone ce soir. Ma mère savait que je sortais avec mes

copines, je l’avais prévenue, il était donc normal que je ne fusse pas atteignable. Je devaisimpérativementcesserdemeplieràsesmoindrescaprices.Bien sûr, comme je ne voulais pas que la police (ou pire,mamère) débarque chezmoi, si elle

essayait de me joindre (ce qui ne saurait tarder, vue l’heure), je lui enverrais un message, luirappelantquej’étaisdesortieavecmescopines.Deuxièmement:lorsdesonprochainappel(demainmatinauxaurores,certainement),jeluidirais

fermementqu’elledevaitcesserdemeharcelerdelasorte.Jeluitéléphoneraisledimanchesoiretceseraittout.Lerestedelasemaine,silenceradio.Pasd’appels.Bon, connaissantmamèrecomme je la connaissais, je savaisquecepetitdiscoursne seraitpas

suffisant. Le plus difficile serait de mettre tout cela en pratique, parce que j’avais vraiment peurqu’elledébarquâticisansprévenir.Çaseraitlahontedemavie,etjen’étaispassûredepouvoirleluipardonner.EnentendantHowSoonIsNow,jemefigeai.Monmascaraàunmillimètredemescils.Soitforte,A,nebougepas.Continueàtepréparer,commesiderienn’était.Ignorelasonnerie.Elle

n’existepas.Lacuillèren’existepas.Très juste, la cuillère…Hein ?La cuillère ?Quelle cuillère ?Qu’est-cequemavoix intérieure

avaitencorebu?UnebouteilledeMojito?Oups,pardon!Jemesuisunpeuemportée…Désolée,A.Hallucinant…Voilàquej’avaisdroitàunremakepourrideMatrix.Genre…Oh,c’estbon,là!J’aidit«pardon»!!!Soupirantetlevantlesyeuxauciel,jepinçaileslèvresetreprislàoùj’enétaisrestée.—C’est facile,Anna.Très facile.Tu ignores la sonnerie.Tu l’ignores,marmonnai-je, en fixant

monrefletdanslemiroir.Tuignoreslasonnerie,etnonlacuillère…(Pfff…)Jevisbrillerunelueurdedéterminationdansmesprunellesbleufoncé.Oui,j’étaiscapabledele

faire.J’allaisyarriver.C’estbien,A,continuecommeça.Toutestdanslemental.Resteconcentréesurtonobjectif.Nomd’unepipeenbois!Voilàquemavoixintérieuremecoachaitmaintenant.C’étaitlemondeà

l’envers…Àtonservice,A,commetoujours.

Ouais,c’estça…Çasesauraitsituétaisàmonservice.Cequ’ilfautpasentendre,jevousjure…Nejurepas,A,c’estvulgaire.Ah!Làjereconnaissaisbienmavoix intérieure.Cecôtémoralisateuràdeuxballesm’étaitplus

familier. J’étaisen terrainconnu.Etcelamepermitd’occulter,dumoinspartiellement, lasonnerieinsistantedemonportable.Quandcelle-cicessaenfin,jesentisdelasueurfroidecoulerlelongdemondos.Etjedusmefaire

violencepournepasbondirsurmoniPhoneetenvoyerimmédiatementunmessageàmamère.Jeprisuneprofondeinspirationetluttaicontrecebesoininstinctif.Etmalvenu.Résiste,A,soisforte!Tupeuxlefaire.Toutestdanslemental.Situveux,tupeux…À la place, je me reculai et admirai le résultat. Parfait. L’ombre bleu clair sur mes paupières

intensifiaitmonregard.Jem’adressaiunpetitsouriresatisfaitquandonsonnaàlaporte.Jeregardaiunedernièrefoismatenue,afind’êtrecertainedenerienavoiroublié.Jeanslimbleu

délavé,done ; tee-shirtnoir avecune têtedemort argentée (clind’œilpour le tatou imaginairedeKim)etdécolletéenV,done;ballerinenoire,done;vesteenjeanetsacàmain,notdone.Jemehâtaid’allercherchercequ’ilmemanquait,enattrapantmonsmartphoneaupassage.—Voilà,jesuisprête,dis-jeenouvrantlaporteàmescopines.Kimouvritlaboucheetclignadesyeuxenfixantmontee-shirt.—Anna,jevaistetuer!Jeprismonairleplusinnocent.—Ben,quoi ?Si tubois trop et que tu te sensd’attaquepour ton tatou, autant avoir unmodèle

potable,non?Marj’éclataderire,cequiluivalutunregardnoirdelapartdeKim.—Nel’encouragepas,Marj’.J’allaisrépondrequandmoniPhonesonnaunenouvellefois.Mamère.Encore.Jegrimaçai.—Tamère?demandèrentencœurmescopines.—Ouais…Kimhochalatêteetm’attrapaparlebras.—Viens,laissesonner.Onécriralemessagedanslavoiture.Comme j’habitais au deuxième, nous fûmes rapidement dehors. Du coup,mon portable sonnait

encorequandnousnousinstallâmesdanslavoituredeMarj’.Dèsquelasonneriecessa,jememisàtaperlemessagequemedictaitKim.Moi : Je ne peux pas répondre au téléphone, m’an, je suis au resto avec mes copines. Je

t’appelledemain.Bisous,bisous.Court.Clair.Concis.Pourvuquecelasuffise.—Etsinon,onvamangeroù?

—ChezDaemon.C’estlameilleurepizzeriadelarégion.Unefoisqu’onyagoûté,onnepeutpluss’enpasser.Çamerappelaitquelquechose,ça.Andyavaitditexactementlamêmephraseconcernantlacuisine

deLy’.Etilavaiteuentièrementraison.NepensepasàLy’,A!Ilestnocif.Trèsjuste!Ly’étaitlapersonneàéviterparexcellence…Etpourlemoment,ons’ensortplutôtbien,jedoisdire…On?Mavoixintérieureetmoi-mêmeformionsuneéquipemaintenant?C’étaitnouveau,ça…—Etensuite,ilyaunepetitefêteorganiséeparlafraternitédeDan.Kimpouffaensetournantversmoi.—Unepetite fête,cequ’il fautpasentendre.Non,c’estunegrande fête.Uneméga fête,même!

Quasimenttoutlecampusysera.J’aihâted’yêtre.Moi, nettementmoins. J’avais quel âge lorsque j’avais été àma dernière fête ?Douze ans ? Et

c’étaitsansdouteuneboum…Onnejouaitpasdanslamêmecatégorie!Direquej’étaisangoisséeàl’idéed’yallern’étaitpaspeudire.J’étaismêmeterrorisée.Alors,dis-leurquetuneveuxpasyaller…Etpasserpourunepoulemouillée?Non,merci!Sansfaçon.Çanedevaitpasêtresiterribleque

cela.C’étaitjusteunefête,aprèstout.Non?

*****

Okay,d’accord.J’avaiscommisuneénormeerreurenacceptantdeveniràcettefête.—C’estcool,hein?mecriaKim,poursefaireentendrepar-dessuslebruitinfernaldelamusique.

Viens,onvaaubarpourprendreunebière.Oh.Mon.Dieu…Oh.Mon.Dieu!!!Rouge,de la têteauxpieds, jeme laissai entraînerparKimetMarj’. Jepriai ardemment leciel

pourquelesols’ouvrîtsousmespiedsetm’avalât.Pitié…Jet’avaisditderefuser,A.Effectivement,j’auraisdûécoutermavoixintérieure.Cegenredefêten’étaitabsolumentpaspour

moi.Jeregardailesgenssefrotterlesunscontrelesautres,àmoitiénus,enfaisantdemonmieuxpourmasquermondégoût.J’avaisl’impressiond’êtreenpleineorgie.Cen’estpeut-êtrepasuneimpression,d’ailleurs…La réputation désastreuse des fêtes de fraternité n’était pas surfaite. Au contraire. Elle était

amplementméritée.Lasoiréene faisaitpourtantquecommencer,etdéjà, les fillesétaientensous-vêtements.Certainementplustrèssobresaussi,nonplus…Oh,Seigneur!Sauvez-moi!!!Enregardantcespectacle,pourlemoinsaffligeant,jemesentaisincroyablementvieille.Etcoincée

également.La sagessedema tenuemedonnait l’impressiond’être unebonne sœur.Pourtant,monjean slim me moulait comme une seconde peau et mon décolleté mettait habilement en valeur lanaissancedemesseins.Unebonnesœurnes’habilleraitjamaisainsi.Çaendisaitlongsurcequelesautresportaient,ouplutôtsurcequ’ilsneportaientpas!Sortez-moidelà,pitié!—Tiens!Kimmetenditungobeletetjefusbienobligéedel’accepter.Horsdequestionquejepassepour

unechiffemolle.Bonnesœurétaitdéjàbienassezaffligeant!Mercibien!Maislaprochainefois,jem’inventeraisuneexcusepournepasvenir.—Hey,c’estpasLily,là-bas,versLy’?demandasoudainMarj’,enpointantdudoigtuncoindela

pièce.Kimetmoitournâmeslatêtedansladirectionindiquée.Jefussoulagéededécouvrirunezoneoùlesgensétaientvêtusetoùladanseduventren’étaitpas

derigueur.Cettefêteneseraitpeut-êtrepassimalaprèstout.Ilsuffisaitdesedéplacerlà-bas.Leprixàpayerseraitd’êtreprochedeLy’,certes,maisdesdeuxmaux,jechoisissaislemoindre.Ly’,unmoindremal…onauratoutentendu!— Ah, ouais. Cette fille n’a vraiment aucune fierté. Passer de Drew à Ly’ comme ça, sans

sourciller.C’estrépugnant.Ly’étaitadossécontreunmur,portantl’undesestraditionnelsdébardeurs.(Àcroirequ’iln’avait

riend’autre.)Lesbrascroisés,ilfixaitLilyd’unairimpassible.Lajeunefemme,dansunetoutepetiteroberouge«baisez-moi»,luiparlaitenfaisantlamoue.—C’estaffligeant,déclaraMarj’,sanspourautantquitterlecoupledesyeux.Moi, ce que je trouvais affligeant, ce n’était pas vraiment l’attitude de Lily, ni sa tenue

vestimentaire,mêmes’ilyavaitquantitédechosesàdiresurlesujet.(Dumoins,demonpointdevue.Et tantpis si je faisais«bonnesœur».Unpeudedécence,quediable !)Non,cequimechoquait,c’étaitqu’unefillepûts’approcher,àdessein,deLy’.Ok,cemecétaitunebombeatomique,ilfallaitbienappelerunchat:unchat.Maisc’étaitbiensaseuleetuniquequalité.Pourlereste,ilétaitaussifroid qu’un iceberg et aussi aimable qu’une porte de grange. Certes, ce n’était pas des défautsrédhibitoirespourbaiser,maisbon,attendreunminimumdedélicatessedelapartdesonamant,cen’étaitpasduluxe.Attention, laviergeAnousdonnedesconseilspourprendreunbonamant.Onauratoutentendu.

Depuisquandtut’yconnais?Désoléedebrisertonrêve,A,maisilyaunmondeentreteslivresetlaréalité.Maistuvasmelâcher,toi,àlafin?Dégagedematête!Distraiteparmavoixintérieure,jeprisunegorgéedebièreetfaillism’étranglerfaceauspectacle

quisedéroulaitsousmesyeux.Finalement,l’idéedechangerdeplacemesemblaaussiattirantequedetaillerunebavetteavecunrequin.Hautementimprobable,maiscarrémentflippant.Lilyvenaitdes’agenouillerdevantLy’.—Oh,bonsang!Maisellefoutquoi?Kimtournabrièvementlesyeuxversmoi.—Ellelesupplie.

—Ellequoi?—Ellelesupplie,répétatranquillementKim.SiuneexdeDrewveutsefairesauterparLy’,elle

doitlesupplier.Oh.Mon.Dieu!—Tudéconnes?Elledoitlesupplierpourqu’ildaignelabaiser?—Ouep,approuvaMarj’,quisemblaitboiredupetitlait.Mais,attention,çanesuffitpastoujours.—Hein?Maisc’étaitquoicettehistoire?!Illesforçaitàlesupplieretçanesuffisaitpasforcément?Fallait

êtremaladepourseprêteràcegenredejeux.J’eusl’enviefolle,etfarfelue,detraverserlapiècepourallersecouerLily-la-poupéeetluidirede

seréveiller.Unpeudefierté,nomd’unepipe!—Là,tuvois,çanesuffitpas,déclaraKim,aumomentoùLy’renversaitsonverresurLily.Oh.Mon.Dieu!Dites-moiquejerêve!Siçapeutterendreservice…Turêves,A.Poisseuse,ethonteuse,Lilyserelevavivementetpartitencourant,souslericanementdesautres.—Maisquelconnard!Alors que ces mots m’échappaient, des iris vert menthe se vrillèrent sur moi. Je déglutis

péniblementetperdisdemasuperbe.Une foisencore, jene faisaispas lepoids.Oh,misère. TigrecontreSouris:victoireparoneshot.Eh,merde!Heureusement, il nepouvait pasm’avoir entendu.Par contre, l’expressiondemonvisagedevait

parlerpourmoi.Etvueleregardglacialqu’ilmelança,ilavaitparfaitementdevinécequejepensaisdeluietdesonattitude.Ilesttempsdeleverl’ancre,A.J’allaisledire!—Euh,lesfilles.Jecroisquejevaisrentrer,annonçai-je,enfaisantbrusquementvolte-face.

Chapitre7

Sansattendrederéponses,jeposaimonverrequasiintactetmedirigeaiverslasortie.Celaavaitvraiment été une erreur de venir ici. J’aurais eu meilleur temps de me contenter du resto et deprétendrequej’étaisfatiguée,oun’importequoidecegoût-là,plutôtqueden’avoirrienosédire.Jetel’avaisdit,A…Gnagnagna…Cegenredefêtes,oùunefilleseretrouvaitàgenouxdevantunmecpoursefairerenverserdela

bière dessus, ce n’était vraiment pas ma came, comme on disait. Je préférais nettement restertranquillechezmoiàbouquiner.Etplutôtdeuxfoisqu’une!Peut-êtrequeçafaisaitcasanier,ouaisçale faisait sûrement,mais aumoins je savais à quoim’attendre.De plus, ce qui comptait vraiment,c’était d’être bien et honnête avec soi-même. Essayer de changer pour plaire aux autres, ça nemarchait jamais. À un moment ou à un autre, il y avait toujours le retour du boomerang. Etgénéralement,cen’étaitpasspécialementagréable.Nijoliàvoir…Ohquenon!Jemefaufilaihabilemententredeuxcouples,sansquitterlasortiedesyeux.Encoreunpetiteffort

etjeseraisenfindehors.Jeréfléchiraisàcemoment-làaumeilleurmoyenderentrerchezmoi.Untaxi allait me coûter une blinde, mais bon, ça serait mieux que de prendre le risque de se faireagresserdanslarue.Jedevenaisaussiparanoquemamère,maparole.Seigneur,elledéteignaitméchammentsurmoi.Il

allaitvraimentfalloiryremédier.C’estriendeledire,A…Maischaquechoseensontemps…etuntempspourchaquechose.Prioriténuméroun:sortird’ici

auplusvite.Alorsqu’ilnerestaitplusqu’untoutpetitmètreentrelaporteetmoi,quelqu’unvintsemettreen

traversdemaroute.Super…c’estbienmachance!JefermaibrièvementlesyeuxenpriantpourquecenesoitniLy’niunivrognequivoulaittirerun

coup.Pitié…—Putain,maisqu’est-cequetufouslà,toi?Quit’ainvitée?Pointpositif:cen’étaitniLy’,niunivrogneenmanquedesexe.Pointnégatif:c’étaitMax.Peut-

êtreaurait-ilmieuxvaluquecefûtl’optionnuméroun,finalement.Non,tucrois?—Salut,Max.Net’inquiètepas,j’étaissurlepointdepartir.Cequejeferaissanstarderdèsquetu

m’auraslaissépasser,dis-je,d’untonfaussementjovial.Pourvuqu’ilnemecherchâtpasdenoisesetmelaissâtpartirsansproblèmes.J’avaiseumonlot

d’emmerdespourl’année!

Samâchoiresecontracta.—Enplusd’êtreconne,t’essourde?Sympa…,lâcha-t-ilnonchalamment,cequifitriredeuxdes

troismecsquiétaientaveclui.Celuiquineriaitpasmelançaunregardnerveux.—Arrête,Max.C’estlasœurdeDrew…,marmonna-t-il,malàl’aise.—Etalors?Çal’empêchepasd’êtreconne.—Jeneveuxpasd’emmerdesaveceux…,continua-t-il,ensedandinantd’unpiedsurl’autre.Maxsetournaàdemiverslui,enhaussantlessourcils.—Tuaslafrousse?—C’estça,moque-toi.Tuaspeut-êtreoubliécequit’estarrivéladernièrefoisquetut’enesprisà

Ly’,maismoinon.Etj’aipasenviedemeretrouveraveclatronchequetuavaiseue.Faitescommevousvoulez,lesmecs,maismoijenemangepasdecepain-là.Maxleregardapartir,impassible.Cesdeuxautrespotes,parcontre,devinrentnerveuxetlancèrent

desregardssoudainsinquietsderrièremoi;ilsneprirentpaslapoudred’escampettepourautant.Bonsang,c’étaitbienmaveine!Noire,noire,noire…semainenoire!—Paraîtqu’ilestlàcesoir,Max.Jouepasaucon.Laisse-lapartir.—Vousêtestousquedesfroussards.Etpis,jeluicherchepasdenoises,àcetteconnasse,jeveux

simplement savoir cequ’elle fout ici. Je suis sûrquepersonnene l’a invitée.C’estvrai, quoi.Quiinviterait une schtroumpfette aux cheveux rouges ? se moqua-t-il, en me regardant de la tête auxpieds.Jeserrailesdents,maisnerépondisrien.Jesavaisquedanscescas-là,leplussage,étaitdenepas

réagir.Ilfiniraitparselasser.Dumoins,jel’espéraissincèrement.Maxpassa sa langue sur ses lèvres en continuant àme fixer.Ouplutôt, en fixantmondécolleté

commeunvulgairevicelard.Pervers…—Quoique…T’asl’aird’avoirdejolisnichons…Soulèveunpeutontee-shirtqu’onvoitmieux.Unfrissondedégoûtmeparcourutetjefisinstinctivementunpasenarrière.Toutcequ’ilnefallait

pasfaire!LesouriredeMaxs’agranditetsonregarddevintnoirdedésir.Eh,merde!Non,non,non!Pasça,pasça…A,çaseraitpeut-êtrelemomentde…Undosimmense,recouvertdenoir,mebloquasoudainlavue.Unvéritablecolosse.Mais,qu’est-ceque…Ouah.Ouah.Ouah!Lenoirvenaitdedisparaître,dévoilantàmavueébahieundosfortetmusclé.Oh.Mon.Dieu.Un dragon en plein vol, crachant du feu, emplit mon champ de vision. Les ailes déployées du

dragonparcouraienttoutelalargeur,ainsiquelahauteur,desomoplatesdemonsauveur.Soncorpssemblaitsuivresacolonnevertébraleetsaqueuedisparaissaitsouslaceinturedesonjean.

Oh.Mon.Dieu.Lesoinapportéauxpluspetitsdétails,commelesécaillesdesailesoulereliefdufeu,rendaitce

tatouage très réaliste.On aurait pu croire qu’unvrai dragon était emprisonné sous cette peau.Soncorpsondulaitauxmoindresmouvementsducolosse.Oh.Mon.Dieu.Mesmainsmedémangèrentsoudain,avidesdeparcourircedosmuscléetrecouvertdenoir.Une

envieinopinéederedessinercetatouageduboutdemalanguemepritparsurprise.Oh,misère!Lecontrasteentrelenoirdudragonetlecarameldelapeauétaitsaisissant.Splendide.Magnifique.Miam,miam.Touteàmafascination,jefaillismanquerladiscussionquifaisaitrageentrelemystérieuxinconnu

audragonetMax.—Alors,lavueteplaît?Mesnichonssontàlahauteurdetesespérances?Cettevoix.Oh,non,cettevoix!Basse,froide,menaçante.Jenelaconnaissaisquetrop.Tellement

réfrigérantequ’ellepouvaitéteindreunvolcanenéruption.Oh,BonDieu!Maispourquoivousacharnez-vousainsisurmoi?Qu’est-cequejevousaifait?

Seigneur…maisqu’est-cequejevousaifaitpourmériterça?—Ly’…c’estpasdutoutcequetucrois…vraimentpas…,bredouillaMax,d’unevoixhachée.—Oh,vraiment?Tunevoulaispasvoirmesnichons,alors?Unsilencegênésuivit.—Non,biensûrquenon…,bafouillaleblond,visiblementàdeuxdoigtsdel’infarctus.JecontournaiLy’,pourvoircequ’ilsepassait,etsurtout,surtout,pourneplusêtretentéeparce

mauditdragonquim’appelaitaussicertainementqu’unchantdesirènesenvoûtaitlesmarinségarés.Ly’pivotaimmédiatementversmoi,lessourcilsfroncés.— Mais non, bien sûr, susurra-t-il d’une voix mielleuse. Ce ne sont pas mes nichons qui

t’intéressent…cesontceuxd’Annabelle.(Ly’haussaunsourcil,enmedétaillantdelatêteauxpieds.)Etbien,souris,as-tuenviedesatisfairesademande?Jeblêmisenentendantsaquestion.Jesecouaifrénétiquementlatête,prisedepanique.Ly’allait-il

sejoindreàMax?Lesirisvertmenthelancèrentdeséclairs.L’oragesemblaitêtresurlepointd’éclater.Maiscontre

quiexactementserait-ildirigé?Max…oumoi?Eh,merde!C’étaitbienmaveine!Noir,noir,noir.—Jecroisqueçaveutdirenon,Max.Tun’espasd’accord?demanda-t-ilentournantlatêtevers

lui.Tuallaisquelquepart,Max?ajouta-t-il,quandilvitquecedernieravaitcommencéàsedirigerdiscrètementverslasortie.Maxdevintpâle,trèstrèspâle,etsuaitàgrossesgouttes.Jen’étaispaslaseuleàtremblerdevantle

terribleprédateurquisetenaitdevantnous.Rassurant.Enmêmetemps,quifaisaitlepoidsfaceàuntigreduBengale?Trèsjuste,A.—Non, non. Nulle part. Je n’allais nulle part, Ly’. Et évidemment, j’ai bien compris que cela

voulaitdire«non».—Hmmmhmmmm.Etquefaisons-nousàcesujet,alors?Maxécarquillalesyeux,sidéré.—Hein?Qu’est-cequ’onfait…?—Ehben,oui.Tuveuxvoirlesnichonsd’Annabelleoupas?LetonglacialdeLy’mefitpeur.(Encoreplusqued’habitude.)Ilreprésentaitundangerlétalque

Maxn’égalerait jamais. Il étaitLEprédateur par excellence.Et j’étais dans sa lignedemire…Eh,merde!Maisàquoi jouait-il,bonsang? Jecroyaisqu’il était lemeilleurpoted’Andy.Cela sous-entendait qu’il ne devait pasme faire demal, non ? C’était d’ailleurs ce qu’il avait dit lundi à lasupérette.Quejenerisquaisrienaveclui!Avait-ilmenti?Etpourquoinel’aurait-ilpasfait,A?Pasfaux…LesyeuxdeMaxsemirentàbrillerdeconvoitise.—Tuessérieux?Oututefousdemoi,là?Ly’croisalesbrassursontorsenu.Sijen’avaispaseuaussipeur,jemeseraispeut-êtreattardée

pouradmirercetteœuvred’artmiseànu.Maislà,jen’avaisvraiment,maisalorsvraimentpaslatêteàça.Unegrandepremière…Laferme!!!Lesnerfsàfleurdepeau,jen’étaisvraimentpasd’humeuràendurerlessarcasmesdemafoutue

voixintérieure.Maisalors,vraimentpas!—Est-cequej’ail’airdeplaisanter,Max?Jelesverraisbienmoiaussisesnichons…,ajouta-t-il,

enmedévorantdesyeuxàsontour.Je commençai à reculer, terrifiée, les mains levées ; protection bien dérisoire. Comme si cela

pouvaitsuffireàlerepousser.Onnesebattaitpascontreuntigreàmainsnues.Encoremoinsquandonétaitunesourisgrise…Endeuxpas,ilm’avaitrejointe.Ilm’attiracontreluietmeramenad’autoritéversMax,indifférent

àmespathétiquestentativesdedéfense.—Non,lâche-moi!Lâche-moi,Ly’,memis-jeàcrier.Jelançaidesregardsdésespérésautourdemoietvisque,sibeaucoupnousregardaient,personne

nesemblaitprêtàintervenir.J’allaismeretrouvertoplessaumilieudetouscesgensetjenepouvaisrienfairepourempêcherça.Ly’agrippalebasdemontee-shirtetlançaunregardinterrogateuràMax.Cedernierseléchaleslèvresethochalentementlatêteenfixantmesseins.Non,non,non!Pitié,non!Ly’plongeasesyeuxdanslesmiens.Vertcontrebleu.Etletempssemblas’arrêterunbrefinstant.

Jen’avaisplusconsciencequedumagnifiquevertmenthedesesprunelles.Jeconstataialorsqueletour extérieurde ses iris était plus foncé, d’unvert presquenoir (alorsque le reste était d’unvertincroyablementclair,pourainsidiretransparent),chosequejen’avaispasremarquéejusque-là.Ses

yeuxétaientvraimentsuperbes…envoûtants…ensorcelants…Cecerclevertfoncéaccentuaitencoreplus la pâleur de ses iris. Un spectacle splendide, vraiment, et qui me coupa momentanément lesouffle.J’en oubliai où j’étais et dans quelle posture je me trouvais. Il n’y avait plus que Ly’ et ses

incroyablesprunellesvertmenthe.Jen’avaisjamaisrienvud’aussibeau…Unelueurderagesemitàflamboyerdanscesdeuxlacsverts,lesassombrissantdangereusement.

Leretoursurlaterrefermefutpourlemoinsbrutal.Unedégringoladeplutôtdésagréable…Jevoulusfermerlesyeuxpournepasvoircequiallaitsuivre,maisjenefuspasassezrapide.Vivecommel’éclair,lamaindroitedeLy’seleva……etallas’écrasercontrelamâchoiredeMax.Lesyeuxécarquillés,jeviscedernierbasculerenarrière.—Tu pensais vraiment que j’allais dénuder la sœur deDrew ? grondaLy’ d’une voix rageuse.

(TigreduBengaledanstoutesasplendeur.)Ils’écartademoietregardaMaxavecundégoûtnondissimulé.— T’es vraiment un pauvre type, Max. Un pauvre type. Pour ta propre santé, je te conseille

vivementdeteteniréloignéd’Annabelle.Sinon,toietmoi,onauradeschosesàsedire.(Ilfitcraquerlesphalangesdesesdoigts.)Etladiscussionseraassezcourte.Ilagrippafermementmonbrasetm’entraînaàsasuite,verslaported’entrée.Unefoisdehors,il

melançaunregardpeuamène.—Tumériterais unebonne fessée, souris, pour avoir douté demoi. Je ne suis peut-être pas un

enfantdechœur,maisjet’aidéjàditquejeneteferaisjamaisdemal.TueslasœurdeDrew.Lasœurdemonmeilleurpote,bordeldemerde!Tucroisqueçanesignifierienpourmoi?Tumeprendspourqui,exactement?Lepiredessalauds?Incapabled’êtreloyal?Okaaaayyyy,d’accooooord.Ilestsérieux,là?Apparemmentoui,ilétaitsérieux.Etvuleregardqu’ilmelançait,ilétaitmêmetrèssérieux.—Jeneteconnaispas.Etonnepeutpasvraimentdirequetuestrèsamicalavecmoi,doncoui,

j’ai cru que tu allais vraiment le faire.Et je ne vois pas trop en quoi c’est vraiment surprenant…,marmonnai-jedansmabarbe,enfixantlapointedemesballerines.Pis,aprèslespectacleauquelj’aiassisté,ouais,jeteprendspourunsalaud.(Ouah!J’aivraimentditça??)Quantàtaloyautéettonamitié pour mon frère, je n’en sais rien de ce que ça représente pour toi. Je ne te connais pas.Commentjepourraissavoirquoiquecesoitteconcernant?Je…Ilmecoupasansménagement.—Tunemeconnaispas,maisçanet’empêchepasdemejuger,apparemment.Entebasantsurune

scènedonttunesaisrien.Tuasvu?Labelleaffaire!Commesivoirc’étaitsavoir.Letonvifetvindicatifdesavoixmefitfrissonner.—Jen’aipasditça,protestai-jefaiblement,voulantmettreuntermeàcettediscussionquimenaçait

des’envenimer.(Oupire.)C’estjustequejeneteconnaispasetquej’aieuuneréactioninstinctivederepli.J’aieupeur…,avouai-jepiteusement,toutencontinuantàadmirermesjoliesballerinesnoires.(Qu’ellesétaientbelles!)L’ironienetesiedguère,A…

Cemecétaitvraimenttrèsintimidant.Maiscen’étaitpaspourcelaquejerefusaisdeleregarder.Oh,non.(Enfin,pasuniquement…)Monproblèmedemeuraittoujourslemême.Aussiterrifiantfût-il, il était beaucoup trop…parfait. Sa plastique était la tentation faite homme.Et comme il n’avaittoujours pas remis son débardeur, le regarderme donnerait certainement des bouffées de chaleur.Surtout depuis que la terreur qui m’avait envahie avait déserté mon corps. Entre ses pectorauxsaillants,quisecontractaientàintervallerégulier,etsestablettesdechocolat,parfaitementdessinées,jenesavaisplusoùdonnerdelatête.Malangueétaitsurlepointdesedéroulerunefoisdeplus.Deuxc’estassez,troisc’esttrop!—T’eslasœurdeDrew,répéta-t-ild’untoncassant.Jetel’aidéjàdit,maisvuquetun’aspasl’air

d’avoircompris, jevais le redireencoreunefois.Tun’as rienàcraindredemoi.T’es lasœurdemonmeilleurpoteet,pourça,jenetetoucheraijamais.C’estlaseulechosequiimportevraiment.J’entendisunfroissementdevêtementetjepoussaiundiscretsoupirdesoulagement.D’unrapide

coupd’œil,jevisqu’ilavaiteffectivementremissondébardeur.Ouf,sauvéed’unenouvellehumiliation!—Ne bouge pas de là, je reviens, m’ordonna-t-il avant de retourner à l’intérieur. Et, dans ton

intérêt,vaudraitmieuxquejeteretrouveexactementlàoùtuesencemoment,précisa-t-ilavantdedisparaîtredemavue.Je levai lesyeuxaucieletprisuneprofonde inspiration.Cemecallaitmerendrechèvre. (Entre

autres…)Pourlaénièmefoisdelasoirée,jemedemandaicequiavaitbienpumepasserparlatêtelorsque

j’avaisacceptéd’accompagnerKimetMarj’àcettemauditefête.Ce fut commesipenser à elles suffit à les faire apparaîtredevantmoi. Je clignaidespaupières,

croyantrêver.Maisnon,ellesétaientbienlà,àmeregarderavecdegrandsyeuxinquiets.Génial…—Anna,çava?OnaentendudirequeMaxavoulutedéshabilleretqueLy’luiafiléuneraclée,

avantde te traînerdehors.C’estvrai?demandaKim,passablement troublée. (Encoreunefois,elleavaitdébitétoutcelad’uneseuletraite.)Incapabledeprononcerlemoindremot,jemecontentaidehocherpiteusementlatête.Jesavaisque

Max était leur ami et j’avais peur qu’elles prennent parti contremoi.Après tout, notre amitié étaittouterécente.EtLy’pasvraimentpopulaire.Dumoins,pasdanslebonsensduterme.Noir,noir,noir…—Oh,merde!Anna,jesuistellement,tellementdésolée!C’étaitmonidéedeveniràcettefêteet

voilà quepour notre première sortie entre filles, il t’arrive un truc horrible.Et enplus, onn’étaitmêmepaslàpourt’aider.J’aihonte.Situsavaiscommej’aihonte,s’exclamaMarj’enmeprenantdanssesbras.Oh,lavache!Sijem’attendaisàça…Jesentismesyeuxsemettreàpiqueretjemefisviolencepournepasfondreenlarmesdevanttant

degentillesse.Moiquiavaiscruqu’ellesmelaisseraienttomberetqu’ellesmetourneraientledos,jen’avaispasimaginéunesecondequ’elless’envoudraientpourcequim’étaitarrivé.—Cen’estrien,Marj’.Finalement,ças’estplutôtbienterminé,tentai-jedeminimiser.—Ouais, mais pas grâce à nous, souligna Kim en se joignant à notre étreinte. C’est nous qui

aurionsdûêtrelàpourtefileruncoupdemain.Jen’osepasimaginercequiseseraitproduitsiLy’

n’avaitpasétédanslecoin.Marj’araison.C’esthonteuxdet’avoirlaisséepartircommeça.Surtoutquetuneconnaispresquepersonne.Jeneseraispassurprisesiàl’avenirturefusaisderessortiravecnous.Euhm…Non,effectivement,çanefaisaitpaspartiedemesfutursprojets.Maisalors,vraimentpas.—Disons que je ne suis pas prête de remettre les pieds dans une soirée pareille, effectivement.

Maisça,çan’a rienàvoiravecvous.C’est justeque…ça (jepointai lebâtimentderrièrenousdupouce), ça n’est pasma came.Encore, si lamoitié des participants étaient habillés, on pourrait endiscuter,maislà…Non,cen’estpaspourmoi.Marj’etKiméchangèrentunregard.—Ilnousavaitbiensembléquetun’étaispasàl’aise.Onauraitdûentenircompte.Ons’étaitdit

que ça ne durerait pas, que c’était le choc de la nouveauté, tu vois.Mais bref, quoi qu’il en soit,rassure-toi, toutes les fêtes ne sont pas comme celle-ci. Dans certaines, tout le monde est habillé.Promis!Je pouffai devant cette marque d’humour. C’était ce dont j’avais besoin en ce moment.

Décompresser.—Ok.Alors si tout lemonde est vêtu, on pourra éventuellement en discuter.D’ici quatre, cinq

mois…Kims’étranglaavecsasalive.—Tudéconnes,là?J’eusunsouriremalicieux.—Peut-êtrequeoui,peut-êtrequenon.Tuverrasbien.Kimmetiralalangue,avantdebrusquementreprendresonsérieux.—Pourenreveniràcequis’estpassé(elleindiqualebâtimentdelafraternitéd’unmouvementde

latête),sachequejevaispersonnellementm’occuperdeMax.Ilnevapass’entirercommeça.J’allaisrépondrequandunevoixsèchemefitsursauter.—Annabelle,onyva!KimetMarj’melibérèrentetsereculèrentrapidement.JepivotaipourfairefaceàLy’.Àpeine tournée, jevisuneboulenoire arriverdroit surmoi, àviveallure. Jepoussaiuncri et

levaivivementlesmains,plusparréflexequ’autrechose,etattrapaidejustesselaboulenoire…Quis’avéranepasêtreunebouledutout:c’étaituncasque.JelevaiunregardincréduleversLy’.—Qu’est-ceque…Ileutungesteimpatientdelamain,avantdemefairesignedelesuivre.—Onyva,j’aidit,masouris.J’entendisclairementMarj’chuchoterlemot«masouris»dansmondos.Jefisvoltefacepourles

regarder,maisellesaffichèrentunemineinnocente.Tropinnocentepourêtrehonnête.—Euhm…Tudevraispeut-êtreyaller,Anna,proposaKim,ensuivantLy’desyeux.

—Ouais,tudevraisyaller,approuvaMarj’.Ons’appelledemain.Jefronçailessourcils,suspicieuse.Jefinisnéanmoinsparhocherlatête.—Ok.J’yvais.Àdemain…Bonnefindesoirée!JemedépêchaiderejoindreLy’,quim’attendaitunpeuplusloinsanscachersonmécontentement.—Ha!Quandmême!(Gnagnagna…Connard.)Jesaiscequetupenses,masouris.Maisrappelle-

toiquesansmoi,tuseraisdansunesituationpeuenviableencemoment…Mais comment pouvait-il savoir ce que je pensais ? … Ok, en fait, ce n’était pas vraiment

important.Aprèstout,mamèrem’avaittoujoursditquemonvisageétaitunlivreouvert.Monregardavaitcertainementparlépourmoi.Encore…Ce qui était vraiment important, dans ce que Ly’ venait de me dire, c’était que sans lui,

effectivement,jeseraisdansunesituationdifficile.Trèsdifficile.Surtoutavectonpassé,A.Inutile de me le rappeler. Ce n’était pas une chose que je risquais d’oublier un jour. Même si

oublierétaitmonpluscherdésir.(Douxeuphémisme.)—C’estvrai…J’aicomplètementoubliédeteremercierpourça…Ly’mecoupabrusquementlaparoleetnemelaissapasfinir.—Inutiledemeremercier.Situn’étaispaslasœurdeDrew,jen’auraispaslevélepetitdoigt.Charmant.Vraimentcharmant…Jeregardailecasquequejetenaisencoreentremesmainsetmedemandaipourquoij’avaisaccepté

derentreraveclui.Parcequetuastroppeurdeluipourrefuser,quetuviensdevivreunesituationparticulièrement

pénible,ettunetienspasforcémentàlarenouveler…Ça devait être pour ça, en effet. Mais pourquoi ma voix intérieure avait-elle toujours raison ?

Pourquoi?Maispourmieuxt’aider,monenfant…Fichuevoixintérieuredemesdeux!QuandjevislemoyendetransportdeLy’,j’enrestaicoite.Ouah…Putaindebordeldemerde!A,c’estvulgairedejurerpareillement!Obnubiléeparmadécouverte,jeneprispasgardeauxproposdemavoixintérieure.Elledevintun

vaguebruitdefond.UneDucatiDesmosediciRR.Ouah!Sij’avaisdéjàeul’occasiond’envoirquelques-unesenrouge

etblanc,c’étaitlapremièrefoisquej’envoyaisunenoire.Avecundragonpeintenblancsurl’ailedroite.Ouah.Ouah.Ouah!!!Jemetrouvaisnezànezavecmonrêve.Monultimefantasme.Ouah!Quelvocabulaire…—Fermelabouche,talanguecommenceàpendre…Çadevientgênant.

JeclignaidespaupièresetlançaiunregardhébétéàLy’.—Quoi?Un petit sourire étira lentement ses lèvres. Il leva unemain et fit mine d’essuyer le coin de sa

bouche.—Tubaves,justelà.Je rougis violemment et détournai les yeux, pour regarder la pointe de mes ballerines. Quel

changement!Cemecestunebombeambulante,etenplus,ilalamotodetesrêves.Queldommagequ’ilsoitce

qu’ilest!C’étaitclair,lemondeétaitinjuste.Visiblement,j’étaisdenouveaudansunepériodenoire.Fichu

karma.—Tu penses grimper un jour ?Ou tu veux rester là toute la nuit ?marmonna-t-il, après avoir

enfourchésabécane.Jememordillai la lèvre, gênéedem’être fait rappeler à l’ordre.Àcroireque je faisais toutde

traversdèsquecemecétaitdanslesparages.Navrant…—Euh,tunemetspasdecasque?— Difficile vu que je te l’ai prêté. (Soupir agacé.) Et bêtement, j’ai oublié d’en prendre un

deuxième.Sontonnarquoismehérissalepoil.—Tiens,reprends-le,jevaisrentreràpied,dis-jeenleluitendant.Ill’attrapaetmelevissasurlatêtedanslemêmemouvement.Jenepusrienfaire,celasedéroula

troprapidement.Ettoutçaenmaintenantsamotoenéquilibreentresescuisses.Qu’est-cequejenedonneraispaspourêtreàsaplace…A!JeparlaisdeLy’…Tupensaisàquoi?Nocomment.Perverse!—Nemefaispaschier,Annabelle,jenesuispasd’humeur.Maintenant,tumontesetjeteramène.

Ehoui, c’est toiquias lecasque.SiDrewapprendque je t’aipriseavecmoi sansm’assurerde tasécurité,jesuisunhommemort.Etbizarrement,j’aimeplutôtlavie.Alorsgrimpeetferme-la.Tumerendraisservice,pourunefois.Leslèvrespincées,jem’exécutaiensilence.Évidemment,cen’étaitpasl’enviedel’envoyerbouler

quimemanquait,maisplutôtlafatiguequicommençaitàsefairesentir.J’étaisvannéeetjenerêvaisplusqued’unechose:allermecoucher.Deplus,jesavaisquediscuteravecLy’serait lemoyenleplussûrpourretardercemoment.Enprime,jegagneraisunedisputedontjemepasseraisbien.Etpuis,uneviréeenDucati,çaneserefusaitpas.Dissurtoutquetucrèvesd’enviedefaireuntoursursabécane,accrochéeàlui!Rêve!

Mouais,l’importantc’estd’ycroire,commeondit.N’importequoi!Jefisdonccontremauvaisefortune,boncœur.Laisse-moirire…—Bien.Maintenantaccroche-toi,onyva.Jepassaimesbrasautourdesatailleetmecollaicontresondos.J’auraispeut-êtredûmaintenir

unedistanceentrenous,maisjenesouhaitaisvraimentpastomber.Biensûr,biensûr…çadoitêtreça…Ilposa l’unede sesmains sur lesmiennesetme tira encorepluscontre lui. J’étais littéralement

incrustéedanssondos.C’étaitgênant.Etexcitant.Enfinunpeudesincérité…C’estrafraîchissant!Jefermailesyeuxetlelaissaimeramenerchezmoi.Mêmesic’étaitunconnardsansnom,etqu’il

meterrorisaitlestroisquartsdutemps,êtrecolléeàluimefitdubien.Unbienfou,même…Tum’étonnes!Vucommenttulemangesdesyeux…ondiraitunegroupie.Querépondreàcela?Unepartdevérités’ycachait.Malheureusement…Honteàmoi!

Chapitre8

Le réveil du samedi matin avait été plutôt rude. Comme je l’avais escompté, ma mère m’avaitappeléeauxauroresendisantqu’ellen’aimaitpasmesavoirdesortielesoirdansunevilleinconnue.Ladiscussionavaitétélongue,etpasréellementconstructive.Carsimamèrem’avaitassuréequ’ellecomprenaitmondésird’indépendanceetqu’elle feraitdeseffortsavecsesappels téléphoniques, jesavais,moi,queçaneseraitpasaussisimplequecela.(Etj’avaiseuraison,carledimanche,ellemerappelaitdéjà…)Quandj’avaisenfinréussiàmedébarrasserdemamère,soitunebonnedemi-heureplustard,jene

rêvais plus que d’une chose : retourner sous la couette et dormir jusqu’à midi. Au minimum.Malheureusement,cerêveétaitjustementrestéàcequ’ilétait:unrêve.Je venais tout juste de me recoucher quand j’entendis tambouriner à ma porte. Je m’étais

péniblementtraînéejusqu’àcettedernière,prêteàdiremafaçondepenseràl’importun.Maisdevantlaminedébrailléedemonfrère,j’enétaisrestéecoite.Heureusementpourlui,iln’étaitpasvenulesmains vides :Chai Tea Latte et muffin aux noix de pecans du Starbucks. Face à ces merveilleuxprésents,monmécontentementn’avaitpasfaitlongfeu.Ilavaitmêmefonducommeneigeausoleil.C’enétaitsuiviuneautrelonguediscussion.Monfrèrem’avaitfaitlamoralecommeàuneenfant

decinqans:—Est-cequetuasseulementlamoindreidéedecequiauraitput’arriversiLy’n’avaitpasétélà?

Bordeldemerde,Anna!Rienqued’ypenser, j’endeviensfou!m’avait-ildit, leregarddébordantd’inquiétude.Jeluiavaisdoncpromisdefaireextrêmementattentionetdeneplussortirsansluidireoùj’allais.

Parailleurs,lui-mêmeavaitétéàcettesoirée,maisilétaitrepartienvirondixminutesavantquenousarrivions,mescopinesetmoi.S’ilavaitsuque jedevaisvenir, il serait resté.Paspourmefliquer,maispours’assurerqu’ilnem’arriveraitrien.Que répondre à cela ? Surtout avec un passif comme le nôtre. Évidemment, j’avais donné ma

parole.Maisjen’avaispaseubesoindesaleçondemoralepoursavoirquej’avaisfaituneconnerie.Jem’enétaisrenduecomptetouteseule,lorsquejem’étaistrouvéefaceauregardlubriquedeMax.Rienqued’ypenser,j’enfrissonnaisencore.Brrrr…Allégrementdeuxheuresplustard,Andyétaitenfinreparti.Là,j’avaisvraimentcruquejepourrais

m’allongerpépèresurmoncanapéetbouquinertranquillement.Nouvelleerreur.Àpeinemonlivreentamé,masonneriepardéfaut,NCISLosAngelesThemeSong, s’étaitmiseà

retentirdanslecalmedemonappart.(Seulemamèreavaitunechansonspécialementattribuée,afinque je sache immédiatement si j’avais affaire à elle, ounon.Préparationpsychologiqueobligeait.)C’étaitKimquivenaitauxnouvellesetquivoulaitêtresûrequej’étaisbienarrivéeàbonport.Elleenavaitprofitépours’excuserunenouvellefoisdem’avoirabandonnéelaveille.Aprèsdelonguesminutesd’explications,çaavaitétéautourdeMarj’detéléphoner.Etrebelote.Voilàcommentmonsamedi,quidevaitêtrepénard,s’étaittransforméenunevéritablecacophonie.

Heureusement,çac’étaitarrêtéaprèsl’appeldeMarj’.Ensuite,j’avaispuprofitercalmementdemon

week-end.Oudumoins,decequ’ilenrestait…Cours de littérature anglaise obligeant, j’avais commencé à lire Le Maire de Casterbridge de

Thomas Hardy. Notre professeur avait choisi de débuter l’année avec ce célèbre écrivain.Personnellement, j’aurais préféré qu’on étudiât Jane Austen ou carrément William Shakespeare.Parce queThomasHardy…Personnellement, je n’étais pas fan.Après avoir pris connaissance durésumé, je n’avais déjà pas très envie de lire ce livre ; au bout d’une trentaine de pages, j’avaiscarrémentdéclaréforfait.Tropnoirpourmoi.Beaucouptropnoir.Ironique,quandonypense,A,puisquetuvoislavieennoiretblanc…Gnagnagna…Bref, j’avaismis de côté cemaudit bouquin et je ne l’avais pas retouché duweek-end. Le noir,

c’était bon, j’avais donné ces derniers temps. Bien plus souvent qu’à mon tour, d’ailleurs…Maintenant, ce que je voulais moi, c’était du blanc. (Histoire de changer…) Un blanc éclatant depureté.Çaseraitjusteparfait.Maisvisiblement,çaneseraitpaspouraujourd’hui.Tuauraisdûlirelebouquin,A.Tuseraismoinslarguée,situl’avaislu…Encoreunefois,mavoixintérieureétaitdanslevrai.Sij’avaislucefichubouquin,jesauraispeut-

êtremieuxdequoileprofétaitentraindedébattre.Maiscommeçan’étaitpaslecas,j’étaispaumée.Complètementpaumée…Super ! Après seulement une petite semaine, j’en avais déjà ma claque de cette branche. Ça

promettaitpourlasuite…Pour tromperunpeumonennui, je sortis discrètementmon iPhonedemon sac, et jememis à

pianoterrapidementsurl’écrantactile.Moi:L.A.versionT.H.=mortagonisante.Lenteetsuffocante.Lecalvaire.Argl.Kim:Répétezlaquestion!Moi,pasavoircompris…Ok.Lesabréviations,cen’étaitpaslefortdeKimapparemment.Jenotail’infodansuncoin,pour

nepasrefairelamêmeerreur.Moi:LittératureanglaiseversionThomasHardy=mortagonisante.Marj’:E.M.C.W!!!J’écarquillailesyeux,laboucheentrouverte.Whatthefuck?Kim:C’estnet!Okaaaayyyy,d’accord.Moi:Traduction,S.V.P.!!!Kim:Jecroyaisquetut’yconnaissaisenabréviations?Petitemaligne.Moi:Naaaaaaan.Alors?Marj’:ElémentairemoncherWatson!Moi:Looooooool!Je levaimachinalement les yeux vers l’angle supérieur droit demon portable et je vis qu’il ne

restaitplusquedixminutesavantlafinducours.Aïe.Jenem’étaispasrenduecomptequelecourstouchaitdéjààsafin.Etjen’avaisriennoté.Absolumentrien…Oh,misère!Moi:Bon,j’yretourne,lecoursestquasimentterminéetj’aipriszéronote!()_()Kim:Voisleboncôtédeschoses,aumoinstuasévitéunemorteagonisante.:pEffectivement,vusouscetangle.Marj’:Mateducôtédetonvoisin.Pourlesnotes…Etpourleresteaussi…:xJelevailesyeuxauciel.Classique…Kim:Maiscequetuesfutée,Marj’!Jesuisimpressionnée.Marj’:Tupeux,tupeux.Enmêmetemps,jecomprendsquetunesoispashabituée…Toutle

mondenepeutpaspossédermonintelligence…\o/Kim:Salope!Marj’:Moiaussijet’aime!>o<Folles,cesfillesétaientcomplètementfolles.Jekiffaigrave!Moi:Bon,jevouslaisse!Àtout,Kim!Marj’:++Kim:Essayedenepaspiquerunsprintaprèstoncours,cettefois-ci…petithomard!:pÉvidemment,ellen’avaitpaspus’enempêcher.Cettefille,maiscettefille…Jesecouailatêteen

rangeantmonportabledansmonsac.J’allaisysonger.Maislasimpleidéed’êtreenretardmefilaitdessueursfroides.Cen’étaitdonc

pasgagné…BiendécidéeàmettreenpratiquelejudicieuxconseildeMarj’,jelançaiunregardencoinàmon

voisin,pourvoirlegenredenotesqu’ilavaitprises.Okay,d’accord.IlétaitentraindecaricaturerM.Lightmann.(Notreprof.)Mauvaisepioche.Jemepenchaipourmieuxvoir,oubliant totalement ladiscrétionqui étaitdemise.Ouah. Il était

plutôtdoué.—C’estressemblant,hein?chuchota-t-il,toutencontinuantsondessin.Jepouffaiaussidiscrètementquepossible.—Ouais,plutôt.Iltournalatêteversmoietmefitunclind’œilcomplice.Avantdebaisserlesyeuxsurmesnotes.—Jevoisquetuesaussipassionnéeparcecoursquemoi.—Tun’aspasidée!Ilmesouritavantdereveniràsacaricature.—Alors,qu’est-cequetufaislà,situn’aimespasspécialementlalittératureanglaise?demanda-t-

il,aprèsunmomentdesilence.Jehaussaiunsourcil.—Jepourraisteretournerlaquestion.—Effectivement,tupourrais,approuva-t-ilenacquiesçantlentement.Maisj’aiposélaquestionen

premier.Jegloussaiensecouantmesbouclesrouges.Rusé,lerenard.—J’adorelire.Quecesoitdesromansmodernesouplusanciens.DesCinquantenuancesdeGrey

àRoméoetJuliette.Donc,pardéduction,jemesuisditquej’adoreraisétudierlalittératureanglaise.Après tout, il y a énormémentdegrands romanciersqui sont anglophones.Seulement… je réaliseque…(Jememordillailalèvreendétournantleregard.)…enfait,j’aimepouvoirchoisirmoi-mêmemeslectures.ThomasHardy(jesoulevaimonlivreetlesecouaidevantmoi),c’esttropsombrepourmoi.Tuvasmedirequeçafaitclichéetnunuche,maisjepréfèrenettementJaneAusten.—Orgueiletpréjugés?hasarda-t-ilenmescrutantattentivement.Jerougissousl’intensitédesonregarddoréetmedandinaisurmonsiège,malàl’aise.—J’avoue.—Tuashonte?Sontonsecmefitsursauteretjeledévisageailonguement,surprise.—Non,pasdutout.Pourquoi?Ilhaussalesépaules.—Jenesaispas,tuestouterouge.Okaaaayyyy,d’accord!Lasubtilité,cen’estvisiblementpastonfort,àtoi,hein?Enmêmetemps,ilaraison,A.Tuesaussirougequ’unhomard.Génial.Deuxcontreun.Trèsfair-play.—Jerougis facilement,c’est tout,grommelai-jeentremesdentsserrées,avantde reportermon

attentionsurleprof.Autant écouter la fin du cours plutôt que de laisser ce mec se moquer de moi comme ça.

Sérieusement,maisquelcrétin!Est-cequeçasefaisaitdedireàunefillequ’elleétaittouterouge?Bien sûr que non ! Sauf si l’on voulait la mettre encore plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà.Vraiment,lesmecs…Niveaudélicatesseetsubtilité,ilsétaientàchier.—Hey,cen’étaitpasunecritique,justeuneconstatation.—C’estça,ouais.Etlamarmotte,ellemetlechocolat,danslepapierd’alu!C’estbienconnu.Abrutisanscervelle…Commelecoursétaitfini,jebondisdemachaiseetmeprécipitaiverslasortie,afindenepaslui

laisser l’occasiondeme répondre. Jeme faufilai habilement entremes camarades et fus l’unedespremièresàsortir.Je pivotai pour prendre le chemin de la faculté quand un sifflement aigume figea sur place. Je

tournailatête,plusparréflexequ’autrechose,enplaignantlapauvrefillequisefaisaitsifflerdelasorte.Oh…merde!Jefermailesyeux,refusantcatégoriquementdecroirequecequejevenaisdevoirétaitbienréel.

C’étaitimpossible…toutbonnementimpossible.J’allaiscompterjusqu’àtrois,etalors,jemeréveillerais.Ainsilecauchemarseraitterminé.Fini.

Del’histoireancienne.

Un…Deux…Trois.Je rouvris lesyeuxetnepus retenirunegrimacededépit.Nonseulement iln’avaitpasdisparu,

maisenplusils’étaitrapproché.Ilétaitàdeuxpasdemoi.Àdeuxpas!Oh,misère…— Tu pensais me faire disparaître en fermant les yeux, Annabelle ? me demanda-t-il d’un ton

moqueur.Grillée.—Euhm…Ouais,untrucdanslegenre,avouai-jepiteusement.Euh,Dieu?Çaseraitcoolsilesolpouvaits’ouvrirsousmespieds,là,maintenant…J’apprécierais

énormément,vraiment.Etensignedereconnaissance,jeteprometsquejeviendraisàlamessetouslesdimanches.Promis.Si ce genre de supplications pouvait marcher, cela se saurait. Mais bon… ça ne coûtait rien

d’essayer.—Tuescertained’avoirdix-neufans,masouris?Parceque,quand je te regarde, là,et surtout

quandjet’écouteparler,j’ail’impressionquetuenastoutjustecinq…LetonnarquoisdeLy’,autantquesesparoles,mefitgrincerdesdents.Maisqu’est-cequej’avais

faitauBonDieupourmériterça?Plusjetentaisd’évitercediabledemec,plusjelevoyais.C’étaitàn’yriencomprendre.—Annabelle!Annabelle,attends!Jesuisvraimentdésolépourtoutàl’heure.Jenevoulaispaste

mettremalàl’aise,jet’assure.Etzut!Ilmanquaitplusquelui…Décidément,monkarmanes’arrangeaitpas.Jediraismêmeque

c’étaitplutôtlecontrairequiétaitentraindeseproduire.Çaallaitdemalenpis.Attendsuneseconde,A.Ilt’aappeléepartonprénom?Commentilleconnaît?C’estvraiça,commentilpeutsavoircommentjem’appelle?Lessourcilsfroncés,jefixaileblondinetquivenaitdenousrejoindre.—Jenemerappellepast’avoirdonnémonnom…Comment…?Ileutungestedésinvoltedelamain.—ToutlemondeconnaîtDrew.Ettoutlemondesaitquesapetitesœur,Annabelle,estunefilleaux

cheveuxrouges.Etqu’elleestdetaille…Euhm…plutôtpetite,sansvouloirtevexer.Okay,d’accord.Ilvenaittoutjustedemetraiterdenaine.Pourtant,jen’étaispassipetitequeça.Je

faisaisquandmêmeunbonmètresoixante!…Bon,d’accord.J’étaispetite.—Okaaaayyyy.C’est bizarre, je croyais qu’on disait demoi que j’étais une schtroumpfette aux

cheveuxrouges.Çaachangé?soulignai-je,enmetapotantlalèvredel’index.Alorsquejefaisaisminederéfléchir,cefutluiquirougitlégèrement.—Euhm…Ouais…J’aientenduçaaussi…maisaprèslabourdequej’aifaiteavant,jevoulaisun

peucalmerlejeu.Çaamarché?

Devantsaminecontriteetsesyeuxdorésremplisd’espoir,jedusm’avouervaincue.Ilavaitl’airsincère.Avoir un copain pour le cours de littérature anglaise pourrait être sympa.Celam’aideraitcertainementàsupporterHardy…—Ouais,onvadireça.Maissitumecherchesunenouvellefois,turisquesdemetrouver,dis-je

pourplaisanter.Alors que nous riions ensemble, Ly’, dont j’avais complètement oublié la présence, me saisit

brusquementparlebras.—Désoléd’interromprecedélicieuxmoment,maisondoityaller,décréta-t-ild’unevoixfroide,

avantdemetireràsasuite.Je trébuchai etme remis surpiedsde justesse.Quelledélicatesse, vraiment…J’adressai unpetit

signedelamainaublondinet,avantdetrottinerderrièreLy’.—Bon sang !Mais qu’est-ce qui cloche avec toi ? Pourquoi tume traînes comme ça ? Et pis,

d’abord,tum’emmènesoù?Jenemerappellepasqu’onavaitrendez-vous,toietmoi…Ly’me répondit sans se retourner ni s’arrêter. Tout en marchant d’un bon pas en direction du

parking,quijouxtaitlebâtiment,illâchasesréponses,coupsurcoup,d’unevoixsèche.—Rienneclochechezmoi,jeterassure.Navrédenepaspouvoirendireautantpourtoi.Jenete

traînepasderrièremoi,jetetienslebras,nuance.Jet’emmèneauparking,et,quandonypense,c’estassez logique.Toi etmoi n’avons pas rendez-vous. Si ça avait été le cas, crois-moi, tu t’en seraissouvenue.Maisilnefautpasprendretesdésirspourdesréalités,masouris.Ce mec était vraiment le plus gros connard que la terre ait jamais connu. Et il avait un égo

surdimensionné!Dis-moi,A,depuisquandLy’a-t-ilarrêtéd’êtreironiqueetmoqueur?Hein ?Hein ?Mais de quoi elle parlait là, au juste ? Ly’ était toujours narquois et sarcastique.

Toujours.Nan,tun’aspascomprismaquestion,A.Okay,d’accord.Simavoixintérieures’ymettaitaussi,çapromettaitdedevenirchaud.Trèschaud.Aurais-tul’extrêmeobligeancededévelopper?Moipasavoircomprisquestion.Je l’entendis distinctement pousser un soupir de désespoir. Bienvenue au club ! Je serais la

présidente,ettoilasecrétaire,d’accord?Super!DepuisquandLy’t’appelle-t-il«masouris»etnonplussimplement«souris»?Sansmoquerieni

ironiequiplusest?Arrêtsurimage.Onrembobineetonrecommence.Quoi?Quoi?Soitplusattentive,A,s’teplaît!Çadevientlassant.Écouteattentivementlaprochainefois,etonen

reparle,jecroisquec’estplussimple.Ok.Onallaitfaireça.Excellenteidée.Ilyeutunblanc,carjenemerappelaispasdutoutoùj’enétaisdansmadiscussionavecLy’.Ma

voixintérieurem’avaitcomplètementperturbée.Enfin,sil’onpouvaitdirequeLy’etmoiavionsune«discussion».Cedont,personnellement,jedoutaisfort.

Heureusement,notreéchangemerevint.Ouf,sauvée.Maisdejustessecettefois-ci.J’étaispasséeàuncheveudel’asilepsychiatrique.Lahonte.—Okaaaayyyy.Danscecas,pourrais-tuavoir l’extrêmeamabilitédem’expliquerceque tu fais

là?Parcequej’aibeauchercher,jenevoispas.Maisc’estpeut-êtreparcequejesuisunegamineàlamentalitédecinqans!—Siçanetenaitqu’àmoi,jeseraisàdeslieuxàlaronde,crois-moi.Cen’étaitpasvraimentuneréponse,ça.Ilsefoutaitdemoi,enplus.Jememisà freinerdesquatre ferspour le forceràs’arrêter.Autantessayerde fairebougerun

tracteurenletirantàmainsnues!—Alors,pourquoitueslà?Ils’arrêtanet.Commejenelevispastoutdesuite,jelepercutaidepleinfouet.—Onm’a dit que tu avais eu des difficultés avec le trajet du retour, lundi passé. Je crois me

rappeler lemot « homard », ou quelque chose de ce goût-là.Certains ontmême cru que tu allaistomberraidemorte.(J’étaismortifiée.Commentpouvait-ilêtreaucourantdeça?)CommeDrewacours,encemoment,alorsquemoij’aiuncréneau,jemesuisdévoué.Çaseraitvraimenttropmochequetuclamsespouruneconneriepareille,conclut-ilensecouantlatête.Alorsqu’ilrecommençaitàavancer,jetiraisurmonbraspourmelibérer.—Jenet’airiendemandé.Ethonnêtement,jepréfèreprendrelerisquederefaireletrajetàpied.

Mêmesic’estpourclamser,commetudis.Ly’m’attiravivementcontrelui.—Tu es sûre ? demanda-t-il d’une voix rauque, quime fila des bouffées de chaleur. (Il eut un

sourirenarquoisquiendisaitlong.Cesalaudsavaitparfaitementl’effetqu’ilmefaisait,ainsicollécontremoncorps.)C’estquejenesuispasvenuseul,masouris.Tuvois?Qu’est-cequejetedisais?«masouris»etplus«souris».Nisarcasme,nimoquerie,ni

riend’autres.Juste«masouris».Ils’écartalentementpourmelaisservoircequisecachaitdanssondos.Mavoixintérieuredevint

unfaiblemurmureenarrière-fond,alorsqu’unmauvaispressentimentm’envahissait.Noooooon,iln’auraitpasosé.Iln’auraitpas…Ehsi.Ill’avaitfait.Ah,lesalopard!L’immonde

salopard…Là,sagementgaréesurleparking,setenaitsamagnifiqueDucatiDesmosediciRR.Lesrayonsdu

soleil se reflétaient sur la carrosserie, la faisant étinceler de mille feux. Je l’avais déjà trouvéesuperbedenuit,maislà,j’enrestaisansvoix.Unepuremerveille.—Tunejouespasfair-play,Ly’,soufflai-jeàmi-voix.Sontonsecmefittressaillir.—C’estnormal,jenejouepas,Annabelle.Allez,grimpe.Blême,etrefusantdecéderaprès lamanièredont ilm’avait traînéederrière lui, jecommençaià

reculer.—Non,Ly’.Jeneviendraipasavectoi.Ilhaussaunsourcil,moqueur.

—Vraiment?D’unmouvementleste,quejen’avaispasvuvenir,ilm’agrippalepoignet.Ilm’attiraversluiet

mecoinçacontrelamoto.Sijetentaisdemedébattre,elletomberait.Inenvisageable.Etcesalaudlesait!—Allons,masouris,netefaispasprier.Jesaisquetumeursd’enviedelachevaucher…encore.

(Unenouvelleboufféedechaleurm’envahitetjesentismesjoueschauffer.)Tuasadorél’avoirentretes cuisses l’autre soir. (Il se pencha jusqu’à ce que son souffle frôlât mon cou. Un frisson meparcourut, et il le sentit. Cela le fit sourire.) Tout comme tu as adoré te retrouver collée à moi,susurra-t-il,toutcontremonoreille.Jesaisparfaitementl’effetquenoustefaisons,elleetmoi.Alors,pourquoirésister,masouris?Jesaisquetuenmeursd’envie.Non,c’étaitfaux.Jen’avaispaslamoindreenviedemeretrouversursaDucati,colléecontreson

dos.C’étaitdesbêtisestoutça.Cemecm’horripilait.Jeledétestais.Ilétaitodieuxetinsultantàtoutboutdechamp.Jenerecherchaisenriensacompagnie.Ducatioupas.Vraiment, A ? Alors pourquoi ton cœur s’affole rien qu’en sentant son souffle contre ta peau ?

Pourquoitutremblesentresesbras?Pourquoitucommencesàserrerlescuisses?Moijecroisqu’aucontrairetuadoresêtreaveclui.Toutconnardqu’ilsoit.Mensonges!Toutça,c’étaitdesmensonges.Jenecéderaispas.Jen’iraispasaveclui.Dèsqu’ilse

reculerait,jepartirais.Sansunregardenarrière.Jedevraiscertainementcourirtoutdulongpournepas arriver en retard, mais ça, c’était un détail. Un foutu détail. Le plus important, c’était dem’éloignerdelui.Etvite.Ly’tenditunbrasetattrapal’undescasquesquisebalançaientsurleguidondelaDucati.Leblanc.

Ilmelemitsansdireunmot.Puisilsesaisitdel’autre,lenoir,pourlui.—C’estl’heure.(Ilenjambahabilementsabécane,avantdetournerlatêteversmoi.)Tuesprête?Non.Nemontepas.Anna,nemontepas.Recule.Recule.J’avaisbeaumerépétersesparolesenboucle,çanefitaucunedifférence.JegrippaiderrièreLy’.Pathétique.Affligeant.Irrécupérable.—Accroche-toibien,masouris.C’estparti.IlfitrugirlemoteuretlaDucatibonditenavant.Jem’agrippaifermementàsatailleetmeserraicontreluilepluspossible.Endépitdetoutbonsens, j’étaismontéesurlamoto.Aveclui.Aprèslamanièrehorribledontil

m’avait traitée, j’étais quand même montée avec lui. J’aurais dû être plus forte. J’aurais dû dire«non».Enacceptant,jel’encourageaisàcontinueràmetraiterdelasorte.C’étaitinacceptable.Lefait qu’il soit le meilleur pote d’Andy, et paradoxalement l’un des mecs les plus dangereux ducampus, ne lui donnait pas le droit demeparler comme ça.Ni deme traîner à sa suite comme ill’avaitfait.J’avaisdroitaurespect.Toutlemondeavaitdroitaurespect.Jepoussaiundiscretsoupir.Toutça,c’étaitbienjoli.Maiscen’étaitquedebellesparoles.Jeme

connaissaissuffisammentpoursavoirquejen’oseraisjamaisaffronterLy’defront.Dansmatête,çaoui, je lui mettais un K.O. debout, et sans effort. Mais concrètement, je demeurais ce que j’étaisvraiment. Une petite souris grise affreusement timide. Face à un tigre du Bengale horriblementintimidant.Unesouriscontreuntigre,lesjeuxétaientfaitsd’avance.Etilsn’étaientpasdutoutenmafaveur.

Mon seul espoir résidait dans le fait queLy’ finît par se lasser. Je ne comprenais d’ailleurs paspourquoiilinsistaitdelasorte.Ilnem’aimaitpasetn’enfaisaitpasmystère.Alorspourquoiveillait-ilainsisurmoi?Ly’,maisquies-tuvraiment?Unbad-boyouunangegardien?

Chapitre9

—Alors?Jeclignaidesyeuxet levaiunregardperduversMarj’,quivenaitdemerejoindreànotre table

habituelle,àlacafétéria.—Alors,quoi?demandai-jeunpeubêtement.Marj’haussaunsourciletmelançaunregarddubitatif.—T’essérieuse,là?(Commejehochailatête,ellepoussaunlongsoupir.)J’hallucine!Ellene

voitpasdequoijeparle…C’estlemondeàl’envers!ElleattrapasacanettedeDietCokeetl’ouvrit.Ellemelançaunregarddebiaisavantd’enprendre

unegorgée.— Je n’ai jamais compris pourquoi les gens prenaient duDiet Coke à la place d’un bon vieux

Coke,toutsimplement.Tupensessincèrementquec’estplussainpourlasantédeprendreunDiet?Marj’ouvritlaboucheavantdelarefermer.— Je rêve.Cette fille est aussi folle queKim.Mais qu’est-ce que j’ai fait pourmériter ça,Bon

Dieu?selamenta-t-elle,enfermantlesyeux.Jegloussai,amuséeparsontondramatique.—Ben,quoi?C’estvrai,non?LeDietc’estpluspsychologiquequ’autrechose…—Biensûrquenon ! s’écria-t-elle, scandalisée.LeDietCokeaun tauxde sucrebeaucoupplus

faiblequeleCoke.C’estprouvé.—Ohhhoooohhhhh,alorssic’estprouvé…c’estqueçadoitêtrevrai,acquiesçai-jeenfronçantles

sourcils.Marj’plissalesyeuxetmejetaunregardméfiant.—Tutefousdemoi?Jememordislalèvrepournepaséclaterderire.—Maisnon,pasdutout.Sic’estprouvé,c’estforcémentvrai.Si,si,jet’assure.Tuasraison.Je commençais à avoir des crampes à force deme retenir de rire. Lesmuscles demon visage

étaienttellementcontractésqu’ilsdevenaientprogressivementdouloureux.Quandmesyeuxsemirentàpiquer,jedéclaraiforfait.—Connasse,maugréa-t-ellequandj’éclataiderire.Coupable.Qu’est-ce que c’était agréable de pouvoir plaisanter avec une copine ! Cela faisait tellement

longtempsqueçanem’étaitplusarrivé,quej’enavaisoubliéleplaisirquecelapouvaitprocurer.Cettenonchalance,cetteinsouciance,c’étaitrafraîchissant.Çarevenaitàtrouveruneoasisenplein

désert.Unvéritablemiracle.Ondiraitbienquetucommencesàteréconcilieravectonkarma,A.Ouais,c’esteffectivementcequ’ondirait.Pourvuqueçadure.

—Bon,maintenantquetuasfinidetefoutredemagueule,onpeutpeut-êtrerevenirsurlesujetdedépart?Je levai les mains en signe d’apaisement. Un sourire malicieux flottait encore sur mes lèvres,

vestigedufourirequejevenaisd’avoir.—Okay,d’accord.Revenons sur le sujet dedépart.Simes souvenirs sont exacts, tu étais sur le

pointdem’expliquer la significationdece«Alors»que tum’as lancéenarrivant.Et tu semblaischoquéequejen’aiepascomprisd’entréedequoiilretournait.Marj’secoualatêteavantdeprendreunebouchéedepetitspois.—Jevoisquet’esenformetoi,aujourd’hui…—J’avoue.Que pouvais-je faire d’autre ? Je me sentais effectivement en pleine forme. Et j’en savourais

chaqueinstant.Journéeblanche,journéeblanche,journéeblanche.—Visiblement,fairedesviréesenmotoavecLy’teréussit…,dit-elleenmescrutantattentivement,

avantdepoursuivred’unevoixmielleuse.Masouris…Jepiquaiunfard,horrifiéequ’elleenaitentenduparler.—Q-q-quoi?hoquetai-je,avantdeplongerlenezdansmonassiette.Merde,merde,merde…Journéeblanche,tudisais?Passûr,vraimentpassûr…Comment allais-je pouvoir me sortir de là, sans dommages collatéraux ? Moi qui pensais,

naïvement, que ma virée de la veille était passée inaperçue et que celle de vendredi soir étaitoubliée…C’enétaitpourmapomme!Jemeseraiscolléedesbaffes.Idiote,idiote,idiote!—Ne te fais pas plus niaise que tu ne l’es, Anna. Tu sais très bien ce que je veux dire. Alors

maintenant,c’estl’heuredepasseràtable.Jeveuxtoutsavoir.Etdanslesmoindresdétails.Raconte!JecherchaisdésespérémentuneissuedesecoursquandKimarriva.Sauvée!—Désoléepourleretard,lesfilles.Leprofétaitenpleindanssondélireetilnevoulaitpasnous

lâcher.Petersonestvraimentungrosboulet. (Elles’installaàcôtédeMarj’etpritunecuilleréedepuréedanslafouléeavantdereleverlesyeuxversnous.)Sinon,qu’est-cequej’airaté?Jelafixai,lesyeuxécarquillés,bouchebée.—Depuisquandtuportesdeslunettes,Kim?C’était la première fois que je la voyais en porter. De formes rectangulaires, les verres étaient

surmontésdejoliesbranchesorange.Flashyaupossible.CentpourcentKim.Etçaluiallaitbien.Çaluidonnaitunpetitcôté«intellodélurée»absolumentsexy.—Nem’enparlespas,s’teplaît,c’estunsujettabou.—Maispourquoi?Jetrouvequeçatevabien.Kimpoussaunsoupiretenlevaseslunettespourlesposeràcôtédesonplateau.

—Jedétestedevoirportercestrucs.Ellessonttoutletempsentraindeglisseretellesdiminuentvachement mon champ de vision. Si je pouvais m’en débarrasser et les jeter à la poubelle, je leferais!—Siellesglissent,c’estqu’ellessontmalréglées,toutsimplement.Tudevraisretourneroùtules

asachetéesetdemanderqu’ilstelesrèglent.—Mercipourleconseil,ProfesseurCampbell.Jeluiadressaiunpetitsourireencoin.—Jet’enprie.C’estavecplaisir.Etc’estgratuit!ajoutai-jeenluifaisantunclind’œil.—Maisçaneserapasutile,vuque jepourraialler récupérermesnouvelles lentillesdecontact

jeudi.Etavecunpeudechance,ilsepasseradesannéesavantquejenesoisforcéederemettreceshorreurs.Jebranlailatêteenpouffant.—C’estdommage,moijetrouvequeçatevabien.Kimmetiralalangueetseremitàmanger.Enlavoyant,commeça,onauraitpufacilementcroire

queçafaisaitdesjoursetdesjoursqu’ellenes’étaitpassustentée.Cettefilleavaitl’appétitd’unogre.(Encorepirequemonfrère!C’étaitdire…)Etlephysiqued’unesirène.Dequoirendrefollestouteslesfilles.Marj’semitàtapoterlatableduboutdesesdoigtsenmelançantunregardirrité.Aïe!C’estmauvaispourtesfesses,A.Maisnon,maisnon.Aujourd’huiestunejournéeblanche.Blanche.B-L-A-N-C-H-E.Situledis…L’importantc’estd’ycroire,n’est-cepas?Gnagnagna.Fichuevoixintérieure.—Nepensespast’entirercommeça,Anna.(EllesetournaversKim.)Elleétaitsurlepointdeme

direcommentsepassaientsesviréesenmoto.—Génial!Jem’enseraisvouluderaterça!Vas-y,Anna,racontes-noustout.Oh,bonsang!Deux contre une maintenant. Je commençais à me demander si mon karma ne m’avait pas

complètement abandonné finalement. Peut-être était-il parti se dorer la pilule au soleil ? Ça nem’étonneraitmêmepas!Mais non,mais non. Positive attitude. Après tout, cette journée était sous le signe du blanc.Du

blanc.Jerépète:allo!?allo!?Cettejournéeestsouslesignedublanc.N’ayantguèrelechoix,jememisàtable.—Ly’estsimplementvenumechercheraprèslecoursdelittératureanglaise.Ilaentendudireque

je n’avais pas très bien supporté le trajet à pied la semaine dernière, et il ne voulait pas qu’Andys’inquiètepourmoiàcesujet.C’esttout.Riendeplus.Iln’yapasdequoifouetterunchat.Mêmeàmespropresoreilles,mesexplicationssonnaientfauxetparaissaientbancales.—Ouais,ouais,c’estça.

—Onvatecroire,renchéritKimenmejetantunregardmoqueur.Masouris…Jemecrispaietlevailesmainsauciel.—Ah,non!Vousn’allezpasvousymettrevousaussi!(Mesdeuxcopinessursautèrent,surprises

parmavéhémence.)«Souris»estlepetitnomaffectueuxquem’adonnémonfrère.EtsiLy’l’utilise,c’estseulementpoursemoquerdemoi.Jevousassurequedanssabouche,çan’ariend’affectueux,bien au contraire. Et j’ai eu lemalheur de le reprendre la première fois qu’il l’a dit, et depuis, ill’utiliseàtoutboutdechamp,simplementpourm’agacer.Alors,soyezsympas,nevousymettezpasvousaussi.J’aidéjàbienassezàfaireaveclui.(Évidemment,jepassaissoussilencelefaitqueLy’,depuis peu, avait ajouté une forme de possession dontmon frère n’avait jamais fait usage. Inutiled’ajouterdel’huilesurlefeu.)Lefrontplissé,Marj’semblaitperplexe.—Jesuisdésolée,Anna.J’avaisl’impressionqu’ilt’aimaitbien.Genre,vraimentbien.(Elletritura

sacanette,signedenervositéchezelle.)Tueslapremièrepersonnequ’ilprendenmoto.Mêmetonfrère,jenel’aijamaisvudessus.Ducoup,ben,j’aicruqu’ilsepassaituntrucentrevous.Je sentis ma mâchoire se décrocher et tomber dans un bruit sourd. Je levai un doigt pour

l’interrompre.—Attends!Fautquejerécupèremamâchoire,ellevientdetomber.(Jefaisminedemebaisseret

delaramasser.)Voilà.(Jelafaisbougercommesijevenaisdelaremettreenplace.)Donc,tupensaisqu’ilsepassaituntrucentreLy’etmoi?Oh.Mon.Dieu!Nonmaisçanevapaslatête!?Tumevoismemettreàgenouxdevant luipour le supplierdedaignerm’accorderunesecondeoudeux?Oh.Mon.Dieu!Kimgloussa.—Non,jenetevoispasdutouttemettreàgenouxpourlesupplier.Mais…(ellehaussalesépaules

etmelançaunregarddésolé)jusqu’àcequetudébarques,jenelevoyaispasnonplusallerchercherunefilleenmotoàlasortiedescours.Nioùquecesoitd’autres,celadit.Ly’n’estpaslegenredemec à faire ce genre de choses… Encore moins pour une personne qu’il n’apprécie même pas,comme tudis. (Son scepticisme transparaissait aussi biendans ses paroles quedans sesmimiques.Génial!)J’aidelapeineàcroirequ’ilnesepasseabsolumentrienentrevous…Entoutcasdesoncôté…Çaluiressembletroppasdefairetoutça…Ilyaanguillesousroche.Jefermailesyeuxetmepinçail’arêtedunez.Anguillesousroche…cequ’ilfallaitpasentendre!—Ilfaitçaparcequejesuislapetitesœurd’Andy.Etuniquementparcequejesuissapetitesœur.

Ilme l’adit textoplusieurs fois.Lapremière, c’étaitvendredi, justeavantqu’ilme ramène. Ilm’abienpréciséquesijen’avaispasétélasœurd’Andy,ilneseraitpasintervenuetqu’ilm’auraitlaissémedémerdertouteseule.AvecMax,jeveuxdire.—Sérieux?Marj’ avait l’air complètement soufflée.EtKimnevalaitguèremieux ; sa fourchette figéeàun

cheveudesabouche,ellesemblaitstatufiée.Mesdeuxcopinesétaientenétatdechoc.(Lachuteétaitrude…Ouais,jesais…c’estmochelavie.)—Ouais,sérieux.Etlasecondefois,c’étaithier,quandilestvenumechercheraprèslecoursde

littérature.IlfaittoutçaparamitiépourAndy.Riendeplus.Etpuis,s’illefaisaitpourautrechose,honnêtement, ça ne changerait rien demon côté. Cemec est aussi froid qu’une banquise et aussiterrifiant qu’un tigre du Bengale. Okay, physiquement, il n’y a rien à redire. (Faudrait avoir un

sérieuxproblèmepourprétendrelecontraire.)Maislephysiquenefaitpastout.S’ilétaitdifférent,jepourrais,etjesoulignebienlemot«pourrais»,êtretentée.Maisétantdonnécequ’ilest…trèspeupourmoi.Jelelaissevolontiersauxautres.J’eusunegrimacededégoût.De plus, un coup « vite en vitesse dans les toilettes » sincèrement, fallait être désespérée pour

accepter.Jelaissaimaplacedeboncœur.Etplutôtdeuxfoisqu’une.T’essûre,A?Parcequecen’estpasl’impressionquej’aieue,hier,quandtutecollaisàsondos.N’importequoi!C’étaitjustepouréviterdetomber…Situledis…Kimhochalatête,lesyeuxdanslevague,avantdeseremettreàmanger.Maiscommentfaisait-ellepourmangerautantetnepasprendreungramme?C’étaitincroyable.Et

rageant.—C’est du Ly’ tout craché ça, dit-elle finalement, remise du choc que je lui avais infligé bien

malgrémoi.Pourtant,jesuissurprisequ’ilsoitcommeçaavectoiaussi.Aprèstout,tueslasœurdeDrew.Tudevraislogiquementpasserentrelesgouttes.Siseulement.—Tuenasparléàtonfrère,Anna?JemetournaiversMarj’ensecouantlatête.—Pour lui dire quoi ?Que sonmeilleur pote n’est pas gentil avecmoi ?Alors qu’ilm’a tiré

d’embarrasvendredisoir,etquetoutlemondelesait.Pourensuitevenir,trèsgentiment,mechercherà lasortiedescours?Mêmevous,vouspensiezqu’ilsepassaitun truc.PourquoiDrewcroirait-ilautrechose?—Parcequetuleluidirais.J’eusunsouriretriste.—Non.J’aipassél’âged’allerpleurerdanslesjupesdemamère.Jerefusededressermonfrère

contre sonmeilleur pote.Ly’ est un abruti profond à l’ego surdimensionné, c’est commeça,maisAndyl’adore.Jenepeuxpasluifaireça.Pas après tout ce qu’il avait fait, tout ce qu’il avait sacrifié pour moi. Je lui devais bien ça.

SupporterLy’étaitunmoindremal.Dumoinspour lemoment. Jene l’avaispas revudepuisqu’ilm’avaitdéposé laveille,enmedisantdegarder lecasqueblancetde leprendre tous les lundis.Jesavaisquej’auraisdûprotester,m’insurger.Maisjen’enavaisrienfait.Unesouriscontreuntigre.L’issueducombatétaitflagrante.—C’est toi quivois.Mais si les choses s’enveniment, je te conseilled’en toucherunmot à ton

frère.Sansforcémententrerdanslesdétails.JustedemanderqueLy’telâche.— Je suis d’accord avec Marj’. Si ça empire, parles-en à ton frère. (J’acquiesçai en souriant

doucement.Quec’étaitbond’avoirdescopines!)Etsinon,enparlantdetamère.Çavamieux?Elleacompriscequetuluiasréexpliquédimancheoupastrop?Magrimaceparlapourmoi.—Pas trop vu qu’ellem’a déjà rappelée hier.Mais cette fois-ci, je n’ai pas décroché. Je lui ai

envoyéunmessagepour lui direque j’étais enpleindansunedissertation et que je n’avaispas le

tempsdeparler.J’aibienrepréciséquejel’appellerai,moi,dimanche.Maisjesuissûrequ’ellevameretéléphonercesoir.—Tamère ade lapeine à couper le cordon,ondirait.Fautvraimentque tu restes ferme.Si tu

cèdes maintenant, tu vas tout devoir rependre depuis le début. Ok, les résultats pourraient laisserpenserquetun’aspasbeaucoupavancé,maissitureculesmaintenant,jet’assurequeçanevapasterendreservice.Cesoir,quandtamèret’appellera,tunerépondspas.Etcettefois-ci,tuneluienvoiesmêmepasdemessage.Riendutout.Si je faisais ça,mamère allait être enpanique totale.Et elle risquait dedébarquer ici.Ça serait

vraimentlahonte.—Tuessûre?—Certaine,affirmaKim.Tamèredoitcomprendrequetun’esplusunbébé.Tuasdix-neufans.Tu

esassezgrandepourteprendreenchargetouteseule.Surtoutmaintenantquetuesàlafac.(Kimjetaun coup d’œil à sa montre.) Tu ne prends aucun appel de ta mère. Et dimanche, quand toi tu luitéléphoneras,jouel’innocente.Étonnes-toisielletereprochedenepasavoirprissesappels.Jouelà:gentille,naïve.Tuvoislegenre?Jepouffaienprenantmonplateau.—Ouais,jevoislegenre,commetudis.—Parfait.Bon,lesfilles, j’ai justeletempsd’allerenfumerune,annonçaKim,enattrapantson

sacetsonplateau.—Jeviensavectoi,enchaînaMarj’enlasuivant,sesclopesdéjàenmain.J’allaisleuremboîterlepasquandjevisquemonfrèremefaisaitsignedepuissatable.—Jevousrejoins,Andym’appelle.Jeposaimonplateausurlepremiercharriotvenu.Jefisminedechercherquelquechosedansmon

sactoutenm’approchantdelui,etprofitaideladiversionpourlancerunregardparendessousàsatablée.Ouf.Ly’n’étaitpaslà.Blanche,blanche,blanche.Journéeblanche!Mavoix intérieure chantonnait à tue-tête.Une foisn’étantpas coutume, elle etmoi étions sur la

mêmelongueurd’onde.C’étaitunchangementdesplusagréables.—Salut,Andy!gazouillai-jeenluidonnantunbisousurlajoue.Quepuis-jefairepourtoi?Monfrèrem’adressaungrandsourire,dévoilantainsidebellesdentsblanches.Je me raidis immédiatement. Ce sourire de loup, je le connaissais bien. Généralement, il était

annonciateurdemalheur.Blanche,blanche,blanche.—Bienlebonjouràtoiaussi,souris.Dimanche,midi,tuviensdéjeuneràlamaison.Mavoixintérieuresetutbrusquement.—Q-q-quoi?bégayai-je.(Décidément,c’étaitlajournéedesbégaiements.)Qu’est-cequetuviens

dedire?Andyéclataderireetserenversasursachaise.—T’enfaisune tête, souris ! Je t’ai justeannoncéquedimanche, tudéjeunaisà lamaison,avec

nous.Etc’estLy’quicuisine,biensûr.—Biensûr…,répétai-jepiteusement.Cettefois,c’étaitsûretcertain,monkarmam’avaitcomplètementabandonnée.C’étaitmêmepire

que cela. Je devais être maudite. Forcément. Sinon, qu’est-ce qui pourrait justifier que le sorts’acharnâtsurmoidelasorte?

*****

—Etqu’est-cequetuluiasrépondu?croassaMarj’,avantdetousserbruyammentpourchasserlechatqu’elleavaitdanslagorge.Pardon.Jebalayaisonexcusedelamain.—Qu’est-ceque tuvoulaisque je réponde? Jenepeuxquandmêmepas refuser l’invitationde

monfrèresousprétextequesonmeilleurpoteseraprésent.Surtoutquej’aibienenviedevoiroùilhabite.(EtqueLy’cuisinecommeunDieu.)Ilm’aditquec’étaitlamaisondugrand-pèredeLy’etquecedernierenavaithéritél’annéedernière.Ilm’aditjustecequ’ilfallaitpourtitillermacuriosité.Etjesensquejevaiscreverdejalousie.Monfrèremeconnaissaitbien.Tropbienmême.Illuiavaitsuffidesous-entendrequelamaisonen

questionressemblaiténormémentaumanoirdessœursHalliwell.LescélèbressorcièresdeCharmed.Ma série télévisée préférée. Même si elle était terminée depuis de nombreuses années. Encoremaintenant, ilm’arriverait régulièrement de sortirmesDVDet deme faire une semaine intensive«Charmed».Donc,évidemment,jebrûlaisdesavoirsiAndyavaitditlavéritéounon.Unevraiegaminebrûlantedecuriosité…PourenarriveràocculterLy’,c’estclair!J’espèrejustequetuneleregretteraspas,A…Unepetitephrase.Unetoutepetitephrasederiendutout,etmesréticencesenavaientéténettement

amoindries.Certes,ellesn’avaientpascomplètementdisparu,maisc’étaittoutcomme.Faible,sifaible…Voilà quemavoix intérieureme jouait le remakedeLordVoldemort ! (Legrandméchant dans

HarryPotter…)Bonsangdebois,jenemerappelaispasquec’étaitjournéeciné,aujourd’hui…Sij’avaissu,j’auraisemportédupopcorn.Zutdeflûtedecrottedebique.—D’unautrecôté,sivousêtesuniquementtouslestrois,Ly’peutdifficilements’enprendreàtoi

sansquetonfrèrel’entende,temporisaMarj’,entapotantsonblocnoteaveclapointedesonstylo.Le souvenirdecequi s’étaitpassédansmonpropreappartementme fitgrimacer.Mon frèrene

serait pas tout le temps à mes côtés, et si Ly’ était décidé à s’acharner sur moi, comme il avaitcoutumedelefaire,jen’ycouperaispas.D’autantplusque,cesoir-là,sesparolesm’avaientfaitunmaldechien.Ils’enétaitfalludepeuquejecraquedevantlui.Oudevantmonfrère.Maisquandtuesalléeteréfugierdanslacuisine,ilnet’apassuivie.Ilt’alaisséet’isoler.C’étaitvrai.Mais,nousavionsétésurmonterritoire.Enserait-ildemêmesurlesien?Tupensessincèrementqu’untypecommeLy’s’embarrassedecegenrededétails?Sansdoutepas,effectivement.

Depuisletemps,tudevraislesavoir,A.J’aitoujoursraison.Toujours.Ouais,surtoutquandtuastort,hein?Pfff.Jalouse!—Tusais,jepensequesiLy’souhaitemedirequelquechose,quemonfrèresoitlàounon,çan’y

changera rien. Il le dira. Point barre. Maintenant, si ma présence, chez lui, lui pose problème, ils’arrangerapourmelefairesavoiravantdimanche.Enfin,jecrois.(Oudumoins,jel’espérais.)Marj’melançaunregardencoin.—Tuveuxuneréponsesincère?—Oui,biensûr.Mauvais,çasentaitmauvaisça…Jemeraidisinstinctivement.—D’accord.Alors,voilàceque jepense.Si tun’étaispas lasœurdeDrew, je tediraisque t’es

complètement dans l’erreur. Au contraire, si ta présence dérangeait Ly’, il ne te dirait rien. Pourmieuxpouvoirt’humilierunefoissurplace.C’estdéjàarrivéunefoisavecuneexdetonfrère.Etj’aientendudirequelapauvrefilleétaitrepartieenpleursdechezeux.(Jedéglutispéniblement,soudainplus très sûredemoi.)Ly’n’apas sonpareil pour frapper là où ça faitmal.Que ce soit avec sespoingsouavecsesmots.Maintenant,ceque j’endis,c’estque t’es lasœurdeDrew.Te lancerdespiquesetdesvacheries,par-cipar-là,c’estunechose.EtDrewleluipardonnerasansdouteaisément.Maist’humiliersciemment,c’enestuneautre.Etlà,tonfrèrepourraitbiennepasêtreaussitolérant.Tunecroispas?Effectivement,monfrèrenepardonneraitpassijamaisonmefaisaitdumalàdessein.Lepauvre

Maxl’avaitd’ailleursapprisàsesdépens.Noncontentd’avoireu lamâchoirefracturéeparLy’, ilavaitmaintenantlesdeuxyeuxpochés.Inutiledepréciseràquiildevaitcela.Soudainsoulagée,jepusrespirerpluslibrement.Faible,sifaible…—C’estvrai, tuas raison. Jem’angoissepour rien.Aupire, j’auraidroit àquelques remarques

assassines,maissansdouteriendeplus.Ensoit,riend’insurmontable…T’es sûre, A ? Même s’il te reparle comme à l’appart ? Même s’il libère à nouveau tes pires

démons?Je serrai les dents àme les briser.Ma foutue voix intérieure allaitmeporter la poisse avec ses

insinuations!Commesij’avaisbesoindeça…Cequ’ilfautpasentendre!Commesiçapourraitêtredemafaute!Oh,maistupeuxvirerleconditionnel:çaseradetafaute!Genre…—Çaneveutpasdirequeçaseraunepartiedeplaisir,pourautant.Tupeux toujoursdireà ton

frèrequetupréfèreraispasserunmomentseulàseulaveclui.Jesecouailentementlatête.—Non, je ne peux vraiment pas faire ça. Ce ne serait pas correct pour lui. Et je lui dois déjà

tellement.Cettedernièrephrasem’avaitéchappée.Maisellen’échappamalheureusementpasàMarj’.Eh,merde…Mescrutantattentivement,elle finitpar froncer les sourcils.Elle sepenchaversmoi,afind’être

sûrequepersonnenepourraitentendrecequ’elleallaitmedire.—Qu’est-cequetuveuxdireparlà?chuchota-t-elledansunfiletdevoix.J’eusunpetitrirenerveuxetjehaussailesépaules.—Riendespécial.—Çaaunrapportavec…lamaisonderedressement?souffla-t-elled’unevoixbasse,ethésitante.Un frisson glacialme traversa et jememis à trembler. Je ne souhaitais pas parler de ça.Avec

personne.Jamais.Toutça,çaappartenaitaupassé.Àunpassémortetenterrédepuislongtemps.Çaneconcernait qu’Andy etmoi.Et nous n’en avions plus parlé depuis des années.Les choses devaientrestertellesquelles.Malheureusement, les paroles qui franchirent la barrière demes lèvres n’étaient pas celles que

j’avaisvouluprononcer.—Qu’est-cequetusaisàcesujet?—Pasgrand-chose.Enfin,cequiseditsurtout.QueDrewaétéenmaisonderedressement,ilya

plusieursannées,etquec’estlà-basqu’ilssesontconnus,Ly’etlui,chuchota-t-elledanslecreuxdemonoreille.Mais,jecomprendsquetun’aiespasenvied’enparler.Excuses-moid’avoirabordélesujet.Surtoutcommeça.C’était trèsindélicatdemapart.Jesuisvraimentdésolée.Parfois, jeparlesansréfléchiràlaportéedemesparoles.Cela expliquait bien des choses. Des choses qui jusque-là m’étaient inconnues et

incompréhensibles.VoilàpourquoiAndyavaitvouluvenir fairesesétudessupérieures ici.ÀRiverFalls.PourretrouverLy’,toutsimplement.—Jenet’enveuxpas,t’inquiètes.Maisjenesouhaitepasenparler.C’esttroppersonnel.Désolée,

murmurai-jed’unetoutepetitevoix.Marj’seredressaetmefitunpetitsourire.—Pasdesouci,jecomprends.Moinonplusjenemedévoilepasfacilement.Alorsquenousreportionsnotreattentionsurlecoursd’astronomie,unenouvellequestionvintme

trotterdanslatête.Qu’avait faitLy’pour se retrouver enmaisonde redressement avecmon frère ?Connaissant le

personnage,jem’attendaisaupire.

Chapitre10

Bienauchaudsousmacouette, jebâillaibruyammentenm’étirant,avantdemeroulerenboule,comme un chaton. J’ouvris paresseusement un œil. 10 h 30. Je refermai mon œil et bâillai unenouvellefois.Lanuitavaitétécourte.M’étantcouchéeàtroisheuresdumatin,jen’avaispaseumesdixheuresdesommeil.Etleweek-end,mesdixheures,c’étaitleminimum.Ellesétaientsacréesetj’ytenais.Çamepermettaitderattrapermeshorairesirréguliersdelasemaine.Toutenm’enfonçantplusprofondémentencoreentremesdraps,jemedisquejepouvaisdormir

encoreunepetiteheure.Ensuite,j’appelleraismamère.N’ayantréponduàaucundesesappels,duranttoutelasemaine,jenemesentaispaslaforced’attendrejusqu’ausoirpourluitéléphoner.Carsilajournéed’aujourd’huiressemblaitàcelled’hier,montéléphonerisquaitdesonnernon-stop.Unefoisavaitétélargementsuffisante.Aupointquej’envisageaistrèssérieusementdevendremoniPhoneetdedevenirunepariaparmimagénération:vivresansportable.Lecauchemardesjeunes.Maissijedevaischoisirentreçaetleharcèlementmaternel,monchoixseraitvitefait.Cessombrespenséescommencèrentàchasserlesbrumesdesommeilquim’enveloppaientencore.

Jecrispai lespaupièreset tentaideme replongerdanscetétat, semi-cotonneux,que j’affectionnaistant.Entrelerêveetlaréalité.Lemélangeparfait.Onétaitdimanche,aprèstout,lejouridéalpourtraînasseraulit.Enfin,c’étaitunequestiondepoint

devue,biensûr.Maispourmoi,unbondimancheétaitundimanche…Stop,stop,stop!Dimanche?Onétaitdimanche?Zutdeflûtedecrottedebique!Jebondishorsdemonlit,m’emmêlailespiedsdanslacouetteet…BAM!Jem’affalaidetoutmonlong.—Aïe!Jemerelevaienvitesse,enmefrottantlegenou.Bonsang,çafaisaitunmaldechien.Bon,ilfallait

voirlecôtépositif:autantlegenouquelatête.Mêmesilamienneétaitparticulièrementdure.Cessedetergiverser,A,tun’espasenavance.Jediraismêmequ’àcerythme,tunevaspastarderà

êtreenretard.Déjàréveillée?Zutalors!Moiquicroyaisque ledimanche, tuétaisencoreplus flemmardeque

moi.J’aiétéréveilléeparuntremblementdeterre.Çaterappellequelquechose?Genre,commesiun

mammouthavaitpercutémamaison.Tuvoiscequejeveuxdire?Saloperiedevoixintérieuredemesdeux!Maisquellegarcecelle-là.Lemieuxquej’avaisàfaire,

c’étaitencoredel’ignorer.Surtoutque,commeellevenaitdelesoulignerdemanièresiaimable,jen’étaispasspécialementenavance.J’avaisrendez-vouschezAndyà11h30.Ilmerestaitdoncuneheurepourmedoucher,m’habiller,memaquilleretmerendresurplace.Un coup d’œil machinal à mon réveil m’apprit que je faisais erreur. Il ne me restait plus que

cinquanteminutes.Tantpispourlemaquillage.

Je courus à la salle de bains et pris la douche la plus rapide demavie.Moi qui, généralement,aimaisrestersousl’eauchaude,jen’euspasceluxe.Huitminutesplustard,j’étaisderetourdansmachambre.Mescheveuxétaientencorehumides,maisjen’avaisvraimentpasletempsdelessécher.Nide les lisser. (Ils ne bouclaient pas, à proprement parler,mais faisaient plutôt une sorte de vague,comme disaitma coiffeuse. En gros : ils n’étaient ni lisses ni bouclés… ils étaient… euh… autrechose,voilà,autrechose.)C’étaitdommage,car jepréféraisnettementmacoupeavecdescheveuxlisses,maisjen’allaispasarriverenretardpourça.Jen’étaispascegenredefilles.Jepouvaissortirdechezmoisansêtreparfaite.Surtoutpourallerdéjeunerchezmonfrère.EtLy’…Jeserrailesdentsetignorailesous-entendugrotesquedemavoixintérieure.Ridicule.Jen’allais

pasmemettresurmontrente-et-unpourLy’.Alorspourquoituaschoisicepetitshortenjeanquitemouleleculcommeunesecondepeau?N’importequoi…Ceshortnememoulaitpasdutoutle…ah,si,quandmême…Commesitunelesavaispas!!!Pfff,detoutefaçoncen’estpaspourçaquejel’aichoisi.Ahbon?Alorspourquoi?Parcequ’ilfaitchaudetquejel’aimebien.Mmmmhmmmm.Etledosnu?Idem.Etdirequevendredidernier tu trouvaisque la tenuedeLily-la-poupéeavaitunairde«baisez-

moi».Jepiquaiunfardàcesouvenireteuslebongoûtd’êtregênée.Matenuen’estpasaussiprovocantequelasiennel’était!Quetudis,A,quetudis…Maispourquoi je perdaismon temps à lui répondre ? Je savais,moi, que jen’avais pasdu tout

choisicesfringuespourséduireLy’.Oui,oui.Onferacommesionycroyait.Jem’enfichedecequetupenses,moijesaisquej’aichoisiceshabitsparcequejelesaimebien.

Point.Ouais,ouais.Onycroit,onycroit.Biendécidéeàl’ignorerpourdebon,j’attrapaimavesteenjeanetmonsac.Justeavantd’ouvrirla

porte, jeme souvinsque j’avaismismon smartphone à charger laveille. Je fis doncvolte-face etretournaidansmachambrepourallerleprendre.Mince!Ilétaitrestééteint.Jelerallumaitoutenrebroussantchemin.Sansleverlesyeuxdemon

écran,j’ouvrislaported’entréeet…VLAN!Jevenaisdepercuterunmur.Jemesentischanceleretbasculerenarrière.Dansmessouvenirs,il

n’yavaitaucunmuraussiprèsdemaporte.Soit j’étaisvraimentdans la luneet j’avais traversé le

couloirsansm’enrendrecompte,soitcemurn’enétaitpasun.Un bras s’enroula autour dema taille,m’évitant ainsi une nouvelle chute. (Une par jour, c’était

amplementsuffisant.)Jemeretrouvaiplaquercontreuncorpsduretmusclé.Pasétonnantquej’aieeul’impressiondepercuterunmur.Mamain,quitenaittoujoursmonportable,étaitmaintenantécraséeentremesseins.(Etcen’était

pasvraiment trèsagréable.)L’autreétaitposéenonchalammentcontreunventred’acier.Jedéglutispéniblement et dus fournir un effort colossal pournepas la laisservagabonder.Mapaumebrûlaitd’endécouvrirplus.Oh,bonsang!Jusque-là,uneseulepersonneavaitprovoquéde tellesenviesenmoi.Unepersonnedétestableet

absolumentpasrecommandable.Unvraibad-boyavecun«B»majuscule.Etmaintenant,voilàqu’uninconnu aux muscles d’acier me mettait dans tous mes états. Un inconnu incroyablement grand,puisquemesyeuxétaientàhauteurdesespectoraux.Pectorauxparfaitementmisenvaleurparletissumoulantquilesrecouvrait.Miam,miam.Jesuisentraindedevenirunevéritableobsédée!Je fermai lesyeuxetprisde lentesetprofondes inspirations. Il fallait impérativementque jeme

calmelamoindreavantdepouvoirleverlesyeuxverscemurambulant.Sinon,jerisquaisdeperdrepiedetdefaireunegrosse,uneénormebêtise.Inspire,expire.Inspire,expire.Inspire,expire.—Annabelle,jecroyaist’avoirdéjàditquefermerlesyeuxnemeferaitpasdisparaître…,susurra

soudainMurambulant.Ohnon,ohnon,ohnon!!!Bouchebée, je levai la tête, commeau ralenti, jusqu’à rencontrer desprunelles vertmenthepar

tropfamilières.Incrédule,jefusincapabledeprononcerlemoindremot.Jerestailà,brasballants,ànerienpouvoir faired’autrequede lefixer. Ilavaitvraiment lesyeux lesplusfascinantsque j’aiejamais vus. D’un vert si clair qu’il semblait flamboyer en permanence. Comme illuminé del’intérieur. Le vert sombre qui les encerclait ne faisait qu’accentuer cette impression.Un spectaclevraimentenvoûtant.Ilglissaundoigtsousmonmentonetrefermadoucementmabouche.—Merci,balbutiai-je,complètementàl’ouest.Unsourireamuséétiraseslèvres,creusantd’adorablesfossettesdanssesjoues.Tiens,ilavaitdes

fossettes.Jenel’avaisjamaisremarqué.Enmêmetemps,tunel’avaisjamaisvusourire,A.Évidemment!Voilàl’explication.Logique.—Jet’enprie,masouris.Savoix,légèrementrauque,intensifiaencoremaconfusion.Jamaisilnem’avaitparlésurunton

aussidoux.Oh.Mon.Dieu!Ilétaitencorepluscraquantqued’habitude.Quelecielmevienneenaide!Combiendetempsfûmes-nousainsi,simplementlesyeuxdanslesyeux,sansparler?Jenesaurais

ledire.Maiscelameparutdureruneéternité.J’étaisincapabledefaireautrechose.Jen’arrivaispasà

détourner lesyeux, jen’enavaismêmeaucuneenvie.Mereculer?Pourquoidonc?J’étaissibiendanssesbras.Enfait,jenedésiraisplusqu’uneseulechose:quecemomentnes’arrêtâtjamais.J’entendis vaguementma voix intérieure, en bruit de fond,mais j’étais totalement incapable de

comprendreuntraitremotdecequ’elledisait.Commec’étaitagréable.Pourunefois,j’étaisseule.Pasdefoutuevoixintérieurepourparasitercetinstantmagique.Leparadissurterre.Mais,touteslesbonneschosesavaientunefin.Celle-ciaussi,malheureusement.Etcettefinarriva

bientroptôtàmongoût.—Onyva,masouris?—Oui…,approuvai-je,lesoufflecourteterratique.(J’étaisprêteàluisuivreoùilvoulait.)Il se pencha versmoi et je sentis son souffle contremes lèvres.Mes yeux se fermèrent d’eux-

mêmes.Jen’étaisplusqu’attenteetdésir.Sansvolontéfaceàsonpuissantmagnétisme.—Alors,vacherchertoncasque…Oui,j’allais…Hein?Jerouvrisbrusquementlesyeuxetvislalueurmoqueusequiscintillaitdansleslagonsvertsrivés

surmoi.Celamefitl’effetd’unedouchefroide.Oh.Mon.Dieu.J’avaisespéré…j’auraisvoulu…etjenel’auraispasarrêté…Rougedehonte,jemereculaivivement.Enfin,jereculaidecinqcentimètres,grandmaximum.Car

aveclebrasquiceinturaitmataille,c’étaitimpossibledem’éloignerdavantage.—Tuveuxbienmelâcher,ordonnai-jesèchement.—Oh,oh!Serions-nousdemauvaisehumeur?(Ilm’attiraunenouvellefoiscontreluietlaissasa

main glisser jusqu’au creux de mes reins. Je ne pus m’empêcher de frissonner.) Aimerais-tu unbaiser,Annabelle?Peut-êtrequec’estcelaquetuespérais,etquetuesterriblementdéçuedenepasavoireucequetudésiraissiardemment…?Cettefois,c’étaitcertain,j’allaismourirdehonte.Quec’étaitgênantdeseretrouverdansunetelle

situation ! J’en fus profondément mortifiée. Comment diable avais-je pu espérer, attendu, qu’ilm’embrassât?—N’importequoi,hoquetai-jeenbaissantlatête.Jemesuislevéeilyatoutjusteunedemi-heure.

Jenesuispasencorebienréveillée.J’aieuunmomentd’absence,c’esttout.Maisoui,biensûr,A.Onycroit!—Ah,Annabelle,siseulementnousavionsletemps…Jeteprouveraisàquelpointtuesunepiètre

menteuse…Malheureusement,Drewnousattend.Mais,peut-êtreplustard…?Jeme libéraid’ungeste secet le foudroyaidu regard.Et savoirque, s’il n’avaitpasdaignéme

laisserpartir,jeseraistoujoursdanssesbras,n’amélioraenrienmonhumeur.Cetypeétaitvraimentdétestable.Commentpouvait-ilêtreamiavecAndy?Celadépassaitl’entendement!—Etsitumedisaiscequetufaislà,exactement?aboyai-je,d’untonmordant.Ilfronçalessourcilsetpenchalatêtesurlecôté.—Est-ce que tu es sûre que tout va bien,Annabelle ? Tu as peut-être de la fièvre ?Autre que

sexuelle,jeveuxdire…Jefaillism’étoufferderage.Quelculot,vraiment!Cen’étaitpaslamodestiequil’étouffait!Enmêmetemps,iln’apastouttort…Tubrûlesdedésirpourlui,A.Mêmepasvrai!Mêmequevrai!Non!Si!Un de ces jours, j’allais me la faire. J’allais vraiment me la faire. Malheureusement, pas

aujourd’hui.Aujourd’hui,j’affrontaisdéjàuntigreduBengale.C’étaitamplementsuffisant.(Surtoutpourunesourisgrise.)Maisbientôt,trèsbientôt,jem’occuperaisdesoncas.Ouhouh…j’aipeur…—Jevaistrèsbien,jeteremercie.Etnon,jen’aipasdefièvre.Nisexuelle,ni…(Jefisunrapide

moulinetavecmamaindroite,etfaillisenvoyervaldinguermoniPhone.)Bref,tuvois,quoi.Maisçanerépondpasàmaquestion.Qu’est-cequetufaislà?Ly’attrapavivementmonpoignetetlefitpivoterjusqu’àdévoilerentièrementmonavant-bras.Il

caressamontatouageduboutdesdoigts,perplexe.—Jen’auraisjamaiscruquetuétaisdugenreàavoiruntatouage,masouris…Sourcils froncés, jeme dégageai avec une certaine brusquerie, comme si ce simple contactme

brûlait.Voirseslongsdoigtsglissersurlesplumesdemonailemetroublaitplusquederaison.—Jenevoispasenquoiçateregarde!rétorquai-je,froidement.Ly’eutunsourirenarquoisencoin.—Toi,tun’espasdumatin…Oualorstuesterriblementfrustrée…auxchoix.(Jelefoudroyaidu

regard.)Tuenasd’autres?—Çaneteregardepas!Maintenant,pourrais-tumedirecequetufouslà?demandai-je,nonsans

bravoure.Il se frotta distraitement le menton, sans quitter mon tatouage des yeux. Ses prunelles vertes

luisaienttantetsibienqu’onauraitditqu’ellesentraientenfusion.Superbe.—Cetteailemerappellequelquechose…Jesuissûrdel’avoirvuequelquepart…Jecroisailesbrasetarquaiunsourcil,agacée.—Andyalemême.Bon,tuvasmerépondre?Ilclaquadesdoigts.—Jelesavais!Facile,unefoisqu’onavaitsoufflélaréponse.—Qu’est-cequetufaislà,Ly’?soupirai-jed’unevoixlasse,pourlacinquièmefois.(Minimum!)Ilsoulevalentementsonbrasdroitetjevissoncasquesebalancerdoucementauboutdesonindex.—Çamesembleévident.Jesuisvenutechercher.J’ouvrislaboucheavantdelarefermer.Deuxfois.

—Pourquoi?finis-jepardemander.Illevalesyeuxauciel.—ParcequeDrewm’aditquetuétaiscapabledeteperdredansuncentrecommercial.Alorsje

n’osepasimaginercequipourraitseproduiresiontelaissaittraverserRiverFallstouteseule.Peut-êtrequet’aurasfinalementtrouvélamaison…l’annéeprochaine,susurra-t-ilméchamment.Abrutiécervelé!Crétinarrogant!Butor!Butor ? Sérieux, A ? Pfffff, faut arrêter de lire des romances historiques, ça te chamboule le

ciboulot!Jepinçaileslèvresetfuspersuadéequedelafuméedevaits’échapperdemesnarines,tantj’étais

furieuse.ÀlafoiscontreLy’,legrosbutor,etcontremafichuevoixintérieure,cettesalegarce.Quelvocabulaire,A!Cen’estpastrèsjolitoutça…Jetel’aidéjàdit:exactementcommetoi!—Jesuisparfaitementcapabledetrouvermonchemintouteseule.Merci.Jen’aipasbesoind’aide.—L’importantc’estd’ycroire,commeondit.Bon, tuprends toncasque,qu’onpuisseyaller?

Parcequ’onestunpoilàlabourre,là,masouris.Jeserrailespoingsetsecouaifermementlatête.Non,non,non.Horsdequestion.—Jeviensdeteledire,jepeuxparfaitementmedébrouillertouteseule.Ilplissalesyeux.—Prendstoncasque,Annabelle.Onyva.Maintenant.Ensemble.Non,nonetnon.Troisfoisnon.Jen’iraispasaveclui.—Non.Ilprituneviveinspiration.—Qu’est-cequetuviensdedire?gronda-t-ildesavoixglaciale.Jemesentisblêmiretjefisinstinctivementunpasenarrière.Sonregarddefauveenchasseétait

aussifroidqu’unepierretombale.Jedéglutis,ensentantlapeurm’envahirprogressivement.LetigreduBengalenevafairequ’unebouchéedetoi,petitesourisgrise.—N-n-n-no-no-no-non,cafouillai-je,d’unevoixàpeineplusfortequ’unmurmure.Lamentable.Il fitunpasenavant.Puisunsecond.Etencoreunautre.Ly’meforçaainsiàreculer jusqu’àce

qu’ilfûtdansmonmeublé.Ilpivotasursagaucheetsepenchapourprendrelecasqueblancquiétaitposésurlesol.Ilseredressalentementetmeletendit.Jeleprisd’unemaintremblante.Faible,faible,faible.Tuessifaible,A.J’enavaishonte,maisc’était l’affreusevérité.J’étaisfaibleet lâchedèsqu’ils’agissaitdelui.Je

pourraismettrecela sur ledosdemonpassé,et tout,mais j’étais suffisammenthonnêteavecmoi-

même pour reconnaître qu’il n’en était rien. Je n’avais pas peur de tous les hommes. (Etheureusement, d’ailleurs.) J’en avais même repoussé quelques-uns.Mais face à lui, je n’étais toutsimplementpasdetaille.Aussi,quandilm’agrippalebras,jelesuivissansrésister.Monfrèredisaitsouventquepourgagnerlaguerre,ilfallaitparfoissavoirsereplieretattendrele

momentpropice.Alors,c’étaitexactementcequej’allaisfaire:attendrelebonmoment.Etvutoncouragelégendaire,çarisquedeprendrequelquesannées.Avais-jedéjàditàquelpointmavoixintérieureétaitpéniblequandelleavaitraison?

*****

Monfrères’étaitbienmoquédemoi.LamaisondeLy’neressemblaitpasdutoutaumanoirdessœursHalliwell.Laseulesimilitudeétaitlacouleur:rouge.Maisças’arrêtaitlà.Pourlereste,c’étaitunemaison standard.Bon, peut-être un peu plus grande que lamoyenne,mais somme toute assezbanale.«Tuverras,ondiraitlemanoirdestroissorcièresqueturegardaistoutletemps…»Genre…Andyavaitbesoindelunettes.Oudejumelles…Ouais,oubiendejumelles…LemanoirHalliwell…Franchement!Entourée d’un jardin, de taille plus qu’acceptable, la maison s’élevait sur deux étages.

Techniquement trois, vu qu’elle était entièrement excavée, mais ça, il fallait le savoir. Un garagesuffisamment grand pour contenir trois voitures était annexé à la baraque. Évidemment, c’était unluxequepeudegenspouvaientsepayer,danslecoin.Eneffet,beaucoupn’enavaienttoutsimplementpasetparquaientleursvoituresdansl’allée.Lagrandeclasse!— Souris ! Enfin ! Je commençais à croire que Ly’ était arrivé trop tard et qu’il t’avait raté,

s’exclamaAndy,àpeineentrédanslegarage.J’enlevaimoncasqueetsecouai la têtepouraérerunpeumescheveux.Jen’osaipas imaginerà

quoijedevaisressembler,vuquecesderniersétaientencorehumidesquandjel’avaismis.Sûrementàunesavantefolle.Jegrimaçaiàcettetristepensée.Monfrèremesoulevadanssesbrasetmefittournoyer.—Situsavaiscommejesuiscontentquetupassestondimancheavecnous.(IlsetournaversLy’et

luifitunclind’œil.)Mercid’avoirétélachercher,mec.Jetedoisunefièrechandelle.Ly’haussa les épaules et déposa son casque sur l’établi qui occupait lemurdu fond. Il tendit la

mainetjeluidonnailemien.—Lebarbecueestprêt?Andysemitaugarde-à-vousetmimalesalutmilitaire.—Chef,oui,chef!

Ly’levalesyeuxaucieletsepassaunemaindanslescheveuxpourlesrassembleretlesnoueràlanuque.Ouah.Ouah.Cettenouvellecoiffureaccentuaitlesanglesdesonvisage,lerendantencoreplussexy.Quil’eût

cru?Soudain, un éclat doré attiramonattention sur sonoreille droite.Ly’portait desboucles tout le

long de l’oreille.Du lobe au sommet du cartilage. Incroyable !C’était la première fois que je lesvoyais.D’ordinaire,cescheveuxlesmasquaient.Celaluiallaitbien.Etçaaccentuaitsoncôtémauvaisgarçon.Parcequ’ilaseulementuncôtémauvaisgarçon?Mouais,pasfaux…Maisquelcanon!—Maisqu’est-cequejefousavecuntasdenœudscommetoi?Andylebourragentimentavantdesecacherderrièremoi.Unvraigamin.—Jetemanquerais,sijen’étaispaslà.Ly’grommeladanssabarbeetsedirigeaverslaporte,d’oùétaitsortimonfrère.—Jetelaisseluifaireleshonneursdelamaison,j’aiassezperdudetempscommeça.Etildisparutàl’intérieur.Toujoursaussicharmant,celui-là.Etdirequ’ilyavaitàpeinequinzeminutes,j’avaisespéréqu’il

m’embrasserait.Quelle folle j’avais étédedésirerunbaiserd’un telmec. Il fallait impérativementquejemereprenne.Cetteattirancedéplacéedevaitcesser.Etdanslesplusbrefsdélais.Biendit,A!Maissauras-tut’ytenir?Espérons-le!—Prêtepourlavisite?Choisissantd’ignorerl’attitudeméprisantedeLy’,nevoulantpaslelaissergâchercettejournée,je

hochailatêteensouriant.—Chef,oui,chef!lesingeai-je.Chef,prête,chef!Andypouffaenm’entraînantàsasuite.—Aumoins,toi,tucomprendsmonhumour!Nouspénétrâmesdansunesortedepetitvestibule.Unmeubleàchaussuress’étendaitsurlapartie

droite,alorsqu’unetringletraversaitlapartiegauche.Simpleetpratique.—J’aimebeaucoup,dis-jelorsquenoustraversâmeslapièce.—J’étaiscertainqueçateplairait.—Tumeconnaisbien.—Normal,jesuistonfrère,proclamaAndy,enmefaisantunclind’œilcomplice.Nousarrivâmesensuitedanslacuisine.Quiétaitbienplusspacieusequelamienne.—PasétonnantqueLy’sesoit trouvéà l’étroitdans lamienne…,marmonnai-jeen tournantsur

moi-même,impressionnéemalgrémoi.

Soudain,jeclignaidespaupières,croyantrêver.Nonseulementcettepiècedevaitfairefacilementcinq à six fois la taille de la mienne, mais en plus elle était équipée comme une cuisine deprofessionnel. Ilyavait troisfours,sixplaquesdecuisson,deuxlavabosetunréfrigérateur(d’unetaillequidéfiaittoutcequej’avaisvujusque-là).Jereportaimonregardsurlesfours.Troisfours.Sérieusement?Maisquiavaitbesoindetroisfours?—Viens,allonsvoirlasuite.Ici,c’estledomainedeLy’etilnevapastarderàyvenir.Mieuxvaut

avoirmislesvoilesavantsonretour.Sinon,çarisquedechauffer.Jesuivismonfrère,encoresouslechocdemadécouverte.Jen’avaisjamaisvuunecuisineaussi

grande.Dumoins,pasunecuisinedeprivé.Deprofessionnel,àlarigueur,maisdansunemaison?Avait-onvraimentbesoind’autantd’espace?Ettouscesfours.Jen’enrevenaistoujourspas.Parceque, attention, ce n’était pas des petits fours comme le mien. Ça non ! Ils faisaient facilement ledouble,voireletripledumien.Ha-llu-ci-nant!Cette histoire de foursme travailla tellement que je passai la salle àmanger et le séjour sans y

prendre vraiment garde. J’étais tellement perdue dans mes pensées que je faillis me prendre lagamelledusiècleenarrivantaupieddesescaliers.Jemefrottailesyeuxetlançaiunregardcirculaireautourdemoi.J’avaistraversépresquetoutela

maisonsansm’enrendrecompte.Lahonte.— En bas, y’a la salle de jeux, expliqua mon frère, en me montrant l’escalier qui descendait.

Billard, baby-foot, Xbox, PlayStation. Et un coin-bar. C’est là qu’on reçoit, en général. Je ne temontrepas,parcequ’onaeudumondehiersoir…etc’estunpeulebordel.Pis,çapuel’alcooletlaclope.Pasletopavantledéjeuner.Jegrimaçai.—Non,effectivement,çanemetentepasplusqueça.Nousmontâmesdoncàl’étage.—Là,c’estlachambredeLy’etsasalledebains.(Ilpointadudoigtdeuxportesconsécutives.La

premièreenfacedesescaliers,lasecondesurlagauche.)Etlà,c’estlamienne.(Onpritsurladroite.)Masalledebainsestjusteenface.Etlaporte,là-bas,c’estunechambred’amis.Je jetai un rapide coupd’œil à sa chambre,maisne fit pasunpas à l’intérieur.Lebazardquiy

régnait était tout simplement repoussant. Jemedemandai commentmon frère faisait poury entrersansécraserquoiquecesoit.Unevraiegageuse…—Toujoursaussibordélique,àcequejevois.Simamanvoyaitça…Aumomentoùjeprononçaicettephrase,jemerendiscomptedemonerreur.—Aucunrisque,affirma-t-ilfroidement,levisagesoudainfermé.Prisederemords,jeposaiunemainsursonbras.—Jesuisdésolée,Andy.C’estsortitoutseul.Jen’aipasréfléchi.Je…Ilposaundoigtentraversdemeslèvresetm’adressauntristesourire.—Cen’estpastafaute,souris.—Non,mais…—Chut.Neparlonspasd’elle,d’accord?Tun’ypeuxriensiellenem’aimeplus.Les larmesauxyeux, jenesavaispasquoidirepourapaiser lapeinedemon frère.Àdéfautde

pouvoirfairemieux,jeleprisdansmesbrasetleserraifortcontremoncœur.(Manièredeparler,biensûr,vuqu’ilétaitpresqueaussigrandqueLy’.Cefutplutôtmoiquimeretrouvaitoutcontresoncœur.)Ilmerenditmonétreinte,m’étouffantpresque.— Peu importe ce qu’elle pense, Andy, moi je sais que tu n’es pas ainsi. Tu es une personne

merveilleuseetjet’aime.Jesuisfièred’êtretasœur.Tellementfière.Andysereculalégèrementetessuyadupouceleslarmesquiavaientdébordédemesyeux.Ilme

sourit,lesyeuxbrillants.—C’estmoiqui suis chanceux,Anna.Tues lameilleurepetite sœurdumonde.Z’t’aimeauzzi,

franzine,zozota-t-il.Ohlevilain!—Jet’interdisdetemoquerdemoiainsi,AndrewCampbell!—Bah,quoi?Z’estfaux,peut-être,zœurette?—Arrête!Cen’estpasdrôle!J’avaiszozotéduranttroisans,etn’enavaispasgardédebonssouvenirs.Ohquenon!Pourtant,

alorsquejegourmandaisgentimentmonfrère,unsourireétiraitlecoindemeslèvres.—Sinon,quoi?Tuvasledireàmaman?ricana-t-il,redevenantunenfantchamailleur.Monsourires’effaçaetmonregardfutamplidenuagessombres.—Non,biensûrquenon…,soufflai-jeduboutdeslèvres.Jelevailamainetluicaressaitendrementlajoue,lecœurdébordantd’amour.Encetinstant,j’en

voulusterriblementàmamèredeluifairesubirtoutcela.Ohoui!Jeluienvoulusénormément.—Arrête,Anna.Neteprendspaslatêteavecça.—Siseulementc’étaitaussisimple,Andy.Maisjen’ypeuxrien,c’estplusfortquemoi.Jeluien

veuxde…—Non,mecoupa-t-ilensereculantetencroisant lesbras, leregardfroid.Jeneveuxplusrien

entendreàcesujet.Jesuissérieux,Anna.Bienquejenepartageaispassonopinionsurcetépineuxsujet,jefinisparmerangerdesoncôté.

Nouspassionsledimancheenfamille(sil’onomettaitlaprésenceperturbantedeLy’)etjenevoulaispasmedisputeravecluiaujourd’hui.Surtoutpaspourça.—C’estprêt,onpeutpasseràtable.L’ordreclaquadanslesilencequivenaitdes’installeretmefittressaillir.Parréflexe,jetournaila

têteversLy’.Jeleregrettaiimmédiatement.Sonregardinsondableetlepliméprisantdeseslèvresm’apprirentqu’ilavaitsuiviunepartiedenotrediscussion.Visiblement,ilmejugeaitresponsable,dumoinsenpartie,desmalheursdemonfrère.Commentluienvouloirouluientenirrigueur,quandc’étaitvrai?Sansmoi,riendetoutcelane

seraitjamaisarrivé…

Chapitre11

Le repas fut, une fois encore, un vrai régal. Des gambas au paprika grillées au barbecue, puisflambéesaucognac.Unesaladeverteetunepoêléedelégumesenaccompagnement.Évidemment,vules talents culinaires deLy’, la « big» cuisine était justifiée. (Bienquemonopinion à ce sujet fûtrestéelamême.Cuisineexcessivementgrande.Etluxueuse.)Pourledessert,nouseûmesdroitàunesaladedefruits.Commelerepasfutplusquecopieux,cela

mesuffitlargement.Jen’enprisd’ailleursqu’unepetiteportion.Monventreétaitdéjàtellementpleinquej’avaisl’impressionquej’allaisexplosersouspeu.Lagourmandiseestunvilaindéfaut,A.Lesarcasmeégalement,pourtanttuenabusesquotidiennement…EtPANdanslesdents!Voixintérieure:zéropointé;Anna:un!Ah.Ah.Ah.Jesuismortederire…Etmoidonc!—Café?meproposaAndyenselevant.Jesecouailatête.—Non,merci.Paspourmoi.Jenepeuxplusrienavaler.Pasmêmeunetassedecafé.Jemefrottaileventrepourappuyermesdires.Quiavaitditqu’onavaittoujoursdelaplacepour

uncafé?Jemeferaisunplaisirdeluiexpliquersonerreur.J’adoreraisvoirça,tiens!A,lasourisgrise,entraind’expliqueràunparfaitinconnuqu’ilatort!

Lespectaclevaudrasonpesantd’or!Voixintérieure:un;Anna:un.Égalitéparfaite.Mesdames,faîtesvosjeux…SainteMarie,mèredeDieu,voilàqu’ellesecroitaupoker!A,çanes’arrangepasdanstatête…—Jepassemontourégalement,déclinaLy’,quandmonfrèresetournaverslui.Andyfronçalessourcils,maisneditrien.J’eus soudain peur deme retrouver toute seule avec Ly’. Depuis le regard qu’il m’avait lancé,

lorsqu’ilétaitvenunouschercheràl’étage,j’avaiseupeurquecemomentarrivât.Andy,nemelaissepasseuleaveclui.S’ilteplaît,nemelaissepasseule.Commesimonfrèreavaitentendumaprière,ilhaussalesépaulesetserassit.—Sipersonnen’enveut,jenevaispasfaireunvoyagedanslevide.Ly’plissalesyeuxetéchangeaunregardintenseavecAndy.Ceregardnedurapasplusdetrente

secondes,pourtant,celasuffitpourquel’aircrépiteentreeuxdeux.Jenesaisispasvraimentcequisepassait,maisl’imagededeuxduellistesentraindecroiserlefermetraversal’esprit.QuellenefutpasmasurprisedevoirLy’baisserlesyeux!Jen’auraisjamaiscruassisteràunetellescèneunjour.Ly’venaitdes’inclinerfaceàmonfrère.In-cro-ya-ble!Andysetournaversmoietmefitunclind’œil.

—Alors,souris,quepenses-tudelamaison?Elleestplutôtcool,non?Jemetournaiverslabaraqueenquestionetplissailenez.—Ilfaudraitêtrediablementdifficilepourtrouverquelquechoseàyredire.(Misàpartlacuisine,

biensûr.Maistitillerletigre,alorsqu’ilvenaitdesubirunedéfaite,n’étaitpascequ’onappelaituneidée lumineuse. Je me tins donc coite.) Tu as beaucoup de chance, Ly’, d’avoir hérité d’une tellemerveille.Tuasdûfairebonnombred’envieuxdanstafamille.—Tun’aspasidée,susurra-t-ilfroidement.Interloquée,jeluiadressaiunregardprudent.—J’aiditquelquechosequ’ilnefallaitpas?Ly’croisalesbrasetsecontentademefixer,sansrépondre.Andyseraclalagorge.—Ly’n’estpasenbontermeavecsafamille,dit-il,encherchantvisiblementsesmots.—Lalitotedusiècle!semoquacedernier.Andy et lui échangèrent un nouveau regard, lourd de sous-entendus, aussi je choisis de ne pas

insister.Leterrainétaitvisiblementminé.Etaveclachancequiétaitlamienneencemoment,j’allaismarchersurunemine,àtouslescoups!Bonjourl’explosion!Trèspeupourmoi.Trouillarde.Nan,survivante.Cen’estpastoutàfaitpareil.Ons’excuse…Jefermailesyeuxettendismonvisageverslesoleil,afindeprofiteraumaximumdesesrayons

chauds.S’ilyavaiteuunechaise longuesur leur terrasse, jeseraisdéjàavachiedessus!J’adoraislézarderausoleil…—Tuvasgriller,souris,fanfaronnaAndy.J’ouvrisparesseusementunœil.—C’estpourçaquej’aipenséàprendredelacrèmesolaire.Jeme penchai pour ramassermon sac et fouillai dedans, à la recherche de l’objet convoité. Je

sortis mon portable et le posai sur la table. J’y jetai machinalement un coup d’œil et faillism’évanouirenvoyantquemamèrem’avaitappeléevingt-cinqfois.Vingt-cinqfois!Je fus tellement choquée que j’en oubliai ma crème solaire.Mon sac s’échappa de mes doigts

engourdisettombabruyammentsurlesol.—Anna?Toutvabien?Jetournailesyeuxversmonfrèreetlefixai,bouchebée.—C’estmaman,murmurai-jefaiblement.Andypinçaleslèvresetfronçalessourcils.—Quoi«maman»?—Ellem’aappeléevingt-cinqfois.Andyenrestacommedeuxrondsdeflan.Ilouvritlabouche,maisaucunsonn’ensortit.

—Vingt-cinqfois…,répétai-je,complètementhébétée.Ly’attrapamonportableetledéverrouilla.—Çafaitdepuishier soirqu’elleessaiede te joindre.Tudevrais la rappeler. Il luiestpeut-être

arrivéquelquechose. (Son tonsarcastiquecontredisait sesparoles. Ilnepensaitvisiblementpasunmotdecequ’ilvenaitdedire.Étrange…)Jenepeuxquesecouernégativementlatête.—Nonquoi,Annabelle?demanda-t-ilsèchement.Non,tuneveuxpasrappelertamèreou,non,il

neluiestrienarrivé?Je rassemblai péniblement mes pensées et tentai de former une phrase cohérente. Un travail

titanesque.—Nonauxdeux.Jenepusallerplus loindansmonexplication,carmon iPhonesemitàvibrer.Ahoui, jem’en

souvenaismaintenant.J’avaiscoupélasonneriehiersoir,pourneplusl’entendre.Jusqu’àcequ’ilsedéchargeâtets’éteignît.Voilàpourquoijen’avaispasentendusesinnombrablesappels.Celaaurait-ilchangéquelquechose,A?Sansdoutepas,non…Ly’metenditmonsmartphone,maisjenefispasminedeleprendre.—Tuneveuxpas répondre à tamère ? s’énerva-t-il, enbalançantmonportable auboutde ses

doigts.Saphrasemefit l’effetd’unedéchargeélectrique.Jemeressaisisimmédiatementetluilançaiun

regardnoir.Nonmaispourquiilseprenaitlui?Est-cequemoijememêlaisdesesaffaires?Non!Alorsqu’ilsetienneàdistancedesmiennes!Mouais,j’attendsdevoirça.Onrisquedebiensemarrer.SourisgrisecontretigreduBengale,acte

II.—Si je répondais àmamère chaque fois qu’ellem’appelait, je passeraisma vie au téléphone.

(Véritévraie!)—Pourquoinepassimplementluidired’arrêterdet’appeler,danscecas?Jegrinçaidesdentsdevantsonairsupérieuretsontonsarcastique.—Oh,ciel !Pourquoin’yai-jepaspenséplus tôt?m’écriai-je,en tournantmesmains,paumes

verslehaut.Oh,maistiens!J’ypense…Jeleluiaidéjàdit.Plusieursfois,même.Enfait,jelefaistouslesjoursdepuisquejesuisarrivéeici.Maisbizarrement,çanemarchepas.Peut-êtreauras-tuunconseiljudicieuxàmedonner,Einstein?Je venais de l’agresser verbalement et celame valut un regard glacial.Mêmepas peur ! J’étais

tellementfâchéequejen’yprispasvraimentgarde.Parcontre,sonsouriremielleuxmedonnafroiddansledosetmefitimmédiatementredescendresurterre.Aïe.—Ly’,attends,qu’est-ceque…Jem’arrêtainettelorsqu’ilportamoniPhoneàsonoreille.Ilmitundoigtdevantsabouche,etjele

vis,impuissante,répondreàmamère.

Oh.Mon.Dieu.C’étaitlapirecatastrophequ’ilpouvaitm’arriver!Merde,merde,merde!!!Je lançai un regard implorant à mon frère, mais Andy se contenta de hausser les épaules, un

sourireencoin.Oh,bonsang!—Laisselefaire,articula-t-ilsilencieusement.Ilétaitsérieux,là?Zutdeflûtedecrottedebique!Mêmemonfrèrevenaitdemelâcher.J’étaisfoutue.Jefermailesyeux,nevoulantpasassisteràce

désastre. Si la journée avait été blanche, tout cela ne serait bien évidemment jamais arrivé. Si elleavaitété sur lepointdedevenirblanche, le sol se seraitouvert sousmespiedset la terrem’auraitengloutie,mesauvantd’unsortpirequelamort.Mais,commeçan’étaitpaslecas,lenoirétantunefoisencoreenvedette,riennevintmesauver.Sur sa tombe on écrira : une souris grise qui rêvait de voir la vie en blanc… mais qui,

malheureusement,n’aconnuquelenoir.Lesoutiendemavoixintérieurem’allaitdroitaucœur,commetoujours.Àtonservice,A.—Ly’,l’entendis-jedired’untonsec.Unbrefsilences’ensuivit,puisuncriperçants’élevadutéléphone.—Maisquiêtes-vous?Jerouvrislesyeuxenentendantlavoixdemamère.Ly’devaitavoiraugmentélevolumeetmisle

haut-parleur pour que nous puissions assister à la conversation Trop généreux de sa part... Sesprunellesvertesétaientrivéessurmoi.Commetoujours,l’intensitédesonregardmemitmalàl’aise.Jeme tortillai sur place, en évitant toutefois de faire du bruit. Il nemanquerait plus quemamèrem’entendît!—Jeviensdevousledire,jesuisLy’,répéta-t-il,sanschaleur.—Mais qu’est-ce que…Pourquoi répondez-vous au téléphone dema fille ? s’énervamamère,

impérieusejusqu’auboutdesongles.Unlentsourireétiraseslèvrescharnues.Cen’estvraimentpaslemomentdefixerseslèvres,A,unpeudeconcentration,quediable!Ilest

entraindeparleravectamère!Merde!C’estvrai.J’aifaillioublier…Jecommenceàm’inquiéterpourtasantémentale.Moiaussi…Jecroyaisquetuvoulaismettreuntermeàcettetoquadedéplacée?Ah,bonsang!C’estjuste…Pourquoi,quandjeleregardais,j’enoubliaismesbonnesrésolutions?

Faible,sifaible…—Oh,vousêteslamèred’Annabelle.Ravidefairevotreconnaissance,MadameCampbell.(Son

ton glacial démentait ses propos. Sans grande surprise. Depuis le début, j’avais la sensation qu’ildétestaitmamère.Enfin, encoreplusqu’ilnemedétestaitmoi.) Jeme suispermisde répondre auportabledevotrefillecariln’arrêtaitpasdesonner,etj’aieupeurquecenesoituneurgence.Y’a-t-il un problème, Madame Campbell ? Vous êtes peut-être blessée ou…malade ? (La voix de Ly’dégoulinaitdefaussesollicitude.)Lesilencequis’ensuivitdémontraitquemamèreétaitprisedecourt.Unegrandepremière.—Çanemedittoujourspasquivousêtes,etpourquoivousrépondezaunateldemafille.Oùest-

elle?Jeveuxluiparler.Immédiatement.Jegémisdevant le tonautoritairedemamère.SiLy’avaitétémonpetitami…euhm, jevoulais

diremonmec…ilauraitétéendroitdesesentirinsultédevantl’attitudeméprisantedontellefaisaitpreuve.Mais, connaissantLy’ comme je commençais à le connaître, il n’allait certainement pas selaisserfaire.Petitamiounon.Jevoulaisdiremecounon.Monmecounon.Enfin,bref.Lepireétaitàcraindre.Tupatauges,A…tupataugesgrave!M’enparlepas!—Jesuislemeilleurpotedevotrefilsetunami…prochedevotrefille.(Jefaillism’étoufferen

entendant ça. Un ami proche de moi ? La bonne blague !) Très proche, même. (Là, je frôlail’infarctus.)Etsijerépondsàsontéléphone,c’esttoutsimplementparcequ’elleestcheznousencemoment.ChezDrewetmoi,jeveuxdire.(Lasituationempiraitdeminuteenminute.)Là,elleestauxtoilettes.Vousvoulezluilaisserunmessage?ÀmoinsquevousnesouhaitiezparleràDrew?Leveninquisuintaitdanssadernièrephrasenenouséchappapas.Iln’avaitsansdoutenullement

échappéàmamèrenonplus.Ly’nel’aimaitpasetnelecachaitpas.Enréalité,illedéclaraitmêmeouvertement,toutenveillantàrestercourtois.Surprenant…Drew avait lamâchoire crispée et il regardait fixement un point devant lui. Je tendis le bras et

emprisonnai sa main dans la mienne. Nous échangeâmes un long regard, rempli d’émotions. Pastoutesbelles.Cefutluiquibaissalesyeux.Unmuscletressautaitdanslecreuxdesajoue,preuves’ilenfallaitquecelaluiétaitpénible.GeorgianaCampbelldemeuraitunsujetsensible.Mêmeaprèstoutce temps.Maisquel enfant pourrait oublier que samère l’avait renié ?Aucun.C’était unedouleurmarquée au fer rouge, là, juste sous le cœur. Pareil au plus virulent des poisons, cette marquecontinuait à distiller son venin, jour après jour. Les années n’y changeraient rien : cette marqueresteraitàjamaisgravéedanssachair.Toutcommelamienne.Jemelevaidemachaiseetallaim’asseoirsurlesgenouxd’Andy.Parfois,mêmeunpourfendeur

dedragonsavaitbesoindelaprésencechaleureused’unêtreaimé.Ilmeserrafortcontrelui,maisneditrien.Monsoutiensilencieuxluisuffisait.—Dîtes-luidemerappelerleplusvitepossible.Merci.—Pourquoiçanem’étonnepas?susurra-t-ild’un tonmielleux,avantde lui raccrocheraunez.

Cette bonne femme est une vraie garce ! Aussi froide et insensible qu’un iceberg, cracha-t-il, enreposantrudementmonsmartphonesurlatable.(Cettedescriptionmerappelaitquelqu’un…)Illerepritpresqueaussitôtetcommençaàpianoterdessus.

—Hey,qu’est-cequetufais?—Jetransfèresesappelssurmonportable.—Quoi?Ly’mejetaàpeineunregardetcontinuaàpianoter.— J’ai dit que je renvoyais automatiquement ses appels surmonportable. Je te garantis qu’elle

arrêteradet’appeleravantlafindelasemaine.Andyfronçalessourcils,visiblementpeuconvaincu.Enfinuneréactionraisonnable!MercimonDieu!—L’insulterneserapaslemeilleurmoyenpours’endébarrasser.Bienaucontraire.Ly’sefigeaetlevasesmagnifiquesirisvertmentheversnous.—Est-cequejel’aiinsultée?Jememordillailalèvre,nesachantquelpartiprendre.—Non,onnepeutpasdireque tu l’aies insultée…Mais tun’aspas étédesplus aimables avec

elle…Mavoixmourutsoussonregardnoir.Jedéglutispéniblement.—Parcequ’elleaétéaimableavecmoi,elle?—Non,mais…—Sij’avaisététonmec,hein?Tuauraistoléréqu’ellemeparledelasorte?—Non,mais…—Maisjenesuispastonmec,donctut’enfoussiellemeparlemal,c’estça?Jebondissurmespieds.—Non!Tun’yespasdutout!Jemedemandeseulementsic’estvraimentsagequeturépondes

systématiquementàmamèrequandelleappelle,c’esttout.Ellevafinirparcroireque…enfin…toietmoi…,cafouillai-jeennouspointantsuccessivementdel’index.(Deuxfois.)Unsourirederenardétiraseslèvres.—Jen’yavaispaspensé,maisçapourraitêtreunebonneidée…Peut-êtreplustard,sielleinsiste.

Maisrassure-toi,jenecomptepasrépondreàtoussesappels.Seulementàsuffisamment…Jefronçailessourcils.—Suffisammentpourfairequoi?—Pourqu’ellecomprennequ’elledoittelâcherlagrappe.C’estbiencequetuveux,n’est-cepas?

*****

DenouveauaccrochéeàLy’,nousfilionsàtoutealluredanslesruesdeRiverFalls,danslesoleilcouchant.L’ivresseetlalibertéqueprocuraitlamotoétaientinégalables.C’étaitcommechevaucherle vent.Grisant. Enivrant. Envoûtant. PlusLy’ accélérait, plus j’aimais ça. La vitesse fouettaitmonsangetmefaisaitmesentirincroyablementvivante.Jeneconnaissaisriend’autrequipuisseégaler

cettesensationd’euphoriequemeprocurait lamoto.Jerêvaisdeposséder lamienne,unjour.Êtreauxcommandes.Celaseraitcertainement…leparadissurterre.Jepoussaiundiscretsoupirdedéceptionlorsquenousarrivâmes.Letrajetavaitététropcourt.Il

m’avaitpourtantparubienpluslongàl’aller.Dommage…JedescendissagementdelaDucatietenlevaimoncasqueenmemordillantlalèvre.—Ehbien,mercide…—Jeteraccompagneàtaporte,mecoupa-t-il,endescendantàsontour.Unbrefinstant,j’envisageailapossibilitédeprotester.Maispourquoigâcherunebellejournéepar

unevainedispute?Ly’ s’était jusque-làassezbiencomporté,mêmequandAndynousavait laissésseulsquelquesminutes.Àmaplusgrandesurprise,celadit…Ilfautseméfierdel’eauquidort,A.Mouais.Effectivement.Maisc’étaitl’histoiredecinqminutes.L’eaunepouvaitquandmêmepasse

transformerentsunamiencinqpetitesminutes.Si?Jehochailatêteetnousmontâmeslesdeuxétagesquimenaientàmonappartement.Arrivésdevant

maporte,jel’ouvrisetmetournaiverslui.—Mercidem’avoirramenée.Etd’êtrevenumechercher.Jemeseraissûrementégaréequatreou

cinqfoissinon,mesentis-jeobligéed’avouer.—C’étaitavecplaisir,masouris.Jememordillailalèvre,gênée.J’attendaisqu’ilpartît,maisilnesemblaitpasdécidéàlefaire.Endésespoirdecause,jemeraclailagorgeavantd’entamerunmouvementderepli.—Bon,ben,jevaistelaisserrentrerchez…Ilbougeasivitequejenelevispasvenir.Uninstant,nousétionsàquatrepasl’undel’autre,etle

suivant,j’étaistoutcontrelui.Sonbrasétaitenrouléautourdematailleetsonvisagejusteendessusdumien.Commentm’étais-jeretrouvéedanscettesituation?J’ouvris la bouche pour protester,mais aucun son n’en sortit. Le souffle coupé, j’étais devenue

muette.Ilenveloppamonmentondesamainlibreetmefitdélicatementbasculerlatêteenarrière.Lesyeuxécarquillés,jeleviss’approcherlentementdemoi,sanspouvoirfairelemoindregeste.

J’étaisprisonnièredesesprunellesvertmenthe.Exactementcommecematin.Sonregardmetenaitcaptiveetjenepouvaisrienfairepourm’ysoustraire.Levoulais-jeseulement?Seslèvress’arrêtèrentàuncheveudemabouche.—Tu pensais vraiment t’en tirer ainsi ? Je t’avais promis de temontrer,ma souris. Et je tiens

toujoursmespromesses.Toujours,souffla-t-ild’unevoixhachée.C’étaitlasecondefoisquej’entendaisuneémotion,autrequesafroideurhabituelle,transparaître

danslesondesavoix.J’enfustouteretournée.Une puissante vague de chaleur m’envahit et je sentis mon corps se crisper. Mes paupières se

fermèrentaumomentoùseslèvresfrôlèrentlesmiennes.Sonbaiserneressemblaitenrienàl’idéequejem’enétaisfaite.(Ehoui,j’yavaispensé.Plusd’unefois.)J’avaiscruqu’ilseraitimpatient,un

peubrutalpeut-être,etextrêmementdominant.Oriln’étaitriendetoutcela.Ilétaitàl’antipodedecequ’ilétaitauquotidien.Doux,délicat,attentionné.Ses lèvres cajolaient les miennes, les goûtant paresseusement. Comme on se délectait d’un

savoureux dessert, il prenait son temps. Il se recula légèrement, avant de revenir, joueur. Puis seslèvres s’écartèrent, et sa langue entra dans la dance. J’en sentis la pointe tracer le contour demabouche.Cefutd’abordunsimpleeffleurement,aussilégerqu’uneailedepapillon.Progressivement,lacaressedevintplusappuyée,plusintime.J’en frissonnai de plaisir etme collai plus étroitement contreLy’. J’en voulais plus,mais je ne

savaispascommentleluifairecomprendre.Àdéfautdetrouvermieux,jemedressaisurlapointedespieds.Cefutcommeunsignal,dontj’ignoraislasignification,maisqueluiconnaissaittrèsbien.C’était

commes’ill’avaitattendu.Samainquittamonmentonetglissalelongdemagorge,avantdes’ancreràmanuque.Salangue

devint plus insistante, caressant franchement mes lèvres. Les balayant, pour mieux les redessinerensuite.Jelesécartaidansunsoupirdevolupté.Unefoisdeplus,Ly’mepritparsurprise.Aulieudes’engouffrerdanslepassagequejevenaisde

libérer,ilrestasagementauxabords.Toujoursaussipatient,aussidoux.C’étaitunevéritabletorture.Timidement,jesortisleboutdemalangueetallaiàlarencontredelasienne.Jelesentisseraidir

contremoi.Puissalangueréponditàlacaressehésitantedelamienne.Unevalselenteetlangoureuses’ensuivit.Prenantnaissanceàlajonctiondemescuisses,unenouvelleboufféedechaleurmesubmergea.Ne

sachantcommentapaiserlefeuquimeconsumait,jememisàlesfrotterl’unecontrel’autre.Sentant mon trouble, Ly’ se redressa et plongea ses iris verts, plus sombres que d’habitude et

embrumésdedésir,danslesmiens.Ilsepenchaunedernièrefois,caressameslèvresdessiennesetfitglissersonpoucesurmalèvreinférieure.Cettesimplecaressemefitfrémir.Jen’auraisjamaispenséqu’ungesteaussianodinpûtêtreaussi

hautementérotique.Mesorteilsserecroquevillèrentdeplaisir.—Délicieuse…,chuchota-t-ilavantdesereculer.Ilsortitàreculonsdechezmoi,sansmequitterdesyeux.Sespupillesétaienttellementdilatéesque

sesirisétaientdevenuspresquenoirs.J’identifiaicelacommelesignedelapassion.Magnifique.Ehbien,ehbien,voilàquetucommencesàt’yconnaîtreencouleurs,A…Unnouveauhobby,peut-

être?Aprèslevertmenthe,quin’estpasvraimentvertmenthe,voicivenirlevertpassion.Àquandlasuite?Mavoixintérieurevintparasitercemomentdepurevolupté.Quellegarce!Laferme!Pourquelqu’unquinevoitlaviequ’ennoiretblanc,jetrouvequetuesplutôtdouéepourinventer

denouvellesvariationsdecouleurs…Moiquicroyaisjustementquecen’étaitpastonfort…Quelleerreur!Saleté de voix intérieure ! Pourquoi appuyait-elle toujours là où il ne fallait pas ? Et avec une

précisiondiabolique,enplus.Labarbe!Sansprévenir, et indifférent àmonperpétuel combat intérieur,Ly’pivota sur ses talons et partit

sansunmotd’adieu.Jerestailà,stupéfaite,àl’entréedemonappart,lesyeuxrivéssurlemurd’enface,incapablede

bouger.J’avaisdelapeineàréalisercequivenaitdesepasser.Ly’m’avaitembrassé?Maisgenre,vraimentembrassé?Ohbonsang!Etj’avaisaiméça?Oh,oui.J’aivraimentaiméça.Etilétaitpartisansmotdire?Hélas,oui,ilestbeletbienparti.Etdansunsilencesépulcral.Encore frémissante de désir, je ne pouvais que regretter que ce délicieux moment fût terminé.

J’auraisaiméqu’ildurâtéternellement.Pathétique…Jelecrains…Tusaisqu’ils’agitdeLy’?Ehoui…Doublementpathétique!Doublementd’accord…Unesourisgriseéprised’untigre…Onauratoutvu!Le « ding » annonçant l’arrivée d’un nouveaumessageme tira demon hébétude. Dans un état

seconde, je refermaimaporteet sortitmonsmartphonedemonsac.Quipouvaitbienm’écrireundimancheà17h53?Numéroinconnu:Appelletamère.Lemessagen’étaitpassigné,maiscen’étaitpasvraimentnécessaire.Cequ’ilcontenaitmedisait

toutcequejedevaisavoir.Ly’.Commentpouvait-ilsemontreraussifroidaprèslebaiserquenousvenionsdepartager?Cebaiserneluiasûrementpasfaitl’effetqu’ilt’afaitàtoi…Je fronçai lessourcilset réfléchissincèrementàcequevenaitdemediremavoix intérieure. Je

finis par secouer la tête. Non, ses yeux brûlaient de désir. (Ses beaux yeux noirs passion… nocomment!)Etlabossequej’avaissentiecontremonventreparlaitd’elle-même.Ilavaitaiméautantquemoi,j’enétaispersuadée.Alorspourquoiest-ilparticommeunvoleur?Bonne question. Mais un problème à la fois. Celui qui m’attendait s’annonçait suffisamment

cornélien.JeraffermismaprisesurmoniPhoneetprisuneprofondeinspiration.Sansaudace,pasdegloire!Ondécrochaàladeuxièmesonnerie.

—Salut,m’an.

Chapitre12

Affalée sur mon canapé, la tête renversée en arrière, je songeai à la discussion que je venaisd’avoiravecmamère.Direqu’elleavaitété scandaliséeque jeneprenneaucundesesappelsétaitbienendessousdelaréalité.Onpouvaitmêmedirequ’elleenétaitvertederage.Aupointdejurerqu’ellenemerappelleraitpasdesitôt.Pournepasdirejamais.Pieuxmensonge.—Puisque tu leprendsainsi,ma fille, sacheque jene te rappelleraispas !Parfaitement !Et tu

aurasbeaum’implorer,jenecéderaipas!s’était-elleécriée,avantderaccrocherrageusement.Siseulement !Maiscelameparaissait tropbeaupourêtrevrai. J’étaismêmeprêteàparierque,

demain, elle aurait tout oublié. Mais cela ne faisait aucune différence : je l’appellerais dimancheprochain,point.Horsdequestionquejecèdemaintenant.Etmoi,contrairementàelle,jesauraistenirparole.Unefoisn’étantpascoutume,jeveuxbientecroire,A.Merci.Jememordislalèvre,pourmeretenirdepoufferderire,enmerappelantleplusgrosmensonge

quej’aiejamaisproféré:—Ohnon,m’an,pasdutout!Ly’m’aditqu’il t’avait trouvéeabsolumentcharmante.Ilamême

beaucoup insisté pour que je te rappelle le plus vite possible. Il ne tarissait pas d’éloges à tonégard…, luiavais-jeassuré,lorsqu’ellem’avaitdemandécequem’avaitdit lejeunehommequiluiavaitparlé.Croixdebois,croixdefer,sijemens,jevaisenenfer!A,jesuisnavréedeteledire,mais…tuesmalbarrée!Jesecouailatêteenrianttouteseule.Simamèreavaitgobéça,jevoulaisbienêtresacréebonne

sœur de l’année ! Toutefois, sa seule réaction avait été un petit reniflement méprisant. Avant dereprendresesjérémiades.Encoreettoujourslamêmerengaine.«Tuneprendspasmesappels…tupourraism’appelerplussouvent…etc,etc…»C’endevenaitdésespérant!Ilm’arrivaitdemedemandersérieusementqui,d’elleoudemoi,était

laplusimmature.Moi,enfaisantlasourdeoreilleouelle,enseplaignanttoutletemps?Cequiestcertain,A,c’estquetoituespassablementimmature.Lecontrairem’auraitétonné…Tun’enratesjamaisune,toi,cen’estpascroyable!Merci!Cen’estpasuncompliment,bedoume!Majoueétaitrougeetchaude;lamarquedemontéléphonedevaitcertainementyêtreimprimée.

Quantàmonoreille,j’avaislasensationqu’elleétaitbouchée.Quoideplusnormalaprèsavoirpasséplusd’uneheureautéléphone?Jen’étaispasmécontentequecetappelfûtenfinterminé!Jemesouvinsqu’ilmerestaitunsoldedeglaceàlavanilleetauxpépitesdechocolat.Exactement

cedontj’avaisbesoin.Maisavant…

Est-cevraimentunebonneidée,A?Nedevrais-tupasplutôtt’abstenir?Effectivement, ça serait sans doute plus sage. Malheureusement, j’étais incapable de m’en

empêcher.Cetteidéemetrottaitdanslatêtedepuisquej’avaiscomposélenumérodemamère.Plusle temps passait, plus j’y pensais. Au point que ça devînt une sorte d’obsession. D’expérience, jesavaisquejen’enseraispasdébarrasséetantquejenel’auraispasfait.Ouais,maisdèsqueceserafait,tuleregretteras.Jeteconnais,A.Mouais,mouais…Peut-être,onverrabien.J’attrapaifébrilementmoniPhoneetjememisàpianoteràtoutevitesse.Moi:C’estfait.Dèslemessageenvoyé,jeblêmisetmeprislatêteentrelesmains.Oh,putaindebordeldemerde!Maisqu’est-cequejeviensdefaire?Jetel’avaisdit,A.Jeposaimonnatelleplusloinpossibledemoi,commesicelapouvaitchangerquoiquecesoit.Je

melevaid’unbondetmedirigeaiaupasdechargeverslacuisine.J’ouvrisuntiroir,prisunecuillèreàsoupeetsortismaglaceducongélateur.Deretourausalon, jeposai le toutsur la tablebasse,etreprismonsmartphone.C’étaitplusfortquemoi,jenepouvaispasm’enempêcher.Ilfallaitquejesache.Pasdemessage.Bon,enmêmetemps,c’étaitnormal.Jevenaisàpeinedeluienvoyerlemessage.Jereposaimon

iPhoneetouvrismaglace.Àchaquecuillerée,jejetaiuncoupd’œilnerveuxàmonnatel.Oh,monDieu!Ondiraituneadoquicourtaprèssonpremierpetitami!C’estaffligeant,A.Je pris une profonde inspiration et m’appliquai à ne pas réagir.Ma voix intérieure finirait par

disparaîtresijeneréagissaispas.Enfin…peut-être.Jereprisunenouvellecuilleréeavantdelancerunrapidecoupd’œilsurladroite.Toujoursrien.Oh,maisj’ypense!C’estvraiquetun’asjamaiseudepetitami,A!C’esttoutnouveaupourtoi,

toutça.Jecomprendsmieuxpourquoituesexcitéecommeunepuce,ettoutettout.Je serrai les dents et fermai les yeux pour ignorer les parolesmoqueuses, et blessantes, dema

mauditevoixintérieure.Saufqu’ilyaunpetitsouci,A.Unpetitsoucideriendutout,maisunsouciquandmême.Inspiration,expiration.Inspiration,expiration.Inspiration,expiration.Ly’n’estpastonpetitami.Etlespetitesamies,cen’estpassontruc,tutesouviens?Mavoixintérieureavaitraison,jelesavaisbien,maisjenepouvaispasm’empêcherd’espérerque

lebaiserquenousavionspartagépûtsignifierplus.(Monpremierbaiser.)«Ding»Je sursautai, etmanquai de laisser tout tomber pourme jeter surmon portable. Jeme retins de

justesse, à ladernière seconde. Jeposaicalmement le tout sur la tableetprismonnatel, lesmainstremblantes.JedéverrouillaimoniPhone,lecœurbattantàdeuxcentsàl’heure.Et……le monde s’écroula. Mon portable m’échappa des mains, et je ne fis rien pour le retenir,

complètementsonnée.Ilrebonditsurlamoquetteetglissasouslatablebasse.Jenefispasungeste

pourlereprendre.Laboucheentrouverte,lesyeuxsoudainembuésdelarmes,lamaintoujourslevéedevantmonvisage,jerestaifigéesurplace.Avantdemeplierendeux,souslecoupd’unevivedouleurdanslebasventre.Ilmefallutplusieurs

minutespourcomprendrecequim’arrivait.Moncerveauétaitengourdi,etiln’arrivaitpasàmettredesmotssurlemalquimefrappaitaussisoudainement,aveclapuissanced’unTGVlancéenpleinevitesse.Jeglissaiducanapéettombaiàgenoux,enmerattrapant,commejelepouvais,àmatablebasse.

Ungesteinstinctif.Lamâchoirecrispéeàbloc,lesdoigtsrecourbéscontrelasurfacelissedelatable,je tentai de juguler la douleur quime traversait. Comment avais-je pu oublier que cela arriveraitaujourd’hui ?Comment avais-jepu faireune telle erreur ? J’enpayaismaintenant le prix.Leprixfort…Unefois ladouleurmomentanémentcalmée, jemelevaienquatrièmevitesseetmeprécipitaien

courantdansmasalledebains.J’ouvrismapharmacieàlavoléeetcherchailemédicamentqu’ilmefallaitavecunesortededésespoir.Jesavaisquejenedisposaispasdebeaucoupdetempsavantquece mal ne revînt. Et j’avais raison. À peine avais-je mis la main sur ce qui m’intéressait, qu’unnouveaucoupdepoignardmetransperça.Courbéeendeux,jesortisfrénétiquementunegéluledesonemballage,toutensachantqu’ilétait

déjà trop tard. Il faudrait attendreplusieurs heures avant que l’analgésique fût vraiment effet.Et jedevraisenreprendreunàmonréveil,demain.Deuxsemainesaprèstonarrivée,tuvasdéjàsécherlescours…Joli,A,joli!LAFERME!Sijedoissouffrir,quejepuisseaumoinslefaireensilence!La gélule avalée, je me traînai vers mon lit. Ainsi cramponnée aumur, je me fis l’effet d’une

ivrogne.Siseulement…Unefoislelitatteint,jemelaissaitomberdessus…etunenouvellevaguededouleurs me traversa. La nuit s’annonçait longue et inconfortable. Pour ne pas dire carrémentinsupportable.Rouléeenboule,dans lapositiondufœtus, jememordais la lèvreausangpournepascrierde

douleur.Mesrèglesn’avaientjamaisétéunepartiedeplaisir(commepourtouteslesfemmes),maisdepuis troisans,c’étaitdevenuunvéritablecalvaire.Si jeneprenaispasl’analgésique,quim’avaitétéprescrit parmonmédecin traitant, le jour où elles devaient arriver,maisavant leur arrivée, jesouffraislemartyredurantunjourentier.Danslemeilleurdescas.Cequivoulaitdirequ’avecunpeudechance,jeseraisdenouveauopérationneldemainsoir.Tuessûredenerienavoiroublié,A?Jefronçai lessourcilset réfléchisà touteallure.Qu’est-ceque j’auraisbienpuoublier?J’avais

beauchercher,jenevoyaispas.Àmoinsque…Zutdeflûtedecrottedebique!J’avaiscomplètementzappéletampon!Quelleidiote!A,dismerciàtamerveilleusevoixintérieure.Jelevailesyeuxaucielavantdem’extirper,tantbienquemal,demonlitetderetourner,toutaussi

péniblement, dans ma salle de bains. Une fois dûment protégée, je me dépêchai de retournerm’allonger.Jepoussaiunsoupirdesoulagementquandcefutchosefaite.Àforcedemerepliersurmoi-même,monmentonseretrouvaprisensandwichentremesgenoux.

La position était hautement inconfortable, mais aumoins elle soulageait quelque peuma douleur.Malheureusement,jenetiendraispaslongtemps.Jesentaisdéjàdesélancementsdansmesépauleset

dansmanuque.C’estsûr,lanuitvaêtrelongue…Bonnenuit,A,faisdebeauxrêves…Fichuevoixintérieuredemesdeux!…Quellegarce,celle-là!!!

*****

Une douleur continue, dans mon bas ventre, me tira progressivement du sommeil dans lequelj’avais finalement sombré, aux alentours de quatre heures du matin. Le réveil fut doncparticulièrement pénible. Surtout quand je vis qu’il était tout juste sept heures.À quelquesminutesprès.Jemetraînaijusqu’àlasalledebains,pourprendreunenouvellegélule,etaccessoirementchanger

maprotection.Jetitubaijusqu’àlacuisine,enm’arrêtantbrièvementausalon,letempsderécupérermoniPhone,

restésouslatablebasse.Jesortisunebouteilledejusdefruitsetl’embarquaidansmachambre.Jesavaisquejeseraisincapabled’avalerquoiquecesoitavantlesoir,etquelejusdefruitsmeferaitdubien.Cen’étaitdéjàpassimal.Aprèsavoirgoulûmentbuunelonguegorgéedecedélicieuxjus,quimefitleplusgrandbien,je

merallongeaidansmonlit.J’écrivisrapidementunmessageàMarj’etàKimpourlesprévenirquej’étais malade. « Un truc de filles particulièrement désagréable » précisai-je, afin de ne pas lesinquiéter.Puisjecoupailasonnerie,afindenepasêtredérangée.Commeladouleurétaittoujoursaussivive,jemerésignaiàprendreunsomnifère.Jedétestaisces

machins,quilaissaientungoûtpâteuxdanslaboucheainsiqu’unesensationdeplanerauréveil.Jenelesprenaisqu’endernierrecours.Etlà,jen’enpouvaisplus.Fallaitabsolumentquejedorme.Cefutcequejefis.Jedormisjusqu’àquatorzeheures,d’unetraite.Jeclignaidespaupièresetmisuncertaintempsàraffermirmavision.Jevoyaistroubleetj’avais

l’impressiond’avoirlatêteàl’envers.Vivelessomnifères!Hey,çarime,enplus,A!Latêteàl’envers,lessomnifères…Ouah,t’esenforme!La…ferme…putain…de…voix…intérieure…de…merdeeeeee…Ouah,t’asl’aircomplètementbourrée!Essaiedenepastomberentelevantdulit,cettefois,A.Jegrimaçaiet fermaifort lespaupières,commesicelasuffiraitàchassercettevoixagaçante,et

particulièrementchiante,quirésonnaitdansmatête.Onnepouvaitpasêtremaladeenpaix?Qu’est-cequejenedonneraispaspourquelquesinstantsdesilence!Jemelevailentement,etprudemment,maiscelanesuffitmalheureusementpas.Lemondesemità

tanguerautourdemoi.—Ouah…,m’exclamai-jeàhautevoix,avantdemeretrouverassisesurmonlit.Cen’étaitpasvraimentcequiétaitprévu.Sicelan’avaittenuqu’àmoi,jemeseraisimmédiatement

recouchée.Maislasensationd’êtreunefontainetroppleine,quidébordaitdetouslescôtés,meforçafinalement àme relever. Il fallait impérativement que j’aille à la salle de bains pour changermon

tampon.Toutenpriantpourqu’ilnefûtpastroptard.Pour une fois, la chance fut de mon côté. C’était limite, mais les dommages n’étaient pas

irréparables. Mon lit devait s’en être sorti indemne. Ouf ! Il n’aurait plus manqué que je doivechanger lesdrapsdans l’état où j’étais.Ça aurait étéune combine à finir étaléepar terre, la tête àl’envers.Pourdevrai,cettefois.Dégoulinante de sueur et puant le bouc, jeme décidai de prendre une douche. Tant pis pour la

douleur.Siellerevenait,jem’assoirais.J’avaistropbesoindemerafraîchir.Adviennequepourra…L’eaufroidecoulant le longdemoncorpsmefitunbienfou.Et l’absencededouleursétait très

appréciable.Jerestaibienpluslongtempsqueprévusouslejetd’eauetenprofitaipourmelaverlescheveux.Normalement, j’évitaisdeles laverdeuxjoursdesuitecarc’était lemeilleurmoyenpourqu’ilsdeviennentgras.(Beurk,quellehorreur!)Maislà,avectoutcequej’avaistranspiré,cen’étaitpasduluxeetjedécidaidefaireuneexception.Une foisproprecommeun souneuf, jem’enveloppaidansmonpeignoir etmedirigeaivers la

cuisine.Unpetitencasseraitplusquebienvenue!Ilfallaitavouerquej’avaislescrocs,n’ayantrienavalédepuis laveilleau soir. J’étaismêmecarrémentaffamée.Maisn’ayantpas lecouragedememettreauxfourneaux,jemecontentaid’unfrugalsandwich.Je venais tout juste de le terminer lorsque je me mis à bâiller. Un autre inconvénient des

somnifères:unefatigueprolongée.Avantdemeremettreaulit,j’enfilairapidementunslipetuntee-shirt. Si d’habitude j’aimais dormir nue, j’évitais de le faire quand j’avais mes règles. On n’étaitjamaisàl’abrid’unefuite,etjepréféraisnettementdevoirchangerdeslipquededraps.Àchacunsespetitesmanies.Certainsenontplusqued’autres…Gnagnagna…Il me semblait que je venais tout juste de me rendormir quand j’entendis mon natel vibrer. Je

grommelaidansmabarbeetmetournaidel’autrecôté.Malheureusement,lesvibrationscontinuesetpersistantesdemoniPhonecommencèrentàmesortirdeforcedematorpeur.Endésespoirdecause,jemismonoreillersurmatête.(C’étaitgénéralementcequ’ilsfaisaientdanslesfilms.)Saufquecelan’ychangearien:lesvibrationssefirenttoujoursentendre.Jesortispéniblementunbrasdesousmacouetteettâtonnaisurmatabledechevetpourattraperce

fichuportable.BAM!Eh,merde.Jevenaisdelefairetomber.Jerampaiauborddulitpourallerlerécupérer.Étantdonnéqu’ilétait

facecontreterre,jenevispasquiétaitl’importunenleramassant.Lesyeuxfermés,jemeréinstallaicorrectementdansmonlittoutenportantmonnatelàmonoreille.—Bonsangdebois,m’an!Ons’estparléhieretjet’aiditquejeterappelleraidimanche.Alors,

pourunefoisdanstavie,soisgentilleetfaiscequ’ontedemande!Merdeàlafin!criai-je,aprèsavoirdéverrouillémoniPhone.J’étaisdemauvaispoil,aprèsavoirpasséunenuitparticulièrementpourrie,etjen’étaisvraiment

pasd’humeuràfairedesrondsdejambeàmamère.Maisalorsvraimentpas.C’estça,A!Vas-y!Telaissepasfaire!

Je prenais une profonde inspiration, dans l’intention de poursuivre ma tirade, quand moninterlocuteurmecoupal’herbesouslespieds,pourainsidire:—Bordel,t’esoù,Annabelle?Je fronçai les sourcils et tentaide reprendremesesprits.Visiblement, cen’étaitpasmamèreau

bout du fil. Elle ne m’appelait jamais « Annabelle ». Ou alors, elle enchaînait avec « MaryKatherine ». Annabelle Mary Katherine. Avait-on idée de donner un nom pareil à sa fille ?Heureusementqu’ellenel’utilisaitquepourmefairelamorale.Commehier.De plus, la voix qui venait de résonner dansmon oreille était trop grave pour être celle dema

mère.Ettropfroide.Unevoixmasculine,assurément.— T’es pô ma môman, répondis-je bêtement, en me demandant pourquoi cette voix m’était

familière.—Brillantedéduction,Annabelle.Tul’astrouvéetouteseuleouontel’asoufflée?Maisc’étaitquicemecquisepayaitmatêtecommeça?Etcommentilavaiteumonnumérode

natel?Etpis,c’étaitquibonsang?—Jel’ailudansuncarambar.Pourquoi?T’esjaloux?Etpis,pourquoitum’appellesd’abord?Jevoulusajouterunvulgaire«t’esqui?»,maisjen’eneuspasletemps.—D’accord…qu’est-cequit’arrive,Annabelle?T’asbuouquoi?—Ouquoi…—Arrêteimmédiatementcepetitjeuetdis-moioùtues!Cettevoix froidemedisait vraimentquelquechose.Maispourquoin’arrivais-jepas àmettreun

nomdessus?Etce sentimentdecolèrequim’avaitenvahiedèsque je l’avaisentendueme laissaitperplexe.Toutecetteagressivité…celanemeressemblaitpasvraiment.D’habitude,j’étaisplutôtdugenresourisgrise.Étrange.—Devine!—Répondsàmaputaindequestion,Annabelle!OÙ.ES.TU?— Diiiiiiinnnnnnggggggg, doooooonnnnnnnng ! Mauvaise réponse ! Merci d’avoir joué avec

nous!Venezretentervotrechancedemain…Etjebouclai.Jenesavaistoujourspasquiétaitcemec,maiscequejevenaisdefairemesoulagea.Jefixaimonplafond,unsourireniaisauxlèvres.Décidément,lemélangeanalgésique-somnifère

neme réussissait toujourspas. Je savaisque je regretteraiscertainementmongesteplus tard,maispourlemoment,c’étaitlepied.Nouvellesvibrations.Jefixaiunmomentmonnatelsanslevoir,toutenrageantcontrecesgensquinepouvaientpasme

laisserenpaix.Cen’étaitpaslameràboire,toutdemême!—Quoi,encore?aboyai-jeendécrochant.Ileutuncourtsilenceàl’autrebout,suivid’unhoquetdesurprise.—Souris?—Andyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyyy!Commentçamefaittropplaisirdet’avoirautéléphone!Mon

grandfrèreadoré!Commentquetuvis?…Euhm,vas?

Courtepause.—Anna,est-cequetuasbu?Lavoixsoucieusedemonfrèremefitpouffercommeuneidiote.Saletédemédicaments.—Maisnan,pôdutout!Promis,juré,craché!…Oh,merde!Jeviensdecrachersurmacouette!

Faischier!Jelaissaitombermonportable,sansautrefaçon,etattrapaiunmouchoirquitraînaitsurmatable

dechevet.Jefrottaiénergiquementmesdrapstoutenjurantcontremaproprestupidité.—Anna?…Anna!…Maisbordeltufousquoi,Anna?…Allo?…T’eslà?…Anna!JereprismaladroitementmoniPhone.—Maisoui, je suis là !Oùvoudrais-tuque je sois d’autres, sérieux ?Mais comme je viensde

crachersurmacouette,fautbienquejenettoie,non?Pfffff,lesmecs!Jevousjure…,ronchonnai-jeenmelevantpourallermettremonmouchoiràlapoubelle.(Chosequiauraitdûêtrefaitedepuisdesjours,vul’étatduditmouchoir.Beurk.)—Ok,cettefoisc’estsûr,t’esbourrée.C’estpourçaquetun’espasalléeencours,aujourd’hui?Ilcommençaitvraimentàmechaufferàdireque j’étaisbourréealorsquecen’étaitpasvrai. Je

planaijusteàcausedeseffetssecondairesdesmédocsquej’avaispris,nuance.—Maisjenesuispasbourrée!Bordel,Andrew,t’eschiantàinsistercommeça.Nouveausilence.—D’accord, Anna, d’accord. Donc, si t’es pas bourrée, qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi t’es

commeça?Etsurtout,surtout,pourquoi t’espasencours?Séchern’estpas lemeilleurmoyendecommencertonannéeuniversitaire…Lescoopdusiècle!Monfrère,desfois,ilpouvaitdiredecesévidencesquin’avaientnullement

besoind’êtredites.Genre…Commesijenelesavaispas.— Je ne suis pas bourrée, je plane. Ce n’est pas du tout pareil. Je suis comme ça à cause des

médocs,effetssecondairesparticulièrementchiants.Etj’aimesrègles.J’entendismon frère s’étouffer avec sa propre salive. J’eusun souriremoqueur.Était-ce lemot

«règle»quiluiavaitdéplu?—Qu’est-cequetuviensdedire,Anna?Jeprisunmalinplaisiràluirépondreendétachantbienchaquesyllabe:—J’-aim-esrè-gl-es.—Ok,c’estbiencequimesemblaitavoircompris.Etpourquoile…(Ils’interrompitbrusquement.)

Non,enfait,jeneveuxpassavoir.Maispourquoit’aspasditçaàLy’quandilt’aappelé?Ilm’aditquetul’avaisméchammentenvoyébouler…Oh!NousavionsenvoyéboulerlepauvrepetitLy’…Quelleméchantefillenousétions!Assurément,A.Oh,queoui!Ly’doit…Ly’…L…Oh,merde!Oh,merde!Oh,merde!Lamémoiremerevintbrusquement.Lemecquejevenaisd’envoyerpaître,c’étaitLy’.Lemeilleur

pote demon frère.Lemecqui venaitme chercher enmoto le lundi après-midi, après le cours delittératureanglaise.Lemecquim’avaitembrassédimanche,aprèsm’avoirramenéeàlamaison.Lemec…quim’avaitenvoyéunmessagedisant«Tuveuxunemédaille?».Mes yeux flamboyèrent soudain de rage. Et il avait osé cafter àmon frère ?Alors quemoi, je

faisaisdespiedsetdesmainspournepasluirapportersoncomportementàlui?Jedétestaisvraimentcemec.Vraiment,vraiment,vraimentbeaucoup.Mais tuasaimésonbaiser,A.Et tuasétédévastéeenrecevantcemessage,hiersoir. Ilne t’est

doncpassiindifférentquetuvoudraisbienlefairecroire…Unpoint,unsatanémauditpoint,pourcettefichuevoixintérieure.Qu’est-cequejedétestaisquand

elleavaitraison!Voixintérieure:unmillion;Anna:deuxoutrois…(Ouplusexactementmoinsunmillion!)Celaétant,cen’estpasparcequeluiestuncafteur,quetudoisforcémentenfaireautant.Trèsjuste.Brillant,même.—Jen’aipasreconnusavoix.J’étaisencoredanslesvapes…complètementmême.Etjemesuis

sentieagresséed’entrée.Ducoup…j’aipeut-êtreunpeudéconné.Jenesaispas.Jenemerappellepastrop.(L’excusepratiquedetouslesbourrés.)Maisnet’inquiètepas, jesuisàlamaison,pépèredansmonlit,etdemainçairanettementmieux.Jeviendraiencours.—Ok.JevaisdireàLy’cequ’ilenest. Ils’inquiétaitdenepas t’avoirvueà lasortieducours,

c’esttout.C’estunmecbien,Anna.Soussesairsdegrandméchant,c’estunmecenor.Jet’assure.T’asbienvudimanche?Ohçaoui !Pourvoir, j’avaisvu.Maisnesouhaitantpasvraimentdébattredecesujetavecmon

frère,jemecontentaid’acquiesceretdeluisouhaiterunebonnefindejournée.Ly’s’inquiétaitpourmoi?Labonneblague.Aprèsavoiravaléunebarredecéréales,jeretournaisagementmecoucher.Dieuseulsavaitcequi

pourrait sortir dema bouche si j’avais lemalheur de rester éveillée.Mieux valait ne pas tenter lediable.Je venais juste de me remettre au lit quand une nouvelle vibration me fit froncer les sourcils.

Qu’est-cequ’onmevoulaitencore?!Jeprismonnateletledéverrouillai.Numéro inconnu : T’es bien une gonzesse ! Chiante jusqu’au bout des ongles pour des

conneries.Tunepouvaispassimplementmeledire?Jeblêmisen lisant lesdouxmotsquevenaitdem’envoyerLy’.Carcemessagenepouvaitvenir

quedelui.Maréponsenesefitpasattendre.Moi:Ettoi,tuesvraimentunconnard…Nem’adresseplusjamaislaparole!Pau’vetype.

Chapitre13

Nousétionsvendrediet,unefoisn’étantpascoutume,j’avaisréussi,parjenesavaisquelmiracle,àéviterLy’durantquasimenttoutelasemaine.Jel’avaiscertesentraperçumardietjeudi,maissansplus.Si luim’avaitvue, iln’enavait rien laisséparaître.Deplus, iln’avaitpascherchéàvenirmeparler. Je ne savais pas si je devais m’en réjouir, ou, au contraire, me sentir blessée par tantd’indifférence.Pourtant,aprèsleseffortsmonstrueuxquej’avaisfaitspouréviterdemeretrouverensaprésence,çaseraitlecombledel’ironie.Nedevrais-jepas,aucontraire,m’estimerheureusequ’iln’eût pas cherché àm’approcher ? Surtout si c’était pourme couvrir de sarcasmes, comme à sonhabitude.Moinsjelevoyais,mieuxquejemeportais.Alors,pourquoitun’arrêtespasdepenseràlui,A?Bonnequestion.Maiscommejepressentaisquelaréponseneseraitpasàmaconvenance,j’évitai

d’yrépondre.Leplussimpleserait,évidemment,denepluspenseràlui.Malheureusementpourmoi,mon subconscient ne semblait pas partager mon opinion à ce sujet. Il était même d’un avisradicalementdifférent.Quandma voix intérieure, quime pourrissait la vie au quotidien, etmon subconscient, quime

couvraitd’imagesdeLy’,seliguaientcontremoi, jemeretrouvaisseuleetsansdéfensefaceàcesdeuxredoutablesadversaires.Etenminoritéabsolue.Lavien’étaitvraimentpasjuste.Noire,A,lavieestnoireencemoment.Ça,c’étaitlalitotedusiècle.Peut-êtremêmedumillénaire.Car,depuisquej’avaisemménagédans

leWisconsin,jen’avaiseu,àmaconnaissance,qu’uneseuleetuniquejournéeblanche.Àcroirequele sort s’acharnait contre moi. À ce niveau-là, on ne pouvait même plus parler de karma. Et lemeilleurpourlafin,lacerisesurlegâteau:mamère,matrèschèrepetitemaman,continuaitàmeharceler.Quoi?Jenevousl’avaispasdit?Suiteàmonmessage,Ly’avaitvisiblementannuléladéviation

qu’ilavaitprogrammée.Ducoup,c’étaitbienmoiquirecevaislesappelsdemamère.Quandjevousdisaisquelavien’étaitpasblancheencemoment,jenefabulaispas.Bienaucontraire…Cela pourrait-il être pire ?Oh, que oui ! Je ne voyais pas bien comment,mais je savais que ça

pouvaitl’être.Çalepouvaittoujours.(C’étaitlabasemêmedel’emmerdementmaximum:onsavaitquand ça commençait, mais jamais quand ça finissait.) Aussi, j’évitais de trop me pencher sur laquestion.Ledestinn’aimaitpasêtrecontrarié.Et,pourmapart,j’enavaiseudéjàmadose.Autantenlaisserunpeupourlesautres.Qu’est-cequetupeuxêtregénéreuse,A!Jesuistrèsimpressionnée!N’est-cepas?J’aitoujoursditquej’étaisunamour.Euh…fautpaspousser,nonplus.Ahbon?Pourtant, si j’attendaisque les autresme lancent des fleurs, elles risquaient demourir

desséchéesavantquejenelesreçoive…Nedisait-onpas,d’ailleurs,quenousn’étionsjamaisaussibienservisqueparnous-mêmes?Mouais,maisselancerdescompliments,c’estlesummumduridicule,situveuxmonavis,A.Tusaisquoi?Jenemerappellepast’avoirquestionnéeàcesujet…Etmaintenantquej’ypense,je

medemandebienpourquoi…Silence.Oh.Mon.Dieu!…Lesilence…Que c’était agréable ! Pour une fois, ma voix intérieure n’avait rien à y redire. J’étais sortie

vainqueur!Quelledélicieusevictoire!Voixintérieure:zéro;Anna:unmillion!!!Jemeretinsdejustessedesautersurplace,tantj’étaisheureused’avoir,pourunefois,remporté

uneescarmouchecontremavoixintérieure!Laplusdélicieusedespremièresfois…Youpi!Hip,hip,hip,hourra!Vivemoi!Jeme glissai en souriant dansmon siège, très contente demoi. J’étaismême à deux doigts de

siffloter en sortant mon exemplaire duMaire de Casterbridge. Même l’idée d’étudier, encore ettoujours,cemauditbouquinneparvenaitpasàternirmonhumeur.Malheureusement,leblondinetquis’assitàmescôtés,parcontre,nefutpasloind’yparvenir.Merappelantjusteàtempsquej’avaispromisdeluiaccorderunesecondechance,jeluiadressai

unsourirehésitantaulieud’unregardassassin.Allez,A,unpetiteffortettuvasyarriver!Siçasetrouve,vousallezmêmedevenirsuperpote!Maisbiensûr…—Salut,dis-jeduboutdeslèvres.Ilmefitungrandsourire,dévoilantdesdentsparfaitementblanches.(Ilauraitputournerdansune

pubdedentifricesansproblèmes.)A!Ben,quoi?C’estvrai…—Salut,Annabelle.Çamefaitplaisirdetevoir.Commetun’aspasassistéaucoursdelundi,j’ai

cruquejet’avaisfaitfuiretquetuavaisdécidéd’abandonnercettematière.Est-cequemoijet’aidemandépourquoitun’étaispasencoursvendredidernier?Non!Alors?!?Eh bien, en voilà un qui n’était pas imbu de lui-même ! J’eus fort à faire pourmaintenirmon

sourireenplace.Unetellearrogance,çamehérissaitlepoil.Pourtant,tudevraisavoirl’habitude,avecLy’…Certes.Mais Ly’, ce n’était pas tout à fait pareil. Uneœuvre d’art ambulante avait de quoi être

arrogante,alorsqueBlondinet,lui,étaitplutôtdugenreclassique.Pournepasdirebanal.Ah bon ?Moi je le trouve plutôtmignon avec ses yeux bruns et ses cheveux blonds, savamment

décoiffés.Pourquoiçanemesurprendpas?Etpis,avecsonbeausourire,ilestvraimentcraquant.Regardelesbellesfossettesqueçaluifait!Jedusfaireunefforttitanesquepournepaspincerleslèvresetleverlesyeuxauciel.Cettevoix

intérieure,vraiment,quelleemmerdeusedepremièreclasse.Pourquoiétait-ellesystématiquementendésaccordavecmoi?Parcequetuastoujourstort,A,toutsimplement.

Maisbiensûr…etlamarmotte,ellemetlechocolat,danslepapierd’alu!—Ehben,tun’espasdugenremodeste,toi.Etnon,commetuvois,monabsencedelundin’avait

rienàvoiravectoi.Unsimplerhum,riendegrave.(Jen’allaistoutdemêmepasluidirequej’avaismes règles. Il serait capablede s’imaginerquecela revenait à lui fairedesavances.) Je te rassure,celuiquipourramefairerenonceràunematière,simplementparsaprésence,n’estpasencorené.(Enfin, si,mais comme jen’avais jamais cours avec lui, laquestionne seposait pas.)Et sinon, tut’appellescomment?Jenecroispasquetumel’aiesdéjàdit…(Jen’allaispascontinueràl’appeler«blondinet».Çarisquaitdesortirtoutseul,àunmomentouàunautre,etjeseraisjustesupergênée.)—Vincent.Maistupeuxm’appelerVince,répondit-il,enmefaisantunclind’œil.Jehaussailessourcils,intriguéeparceprénomauxconsonancesfrancophones.—C’estunprénomfrançais,non?Vincehochalatête,toutenfouillantdanssonsac.—Ouep,m’zelle.Mamèreestfrançaise.—Cool.Ducoup,jeprésumequetuesdéjàalléenEurope?LaFranceétait-elleaussibellequ’on

ledit?Ilsortitsoncahieretsetournaversmoi.—Onyvachaqueété.Ehoui,jetrouvequelaFranceestunpaysmagnifique.EtlesFrançaisestrès

jolies,ajouta-t-ild’unairmalicieux.J’éclataiderireensecouantlatête.Lesmecsétaientdécidémenttouslesmêmes.— Si tu le dis, je te crois sur parole. Tu es sans aucun doute meilleur juge que moi dans ce

domaine.— J’avoue. Tiens, je t’ai fait une copie de mes notes de lundi. Ça pourrait te servir pour la

dissertationqu’ondoitrendrelasemaineprochaine,annonça-t-il,enmetentantdeuxfeuillessortiesdesoncahier.Jeclignaidespaupières,prisedecourt,avantdetendrelamainpourlesprendre.Jenem’attendais

pasdutoutàunetelleattentiondesapart.C’était…vraimenttrèsgentil.Jet’avaisditqu’ilvalaitledétour,A.Pourquoitunemecroisjamais?Cequiestsûr,entoutcas,

c’estquejamaisLy’n’auraiteuunetelleattentionàtonégard.Ça,jenepouvaispaslenier.—M-m-merci,bafouillai-je,affreusementgênée.(Jefrémisensentantmesjoueschauffer.Super!

J’allaisdenouveauvireraurouge.)C’estcooldetapartd’yavoirpensé.Ilhaussalesépaules,nonchalant.—Jet’enprie,Annabelle.C’estlamoindredeschoses.Jegrinçaidesdentsenl’entendantm’appelerparmonprénom.—Anna.C’estjuste…Anna,précisai-jeavecunpetitsourireencoin.—Ok. C’est noté… Juste Anna,me taquina-t-il, avant de reporter son attention sur le prof qui

venaitdeprendrelaparole,pourcommencersoncours.Je suivis son exemple et tentai, tant bien que mal, d’écouter attentivement ce que le prof nous

racontait.Mais j’avaisbeau faire,pourmoi, toutcelan’étaitqu’un immensecharabia,parfaitement

incompréhensible.Commencer la journéepar un cours de littérature, visiblement, ce n’était pas lemust.Oualors,c’étaitl’effetThomasHardy.Situparsdéfaitiste,A,forcémentquetun’yarriveraspas.LepréjugéquetuassurHardynet’est

pasbénéfique.Maisalors,pasdutout.C’étaituneévidence.Hardyn’étaitpasmatassedethé,etducoup,jenepouvaispascomprendrece

quejenevoulaispascomprendre.Tucoursàl’échecavecuneattitudepareille.Tucroisquejenelesaispas?Alors,qu’est-cequetuattendspourchanger?Jegrommelaidansmabarbe,enmeredressant,commesicelapouvaitmerendreplusréceptive.—Unproblème,Anna?En entendant la question de Vince, je sursautai violemment. J’avais complètement oublié sa

présence. Un peu plus et je me serais littéralement couverte de ridicule. J’avais si peu l’habituded’avoirdesgensautourdemoi,quifaisaientattentionàmoi,quej’enoubliaisqueparlertouteseulen’était pas vraiment un signe de normalité. Avoir une voix intérieure, avec qui on conversaitcouramment,étaitplutôtunsignededémence.Non,sansdéc’?Mais à force d’avoir été seule, sans amis ou amies durant de longues années, peut-être étais-je

effectivement devenueunpeu folle. Il allait vraiment falloir que jemepenche sérieusement sur laquestion, avant de faire une bourdemonumentale qui ferait le tour du campus.Et plutôt deux foisqu’une.Élémentaire,moncherWatson!—Non, non, du tout,marmonnai-je en cherchant une excuse plausible. Je crois qu’Hardy a des

effetsplutôt…étranges…surmapersonne.Surtoutdesibonmatin.Etunvendredi,quiplusest…Vincegloussa,mais,heureusement,n’insistapas.Tun’auraspasautantdechancelesprochainesfois,A.Situarrêtaisdemeparler,aumoinsquandilyadumondeautourdemoi,jeneseraisplussujetteà

detellesboulettes.Non?Laisses-moiréfléchir.Une scène de l’âge de glace 2me traversa brièvement l’esprit. Celle oùManny, lemammouth,

faisaitsemblantderéfléchiràunequestiondeSid,leparesseux.Jedusmemordrelalèvreinférieurepournepaspoufferderire.Quelleidéedepenseràcelaaubeaumilieuducoursdelittérature!Etjusteaprèsavoirdécidéd’êtreleplusnormalpossible…Visiblement,j’avaisencoreduboulot!C’estbon,j’airéfléchi.Laréponseestnon.Quellesurprise!Toutefois,mavoixintérieuremelaissaenpaixjusqu’àlafinducours.Mêmesicelanem’avaitpas

vraimentaidéàmeconcentrer,c’étaitmieuxquerien.— J’ai l’impression qu’Hardy te donne du fil à retordre, lança Vince, lorsque nous nous

dirigeâmesverslasortie.

—Siseulementc’étaitjusteuneimpression!m’exclamai-jeensecouantlatête.Ilm’adressaunregardcompatissant.—Situveux,onpourraitsevoirdemain,oudimanche,etjepourraistefileruncoupdemainpour

larédactiondetadissert’.Jepilainet,avantdepivoterverslui,abasourdieparcequ’ilvenaitdemeproposer.—Tuessérieux?—Ben,oui.Pourquoi?Ondiraitqueçatesurprend.Et encore, il était loin du compte. J’étais bien plus que surprise. C’était la première fois que

quelqu’unseproposaitdem’aiderpourrédigerundevoir.Autrequemamère,évidemment.Jedusmefaireviolencepournepassautersurplace,tantsapropositionm’enchantait.Génial!Jetel’avaisdit,A,qu’ilvalaitledétour…Quiavaitraison,unefoisdeplus?—Ehbien…— Annabelle n’est pas disponible ce week-end, me coupa froidement Ly’, en apparaissant

soudainementànoscôtés.J’en restai commedeux rondsde flan.Ly’ avait-il biendit cequ’ilme semblait avoir entendu ?

J’ouvrislabouchepourrépondre,maisVincemedevançadejustesse.—Oh,zut.Dommage.Uneautrefois,peut-être.—J’endoute,déclaraLy’d’untoncoupant,avantdem’empoignerfermementparlebras.Onyva,

Annabelle.Puis,sansautreformedeprocès,ilmetraînaàsasuite,unefoisdeplus,sansmelaisserd’autres

choixquedelesuivre.Moi,quipensaism’enêtredébarrasséepourdebon,c’enétaitpourmesfrais.Encore.Ilcontournalebâtimentenmetirantderrièrelui,puismeplaquadurementcontrelafaceouest.Les

deuxmainsposéesàplatcontrelemur,dechaquecôtédematête,ilsepenchaversmoi,m’encerclantcomplètement.L’œilnoir,ilavaitlatêtedesmauvaisjours.(Maisavait-ilseulementdesbonsjours?Passûr…)—Jet’interdisdet’approcherdecemec!Sonordrefenditbrusquementlesilencequis’étaitinstalléentrenous.Jemeraidis,enmecollantle

pluspossiblecontrelemur.S’ilpouvaitm’avaler,etmesoustraireàLy’,jeluienseraisextrêmementreconnaissante.Pitié!Underniersursautdefiertémefitenfinréagir.C’estça,A,résiste!Netelaissepasfaire!Affirme-toi!Soisforteetintransigeante!—Tun’aspasàm’interdirequoiquecesoit!SijeveuxétudieravecVince,j’enai…Unrirefroidetgrinçantmecoupanetdansmalancée.—Vincen’aaucuneintentiond’étudieravectoi,commetudis.Oudumoins,paslalittérature.Jefronçailessourcilsetluiadressaiunregardnoir.—Etqu’est-cequ’ilvoudraitétudierd’autre,à tonavis?C’est le seulcoursquenousavonsen

commun!Enfin…jecrois,rétorquai-je,soudainmoinssûredemoi.Non,A,tudoisêtreforteetintransigeante.Pasd’hésitation!Netelaissepasfaire!—Tune peuxpas être aussi naïve, quandmême ! grommela-t-il entre ses dents serrées. (Je lui

lançaiun regardperdu,nevoyantpas le rapport.) Il a enviede tebaiser,Annabelle.De.te.bai-ser !beugla-t-il,endétachantsoigneusementchaquesyllabe.Deux poings serrés frappèrent lemur, de part et d’autre dema tête. J’en sursautai de surprise,

légèrement(vachementbeaucoup)apeurée.Enfait…c’estpossiblequ’ilaitraison,surcecoup-là,A.Génial…Jenepeuxrienfairepourt’aider.Désolée.Désolée…Mesfesses,oui!Fichuevoixintérieure…Jeblêmis,avantdesecouernégativementlatête.—Non.Tudisn’importequoi.Ilnem’amêmepasdraguée.Ly’levalesyeuxauciel.—Évidemment.Puisqu’ilveutsimplementtireruncoup,viteenvitesse.—Jecroyaisquec’étaittaspécialitéàtoi,ça!lançai-jedutacautac,d’untonmordantdontjene

meseraisjamaiscrucapable.(ToutdumoinspasavecLy’.)Ly’sefigea.Puisunlentsourireétiralecoindeseslèvres.Aïe!Mauvais,mauvais,mauvais…—Serait-cepourçaquetuesfâchéecontremoi,masouris?susurra-t-il,ensecollantlentement

contremoi.Parcequetucrèvesd’enviequejetebaiseetquejenel’aipasencorefait?Je tentaide le repousser,maismeseffortsdemeurèrentvains.Lesmusclesd’acierque je sentais

sous mes doigts se contractèrent, mais ne bougèrent pas d’un pouce. Je déglutis péniblement, nesachantcommentmesortirduguêpierdanslequeljevenaisdemefourrer.—Non,pasdutout.Tuessûre,A?Certaine!—Annabelle…jecroyaisquenousavionsréglécettehistoiredemensonge.Tusaisbienquejelis

entoicommedansunlivreouvert,souffla-t-iltoutcontremeslèvres.Je tournai la tête,dans l’espoird’éviter lebaiserqu’il était sur lepointdemedonner.Quand je

sentis ses lèvres contremagorge, j’en frémis d’horreur.Cette sensation était encore plus grisantequ’unbaiserdelui.J’enfrissonnaideplaisir.—Tuasenviedemoi,masouris,inutiledelenier.Tuasenviequejetebaise.Il posa une main sur mon épaule, avant de la laisser glisser le long de mon bras, jusqu’à ma

hanche.Puisdedescendreencore.Sabouchecontinuadebutinermoncou,m’envoyantdesdéchargesélectriques dans tout le corps. Sa main agrippa fermement l’arrière de ma cuisse et la souleva àhauteurdesesreins.Saboucheremontalelongdemagorge,pours’arrêteraucreuxderrièremonoreille.

—Jepourraisteprendrelà,maintenant,sijelevoulais,masouris.Tuastellementenviedemoiquetun’enasrienàfoutrequ’onpuissenousvoir.(Savoixrauquemerendaitfolle.)Unevraiechatteenchaleur…,lâcha-t-ilcruellement,suruntonfroid,ensereculantlégèrement.Savoixmefitl’effetd’unedoucheglacée.Celaeutleméritedemefaireredescendresurterre.—Lâche-moi.Lâche-moi!hurlai-jeenmedébattantviolemment.Voyant qu’il ne bougeait pas d’un cil, je sentis des larmes de ragememonter aux yeux. L’une

d’elless’échappaetroulasilencieusementlelongdemajoue.Jevis ses irisvertmenthe flamboyeret severrouiller àcette larmesolitaire.Uneexpressionde

chocselutsursonvisage.Ils’écartaimmédiatement,lespoingsserrés.Je bondis instantanément sur le côté et partis en courant, sans demander mon reste. À aucun

momentjenemeretournaipourregarderderrièremoi.Jenepensaisplusqu’àuneseulechosefuirleplusloinpossible.Je ne m’arrêtai qu’une fois le bâtiment central atteint. Hors d’haleine, je pris de longues et

profondesinspirationspourmecalmer.Appuyéecontreunarbre,jemerepassaienbouclelascènequivenaitd’avoirlieu.Cequimefrappaleplus,cenefutpascequis’étaitproduit,maisplutôtmaréactionàmoi.Aveclepasséquiétaitlemien,j’étaispersuadéeque,lorsqu’unmecessaieraitdemetoucher, sexuellement parlant, je ressentirais de la peur.Et uniquement de la peur.Du dégoût, à larigueur. Or, cela n’avait pas été le cas. Bien au contraire. Avant que Ly’ ne parlât, et gâchâtdéfinitivementcemoment,j’enavaisadoréchaqueseconde.Chaquemauditeseconde!Honteàmoi!Commentpouvais-jedésirerunmecaussidétestablequecelui-ci?Unmecquipassaitsontempsà

m’insulteretàm’humilier?N’avais-jedoncaucunefierté?Jemeredressaietpartisàlarecherchedelaseulepersonnequipourraitm’aider.Ilfallaitquecela

cessât. Si j’étais incapable de lui faire entendre raison moi-même, je connaissais quelqu’un quipourrait.Jerepoussaicemomentdepuistroplongtemps.J’avaisnaïvementcruquejepourraism’ensortirseule,malheureusement,cequivenaitdeseproduireprouvaitclairementlecontraire.Cen’estpastroptôt!Tun’enasjamaismarre,demefairelamoraleàlongueurdejournée?Non,A,jamais.Enréalité,j’adoreça!Tum’étonnes,tiens!Connaissantparcœurl’emploidutempsdemonprécieuxallié,jeletrouvaisansaucunproblème.—Andy,ilfautqu’onparle.Monfrèrese tournaversmoi, surprisdeme trouver là. Ilabandonna lemecavecqui ilétaiten

traindediscuterpourmerejoindre,lessourcilsfroncés.—Ilyaunproblème,souris?—Oui,etdetaille,tonnai-jeencroisantlesbras,lesjambeslégèrementécartées.(Mode«Xenala

guerrière»:ON.)Jeveuxquetudisesàtonombremaléfiquedeneplusm’approcheretdemelaissertranquille!Andyclignarapidementdespaupières,avantdesegratterlesommetducrâne.—Monombremaléfique…?Okaaaayyyy!Et,àtouthasard,est-cequej’osetedemanderàquitu

faisréférence?Jeplissailesyeuxetlefoudroyaidemonregardbleufoncé,sisemblableausien.—Commesitunelesavaispas!m’écriai-jeentapantdupied.Illefaitexprès,jesuissûrequ’illefaitexprès!Situledis,A.Monfrèrelevalesmainsensigned’impuissance.—Jetejure,Anna,jenevoispasdutoutdequituparles.Maissiquelqu’untefaitchier,iltesuffit

demedonnerunnom,etjem’enoccuperaipersonnellement.Unelueurmauvaises’allumasoudaindanssesprunellessombres,presquenoires,etmefitprendre

consciencequej’avaistoutesonattention.Enfin!—Ungrandnoiraud,baraqué,auxyeuxvertmenthe.Çaterappellequelqu’un?décris-jed’unton

sarcastique.—Auxyeuxvertmenthe?articula-t-illentement,pourêtrecertaind’avoirbiencompris.DepuisletempsquejetedisquelesprunellesdeLy’nesontpasvertmenthe…Lecomprendras-tu

unjour?—Oui,vertmenthe,affirmai-jeenignorantmavoixintérieure,cettemauditegrincheuse.—Ok.Ungrandnoiraud,baraqué,auxyeuxvertmenthe…,répéta-t-ilensefrottantdistraitement

le menton. Mon ombre… (Il s’interrompit brusquement et écarquilla les yeux.) Mon ombremaléfique…Ohputain,Ly’vaadorerça!s’esclaffa-t-il,ensetapantbruyammentlacuisse.Je fixaimon frère, les poings serrés le long du corps, et sentis de la fumée s’échapper demes

narines.—Contentequeçatefassemarrer,sifflai-je,entremesdentsserrées.Moi,parcontre,çanemefait

pasriredutout.Jeveuxqu’ilmelaissetranquille,Andy.Jesuistrèssérieuse.Andylevaunemainensigned’apaisementetmecaressadoucementlajoue.—Allons,souris,tuessûrequetun’exagèrespas,là?— Non, je n’exagère pas. Je pensais que tu me connaissais mieux que ça, Andrew Léonard

MaximilienCampbell ! (Ehoui, jen’étaispas laseuleàavoireudroitàunnomdébileàrallonge.Heureusement.)Àl’énoncerdesonnomcomplet,Andyarrêtanetderireetmelançaunregardprudent.Cequ’illut

danslemiendutleconvaincre,carilhochalentementlatête.—D’accord,AnnabelleMaryKatherineCampbell.Jevaisluiparler.

Chapitre14

Le chaud soleil d’été avait cédé sa place au profit des chatoyantes couleurs d’automne. Jaune,orange, rouge, brun. Une véritable symphonie qui se déversait sur nos yeux émerveillés. Quelbonheurde lever la têteetdeprofiterd’un tel spectacle !Mêmemoi,quipourtantnevoyait laviequ’en noir et blanc, était fascinée par ce festival de couleurs. L’automne avait décidément mapréférence.Etquandlesfeuillesdesarbressemirentàtomber,nouspûmesmarchersuruntapismulticolore

quibruissaitagréablementsousnospas.Pasdedoute,octobreétaitmaintenantbieninstallé.Maisquidisaitoctobre,disaitHalloween.Etbienquel’onfûtseulementaumilieudumois,tousne

parlaient plus que de cette fameuse fête. Elle était sur toutes lèvres, à tout instant. Si celam’avaitsurprise, au début, j’en avais maintenant compris la raison. C’était, d’une certaine manière,l’événementdel’année.Nonpasàcausedelafêteelle-même,bienqu’ellefûtaffreusementpopulaire,maisplutôtàcausedequil’organisaitcetteannée:AndyetLy’.Chezeux.Dansleurmaison.Ilsavaientinvitélamoitiéducampus,aubasmot.Si,jusque-là,jenem’étaispasvraimentsentie

concernée, n’ayant pas lamoindre intention deme rendre à cette fête (surtout après l’échec de laprécédente), j’avais dû revoirmon point de vue quandmes copines,mes deux adorables copines,m’avaient sauté dessus à ce sujet. Elles tenaient impérativement à s’y rendre, mais n’ayant aucuncontact,dequelquesmanièresquecefût,aveclesdeuxprotagonistes,nesevoyaientpasdébarquerlà-bassansmoi.Etsansinvitation.C’était, sans aucun doute possible, pour cela qu’elles me harcelaient depuis une bonne heure,

maintenant,pourquej’enparleàmonfrère.Chosequejerefusaiscatégoriquementdefaire.Horsdequestiondememettreendanger,enmerendantdansunlieuoùLy’serait.Enétatdeforce,quiplusest.On ne se rendait pas impunément sur le territoire d’un tel prédateur.Tigre duBengale contresourisgrise:victoireparK.O.enfaveurdupremier.Non,non,non!Horsdequestionquejecèdeàcesujet!Ilnefallaitpasallertitillerletigredanssatanière.Surtoutquandcederniersemblaitavoirdécidé

demelaisserenpaix.Celafaisaitmaintenantquatresemainesetcinqjoursquejen’avaisplusétéencontactdirectavec

Ly’.(Nonpasquej’avaiscompté.)Etjenevoulaispasvraimentquecelachangeât.Ah,non?Alorspourquoitulecherchesdesyeuxdèsqueturentresdansleréfectoire?Ouquetu

tourneslatêteversleparkingquandtusorsdetoncoursdelittérature?Je grinçai des dents, mais refusai de répondre à ma voix intérieure. Je ne me laisserais pas

entraînerdanscedébatunefoisdeplus.J’avaisdéjàassezfortàfaireavecKimetMarj’.—Allez,Anna!Jesuissûrequeçaseragénial!Bienplusqueladernièrefois,entoutcas!—C’estcertain!Etenplus,onseracheztonfrère,personnenetechercheradesnoiseslà-bas.Ya

zérorisque!renchéritKim,enjoignantsesmainsenprière.Jepoussaiunsoupiràfendrel’âme.—Vousoubliezunpointimportantetessentiel,lesfilles.Kimarquaunsourciletcroisalesbras.

—Etonpeutsavoirlequel,jeteprie?—Ly’,sifflai-jeàcontrecœur,entremesdentsserrées.Puisqu’il avait visiblement pris l’avertissement quemon frère lui avait donné au sérieux, je ne

voyais aucune raisonde lui laisserpenserque j’avais changéd’avis, et que jevoulaisdevenirunesorte d’amie.Car cela n’arriverait jamais.Nous ne serions jamais des amis. Jamais.Les émotionsqu’il faisait naître enmoi n’avaient aucun rapport avec de l’amitié. Et faire semblant qu’il en fûtautrementmeseraittoutbonnementimpossible.Jen’avaisjamaisétéunebonnecomédienne.—C’estclairquec’estunproblème,approuvaMarj’enhochantlatête.AvecLy’danslesparages

personnenet’inviteraàdanser.Etalleràunefêteoùonn’aaucunechancededanser,ouplus,avecunmec…(Ellepoussaunsoupirthéâtralenportantsamaingaucheàsonfront.)Quelennui!Jegloussaienluitapantlebras.—T’esbête!Commesic’étaitlàquerésidaitmonproblème!—Mouais,laprésencedetonfrèren’aiderapas,detoutemanière.MêmesiLy’n’étaitpaslàpour

découragertouslesmecssusceptiblesdet’approcher,Drews’enchargerait,malheureusement.Marj’fitclaquersesdoigts,avantdebondirsursespieds,coupantlaparoleàKim.—Jesais!Tun’asqu’àveniravecVince!C’estleseulquinesemblepasintimidéparLy’.Jeclignaidespaupières,enlesregardanttouràtour,complètementlarguée.Visiblement,nousne

parlionspasdutoutdelamêmechose.—Attendez, attendez, attendez !m’exclamai-je, en levant lesmainspour les faire taire.Mais de

quoivousparlez,là?Moi,jevousdisquejeneveuxpasalleràcettefichuefêteparcequejenetiensabsolumentpasàmerappeleraubonsouvenirdeLy’,quisembleenfinm’avoiroubliée,soitditenpassant,etvous,vousnepensezqu’àmefairedanseravecdesmecs.Jesuisnavréedevousledire,les filles,mais c’est horsdequestionque j’emmèneVince,ouquique ce soit d’autre, à cette fête,puisquejenecomptepasyaller.Findeladiscussion.Kimmelançaunregardnarquois.—T’essérieuse,là?—Oui,parfaitement.Jen’iraipasàcettefête.—Non,c’estpasçaquejevoulaisdire,mecorrigea-t-elle,ensecouantlatête.Jetedemandaissitu

étaissérieuseendisantqueLy’semblaitt’avoiroubliée?Jefronçailessourcils.—Benoui.C’estévident,non?KimricanaenjetantunregardencoinàMarj’,quisemblaitpartagersonhilarité.—Lapauvreinnocente.EllecroitqueLy’aoubliésonexistence.Marj’secoualatêteetpritunaircompatissant.—Devons-nousluiouvrirlesyeux,Kim?— Oui, nous le devons, affirma-t-elle, en hochant vigoureusement la tête. C’est notre devoir

d’amies,aprèstout.Monregardallaitdel’uneàl’autre,melaissantdeplusenplusperplexe.Maisquemecachaient-

ellesdonc?

—Vous pouvez m’expliquer en quoi je suis une « pauvre petite innocente » ou vous préférezcontinueràvouspayermatête?Ellesprirentlapause,parfaitementsynchronisées:unindexposésurleurlèvreinférieure,leurtête

basculéesurlecôtéetleursyeuxlevésauciel.—Hummmmm,dirent-ellesencœur.Jefermailesyeuxetmepinçail’arêtedunez.Pourquoiétais-jeamieaveccesdeux-là?Parcequ’ellessontaussifollesquetoi,A.Ah,oui.C’estjuste.J’avaisoublié.Àtonservice,A,commetoujours.Cequ’ilfallaitpasentendre.—Jecroisqu’onvat’expliquer,hein,Marj’?—Oui.Onvat’expliquer,net’inquiètedoncpô,Anna.Etelleséclatèrentderire,commedeuxgamines.Demieuxenmieux.Jenel’auraispasmieuxformulé,A…Maislepirec’estqu’ellesteressemblentcommetroisgouttes

d’eau…Deuxgouttesd’eau.Hein?Ondit«commedeuxgouttesd’eau»,pastrois…Ouais,jesais.Maisça,c’estpourdeuxpersonnes,alorsquevous,vousêtestrois.Jedéveloppeou

t’aspercuté?Jefermaibrièvementlesyeux.Fichuevoixintérieuredemesdeux!—Merci,c’esttropaimabledevotrepart,répondis-jed’untoncoupant,visantaussibienmesdeux

copinesquemavoixintérieure.(Toutesdeschieuses…)C’estlepropredusexefaible,A.Peut-être,maistoi,turemporteslapalme!Etsansteforcer…Impossible,jesuisasexué.Je faillis m’étouffer avec ma salive. Ce qu’il fallait pas entendre, mais ce qu’il fallait pas

entendre!!!En relevant la tête, je vis quelque chose quim’avait jusque-là échappé.Nous étions devenues le

centredel’attentionduréfectoire.Unefoisdeplus.Génial.Jefoudroyaiduregardceuxquiavaientlemalheurdecroisermesirisbleufoncé.«Foutez-moilapaix!»Voilàcequemesyeuxleurdisaient.Etvisiblement,lemessagepassaitplutôtbien.Aumoinsuntrucquifonctionnait.Rafraîchissant.—Anna,t’aspasremarquéquelesmecssetiennentàdistancedetoi?demandaKim,encalantson

mentondanslecreuxdesapaume.J’ouvrisdegrandsyeux,nem’attendantpasdu toutàcettequestion.Qu’est-cequec’étaitencore

quecettehistoire ?Et surtout, quel rapport avecHalloweenetLy’ ? Jeme frottaidistraitement les

tempes,sentantunemigrainepoindre.—Euh…,non,passpécialement…,avouai-jed’untonhésitant.Lesmecsnes’étantjamaisapprochésdemoiparlepassé,celanem’avaitpasdutoutfrappé.J’étais

amieavecVince,maintenant,et j’entretenaisunerelationcordialeavecDan,depuisqu’ilétaitvenus’excuser de l’attitude deMax.Et, accessoirement, dem’avoir évitée durant les deux semaines quiavaient suivi l’altercation entreMax et Ly’. Je ne lui en avais pas tenu rigueur, car je comprenaisparfaitementqu’ileûtprislepartidesonami.Mêmesidepuissonopinionàcesujetsemblaitavoirconsidérablementchangé.Eneffet,l’obsessionqueMaxavaitpourLy’luitapaitsérieusementsurlesnerfs, et il avait préféré prendre ses distances pour quelque temps, en espérant que son vieil amifiniraitpars’apaiser.Mais, àmonhumble avis, celan’était pasprèsd’arriver.Surtout si jemebasais sur les regards

assassins que ce dernier me lançait dès que nos chemins avaient le malheur de se croiser.Heureusement, jusqu’ici, cela n’avait pas été plus loin. Mais Dan m’avait enjoint à la prudence,n’aimantpas lespenséesqui avaienthabité sonami lorsqu’ils s’étaientparlépour ladernière fois.Commeunepersonneavertieenvalaitdeux,jefaisaistrèsattentionquandMaxétaitdanslesparages.Toutefois,jen’enavaispasdiscutéavecAndy,sachantqu’ilseraitparfaitementcapabledeluitordrelecoupourm’avoirsimplementmenacée.Dieum’enpréserve!Ah, lesgrands frèresultra-protecteurs !Une sensationquim’avaitmanquée et que je retrouvais

avecplaisir.—Maisdansquelleplanètetuvis,Anna?Commentt’aspulouperça?Nepasvoirquelesmecs

t’évitentlepluspossible?Jememordillailalèvreethaussaipiteusementlesépaules.Laforcedel’habitude,toutsimplement.—Danslaplanètedesbisounours?hasardai-je,pourdétendrel’atmosphèresoudaintendue.—Elleestaussifollequetoi,Kim.Sérieux,c’estimpossibled’avoirunediscussioncohérenteavec

elle.Maisqu’est-ceque j’ai faitpourmeretrouveravecvousdeux?seplaignitMarj’,avantdesetaperlatêtecontrelatable.—Onalesamisqu’onmérite,Marj’,philosophaKim,enluitapotantledos.C’estcequenousa

expliquénotreprofdurantlederniercoursdephilo.J’eusunegrimaceenmeremémorantlediscoursphilosophiquedecedernieràcesujet.—Pourquoicrois-tuque jen’aipaspris laphilo?grommelaMarj’,enseredressant.Justement

pour éviter ce genre de discours bidon. (Elle leva la main pour couper Kim dans son élan deprotestation.)Etn’entamonspasdedébatàcesujet,caronvaperdredevuenotreobjectif,pour leplusgrandplaisird’Anna.Etcen’estpascequenousvoulons,n’est-cepas?Jemeprislatêteentrelesmains,déçueden’avoirpaspupasserentrelesgouttes,pourunefois.Satanékarma!—Bon, dites-moi ce que vous avez àme dire, qu’on en finisse, soupirai-je, en repoussantmes

cheveuxenarrière.Kimlevaundoigt.—Avant, jeveuxquetum’expliquescomment t’asfaitpournepas t’apercevoirquelesmecsse

tenaientàdistancedetoi.Franchement,c’estjusteimpossible.Jen’arrivepasàcroirequetun’asrien

remarqué.J’ouvrislabouche,avantdelarefermer.Puisjesoupiraiunenouvellefois.Ellesétaientmesamies

depuispresquedeuxmoiset jene leuravais toujours rien révélé surmonpassé.Pas lapluspetitemietted’information.Ilétaitpeut-êtretempspourmoidemedévoilerlamoindre.Jeprisuneprofondeinspirationetmemisàtable.Sansaudace,pasdegloire!Quevoilàdebellesparoles,A!Ondiraitqueleprofdephilodéteintsurtoi…—Aulycée,jen’étaispasvraiment…populaire.Enfin,pasdanslebonsensduterme,entoutcas.

J’étais pointée du doigt à cause de… ce qu’Andy avait fait. Les gensm’évitaient le plus possible,même si tousme connaissaient.Et ceuxquim’approchaient, c’était uniquement pour en apprendreplussurAndy,etsurcequis’étaitréellementpassé.Jemesuisrapidementretrouvéetouteseule.Pasvraimentparchoix,maispasuniquementparcontrainte.Unmélangedesdeux,peut-être.(Jemarquaiunecourtepause,cherchantmesmots.)Bref,jesuistellementhabituéeàêtreseuleque,forcément,sidesgensm’évitent,ousetiennentàdistance,jeneleremarquepas.Celadit,jenevoispasnonplusquelqu’unquisouhaiteserapprocherdemoi.Ilm’afalludutempsavantdecomprendrequeVincesouhaitaitêtremonami. (J’eusunemouenarquoise,memoquantdemoi-mêmeetdemonmanqued’expérience dans les relations humaines.) Et au début, j’ai cru que… vous vous vouliez vousrapprocher de moi pour être proche d’Andy. Ou pour savoir pourquoi il avait été en maison deredressement. (Je leur adressai un petit sourire contrit.) Je suis tellement habituée à ce genred’attitude, que je ne connais rien d’autre. Enfin, c’était le cas avant d’arriver ici. Pourtant, pas uninstantvousnem’avezdonnél’impressiondevousservirdemoi,dequelquesmanièresquecesoit.C’estunegrandepremière,pourmoi!Vousnem’avezmêmejamaisposélamoindrequestion,quecesoitsurAndyousurmonpassé.Finalement,j’aicomprisquevoussouhaitiezsimplementêtremesamies.Et jenepourrais jamaisvousremercierassezpourcemerveilleuxcadeauquevousm’avezfait.J’enavaisleslarmesauxyeux,etdestrémolosdanslavoix.—Oh,labécasse!Ellevamefairechialer…,s’exclamaKim,enlevantvivementlesmainsvers

sesyeux.(Ellecommençaàseventiler,histoiredesécherseslarmes.)Çanevapas,denousfaireunedéclarationpareille sans avertissement ?!Tum’imagines, les jouesbarbouilléesde rimmel ? (Elleaccompagna ses protestations d’un clin d’œil quime fit pouffer.) Etmaintenant, elle semoque demoi!Marj’,disquelquechose!Marj’souriait,lesyeuxpétillantsdemalice.—Jemedemandaiscombiende temps ilnous faudrait attendreavantque tu teconfiesunpeuà

nous. Je suis ravie, vraiment ravie que tu l’aies fait. Malgré les pitreries de Kim, qui pourraientlaisserpenser lecontraire,onest très touchéepar tongeste.Sincèrement. (Ellefronça lessourcils,avantdesecouerlentementlatête.)Maisilvafalloirquetuouvreslesyeux,mabelle.Etrapidement.Parceque,situnelefaispas,turisquesdepasseràcôtéd’unebellehistoire,unjour.—Mouais,pourautantqueLy’laisseunmecs’approcherd’ellesuffisammentprèspourça.—Les filles, dis-je, en les regardant tour à tour.Ly’ ne s’est plus approchédemoi depuis cinq

semaines,oupresque.Ilacomprisquejenevoulaisplusrienavoiràfaireaveclui.Donc,jenevoispascommentilpourraiteffrayerlesautres,vuquepourluijen’existeplus.Était-ceunpincementaucœurque jevenaisde ressentir?Non,biensûrquenon.C’étaitceque

j’avaisvoulu.Neplusavoiràluiparler.Jamais.

L’important,c’estd’ycroire,hein,A?—Etc’estparcequetun’existespluspourluiqu’ilnetequittepasdesyeuxdèsqueturentresdans

unepièceoùlui-mêmesetrouve?demandainnocemmentKim,d’uneseuletraite.(Mêmeaprèstoutcetemps,jenecomprenaistoujourspascommentellearrivaitàfairedesphrasesaussilongues,sanss’arrêter,mêmeunefractiondeseconde,pourreprendrebrièvementsonsouffle.Unvraimystère.)Eh,merde.Moiquipensaisquemonsubconscientmejouaitdestours,etqu’ilmefaisaitvoirdeschosesqui

n’étaientpasréelles…Pourmapomme,encoreunefois!Biensûr,A,ettonpetitcœurs’emballeparcequetuviensdevoirChristopheColombentrerdansla

pièce…NonpasparcequeturéalisesqueLy’passesontempsàtedévorerdesyeux…—Etc’estparcequetun’existespluspourluiqu’ilprendàparttouslesmecsquionteulemalheur

deseulementteregardercesdernièressemaines?Etjeneteparlemêmepasdeceuxquit’ontadressélaparole!A!Toncœurvientderaterunbattement!Danger,danger,danger…Bouchebée,jefixaiMarj’sanspouvoircroirecequ’ellevenaitdedire.Aupointquelesparoles

narquoisesdemavoixintérieuredevinrentsecondaires,unpeucommeuneradioenbruitdefond.—Quoi?Kimm’adressaunpetitsourire.—Ly’aordonnéàtouslesmecsducampusdeseteniràdistancedetoi,sansquoiilsauraientà

faireàlui.Personnellement.Etcrois-moi,personneneveutavoiràfaireavecl’âmedamnéequ’estLy’.Personne.—SaufVince, visiblement, contestaMarj’, en jouant avec la pointe de ses longs cheveux roux.

Mais,honnêtement,j’espèrepourluiqu’ilsetiendraàcarreauavectoi,sinon,jenedonnepascherdesapeau.Cettenouvellemechamboulacomplètement.Moiquipensaism’êtredéfinitivementdébarrasséede

Ly’, j’apprenaisqu’aucontraire,dans l’ombre, ilcontinuaità tirer lesficelles. Ilnem’avait jamaislaisséetranquille.Jamais.Ilavaitsimplementeffectuéunreplistratégique.Commetoutbonprédateur,ilsavaitquandtraquersaproie,quandattendreetquandattaquer.L’ombremaléfiqued’Andy…Commec’étaitbienchoisi,A!Siprochedelaréalité.Blêmederage,jemeredressailentementsurmachaise.Es-tucertained’êtreencolère,A?Oubienes-tusimplementvexéeden’avoirrienremarquétoi-

même?—Jen’arrivepasàcroirequ’ilaitfaitunechosepareille…Maisdequoijememêle?!?Marj’haussalessourcilsetmelançaunregardparendessous.—Tunet’yattendaisvraimentpas?—Maisnon!— Pourtant, c’est flagrant depuis le début qu’il s’intéresse à toi, Anna, protesta Kim, en

rassemblantsesaffaires.Etjenepensepasqu’iltevoituniquementcommelapetitesœurdeDrew,contrairementàcequetunousasaffirmé.Moi,jepensequ’iltevoittoi,pourcequetues,etquecequ’ilvoitluiplaîténormément.

Marj’hochalatête,visiblementd’accordavecKim.—Jepensepareil.Jesecouaivigoureusementlamienne,n’arrivantpasàcroirequemesamiespuissentsoutenirune

idéeaussiabsurde.Absurde,vraiment,A?Enes-tubiencertaine?Fous.Moi.La.Paix!!!—Laseulechosequ’ilveuille,c’estmebaiser. Ilme l’adit.Et jevous l’aidéjà raconté. Ilveut

baiserlachatteenchaleurquejesuis.Point.—Alorspourquoinel’a-t-ilpasfait?LaquestiondeKimmepritdecourtetjenesusquerépondre.—Ehbien…,lançai-jeauboutdequelquesminutesdesilence.(Nouvellepause.)Parcequejel’ai

repoussé.Mensonge,mensonge,mensonge!Jepiquaiunfarddevantlaprotestationévidente,etvraie,demavoixintérieure.SiLy’n’enavait

rienfait,cen’étaitcertainementpasparcequejel’avaisrabroué.Vuquejel’avaissystématiquementrepousséaprèsqu’ileûtprononcédesparolesdéplaisantes.Etblessantes.S’ilnel’avaitpasfait…Jepoussaiunsoupir,reconnaissantmadéfaite.—Okay,d’accord.Vousavez raison.S’il l’avaitvraimentvoulu, il auraitpuparvenir à ses fins

sansproblèmes,reconnus-je,pastrèsfièredemoi.Maisçan’expliquepaspourquoiilnel’apasfait,ajoutai-je,lesyeuxperdusdanslevide.—Moi,jecroisqueçaexpliquebeaucoupdechoses,aucontraire.Etquec’estpourçaquetousles

mecs,oupresque,setiennentàdistancedetoi.JelevailesyeuxversKimetladévisageailonguement,sidérée.—Pourquoi?soufflai-jefinalement,d’unevoixrauque.—Anna,s’ilvoulaittebaiser,commetudis,ill’auraitfait.Etdepuislongtemps.C’estainsiqu’il

agitaveclesfilles.Illesprendetillesjette.Ets’iln’estpasintéressé,ilpassesonchemin.C’estaussisimplequeça.Maisavec toi,c’estdifférent.Ok, t’es lasœurdeDrew,etaudébutcetteexplicationsemblait tenir la route.Sauf que, si c’était uniquement pour ça, il ne prendrait pas la peine d’allertrouvertouslesmecsquifontminedes’approcherdetoi.IlenparleraitàDrewetlelaisseraitgérerlui-mêmelasituation.Ilneperdraitpassontempsavecça.Àmonavis,ilveutquelquechosedetoi.Quelquechosedeprécis.—Quoi?Kimhaussalesépaules.—Ça,mabelle,çavaêtreàtoideledécouvrir.Voilà qui n’arrangeait pas vraiment mes affaires. Avais-je seulement envie de résoudre ce

mystère?Tusaisbienqueoui,A!Enréalité,tuenmeursd’envie!Ouais,fallaitpaspoussernonplus…Maisjenepoussequedalle,A,puisquec’estprécisémentcequetuveuxfaire.Résoudrecemystère.

SavoirsiLy’éprouvequelquechosepourtoi…Ounon…N’importequoi!Malheureusement, lesbattementseffrénésdemoncœurdémentaientmesbellesparoles.Mavoix

intérieureavaitraison,unefoisdeplus.JebrûlaisdesavoirsicequeKimavaitinsinuéétaitvraiounon.Maisétais-jeprêteàfairefaceaurésultat?Rienn’étaitmoinssûr.Ahah!Quiavaitraison,unefoisdeplus?Nocomment.—C’est pour ça qu’il faut impérativement qu’on aille à la fête d’Halloween ! s’écriaMarj’, en

tapant du poing sur la table, me faisant sursauter et revenir instantanément à l’instant présent. (Jem’étaiségaréedanslesméandresdemonesprittordu.)Je lui jetaiun regardprudent,me remémorant rapidementnotreconversation,avantde lever les

yeuxauciel.—Bonsang,toi,quandtuasuneidéeentête!marmonnai-je,sanspourautantdonnermonaccord.Jepinaillaisparprincipe,carjesavaisbien,aufonddemoi,quej’étaisvaincue.Unefoisencore,je

metrouvaisfaceàquelqu’undeplusfortquemoi.Gagnerais-jeunefoisuneconfrontation?L’espoirfaitvivre,A.Àquiledis-tu!

Chapitre15

EnentendantVinceseraclerlagorge,jelevaiunregardsurprisverslui.— Halloween est dans huit jours, dit-il, en faisant tourner son stylo entre ses doigts. (Il était

visiblementnerveux.)Tuasprévuquelquechosedespécial…?Cettediscussion,jem’yétaisattendue,etdoncpréparée,maisjenepensaispasqu’ilaborderaitle

sujetcommeça,aubeaumilieudenosrévisions.Nousétionsentrainderéétudierlabiographie(ohcombienpassionnante)deThomasHardy,etcelamedemandaituneconcentration titanesque.Qu’ilchoisissed’enparlermaintenantmontraitque,pourlapremièrefoisdepuisquejeleconnaissais,iln’étaitpastrèssûrdelui.C’étaitpeut-êtreméchant,etindélicatdemapart,voirecarrémentsadique,maiscelamedonnaunecertaineassurance.Pourunefois, jen’étaispascellequisetrouvaitsurlasellette.Agréable…vraimenttrèsagréable.—Pitié,nemeparlepasdecettemaudite fête !m’exclamai-je,enbasculantcontre ledossierde

monfauteuil.Jefaistoutcequejepeuxpournepasypenser,etcrois-moi,aveclesdeuxfollesquimeserventdecopinesetquim’enparlentàtoutinstant,cen’estpasévident!Alors,pitié,net’ymetspastoiaussi!Lesmainsjointesenprière,unemouedepetitefillesurlepointdepleurer,etletourétaitjoué.Vince éclatade rire.Exactement comme je l’avais escompté.Avec lui, tout était tellement facile.

Mêmesi,lestroisquartsdutemps,jerougissaiscommeunecollégienneetnesavaisplusàquelsaintme vouer, j’adorais passer du temps avec lui. Contrairement à ce que j’avais cru, c’était un mecgénial:simple,drôle,serviable,aimable…Ensomme,lemecparfaitparexcellence.Alorspourquoimonpetitcœurnebat-ilpasplusviteensaprésence?Pourquoimonsoufflen’était-

ilpaserratiquequandilplongesesyeuxbrunsdanslesmiens?Pourquoin’ai-jepasenviequ’ilmeprennedanssesbrasetqu’ilm’enlace?Parceque,malheureusement,iln’étaitpasceluiquemoncœursemblaitavoirchoisi.Misère.Cela

aurait pourtant été tellement plus simple. AvecVince, j’aurais su où jemettais les pieds. De plus,j’étais persuadée que lui nem’aurait jamais fait souffrir intentionnellement. (Contrairement à uneautrepersonnedemaconnaissance.)Queldommage,vraiment,quejerestedemarbrefaceàlui!Celanet’empêchepasd’alleràlafêted’Halloweenaveclui,A.Etquisait,peut-êtrequedansun

cadreplus…festif,avecd’autresfillesentraindepapillonnerautourdelui,tuterendrascomptequetessentimentsnesontpasforcémentceuxquetucrois.Mouais,peut-être.Pourtant,jerestaisdubitativeàcesujet.Quiplusest,jen’étaispassûrequecela

fûttrèsjustepourVince.Jenevoulaissurtoutpasqu’ilcrûtquejelemenaisenbateau.Oupire!Quejeluifaisaisdesavances!Ilétaitmonpremieramidesexemasculin,pournepasdireleseul,etjenesouhaitaispasleperdrepourunebroutillecommelafêted’Halloween.Mauvaisplan,trèsmauvaisplan…Uniquementsitessentimentsnechangentpas.Moi,jepensequeçavautlecoup.Ehben,moipas.Lerisqueesttropélevé.Sansaudace,pasdegloire,A.Tulesaisbien,tuledistoutletemps…Certes.Maiscommejenecherchepaslagloire, laquestionneseposepas.Vinceestmonamiet

c’esttrèsbiencommeça.Pourtant,ça…Suffit !Laseulequisoitapteàprendreune telledécision,c’estmoi!Et je l’aidéjàprise.Jene

changeraipasd’avis.Findeladiscussion.Je claquai mentalement la porte d’accès de ma voix intérieure. Trop, c’était trop ! Fallait pas

poussermémédanslesorties,nonplus!Vince pouffa et se cala plus confortablement contre le dossier de son fauteuil, nettement plus

détendu.Jeplissailesyeux,soudainméfiante.Cettenonchalanceétaitsuspecte,jen’aimaispasça.—J’endéduisqueMarj’etKimtiennentabsolumentàalleràlafêtequedonneLy’ettonfrère.Je fis une grimace, n’aimant vraiment pas le ton mielleux de sa voix. Avant la fin de notre

conversation,ilauraitrejointlesrangsdeKimetMarj’.J’enmettraismamainaufeu.—C’estlecasdeledire.Ellesytiennentdésespérément.Etbienquej’enaielonguementparléavec

Andy,etqu’ilaitdonnésonaccordpourqu’ellesyaillentsansmoi,ellesneveulent rienentendre.Soitonyvatouteslestrois,soitaucunen’yva.Etbiensûr,sijen’yvaispas,ellesmeleferontpayerchèrement.Jen’endoutepasuneseuleseconde.Jesuisferrée,melamentai-je,auborddudésespoir.J’entendisuneportegrincerjusteavantquemavoixintérieurenepritlaparole.Bonsang!T’enfaisunpeutrop,là,A…Arrêtetonchar,çanetevaspasdutout!Jepoussaiunlongsoupiravantdemepencherenavant,etdeprendrematassedeChaiTeaLatte.

L’avantage,quandonrévisaitauStarbucks,c’étaitquejepouvaisaumoinstrouverdelaconsolationdansmaboisson.EtavecHardy,j’enavaisgrandementbesoin!D’autantplusqu’aujourd’huiilétaitquestiondecettefichuefête!LeStarbucks,c’étaitleminimumpoursurvivre…Genre…Maisqu’est-cequejeficheavecunetêtedemulepareille?Personneneteretient,tupeuxpartirquandtuveux.Trèsdrôle…franchementhilarant…Sijen’étaispluslà,jetemanquerais,A.Quetudis!—C’estuntermequ’onutilisegénéralementquandonaattrapéungrospoisson,Anna.Jeluilançaiunregardétonné.—Parcequejenesuispasungrospoisson,selontoi,Vince?Oh,seigneur!Desbouchesd’oreilles,vite!!!Comprenantqu’ilavaitfaitunefaussemanœuvre,ils’empressademettrelamarchearrière.—Si,biensûr!Tuesmêmeunénormepoisson,Anna.Unénormepoisson.J’arquaiunsourciletpenchailatêtesurlecôtégauche.—Tusous-entendsquejesuisgrosse?—…Jevisdesgouttesdesueurperleràsonfrontetjedusfairedegros,detrèsgroseffortspournepas

éclaterderire.—Maisnon,pasdutout!Tuesparfaite,absolumentparfaite,tellequetues,Anna.Jet’assure,tu

n’espasdu toutgrosse.Nimince.Tues…parfaite, bafouilla-t-il, en cherchant frénétiquementuneportedesortie.—Ha,lâchai-je,d’untondésinvolte.Jesuisparfaite…donctuasenviedemebaiser?C’est ta nouvelle obsession, A ? Baiser ? Tu n’as plus que ce mot à la bouche depuis quelque

temps…C’estvulgaireetaffligeant…Le ton compassédemavoix intérieureme fit grincerdesdents,mais j’arrivai, tout dumoins à

monavis,àn’enrienlaisserparaître.Damnéegrincheuse!Vincebonditsursespiedsetregardaautourdelui,enpleinepanique.—Nonmais t’esmaladededireça,Anna!Tuveuxmamortouquoi?! Imaginequequelqu’un

t’entendeetailletoutrapporteràLy’!Ilmetueraitdanslessecondesquisuivraient!Jecroyaisquetum’aimaisbien?!?Je fermai les yeux, incroyablement déçue. Ly’. Encore et toujours Ly’. On en revenait

systématiquementà lui.Toujours.Quoique jedise,quoique jefasse, ilétaitaucentrede tousmesfaitsetgestes.Continuellement.C’en était lassant à la fin. Étions-nous obligés de prononcer son nom dans chaque discussion ?

Était-ildoncunpilierinébranlabledemavie,pourquetouscroientdevoirm’enparleràtoutboutdechamp?J’avaispenséqueVinceétaitdifférent.Moiaussi,A.,moiaussi…Nousnousétionsvisiblementtrompées.— Je croyais que l’opinion de Ly’ t’était indifférente et que tu n’avais pas peur de lui. Sinon,

pourquoi continuerais-tu à étudier avecmoi, alors qu’il t’en a très certainement touchéunmot oudeux?demandai-jefroidement,profondémentdéçue.Vincemefixaitcommesiunesecondetêtem’avaitpoussée.—NepasavoirpeurdeLy’?Anna,iln’yapersonnesurcetteterrequin’apaspeurdelui.Àpart

ton frère, peut-être. Il faudrait êtremalade pour le défier ouvertement.Et dire comme ça, au beaumilieudelaconversationetdansunlieupublic,quej’aienviedetebaiser,c’estledéfierdelapiredesmanières!—Parcequec’estvrai?lecoupai-je,enmeredressantlégèrement.Obsédée!!!Mouais,peut-êtrebien…Tupeuxvirerle«peut-être»sanshésitation,A!Tuesunevéritableobsédée.C’estécœurant,àla

fin…Alors,bouche-toilesoreilles…Cen’estpasfauted’avoiressayé…maisriennemarche!Ah,ah,ah!Bienfait!Y’aunejusticedanscemonde,finalement…Vinceviraaurouge(tiens,ondiraitunpetithomardbiencuit)etsemblasurlepointdes’étouffer.—Jerefused’avoircegenredeconversation,répondit-ild’untoncatégorique,enserasseyant.—Mhmmm…—Qu’est-cequeçaveutdirece«mhmmm»?

—Rien.Çaveutjustedire«mhmmm».Çac’estdelaréponse,A!Vincegrinçadesdents,lamâchoirecrispée,maisn’insistapas.Bravegarçon…—Est-cequ’onpourraitrevenirsurlesujetdebase?Jehochailatêteenmereplongeantdansmesnotes.LesoupirexcédédeVincemefitreleverles

yeux.—Quoi?dis-jeunpeubêtement.—Commentça,«quoi»?Jetedisqu’onrevientsurlesujetdebaseettuteplongesdanstesnotes.

Cen’estpastrèssympa,Anna.Jefronçailessourcils,cherchantàsavoiroùilvoulaitenvenirexactement.—Ben,lesujetdebase,c’estlabiographied’Hardy,non?Désespérante…t’esdésespérante,A.Vince se passa nerveusement la main dans les cheveux, finissant de démolir complètement sa

coiffure. Sesmèches blondes partaient dans tous les sens et semblaient avoir survécu à un pétard.Quoiquedejustesse.Quandilétaitainsi,ilmefaisaitpenseràMartyDeeks,l’undesagentsdeNCIS:LosAngeles.Ilavaitlamêmetignasseindisciplinée.—Comment tes copines font-ellespour te supporter sans tourner chèvre ?maugréa-t-il dans sa

barbe.Nousparlionsd’Halloween,Anna.D’Halloween.Jouantavecleboutondemonstylo,jefisentreretsortirlamine.Encoreetencore.—Oui…et je crois t’avoirdit que j’étaisobligéedeme rendre à la fêtequ’organisaitAndy.À

moinsdeneplusavoirenvied’avoirdecopines.(Cequiétaittotalementinenvisageable.J’étaismêmeprêteàendurerlaprésencedeLy’pournepaslesperdre.)Etbizarrement,çanemebottepasplusqueça.Jelesaimebien,moi,cesdeuxfolles.Vinceseraclalagorgeetsedandinasursonfauteuil.—Et…tuyvas…avec…quelqu’un?chuchota-t-il,d’unevoixrauqueethésitante.Sa timidité soudaineme faisait craquer.Bienque saquestionme surprît, auvude cequ’il avait

précédemmentdéclaré.—Jecroyaisquetunevoulaispasmarcherouvertementsurlesplates-bandesdeLy’?Faudraitqu’ilsachecequ’ilseveut,àlafin!Jenel’auraispasmieuxformulé,A.Ilpinçaleslèvresettournalatête.—Non,j’aiditquejenevoulaispasmefairedémolirleportrait,parcequetuposaisdesquestions

inconsidéréesetcomplètementhorsdepropos.—Donc,tun’aspluspeurdeLy’?Vincesecoualatête.—Jen’aijamaisditça.Seulunfoun’auraitpaspeurdeLy’.Maisje…enfin…jemedemandais

juste…avecquituallaisàcettefête…c’esttout…

Comprenantquejen’obtiendraisriendeplus, jedécidaid’arrêterdejouerauchatetà lasouris.Surtoutque,d’uninstantàl’autre,jerisquaisdeperdrelamain.Etcommepourunefoisc’étaitmoiquil’avais,jenecomptaispaslalaisserm’échapperdelasorte.Ohquenon!(Mêmesiêtrelechatétaitgrisant…)—AvecMarj’etKim.Ilmelançaunrapidecoupd’œil.—Etelles,ellesneserontpasaccompagnées…?Jememordillai la lèvre inférieure en fixant un point surmon cahier. Je finis par répondre, de

mauvaisegrâce.—KimvientavecDan.EtMarj’(jehaussailesépaules)doitretrouverunmeclà-bas,ouuntrucdu

genre.— Est-ce que… enfin… si tu veux… on pourrait… mais seulement si tu en as envie… on

pourrait…Ilcafouillait tellementque je finisparavoirpitiéde lui.Àce rythme-là, ilneposerait jamaissa

question.Levoirsipeusûrdeluiétaitnouveau,etdéconcertant.—Oui,j’adoreraisyalleravectoi.Ohmerde!Qu’est-cequejevenaisdefaire???Exactementcequejem’étaisjuréedenepasfaire!

Sij’avaispu,jemeseraiscolléedesbaffes.Abrutiedestupidebécassedegrossenoob!Youpi!!!Hip,hip,hip,hourra!Vive,A!

*****

Lebutd’Halloweenétantd’êtredéguisé,jenecoupaipasaucalvairededevoirtrouveruncostumequimeconviendrait.Etlatâcheétaitplutôtardue.Carentreunpetitchaperonrouge,àmoitiénusoussacape,etuneCruellad’enfer,audécolletéplongeant(jusqu’aunombril),jenesavaislequelchoisir!Y’aurait-ildusarcasmedansmavoix?Oh,sipeu…Évidemment,Kimm’avait également proposé un costumede sirène, pour lemoinsminimaliste.

Voyantquecelanemeplaisaitvraimentpas,Marj’ avaitoptépour le traditionnel fantôme.Super !J’avaislechoixentreêtrepartropvisible(etpratiquementdénudée)ouêtrecarrémentinvisible(carbientropvêtue).C’étaitd’uncompliqué!—Pourquoidoit-onobligatoirement sedéguiser ?demandai-je, passablement excédée.C’est les

enfants de six ans qui se déguisent pour Halloween. Et encore, c’est pour recevoir un max debonbons!Quedemauvaisefoi,A.Nan,j’énoncesimplementunevérité,nuance.Situledis…— Ne fais pas ta grincheuse, Anna, me réprimanda Kim, en me tendant un nouvel ensemble.

Pourquoipascelui-ci?J’ouvrislaboucheetfismined’yenfoncermonindex,pourmefairevomir.

Moivivante,jamais!Dommage…çachangeraitdelasourisgrise…Mavoixintérieureétaitvicieuseetpernicieuse…Pauvredemoi!—Lestyledominatrice, toutedecuirvêtue,cen’estpasmontruc,Kim!Etnon,ajoutai-jepour

Marj’,quimetendaituncostumevertfoncé.Jen’aipasenviedemetransformerenféeclochette.Jesuissûrequesij’ailemalheurdemepencherenavant,cetterobevaremonterbienendessusdemesfesses.Etdirebonjouràlalune,çanemetentepastrop!Kim et Marj’ éclatèrent de rire, avant de reposer sagement les costumes qu’elles avaient

sélectionnés.—Pourquoi nepas se concentrer sur vospropresdéguisements ?Onchoisira lemien après…,

proposai-je,pleined’espoir.Marj’mefixaavecunsourirequinemedisaitrienquivaille.Misère.Etquin’avaitrienàenvierau

chatdeCheshire.—Mabelle,onanoscostumesdepuisentoutcastroissemaines.QUOI???—Minimum,renchéritKim,encontinuantàfarfouillerdanslaboutique.Mamâchoire se décrocha et pendit lamentablement, dévoilant l’intégralité dema bouche. Super

glamour.—‘ega’ez,les‘i’es…‘e’ui‘emon’e‘e‘anken’ein!baragouinai-je,sansrefermerlabouche.C’estcomplètementdégueucequetufais,A.Beurk!Marj’clignarapidementlespaupièresavantdemettreunemaindevantseslèvres.— Hey… psssstttttt, Kim. T’as capté un mot de ce qu’elle vient de dire ? chuchota-t-elle à sa

complice,maissuffisammentfortpourquejepuissel’entendre.Kimsecouavigoureusementlatêteenmefixantavecdegrandsyeuxglobuleux.—J’aidit:«Regardez,lesfilles…jesuislemonstredeFrankenstein!»,répétai-je,enarticulant

exagérément.Genre…c’estlogique,non?Absolument…pas!T’esgravementatteintemafille,gravementatteinte.Kimouvritlabouche,avantdebrusquementlarefermer.—Okaaaayyyy.(Ellese tournavivementversMarj’et fitmine,àsontour,dechuchoter.)Marj’,

appellediscrètementuneambulanceetdis-leurqu’onaretrouvélamaladementalequis’estéchappéedel’asilepsychiatriqued’Arkham.Jericanaiensecouantlatête,avantdebrusquementsautersurplaceentapantdansmesmains.—Maisoui!Kim,tuesunvéritablegénie!Tuviensdemedonnerl’idéedusiècle!Quedis-je!

L’idéedumillénaire!Jesaisenquoijevaismedéguiser!Non,sansdéc’?Tun’espassérieuse,là,A?—Batman?hasarda-t-elleensecachantlesyeux,commesiellenepouvaitsupporterd’imaginer

ça.

Marj’sursautaviolemmentetsesigna,histoiredechasserlemalin.—Maisnon,grommelai-jeen levant lesyeuxauciel.Jevaisdevenir…lecélèbreet redoutable,

Joker!!!!!!Oh,non!Pitié!Sauvez-moi!!!Jeveuxsortirdelà!Netegênesurtoutpaspourmoi.Laporteestjustelà…Toujoursaussiserviable,àcequejevois,A.Àtonservice.Bon,tudégages?—Okaaaayyyy, répétaKim, avant de faire signe àMarj’ de s’éloigner.Appelle l’ambulance, ça

devientvraimenturgent.Etencore,situsavaisquejeparleàmavoixintérieurelamoitiédutemps…Monsourires’effaçaetjecroisailesbrasensignedeprotestation.—Quoi?aboyai-jeméchamment.Quelestleproblèmeavecmonidée?Kimseraclalagorgeavantdequémanderdel’aideàMarj’.SiKimavaitbesoind’aide,c’étaitque

leproblèmedevaitêtrebienplusgravequejenel’auraisimaginé.Génial…—Anna,commençaMarj’,d’unevoixcalme.Lebutd’Halloween,c’estdedevenirquelqu’unque

nousnesommespas…—Tuesentraindemedirequedanslaviedetouslesjours,jesuisleJoker,c’estça?lacoupai-je

abruptement.Luiaussientendaitdesvoix,A.Laferme!—Maisnon,pasdu tout !Seulement, lebut,pournous, les filles,c’estdedevenirquelqu’unde

plussexy,deplusdésirable,deplusoséquedanslaviedetouslesjours…—PourHalloween,enchaînaKim,enmeprenantparlesépaules,onpeutdevenircellequenous

voulons.Iln’yaaucunelimite.C’estlanuitdetouteslesfolies.Alors…choisirdedevenirleJoker,c’est…Euhm…dommage.Oui, voilà, c’est dommage. Belle comme tu es, tu pourrais être la féeclochettesansaucunproblème.Etsiparmalheurtudevaisdirebonjouràlalune,ehben,cen’estpaslesmecsquis’enplaindront!conclut-elle,avecunclind’œilcomplice.Tuvoiscequejeveuxdire?—Ouais, jevois,marmonnai-jeen lançantunregardmorneà laboutique.Mais,moi, jen’aime

pasattirerl’attentionsurmoi.Vouslesavez,lesfilles,maintenant.Jesuis…unepetitesourisgrise.Moinsonmeremarque,mieuxjemeporte.Etsijeporteça(jesoulevailecostumevertfoncéduboutdesdoigts),onmeremarqueraforcément.Etducoup,jeseraismalàl’aisetoutelasoirée.Çaseraunvéritablecauchemarpourmoi.Marj’setapotalalèvreetsemblaréfléchiràmesparoles.Aprèsunbrefregardentenduàl’égard

deKim,ellehochalentementlatête.—Ok. Je vois ce que tu veux dire.Maintenant, oublie lemagasin dans lequel on se trouve, les

déguisements qui nous entourent, et tout et tout. Réfléchis à une seule chose : si tu pouvais êtrequelqu’und’autre,letempsd’unesoirée,tuvoudraisêtrequi?Je fronçai les sourcils et me mis à réfléchir sérieusement à la question. Quitte à choisir un

déguisement,autantenprendreunquimeplairaitvraiment.Marj’avaitraisonsurcepoint.Pourêtreàl’aise,toutdumoinslepluspossible,ilfallaiteffectivementquemoncostumemeplûtvraiment.La

réponsem’apparutsoudain,aussiclairequedel’eauderoche.Àtropchercher,onpassaitsouventàcôté de l’essentiel. Et maintenant que je savais, cela me semblait limpide. Au point que je medemandaispourquoijen’yavaispaspenséimmédiatement.Moiaussi,A,moiaussi.Genre…—Perséphone,annonçai-jed’unevoixclaire.—Super!VapourPersé…,commençaKim,avantdes’interromprebrutalementetdemelancer

regardtroublé.Persé-qui?Jem’esclaffaienlaregardantd’unairnarquois.—Tuneconnaispaslamythologiegrecque,Kim?Marj’semorditlalèvreengloussant.—Tusais,laculturegénéraledeKimestplutôtrestreinte.Elleserappelleàpeinecequ’elleafait

laveille,alorslamythologie,n’ypensemêmepas!Beaucouptroploindansl’histoirepourelle!Kimluitiralalangue.—Gnagnagna !Moquez-vous, moquez-vous !Mais vu queMademoiselleMarjory a l’air d’en

connaître un bras sur la mythologie, elle pourra certainement me renseigner et répondre à maquestion?—Évidemment,soufflacettedernière,hautaine.Perséphoneestladéessedel’amour,biensûr.Jefaillism’étoufferavecmasalive.—Pardon?m’écriai-jeen la fixant,bouchebée.Tupeux répéterceque tuviensdedire, s’il te

plaît?Kimchopaunvéritablefourireetfinitpliéeendeux,aubeaumilieudelaboutique.Heureusement

que nous étions les seules clientes, sans quoi nous serions devenues, une fois encore, le centre del’attention.—Tropdrôle,hoqueta-t-elle,entredeuxéclatsderire.Trop,trop,drôle.Madame«jesaistout»

s’estplantéeenbeauté.Fautlevoirpourlecroire!Elleestbienbonne,celle-ci.Marj’fitlamoue,visiblementvexée.—C’estqui,alors,ladéessedel’amour?bougonna-t-elleduboutdeslèvres.—C’estAphrodite.—Hmmmm…EtPerséphone,c’estladéessedequoi?J’eusunmincesourire,devantlacuriositéévidentedeMarj’,mêmesielletentaitdelecacher.—Perséphoneestladéessedumondesouterrain.Desenfers,situpréfères.Marj’semblaréfléchiravantdepoursuivre,d’unevoixlégèrementhésitante.—Jecroyaisqueledieudesenfers,c’étaitHadès.—C’estjuste.Hadèsestledieudesenfers.Onditqu’ilesttombésouslecharmedePerséphoneau

premier regard et qu’il l’a enlevée pour en faire sa reine. Ils ont gouverné le monde souterrainensemble,expliquai-jed’unairrêveur.J’aitoujoursbeaucoupaimécetteidée.Queledieudesenferstombeamoureux.Çadonneunelueurd’espoir.Mêmelemaln’estpasàl’abridel’amour.(Jerelevai

latêteetcroisaileregardébahidemescopines.Jerougisviolemment.)Quoi?Kimmesourit.—Jenet’auraisjamaiscruaussiromantique,Anna.Jemisundoigtentraversdemeslèvres.—Chut.Nelerépèteàpersonne,c’estunsecret.

Chapitre16

Jefixaid’unemouedubitativemonrefletdanslemiroir.Quelleironied’avoirdû,pourletempsd’une soirée, vider une bombonne colorante brune, assez proche de ma couleur naturelle, pourmasquerlerougequej’obtenaisgrâceàdescolorationsrégulières!Maisbon,Perséphoneavecdescheveuxrouges,çanel’auraitpastropfait.Ilfautsavoirsouffrirpourêtrebelle,A.Jepinçaileslèvres,biendécidéeàignorercetteagaçantevoixintérieurequimetançaitdepuisque

j’avaiscommencéàmepréparer.Faisantcommesiellen’existaitpas,jemetournaisurlecôtépourvérifier que tous mes cheveux étaient bien fixés sur mon crâne, et qu’il n’y avait pas quelquesirréductibles mèches qui partaient dans tous les sens. Apparemment pas. Ouf. Car je devaisreconnaîtrequej’étaisàcourtdepetitespincesetquej’auraisététerriblementagacéededevoirtoutrecommencerunecinquièmefois.Oui,unecinquième.Ilm’avaitfallucinqessaispourparveniràunrésultatsatisfaisant.Cinqessaisetvingt-cinqpetitespinces…Mevoirlescheveuxrelevésmefitundrôled’effet.Jen’enavaisplustropl’habitude.Çamefaisait

plutôtbizarre.Maislerésultatétaitvraimentsympa.Àrefaire.Maisavecmescheveuxrouges!Élémentaire,moncherWatson!Je sortismonmaquillage et commençai à appliquer le fard à paupières doré que j’avais acheté

pour l’occasion. (Que de dépenses pour une simple soirée ! Mon compte en banque l’avait sentipasser…) Un coup de crayon sous les yeux, une pointe de mascara sur les cils et une touche debrillantàlèvres(doréégalement)plustard,j’étaisprête.Lessourcilshaussés,j’admirailerésultatavecstupéfaction.Maisquiétaitcettefilledanslaglace?Mavoixintérieurepoussaunsoupiràfendrel’âme:Tuvoisbienquec’esttoi,non?Je lui tirai la langue (trèsmature) avant de quitter la salle de bains.Hors de question que cette

grincheusemegâchâtmasoirée.(Ly’s’yemploieraitcertainementpourelle…)Positiveattitude,A.Plusfacileàdirequ’àfaire!Jemerendisdansmachambrepourpasserlarobequej’avaisfinalementtrouvée.Aprèsmaintes

recherches,j’étaistombéesurlarobequicollaitparfaitementàmonpersonnage.Dansunstylegrecancien, avec de larges bretelles bouffantes, cette dernière était une pure merveille. D’un blancimmaculé,légèrementsaupoudréed’orsurledécolletéetlebasdelajupe,ellereprésentaitl’imagemême de l’innocence et de l’élégance. (Ce qui convenait parfaitement à Perséphone.) La finemousselinemoulaitmonbustecommeunesecondepeau,avantde tomberenvagueautourdemesjambes.Jememordillai la lèvre enm’admirant sous toutes les coutures devant lemiroir à pied dema

chambre. Le décolleté en V était osé, tout en demeurant extrêmement sage. (Je sais, c’estcontradictoire.Maistellementvrai!)Toutcequidevaitêtrecouvertl’étaitparfaitement.(MêmesilapointeduVs’arrêtaitbienendessousdemapoitrine.Osé,toutendemeurantsage.)Innocente,avec

juste une pointe de folie. Exactement ce que j’avais voulu. Je ne regrettai absolument pas le prixqu’ellem’avaitcoûté.Elleétaitparfaite.Lesyeuxbrillantsdeplaisir,jenecessaisdem’admirerdanslaglace.Jemetrouvais…jolie.Très

jolie,même.T’esentraindeprendreracine,A.Tuvasêtreenretard.Les dents serrées, je tentais d’ignorermamaudite voix intérieure.Enfer et damnation !Si elle

continuait comme ça, elle allaitme faire sortir demes gonds et j’arriverais fâchée à cette fichuesoirée.Floptotalassuré.Jefermailesyeuxetprisuneprofondeinspiration.Jepouvaisêtreplusfortequ’elle.Jelepouvais.Ça,jelesais,A.Maisenseras-tucapable?Unpeumonneveu!Jeprislacouronnedefleursetd’épinesquej’avaiscommandéeàlafleuristeduquartieretlaposai

délicatementsurmatête.Etvoilà,letourétaitjoué.J’étaismaintenantladéessedesenfers.Je gloussai en secouant la tête, avant d’aller chercher mon petit sac doré et mon manteau.

Direction:lamaisondeDrewetdeLy’!Nousavionsconvenu,mesamisetmoi,denousyretrouver.Jepréfèreraisyallerparmespropresmoyens,celamepermettraitdepartirquandjelevoudrais.Etmonpetitdoigtmedisaitquejen’yferaiscertainementpaslongfeu…Vingtbonnesminutesplustard,j’étaisdûmentparquéelelongdeleurrueprincipale.Ilsemblaity

avoir déjà foule et j’avais euune chance incroyable depouvoirmegarer sans tropdeproblèmes.Devinantquatresilhouettesquiattendaientdevantl’entréedelamaison,jeprésumaisqu’ils’agissaitdemesamisethâtaislepas.Bingo!Enveloppésdansdelongsmanteauxnoirs,assezsimilairesaumien,Kim,Marj’,DanetVinceme

firentdegrandssigneslorsqu’ilsmevirentapprocher.Commesijepouvaisleslouper…Avectoi,toutestpossible,A.—Quelcomitéd’accueil!Ilnemanqueplusqu’unepancarteavecmonnomécritengrandetça

seraitlatotale!m’exclamai-jejoyeusement,enarrivantàleurhauteur.—Onselescaille,mabelle,alorsonpoursuivraceconcoursdesarcasmeàl’intérieur,siçanete

dérangepas.Quandjeseraiàmêmed’activermesfonctionscérébrales,grommelaKim,endansantd’unpiedsurl’autre.Marj’eutunpetitreniflementnasaltrèspeuféminin.—Tes fonctions cérébrales sont en hibernation depuis ta naissance,Kim. La chaleur étouffante

qu’ilfaitcertainementlà-dedans(ellepointalamaisonquisetrouvaitderrièreelledesonpouce),n’ychangerariendutout.—Çarisquemêmedelesfairefondre,ricanaDan,enluidonnantunlégercoupdecoude.Kimsetournaverslui,lespoingssurleshanches.—Jecroyaisquetuétaismoncavalierpourlasoirée,Dan!—Ouais.Toncavalier,pastonesclave,Kim…

—Etcen’estpaslamêmechose?Zutalors!Jemesuisencorefaitavoir,ondirait…,maugréa-t-elle,avantdem’empoignerfermementparlebrasetdemetraînerjusqu’àlaported’entrée.Ouvrecettefichueporte,Anna!Jemelespèle,sérieux.Siçacontinue,jevaismetransformerenglaçon,jelesens.J’arquaiunsourcilenluijetantunregardencoin,dubitative.—Etpourquoitunel’ouvrespastoi-même?—Parcequ’onestcheztonfrère!asséna-t-ellecommesicelacoulaitdesource.Renonçant à débattre là-dessus, car moi aussi je commençais à sentir le froid traverser mon

manteau,j’ouvrislaporteetm’écartaipourleslaisserpasser.—Lesdamesd’abord,fanfaronnai-je,enm’inclinantbienbas.Marj’medétailladelatêteaupied.—Parcequetun’esplusunedame,toi,maintenant?Jelevailenez,hautaine.—Biensûrquenon.Jesuisunedéesse,répondis-je,avecunbrind’arrogance,sourcilarqué.SiDanetVinceenrestèrentbouchebée,Marj’etKiméclatèrentderireenbranlantlatête.—Complètementfolle,déclarèrent-ellesencœur,commeàleurhabitude.Unefoisàl’intérieur,jepoussaiunpetitcrideravissement.Ladécoavaitétécomplètementrefaite,

pours’accorderauthèmedelasoirée.D’énormescitrouilles,débordantesdebonbons,reposaientsurles divers meubles du couloir. D’autres, plus petites, étaient fixées au plafond et se balançaientdoucement.Defaussestoilesd’araignées,dumoinsl’espérais-je,pendaientdanslevide,au-dessusdenostêtes,ouserpentaientlelongdesmurs.Depetitesaraignéesyétaientaccrochées,pourrendrecelaplusréel.Etçamarchaitàlaperfectionpuisquej’eusunlongfrissond’effroi.Pitié,faitesqu’ellessoienttoutesfausses!Ilyavaitmêmeunesorcièrechevauchantunbalai!Ilss’étaientvisiblementdonnésbeaucoupdemal.Jeregardaitoutcelaavecdesyeuxémerveillés,

lorsqu’un mouvement sur ma gauche attira mon attention. Je poussai un véritable hurlement deterreurenvoyantl’unedeceshorriblesbestiolespoiluessedéplacerlelongdumur.Jemeplaquaicontrelaporte,àdeuxdoigtsdepartirencourant.Enentendantmonhurlement,KimetMarj’avaientcriédeconcertenbondissantsurlecôté.Vincesetournaversmoi,lessourcilshaussés.—Putain,maisqu’est-cequit’arrive,Anna?Jelevaiundoigttremblantetpointailacoupable.— L-l-l-là… s-s-su-su-sur… l-l-le… mu-mu-m-mur…, bégayai-je, en tremblant comme une

feuille.Mesquatreamisregardèrentdansladirectionindiquée,avantdepouffer.—Tuaspeurdecetteminusculearaignée,Anna?Sérieusement?s’esclaffaDan,ensefrappantla

cuisse.Lapetitebêtenevapasmangerlagrosse…J’aurais bien voulu le foudroyer du regard, mais je refusais catégoriquement de quitter cette

mauditebestioledesyeux.J’avaisbientroppeurqu’elleenprofitâtpourmesauterdessus.

A,quetularegardesounon,sielleveuttesauterdessus,ellelefera…Tasollicitudemetoucheàunpointquetunepeuxmêmepasimaginer…A,lesaraignéesnesautentpas…Onestjamaistropprudent…Ilnefautpasconfondreprudenceetparanoïa!Jenesuispasparanoïaque…jesuisjustemonstreflippéeparcetteputaindebestiole!Nuance…—Arachnophobe,débitai-jed’unevoixhachée.—Hein?Jedéglutispéniblement,avantderépondreaucrideKim.—Jesuisarachnophobe,répétai-jesèchement.—Ellealaphobiedesaraignées,chuchotaMarj’.J’entendislebruitd’uneclaque.—Çava, je suispasdébile. J’avaiscompris,grondaKim,avantdeseplacerdevantmoi.Viens,

Anna,levestiaireestjustelà.Jesecouaivigoureusementlatête,refusantdebouger.J’entendisVincegrommelerdanssabarbeavantqu’iln’aplatîtcettepauvrebêteavecleplatdesa

chaussure.Jemedétendisimmédiatementetmelaissaiallercontrelaportedansmondos.Unsoupirdesoulagementm’échappa.Sauvée…—Non, mais ça va pas la tête ! Qu’est-ce qui t’a pris de faire ça ? As-tu la moindre idée de

combiencoûteungadgetpareil?JeblêmisenreconnaissantlavoixdeLy’.Faussejoie,passauvéedutout!Eh,merde!Jem’avançaid’unpas,pourluiexpliquerquec’étaitdemafaute.Dumoins,était-cemonintention,

maisdèsl’instantoùjeposaimonregardsurlui,jefusincapabledeprononcerlemoindremot.Jeledévoraidesyeux.Bouchebéeetlanguependante.Affligeant…Toutdenoirvêtu,ilavaittroquésontraditionneldébardeurcontreuntee-shirthypermoulant.Des

braceletsargentésétaientfixésàsespoignetsetàsesbiceps,lesrendantencoreplusimpressionnantsqu’àl’ordinaire.Ilportaitdesespècesd’épaulettesargentées,pointuesàsouhait,surlesquellesétaitnouéeunecape.Unpantalonencuirmoulaitsespuissantescuissescommeunesecondepeau.Miam,miam. Ses cheveux noirs, rejetés en arrière et couverts de gel, lui donnaient un air ténébreux etaccentuaientlasévéritédesonvisage.Sesprunellesvertmentheétaientlaseuletouchedecouleurdecemerveilleuxtableau.Etellessemblaientscintillerdemillefeux.Puismesirisseposèrentsursonoreilledroite,etjeretrouvaiavecplaisirleshuitpetitsanneaux

d’orquilaparcouraient.Cebad-boyétaitvraimentàcroquer.Bonsang!Levoyant faireunpasmenaçantversVince, jesortisdema torpeuretmeforçaiàavancer.Son

attentionseportaimmédiatementsurmoi.Jepassaimalanguesurmeslèvressoudainsèches.Allez,A,courage!Tupeuxlefaire.—C’estmafaute…

Ilpinçaleslèvresetmelançaunregardpeuamène.—Bizarre.J’auraispourtantjuréquec’étaitVincequiavaitcognésachaussurecontrelemur.J’ai

visiblementbesoindelunettes…Jepiquaiunfardetbaissailesyeux.Sourisgrise,leretour!—Non.Ilatuél’araignéeparceque…(Unlongfrissonmeparcourutetmefittremblerdelatête

auxpieds.Jeprisuneprofondeinspirationavantdepoursuivre.)Jesuisarachnophobe.Ly’clignadespaupièrespuisfixalemur,perplexe.—Alorsqu’est-cequetufousàunefêted’Halloween?Jepâliseteusunmouvementderecul.—Jesuisdésolée…Illevalamainetjemetusimmédiatement.T’estellementobéissante,A…Quil’eutcru?La.Ferme!—Levestiaireestjustelà.(Ilpointalapiècequisetrouvaitàdroitedel’entrée.)Siparmalheurje

n’ai pas enlevé toutes les araignées mécaniques avant que vous en sortiez, merci de ne pas lesbousiller.Çacoûteunbrascesgadgets…Oh,lahonte!Cen’étaitpasunevraiearaignée…

*****

Nousavionslechoixentrelegarageetlasalleàmanger.Danslepremier,ilyavaituntraditionnelbière-pongainsiquediversautresjeuxdumêmegenre;alorsquelasecondeavaitététransforméeenpistededancepourl’occasion.Ly’etmonfrèreparticipantaubière-pong,notrechoixavaitétévitefait.Unesoudaineenviededansernousavaitbrusquementsaisis.Allezsavoirpourquoi.—Cetterobeestvraimentmagnifique,Anna,meditKimenmefaisanttournoyersurmoi-même.

Tuesradieuseetelletevacommeungant.—Évidemment,minaudai-je.Jesuisladéessedesenfers,aprèstout.Ilnesauraitenêtreautrement.Marj’secoualatête,avantdeplongersonnezdanssonverredebière.—Assurément.Kimetelleéchangèrentunregardnarquoisquinem’échappanullement,mêmesijechoisisdene

paslerelever.—Tuestrèsbienaussi,ennymphedesbois,déclarai-je,enpointantdudoigtlarobeminimaliste

queportaitKim.Monamierougitdeplaisir.(Siseulementellesavait…)—Je te remercie, oh grande déesse des enfers, fanfaronna-t-elle en courbant le buste, dans une

pseudo-révérence.Jemasquaimonsourireironiquederrièremonverre.

A,t’espassérieuse?Tuvaspasfaireça,hein?—Tusaisquelesnymphesontlaréputationd’êtredevraiessalopes?demandai-jeinnocemment.Ohbordeldemerde!Ellel’afait!!!Marj’s’étouffaavecsagorgéedebière,cequisemblaitdevenirunefâcheusehabitude,pendantque

Kimme transperçaitd’unregardnoir.Elleouvritet ferma laboucheàplusieurs reprises,avantdebrusquement faire volte-face, non sansm’avoir fait un doigt d’honneur juste avant de partir. ElleagrippaDanaupassageetl’entraînaàsasuiteendirectiondugarage.T’esfièredetoi,A?Plutôt,oui…J’hallucine!!!Oh,c’estbon!Sionnepeutmêmeplusplaisanter…Tuvasavoirunretourdeboomerang…çavapasêtrebeauàvoir!Situledis…—Tuvas le regretter,Anna…, gloussaMarj’ en suivantKimdes yeux, faisant écho àma voix

intérieure.Elleseraitcapabled’allerdireàLy’quetulecherchespartoutdepuisdesheures…Jetressaillisàsesparolesetluilançaiunregardprudent.—Tudéconnes?(Àl’expressiondesonvisage,jecomprisqu’iln’enétaitrien.)Eh,merde!Qu’est-cequej’avaisdit?Bonsang,cequec’estlassantd’avoirtoujoursraison!…Pasévident

d’êtremoi…Je posai mon verre en quatrième vitesse, sur la première surface plate que je trouvai, et me

précipitaiversVince,enignorantcettemauditevantarde.—Ondanse?—Vos désirs sont des ordres pour moi, ma chère…, affirma-t-il, en se courbant exagérément

devantmoi.Jericanaienl’entraînantverslecentredelapiste.—T’esbête…Ilsecoualentementlatête.—Non.Jesuissouslecharme,c’esttout,susurra-t-ilenm’enlaçant.Jeréalisaisoudainquej’avaispeut-êtrecommisuneénormeerreurenl’invitantàdanseravecmoi.

(Unedeplus!)VoulantàtoutprixéchapperàLy’,j’avaistotalementoccultélessentimentsdeVince.Etmoiquim’étaispourtantjuréedenepasjoueraveceux!Jemefaisaisl’effetd’êtreunebienpiètreamie.Tourneçaàlarigolade,A.Conseil judicieux.Pourlapremièrefoisdepuislongtemps,mavoixintérieuresemblaitmevenir

en aide à point nommé. C’était agréable. Et fort appréciable… quoique surprenant au vu de sesdernières remarques. Cette mansuétude ne lui ressemblait guère. C’en était suspect. Cela étant, jen’avais pas le temps deme pencher sur cet épineux problème ce soir.Ne souhaitant pas non plusremettremabonnefortuneàplustard,jeprofitaisansvergognedesesprécieuxconseils.

Ilfautsavoirsaisirsachancequandelleestàportéedemains.—Normal,jesuisunedéesse,répétai-jeenlevantlenez,hautainejusqu’auxboutsdesongles.Vincemesourittendrementetcaressamajouedureversdelamain.Misère…—Tusaiscequejeveuxdire,Anna…Ehmerde!Jebaissailatête,gênéeparlatournurequeprenaientlesévénements.Cen’étaitpasdutoutceque

j’avaisprévu.Maisalorspasdutout.Peut-êtreseras-tuagréablementsurprisesitutelaissesfaire,A.D’accord.Les sagesconseilsdemavoix intérieureétaientdéjà révolus.Çan’avaitpasduré très

longtemps.—Vince…,commençai-jed’unevoixhésitante.Undoigtposéentraversdemeslèvresm’interrompitnet.—Chut,Anna.Laisse-toifaire…,chuchota-t-ildanslecreuxdemonoreille.Je sentis une surface plate contre mon dos et réalisai, un peu tard, qu’il nous avait habilement

entraînés à l’écart. J’ouvris la bouche, dans l’intention de protester, mais il nem’en laissa pas letemps:seslèvresrecouvraientdéjàlesmiennes.Chaudesetdouces,ellestentèrentdemepersuaderde leur ouvrir le passage que j’avais instinctivement refermé.Mais rien n’y fit. Ma bouche restahermétiquementclose.J’attendispatiemmentqueVincese reculât, restant froideàses tentativesdeséduction.Alorsque

Ly’m’avaitimmédiatementenflammée,Vincemelaissaitdemarbre.(C’étaittoutmoi,ça…craquersurlebad-boyetêtreindifférentefaceaugentilgarçon…Lavieétaitmalfaite!)J’auraisputenterdepousser plus loin cette expérience, bien sûr,mais cela n’aurait pas été juste pourmon ami. Je nevoulaissurtoutpasluidonnerl’impressionquejel’allumaisdélibérément.Ses lèvres se séparèrent finalement des miennes. Il me lança un regard déçu qui me mit

affreusementmalàl’aise.—Çanet’arienfait,pasvrai?Je fixai lapointedemeschaussures et répondisduboutdes lèvrespar lanégative. Il poussaun

longsoupirets’éloignademoi.—Jem’endoutais.J’aibienvulamanièredonttuleregardes.Mais,jem’étaisditque,peut-être…—Jesuisdésolée,Vince…—Non.Ilnefautpas,m’assura-t-ilenmecaressantlajoue.Onnechoisitpasquinousplaîtetqui

nousdéplaît.Etpuis,toietmoi,onestami.C’estbienaussi,non?Jerelevailatêteetluiadressaiunsouriretremblotant.—Oui,onestami.Etc’esttrèsbien.Ilmefitunbisousur la joueavantdes’éloigner.Je lesuivisdesyeux,avantdemelaisseraller

contre le mur. Je fixai le plafond sans vraiment le voir. J’avais besoin de me retrouver seule unmoment.Ducoindel’œil,jevisquelacuisineétaitjusteàcôté.Jenem’étaispasrenducomptequenousétionssurlepassage.

Jerougisettournailatête,enmedisantqu’unbold’airfraisnemeferaitpasdemal.Etcefutlàquejecroisaiunregardvertmenthe,flamboyantd’unefureuràpeinecontenue.Oh,non!Sansréfléchiràcequejefaisais,jesoulevailebasdemarobeetfendislafoulequisedéhanchait

surlapistededance.Nesongeantqu’àfuir,jemerendisdansleseulendroitquiavaitétéinterditauxinvités : l’étage. Jegrimpai lesmarchesde l’escalier deuxpardeuxet courusme réfugierdans lachambred’amis.Unefoislaportereferméederrièremoi,jepoussaiunlongsoupirdesoulagement.Celaavaitété

juste.Jem’approchaidelaseulefenêtredelapièceenmefrottantdistraitementlesbras.J’étaisglacéejusqu’àlamoelledesos.Etpasàcausedufroid.Jeregardai,commehypnotisée,lesraresfeuillesquirestaientsurlesarbressebalanceraugréduvent.Toutenadmirantcetenvoûtantballet,jefaisaisdegrosefforts,detrèsgrosefforts,pourcalmerlesbattementsdemoncœur.Ly’nousavaitvus.IlavaitvuVinceentraindem’embrasser.Sij’enjugeaisparl’expressiondesonvisage,etdelaragequiavaitbrûlédanssesyeux,iln’avait

pasaiméça.Maisalorspasdutout.Avecsespoingsserréslelongducorps,j’avaiscruqu’ilallaitmeréduireenbouillie.Ilyatrèspeudechance,pournepasdireaucune,qu’ils’enprennephysiquementàtoi,A.Ettule

saisparfaitement.Parcontre,Vince…C’estuneautrepairedemanches.Jepoussaiungémissementetmetapailefrontcontrelavitre.Dansquelguêpierm’étais-jeencore

fourrée?Moiquim’étaispourtant juréedenepas titiller le tigrecesoir.J’avaismêmeeucommeobjectifdenepaslecroiserdutout.Etmiseàpartlorsdenotrearrivée,jel’avaisparfaitementatteint.Jusqu’àcequejememoquedeKim.Çam’apprendraàl’ouvriràtoutboutdechamp!Jet’avaisditqu’ilyauraitunretourdeboomerang…etqueçaseraitpasbeau…maistum’écoutes

jamais…Tum’aidespasendisantça!C’étaitpaslebut…SiVince se faisait démolir le portrait à cause demoi, je neme le pardonnerais jamais.Le plus

simple,etlepluslogique,seraitd’allerparleràLy’.Maispourluidirequoi?QueVinceavaitmalinterprétémoninvitationàdanser?Çaneferaitqu’empirerleschoses,aucontraire.Etquelleseraitsaréactionsijeluiavouaisavoirvoulufaireuneexpérience?N’oubliepascequ’ilt’aditàplusieursreprises,A.Quoi,donc?Qu’il ne fallait pas luimentir, car il pouvait lire en toi comme dans un livre ouvert ! Enmême

temps,jedisça,jedisrien…d’ailleurs,jemedemandebienpourquoijecontinuedet’aider…Très juste.Mentirn’étaitpasuneoption.Çane l’était jamais.Unmensongefinissait toujourspar

nousrevenirenpleinepoire,d’unemanièreoud’uneautre.Danscecas,qu’est-cequetuvasfaire?Excellentequestion.Qu’est-cequejepourraisbienfairepoursauverlapeaudeVince?

AvoueràLy’quetuesraidedinguedelui…Euhm…non,faussebonneidée!J’étaisdanslapanade.Pourunefoisquejemelaissaisallerlamoindre,çamerevenaitcontreavec

lapuissanced’unboomerang,commeledisaitsibienmavoixintérieure.Maislepire,c’étaitquejenesavaispasquiallaitdevoirpayerlespotscassés,niàquelprix.—Jet’avaisditqu’ilvoulaittebaiser…

Chapitre17

LavoixgraveetfroidedeLy’résonnadanslapièceetmefitblêmir.Fermantlesyeuxdedépit,jemedemandaicommentj’avaispunepasl’entendreentrerdanslachambre.J’étaispersuadéed’avoirfermélaportederrièremoi.Maispasàclé,malheureusement.Idiote,idiote,idiote!Tripleidiote!!!Refusant catégoriquement de me retourner, je me raidis en le sentant approcher. Les paupières

crispées,jerestaifigéesurplace,telleunestatuedeglace.Oudemarbre,vulafroideuretlarigiditéquim’avaientsoudainenvahie.—Tut’arrangespourdétruireunearaignéemécaniquequicoûtelapeaudesfesses,àpeineleseuil

delaportefranchi.(Savoixétaitàpeineplushautequ’unmurmure.)Puis,tuembrassesunautremecjuste sous mes yeux. (J’entendis distinctement ses dents grincer.) Qu’as-tu prévu d’autre pour mepourrirmasoirée,Annabelle?Parcequec’estbienpourcelaquetuesvenue,n’est-cepas?Pourtevengerdemoi…Froideetcoupante,sadernièrephrasemefittressaillir.Jeserraimesbrasautourdemonventre,

commepourmeprotéger.Memordantlalèvreinférieureausang,jesecouailentementlatête.Non,jen’étaispasvenueicipourmevengeroupourluipourrirlavie.J’étaisvenuepourfaireplaisiràmesamies.Quellegalère!—Nonquoi,Annabelle?cracha-t-ilenplaquantviolemmentsesmainscontrelafenêtre,departet

d’autredematête.Non,tun’asrienprévud’autre?(Ilsepenchajusqu’àcequejesentesonsoufflechaudcontremanuque.)Non, tun’espasvenuepourmepourrirmasoiréed’Halloween?Non, tun’aspasembrasséunautremecjustesousmesyeux?Sa dernière question sonnait comme unemenace et la petite souris grise que j’étais le comprit

parfaitement. Tremblant de tous mes membres, je secouai une nouvelle fois la tête, incapable deprononcerlemoindremotpourl’instant.Mêmemavoixintérieureétaitdevenuesilencieuse.Commesielleavaitsentiqu’ilnefallaitsurtoutpasprovoquerlefauvequiétaitdansmondosencemoment.Mêmeenpensée.Misère…—Réponds-moi!ordonna-t-ilsèchement,entapantlavitreduplatdelamain.Je sursautai violemment et me retrouvai plaquée contre son torse. L’un de ses bras s’enroula

immédiatementautourdemataille,memaintenantfermementcolléecontrelui.—Nonàtout,soufflai-jed’unevoixblanche.Non,jen’aipasdélibérémentembrasséVincedevant

toi.Non,jenesuispasdutoutvenueicipourtepourrirtasoirée,dequelquesmanièresquecesoient.Non,jen’aiabsolumentrienprévud’autre…,finis-jeparrépondre,dansunfiletdevoix.Ilyeutunmomentdesilenceetl’onentenditplusquenosdeuxrespirations.Lourdeetprofonde

pourLy’,sifflanteethaletantepourmoi.—Tuesvraimentarachnophobe,masouris?Oubienc’étaituneexcusepoursauverlaviedeton

chevalierservant?La question de Ly’ me prit complètement au dépourvu. Si je m’attendais à ça. J’ouvris

immédiatement de grands yeux tout ronds et tournai la tête vers lui, pour croiser son regard par-

dessusmonépaule.Clairetlimpide,sansaucunetracedecolère.Ilsemblaits’êtrecalmé.Jedemeuraiuninstantbouchebée,nesachantquepenserdecebrusquerevirementdesituation.À

meretournerdanstouslessenscommeunecrêpe,ilallaitfinirparmefaireperdrelenord.C’estpasdéjàfait,A?Une mauvaise nouvelle n’arrivant jamais seule, je ne devrais pas être surprise que ma voix

intérieurefûtderetour.Etpourtant…—Jesuisarachnophobe.Vraiment,répondis-jeenfin,surmesgardes.Unesourisgriseengarde…Tropmarrant!Pasfaux…—Alors,pourquoiveniràunefêted’Halloween?Tudevaisbientedouterqu’ilyauraitcegenre

depetitesbêtesunpeupartoutdanslamaison…C’estlethèmedelasoirée,aprèstout…La tête légèrement penchée sur le côté, il me fixait avec une grande attention. Ma réponse lui

importaitetilvoulaitcomprendrelaraisondemaprésenceici,cesoir.Maisàforcedeleregarder,latêtetournéeetlevéeaumaximum,jecommençaisàavoirdesdouleursdanslanuque.Génial…Leproblème,avecl’emmerdementmaximum,c’est…Onsait,A,onsait!Ah.—Parcequemescopinesm’ontsuppliéedevenir.Ethonnêtement,jen’aipaspenséuneseconde

que vous alliez redécorer la maison avec une multitude de ces horribles bestioles. Ni qu’ellespouvaientbouger.Jenesavaismêmepasqu’ilenexistaitdesmécaniques…Ly’arquaunsourcil,etunsouriremoqueurflottasurseslèvres.— Ce ne sont pas d’horribles bestioles, ma souris, dit-il avant de faire un pas en arrière, me

libérantainsidesonétreinte.Je tournaibrièvement la têtede l’autrecôté,poursoulager ladouleurdemanuque,avantde lui

faireface.Ilpritmamainetm’entraînaàsasuite.—Tum’emmènesoù?demandai-je,enlesuivantavecunecertaineréticence.—Jeveux temontrerun truc.Essaiedenepashurler,d’accord? Ilne faudraitpas réveiller les

morts…,ânonna-t-il,avecunevoixd’outre-tombe.Je me raidis et fus instantanément sur le qui-vive. Qu’est-ce qui allait encore m’arriver ? Je

n’aimaispastropletonlugubrequ’ilvenaitd’employer.Ilessaiedetefairepeur,A.Ehbien,çamarchedrôlementbien!Trouillarde…Ilouvritlaportedesachambreetm’emmenaàl’intérieur,àsasuite.Raidecommeunpiquet, je

franchistoutjusteleseuil,avantdepilernet.Jen’aimaispasceladutout.Maisalors,vraimentpas.—Annabelle,pourrais-tuentrer,s’il teplaît?Quejepuissefermerlaporte…,grommela-t-ilen

poussantunsoupirdefrustration.

Alorsquej’allaisrefuser,ilm’attirabrusquementcontrelui.Jem’écrasaicontresontorseferme,etilm’enveloppaunenouvellefoisdanssesbras.—Ah,masouris…Situsavaiscommej’aimet’avoirainsi,toutcontremoi…,susurra-t-ildansle

creuxdemonoreille,avantd’enmordillerdoucementlelobe.Maisavanttoutchose,jevoudraisteprésenterdeuxpersonnestrèschèresàmoncœur.Latêtemetournaitetilmefallutplusieursminutespourcomprendrecequ’ilvenaitdedire.Jelevaiunregardperduverslui.—Hein?Ilme fitungrandsourirequicreusadebelles fossettesdansses joues. Iln’avait jamaisétéplus

beau.Pourtant,ilétaitmagnifiqueauquotidien…Çacraignaitgrave.J’étaistellementenvoutéeparcesuperbesourire,quejenevispastoutdesuitequ’ilavaitferméla

porte.—Masouris,jeteprésenteNorbertetKayla.D’un geste théâtral de la main, il m’indiqua le fond de la pièce. Comme au ralenti, je tournai

lentement la tête dans cette direction. Je vis un bureau avec deux écrans d’ordinateur, une petitebibliothèque,unearmoire,unterrarium,unlit…Stop!Arrêtsurimage.Onrembobinelentement.Très,trèslentement.Unlit,unterrarium,unearm…Glacéejusqu’ausang,jeverrouillaimonregardsurleterrarium.Blanchecommeneige,jelevai

undoigttremblantdanscettedirection.—Y’a…u-u-une…a-a-arai-gn-ée…là?bégayai-jeenpointantlelieuincriminé.Ly’ posa ses mains sur mes épaules et les massa doucement. De lents gestes circulaires qui

m’apaisèrentprogressivementetmepermirentdereprendrelecontrôledemavoix.Àdéfautdureste.—Jet’ensupplie,dis-moiquetun’aspasd’araignéeslà-dedans!Ly’penchalatêtesurlecôtéetm’adressaunpetitsourirecoquin.—D’accord.Jenetelediraipas.Oh.Mon.Dieu.Ilavaitunearaignée.Unevraiearaignée.Unlongfrissonmesecoua.Jefisinstinctivementunpas

enarrière.Puisunsecond.Jusqu’àmeretrouverplaquéecontrelaportedesachambre.— Hey, calme-toi. Tu ne risques absolument rien, Annabelle. Depuis que Kayla partage le

terrarium deNorbert, elle n’a plus tenté de s’échapper. Et quand elle le faisait, c’était uniquementpourrejoindreNorbert.Etmoiquicroyaisquejenepouvaispasmesentirplusmal.Chancelante,jetâtonnaiderrièremoià

la recherchede lapoignée, presséedequitter cet endroitmaudit.Mais l’opération était hasardeusepuisquejerefusaisdequittercefichuterrariumdesyeux.Alorsquej’étaissurlepointdefairevolte-face et de m’enfuir comme si j’avais le diable aux trousses, Ly’ m’en empêcha. Il me pritpromptementdanssesbrasetmesoulevacommesijenepesaispaspluslourdqu’uneplume.Sansplus de manières, il se dirigea vers son lit. Heureusement, ce dernier se trouvait à l’opposé dumonstrepoiluetterrifiantquimetétanisait.C’étaitdéjàça,mêmesilaconsolationétaitbienmaigre.

Ly’ s’assit et m’installa sur ses genoux. Je me laissai faire dans un état second, sans quitter leterrariumdesyeux.—Y’enadeux?croassai-jeenclignantrapidementdespaupières,maissansdétournerlatête.J’imaginaidéjà lesmilliersdepetites araignéesqu’ils allaientpondre etqui ramperaient à toute

vitesse vers moi. L’image apparut si distinctement que je memis à trembler d’effroi. Un long etincessantfrissonmeparcourait.Arrête,A,situcontinuesàpenseràcegenredechoses,tuvasfinirpartournerdel’œil.Ettune

veuxpasperdreconnaissancedanslamêmepiècequ’unearaignée,quandmême?Oh,bonsang!C’étaitvraiça.Ilfallaitabsolumentquejemeressaisisse.Horsdequestionqueje

me retrouve inconsciente en présence de ces bestioles. Je me forçai donc à fermer les yeux et àprendredeprofondesinspirations.Inspirer,expirer.Inspirer,expirer.Inspirer,expirer.—Non.JerouvrislesyeuxettournailatêteversLy’.—Non?—Non.D’accord.DoncseuleKaylaétaitunearaignée.Bonnenouvelle.Uneseule,c’étaitbienmieuxque

deux.Vraimentbeaucoupmieux.Une,jepouvaisgérer.Enfin,peut-être.Norbert,c’estquoialors?Question judicieuse. Qu’était donc Norbert ? Pour être dans un terrarium, ça pouvait être…

quantitédechoses,enfait!Ettouteslesoptionsquimevinrententêteétaientaussiterrifiantesqu’unearaignée.Alors,qu’est-cequetuattendspourdemander?Ah,oui.Heureusementquemavoixintérieureétaitlàpourmerappelermespriorités.Àtonservice,A.Tiens,donc!Lecontraireeûtétéétonnant!—Et, euh,Norbert…c’estquoi, alors?demandai-jecraintivement, car je redoutaisvraiment la

réponseàcettequestion.—Unpython.Okay,d’accord.Cemecétaitcomplètementmalade.Cettefois,c’étaitsûr.Ilavaitunserpentetune

araignée.Ilfallaitquejemetired’ici.Leplusvitepossible.—Super…,dis-je faussemententhousiaste.Euh, tunecroispasqu’il faudraitqu’on retourneen

bas?Tespotesvontsedemanderoùtuespassé…Je tentai de me lever, mais les bras de Ly’ se resserrèrent brusquement autour de ma taille.

Impossibledelesfairebouger.Del’aciertrempé.Génial.Demieuxenmieux.—Tuasaussipeurdesserpents?— Non, pas spécialement. Mais le python est réputé pour être une créature particulièrement

dangereuse.Doncjen’ensuispastropfolichonne.(Etjesavaisdequoijeparlais,vuquej’enavaisvouluunpourmes seizeans.L’exposédemamèreàce sujet avait étécompletetparticulièrementinstructif.)Onyva?Ly’sepenchaversmoi,etjetournailatêtepouréviterquesonvisageneseretrouvâtau-dessusdu

mien.Tropdangereux.—Lespythonsnesontcertespasdesjouets,maisilsnesontagressifsques’ilssesententmenacés.

Et jepeux t’assurerqueNorbertnem’a jamais attaqué.Nimoinipersonned’autre.Unchienpeuts’avérertoutaussidangereuxqu’unpython.Ça,jelesavaisaussi.Lafilledelavoisines’étaitfaitattaquerparlechiwawad’unevieilledame

qu’elleavaitvoulucaresser.Depuis,d’horriblescicatricesmarquaientsonvisage.Inutiledepréciserqu’après cela, mamère n’avait plus voulu entendre parler d’avoir un chien. Ni d’un chat, car ilsétouffaient lesbébésdans leursommeil.Commenousn’avionspasdebébéà lamaison, jen’avaispas vraiment compris en quoi cela nous concernait, mais ma mère était restée intraitable. Nousaurionséventuellementpuavoirunpoissonrouge,simonfrèren’avaitpasblaguéendisantquejepouvaismenoyerdanslebocal,enplongeantlatêtededans.Résultat:pasd’animauxdecompagnieàlamaison.—Jesais,lesanimauxdecompagniesontàl’imagedeleurmaître.Onpeutyaller,maintenant?

insistai-jeententantencoredemelever.—Parcequet’espresséederejoindreVince?Coupante,savoixfenditl’airaveclaprécisiond’uncouperet.Jecessaiimmédiatementdebouger,

nesachantquelleattitudeadopter.T’esdanslamerde,A.Non?Tucrois?—Non,murmurai-jefinalement,enbaissantlatêtepourfixermesgenoux.Letigreétaitderetour,etlapetitesourisgrisebrûlaitd’allerseterrerdansuntrou.Ly’posaunemainpossessivesurmagorgeetmeforçaàreleverlatêtepouraffrontersonregard

pâle.—J’aifailli ledémolir,Annabelle.Ils’enestfalludepeu,detrèspeu,pourquejeluirefassele

portrait, cracha-t-il, les yeux brûlants de rage. Tu veux savoir pourquoi je ne l’ai finalement pastouché ? (J’avalai difficilement ma salive et hochai légèrement la tête. Autant que sa prise me lepermettait.)Parceque t’es restée froideentresesbras.Tune luiaspas rendusonbaiser.Tun’yasmêmepasrépondu.Etquandils’estécarté,tun’aspascherchéàleretenir.Ça,çaluiasauvélavie.(Ilsepenchaversmoi,jusqu’àcequesonnezfrôlâtlemien.)Maiscen’estpasuniquementpourçaquejel’ailaissépartirsansréagir.S’ilavaitinsisté,s’ilavaitseulementessayédetereprendredanssesbras,jel’auraispulvérisé.Littéralement.Onnetouchepascequim’appartient.Jamais,gronda-t-il,lamâchoire tellementcrispéequ’unmuscle tressautait auniveaudesa joue.Et toi,Annabelle, tuesàmoi. (Ses lèvres frôlèrent lesmiennes, dans une caresse aussi légère qu’une plume.) Tout commePerséphoneappartenaitàHadès.Tellement troublée par les effleurements de ses lèvres, je faillis rater sa dernière déclaration.

Stupéfaite, j’écarquillai lesyeuxencherchant à comprendreoù il voulait envenir.Puis la réponsem’apparut dans toute sa splendeur. Ses habits noirs, ses bracelets argentés, sa coiffure. Il avait labeautéd’undieu.D’undieudesenfers.L’incarnationdupêchéultime.Hadès.

—Commentas-tusu?voulus-jesavoir,lesoufflecourt.—J’aidesyeuxetdesoreilles,masouris,etilsfonctionnentàlaperfection,susurra-t-ilenfrottant

sonnezcontrelemien.Etmaintenant,jevaiseffacerlatracequ’unautrealaisséesurtoi.Carc’estinacceptable.Ses lèvress’emparèrentdesmiennesavecdouceuretvolupté.Moncorpsse raidit,puisse tendit

instinctivement vers lui. Alors que Vince m’avait laissée de glace, je sentis mon sang entrer enébullition pour Ly’. Des milliers de papillons prirent leur envol au sein de mon corps, leparcoururentsansrelâche,mefaisanttressaillirdesurprise,puistremblerdedésir.—Sidouces,Annabelle,teslèvressontsidouces…Etellessontàmoi,etàmoiseul.Sisesparolesétaientgrisantes,labouchequim’embrassaitànouveaul’étaitbiendavantage.Mes

paupièressefermèrentd’elles-mêmesetmatêtebasculaenarrière,pourluidonnerunmeilleuraccèsàmeslèvres.Comprenantl’invitationtacite,Ly’l’acceptaetapprofonditsonbaiser.Lapointedesalangueredessinal’ourletdemeslèvres,avantdeplongerentreellespourpartiràlarecherchedelamienne.Docile, jeme soumis au désir deLy’.Toute envie de rébellion avait définitivement quittémoncorps.Jen’étaisplusquedésiretsensations.Sisonbaiserétaitvoraceetaffamé,Ly’n’endemeurapasmoinsdouxavecmoi.Commesij’étais

unepoupéedeporcelainequimenaçaitdesebriseraumoindremouvementbrusque.Sans décoller ses lèvres des miennes, Ly’ pivota doucement sur lui-même et m’allongea

progressivementsursonlit.Soutenantlepoidsdesoncorpsàboutdebras,ilmituntermeànotrebaiser.Mespaupièrespapillonnèrent,avantdes’ouvrirengrand.Ledésirquibrûlaitdanssesirisvertmenthemedonnalachairdepoule.—Putain,cequet’esbelle,masouris,lâcha-t-ild’unevoixrauque.Ilme dévora des yeux, balayantmon visage avant de glisser le long demon corps. Je sentis la

pointedemesseinssedresserenréponse.Unpetitsourireencoinmemontraquecelaneluiavaitpaséchappé.Il s’allongea lentementsurmoi,me laissant le tempsdeprotesteretd’interromprecequ’ilavait

entamé.Maisjen’enavaispaslamoindreenvie.Aucontraire,jedésiraisqu’ilm’embrassâtencore.Toujours.—Embrasse-moi…,quémandai-jeenmetortillantdoucement.—Tumerendsfou,masouris…Prenantappuisursescoudes,ilencerclamonvisagedesespaumesetcaressameslèvresdeson

souffle. J’étais à la torture. J’en voulais plus. Quand je fismine de lever la tête pour combler ladistancequinousséparait,ilsereculaensouriant.—Tssstssstsss,pasdeça,Annabelle.Je grommelai de frustration et le foudroyai du regard. J’étais en feu et j’avais besoin de lui.

Maintenant.—Jet’ensupplie…,sanglotai-jeentendantmonvisageverslesien.Sonsourires’effaçabrusquementetsavoixredevintglaciale.—Non.Nemesuppliepas,Annabelle.Jamais.

Perdue,jeluilançaiunregardblessé.Allait-ilmelaisserenplan,unefoisdeplus?—Nemeregardepascommeça,masouris.Jevaistedonnercequetuveux,maisnemesupplies

pas.Tun’enaspasbesoin…Jamais…,chuchota-t-iltoutcontremeslèvres,leregarddoux.Enfin,ilfitcequej’attendais.Cequejedésespéraisd’obtenir.En dessus de moi, son corps soudé au mien, il m’embrassait à en perdre haleine. J’écartai

instinctivementlesjambes,cherchantàmerapprocherdeluiaumaximum.Dansunactedebravoure,dontjenemeseraisjamaiscruecapable,jelevailesmainsetlesposaisursondos.D’abordhésitante,je les laissai doucement glisser, suivant la courbe de sa colonne vertébrale, avant de les remonterlentementverssesépaules.Sesmusclessecontractèrentaurythmedemaprogression.Puis,prenantpeuàpeude l’assurance, je lecaressaiplus franchement.Pour finalement lesglisser sousson tee-shirt noir et toucher sa peaudouce et brûlante. Il se crispa légèrement, avant dedonner unbref etrapide coup de reins. Si j’en jugeais par ce que je sentais contre mon ventre, mes caresses luiplaisaient.Beaucoupmême.Ilseredressabrusquement,sanscriergare,etrompitnotreétreinte.Paniquéedenepluslesentir

contremoi,jerouvrislesyeuxavecl’intentiondelesupplierderevenir.Ilneveutpasquetulesupplies,A.Ah,oui.Trèsjuste.Nepassupplier.J’étaissurlepointdemereleverpourlerejoindre,quandmoncerveausedéconnecta.Blackout

complet.Captivée,jefixailesmusclessaillantsqu’ilvenaitdedévoiler.Sapeaudoréem’attiraitcommele

miel attirait les abeilles. Aveuglée, je tendis une main tremblante et la posai sur ses abdosparfaitementdessinés.Chaudsetdurs.Parfait.Jelesentaistressailliràmoncontactetmoncœursegonflad’orgueil.C’étaitmoiquiproduisaisçachezlui.Moi.Duboutdesdoigts,j’ensuivisméthodiquementchaqueligne.Son tee-shirt. Il avait enlevé son tee-shirt. Ilme fallut du temps pour le comprendre tant j’étais

occupéeàadmirersoncorpssuperbe,etàmeglorifierdesesmoindresréactions.Repoussantmamain,ilmerejoignitrapidementsurlelit,mettantprématurémentuntermeàmon

exploration.Sonfrontposécontrelemien,larespirationsaccadée,iltentaitdesemaîtriser.— Si tume touches encore une fois, je vais perdre le contrôle, ma souris. Je te désire trop…

Depuistroplongtemps…Ces mots enchanteurs me firent l’effet de l’ambroisie. Je m’humectai les lèvres du bout de la

langue.Sonregardsurpritmongesteetdesflammessemblèrentjaillirdesesprunellesvertmenthe.—Ehmerde,marmonna-t-ilavantdesejetersurmabouche.Seshanchessemirentàroulercontrelesmiens,dansunrythmelentetsensuel.Jesentisunfrisson

de plaisir me parcourir et se terminer dans mes orteils, que je recroquevillai instinctivement. Jevoulus encercler sa taille de mes jambes, mais la longue jupe de ma robe m’en empêcha. Je metortillaipourtenterderemédieràcettesituation.Dans un grognement de fauve, il empoigna rudement mes cuisses et les remonta d’un geste

brusque.Lebruitd’untissuquisedéchirameparvintenbruitdefond,maisjen’yprispasgarde.Mesjambesétaientnouéesautourdesataille,leresten’avaitaucuneespèced’importance.Sesmains,caressantlapeaunuedemesjambes,merendirentfolleet jefrissonnaideplusbelle.

Quand le bout de ses doigts frôla le haut de mon arrière-cuisse, je me cambrai d’impatience. Jevoulais qu’ils montent encore un peu. Juste un peu. Mais ses doigts prirent le chemin inverse etredescendirentdoucement.Se plaquant plus étroitement encore contre monmont de Venus, il augmenta la cadence de ses

coupsdereins.J’étouffaidifficilementmesgémissementsdeplaisir.Ilsereculaetmelançaunregardbrûlant.—J’aimequandtubougescommeçacontremoi,chuchota-t-il,lesyeuxnoirsdedésir.(J’ondulai

derechefdeshanches,etungrognementjaillitdelagorgedugrandfauvequimesurplombait.)Çamerendfou.Tumerendsfou,Annabelle.L’unedesesmainsquittamescuissespourserpenter lentement le longdemoncorps. Il frôla la

pointedemesseinsetjemecambraiimmédiatementenréponse.Unsouriremachiavéliqueétiraseslèvres.—Oh,masouris…Ondiraitquetuaimesbiencegenredecaresses…Il recommençasonmanège,me regardantme tortillerdans tous les sens. Incapabledeparler, je

plongeaimesirisbleufoncédanslessiennes,pourtenterdeluifairecomprendrecequejedésirais.Sonsourires’agrandit,etilécartalentementlamousselinequirecouvraitmapoitrinefrémissante.Iltenditlamainetsuspenditsongeste,justeendessusdemonmamelonfièrementdressé.Oh,oui!Oui,oui,oui.Jevoulaiscela.Dieucommejelevoulais!VLAN!—Putain,Ly’,tufousquoi?!Ont’attendpourterminernotrepartiedebière-pong!Drewaditque

tuavaiscinqminutespour…Enentendantlaportes’ouvrirbrutalement,Ly’sejetasurmoi,recouvrantmoncorpspartiellement

dévêtudu sien. Il tourna la tête et lançaun regardassassin à l’imbécilequivenaitd’entrerdans sachambre.—Fouslecamp!cria-t-ilenmontrantlesdents.L’autre s’en alla immédiatement, sans demander son reste.Et franchement, je le comprenais. Le

regarddeLy’était toutbonnement terrifiant. Il se tournaitversmoi, les sourcils froncés,quand laréalitémepercutadepleinfouet.J’étaisàmoitiénue,allongéedanslelitdeLy’,alorsquemonfrèresetrouvaitdanslamaison,alorsqu’ilauraitpunoussurprendreàtoutinstant.Putaindebordeldemerde!Tonlangagenes’améliorepas,A.Çaauraitpuêtreluiquientraitdanslachambreetquinousinterrompait.Ilm’auraittrouvéeaulit

avecsonmeilleurpote.Sentantlapaniquemesaisir,jerepoussaifrénétiquementLy’enmetortillantpourluiéchapper.—Laisse-moi!Laisse-moimerelever!dis-jed’unevoixperchée,àlalimitedel’hystérie.LevisagedeLy’ se fermaet il appuya fermement surmes épaules,memaintenant couchée.Ses

yeuxlançaientdeséclairs,etcettefois,sacible,c’étaitmoi.—Pourquoi?Ilyacinqminutes,tuauraistoutdonnépourquejenem’arrêtepas,m’asséna-t-il

froidement.Je blêmis, car il avait entièrement raison. J’avais été à deux doigts de lui donnerma virginité.

J’avais été à deux doigts de coucher avec le plus grand baiseur de l’université. Avec unmec quiméprisaitlesfemmes.Quilesprenaitpourensuitelesjetercommedevieuxkleenexusagés.Oh,bonsangdebois!—Non…,protestai-jepluspourmoi-mêmequepourlui.Seslèvressepincèrentdemécontentement.—Arrêtederaconterdesconneries,Annabelle!Quelestleproblème?—Leproblème?Çaaurait pu êtremon frère, déclarai-jed’unevoixblanche.Ça aurait pu être

Andyquivenaittechercher…Etilm’auraittrouvéelà,àmoitiéàpoil…avectoi…Ly’sefigea.Teluntigresurlepointdebondirsursaproie,ildemeuraparfaitementimmobile.—Tuashontedemoi?Honted’êtrevueavecmoi?Jedétournailesyeux,affreusementgênée.—Avecuneréputationcommela tienne,quelle fillevoudraitêtresurprisedans tesbrasparson

frèreaîné?Ly’bondithorsdulit,commesicelui-ciétaitenfeu.—Dégage.Sorsdemachambre,Annabelle.Toutdesuite!Iln’eutpasbesoindemelediredeuxfois.

Chapitre18

Je passai le reste duweek-end enfermée chezmoi, refusant de voir qui que ce soit.Aprèsmondépartprécipité,c’étaitlemoinsqu’onpûtdire,devendredi,oùj’avaistoutjustesaluéMarj’etKimenpartant,jenesouhaitaisparleràpersonne.Surtoutpaspourdevoirexpliquerpourquoilajupedemarobeétaitdansun telétat !Commentpouvait-on justifierunedéchirurequicourait sur toute lalongueur?Impossible!Etpuis,j’avaisbientrophontedecequej’avaisfait.M’êtrelaisséeséduireparLy’,aprèslamanièredontilm’avaittraitée,étaitlesummumdeladéchéance.Jen’arrêtaispasdepenseràcequiseseraitproduitsinousn’avionspasétéinterrompus.J’étaistellementmal,j’avaistellementhonte,quejefinisparouvrirunedesbièresquemonfrère

avaitlaisséeschezmoi.Lapremièregorgée,particulièrementamère,metiraunegrimacededégoût.Comment les mecs pouvaient-ils boire ce genre de breuvage à tout bout de champ ? C’était toutsimplementinfect!Alorspourquoituenprendsunedeuxième,A?Bonne question. Tout en y réfléchissant, je pris machinalement une troisième gorgée. Puis une

quatrième. Une cinquième. Une dixième. Et sans m’en rendre compte, j’avais fini la bouteille. Jeclignaidespaupièresenlançantunregardmorneàcettedernière.Unemouedubitativesurleslèvres,jemelevaipourallerenchercheruneautre.A, tu trouves legoûtde labièreaffreux,pour resterpolie,mais tu enprendsunedeuxième…Ce

n’estsûrementpaslachoseàfaire…Effectivement, ça ne l’était pas. Pourtant, ce fut ce que je fis. Jeme rendis compte que, plus je

buvais, moins je trouvais mon attitude irraisonnable. J’avais succombé au charme de Ly’ ? Quoid’étonnantàcela,danslefond?Aprèstout,jen’étaisqu’unesimplefille,semblableàtantd’autres.Etnonunepuissantedéesse.Résisteràuntelspécimenrelevaitclairementdel’impossible.Ilétaitbientrop…bientrop…bientroptout,enfait.Etmoij’étais…justemoi.Lavraiequestionétaitplutôtdesavoirpourquoiilavaitjetésondévolusurmoi,alorsqu’ilauraitpuavoirtellementmieux…Un sursaut de fierté me piqua soudain au vif et je me redressai brusquement sur mon canapé,

manquantderenversermatroisièmebière.Toutcela,cen’étaitquedesâneries,desexcusesbidon.C’étaitnormalqu’ilm’eûttrouvéeàsongoût,carj’étaisplutôtbienfoutue.Poitrinerondeetferme,hauteperchée;hanchesfinesetminces,justecequ’ilfallait;longuesjambes,légèrementmusclées;et pour couronner le tout, une superbe croupe pommée. Non, non, j’étais plutôt canon dansmongenre,enfindecompte.C’étaitnormalqueLy’eûtenviedemoi.Etmodeste,avec…Labièreneteréussitpas,A,redescendssurterre.Bientôt,tuvasdirequet’esla

déessequetuincarnaisvendredi.—Mais parfaitement ! Je suis une véritable déesse. Je suis franchement choquée que tu ne le

remarquesquemaintenant!m’écriai-jeàhautevoix,enbondissantsurmespieds,lespoingssurleshanches.Excuse-toiimmédiatement!T’essérieuse,là,A?—Jesuistrèssérieuse,stupidevoixintérieuredemesdeux!A, tu te rendscompteque tuparles toute seule, là?Aubeaumilieude ton salon,unebièreà la

main?

Jelevailesyeuxaucieletfronçailessourcilsenvoyantqueleplafondtournoyaitsurlui-même.In-cro-ya-ble.Jebasculailatêteenarrièrepourmieuxvoir.—Super!Regarde!Leplafondtournoie!Ondiraitqu’ilvalse…T’escomplètementbourrée,A.Jepinçailenez,agacéeparlesparolesnégativesdemavoixintérieure.—Quedalle!J’aitoutjustebutroisbières.Fautpasêtrejalouseparcequetunel’aspasremarqué

lapremière.Ilfautsavoirêtresport,lavoix!J’entamai une petite dance de la victoire, au beau milieu de mon salon, manquant de justesse

d’envoyervaldinguermabière.Tellementprisedansmondélire,jen’yprispasgardeetcontinuaiàtournersurmoi-même,enmedandinantducul.Je vais me répéter, A…Premièrement : tu es complètement bourrée. Trois bières ou non, ça t’a

visiblementsuffi.Deuxièmement:cetteridiculeparodiedeladancedescanardsestjustepathétiqueaupossible.SiLy’tevoyaitencemoment,jet’assureque,déesseoupas,iln’auraitpluslamoindreenviedetemettredanssonlit.Ettroisièmement:jet’assurequetuparlestouteseule,aubeaumilieudetonsalon!— Pfffff, même pas vrai, frimai-je en m’arrêtant, le temps d’en prendre une nouvelle gorgée.

Finalement, la bière ce n’est pas si mauvais. Faudra que je dise à Andy d’en apporter plus laprochainefois.Pourquoit’enveuxplus?Troistesuffisentamplement.Demain,turegretterastongeste,c’estmoi

quiteledis!—N’importequoi!Sic’estpourêtrerabat-joiecommeça,autantquetulamettesensourdine,la

voix!Tum’empêchesdemeconcentrersurlamusique.Ilyeutunbref silence,aussi j’enprofitaipour recommenceràmedandiner. J’adoraisvraiment

cette musique. C’était trop, trop super. Et hop, un pas à droite. Et hop, un pas à gauche. Je medéhanchaisexagérémentensuivantlerythmedelamusique.Jebalançaisdoucementlatêtedegaucheàdroite,faisantvoletermescourtesmèchesbrunes.Je fronçai les sourcils et arrêtai net de danser. Je pris unemèche entremes doigts et la plaqua

devantmesyeux.Brun.Pourquoimescheveuxétaientbruns?Je lescoloraisenrouge,maintenant.Mescheveuxdevraientêtrerouges,pasbruns.Commentcelaétait-ilpossible?Tu t’es vidée une bombonne colorante brune sur la tête pourHalloween. Ça partira au premier

lavage.Tunet’ensouvienspas?—Ah,si!m’exclamai-jeensouriant.C’estjuste,tuasraison.Fautquejemelavelescheveuxpour

fairepartirlebrun.Pourquoijenel’aipasfaithier?Parcequet’aspassélajournéeaulitàtemorfondre…—Pfff!N’importequoi!Jememorfondsjamais!Situledis…L’importantc’estd’ycroire,pasvrai?—Exactement!Jepinçaileslèvresetréfléchisàmondilemme.Soitj’allaismelaverlescheveuxmaintenant,soit

jecontinuaisàdanser.Etcomment j’aimaisvraimentcettemusique, jehaussai lesépauleset repris

mestournoiements.Euh,A?—Chut!Jedanse!protestai-je,avantdem’arrêternet,figée,enéquilibresurunpied.Etvoilà!Tu

asvucequetuasfait?Lamusiques’estarrêtée!Remets-la!J’entendismavoix intérieurepousserun soupir excédéet jemepréparai àbatailler fermepour

qu’elle remette cette fichuemusique.Mais, àma grande stupéfaction, celle-ci redémarra sans quej’aiebesoindeprononcerlemoindremot.Haussantderecheflesépaulesetrenonçantàréfléchiràlaraisondecemiracle,jerecommençaià

danser,lesyeuxfermés.A,cen’estpasdelamusique,c’esttonportablequisonne.Jefronçailessourcilsetpenchailatêtesurlecôté.—Hein?Ton.Putain.De.Portable.Sonne!Ont’appelle…Fautrépondre!Allo!Lesmotspénétrèrentlentementmaconscienceetj’ouvrisdegrandsyeux.—Merde!Jebondis en avant,mepris les piedsdans le tapis…etm’étalai de toutmon long.D’unehabile

torsion,jeréussisàtombersurledosetàsauvermabière.Ouf.J’avaiseuchaud.Unpeuplus,etj’auraisgaspilléceprécieuxbreuvage.Ivrogne…—Jalouse,sifflai-jeentremesdents,enmerelevantpéniblement.Bon,ilestoùcefoutuiPhone?

(Cefutalorsquejelevis,sagementposésurlatablebassedusalon.)Ah,là!(Jel’attrapaivivement.Unpeutropvivement,même,vuqu’ilm’échappadesmainsetroulasurlecanapé.)Putain,faischier!Quellangage!—Oh,toi,lavoix!Onnet’apassonné!m’écriai-jeenm’agenouillantdevantmoncanapé,eten

tendantlebraspourrécupérermonportable.Ouais?marmonnai-je,aprèsavoirprisl’appel.Ilyeutunblancauboutdelaligne,suivid’uneexclamationscandalisée.—Voyons,Anna!Onnerépondpasautéléphonedecettemanière!Surtoutàsamère,enfin…Un

peudetenue!Oh, zut de flûte de crotte de bique ! C’étaitmamère. Je poussai un long soupir enme laissant

retombercontrelecanapé,assiseparterre.—Oh,c’esttoi,bougonnai-jed’unevoixmorne,encherchantmabièredesyeux.Oùdiableavais-jeposécettemauditebouteille?Ah,là,surlatablebasse.Jetendislamainpour

m’ensaisir.—Ehbien, jevoisqueça te faitplaisirdemeparler !Si je t’embête,n’hésitepasàme ledire,

surtout.Jehaussai les sourcils, agréablement surprisepar lapropositiondemamère. Jen’aurais jamais

cruqu’elleseraitaussicompréhensiveunjour.C’étaitpeut-êtredéjàNoël,enfait…

—Ben,vuquetuenparles,effectivement,tum’emmerdes…euh,jeveuxdire,tum’embêtes!(Oh,legroslapsus!)Tum’embêtes…Ons’appelleundecesjours,alors.Ciao.Etjebouclailetéléphone.Ungrandsourireilluminaitmonvisage.Jel’avaisfait.J’avaistenutêteàmamère.Trèscontente

demoi,jelevaimabièrebienhauteetmeportaiuntoast,amplementmérité.Jerenversailatêteenarrièrepourboirelesoldeculsec.Riennevînt.Stupéfaite,jeréalisaiquemabouteilleétaitànouveauvide.Lessourcilsfroncés,jelatournaiàl’enversettapaiénergiquementsurlecul,avantdeplongerunœildedans.Videdechezvide.Nada.Plusrien.—Oh,purée!LeWisconsinestunlieumaudit!Ilabsorbetoutemabièreàmaplace!grimaçai-je,

en secouant la têtededépit.Noir,noir,noir !C’estunputainde lieunoir !Vivement l’hiver,qu’ilneigeetqu’ilyaitunpeudeblancdanslecoin…,marmonnai-jedansmabarbe.Çanouschangera!J’allaismerelever,pouralleràlacuisinechercherunenouvellebouteilledebière, lorsquemon

natelseremitàsonner.Clignantfrénétiquementdespaupièrespourtenterdedéchiffrerleslettresquis’affichaientsurmonécran,jefinislenezcollédessus.Etnevisplusriendutout.T’esbourréede chezbourrée,A.Et tu viensd’envoyerbouler tamère comme jamais.Éteins ton

portable,prendsuneaspirineetvatecoucher.Leconseilétaitjudicieuxetc’étaitexactementcequej’allaisfaire.Jemelevaietmedirigeaivers

lacuisineentitubant.Lapharmacieestdansl’autredirection,A.—Jesais.Maisj’aisoif.Jecroyaisquetuétaisd’accordpourprendreuneaspirineetallertecoucher.—Mais je suis d’accord, je t’assure. (Je fis une courte pause le temps d’ouvrir le frigo et de

prendrecequejedésirais.)Maisjen’aijamaisditquejeleferaismaintenant.Mouahahahahaha…Jet’aibieneue,hein?Trèsdrôle…hilarant,même…jerigoletellementquej’aimalauventre…mortderire…Trèsfièredemablague,unenouvellebièreàlamain,dûmentouverte,jezigzaguaiendirectiondu

canapé.Unefoisassise,jeréalisai,nonsanssurprise,quemonportablesonnaittoujours.Jememisàdodelinerdela tête,parfaitementenrythmeaveclamusique.Cettechansonétaitvraiment troptropcool.JetendislebrasetreprismoniPhone.—Tu sais quel est le seul point positif quand tum’appelles,mapetite-maman-d’amour-qui-me-

casse-les-pieds-au-quotidien-au-point-que-j’ai-envie-de-la-punaiser-contre-un-mur-et-de-jouer-aux-fléchettes-avec ? (J’entendis un hoquet choquéme répondre. Normal, d’habitude j’étais la gentillefifilleàsamaman.Unsouriremauvaisétirameslèvres.Finistoutça.)C’estquelasonneriequejet’aiattribuéeestjustesupergéniale.Pourçaquejenerépondsjamaistoutdesuite,d’ailleurs.J’essaied’enprofiteraumaximum.Qu’ilyaitaumoinsunavantageàtesincessantsappels.Visiblement,j’avaisamassépasmalderancœurcontremamère.Labièremedéliaitcomplètement

lalangue,mepermettantd’exprimerlibrementmessentiments.C’étaitgrisant.Pouvoirdirecequ’onpensaitentoutefranchiseetsansmauvaiseconscience.Lesvannesdemarancœurétaientouvertesetnesemblaientpasprêtesdeserefermer.J’allaispurifiermonâme.Elleenavaitbienbesoin.Surtoutavectoutcenoirquim’entourait.

—Anna,maisqu’est-cequit’arrive,aujourd’hui?Tunem’asencorejamaisparlésurceton…— Et c’est bien dommage, parce que ça fait longtemps que j’aurais dû le faire. (Je pris une

nouvellelampéedebière.)Detoutemanière,jenevoispaspourquoijeperdsmontempsàteparler,tun’écoutesjamaiscequejetedis.—Maisc’estfaux!Jegloussaicommeunebécasse.—Non,c’estvrai!Jet’aiditd’arrêterdem’appelerettucontinuesàlefaire.Encoreettoujours.

Tum’appelles tousles jours.Tuveuxsavoir toutcequejefais,avecqui jesors,avecqui jeparle,avec qui je baise… (Oups, celle-ci, elle n’était pas prévue…)Mais, si j’ai lemalheur de te parlerd’Andy,tucoupescourtàladiscussionet tuchangesdesujet.Pourtant, ilest tonfils!Cequ’ilfaitdevraitégalementt’intéresser.Pourquoitunel’aimespas?sanglotai-jebrusquement,d’unevoixdepetitefille,ensautantducoqàl’âne,sansvraimentm’enrendrecompte.—OhmonDieu,Anna!Est-cequetuasbu?Typique.Jeparlais leplussérieusementdumondeavecmamère,ausujetd’Andy,etellepartait

dansunedirectionradicalementopposéeàlamienne.Classique.—Évidemment que je bois !Comme tout un chacun ! Je te rappelle que si l’onneboit pas, on

meurt.Mamèreavaitdecesréflexionsdesfois.—Machérie,jet’assurequetuasl’aircomplètementbourrée.Tuasbudel’alcool?Combien?Tu

esoù?Tonfrèreestavectoi,aumoins?Unsourirenarquoisétirabrièvementmeslèvres.Biensûr,dèsquemavieétaitendanger,là,elle

daignaitparlerdemonfrère.Unelarmesilencieuseetsolitaireroulalelongdemajoue.—Oh!Onparled’Andy,maintenant?Quellesurprise,dis-je,sarcastique.—Anna!Çasuffitmaintenant!Répondsàmesquestions!Jepoussaiunsoupiràfendrel’âme,résignée.—Jenesuispasbourrée,j’aiàpeinebusixbières!Quatre.Tuasbuquatrebières,A.—Oh,toi,laferme!Quatreousix,quelledifférence?Jetedis,àtoietàmamère,quejenesuis

pas bourrée ! (En parlant de ça, j’en pris une nouvelle lampée.)Où j’en étais ?Ah, oui.Donc, jedisais : j’aibuquatreousixbières.Jesaisplus trop.Et t’inquiète,mamanchérie, jesuis tranquillechezmoi,toutseule.Personnenepourramefairedumal.—OhmonDieu!AnnabelleMaryKatherine,maisoùdiableesttonfrère?Etcommentas-tupute

procurerdelabière?Jelevailesyeuxauciel…etblêmisenvoyantquelavalseentaméeparleplafondavaitgagnéen

intensité.J’arrivaisàpeineàensuivrelesmouvements.Celamerenditpresquemalade.Jefermailesyeuxpourneplusvoircetaffligeantspectacle.—Ben,ilestchezlui.Oùvoudrais-tuqu’ilsoitd’autre?Etlesbières,c’estluietLy’quilesont

apportéesladernièrefoisqu’ilssontvenus.D’ailleurs,ilvafalloirqu’ilsenrapportent.Yenaplus…

***

**

Unmartèlementdansmestempesmeréveilla,m’arrachantunegrimaceetuncridesouffrance.Oh,bonsangdebois!Je portai vivement les mains à ma tête pour tenter d’atténuer la douleur. On aurait dit qu’un

orchestre symphonique,composéde joueursdemaracas,avaitéludomiciledansmoncrâne.Et ilsétaiententraindejoueràceluiquipissaitleplusloin.(Àsavoir,celuiquifaisaitleplusdebruit.)Entantquemembreunilatéraledujury,jepouvaisvousassurerqu’ilétaitextrêmementdifficiledelesdépartager.Le visage déformé par une grimace de douleur, je plaçai précautionneusement le bout de mes

doigts tremblants sur mes tempes. Je fis des mouvements circulaires dans l’espoir d’atténuer cemartèlement.Sansgrandsuccès.—Anna!Ouvrecettemauditeporte!Jefronçailessourcilsettressaillissouslecoupd’unevivedouleur.Voilàqu’ilyavaitunchanteur

parmieux.Super.Ne savait-il doncpas que, lorsqu’on chantait, ondevait le faire en rythme avec lesmusiciens et

éviter aumaximumdehurlerdans l’oreilledesgens?Cette fois, c’était sûr, leWisconsinm’avaitmaudite.Xxxx!SuppôtdeSatan!Jefisunecroixavecmesdeuxindex,pourconjurerlemauvaissort.A,c’estjustequelqu’unquifrappeàlaporteetquit’appelle…Oh.Oh.Jerelevaipéniblementlatêteetfixai,éberluée,lebattantdemaportequitremblaitsouslescoups

qu’on lui assénait. Si je n’allais pas très vite ouvrir à cette personne, quelle qu’elle soit, je seraisbonnepourenacheterunenouvelle.Commesij’avaislesmoyensdem’enoffrirune…Unegrimacepeuengageantetorditmonvisage.—Çava,çava,j’arrive!criai-je,enm’extirpantdifficilementducanapé.Moncrânevrillaet jevisdesmilliersd’étoilesapparaîtredevantmesyeux.Génial.Criern’était

paslachoseàfaire.Noté.Jeclignaidespaupièrespouréclaircirmavision.Àpeinedebout,lapiècesemitàtournerautourdemoi,àunevitessefolle.Ungémissementplaintif

m’échappaetjetombaiàgenoux.Heureusement,jeparvins,jenesuspasbiencomment,àéviterdem’éclaterlegenougauche,enatterrissantàuncheveudelatablebasse.Ouf.J’avaiseuchaud.Pourfinir,cefutàquatrepattesetsuantcommeunbœuf,quejemetraînailamentablementverslaported’entrée. Le trajet parut durer une éternité. Je saisis la poignée et tirai dessus pourme redresser.Comprenant que je n’arriverais pas à me mettre debout, j’abandonnai cette mauvaise idée. Je fistournerlaclédanslaserrure,avantdem’écroulercontrelemur,justeàcôté.Ayant compris que c’était ouvert, la personne qui se tenait de l’autre côté de la porte l’ouvrit

prudemment.Une bordée de juronsme parvint en arrière-fond et je levai lamain pourmettre undoigttremblantentraversdemeslèvres.Crier n’était toujours pas une bonne idée.Les points lumineux qui rétrécissaientmon champde

visionenétaientlapreuveflagrante.Jefermailesyeuxdansungémissementsourd.—Ccchhhuuuttt.Pitié.Ccchhhuuuttt.Quiquevoussoyez,sivousavez lamoindreaffectionpour

moi,ccchhhuuuttt,chuchotai-jeduboutdeslèvres.Jesentisuncourantd’airmecaresserlevisage,lorsquecettepersonnes’agenouilladevantmoi.—Masouris,qu’est-cequetuasbu,exactement?medemandaunevoixdouceetcalme,àpeine

plushautequ’unmurmure.Unmincesourireétirameslèvres,etjemelaissaicomplètementallercontrelemur,dansmondos.

J’avaisl’intuitionquel’hommequisetrouvaitdevantmoimerattraperaitsijevenaisàtomber.Quec’étaitbondepouvoirsereposersurquelqu’und’autre.—Delabière…—D’accord.Delabière.Tusaiscombien?mequestionnauneautrevoix,toutaussidouce.Je fronçai les sourcils en réalisant qu’il y avait deux hommes avec moi. Leurs voix m’étaient

familières, mais je n’arrivais pas à mettre de noms dessus. Qui étaient-ils ? Peut-être étaient-ilsdangereux?Alorsmêmequejemeposaiscettequestion,jelarejetaid’emblée.Jenemesentaispasdutoutmenacéeparleurprésence,bienaucontraire.J’étais…soulagée.Maisçanemedisaitpasquiilsétaient.— Qui est là ? répondis-je à la place en tentant d’ouvrir les yeux. (Mais l’effort me semblait

titanesque,etj’yrenonçaitrèsvite.)—Net’inquiètepas,cen’estquenous,Annabelle.—Cen’estquenous…,répétai-jebêtement.D’accord.Et,c’estquice«nous»?J’entendisunpetitgloussementavantdemesentirsoulevéedanslesairs.Oh,mauvaise idée, trèsmauvaise idée !Bienque j’aie encore les yeux fermés, je sentais que la

terre tournoyait sur elle-même. Je me sentis blêmir et de la sueur froide envahi tout mon corps.J’allaisrapidementêtremalade…L’étreintedesbrasquimeportaientseresserraetlachaleurdemonsauveurtraversarapidementla

brumedefroidquim’enveloppaitcommeunesecondepeau.Lestremblementscessèrentetlanausées’apaisa.J’enfuismonvisagedanslecreuxdesoncou,avided’avoirencoreplusdechaleur.Unedélicieuse

odeurmusquéechassadéfinitivementmanausée.—Tusensbon…Ungloussementmerépondit.—Merci,masouris.Ohbonsang!J’avaisparléàhautevoix!J’enrougisdehonte.—Drewetmoi,poursuivitmonsauveur,commesiderienn’était.Ilmefallutquelquesinstantspourcomprendrecequ’ilvenaitdedire.Drew.Enfin,Andy.Ouplus

exactement,Andrew.Mon frère.Oui, jeme souvenais que j’avais un frère.Un frère adorable, que

j’aimaisdetoutmoncœur.Jesourisniaisement,magênemomentanémentoubliée.—Jet’aime,Andy.J’entendisunrireclairrésonnerdanslapièce.—Jet’aimeaussi,petiteivrogne.Jegloussai,avantdegrimacersouslecoupdeladouleurlancinantequimevrillaitànouveaules

tempes. Les dents serrées, je tentai d’endiguer les coups de marteau qui me perforait la boîtecrânienne.Àcerythme-là,j’auraissuccombéavantlafindelajournée.Jefrottaimonnezcontrelapeaudouceetchaudedemonsauveur,telunpetitchatonenmanqued’affection.Lacomparaisonmefitsourire.Généralement,j’étaisplutôtunesourisgrise…—Etmoi?metaquinagentimentmonsauveur,enbaisantlatêteversmoi.Tum’aimesaussi?Jelesentismedéposerdansmonlitetm’accrochaifermementàsoncou.Jeposaibrièvementmes

lèvres sur les siennes, avant deme laisser aller contremon oreiller et deme pelotonner sousmacouette,qu’ilavaittiréepourmoi.—Oui,jet’aimeaussi,Ly’.

Chapitre19

Poisseusedesueur,j’émergeaipéniblementdusommeildanslequelj’étaisplongée.Jegrimaçaiensentantlesveinesdemestempespulseràunrythmefou.Lemartèlement,quejesentaisdansl’arrièredemoncrâne,n’arrangeaitrienàlasituation.Jelevaiunemaintremblanteversmonfrontettentaid’atténuerladouleurenfaisantdepetitscerclescentriquesduboutdemonindex.Sansrésultat.Monmalsemblaitmêmeempirerdesecondeenseconde.Mabouches’ouvritdansuncrisilencieux,alorsquejepriaispourneplusrienressentir.J’avaisl’impressionquemoncrâneétaitsurlepointdesefissurerendeux.Jemeredressaipéniblement,etlançaiunregardhagardendirectiondematabledechevet.20h30.

Jefronçailessourcils,necomprenantpascommentj’avaispudormiraussilongtemps.Ladernièrefoisquej’avaisregardél’heure,ilétaittoutjustetroisheuresdel’après-midi.Etj’étaisdanslesalon,entrainderuminerdunoirsurmoncanapé.Clignementdepaupières.Jelançaiunregardperduautourdemoi.Jen’étaispasdanslesalon.Nouveauclignementdepaupières.J’étaisdansmachambre.Dansmonlit.Commentétais-jearrivéelà?Jeplissailefrontettentaide

merappelercequej’avaisbienpufaire.Unviolentélancementdansmoncrâne,quisepropageajusqu’àmesyeux,meforçaàlesfermer

tantladouleurétaitvive.Celamituntermeàmaréflexion.Ilfallaitimpérativementquejecalmecemaldetêteavantd’enêtreréduiteàmefracasserlecrânecontreunmur.Jemetournaipéniblementsurladroite,prêteàsortirdulitetàmetraînerjusqu’àmonarmoireà

pharmacie. Je devais absolument prendre quelque chose pour apaiser ce maudit martèlement. Lesdentsserrées,jecombattaistantbienquemalleslarmesdedouleurquienvahissaientmesyeux.Dieuqueçafaisaitmal.Jen’étaispasloindeplongerlesdoigtsdansmescourtesbouclesrougesetdelesarracherparpoignées.Unverre apparut soudaindansmonchampdevision. Je le fixai longuement sans rien faire,me

croyantvictimed’unmirage.Jefermailesyeuxetlevaiunemaintremblanteversmonvisage,pourfrotterfrénétiquementmespaupièrescloses.Hésitante,j’ouvrisunœil.Leverreétaittoujourslà.Necherchantplusàcomprendrel’incompréhensible,jeleprisetleportaifébrilementàmeslèvres.Ma langue,pâteuseetgonflée, sembla revivreau toucherdecedouxnectar.Le flotd’eauquise

déversadansmagorgemefitunbienfou.Lesyeuxclos,j’étanchaiavidementunesoifdontj’avaisignorée l’existence ! La douleur demon crâne avait été tellement intense, tellement vive, que j’enavaisoccultétoutlereste.Un raclementdegorgeme fit rouvrir lesyeux.Là jevis, surunepaumeouverte (tenduedevant

monvisage),deuxcachetsblancs.—Tudevraisprendreçaavantde finir tonverred’eau…,chuchotadoucementAndy,enme les

tendant.Celasoulageratonmaldecrâne.Jeprislescachetssansprotesteretlesavalaitoutaussirapidement.—Commenttusaisquej’aimalaucrâne?marmonnai-jeduboutdeslèvres,enlevantlentementla

tête vers lui pour croiser son regard bleu foncé. Et pis, d’abord, qu’est-ce que tu fais chez moi,Andy?Unsourirenarquoisétira lentement ses lèvres. Il s’agenouilladevantmoi,m’évitantainsideme

déboiterlanuque.Appréciable,trèsappréciable.—Tuasmalaucrâne,parcequetut’espriselacuitedusiècle,Anna.Etjesuisdanstonappart,

parcequemamanm’asommédevenirvoircommenttuallais.Elleétaitpersuadéequet’étaisàdeuxdoigts du coma éthylique. Et elle n’avait pas complètement tort, pour une fois. BonDieu, souris,qu’est-ce qui t’a pris de boire autant ? Et toute seule chez toi, en plus ? Bordel, Anna ! C’est del’inconscience,toutça!Jefixaimonfrère,lesyeuxécarquillés,sanscomprendreuntraitremotdecequ’ildisait.—Hein?Brillanteréponse,A.Trèsconstructive.T’enasd’autrescommecelle-cienréserve?Lavoix,demavoix intérieure, sembla résonnerdansma tête. Je sentis littéralement sesparoles

rebondirsurchaqueparoidemoncrâne.J’avais l’impressiondemeretrouveraucœurd’unravin,avecunabrutiquis’amusaitàfairedel’écho.Écho…écho…écho…écho…éch…éc…é…Trèsdrôle.Vraimenthilarant. Jeconstataique lesensde l’humourdemavoix intérieuren’avait

paschangéd’unpoil.Gueuledeboisounon.Jeristellementquej’aimalauventre,tiensdonc!Àtonservice,A,commetoujours.Crève,charogne!—Dequoiterappelles-tuexactement,Anna?Lavoixdemonfrèremitfinàmondébatintérieur.Jeluienfusextrêmementreconnaissante.—Jemesouviensquej’étaisdanslesalon…assisesurlecanapé…etje…Jem’interrompisnetteenmerappelantàquoij’avaispenséàcemoment-là.Lasoiréed’Halloween

me revint instantanémentenmémoire.AinsiquecequeLy’etmoiavions fait.Etavionsété sur lepointdefaire.Horsdequestionquejeparledecelaàmonfrère.Ilseraitfouderages’ilsavaitquesonmeilleur pote m’avait séduite. Et que je m’étais laissée faire. Il ne devait jamais l’apprendre.Jamais.Croixdebois,croixdefer,sijemens,jevaisenenfer.Ohbonsang!Siseulementjepouvaiscouperlalanguedemavoixintérieure.Sesparoles,quirésonnaientencore

etencoredansmoncrâne,allaientcreusermapropretombe!Etdemanièrehautementprématurée.—Oui?Qu’est-cequetuasfaitensuite?Jemegardaibiendedétrompermonfrère.Aprèstout,ilvoulaitsavoircequej’avaisfait,pasce

quej’avaispensé.Tujouessurlesmots,A.Etalors?C’estinterdit?

—Je…jenesaisplus,avouai-jepiteusement.Y’adequoi!Tudevraisavoirhonte,A!J’aihonte…Bençasevoitpas!Andy,lefrontplissé,mefixaunmomentsansriendire.—Anna.Ona trouvéquatrecadavresdebièredans le salon.Tu t’es saoulée. Ici.Toute seule. Il

s’estforcémentpasséquelquechosepourquetutemettesàboire.Jeteconnais,petitesœur,cegenrede comportement ça ne te ressemble pas du tout. (Il s’interrompit un court instant.) Il s’est passéquelquechoseàlasoirée,vendredi?Tut’esdisputéeavectescopines?Unmec…(ilserralesdentsetdétournalevisage)t’afaitquelquechose?Onm’aditqueVincet’avaitembrassée…Jeblêmisdevantl’expressionmeurtrièredemonfrère.—Non,non,non!Riendetoutça!Jetejure!Ilnes’estrienpassédespécial!Andysepenchabrusquementversmoietplaquasesdeuxmainscontrelelit,dechaquecôtédemes

hanches.Ilplongeasesyeuxbleusdanslesmiens.Ilycherchaitvisiblementlavérité.Çacraint…Maisnon!Ly’ditquet’esunlivreouvert,jeterappelle,A!LesparolesdeLy’nefontpasofficed’évangile,quejesache!Quandtonfrèredécouvriraquetumens…Jenemenspas!Jenemerappellederien!!!Faux!TutesouviensavoirlonguementcogitésurcequeLy’ettoiavezfaitvendredi!Saquestionétait…Nejouepassurlesmotsavecmoi!Tum’énerves!Toiaussi!Parfait.Parfait.—Anna,tusaisquetupeuxtoutmedire,n’est-cepas?Jesuistonfrère.Jenetejugeraijamais,

quoiqu’ilarrive.Tupeuxmefaireconfiance,tulesais,n’est-cepas?Jebaissailatête,honteuse.Jen’avaisjamaismentiàmonfrère.Jamais.Àmamère,oui.Souvent.

Mais àmon grand frère, jamais. Il étaitmon confident, celui à qui je racontais tout. Et ce depuistoujours.Maisaujourd’hui,jen’yarrivaispas.J’avaistroppeurdesaréaction.Carpourunefois,ilne s’agissait pas d’un inconnu, de quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Il s’agissait de sonmeilleurpote.Qu’ilconsidéraitcommesonproprefrère!J’eus l’impressiondeme retrouver sept ansplus tôt.Cettenuit-là aussi, ilm’avaitparlédecette

manière.Douceetattentive.Maissesquestionsavaientétéplusperspicaces.Plusprécisesaussi.Carilconnaissaitdéjàl’essentiel.Cequ’ilavaitsouhaitésavoir,àl’époque,c’étaitjusqu’oùtoutcelaavaitété.Etpourrienaumonde,jenevoulaisrevivreunescènesimilaire.

Alors,pourlapremièrefoisdemavie,jementisàlapersonnequej’aimaisleplusaumonde.Jementisàmonhérosdetoujours.Etjen’enfuspasparticulièrementfière.Techniquement,c’estpaslapremièrefoisquetuluimenspuisquetul’as faity’atrentesecondes,

maisbon,onvapaschipotersurlesdétails,pasvrai?Tunevaspasrecommenceravecça?!Pourquoipas?Grrr…—Jesais,Andy.Jesais.Mais, je t’assure, ilnes’est rienpassédespécialvendredi.Absolument

rien.Mavoixtremblantemetrahit,j’enfuspersuadée.Jefermailesyeux,rougedehonte.Andyprituneviveinspirationetsereculabrusquement.— Je n’aurais jamais cru que ce jour arriverait. Si on me l’avait demandé, j’aurais même été

jusqu’àdirequecelaétaitimpossible.Impensable,hoqueta-t-il,incrédule.Jepâlisetluilançaiunregardprudent.Ilétaitblême.—Dequoituparles,Andy?demandai-jed’unepetitevoix.Sonexpressionsedurcitetsavoixdevintcoupante.—Dujouroùmapetitesœurmementirait!J’eusunmouvementdereculinstinctif.Quiavaitencoreraison?—Qu’est-ceque…qu’est-cequetuveuxdire,Andy?Maismonfrèrenemeréponditpas.Ilserelevaetmetournaledos.—Tudevraisallerprendreunedouche,Anna.Onparleraaprès,déclara-t-ilavantdesortirdema

chambreaupasdecharge.(Ilrevintcinqsecondesplustard,maisnefranchitpasleseuildelapièce.)Chinoisoupizza?Vulesloopingsquemonestomaccommençaittoutjusteàfaire,lechinoismesemblaitunchoix

plusjudicieux.Etjeledisàmonfrère,avantdeleregardermetournerledos,impuissante.Qu’avais-jefait?

*****

Aprèsavoirpasséunmomentparticulièrementdésagréable, la têteplongéedans les toilettes,oùj’avaistrèssincèrementcruquemadernièreheureétaitarrivée,ladoucheconseilléeparmonfrèreme fit le plus grandbien.Évidemment, dans l’état de faiblesse qui était lemien, après avoir vomitripes et boyaux, je la pris assise, mais ça, c’était un détail. L’important, c’était de la prendre, depouvoir sentir l’eau tiède couler sur mon corps et chasser la sueur qui me recouvrait. Beurk. Jedevaissentiraussibonqu’unbouc.Jemehâtaidoncdemelaver,sagementassisedansmacabinededouche.Commemonestomacavaitvisiblementfinidedanserlasamba,jepusenprofiterpleinement.J’eustouteslespeinesdumondeàenressortir,tantjem’ytrouvaisbien.Etjenetardaipasàleregretteramèrement.

Àpeinesortiedelasalledebains,proprecommeunsouneuf, l’odeurdelanourriturechinoisepercutamesnarinesdepleinfouet.Saisiedehaut-le-cœur,jeblêmisàvued’œil.Delasueurfroideperla sur mon front.Génial. Je fis brusquement volte-face, sous le regard ébahi d’Andy, et meprécipitaidare-dareauxtoilettes.Justeàtemps,pourlesecondround.Ce fut ainsi que, tremblante et sans force, je me retrouvai coincée dans ma salle de bains. La

froideur du carrelage, dansmon dos et sousmes fesses, nem’aidait en rien,mais je n’avais pasl’énergienécessairepourmerelever.Jesavais,qu’àunmomentouàunautre,ilmefaudraitravalermafiertéetappelerAndyàl’aide.Pourtant,jen’avaispasencorepumerésoudreàlefaire.C’étaitclair, laviem’envoulaitàmort.Entrecequi s’étaitpassévendrediavecLy’etcequi se

produisaitmaintenant,j’étaiscarrémentmaudite.Silemoindredouteavaitpersistédansmonesprit,celaauraitsuffiàenavoirraison.Jet’avaisprévenue,A.Jet’avaisditquetuseraisencoreplusmalaprès…J’étais à deux doigts de me fracasser le crâne contre la cuvette des toilettes, pour ne plus me

rappelercequej’avaisfait.Car,pendantquejemevidaislittéralement,lamémoirem’étaitrevenue.Enfin,unepartiedemamémoire.Jemesouvenaisparfaitementavoirétéchercherunebière.Puisuneseconde.Unetroisième.Etfinalementunequatrième.Jemerappelaiségalementavoirdansécommeune dinde au milieu de mon salon et d’avoir longuement débattu, à haute voix, avec ma voixintérieure.(Lesummumdeladéchéance.J’étaisbonnepourl’asilepsychiatriquecettefois-ci.)Maislepire(etc’étaitcequim’affligeaitleplus),c’étaitd’avoirditdeschosesparticulièrementblessantesàmamère.Maispascomplètementfausses.Eh non. C’était là que le bât blessait. Je pensais vraiment tout ce que j’avais dit. Je pourrais

m’excuser,évidemment,etprétendreque j’étais saouleetque jeneme rappelaisplusceque je luiavais dit. Mais le fait était que je l’avais dit. Le mal était fait. Et plutôt bien fait, même. Lesconséquencesseraientterriblesetimmédiates.J’étaisd’ailleurssurprisequemamèrenefûtpasdéjàlà,àmefairelamoraleetàmeramenerdeforceenVirginie.Loindel’influencenéfaste,etnégative,demonfrère.Carilnefallaitsurtoutpassevoilerlaface,lafauteenincomberaitforcémentàAndy.Peuimportaitcequejedirais,dequellemanièrejeledirais,etlenombredefoisquejeledirais.MamèrerendraitAndyresponsabledetoutcela.Sesbières,safaute.Findeladiscussion.Ungémissementdefrustrationfranchitmeslèvrescraqueléesetjemecognailatêtecontrelemur.

Unefoisencore,j’avaisattirédesennuisàAndy.Laportedemasalledebainss’ouvritengrandetmonfrèreentrad’unpasdécidé.—Bon,Anna, tunevaspaspasser lasoirée ici,assiseàcôtédes toilettes. Il fautque tumanges

quelquechose.À ces mots, j’entendis mon estomac gargouiller, comme pour donner son accord à cette

merveilleuseidée.Biensûr,j’avaisfaim.Etmêmetrèsfaim!Maisl’idéedemangerchinoismodéraitdemanièrestupéfiantemonenviedemesustenter.Allezsavoirpourquoi.—Andy,jenesuispastrèssûredevouloirmanger…Ilneme laissapas le tempsdefinirmaphrase.Avecungested’agacement, il s’accroupit faceà

moi.—Anna,bordeldemerde,quandvas-tuarrêterdemementir?cria-t-il,levisagetordudecolère.J’écarquillailesyeux,surpriseparcemouvementd’humeurquineluiressemblaitpas.

—Mais…je…tu…non…je…,cafouillai-je lamentablement,avantdem’arrêterdeparlerpourprendreunelongueetprofondeinspiration.Pourquoidis-tuquejetemens,Andy?L’idée,que lemecquinousavait interrompusvendrediavaitpuparleràmonfrère,me traversa

brièvementl’esprit.Maisjemerepristrèsviteetjelachassairésolumentdemespensées.Iln’auraitjamaisoséfairecelaàLy’.Ceseraitcommeseretrouverentrelemarteauetl’enclume.Personneaumondenevoudraitd’unetelleposition.J’enétaisintimementconvaincue.Ducoup,jenecomprenaispaspourquoimonfrèremetraitaitdementeuse.Parcequec’estlavérité,A.Toutsimplement.Oui,ça,toietmoi,nouslesavons.Maiscommentluipeut-illesavoir?C’estimpossible…Toutestpossible,A.Non!Certaineschosesnelesontpas.Etneleserontjamais.Certes…,maisça,enl’occurrence,c’estpossible.Monfrèresaisitmonmenton,entresonpouceetsonindex,etmeforçaàleregarder.—Regarde-moi.Non,Anna, regarde-moidroitdans lesyeuxetosemedireque tunem’aspas

menti.Regarde-moibienenfaceetdis-moiquejemetrompe.Dis-moiqu’encemoment,tun’espasunementeuse,medéfia-t-ilouvertement,unelueurdangereusescintillantdanssesyeuxbleufoncé.L’avertissementétaitlimpide,etilauraitfalluêtrecomplètementaveuglepourlemanquer.Ceque

jen’étaispas.—Non,Andy,encemomentprécis,jenesuispasunementeuse.Pasdutout,assurai-jeenrelevant

légèrementlementon,sûredemoi.Ilplissalesyeux,l’airmauvais.—Vraiment?Doncquandtumedisquetun’aspasfaim,alorsquetonestomacfaitplusdebruit

qu’unéléphant,c’estlavérité?—Cen’estpascequej’aidit,Andy.Tunem’aspaslaisséefinirmaphrase.(Ilarquaunsourcil,

arrogantaupossible.)Cequej’allaisdire,c’étaitquejenevoulaispasmangerdenourriturechinoise.Rien que l’odeurme rendmalade. C’est tout ce que je voulais dire, Andy. J’ai faim.Mais pas dechinoispourmoi.Désoléedet’avoirfaityallerpourrien…—D’a-cco-rd,articula-t-illentement,endétachantchaquesyllabe.Etpourvendredi?Jesentisunecouléedesueurfroidedévalermondos.—Quoi,vendredi?Andypinçaleslèvresetsepenchadavantageversmoi.—Tunem’aspasmentiausujetdevendredi?Vraiment?Son ton me fit comprendre qu’il savait. Blanche comme neige, je déglutis péniblement. Je ne

pouvaiscontinueràmentir.Etpuisqu’ilétaitdéjàaucourant,continuerànierneferaitquem’attirerdesennuis.Etjepressentaisquecelabriseraitlelienunique,etspécial,quimeliaitàmongrandfrère.—Commentsais-tu…?soufflai-jed’unevoixblanche.Unelueurironiqueilluminasonregardbleu.—Ilneseraitpasmonmeilleurpote,s’ilnemel’avaitpasdit…—Es-tu…fâché…contrelui?demandai-jefinalement,d’unevoixhésitante.

—Pourquoi serais-je fâché ? (Mon frère semblait sincèrement surpris.) Il m’en a parlé dès lepremier jour, etm’a demandé si celameposait un problème.Cela n’aurait fait aucune différence,biensûr,maisLy’préféraitjouercartessurtabledèsledébut.Ilvoulaitsavoirs’ildevaitm’incluredansl’équationounon.(Andyhaussalesépaules.)Jeluiaidemandés’ilétaitsûrdelui.Quandilm’aimmédiatement réponduoui, en ajoutant que si cela n’avait pas été le cas il nem’en aurait jamaisparlé,jeluiaiditquec’étaitavectoiqu’ildevaitcomposer.Pis,jeluiaisouhaitébonnechance.Etvucommenttuluienfaisbaver,j’aieuraison,ricana-t-ilenbranlantlatête.Tuescoriace,souris,ettuluidonnesdufilàretordre.C’estbien.Bouchebée,jefixaimonfrèresansparveniràcroireuneseuledesesparoles.C’estbien.Ly’me

draguait,pourseservirdemoicommeils’étaitservidetouteslesautresfilles,etmonfrèretrouvaitcelabien.Maisqu’était-ildoncarrivéàmongrandfrèreultraprotecteur,quinesupportaitpasquelesmecs me tournent autour ? J’avais atterri dans la quatrième dimension, il n’y avait pas d’autresexplicationspossibles.—Çaneteposeaucunproblème?—Non.Incrédule,jenesavaisplusàquelsaintmevouer.—Ly’teditqu’ilal’intentiondemesauter,ettoitudis:«d’accord»?Levisaged’Andysefermabrusquement.—Non,Anna.Tun’yespasdu tout. (Ilpoussaunsoupir,visiblementdéçuparma réaction.) Je

t’avaisditdenepastefierauxrumeursleconcernant.Jet’avaisditquec’étaituntypebienetquejevoulaisquetuluidonnessachance.Quetuteforgestapropreopinionàsonsujet.Or,d’aprèscequejecomprends,tun’enasrienfait.Tutefiesàcequelesgensracontent.—Non,pasdu tout, protestai-je enme redressantbrusquement. Jeme fie à ceque jevois.À la

manièredontilm’atraitéejusque-là.Etfranchement,toutçaneplaidepasensafaveur.Çanedonnepasdutoutl’impressionqu’ilveutplusqu’unepartiedejambesenl’air.Andycroisalesbrasetmelançaunregarddetravers.—Cen’estpasavecmoiquetudoisavoircetteconversation.C’estaveclui.Toutcequejepeuxte

dire,c’estqu’ilm’enaparlé,etquesivousdécidezd’avoirunerelation,celanemedérangeenaucuncas.Lereste,c’estentreluiettoi.(Andyseredressaetmetenditunemainpourm’aideràmerelever.)Etnousavionsbienpenséquetonestomacnesupporteraitpaslechinois.Ce changement de discussion, ainsi que les paroles prononcées,me prit de court. Je fronçai les

sourcils,perplexe.Puisjemesouvinsdecequemonfrèrem’avaitditdanslachambre:«Onatrouvéquatrecadavresdebièredanslesalon.»Oh.Mon.Dieu.Pressentantundésastre, jecrispai fort lespaupièresen implorantsilencieusement leSeigneurde

m’épargnercetteépreuve.—Ilestvenuavectoi…?—Oui.Ilestlà.Etilt’apréparéunrizausafranpourcalmertescrampesd’estomacetsoulagertes

nausées.Oh,misère.Maudite,j’étaisindéniablementmaudite.

Maisça,tulesavaisdéjà,A.Non?

Chapitre20

Avachiesurmonsiège,j’assistaiàmoncoursdepsychocomplètementperduedansmespensées.Jesavaisquej’auraisdûêtreattentive,surtoutaveclespartielsquiapprochaientàgrandspas,maisj’étaisdansl’incapacitétotaledemaintenirmespenséesenlaisse.Depuismonréveil,ellespartaientaufirmamentetjenepouvaisrienyfaire.Ladiscussionquej’avaiseueavecmonfrèredansmasallede bains, la veille,me turlupinait encore et toujours. Je ressassais sans cesse les révélations qu’ilm’avait faites.Ainsi,Ly’ lui aurait parlédemoidès lepremier jour.C’était à peine croyable.Soncomportementjuraitsingulièrementavecsesparoles.Caraudébut,j’avaisvraimenteul’impressionqu’ilmedétestait.J’enétaismêmeàmedemanders’ilnemel’avaitpasdittexto.Maisj’avaisbeaufouiller dans ma mémoire, pourtant prodigieuse, j’étais incapable de me souvenir de ses parolesexactes.Etc’étaitpeut-êtremieux…Toutefois,cedontj’étais intimementpersuadée,c’étaitqu’ellesn’avaientpasétégentilles,etencoremoinsflatteuses.Bienaucontraire.Lesyeuxperdusdanslevague,jerevivaistoutesleshumiliations,touteslesmoqueriesdontj’avais

été victime. Comment croire, après de tels actes, que je lui plaisais sincèrement ? Et ce depuis ledébut?Dessottises,toutça!Ilenavaitparléàmonfrèrepoursurveillersesarrières,voilàtout.Pourtant…lamanièredontils’estcomportéavectoi,lorsquevousétiezseuls,necorrespondpas

vraimentàcequenoussavonsdelui,n’est-cepas,A.?Jefronçailessourcils,nevoyantpasoùmavoixintérieurevoulaitenvenir.Etpuisd’abord,depuis

quandprenait-elleladéfensedeLy’?J’étaiscertainequ’elleledétestait…A-t-ilétébrusqueavectoi?Violent?T’a-t-ilforcéeàfairequelquechosequetunevoulaispas?

Commet’agenouillerdevantlui,parexemple…Bennon,tulesaisbien!Tuétaislà,jeterappelle.Oui,moijem’ensouvienstrèsbien,A,maistoi?Tesouviens-tudeladouceurdontilafaitpreuveà

ton égard ? Et ce, chaque fois qu’il t’a touchée… Étrange, pour un garçon qui force les filles às’agenouillerdevantlui…etquiprendcequ’ilveut,quandilveut,etavecquiilveut…Onpourraitmêmepenser,sionétaitàuneautreépoque,qu’ilt’a,d’unecertainemanière,faitlacour…Non?Jefaillism’étrangleravecmasalivedevantlesinsinuationsdemavoixintérieure.Ridicule.Jamais

entenduquelquechosed’aussiabsurdequecela.Mefairelacour?Ly’?Oh.Mon.Dieu!Vraiment?T’enesbiencertaine?J’étaissurlepointdeprotesterâprement,lorsqu’undoutemetraversal’esprit.Lefameuxetfatale

«etsi…».Jepoussaiunpetitgémissementdedépitetlaissaimatêteretombercontremonsiège.Jefixai leplafondde lasalledeclassesansvraiment levoir.Serait-ilpossibleque,dans l’esprit

tordudeLy’,samanièred’êtreavecmoifûtsafaçonàluide…draguer?Maisqu’est-cequej’aifaitpourmériterça?Tusais,A,çapourraitêtrebienpire.Enréalité,çavabientôtêtrebienpire…Je me mordillai la lèvre inférieure, hésitant à demander de plus amples informations. Car

franchement,jenevoyaispastropcommentcelapourraitêtrepire.Macuriositéfutlaplusforteetjemerésignaiàposerlaquestion.Tuasoubliécequ’Andyt’adithiersoir?

Andyaditbeaucoupdechoses,hiersoir…Tunepourraispasêtreunpoilplusprécise?Ceweek-end,tamèreseralà.Oh,bonsang!Zutdeflûtedecrottedebique.J’avaisfaillioublierça.Jefermailesyeuxetpriaipourqued’icilà,laterrem’avalât.Mêmepasenrêve,A.Mamèreavaittellementpaniquédem’entendrebourréeautéléphone,qu’elleavaitdécidédevenir

chez moi jusqu’à Thanksgiving. En clair, elle ne me faisait plus confiance et elle voulaitpersonnellement rencontrer toutesmes fréquentations. Ce qui, bien sûr, était hors de question.Mamèren’avaitdécidémentriencompris.Enagissantdelasorte,elleprovoquaitl’effetinversedeceluiqu’ellevoulait. J’avais l’impressionque j’allais étouffer.Commesi ellem’avait enferméedansuncoconbientropétroitpourmoi.J’avaisbesoind’air,etelle,ellemedonnaitexactementlecontraire.Le seul point positif, c’était qu’elle débarquait samedi, et non pas aujourd’hui. J’avais donc unesemainepour trouveruneparade.Quemamèrevîntdans leWisconsinpourme fliquerm’agaçaitdéjàprodigieusement,maisqu’elleespérait,enplus,emménagerdansmonminusculemeublédurantcelapsdetemps,c’étaittoutbonnementimpensable.Etce,pourplusieursraisons.Lapremière,et laplusévidente :monappartementétait troppetitpourdeuxpersonnes.Enfin, il

serait,àlalimite,envisageablepouruncouple,maispourlereste:non.Troppetit.Onsemarcheraitdessuscontinuellement,etilseraitimpossibledes’isoler.Çaseraitlaguerrecontinueassurée.Trèspeupourmoi!La seconde : il n’y avait qu’un seul lit.Mon canapén’était pas transformable, et il était hors de

question pour moi de dormir dessus. Ni que je partage mon lit avec ma mère. À dix-neuf ans,sérieusement,onavaitpassél’âgedefairecegenredechose.Etdepuisunbonboutdetemps!Mêmepasenrêve!La troisième : je perdraismon autonomie si durement acquise.Ce n’était peut-être pasmoi qui

payais le loyerdemonappart,mais j’étaisquandmêmedevenue indépendante.Et jenevoulais,enaucuncas,revenirenarrière.Mêmepaspourtroissemaines.Surtoutpas,pourtroissemaines.Avecunemèrecommelamienne,honnêtement,quilevoudrait?Personne!Etladernière,laplusimportantedetout:jen’ysurvivraispas,toutsimplement.CQFD.Tun’exagèrespaslamoindre,là,A?Non.Pasdudoute.Jenesurvivraispassi jedoispasser troissemainesavecmamère,dansmon

appart.C’est juste impossible.Tu sais comment elle est.Elle semêlerade tout, tout le temps.Mescours,mestrajets,mavoiture,mesdevoirs,mafaçondemanger,decuisiner,mesamis,meshabits…çan’arrêterapas!Etquandelleverratanouvellecoupedecheveux,rougedesurcroît,ellevapiquerunecrise!Oh,bonsangdebois!C’étaitvrai.Ellenesavaitpasquej’avaiscoupémeslongscheveuxbrunsetquejelesteignaisen

rouge.Jepoussaiunlonggémissementd’agonie.J’étaismaudite,c’étaitcertain.

Depuisletempsquetuledis,jecroyaisquec’étaitunechoseacquise,maintenant,A.Noire,noire,noire,noire!Fichuepériodenoire!Amen.

*****

—C’estuneblague?La question incrédule de Kimme fit relever la tête de mon potage. Je lui adressai une piteuse

grimace.—Est-cequej’aiunetêteàrire?marmonnai-jed’unevoixmorne.Danmelançaunrapidecoupd’œil,avantdereveniràsonassiettespaghetti.—Engénéral,j’auraistendanceàterépondre«oui».Maisaujourd’hui,jediraisque«non».Tu

asplutôtunetronched’enterrement.Sansvouloirtevexer,ajouta-t-ilenmefaisantunclind’œil.—Jeteremercie,maugréai-jeenreplongeantlenezdansmonpotage.Jevenaisd’annonceràmesamisquemamèredébarquaitsamedi.Etqu’ellerestait trois longues

semaines.Enferetdamnation!—Etellevalogeroù?demandaMarj’,enhaussantlessourcils.Cheztonfrère?Jefaillism’étrangleraveclacuilleréedepotagequejevenaisdeprendre.—Q-quoi?croassai-jeen toussantviolemment. (Jesentisdes larmes jaillirdemesyeuxetmes

joueschaufferaffreusement.Génial!Ilnemanquaitvraimentplusqueça.Noire,noire,noire!!!)Lejouroùmamère iravivre sous lemême toitquemon frère, lespoulesaurontdesdents, sifflai-jeabruptement,d’unevoixcinglante.Unlongsilencesuivitmadéclaration.Jefermailesyeuxenréalisantcequejevenaisdefaire.La

grosseboulette ! Jeme serais tirée des gifles, si j’avais pu.Résignée, jeme décidai à donner uneexplicationsuccincte.— Ma mère n’a jamais pardonné à mon frère d’avoir été en maison de redressement. (Doux

euphémisme.)Depuis,elleneluiadresselaparolequesiellen’apasd’autreschoix.(Etencore!Passûre que ses reproches puissent être considérés comme telle.) À savoir, quand ça concernedirectement sapetite fille chérie, annonçai-je, ironique et sarcastique aupossible. (Çadevenait unemauvaisehabitude…)Kimsepenchaunavantetmelançaunregardintense.—Ettoi,tuvisçacomment?—Mal.Surtoutquec’estàcausedemoiquetoutçaestarrivé,chuchotai-je,duboutdeslèvres.Je savais que ce n’était pas vraimentma faute àmoi,mais ça nem’empêchait pas deme sentir

coupable.Affreusement coupable. Car la vérité, c’était que si je n’avais pas été là, tout cela ne seserait jamais produit. C’était un fait : sans moi, mon frère n’aurait jamais été en maison deredressement.Sij’avaisapprisàvivreaveccepoids,chaquefoisquejevoyaismamèredénigrerouignorermonfrère,jesentaislamorsureduremordspénétrerviolemmentmachair.Sijen’avaispasétélà,ilseraittoujourslepetitgarçonadorédemamaman.

Putain,cequeçafaitmal!Une larme s’échappa demes yeux et roula lentement le long dema joue. Jem’empressai de la

chasser et clignai rapidement des paupières, afin de contrer les grandes eaux. Je devaisimpérativementmereprendre.Memorfondren’ychangeraitrien.Etpuis,j’avaispromisàAndydenepluspleurersursonsort.Ilm’avaitmoi,etcelaluisuffisait.Jesavaisquec’étaitunmensonge.Lepetitgarçonquisommeillaitaufonddeluipleuraitencore

l’absencedesamère,j’enétaissûre.Maisquepouvais-jeyfaire?Mamèrenevoulaitrienentendre.—Anna…Jeredressailatêteetmesecouai.Unsouriretremblotantaccrochéauxlèvres,jemetournaivers

Marj’.—Çava.Jevaisbien.Çava…,prétendis-je,sansréelleconviction.Je…Kim changea de sujet avec tact, comprenant que je ne voulais pas en parler. C’était ce que je

préféraischezmesamies.Ellesnemeforçaientjamaisàmeconfier.Sij’enressentaislebesoin,ellesétaientprésentesetm’écoutaient,maissijenelevoulaispas,ellesn’insistaientpasetpassaientàautrechose.C’étaitquelquechosed’infinimentprécieux.Dumoinspourmoi.Et jemesuraisvraiment lachancequej’avaisdelesavoiràmescôtés.LeWisconsinnet’adoncpasapportéquedesmalheurs,finalement,A?C’estvrai.Ilm’adonnédesamies.Ilyadoncunpeudeblanc,parici,toutdemême.J’eusunpetitsourirequejenepusréprimer.Oui,ilyaunpeudeblancdanslecoin,finalement.Focaliséesurlenoir,jel’avaisoublié.Mercide

melerappeler.Àtonservice,A,commetoujours.—Etdonc, tamèreva logeroù? (Kimmarquaunecourtepause,avantdeme lancerunregard

bizarre.)Onpeut savoircequi te fait sourire?Y’a trente secondes, tu…enfin…tuvoisceque jeveuxdire…(Ellemefitdegrandsyeuxpournepasprononcerlemot«pleurer».)Etmaintenant,tusouris…J’ailoupéuntruc.Y’apasmoyenautrement…Jepouffai,nonsansmalice.—Tuessûredevouloirsavoir?Tonmascaraestwaterproof?Elleplissalesyeux,suspicieuse.—Nooooooon…?Tuvasencorenousfaireunedéclarationd’amour?—Exactement.Jemedisaisquej’avaisénormémentdechanced’avoirdesamiescommevous.Et

jevousaime,dis-je,sérieusecommeunpape.Kimlevalesmainsetsecouafrénétiquementlatête.—Çasuffit!Monmascaran’ensupporterapasplus!—Jetel’avaisdit…—Çafaitcombiendetempsquetul’avaisdanstamanche,celle-ci?Jehaussailesépaules,unsourireencoin.

—Uncertaintemps…—Tum’étonnes, tiens ! grommela-t-elle, en secouant la tête.Mais n’essaie pas de changer de

sujet!Depuisletemps,onabiencompris,Marj’etmoi,quetufaiscegenrededéclarationquandtuveuxdétournernotreattention.(Ellemefitunclind’œil.)Ehbien,çanemarchepas!Cen’estpasauxvieuxsingesqu’onapprendàfairelagrimace.Marj’penchalatêtesurlecôté.—Jene savaispasque tu te comparais àun singe…Onenapprend tous les jours…Maisbon,

chacun ses délires.Euh, ses désirs, je voulais dire. Je ne te juge pas ! (Ellemit samain devant saboucheetchuchotaàmonattention.)Bonnepourl’asile,commetoi…Kimsevautrasursachaise,croisalesbrassursapoitrineetluilançaunregardnoir.—Jet’aientendue!Etpourtoninformationpersonnelle,jetesignalequec’estuneexpression,et

nonundésirbizarredemeprendrepourunsinge…Marj’écarquillaexagérémentlesyeux.—Ahbon!Heureusementquetumeledis,parcequejenem’enseraisjamaisdoutée!Jemesens

moinsbêtemaintenant…,dit-elleensetournantversmoi,etenroulantlesyeux.J’éclataide rire, encachantmonvisagederrière lesplus longuesmèchesdemescheveux,pour

échapperàl’iredeKim.—Foutez-vousdemagueule,nevousgênezsurtoutpas!—Enmêmetemps,c’esttellementfacile,Kim.Tupassestontempsànoustendredesperches,on

peutquandmêmepastouteslesignorer,plaidaMarj’,enprenantunemouecontrite.Mets-toiunpeuànotreplace…On aurait pu continuer longtemps comme ça, siDan ne s’était pas soudain rappelé à notre bon

souvenir.— Je ne voudrais pas mettre un terme prématuré à ce débat des plus passionnants, mais si on

revenaitunpeusurlesujetdebase?Àsavoir,lamèredecettejeunefille,précisa-t-ilenmepointantdesafourchette,avantderecommenceràmanger.Cemec était aussi glouton queKim !Ce qui expliquait sans doute pourquoi ils étaient toujours

fourrésensemble.Maispeut-êtreyavait-ilplusquecela?Laquestionméritaitréflexion.Avantdet’occuperdesaffairesdesautres,A,situtrouvaisplutôtunesolutionàtonproblème?Une

choseàlafois…Monsourires’effaçaquandjemesouvinsquejedevaistrouverunesolutionàmonproblème,et

plutôtrapidement.Mamèreseraitlàsamedi.Letempsm’étaitdonccompté.Encoreunefois,mavoixintérieureavaitraison.Quec’étaitpénible!J’aitoujoursraison,A,toujours.Gnagnagna…—Mamèredébarquesamedi,commejevous l’aidit,etelle reste troissemaines.Commeloger

chezmonfrèren’estpasuneoptionenvisageablepourelle,etdetoutemanièrejenesuispassûrequeLy’ aurait été d’accord, on aurait pu espérer qu’elle aille à l’hôtel. Malheureusement, pour troissemaines,c’esthorsdequestion.Tropcher.Elleadoncdécidé,etjecachemajoie,d’éliredomicilechezmoi.

—Tudéconnes?s’écriaKim,enmecoupantbrutalementlaparole.—Encoreunefois,est-cequej’ailatêtedequelqu’unquiplaisante?Dan,safourchettedespaghettifigéeàmi-chemin,mefixait,bouchebée.—Mais,jecroyaisquetuhabitaisdansuntoutpetitappart?Jemesouviensmêmeavoirentendu

Drewdirequetuvivaisdansunmouchoirdepoche…Commentilsavaitça?Dansuncampus,toutcesait,A.Dépitée,jemecontentaidehocherlentementlatête.—Et…qu’est-cequetuvasfaire?medemandaMarj’,enmelançantunregardcompatissant.—C’estbiençaleproblème…Jen’ensaisrien.

*****

Lerestedelajournéesedéroularapidementetsansincidentnotable.Dumoins,jusqu’àcequejemeretrouvenezànezavecLy’ensortantdubahut.Hiersoir,bienqu’ileûtétéprésent,nousnousétionsàpeineadressélaparole.Jem’étaiscouchéedirectementaprèsavoirterminémonassiettederiz,etiln’avaitrienfaitpourm’enempêcher.Iln’étaitmêmepasvenumedireaurevoirquandilsétaientpartis.Maismaintenantquejemeretrouvaisfaceàfaceaveclui,sansAndypourfairetampon,j’enrestaipétrifiée.Jenesavaispasdutoutcommentréagir.S’ilavaitoccupémespenséesunebonnepartiedelamatinée,ilenavaitétérésolumentchasséparunautresouci,bienplusurgentetbienplusgrave.L’arrivéeimminentedemamère.Rienqued’yrepenser,j’engrimaçaidedépit.Unechoseaprèsl’autre,A.Facileàdire!—Salut,dit-ilenplongeantsesmainsdanslespochesarrièredesonjean.D’accord.Visiblement, il ne voulait pas s’écarter pourme laisser passer. Il semblaitmêmebien

décidéàmeparler.Zutdeflûtedecrottedebique.—Salut…,soufflai-jeduboutdeslèvres,enfixantlapointedemeschaussures.Sourisgrisemortifiée,acteI.—Tuvasmieux?Jeclignaidespaupièresetluilançaiunrapideregardparendessous.—Oui.Çavamieux.(J’hésitaiuncourtinstantavantdepoursuivre.)Jenetel’aipasdithiersoir,

mais…c’esttrèsgentilàtoidem’avoirfaitunrizausafran.Çam’afaitdubien.Merci…Encroisantfurtivementmonregard,Ly’eutunsourirequicreusasesfameusesfossettesdanssa

jouegauche.Bonsangcequ’ilestcraquant!Beaucouptroppourmasantémentale!—Jet’enprie,masouris,çam’afaitplaisir.(Ilsepassarapidementlamaindanslescheveux,qui

retrouvèrent instantanément leur place d’origine. Incroyable ! Lesmiens ne faisaient jamais ça. Sij’avais lemalheur de faire un geste pareil,mes courtesmèches partaient dans tous les sens, à quimieuxmieux!Cemecavaitvraimenttoutpourlui…)T’eslibredemainsoir?Immédiatementsurlequi-vive,jeluilançaiunregardprudent.—Pourquoi?demandai-jelentement,enmartyrisantmalèvreinférieure.Ly’arquaunsourcil.—Jevois.T’es libre,mais pas pourmoi. (Il détourna la tête, lamâchoire crispée.) Je l’ai sans

doutebiencherché.Quoiqu’ilensoit,j’aimeraisqu’onparle,toietmoi.Tiensdonc!Etdequoi?—Etsijeneveuxpas?Ly’metransperçadesesprunellesclaires.—Cette discussion, que tu le veuilles ou non, nous allons l’avoir,Annabelle. (Ah, voilà qui lui

ressemblait plus… Je me disais aussi…) Cependant, je te laisse choisir l’endroit où nous allonsl’avoir.Soitonseparleentêteàtêtedemainsoir,soitonlefaiticietmaintenant,auvuetausudetous.Moi, çam’estparfaitement égal, déclara-t-il enhaussant les épaules.Mais je croisque toi, tun’aimes pas trop être vue en ma compagnie… Quelque chose en rapport avec ma réputation, jecrois…,conclut-il,sarcastique.EtPAN…danslesdents!Celle-ci,jenel’avaispasvolée.Lalitotedusiècle!Jerougisetbaissailatête.Sourisgrisemortifiée,acteII.— Je suis libre demain soir, avouai-je du bout des lèvres, ne tenant pas à avoir ce genre de

discussionaumilieuducampus.Surtout qu’on commençait à nous regarder…Un frisson d’effroime traversa. J’avais vraiment

horreur d’être le point demire de tous les regards.Mes poils se dressèrent surma nuque etmesmusclessetendirent.J’étaisprêteàprendrelaclédeschamps.—Parfait. Jepasse teprendreà18h30.Jeseraienmoto,alors,habille-toienconséquence,ma

souris.Jegrinçaidesdentsenl’entendantmedonnerdesordres,maisneréagispas.J’étaispresséed’en

finir.Jemebornaidoncàhocherlatête,avantdelecontournerpourpoursuivremonchemin.Ilm’agrippalebraslorsquejepassaiàsescôtés.—Tunemedispasaurevoir,Annabelle?Cen’estpastrèsgentil…Ilsepenchaversmoietmedonnaunrapidebaisersurleslèvres.Unsimpleeffleurement,sifugace

qu’ilétaitdéjàterminéaumomentoùjem’enrendiscompte.Lerestedumondecessaimmédiatementd’exister.Encore…—Àdemain,masouris…,dit-il,avantdemelibéreretdepartirdesoncôté.Jelesuivisdesyeux,incapabledefaireautrement.Jelevaiunemaintremblanteversmabouche,et

lacaressaidoucement.Qu’est-cequejetedisais,A?Avectoi,ilfaitpreuvedebienplusdedouceurquesaréputationnele

laisseraitpenser…

C’était une question de point de vue. Personnellement, je ne l’avais pas trouvé particulièrementdoux.Aucontraire.Ilavaitétéplutôtautoritaire.Troublée par cette rencontre inattendue, je pris lentement le chemin du parking, dans un état

second.Pourlapremièrefois,jenefispascasdesregardsrivéssurmoi.Aprèsunetellescène,quoideplusnormal.Toutefois,celam’indifférait.J’étaismêmeàdesannéeslumièresdetoutcela.Dequoivoulait-ildoncmeparler?Celaavait-ilunrapportaveccequemonfrèrem’avaitapprisla

veille ? Ly’ aurait-il, contre toute attente, envie de plus qu’une simple partie de jambes en l’air ?Serait-ilvraimentintéresséparmoi?Toutcelamesemblaitvraimentgrotesque.Etpourtant……pourtantj’ypensais.Deplusenplus.Etcelanetedéplaîtpas,A.Non,effectivement.Celanemedéplaisaitnullement.Àmagrandehonte,cetteidéem’attiraitmême

énormément.Pourquoiétais-jesifaiblequandils’agissaitdecemec?Pourquoimavolontéétait-elleannihiléefaceàlui?J’avaisbeauchercher,jenetrouvaisaucuneréponse.Aucunequinemedonnesatisfaction,toutdumoins.Ilteplaît,A.Etcedepuislepremierjour.Àl’instantoùt’asposélesyeuxsurlui,t’asétéperdue.Mouais,jusqu’àcequ’ilouvrelabouche.Peut-êtrequec’estcequetuvoudrais,maistunepeuxpaschangertessentiments.T’asledroitde

t’envouloirpourça,A,parceque t’as l’impressiond’être faible faceà lui.Etc’est lecas.Mais lavraiequestion,c’est:est-cequeluiestaussifortquetulecrois?Oùenest-ilàlamêmequetoi?Jelevailesyeuxauciel,tantlaréponseàcettequestionétaitévidente.T’enessûre?Peut-être…cache-t-ilmieuxsonjeuquetoi…Etcefutlàquelesdeuxpetitsmotsquejeredoutaistantvinrentfrapperàmaporte.Jepinçailes

lèvresetfermailesyeux,faisantmonpossiblepourlesignorer.Maisc’étaittroptard.Ilsétaientbeletbienlà.Jenepouvaispasfairecommesijenelesavaispasentendus.Etsi…

Chapitre21

AssisechezDaemon,devantunepizzaquatrefromages,jen’osaispasreleverlatêtepourregardermonvis-à-vis.Depuisqu’il était apparu, sur le seuildemonappartement, j’avaisàpeinedécrochédeuxmots.J’étaistellementnerveuse,quejen’arrêtaispasdemetortillersurmachaise.J’attendaisunremarquesarcastique,quiallaitcertainementsortirdelabouchedeLy’d’uninstantàl’autre,enmedisantquecelam’importaitpeu.Ilpouvaitbiensemoquerdemoi,etdemonmanquedeconfianceenmoi,celanemeferaitnichaudnifroid.Croixdebois,croixdefer,sijemens,jevaisenenfer…Jegrinçaidesdentsenentendantlenouveauleitmotivdemavoixintérieure.Depuisquelquetemps,

ellen’avaitplusquecettephraseàlabouche.Enfin,àlapensée.Enfinbref,jemecomprenais.Ellenedisaitplusqueça,quoi.Peut-êtreparceque,depuisquelquetemps,tupassestontempsàmentir.Quecesoitàtoi-mêmeou

auxautres,A.Ignorantcettegrincheuse,jeprisunetranchedepizzaetmordisdedansàpleinesdents.Jefermai

lesyeuxdeplaisiretfaillispousserunpetitgémissementdepurevolupté.Dieuquec’étaitbon!—Jenetedemandepassituaimes,masouris,jelislaréponsesurtonvisage…,murmurasoudain

Ly’,mefaisantbrusquementredescendresurterre.Jefrémisenréalisantque,durantquelquessecondes,j’avaisoubliésaprésence.Rougedehonteet

profondémentmortifiéeparmonattitudeimpolie,j’avalairapidementcequej’avaisdanslabouche,etluiadressaiunpetitsourireconfus.—Pardon,je…Incapable de finir ma phrase, je piquai une nouvelle fois du nez dans mon assiette, ne sachant

comment justifier l’injustifiable. En plus d’avoir oublié les bonnesmanières, je l’avais oublié lui.Commentpouvais-jeseulementtenterdemetrouverdesexcuses?Jen’enavaisaucune.Riennet’empêchedet’excuserquandmême…genre…Euh…Une souris grise qui présente des excuses à un tigre duBengale ?Fausse bonne idée !…

D’ailleurs,techniquement,jemesuisdéjàexcusée.J’aidit«pardon».Lâche,lâche,lâche!Tun’esqu’unelâche!—Dequoit’excuses-tuexactement,Annabelle?demanda-t-ilenpenchantlatêtesurlecôtédroit,

cherchantvisiblementàrésoudreunproblèmecomplexe.J’auraisvouludisparaître sous terrepourneplusavoirà sentir son regardvertmenthe rivé sur

moi.— Je ne sais pas… d’avoir oublié… que je n’étais pas seule…, avouai-je finalement, faute de

mieux,enhaussantlesépaules.Peut-être…—Jet’effraiedoncàcepoint,Annabelle,quetunepuissesaffrontermonregardenmeparlant?

mequestionna-t-il,d’untoncrispé.Jemeraidissurmachaise,prêteàfuiraupluspetitsignesuspect.N’osantpasleverlesyeux,jeme

contentaidehocherlatête.

Ondiraitunegaminedesixansquisefaitgronderparsonprofesseurdematernelle.Pathétique…Àquiledis-tu,A!Ly’poussaunlongsoupir,avantdetendrelamainversmoietd’écarterdélicatementlesmèchesde

cheveux qui barraient mon visage. Il les coinça habilement derrière mon oreille, qu’il caressadélicatementduboutdel’indexaupassage.Unpetitfrissondeplaisirmefittressaillir.Ohbonsang!—Annabelle,jepensaisavoirétéclair,etcedèslepremierjour:tun’asrienàcraindredemoi.

T’es la seule que je ne pourrais jamais toucher. (Je levai brièvement les yeux vers lui, unemoueironique sur les lèvres.) Je voulais dire, se corrigea-t-il en croisant mon regard, que je ne tetoucheraisjamaisavecl’intentiondetefairedumal.Etilmesemblequejen’aijamaiseudegestesviolentsàtonencontre.Metromperais-je?Bien sûr que non. Il n’avait jamais fait mine de me faire du mal physiquement, de quelques

manièresquecefût.Aucontraire.Ilm’avaittoujourstouchéeavecdouceur.Ilm’avaitmêmeprotégéedeMaxquandcedernieravaitvoulus’enprendreàmoi.Doncnon,riennejustifiaitquejelecraigneàcepoint.Alors,pourquoin’arrivais-jepasàmecontrôlerensaprésence?Parce que la peur de la douleur physique n’est pas vraiment ce qui importe, n’est-ce pas ? La

douleur psychique est tout aussi importante. Et là, on ne peut pas vraiment dire qu’il soit sansreproche, pas vrai ? T’as peur parce que tu sais pas sur quel pied danser avec lui. Il t’a montréplusieursvisages,pastousjolis,ettunesaispaslequelilarevêtucesoir.C’estçaquitefaitleplusflipper.Sidérée,jeréalisaiquemavoixintérieureétaitdanslevrai.Bonsang,elleauraitpuêtrepsy!Dansuneautrevie…—Non,reconnus-jeduboutdeslèvres.Tun’asjamaischerchéàmefairedumalphysiquement.—Maisjel’aifaitd’uneautremanière,c’estcelaquetuveuxdire?—Disonsquetun’aspastoujoursétédesplussympasavecmoi.Lemotestfaible!Ly’arquaunsourcileteutunsouriremoqueur.—Jolietournure,jeteleconcède.Maissionmettaitdecôtélesfiorituresinutilesetqu’onallaitau

fonddeschoses,pourchanger?Parlons-nousfranchement.Tuveuxbien?Parcequesioncontinuesurcette lancée,onvaau-devantdegrosmalentendus.Et j’ai enviedemettre leschosesàplat.Dejouercartessurtable,situpréfères.Çateconvient?Jedétournailatêteetfixai lemurdevantmoi.Memordillantfurieusementlalèvreinférieure, je

réfléchissaissincèrementàsaproposition.Jouercartessurtableseraituneexcellenteidée.Maiscelameserait-ilvraimentprofitable?Quinetenterienn’arien,A.QuiaditquejevoulaisquelquechosedeLy’?Jenevaismêmepasrépondreàcettequestiontantc’estuneévidence!—Etsiçanemeconvientpas?—Alorstueslibredepartir.Laporteestjustelà,lâcha-t-ild’untonhargneux.Pourquoi tu passes ton temps à le provoquer, A ? Pour une petite souris grise, je trouve que tu

titillesletigreavecinsistance,cesdernierstemps…Ilpourraits’enlasser…Écoutantlavoixdelaraison,jelevailentementmonregardbleufoncéversLy’etjeluiadressaiun

petitsourirecontrit.Aumomentoùj’allaisluiprésenterunenouvellefoisdesexcuses,jememordisviolemment la langue pourme contraindre au silence. Je pris une profonde inspiration, et hochailentementlatête.Assume,mafille,etsoisforte!…Enfin,essaie…—D’accord.Jouonscartessurtable.Çameconvient.Sansprévenir,unsourirefrancetsincèreilluminalevisagedeLy’.Lesyeuxrivéssurlesfossettes

quis’étaientcreuséesdanssesjoues,jeréalisaiquej’étaisfoutue.Complètementfoutue.Cemecétaitdéjà une bombe ambulante en temps normal,mais quand il semettait à sourire comme ça, c’étaitencorepire.Ilestbientropsexypourmapropresurvie.Heureusementquet’espasintéressée,hein,A?L’ironiedemavoixintérieuremefitgrincerdesdents.Celle-ci,undecesjours,elleallaitvoirce

qu’elleallaitvoir!Paroledesourisgrise!Ouah,j’aipeur!—J’aurais tendanceàdire,honneurauxdames,mais,monpetitdoigtmeditque tune tienspas

vraimentàavoircegenredeprivilège.Dumoins,pascesoir…(Unelueurdemalicebrillaitdanssesyeuxpâles.Àcerythme-là,ilallaitm’acheveravantquej’aieeuletempsdefinirmapizza.)Çanetedérangepassijecommence?D’unrapidemouvementdupoignet,jeluidonnaismonaccord.Puis,jeprisunenouvellepartde

pizza,pourmedonnercontenance.—Vas-y,jet’écoute,ajoutai-jepourtant,nevoulantpasparaîtresnobouhautaine.—MaDameest tropbonne,dit-ild’untonpince-sans-rire.(Jenepusretenirungloussement,ce

qui lui arracha un nouveau sourire à fossettes. Enfer et damnation !) J’aime ce son, avoua-t-ildoucement.J’aimeraisl’entendreplussouvent.(Jerougis,nesachantquerépondre.Heureusement,ilpoursuivitsansattendre,metirantainsid’embarras.Ouf!Sauvée…)Est-cequeDrewt’aunpeuparlédemoi?Demon…passé?—Non.Enfin,mecorrigeai-jetrèsvite,oui.Ilm’aunpeuparlédetoi,maisilnem’arienditde

spécial.Ilm’ajusteconseillédenepasmefierauxrumeursquicourraientsurtoncompteetdemefairemapropreopinion. (Jebaissai la têteversmonassiette et en redessinai lentement lebordduboutdel’index.)Iladit…quetuétaisquelqu’undebien.—Non,jenesuispasquelqu’undebien,Annabelle.Jepensequetut’enesrenduecomptepartoi-

même, et ce, à plusieurs reprises. Drew est quelqu’un de bien. Pasmoi, contesta-t-il rudement, levisagefermé.L’ombremaléfiquedeDrew…tun’auraispumieuxmenommer,Annabelle.Celamevacommeungant.Rougedehonte,jemesouvinsd’avoirditcelaàAndy,unjouroùj’étaisparticulièrementremontée

contreLy’.Savoirquemonfrèreluienavaiteffectivementparlémerenditterriblementmalàl’aise.—Jeregrette…Jen’auraisjamaisdûdireça…Ly’levaunemain,mecoupantdansmesexcuses.—Non.Tuavaisraison,Annabelle.Jet’assure.Jesuisuneombremaléfique.Peut-êtreparcellede

Drew spécifiquement, mais j’en suis une. Je suis une personne noire, Annabelle. (Je sursautai enl’entendant se désigner de la sorte. Incrédule, je le fixai, bouche bée.) Ne me regarde pas ainsi,Annabelle.C’estlastrictevérité.Jesuisquelqu’undenoir.Detrès,trèsnoir.Maistuesbienplacéepourlesavoir,n’est-cepas?Repensant à toutes les fois où il m’avait humiliée ou rabaissée, je ne pouvais pas prétendre le

contraire.Iln’étaiteffectivementpasquelqu’undeparticulièrementsympathiqueetchaleureux.Maisdelààdirequ’ilétaitcomplètementnoir…Jen’étaispasentièrementd’accordavecça.Unepersonnenoirenem’auraitpassauvéedeMax.Comprenantinstinctivementqu’ilnefallaitpaslecouper,oulecontredire,jegardaimonopinion

pourmoi.C’estbien,A,tusemblesapprendredeteserreurs…Oh,laferme,toi,unmoment!—J’aimeraisteraconterunehistoire,Annabelle.Jepressentisquejen’allaispasdutoutaimercequiallaitsuivre.Serrantlesbrasautourdemon

corps,commepourmeprotéger,jemepenchailégèrementenavant,sansmêmem’enrendrecompte.—Jet’écoute,dis-jed’unevoixfaibleettremblante,m’attendantaupire.Posantlourdementsescoudessurlatable,Ly’nouasesmainsderrièresanuqueetseperditdansla

contemplation de son verre de jus de fruits. Quand il commença son histoire, sa voix était basse,impersonnelle… comme dénudée de sentiments.On aurait pu croire qu’il parlait de la pluie et dubeautemps,etquecelaneluifaisaitnichaudnifroid.Jereconnusbiencettemanièreinstinctivedeseprotégerenserefermantsursoi-même.J’enavais

uséplusd’unefois.Jenem’ylaissaidoncpasprendreeteusbienconsciencedelaprofondedouleurquis’ycachait.Seigneur,quet’est-ilarrivé,Ly’?—Ilétaitunefois,unpetitgarçondedixansquiperditsamèredansunaccidentdevoiture.Son

père, un homme d’affaires important et influent, souffrit énormément de la perte de son épouse.Épousequ’ilaimaitplusquetout.Ilfutdévastéets’investitdoncdavantagedanssontravail,afind’ytrouverl’oubli.Aupointdeneplusavoirletempsdes’occuperdesonfilsunique.Alors,illeconfiaàunenurse.Celaduraenvironquatremois.Jusqu’àcequ’unbeaujour,cepetitgarçonsemuradanslesilence.Inquietpourlasantédesonfils,derniervestigedesadéfunteépouse,ilfinitparleverlepiedetprendreuneannéesabbatique.Aucontact,douxetaffectueux,decepèrequ’ilaimaittant,legarçonnet recommençaprogressivementàparler.Et trèsvite, il rattrapa le retardqu’il avaitprisàl’école.Nevivantplusquepourlafiertéquibrillaitparfoisdanslesyeuxdesonpère,ils’appliquaettravaillaencoreplusdur.Enmoinsdesixmois,ildevintlemeilleurélèvedesaclasse.Etsonpèreenfut profondément satisfait. Ce dernier, au contact de son fils, reprit peu à peu goût à la vie. Ilscommencèrent à sortir ensemble, s’étant trouvé une passion commune pour le baseball. Tous lesmatchs auxquels ils pouvaient assister, ils y allaient. Il en fut ainsi durant quatre longues années.Durantcesquatreannées,lepèreetlefilsvécurentensemble,seulsetheureux.Puis,unbeaujour,leschoseschangèrent.Deuxfemmesentrèrentdansleurvie.Unemèreetsafille.Lepèredugarçonnet,fouamoureux,netardapasàseremarier.Et,ayantdésormaisquelqu’unàdomicilepours’occuperdesonfils,ilrecommençaàpartirenvoyaged’affaires.Illaissasongarçon,alorsâgédequatorzeans, seul avec sabelle-mère et sa demi-sœur.Voyant combien sonpère aimait sa nouvelle épouse,l’adolescentqu’il étaitdevenun’osaitpasdire lavérité. Iln’osaitpasdireà sonpèrequesabelle-

mèrene l’aimaitpas. Ilcroyaitquec’étaitdesa faute,qu’iln’étaitpasassezdoué,pasassezbien !Alors il redoubla d’efforts, dans l’espoir de lui plaire.Mais plus il travaillait,moins elle l’aimait.Jusqu’àcequ’un jour,elle le frappa.Elle luiditquec’étaitcequiarrivaitauxenfantsarrogantsetimbusd’eux-mêmes.Àchaquenouveauvoyagedesonpère,quidevenaientdeplusenplusfréquents,lescoupsaugmentaientetdevenaientviolents.Àchaqueretour,labelle-mèreseplaignaitdel’attitudeméprisantedel’adolescent.Jusqu’àmonter lepèrecontre lefils.Aprèssixmoisdemariage, ilsnefaisaientplusrienensemble.Latendrecomplicitéquiétaitnéeentreeuxn’existaitplus.C’étaitdevenuun lointain souvenir. Le lien qui les avait unis durant les quatre dernières années avait étéirrémédiablementbrisé.L’adolescentseretrouvaseul.Livréauxmainscruellesdesabelle-mère,etauregardsoudainindifférentdesonpère.Blême, les yeux remplis de larmes, je n’arrivais pas à croire ce que j’entendais. Comment une

femme,unemère,pouvait-ellefaireunechosepareilleàunenfant?Pourquoi?Maissurtout,surtout,pourquoilepèren’avait-ilrienfait?—Il…iln’ajamaismisendoutelaparoledetabelle-mère?(J’avaisbiencomprisquec’étaitson

histoireàluiqu’ilmeracontait.)Iln’estjamaisvenut’enparler?Ilaprispourargentcomptanttoutcequ’elledisait?J’étaisscandaliséeparunetelleattitude.Pourtant,avectonproprepassé,A,tudevraissavoirquelesparentssontloind’êtreparfaits…Etcen’estriendeledire…Je sentis les brumes tortueuses du passé se faufiler sous leur prison de glace. Réveillées par

l’histoire tragique deLy’, elles remontrèrent impitoyablement à la surface. Je les sentis ramper lelongdesosdemaboîtecrânienneetsedirigerverslasortie.Làoùjenepourraispluslesignorer.Làoùjeseraiscontraintederevoir,unefoisencore,cequis’étaitpassécesoir-là.Jecrispailespaupièresettentaidelesretenir,maissansgrandsuccès.Invincibles,ellesavancèrent

sansciller.Desflashsdupassécommencèrentàdéfilersousmespaupièrescloses.«Belle,monpoussin,sibelle…Maprécieusepetitefille…Sibelle…»Delabileenvahitmabouche,soudainsèche.Jenevoulaispasmerappeler.Jenevoulaispas!LavoixglacialedeLy’meramenabrusquementauprésent.Tremblante, jeprisfébrilementmonverredejusdefruitet j’enbusunelonguegorgée.Legoût

âcredelabiledisparutimmédiatement.Profondémenttroublée,jefisdegroseffortspourchasserlesdernièresbrumesdesouvenirquis’accrochaientdésespérément,etjemeconcentraisurlesparolesdeLy’.Ly’,focalise-toisurLy’.Leresten’existepas…iln’existepas…Commelacuillère?Okay,okay,j’aicompris.Jesors.—Non, jamais.Mabelle-mèreavaitunebellegueuled’angeeton luiauraitdonné leBonDieu

sans confession. En plus, mon père en était raide dingue. Il croyait donc tout ce qu’elle disait.Même… même quand elle a prétendu que j’avais tenté de la violer. (Je poussai un cri horrifié,maintenantbienancrédans leprésent.) Il fautsavoirqu’à l’époque, jen’avaisriendumecbaraquéquejesuisdevenu.J’étaisunmômetropgrandettropmaigre.Unsacd’os.C’étaitcommeçaqu’ellem’appelait.Lesacd’os.(C’étaitdifficilementimaginablequandonvoyaitl’armoireàglacequ’ilétaitdevenu.)Bref,elleluiaditquej’avaistentédelaprendredeforce.Commesij’auraispulefaire!

Sansparlerd’uneéventuelle envie,beurk,oude l’acte en soi, j’avais tout simplementpas la forcenécessairepourtenterdefairecedontellem’accusait.J’étais…(Ilcontractaviolemmentlesmusclesdesamâchoire.)J’étaispasassezfort,pasassezfort.(Ilmarquaunecourtepause.)Monpèrel’acrue,évidemment.Ilm’acorrigéavecsaceinture.Enveillanttoutefoisànepaslaisserdemarques,commeelleleluiavaitjudicieusementconseillé.—Etçaneluiapasmislapuceàl’oreille?Qu’elleluiconseilleuntrucpareil?Ly’secoualentementlatête,lesyeuxtoujoursrivésàsonverre.Sonvisageétaitdevenuunmasque

degranite.Froidetdistant.—Ilm’afrappé,encoreetencore.Quandilaeufini,ilm’aditque,sijetentaidenouveaudela

toucher,neserait-cequ’uneseulefois,ilmetuerait.Aprèscejour,cefutencorebienpire.(LesmainsdeLy’seserrèrentenpoing,sa respirationdevintsifflanteet laborieuse.)Mabelle-mèreavaitprisl’habitudedem’attacher,entièrementnu,àunechaisedelacuisine.Etelle…Ly’prituneprofondeinspirationetdétournavivementlatête,lamâchoirecrispée.Jetendislamain

eteffleurail’undesespoingsduboutdesdoigts.—Sic’esttropdifficile,Ly’,onpeutenresterlà.Certaineschosesnesontpasbonnesàdire.Elles

raviventdessouvenirsenfouisauplusprofonddenous,cequinousfaitplusdemalquedebien.(Jesavaisdequoijeparlais.)Ilnefautpasteforcer,murmurai-jed’unevoixdouceetapaisante.Aveclavivacitéd’unserpent,ildesserrasonpoingettournasamain,emprisonnantfermementla

miennedanslasienne.Ilplongeaunregardhantédanslemien.Oh bon sang ! Il y avait tellement de douleur dans ses prunelles vertes, c’en était presque

insoutenable.—Non.Tudoissavoir.Pourcomprendrequijesuisdevenu,tudoissavoircequim’aforgé.Etce

quej’aifait.Sanscela,toietmoin’avonsaucunavenir.Etc’estpourçaquejenesuispasprêt.Àsadéclaration,jesentismamâchoiresedécrocher(çadevenaitunefâcheusehabitude)ettomber

avecfracassurlatable.Incapabledetrouvermesmots,j’acquiesçaid’unmouvementvaguedelatête.Avait-ilvraimentditcela?— Elle me caressait et m’obligeait, contre mon gré, à y prendre du plaisir, déclara-t-il

abruptement,d’unevoixdureetfroide.(Jamaisiln’avaitétéaussilétalqu’encetinstant.)Attachésurmachaise, j’étais impuissant.Jen’avaispasd’autrechoixquedesubirseshorriblescaresses.Je ladétestaispourça,maisjemehaïssaisencoreplusdenepasêtresuffisammentfortpourmedéfendre.J’avais honte.Tellement honte,Annabelle. Je sais que j’aurais dû aller trouver la police et leur enparler,maisj’enétaisincapable.J’étaisunmec,bordel,unmec.J’auraisdûpouvoirmedéfendre.Unhommequisefaitvioler,c’est…(J’entendisdistinctementsesdentsgrinceretsamâchoirecraquer.)Unmecquisefaitvioler,c’estunemauviette,articula-t-il lentement,d’unevoixsourde.(Ilmarquaunepause,letempsdesecalmer.)Lejourdemesquinzeans,elleaditqu’elleavaituncadeauspécialpourmoi.Elleavaitinvitésafilleàparticiper.Etcettegarces’estjointeàlapetitefêteavecplaisir.(Unelueurmeurtrières’allumadanssonregardvertmenthe.)Elleavaitdix-septans.Deuxansdeplusquemoi.Etaulieudem’aider,ellem’aregardéenricanant.Quandsamèreenaeufiniavecmoi,ellem’afait tomberdemachaiseetm’apissédessus.Enpleinvisage. (J’eusunhoquetdedégoût.Oh,putain!!!)Ellem’adit que lespetitesputesdansmongenreneméritaientpasmieux.Puis elle estpartie.Enmelaissantseulavecsamère.(Ly’relevalentementlesyeuxversmoi,etcequej’ylusmefitfroiddansledos.)Ellen’auraitjamaisdû.Je déglutis péniblement et baissai le regard sur nosmains jointes. Ly’ relâcha brusquement son

étreinte,mais je ne fis pasmine deme dégager. Au contraire, je refermai doucementmes doigtsautourdessiens.Jeluiapportaismonsoutiendelaseulemanièrequejepouvais.—Tul’astuée?—Etsijel’aifait?Jeplantaimesirisbleus,brûlantsderage,danslessiens,froidsetindifférents.—Jedirais«tantmieux»,affirmai-je,avecunpetitairdereinedesglaces.Unelueurdesurprisetraversalesprunellesvertesrivéessurmoi,etunlégersourirerelevalecoin

deseslèvres.—Jenet’auraisjamaiscruesanguinaire,masouris,plaisanta-t-il,avantdereprendrebrusquement

sonsérieux.Non,jenel’aipastuée.Maiscen’estpasl’enviequimemanquait.Simplement,levoisinest arrivé à ce moment-là, alerté par les hurlements de ma belle-mère, et il m’a ceinturé,m’empêchant ainsi de finir ce que j’avais commencé. (Ly’ se redressa lentement et son visage sefermaànouveau.)Jel’aibattueàmort,pourainsidire,avecunepoêleàfrire.Unfrissonmetraversaviolemmentlecorps,maisjenedétournaipaslesyeux.Aprèslecalvaire

qu’ilavaitsubi,durantpresqueuneannée,ilétaitsimplementétonnantqu’ilnel’eûtpasfaitplutôt.—Etensuite?Qu’est-cequis’estpassé?—La policem’a embarqué etmon père est revenu de son voyage en toute urgence. Il a hurlé

devanttémoinsqu’ilallaitmefairelapeauetqu’ilallaittoutfairepourquejesoisjugécommeunadulte.Maislestracesdecoupsquejeportaissurtoutlecorps,ainsiquel’urineimprégnéedansmescheveux,démontraientquej’avaisétémaltraité.Àplusieursreprises.Etça,çan’apasjouéenfaveurdemonpèrenidesademande.J’aieudroitàunlongentretienavecunpsychologue,maisj’airefusédeparler.Cequi,biensûr,n’apasjouéenmafaveur.Auvudemonâge,etdecequej’avaissubi,j’aiétéjugéetcondamnécommeunmineur.Troisansenmaisonderedressement.—Autantqueça?Tun’aspasbénéficiédecirconstancesatténuantes?Tabelle-mère t’abattuet

violédurantuneannée!Unmuscledanslecreuxdesajouesemitàtressauterfrénétiquement.—Monpèreaprétenduquej’avaistoujourseuuncomportementétrangeavecmabelle-mère,et

quej’avaistenté,àplusieursreprises,d’avoirdesrapportssexuelsnonconsentisavecelle.—Mais c’est faux !m’écriai-je, complètement révoltée.C’est ellequi teviolait ! sifflai-je entre

mesdentsserrées,veillantinstinctivementànepaséleverlavoix.(Lapizzeriaétaitpresquedéserte,certes,etnousn’avionspasdevoisinsdetable,maistoutdemême.Jepréféraisêtreprudente.Çaneregardaitpersonned’autrequenous.)Ly’melançaunregardétrange,parendessous.—Jeneleuraijamaisditqu’ellem’avaitviolé.J’écarquillailesyeux,stupéfaite.—Maispourquoi?—Jesuisunmec,Annabelle.Jen’auraisjamaisdûvivreunetellechose.J’auraisdûpouvoirme

défendre.Jetel’aidit:unmecquisefaitvioler,c’estunevulgairemauviette.Horsdequestionquelesgenssoientaucours.Jen’enaijamaisparlé,àquiquecesoit,avantcesoir.Mêmetonfrère,monmeilleurpote,neconnaîtpastouslesdétails.Etsurtoutpascelui-ci!(Sonregards’attendritsoudain,et il leva unemain tremblante versmonvisage. Ilme caressa la joue du bout des doigts.)Tu sais

pourquoi je t’enparleà toi.Etuniquementà toi. Je te l’aidéjàdit.Tudoiscomprendrequi jesuisdevenu.Etpourquoi.Parceque,rienn’ypersonnenepourraplusmechanger,maintenant.

Chapitre22

Durantunlongmoment,jefixaiLy’sansriendire,assimilanttoutcequ’ilm’avaitraconté.Jefinisparinclinerlatête,ensignedecompréhension.Oui,cequ’ilavaitvécuétaitterrible,etsonpasséserévélait,enfindecompte,bienpirequelemien.Jecomprenaisqu’ilsoitdevenuquelqu’undefroidetdeduraprèstoutcela.Quinel’auraitpasété?Maiscen’étaitpaspourautantquej’étaisprêteàmelaissermalmenergratuitement…—Jesuisdoncalléenmaisonderedressement.(Enl’entendantreprendrelaparole,jemecrispai

légèrement, ne sachant pas vraiment à quoi m’attendre.) Les six premiers mois ont étéparticulièrement difficiles. J’étais rempli de haine et de colère. J’en voulais à la terre entière. Jepassaislaplusgrandepartiedemontempsenisolement,carjeprovoquaissanscessedesbagarres.C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour extérioriser tout ça. Même si je me prenais unedérouillée à chaque fois, ou presque. (Ly’marqua une courte pause.) Puis ton frère est arrivé.Audébut,onn’étaitpasvraiment lesmeilleurs amisdumonde. (Un lent sourire fleurit sur ses lèvres,alorsqu’ilpoursuivaitsonhistoire,commes’ilseremémoraitdebonssouvenirs.)J’étaisencolère,riendenouveauàça,etjeluisuisrentrédanslecadre,direct.Maisilm’aignoré.Pourlapremièrefois depuis six mois, quelqu’un m’ignorait. C’était complètement nouveau pour moi, et cela m’adéstabilisé.Avantdememettreencoreplusencolère.Çam’arappelél’attitudedemonpère,quandilignoraitmesappelsausecours.Alorsj’aiinsisté.Jeluicherchaisdesnoisesàlapremièreoccasion.Maisilréagissaitpas.Àcroirequ’ilétaittaillédansdumarbre.Jusqu’àcequ’ilreçoivesonpremiercourrier.Le tien,précisa-t-il, en levantun regardbrillantversmoi.Quand j’aivusonsourire, j’aicompris que j’avais enfin trouvé lemoyen de le faire réagir. Je le lui ai piqué direct, avant qu’ilpuisselelire.Ilm’acalmementdemandédeleluirendre,enm’expliquantquec’étaitunelettredesapetite sœur.Là, j’ai vu rouge.LevisagedeVéronica,mademi-sœur,m’a traversé l’esprit. Je suislittéralement entré en rage… et… euh… j’ai déchiré ta lettre en mille morceaux…, avoua-t-il enrougissantlégèrement.Lesyeuxgrandsouverts,jen’arrivaispasàcroirecequejevenaisd’entendre.—Tuas…quoi?Ly’détournalatête,malàl’aise.—Jel’aidéchirée,répéta-t-ilpiteusement.J’ouvrisetrefermailaboucheàplusieursreprises.Okay,d’accord.Depuisletempsy’aprescription,A!Décidantquecelan’avaitfinalementplusgrandeimportance,jelajouaiphilosophe:—Çaexpliquepourquoimonfrèren’ajamaisréponduàmapremièrelettre…Ilm’adressaunpetitsourirecontrit.—Ouais…(Ilseraclalagorge,malàl’aise.j’arquaiunsourcil,secrètementraviedelevoiraussi

gêné. Une grande première ! Décidément, c’était la période des premières fois.) Suite à ça, j’aicommencéàt’insulter.Enfin,àinsulterlesfemmesengénéral.Jetefaisgrâcedesdétails,maismesproposétaientplutôtvirulents.Tonfrères’esténervéetaexigéquejem’excuse,enarguantquesa

petitesœurn’étaitpasainsi.Jeluiairiaunez.Etons’estbattu.Ilétaitplusfortquemoiàl’époqueet…(Enmevoyanthausserlessourcils,ileutunpetitsourire.)J’étaisungringalet,jeterappelle.Unsacd’os.Jemesuisfaitdémolir.Littéralement.J’aidûmangerdelacompotedurantdeuxsemaines,aumoins!(Jemedemandais’iln’exagéraitpaslamoindre,là.)Aprèsça,agacésparmonagressivitéconstante, lesgardiensm’ontreléguéencuisine.LechefétaitunancienNavySeal,alors leschienshargneux, comme il disait, il en avait eu sa dose et savait les dresser. Je suis donc passé de « sacd’os»à«chienhargneux».Justepourça,jeluiaidonnésachance.Etj’aiécoutétoutcequ’ilmedisait.Lementoncalédans lapaumedemamain, jebuvaissesparoles.Onvoyait,à la façondontses

yeuxbrillaientetausourirequiflottaitsurseslèvres,qu’ilavaitbeaucoupderespectpourcetancienNavySeal.Envoyantlemecassisenfacedemoi,jemedisquelesconseilsdecedernieravaientdûêtrejudicieux.Ly’n’étaitpasquelqu’undecolérique,commeilmeleracontaitencemoment,maisquelqu’undefroidetdeposé.J’avaisd’ailleursdelapeineàl’imaginerautrement.—Tul’aimaisvisiblementbeaucoup,dis-jeensouriant.Etd’aprèscequejevois,ilt’abienaidé.—Ouais,jel’apprécieénormément,etilm’aétéd’uneaideprécieuse.Sanslui,etsanstonfrère,

j’aurais certainement très mal tourné. Vraiment très mal, avoua-t-il, dans un filet de voix. Il m’aapprisàcanalisermacolèreetà ladéverserdemanièredifférente.Au lieudemedéfouler sur lesgens,quecesoitverbalementouphysiquement, ilm’aditde lefaireencuisine.J’étaisdubitatif, tupenses,mais j’ai décidéde jouer le jeu.Harry a ce petit quelque chosequi t’empêchede le défierouvertement.J’aidoncfaitcequ’ilm’ademandé.Etdurantuntemps,onaeudelapuréeàtouteslessauces!Patate,carotte,petitpois,pomme,poire,banane;toutypassait.Puisjemesuisrenducomptequ’il avait raison.En cuisinant, j’arrivais à canalisermacolère. J’ai pu recommencer à sortir et àvoirlesautrespensionnaires.Maissijesentaisquejeperdaismoncalme,ouquej’avaisunemontéede rage, je devais revenir dare-dare en cuisine. C’était le deal. Et je l’ai accepté. (Ly’ se laissalentementallercontreledossierdesachaise,sanspourautantlibérersamain,toujoursprisonnièredelamienne.)C’estlameilleurechosequipouvaitm’arriver.Jeluifisunclind’œil.—Celaexpliquesansdoutepourquoituesaussidouéauxfourneaux?Ly’ me sourit tendrement, et cela me chamboula complètement. Je sentis une boule prendre

naissancedansmonventreetfaireunsaltoarrière.Ouah.—Ouais,enpartie.Maissurtout,j’aiapprisàaimerça,toutsimplement.Encuisine,jesuisleseul

maîtreàbord.Jesuisleseulàdécider.Jefaiscequejeveux,quandjeveux,etdelamanièrequejeveux.Jen’aidecomptesàrendreàpersonne.Encuisine,jesuistotalementlibre.Unéclairdecompréhensionmetraversasoudainement,etjemeredressaivivementsurmachaise.

Limite,jebondisenavant.—C’estpourçaquetuasunemoto!Pourlasensationdelibertéqueçaprocure.Jefaillisgémirenconstatantleretourdesfameusesfossettes.Cemecvoulaitmamort.—C’estpourçaquej’aiuneDucatiDesmosediciRR,acquiesça-t-il,eninclinantlégèrementlatête.—Expendable?demandai-jed’unairmalicieux.—Whatelse?La légèreté de notre échangeme surprit.Nous avions abordé un sujet particulièrement difficile

pourLy’,etmaintenantnousplaisantionscommesiderienn’était.Oh.Mon.Dieu!JeplaisanteavecLy’?Pincez-moi!Jerêve…Non,non,A,tunerêvespas.Pasdutout.Je fermai brièvement les yeux et tentai de revenir sur la discussion de fond, car je savais qu’il

fallaitlaterminer.Deplus,Ly’ytenaitvraiment.DepuisquandlesdésirsdeLy’tetiennent-ilsàcœur,A.?Bonnequestion…—Etmonfrère,danstoutça?Vousêtesdevenusamisàquelmoment?—Quand il a reçu tadeuxième lettre.Voulantm’imiter,unebandedecrétins,qui s’était formée

danslamaisonderedressement,laluiachourée.Etjelaleuraireprise.(Voyantmamouedubitative,ileutunsourireencoin.)Àforcedeporterdessacsdepatatesencuisine,etaveclesexercicesqueme faisait faire Harry, j’avais pris un peu de muscles. Et j’avais appris une prise ou deuxd’autodéfense,danslafoulée.Pis,mamauvaiseréputationdebagarreurafaitlereste.Presquetoutenfait.Surtoutdepuisquelebruitcourraitquej’étaisdanslespetitspapiersd’Harry.J’aidoncrécupérétalettreetjel’airendueàDrew.Jeluiaiprésentédesexcuses,enluidisantquecen’étaitpasdesafautes’ilaimaitsasœuretquejen’avaispasledroitdeluientenirrigueur,nidelejuger,grimaça-t-il,avantdesecouerlatête.J’aibiencruquetonfrèreallaits’étoufferderagequandjeluiaiditça.Pis, je suis simplement reparti, sans demander mon reste. Ensuite, au fil des mois, on s’estprogressivementrapproché.Ças’estfaitdoucement,naturellementpourainsidire.Ilvoulaitsavoirpourquoijedétestaistellementlesfemmes,etmoijevoulaissavoirpourquoiilaimaittantsasœur.Defilenaiguille,ons’estfaitquelquesconfidences,par-ci,par-là.Etc’estfinalementdevenumonmeilleurpote.Etvice-versa.QuandDrewestsorti,sixmoisavantmoi,onaconvenudeseretrouveràl’université.Jesavaisquej’allaisêtrecatapultédansleWisconsin,chezmongrand-pèrematernel,etDrewnevoulaitpasresterenVirginie.(Ly’haussalesépaules,fataliste.)Ons’estditquec’étaitunendroit comme un autre. Personne ne connaissait notre passé, ici. Pas plus à notre arrivée quemaintenant.Toutcequelesgenssavent,c’estqu’onaétéenmaisonderedressement.Lepourquoiducomment,toutlemondel’ignore.Lesgensspéculent,évidemment,maisenréalité,ilsnesaventrien.Etc’esttrèsbienainsi.C’estcequ’onvoulait.Etc’estcequ’onaeu,conclut-ild’unevoixégale.Jedéglutispéniblementavantdemelancer.—Ettonpère?Tul’asrevudepuis?—Ilaessayé.Luietmabelle-mèreontdébarquéunjour,sansprévenir.Ilssesontpétrifiésquand

ils ont vu ce que j’étais devenu. (Un rictus méprisant déforma ses lèvres.) Exit le sac d’os. (Tum’étonnes,tiens!J’auraisbienaimévoirleurstronches…)Monpères’estrapidementreprisetilaquandmêmeessayédemefileruneraclée.Commejemesuispasvraiment laisséfaire, leschosesn’ontpastournécommeill’espérait.Résultat:ons’estretrouvéauposte,touslesdeux.Unevoisine,paniquéedenousvoirnousbattre,aappelélesflics.Mongrand-père,quis’étaitabsentéletempsdefairedeux-troiscourses,arappliquédèsqu’ilasu,avecl’ordonnancederestrictiondujuge.Çam’asauvélesmiches.Avecmesantécédents, j’étaisplutôtmalbarré.Mongrand-pèren’ayantjamaispublairersonanciengendre, ils’estfaitunplaisirdeleremettreàsaplace.Mabelle-mèreabeaueufairesonspeechhabituel,çan’aserviàrien.Ilsétaiententort,n’ayantclairementpasledroitdesetrouverlà,etcommemonpèrea,enplus,attaquélepremier,c’étaitdelalégitimedéfense.Lesflicsm’ont laissé repartirsansproblème,avecunsimpleavertissement. (Unsouriremachiavéliqueétira

leslèvresdeLy’.)Cequin’estpaslecasdemonpèrenidemabelle-mère.S’ilsremettentlespiedsici, àRiver Falls, ils risquent de passer quelques temps à l’ombre.Étant dans le collimateur de lajustice, ils se tiennent à carreau. Bizarrement, la prison ne les attire pas plus que ça. Même letestament demon grand-père, qui les a pourtant fait bondir au plafond, n’a pas réussi à les tentersuffisamment. Je doute qu’ils reviennent ici un jour, et ce n’est pas pour me déplaire. Bien aucontraire.Commejelecomprenais!Etdirequejepensaisquemonhistoirepersonnelleétaitl’unedespires

quifût.Jerevoyaissérieusementmonjugement.Etplutôtdeuxfoisqu’une.—Jesuissoulagéedesavoirqu’ilsn’ontplusledroitdet’approcher.Ly’haussalesépaules.—Mêmes’ilslefaisaient,jenesuispluslegaminquej’étaisjadis.Jesuiscapabledemedéfendre,

maintenant.Jen’endoutaispasuneseconde.Uneréputationcommelasienneétaitrarementusurpée!Avecunpassépareil,iln’étaitguèreétonnantqueLy’détestâtlesfilles.Jememordillaidenouveau

la lèvre inférieure, en lissant nerveusement le set de tabledevantmoi.Unequestionmebrûlait leslèvres,maisj’hésitaisàlaposer.—C’estàcausedetonpasséquetujetteslesfemmescommedevieuxkleenexusagés?Ma question avait fusé, vive et rapide. J’espérais qu’il l’avait comprise, car je n’aurais pas le

couragedelaposerunesecondefois.—EtceluideDrew.(Jerelevaivivementlatête,stupéfaite.Qu’est-cequemonfrèrevenaitfairelà-

dedans?)L’attitudedetamère,durantsonjugementetaprès,aconfirmécequejepensaisdéjà.Lesfemmesnesontpasdignesdeconfiance.Entreunebelle-mèrequibatetviolesonbeau-fils,etunemèrequi renie lachairedesachaire,çanedonnepasenvied’avoirune relationavecune femme.Autrequ’unebonnepartiedebaisedanslestoilettes,déclara-t-ilfroidement.Dumoins,c’étaitcequejepensaisjusqu’àcequejeterencontre,Annabelle.Je ne pus retenir une moue sceptique en me rappelant notre première rencontre. Ainsi que la

froideurdontilavaitfaitpreuveàmonégard.—Tudisçaparcequejesuislasœurd’Andy…—Non,pasdutout.D’ailleurs,quandjet’aivuepourlapremièrefois,jenesavaispasquetuétais

sa sœur. Ilm’avaitparléde toi,biensûr, etplusd’une foismême,mais jepensaisque tuavais lescheveuxbrunsetlongs.Trèslongs.Dumoins,c’étaitainsiqu’ilt’avaitdécrite.Jen’aisuquituétaisque lorsqu’ilme l’a dit, quelques instants après notre rencontre. Et à cemoment-là,Annabelle, jem’étaisdéjàforgémapropreopinionàtonsujet.Sanssavoirquituétais.J’arquaiunsourcil,dubitative.—Enmoinsdecinqminutes?— Annabelle, tu rayonnais de bonheur, de joie, de pureté, d’innocence. Tu étais la blancheur

incarnée.Monexactopposé.Jen’auraispasdûêtreattirépartoi,quiessidifférentedemoi.Pourtant,çaaété lecas.Je t’aivoulueaupremierregard,masouris.Aupremierregard, j’aisuque tuétaisdifférentede toutes lesautres.J’aisuque toi, tuétaisunique.Quetuétaisfaitepourmoi.Çaparaîtclichéetbateau,maistumeconnaissuffisamment,maintenant,poursavoirquejenemangepasdecepain-là.J’airessentiauxfondsdemestripesquetuétaisfaitepourmoi.Etuniquementpourmoi.(Sesyeuxvertmenthebrillaientdeconviction.L’intensitédesonregard, toutcommesesparoles,mefit

rougir.)Savoirquetuétaislasœurd’Andyn’afaitquerenforcercetteconviction.Etéviterquej’envienneauxmainsavecmonmeilleurpotepourunefille,ajouta-t-il,avecunepointed’humour.Jetentaidefairelepoint,suiteàsesdernièresrévélations,maisj’avaisénormémentdepeineàme

concentrer. Jeme forçai toutefois à essayer d’y voir plus clair.Ainsi, je lui avais plu au premierregard. Mais, dans ce cas, pourquoi avoir agi de la sorte avec moi ? Pourquoi ne pas m’avoirdraguée,commetoutmecnormall’auraitfait?Parceque,justement,Ly’n’aaucuneressemblance,deprèsoudeloin,avecunmecnormal,A.C’est

uncasàpart.Mouais,uncasàpartremplid’incohérences…Possible…Certain!—D’accord,murmurai-jelentement.Disonsquejetecrois,quandtudisquejet’aipluaupremier

coupd’œil.Maisdanscecas,pourquoi tuasagide lasorteavecmoi?Pourquoi tuasétéaussi…mesquin?Quand je repensaisà toutes leshumiliationsqu’ilm’avait infligées, j’avaisencoreplusdemalà

croirequ’ilétaitsincèrementintéresséparmoi.—Tudevaislevoir.Tudevaisvoirquij’étaisvraiment,Annabelle.Afinquetusachesoùtumettais

lespieds,etpourt’éviterdemauvaisessurprises.Etpis…jedevaissavoirsitupouvaism’aimermoi,telquejesuis,etpastelquetuvoudraisquejesois.Sij’avaisétédifférent, tuauraispucroirequej’avais porté un masque, que je t’avais joué la comédie ! Et ça, c’était tout simplement hors dequestion. Je suis ce que mon passé a fait de moi. Je n’aime pas les femmes, je ne leur fais pasconfiance. Ni maintenant ni jamais. Je ne serais jamais le gentil petit copain qu’on est ravi deprésenteràsesamiesetàsesparents.Jamais.D’autantplusque,celaditenpassant,jedétestetamère.Etjen’aipasl’intentiondejouerlacomédieetdeluifairecroirelecontraire.Maintenant,pourtoi,jesuis prêt à faire quelques efforts. (La mâchoire crispée, il crachait ces mots comme si c’était dupoison.) Je resteraipolietcourtoisensaprésence,mais ilne fautpasenattendreplusdemapart.Quantàtescopines,onverra.(Ilselevaetmetenditlamain.)Laseuleexception,c’esttoi,Annabelle.Etuniquementtoi.J’avais certainement loupé une partie de la conversation. N’est-ce pas le genre de discussion

qu’avait un couple ? Et si oui, à quel moment exactement en étions-nous devenus un ? Je ne merappelaispasavoirdonnémonaccordpourcela.Parcequet’espasintéressée,A,peut-être?Attends, laisse-moi réfléchir… Est-ce que je veux être la petite amie d’un mec qui déteste les

femmesetquivacertainementpassersontempsàmelancerdespiques?Bizarrement,j’aienviedeterépondre«non»…Vasavoirpourquoi…T’esentraindementir,A,cen’estpasbien…Pasdutout!Arrêtetonchar!Tucrèvesd’enviequecesoitsérieuxentrevous!Tupassestontempsàlebouffer

desyeux!Etturêvesdepouvoirfaireplus…Beaucoupplus…Jeprisuneprofonde inspirationetm’exhortaià lapatience.Saloperiedevoix intérieuredemes

deux!Pourquoimedisait-elletoujourscequejenevoulaispasentendre?

C’estpourmieuxt’aider,monenfant…Deplus,s’ilnetenaitpassincèrementàtoi, ilnet’auraitjamaisdévoilésonpassé.Argumentimparable.—Ly’,tumeparlesdequoi,là?dis-jetoutefois,enprenantlamainqu’ilmetendait.Ilm’entraînaàsasuite,verslasortiedelapizzeria,aprèsavoirjetéunbilletsurlatable.—Jet’aiditquejeferaiquelqueseffortsavectamère,sij’ailemalheurdelacroiserunjour,et

quepour tescopines, j’aviseraiaufuretàmesure.Jusque-là, jen’ai rienà leur reprocher,mais jesaiscombienlesfemmespeuventêtreperfides.J’attendsdevoir.D’accord.Cettefois,c’étaitsûretcertain,j’avaisloupéunpassage.N’est-cepasunepointed’espoirquejesens,là,danstonpetitcœur,A?Faites-lataire,Seigneurparpitié,faites-lataire!—Àquelmomentonestdevenuuncouple,Ly’?demandai-jed’unevoixlégèrementtremblante,

passûredelaréponsequej’espéraisentendre.Iltournalatêteversmoiethaussaunsourcil.—Àl’instantoùtum’aslaissét’entraînerdansmachambre.

*****

Dire que les révélations de Ly’ m’avaient prise de court, était bien peu dire en vérité. J’étaiscomplètementchambouléeetperdue.Jenesavaisplusquepenserdecemecquej’avaispourtantcruavoirparfaitementcerné.Maisunefoisdeplus,ilm’emmenaitlàoùjen’auraisjamaispenséaller.Imprévisibleétaitlemotquiledécrivaitlemieux.Ilétaitsystématiquementlàoùjenel’attendaispas.Enmettantlebordeldansmatêteparlamêmeoccasion.Depuisletemps,j’auraisdûyêtrehabituée.Malheureusement,iln’enétaitrien.Alorsmaintenant,j’étaislà,devantlaportedemonappartement,etjenesavaispasquoifaire.Telle

l’ombre maléfique qu’il prétendait être, il m’avait suivie et semblait attendre que nous entrions.Seulementmoi,jen’étaispascertainedevouloirlefaireentrerleloupdanslabergerie.Surtoutaprèsqu’ileûtaffirméquenousétionsuncouple.Dans quelmonde parallèle vivait-il donc ?On ne formait pas un couple simplement parce que

l’une des parties l’avait déclaré. C’était une décision qui se prenait à deux. Or, aux dernièresnouvelles,quiétaientdesplusrécentes,jen’avaisjamaisdonnémonaccordpourça.A, tu es en train de pinailler pour un détail insignifiant. S’il te l’avait demandé, ce qui n’est

clairementpassongenre,tuauraisdit«oui».Alors,arrêtedefairetamijauréeetinvite-leàentrer.Tuenmeursd’envie,etluiaussi.Lesdentsserrées,jedonnaiuneclaquementaleàmavoixintérieure.Nepouvait-ellepaslamettre

enveilleusedetempsàautre?Avouequecequitedérangevraiment,c’estplutôtquejet’aiepercéeàjour,unefoisdeplus.Cequi

tegêne,c’estqu’ilnetel’aitpasdemandéclairement…Etmêmesic’étaitvrai,cequin’estpaslecas,jenevoispasenquoicelateregarde.J’entendisleriretriomphaldemavoixintérieure.

C’estbiencequejedisais!Tuchipotessurdesdétailsinsignifiants,A!Arrêtedefairetagourdeetinvitetonmecàentrercheztoi.Cen’estpasmonmec.Alors,tourne-toietdis-le-lui.Je pris une profonde inspiration, pourme donner du courage, puisme tournai vers lemec qui

occupaitmespensées,etquisetenaitbientranquillementdansmondos.—Unproblèmeavectaclé,Annabelle?demanda-t-il,enmefixantintensément.J’ouvrislabouchepourrépondre,maisaucunsonnefranchitlabarrièredemeslèvres.Unefois

deplus,faceàlui,jemetrouvaissansdéfense.Alorsquej’auraisvoululuidemanderdemelaisserseule,jemetrouvaisdansl’incapacitétotaledelefaire.J’étaisprisonnièredesonregardvertmenthe.Oh,misère…—Quandtumeregardescommeça,masouris, j’aienviedetedévorer…,grondaLy’,avantde

plongervivementversmoi.Sa bouche captura la mienne, et je ne fis rien pour l’éviter. Ses lèvres se firent tendres et

caressantes,prenantleurtemps,joueuses.Alanguie,jemelaissaiallercontrelaporte,dansmondos,etLy’suivitlemouvementafinquenousnesoyonspasséparés,mêmeunbrefinstant.Sesmainssemirentencoupeautourdemonvisageetilmefitinclinerlatête,cherchantunmeilleurangle.Alorsquesonbaiserdevenaitplusintense,ilsepressacontremoiafindemefairesentirlaforce

de son désir. Cela me rendit toute chose. Un gémissement plaintif, à peine plus fort qu’un petitmiaulementdechaton,sefitentendre.Ilmefallutuncertaintempsavantdecomprendrequec’étaitdemoiqueprovenaitceson.—Oui,miaulepourmoi,monpetitchat.J’adoreça…,susurraLy’,toutcontremeslèvres.Il revint immédiatement à la charge, se servant de sa langue pour envahirmon territoire. Je le

laissaifairesansrésister.J’étaisvaincuedepuislongtemps,etsuffisammenthonnêteavecmoi-mêmepourlereconnaître.Ilexplorachaquerecoindemabouchecommesic’étaitlapremièrefois,etcelamegrisaencoreplus.Deleurvolontépropre,mesmainspartirentàladécouvertedececorpsquim’avaittantfaitsaliver.

Impatientes,ellesseposèrentfébrilementsursespuissantspectorauxetensavourèrentladureté.Puisellesglissèrentendirectiondusud,verssessavoureusestablettesdechocolat.Tantdetentationschezuneseulepersonne…çadevraitêtreinterdit!Ly’m’agrippafermement leshanchesetmesoulevasansprévenir,mettantainsiun termeàmon

exploration. Mes jambes se verrouillèrent autour de sa taille, tremblantes, et lui me pressa plusdurementcontremaporte.—J’aienviedetoi,masouris…Sesmainsseposèrentsurmesfessesetlespressèrentsansménagement.Unroulementdehanches

m’arrachaunautremiaulement.Lapreuvetangibledesondésir,chaudementlogéeentremescuisses,frottait contre mon pelvis, provoquant une humidification quasi immédiate. L’une de ses mainsremonta lentement le longdemoncorps,alorsquesabouche,elle,descendaitprogressivementendirectiondemagorge.Ildévoraitmoncoudebaisers,m’arrachantfrissonsurfrisson.—Tuaimes,masouris?chuchota-t-il,toutcontremagorge.Sonsoufflechaudmefittressaillir.

—Oui…Unmurmurequitiraitsurlegémissement,àpeineaudible.Ils’arrêtadanslecreuxdemoncou,àlanaissancedemonépaule,etplantadélicatementsesdents

dansmachair.Desétoilesclignotèrentderrièremespaupièrescloses.Ungrésillementparcourutmoncorps,s’arrêtantàlajonctiondemesjambes.Seigneur,quec’étaitbon!Samain,ayantentraînémonpullavecelle,atteignitenfinmapoitrineets’yarrêta.Sonpoucefrôla

délicatementuntéton,quiseraiditimmédiatementenréponse.—Çaaussi,tuaimes?Incapable de répondre, troublée plus que de raison entre ses mordillements et ses délicieuses

caresses,jehochaivaguementlatête.Ilseredressaetplongeasesirisvertsdanslesmiens.Unpetitsourireétiralentementseslèvres.—Alorslasuitedevraitteplaireencoreplus,masouris…Ses longsdoigts s’infiltrèrentdansmon soutien-gorgeet l’écartèrentdélicatement, libérantmon

seingauche.Ilsepenchaetengloutitlapointefièrementdressée.Unnouveaumiaulements’échappademagorge.Salanguemetaquinait,merendantfollededésir.Etalorsquejemedisaisquejenepourrais connaîtredeplusgrandplaisirquecelui-ci,Ly’medonna tort,une foisdeplus.Samains’affairasurmonseinjusque-làdélaissé,lelibérantdesaprisondedentelle.Ils’enoccupaaussitôt,lemordillantdoucement.Mesmainsvolèrentdanssescheveuxetmesdoigtss’yagrippèrentfermement.Maisaulieudel’éloigner,commej’enavaiseul’intention,elleslemaintinrentenplace.J’avaisl’impressiond’avoirquittélaterreetdenagerdansunocéandeplaisir.Toutcequinous

entouraitavaitdisparu.Iln’yavaitplusqueLy’etmoi.Ainsiquelessensationsextraordinairesqu’ilfaisait naître enmoi.Mes hanches se balançaient dans un rythme soutenu et je n’avais plus aucuncontrôlesurmoncorps.Ilnem’appartenaitplus.Ly’l’avaitrevendiqué;jen’avaisrienfaitpourl’enempêcher.Encetinstant,j’étaisentièrementsienne.Etj’adoraisça.Quandsabouchequittafinalementmapoitrinepourremontersensuellementlelongdemagorge,

ungrognementplaintifm’échappa.—Chut,masouris,chut…Jevaism’occuperdetoi…,promit-ilenatteignantmeslèvres.Sa main, qui jusque-là était restée verrouillée sur mes fesses, longea sensuellement ma hanche

droitepours’arrêterà l’oréedemon jean,àhauteurdubouton.Ellesuivit lentement le longde lacouture,nes’arrêtantqu’unefoissonobjectifatteint:lecroisementdesquatrecoutures.Sonpoucecommençaàfairedesva-et-vient,dehautenbas,lelongdelacouturecentrale.Cesimplegestemerenditencoreplusfollededésir.—Ly’…—Oui,masouris?—S’ilteplaît…Jesentissonsourirecontremeslèvres,avantqu’ilneredescendelelongdemagorge.Ils’arrêta

unenouvelle foisà la jonctiondemoncouetdemonépaule. Je frissonnaid’anticipation.Samainquittabrusquementmonentrejambe,m’arrachantunfroncementdesourcils.Qu’est-ceque…

Lajouissancemepritparsurpriseetdéconnectabrutalementmesfonctionscérébrales.J’étaisauseptièmeciel,commeondit,et jenepouvais rienfaired’autrequedeprofiterde l’instantprésent.Moncorpstressautait,j’enavaisvaguementconscience,maistoutcequim’importaitvraiment,c’étaitleplaisirquidéferlaitenmoiparvagues.Lorsque je fus à nouveau capable de penser, jeme souvins vaguement que Ly’m’avaitmordu,

laissanttrèscertainementunemarquesurmapeausensible,etqu’ilavaitbrusquementsaisimonjeanpourletirerverslehaut.Lefrottement,vifetintense,delacouturecontremonclitoavaitprovoquél’explosiondemonplaisir.Rienqued’yrepenser,jemeremisàfrissonner.Un baiser, aussi léger qu’une aile de papillon, me tira de ma rêverie et me fit paresseusement

ouvrirlesyeux.Unsourirebéatflottaitsurmeslèvres.—Bonjour…,ronronnai-jed’unevoixrauque.UnpetitriresecouaLy’etsesyeuxbrillèrentdeplaisir.—Bonjouràtoiaussi,masouris…Jememordillai la lèvre,soudainintimidée.Puis jemerappelaissoudainementqueluiétaitresté

insatisfait. Mon front se rembrunit. Bien que mes pensées soient encore incohérentes, et pourcertainesau-delàdufirmament,jesavaisquejenevoulaispaslelaisserainsi.Cen’étaitpasjuste.Jevoulais qu’il ressentît lemême plaisir quemoi. Je tendis unemain légèrement tremblante dans sadirection.Ill’interceptaavantquejenepuisseletoucher.—Non,ma souris, protesta-t-il en secouant lentement la tête. Si tume touches, je ne serais pas

capabledemeretenir.—Mais…ettoi?Ilappuyasonfrontcontrelemienetm’adressauntendresourire.—Jepeuxattendre.Etjeveuxattendre,Annabelle.Cettefois,c’étaitpourtoi.Etuniquementpour

toi.—Mais,pourquoi?voulus-jesavoir,complètementperdue.Cen’estpasjuste…—Acceptececadeaupourcequ’ilest,masouris:uncadeau.Jenedemanderien.Jen’attendsrien

enretour.Jevoulais juste tefaireuncadeau.(Ildéposaunnouveaubaisersurmes lèvres,avantderemettredel’ordredansmatenue.)Sais-tuquenoussommestoujoursdanslecouloir?Àcesmots,jebondislittéralement.Jechassaisesmainsetcachaitoutcequidevaitl’êtreenjetant

des regards frénétiques autour de moi. Seigneur ! Nous étions au beau milieu du couloir del’immeuble.N’importequelsvoisinsauraientpunoussurprendre.J’étaiseffaréeparmonattitude.Alorsquejeluilançaiunregardaccusateur,Ly’arquaunsourcil,avecunpetitsourirenarquois.—Jetel’aidit,Annabelle.Jeneseraisjamaislegentilpetitcopainqu’onahâtedeprésenteràses

parents. (Il posa un doigt sur mes lèvres lorsque j’ouvris la bouche pour protester.) Mais je nelaisserai jamaispersonne te surprendredansunmomentpareil. (Sesprunellesbrillèrentd’unéclatfarouche.)Cequiestàmoi,jelegardeetjeleprotègejalousement,masouris.Et…(Ilsepenchaets’emparademeslèvresdansunbaiserpossessif.)Tuesàmoi.

Chapitre23

J’avaispassélanuitàmetourneretàmeretournerdansmonlit.Encoreetencore.J’avaisvulesheuresdéfiler,lesunesaprèslesautres,sansparveniràtrouverlesommeil.Pourtant,celui-ciauraitétéplusquebienvenue!Maisnon,rienàfaire.Ilm’avaitfuietmêmelesmoutonsn’avaientpaspum’aider.J’avaisarrêtédecompteràmille,passablementfrustréeeténervée.Voisleboncôtédeschoses,A,celat’aaumoinspermisderéfléchiràlasituation.Ça,pourréfléchir,c’étaitsûrquej’avaisréfléchi!Enmêmetemps,iln’yavaitpaseugrand-chose

d’autreàfaire…Oh,allez!Nefaispastarâleuseprofessionnelletoutes-catégories-confondues.Gnagnagna,petitemaligne.Noncontenteden’avoirpasputrouverlesommeilréparateurtantdésiré,j’avaiségalementdûme

coltiner lesremarques(ohcombienindésirables)demacharmantevoixintérieure.EtLy’par-ci,etLy’ par-là. Ma tête était proche de l’explosion. Qui aurait cru, deux mois plus tôt, que ma voixintérieure,cettetraitresse,deviendraituneferventepartisanedeLy’?Certainementpasmoi!Jenet’aipasentendueteplaindre,hier…Ehvoilà,c’étaitrepartipouruntour!Qu’est-cequejedisais?A,cequit’énervevraiment,c’estquej’aiseulementsoulignédesévidences.Agaçant.Terriblementagaçant.Maistellementvrai…Jetehais!Maisoui,maisoui…Jeferaiscommesi,A.Juré.Seigneur,qu’avais-jefaitpourmériterça?Ehbien,tuessimplementtombéeamoureused’unbad-boy,A.Toutdesuitelesgrandsmots.Quiaditquej’étaisamoureusedeLy’?Euh…moi!N’importequoi!Vraiment?Alorsc’estquoi touscespapillonsquivoltigentquandtupensesà lui?Etc’estquoi

cettepetiteboulequiprendnaissancedanstonventreencemomentmême?Cen’estpasmoiquilesinvente,toutdemême…Je fermai les yeux etmepinçai l’arête dunezpourm’extirper au calme. J’avais déjà enduré ce

débat durant la nuit.Quatre ou cinq fois, je ne savais plus exactement. Il était absolument hors dequestionquecelarecommençâtunesixièmefois.Uneseptième,A.Etsituadmettaistoutsimplementtessentiments,nousn’aurionspasbesoind’en

débattreunefoisdeplus.Admetsquej’airaisonettoutlemondes’enporteramieux.J’étais sur le point d’ordonner âprement à ma voix intérieure de se taire, quand je réalisai

pleinementcequej’allaisfaire.Horsdequestion.Non,nonetnon!!!Jenemelaisseraispasentraîner

dansunnouveaudébat.Unclaquementdedoigts,justesousmonnez,mefitbrusquementsursauter.Oh…bonsangdebois!—Hey,t’esdanslalune,toi,cematin!Ont’aappeléaumoinstroisfois,Marj’etmoi…JeblêmisencroisantleregardintriguédeKim.Eh,merde!J’avaisétéàdeuxdoigtsdedévoilerà

mes meilleures amies que j’étais cinglée. Décidément, la journée commençait mal. Une dignecontinuitédelanuit,ensomme.— Excuse-moi, marmonnai-je en fronçant les sourcils, et en secouant vaguement la tête pour

m’éclaircirlesidées.J’étaisperduedansmespensées.—Ouais,ça,onavaitremarqué.Etjemepermetsdetedirequet’asunesalegueule,toi,cematin.

Jenetedispaslesvalisesquet’assouslesyeux.LaremarquedeMarj’n’étaitpasvraimentunesurpriseensoietnem’appritdoncrien.Jesavais

trèsbienàquoijeressemblais:àrien.—Nuitblanche,grommelai-jedemauvaisegrâce.KimetMarj’échangèrentunregardentendu.—C’estlefaitd’avoirrendez-vousavecLy’quitemetdanscetétat?Oul’arrivéeimminentedeta

mère?Deuxchosesmepercutèrentconsécutivement.Premièrement:commentpouvaient-ellessavoirquej’avaisrendez-vousavecLy’?Jeneleuravais

pasparlédenotresoiréed’hier,etellesnepouvaientpassavoirqueLy’voulaitpasserl’après-midiavecmoi.Niquej’avaisaccepté.Deuxièmement : j’avais complètement oublié que ma mère venait samedi. Pourquoi me

rappelaient-ellesceproblèmesupplémentairedontjemeseraisbienpassé?Parcequesesonttesamies,etqu’ellesveulentt’aider,A.Toutsimplement.Brillantedéduction.Etcertainementexacte.Pourquoin’yavais-jepaspensétouteseule?ParcequetoncerveauestHSsuiteàtanuitblanche,A.Trèsjuste.Ungémissementm’échappa.J’étaisvraimentengalère.Pitié,donnez-moiunecordeetuntabouret!—Soyezsympa,lesfilles,nemeparlezpasdemamèreaujourd’hui.Jen’aivraimentpaslatêteà

penseràça.J’aid’autresproblèmes,bienplusurgents,avouai-jeenmefrottantlesyeux.Direqu’hier,jeprétendaisexactementlecontraire!Unyo-yoseraitplusfacileàsuivrequemoi!—Okaaaayyyy.Doncc’estLy’,déduisitMarj’,entirantunetaffesursaclope.Jelevailentementmesprunellesbleufoncéverselle,intriguée.—Commenttusaisça?Ellearquaunsourcilparfaitementépiléetmelançaundrôlederegard.Avais-jedudentifriceséchéauxcoinsdeslèvres?Oh,bonsang!Ilnemanqueraitplusqueça!Je

vérifiairapidementduboutdel’index.Rienàsignaler.Ouf!

—Toi,tun’esvraimentpasdanstesbasquets,aujourd’hui…Sansblague…—Qu’est-cequitefaitdireça?Ellepointamonbrasgauchedudoigt.—T’aspristoncasque.Jedoutequecesoitjustepourlefun.Eh,merde…S’ilyavaiteuunmurdanslesparages,jemeseraiscognélatêtedessus.Violemment.Etplusieurs

fois.—Donc,Ly’ettoivousallezfaireunebaladeaprèslescours?demandaKim,avecunpetitsourire

encoin.J’étaisfoutue.Complètement,totalement,irrémédiablementfoutue!Pitié!Achevez-moi!—Ouais…,avouai-jed’unevoixhésitante,m’attendantàêtreassailliedequestions.Lamatinées’annonçaitnoire.Encore.Oh,misère!—Est-ceunproblème?LavoixcoupantedeLy’claquacommeuncoupdefouet,meprenantparsurprise.(Celle-ci,jene

l’avais pas vu venir !) La température ambiante sembla chuter de dix degrés et le sourire deconnivence de mes amies se flétrit instantanément. Pour la première fois depuis que je lesconnaissais,jelesvismalàl’aise.J’écarquillailesyeux,incrédule.C’étaitàpeinecroyable.Mais deux copines, ces deux folles-dingues, rougissantes et gênées ? Avant de devenir blanche

commeneige…Hallucinant!—Non,non…pasdutout…,soufflaKim,quiétaitsurlepointdetournerdel’œil.Ly’s’arrêtaàmescôtésetenroulaunemainpossessiveautourmanuque.Leregardqu’ilposasur

mesamiesétaitpeuengageant.Pournepasdirecarrémenthostile.—Tum’envoisravi,déclaraLy’,d’untonnarquois.—Ly’,s’ilteplaît,murmurai-jeenposantunemaintremblantesursapoitrine.KimetMarj’étaientmesamies.Messeulesamies.Lesmeilleuresquisoient.Jenevoulaispasqu’il

agît de la sorte avec elles. Sans être obligé de les apprécier, il pouvait faire l’effort d’être poli.Malheureusement,encroisantleregardglacialdutigrequ’ilétait,jesentismoncourages’effilocher.Leboutdunezdemasourisnetardapasàsortirdesontrou.Pathétique.LamâchoiredeLy’secontractaetilpoussaunsoupirexcédé.Ilsepenchaversmoietenfouitson

visagedansmoncou.—Jet’avaisprévenue,masouris.Tescopinesdevrontfaireleurspreuves.Jeneseraispasgentil

avecellesuniquementparcequ’ellessontprochesdetoi.Tueslaseuleexception,gronda-t-ilenmemordillant.Unfrissonmeparcourutetjelesentissourirecontremagorge.Ilsavaitparfaitementl’effetqu’il

mefaisait,etbiensûr,ilenjouaitetenabusaitàsaguise.Cemecétaitvraimentdangereuxpourmasantémentale.

—Jesais…,gémis-jedoucement.Maisest-cequetupeuxaumoinsêtrepoliavecelles?Cesontmesseulesamies,Ly’…Jeneveuxpaslesperdre…Une bordée de juronsme parvint et je déglutis péniblement en croisant ses prunelles pâles. Le

muscle de sa joue frémissait, comme s’il menait un dur combat intérieur. Il finit par inclinerlégèrementlatête.—Onverra…, grommela-t-il entre ses dents serrées. (Il se tourna versKim etMarj’, qui nous

fixaientavecdegrandsyeuxglobuleux.Aumoins,ellesavaientreprisquelquescouleurs.C’étaitbonsigne.PrionspourqueLy’nelesleurfîtpasperdre…)Situmeprésentaisofficiellementtescopines,pourcommencer,masouris?Comprenantquec’étaitsamanièreà luidefairedesefforts, je luiadressaiunsourireétincelant.

«Merci»,articulai-jesilencieusement.Etpourunefois,sonregardnoirmelaissaindifférente.Unegrandepremière.(Décidément,çan’arrêtaitpas!)—VoiciKimberly.EtMarjory,dis-jeenlespointantdudoigtàtourderôle.Ly’haussaunsourciletmelançaunregardencoin.—Etmoi?Tunemeprésentespas?—Neleprendspasmal,maistuesconnucommeleloupblanc,Ly’.Etencore,c’étaituneuphémisme.—L’unn’empêchepasl’autre.Maiscen’estpascettepartie-làdelaprésentationquim’intéresse

vraiment, Annabelle. (Devant mon air perplexe, il pinça les lèvres. Aïe ! Je venais de faire uneconnerie, visiblement.) T’as toujours honte demoi ? siffla-t-il, le regard flamboyant, lamâchoirecontractée.Lecadeaudelaveillepritsoudaintoutsonsens,etlalumièrefut,enquelquessortes.Unebouffée

dechaleurmesaisitàcesouvenir,pourlemoins«hot».Seigneur,cen’étaitpaslemomentd’avoirdetellespensées!Mesjoueschauffèrentdemanièretrèsprévisibleetjememordillainerveusementlalèvre.Encore.Oserai-jeledire?Illefaudraitbien…Letonfroidetincisifquevenaitd’utiliserLy’mefaisaitcomprendrequejepossédaislepouvoir

deleblesser.Etmêmeméchamment.L’idéedemevengermetraversabrièvementl’esprit,jedevaisbienleconfesser,maisjenem’yattardaipas.Là,devantmesamies,j’étaisenfinprêteàreconnaîtrece que j’avais nié jusque-là. Avec un acharnement certain. Seulement, parfois, il fallait savoirreconnaîtresadéfaite,pourmieuxremporterlavictoirefinale.Etcefutcequejefis.Excellentedécision,A!Jesuistellementfièredetoi!Tum’étonnes,tiens!Aprèslebalquetum’asfaitcettenuit,ilauraitplusmanquéquetutrouves

quelquechoseàyredire!Quellemauvaiseopiniontuasdemoi,A.Jesuisblessée…Etmoi,j’ensuistrèsaffectée…Méchante!Merci!—Ly’etmoisommesensemble.(Direqu’ilétaitmonpetitcopainoumonpetitamimesemblait

gnian-gnian,etcelane luiallaitpasdu tout.Jechoisisdoncuneappellationplusvirile.Deplus, le

terme«petit-ami»étaitconsidérécommeringard.)C’estmonmec.Court.Clair.Précis.Etviril.(Nel’oublionspas.)Ducoindel’œil,jevisMarj’s’étoufferavecsaclopeetKimsebrûlerlesdoigtsenvoulants’en

allumerune.Cependant,jen’yprispasvraimentgarde.Toutcequicomptait,c’étaitlajoieinfiniequejepouvaisliredanslesyeuxvertsquimefixaientavecuneintensitétroublante,etpourtantfamilière.Je sentis samain, jusqu’alors agrippée fermement àma nuque, plonger dansmes courtesmèchesrougesetm’attirerbrusquementàlui.—Oh,oui!Jesuistonmec…,susurra-t-il,avantdem’embrasseràpleinebouche.

*****

J’étaissurlepointd’entrerdansleréfectoirepourboireunboncafébienchaud,enattendantqueLy’eût finisescours, lorsque jesentisunbrasseglissersous lemien,avantdes’enroulerautour.Alorsquejetournailatête,etcroisaileregardmalicieuxdeMarj’,jesentisunemainenserrermonbrasdroit.Inutilederegarder,jesavaisdéjàquimetenaitainsi.Çaauraitététropbeauquej’arriveàleséviterjusqu’aulendemain.—Jecroyaisquevousaviezcours,àcetteheure-ci,lesfilles…,dis-je,pluspourlaformequedans

l’espoird’avoiruneréponse.Réponsequejeconnaissaisdéjà.Lesvilainescurieuses!!!LeriredeKimrésonnadanslacafétéria,lorsquenousyentrâmes.—Nousavonsjugéplusimportantd’avoirunepetitediscussionavecnotrecop’s…— Je dirais même plus, ajouta Marj’ en pouffant comme une gamine, nous avons jugé cela

primordial.Jelevailesyeuxaucielengrimaçant,comprenantquejen’ycouperaispas.Bienque,enréalité,

j’aieeutrèspeud’espoirdepasserentrelesgouttes.Jeconnaissaisquandmêmemesdeuxcopines!Ainsileurcuriositélégendairequandilétaitquestiondegarçons.—OK.Maisj’aibesoindecaféine.Jesuissurlesréservesdepuisplusd’uneheure.—Jenesuispassûredevouloirsavoircequetuasfaithiersoirpourêtrefatiguéeàcepoint…—Riendecequetuimagines…,maugréai-jeenfusillantKimduregard.Ellelevavivementlesmainsensigned’innocence.Pfff,tuparles!«Kim»et«innocence»danslamêmephrase?Cherchezl’erreur…—Jedisaisçacommeça,Anna…Celaétant,avecunétaloncommeLy’…Marj’mitvivementunemainsursabouche,interrompantleflotdeparolessalassesquiétaitsurle

pointd’ensortir.—Ils’agitdeLy’,Kim,bordel!Sers-toidetatêtepourunefois,situveuxpasserlanuit!Jen’ose

mêmepas imaginersaréactionsicequetuétaissur lepointdedire luirevenaitauxoreilles.Bienqu’ilsoitavecAnna, jedoutequecelal’ait transforméenpetitchatoninoffensif!Tuasbienvuce

matin,nomdetonnerre!Ilyaplusdechancequ’iltransformeAnnaendragonquelecontraire!UnpointpourMarj’.Même si je n’avais strictement rien en commun avec un dragon. Une souris grise qui se

transformaitsoudainendragon…Pfff,mêmepasenrêve!Pourtant,jesuissûreetcertainequetuadoreraisça!Quin’aimeraitpasêtreundragon,enmêmetemps?…Etquivoudraitêtreunepetitesourisgrise,

tremblanteetinsignifiante?Unpointpourmoi.—Mmmmhmmmm…Mmmhmmmmhmmm…Mhhmmmh…MMMHHHHMMMM…Marj’haussalessourcilsetsetournaversmoi.—Tuascomprisunmotdecequ’ellevientdedire?Jememordisviolemmentlalèvrepournepaséclaterderire.—Non.Mais, enmême temps, parler alors qu’on a unemainposée sur la bouche, ce n’est pas

évident…,pouffai-jeensecouantlatête.Marj’gloussa,avantdesetournerversKim.—Oh!Tuessaiesdecommuniqueravecnous…D’aaaaacooooorrrrd.Attends,jevaistelibérer.

Histoire que nous autres, simples mortels, puissions te comprendre…, dit-elle d’un toncondescendant,endélivrantlaprincipaleintéressée.Kimlafoudroyaduregard,avantdes’essuyerlaboucheavecundégoûtapparent.— Pauv’e fille ! Et pour ton information personnelle, vu que visiblement t’es clairement sous-

informée, je tiens à souligner que je sais très bien avec qui Anna est en couple et que je saispertinemment à quoim’attendre de la part de sa terriblemoitié. (Comme toujours,Kim débita çad’unetraite.Etmoi,j’enrestaibaba.Riendenouveausouslalune.)Cen’estpasmoiquiapasséunenuitblancheetquin’apastouteslesconnexionsactives!Non,mais!Kimvirevoltaetm’empoignafermementparlebras,metraînantsansménagementàsasuite.—Troiscaféspourlaune!cria-t-elleàMarj’,sansseretourner.J’adressaiuneminecontriteàcettedernière,quilevalesbrasaucielavantdesedirigerversles

machinesàcafé.Kimsurpritmonregardetpinçaleslèvres.—Net’avisepasdeprendresonparti,Anna!Sinon,çavachierdansleventilo!Mevoilàdoncprévenue. Jegardai soigneusementmespenséespourmoietprismonair leplus

innocent.—Jecroyaisquetunejuraisjamais,Kim…Estomaquée,ellemepointad’undoigtrageur.—C’estl’hospicequisefoutdelacharité!Peut-être.— En même temps, moi je n’ai jamais prétendu que je ne jurais pas, dis-je avec mon ton

«premièredeclasse».JevislittéralementdelafuméesortirdesnarinesfrémissantesdeKim.Houla,çachauffaitgrave!

—J’hallucine!Madamemeprendlatêtepouruntoutpetitgrosmotderiendutout…—Nan.Jeneteprendspaslatête.Dutout.Jefaisaisjusteuneconstatation…(Surunmalentendu,

çapourraitmarcher.)—Mouais…Àd’autres!(Oupas.)Okaaaayyyy,d’accooooord.UnpointpourKim.Etsauferreurdemapart,nousétionsmaintenantexaequo.Zutdeflûtedecrottedebique.Lapartieétaitplutôtmalengagée.Pourqui?Ehben,jediraispourtouslesparticipants.(Avecune

optionsurmatête.Pourquoi?Uneintuition,commeça…)Maintenant que je l’avais bien chauffée, lui libérantmême un boulevardmenant droit àmoi, je

m’attendaisàcequeKimouvrîtleshostilités.Surlequi-vive,lesfessesperchéessurl’extrêmeborddemachaise, j’attendais la première salve.Tendue àbloc, sur les starters, j’étais prête à esquiver.Pourtant, j’eus beau attendre, riennevint. Perplexe, je lui jetai un regardprudent.En croisant sonregardbrun,rivésurmoi,jecomprisquecen’étaitqu’unequestiondetemps.Lamanièredontellemedisséquaitminutieusementmelefitamplementcomprendre.L’esquiven’étaitfinalementpasuneoptionenvisageable.Aucunechancequecelafonctionnecettefois-ci.Elleressembleàungrosmatouentraindejoueravecunetoutepetitesouris…Mavoixintérieuren’auraitpasputrouverd’imageplusappropriée.J’étaissurlepointdemefaire

dévorertoutecrue,jen’endoutaispas.Nerveuse,jememisàpianoterduboutdesdoigtssurlatable.Maisqu’est-cequ’elleattendait,nomd’unepipeenbois?Quejeparle lapremière?Mêmepasenrêve!—Ehvoilàtroiscaféspourlaune!claironnajoyeusementMarj’,ennousrejoignant.Voilàcequ’elleattendait,A.Lesrenforts…Eh,merde…Le nez plongé dansma tasse de café, je tentai d’ignorer, quoique sans grand résultat, les deux

vautours qui me faisaient face et qui guettaient le moindre de mes faits et gestes. Leur attitudecommençaitsérieusementàmetapersurlesnerfs,pourtant,jen’osaispasdégainerlapremière.Quandonn’avaitpastouteslescartesenmain,onattendaitquesonadversairedévoilâtsonjeu.—Bon…,commençafinalementMarj’,enmeregardantparendessous.Situnousdisaisunpeuà

quelmomenttuespasséede«moivivante,jamaisjenefréquenteraiceténergumènedeLy’»à«Ly’etmoisommesencouple.C’estmonmec,quoi…»Mortifiée, j’ouvris labouchepourmedéfendre,avantderéaliserque, justement, iln’yavaitpas

grand-choseàdire.Moi-même,jen’arrivaispasàm’expliquercechangementpourlemoinsradical.—Siseulementjelesavais…,marmonnai-jedansmabarbe,avantdemecognerlefrontcontrela

table. J’ai toujours trouvéquec’étaitun saleconarrogant,qui se la jouait foismille, et jem’étaisjuréedel’évitercommelapeste.Malheureusement,commec’estlemeilleurpotedemonfrère,voussavezquejen’ysuisjamaisparvenue.Etcen’estpasfauted’avoiressayé,pourtant!Enmêmetemps,allez savoirpourquoi, j’ai toujoursété…(jedéglutispéniblement, ayantde lapeineàavouermon

attiranceimmédiatepourlui)attiréeparlui.Jepourraisprétendrequec’étaituniquement…physique,mais…çaseraitunénormemensonge.Soncôté«bad-boy»m’attiraitaussicertainementquelemielattirelesabeilles.(Incapabledecroiserleregarddemesamies,jepréférairesterainsi,levisagecollécontrelatable.Misérable,jusqu’auxboutsdesongles.)Tantqu’ilétaitmesquinavecmoi,j’arrivaisàcombattrecetteattirance,oudumoinsà lamaîtriser.Enfin…unpeu.Etpis,à la fêted’Halloween,quelquechoseachangé.Ilétait…différent.Çam’aperturbéeet…unechoseenentraînantuneautre…onaunpeuflirté…Non, mais la litote du siècle ! Tu n’as pas honte de proférer de telles absurdités ?! « Un peu

flirté»…Unpeuflirté…Maisqu’est-cequ’ilnefautpasentendre!Jen’osepasimaginercequiseproduiraquandvousyirezsingulièrement!Punaise…Vautmieuxêtresourdequed’entendreça…Suiteàlatiradedemavoixintérieure,jefermailesyeuxetgrinçaidesdents.Nepouvait-ellepasse

taire une fois dans sa vie ? La situation était déjà bien assez gênante sans qu’elle en rajoutâtinutilement!Biendécidéeàl’ignorer,jepoursuiviscommesiderienn’était.—Quandj’airéalisécequej’avaisfait,honnêtementlesfilles,j’aigravepaniqué.Jesuispartieen

quatrièmevitesse,sansdemandermonreste…—Ouais,ça,onavaitremarqué,avouaKim.Onabienpenséqu’ils’étaitpasséuntrucpourquetu

filesaussivite.Pisl’humeurdechiendeLy’,aprèstondépart,n’afaitquerenforcernotreconviction.LesparolesdeKimmeforcèrentàreleverlentementlatête.Jemepréparaiàvoirduméprisoudes

reprochesdanssonregard,maisiln’enfutrien.Aucontraire.Ellesemblaitêtreheureusepourmoi.Incroyable.Cettefilleestvraimentchelou…—Vousvousdoutiezqu’ils’étaitpasséuntruc?Marj’sepenchaenavantetpritdoucementmamaindanslasienne.—Anna,lamanièredonttulebouffaisdesyeux,dèsquetupensaisquepersonneneteregardait,

additionnéeà sonattitudeà lui…Bien sûrqu’on savaitqu’il s’étaitpasséquelquechose !Maisonattendaitquetunousenparles…Honteuse,jebaissailesyeux.—Jen’aipasosé…Avecsaréputation…Jenesavaispascommentvousavouerquejem’étaisfait

avoir,moiaussi.Cen’estquecematin,quandilm’ademandésij’avaishontedelui,quej’aicomprisàquelpointj’étaisvraimentspécialeetàpartpourlui.(Enfait,jel’avaiscomprislaveille,lorsqu’ilm’avait parlé de son passé.Mais je ne pouvais pas le dire àmes copines. Jamais je ne trahirai laconfiancequeLy’avaitplacéeenmoi.Jamais!)J’aiaussipleinementréalisél’importancequ’ilavaitprisdansmavie.(J’eusunpetitriresansjoie.)Ilm’afalluletemps,maismaintenantjesuisprêteàlereconnaîtreentoutehonnêteté.Ly’etmoi,onestensemble,dis-jeenrelevantfièrementlatêteetenregardantmescopines,droitdanslesyeux.

Chapitre24

Tout en me dirigeant tranquillement vers la sortie de la salle de classe, je me remémorai lesderniers événements. Chose que je faisais systématiquement depuis deux jours. Je m’étais mêmepincéeplusd’unefois,vérifiantainsiquejenerêvaispas.Etjen’arrivaistoujourspasàcroirequemescopinesavaientacceptéaussisimplementmarelationavecLy’.Niqu’ellesnenousavaientvuslundi!Cesvilainesnem’enavaient riendit le lendemainet j’avaisdûattendremercredi,aprèsmafracassanterévélation,pourqu’ellesmel’avouent!Jen’enrevenais toujourspas.Moiquicroyais,certes naïvement, qu’elles n’en avaientmême pas entendu parler…Étant aux premières loges, nulbesoind’écouterlesrumeurs,effectivement.Autempspourmoi!Dire que j’avais craint de leur avouer ma faiblesse. Si j’avais su, cela m’aurait évité quelques

tourments!J’étaistellementpersuadéequ’ellesneverraientpasmarelationavecLy’d’unbonœil,quejem’étaispréparéeàunduretlaborieuxcombat.Aveclaréputationdeprofiteurinvétéréqu’étaitcelledeLy’,difficiledefaireautrement.C’enavaitétépourmesfrais.Rien.Absolumentrien!Sicen’était«onlesavait».J’avaisvraimentdesamiesformidables.Formidable!Tuétaisformidable,moij’étaisfortminable…nousétionsformidables!Oh,Seigneur!JeserrailesdentsetmaudisVince,pourlaénièmefoisdelajournée,dem’avoirfaitécoutercette

chansondeStromae,un chanteur français, et pourme l’avoir traduite, accessoirement.Depuis,mafoutue voix intérieure saisissait la moindre occasion pour fredonner (chanter à tue-tête) ce fichurefrain!Çacommençaitsérieusementàmecourirsurleharicot.Pourtant,j’évitaisoigneusementdelui dire de se taire,même si l’envie nemanquait pas, sachant pertinemment que cela provoqueraitl’effetinverse.Dieum’enpréserve!Je claquai violemment la porte à ma voix intérieure et me plongeai dans un souvenir

particulièrementagréable.(Etnonpasformidable,carlesconséquencespourraientêtreterribles.)Formidable!Tuétaisformidable,moij’étaisfortminable…nousétionsformidables!Voilà exactement ce que j’avais voulu éviter… Comment avait-elle fait pour le savoir et pour

rouvrirlaportequejevenaisàpeinedefermer?Cettevoixintérieureallaitmerendrechèvreavantl’heure.Zutdeflûtedecrottedebique.Jemarquai une courte pause, en prenant soin de ne pas rester au beaumilieu du passage. Il ne

manqueraitplusqu’onme rentrâtdedans ! Je fermaibrièvement lesyeux, le tempsdeprendreunelongueetprofondeinspiration.Ly’.Si j’arrivais à me replonger dans le merveilleux après-midi que nous avions passé ensemble

mercredi,jen’entendraispluscettemauditevoixintérieure.Jerougisviolemmentet frissonnaideplaisirenmerappelantcequenousavionsfait.Celaavait

commencéavecde tendrescâlins,pour finirparuneétreinteplus… torride,dirons-nous.Mêmesi

nousn’avionspasencorepasséàl’acteensoi,nousnenousétionspasarrêtésbienloin.Pournotreplusgrandplaisir.Plusvitetusortirasdubahut,plusvitetuserasànouveaudanssesbras,A.Exacte.Ly’etmoiavionsprévudepasser lasoiréeensemble.Unedernièresoiréede tranquillité

avantl’arrivéedudragonCampbell.Georgianadesonprénom.Àsavoir,machèreettendremaman.Youpi!Jenecachaissurtoutpasmajoie…Letonquetuemploies,ainsiquetesdoucesparoles,sonnefaux,A.Ons’enfout!Ressassercommeça tarancœurn’estpasbon,A.Çarisquemêmede t’exploserà la figure, si tu

continues.Etcen’estpasvraimentcequetuveux,n’est-cepas?TamèreauradéjàassezfortàfairequandelledécouvriratarelationavecLy’.Unpetit gloussementm’échappa et je secouai lentement la tête enme remettant en route.C’était

bienvrai.Mamèreallait…(monsourires’effaçad’unblocetunepierretombadanslecreuxdemonestomac)flippergrave.Elleseraitmêmecapabled’arrêterdemepayermonappartpourmeforceràrentrerenVirginie.Pourmesétudes,l’annéeétaitdéjàpayéeet,aupire,jepouvaistoujoursarrêter,cen’étaitpasunproblème.Maissijen’avaisplusdetoitau-dessusdematête,jeseraisgravedanslapanade.AndyetLy’netelaisserontjamaisàlarue,A.Ilsteproposerontdevivreaveceux.Donct’inquiète,

tamèrevacontinueràtepayertonappart.Ellen’accepterajamaisl’idéequetupuissesvivreavecLy’ETAndy.Pasfaux.Maislabatailles’annonçaitrude.J’avaispenséàpasmaldechosesconcernantmamère,

cesderniersjours,maispasdelamanièredontjedevraisluiannoncermarelationavecLy’.Savenueétaitvraimentunecatastrophe.Entouspointsdevue.Tupourraiséventuellementlaluicacher…Non,ça,c’esthorsdequestion.Pourquoi?Pourdeuxraisons.Lapremière:jen’aipashontededirequejesuisavecLy’.Deplus,iln’estpas

unmauvaispetitsecretquejeveuxcacher.Cetemps-làestrévolu.Ouah,tum’impressionnes!Enbien,A.Jesuisfièredetoi.Merci.Etlaseconde?Ly’nel’accepteraitjamais.Bienvu.LeplusdureallaitêtredeconvaincreLy’quejedevaisannoncerlachoseendouceuràmamère.

Parceque, il fallait être honnête, la délicatesse etLy’, ça faisait joliment unmillion !Aubasmot.Donc,engros,çacraignaitgravesurcecoup-là.Je sortis du bâtiment central etme dirigeai vers le parking, perdue dansmes pensées.Entrema

mèreetLy’, jenesavaispaslequelétait lemoindremal.Après,si jemebasaissurmessentimentsactuels,j’auraistendanceàprendrelepartideLy’.Onsedemandebienpourquoi,tiens!

Jevisquemonmecm’attendait,chevauchantdéjàsabécane,etjehâtailepaspourlerejoindre.—J’aicruquetut’étaisperdue,masouris…Unmincesourireétiralentementmeslèvres.Lapatiencen’étaitpaslavertupremièredeLy’.Moi,jetrouvequ’ilaétédrôlementpatientquandiltefaisaitlacour,A.Fairelacour.Iln’yavaitquemavoixintérieurepourutiliseruneappellationaussivieillotte.—T’aurais-jefaitattendreplusquederaison?letaquinai-je,avantdel’enlacer.Ilarquaunsourcil,puismepinçalesfessesenreprésailles.—Attendsqu’onsoitàlamaison,masouris,ettuvasvoircequetuvasvoir…—Ouhouhouhouhou…J’aipeur…,memoquai-je,avecbonhomie.Depuismercredi,ils’étaitpassédeux-troistrucsassezincroyables.Petit un : j’avais découvert, non sans malice, que je pouvais taquiner Ly’ sans encourir de

représailles.(Misàpartbaisersetcaresses,cedontjeraffolais.)Petitdeux:masourisgrisesemblaits’êtreretiréedansunecontréelointaine,pourmonplusgrand

plaisir ! Je croisais lesdoigtspourqu’elley restât jusqu’à la finde ses jours. (Mavoix intérieuren’étaitpasaussioptimiste.Pourvuqu’ellesetrompe,pourunefois!)Petittrois:mescopinesetmoiavionsétéadmisesàlatabledeLy’.Enréalité,nousn’avionsguère

eu le choix. Sa demande avait plus sonné comme un ordre que comme une invitation. (Rien denouveauensoi.)Cefutlapausedemidilaplussilencieusedemavie,Marj’etKimn’ayantpaspipéunmot durant tout le repas.Heureusement, la glace avait fondu cemidi grâce àmon frère. (Il nefallaitpastropenattendredeLy’dececôté-là!)Ouais,depuismercredi,ils’étaitpassépleindetrucs.Souriant de ma bonne fortune, une fois n’étant pas coutume, je mis mon casque et montai

rapidementderrièreLy’,sansdeluilaisserletempsdemerépondre.Jem’agrippaifermementàluietposaimajouecontresondos.J’étaisbien,etprêtepourunenouvellebalade.Ly’fitvrombirlemoteuretdémarraauquartdetour.Onétaitparti.

******

Aprèsavoirpasséunepartiedelasoiréeavecmonfrère,autourd’unexcellentrepas,Ly’etmoinous retrouvâmes dans sa chambre. Tendrement enlacés, allongés sur son lit, nous profitions del’instantprésent.Ou,plusexactement,Ly’profitaitpleinementdel’instantprésent,alorsquemoijetentais,unefois

encore,devaincremaphobie.Lecombatétaitarduetloind’êtregagné.Carsij’étaisdeplusenplusàl’aiseencompagniedemonmec,ayantvainculapeurqu’ilmefaisaitassezrapidement,iln’enétaitpasdemêmeconcernantKayla.Rienquel’idéedemeretrouverdanslamêmepiècequecettebestiolemehérissaitlepoil.J’avaisbeausavoirqu’elleétaitenferméedansunterrarium,lesimplefaitqu’elleyfûtmeglaçaitlesang.LaprésencedeLy’étaitcertesréconfortanteetmepermettaitdenepasmetransformerenstatuede

glace, mais elle ne m’aidait pas à vaincre ma phobie. Je savais au fond de moi que j’étaisirrationnelle,mais je ne pouvais rien y changer. Cettemaudite araignéeme tétanisait. Etmenaçaitsérieusementlebondéroulementdelasoirée.Ouplutôt,delafindesoiréequej’avaisenvisagée.—Détends-toi,ma souris, elle ne va rien te faire, soufflaLy’, tout contremon oreille. Elle est

enferméedansuneprisondeverreetnepeutpasensortir.—Mouais, ce n’est pas exactement ce que tu m’as dit la dernière fois…, maugréai-je, en me

raidissantàcesouvenir.Un long frisson me traversa et me secoua le corps. Les bras de Ly’ resserrèrent leur emprise

autourdemoi.—Etqu’est-cequej’aiditladernièrefois?demanda-t-ild’unevoixhésitante.Jeplissailesyeux,nesachantpass’ilétaitsincèreous’ilsemoquaitgentimentdemoi.Décidant

quecelan’avaitpasvraimentd’importance,jechoisisderépondreàsaquestionleplusnaturellementpossible.—Ehben,tum’asditqu’avantdepartagerleterrariumdeNorbert,elleavaitl’habitudedesefaire

lamalle, commeondit.Ducoup,çaneme rassurepasvraiment.Parceque, soyons réalistesdeuxminutes,çaveutdirequesielleveutsortir,ellepeutparfaitementlefaire.Imaginequ’elledécidedesefairelabellecesoiretqu’elleveuillevenirvoircequ’onfaittouslesdeux,surtonlit?Unmégafrissonmeparcourutàcettehorriblepensée.Aupointquej’étaisàdeuxdoigtsdebondir

horsdulit,etdelachambreparlamêmeoccasion.Jesentaisdéjàcespetitespattespoiluessurmapeau.Brrrrrr.Stopdetefairedesfilms,A.Tuvastepourrirlasoirée,situcontinuescommeça.Etparextension,

celledeLy’.Non, mais imagine qu’elle le fasse ? Qu’elle sorte de sa prison pour venir nous rejoindre ?

Imagine…Okaaaayyyy,d’accoooord!Bonjourlaparano.Enimaginantqu’elles’évade,bienquecelarelève,

àmonhumbleavis,dumiracle,peux-tumedirepourquoidiableelle viendrait sur toi?Lespetitesbêtesontpeurdesgrosses!Ilyazérorisquequ’elleviennesurtoi.Zéro.Mouais,tudisça,maisenréalitétun’ensaisriendutout!Toinonplus.Pasfaux.Mavoixintérieureavaitraison,unefoisencore.Aurais-jeunjourlederniermot?Pas

sûr.—Oh!Etqueverrait-elle?Jeclignai rapidementdespaupièresen réalisantqueLy’m’avaitparlé.Seigneur!Entretenir une

conversation avecma voix intérieure et une autre avec Ly’ n’était pas chose facile. C’était mêmecornélien.Misère.—Quiverraitquoi?répétai-jebêtement,ayantperdulefildenotrediscussion.JesentisLy’seredresserdansmondos.Jel’imaginaiparfaitemententraindefroncerlessourcils.—Qu’est-cequeKaylaverraitsiellenousrejoignaitsurlelit?

Unebouffée de chaleurm’envahit soudain, reléguantKayla en second plan. Jeme sentis rougirjusqu’àlaracedescheveux.—Oh!Oh!Querépondreàcela?—J’ai de vastes propositions…Toutes plus intéressantes les unes que les autres…et toutesme

plaisenténormément…,rétorquai-je,lesoufflerauque.JesentisleslèvresdeLy’mepicorerlanuque.—Tuastoutemonattention,masouris.Continue…Unpetitgémissements’échappademeslèvresquandlesmainsdeLy’trouvèrentlalisièredemon

tee-shirtetpassèrentdessous.—Ellepourraitnoussurprendrealorsque tumecaresses…,murmurai-je faiblement,ensentant

sesmainsremonterlelongdemescôtes.Unpetitgrognementapprobateurmerépondit.—Çameplaît,coquine…Continue…Jeréalisai,terriblementgênée,queLy’voulaitquejeluidonnelesdirectivesàsuivre.Oh.Mon.Dieu.—Ellepourraittevoirentraindememordillerlecou…,proposai-je,biendécidéeàjouerlejeu.Petitejoueuse.LesdentsdeLy’vinrenttaquinerlecreuxdemagorge,commedemandé.Jememordillailalèvre

inférieurepournepasmiaulerdeplaisir.—Queverrait-elled’autre?Jedéglutispéniblementavantderépondre.—Tesmainssousmontee-shirt,entraindemecaresser…Cen’estpasencoreça,A,maisleniveauremonteprogressivement.Peut-êtrequedansuneheuretu

aurastrouvélecouragedeluidemandercequetuveuxvraiment…Oupas…LesmainsdeLy’reprirentleurascension,ettrouvèrentlespetitsmontscachéssouslefincotonqui

recouvraitlapartiesupérieuredemoncorps.Illesempauma,avantdelessoupeser,toutencontinuantàdévorermagorgedepetitesmorsures.—Çameplaîtencoreplus,masouris…Continue…—Enlèvemontee-shirt…,ordonnai-jed’unevoixcasséeparlesurplusd’émotions.Seigneur, si j’étaisdéjàdans cet étatmaintenant, alorsquenousvenions àpeinede commencer,

qu’enserait-ilaprès?Jen’osaisl’imaginer.—Lesdésirsdemadéessedesenferssontdesordres…Ly’empoignalebasdemontee-shirtetlefitvivementpasserpar-dessusmatête.Lesyeuxfermés,jeprismoncourageàdeuxmainsetm’éloignaidemonfuturamant.Àgenoux

sur le lit, jepivotaipour lui faire face.Je l’entendisprendreunevive inspiration,maisn’osaispasouvrirlesyeux.C’étaitpeut-êtrepuéril,maisj’appréhendaisénormémentsaréaction.

—Putain, ceque t’esbelle ! lâcha-t-il soudain, avantdeprendremonvisageencoupeentre sesmains.Ouvrelesyeuxetregarde-moi,Annabelle.Jesoulevailentementmespaupières,surladéfensivemalgrélecomplimentquiluiavaitéchappé.

Maislorsquejecroisaiunregardvertmentheparticulièrementlumineux,jecomprisquemescraintesavaientétévaines.Unlentsourireétirameslèvresetjemepenchaimachinalementversluipourluivolerunbaiser.Baiserqu’ilm’accordabienvolontiers.Ilsereculaetmeforçaàleregarderdroitdanslesyeux.—Annabelle, tu es la plus belle chose qu’ilm’ait été donné de voir. La plus belle.Ne sois pas

gênéedevantmoi.Jamais.J’aimeteregarder.Etj’aimeencoreplusquetumeregardesteregarder.Ilbaissalesyeuxsurmapoitrine,encoreprisonnièredeladentelletransparentedemonsoutien-

gorge,etprituneviveinspiration.Ilentraçalecontourduboutdesdoigts.—Jepeux?Je hochai la tête, incapable de parler. Si nous avions partagé un délicieux câlin, plutôt chaud,

mercredi,aucundenousn’avaitenlevésesvêtements.Meretrouvernuedevantlui,mêmes’ilm’avaitassuréqu’ilaimaitcequ’ilvoyait,merendaitincroyablementnerveuse.Unmincesourireapparutsursonvisage,commes’ilavaitconsciencedemondébatintérieur.—Tupréfèresquejecommence?(Jelevaiunregardsurprisetperduverslui.Voyantquejene

comprenaispas le sensdesaquestion, ilyapportauneprécisionplusquebienvenue.)Aimerais-tuquejemedéshabilleenpremier,masouris?Sansattendrederéponse,ilsedéfitdesontee-shirtblanccassé.Etlesconnexionsdemoncerveau

serompirent.Cen’étaitpaslapremièrefoisquejelevoyaistorsenu,évidemment,maisladernièrefois je n’avais pas vraiment eu le temps d’en profiter pleinement. Sous le choc, je le dévorailittéralementdesyeux.Cemecétaitvraimentuneœuvred’artàluitoutseul.Mesmainsselevèrentd’elles-mêmesetcaressèrentlespuissantspectorauxqu’ilvenaitdedévoiler.

Pasunpoilàl’horizon.Ilétaitentièrementimberbe.Unvéritableenchantementpourlesyeux.Jeneme lassai pas de le regarder ni de le caresser. Mes mains parcouraient inlassablement chaquecentimètrecarrédececorpsmagnifique.Jefixaiavecaviditésesmuscles,quisecontractèrentaufuretàmesuredemadécouverte.Ilétait

toutaussitroubléquemoiparmesmodestescaresses.Enhardies,mesmainsglissèrentlelongdesesflans,effleurantàpeinesestablettesdechocolatqui

tressaillirentsurleurpassage.Unefoisleurobjectifatteint,ellesmarquèrentunecourtepause.Puis,l’unaprèsl’autre,lesboutonsdesonjeansautèrent.Ellessaisirentensuitelafermetureéclairqu’ellesfirentcoulissertrèsdoucement.J’écarquillailesyeuxenréalisantqueLy’neportaitpasdesous-vêtement.Modecommando.—Masouris,tumetues…,gémit-ilquandmesdoigtslelibérèrentdesaprisondetoile.Jenerépondisrien,mecontentantd’enroulermesdoigtsautourdelachairdouceetsoyeusequeje

venaisdelibérer.Ly’était…imposant.C’étaitlemoinsqu’onpuissedire.Ilétaitégalementbrûlantetdur.Uncocktailexplosif.Jeremontaimamaindelabaseàl’extrémité.LarespirationdeLy’sefitpluslourdeetplusrapide.

Quandj’enfrôlaileboutdemonpouce,jel’entendiss’étrangleravecsasalive.—Bordel,Annabelle…

Cesmots,prononcésd’unevoixhachée,me fouettèrent le sang.Laboule,dans lecreuxdemonventre,semitàfairedessaltosarrière.Jeletouchaietpourtantc’étaitmoiquiétaissurlepointdeprendrefeu.Soudain, l’envie de goûter sa peau à cet endroit précis me saisit. Incapable d’y résister, je me

baissai.Jefiscourirmalanguesurleboutveloutédesonmembrefièrementdressé.Unarrière-goûtsaléenvahitmonpalais.Pasdésagréable,maissurprenant.—Masouris,gronda-t-ilenmesaisissantbrusquementlanuque.Choisissantd’ignorerl’avertissement,jepoursuivismonexploration.J’ouvrislaboucheetlepris

progressivement.Detempsàautre,jefaisaistournoyermalangue.Ensentantsamainsecontractercontrema nuque, je compris rapidement ce qui lui plaisait. J’entamai donc un long va-et-vient. Jeprenaismontemps.Lelibérantcomplètement,pourpassermalanguesurleboutdesongland,avantdelereprendre,chaquefoisunpeuplusprofondément.Jusqu’àlesentirtaperaufond,àlalimitedemagorge.Il jura et son corps se raidit. Samain quittama nuque pour plonger dansmes courtes boucles

rouges.Unefoissûrdesaprise,iltira,meforçantainsiàlelibéreretàmeredresser.—Suffit,Annabelle.Cen’estpascequej’aiprévupourcesoir,affirma-t-il,avantdebondirhors

dulit.Mes yeux se rivèrent sur le magnifique dragon qui ornait son dos. Cela faisait longtemps que

j’espéraispouvoir lerevoir.Et l’admirer toutmonsaoul.Malheureusement,celaneseraitpaspouraujourd’hui. J’avais trop longuement titillé le tigrepourqu’ilme laissât faireplus longtemps.Dèsquesonjeanseraitenlevé,cequinesauraittarder,lejeuseraitpourainsidireterminer.Dumoins,mapartie.Dommage…j’auraisbienaiméredessinercemerveilleuxprédateurailé.Laprochainefois.(Après

tout,ceneseraitpaslesoccasionsquimanqueraient…)Sonjeanglissa,dévoilantunjoliderrièrerondetferme.Commejel’avaisprésumé,laqueuedu

dragonterminaitsacoursesurlafessegauchedeLy’.Oh.Mon.Dieu!C’étaitdetoutebeauté!Bouche bée, je le vis se tourner pour me faire face. Langue pendante, je fixai son membre

fièrement érigé et réalisai, stupéfaite, qu’il était encore plus imposant que je ne l’avais cru. Jemepassaiinconsciemmentlalanguesurleboutdeslèvres.Monmecétaitvraimentparfait.Posantdeuxdoigtssousmonmenton,ilmefitreleverlatête.—Lespectacleteplaît,masouris?demanda-t-il,d’untonmoqueur.Attends,tuasunpeudebave,

justelà…Jelefoudroyaiduregardalorsqu’ilfaisaitmined’essuyerlecoindemeslèvres.Rends-luilamonnaiedesapièce,A.Lève-toietdéshabille-toi.Unsouriremachiavéliqueétira lentementmes lèvres. Jequittai le lit,àmon tour,etdéboutonnai

mon jean. Dos à Ly’, je le fis glisser le long demes jambes avant deme pencher en avant pourl’enlevercomplètement.(Jeveillaibienànepasfléchirlesjambes,afindeluioffrirlameilleurevuepossible.)Ausonétrangléquej’entendis,jecomprisquemonpiègeavaitparfaitementmarché.Ly’avaitlesyeuxrivéssurmoncul.Jeluifisfacepourenleverlerestedemeshabits.Àsavoir,messous-vêtements.Ledésirsemblaitcrépiterautourdenous;Ly’faisaitcourirsesprunellespâlessurtoutmoncorps,

nesachantvisiblementpasoùs’arrêter.Ilsepassaunemainlégèrementtremblantesurleslèvres.Jem’avançaiversluietessuyaidélicatementuncoindesabouche.—Attention,tubaves…Ilrelevabrusquementlesyeuxversmoietsesirisjetèrentdeséclairs.Jenesuspasexactementcomment,maisjemeretrouvaiallongéesurledos,danslelitdeLy’.Ce

derniermesurplombait,enappuisursesbrastendusdechaquecôtédematête.— Si tu savais l’effet que tu me fais, ma souris… Si tu savais… (Il se pencha et m’embrassa

doucement,avantdemordillermalèvreinférieure.)J’aienviedetoi.Monventresecontractaenréponseetlatensionsexuelledelapiècegrimpaenflèche.—Moiaussi,j’aienviedetoi…,avouai-jelesoufflecourt.Sonnezfrôlalelongdemagorgeetilenmorditlecreuxsensible,àlanaissancedemonépaule.

J’arquai les hanches en réponse,me frottant sensuellement contre lui. Il gronda etmemordit plusfort.— Je ne peux plus attendre, ma souris… Je le voudrais, vraiment, mais je ne peux plus. Je te

veux…Jeteveuxmaintenant,Annabelle.Maintenant…—Alors,prends-moi…Ly’seredressavivementetattrapaunpréservatifdanssatabledechevet.Ill’enfilaenvitesse,avant

derevenirs’allongersurmoi.Il taquinames lèvresde lapointede la langue,avantde la laisserglisser le longdemoncou. Il

chercha, et trouva, la pointe demes seins. Il les suçota et lesmordilla jusqu’à ce que j’ondule demanièrefrénétique.Monpelvisfrottaitcontresonmembre,chaudementlogéentremescuisses.Ilsemitàtrembleretsesmainsdescendirentpourempoignerfermementmesfesses.Ilfrottasonbassincontrelemien,merendantfollededésir.Rendueivreparsescaressesincessantes,jemecambraisouslui,cherchantàsoulagerlaboulede

feuqui avaitprisnaissanceà la jonctiondemescuisses.Ly’demeura intraitable, et continuaàmetorturersanspitiéaucune.Jegémissais,jemiaulais,j’implorais.Horsdecontrôle,jevoulaisquelquechosequin’étaitpasà

maportée.Me prenant finalement en pitié, Ly’ se décida à me donner ce que je réclamai avec une telle

assiduité.Ilglissaunemainentrenoscorpsetenfonçadélicatementundoigtenmoi.Ilattenditquejem’habitueàcettenouvelleintrusion,avantdebouger.Ilfocalisasonattentionsurmesseins,tétantetmordillanttouràtour.Quandjemeremisàbougerleshanches,ilvitlàlesignequ’ilattendait.Sondoigtcoulissaenmoi,d’abord lentement,puisdeplusenplus rapidement.Unseconddoigt

rejoignitlepremier.—Plus,Ly’,j’enveuxplus…S’ilteplaît…Ilretiradélicatementsesdoigtsetmeregardadroitdanslesyeux.—Tuessûre,masouris?Jehochaivigoureusementlatêteennouantmesmainsderrièresanuque.—Jeteveux,Ly’.S’ilteplaît…

Il m’embrassa à pleine bouche. Sa langue jouait contre la mienne, la taquinant, la provoquant.Quandilmelibéra,j’avaislesoufflecourt.Sesprunellespâlesviséesauxmiennes,ilpritplaceentremes jambes,me faisant lesécarterdavantage.Sonmembreérigé frottacontremonclito.Une fois.Deux fois. Puis ilme pénétra.Doucement. Lentement. Il s’enfouit enmoi de quelques centimètres,avantdes’arrêter.Prenantmonvisageencoupeentresesmains,enappuisursescoudes,Ly’sepenchaversmoiet

m’embrassaànouveau.Avecunegrandedouceur.—Situastropmaletquetuveuxarrêter,ilsuffitdemeledire,masouris.Etonarrêtetout.OK?Adorable.Cemecétaittoutsimplementadorable.—Jet’aime…,soufflai-jeduboutdeslèvres,lesyeuxbrillantsdelarmesàpeinecontenues.Ly’ m’embrassa profondément en empoignant fermement ma cuisse, pour remonter ma jambe

autourdesahanche.—Jet’aime…,chuchota-t-il,avantdedonnerunpuissantcoupdereins.Unevivedouleurmetraversaetjememordisviolemmentlalèvrepournepascrier.Putain,ceque

çafaisaitmal!Leslarmesquiperlaientauxcoinsdemesyeuxroulèrentlelongdemesjoues.Ly’s’arrêtaimmédiatementetlesessuyaduboutdesdoigts.—Situveux,onarrête,masouris…,proposa-t-ild’unevoixtendue.Son visage était crispé, ses lèvres pincées en unemince ligne. Les efforts qu’il faisait pour se

contenirétaientlisiblessursestraitstendus.Jeluiadressaiunpâlesourireetcaressaidoucementsajoue.—Çava,jet’assure,répondis-jeensecouantfaiblementlatête.Je savais que la première fois était douloureuse. Tout ce que j’espérais, c’était que la douleur

partiraitrapidement.Maisça,jelegardaipourmoietn’ensoufflaipasunmotàLy’.Sesirisvertmenthemescrutaientattentivement,cherchantàdéterminersi j’étaissincèreounon.

Ly’posadoucementseslèvressurlesmiennesetrecommençaàm’embrasseravecpassion.L’unedesesmainsglissaunenouvellefoisentrenoscorps.Ellecherchaitmonpetitboutonrosé.Sonpoucememassadoucement,jusqu’àcequejerecommenceàmetordresouslui.Le souffle haletant, Ly’me regardaitme tortiller sans bouger. Puis, avec hésitation, il se recula

lentement. Il marqua une courte pause, avant de plonger enmoi. Un cri passa le barrage demeslèvres,etmoncorpssetendit,allantàlarencontredusien.Ilgémitdeplaisir.—Masouris…Levisageenfouidanslecreuxdemoncou,ilsemitàonduler.Rapidement,madeuxièmejambe

rejoignit la première, ceinturant les hanches de Ly’. Y voyant un signe, ce dernier se redressa etempoignamesfesses,mesoulevantlégèrement,pourfaciliterlapénétration.Aprèsquelquesessais,iltrouvalabonnecadenceets’ydonnaàcœurjoie.Pluslesgémissementss’échappaientdemeslèvres,plusmatêteroulaitsursonoreiller.Jesentais

le plaisirmonter etme dévorer, petit à petit.Mesmembres semirent à trembler et je sentais quel’apothéoseétaitproche.Songoûtfruitéchatouillaitdéjàlapointedemalangue.Unedoucepromesseenivrante.

—Annabelle,hoquetaLy’,avantdemordreviolemmentlajonctionentremonépauleetmoncou.Desconvulsionsparcoururentmoncorpsalorsquejem’envolaisauseptièmeciel.JesentisLy’trembleràsontour,avantqu’ilnes’écroulâtsurmoi,m’étouffantàmoitié.Noscœurs

battaientlachamade,àl’unisson.Merveilledesmerveilles.Unepureperfection.Plusieursminutess’écoulèrent,peut-êtremêmedesheures,avantquenouspuissionsbouger.Ly’se

redressaetseretiradoucement.Seslèvresfrôlèrentlesmiennes,dansunetendrecaresse.—Parfait…C’étaittoutsimplementparfait,masouris…Ilmecaressa la joueetun sourire joyeuxétira ses lèvres, creusant sesadorables fossettes. (Qui

m’achevèrentunefoisencore.Cemec,monmecétaittropcanon.)Pasdedoute,j’étaisauparadis.— C’était même plus que parfait, approuvai-je en lui rendant son sourire. C’était… c’était…

formidable…Formidable!Tuétaisformidable,moij’étaisfortminable…nousétionsformidables!Jefermailesyeuxetretiensdejustesseungémissementdedépit.C’étaitcequis’appelaittomberduparadispourdescendredroitenenfer!

Chapitre25

Aprèsl’étreintetorrideetpassionnéequenousavionspartagée,Ly’meramenachezmoi.Mamèredevantdébarquerlelendemain,nousavionsjugéplusprudentd’yretourneravantdenousendormir.Avecelle,onnesavaitjamaisàquois’attendre.Ellepouvaitdébarquerenfindejournéecommeenmilieu dematinée.Heureusement, il n’y avait aucune chance qu’elle arrivât aux aurores.Mamèren’étaitpasspécialementdumatin.Cequisemblaitêtreuntraitdefamille.Du coup, Ly’ pouvait passer la nuit avec moi. Ce qui nous réjouissait autant l’un que l’autre.

Cependant, ne voulant pas spécialement être surpris par le terrible dragonCampbell, nous prîmessoindemettreleréveildebonneheure.Prudenceestmèredesûreté.Biendit,A!Tropfatiguéepourentamerunénièmedébat,futileetvain,avecmavoixintérieure,jefermailes

yeuxetluifitunpieddenez.Voixintérieure:zéropointé;Anna:un.Ettoc,danslesdents!Terriblement fièredemoi, jemecoulaidavantagedans lesbrasdeLy’,savourantpleinementsa

tendreétreinte.Encuillèredansmondos,ilmarmonnaunfaible«bonnenuit»avantd’enfouirsonvisagedansmescourtesbouclesrouges.Jem’endormislesourireauxlèvres,heureusecommerarementjel’avaisété.

*****

Une sonnerie agaçante et persistanteme tira progressivement des bras deMorphée. Je tendis lamainet,àtâtons,éteignismonréveil.—Cen’estpastrèsprudent,ça,masouris…LavoixrauqueetensommeilléedeLy’meparvintàtraverslesnuagesbrumeuxquienveloppaient

encoremoncerveau.Ilmefallutplusieurssecondespourendécrypterlesens.—Hein?soufflai-jedemanièrefortpeuféminine,enentrouvrantlespaupières.JesentisLy’roulersurmoi,avantquesamainnevîntcaressermajoue.—Mapauvrepetitedéessedesenferstoutensommeillée…Dois-jetefaireronronnercommeun

chatonpourt’aideràémerger?susurra-t-ilcontremeslèvres.Son baiser était doux, taquin, joueur. J’entrouvris la bouche pour lui livrer le passage. Il s’y

engouffrasanshésiter.Mmmmm,quellebellemanièredeseréveiller.—Encore…,réclamai-je,lorsqu’ilserecula.Unrireprofondvinttinteràmesoreilles.Quelledoucemélodie!

—Biensûr,masouris.Tesdésirssontdesordres.Surtoutdanscedomaine-là…Frimeur.Trèsvite, sesmainspartirent à ladécouvertedemoncorps. Je les sentisglisser le longdemes

épaulespourvenirépouserlacourbeparfaitedemesseins.Illesenveloppaavecpossessivité.— À moi, gronda-t-il en se reculant, fixant avec avidité les trésors que ses mains avaient

réquisitionnés.Rienqu’àmoi…Ses pouces se posèrent surmesmamelons fièrement dressés et semirent à y dessiner de petits

cercles. D’abord lascivement, puis de plus en plus vite. Quand ces derniers se transformèrent enpetitespiquespointues,illesemprisonnaentresespoucesetsesindex.Ledosarqué,jepoussaigémissementsurgémissement,ivrededésir,etparfaitementréveillée.—Encore,encore…,suppliai-jeenleitmotive.Ly’ levasesprunellesvertmentheversmoietmefixaavecunecertainearrogance.L’arrogance

d’unmecquisavaitqu’ildonnaitduplaisiràsafemme.Beaucoupdeplaisir.—Àquiappartiennent-ils?demanda-t-ilavecbrusquerie,avantdelespincerlégèrement.Lesoufflecourt,j’allaisàlarencontredesescaresses.J’envoulaisplus,bienplus.—Àtoi,Ly’,àtoi…Ilmepinça unpeuplus fort,m’envoyant des ondes de plaisirs dans tout le corps.Ondes qui se

rassemblèrentàlajonctiondemesjambesetydéclenchèrentdesspasmesincontrôlables.Plus,j’envoulaisplus.—Ly’,jet’enprie…Imperturbable,Ly’nebougeaitpas.Ilnefitpasungestepourmedonnercequejedésiraistant.—Ettoi,masouris,àquiappartiens-tu?Son tonautoritairemefit frissonner. Je tentaid’ondulerdeshanches,pourprovoquer la friction

tantattendue,maisLy’m’enempêchademanièreforthabile.Prisonnièreentresespuissantescuisses,jenepouvaisplusfairelemoindregeste.J’étaiscaptive.Sacaptive.La flamme qui me consumait flamboya de plus belle. Folle de désir, j’aurais pu promettre

n’importequoipourtrouverl’assouvissementquejeréclamaisàcorpsetàcris.—Àtoi,Ly’,àtoi…Seulementàtoi…Parolesprononcéessousl’effetdudésir,maisquin’enétaientpasmoinsvraies.EtLy’lesavait.Satisfait,ilaccédaàmademande……maispasdelamanièredontjelepensais,;dontjem’yattendais.Unefoisencore,ilmepritpar

surprise.Ses mains libérèrent lentement mes tétons, après les avoir pincés une dernière fois. Un

gémissementdefrustrationfranchitlabarrièreentrouvertedemeslèvres.—Non…Ignorantmafaibleprotestation,Ly’selaissaglisserlelongdemoncorps.Seslèvresfrôlèrentma

gorge,mapoitrine,monventre…ets’arrêtèrentàuncheveudemapetitecrêteérectile.Sonsoufflechaudlacaressa.Doucetorture.

Ilsepenchaet,commeauralenti,jelevisfrottersonnezcontremonboutonroséhypersensible.Oh,bonsang!—Écartelesjambes.Unordrelancéd’unevoixbasseetchaude.Unevoixquiagitsurmessensàfleursdepeauaussi

efficacementquesesensorcelantescaresses.Jetentaiinstinctivementdeserrerlesjambes,pourcontenirlespulsationsquitraversaientmonbas-

ventreàunrythmeeffréné.MaisleslargesmainsdeLy’m’enempêchèrent.Ungrognementdemécontentementsortitdesagorge.—Écarte.Les.Jambes.D’elles-mêmes,elless’ouvrirentlargement.—Bien.Ly’donnaunrapidecoupdelanguesurmapetitecrête.—Oh,bon…sang!!!Ly’relevaimmédiatementlesyeuxetplongeasonregardpâledanslemien.Ilinclinalatêtesurle

côtéetarquaunsourcil.Imagemêmedel’arrogancemasculine.—Tuasditquelquechose,masouris?Petitmalin.Je sentis son souffle caresserunenouvelle foismon intimité. Jeme tendis immédiatement, dans

l’attentedecequiallaitsuivre.J’attendis,maisriennevint.Unelueurdesurpriseaufonddesyeux,jeluilançaiunregardperplexe.Maisqu’est-cequ’ilfoutait?—Tuasditquelquechose,masouris?répéta-t-ilalors,seslèvresmefrôlantàchaqueparole.Gémissante,enveloppéedansunmondedeluxure,jemeretrouvaiincapabledeparler.Jesecouai

donclatête.Non,jen’avaisabsolumentriendit.Riendutout.Dansl’étatoùj’étais,celam’étaittoutsimplementimpossible.Ilfitdonccequejeréclamaisavectellementd’impatience.Sabouche enveloppamon clito ; sa langue le caressa, le titilla.Tantôt lente et caressante, tantôt

rapideetagaçante.Unmélangeexplosif.Renduefolle,incapabledememaîtriser,jememisàondulerdeshanches,avidedeplaisir.Moncorpsnem’appartenaitplus,jenecontrôlaisplusrien.Livréàlui-même, il allait à la rencontredeLy’.À la rencontreduplaisir incroyablequ’il lui donnait. Il étaitcommepossédé,envoulanttoujoursplus.Ledoscambréaumaximum,jedonnaiinconsciemmentunemeilleureouvertureàLy’.Glissantses

mainssousmesfesses,aprèsavoirrapidementfaitpassermesjambespar-dessussesépaules,Ly’medévoralittéralement.Délaissantmonboutonrosé,ilplongeasalangueauplusprofonddemoncorps.Bonsangdebois!Dieuquec’étaitbon…Il jouait avec mon corps comme un virtuose du violon. Je ne m’appartenais plus. J’étais

entièrement à lui. Soumise auxmoindres de ses envies, auxmoindres de ses désirs. J’étais sienne.Complètement. Totalement. Je ne subissais pas pour autant ses caresses, je les attendais, je lesréclamais.J’allaisau-devantd’elles.Plus,j’envoulaistoujoursplus.

Ly’seredressabrusquement;mesjambesglissèrentdesesépaules.Ilattraparapidementunedesprotectionsqu’il avaitnégligemment lancées surma tablede lui laveille et lapassaenun tourdemain.J’auraisvoulupouvoirprofiterpleinementduspectacle,maisjen’eneuspasletemps:ilmerecouvritdéjàdesoncorps.D’uneseuleetpuissantepoussée,ilmepénétra.Ungémissementsourdm’échappa.—Pardon,masouris,pardon…J’aimeraisêtreplusdoux,maisjenepeuxpas…Jenepeuxpas…,

ânonna-t-ilendonnantdepuissantscoupsdereins.Ilsaisitfermementmescuissesetlesreleva,m’indiquantainsiqu’ilvoulaitquejenouemesjambes

autourdeseshanches.Cequejefisimmédiatement,etsansmefaireprier.—Encore,Ly’,encore…Plusfort,plusfort…Rendufouparmesparoles,Ly’sedéchaîna.Agrippantfermementmesfesses,ilmesoulevapour

pouvoir me pénétrer plus profondément. Il était violent et rapide. J’en étais grisée de plaisir. Jecomprisalorsàquelpointilavaitétédélicatetdouxlaveille.—Pardon,pardon…,chuchotait-ilentrechaquecoupdereins.Jenesavaispaspourquoiilmedemandaitpardon,etjen’étaispasvraimentenétatd’yréfléchir.

Lessensationsqu’ilmeprocuraitétaienttellementintenses,tellement…bonnes,toutsimplement.Jen’étaispluscapabledepenser,etencoremoinsderéfléchir.Jen’étaisplusquesensations.Mon orgasmeme prit de court. Tel un éclair, ilme traversa.Vif et électrisant. Incapable deme

retenir, je poussai un véritable hurlement, alors quemon corps explosait en unmillier de petitesparticules.Lapetitemort.Jevenaisdesubirlapetitemort.Cetteexpressionpritenfintoutsonsens.Ly’seraiditàsontour,poussantungrognementétouffédans lecreuxdemagorge, ildonnaun

derniercoupdereins.Seules nos respirations hachées troublèrent le récent silence qui régnait dansma chambre. L’un

commel’autre,noustentionsderetrouvernotresouffle.J’eus vaguement conscience que Ly’ se détachait lentement de moi, reposant délicatement mes

jambestremblantessurlelit.Ilseredressaetmedonnaunbaiser.Douxetincroyablementsage.Unsimpleeffleurementdelèvres.Jeluilançaiunregardlangoureux.—Bienlebonjouràtoiaussi,monamour…Unrirelégersifflaentreseslèvres.—Bonjour,masouris.D’unpuissantcoupdereins,ilbasculasurlecôté.Ilsedébarrassadupréservatif,l’emballadansun

mouchoir qui traînait (encore !), puism’attira dans le cercle protecteur de ses bras. Ravie, jemecollaicontreluietposaimatêtesursalargeépaule.Épuiséeetincroyablementheureuse,jesentisunedoucetorpeurm’envahir.Tropfaiblepourlutter,jelalaissaim’emporter.

*****

Nousnousétionssansdouterendormistouslesdeuxcarquandjerouvrislesyeux,jevisqueles

rayons du soleil filtraient à travers les stores lamés, et partiellement baissés, de la fenêtre demachambre. Allongée sur le côté, Ly’ lové en cuillère dans mon dos, je sentais son souffle chaudcaressermanuque.Celam’arrachaunpetitfrisson.Jerougisviolemmentenréalisantque,mêmedanssonsommeil,ilétaitincroyablementpossessif

avecmoi.Sesmains étaient enroulées autour demes seins, lesmaintenant dansun cocon chaud etprotecteur.Possessif.Cemecétaitpossessif.Etj’adoraisça.Unebarredureet chaudeavait éludomicile entre les courbes rondeset charnuesdemes fesses.

Aux mouvements qu’elle faisait, comme parcourue de spasmes, je compris qu’elle aussi étaitparfaitementéveillée.Unlégersoupirm’échappa.LesmainsdeLy’secontractèrent,emprisonnantainsimesdeuxbourgeonsfièrementdressésentre

sesindexetsesmajeurs.Sonnezs’enfouitdansmescourtesbouclesrougesetseslèvresfrôlèrentmanuque.Unnouveaufrissonmetraversaetjeroulaiinconsciemmentleshanches.Sonmembreturgescent

selovadavantageentremesfesses.—Tuesunepetitecoquineinsatiable,masouris…,marmonnaLy’,avantdemordillertendrement

manuque.—Ly’…Sesdoigtsresserrèrentleurprise.—Moiaussi,j’aienviedetoi,petitecoquine…Uncoupdereinsprovocateuraccompagnacettedélicieusedéclaration.—Ly’,répétai-jelesoufflecourt,incapablededireautrechose.—Jevaisteprendrecommeça,masouris,par-derrière.(Oh,bonsang,oui!)Çateplairait?Bonsang,cettejournéecommençaitdemieuxenmieux.Blanche,blanche,blanche.Cettejournéepossèdetouteslesprémicesd’unejournéeblanche!—Dîtesmoiquejerêve!L’air sembla se figer dans la pièce. Nousmîmes plusieurs secondes avant de réaliser que nous

n’étionsplusseulsdansmachambre.Maisqu’est-cequec’étaitquecebordel?Nosregardspivotèrentverslepieddulit,etlà,levisagecrispéparlafureur,nousvîmesdequiil

s’agissait.GeorgianaMaryCarolaCampbell.Mamère.Enmode«dragonfoufurieuxpuissanceV».Charogne,quellepoisse!Noire,noire,noire.Cettejournéeserafinalementnoire.—AnnabelleMaryKatherineCampbell,peux-tumedireàquoitujoues?s’écriamamère,ivrede

rage.Qu’est-cequec’estqueça,bonDieu?(Ellenouspointasuccessivementd’undoigttremblant,Ly’etmoi.)EtparlaSainteViergeMarie,qu’as-tudoncfaitàtescheveux?Qu’est-cequec’estquecettehorriblecouleur?(Mamèreétaitestomaquée.Jenesauraisdirecequilachoquaitleplus.Ly’

oumanouvellecoupedecheveux?Peut-êtrelesdeux.)Avantquejenepuisserépondre,Ly’lefitpourmoi.Sontonincisifn’auguraitriendebon.—Etvous,onpeutsavoirpourquivousvousprenezd’entrericicommedansunmoulin?Cen’est

pasparcequevouspossédezunecléquevouspouvez fairecommechezvous.C’est l’appartementd’Annabelle, ici,et laplusélémentairedescourtoisesexigeraitquevoussonniezavantd’entrer. (Ilmarquaunecourtepause.)Quandàvosautresquestions,laréponsemesembleévidente:Annabelleestalléechezlecoiffeur.CQFD.Jenel’auraispasmieuxformulé.Ly’:deuxpoints;mamère:zéro.(Bienvenueauclub,

m’am!)Y’aquetoipourdéconnerdansunmomentpareil,A!T’espastoutenettedanstatête,c’estmoiqui

teledis!Évidemment,j’aiunevoixintérieure…Genre…Mamèreouvritlabouche,sidéréepartantd’audaces.—Pourquivousprenezvous,jeunehomme,pourmeparlerdelasorte?!Avez-vouslamoindre

idéedequijesuis?Ly’arquaunsourcil.—Uneempêcheusedetournerenrond?J’étouffaiungémissement,mortifiée.Cettepremièrerencontresedéroulaitencoreplusmalqueje

ne l’avais escompté. Je savais, bien sûr, que Ly’ ne portait ma mère dans son cœur, mais je nem’attendaispasàcequ’illuivolâtdanslesplumesdelasorte.Aprèstout,ilm’avaitpromisdefairedesefforts.N’est-cepasjustementcequ’ilfait,A?Ilpourraitêtrebienplusgrossierquecela…Surtoutqu’il

n’apastort.Tamèreauraitpusonneraulieudefairecommesielleétaitchezelle.Pasfaux.Depuis le temps,A, je pensais que nous étions tombées d’accord sur le fait que j’avais toujours

raison.Etmodeste,enplus.Jet’enprie.Décidée à calmer le jeu, je fis mine de me redresser, mais les bras de Ly’ se raidirent et son

empriseseresserra.Ilrefusaitdemelaisserpartir.—Jesuislamèred’Annaetjevousordonnedepartir immédiatement!Vousn’avezrienàfaire

ici ! (Surprenant le geste de Ly’, sa colère sembla prendre de l’amplitude.) Lâchez ma filleimmédiatement!Monténébreuxravisseureutunricanementmoqueur.—Premièrement,vousn’êtespaschezvous, ici,maischezAnnabelle.Vousnepouvezdoncpas

exigerquejeparte,nevousendéplaise.Deuxièmement,Annabelleadix-neufans, ilserait tantquevous vous y fassiez. À dix-neuf ans, elle est majeure et vaccinée. Elle n’a nul besoin de votreapprobationpourfréquenterquelqu’un.Troisièmement,siAnnabellesouhaitequejelalâche,commevous dîtes, elle me le fera savoir elle-même. Bien que cela vous contrarie grandement, c’est unegrande fille ; elle ne se cache plus dans les jupes de samère depuis longtemps. Et dernièrement,

heureusement pour elle, je ne suis pas d’un naturel impressionnable. Avec une mère aussienvahissantequevous,c’estunminimum.(Ly’sedétachafinalementdemoietseredressalentement,telunprédateursurlepointdebondirsursaproie.Ils’assitenveillantàcequejerestebiensouslacouette,entièrementcouverte.Protecteurjusqu’auxboutsdesongles.)Cependant,afindenepasgênerAnnabelleplusqu’ellenel’estdéjà,jeveuxbienconsentiràsortirdulitetàm’habiller.Dèsquevousserezsortiedelachambre,biensûr.Levisagedegranitedemamère,duretimplacable,fonditcommeneigeausoleilquandelleprit

conscience du physique de Ly’. (Et encore, d’où elle était, elle ne pouvait pas voir le dragon quis’étalait sur son dos. Elle en aurait fait un syncope.) Ma mère blêmit quand il fit jouer sesimpressionnantsbicepsetqu’ilcontractasespectoraux.Maiscequidutl’achever,d’aprèsmapropreexpérience,cefutlafroideurquitransparaissaitdanssesirisvertmenthe.Froidesetmenaçantes,sesprunellesavaientlacapacitédefaireplierlesplustéméraires.YcomprisleterribledragonCampbell.Leslèvrespincées,mamèrefitbrusquementvolte-face,nonsansm’avoirlancéunregardnoir.—Jevouslaissecinqminutes.Après,j’appellelapolice.—J’adoreraisvoirça…,susurrafroidementmonmec.Malàl’aise,jeposaiunemaintremblantesursonbiceps.—Ly’…En entendant ma voix tremblotante, la tête de Ly’ pivota immédiatement vers moi. Il prit mon

visageentresesmainsetappuyasonfrontcontrelemien.—Net’inquiètepas,masouris,ellen’enferarien.Etsiellelefait,ellesecouvriraderidicule,rien

deplus.—Mais…Ilnemelaissapasfinir.—Lebaildel’appartstipulebienquetuvisici,non?Seule?(Lagorgesèche,jehochailentement

latête,tremblantedepeur.)Mêmesilebailestaunomdetamère,commec’estbienpréciséquec’esttoiquivis là,ellenepeutpasappeler les flicset invoqueruneviolationdedomicile,ou jenesaisquelleconneriedugenre.Laseulepersonnequipourraitmefaireexpulserdecetappart,c’esttoi.Ettusaisparfaitementquetun’aspasbesoind’appelerlesflicspourça.Situveuxquejem’enaille,ilsuffitdemeledemander.Terriblementgênéeetmalàl’aise,jefermailesyeuxpouroserdirelefonddemapensée.Pitié,qu’ilnem’entiennepasrigueur.—J’aipeurquesielleappellelesflics,avectonpassé,ellenetecréedesennuis.Jeneveuxpas

quetuaiesdesproblèmesàcausedemoi,Ly’.Unbrefsilence,lourddesous-entendus,suivis.—Situveuxquejeparte,jepartirai.Ilsuffitdeledire,Annabelle.(Letonfroidetglacialqueje

connaissais tant était de retour.) Si tu veuxmettre un terme à notre histoire, pour que tamère nem’attirepasd’ennuis,ilsuffitdeledire.Unmotdetoietjedégagedetavie,Annabelle.Tun’asqu’unseulmotàdire.Pâle comme lamort, je lui lançai un regard horrifié. Jeme retrouvai face auLy’ des premiers

jours.Froidetglacial.Duretimplacable.Inaccessible.L’ombremaléfiqued’Andy.—Non,m’écriai-jeenprenantsesjouesencoupesentremesmainstremblantes.Non…Jamais!

(Deslarmesbrillaientaufonddemesyeuxbleus.Unepeursansnomm’avaitenvahieàl’idéedeleperdre.)Jet’aime,Ly’.Jet’aime.Jeneveuxpasteperdre.Jamais.Sabouchefonditsurlamienne.Lapillant,ladévorantsanspitiénirépit.—Nelaisseplustamèredictertaconduite,masouris.Tudoisluitenirtête,luimontrerqu’ellen’a

pluslepouvoirdegouvernertavie.Tudoisêtreforte,Annabelle.Etpourça,tunedoispaspenseràcequ’ellepourraitéventuellementmefairesielleavaitconnaissancedemonpassé,ousiellefaisaitappelauxflicspoursedébarrasserdemoi.Situveuxquenotrehistoireaitunavenir,tudoiscroireennous.Ettamèren’arienàvoiravecnous.Maisalorsabsolumentrien,asséna-t-ilavecforce,toutcontremeslèvres.Rassurée, jeme lovai tendrement contre lui. Il avait raison. Il était plus que temps que je fasse

comprendreàmamèrequ’ilyavaitdes limitesàcequ’ellepouvaitfaire.Etque,précisément,ellevenaitdelesenfreindreenpénétrantmonintimitésansautorisation.Hip,hip,hip,hourrapourA!Voicivenuletempsdelalibération!N’oubliepas,A,toutestdansle

mental.Situycrois,tamèreseraforcéed’ycroireaussi.Unlégersourireflottasurmeslèvresdevantlajoiemanifestedemavoixintérieure.Ellesemblait

avoirtrouvéenLy’sonchampionetellelesoutenaitcontreventsetmarrées.Parcequetun’espasd’accordavecça?Quellequestion!Évidemmentquejepartageaiscepointdevue.Etplutôtdeuxfoisqu’une!Gonfléedemesnouvellesrésolutions,jemereculailentementetplongeaiunregardconfiantdans

celuideLy’.—Tuasraison.Ilesttempsquejefassevraimentvaloirmesopinions.

Chapitre26

Remontéeàbloc,fortedemesnouvellesconvictions,j’étaisprêteàaffronterleterribledragonquepouvait être Georgiana Campbell. Bien que Ly’ fût prêt à me soutenir, ce dont je lui étaisprofondément reconnaissante, je savais, et lui également, que c’était une chose que je devais faireseule.Enfin,seuleavecmavoixintérieure,évidemment.Tul’asdit,A!Jenetelaisseraipastomberdansunmomentpareil!Quelledélicieusenouvelle!Pourunefoisquemavoixintérieureetmoifaisionsfrontensemble,

unies.C’étaitrafraîchissant.Vraiment.De toute façon, si jen’étaispas làpour te souteniret t’aider, tu seraiscapablede tevautreren

beauté.Dieum’enpréserve!Jerefusecatégoriquementd’assisteràuntelspectacle…Jemedisaisaussi.Voilàquiressemblaitplusàmavoixintérieure.Ben,quoi?Tun’espèresquandmêmepasquejechangemaintenant?Non,effectivement,ilyavaitbienpeudechancequ’unetellechoseseproduisît.Bon,onyva?Jemeredressaietcarraifièrementlesépaules,prêteàlivrerbataillecontremamère.—Tuveuxquejereste,masouris?medemandaLy’,enm’enlaçantparderrière.Jecroisaisonregarddanslerefletdemonmiroiràpieds.Jeluiadressaiuntendresourire,avant

de frotter le sommet de ma tête contre sur menton, tel un petit chaton assoiffé de caresses et detendresses.Sensibleàmonbesoindecâlins,ilresserralentementsonétreinte.—Tul’asdittoi-même,monamour,c’estlemomentoujamaisd’affirmermeschoix.Ly’eutsonfameuxsourireàfossettes,celuiquimerendaitdingue.—L’unn’empêchepasl’autre.Jehaussailessourcils,necomprenantpasvraimentcequ’ilentendaitparlà.Jedevaism’affirmer,

maisenmêmetemps,jepouvaismecacherderrièrelui…???Euhm…Pastrèscrédible,toutça.Effectivement,situtecachesderrièrelui,tamèrediraqu’iltebourrelecrâned’idéesfarfelues,et

toutettout…Mêmesijenemecachepasderrièrelui,c’estexactementcequ’ellefera.Ellemettralafautesur

quelqu’und’autre.Elleatoujoursagiainsi…Etdirequ’avant,celanemedérangeaitpasplusquecela.Enmêmetemps,avant, tuvivaisunpeudans tonmonde,dans tabulle.Tu t’étaiscoupéede tout,

surtoutdesgens.Çatedérangeaitpas,parcequetun’étaispasdirectementconcernée.Ellenepouvaitpas tenir les autres responsables de ton comportement, vu qu’il n’y avait personne. Et pis, avantt’étaissurtoutlagentillefifilleàsamaman.Ellen’avaitpasgrand-choseàtereprocher.ÀparttonamourinconditionnelpourAndy,biensûr.C’estdepuisquetuasdécidédevenirici,pourrejoindreAndy,queleschosessesontvraimentcorsées.Trèsjuste.Avant,cen’étaitpasmoiquiétaisviséeparsoncomportement,ducoup,jen’yprenais

pasvraimentgarde.Jel’avaisnotécommeça,machinalement,sansm’enpréoccuperplusqueça.

SaufavecAndy.Ouais, saufavecAndy.Cequiavaitd’ailleursété la sourcedenosproblèmes relationnelsetqui

m’avaitpousséeàcouperlecordon.Maisçanes’estpaspassécommeprévu,hein,A?Non, pas vraiment.Mamère était censée comprendre que j’étouffais et que j’avais besoin d’air.

Malheureusement,c’étaitplutôtl’effetinversequis’étaitproduit.Quellepoisse!— Je peux être une ombre silencieuse, tu le sais bien, ma souris…, précisa soudain Ly’, se

rappelantàmonbonsouvenir.Devantmamineperplexeetperdue,ilfronçalessourcils.Aïe!—Pardon…je…,débutai-jepéniblement,avantdem’interrompre.(Jepassaivivementlamainsur

monvisage,épuiséed’avanceparladiscussionquiallaitsuivre.)Jesaisquetupeuxêtreuneombresilencieuse…maistudemeuresuneombremenaçante,etj’aipeurquemamèreleperçoivecommeunsignedefaiblesse.Quej’aiebesoindemecacherderrièretoipourl’affronter.Contreproductif,ensomme.—Oualors,elleleverracommeunsignedeforce,aucontraire,cartuneplieraspasdevantses

exigences.Ellem’aditdepartir.Sijepars,ellepenseraavoirgagnélapremièremanche.Alorsquesije reste, tout en demeurant à l’écart, elle comprendra qu’elle ne peut plus te dicter ta conduite,répondit-ildutacautac.Tul’asdittoi-même,A,qu’ilsoitlàounon,tamèreletiendrapourresponsable.C’estvrai.Maiss’ilreste,est-cequecelanevapasenvenimerlasituation?Tunedoispaspensercommeça,A.Alorscommentjedoispenser,Madameje-sais-tout?Est-cequetuveuxqueLy’reste?Ouveux-tuqu’ilparte?Choisiscequetoituveux.Laquestionneseposaitmêmepas!ÉvidemmentquejevoulaisqueLy’restât!C’étaitmonmec,et

jel’aimais!Ehben,voilà!Cen’étaitpassidifficile!Maintenant,ouste!Ilestl’heured’affronterledragon!—Eneffet,ons’enfoutdecequ’ellevapenser.Jesuischezmoietj’aienviedeprendrelepetit-

déjeuneravecmonmec,affirmai-jed’untonrésolu,enmetournantdanssesbraspourluivolerunbaiser.LesmainsdeLy’glissèrentdansmescheveuxetilmemaintintcontreluiunpeupluslongtemps

quejenel’avaisescompté.Ilfitdurernotrebaiser,m’arrachantunpetitgémissementdeplaisir.Cemecétaitundémon.— Je crois qu’il est un peu tard pour le petit-déjeuner, ma souris…, murmura-t-il d’une voix

rauque,toutcontremeslèvres.—Mmmmh?Sonriregraverésonnadansmesoreillesetmefitfrémir.Cemecétaitpirequ’undémon!

— Il est passé onze heures,Annabelle.On est plus proche de l’heure du déjeuner que du petit-déjeuner.Ilmefallutplusieurssecondespourbienenregistrercequ’ilvenaitdemedire.Passéonzeheures.

D’accord.Soudain, mes yeux s’ouvrirent en grand. Oh,monDieu ! Je n’avais pas réalisé que nous nous

étionsrendormisaussilongtemps.Pasétonnantquemamèrenouseutsurpris,finalement.Ellen’avaitquandmêmerienà fairechez toi,A.Elleaurapusonnerau lieud’entrer icicomme

dansunmoulin.Trèsjuste.Maisçan’enlevaitrienautempsquis’étaitécoulé.Monestomac,visiblementdirectementconnectéàmoncerveau,semitàgargouiller.Affreusement

gênée,jepiquaiunfard.Ly’gloussaetsereculalentement,melibérantdanslemouvement.Ilpritmamaindanslasienneet

metiragentimentàsasuite.—Jevoisquemapetitedéessedes enfers est affamée.Voyonscequenousallonsbienpouvoir

trouverdanstadînetteetcequejepourraienfaire.Jelevailesyeuxauciel,maislesuivissansprotester.—Macuisinen’estpasunedînette,bougonnai-je,pourlaforme—Situledis…Son ton, brusquement plus froid, me fit comprendre que ma mère devait être en vue. Et

effectivement,dèsque je sortisde lachambre, je lavis.Droite, fièreetaltière,elleétait assise surmoncanapéetfoudroyaitLy’duregard.Quileluirendaitbien.Super!Lasuites’annonçaitcharmante.Ly’ me lâcha et pivota le temps de me donner un bref baiser. Puis il s’éloigna calmement en

directiondelacuisine,ignorantsuperbementmondragondemèrequinelequittaitpasdesyeux.—Onpeutsavoiroùvouscroyezaller,jeunehomme?Lasortie,c’estparlà!indiquafroidement

mamère,enmontrantlaported’entréed’undoigtimpérial.Moncheramantpilanet.Aïe!Çavachierdansleventilo,A!Douxeuphémisme.—Alorspourquoivousêtesencorelà?Ouah.Ouah!Ouah!!Je fermai brièvement les yeux, comme si cela pouvait m’éviter d’assister à la scène qui allait

suivre.Silesolavaitpus’ouvrirsousmespiedsetm’aspirer,j’auraisétéplusquepartante!Tut’attendaisàquoi,A,sérieusement?Tupensaisquetamèren’attaqueraitpasLy’defront?Et

quetonmecnerendraitpascouppourcoup?

Enréalité, j’avaisété tellementobnubiléeparmespropresproblèmes,que jen’avaispasdu toutpenséàça.Jem’étaisplusinquiétéedecequemoij’allaisdireàmamère,etdecequemamèreallaitmedireàmoi.QuelaprésencedeLy’poseproblème, je lesavaisbien,maiscetteattaquefrontale,honnêtement,jenel’avaispasvuvenir!Quellenaïveté!Heureusementquetun’asaucunprojetderejoindrel’armée,A,parcequetuseraisunebienpiètre

tacticienne.Etencore,jerestepolie,là.—Maispourquivousprenezvous,jeunehomme?Jevoussommedesortird’iciimmédiatement!

Jevouspréviens,sivouspersistez,j’appellelapolice!Vousferezmoinslemalinunefoisauposte!Ly’allaitrépondre,maispourunefois,jeledevançai.Unepremière.(Ànoterdanslesannales!)—M’an,çasuffit !Ly’estmonmec, ilaparfaitement ledroitdese trouver ici !m’écriai-jeen

croisantlesbrassousmapoitrine,furieuse.Lesonétrangléquisortitdelabouchedemamèren’étaitpasvraimentbonsigne.Latempêteallait

éclater,etçaallaitêtremoche.Cestroissemainescommençaientbien!—Ly’?Ly’?!?!rugit-elleenbondissantsursespieds.Commelemeilleuramidetonfrère?Oups.Ellel’auraitapprisàunmomentouàunautre,A.C’était une évidence.Mais, bizarrement, j’aurais préféré qu’elle ne l’apprît pas aujourd’hui. Ni

maintenant,audébutdelaconversation.Tuappellesçauneconversation?Moijediraisplutôtunedispute…J’essayaisd’êtrepolie.Benarrête,parcequefranchement,çacraint.—Oui.Celui-làmême.—Mon Dieu !Mais il a été en prison !!! Comme ton frère, c’est un délinquant ! Ou pire, un

meurtrier!!(MamèrepivotasursestalonsetassassinaLy’desonregardleplusglacial.)Sortezdechezmafille,immédiatement!Etnevousapprochezplusd’elle,vousavezcompris?!Ly’arquaunsourcilets’adossacalmementcontrelechambranledelaportedelacuisine.—Etcommentvouscomptezréussiruntelprodige?Votrefilleestmajeure,jevousl’aidéjàdit,

elle fait ce qu’elle veut. Vous voulez appeler la police ? Je vous en prie, faites donc. J’ai hâted’assisteràcemagnifiquespectacle.Unemèrescandalisée,parcequesafilleaunamant,appellelapolicepourlesséparer.Çavafairelesgrostitresdesjournaux.Exactementcequ’ilfautàl’approchedeThanksgiving,larailla-t-il.Jecrusquemamèreallaits’étoufferderage.Jecroisbienquec’estlapremièrefoisquequelqu’unluitienttête,A.Àpartmoi?Genre…Cequ’ilfautpasentendre!Çafaitàpeinetroismoisquetuluitienstête,A!Çanecompte

pasvraiment…Çafaitsixmoisquejeluitienstête.Depuisquej’aidécidéquejevoulaisfairemesétudesdansle

Wisconsin.Quandjevoislerésultat,A,jemedemandesic’estunfrancsuccès…JesuisdansleWisconsin,non?Effectivement, tu y es. Mais ta mère ne te lâche pas d’une semelle. Et maintenant, elle y est

également.Ouais.Lerésultatfinallaissaitàdésirer,effectivement.Voixintérieure:un;Anna:zéro!Hé,hé!—J’aitoujourssuquec’étaituneerreurdelaisserAnnavenirici.Jesavaisquesonbonàriende

frère lui attirerait des ennuis. Je le savais ! Il n’aurait jamais dû sortir de cettemauditemaisonderedressement,ilauraitdûycroupirpourlerestantdesesjours!Etvousavec!Les violentes paroles demamèreme bouleversèrent à un point inimaginable. Je savais qu’elle

n’aimaitplusmonfrère,maisjen’avaisjamaiscomprisqu’ellelehaïssait.Ellesemaîtrisesimplementmieuxd’habitude.Dumoinsen taprésence.Sielleavaitaffiché trop

clairementleméprisqu’elleéprouvepourtonfrère,tuauraismislesvoilesdepuislongtemps.Tulesavais?Évidemment!Etjepensaisquetoiaussitul’avaiscompris.Ben,non.—Jesavaisquevousn’aviezpasunehauteopiniondevotrefils,maishonnêtement,jenepensais

pasquec’étaitàcepoint-là.(Etmoidonc!)Vousêtesunmonstre,Madame.—Commentosez-vousm’accuserd’êtreunmonstre?Connaissez-vousseulementlasignification

decemot?(LevisagedeLy’sefermademanièrehermétique.Mauvais.)Moi,jen’aituépersonne!Moncœurrataunbattementetjemesentisblêmir.Incapabledemetairepluslongtemps,jefisce

quejen’avaisencorejamaisoséfaire.Jemedressaifaceàmamère,larageauventre.Exit lagentillepetite fifille à samaman.Ellevenaitdedisparaîtrepour toujours.Définitivement

vaincueparlefielquecontenaientlesparolesassassinesdemamère.—Jet’interdisdedireunechosepareille!criai-jeenavançantd’unpas,lespoingsfermés,lesbras

tenduslelongducorps.—Netemêlepasdeça,AnnabelleMaryKatherine!— Comment pourrais-je ne pas m’en mêler alors que je suis responsable ? Hein ? Comment

pourrais-jeresterendehorsdetoutça?C’estdemafauteàmoi,siAndyadûfairecequ’ilafait!—Non!Arrêteaveccesbêtises,Anna!Jetel’aidéjàditetreditunbonmillierdefois:tun’espas

responsabledesactesdetonfrère!Pasplusquetonpèren’afaitcequ’Andrewprétend!Iln’auraitjamaisfaitunechosepareille!Jamais!Ma mère était dans le déni. Encore. Depuis sept ans, elle vivait dans le déni. Elle refusait

catégoriquementd’envisagerqu’elleeûtpusetrompersurlanatureprofondedesondéfuntmari,etqu’il eût été, en réalité, un damné pervers doublé d’un pédophile. Certes, il n’était jamais passé àl’acte,maiscen’étaitpasfauted’avoiressayé.SansAndy,ilauraitfiniparparveniràsesfins.Unfrissonglacéremontalelongdemacolonnevertébraleetjesentismessouvenirsafflueraux

abords de leur prison de glace. Là, tout au fond demamémoire. Je les chassai résolument. Je nevoulaispasmerappeler.Jenevoulaispas!Monpèreétaitmortetenterrédepuisseptans,etc’étaittrèsbienainsi.Malheureusement,mamère ne semblait pas être de cet avis. Alors, pour la toute dernière fois,

j’essayaideluifaireentendreraison.Sansgrandespoirdesuccès,celadit.—Tu refuses de voir…Après toutes ces années, tu refuses toujours de voir ! J’avais promis à

Andydenejamaistefairelemoindrereprocheàcesujet,maisjen’enpeuxplus!Jenepeuxplussupporterdetevoirledénigrercommecela,continuellement!C’estau-dessusdemesforces.Ilm’asauvéeettoi,tupersistesàl’accuserdupire,encoreettoujours.Commentpeux-tu?Mamèreseredressadetoutesa tailleetmejetaunregardvenimeux,commechaquefoisqueje

prenaisladéfensed’Andyetquej’accusaismondéfuntpaternel.—Andrewatuétonpère!C’estunassassin,unmeurtrier!Ilmériteraitdepassersavieenprison!

Maisnon,commeilétaitmineur,ilajusteétéenmaisonderedressement.Etmaintenant,ilestlibre.Librealorsqu’ila tuéunhomme.Sonproprepère!Etpourquoi?Uniquementpar jalousie,parcequetonpèret’aimait!—C’estfaux!hurlai-jesansaucuneretenue.Levisagedemamèredevintunmasquedegranite,commetoujourslorsqu’onparlaitdemonpère.—Jerefused’avoircettesempiternellediscussionavectoi,Anna.Ellenemèneraàrien,comme

toujours.C’est toiquirefusesdevoir.Turefusesd’ouvrir lesyeuxetdevoir levraivisagedetonfrère.Sijenepeuxrienfairecontreça,iln’envapasdemêmedecetterelationnaissante,cracha-t-elleavecmépris,enprenantLy’dehaut.Faistesbagages,nousrentronsenVirginie.Stupéfaite,jesentislesolsedérobersousmespieds.Maisdansquelmondeparallèlevivaitdonc

mamère?Pensait-ellevraimentqu’aprèsdetellesparolesjeferaiscommesiderienn’était,etquejelasuivraisbiensagementàlamaison?C’estcequetuastoujoursfaitparlepassé,A.Ouais,maisavant,j’étaisliéeparmapromesse.Jenepouvaispasmedédire.Parcequemaintenant,tupeux?Maintenant,jesuismajeure.Jesuisassezgrandepourfairemespropreschoixetlesassumer.J’ai

tenumapromesse,bienpluslongtempsquejenel’auraisdue,d’ailleurs.Tiensdonc?Unsourireglacialétiralentementmeslèvres.J’avaispromisàAndyquejenetiendraispasrigueur

àmamère, de son attitude envers lui, tant que je vivrais sous lemême toit qu’elle.Or, depuis larentréeuniversitaire,cen’étaitplus lecas. Ilétaitvraique,dansunpremier temps, j’avaissongéàétendrecettepromessejusqu’àlafindemesétudes.Plusparcommoditéqueparréelleenvie.Jenedevaispasoublierquec’étaitmamèrequipayaitleloyerdemonmeublé.Ainsiquelesditesétudes.Cependant,maintenant qu’elle avait dans l’idée deme ramener enVirginie, je n’avais plus rien àperdre.Etpuis,entoutehonnêteté,j’enavaisunpeumarredem’écrasertoutletemps.Ayantcommencéà

volerdemespropresailes,jen’avaisnuldésirderevenirenarrière.RetournerenVirginieétaitlepire qui pourraitm’arriver.À cette simple idée, l’image d’une cage dorée flotta devantmes yeux.Sansmêmeparlerdufaitquejeperdraismesnouvellesamies,ainsiqueLy’.

Iltesuivra,A.Jesais.Maisjen’aipasenviedepartir.Jemesensbien,ici.Chezmoi.MêmesileWisconsinestnoir?Ly’estnoir…çanem’empêchepasdel’aimer.Biendit,A!—TupeuxrentrerenVirginiesi tuveux,m’am.Je te leconseillemêmevivement.Maismoi, je

resteici.Mamèrehaussalessourcilseteutunemouenarquoise.—Vraiment?Etcommentcomptes-tupayerleloyer?Ly’seraclalagorge.—Ellen’enaurapasbesoin.Ellevientvivreavecnous.Chezmoi.Exactement!J’allaisvivrechez…Quoi?!Ma têtepivotabrusquementet je fixaiLy’,bouchebée.Est-cequ’ilvenaitbiendedireceque je

pensais avoir compris ? Ilmeproposaitd’allervivre chez lui ?Dans samaison?!Ouah !Ouah !Ouah!AvecKayla…Ouais,avec…Jemesentisbrusquementblêmir.Non,ça,çan’allaitjustepaslefaire.Horsdequestiondevivre

sous lemême toit que cettemaudite bestiole !Rien que d’y penser, un frissonmeparcourut. Sansfaçon!Jecroyaisquec’étaituneoptionquetuavaisenvisagée?Pasplustardqu’hier!Ouais, c’est vrai. Mais à ce moment-là, j’avais oublié la présence de Kayla. Et quand j’y ai

vaguementsongé,jevisaislachambred’amis.VivreavecLy’,encouple,alorsquenousétionsensembledepuisàpeineunesemaine?Celaallait

unpeuviteenbesognepourmoi!Etpourquoic’estpascellequetuaurais?Excellentequestion!Maisjerefusaiscatégoriquementd’abordercetépineuxsujetenprésencede

mamère.Nousendiscuterionscalmementplustard,justeLy’etmoi.Etdonc?Tuvasrépondrequoi,là,maintenant?Euh…Unpetitcoupdebluff,peut-être?Mauvaisplan.Ben,pourquoi?Parceque!Mauvaisplan!Maisquellegrincheusecelle-ci!Choisissantdel’ignorer,jediscequimesemblaitêtrelemieux:—Teconnaissant,leloyerdoitêtrepayéjusqu’àlafindel’année.Jemeposeraidonclaquestion

entempsvoulu,bluffai-je,afind’éviterunnouveaudébat.Mauvaisplan,A,trèsmauvaisplan!

Maistais-toi,àlafin!LeregardsombredeLy’sevrillaimmédiatementsurmoietilseredressalentement.Lefauveétaitàl’affut,prêtàbondirsursaproie.Maisqu’avais-jeencorefait?Tuviensjustederefuserdevivreaveclui,A.Unebroutille.Troisfoisrien.Maisc’estjusteuncoupdebluffpourmamère!Etcommentilestcensélesavoir,ça,petitemaligne?Ehmerde!Jetel’avaisdit…—Tuneveuxpasvenirvivreavecnous?(«Avecmoi»,lesous-entenduétaitclair.)—Ehben…Euhm…Comment éclaircir calmement les choses, sansmettre la puce à l’oreille demamère ?Mission

impossible.Quoiquejedise,elles’enmêlerait.Etvice-versa.Supergénial!—Biensûrquenon!Ellenevapasvenirvivreavecvous!Mafille,souslemêmetoitquedeux

délinquants?Dieum’enpréserve!s’énervamamèreensemêlant,commeje lecraignais,ànotrediscussion.Jelafoudroyaiduregard,l’airmauvais.—Resteendehorsdeça,m’an!C’estentreLy’etmoi,çaneteregardepas!—Tuesmafille,biensûrqueçameregarde!—Non!Absolumentpas!Jesuismajeure,nomdeDieu,ilseraittempsquetulecomprennesune

bonnefoispourtoutes!C’estmavie,meschoix!SijeveuxvivreavecLy’,çameregarde!Sijeneveuxpas,çameregardeaussi!Net’enmêlepas!—Visiblement,tuneveuxpas…Priseentredeuxfeuxcroisés,jenesavaisplusoùdonnerdelatête.Excédéeparleurattitudebutée,

àtousdeux,jesentaisquemapatiences’amenuisaitdesecondeenseconde.—Jen’aipasditça!m’écriai-je,enlevantlesbrasauciel.Bonsang,nepouvait-ilpascomprendrequecen’étaitpasvraiment lemomentpourcegenrede

discussion?Nousétionsensembledepuisunesemaine!Unesemaine,bonsang!Etvoilàqu’ilparlaitdéjà d’habiter ensemble.Certes, c’était en réponse à une provocation demamère,mais sa phraseavaitplussonnercommeunordrequecommeuneproposition!«Ellevientvivreavecnous.»Quelmecdiraitçaàsacopineauboutd’unetoutepetitesemaine?

Nepouvait-ilcomprendrequenousdevionsenparlertouslesdeux,seulàseul,entrequatreyeux,etnondevantmondragondemère?C’étaitinsupportable,àlafin!La colère que j’éprouvais enversmamère semélangea à l’agacement que provoquait l’attitude

bornéedeLy’.Unmélangehautementexplosif.Attention,danger!—Tuassoulignéqueleloyerétaitpayéjusqu’àlafindel’annéealorsquejevenaisdeteproposer

devivrechezmoi.Sicen’estpasunrefus,jenesaispascequec’est.

Mamèreeutunricanementméprisantquim’horripilaauplushautpoint.—Mais justement, c’est un refus, jeunehomme.Pour quelqu’unqui est inscrit à l’université, je

voustrouvedrôlementlentàladétente…—ASSEZ!Monbeuglement,parcequ’iln’yavaitpasdetermesplusqualifiéspournommerlemugissement

quivenaitdesortirdemagorge,résonnaauxquatrecoinsdelapièce.Lesilencesefitettousdeuxmefixèrent,sidérés.—J’enaimarre,alors,STOP!Jenepeuxpasdiscuteravecvousdeuxenmêmetemps,c’estjuste

pas possible. Vous êtes aussi horripilant l’un que l’autre ! Vousm’étouffez avec vos « questions-réponses».Commesi jen’étaispaslàetquejenepouvaispasrépondremoi-même.Oucommesitoutesmesphrasesétaientbourréesdesous-entendu.(Jemetournaiversmamèreetlapointaid’undoigtrageur,quitremblaitlégèrement.)Toi,jeveuxquetupartesdechezmoietquetun’yreviennespas tantque tuneseraspasprêteàavoirunevraiediscussionavecmoi.Etpar«vraie», j’entendsréel. Avec des questions et des réponses, de part et d’autre, où les deux intervenantes, nous enl’occurrence, pourrons s’exprimer en toute liberté. Mais surtout, surtout, où elles pourront êtreécoutées.Cequejen’aiencorejamaispufaireavectoi.(Mamèreouvritlabouchepourintervenir,mais je la coupaid’unmouvementbrusquede lamain. Jenevoulaispas l’entendremaintenant, cen’était pas lemoment.) Et toi (je pivotai vers Ly’ et sentis mes yeux se remplir de larmes), si tucomptestrouverdesexcusesoudessenscachésàchacunedemesremarques,oupropos,çanevapasle faire.Tu savais combien j’appréhendais cette discussion avecmamère et tum’avais promis deresteràl’écart.Denepasintervenir.Or,tun’aspascessédelefaire.Sidansunpremiertempsc’étaitjustifié,etquejen’yairientrouvéàredire,cen’étaitpluslecasàlafin.Jeneparlaispasavectoi,maisavecmamère.Jen’aijamaisdit,àaucunmoment,quejenevoulaispasvivreavectoi.Pourlasimpleetbonneraisonquetunem’asjamaisposélaquestion!(Lorsqu’ilvoulutdirequelquechose,jelecoupaiégalement.Jenevoulaispaslesentendre.Aucund’eux.)Sivousvoulezcontinueràvousdisputer,jevousenprie,nevousarrêtezpaspourmoi.Maisilesthorsdequestionquej’assisteàtoutcela.Jevaisprendrel’air.Etjevousdéconseillevivementdemesuivre!Jesortisencourantdemonappartement,sansmêmeprendreuneveste.J’étaisbientroppresséede

fuir.Delesfuirtouslesdeux.J’avaisbesoind’êtreseuleetdefairelepoint.Jeneréalisaipleinementmonoubliqu’unefoislaportedel’immeublefranchie.Brrrrr,ilfaisait

unfroiddecanard!Pourtant,jemerefusaiscatégoriquementàremonter.Rentrant la tête dans les épaules, enfonçant les mains dans les poches de mon jean, je me mis

rapidementenroute.Jedevaispartiretfairelevide.Afindemeréchaufferunpeu,jememisàcourir,sansdirectionprécise.Jenedésiraisqu’uneseule

etuniquechose :m’éloigner leplus loinpossibledemonappart. (Etsurtoutdespersonnesquis’ytrouvaient.)Alors je courus. Durant une bonne demi-heure, je courus au hasard des rues, sans destination

précise.Mon unique objectif était de ne pasm’arrêter.Habituée à l’air glacial quim’entourait, oualorscomplètementengourdie,jenesentaispluslefroid.Jenesauraisdiresimavoixintérieuremeparlait, je ne l’entendaismêmeplus. J’avais fait le vide. Jem’étais enferméedansunepetite bulle,bien à l’abri, et je ne laissais rien y pénétrer. Ni pensée ni voix intérieure. Absolument rien.Uniquement le vide. Et c’était agréable. C’était agréable d’être seule avec soi-même, sans aucunparasite.Justelevide.

C’étaitcedont j’avaisbesoinencemoment.J’aurais largement le tempsdemepenchersurmesproblèmesplustard.Oui,plustard.Lesyeuxrivéssurlesol,tellementoccupéeàfairelevide,jetraversailepontdulacGeorgesans

m’enrendrecompte,m’éloignantdeplusenplusdechezmoi.Courir droit devant, ne pas regarder en arrière.Courir droit devant, ne pas regarder en arrière.

Courirdroitdevant,nepasregarderenarrière.Jemerépétaicettephraseenboucle,commeunleitmotiv.Courirdroitdev…VLAN.Allongéeàplatventresurlesol,jerestaitétaniséedurantunelongueminute,necomprenantpasce

quivenaitdem’arriver.L’instantd’avant,jecourraistranquillement,etlà,j’étaisvautréedetoutmonlong sur le trottoir. En appui sur mes mains, je me relevai doucement en faisant l’inventaire desdégâts.Àpartunelégèredouleurauniveaudesgenoux,sansdouterâpésàlaréceptiondemonvolplané,jenem’ensortaispastropmal.Je baissaimachinalement les yeux sur le sol, cherchant ce qui avait bien pume faire trébucher.

Rien.Étrange.Unricanementretentitdansmondos.Jesentismonsangseglacer.Puis,commeauralenti,jemetournailentement,trèslentement,pour

voirquim’avaitfaittomber.Endécouvrantlevisagedemonagresseur,jeblêmis.Eh,merde!

Chapitre27

—Alors,Schtroumpfette,tusaisplusmettreunpieddevantl’autre?LavoixmoqueusedeMaxbourdonnaétrangementàmesoreilles.Pourtant,jen’étaispasvraiment

surprise de le trouver là. J’avais su, depuis longtemps, qu’un beau jour il passerait à l’acte. Sarancœurenversmonfrère,etenversLy’,étaitbien tropprofondémentancréeen luipourqu’ilpûtpasser outre. C’eût été un véritable miracle si j’avais terminé l’année sans avoir de nouveauxproblèmesaveclui.Maismavieétantdéfinitivementnoire, comme l’avaientprouvé lesderniersévénements, il était

assezlogiquequejetombesurluiaujourd’hui.Aprèstout,c’étaitl’essencemêmedel’emmerdementmaximum.Ilesttempsderangerlapetitesourisgrisedanssonplacard,etdesortirlatigresse,A.Évidemment.J’auraisdûm’yattendre.Lesproblèmesn’arrivant jamaisseuls,mavoixintérieure

étaitderetour.Génial.Hey!Jesuislàpourt’aider,A!Vraiment?Tuasdoncl’intentiondecombattreMaxàmaplace?Euh,non.Maisjevaistesoutenirmoralement!Tropaimable.—Onaperdusalangue,enplus?semoqua-t-il,encontinuantàricanerbêtement.N’étantpasfranchementportéesurlaviolence,jepréféraitenteruneesquivediscrète.Sanstropde

chancederéussite,cependant.—Non, non.Du tout. (J’esquissai un pâle sourire.) Excuse-moi,mais je suis pressée. Les filles

m’attendentpourdéjeuner.(Pieuxmensonge.)Àundecesquatre,Max.Je fisminedemedétournerpour repartir,mais ilm’empoignavivementpar lebras. Il le serra.

Fort.Aïe!—Arrêtedediredesconneries,pétasse!Jelesaicroiséestoutàl’heure,etellesallaientrejoindre

Dan.Ellesn’ontpasdutoutparlédetoi.(Ileutunsouriremauvaisquin’annonçaitriendebonpourmoi.)T’estouteseule.Cettefois,y’anitonfrèreniceconnarddeLy’pourveniràtonsecours.Tuvaspayerpourcequetum’asfait,salope!Je déglutis péniblement, et lançai un rapide regard circulaire autour de nous. Le pont était

totalementdésertàcetteheure-ci.Zutdeflûtedecrottedebique!—Jenet’aijamaisrienfait,Max,protestai-je,avecconviction.(Pasdemafautes’ilétaitvenume

chercher des noises à cette fichue orgie !!!)C’est toi quim’as prise en grippe dès le début.Avantmêmedesavoirquej’étaislasœurd’Andy.Cen’étaitpeut-êtrepaslachoseàdire,maiscen’enétaitpasmoinslavérité.Àpeineleseuildela

facfranchi,Maxavaitdécidéquejeseraissonsouffre-douleur.Lefaitquejesoisfinalementlapetitesœur d’Andy n’avait fait qu’exacerber cette envie. Sans même parler de ce qui lui était arrivélorsqu’ils’enétaitprisàmoi,lorsdecettemauditeorgie.Unefête,A,c’étaitunefête.Unefêteoùtoutlemondeestàmoitiénu,ças’appelleuneorgie!—Jemesuisfaitdémolirleportraitàcausedetoi!hurla-t-ilenmesecouantcommeunprunier.Les larmes me montèrent automatiquement aux yeux lorsque mes dents s’entrechoquèrent

brutalement. Au soudain goût de fer qui envahit ma bouche, je réalisai que je m’étais mordue lalangue.Connard!—Cen’estpasmoiqui t’aipousséàvenirm’emmerder lorsdecettesoirée!J’étaisen trainde

partirquandtum’asarrêtée.Tunepeuxt’enprendrequ’àtoi.Lesyeuxfous,Maxmeregardad’unairmauvais.Tuviensdedireexactementtoutcequ’ilnefallaitpas.Tuvast’enprendreune,A,situcontinues

commeça.Mêmesijenedisrien,jevaism’enprendreune.Ilnem’apasfaittomberpourtaillerunebavette

avecmoi,qu’est-cequetucrois?Pasfaux.Heureusement que ma voix intérieure était soi-disant là pour m’aider, sans quoi je serais

complètementperdue!Nesoispasaussisarcastique,A.LAFERME!—Tuvasmelepayer,poufiasse!Ilmelâchaaussisoudainementqu’ilm’avaitempoignée,etlevasonpoingdroit.Unefoisdeplus,

j’eus l’impression de voir la scène au ralenti.Lesmuscles bandés, j’attendais avec une impatiencemalsainelecoupquiallaitmedémolirlamâchoire.Jemepréparaipsychologiquementàcequiallaitsuivre.Anticiperlecoupdesonadversaireétaitprimordialsil’onsouhaitaitremporterlavictoire.Ladouleurexplosadansmajouegauche,etmatêtepivotaviolemmentàdroite.Aulieuderésister,jemelaissaialleretsuivislemouvement.J’effectuaiunerotationparfaite,en

équilibresurunpied,etluirenvoyailapolitesse.Grâceàl’élanqu’ilm’avaitinconsciemmentdonné,moncoupfutbienplusfortquelesien.Lereversdemonpoingdroitlecueillitsouslementon…etlefitreculerdeplusieurspas.Bouchebée,ilmefixaunmomentsanscomprendre.Unsourirenarquoisauxlèvres,quim’envoyaunemultituded’aiguillesdansmajoueblessée(aïe),

jeluilançaiunregardhautain.Àcetinstantprécis,jedevaisêtreleportraitcrachédemamère.(Entouteautrecirconstance,j’enauraisgémidedépit,maislà,j’enfusparticulièrementfière.Undragon,c’étaitencoremieuxqu’unetigresse,pasvrai?)—Tunet’yattendaispasàcelle-ci,n’est-cepas?Tucroyaisquoi?Quej’étaisunepauvrepetite

fillesansdéfense?(Ilfutuntempsoùc’étaitbeletbienlecas.Maisj’avaisfaitcequ’ilfallaitpour

que cela n’arrivât plus jamais. Souris grise, certainement, mais avec les griffes acérées d’unetigresse.Enfin,danscertainescirconstances.)TupensaisquesiAndyetLy’n’étaientpaslàpourmeprotéger,tupourraismefairemafête?Mecoupantdansmatirade,alorsquej’avaisencorequantitédechosesàdire,Maxseprécipitasur

moi.Unefoisencore,jeleprisparsurprise.Posant vivement les mains sur le sol, j’effectuai un arc de cercle parfait, fluide et rapide, me

déportantainsisurlagauche.Immédiatementaprès,enéquilibresurmonpieddroit,jetournoyaietpropulsail’autreàlaverticale,percutantmonassaillantdepleinfouet.Entraînéeparsonélan,latêtedeMaxbasculaviolemmentenarrièrealorsquelebasdesoncorps

continuaitsacourse.Ilseretrouvaallongésurledosenmoinsdedeuxsecondes.Mais,malheureusementpourmoi,ilserelevatoutaussivite.—Tuvasmepayerça,salope!Surmesgardes,enpositiondecombat,jel’attendaisdepiedferme.Lesjambesfléchies(lagauche

devant, ladroitederrière légèrementdécalée), lespoings serrés (legaucheauniveauduventre, ledroitengardeàhauteurdelapoitrine)etl’œilvif,j’étaisprêteàlerecevoir.S’ilvoulaitlabagarre,ilallaitl’avoir.Ceinture noire de taekwondo et sélectionnée pour les régionaux, je connaissaismon affaire (et

plutôtbien);Maxnemefaisaitpaspeuretilallaitenbaveravantdememettreautapis,pourautantqu’ilyparvînt,cequirestaitàprouver.Biensûr,jen’avaisjamaisparticipéàunebagarrederueniàriendecegenre-là.Maisçanedevaitpasêtrebiencompliqué.Detoutemanière,jen’avaisguèrelechoix.Çafaitunanquetun’aspaspratiqué,A,tudoisêtreunpeurouillée.C’estcommelevélo,çanes’oubliepas.T’essûre?Onverrabien.Maintenant,tais-toi!Jedoismeconcentrer.Forcément, ce qui devait arriver, arriva. Troublée par ma voix intérieure, je ne fus pas assez

rapide:lepoingdeMaxs’enfonçabrutalementdansmonventre.Durantunbrefinstant,j’euspeurdele voir ressortir au milieu de mon dos, comme dans les films. Puis son autre poing percuta mapommettedroite,etjedécollailittéralement.Avantd’atterrirrudementsurledos.Aïe.Je restai sagement allongée, occultant totalement les douleurs qui me traversaient le corps, et

gardail’espritrivésurmonobjectif.DèsqueMaxfutsuffisammentprès,jefauchaisesjambesdesmiennesd’unmouvementvifetprécis. Jen’attendispasde levoir tomberpour réagir.Une rapiderouladearrièrememitprovisoirementhorsdeportée.Àpeinerelevé,ilmefonçadessusaveclarapiditéd’uncobra.Agileetrapide,j’esquivaisonpoingàladernièreseconde…etmeservisunefoisdeplusdeson

élan.Verrouillantmesdoigtsautourdesonpoignet, jepivotaipourmeretrouverdosàluiet lefisbasculerpar-dessusmonépaule.Uncraquementsefitentendre,suivid’ungémissementdedouleur.

Paniquée à l’idée de l’avoir sérieusement blessé, ce qui n’était pas du tout le but, je le relâchaiimmédiatementetjereculaideplusieurspas.Tu te bats avec lui, mais tu ne veux pas le blesser ? Tu m’expliques, A, parce que là je ne te

comprendspas…?Je veux qu’ilme laisse tranquille, c’est tout. Je ne veux pas le blesser ni rien.D’ailleurs, je te

signalequejenefaisquemedéfendre!Uncrialarméattirasoudainmonattention.Jepivotaisurmes talonset fixai,sidérée, lemecqui

venaitdecrier.Portableàlamain,ilavaitvisiblementtoutfilmé.Etcontinuaittrèscertainement.Génial.Ilnemanquaitplusqueça.Unfrissonmetraversa,mefaisanttremblerdelatêteauxpieds.Nonpasàcausedufroidmordant

quim’assaillaitsanspitié,bienquecenefûtpasparticulièrementagréablesurdeshabitshumidesdesueur, mais en raison de ce que cela impliquait. Il avait filmé la bagarre. Il allait la balancer surYouTube,aumieux.MonfrèreetLy’tomberaientforcémentdessus,àunmomentouàunautre.Oh,bonsang!Lemecsemitsoudainàcrieretjerelevailesyeux,sourcilsfroncés.Quevoulait-ilencore?Je réalisai, trop tard, qu’il fixait un point derrièremoi.Avant que je ne puisse faire lemoindre

geste,unchocviolentpercutal’arrièredemoncrâne.Dansunétatsecond,jemevism’affalersurlesol,sansrienpouvoirfaire.MadernièrepenséefutpourLy’:j’auraisdûresteràl’appartementetdiscuteraveclui,aulieude

mebarrercommeunegaminecapricieuse.J’entendismoncœurbourdonnerdansmesoreilles,puisplusrien.Levide.Lenoircomplet.Lenéant.

*****

Un ronronnement, lentet régulier,m’arracha lentementdunéantdans lequel j’avaisplongé.Desgrésillementsperturbateurschassèrentprogressivementlenoirquim’enveloppait.Jusqu’àcequedublancapparûtdansmonchampdevision.Plus lenoir reculait, plus leblanc avançait. Il y en avaitplus,toujoursplus.Soudain,leblancsefigeaetnebougeaplus.Surprise,jeconstataiqu’ilétaitpartout.Absolument

partout.Le ciel était blanc, le paysage était blanc, etmême l’hommequi se tenait devantmoi étaitblanc.Jeclignairapidementdespaupières,croyantrêver.Étais-jeauparadis?—Mademoiselle?Mademoiselle,vousêtesréveillée?Jecherchaiàdéglutir,maisn’yparvinspas.Monpaletetmalangueétaiententièrementsecs.Un

goûtpâteux,etfortdésagréable,envahitmespupillesgustatives.

Beurk!Devant ma grimace de dégoût, l’homme blanc se déplaça rapidement et apparut à ma gauche.

J’entendisunbruitd’eauquicoulaitetcompris,avecquelquesinstantsderetard,qu’ilenversaitdansunverre.Jesentissamainseglisserdélicatementsousmanuqueetmeredresserlégèrementlatête.Jegémis

deplaisirquandl’eaufraîchecoulalelongdemagorge.Jen’auraisjamaiscruquel’eaupouvaitêtreaussibonne.Jefermailesyeuxetsavouraipleinementmonplaisir.—Mademoiselle?Resteravecmoi,Mademoiselle!Jecombattislatorpeurquimereprenait,ainsiquelestentaculesd’unnoird’encrequis’enroulaient

autourdemoi,m’attirantirrémédiablementverselles.Verslevide.Lenoirabsolu.Lenéant.—Ouais…,croassai-jepéniblement.Enentendantmavoix,casséeaupossible,j’eusbiendumalàlareconnaître.Pourtant,étantseule

avecl’hommeblanc,danscemondeentièrementblanc,ellenepouvaitappartenirqu’àmoi.CQFK,A.Okay.Premierdilemmerésolu.Jen’étaisdéfinitivementpasauparadis.Parceque,sicelaavaitété

lecas,mavoixintérieuren’auraitpasétélà.(Paradis=parfait.Donc,pasdevoixintérieuredansunmondeparfait.)Élémentaire,moncherWatson!Qu’est-cequejedisais?—Mademoiselle,ouvrezlesyeux,s’ilvousplaît.Nonsanssurprise, je réalisaique je lesavaismachinalement refermés.Mauditevoix intérieure !

Toutétaitdesafaute.Pourquoinepouvait-ellepasmelaisserenpaix?J’eusbeaucoupdemalàsoulevermespaupières,ellessemblaientpeserdestonnes.Aubasmot.Moi quime plaignais de ne pas voir assez de blanc dansma vie quotidienne, j’étaismaintenant

servie!Iln’yavaitquecela.Partout.Toutautourdemoi.Flippant.—Oùsuis-je?croassai-jeunenouvellefois.—AucentrehospitalierdeRiverFalls,Mademoiselle.L’hommeblanc continuade parler,mais je ne l’entendis plus.Lamémoireme revint d’unbloc.

Commedansunfilmenaccéléré,jerevistouslesévénementsdelajournée.Aveclemode«replay»pourmoncombatavecMax.Meserreursmefirentgrimacer.Seigneur,simonprofesseurdetaekwondom’avaitvu,ilm’auraittirélesoreilles!J’avaisfaitdes

erreursdignesd’unedébutante.Melaisserdistraireparmavoixintérieuredansunmomentpareil…Puisparl’abrutiprofondquiavaitfilmélascène.Quelahontes’abattesurmoi!Euh,jeterassure,c’estdéjàfait,A!Jeméritai amplementmes blessures, quelles qu’elles soient.N’ayant pas écouté lemédecin, car

l’hommeblancenétaitvisiblementun,jen’avaispaslamoindreidéedel’étenduedesdégâts.Maisdansl’immédiat,cen’étaitpasleplusimportant.

JedevaisimpérativementparleràLy’avantqu’ilnevîtlavidéo.Sansquoi,ilrisquaitdesemettretrèsencolèreetdefaireunegrossebêtise.Unetrèsgrossebêtise.Luttantardemmentcontrelanoirceurquicherchait,encoreettoujours,àm’emporteravecelle,je

lançaiunregardsuppliantaumédecin.—Vousavezprévenumafamille…?demandai-jed’unevoixhachée.—Non,Mademoiselle. Vous n’aviez aucun papier sur vous. D’ailleurs, la police attend dans le

couloiretdésirevousparler.Ah.—Pas…maintenant…je…me….sens…pas…très…bien…Larespirationsifflante,j’avaisdumalàparler.—Mademoiselle…—Ly’…appelez…Ly’…Lemédecin chercha à protester,mais je fis comme si je ne l’entendais pas. J’eus juste le temps

d’énumérerlenumérodeportabledeLy’,avantdereplonger,billeentête,danslevide.Lenoirm’enveloppaunenouvellefois.J’avaisperducettesecondebataille.

*****

Deséclatsdevoixm’arrachèrentbrutalementauvidesidéraldanslequelj’avaisbasculé.Ceréveilfutbienplusviolent etdouloureuxque lepremier.Mes tempesbourdonnaient sévèrement, telsdesmarteaux-piqueurs. Je levai machinalement les mains, dans une vaine tentative pour apaiser madouleur.Oudumoins,voulus-jeleverlesmains.Sansrésultats,malheureusement.J’ouvrispéniblementunœil.Puisunsecond.Pourlesrefermerimmédiatement.Maisqu’est-cequemamèrefichaitlà?Commentdiableavait-ellesuoùmetrouver?Jetentaisderassemblermessouvenirs,etétonnamment,cefutbienplusfacilequelapremièrefois.

Jemerevisparfaitemententraindebaragouiner lenumérodeportabledeLy’.Cen’étaitdoncpasvraiment surprenant qu’il fût là. Ni quemon frère l’accompagnât. Jem’y attendais, en réalité. Lefacteurinexplicabledel’équation,c’étaitlaprésence,hautementindésirable,demamère.—Sortezd’ici!Vousn’êtespasunmembredelafamille,vousn’avezrienàfairedanslachambre

demafille!Lescrisdeprotestationdemamèrenefirentqu’empirermonmaldecrâne.Quequelqu’unlafassesortir!C’était d’ailleurs surprenant que ce ne fût pas déjà chose faite. Normalement, tout élément

perturbateurétaitproprementexpédiéhorsdel’hôpital,afindenepastroublerlereposdespatients.Pourquoinebénéficiais-jepasaussidecetterègleprimordiale?Tonkarma,A,c’esttonkarma.Ilestnoir…commelereste.

Évidemment.—Madame, je vous prierais de bien vouloir baisser d’un ton ! Vous troublez le repos de nos

patients!(Ah,enfin!)Deplus,cejeunehommeesticiàlademandeexpressedemapatiente.Mamèrepoussauneexclamationchoquée.—Mafilleaeuuntraumatismecrânien,ellen’apaslesidéesclaires,enfin!Çasevoitcommele

nezaumilieudelafigure!Jedusavoirquelquessecondesd’absence,carjen’entendispaslaréponsedumédecin.Maisellene

dutpasêtreaugoûtdemamère,sij’enjugeaisparlesecondcriscandaliséqu’ellepoussa.—Neditespasn’importequoi!C’estmafillequiestallongéesurcelitd’hôpital,ettoutça,c’està

causedelui!Iln’arienàfaireici!Seulslesmembresdelafamillesontadmisauxsoinsintensifs!Il y eut unmoment de flottement et plus personne ne parla. Puis, une voix grave, parfaitement

inconnue,s’élevaalors:—C’est une accusation très grave,Madame.Vous accusez ce jeune homme d’avoir battu votre

fille?J’ouvrisimmédiatementlesyeuxetjevoulushurlerun«NON!»,fortetretentissant.Maisaucun

sonnefranchitlabarrièredemeslèvres.Paniquée,jeréalisaiquejenepouvaisnibougerniparler.Étais-jeparalysée?Moncœurtambourinaitviolemmentdansmapoitrineetjen’arrivaisplusàrespirer.Lesmachiness’emballèrentetdesalarmesretentirentunpeupartoutdanslapièce.—Sortez!Tousautantquevousêtes,sortezimmédiatementdecettepièce!Unenouvelleboufféedepaniquemesaisitalors.Trèsdifférente,plusviscérale.J’euslasensation

quemoncœurdégringolaitpourselogerdanslecreuxdemonventre.Angoisséecommejamais,bienplusqueparlefaitdemourirétouffée,jetournailesyeuxversLy’

et lui lançai regardsuppliant.«Neme laissepas.Resteavecmoi.»Voilàceque jecherchaisà luidire.LeregarddeLy’s’assombritdangereusementetilsejetalittéralementsurmoi.—Respire,masouris,respire.Pourmoi…jet’enprie,respirepourmoi.Sa présence me fit un bien fou, et la bouffée de panique qui m’avait assaillie reflua

progressivement.Jeprismachinalementunegrandegouléed’air, sans réaliserque j’avais recommencéà respirer

dèsqu’ilavaitétéàmescôtés.Incapablededétournerlesyeux,jem’accrochaisdésespérémentàlui.Bienque rassurée, j’étais intimementconvaincueque si jevenaisà le lâcherdu regard,mêmeunedemi-seconde,ilsl’emmèneraientloindemoi.Horsdequestion!J’ouvris la bouche, mais encore une fois, aucun son n’en sortit. Des larmes de frustrations

perlèrentauxcoinsdemesyeux.—Ellen’arrivepasàparler.Est-cequec’estnormal,Docteur?demandaLy’,d’untoninquiet.Sonregardétaitremplid’angoisse.Pourmoi.Uneboufféed’amourpurmetraversa.Dieuquej’aimaiscemec!—Çapeutarriver.N’oubliezpasqu’elleaunecommotion.Bénigne,certes,maisnonnégligeable,

réponditcalmementlemédecin,enposantundoigtsousmonmenton.Regardez-moi,MademoiselleCampbell,s’ilvousplaît.Je tournai lentement la tête vers lui, et fus profondément soulagée de constater que j’arrivais

encoreàbouger.Toutdumoinsmatête.Après les contrôles d’usage, ilme demanda de lever un bras. J’eus beau essayer de toutesmes

forces,jen’yparvinspas.Idempourlesjambes.Alorsquelapaniquesefaisaitànouveauressentir,lemédecinme rassura. C’était un effet secondaire aumédicament qu’ils avaient dûm’injecter aprèsmonpremierréveil.Cequiexpliquaitpourquoij’avaisalorspuparler,etplusmaintenant.Leseffetsdevraientsedissiperdansl’heure.Inutiledepaniqueretdes’alarmeravant.Facileàdire!Cen’étaitpasluiquiétaitclouédanscelit,incapabledebougeretdeparler.Ly’ traduisitma pensée en la communiquant demanière fort peu diplomate aumédecin.Ce qui

déclenchaunenouvelledisputeavecmamère.Je grimaçai en entendant leur voix résonner dans ma tête. Un bon coup de perceuse dans mes

tempes,voilàcequ’ilmefaudraitpourmesoulager!—Suffit!ordonnafroidementlemédecin,entapantdanssesmains.Sivousêtesincapabledevous

maîtriser, Madame, je vous conseille vivement de sortir ! Et ne protestez pas, sinon j’appelleimmédiatementlasécurité!Nevoyez-vousdoncpasquevousperturbezvotrefilleenhurlantcommeunepoissonnière?Sans surprise, je vis la bouchedemamère s’ouvrir.La connaissant, jem’attendais à une tirade

épique.Ledocteurfutplusrapidequ’elleet,devinantsonattention,setournaversl’agentdepolicequisetenait,luiaussi,danslachambre.Çadevaitêtrelavoixgravequej’avaisentendueplutôt.—Puisquevousêteslà,pourriez-vousescortercettedamedehors?Mapatienteabesoindecalme.

De plus, commevous pouvez le constater, elle n’est pas en état de répondre à vos questions pourl’instant.Revenezdansuneheureoudeux.L’agent de police tourna les yeux vers moi et pencha lentement la tête sur le côté. Il semblait

réfléchirsérieusementàlaquestion.Ilétaitpourtantévidentquejenepouvaispasparlerpourl’instant!Un«bip»retentitdanslapiècedevenueétrangementsilencieuse.Ilportalamainàsaceintureet

attrapasonbiper.Unfinsourireétiralentementseslèvres.—Moncollèguevientd’arriver.J’escortemadamedehors,puisnousreviendronsvousvoir.Nos

questionsnepeuventmalheureusementpasattendre.(Lemédecinvoulutintervenir,maislepolicierneluienlaissapasletemps.)Votrepatienteestconsciente,Docteur.Noustrouveronsunmoyendenouscomprendre. (Il pivota vers ma mère et lui fit signe de le suivre.) Venez, Madame. Et sans faired’histoire, s’il vous plaît. Je ne voudrais pas devoir vous emmener au poste pour tapage dans unhôpital.Les lèvres pincées, ma mère le suivit. Avant de quitter la pièce, elle pivota sur ses talons et

foudroyaduregardlemédecinetLy’.Quellesurprise!—Vousaveztoutemacompassion,jeunehomme.J’ailamêmeàlamaison,soupiralemédecin.Monfrèreéclataderire,serappelantainsiàmonbonsouvenir.Mesyeuxdévièrentverslui.—Anna, tu as l’art et lamanière de temettre dans des situations pas possibles, soupira-t-il, en

croisantmon regard. (Il s’avança et prit place aux côtés deLy’.) J’ai unmillion de questions à te

poser,maisjevoisbienquetun’espasenétatd’yrépondre,contrairementàcequeprétendceflic.Alors,jemecontenteraid’uneseule.Est-cequeçava?J’arquai un sourcil, tant cette question était débile. J’étais clouée sur un lit d’hôpital avec une

commotion cérébrale, certes bénigne, mais quand même ! J’étais, pour ainsi dire, incapable debougeroudeparler.Danscesconditions,avais-jel’airdebienaller?Sérieusement?C’estunmec,A.Clairement!Ly’sereculalégèrementetluidonnaunetapederrièrelatête.—Àtonavis?Est-cequ’elleal’airdebienaller?Tuenasd’autresdequestionsstupides?Andylefoudroyaduregard.—Ellesouffrepeut-êtred’unmalquin’estpasvisible…Agressionsexuelle.Cesdeuxmotsrésonnèrentfroidementdansmatête.Dansl’étatdefaiblessequiétaitlemienactuellement,jenepusrésisterauxsouvenirsquitentaient,

une fois encore, de s’échapper de la prison de glace dans laquelle je les avais enfermés.La portetremblaetsefissurasouslaviolencedeleurattaque.Delasueurfroideperlaàmonfrontetjemesentisblêmir.—Annabelle!LecrideLy’demeurasanseffet.Les images tanthaïescommencèrentà sedéverserparvagues.

Impuissante,jenepouvaisnidétournerleregardnifermerlespaupières.Lesimagesétaientdansmatêteetellesdéfilaientà l’infini.Jenepouvaisrienfairecontre.Absolumentrien.J’étais tropfaiblepourlutter.Tropfaible.«Belle,monpoussin,tuessibelle…Maprécieusepetitefille…sibelle…»Lesbattementsdemoncœurs’accélèrentetlesmachinesseremirentàbiper.Seulementcettefois,

jen’yprêtaipasvraimentgarde.Ellesrésonnèrentenbruitdefond.Toutcequej’entendais,toutcequejevoyais,c’étaitmonpère.Monpèrequimesouriait.Monpèrequis’avançaitversmoi.Monpèrequicaressaitmajoue.Mon

pèrequiavançaitunemainlégèrementtremblanteverslachemisedemonpyjama.«Belle,monpoussin,tuessibelle…Maprécieusepetitefille…sibelle…»

Chapitre28

Jereplongeai,têtelapremière,dansunpasséquej’auraisvouluoublier.Dansunpasséquej’avaistout fait pour oublier. Cette triste scène, je la connaissais par cœur. Je l’avais revécue, encore etencore;nuitaprèsnuit;cauchemaraprèscauchemar.Crisper les paupières, serrer les dents et attendre que ça passât ne fonctionnait pas ; ça ne

fonctionnaitjamais.Ellerevenaittoujours.Alors,jel’avaismisesousclé,emmuréedansuneprisondeglace.Çaavaitétédur,lalutteacharnée…Maisj’avaisvaincu.Moi,lapetitesourisgrise,j’étaissortievictorieusedececombat.Dumoins,lecroyais-je.Ce n’était visiblement pas le cas. Depuis quelque temps, elle revenait me titiller. Elle tentait, à

nouveau,des’échapperdesaprison.Était-ceparceque j’avais retrouvémonfrère?Ouparcequej’étaistombéeamoureuse?Jenesauraisledire.Maislefaitétaitlà,etbienlà.Alorsquelebonheurétaitàportéedemains,mesdémonsintérieursvenaienttoutgâcher.Serais-je

levainqueuroulevaincu?Gagnerais-jeunefoisencorecetéprouvantcombat?Rienn’étaitmoinssûr.Maprisondeglace,biencachéeaufinfonddemamémoire,venaitdevolerenéclat.Ledémonle

plushideuxdemonpassé,monpère,revenaitmenarguer.Encoreettoujours…inlassablement.Lesimagesserépétaientsanscesse,lesparolesdoucereusesrésonnaientenboucle;monpirecauchemarreprenaitvie.Unhurlementdeprotestationjaillitsoudaindemeslèvresetretentitdans lapièce,serépercutant

auxquatrecoins.Unhurlementdebêteblessée,brisée.Laportes’ouvritàtoutevoléeetdeuxpoliciersentrèrentencourant,l’armeaupoing.Cettevisionbrisanetl’enchantementdontj’étaisvictime.Telleunebulledesavon,messouvenirs

explosèrent dans un petit « ploc » et mon esprit redevint clair. Perplexe, je fixai les nouveauxarrivantssanscomprendrecequ’ilsfaisaientlà.Pourquoiétaient-ilsarmés?Parcequetuashurlécommeunemalade,A.Jerougisàcerappel,gênée.Jedétestaisattirerl’attention…Dieuquejedétestaisça…—LysanderHoward,quellesurprise!s’exclamaleplusâgédesdeux,leprésumé«collègue».Les

mainsenl’air,bienvisibles.Tuesenétatd’arrestationpouragressionavecpréméditation.Bouchebée,jelesfixaiavecdegrandsyeuxécarquillés.C’étaitquoicebordel?!Puisdeuxchosesmepercutèrentconsécutivement.Ly’s’appelaitenréalitéLysander.Incroyable!

J’avaistoujourscruqueLy’étaitsonprénometnonundiminutif.J’étaissapetiteamieetjenesavaismêmepascommentils’appelait!Lechocfutterrible.Toutefois,ilpassarapidementensecondplan,engloutiparlaterriblenouvellequisuivit:ilétaitenétatd’arrestation.Oh.Mon.Dieu!Jetournaiunregardhorrifiéverslui.—Ly’,maisqu’est-cequetuasfait?!?(Tiens,mavoixétaitrevenue.Enfin,sil’onpouvaitappeler

ce faible croassement une voix.) Tu as déjà vu la vidéo de mon agression ? (Était-ce seulement

possible?Pouvait-ilvraimentl’avoirdéjàvueetavoircassélafigureàMax?)La tête de Ly’ pivota versmoi et il braqua son regard vertmenthe surmon visage. Il semblait

fulminer.(Peut-êtrequ’ilnel’avaitpasvueenfindecompte…)—Dequoituparles,masouris?Unconnardafilmétonagression?(Aïe!)Aumêmemoment,lavoixdemonfrères’éleva,scandalisée:—Quoi?!Ont’afilméeaulieudeteportersecours?!(Aïe!)Oh,bonsang!Visiblement,ilsn’étaientpasaucourant.Nil’unnil’autre.Bravo,A!Bienjoué!Eh,merde.—Situnesavaispasqu’onm’avaitfilmée,commentas-tupuagresserMax?—IlapayéMaxwellSheperdpourvousagresser,Mademoiselle,m’interrompitfroidementleplus

âgé des policiers. Maintenant, Howard, tu lèves bien haut tes mains pour que je les voie. Et toi,Campbell,jeteconseilledenepastropfairelemariole.Lamèredecettejeunefilleasous-entenduquetuétaiségalementdanslecoup…Siuntrainm’avaitpercutéàcemoment-là,lechocn’auraitpasétéplusviolent.—Qu-qu-quoi?balbutiai-je,profondémentchoquée.Mamèreaquoi?(Neleurlaissantmêmepas

letempsderépondre,jememislittéralementàhurler,follederage.Enfin,hurlerétaitunbiengrandmot… disons plutôt que je parlais aussi fort que possible. Avec une voix partiellement brisée, çadonnait…pasgrand-chose, en fait.)Andyestmon frère,bordeldemerde !Commentvoulez-vousqu’ilpuisseêtreresponsabledequoiquecesoit?!C’estmongrandfrère,jamaisilnemeferaitlemoindre mal. (J’avais l’impression d’assister à un mauvais film. Le passé se mélangeaprogressivementauprésent.Larancœurquej’avaissilongtempsgardéeaufonddemoim’envahit,me faisant perdre toutemaîtrise. Les paroles coulèrent, sans que je puisse seulement songer à lesfiltrer.) Ma mère le déteste, et elle serait bien trop heureuse de l’envoyer en prison, là où je nepourrais plus avoir lemoindre contact avec lui.Elle estmalade de jalousie du lien particulier quinousunit,Andyetmoi.QuantàLy’,ouLysander,commevouspréférez,c’estpareil!Elleestfollederagequej’aiunpetitami,etencoreplusparcequ’ilnecorrespondpasàsoncritèredeperfection!Lefaitquecesoitlemeilleurpotedemonfrèren’arrangepasleschoses.Sivouscherchezlecoupable,vousvousgourezcomplètementdedirection!C’estMaxquim’afaitça,etuniquementMax.Etpourles mêmes raisons qui ont poussé ma mère à lancer ses fausses accusations : par jalousie et parenvie!Unmecafilmétoutelascène,sivousnemecroyezpas,allezdoncjeteruncoupd’œilsurYouTube, je suis sûre qu’elle est déjà en ligne ! Au lieu d’accuser gratuitement les gens, sous lesélucubrations rocambolesques d’une femme jalouse, vous devriez peut-être retourner à l’école etréapprendrevotreputaindemétier!(Oups,ça,jen’auraispeut-êtrepasdûledire…)Onn’accusepaslesgenssanspreuve!Alorsquejemarquaiunecourtepause,histoiredereprendremonsouffle,leplusjeunedesdeux

policiersenprofitapourm’interrompre:—Onadéjàvulavidéo,Mademoiselle.MaisçanechangerienaufaitqueMonsieurHowardest

accusé d’avoir organisé tout ça.De plus, avec son passé, on sait parfaitement qu’il est capable deviolenceenverslesfemmes.Je lui lançai un regard noir qui aurait pu le tuer sur place si je possédais le moindre pouvoir

magique.Commecen’étaitmalheureusementpaslecas,ilneseproduisitrien,évidemment.

Dommage.Noir,noir,noir!Encoreettoujoursdunoir!!!—Ly’n’estpasdutoutresponsabledecequim’estarrivé,affirmai-jed’unevoixglaciale.—Vousêtesjeune,vousêtesamoureuseetvousnesavezpascequ’unhommepeutfairequandil

estencolère.Votremèrenousaditquevousvousétiezdisputécematin,et…—Vous êtes vieux, vous êtes con, etmalheureusement pour vous, vous ne changerez jamais, le

coupai-jesèchement.Oh.Mon.Dieu!C’étaitmoiquivenaisdedireça?Ouais,A,c’estbientoi.Zutdeflûtedecrottedebique!Alors que les flics me fixaient comme deux ronds de flan, mon frère faillit s’étouffer avec sa

salive.Ly’fronçalessourcils,furieux.—Annabelle,çasuffit ! (Blême, je le fixaisanscomprendre.)Jesuisungrandgarçonet jesuis

parfaitementcapabledemedébrouillertoutseul,mercibien!Inutiledet’attirerdesennuispourmesortirdesmiens!Seigneur,tuesdéjàclouéesurcelitd’hôpital,aussiblanchequ’unemorte,parcequetuasvouluréglertesproblèmestouteseule!Laisse-moigérerça!Àcerythme-là,tuvasfinirencellule,pourinsulteàagent.Merci,mais:NON,MERCI!Jemeratatinaisurplace,bouleverséeparletonfroiddeLy’.Enmêmetemps,iln’apasvraimenttort,A.Honteuse de ma réaction hautement disproportionnée, je baissai les yeux et luttai vaillamment

contremeslarmes.Peineperdue.Letrop-pleind’émotionseutraisondemoi.Unvéritabledélugesedéversalelongdemesjoues.—Toutlemondedehors!Immédiatement!L’ordredumédecinfutcontesté,biensûr,mais ilarrivatoutdemêmeàtouslesfairesortir.Lui

compris.Jerestaiseuledansmachambre.Avecmeslarmes,messouvenirsetmesremords.Laviemedétestait,iln’yavaitpasd’autresexplicationslogiques.Enmêmetemps,situn’avaispasinsultélesflics,A,tun’enseraispaslà.Lalitotedusiècle!Jenesavaispascequim’avaitpris,nipourquoij’avaisprononcéceshorriblesparoles.Çaneme

ressemblaitpasd’êtreaussi.Maislesforcesdel’ordre,aprèscequ’ilsavaientfaitàmonfrère,étaientma bête noire et avaient l’art deme hérisser le poil. Je n’y pouvais rien.Alors, quand ils avaientaccuséLy’,commeça,sanspreuve,monsangn’avaitfaitqu’untour.Toutelacolèrequejegardaisenmoidepuisdesannéess’étaitlibéréeets’étaitdéverséesureux.C’étaitlajournéedeslibérations…Alorsc’estplutôtbonsignepourLy’,n’est-cepas?

Siseulement!Maisaveclajustice,jememéfiais.IlssemblaientjugerLy’sursesactionspassées,etnonsurses

actionsprésentes.Etcelameterrifiaitàunpointinimaginable.Ilsallaientmeleprendre.J’enétaispersuadée.Ettoutçaàcausedemamère.Mesyeuxflamboyèrentderage.Cettefois,jeneleluipardonneraispas.Elleétaitalléetroploin.

Beaucouptroploin.

*****

Quandlemédecinrevint,unlongmomentplustard,j’avaisretrouvélamobilitédemesmembresetunevoixcorrecte.Encoreunpeurauque,maisplusrienàvoiraveccesespècesdecroassementsquim’avaientirritélesoreillestantôt.Mes constantes étant bonnes, mes réflexes également, il m’annonça que je pourrais très

certainement sortir le lendemain matin. Par mesure de précaution, j’avais quand même unecommotion,ilvoulaitmegarderenobservationcettenuit.J’eus donc droit à un petit encas quime fit le plus grand bien. Je devais reconnaître que j’étais

affamée,n’ayantrienmangédepuisledînerdelaveille.Etnousétionsdéjàenmilieud’après-midi…J’euségalementdroit àunevisite.Ly’étantaupostedepolice, ilne restaitplusquemamèreet

Andy.Refusantcatégoriquementdevoirlapremière,cefutmonfrèrequivintmetrouver.Nous eûmes une longue discussion, et je dus lui retranscrire tout ce qui s’était passé avecMax.

Rapportant chaque mot et chaque geste. Les poings serrés, les veines de ses tempes battant à unrythmefou,jecrusbienqu’ilallaitfoncerdare-dareaupostepourluilogueruneballeentrelesdeuxyeux.Sesprunellesbleueslançaientdeséclairs,etlapromessedevengeancequej’ylusmefitfroiddansledos.Pourvuqu’ilnefassepasuneconnerie!Monfrèreavaiteulamêmeexpressionlorsqu’ilavaitsurprisnotrepère,cefameuxsoir.J’avais

doncdequoim’inquiéter,etpasqu’unpeu!Prisedepanique,jeluiagrippaifrénétiquementlamainetlesuppliaidenerienfairedestupide.—Y’aunmoyentrèssimple,etinfaillible,det’enassurer,Annabelle.Aïe.Annabelle.Mon frèrenem’appelait jamais ainsi.C’étaitmauvais signe.Trèsmauvais signe

même.Jedéglutispéniblement.—Lequel?—Tuportesplaintepouragressioncontrececonnard.Iliramoisirautrouquelquetemps,çalui

feradubien.Là-bas,ilsvontteledresser,fais-moiconfiance.Ilyréfléchiraàdeuxfoisavantdes’enprendreànouveauàunefemmesansdéfense.Jefaillism’étouffer.—Jenesuispasunefemmesansdéfense,Andy!Jesuisceinturenoiredetaekwondo.Sijen’avais

pasétédéconcentréeparlecrétinquim’afilmée,jamais…Andylevabrusquementlamain,meréduisantimmédiatementausilence.—Jesais,j’aivu.(Devantmonairsidéré,ildétournalesyeux,gêné.)Lemecabalancélavidéo

surinternetavantquelesflicsneréquisitionnentsonportable.Cequim’amèneàlaquestionsuivante:depuisquandpratiques-tuunartmartial?Et,bordeldemerde,pourquoitunemel’asjamaisdit?!Malàl’aise,jebaissailesyeuxsurlesdrapsdemonlitetmemisàlestriturer.— Eh ben, j’ai commencé à suivre des cours après ce qui s’est passé. Pas tout de suite, mais

environunanaprès.Jenet’enaipasparlésurlemomentparcequemamanfliquaittoutesmeslettres,commetulesais,ettouteslestiennes.Etbiensûr,jeneluiairiendit.(Devantsaminestupéfaite,j’eusunpetitsourireencoin.)Ellen’auraitjamaisétéd’accord,Andy,tulesaisbien.Etjenevoulaispasqu’ellemeprennelatêteavecça.Jemesuisinscriteauxcours,j’aiimitésasignatureetj’aipayéavecl’argentdepochequej’économisaistouslesmois.(Jehaussailesépaules,fataliste.)J’avaisplusdecopinesavecquiledépenserdetoutemanière.—Mais…tuavaisàpeinetreizeans!!Commentmamanapupasseràcôtédeça?— J’ai dit à maman que le psy m’avait conseillé d’aller courir une heure, tous les jours. Que

l’effortphysiqueétaitexcellentpourlepsychique,toutça.Donc,quandjemerendaisaucoursaulieud’allercourir,ellenel’ajamaissu.Nimêmeremarquéd’ailleurs.GeorgianaCampbell était remarquablement douée pour ne voir que ce qui l’arrangeait. Sa fille

allaitcourirtouslesjoursetdepuiselleallaitmieux.Point.Findel’histoire.Tudeviensaigrie,A.Ouais,peut-êtrebien,maisavecunemèrecommelamiennec’estimmanquable,non?Non. Tu peux choisir de lui tourner le dos et de commencer une nouvelle vie. Faite de joie et

d’amour.AvecLy’.Jemerembrunisinstantanément.Pourça,ilfallaitquelesflicslerelâchent.Etjen’ycroyaispas

trop.Jel’avaisperdu.Combiendejours,combiendemoiss’écouleraientavantquejenelerevoie?Lesyeuxperdusdanslevague,jeretraçaisduboutdel’indexlesplumesblanchestatouéessurmon

avant-bras.Monailed’ange.Malueurd’espoiraumilieudesténèbres.Peut-êtreque…—Mais…etleprof?Lavoixd’Andymetirademessombrespensées.— Je lui ai dit que maman voyageait beaucoup et que c’était ma vieille tante qui me gardait.

Commeelleétaitenfauteuilroulant,ellenepouvaitpasvenir.—Oh,bordel!Etilt’acrue?—Ben,oui…Quellequestion,franchement!Est-cequ’unepetitesourisgrise,effacéeparnature,étaitcapabledementir?Biensûrquenon!On

luidonneraitleBonDieusansconfession.Ilyaquelquesavantagesàêtremoi,enfait.T’esentraindeteféliciterpourtesmensongesetlacrédulitéduprof,A?Non.Jemefélicitepourmoningéniosité.Nuance…

Pfff!Andysepassavivementlamaindanslescheveuxetsefrottavigoureusementlesommetducrâne.—Etdirequejeprenaismapetitesœuradoréepourunesainte!Jeluiprislamainetlatapotaiaveccompassion.—Jesais,lavieestmoche.Tupensesquetuvast’enremettre?Ilmetiralalangue.—C’estça,moque-toi !TurirasmoinsquandLy’auravucettevidéo!Putain, jen’arrivepasy

croire…Masœurpratiquelesartsmartiaux…MasœurestuneminiChuckNorris.À lamentiondeLy’,mon sourire se fana et la joie que j’avais éprouvée lors de notre échange

retombacommesoufflé.—S’iln’estpasjetéenprisonavant…Monfrèreouvritlabouchepourmerépondre,maisnousfûmesbrutalementinterrompus.C’était le flic.Celui qui avait unedent contreLy’.Et si j’en jugeaispar le regardnoir qu’ilme

lançait,ilenavaitégalementunecontremoi.Génial.Enmêmetemps,tul’asinsultégratuitement,A.Vusouscetangle,effectivement.Sousquelautreanglevoudrais-tuquejeregarde?—Jetedemanderaisdenouslaisser,Campbell,jedoisparleravectasœur.Seulàseul.Mon frèreme lança un regard hésitant. Je hochai lentement la tête pour lui dire que ça irait. Il

pouvait me laisser. Ses yeux se plissèrent et je déchiffrai parfaitement le message qu’ilsm’envoyaient:«Tienstalangueetnefaispasdeconneries!»Unefoismonfrèreparti,leflicseplaçaaupieddulit,medominantdetoutesataille.Çacommençaitbien…—Jevoudraism’excuserpourtoutàl’heure…Lesmotsontquelquepeudépassémapensée…Jefaillism’étranglerenprononçantsesexcusesquejenepensaispasvraiment.Sijeregrettaisde

l’avoir insulté, je n’en pensais pas moins. Les policiers étaient tous des incapables.Mais bon, cen’était pas en gardant une attitude pareille que je plaiderais la cause de Ly’. Au contraire. Celapourraitbienluiporterpréjudice.Dieum’enpréserve!—Pourquoij’aidumalàvouscroire,MademoiselleCampbell?Sansdouteparcequ’ellessonnentfaux…etquejen’enpensepasunmot!Ma souris grise ayant rentré ses griffes, c’était bienma veine, jeme fis discrète. Je haussai les

épaules,maisneditriendeplus.—MaxwellSheperdaportéplaintecontrevous,pourcoupsetblessures,annonça-t-ildesavoix

froide.Jefronçailessourcils,n’étantpascertained’avoirbiencomprislesparolesduflic.—Jecroyaisqu’ilvousavaitditqueLy’l’avaitpayé,oujenesaisquoi,pours’occuperdemoi…,

rétorquai-jed’unetoutepetitevoix.Ilm’avaitattaqué,ilavaitaccuséLy’d’êtreàl’originedetoutça,etvoilàquemaintenantilportait

plaintecontremoi!C’étaitlemondeàl’envers!—Oui,c’estbiencequ’ilnousadit.—Etlà,ilporteplaintecontremoi?—Oui.—C’estuneplaisanterie?—Non.Okay.Visiblement,j’étaistombéesurMonsieurBavard,c’étaitbienmachance!—Ça ne vous semble pas un peu étrange qu’après avoir accusé Ly’ d’être à l’origine de cette

baston,ilporteplaintecontremoi,lavictime?!m’écriai-je,scandalisée.MonsieurBavardcroisalesbrasetmelançaunregarddetravers.—Pourquoi,dansvotrebouche,çasonnecommeuneinsulte?(Euh,peut-êtreparcequec’enest

une…?)Bon,sivousmeracontiezvotreversiondesfaits?Commentças’estpassé?—Jecroyaisquevousaviezvulavidéo…— La vidéo ne montre pas tout…, dit-il en pointant ma joue gauche du doigt. Le coup qui a

provoquécecocard,parexemple,n’yfigurepas.Donc,maintenant,jeveuxvotreversiondesfaits.Avectoutcequim’étaitarrivé,j’enavaiscomplètementoubliémesdeuxcocards.Unsurchaque

joue,pasdejaloux!Jen’osaismêmepasimagineràquoijedevaisressembler.L’imaged’unhamsterboursoufflémetraversal’esprit.Ouais,sansdouteàquelquechosedecegoût-là!Le raclement de gorge deMonsieur Bavardme rappela à l’ordre. Je lui rapportai donc ce qui

s’étaitpassé.Pourladeuxièmefoisconsécutive,puisqu’Andyyavaitégalementeudroit.—Ilyaun trucquimechiffonne,MademoiselleCampbell.Pourquoivotremèreaccuserait-elle

Howardcommeça,sansraison?Entrenepasapprouverlesfréquentationsdesafilleetaccuserunepersonne de violence, il y a unemarge.De plus, porter de fausses accusations sur quelqu’un peutcoûtercher,denosjours.Unsouriresansjoieétirameslèvres.—Parcequ’ellepensevraimentqu’ilestresponsable.Maispasausensoùvousl’entendez.SiLy’

n’étaitpasmonpetitami,elleetmoinenousserionsjamaisdisputéescematin.Sinousnenousétionspasdisputéescematin,jamaisjen’auraisquittémonappartement.Sijen’avaispasquittémonappart,jamais…—…jamaisvousneserieztombéesurMaxwellSheperd.Jevois.Mais…—MamèresaitparfaitementoùmonfrèreetLy’sesontrencontrés:enmaisonderedressement.

Mon frère étant un… criminel, du moins pour elle, Ly’ l’est aussi par extension. Et la place descriminels, c’est derrière les barreaux. Ne me demander pas de débattre sur le sujet, je pourraisdevenirméchante,encoreplusqu’avecvoustoutàl’heure.MonsieurBavard ne réagit pas àma tentative pathétique d’humour. Le visage impassible, ilme

dévisagealonguement,sansmotdire.—Quandnoussommesarrivés,ellen’apasmentionnéqueCampbell,votre frère,était son fils.

Issud’unpremiermariage,peut-être?

Ce policier était décidément très curieux. Bien que lasse de cette discussion, et ne voyant pasvraimentlerapportaveclasituationactuelle,jechoisistoutefoisdejouerfrancjeu.—Non.Andyestsonfils,lachairdesachair.Maisdepuisqu’ilaétéenmaisonderedressement,

ellel’arenié.Pourelle,iln’estplussonfils.Ilneluirestequ’unefille.Lavérité.Froide,cruelle,sansfioriture.MonsieurBavardnecillapas.—Jevois.Quevoyait-il?Jenelesavaispas,et,honnêtement,jem’enfichaisunpeu.Sonavis,surmoietma

famille, ne m’intéressait absolument pas. Tout ce que je voulais savoir, c’était quand Ly’ seraitrelâché.Si,ilestrelâché,biensûr…Courage,A,ilfautycroire!Ilsn’ontaucuneraisondelegarder.Aucune!Siseulementçapouvaitêtrevrai.—Quandest-cequejepourraisvoirLy’?Monsieur Bavard haussa les sourcils, puis baissa les yeux. Il regarda attentivement ses ongles,

commesic’étaitlahuitièmemerveilledumonde.Saloperiedeflicdemesdeux!—Jenesaispas…Blême,jesentislesangbattreàmestempsdemanièrefrénétique.Unsentimentdepaniquenaquit

enmonsein.Non,non,non…—Non…Vous…vousnepouvezpas…ilest innocent…Jevous jurequ’iln’arienàvoiravec

monagression…Je…—Jesais.J’étais sur le point d’en rajouter quand les paroles qu’il venait de prononcer prirent un sens.

Bouchebée,jen’osaisycroire.—Qu-qu-quoi…?Super,A.Lagrandeclasse!Tuveuxretourneràl’écolepourréapprendreàparler?Souslechoc,lesparolesfielleusesdemavoixintérieuremeglissèrentdessus.—Ilattendderrièrelaporte.QUOI?!—Maisalors,pourquoim’avoirposétoutescesquestions…?Leflicrelevalatête,unpetitsourireencoin.—Parcequejesuisvieux,conetquejenechangeraijamais.EtVLAN,danslesdents!Celle-ci,tunel’aspasvolée,A!MonsieurBavard:un;Anna:zéropointé!

Chapitre29

MonsieurBavardvenaitdequittermachambre.Maisavantdesortir,ilavaittenuàm’informerqueLy’avaitdécidédenepasporterplaintecontremamèrepouraccusationsmensongères.Cependant,entantquereprésentantdelaloi,ilallaitquandmêmeluientoucherdeuxmotspourqu’ellecomprîtbienlagravitédecequ’elleavaitfait,etdecequiluiarriveraitsiellerecommençait.—ÇaneressembledéjàpasàHowarddepardonnerunepremière fois,alorsunedeuxième, ilne

fautmêmepasqu’elleypense!s’était-ilexclamé,avantdequitterlapièce.J’espérais sincèrement quemamère comprendrait la chance incroyable qu’elle avait,mais j’en

doutaisfortement.Ellefaisaitpartiedecesgensquipensaientquel’argentpouvaittoutacheter.Dansune certainemesure, elle avait raison. L’argent pouvait acheter énormément de choses. Seulementpourunefois,celaneluiserviraitàrien.Sonargentn’achèteraitniLy’nimoi.Nousn’étionspasàvendre.Deplus,jamaisjenepourraisoublier,etencoremoinspardonner,cequ’elleavaitfait.AccuserLy’

d’avoir organisémon agression…Une colère sourde se répandit dansmes veines à ce détestablesouvenir.Ça,non!Jeneleluipardonneraispas.Telunserpent,jemedélestaisdemavieillepeaumorteetl’abandonnaissansunregardenarrière.

Aujourd’hui,mamèrevenaitdeperdresondeuxièmeenfant.Àladifférenceprèsque,cettefois-ci,c’étaitlachairdesachairquiluitournaitledos.Unprêtépourunrendu,commeondit!Uneligneavaitétéfranchieetjenepouvaispaspasseroutre.J’avaisfermélesyeuxtropdefois.

J’avais pardonné trop d’ingérence de la part demamère. Beaucoup trop. Où tout cela m’avait-ilmenée?Droitenenfer.Bonsang,elleavaitfaillienvoyermonmecenprison!Non,ça,jenepouvaispasleluipardonner.

Jamais.Tuesdevenueunesourisgrisebientéméraire,A!Commejesuisfièredetoi!Merci.Ly’n’étaitpeut-êtrepasparfait,ilavaitmêmeuncertainnombrededéfauts,maisc’étaitlemecque

j’aimais.Jen’accepteraisjamaisquemamèresedressâtentrenous.C’étaitmavie,meschoix.Ilétaitplusquetempsqu’ellelecomprît.Hip,hip,hip,hourrapourA!Uncoupsec, frappécontre laportedemachambre,m’avertitde l’arrivéedeLy’.Unfrissonde

plaisirmetraversaetjetournaiunregardlumineuxversl’entréedelapièce.Laportes’ouvritet……ilfutlà.Encoreplusbeauquedansmonsouvenir.Uneimpressiondueaufaitquej’avaisfailli leperdre,

certainement.Parcequ’ilnepouvaitpasêtreplusbeauqu’ilnel’étaitdéjà.Cemecétait…ilétait……complètementgivré!Oh,bonsang!

Ilfaisaitpresquemoinsdixdehors(ok,j’exagéraissansdouteunpeu…)etluiilétaitendébardeur.En débardeur, bon sang de bois !!!!!! Alors qu’il caillait un max, Monsieur avait revêtu sontraditionneldébardeurnoir!Cemecallaitmerendrechèvre…Hallucinée,jeleregardaiss’approcher,laboucheentrouverte.—T’esendébardeur…Super.Il avait été emmenépar les flics et accuséd’avoir commanditémon agression, et tout ce que je

trouvaisàluidire,c’était:«T’esendébardeur».A,tusors!Ly’arquaunsourcil.Ouais,jesais,jesuisminablesurcecoup-là…—Désolée,c’estsortitoutseul…,marmonnai-jeenrougissantcommeunepivoine.Vite,vite,untrouquejepuissem’ycacher!!!Etyresterpourlescinquanteprochainesannées…

Auminimum.Undoigtcaressadélicatementmajoue,avantdeseposersousmonmenton.Deslèvreschaudesse

pressèrentcontrelesmiennes.—Laissecouler,Annabelle,c’est lecontrecoup,chuchota-t-il, toutcontremes lèvres.Embrasse-

moi,masouris,parcequelà,bordel,c’estvraimentcedontj’aibesoin!Oh,merde!Cemecétaitvraimentadorable.Alorsquejemesentaisplusbasqueterre,etquejenesavaispas

dansqueltroumeplanquer,ilmedisaituntrucincroyablement…irrésistible.Mesmainsseglissèrentdanssescheveuxetjel’attiraiplusprèsdemoi.Rapidement,notrebaiser

devintplustorride,plusprimaire.Nousavions,l’uncommel’autre,besoinderéaffirmernosdroits.Alorsquej’étaisprêteàfairedurercebaiseréternellement,Ly’serecula.Jetentaideleramener

versmoi,maisilneselaissapasfaire.Tendrement,ilpritmespoignetsetmeforçaàlâcherprise.—Nousdevonsparler,Annabelle,c’estimportant,dit-il,d’untonsoudainfroid.Sidérée,jeleregardaissanscomprendre.—Ly’,qu’est-ceque…Ilposaundoigtentraversdemeslèvres.—Est-cequeMaxt’atouchée,Annabelle?Sa voix glaciale aurait pu congeler tout l’hôpital. Cela me rappelait des souvenirs. Et pas

particulièrement bons. Il me fallut quelques secondes, peut-être même une minute ou deux, pourréaliserquecen’étaitpascontremoiqu’ilétaitfâché.C’étaitsamanièreàluideseblinderfaceàcequejepourraisluirépondre.Samanièred’endiguertoutesémotionsfortespournepasleslaisserlesubmerger.Attendrie,jesentismoncœursegonflerd’amour.Encore.Beurk…Çadevientdégoulinantdeguimauve…Siçatedérange,personneneteretient!Parcontre,situchoisisderester,t’esgentille,tulamets

enveilleuse!Onnousadéjàsuffisammentinterrompusaujourd’hui…Miracledesmiracles,mavoixintérieureneréponditrien!— Non, il ne m’a pas touchée. Enfin, pas de la manière dont tu le sous-entends, répondis-je

franchement,enlefixantdroitdanslesyeux.Sesprunellescouleurmentheflamboyèrentd’unelueurmauvaise,meurtrière.—Maisilt’acognée.Etplusd’unefois…Sesdoigtseffleurèrentmesdeuxcocardsavantdeglissersurmonventre.Jedéglutispéniblement,pressentantqu’onétaitautournantdelaconversation.Lasuiten’allaitpas

luiplaire.Maisalors,vraimentpas.—J’aiveilléàluiretournerlapolitesse.Etjenem’ensuispastropmalsortie…—Vraiment?Savoixclaquacommeuncouperet.—Ly’,je…—Bordel,Annabelle!J’aivulavidéo,jel’aivue!Tuasétéinattentiveàdeuxreprises,putainde

merde,àdeuxreprises!Quandilt’afrappéeàl’arrièreducrâne,ilauraitputebriserlescervicales!Tuseraismorteavantd’avoirtouchélesol!TUAURAISPUMOURIR!Soncrirésonnaauxquatrecoinsdelapièce.Jevisunechosequejen’auraisjamaiscruvoirdans

leregarddeLy’,mêmeenvivantunecentained’annéesàsescôtés:delapeuràl’étatbrut.Ilétaitterrifiéparcequiauraitpum’arriver.Unechapedeplombtombadanslecreuxdemonestomacetleslarmesmevinrentauxyeux.Nomd’unepipeenbois!Jesuisdécidémentbienémotiveaujourd’hui…Pasplusqued’habitude,A.—J’aiétéimprudente,c’estvrai,dis-jed’unevoixdouceetapaisante,danslebutdelerassurer.

Maisjevaisbien.Ly’,jevaisbien.Jeleprisparlesmainsetl’attiraicontremoi.Jeleberçailonguement,toutcontremoncœur.Le

visageenfouidansmoncou,iltremblaitdetoussesmembresetmeserraitdeplusenplusfortcontrelui.Mes côtes apprécièrentmoyennement cette étreinte d’ours,mais je fis demonmieux pour lesignorer.Lavache!Çafaitquandmêmeunmaldechien!—Bordel,masouris!J’aieupeur.Sipeurquandl’hôpitalm’aappelépourmedirequetuétais

auxsoinsintensifs.Etquandjet’aivue,là,allongéesurcelit,blanchecommeneige,j’aicruquetuétaismorte.Bordel, jen’ai jamaiseuaussipeurdemavie !Mêmesi lemédecinm’avaitassuré lecontraireetquelesmachinesindiquaientquetuétaisbienvivante,jen’arrivaispasycroire.Tuétaistellement blanche… tellement immobile… Je voyais à peine ta poitrine bouger quand tu respirais.J’étaistétanisé,Annabelle,tétaniséàl’idéedeteperdre.Alors,quandj’aivucettefoutuevidéo…Oh,putain!J’avaisbeausavoirquetuétaisenvie,j’avaisbeaut’avoirvubouger,t’avoirentenduparler,quandj’aivucequ’ilt’avaitfait…(Ilfrissonnadeplusbelle.)Plusjamais,masouris,plusjamaisça!m’ordonna-t-il en se redressant et enme foudroyant de ses prunelles vertes, qui semblaient sur lepointd’entrerenfusiontantellesluisaient.(Flippant.)Nemefaisplusjamaisunepeurpareille!Tum’entends?Plusjamais!

Jeluiadressaiunfaiblesourireetluicaressaitendrementlajoue.—Jetelepromets.Ly’poussaunbrefsoupir.—Raconte-moitout,depuisquetuasquittél’appart.J’aibesoindel’entendredetabouche.Jesais

qu’onadéjàdûteledemandertropdefois,etqueçatesaoulecertainement,maisj’enaivraimentbesoin,masouris.Jeluicaressaiderecheflajoue.Ouais,jecomprenaisparfaitementsonbesoin.Etjenemefispasprier.Jeluiracontaitout.(Après

tout,jen’étaisplusvraimentàunefoisprès…)

*****

Aprèsuncombatdehaute lutte,acharnéetsanguinaire, j’avais finalementeugaindecause :Ly’restaitdormiravecmoi.Etpasdanslefauteuil,commeill’avaitvoulu,maisbiendansmonlit.Àmescôtés,làoùétaitsaplace.Jen’aurais jamaiscrudevoirbataillerpourobtenirunechoseaussisimple.Surtoutpasavec lui,

quiétait, il fallaitbien le reconnaître,quelqu’unde très tactile.Toutdumoinsune foisqu’onavaitfranchilesbarrièresdesécurité,enaciertrempé,quiprotégeaientsoncœur.Cequiétaitclairementmoncas.J’étaisdanslaplace!Jen’avaispaslaprétentiondedirequejel’avaisentièrementenvahie,carj’auraisétébienvaniteuse(cequin’étaitpaslecas),maisn’empêchequej’yétais.Etjecomptaisbienyrestermaviedurant!Biendit,A!SilesinfirmièresfaillirentfaireuneattaqueendécouvrantLy’dansmonlit,ilfallaitreconnaître

qu’avec une carrure comme la sienne il prenait pas mal de place (surtout que les lits d’hôpitauxétaientplutôtétroits), lemédecin,lui,nesourcillamêmepas.Àmoitiévautréesurmonmec,jemesentaisincroyablementbienetc’étaitleplusimportant.LemédecinétaitsurtoutsoulagédevoirqueLy’étaitderetour.Macrisedepaniqueadditionnéeà

macrisedelarmesavaientétéassezimpressionnantes,etilnesouhaitaitpastropquejerecommence.Étrange… La présence deLy’minimisait considérablement les risques.C’était dumoins ce que jecroyais.J’avaistort.En réalité, si lemédecin ne nous rappela pas que ce lit était pourmoi et non pour Ly’, c’était

principalement en raison de ce qui l’amenait. Ma mère persistait à vouloir me voir et faisait unscandale de tous les diables à l’accueil. Bien sûr, il pourrait parfaitement la faire expulser manumilitari,l’hôpitaldisposantdupersonnelnécessaireàcegenred’intervention,maiss’ilpouvaitéviterd’avoir recours à de telles extrémités, il s’en passerait volontiers. Il me demanda donc de bienvouloir la recevoirquelques instants ; juste le tempspourelledeconstaterque jemeportaisbien.Ensuite,siellerefusaittoujoursdepartir,ilferaitlenécessaire.Bien que cette idée ne m’enchantait guère, et fût en parfaite opposition avec mes dernières

résolutions,jemerendiscomptequejen’avaisguèrelechoix.JelevaiunregardimplorantversLy’.

—Turestes?Sesbrasseresserrèrentdoucementautourdemataille.—Mêmeunchard’assautnesauraitmedélogerdecetteplace.Jenebougeraipasd’ici,affirma-t-

il,enlançantunregardd’avertissementaumédecin.J’hallucinai. Ly’ était en train de passer un marché avec mon médecin. Je faillis carrément

m’étoufferlorsquecedernierdonnasonaccord,avecunsoulagementmanifeste.Unbrefinstant,jemedemandaisimacommotionn’étaitpasplusimportantequejenel’avaiscru.—Mongrand-père était l’un de leurs plus généreuxdonateurs…, susurraLy’, dans le creux de

monoreille.Quandilm’arecueillichezlui,ilm’ademandédevenirfairedubénévolatàl’hôpital,detempsàautre.Jetelaissedevineroùj’aitrèsrapidementatterri…Unelueurmalicieuses’allumadanssesirisvertmenthe.—Encuisine…,soufflai-jeavecunsourireincrédule.—Oui,M’dame!—Tulefaisencore?Laportedemachambres’ouvritviolemmentetlebattantallaclaquercontrelemur,empêchantLy’

derépondreàmaquestion.Soncorpssetenditbrusquementetsesyeuxdevinrentdeuxpuitsdeglace.Inutiledetournerlatête,jesavaisdéjàquivenaitdefairecetteentréefracassante.LedragonCampbell.Génial…—Sortezdulitdemafilleimmédiatement!Maisvousvouscroyezoù?Elleaunecommotionet

diversescontusions,elleestblessée!!Celitestpourelleetnonpourvous!Sortez!Mamèrefulminaitet tempêtait tantetsibienquelamoitiédel’hôpitaldevait l’entendre.Avecle

raffutqu’ellefaisait,elleseraitmêmecapablederéveillerlesmorts.Carrémentflippant!Àtoidejouer,A!Soisforte!Avecd’infiniesprécautions, jemeredressai jusqu’àmeretrouveràgenouxdanslelit.Jepivotai

lentement, trèslentement,pourfairefaceàmamère.Jem’assisentrelesjambesdeLy’,qu’ilavaitinstinctivementécartées.Jemelaissaiallercontresontorseetsavourailadouceétreintedesesbras,quis’étaientimmédiatementenroulésautourdemoi.Uncoconprotecteur.Uneenviesoudainedemeroulerenbouleetderonronnercommeunchatonmesaisit.Commesi

c’étaitlemoment!Dommage…Silencieux,Ly’neréponditpasàlaprovocationdemamère.Cettefois-ci,ilseraitl’ombrequ’il

m’avaitpromisd’êtrelematinmême:discrèteetsilencieuse.Levisageenfouidansmescheveux,ilignorasuperbementl’intruseindésirablequ’étaitmamère.Unimmensesoulagementm’envahit.Cettebatailleétaitlamienne…etcettefois,jelagagnerais.Levisageferméetfroid,jeladévisageailonguementsansciller.Jepenchailatêtesurladroiteet

arquaimonsourcilgauche.—Tum’asvue,jevaisbien,tupeuxpartir,déclarai-je,sansaucunechaleur,enpointantlaportedu

doigt.Jevismamèresuffoquertantmonattitudesemblaitlachoquer.

Bien.C’étaitunbondébut.— Annabelle Mary Katherine ! Comment peux-tu dire une chose pareille ? Tu es ma fille !

Seigneur !Mapetite fille est allongée sur un lit d’hôpital, et alors que jememorfonds pour elle,morted’inquiétude,ellemerenvoiecomme…uneétrangère?Alorsquelui…—Stop ! (Mes lèvres se pincèrent en unemince ligne etmes prunelles flamboyèrent ; dernier

avertissement.)Tun’espaslabienvenueici.Lui,oui.Lui,ilm’aime.Ilm’aimed’unamourprofondetsincèrequetunepourrasjamaiséprouver,nimêmeégaler!—C’estfaux!Jecrispailamâchoire,follederage.— Bien sûr que c’est vrai ! Tu as toujours tout fait pour éloigner de moi les personnes qui

m’aimentetquej’aimeenretour!D’abordAndy,etmaintenantLy’…Cequetufais,cen’estpasdel’amour,c’estdel’égoïsmeàl’étatpur!Tumeprendstoutcequicomptelepluspourmoi!Tutefiches de savoir ce que je pense ou ce que je ressens. Tout ce qui est important pour toi, c’est leparaître!Etl’emprisequetuassurmoi…(Jemecorrigeaiaussitôt.)L’emprisequetuavaissurmoi.Mamèresecouaitlatête,incrédule.—Ton frère et ce…garçon, dit-elle d’une voix pleine demépris, t’ontmonté la tête,Anna. Ils

t’ont…Je fermai les yeux,mêmepas surprisepar la réaction tellement prévisible demamère.Comme

toujours quand les choses échappaient à son contrôle, elle accusait Andy. Et maintenant Ly’,également.Alorsqu’elleétait l’artisanedesonpropremalheur,ellenelevoyaitmêmepas.Encoreunefois,ellenevoyaitquecequ’ellevoulaitvoir.Parleravecelleétaitinutile.Pourtant,ilyavaitunechosequejevoulaisabsolumentluidireavantqu’ellenesortîtdéfinitivementdemavie.Unechosequejen’avaisjamaispuluidiredemanièreclaireetprécise.Jedevaislefaire.J’enavaisbesoin.JeposaimesmainssurlespoignetsdeLy’pourypuiserlecouragenécessaire.Cequej’allaisdire

n’étaitpasfacile,etilyavaitbienlongtempsquejenel’avaispasditàhautevoix.Uneéternité.Jemerefusaismêmed’ypenser,demerappeler.Illefaut…JepoussaiundouxsoupirensentantleslèvresdeLy’effleurermescheveux.Redressantlatête,carrantlesépaules,jerouvrislesyeuxetplongeamonregardsombredanscelui

demamère.Inconscientedemontourmentintérieur,elleavaitcontinuésonmonologuesansréaliserquejenel’écoutaispas.—Papaaessayédemevioler.Unsilenceglacialenvahitlapièce.Ma mère blêmit et recula d’un pas comme si je l’avais frappée en plein visage. La bouche

entrouverte,ellesemblaitavoirmomentanémentperdul’usagedelaparole.JesentisLy’secrisperdansmondosetsonétreinteseresserrainstinctivement.Sesmusclesd’acier

étaient tenduset tremblaientsous l’effortqu’il faisaitpoursecontenir.Laragequipulsaitdanssesveines sedéversaparvaguedans lapièce. Je la sentism’étreindre et s’étendre tout autourdemoi.Pourtant,ilneditpasunmot.Tellel’ombreténébreusequejel’avaisaccuséd’être,ilgardalesilence.Celaétant,jesavaisparfaitementquesesprunellescouleurmenthescintillaientd’unelueurassassine.—C’estfaux!Tumens!Jamaistonpèren’aurait…Non,jamaisiln’aurait…

Deux larmes roulèrent le long demes joues,mais jeme refusais à détourner les yeux ou à lescacher à ma mère. Il était temps qu’elle vît. Durant toutes ces années, elle avait catégoriquementrefuséd’enparleravecmoi.Elleavait refusédevoir,préférant incriminerAndyde tout.C’enétaitassez.— Cela faisait deux mois qu’il me rejoignait tous les soirs dans ma chambre, au moment du

coucher, pourme faire un dernier « câlin ». Il a commencé parme caresser plus longuement lescheveux. Puis ses mains ont commencé à glisser sur mes épaules… sur mes bras… (Mes dentsgrincèrent tant je les serrai fort.)L’avant-dernière fois, sesmainsavaientaccidentellementeffleurémesseins…C’étaitlàqu’Andynousavaitsurpris.Etqu’ilavaitcompriscequ’ilsepassait.Moi,jenelesavais

pas,moi jepensaisque ces câlins étaientnormaux,moi j’avaisdouze ans et je faisais confiance àmonpère.Jepensaisqu’ilm’aimaitetqu’ilnemeferait jamaislemoindremal.Commej’avaiseutort.Cesoir-là,après ledépartdemonpère,Andyetmoiavionsparlé. Ilm’avaitposé toutun tasde

questionsetj’yavaisréponduentoutehonnêteté,commetoujours.Jen’avaisaucunsecretpourmonfrère, je lui disais tout. Et à cemoment-là, je ne voyais pas lemal de ces câlins prolongés…Leschosesavaientbienchangéslelendemain…Je blêmis et fermai brièvement les yeux. Non. Je ne pouvais pas revivre ça. Je ne pouvais tout

simplementpas.Quandjerouvrislesyeux,jevismamères’avancervivementversmoietleverlamainpourme

gifler. Elle n’en eut pas le temps. Ly’ avait bloqué son bras, avant qu’elle ne pût seulementm’effleurer.Sesdoigtsétaientenfoncésdanslachairdesonpoignettantilserraitfort.—Nepensezmêmepasàlatoucher…,gronda-t-ild’unevoixglaciale.Desamainlibre,ilenfonçaleboutond’appel.Commeconvenu,lemédecinentraimmédiatement,

suividelasécurité.—Veuillez escorterMadameCampbell vers la sortie,Messieurs, s’il vous plaît. Et veillez à ce

qu’ellenepuisseplusyentrer!Merci,ordonnalemédecin,enpointantmamèredudoigt.—Non,non!Jevousinterdis!Vousn’avezpasledroit…Non!…Nousn’entendîmespaslasuite,carmamèreavaitététraînéedehors.Unsanglotjaillitdemapoitrine,rapidementsuivid’unautre.AlorsqueLy’metournaitdélicatementverslui,lemédecinsortitdelapièce,dansunediscrétion

plusquebienvenue.LenezenfouidanslecoudeLy’,jemelaissaisaller.Jepleuraissurmonpassé,surcequim’était

arrivé,surcequiétaitarrivéàAndy.Jepleuraismamèrequin’avaitplus jamaisété lamême,quiavaitirrémédiablementchangé.Jepleuraissurcequiauraitpuêtreetsurcequiavaitété.Enfindecompte,jepleuraissurtantdechosesquejenesavaisplustrèsbienpourquoijepleurais.Maisjepleurais,etçamefaisaitdubien.ToutcommelaprésencesilencieuseetrassurantedeLy’.Ilétaitcequej’avaistoujoursrêvéd’avoirsansjamaisespérerl’obtenirunjour.Unrêveinavoué,

maistellementdésiré.Unespoirsecret.Unmiracle.

*****

Épuisée,aussibienphysiquementqu’émotionnellement, jem’étaisendormiedanslesbrasdeLy’directement après ma crise de larmes. J’eus un sommeil paisible, sans cauchemar ; franchementsurprenant au vu des événements que j’avais dû revivre la veille. Je m’étais plutôt attendue aucontraire…cauchemaretcrisedelarmes.Lapremièrechosequejevis,àmonréveil,futdesuperbesyeuxvertsrivéssurmoi.Brillantd’un

amourquimanquadem’éblouir.Dieuquej’aimaiscemec!Lesmotsquifranchirentmabouchenefurentpasceuxquejevoulusprononcer:—Jet’aime.LevisagedeLy’s’illumina.—Jet’aimeaussi,masouris.Nous échangeâmesun tendrebaiser quime rendit toute chose.Malheureusement, lorsqueLy’ se

recula,jecomprisquel’heuren’étaitpasàlabagatelle.Lesombresquiavaientenvahisesprunelles,les rendant plus foncées qu’à l’accoutumée, ne pouvaient signifier qu’une seule chose : il voulaitparler.Demonpassé.Dematerriblerévélation…Jememordillailalèvreinférieureetbaissailesyeux.Sourisgrisemortifiée,acteIII.—Tunesavaispas…Ce n’était pas vraiment une affirmation, pas complètement une question… Peut-être une légère

suppositionaccompagnéed’unpointd’interrogation…Ounon…—Non.Ton frèreest toujours restévague sur le sujet.Et toutcomme ilnem’a jamaisposéde

questions surmonpropre passé, je ne l’ai jamais interrogé sur le sien.On se parlait quandon enressentaitlebesoin.Ças’estfaitpetitàpetit,commejetel’aidit.Lentement,répondit-ilcalmement,englissantsesdoigtsdansmescheveux.(Unedoucecaressequimefitplisserlesyeuxdeplaisir,etronronnercommeunpetitchaton.)Toutcequejesais,c’estqu’ilatuévotrepèrepourteprotéger.Ilnem’arienditdeplus.Jemesuisditquetum’enparleraislorsquetutesentiraisprêteàlefaire.Autantdirejamais.—Jevoulaist’enparler,mais…Jemesenstellementcoupable,Ly’,tellementcoupable…J’avais

peurquetum’enveuillesetquetumejugesresponsable…Ly’m’empoignapresqueviolemmentparlesépaulesetmesecouadoucement.— Idiote ! Comment pourrais-tu être responsable de quoi que ce soit ? Tu avais douze ans,

Annabelle,douzeans!Dequoidiablepourrais-jetetenirrigueur,mapetitedéessedesenfers?J’étouffaiunsanglotetfermailesyeux,honteuse.—Parce qu’Andy a été enmaison de redressement à cause demoi. Il a été puni pourm’avoir

aidé…Il…Ly’posaundoigtentraversdemeslèvres, interrompantsansménagement leflotdeparolesqui

s’écoulaitdemabouchetremblante,etposadélicatementsonfrontcontrelemien.Commetoujours,il faisait preuve d’une grande douceur, quim’allait droit au cœur. Une douce chaleur se répandit

progressivementdansmoncorpsglacéed’effroi.—Masouris,cen’estpas ta faute.Tunedoispaspenserça.Jamais.Tues totalement innocente,

Annabelle, tu m’entends ? Innocente. Le seul responsable, c’est ton père. Il n’aurait jamais dû tetoucher. Jamais ! Sans même parler du viol en soi, qui est à mes yeux un crime abominable etimpardonnable,jesaisdequoijeparle,lapédophilieestuncrimeencorebienplusvil.Toncasestlapire de toutes les situations inimaginables : un père touchant son propre enfant. C’est abject et çaméritelapeinecapitale;lapeinedemort.—C’estcequ’ilaeu…,nepus-jem’empêcherdemurmurer,lavoixhachée.Ly’prituneviveinspiration.—Ouais…C’estcequ’ilaeu.Peut-êtrepasdelabonnemanière,maisc’estcequ’ilaeu.Est-ce

quetuenveuxàAndypourça?Jesursautai,commepiquéeparunfrelon.—Biensûrquenon!—Alorspourquoiluidevraitt’envouloir?J’ouvrislabouchepourrépondre,avantdelarefermer.Combiendefoismonpsym’avait-iltenule

mêmediscours?Etcombiendefoisavait-ilétéinutile?Tiens,mavoixintérieureétaitderetour.Tunecroyaistoutdemêmepast’êtredébarrasséedemoi?Bennon,çaauraitététropbeau!N’essaiepasdechangerdesujet,vilaine!Aïe!Démasquée.Encore…—Jen’aijamaisditqu’ilm’envoulait…,protestai-jepourtant.Ly’arquaunsourcil,avantquesonpetitsourireàfossettesnefassesonapparition.Damnation!—Non,c’estvrai.Tuasditquetuenvoulaisà toi-même.Tunedevraispas,masouris.Tun’as

aucuneraisondet’envouloir,aucune.As-tudésirél’attentionqueteportaittonpère?Unesoudaineenviedevomirmesaisitetjedevinsverte.—Non…,dis-jedansunrelentinstinctif.(Charmant.)—As-tudemandéàAndyd’intervenir?—Non…Avantquemonfrèrenevîntmeparler,jen’avaismêmepasréaliséquelecomportementdemon

pèren’étaitpasceluiqu’ilauraitdûêtre.Jel’avaisdécouvert…plustard.Troptard…—Luias-tudemandédetuertonpère?—Non…,soufflai-jedansunfiletdevoix.Ly’pritmonvisageentresesmainsetplongeasonregardvertmenthedansmesirisbleufoncé.Il

sepenchalentementversmoietfrottasonnezcontrelemien.

—Cen’estpastafaute,Annabelle.Siseulementjepouvaislecroire.Mêmesi,logiquementjecomprenaisquejen’yétaispourrien,

inconsciemmentjenepouvaism’empêcherdemeblâmerpourcequiétaitarrivé.Jecroyaisyêtreparvenue…Ilsembleraitquejemesoisleurrée.Laculpabilitéquim’avait longuementrongéeétaittoujoursprésente ;unepetitevoixenarrière fondqui remontaità lasurfacede tempsàautre.Unepetitevoixquimesoufflaitquesijen’avaispasétélà,jamaismonpèren’auraitessayédem’allongerdeforcesurmonlit.Sijen’avaispasétélà,jamaisilnem’yauraitrejoint.Sijen’avaispasétélà,jamais iln’auraitdéboutonnémachemisedenuit.Si jen’avaispasété là, jamais iln’auraitessayéde… de baissermon pantalon de pyjama pour… pour… (Même en pensée, je n’arrivais pas à leformulerdemanièreplusdétaillée.C’étaitplus fortquemoi, jemerefusaisderevivrecettescène.C’étaittropdur.Çafaisaittropmal.)Simonfrèrenenousavaitpassurprislaveille,s’ilnem’avaitpasquestionnéàcesujet,sijeneluiavaispasréponduavecfranchise…Jamaisilneseraitentrédansmachambrecesoir-là…Jamaisiln’auraitattendu,tapidansl’ombre,quemonpèrereviennepourfinircequ’ilavaitcommencé…Jamaisilneseraitintervenupourmesauver,enfrappantmonpère…Jamaisilnel’auraittué…Non,sansmoi,riendetoutcelaneseseraitjamaisproduit.Comment, dans ces conditions, ne pas être responsable de tout ? Comment ne pas se sentir

coupable?Mêmeaprèsseptans,jen’avaistoujourspastrouvélaréponseàcesquestions.Carlefaitprincipal

demeurait:sansmoi,rienneseraitjamaisarrivé.EtjeledisàLy’.Jeluidistout,oupresque.Jeluiracontaisuccinctementcequic’étaitpassécette

nuit-là…Commentmonpèrem’avait rejointdansmachambre ; comment ilm’avait partiellementdéshabillée ; comment il s’était jeté sur moi ; comment j’avais tenté deme débattre et de crier ;commentmonfrèreavaitsembléjaillirdesombrespourlefrapper,encoreetencore,jusqu’àcequ’ilnepûtplusbouger,jusqu’àcequ’ilfûtmort…Jeluiracontaiensuitel’arrivéedelapolice,l’attitudehystérique de ma mère et son refus catégorique de croire à une tentative de viol. Je lui racontaicomment j’avais vécu le procès, comment jem’étais repliée surmoi-même, commentmes amiesm’avaient toutes tournées ledos. Ileutégalementdroitàmesvisiteschez lepsyet ladétériorationprogressive de ma relation avec ma mère, qui jusque-là avait été merveilleuse. Je lui expliquaiégalementlapromessequej’avaisfaitàAndyetcombienilm’avaitcoûtédem’ytenir.Jeluiracontaitout.Absolumenttout.Etplusjeparlais,mieuxjemesentais.J’exorcisaismesvieux

démons.Oh,jen’étaispasnaïveaupointdecroirequ’ilsnereviendraientpasmehanter,maisj’avaisl’intimeconvictionqu’ilsseraientmoinsvirulents.Jesavaisque,sijevenaisàperdrepied,Ly’seraitlà pour me rattraper. Il ne me laisserait jamais tomber. La sensation que cela me procurait étaitindescriptible,maisincontestablementmerveilleuse.Une foismon histoire terminée, Ly’me dévisagea longuement, l’air grave. Il emprisonnamon

visageentresesmainsetdéclaraavecuneferveurquejeneluiconnaissaispas:—Cen’estpastafaute,Annabelle.Tuavaisdouzeans,tunesavaispas.Tunepouvaispassavoiret

tunepouvaisrienfaire.Tunedoispast’envouloirainsi,masouris,Andynelesouhaiteraitpas.Ilseraitdévastés’ilapprenaitquetutesentaisresponsabledetoutcela.Leseulcoupable,c’esttonpère.J’eusunbienpâlesourire.— Je sais. Là, tout au fond de moi, je le sais, Ly’.Mais cela n’enlève en rien le sentiment de

culpabilitéquimeronge.Ils’estatténuéavecletempsetnem’étouffepluscommeavant,maisquoi

qu’ilensoit,ildemeure.Jenepeuxrienyfaire,Ly’.Jenepeuxpas…Sansmoi,riendetoutcelaneseraitjamaisarrivé.Commentl’oublier?

Chapitre30

Lapremièrechosequenousfîmes,unefoissortisdel’hôpital,futdeserendredansmonmeublé.Jedevaisyprendretoutesmesaffairesetjenevoulaispasretarderinutilementcetteéchéance.Plusj’attendraispourm’yrendre,moinsj’auraislecouragedelefaire.Car,connaissantmamèrecommeje la connaissais, je savais qu’ellem’y attendait de pieds fermes. Pourme faire changer d’avis ets’excuseroupourm’abreuverd’insultes;jenesauraisledireetdanslefond,celanefaisaitaucunedifférencepourmoi.Lapageétaittournée.Beletbientournée.J’avaisfaitmonchoixetjenereviendraispasenarrière.Bravo,A!Espéronsjustequetesbonnesrésolutionsnefondrontpascommeneigeausoleilquand

tamèrepleureradanstongiron…Laconfiancerégnait!Simêmemavoixintérieuredoutaitdemoi,çanesentaitpastrèsbon.Cela

dit,commeelledoutaitdemoienpermanence,cen’étaitpasnécessairementuneréférence.Non,mais,oh!Hé,hé!Anna:un;voixintérieure:zéro!Lajournéecommençaitbien.Sijen’avaispassuquej’allaisvoirmamère,etqu’unedisputes’en

suivraitimmanquablement,j’auraispresquepudirequ’elles’annonçaitblanche.Éventuellementgrise,A,qu’est-cequetuenpenses?Grise?Benouais,grise…Désolée, je ne connais pas cette couleur. Enfin, techniquement oui, je la connais, mais

concrètement,non.Jamaisvue.Inconnueaubataillon.Noiroublanc.C’étaitmesseulesréférences.Était-cevraimentnécessairedelerappeler?Uniquementnoiroublanc,hein?Yep!Tuessûredetoi?Jelevailesyeuxaucielenbougonnantsilencieusementdansmabarbe.Quellequestion,vraiment!

Évidemmentquej’étaissûredemoi!Noiroublanc.Cen’étaitpasdifficileàretenirquandmême.Etdonc,quefais-tuduvertmenthe?Arrêtsurimage.Vertmenthe.Un lent sourire fleurit surmes lèvres,m’envoyantdesmilliersd’aiguillesdans les joues. (Aïe !

J’avaisoubliémescontusionsauvisage.)Levertmentheétaitlaplusbelledetouteslescouleurs.Lapluslumineusedetoutes.Cellequisymbolisaitl’amour,leparadissurterre,laconfiance,lasûreté,la…C’estbon,c’estbon,jecroisquetoutlemondeacompriscequetuvoulaisdire!Seigneur,voilà

quetuesdevenueunevraieguimauve.Jecroisquejepréféraisletempsoùtunevoyaislaviequ’ennoiretblanc.Beurk…Levertmenthe,quellecalamité!Jalouse!Enplus,iln’amêmepaslesyeuxvertmenthe!N’importequoi!Tuesalléevoirsurinternet,jeterappelle!Levertmenthen’estabsolumentpasdecetteteinte-là!

Onadéjàeuplusieursfoiscettediscussion,bonsang!Faisuneffort!!!Jesais.Etjet’aidéjàditunbonmillierdefoisquesesyeuxétaientvertmenthe.Pointàlaligne;

findeladiscussion.Genre,cequ’ilfautpasentendre…Jeme tournaiversLy’etadmirai sonprofil,unsourirebéat (etcertainement ridicule)colléaux

lèvres.Concentrésurlaroute,ilnesemblaitpasserendrecomptedel’examenminutieuxdontilétaitl’objet.C’étaitlemecleplusbeauquej’aiejamaisvu.Arrogant,autoritaire,possessif,orgueilleux,ironique,narquois,dominateur,etj’enpasse…Ouais,ilétait toutcela,etbienplusencore.Maisqu’importe!Jel’aimaistelqu’ilétait.Avecses

innombrablesdéfautsetsesquelquesqualités.Cardanslefond,personnen’étaitparfait.Moi,moinsquequiconque!C’estbienbeau, tout ça,mais jenevoispas le rapportavecnotrediscussion.Vertmenthe, tu te

rappelles?Findeladiscussion,tuterappelles?Ses yeux n’étaient peut-être pas exactement de cette nuance, je ne pouvais ni l’affirmer ni le

réfuter… et honnêtement, je m’en fichais royalement. Il avait de magnifiques prunelles vertesclaires…incroyablementclaires.Saufquandellesbrûlaientdepassionetdedésirpourmoi.Alorslà,elles devenaient plus foncées, plus profondes. Selon ma propre conception des couleurs, le vertcorrespondaitàlacouleurdel’herbe;orlesyeuxdeLy’n’avaientaucunrapport,deprèsoudeloin,avecdel’herbe.Ohquenon!Lamenthe,parcontre,pouvaitêtreaussirafraîchissantequepiquante;aussiapaisantequeglaciale;aussidoucequ’électrifiante.Ly’étaitunmélangesubtildetoutcela.Lamenthe étant l’une des nuances du vert (je savais quand même cela), j’avais décidé que ses yeuxétaient vert menthe. Peut-être qu’ils l’étaient, peut-être pas. Pourmoi, cela n’avait pas lamoindreimportance.Deplus,lorsqu’ontapait«vertmenthe»surGoogle,onentrouvaitunepaletteaffligeante!Etpas

toute ressemblante…Encherchantbien, j’étais intimement convaincueque jepourrais endénicherunequiressembleraitfortementàsonregardclair.Sachantcela,àquoibonsefatiguerinutilement?Sesirisétaientvertmenthe.Point.Findeladiscussion.Oh,seigneur!Sortez-moidelà!!!Parpitié!Ly’tournalatêteversmoiàcetinstantprécis.Mavoixintérieurefutdoncreléguéeausecondplan.—Cequetuvoisteplaît,masouris?demanda-t-ilavecsonpetitsourireencoin.Arrogantetsûrdelui.Bonsang!Cequ’ilétaithorripilantquandilétaitainsi!—Mouais,çapeutaller…

Unpetitrirerauquelesecoua.—Silavueneteplaisaitpas,tunemefixeraispasaveclaboucheentrouverte…Faisattention,ma

souris,tupourraisgoberunemoucheparmégarde.Oh,bordel!Putaindesalopardd’arrogantdemesdeux!Qu’est-cequejedisais,A?Voixintérieure:un;Anna:zéro!Nomd’unepipeenbois!Alors que j’ouvrais la bouche pour lui dire ma façon de penser, de manière particulièrement

colorée(si,si)etimagée,ils’arrêtaàunfeurouge.Samainseverrouillasurmanuqueetilm’attiraverslui.Sesirisvertmentheflamboyèrent.—Putain,quandtumeregardescommeça,masouris,çamedonneenviedetefairetoutuntasde

trucs… (Il s’empara de ma bouche et me donna un baiser qui me fit mouiller ma petite culotte.Possessifetdominant.Ouah!)Sionn’étaitpasaubeaumilieudelacirculationetquetun’avaispasunhématomedelatailled’unballondebasket(ilexagéraitlamoindre)auventre,tuseraisdéjàsurmoientraindemechevaucher…(Ilplongeasonregarddanslemien,lesnarinesfrémissantes.)Etjepeuxtegarantirquetuadoreraisça!Oh,bonsang!Ilvenaitderuinermaculotte…Unbaiser,deux-troisphrases,ethop,letourétait

joué!Cemecétaitunetuerie…—Ly’…,suppliai-jelesouffleerratique,lesyeuxembrumésdedésir.Ilfrottadoucementsonnezcontrelemien.—Ouais,masouris…Qu’est-cequ’ilya…?Commes’ilnelesavaitpas!—Jet’enprie…Sesprunellesbrûlaientd’un feu intérieurqui trouvait réponseentremescuisses serrées.Excitée

commeluiseulparvenaitàlefaire,j’étaisdanstousmesétats.Jeledésirais.Icietmaintenant.Auxdiables les autres voitures qui commençaient à klaxonner etmes côtes douloureuses. Je le voulaismaintenant.Un sourire sensuel étira lentement ses lèvres. Il m’embrassa une dernière fois, avant de se

redresseretderedémarrerlavoiture.—Après,masouris,après.Oh.Mon.Dieu!J’allaisletuer!

*****

Comme je l’avais judicieusement escompté,mamère se trouvaitbienà l’appartement, à faire lepieddegrue,enattendantmonarrivée.Àpeineleseuilfranchi,elleouvritlabouchepourplaidersacause. Et vu la mine de chien battu qu’elle arborait, je l’entendais déjà accuser Andy d’être

responsable de notre dispute et de sonmouvement d’humeur. (Car pourGiorgianaCampbell, unegifle était immanquablement un mouvement d’humeur. Humpf !) Elle avait toujours agi ainsi, cen’étaitpasmaintenantqu’elleallaitchanger.Etdirequejusque-là,jen’enavaispasvraimentfaitcas…Honteàmoi!Selonsaproprethéorie,quivalaitfranchementledétour,Andyavaittuénotrepèreparcequ’ilétait

jaloux de la complicité qui nous unissait. Première nouvelle en soi, car je n’avais jamais étéparticulièrementprochedemonpère.Bien au contraire.En fait, je le connaissais trèsmal. J’avaispasséfortpeudetempsaveclui.C’étaitsansdoutepourcelaquejen’avaisrienvuvenir.Quoique…D’aussi loin que remontaientmes souvenirs, j’avais toujours étémal à l’aise avec lui. Il avait unemanière deme regarder quim’avait toujours profondément gênée.Maintenant, je savais que cettelueurquibrillaitjadisdanssesyeuxétaitdudésir,maisàl’époque,jen’enavaispaslamoindreidée.Je savais juste que je n’aimais pas sa façon de me regarder. Heureusement, comme il étaitrégulièrementabsent,jen’yavaispasétésouventconfrontée.(Aurais-jeremarquéquelquechoseplustôt,sitelavaitétélecas?Sansdoutepas.Etpeut-êtrequ’ils’enseraitprisàmoiavant…jepréféraisnepasypenser!)Leschosesavaientchangéaprèsmondouzièmeanniversaire.Jenel’avaisjamaisautant vu que cette année-là. Et ce n’était pourtant pas faute d’avoir trouvé tous les prétextes pourl’éviter.D’ailleurs,jusqu’àcefameuxsoir,mamèreavaittoujoursdéplorélamanièredontj’évitaismonpère.Puis,évidemment,elles’étaitmiseentêtequec’étaitlafauted’Andy.(Déjààl’époque,illuiservaitdeboucémissaire.Jenem’enétaissimplementpasrenduecompte…)Queparjalousie,ilavaittoutfaitpourm’éloigner,pourmemontercontremonpère!Ridicule.En réalité, elle n’avait jamais eu le courage d’affronter la cruelle vérité : mon père était un

pédophile. Je pouvais comprendre que c’était une affreuse révélation et que la pilule étaitparticulièrementdifficile à avaler.Cela l’avait étépourmoi.Découvrir,du jourau lendemain,quel’hommeavecqui l’onavait construit savieétait en réalitéunmonstre,devait être l’unedespireschoses au monde. Mais refuser d’y croire, et accuser ses enfants de mensonges, était, en fin decompte,bienpireencore.Enagissantdelasorte,mamèreavaitmontréqu’ellenevalaitpasmieuxquelui.Entreluietnous,ellel’avaitchoisilui.Ellem’avait fermement interditdeparlerde tout cela à lamaison,disantqu’ellenevoulaitplus

jamais entendre ces ridicules accusations. Elle m’avait fait me sentir honteuse de ce qui s’étaitproduit,allant jusqu’àprétendrequ’Andym’avaitembrouillé l’esprit.Queceque jecroyaisêtre lavérité ne l’était pas. Elle avait même essayé de me parler de mon père, mais cela s’était révéléinfructueux.Cethommeétaitunmonstreetjenesupportaispasqu’onyfîtallusion.Nousn’enavionsdoncplusjamaisparlé.J’avaisdouzeans.Quepouvais-jeyfaire?Jem’étaisdoncsoumise.Durantseptlonguesannées,je

m’étais soumise. De plus, Andym’avait fait promettre de ne jamais tenir rigueur à mamère deserreursdenotrepère.Elleétaitaveugléeparlechagrinetrefusaitd’ouvrirlesyeux.Silui-mêmenepourraitjamaisleluipardonner,jenedevaispasluienvouloirpoursonattitudeenverslui.Ilm’avaitdit,àmaintes reprisesd’ailleurs,quecelasedéroulaitentreeuxdeuxetque jenedevaispasm’enmêler.Encoreunefois,jem’étaissoumise.Quelautrechoixavaitunegaminededouzeans?Maissi j’avaisaccédéà lademandedemonfrère,c’étaitsurtoutpour luiéviterdessoucis. Ilen

avaitdéjàbienassez.Ilétaitenmaisonderedressementàcausedemoi.Lemoinsquejepouvaisfaireenretour,étaitdemecomportercorrectement.J’étaisdoncredevenuelagentillefifilleàsamaman.Évidemment, cela n’avait pas été facile et il m’avait fallu attendre une longue année avant de

redevenirplusoumoinsmoi-même.Lesséanceschez lepsyavaientété longueset laborieuses.Unpassagedifficile,dontjen’aimaistoujourspasparler.Le passé était passé et il ne servait à rien de le ressasser sans cesse. Il fallait aller de l’avant et

essayerdevivreavec.Detoutefaçon,mêmeaveclameilleurevolontédumonde,onnepouvaitrienychanger…Avantdevenir icietde rencontrermesamies,KimetMarj’, jen’avaispasvraimentcompris le

sensdetoutcela.Toutcequej’avaissu,c’étaitquesijevoulaisrecommencermaviesurdenouvellesbases,etallerdel’avant,jenepourraislefairequ’auprèsd’Andy.Iln’yavaitqueprèsdeluiquejem’étaissentieensécurité.Jusqu’àcequejerencontreLy’…etquej’apprenneàleconnaître.Venir dans le Wisconsin avait été la meilleure décision que je n’aie jamais prise. Et je ne le

regrettaispas.Pasuninstant.Alorsmamèrepouvaitbienmeregarderavecsaminedechienbattu,celan’ychangeraitrien.Je

nevoulaisplusl’écouter.Jel’avaisdéjàtropécoutée.Tropsouvent.J’avaisfaitpreuvedepatience,carmalgrétoutc’étaitmamèreetjel’aimais;j’aimaislamèretendreetaffectueusequ’ellepouvaitêtre.Malheureusement,ilsembleraitquecettemère-làeûtdisparuàjamais.Unelarmesolitaireroulalelongdemajoue.Jel’essuyaid’undoigttremblantetentrailentement

dansl’appartement.Ly’,enombresilencieuseetmenaçante,entraàmasuite.Ilvrillasonregardglacialsurmamèreet

parlaavantqu’ellenepûtlefaire:—Annabelleneveutnivousvoirnivousentendre.Jepensequevousluiavezfaitsuffisammentde

mal comme cela. Si vous tenez à elle, ne serait-ce qu’un tout petit peu, vous partirez. (Il eut unreniflementméprisant.)Maisnoussavons,vousetmoi,quevousêtesbientropégoïstepourpenserau bien-être de votre fille. Alors, je vais être incroyablement magnanime et simplement vousdemanderdegarderlesilence.Cela,aumoins,devraitêtredansvoscordes.Lesyeuxdemamèrelancèrentdeséclairs.—Jenesaispaspourquivousvousprenez,jeunehomme,àmedonnerdesordrespareillement.

Maissoyezassuréquejen’aipaslamoindreintentiondem’yplier.Je…Ly’m’enlaçapar-derrièreetsepenchapourmemordillerl’oreille.—Enfait,non.Tamèreestincapabledelaboucler.Viens,onvafairetesvalisespendantqu’elle

jacasse.Jegloussaietmetournaidanssesbraspourluitendremeslèvres.—Mercid’êtrelà,monamour,soufflai-je,avantdel’embrasser.Sans lui, jen’auraiscertainementpassupportécettenouvelleépreuve.Mamèreétait legenrede

personnesquiarrivait,enunefractiondeseconde,àfaireressortirlepireenvous.Alors que ma mère tapait du pied et criait un retentissant : « Annabelle Mary Katherine

Campbell ! » ; une exclamation étouffée s’éleva dans notre dos. Ly’ et moi, parfaitementsynchronisés, tournâmes la tête vers l’entrée de l’appart. (La porte était restée grande ouverte…Génial…Toutl’immeublepouvaitentendremamèrebarrir…)—AnnabelleMaryKatherine…Sérieux? s’éclaffaKim,enentrantdansmonmeublécommesi

elleétaitchezelle.

Marj’lasuivaitdepeu.(Ellerefermalaportederrièreelle,ouf!)—Quandjepensequejetrouvemonnomringard…Jepeuxallermerhabillerenvitesse!(Marj’

marquaunecourtepauseetfitunegrimace.)T’asunesaletronche,Anna.—Grave!approuvaKim,enhochantvigoureusementlatête.(Ellepointamamèredupouce.)La

furiequihurleàlamort,là,c’esttamère?Jememordisviolemmentlalèvreinférieurepournepaséclaterderire.Pascertained’yparvenir,

jemecontentaidoncdehocherlatête.—Çacraint!dirent-ellesencœur,avantdemeprendredansleursbras,écartantsansménagement

Ly’.(Depuisquandmescopinesétaient-ellesaussicourageuses?)Bizarrement,ilselaissafairesansprotester.—Lesfilles,jesuissupercontentedevousvoir,necroyezsurtoutpaslecontraire,mais…qu’est-

cequevousfaiteslà?Kimsereculaetmedonnaunechiquenaudesurlenez;cequiluivalutungrondementmécontent

delapartdemonterriblecompagnon.Modeprédateur:ON.—C’esttonmecquinousaappelées,dit-elleensereculantprudemment,soudainbienpluspâle.

(Okay,d’accord.Faussealerte,mescopinescraignaienttoujoursmonmec.Autempspourmoi!)Ilparaîtquetudéménagesetquetuasbesoind’uncoupdemain…—Alors nous voilà ! ajouta joyeusementMarj’, avant de frôlerma joue du dos de lamain, en

jetantunregardprudentendirectiondeLy’.Onapleindechosesàsedire,maisjepensequeçapeutattendre.—C’esthorsdequestionquetuquittescetappartement,Anna!Le cri demamèrevint troubler, une fois encore, notrediscussion.Décidément, çadevenait une

habitude.—Venez,dis-jeàmesamiesenlesentraînantversmachambre.OnparleraquandonserachezLy’.Etcefutainsiquenousplantâmesmamèreaumilieudusalon…

*****

Après avoir empaqueté mes affaires, en deux temps trois mouvements, nous nous étions tousretrouvés chez Ly’. Nos voitures furent rapidement déchargées et le tout fut entreposé dans lachambred’amis.Dansmanouvellechambre.Ly’, avec toute la diplomatie qui le caractérisait, avait sobrement déclaré que dorénavant cette

chambre serait lamienne. Jepouvais en faire ceque jevoulais et ladécorer comme je levoulais.Maisilnevoulaitpas,etjelecite:«quecesfichuesfanfreluchesdegonzessesenvahissenttoutelamaison!»Messagereçucinqsurcinq,moncapitaine!Cettedécisionm’avaitsurprise,jedevaisbienl’admettre,etj’avaiseuuninstantdedoute.Oh,une

petite fractiondesecondederiendu tout,maisunefractiondesecondequandmême.Celaétant,sicettehésitationavaitpersisté,cequin’avaitpasétélecas,Ly’l’auraitégalementbalayée:

—Cettechambreestàtoi,masouris,tuenfaiscequetuveux.Quandjetetaperaisurlesnerfs,cequiarriveraforcémentdetempsàautre,tupourrasveniricipourêtretranquille.C’esttonsanctuaireet je le respecterai toujours, avait-il dit, les deuxmains en coupe autour demes joues. Mais soiscertained’unechose,masouris:jamais,mêmepasenrêve,tuydormirasseule.Sipouruneraisonoupour une autre tu veux passer la nuit dans cette chambre, j’y serais également. Ce n’est pasnégociable.Iln’yavaitpasàdire,Ly’s’yconnaissaitennégociation!Deuxpetitscoupssecs,frappéscontrelaportegrandeouverte,mefirentleverlesyeuxdesaffaires

quej’étaisentraindedéballer.KimetMarj’setenaientsurleseuil,unequestionmuetteflottantdansl’air.Okay,d’accord.C’étaitvisiblementl’heuredeparler.Jemeredressaietleurfissigned’entrer.Kims’avançarapidementetsoulevadélicatementmonmenton.Ellemefittournerlatêteàdroite,

puisàgauche.—Ilnet’apasratée…J’aitoujourssuqueMaxn’aimaitpastonfrère,etencoremoinsLy’,mais

delààimaginerqu’ilallaittetabasser…(Ellesecoualatêteeteutunclaquementdelangueagacé.)Sérieux,t’asétébientropgentilleaveclui,Anna.T’auraisaumoinsdûluipéterlenez.Auminimum.—C’estnet!Lamoindredeschosesauraitétédeluibriserunmembreoudeux.Marj’croisalesbras,trèsmécontente.Okay,d’accord.Ilsembleraitbienquemesamiesaientvulavidéo.Génial…Àmonavis,A,toutlecampusl’avueàl’heurequ’ilest.T’eslanouvellecélébritédelarégion!Zutdeflûtedecrottedebique!Ilnemanquaitvraimentplusqueça.Lecôtépositif,c’estquepluspersonnenevatechercherdespoux,A.Mouais,etlecôténégatif,c’estquetoutlemondevameregarderdetravers,demain…Detoutemanière,depuisquet’esofficiellementlameufdeLy’,toutlemondeteregardedéjà.Alors,

detraversounon,franchement,çanevapaschangergrand-chose…Pasfaux.Depuisletemps,tudevraislesavoir,A,j’aitoujoursraison!Oh,bonsang!C’étaitrepartipouruntour!Mieuxvalaitêtresourdequed’entendredesfoutaises

pareilles!—J’endéduisquevousavezvulavidéo…,hasardai-je,d’unetoutepetitevoix.Sourisgrisemortifiée,acteIV.Affligeant…—Oh, que oui ! Et c’était…Ouah !Anna, je ne savais pas que tu faisais… (Kim fit un rapide

moulinetavecsamaindroite)…cegenredechoses!C’étaittoutbonnementincroyable!Unvraipetitninja ! (Elleme lança un rapide coup d’œil, avant de grimacer.) Enfin, un vrai petit ninja un peumoinsrapidequeceuxqu’onvoitàlatélé,quoi…Tum’étonnes,tiens!Enmêmetemps,cequ’elleditn’estpasdénuédebonsens,A.Jeterappellequesitunem’avaispasdéconcentrée,j’auraiseudeuxhématomesenmoins!

Genre,cequ’ilnefautpasentendre…Mouais,jesais,lavéritéfaitmal.Etlà,miracledesmiracles…mavoixintérieuresetut!Cettefois,c’étaitcertain,cettejournéeétait

souslesignedublanc!Premièrement,mamèren’avaitpasétécapabled’enplacerune.Avecl’aidedeLy’etdemesdeux

follesdinguesdecopines,j’avaishabilementpuévitertoutediscussion,etrepartirpresqueaussivitequej’étaisarrivée.(Letrucdefou.)Deuxièmement,j’avaisenfincoupélecordon.Etdemanièredéfinitive.Quelsoulagement!Jeme

sentaispluslibrequejenel’avaisjamaisété.(Unesensationincroyablementgrisante.)Troisièmement,j’habitaissouslemêmetoitqueLy’etjenepartageaispaslamêmechambreque

Kayla.(Pointexistentielpourmoi.)Évidemment,jesavaisbienquejeseraisobligéedem’yfaire,matendremoitiétenantvisiblementbeaucoupàcettemauditebestiolepoilue,maisjedisposaisd’unpeudetemps.(Unanoudeux.Entoutcas.)Quatrièmement,j’avaiseulederniermotavecmavoixintérieure.C’étaitdéjàarrivéparlepassé,

certes,mais très rarement.Alors, quandcela seproduisait, je fêtais dignement l’événement ! (Hip,hip,hip,hourrapourmoi!!!)Ouais,iln’yavaitpasàdire.Cettejournéeétaitplacéesouslesignedublanc!Enfin!—Enréalité,j’aibienfaillidévoilermonpetitsecretlasemainedemonarrivée.(Devantlamine

incréduledemescopines,jemeraclailagorge,gênée.)Benoui,vousvousrappelezcetteorgiedanslaquelle vousm’avez emmenée, dis-je, avant de lever lamain pour couperKim dans son élan deprotestation.Nan,c’étaituneorgie,n’essaiemêmepasdedirelecontraire.Lamoitiédesgensétaitàpoiletl’autremoitiéétaitsurlepointdeforniquer.Marj’faillits’étoufferenmasquantsonfourire.—Forniquer…?gloussa-t-elleentredeuxhoquets.Jelafoudroyaiduregard.—Parfaitement,forniquer.Maiscen’estpaslesujet,alorsn’essaiepasdem’embrouiller.—Cequ’ilfautpasentendre!(Tiens,çamerappelaitquelquechose,ça.)Sérieux…—Donc,commejeledisais,j’aibienfaillidévoilermonpetitsecretcesoir-là,lorsqueMaxme

cherchaitdesnoisesetm’empêchaitdepartir.Malheureusementpourmoi,oupeut-êtreheureusement,jenesaispasvraiment,Ly’estintervenu.(Envoyantmescopineshausserlessourcils,narquoises,jefus, une fois encore, obligée de développer.)Malheureusement : parce que devant Ly’, jeme suisretrouvée tétaniséeet incapabledemedéfendre…cemecavraimentuneffetassezdévastateur surmoi ; et heureusement : parce qu’il m’a finalement sortie d’affaire sans que j’aie besoin de medévoiler.(Jemordillailalèvre,lesyeuxperdusdanslevague.)Jen’avaispasenviequecelasesache.Jeveuxdire,aveclaréputationd’Andy,silesgensavaientsuquej’étaisceinturenoiredetaekwondo,ilsn’auraientpaspus’empêcherdemedéfieràlamoindreoccasion.Justepourlefun,oupourfoutrelamerde.Maxlepremier.(Jehaussailesépaules,fataliste.)Jenevoulaispasdeça.Moi,toutcequejevoulais,c’étaitqu’onmefoutelapaix.Jevoulaisrepartirdezéroetmefairedesamis.Danslecalmeetladiscrétion.Riendeplus.Évidemment,toutnes’étaitpasvraimentpassécommeprévu.Mais,aufinal,j’avaisobtenutoutce

que je désirais : mon frère, des copines et un petit ami. Enfin, je voulais dire un mec. (J’avaisvraimentdumalavecça!)

—Pourlecalmeetladiscrétion,c’estunpeurâpé…,semoquagentimentMarj’,enmefaisantunclind’œil.Maispourlereste,jepensequec’estplutôtmissionaccomplie.Kimhochavigoureusementlatête.—C’estmêmecarrémentmissionaccomplie,ouais !Enplus,Annaa réussiàcouper lecordon

avecsamèreetàremporterunmecenprime!Quedemanderdeplus?Lesourireauxlèvres,jeregardaimescopinesavecunplaisirévident.—Rien.J’aitoutcequejepeuxdésirer.Etbienplusencore!C’estclair,cettejournéeestdéfinitivementblanche!

Chapitre31

Alorsque jepensaisqueLy’nepouvait plusme surprendre, je réalisai àquel point j’étaisdansl’erreur. Ce mec, mon mec, était un homme imprévisible et qui, je le pensais sincèrement, mesurprendraitjusqu’aujourdemamort.(Qui,jel’espérais,arriveraitleplustardpossible!)Ly’me fit le plusmerveilleux des cadeaux.De ceux qui n’avaient pas de prix et qui étaient, en

définitive, fort rares.Cequi les rendait inestimables.Uncadeauànulautrepareil,que jechériraistoutemavie!Monmecm’avaitoffertlapaix.Oudumoins,cequis’enapprochaitleplus.Une semaine après mon agression, alors que nous venions de dîner, Andy m’avait emmené

dehors;nousnousétionspromenésdanslejardin,parlantdechosesetd’autres.Pensantqu’ilvoulaitsimplementmeconsolerd’avoirdéfinitivementperdumamère(bienqu’ellecontinuâtàmeharcelerau téléphone, malgré mon refus de prendre un seul de ses appels), je n’avais rien vu venir.Absolumentrien.Direqu’ilm’avaiteueparsurpriseétaitunmotbientropfaiblepourdécrirecequej’avaisressentilorsqu’ilm’avaitparlédecettenuit-là.Aprèssept longuesannées,àavoir judicieusementévité lesujet,monfrèrem’avaitparléàcœur

ouvert. Il m’avait raconté comment lui avait vécu tout cela. Comment il s’était longuement senticoupabledenepasavoircomprisplus tôtcequise tramait.Denepasavoirété làpourmoiavant.Cette culpabilité l’avait rongé de l’intérieur et n’avait pris fin que récemment. Il lui avait fallu dutempsetbeaucoupde travail sur lui-mêmepourcomprendrequ’iln’étaitpas responsable.Pasplusquejenel’étais.Ilm’avaitalorsavouéqueLy’étaitvenuluiparler.Leslarmesauxyeux,ilm’avaitsuppliéd’arrêterdem’envouloir.Jen’étaispasfautive,jenel’avaisjamaisété.Leseulresponsabledetoutecettetragédie,c’étaitnotrepère.Luiseulétaitcoupable.Pasnous.J’avaislonguementpleurédanssesbras.Toutétaitsorti.Naturellement.CommeavecLy’,lesmots

étaientsortis tousseuls,sansque jepuisse lesretenir.Ladouleuravaitété là,biensûr,maismoinsviveque la dernière fois,moins intense.Étrangement, celam’avait fait dubiend’en reparler avecAndy. Je m’étais sentie apaisée ; mes vieux démons avaient encore reculé, perdant davantage deterrain.Attention!Jenedisaispasquej’avaistoutoublié,loindelà.Maisj’avaistrouvéunsemblantdepaix.Jesavaisdésormaisquej’étaiscapabled’affrontertoutça.Je n’étais pas seule, je n’étais plus seule. Andy et Ly’ étaient là pour moi en cas de besoin. Je

pouvaiscomptersureux.Mespreuxchevaliersenarmurepourfendeursdedragons.Unsourireniaisécartameslèvres.—Onpeutsavoirpourquoitutemarres,Anna?LavoixdeKimmetirademarêverie.—Hein?—Cette fillevame rendrechèvre, jevous le jure !marmonna-t-elledans sabarbe,ensecouant

vigoureusementlatête.T’eslepointdemiredetouslesregardsducampusdepuisunesemaine,cequetudétestespar-dessustout,jetelerappellefortcharitablement,ettoi,t’eslà,pépèreentraindesourire ! (Ellemarqua une courte pause. Très courte.) Qui êtes-vous et qu’avez-vous fait demonamie?

Marj’ arriva à cemoment-là et lui donna une tape derrière la tête, avant de prendre place à sescôtés.—Ças’appelle l’amour,Kim.Ça teplantedesétincellesdans lesyeuxetça tedonneunsourire

béatetniais…—Oh,SainteVierge!Faitesquecelanem’arrivejamais!Jeneveuxpasressembleràça!s’écria-

t-elled’unevoixfaussementhorrifiée,enmepointantdupouce.Marj’gloussaenmefaisantunclind’œil.—Aucunrisque,Kim.Houla!Ça,çasentaitleroussi!—Onpeutsavoirpourquoi?(Regardfoudroyantetmeurtrier.Mauvaissigne.)—T’es bien trop bavarde pour ça !Aucunmecne te supporterait plus de cinqminutes !Donc,

rassure-toi,lesourireguimauven’estpaspourtoutdesuite…Peut-êtremêmejamais…Jemeratatinaisurmachaiseetmefislapluspetitepossible.Sij’avaispudisparaîtresousterre,je

n’auraispasétécontrenonplus!ParcequesijemefiaisauregardnoirdeKim,çaallaitchierdansleventilo,commeondisait!Aïe!—Cinqminutes, t’es sûre?Moi, jediraismoins…,annonçasoudainunevoix froide,que jene

connaissaisquetropbien.Marj’etKimsefigèrentetsetournèrentlentementversLy’.Ellesavaientperduquelquescouleurs,

unefoisdeplus,etnesavaientvisiblementpassurquelpieddanser.Unelueurmalicieusescintillaaufonddemesyeuxetj’éclataiderire.–Sivousvoyiezvostêtes,lesfilles!Tropdrôle…,hoquetai-je,pastrèscharitable.J’écopaidedeuxregardsnoirs,maisjelesvisàpeine.Ly’venaitdemesouleverpourm’installer

sur ses genoux.Mon sourire béat réapparut. Quoique très brièvement, puisque Ly’ se jeta surmabouchecommeunaffamé.Àcroirequenousnenousétionspasvusdepuisdessemaines…alorsquecelafaisaitàpeinequelquesheures.Cemecmerendaitfolle.—Trouvez-vousunechambre!maugréamonfrère,enprenantplaceànoscôtés.—Jaloux…,grondaLy’,toutcontremeslèvres.—Mec,lejouroùjeseraisjalouxdetoi,lespoulesaurontdesdents.Ly’relevalatêteetarquaunsourcil.—Alorslespoulesontdesdentsdepuistrentesecondes…Monfrèreluifitundoigtd’honneuravantdecommenceràmanger.—T’esgrave,mec…t’esvraimentgrave…,dit-ilentredeuxbouchées.—Sansdoutepourçaqu’ils’entendaussibienavecAnna…Silencecomplet.Tous les regards se portèrent sur Kim. (Enmême temps, qui d’autre aurait pu faire une sortie

pareille?)Auvudesaminedépitée,laphraseavaitdûluiéchapper.Commeunefoissurdeux.

Jepinçaifortementleslèvrespournepasrire.Maisjedusrapidementdéclarerforfait.Andygloussaàsontour,avantdesecouerlentementlatête.— Ça, c’est clair ! Je vois que tes copines t’ont plutôt bien cernée, Anna ! C’est d’ailleurs

surprenantqu’ellesnesesoientpasencoreenfuiesencourant…Ah,ah.Trèsdrôle.J’étaismortederire.Monregardnoirlefitmarreretilmelançaunrapideclind’œil.— Tu sais, avec Kim, j’ai l’habitude. (Marj’ se balançait tranquillement sur sa chaise, en

dévisageantmon frère comme si elle le voyait pour la première fois. Intéressant.) Par contre, parmoment,jemedemandesincèrementcommentjefaispourlessupporter,touteslesdeux.Kimfaillits’étoufferd’indignation.—Non,maisjerêve!Tut’esregardéedansuneglace?—Ouep!Jelefaistouslesmatinsenmelevant.—Seulementtonégoesttellementgrandquetudépassesdetouslescôtés,ducoup,tunet’yvois

pasvraiment…,déclarafroidementLy’,enlafixantintensément.Surpriseparcette interventionpour lemoins imprévue,Marj’ tanguasursachaiseetmanquade

finirlesquatrefersenl’air.Blême,ellenesavaitvisiblementpassic’étaitdulardouducochon.Pasplusquemoi…Jelançaiunregardprudentàmonmec,pourjaugersonhumeur.—Ly’…Jem’arrêtainetenlevoyantcrisperlamâchoire.Ilbaissalentementsesiriscouleurmenthevers

moi.Ellesétaientincandescentes.Oh,bonsangdebois!Soitilétaitvertderage,soitilétait…—Onvafaireuntour,masouris.Sans plus attendre, il glissa une main dans mon dos et l’autre sous mes genoux. Il se leva,

m’emportantaveclui.Ouah.Ouah.Ouah!Il se dirigea au pas de charge hors du réfectoire, puis bifurqua en direction du parking.

Heureusement que j’avais gardé ma veste en cuir sur mes épaules ! Le temps s’était sacrémentrefroidi,novembreétaitmaintenantbieninstallé,etl’airétaitdevenuglacial.Sortirsansveste,c’étaitlecoupdefroidassuré!J’ensavaisquelquechose…Toutefois,celan’expliquaitpaslaréactiondeLy’.—Est-cequeMarj’aditquelquechosequ’ilnefallaitpas?Unregardnoiretungrognementfurent lesseulesréponsesquej’obtins.Okay,d’accord.Sujetà

éviterpourlemoment.Mauvaissigne.Questionsuivante:—Tum’emmènesoù,Ly’?—Faireuntour.Okay,d’accord.Saufque…

—Lescoursnesontpasterminés…Ly’pilanet,mefitglisserlelongdesoncorpsetmeplaquacontrelepremierobstaclevenu.En

l’occurrence, un tronc d’arbre. Alors qu’il me surplombait, me dominant de sa haute stature, jecommençaisàmeliquéfiersurplace.Oh,bonsang!Cemecmefaisaituneffetmonstre.—Jesais…,chuchota-t-ilcontremes lèvres,avantdefrotter tendrementsonnezcontre lemien.

(Oh,merde!S’ilcontinuaitcommeça,mapetiteculotten’ysurvivraitpas…encore.)Maisj’aienviedebaisermameuf…J’aienviedelabaisermaintenant…viteetfort…Monentrejambepulsaviolemmentetjedusserrerlescuissespourcontenirledésirquejesentais

monterenmoi.C’étaitunebienvainetentative,commetoujours.Lesjouesempourprées,lesoufflecourt, les lèvres entrouvertes, j’attendais avec impatiencequeLy’meprit.Mesyeux luisaient d’undésiraussiintensequelesien.Nousnousdévisageâmesunlong,untrèslongmoment.Puis,ilsepenchaetmedécritprécisément

toutcequ’ilvoulaitmefaire.Oh,misère!Unevéritabledéflagrationdésintégralittéralementmaculotte.Cemecallaitmetueravantl’heure.—Ly’…,suppliai-jeduboutdeslèvres.Unsouriresardoniqueilluminasonvisagesévère.—T’enasaussienvie,masouris?demanda-t-il,eneffleurantlapeautendredemagorgedubout

desdoigts.Commes’ilendoutait,lebougre.—Tusaisbienqueoui…—Alors,viens…Ilme tendit lamain et je la regardai un bref instant, avant de la prendre. Que pouvais-je faire

d’autre?Jelesuivraisjusqu’enenfer,s’illefallait.Alorscourberlescours,franchement,c’étaitunelitote.Maindanslamain,nousquittâmeslecampusetnousdirigeâmesverssabellemoto.Saprécieuse

DucatiDesmosediciRR.Unpetitbijouquej’étaisincroyablementfièredechevaucher.Mêmeentantque passagère. Ly’ lamaîtrisait si bien, que chaque voyage était un véritable plaisir. L’ivresse dessens,queprocurait lamoto,étaitpresqueaussifortequecellequ’ilprovoquait lui-même.Avecsesmotsetsesmains.Cemecétaitunfoutudémontentateur!Après avoir revêtus nos casques, nous partîmes en balade.Mais pour une fois, j’étais tellement

obnubiléeparcequiallaitsedérouleraprès,quejeneprofitaipaspleinementduvoyage.Moncorpsétaitenfeu,etcefeubrûlaitd’êtreassouvi.CequeLy’m’avaitsusurrérésonnaitenboucledansmesoreilles,maintenantmonniveaud’excitationàsonapogée.Lespulsationsdemonbas-ventreétaientpresqueencontinuetdevenaientdeplusenplusintenses.Jeme frottai inconsciemment contre le cuirde la selle et contre ledosdeLy’.Ungémissement

inaudible franchit la barrière demes lèvres. J’avais l’impression de brûler de l’intérieur. Si nousn’arrivionspastrèsviteàdestination,jeseraisparfaitementcapabledem’embraser.

Heureusement,peudetempsaprès,lamotoralentit…avantdes’arrêtercomplètement.Nousétionsarrivés.Enfin!J’endescendisrapidementetenlevaimoncasqueavecdesgestessaccadés.Jetremblaisdetousmes

membres,maispasdefroid.Mavestesuivitlechemindemoncasquedanslaminute.(Audiablelafroideurdenovembre!)Puis,cefutletourdemonpull,demontee-shirtetdemontop.Alorsquejedéboutonnaifrénétiquementmonjean,Ly’poussaunlongsoupir.—Tuenportesdesvêtements,masouris…Qu’est-cequej’étaisd’accordaveclui!Pourquoiavais-jemisautantdecouches,aujourd’hui?Peut-êtreparcequenoussommesaumoisdenovembre,A.Ah,oui,c’estjuste.Sansmelaisserdistraireparmavoixintérieure,jefinisdemedéshabillerenuntourdemain.Ilne

merestaquemonslipetmonsoutien-gorge.Ly’levaunemainetmefitsigned’approcher.Toujoursàchevalsursamoto,biencampésurses

deuxjambes,ilmedévoraitd’unregardbrûlant.—Viens…Lecœurtambourinantàunevitessefolle,jem’avançailentement.Dèsquejefusàportéedemain,

ilmesoulevacommesijenepesaispaspluslourdqu’uneplume,etm’installadevantlui.Sondoigtcourutlelongdemagorge.—Tuesglacée,mapetitedéessedesenfers…Viens-là,jevaisteréchauffer…Ilmeplaquacontresoncorpsfermeetm’enveloppapartiellementdanssonvestondoublédepeau

demouton, qu’il avait déboutonné pendant que j’ôtaismes habits. Il caressa délicatementma jouedroitedureversdelamain,puissepenchapourm’embrasser.Joueuse,salangueallaitàlarencontrede lamienne, la taquinant, laprovocant.Sesmainsglissèrent le longdemondos et empoignèrentfermementmesfesses.Ilmesoulevalégèrement,jusqu’àcequejelechevauche.Lefroidglacialquirégnaitdansl’airfutrapidementunlointainsouvenir.Lefeuquibrûlaitenmoi

balayatoutlereste.Iln’yavaitplusqueLy’,moietsaDucati.Bordel,ilallaitvraimentlefaire!J’enfrémissaisd’avance.—Tuleveux,masouris…tuleveuxvraiment?—Oh,oui…Prends-moi,Ly’,prends-moi!Un grondement jaillit de sa poitrine, avant que ses lèvres de dévorent les miennes. Pillant,

envahissantlaplaceaveccettedominancequilecaractérisaitsibien.Maisiln’yavaitrienàenvahir,carlarééditionavaiteulieudepuislongtemps.J’étaistoutàlui.Corpsetâme.Sesdoigtsdécrochèrenthabilementmonsoutien-gorgeet l’abaissèrent lentement.Un frissonme

parcourut. Sesmains, incroyablement chaudes, vinrent prendremes seins en coupe. Ses pouces seposèrent sur mes mamelons fièrement dressés et se mirent à les titiller, jusqu’à ce qu’ils setransformentenpetitespiquesduresetpointues.—Magnifique…, dit-il d’une voix rauque, alors que ses prunelles semblaient crépiter tant son

désirétaitfortetévident.Sesmainsglissèrentsousmesaissellesetilmesoulevaunenouvellefois,afinderapprocherdesa

bouchelesobjetsdesaconvoitise.

Unlonggémissementretentitdanslesilencequinousentourait.Mongémissement.Iltétaitetsuçotaitgoulûmentmestétons,veillantàalternerfréquemmentpourqu’iln’yeûtpasde

jaloux,aupointdemefaireperdrelatête.Lesmainsprofondémentenfouiesdanssescheveuxnoirs,jelemaintenaisfermementcontremapoitrine.Dieuquej’aimaiscela!Il me reposa délicatement sur ses cuisses, et ses doigts revinrent s’enrouler autour des petites

pointesquiornaientmesseins. Ilplongeason regardvertmenthedans lemien…puis il lespinça.Fort.Untremblementmeparcourutetmatêtebasculaenarrière.Jejouisdansunlongcri,sansaucune

retenue.J’étaisau-delàdetoutça.Unebouledefeuquivenaitd’exploserenunmillierd’étincelles.Alorsquemespaupièresétaientcloses,j’auraisjuréavoirvudesétoiles;brillantesetlumineuses.Alanguie,jem’affalaicontreLy’,lecorpssecouédefrémissements.Telunfétudepaille,ilmesoulevaetmeretourna.Biensûr,n’étantpasHercule,ildutlefaireen

deuxtemps,maisjenem’enrendisquevaguementcompte.Jenerevinsàmoiquelorsquejesentislemétalfroidduréservoirdelamotofrottercontremesseinshypersensibles.J’entrouvrislesyeux,haletante.Ouais,ilallaitvraimentlefaire.Alors que je venais pourtant de jouir, je sentis unenouvelle pulsation traversermonbas-ventre.

Décidément,cemecmerendaitinsatiable.Commesitut’enplaignais,A.Biensûrquenon!Quis’enplaindrait?LespaumesdeLy’seplaquèrentsurmacroupeetillaremodelaenronronnant:—Cequetuesbelle,masouris,ainsiallongéesurmamoto,prêtepourmoi.Parcequetuesprête

pourmoi,n’est-cepas?—Oui…,soufflai-jedansundouxmurmure.Ungrognementapprobateurparvintàmesoreilles.—J’aienviedetoi,masouris…—Moiaussi,Ly’…moiaussi…Sesdoigtssefaufilèrententremesfessesetglissèrent lentement, langoureusementle longdema

raie. (Tiens, il avait enlevé ma petite culotte… Étrange, je n’en gardais aucun souvenir…) Ilss’arrêtèrent à hauteur demon pubis. Joueurs, ils le frôlèrent àmaintes reprises, jusqu’à ce que jevibreànouveaud’undésirinassouvi.Mesdoigtssecrispèrentcontrelemétalfroidduréservoir.—Tumeveux,masouris?—Oui…—Entièrement?Complètement?—Oui…Sonpouceagaçamonclitopendantquesonindexplongeaentremeslèvresinondées.Oh,bonsang!

—Tuescomplètementtrempée,masouris…complètementtrempée…Ettoutçac’estpourmoi,pasvrai?—Oui…Quepouvais-jedired’autre?Moncerveaus’étaitdéconnectédepuis longtemps…Jen’étaisplus

quesensations,commetoujoursentrelesbrasdecemec,demonmec.Sonindexressortitetremontalentemententremesfesses.—Tumeveuxiciaussi,masouris?susurra-t-ild’unevoixhachée.—Oui…Oh,oui!Sonindextournalentementautourdemonanus,lefrôlantsansjamaiss’yarrêtervraiment.Folle,

cemecmerendaitcomplètementfolle!J’entendislezipdistinctifd’unefermetureéclairquicoulissait;j’enfrémisd’avance.Jereconnus

égalementledéchirementquisuivit:l’emballaged’unpréservatifqu’onouvrait.Jefermailesyeuxetvisualisai parfaitement la scène. Je voyais distinctement les longs doigts de Ly’ dérouler la finemembranesursonsexeturgescent;jememordislalèvrepournepasgémir.LesmainsdeLy’se refermèrentautourdemeshancheset ilme tiraà lui.Le frottementdemes

tétonssurlemétalglacéduréservoirdelaDucatimefitfrémir.—Tumeveuxmaintenant?Ici?Surmabécane?Oh,oui,bordel!Jelevoulaiscommeunefolle!—Jet’enprie,Ly’…prends-moi,prends-moi!—Lesdésirsdemapetitedéessedesenferssontdesordres…Etilm’empalabrusquementjusqu’àlagarde.Dieuquec’étaitbon!Alorsqu’ilentamaitlentementundouxva-et-vient,sonindexretournaentremesfesses.Maiscette

fois-ci, ilnesecontentapasdemefrôleroudemetitiller.Oh,non!Lentement,sansmebrusquer,avecdesgestesdouxetdélicats,ils’enfonçadanslesreplislesplussecretsdemonêtre.Ledernierendroitqu’iln’avaitpasencorerevendiqué.Ladernièreterrevierge.Le souffle rauque, la respiration haletante, je tendis ma croupe pour en avoir plus. C’était…

c’était…innommable.—Tuenveuxencore,masouris?—Oui,oui,oui…Sonindexsemitalorsendiapasonavecsescoupsdereins.Brusque,rapide,possessif.L’étreintela

plusprimairequ’ilfût.Laplusérotiqueaussi.MaisLy’seretenait, je lesentais.Cequ’ilvoulait,cequ’ildésiraitvraiment,c’étaitconquérirce

territoireencoreinconnu.Ilmevoulaittoutentière,etmoijebrûlaisdemedonneràlui.—Tuessûre,masouris?demanda-t-ilsoudain,ens’arrêtant.Ledoutedanssavoixmefitfondre.Sij’avaiseulapluspetitehésitation,cequin’étaitpaslecas,

elleseraitpartieenfumée.

—Oui,j’ensuissûre,Ly’.Prends-moi.Jesuisàtoi…touteàtoi.Jel’entendisprendreuneviveinspiration.—Oh,oui,putain!T’esàmoi!Rienqu’àmoi!Il se retira et me fit me redresser légèrement, le dos cambré. Sa hampe, dure et chaude, se

positionna devantmon anus, le chatouillant du bout de son gland. Sesmains se posèrent surmesglobespâlesetcharnus,lesécartantdélicatement.Etilmepénétra.Oh.Mon.Dieu!Il y allait doucement, s’arrêtant régulièrement, comme s’il craignait demeblesser. Je lui en fus

profondémentreconnaissante,carlasensationétaitétrange.Entredouleuretplaisir.Jenesavaispasoùcommençaitl’uneetoùfinissaitl’autre.Toutcequejesavais,c’étaitquej’envoulaisencore.Plus,toujoursplus.—Situasmal,situveuxarrêter,tumeledis,masouris.Tumeledisetonarrêtetout.Jememordislalèvreinférieureenlesentantentrercomplètement.C’était…c’était…—N’arrêtepas!Ly’net’arrêtesurtoutpas…Unfrissonleparcourutet il juradanssabarbe.Puis, ilseretiralentement.Avantderevenir.Ses

mouvementsétaientlents.Ilmedonnaitletempsdem’habitueràtoutça.Maiscen’étaitpascequejedésirais.J’envoulaisplus.—Plusvite,Ly’,plusvite!—Oh,bordel!Tumetues,Annabelle…Ilmedonnaunpuissantcoupdereins,commepourmepunirdemonexigence.Jemecambraien

réponse,endemandantencoreplus.Iljuraunenouvellefois,avantdecommenceràmepilonner.Lesdoigtstoujourscrispéssurmesfesses,afindelesmaintenirbienécartées,jesentaissonregard

rivésursaqueuequis’enfonçaitenmoi.Chaquefoisplusfort,chaquefoisplusloin.Jusqu’àcequesesmouvementsdeviennentincontrôlables.Jesentis lamotooscillersouslescoupsdebutoirdont ilmegratifiait,mais jenem’ensouciais

pas.Jen’avaispaspeur.Jesavaisqu’ilnepermettraitpasqu’elletombât.—Oh,merde,Annabelle ! Ce que t’es bonne,ma souris, ce que t’es bonne…Etmienne, tu es

mienne…Entièrement,complètement,définitivementmienne…Dis-le,exigea-t-ilsoudaind’unevoixrude.Disquetuesàmoi!—Jesuisàtoi,Ly’.Rienqu’àtoi…C’était tellementvrai.Et tellementendessousde la réalité.Lemec leplusflippantde lafacétait

devenulecentredemonunivers.Ilétaitl’orbitesurlequeljetournais.Ilétaitmontout.Jenepouvaisplusimaginerlaviesanslui.Ouais,j’étaissienne.Entièrement,complètement,totalementsienne.Je sentis l’une de ses mains glisser entre mes jambes et capturer mon clito, alors que l’autre

remontait le long de ma colonne vertébrale pour se perdre dans mes cheveux. Ses doigtss’emmêlèrentautourdemescourtesmèchesrougesettirèrentpourmefairemecambrerencoreplus.Ses autres doigts, ceux qui s’étaient égarés entre mes cuisses, se mirent en mouvement. Frottant,titillant, agaçant, tirant mon clito jusqu’à ce que je me tortille comme un ver pour trouver

l’assouvissement.—Maintenant,Annabelle,jeveuxquetujouissesmaintenant.Moncorps,enparfaitesclaveassujettiàsonmaître,nese fitpasprier.Ungémissementguttural

m’échappalorsquejejouispourladeuxièmefois.CefutàpeinesijesentislahampedeLy’seraidiravantdetressauterdemanièrefrénétique.La respiration sifflante, le cœurbattant àdeuxcentsà l’heure, j’avais la sensationd’avoirquitté

moncorps.Unecoquillevide.Lapetitemort.Encore.Incapabledebouger,jerestaiainsi,lespaupièresmi-closes.LeslèvresdeLy’seposèrentdanslecreuxdemagorgeetilmemordilladoucement.—Tudevrais te rhabiller,ma souris…, chuchota-t-il d’unevoixhaletante, entre deuxmorsures.

Sinon,tuvastombermalade.Encore.(Mercidemelerappeler…)Jehochailentementlatêteetémisunvaguegargouillis:—Hin-hin.Sonsoufflemechatouillalorsqu’ilricanadoucement.—Aurais-jeépuisémapetitedéessedesenfers?Serait-ellesi fatiguéequ’ellenepuisse faire le

moindregeste?(Ilsepenchadavantageetmordillalelobedemonoreilledroite.)Suis-jebonàcepoint,masouris?Oh,levantard!Encoreunefois,iln’apasvraimenttort,A,puisquet’esalanguiesursamoto,incapabledefairele

pluspetitmouvement.Non?Évidemment,vusouscetangle…JesentislamototanguerlorsqueLy’endescendit.Ilmepritdanssesbrasetmeserracontreson

cœur.Unsourirearrogantfigésurseslèvres,ilmedonnaunpetitbaisersurlefront.Unelueurdesatisfactionbrillaitdanssesprunellesvertmenthe.Non,Ly’n’étaitpasunvantard;ilétaitleroidesvantards!Iladequoi!Il me posa délicatement et attendit d’être sûr que j’étais bien stable surmes jambes. Je vacillai

légèrement,maisréussisàresterdebout.Unexploit!Avantdevraimentcomprendrecequ’ilsepassait,j’étaishabilléedepiedencap.Cemecétaitaussi

efficacepourmedéshabillerquepourmerhabiller!Unevéritableperle.—Viens…Ilme tendit lamain etm’entraînavers la buttequi surplombaitRiverFalls.De là oùnousnous

tenions,lavillesemblaitpetiteetinsignifiante.C’étaitlapremièrefoisquejevenaisici,etjedevaisreconnaîtrequelavuen’étaitpasmaldutout.Bienquejenesoispasspécialementféruedepaysage.Jeseraisd’ailleursbienembêtéesijedevaisladécrire.Lesmotsjolimenttournésmefaisaientdéfaut,commetoujours.JemetournaidoncversLy’etluiadressaiunsourireétincelant.—Jet’aime…Unelueuranimales’allumadanssesyeuxetsespupillessedilatèrent.

—Jet’aime,masouris…,ronronna-t-ilàsontour,avantd’emprisonnermonvisageentresesdeuxmains.(Ilsepenchaetfrottasonnezcontrelemien.)Unjour,tuasditàAndyquej’étaissonombremaléfique.(Ilposasonpoucesurmeslèvrespourm’empêcherdeprotester.)Non,Annabelle.C’estceque je suis.Le noir absolu et abyssal.Uneombremaléfique.Mais toi,ma souris, tu es la lumièreétincelantequiilluminemesténèbres.Leblanclepluspurqu’ilsoit.Ensemble,nousformonsleYinget leYong.L’accordparfaitentre lenoiret leblanc.Noussommesuntout,masouris.Dorénavant,nousseronsindissociables.Riennenousséparera.Jenelepermettraipas.Jamais.Sesmots, la ferveur avec laquelle il les prononçait, son regard, lui. Les larmesme vinrent aux

yeux.Dieuquej’aimaiscemec.—Ly’…Ilsecoualentementlatête,l’airnavré.—Jesais,jenesuispasdouéaveclesmots,mais,cequej’essaiedetedire,Annabelle…Pincez-moi, je rêve ! Lui ? Pas doué avec les mots ? Oh. Mon. Dieu ! Ce qu’il ne fallait pas

entendre!Jemejetaisursaboucheetluidonnaiunbaiseràluicouperlesouffle.Leseulmoyenquej’avais

trouvépourlefairetaire.—J’aicompris,Ly’.Oh,oui!J’aicompris.Toiaussituesmontout.Unsourireilluminasonvisageetilmeserratendrementcontrelui.—Jet’aimetellement,AnnabelleMaryKatherineCampbell.Oh,misère!Était-ilobligédeprononcermonnomenentier?—Jet’aimeplusquetout,LysanderHoward.Ungrondementmécontentrésonnadansmesoreilles.Hé,hé!Unpartout.—Masouris,situm’aimesvraiment,neprononceplusjamaisceprénom,ok?Jerelevailatêteetluilançaiunregardnarquois.—Jeteprometsdeplusprononcerceprénom,sidetoncôtétumefaislamêmepromesse.—Tusaisquejenet’appelleraijamais«Anna».—Jesais.Jeparlaisdesdeuxautres…Deal?—Deal!Formidable!Formidable!Tuétaisformidable,moij’étaisfortminable…nousétionsformidables!Eh,merde!

Épilogue

Etmaintenant,voyez-vouslavieencouleurs?Jepensequevousavezcompris,au fildevotre lecture,àquelpoint jesuisnulleconcernant les

couleurs.Cen’estpasfauted’avoiressayé,pourtant,maisquevoulez-vousquej’yfasse?Bienquetouteslesnuancesdel’arc-en-cielsoientsublimes,personnellement,jenevoispasl’intérêtdetouteslesretenir.Ilyenatellement…c’estbientropcompliqué…Etpuis…Le rouge reste rouge, qu’il soit bordeaux ou grenat.D’ailleurs, à quoi ressemble exactement le

rougegrenat?Est-cequejetiensvraimentàavoiruneréponseàcettedélicatequestion?…Non,pasplusquecela

enfait.Pourmoi,lerougeresteraéternellementrouge,peuimportesanuance.Etmaintenant,voyez-vouslavieencouleurs?Ouennoiretblanc?Comme je vous l’ai dit d’entrée de jeu,moi je sais reconnaître les couleurs de base, pas leurs

innombrablesnuances.Maisvous?Lesavez-vous?Ou êtes-vous commemoi, simple spectateur devant ce magnifique feu d’artifice ? Trouvant ce

chatoiementmerveilleux,maisnetenantpasvraimentàlenommeravecprécisionetexactitude.L’ignorance,parfois,estdemise.N’êtes-vouspasd’accord?Etmaintenant,voyez-vouslavieennoiretblanc?Aprèsavoirplongédansmonunivers,yavez-voustrouvédessimilitudesaveclevôtre?Jevous

faisgrâcedelavoixintérieure,etespèresincèrementquevousnebénéficiezpasd’unetelle…amie,dirai-je.Maispourlereste,c’estuneautrepairedemanches.Peut-êtreavez-vouségalementdesjournéesblanchesetd’autresnoires?Oupeut-êtrepas.Lavieennoiretblancn’estpas faitepour tout lemonde, j’enconviens,maisc’estainsi.Onne

choisitpas.C’estnotrenatureprofondequilefaitpournous.Ànous,ensuite,d’entirerlemaximum.Lemeilleur.C’estprécisémentcequej’aifait.Pourunrésultat…enchanteur.Avez-vousremarquéquej’aidécouvertunenouvellecouleur,danscetuniversnoiretblancquiest

lemien?Voussaviezdéjàqu’ils’ytrouvaitunepointedebleufoncé.Petite,certes,maispasmoinsprésentepourautant.Ehbien,maintenant,ilyauneimmensetâchevertmenthe.Unvertmentheanulautre pareil. Grisant et enivrant. À elle seule, cette immense tâche verte illuminemonmonde. Demanièreirréversible.Cen’estpaspourmedéplaire,bienaucontraire.Jel’adoreetnepourraisplusm’enpasser.Jamais.Sivousêtessurlepointdemedirequemonvertmenthen’estpasvraimentvertmenthepuisqu’il

necorrespondpasexactementaux résultats trouvéssur internet, jevousmontreraigentiment,maisfermement, la sortie. Vous connaissez certainement l’expression « Tu sors ! ». Cela me navreraitprofondément,croyez-lebien,dedevoirenfaireusageavecvous,maissachezquejen’hésiteraipasuninstant.Mavoixintérieureestsuffisammentrabat-joiesansqu’elleaitbesoindumoindresoutien.Dieum’enpréserve!Donc,commejeledisais,avantcetteindispensablemiseaupoint,unenouvelletachedecouleura

faitsonapparitiondansmonunivers.Laplusimportantedetout.Laplusindispensable.LysanderHoward.Ly’.L’amourdemavie.Etmaintenant,vousnevoyeztoujourspaslavieennoiretblanc?Alors,jenepeuxmalheureusementrienpourvous.Cequivasuivre,jenepeuxpasvousledécrire

oumêmevousl’expliquer.Certaineschosesnes’exprimentpas.NoussommesLysanderHowardetAnnabelleMaryKatherineCampbell.Lasuitedenotrehistoire,

nousnepouvonspasvouslaraconter,nousdevonslavivre.

Notedel’auteur

J’espèrequevousavezprisautantdeplaisiràlirecettehistoirequemoiàl’écrire.Ilm’afalludutemps pour y parvenir, pasmal de temps, car j’avais sans cesse de nouvelles idées, de nouvellesscènes qui s’ajoutaient. Et puis, je l’avoue, je ne voulais pas vraiment la lâcher.Mais bon, il fautsavoirmettrelemot«fin»àunmomentdonné.Pourlecasoùvousvousposeriezlaquestion,iln’yaurapasdesuiteàcettehistoire.Est-ceque

j’écriraiuneromancepourlesautrespersonnages,àsavoirKimetMarj’?Oui,absolument.Jelesaimetroppourleslaissertomber!Ellesaussiontledroitdetrouverl’amour.Etrassurez-vous,ellesletrouveront.J’aidéjàquelquesidées…Toutefois, j’ai d’autres projets en cours qui demandent (réclament à coup de hurlement) mon

attention, doncMarj’ etKimvont devoir faire preuvedepatience. (Moue ironique.) Je sais que cen’estpasleurfort,maisellesferontavec!(Non,mais!C’estquil’auteur?…Benalors!)J’en profite pour remercier mon mari, qui a la patience de me supporter durant mes périodes

d’écritureintensives,etmeslongues,trèslonguesrelectures.Ilm’asoutenudepuisledébut,etsanslui,jen’auraisjamaisosémelancer.Mercidufondducœur.Tuesmonchampion.<3Jeremercieégalementmamaman,poursonsoutienetsesconseils.Jenelessuispastoujours(je

sais, jesais,c’esthonteux),maisilsnetombentpaspourautantdansl’oreilled’unsourd.Mercideprendreletempsderelirechacundemeslivresetdelescorriger.T’eslameilleuredesmamans!<3Jeremerciemanouvellebêta-lectrice,Clotilde,quiaacceptéderemplacermonmariaupiedlevé!

C’est unepersonne formidable (formidable !Tu étais formidable,moi j’étais fortminable…nousétions formidables ! Désolée, je n’ai pas pu résister… ^^). Donc, je disais que Clotilde est unepersonne formidable (…) et je suis terriblement chanceuse qu’elle ait accepté de devenirma bêta-lectrice!Merci,mabelle,t’esvraimentunamour!<3J’aibienfaillioublierquelqu’un…JeremercieJayAheer.pourlamagnifiquecouverturequ’elle

m’afaite!Untravailmagnifique,quim’alaisséebouchebéequandjel’aidécouvert!Jel’adore,elleestjustegéniale!(Lacouverture,maisJayaussi…^^)Et,pourfinir,jevousremercieVOUS,cherslecteurs!J’aitoujoursunepointed’angoisselorsque

jepublieunnouvelécrit,enmedemandants’ilvavousplaireounon.C’estunpeucommejoueràlaloterie,onnesaitpassinosnumérosserontgagnantsoupas.Lestress!Alors,n’hésitezpasàlaisservotreavissurmonblog(adresseci-après),surmapageFacebookou

directement sur la plate-forme où vous avez acheté mon livre. Même si je ne réponds pasimmédiatementàvoscommentaires,soyezassurésquejeleslistous.Merci,merciàvous.Rosexxx.

Actualitédel’auteur

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Dumêmeauteur

LeCalvairedeDaniella

Mélinda,unrêvedevenuréalité

LeilaetRoderick

Ébène(recueilde3nouvelles)

LeFruitDéfendu

LePetitPlaisirLarenaissancedeStacy,tome1L’envoûtementdeSolange,tome2(àparaîtreen2016)

RomanceM-M

LaTriadeL’Archangedéchu,tome1L’Archangefacétieux,tome2(àparaîtreendébut2016)

LaMeutedesSixLunesElijah,tome1(àparaîtrefin2015oudébut2016)Gaidon,tome2(Prévupour2016)

TableofContentsTabledesmatièresRésuméPrologueChapitrepremierChapitre2Chapitre3Chapitre4Chapitre5Chapitre6Chapitre7Chapitre8Chapitre9Chapitre10Chapitre11Chapitre12Chapitre13Chapitre14Chapitre15Chapitre16Chapitre17Chapitre18Chapitre19Chapitre20Chapitre21Chapitre22Chapitre23Chapitre24Chapitre25Chapitre26Chapitre27Chapitre28Chapitre29Chapitre30Chapitre31ÉpilogueNotedel’auteur