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03/02/2015 Salanskis : Continu, cognition, linguistique http://www.revuetexto.net/19962007/Inedits/Salanskis_Continu.html 1/26 CONTINU, COGNITION, LINGUISTIQUE JeanMichel SALANSKIS Université de Lille III, CAMS (Extrait de Rastier, F. (éd.), Sens et Textes, Paris, Didier, 1996) SOMMAIRE : Introduction 1. Légitimités diverses du continu par rapport au linguistique 1.1. L'entrée perceptive 1.2. Le dynamisme cognitif 1.3. Un continu du sens ? 2. Espace cognitif, espace transcendantal 2.1. Position du problème 2.2. Le point de vue cognitif : Talmy, Poincaré 2.3. Confrontation de l'espace cognitiflinguistique et de l'espace transcendantalgéométrique 2.4. La conception phénoménologique de l'enracinement 2.4.1. Indications générales sur le rapport 2.4.2. L'espaceorientépourlecorps et l'intuition pure 3. Conclusion : la dispute du continu Introduction Le continu, nous l'envisageons d'abord, dans cette étude, comme le signifié d'une activité de langage particulière et privilégiée à beaucoup d'égards, l'activité mathématique. Cette activité, qui, aujourd'hui, a lieu suivant la déontologie formelle, prend plus spécialement le nom d'analyse réelle ou complexe lorsqu'elle vise le continu. Au cours de la période récente, elle a produit une quantité immense de savoir, dont une part ellemême considérable se range sous le titre géométrie différentielle. De nombreux aspects de ce savoir s'investissent dans la physique mathématique de ce siècle, pour la plus grande gloire et le plus grand succès de cette dernière : le mariage de la géométrie différentielle et de la physique, célébré à la fin du XVIIe siècle avec la naissance du calcul infinitésimal, continue d'être le fait majeur la science moderne, y compris du côté de la théorie quantique, à rebours de ce qu'imaginent des gens trop impressionnés par le caractère discret des niveaux d'énergie de l'atome d'hydrogène. La linguistique, mais avec elle plus généralement les diverses disciplines de la constellation structuraliste, ou, plus près de nous, de la galaxie cognitive, n'ont tout d'abord pas suivi le modèle de la physique du point de vue de ce rapport au continu. La voie de la « formalisation » fut empruntée, mais on a ce faisant systématiquement privilégié la mathématique discrète. Si l'on en a usé ainsi, c'est sans nul doute pour de bonnes raisons, ayant trait à l'intuition que l'on avait de l'objet dont on s'occupait. Aujourd'hui, cependant, diverses tentatives de modélisation ou de description témoignent de ce que cette première option n'était peutêtre pas irréversible, et le présent colloque rend manifeste que cette remise en question atteint la linguistique ellemême. Nous disons « la linguistique ellemême » parce que la langue semble de prime abord présenter une discrétion pour ainsi dire imprenable, et qu'une théorisation continue apparaît donc comme a priori maximalement improbable dans son cas. Nous savons, cela dit, dans quelle circonstance le continu parvient néanmoins à concerner la linguistique : ce qui joue un rôle décisif est ici la problématique cognitive, le fait que la recherche linguistique se trouve de plus en plus appelée à s'insérer dans le cadre plus général de l'étude « objective » de la cognition. Nous allons donc tenter de préciser comment la problématique cognitive parvient à importer le continu dans le champ linguistique, en distinguant à cet égard plusieurs modalités. La méthode suivie est philosophique, c'estàdire que nous tentons à chaque fois de caractériser philosophiquement la perspective dans laquelle le continu est sollicité par la théorie

Salanskis Continu, Cognition, Linguistique

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Reflection on the continuum from the standpoint of mathematics, linguistics and philosophy. Text in french.

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    CONTINU,COGNITION,LINGUISTIQUE

    JeanMichelSALANSKISUniversitdeLilleIII,CAMS

    (ExtraitdeRastier,F.(d.),SensetTextes,Paris,Didier,1996)

    SOMMAIRE:Introduction1.Lgitimitsdiversesducontinuparrapportaulinguistique1.1.L'entreperceptive1.2.Ledynamismecognitif1.3.Uncontinudusens?2.Espacecognitif,espacetranscendantal2.1.Positionduproblme2.2.Lepointdevuecognitif:Talmy,Poincar2.3.Confrontationdel'espacecognitiflinguistiqueetdel'espacetranscendantalgomtrique2.4.Laconceptionphnomnologiquedel'enracinement2.4.1.Indicationsgnralessurlerapport2.4.2.L'espaceorientpourlecorpsetl'intuitionpure3.Conclusion:ladisputeducontinu

    Introduction

    Le continu, nous l'envisageons d'abord, dans cette tude, comme le signifi d'une activit delangageparticulireetprivilgiebeaucoupd'gards,l'activitmathmatique.Cetteactivit,qui,aujourd'hui,alieusuivantladontologieformelle,prendplusspcialementlenomd'analyserelleoucomplexelorsqu'elleviselecontinu.Aucoursdelapriodercente,elleaproduitunequantitimmense de savoir, dont une part ellemme considrable se range sous le titre gomtriediffrentielle.Denombreuxaspectsdecesavoirs'investissentdanslaphysiquemathmatiquedecesicle,pour laplusgrandegloireet leplusgrandsuccsdecettedernire : lemariagede lagomtrie diffrentielle et de la physique, clbr la fin duXVIIe sicle avec la naissance ducalculinfinitsimal,continued'trelefaitmajeurlasciencemoderne,ycomprisductdelathoriequantique,reboursdecequ'imaginentdesgenstropimpressionnsparlecaractrediscretdesniveauxd'nergiedel'atomed'hydrogne.

    La linguistique, mais avec elle plus gnralement les diverses disciplines de la constellationstructuraliste,ou,plusprsdenous,delagalaxiecognitive,n'onttoutd'abordpassuivilemodlede la physique du point de vue de ce rapport au continu. La voie de la formalisation futemprunte,maisonacefaisantsystmatiquementprivilgilamathmatiquediscrte.Sil'onenaus ainsi, c'est sans nul doute pour de bonnes raisons, ayant trait l'intuition que l'on avait del'objetdontons'occupait.

    Aujourd'hui,cependant,diversestentativesdemodlisationoudedescriptiontmoignentdecequecettepremireoptionn'taitpeuttrepas irrversible,et leprsentcolloquerendmanifestequecetteremiseenquestionatteintlalinguistiqueellemme.Nousdisonslalinguistiqueellemmeparcequelalanguesembledeprimeabordprsenterunediscrtionpourainsidireimprenable,etqu'une thorisation continue apparat donc commeapriori maximalement improbable dans soncas.

    Nous savons, cela dit, dans quelle circonstance le continu parvient nanmoins concerner lalinguistique:cequi joueunrledcisifest ici laproblmatiquecognitive, le faitque la recherchelinguistiquesetrouvedeplusenplusappeles'insrerdanslecadreplusgnraldel'tudeobjectivedelacognition.Nousallonsdonctenterdeprcisercommentlaproblmatiquecognitiveparvient importer le continu dans le champ linguistique, en distinguant cet gard plusieursmodalits. Lamthode suivie estphilosophique, c'estdire que nous tentons chaque fois decaractriser philosophiquement la perspective dans laquelle le continu est sollicit par la thorie

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    cognitive,etlamesuredanslaquellecettemobilisationconcerneleniveauproprementlinguistique.

    C'est ainsi que nous abordons dans ce qui suit trois points, correspondant aux trois types delgitimationpossiblesdel'interventiondelagrammaireducontinuqu'estl'analyserelledanslesmatirescognitives:lalgitimationparleperuetlaperception,lalgitimationparl'approchedynamicistedel'activitcognitive,lalgitimationparlapriseencompted'uncontinudusens.

    Mais nous prendrons aussi, dans un second temps, le problme dans le sens inverse : ladescription linguistique dgage quelque chose comme une grammaire du continu habitantl'usage ordinaire de la langue, qui fait en quelque sorte concurrence au dispositif logicomathmatique,rfrenceimplicitedetoutlediscourssurlecontinuquiprcde.Nousessaieronsdonc d'analyser le rapport entre les deux niveaux d'laboration du continu disponibles, qui seprsentent en l'occurrence comme deux niveaux d'laboration de la spatialit. Nous profiteronsalorsdufaitquelaquestiondurapportentreunespacecognitifetl'espacedelagomtrieadjt pose dans l'aire philosophique, propos de l'interprtation de la doctrine kantienne del'esthtiquetranscendantale.

    1.Lgitimitsdiversesducontinuparrapportaulinguistique

    1.1.L'entreperceptive

    Unepropritfondamentaledel'activitcognitiveestqu'ellesemetenrapportaveclemonde.Ilestdonc possible d'introduire le continu dans le champ linguistique en invoquant la dpendance dulangagesurlaperception:laperceptionoudumoinsleperua,jugeonsnous,toutvoiraveclecontinu.

    C'estbiencequeditPylyshynlorsqu'ilparledetransduction:pourlui,unefonctiondetransductionest une fonction qui envoie certain classes of physical states of the environment intocomputationallyrelevantstatesofadevice.Maisladifficultproprelatransduction,cequifaitquelatransductionn'estpasuncalculsymbolique,c'est,Pylyshinlesignalenouveauentermesonnepeutplusclairs,lefaitquelesparamtresdeladescriptionphysiquesontincommensurablesavecleregistresymbolique:

    Physicaldevicesrespondtophysicalmagnitudes(thatis,thebasicdimensionofphysicsforce,time,length).Thedevelopmentoftechnologicaltoolsformechanicalorelectricaltasksisintimatelyrelatedtothedevelopmentofphysicaltheory.Whatmakesspeechseemhighlyvariableisthatwelack physical dimensions that correspond to phonetic similarity in other words, we lack adescription,inphysicalterms,thatwillgroupsoundsintoperceptuallysimilarclasses.

    Formulainsi, leproblmeapparatcommelicequesont lesparamtresphysiquesde force,tempsoulongueur:ilprocdeplusprcismentdecequ'cesparamtressontassocisdanslathorisationphysiquedesdomainesmathmatiqueso leursvaleursdoivents'inscrire,domainesquisont tousconstruitssur lemodlemathmatiqueducontinu linaireR.Passerdecequiestainsid'abordrapportunecollectiondenombresrels,decequiest leplussouvent interprtcommeunpointd'unevaritdiffrentiableplusoumoinscomplexe,passer,donc,via uncritremathmatiqued'assimilationde cequi vaut symboliquement comme lemme,de l'informationsymbolique, est le problme dit de la transduction, dont Pylyshyn donne comme exemple dersolutionpartielle lestravauxdeMarr(maisonpeutaussiciter l'approchemorphodynamiqueduproblmede la reconnaissancedes formessensiblesexternesproposeparPetitotdansPetitot[1991],etl'tudeprsenteparlemmeduproblmedelaperceptioncatgorielledansPetitot[1985]). Ce problme a ses attraits, ses difficults et son langage, mais ce que nous voulionsseulementsouligner,c'estquelecontinu,jusquel,n'intervientqueparcequ'ilintervientengnraldanslamodlisationphysique,iln'yaaucunmotifproprementlinguistiquedelefairecomparatre.L'ide est simplement qu'il y a une prparation de toute activit cognitive linguistique dans latransduction,etquelatransductionpardfinitioncommencedansununiversconventionnellementmodlisparlecontinu.

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    Certes,ilyabienunesecondeinstancedel'affaireperceptivepourlelangage:depuisquel'onacommePylyshynposleproblmedel'entredusystmecognitifentermesdetransduction,onjugeparalllementquelabarrireentrelatransductionetlecalculsymbolique,entrelepassageduphysique au symbolique et l'opration symbolique ellemme, est essentiellement relative, floue,variable.CitonscettefoislercentarticledeChalmersFrenchHofstadter:

    RecentlybothPylyshyn(1980)andFodor(1983)havearguedagainst theexistenceof topdowninfluences inperception,claiming thatperceptualprocessesarecognitively impenetrableofinformationally encapsulated . These arguments are highly controversial, but in any case theyapply mostly to relatively lowlevel sensory perception. Few would dispute that at the higher,conceptuallevelofperception,topdownandcontextualinfluencesplayalargerole.

    Certes,unediscussions'amorcepartirdecesconsidrations,etelleaurancessairementdesretentissementssurleniveauproprementlinguistique:lefaitquelelangagesoitlemdiumdelarecognition, comme le pointent ChalmersFrenchHofstadter, contraint une certainecommensurabilit, unecertaine relation lesoprationsdu langageet la fonction transductive : laperception s'achve dans la recognition. Comme ChalmersFrenchHofstadter explicitent lecaractrekantiendecettediscussion,ilpeuttresimpleetclairantdedirequeceproblmeseraitdanslelexiquekantienceluiduschmatisme,alorsquelepremierseraitceluidelasensibilitetdel'intuitionpure.Entouttatdecause,lorsqu'onaditcela,onn'apaschanglefaitquelecontinuqui vient ainsi concerner vritablement le niveau linguistique au niveau de sa fonctionschmatisante, est le continu de la physique, le continu imput par la physique l'tant spatiotemporeldelanature.

    Enfait,notreassimilationduproblmeceluiduschmatismeestfoncirementinexacte,ouplutt,elleentretientuneconfusion.L'examende la littraturecognitivervlequ'ilyaplusexactementdeuxproblmes:

    Le problme de ce que l'on pourrait appeler la prparation transductive des actes decatgorisation, de recognition dlivrs dans et par le langage : la stratgie mathmatique etl'implantation sur rseaudontPetitot rend compte dansPetitot [1991] nous semblent relever decette rubrique dans l'exactemesure o les archtypes cognitifs y sont les termini ad quemininterrogsdutravaildurseau.

    Leproblmeduschmatismeausensplusprcisduterme,etquiestaufondleproblmedelamesuredanslaquellelelangagesetransposedeluimmedansleregistrecontinuduperu:ceserait,parexemple,leproblmedecomprendrecommentlelangagepeutprescrirelasignificationcontinuedesdiagrammesdeLangacker(s'ilyenaune).

    Le trans de transduction et transposition, selon les cas, ne va pas dans lamme direction. Lapremireproblmatiqueest cellede laprparationphysiquedusymbolique (dans les termesdePylyshyn), la seconde celle du pouvoir schmatisant du langage. Seul le second problme estproprement linguistique : il implique une tentative de comprendre au niveau mme du couplelangagepenseuneesquisseducontinuobaignentlesrfrents.

    Il nous semble que ce problme du schmatisme linguistique ne peut tre abord que dans lecadre d'une tude de la spatialisation a priori qui est dans le langage : il est cohrent que lamanire dont le langage se tourne vers une spatialit prdonne des choses demande treenvisagepartird'unerflexionsurl'espacequelelangagepourainsidireproduitparluimme.Maiscecirenvoielasecondepartiedecetarticle.

    1.2.Ledynamismecognitif

    C'estunevieillethsedelaphilosophiequeleclivageentrelemondeetl'espritestunclivagedel'espaceetdutemps.L'me,onlesait,estdjdsignecommecompliceessentieldutempsparAristote chezKant, le tempsest la formedusens interne chezHegel leconceptse reconnatfinalementcommelammechosequeletempschezHusserl,lefluxintimedutempsestl'lmentdelaconstitutionpremiresurlaquelletoutelaphnomnologie,commedploiementduchampde

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    conscience,repose.

    Une telle tradition, peuttre, nous recommande de penser l'essence de la pense du ct dutemps:lepropredelapenseseraitd'treprocessus,d'treuncertainrythmedansletemps.

    Mais ds lors, une hypothse philosophique sur la pertinence du continu l'gard du domainecognitif merge naturellement : ne peuton pas soutenir que le temps joue dans les sciencescognitives un rle analogue celui que jouent conjointement l'espace et le temps dans lamcanique classique ? Et que l'interprtation usuelle du temps par le continu mathmatiqueunidimensionnelR s'impose alorsapriori la recherche cognitive ? Si l'on veut exprimer cettethsedanslelangageducriticismetranscendantal,dontelleestvisiblementinspire,ondiraqueletempsest lecadredeprsentationdesphnomnescognitifs,etque latentatived'objectiverscientifiquement lacognitionestparsuite tributaired'uncontinu temporelesthtiqueausenskantien.

    Ilapparatalorsqu'unetellehypothsepeuttrenotablementappuyeparlapriseenconsidrationdes efforts rcents pour reconstruire l'ensemble des sciences cognitives sur un paradigmedynamiciste.

    Ces efforts, on le sait, ont plusieurs aspects. Le plus manifeste, le plus clbre, est ledveloppementdecequ'onappelleconnexionnisme ouparfoisnoconnexionnisme.Souvent,l'exposdecesmodless'appuietrslargementsurl'inspirationneurobiologiquevidentequilesamotivsaumoins l'origine :sur lavraisemblancede l'hypothseque lapensemergederseauxneuraux.Onpeutnanmoinsregarderleschosesd'unetoutautremanire,etconsidrercommeessentielnonpaslefaitquecesmodlesmettentenscnelesystmedynamiqueassocilaremisejourritre,indfiniedesvaleursd'activationdesneuronesd'unrseau,maislefaitqu'ilsmettentenscneunsystmedynamiquetoutcourt.Onammetouteslesraisonsdelefairesil'ontientcomptedel'anticipationparRenThomdesidesconnexionnistesdemodlisationilyplusdevingtans,etcedansdestermesolarfrenceauxneuronesnejouaitpasungrandrle:c'est surtout l'ide que Thom se faisait de l'activit cognitive comme essentiellementvnementielle,temporelle,quileconduisaitunemodlisationdynamique.

    Si nous suivons le langage de D. Amit dans son traitModeling Brain Function, nous n'avonsd'ailleurspasdepeinereprerl'importancedel'lmenttemporeldanslaprsentationqu'ildonnedesesANN(AttractorNeuralNetworks).

    Tout d'abord, le principe de la reprsentation des contenus de pense par desattracteurs d'unsystmedynamiqueestunprincipetemporalisantdeuxgards:d'unepart, lapenseapparatcommeunprocessus,d'autrepart,lasaisied'uncontenu,ausensdelamiseenactedesonsens,estinterprtecommel'arrivedusystmedynamiqueenl'attracteur:

    The arrival of a trajectory, initialized by a given stimulus, at an attractor is the realization ofretrievalandatthesametimeitistheassignmentofmeaning...(Amit[1989],p.84).

    Cettegrandeoptioninterprtativedel'essencedesreprsentationsseprcisedansleregistretemporel : pour que la reprsentation soit vraiment actualise dans le systme, il faut que ladynamiquedemeureuntempssuffisantoellesestabilise,alorsqueletempsd'arriveencettat,comparativement, est un temps rapide. partir de telles considrations, Amit distingue larecognition du souvenir proprement dit (la premire est l'arrive immdiate du systme sur unattracteurquelestimulusappelleetquiestenmmoire,lesecondcorrepondaucasd'un

    processbywhichadetaileditemofinformation,specifictotheparticularattractorwhichhadbeenreached,ispropagatedinthewidersystemtogeneratearesponsebasedonthespecificdetailedmemory.

    On demande par ailleurs la slection d'un attracteur de dpendre seulement des forces deconnexion du rseau, et pas dumode temporel de remise jour des activations neurales : onenvisage cet gard deux possibilits extrmes, l'une invraissemblable biologiquement mais

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    commodemathmatiquement, selon laquelle ils se remettent jour tousensembles, auxtapessuccessives d'un temps discret, l'autre, plus raliste, selon laquelle ces remises jour sontasynchrones,chaquetapedummetempsdiscretprescritparl'horlogebiologique,ilyaremise jour d'un neurone tir au hasard. Ainsi le concept de stabilit introduit a tout voir avec lecaractretemporeldel'activitcognitive.

    Enfin,auchapitre5dutrait,Amitreconnatquelemodletelqu'ill'ajusqu'icienvisaggaliselapenselammoire,etpardessuslemarchdesvnementssinguliersdemmorisation:ilestinvitable,ditilensubstance,detenterdemodliser lapensecommeunprocessussquentiel,c'estdirecommeuneprocessusdeprocessus,l'enchanementselonunehorloged'unitlongued'vnements qui sont euxmmes des droulements, scands par une unit plus brve. Amitmontrealorsqu'unsystmepeuttransiterd'unattracteurunautre,etceunnombrefinidefois,conditionqu'onajoutelamatricedesforcesdeconnexionsuntermeantisymtriqueadquat,quiseraenfaitenpartiecalculd'aprs lesactivationsdusystmetunitsdetempsauparavant(lesystmedynamiqueest telque l'tatdusystme l'instant t+1n'estpasseulementrgiparsontatl'instantt,maisaussiparsontatl'instanttt):dansdetellesconditionslepassaged'unattracteursonsuccesseurdansunelistefinied'attracteursneseferapasd'uninstantfrappparl'horlogemicroscopiquedusystmeneurall'autre,maistouteslestunitsdecetemps, lenteurquipermetausystmed'actualiservritablementlesreprsentationsassociesauxattracteurs.

    Ilestdoncpossible,dansunecertainemesure,deressaisirlesmodlisationsdynamiquescommegouvernes par une ide rythmique de la pense : le fait de la pense est rapport unediffrenciationqualitativedutemps,l'mergencedeplusieurschellesdetemps.Nosremarquesaccrditentelles pour autant l'hypothse plus prcise avance plus haut, celle d'une fonction transcendantaleesthtiquedutemps?Nousvoyonsuncertainnombrederaisonsderpondreparlangative,quenousexplicitonsdansunenouvellesriederemarques.

    1) La modlisation par attracteurs, par principe, ne met pas seulement en jeu la dimensiontemporelle:iln'yauraitpasd'attracteursilesystmedynamiqueconsidrn'avaitpasunespacesubstrat. Cet espace substrat est livr quasiment tout fait au connexionnisme par l'analogiebiologique(c'est l'espacedestatsdurseaudeneurones), ilestpostulcommevaritde ladynamiqueinterneparlepointdevuethomien(etc'estalorsunhypercubecontinudeHilbert [0, 1]N). La cohrence de la modlisation de la pense comme modulation rythmique plusieurschellesdutempssupposeunespaced'actualisationpourcettemodulation.

    2) Cette premire remarque rattache le problme de la perspective temporelle sur la pensecognitionlafoisdevieillesetdercentesdiscussions.D'unct,onsaitqueKantregardaitunepsychologiemathmatisecommeimpossibleprcismentcausedel'unidimensionnalitdutempslaquelleelleseraitncessairementconfine: il luiparaissait impossiblequelesconceptscatgoriauxobjectivantsdontcettescienceauraitbesoinpussentrecevoirunsensempiriquesurlascnedutemps,pourcettesimpleraisonqu'iln'yapasdetellescne, letempsesttoujoursabsent,lerassemblementdutempsavecluimmeesttoujoursdmentiparlepassagedutemps.certainsgards, lamodlisationdynamique reconnat ladifficultaumomentmmeoelle lavainc, puisqu'elle ajoute au temps un espace d'actualisation qui permet l'identificationconceptuelleetschmaticomathmatiqued'unenotioncommecelled'attracteur.D'unautrect,on sait que certains spcialistes modernes, adeptes d'un dynamicisme extrme, prnent lerenoncementtouteidedestockagesurlequelleprocessusdelapenseprendraitappui(nouspensonsauxidesdeRosenfield,dontClanceysefaitl'interprte):leurvue,dontonnevoitpasquellesortedemodleellepourraitconduire,rcusetelleaussil'ided'unespaced'actualisation,oubienactualisationetstockagesontilslesnomsdedeuxfonctionsabsolumentdistinctes?Ilnoussemblequ'ilyaenl'espceunthmederflexiond'unintrtnonngligeable.

    3) Il fauten toutcasapportercetterestrictionque lesauteursdesmodlisationsconnexionnistesn'ont paseuxmmesargument leur recours au continuen termesd'une rfrenceau temps :c'estlepointsurlequelnousavonsinsistdansSalanskis[1992].

    4)Endernireanalyse,unedifficultmajeuresubsiste:mmetellequenouslaprsentonsici,la

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    science cognitive ne nous semble toujours pas unemcanique temporelle des phnomnes decognition. La science cognitive n'est pas mcanique parce que son objet, la pense, n'est paspassivementunesynthsedesphnomnesdecognitionauxquels il renvoie, le tempsn'estpassimplement son cadre, il est sa substance, la pense est l'animationmme de ce dont elle estconstruitecommelasynthse.Nousretrouvonsici,nonsansrencontrerunedifficultprofondeleformuler, lavieillepinephilosophiqueconcernant l'meet le temps : l'men'estpasseulementdans le temps, elle temporalise. J.T. Desanti a trs profondment expliqu, dans son livre surHusserl, quel point celuici avait major cette difficult dans son analyse mticuleuse de laconstitutiondutemps,pralabletouteslesconstitutions:autantdirequel'aporiedeladuplicitdutempspersistejusqu'nosjours,etchezcetauteurmmeenquil'onpeutvoirunprcurseurdesrecherchescognitives.

    Maispourcequiregardecetarticle,leprincipalproblmeestceluidelamaniredontl'entredutempsdanslathoriecognitiveaffecteleniveaulinguistiqueproprementdit:lathoriedynamiquedelapensecognitionintroduitellelecontinudanslelinguistique,et,sioui,dequellemanire?

    On peut d'abord observer que le temps des modles dynamiques n'apporte pas de manirevidente lacontrainteducontinu : lesmodles,pour leurmajeurepartie, fontusaged'un tempsdiscret.ChezAmit,ilyamme,nousl'avonsvu,unerflexionenrapportavecladiscrtiondecetempsquis'autorisedelavraisemblancebiologique(l'ided'uncycledebasedusystmecognitifest biologiquement plausible, celle du fonctionnement synchrone du rseau neural ne l'est pas).Une telle discussion du modle tmoigne du caractre profondment non transcendantal del'invocationducontinuparleconnexionnisme.Restequel'onpeutnanmoinsallguerqueThometGrossberg font appel un temps continu (condition ncessaire ce qu'on ait de vritablesquationsdiffrentielles,devritablessystmesdynamiquesausensclassiqueduterme).

    Biensr,onpourraitessayerd'apprcierleretentissementdel'approchedynamicistesurleniveaulinguistique en regardant de prs les applications linguistiques du connexionnisme, du type grammaireharmonique.Ilnoussembleplussimpledecaractriserdeplusloinceretentissement,en remarquant que le continu en question intervient essentiellement pour dcrire notremanired'avoir le langagepluttquepourdcrire lasignification.Parexemple,Smolenskynoncequeleconnexionnisme est mieux mme d'expliquer le fait qu'un enfant apprenant les formes deconjugaisondesverbessauradansunpremiertempsdesverbesirrguliers,puis,ayantacquislarglemajoritairedelasuffixationpared(enanglais)aligneradefaonerronelesverbesdontilconnaissait lesformessurcepatrondansunsecondtemps,avantd'arriverlamatrisenormaledelachose.Pourlgitimantel'gardduconnexionnisme,etpourintressanteparellemmequecettevuesoit,ellen'estpasproprementparlerunelucidationdusenslinguistique.

    Le continu perceptif demeurait extrieur au champ symbolique de la langue pour des raisonsessentielles,entantquecontinudecequifaitfacelalangue,decequoiellerfre.Lecontinudynamiquedemeureenunsensextrieuraummedegr,danslamesureoilaffectel'intrieurdenotrepossessiondusensoudelaperformancedesamobilisation,desonactualisation,etnonpasleplanmmeolesenssemanifeste,leplanlinguistique.Cependant,commedanslepremiercas,nousdevonsrserverlapossibilitd'uneanalysepurementlinguistiqueol'ontudieraitcequidanslamanifestationdusensseproduiraitcommehomologuel'vnementretracparlathoriedynamique : il s'agirait en l'occurrence d'un second niveau du schmatisme linguistique, enempruntant toujours Kant l'acception du mot schmatisme, non plus le schmatisme au grduquel les expressions linguistiques projettent des configurations dans le continu externe, maiscelui au gr duquel elles enveloppent et accomplissent des figures temporelles qui auront selontoute probabilit quelque chose voir avec celles qui prsident l'activit cognitive portant lamanifestationcesexpressions.

    Nousavonsentendu, ilya longtemps,JeanPetitotgloser lesensdusmmehainamoration entermesdelagomtrieducuspetduconflitdesactantshaineetamour.Cetteglose,noussembletil, avait bien la prtention de rvler un tel schmatisme temporel, elle illustre en premireapproximation l'hypothse que nous venons de faire. Ne subsistetil pas nanmoins un niveaustrictement linguistique du sens de hainamoration par rapport auquel une telle glose n'est pas

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    ncessaire?Etlesensnerestetilpasd'unecertainemanireindemneducontinummedanscecasolecontinusaitsibienluiconvenir?

    Detellesmisesaupointetlaformulationdetellesquestionsdsignentlelieuopourraitsejoueruneallianceessentielle entre continuet linguistique : celui de lamanife stationdusens.Nousyvenonsbrivementmaintenant.

    1.3.Uncontinudusens?

    Il semble possible de faire l'hypothse radicale qu'il y aurait une dimension propre du sens,absolumentdistinctedansleprincipedeladimensiondel'espaceoucelledutempsparexemple,etqui devrait tre reconnue comme en droit ouverte une diversit continue de degrs oud'instanciations.Leprincipalargumentenfaveurdecettehypothseseraitlapriseencomptedesnombreusesfaonsdontlalangueparvientmodulerunesignification,avecunetellediversitdemoyens,dontcertainsseprtentlaritration,qu'onesttentdeconclurequetoutesignificationserfreunevariationcontinue.NousavonsentenduBernardVictorrisoutenirunepositiondecetype.Leproblmeposparunetellethsenoussembleessentiellementceluidelaprimitivitdeschellesdusens.

    RonaldLangacker,parexemple,affirmeque touteprdication renvoieundomaineausein duquel elle dlimite un profil , cette opration tant pluttmise en scne sur unmodetopologicogomtrique voquant pour nous le continu que sur lemode discret d'usage enlinguistique. Cependant, il concde d'entre de jeu que le domaine spatial resteparadigmatique,entellesortequ'ilsemblequetoutcaractrecontinudesmultiplesdimensionsdusensseraittoutdemmehritducontinuspatial.

    Danssonproposde1990,BernardVictorri rencontrait unproblmesimilaire lorsqu'il faisait tatd'une capacit sise au plan de la comptence linguistique de discerner les diffrenceslmentairesdanslesens:laquestionsepose,parrapportchaqueexemplequ'onpeutprendre,siladiffrencen'estpastoujoursd'abordpensedansunregistrespatialconnot.

    Ilnoussemblequepourvaluerdemaniresatisfaisantel'hypothsed'uncontinudusens,ilfautd'abord claircir ce qu'il en est du propre phnomnologique de l'espace, et de la relationqu'entretientcepropreavecl'espacecognitifd'unepart,l'espacemathmatiqued'autrepart:nousyvenonsdanslasecondepartiedel'article.

    Cependant,ilyauneautrefaondercuserl'imagefiniedusens:ductlittrairepluttqueductphnomnologique.Onneprtendrapascettefoisdirectementquelesenss'inscriraittoujoursdans un continuum, mais plus simplement que la complexit smantique, la richesse de laressource langagireexcdesans l'ombred'undoute toutemesure finie.Cette thseellemmenoussembleavoirquelquesmodalitsd'inscriptionprivilgiesdanslechamplinguistique:

    D'unepart,austrictplande lasignification intralinguistique,onpeutallguer lancessitd'enappeler la totalitencyclopdiquedusavoirpour rendreraisondumoindrevnementdesignification.TelleestdansunecertainemesurelapositiondeLangackerdansLangacker[1987],telle est galement la position de Rastier dans Rastier [1987] : sur ce point, il semble que smantiquecognitiveet smantique interprtative convergentnaturellement, l'unecommel'autre refusant le gnrativisme finitaire qui tait l'orientation tendancielle de l'poque logicostructuraliste.

    D'autrepart,onpeutinvoquerlavariabilitpragmatiqueinfiniedusensunetelledmarchen'affectera le plan linguistique proprement dit d'un caractre d'infinitude que si le registrepragmatiqueestrintgraulinguistique.Or,telleestjustementlathsequeLangackeretRastier, nouveau noncent de conserve dans leurs deux traits de 1987 : chez Langacker, chaquesituation de discours est comprise comme occasion de sanction d'une conceptualisationsingulire(otout l'lmentpragmatiquefigure)paruneunit,soituneconceptualisationconventionnelle.Etcerapportdesanction,souslenomplusgnralderapportdecatgorisation,n'est pas autre chose que le rapport fondamental constitutif du rseau de la grammaire

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    cognitive.ChezRastier, lanotiondesmeaffrent rapatriedansl'enceintede lasmantiquedesdimensions de la communication gnralement vues comme relevant de la pragmatique. L'uncommel'autredecesauteurssouligne le faitqu'untelpointdevuepermetd'intgrer lanovationsmantiquedans lechampdela linguistique,et lapriseenconsidrationd'untelenjeumontrel'videnceleurperspectiveinfinitairesurlelangage.

    Celadit,onpeutprolongercequiprcdeparuneremarquephilosophiquegnrale:quecesoitductde larfrence l'encyclopdieouductde larfrence l'entourpragmatique(pourparlercommeRastier),laperspectiveinfinitisantesurlelangagepasseaufondessentiellementparl'ouverturedelasituation,enprenantcettefoislestermesdansleuracceptionphnomnologique.Lepointimportantn'estpastantlaquantitd'encyclopdieeffectivementaccumule,nilapluralitrpertorie des circonstances d'nonciation, mais le fait que ces ensembles sontessentiellementouverts,quelelangageestprofondmentrelatifunesituationochaquefois,sa frontire se dplace, et ce sans qu'aucun horizon fini ne contienne par avance la porte dudplacement. Si l'on veut, l'encyclopdie est la situation comme pass, sdimentation qui nousdpasse(labyrinthique),lacirconstanceicietmaintenantestlasituationcommefuturquisesaisitdenous(seprsente).Leproblmequiseposeestalors:queltypedediscoursestiladquatcettesorted'ouverture,d'infinitisationparlasituation?

    Enprincipe, iln'estpasdifficilede rpondre,aumoinssi l'onestphilosophe,ouattentifcequivient de la philosophie : l'ouverture du sens par la situation est le thme, l'affaire directrice del'hermneutique.L'hermneutiqueestcettemthodeoucetteattitudequiviendraitlaplacedelamthodescientifiquedslorsqu'ils'agitdecomprendrelesenspluttquedel'expliquer(Dilthey).Maiscomprendren'estpasautrechosequerenvoyerlasituation,sonouverture,sonexcssurlarductionfinie,qu'ellesoitrductionaudjdposourductiondudjdpos(Heidegger,Gadamer).FranoisRastier,lafindesaSmantiqueinterprtative,rencontretoutnaturellementl'instance de l'hermneutique : l'art de la cartographie des isotopies, ds lors que le plan dulinguistiqueatgnralisetlargicommel'avoulusonlivredepuisledbut,semblenepouvoirtre qu'unemodalit ou une assomption nouvelle de l'hermneutique.Mais la difficult est que,jusqu'preuveducontraire,l'hermneutiqueestenalternativelascience,etRastierdsiretoutde mme, au moins dans l'crit de 1987, une thorisation du linguistique, autre chose qu'unverstehenlaDiltheyHeidegger.

    notreconnaissance,RonaldLangackernevoitpascettedifficult.Onserait tentdedirequeceluici pense simplement qu'il y a une sciencedescriptive de tout ce qu'il met en jeu dans lagrammairecognitive(illeditenproprestermeslorsqu'ilnonceleprogrammed'unedescriptiondenos conceptualisations, rptant la conviction qui fut celle deHusserl audbut du sicle).Nousavonscependantaumoinsun indiceque leproblmeseposedans lecadrede lagrammairecognitive , cet indice ayant d'autant plus de valeur nos yeux qu'il est en mme temps unemanifestationdelaprofondeuretl'originalitdutravaildeLangacker:leprincipemthodologiquervolutionnaire de la nonproductivit des schmasrgles, le principe selon lequel les formesuniversellessontstockescommeunitsde lagrammairecognitiveavec les formesparticuliresqui les instancient, n'est pas sans relation avec l'lment hermneutique : le simple fait quel'universel cesse ainsi d'tre le chemin contraignant vers le particulier ne donnetil pas auparticulier, et la limite au singulier, un rle tel dans la thorie que celleci est tout lemoinsrflexive au sens kantien, et peuttremme hermneutique ?Car un des propres cruciaux del'hermneutique,c'estquel'universelquinecessepasd'ytreditl'esttoujourscommeuniverseldesonsingulier(decequisedonnedanslasituation).

    Nous conclurons par une remarque simple et gnrale sur le rapport que peut entretenir ceproblmedel'infinitisationdusensavecceluiquenousavionsd'abordprisenconsidration,celuide lapertinenced'uncontinudusens. Ilyauneconnexion technique,bienconnue,entre leproblme de l'infini et celui du continu, regards comme problmes mathmatiques de typefondationnel : toutes les synthses modernes du continu empruntent un concept de l'infini laressourcedcisivepourlaborercequ'onpourraitappelerl'effetcontinu.Onseraitdonctentdevoirunrapport,peuttremmeunpassagepossibled'unequestionl'autre.

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    Nousvoudrionsnanmoinspluttsoulignercequisparelesdeuxproblmes,etlesraisonspourlesquellesnousn'attendonspasdulientechniqueentrecontinuetinfiniqu'ildlivrejamaisquelquechosecommeunpassagepositifde l'lucidationducaractrehermneutiquede l'usagedusenslinguistiquelaqualificationconvaincanted'uncontinuintrinsquedusens.Leproblmesesitue,croyonsnous,exactementaupointsuivant:l'usagedusensestrenduinfinitaireparl'ouverturede la situation, laquelle relveessentiellementdusingulier en revanche, l'idedu continudusens,tellequenousl'avonsprsenteplushaut,nepeuttrequel'ideselonlaquellel'effetdesignificationestoriginairementsoumisunmultiplemanifestantunemodalitducontinu.Deplus,le continu du sens devrait tre actuel (pour accueillir toutes les modulations), alors que l'infinihermneutiquedusensestessentiellementpotentiel.Ilyadonctouteslesraisonsdesparerlesdeuxproblmes.

    2.Espacecognitif,espacetranscendantal

    Commenous l'avonsexpliquaudbutde l'article, nousabordonsmaintenant laquestionde larelationdu continuavec ledomaine cognitif engnral et le plan linguistiqueenparticulier pourainsi diredansunsens inverse decelui qui at suivi jusqu'ici : au lieud'tudierquel titre lecontinu,parletruchementdel'approchecognitivedelalangue,venaitconcernerlelinguistique,onvapluttsedemanderquelleinformationcognitivesurlecontinuapportelalanguenaturelle.

    Cette question, en fait, se prcise comme question de l'espace donn avec la langue, de cettespatialitque rvleetprsupposenotreusagede la languenaturelle.Mais ilest impossibledetraiter cette question sans confronter l'espace cognitif donn par la langue avec l'espacegomtrique.

    Ce problme de comparaison de la prcomprhension de l'espace avec sa comprhension scientifique n'est, notre avis, luimme pas abord d'une manire satisfaisante lorsqu'onmconnatladiffrencedeprincipequiexisteentrecequenousappelonsspatialitcognitive,c'estdire prcomprhension de l'espace en tant que psychologiquement atteste, et ce qu'on peutappelerspatialit transcendantale, que nous allons dcrire comme une prcomprhension d'unautretype.Dansunecertainemesure,c'estl'laborationdecettedistinctionquenousconsacronsles rflexions qui viennent, et donc nous devons avouer qu'elle ne va pas de soi.Mais il n'y aaucune chance de saisir cette distinction si on ne se jette pas d'abord dans une premirecomprhension.

    2.1.Positionduproblme

    Ce que nous appelons spatialit cognitive s'identifie donc en principe une spatialit cble, laquelle ne revient prjudiciellement aucune valeur de vrit : il s'agit d'une comprhension del'espacefactice,ncessairementmiseenvidenceparunetudeempirique(tablissantdes faitspsychologiques, ventuellement par unbiais neurophysiologique, ethnologiqueou sociologique).Cettespatialitestenquelquesorteuneconceptioninformuledel'espace,desrelationsspatialesentreleschoses,quiquipefactuellementlesujethumain,etquifaitpartielalimitedecedontildoits'manciperpourproduireunethoriescientifiquedel'espace,ayantvaleurdirectricepouruneinvestigationgnraledel'tantnaturel.

    Carnap,audbutdusiclemaisiln'taitpasseul,ilsemblequeHelmholtzsoitlepredecetteattitude qui fut en son temps prpondrante dans l'aire allemande a jug que l'espacetranscendantaldontparlaitKantdans laCritiquede laraisonpuretaitunespacecognitif.DansCarnap[1924],ilaargumentcontreKantens'efforantdemontrerquel'onnetrouvaitpas,dansuneanalysepsychologiquehonntedel'homme,lesprincipesdelagomtrieeuclidienne.

    Cette interprtationdusensde l'esthtique transcendantalekantiennenenousparatnanmoinspas soutenable : les nokantiens de l'cole deMarburg, lamme poque, ont dfendu uneinterprtationplusplausibleenaffirmantquel'espaceetletempsdeKant,lesformesaprioridela sensibilit , devaient tre compris comme cela mme qui commandait la thorisation

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    scientifique de la nature. Seulement, ils en ont infr tort selon nous que ces formesa priorin'taient pas du tout des intuitions, mais de pures constructions de la pense au sensessentiellementactifquepossdecemotchezKant.quoiHeideggerarponduens'efforantdesauver lecaractre intuitifde l'intuitionkantienne,maisenabandonnantcompltement le liendecetteintuitionaveclascience:pourlui,l'intuitionpuredel'espacen'estpluscesurquoi,traversunegomtriemathmatise,serglelascience.

    Nous avons tent de reprendre toute cette vieille discussion pour arriver une conception dumessagekantienquinoussemble laseulecompatible tout la foisavec lapositiondediscoursphilosophique de Kant, et avec ses intentions videntes (du type : dvoiler le dispositifmtaphysiquerendantpossiblelaphysiquedeNewton).Notreconclusionestensubstancequecequi s'appelle forme a priori espace, chez Kant, est le contenu d'une exprience de pense,incontournable comme contenu ds lors que nous voulons accueillir un divers externe qui seprsentenous:lacontrainteselonlaquellelediversdoittrespatialisestmtaphysique,elleestrencontre dans la tentative de nous reprsenter ce que signifie pour nous la prsentation d'undivers externe. L'ide de Kant est que dans cet effort pour nous reprsenter a priori le diversexterne,nousfaisonsunpeuplusquerencontrerl'espaceluimmecommecadre,nousanticiponsunestructure de cet espace : cela fait question pour nous de savoir quelle est la structure del'espace,etnoussommesportsledciderdanslestermesd'unegomtrie.Ilyaexprience,parcequetoutsedvoiledansunetentativedereprsentationaprioriquiestsitue(elleestcelledequelqu'unquiapartl'aventuredelaphilosophie,lamathmatiqueetlaphysiqueellen'apascourssinousneluiprtonspasnotrenergierflexivepersonnelle).Maisc'estuneexpriencedepense,riendecequiestlgifrnel'estautrementquesurlemodedcisoireresponsabledelapense au sens actif. Le fait transcendantal est que la science de la nature ne cesse pas des'appuyersurlesrsultatsdecetteexpriencedepensemillnaire,quicommencedoncdanslamtaphysiquepourseprolongerdanslamathmatiqueets'acheverdanslaphysique.

    Si donc l'on entend la diffrence qu'il y a entre l'ide d'un espace cognitif et celle de l'espacetranscendantal tellequenousl'avonsl'instantspcifie, leproblmequidevientaussittcentralest de situer l'espace linguistique par rapport ces deux espaces : s'il est vrai, comme lesrecherches rcentes de l'cole californienne y insistent, qu'il y a une prcomprhension del'espacedans la langue et si, deplus, cetteprcomprhensionest fondamentalepour tout lesystme smantique la prcomprhension linguistique estelle le reflet de l'espace cognitifpsychocbl, ou estelle l'amorce de la prcomprhension transcendantale, de l'intuition purekantienne?

    Notons bien que ce problme d'assignation ne se pose pas seulement pour la forme a prioriespace, mais tout aussi bien pour le systme catgorial : Kant a dgag en fait deux facteurstranscendantauxparrapportauxquelsselaissecomprendreselonluiladmarchedelascience,etqui sont d'une part les formes a priori de la sensibilit, d'autre part les concepts purs del'entendement,lescatgoriesdesafameusetable.Ausujetdecellesciunediscussiondestructuresimilaire celle que nous venons de rsumer s'est naturellement leve dans la traditionphilosophique:silesempiristeslogiques,aupremierchefCarnapquenouscitionstoutl'heure,ontsanctifil'lmentcatgorialcommeinvariantncessairecommandantlaconnaissance,maisenyreconnaissantpurementetsimplementl'expressiondelalogicitdelapenseetdudiscours(avec, prsente l'esprit, la logique des prdicats du premier ordre comme modle de cettelogicit),d'autrescommentateurs,sensiblesau faitque lecanonkantienneconcidaitde faitpasavecunquelconquecanondelalogiqueformelle,yontvunouveauunepuredonnecognitive,etpar dessus lemarch ils ont critiqu ce qui leur semblait tre lamthode suivie par Kant pourl'exhiber : l'analyse de la langue ordinaire. Dans ce cas au moins, il semblerait qu'on assimilenaturellementcequereclelalangueaucontenufactice,biopsychologique,del'esprithumain.

    Mais, pour ce qui nous concerne, la question est de savoir ce qu'il en est pour le facteur esthtiquedanslestermesdeKantqu'estl'espace.Onpeutcommencerparremarquerquecertainsauteursphilosophiques,pourexpliquer lasignificationde l'intuitionpurede l'espacechezKant,fontnaturellementappelauxindicesdlivrsparlalangue.

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    Heideggerprsenteainsil'intuitiondel'espacedanslestermessuivants:

    Lachoseellemmeesticimaintenant,chosetotaledansunecoordinationd'autreschosesquisont ici, puis la voici l, demain elle aura rapetiss et elle sera lbas, etc.Or qu'en estil de lateneurquidditative,plushautvoque,decettechose?Appartientilcette teneurque lachosegisehicetnuncctdecetteponge?Le"ici"etle"ctde"ensontilsdesdterminationsdeteneurraletoutcommelacouleur?Maisle"ici"et le"dessous",toutcommele"maintenant"nesontmanifestementpasdonnsparunorganedessens,etpourtant j'noncequandmmecesdterminationsdelachoseellemme.Heidegger[1928],p.111.

    Plusloindanslammepageilajoute:

    Lesrapportsdejuxtaposition,d'avantaprs,depostpositionnesontpasdonnsparlesorganesdes sens, et pourtant lamatire du phnomne est ordonne certes chaque fois de faondiffrenteetchangeantedanscesrapports ajoutons :mmesi lesdata noustaientdonnssansrgleetsansordre,cedsordrenelaisseraitpasdeprsupposerquelquechosequin'auraitpassontourlecaractredesdata:unrapportpossibledejuxtapositionetdepostposition.

    Nouspouvonsdonc retenir provisoirementquemmesi l'intuitionpuren'estnullementgaleunestructuredposedans le langage, l'analysedeHeideggerdgagedeslments langagiersqui en fonctionnent comme les indices : les dictiques (ici, l, lbas, maintenant), et lesprpositionsspatialisantesfondamentales(ctde).coutonsmaintenantJeanFranoisLyotard,analysantdansLeDiffrendcommentchezKant laphrasede l'intuition recouvre laphrasede lasensation:

    Lafonctionrfrentiellequiapparatalorsrsultedelacapacitqu'alesujet,capacitactive,demontrerlemomentetlelieudecequiparsamatirefaitl'effet(Wirkung)oul'impressionsensiblesur ledestinatairedelapremirephrase.Cequenousappelonslacapacitostensive:C'est lbas, C'tait tout l'heure. Cette deuxime phrase qui applique les marqueurs dictiques surl'impressionprocureparlasensations'appelledanslelexiquekantienintuition.Lyotard[1985],p.97.

    Cettefois,l'intuitionkantienneestgaliseavecunephraseimposantlesmarqueursdictiques.Etplus loin,dansle livre,plusradicalementencore,exposantcequ'ilenjugeetnonpluscequeKantendit,Lyotardassumeuneinterprtationlangagiredel'espaceetdutemps:

    120.Iln'yauraitpasd'espaceetdetempsindpendammentd'unephrase.

    121.Sil'ondemande:d'otenezvousqu'ilyaitdel'espaceetdutempscommesortesdesituation?onpeutrpondre:desphrasescomme:Lamarquisesortitcinqheures,Iltaitarriv,Vat'en,Couch!Dj?(...)L'espaceetletempssontdesintitulsgroupantleseffetssituationnelsproduitsdans les univers de phrases par des expressions comme : en arrire, bien plus tard, juste audessous,naquit,audbut,etc.Lyotard[1985],p.116.

    Nous aurions, donc, quelques raisons de juger que la philosophie est prte voir le facteurtranscendantalkantienespacecommegalunecertainestructurationdu langage,attesteparlesdictiquesetpar lesprpositions.Mfionsnoustoutdemme: lesderniersnoncscitsdeLyotardfontpartied'uneorientationgnraledesonlivrequel'onpourraitqualifierd'empiriste.EtHeidegger,quant lui,prendbiensoin,en findecompte,dedmarquer l'intuitionpurede toutediscursivit, cequiestconformeauproposkantien.Restequecebrefvoyagedansdeux textesnousfaitpressentirqu'ilnevapastresimpledesparersurleterraindelalangueespacecognitifetespacetranscendantal.

    2.2.Lepointdevuecognitif:Talmy,Poincar

    Changeonsdetypederfrence,maintenant,etvenonsencequeditTalmy.DansTalmy[1983],ilanalyseendtaillesconditionsd'utilisationdesprpositionsenanglais.Ilmetenvidencelefaitque la localisationpar le langage faitgnralement intervenirunobjetde rfrence (et,souvent,

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    deux tels objets), en regard duquel la localisation s'accomplit. Il nonce la thse que chaqueprpositionapporteunschmeentermesduquelconstruiredanslalanguelaspatialitdesscnes.L'application de ces schmes ne va pas sans idalisation (lorsque je profre from Mars,j'idaliselaplanteMarscommeunpointpourappliquerleschmedefrom)nisansabstraction(dans lemmeexemple, je faisabstractionde toutcequiest irrelevantpourmon idalisation, lamatire dont la plante est constitue, son dfaut de sphricit, etc.). Ce genre d'observation,combineavecquelquesautres,convergeasseznaturellementversl'ideques'ilyacommeunegomtrie dpose dans la langue, elle serait plutt une topologie gnrale qu'une gomtriemtrique:

    This sort of further abstraction is characteristic of the spatial relations defined within themathematical field of topology. It is metric spaces, such as classical Euclidean geometry, thatobservedistinctionsofshape,size,angleanddistance.Distinctionsofthissortaremostlyindicatedinlanguagesbyfulllexicalelementse.g.square,straight,equal,plusthenumerals.Butatthefinestructural level of conceptual organization, language shows greater affinity with topology. (Onemightfurtherpostulatethatitwasthislevelanditscounterpartsinothercognitivesystemsthatgaverisetointuitionsfromwhichthefieldoftopologywasdeveloped).Talmy[1983],p.262.

    Ilestjustededirequecen'estpasseulementdanslecasdel'espacequeTalmyprtend,partirde son analyse linguistique, dvoiler un niveau objectif de prcomprhension chez le sujethumain.DanssonarticledesynthseTheRelationofGrammartoCognition,iltudiecequ'ilappelle les constituantsdeclasses fermes de la langue, c'estdire, si nouscomprenonsbien,ceuxquin'appartiennentpasuneclasseindfinimentsusceptibled'treenrichie(ladiffrencedesclassesprototypiquementouvertesqueformentlesnomsetdesverbes),maisquis'agrgentenunebatteriefiniedetermesgrammaticauxstructurantspourlesens:

    Thepurportofthepresentpaperisthatthissetofgrammmaticallyspecifiednotionscollectivelyconstitutes the fundamental conceptual structuring of language. That is, this crosslinguisticallyselected set of grammatically specified concepts provides the basic schematic framework forconceptualorganizationwithinthecognitivedomainoflanguage.Talmy[s.d.],p.166.

    Unetelleanalysesemblejusqu'uncertainpointextrmementaffinecellequiconduitKantsatable des catgories : l aussi, les concepts autour desquels s'organise la construction del'exprience et donc de la nature sont recherchs partir d'une analyse des modes desynthse de reprsentations fondamentaux pour l'exercice humain du jugement. Or,qu'accomplissent les lments de classes fermes de Talmy, sinon des synthses entre termesporteursdecontenu(Together,thegrammaticalelementsofasentencedeterminethemajorityofthestructureofthecognitiverepresentation,whilethelexicalelementscontribuethemajorityofitscontent.Talmy[s.d.],p.165)?ChezKant,leschosesnesontpasditesentermesdel'oppositiongrammaire/lexique,onn'estpasouvertementdansl'lmentlinguistique(bienquelemotdiscursifait une charge non ngligeable dans le texte kantien), mais il est impossible de nier la fortehomologie des approches (que Talmy dtermine l'enjeu comme celui de la dtermination de lastructure de la reprsentation cognitive est galement un lment d'homologie important :rappelons que Kant, pour dresser la table des jugements, envisage ces derniers en tant queporteursd'uncontenudeconnaissance).Toutnousengagedonctenterdecomprendrejusqu'quelpointilpeutyvoiridentit,recoupementoubienquelledisparitinsouponnedemeureentrel'analyselinguistiquecognitiveetl'enqutetranscendantale:mais,rappelonsle,c'est,pourcequiconcernecetarticle,danslecasduthmespatialquenousvoulonstraitercettequestion(cequiprcdetaitdoncunedigression).

    Revenonsdoncau casde l'espace. Il peut certes paratre singulier que la gomtrie de la prcomprhensiondgageparTalmysoitentatdeprtendreuneplusgrandevaleurscientifiqueque la gomtrie pour l'ternit associe l'esthtique transcendantale kantienne : la topologiegnralepossdel'garddelagomtrieeuclidiennel'avantagedelamodernitetduprestige.Ilesttroublantdeconstaterquel'hypothsed'uneprcomprhensiontopologiqueestdjmiseenavant par Poincar, partir d'un point de vue qui en l'occurrence ne doit rien l'analyse dulangage. Dans Poincar [1912], en effet, l'auteur affirme que l'analysis situs est la vritable

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    gomtrie intuitive, parce qu'elle nonce ce qui vaut en dpit de l'imperfection de nosreprsentationsmatriellesdesfigures:

    Onaditsouventquelagomtrieestl'artdebienraisonnersurdesfiguresmalfaites.(...)Maisqu'estcequ'unefiguremalfaite?C'estcellequepeutexcuterledessinateurmaladroitdontnousparlionstoutl'heureilaltrelesproportionsplusoumoinsgrossirementseslignesdroitesontdeszigzags inquitantssescerclesprsententdesbossesdisgracieuses toutcelanefait rien,celanetroubleranullementlegomtre,celanel'empcherapasdebienraisonner.

    Mais il ne faut pas que l'artiste inexpriment reprsente une courbe ferme par une courbeouverte, trois lignesquisecoupentenunmmepointpar trois lignesquin'auraientaucunpointcommun,unesurfacetroueparunesurfacesanstrou.Alorsonnepourraitplusseservirdesafigureetleraisonnementdeviendraitimpossible.(...)

    Cetteobservation trssimplenousmontre levritable rlede l'intuitiongomtrique c'estpourfavorisercetteintuitionquelegomtreabesoindedessinerdesfigures,outoutaumoinsdeseles reprsentermentalement.Or, s'il faitbonmarchdespropritsmtriquesouprojectivesdeces figures, s'il s'attache seulement leurs proprits purement qualitatives, c'est que c'est lseulementquel'intuitiongomtriqueintervientvritablement.

    Danslasuitedecetarticlefameux,onlesait,Poincardiscutedelatridimensionnalitdel'espacecommede laproprit fondamentaledeceluicidans laperspectiveauthentiquement intuitivedel'analysis situs, et formule une conception de l'origine de cette tridimensionnalit hautementcognitive en termes modernes, puisque tout se ramne l'examen des changements externes(souponns d'aprs le tmoignage des suites de sensations) que nous savons corriger par unchangementinterne(ungestemoteur).

    L'argumentationdePoincaraquelquechoseencommunaveccelledeTalmy:elleserfreaufait anthropologique d'une indiffrence aux relations mtriques. Mais le fait anthropologique deTalmyrsidedansl'usagenatureldelalangue,celuidePoincardansl'habitusgomtrique.

    Unepremireractionargumentativeparrapportcequ'noncentdoncdemanireconvergenteTalmy et Poincar serait de souligner la diffrence essentielle qui existe entre l'identification del'analysis situs comme oubli de dterminations (mtriques, projectives, jusqu' un certain pointmorphologiques) et sa fondation comme discoursmathmatique. Le thme propre de l'analysissitusentantquediscoursmathmatique,enfindecompte,estl'tudedesespacestopologiques,desapplicationscontinuesetdelamodificationoudel'invariance,sousl'effetdecesderniresdesproprits topologiques. Or, on le sait, la dfinition d'un espace topologique fait intervenir unensembleactuel(ventuellementinfini)depoints,etunefamilleprivilgiedesousensemblesdel'ensemblesubstrat(soitunobjet,qui,danslaperspectived'unethoriedestypes,estdetype((0)),si0estletypedesindividusdel'ensemblesubstrat).

    Autantdireque, lorsqueTalmysuggreque leniveaudeprcomprhensionspatiale langagirequ'il a dgag gave rise to intuitions fromwhich the field of topologywas developped , sonaffirmationnepeuttreacceptequesousrservequel'onmarqueenmmetempsladiffrencedeperspectiveapporteparlatopologie.Celleciconsiste,commenousl'avonsdit,enpremierlieuenl'inscriptiondudiscoursdanslecadreinfinitairetypaldelathoriedesensembles.Alorsqueleniveau explor par Talmy ne connat que des objets tendusspatialement composites et desrelationsentrecesobjetsexprimespardesprpositions,etquelafonctionderfrentielyestparsuitetoujoursassumeparunobjetprivilgi(pluttqueparquelquechosequin'estpasunobjet,maislasynthseactualisedetouteslesponctualitsidalescouvertesparlesobjets),latopologie gnrale pense en termes de points et d'ensembles, ainsi que nous l'avons dit, etorganiseenfindecomptetoutesapensedelaproximitenfonctiondethsesdeproximitfondamentalesqui ne sont pas relationnelles, au sens o elle ne mettent pas en rapport deuxconfigurationsoudeuxpoints:lathseestdutypeOestuneproximitducadreX(Oestunouvert de l'espace topologique X), ou, dans une formulation alternative galement proche del'intuitionsecondedutopologueVestuneproximitpourlepointx(Vestunvoisinagedex

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    i.e. V contient un ouvert dont x est lment), thse relationnelle mais entre individus de typesdiffrents(0et(0))etquiexprimeenfaitunenveloppementducadreautourdupointx.

    BienquePoincar,encoreune fois, nes'adressepasaummeplande l'habitusqueTalmy, lammeobservationpeuttrefaiteausujetdecequ'ilallgue:sil'intrtpratiquedugomtrepourcequi subsisteduspatial, aprsoubli de lamtrique,de la structureprojectivepeut fonctionnercomme indiceendirectiond'unevaleur intuitivede la topologie,celane faitpasque la topologiepuissetreenquelquemanireconsidrecommedonneavecsonpointdevuepropreaveccetindice.

    Mais cela, Talmy ne l'atil pas d'emble reconnu en disant simplement que le domaine de latopologieavaitpeuttretdvelopppartirduniveaudeprcomprhensionqu'ilavaitdgag?Cequinoussemblelerisque,danscettematire,c'estqu'onsefasseuneconceptionhomogneetgntiquedecedveloppement.

    2.3. Confrontation de l'espace cognitiflinguistique et de l'espace transcendantalgomtrique

    En fait, ce que nous avons rapidement signal titre de remarques situant l'originalit de latopologieparrapportlaspatialisationtalmiennepeuttrereditetaccentuendistinguantleplandelaprcomprhensionlangagireduplandelaquestionmathmaticomtaphysiquedelaspatialit,etenlucidantlafonctionhermneutiqueoprantl'intrieurdechaqueplanaussibiencommed'unplanl'autre.

    La prcomprhension langagire de l'espace que Talmy, aprs d'autres, met en vidence, estorientesur lesobjetset leursrapports,elleneconnaitgure,cequ'ilsemble, lecadrespatialcommetel,oulepointcommeindividualitultimeencecadre.Elleestparnaturesmantique.l'appuidecequ'ilavance,etcommeconfirmationdeslimitesdevaliditdesemploisqu'ildtecte,Talmycite desexemplesd'noncs inacceptablesoumal acceptables (prcdsdu symbole *),commeIcrawledinthewindow/*intothewindow(Talmy[1983],p.240)attestantque inpeutrfrerlepassagetrhoughanopeninginanenclosure'swallalorsqueintonelepeutpas.Cegenre de reprage des limites est tout autre chose que la proposition d'un ensemble d'axiomesauxquels lesprpositionsde l'anglaisobiraient,etquiseraientcandidatstreporteurs (sur lemode implicite)de leursens.Lesapproches tournesvers l'obtentiond'uneaxiomatique fontaucontrairepartiedecedontlalinguistiquecognitivesespare.D'ailleurs,lestenantsdel'intelligenceartificielleclassiquesaventbienquelesrelationsspatialesrsistentlatranscriptionparmeaningpostulates.LeprojetdeTalmy,etdeceuxquitravaillentdemaniresimilaire,estfortdiffrent:ils'agit de saisir descriptivement le contenu smantique des prpositions de l'anglais enprsupposant la gomtrie euclidienne. L'article que nous commentons tend vers ce que l'onappellerait techniquementune interprtationde lagomtriede laprcomprhension langagiredanslagomtrieeuclidiennebiettridimensionnelle(cetaspectestencoreplusvidentdansuntravail comme celui d'Annette Herskovits). Ce que nous venons de dire spcifie le modehermneutique propre aux thoriciens de la prcomprhension langagire de l'espace.Mais sinouslesencroyons,etTalmyaussibienqu'AnnetteHerskovits,parexemple,s'enexpliquentassezclairement, il y a par ailleurs un aspect hermneutique oprant l'intrieur de cette prcomprhensionellemme:lechoixdemarquerdanslalangueteltypederelationouconfigurationplutt que tel autre, ou, similairement, le choix de conceptualiser telle situation par telle ou telleprposition,enadoptant telleoutelleperspective, telou telparcoursdudonn,etc.,estquelquechosequelelocuteurassumechaquefoisdemaniresingulire.Touslesauteursinsistentsurlefait qu'il y a l une dimension non contrainte, le geste de configuration se dcide en dernireanalyse par la situation du locuteur (son engagement, ses intrts, etc.). La stratgie del'interprtationdessignificationsspatialesordinairesdanslerfrentielneutredelagomtrieeuclidienneserten findecompteprincipalementcetobjectif : rvler lanonneutralitde laprcomprhensionlangagireensituation.

    De son ct, la gomtrie comme branche de la mathmatique est depuis l'origine sous lagouvernedelaquestionQu'estcequel'espace?,etchercheexplicitermathmatiquementce

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    qu'elleatoujoursdjcommencdecomprendresonsujet.Cette longueexpriencetmoignede ce qu'il entre dans la prcomprhension gomtrique de l'espace la sensibilit au cadre(l'espace)etaupoint.Onpeutdirequedepuis l'origine, lagomtrie travaillepartir ducoupleespacepoint,quiproblmatisedefaonradicaleetexigentelaquestiondelalocalit.LaquestionQu'estceque l'espace?, laquestionducadre,estparexempledjposedans laphysiqued'Aristote,et la constructioneuclidienne,on le sait, commenceennonant la fondamentalitetl'abstractiondupoint.Cenesontdoncpaslesobjetsetleursrelationsquioccupentledevantdelascne : la gomtrie commence avec l'exprience de pense qui vide l'espace, exprience depensequiestlammechosequel'assomptiondelaquestionQu'estcequel'espace?,ainsiqueKant l'a restitudans l'esthtique transcendantale.Deplus,pourcettegomtrieauxprisesavec le couple espacepoint alors mme qu'elle n'entre pas encore dans une vuecompositionnelle,ensemblistedel'espacel'infinietlecontinufontd'emblequestion.Aujourd'hui,cet intrt pour l'espace, le point, l'infini, le continudonne lieu des formulationsdans le cadreensembliste,et il apparat quebeaucoupdecequia trait l'infinitou la continuitde l'espacedemande tre exprim au second ordre , fait appel une perspective o l'ensemble despartiesestcoposavec l'ensemble luimme.Sur leplantechnique,maintenant, l'hermneutiquegomtrique,nedisposantpasd'unlieuexternesurlequelprojetercequ'ellepressent,nepeutpasrecourirlamthodesmantiquecommelalinguistiquecognitive,illuiestimpossibled'interprtercequ'elleviseetpensedansunlangageplusricheprexistant.C'estcequiexpliquequ'l'poquemoderne, lavoiehermneutiqueprdominantesoit lavoieaxiomatique: lesensquej'anticipe, jel'exprimeencrivantlesprescriptionsgouvernantletyped'emploiquisedessinepartirdelui,soitenspcifiantunelisted'axiomes,enlaquelles'impliciteralesensgomtrique.Seuldonclergimesyntaxiqueestpropicel'accomplissementdel'hermneutiquegomtrique.

    Resteessayerdecomprendrelelienentrelesdeuxniveaux.Nouslevoyonscommedouble:

    D'une part, le phnomne de la prcomprhension a certainement sa source dans lelangage, et plus prcisment dans l'habitus d'un sujet dont la situation est fondamentalementdtermineentermeslangagiers(lesujethumain:nouscontresignonslesthsesfondamentalesde l'anthropologie hermneutique explicites par Gadamer). Donc la prcomprhensiongomtrique de l'espace ne peut pas tre radicalement trangre sa prcomprhensionordinairelangagire:sansdoutel'exprienceprimitive,fondamentale,selonlaquellenotrelangage structure l'espace , et ne le fait qu'au gr d'une dcision de la scne dans la situationhermneutiquedel'treaumonde,estelleaufonddelaperspectivegomtriqueellemme,ausensoc'estdanscetteexprienceprimitivequesemontre l'expriencedepenseconsistantviderl'espace,quesurgit,donc,laquestionQu'estcequel'espace?(end'autrestermes,cettequestion questionne dj dans l'habitus indtermin qui configure la scne de l'tant, chaquefois). Le caractrenonprescrit de l'organisationde la scne fait signe vers le fond invariant surlequelsontprojetes lesdiversesconfigurationspossiblesdesobjets.Decefaitmme, ilestsrque toutes les laborations de la gomtrie, d'une manire ou d'une autre, rintroduisent lasituation primitive relativement l'univers corrlatif idal auquel elles destinent le gomtre : lesfigures,plus tard lesouverts,oudumoins lesvoisinagescompacts,prennent lerelaisdesobjetsordinaires,etlasituationdebaseestrevcueparrapportaumondeidal,qui,entreautreschoses,atbtiafindepouvoirl'accueillir.Latopologiepeuttreenvisagecommelecadrethoriqueleplus pauvre au sein duquel peut tre restitue la situation primitive, au sein duquel l'habitusstructurantlascnedesobjetspeutseredployer,d'unemanirehomologuecequiacoursdansl'exprienceordinaire,c'estdiresansquelereprageeuclidieninterfre.Cepremieraspectdulien est un rapport de subordination et de reprise (l'exprience gomtrique est ncessairementsubordonnel'exprienceordinaire,c'estforcmentd'ellequ'elletirelafacultproblmatiquequipourtant la distingue absolument par suite, cette premire exprience ne cesse jamais d'tredisponiblel'tapedel'hermneutiquegomtrique).

    Ilnoussemble,celadit,qu'ilyaundeuximerapport,quiseraitpluttdel'ordred'unesimulationmthodique.Lefaitmmequ'ilyaituneprcomprhension langagirede l'espacemanifesteunpouvoir insigne du langage : le langage est donateur d'intuition.Ds lors que cela est prouv,comment ne pas comprendre en effet la modalit dominante de l'hermneutique gomtriquemoderne,celledel'axiomatique,commerptitiondelasituationoriginaireolelangagedonne

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    voir de faonprimitive la scnede l'tant ?Enarticulant de toutespicesunnouveau langage,institutoutexprspourques'ylaissedirelesupplmentdesensspatialquel'onaenvue,etendlimitant par l'nonc de rgles un habitus artificiel (celui du parler de la langue gomtriqueformelleensembliste,parexempleceluiduparler topologique),on faitconfiancenouveaucepouvoirinsignedulangagedontontientl'nigmemmedel'espace.Onescomptedel'usageverslequelons'estlanclanouvelleintuition,lanouvellefamiliarit,lanouvellecapacitdes'interrogersurceparquoi,dansl'lmentdupremierusage,onsesentaitrequis.Mmesi,commenousledisions tout l'heure, et comme les sciences cognitives nous l'ont enseign, il n'y a pasd'axiomatisation originaire rendant compte de la prcomprhension spatiale (sans doute parcequ'ellen'apasdelieuosecirconscrire),etsidoncnousnepouvonscomprendrelasignificationgomtriquede l'usage linguistiqueordinairequ'en interprtantdans les langagessuprieursde lagomtrie, il reste srque le fait globalde la langueest celui d'une implicitationoriginairecolossale, investie dans une profusion relationnelle. La stratgie hermneutique moderne secomprenddonccommeeffortpourrecommencer,rpterl'implicitationdusenslafaveurdecettesimulationqu'estlejeuavecdeslangagesformelsetlaspcificationd'axiomes.

    2.4.Laconceptionphnomnologiquedel'enracinement

    dutranscendantaldanslecognitif

    Nouspourrionsnousarrterl,puisqu'aufondnousvenonsd'explicitercequiest,visvisdecettequestion de l'espace cognitif et de l'espace transcendantal, notre position philosophique.Mais ilnousparatimportantdeconfronternotrerflexionavecunpointdevueaprioridiffrent,quoiquecousinduntre:lepointdevuehyperphnomnologiquesoutenuparMerleauPonty.

    2.4.1.Indicationsgnralessurlerapportphnomnologie/transcendantalisme

    Il est sans doute bon de commencer par faire remarquer que la phnomnologie entretient unrapport ambigu avec le transcendantalisme kantien. Dans la mesure o, comme nous l'avonssuggrplushaut,laphilosophiecritiquekantienne,sansreprendresoncompteladmarchedetable rase de Descartes, fait nanmoins rfrence une exprience de pense en laquelle sedvoilentlancessitdeformesetdeprincipesgouvernantlaconnaissance,laphnomnologienepeutpasnepasvoirdans lekantismesonanctre lemieuxautoris.Lasimpleaccentuationduconcept de phnomne l'isolation de l'apparatre de l'apparition phnomnale, sa sparationd'avecleplenoumnaldelachoseensoisemblebeaucoupd'gardsl'instaurationmmeduregardphnomnologique.Toutcela,unauteurcommeHusserllereconnat,danssonlangageetdeloinenloin.Commeparailleursilacceptelanotionkantienned'idecommeexpressioncorrectede la tlologie animant la connaissance (cf. la fin des Ideen), et comme il reprend l'adjectiftranscendantal luimme pour qualifier le caractre normatif de ce que son enqutephnomnologiquedcouvreparlamthodedelavariationimaginaire(c'estencestermesquelaphnomnologietranscendantalesedistingued'unesimpledescriptionduvcupar l'oeil interne),on n'prouvera gure de gne dire que le fondateur de la phnomnologie s'est voulu lecontinuateurde l'entreprise transcendantale.Pourtant,chezHusserldj, lesmotifsd'undivorcepossibleapparaissentclairement,et iln'estpassrquelessymptmesd'accordquenousavonsrelevs l'instant rsistentcesmotifs.Ladifficult tientceque lenormatif, lencessaire, lenomologique,pourHusserl,n'estjamaistelquepourautantqu'ilsefaitvaloircommetellocalementdansl'expriencephnomnologiquedelavariation.Maisl'universeldelalogiqueouleglobaldel'espaceoudu tempsne tiennentpasdanscetteexprience. Ilse trouvealorsque l'impratifdeconstitutionreplacencessairementlaphnomnologietoujoursavantl'mergenced'aucunfacteurouinvarianttranscendantaltelqu'ilacoursdanslaconnaissancerationnelle.Latensionquis'tablitainsientrel'endedel'exprienceinterneetl'audeldeslmentsnormatifsdelaconnaissanceest telle qu' la limite on peut parfaitement imaginer que la consquence de l'poch soitl'miettement radical du champ de conscience, son effondrement dans le singulier (perspectivelimitequi,vraidireexistedjchezKant,maisceciestuneautrehistoire).Heidegger,desonct,commencecertesparsituerdemanirephnomnologiquetranscendantalel'investigationdelaquestiondusensde l'tre :cecisemanifested'unctpar lechoixdudtourpar l'analytiqueexistentiale, de l'autre par la permanence, tout au long de Sein und Zeit, de l'attitude

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    mthodologiquede la recherchedesconditionsdepossibilit. L'ustensilit, la structure du souci,finalement le jeu de la temporalisation selon les ekstases sont dcouvertes successivementcomme les lments possibilisant de prime abord inapparents pour la comprhension de l'trequ'abriteetdissimuleleDasein.Ilsembledoncd'abordqueHeideggerconvienneavecKantqu'ilyaquelquechosetrouverdecequiestessentiellementncessitantparlavoied'uneinvestigationquelaplupartqualifierontd'interneparailleurs,cetteconvergenceavecletranscendantalismeestconfirmeparlalecturedeKantquedonnelammepoqueHeidegger,dansHeidegger[1928]ouHeidegger [1929], lectureselon laquelle l'analytiqueexistentialeapparat commeunkantismequi s'est mieux compris que Kant ne le comprenait (en tant, notamment que la temporalit duDasein serait la structure ncessitante ultime dont l'appareil logicocatgorial et l'intuition purekantiens seraient les drivs). Cependant, le second Heidegger s'loigne d'un tel point de vue(parfoisentermesexplicites)enrefusantlagnalogiedusensdel'treenleDasein,enrefusantaposterioritoutlafoislastratgiedel'analytiqueexistentialeetl'galisationdusensdel'treavecl'essence de l'tant. Une telle dconstruction semble une rupture radicale avec letranscendantalisme: les invariants transcendantauxnesontilspasforcmentdesdterminationsessentielles de l'tant, l'accs critique ces invariants n'estil pas ncessairement uneexprience subjective ? Si l'tre devient quelque chose de plus obscur et de plus absent quel'tant,etsic'est laparole, le langage/maisondel'trequiencontiennent lesecretpluttque leDasein se devanant, que restetil comme possiblit d'une thorie transcendantale de laconnaissance?

    Qu'onnouspardonnecetexpostropbrefetprobablementabsconspourplusd'uneoreille.Nousvoulionscamper lecontextedecedontnousallonsmaintenantparler,etquiest lamaniredontMerleauPonty comprend laquestionde l'espacecognitif et dumoment transcendantal, ennousfondantcettefinsursonouvrageclassiquePhnomnologiedelaperception.

    Dans ce livre, MerleauPonty tudie comment le sens objectif merge de la perception. Dsl'introduction, il explique les deux approches dont il entend se sparer, celle de l'empirismeassociationniste et celle de l'intellectualisme. La premire approche est celle du positivismenaturaliste, qui, tout la fois, prtend pouvoir tudier la perception en troisime personne ,commeunechosedumondeexterne,et,defaonlie,necomprendpaslatranscendancedusensobjectif, entreprend sans cesse de la rduire une harmonisation des impressions sensibles.Pchantdemaniresymtrique, l'intellectualismecomprendbiencettetranscendance, il l'identifieseulementcelledujugement,delacatgorie,dulangagelalimite:dansl'airedelaphilosophieclassique, l'intellectualisme est le cartsianisme ou le kantisme, plus ou moins assimils l'un l'autre par MerleauPonty. cet intellectualisme, MerleauPonty reproche gnriquement de sedonnertoutfaitlesensobjectifcommeunesecrtiondelaconscienceconstituantesupposenonproblmatiquecommeprsencesoi :or,pourMerleauPonty,supposerque lesenscatgorial,objectif,estdisponibledemaniretransparentelaconscienceconstituante,c'estprsupposerunpouvoir infinidecelleciquen'autorisenullement l'poch,etquinepeut,en fait,exprimerautrechose que le retour dissimul de la conscience nave crdule envers les objets. MerleauPontydcrteavec laplusgrande fermetque lechampphnomnal,auquelonest renvoyds lorsqu'onaprocdl'poch,estunchampol'installationdelaconsciencesujetestsingulire:ellel'habiteausensdelasituation,jamaisdelatotalisation.Dslorsoncomprendqueleproblmedel'mergence des invariants configurant l'exprience pose la phnomnologie un problmeabsolumentredoutable,quepouvaitseulementvacuerHusserldanslamesureoilmconnaissaitl'enracinement singuliersituationnel du moi, dans la mesure o il minimisait la difficult pourl'exprience phnomnologique radicale de remonter de cette singularit quelque contenuuniverselquecesoit.Engreffant leconceptheideggeriendesituationsur lechampphnomnalhusserlien,MerleauPontymodifielesdonnesduproblmetelpointquelesrponsesdesIdeennepeuventplusservir,etquelaquestionduraccordentrephnomnologieettranscendantalismeseposed'unemanireincontournablementproblmatique.quoiMerleauPontyajouteunsecondlment maximisant l'aporie : c'est que le champ phnomnal prcde en fait la distinction del'intrieuretde l'extrieur,etqueparconsquent, laconceptiontranscendantaled'uneimpositiondesinvariantsinternescequiestexternen'yfaitpassensd'emble.LaconclusiongnriquedeMerleauPontyestquelessynthsesconstituantesdontparleHusserletqui luiviennentdeKantdevrontd'abordtrecomprisesauniveaudeleuramorce,onnepourrapenserqu'unlanversla

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    structuration transcendantalede l'exprience,partird'unesituationoriginaireirrflchiedans lechampphnomnal:

    Larflexionnepeut jamaisfairequejecessedepercevoir lesoleildeuxcentpasunjourdebrume, de voir le soleil "se lever" et "se coucher", de penser avec les instruments culturels quem'ont prpars mon ducation, les efforts prcdents, mon histoire. Je ne rejoins donc jamaiseffectivement,jen'veillejamaisdanslemmetempstouteslespensesoriginairesquicontribuentmaperceptionoumaconvictionprsente.Unephilosophiecommelecriticismen'accordeendernire analyse aucune importance cette rsistance de la passivit, comme s'il n'tait pasncessairededevenirlesujettranscendantalpouravoirledroitdel'affirmer.Ellesousentenddoncquelapenseduphilosophen'estassujettieaucunesituation.

    Nousnesommesjamaiscommesujetmditantlesujetirrflchiquenouscherchonsconnatre mais nous ne pouvons pas davantage devenir tout entier conscience, nous ramener laconscience transcendantale (...). Une philosophie devient transcendantale, c'estdire radicale,non pas en s'installant dans la conscience absolue sans mentionner les dmarches qui yconduisent, mais en se considrant ellemme comme un problme, non pas en postulantl'explicitation totale du savoir, mais en reconnaissant comme le problme philosophiquefondamentalcetteprsomptiondelaraison.MerleauPonty[1945],p.76.

    Aprsavoirainsivoulucaractriserl'anglegnrald'approchedeMerleauPonty,intressonsnousdefaonprcisecequ'ilditdel'espacephnomnal:unespacequi,d'aprscequiprcde,doitpourluitreantrieurl'espacetranscendantal.

    2.4.2.L'espaceorientpourlecorpsetl'intuitionpure

    MerleauPontyabordeunepremirefoisleproblmedanslasectionLaspatialitducorpspropreet lamotricitduchapitreLecorps.Danscette section, il avance la trs importantenotiondeschmacorporeldynamique:pourreprendresonexemple,danslescasd'allochiriec'estdirelorsqu'unsujetemploiel'unedesesmainslaplacedel'autre ilyatranspositiongomtriqueparfaitedugestequeferaitunemainenceluiquel'autrepeutfaire,maiscettetransformationnesurvientcertainementpascommeuneapplicationausensmathmatique,commel'accumulationdetranspositionsponctuelles,cequisetransposeestpluttuneGestaltindexesurletemps,soitcequeMerleauPontyappelle schmacorporel dynamique, et dont il trouved'autresexemplesdanslequotidienducorps.

    Le problme philosophique est nanmoins de savoir si ce que MerleauPonty appelle espaceobjectif, ou, reprenant Malebranche son vocabulaire, espace intelligible, ne prexiste pasncessairementlaspatialitduschmacorporel,entantqu'ildlivrelespossibilitsdereprages.MerleauPontyrpondparlangative,enaffirmantquel'espaceorientpourlecorps,soitl'espaceduschmacorporeljustement,estpremierparrapportl'espaceintelligible,etquecedernierneferait que l'expliciter. Il est fort intressant d'observer que le principal argument invoqu parMerleauPonty en faveur de la plus grande primitivit de l'espaceorientpourlecorps est lesystmedel'expressionlangagiredelaspatialitparlesprpositions,objetdel'tudedeTalmy:

    Mme si la forme universelle d'espace est ce sans quoi il n'y aurait pas pour nous d'espacecorporel,ellen'estpasceparquoiilyenaun.Mmesilaformen'estpaslemilieudanslesquel,maislemoyenparlequelseposelecontenu,ellen'estpaslemoyensuffisantdecettepositionencequiconcernel'espacecorporel,etdanscettemesurelecontenucorporelresteparrapportellequelque chose d'opaque, d'accidentel et d'inintelligible. La seule solution dans cette voie seraitd'admettrequelaspatialitducorpsn'aaucunsenspropreetdistinctdelaspatialitobjective,cequi feraitdisparatre lecontenucommephnomneetpar l leproblmedesonrapportavec laforme.Maispouvonsnousfeindredenetrouveraucunsensdistinctauxmots"sur","sous","ctde...",auxdimensionsdel'espaceorient?Mmesil'analyseretrouve,danstoutescesrelations,larelationuniverselled'extriorit,l'videnceduhautetdubas,deladroiteetdelagauchepourceluiquihabitel'espacenousempchedetraitercommenonsenstoutescesdistinctions,etnousinvitecherchersouslesensexplicitedesdfinitionslesenslatentdesexpriences.Lesrapports

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    desdeuxespacesseraientalorslessuivants:dsquejeveuxthmatiserl'espacecorporelouendvelopper le sens, je ne trouve rien en lui que l'espace intelligible. Mais en mme temps cetespaceintelligiblen'estpasdgagdel'espaceorient,iln'enestjustementquel'explicitation,et,dtach de cette racine, il n'a absolument aucun sens, si bien que l'espace homogne ne peutexprimerlesensdel'espaceorientqueparcequ'ill'areudelui.MerleauPonty[1945],p.118.

    Qu'on nous pardonne cette longue citation, dont la fonction est certes d'attester ce que nousrapportions juste avant elle du propos de MerleauPonty, mais aussi de fournir un supportdocumentaireaucommencementdediscussionquivient.

    Tout d'abord, le discours de MerleauPonty confirme l'ide que l'espace du langage estphnomnologiquementplusprimitifquel'espacegomtrique.Ilajoutecetlmentquetouteslesdterminationsspatialesquiviennentparl'usagedesprpositionscommeparceluidesdictiquesprsupposent l'trel'espaceducorps.En fait,onpourrait relirebeaucoupdecequeditTalmydanscesens,notammentenrapportantlafonctionducorpslerledesobjetsderfrence,quiseraient gnralement analyss comme projectionrptition du corps dans son privilge spatialisant.

    Deuximement,MerleauPontyenvisage,demaniretrsintressante,decomprendrelarelationde l'espace intelligible l'espacecorporel commeune relationd'explicitation, cequi sembleallerdanslesensdelarelationhermneutiquesuggreparnoustoutl'heuredel'unl'autre.RestequeletextedeMerleauPonty,cequenousenjugeons,faittropcommesil'espaceintelligiblenecorrespondait pas une exprience de pense originale par rapport l'exprience primitive, etfaisantvaloircetitresespropresexigenceshermneutiques.Danslalignedecequenousavonsditplushaut,parexemple,commentnepassupposerque l'homognitde l'espace, finalementtraduite dans les termes d'unemathmatisation (aujourd'hui, par le fait qu'un certain groupe detransformations privilgi opre de faon transitive dans l'espace), explicite ce qui estinformellement imput l'espaceds lorsqu'ilestvidde toutobjet,cequiveut forcmentdire,aussi,spardel'trel'espacecorporel,bienquecederniersubsistenanmoinscommetrel'espacefictifcf.parexemplelargledubonhommed'Ampre.Commenousavionsessaydeledire, ilyabienunediscontinuithermneutique,correspondant l'mergencede laquestiondel'espaceglobal,virtuellementinfinitaire,ducoupleespacepoint.Ilyamotivation,ilyaexplicitationd'un plan l'autre, mais il faut aussi voir qu'il y a unemutation hermneutique, la situation dugomtreinnoveparrapportcelledusujetordinairequelegomtrenecessejamaisd'tre.

    MerleauPontypourraitilconvenirdecequenousavanonsici?Ilyapournousdoutecesujet.Certes,lasuitedelasectionquenouscommentonsaccordeuneimportanceextrmelanotiondemouvementvirtuel,quicorrespondexactementcequenousavonsrpertoricommersidudel'trel'espace corporel dans l'attitudegomtrique.Mais il ne semblegure, prcisment, queMerleauPonty fasse le lien entre cettemodalit de l'treaumonde et la gomtrie ce qui luiimportepluttestquesaperteconstitueunepathologiedelaspatialitducorpspropre,etillustreainsilafondamentalitdel'treaumondepourcelleci.

    Il est noter, pour tre complet, queMerleauPonty donne quelques indications saisissantes etfulgurantesquiiraientdanslesensd'unegensedelaconceptiontopologiqueauniveaudel'trel'espacecorporel,rejoignantainsi,dansuneformulationparfaitementradicale,toutlafoisTalmyetPoincar:

    C'est ce que nous avons essay d'exprimer en disant que la structure pointhorizon est lefondementdel'espace.L'horizonoulefondnes'tendraientpasaudeldelafigureoul'entours'ilsn'appartenaientaummegenred'trequ'elleets'ilsnepouvaientpastreconvertisenpointspar unmouvement du regard.Mais la structure pointhorizon ne peutm'enseigner ce qu'est unpoint qu'enmnageantenavant de lui la zonede corporitd'o il sera vuet autourde lui leshorizonsindterminsquisontlacontrepartiedecettevision.Lamultiplicitdespointsoudes"ici"nepeutparprincipeseconstituerqueparunenchanementd'expriencesochaquefoisunseuld'entreeuxestdonnenobjetetquisefaitellemmeaucoeurdecetespace.Etfinalement,loinquemoncorpsnesoitpourmoiqu'unfragmentdel'espace,iln'yauraitpaspourmoid'espacesije

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    n'avaispasdecorps.MerleauPonty[1945],p.118119.

    Lercitdel'exprienceprimitive,laphnomnologiedel'espacecorporelproposeiciparMerleauPonty semble restituer les contenus espace, point, et voisinage, dont nous avions dit qu'ilsconstituaient le fondement de la thorisation moderne de l'espace comme espace topologique.Maisn'yatilpasuneambigutdanscercit?Estcevraimentl'exprienceoriginairequeracontelefragment,ouuneexpriencephnomnologiquedansl'universdelagomtrie?Oubien,sil'onprendvraimentcercitcommeprimitif,lastructurepointhorizondontilparleestellelammequelastructureespacepoint?L'espacen'estilpasplusetautrechosequ'unhorizonausensprimitif,quelquechosecommelatotalisationdetoutcequipourravaloircommehorizon,totalisationquisesuggreet faitquestionseulement lorsque l'espaceatvid?Yatilproprementparlerdespoints au bout des engagements du corps, points environns de leur voisinage selon lesmodulationsdecetengagement,oubienn'yatil jamaisquedesobjets, soit toutautre chose?Enfin,n'yatilpas,sil'ondevaitentendrelediscoursdeMerleauPontyvraimentcommel'esquissed'une constitution , une illusion inductive dans l'ide de la synthse de l'espace parl'enchanementdesexpriencespointantsurlesobjets?

    Nousneprendrons lerisqued'unerponsequ'aprsavoirprisencompte lesecondpassageoMerleauPonty confronte sa phnomnologie de l'espace avec la gomtrie : dans ce secondcontexte, MerleauPonty reprend purement et simplement la notion kantienne de raisonnementgomtriqueparconstructiondeconcept.

    CettereprisesurvientdanslechapitreLecogito,etl'enjeuyest,pourMerleauPonty,detaille:ils'agit encoreet toujoursdediscuter avec cequ'il appelle intellectualisme,oupoint de vuede laconscienceconstituante,qu'ilimputesansambigutDescartes,alorsqu'iljoueavecKantunjeuambivalent,tanttl'incluantparmilesinculps,tanttl'appelantcommetmoindel'accusation.Laquestion, donc, est de savoir si la vrit en gnral n'exige pas que la conscience puissefonctionnercommeune,sepossdantsansfaille,et,prototypiquement,silavritgomtriquen'apas forcmentsasourcedansunetelleconsciencepleine(alorsqueMerleauPonty,quant lui,veut plutt soutenir qu'il n'y a jamais de conscience pleine, en aucune faon, qu'il n'y a qu'unhorizon du devenirintelligible du champ phnomnal dans et partir de la situation). MerleauPonty reprend donc l'exemple kantien de la preuve de l'galit deux droits de la somme desanglesd'untriangle.Ensubstance,ilinterprtecequis'appellechezKantconstructiondeconcept,interventiondel'imaginationtranscendantaleproductrice,commetracedelafonctionducorpsetdel'treaumondejusquedansl'enceintedel'entendementgomtrique.

    Sonargumentationestlasuivante:d'abordilrefusel'idequ'onpuisseregarderlepassageparlafigureet laconstructiond'uneparallleunctpassantpar lesommetopposcommedesingrdients contingents l'heure de la formalisation. Il assure que toute formalisation estformalisationd'uneintuition,ettmoignedelapermanenced'uncommerceintuitifavecunevritenactepluttqu'ellenelanie:

    Mais,que la formalisationsoit toujours rtrospective,celaprouvequ'ellen'est jamaiscompltequ'enapparenceetquelapenseformellevitdelapenseintuitive.Elledvoilelesaxiomesnonformulssurlesquelsonditqueleraisonnementrepose,ilsemblequ'elleluiapporteunsurcrotderigueuretqu'ellemettenulesfondementsdenotrecertitude,maisenralitlelieuosefaitlacertitudeetoapparatunevritest toujours lapenseintuitive,bienquelesprincipesysoienttacitementassumsoujustementpourcetteraison.MerleauPonty[1945],p.442.

    On peut rapprocher ce genre de propos de notre conception de la gomtrie commehermneutique de l'espace. Nanmoins, il nous semble que MerleauPonty simplifie trop leproblmeenposantpurementetsimplementunevritintuitive.L'hermneutiquedel'espace,toutle dveloppement moderne l'atteste, n'est pas hermneutique d'une vrit informule maispossde, mais plutt hermneutique d'une dpossession. Mais laissons provisoirement cettecritique.

    S'tant ainsi donn le droit de reprendre l'exemple kantien et de lui garder sa valeur,Merleau

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    Pontydcritl'acteconstructifraisonnant,afind'endgagerlaprconditionexistentiellemotrice:

    Nousavonsvuquecen'estvidemmentpasuneoprationmanuelleseulement,ledplacementeffectifdelamainetdemaplumesurlepapier,caralorsiln'yauraitaucunediffrenceentreuneconstructionetundessinquelconqueetaucunedmonstrationnersulteraitdelaconstruction.Laconstructionestungeste,c'estdireque le traceffectifexprimeaudehorsune intention.Maisqu'estce encore que cette intention ? Je "considre" le triangle, il est pourmoi un systme delignesorientes,etsidesmotscomme"angle"ou"direction"ontpourmoiunsens,c'estentantquejemesitueenunpointetdeltendsversunautrepoint,entantquelesystmedespositionsspatiales est pour moi un champ demouvements possibles. C'est ainsi que je saisis l'essenceconcrte du triangle, qui n'est pas un ensemble de "caractres" objectifs,mais la formule d'uneattitude, une certaine modalit de ma prise sur le monde, une structure. En construisant, jel'engagedansuneautrestructure,lastructure"parallleetscante".Commentcelaestilpossible? C'est quema perception du triangle n'tait pas, pour ainsi dire, fige et morte, le dessin dutrianglesurlepapiern'entaitquel'enveloppe,iltaitparcourupardeslignesdeforce,detoutespartsgermaientenluidesdirectionsnontracesetpossibles.Entantqueletriangletaitimpliqudansmaprisesurlemonde,ilsegonflaitdepossibilitsindfiniesdontlaconstructionralisen'estqu'uncasparticulier.Elleaunevaleurdmonstrativeparcequejelafaisjaillirdelaformulemotricedu triangle. Elle exprime le pouvoir que j'ai de faire apparatre les emblmes sensibles d'unecertaine prise sur les choses qui est ma perception de la structure triangle. C'est un acte del'imaginationproductriceetnonpasunretourl'ideternelledutriangle.

    nouveau la citation est trop longue : il n'y a gure moyen, avec MerleauPonty, de faireautrement,cequ'ilditn'est jamaisditauniveaude laphrase,maiscommenced'treaudibleauniveauduparagraphe.Donc,MerleauPontyidentifielerlekantiendel'imaginationproductriceaudploiement de la formule motrice du triangle : le fonds sur lequel la construction et leraisonnement s'appuient, c'est celui des mouvements virtuels dont la structure (au sens deGestalt)est levritablecontenugomtrique.MerleauPontypoussealors l'analyse jusqu'deuxsortesdeconsquences:

    D'unepartl'instancemotriceestditeentermespropresengendrerl'espace:

    Ilfautqu'ilyait,commeKantl'admettait,un"mouvementgnrateurdel'espace",quiestnotremouvement intentionnel, distinct du "mouvement dans l'espace", qui est celui des choses et denotrecorpspassif.

    D'autre part la pense du gomtre est en profondeur la transcendance mme (au sensheideggerien)del'treaumondecorporel,lasortiehorsdesoiducorps:

    Sijepeux,parlemoyend'uneconstruction,faireapparatredespropritsdutriangle,silafigureainsitransformenecessepasd'trelammefigured'ojesuisparti,etsienfinjepeuxoprerunesynthsequigarde lecaractrede lancessit,cen'estpasquemaconstructionsoitsoustenduepar un concept du triangle o toutes sesproprits seraient incluses, et que, sorti de laconscience perceptive, je parvienne l'eidos : c'est que j'effectue la synthse de la nouvellepropritparlemoyenducorpsquim'insred'unseulcoupdansl'espaceetdontlemouvementautonomeme permet de rejoindre, par une srie de dmarches prcises, cette vue globale del'espace.

    Cet approfondissement de ce que nous avions dj reconnu comme la conception de la prcomprhensiondel'espacepropreMerleauPontyappelledenombreuxcommentaires.

    Toutd'abord,cequenousenapprenonspermetdemieuxcomprendrelaconvergencerellequis'tablitentreTalmyetPoincar.CedontparlePoincar,savoirlerapportprofonddugomtre ses figures, et ce dont parle Talmy, savoir la thorie primitive de l'espace inscrite dans lalangue,sontbeletbienlammechoselalumiredesthsesdeMerleauPonty:danslesdeuxcas,ilsagitdemanifestationsdel'treaumondecorporel.

    Deuximement,pourquiconnatlathsesurl'unitdel'entendementetdelasensibilitdfendue

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    parHeideggerdanssalecturedeKant,lapositiondeMerleauPontyapparatcommesareprise,avec cette seule nuance, de grande importance il est vrai, que l'treaumonde y est relu comme corps. Heidegger soutient bien, en effet, que le fonds de l'intuition pure kantienne estl'intuition pure du temps, et que celleci ellemme demande tre comprise partir de latranscendanceduDasein.Lessynthses fondativesquimergentdesekstasesduDasein sontl'imaginationproductriceellemmepourHeidegger, c'estdireencore, l'intuitionpuredansseslimbes en mme temps que le jugement conceptuel sa source. MerleauPonty nonce desphrases quasiheideggeriennes ( La pense du gomtre, dans la mesure o elle s'appuiencessairementsurcetacte,neconcidepasavecellemme:elleestlatranscendancemme.p.444).

    Sauf que, justement, pour Heidegger, la gense de l'intuition partir de la transcendance duDaseinn'estpas l'affairede ladisciplinegomtrie, ils'estprotgdetouteconfrontationdesondiscoursaveclamathmatiqueparunensembledethsesdmarcatricesdontl'incidencepeuttrerepredanssalecturedeKant(notammentdanslestraitementsqu'ildonnedel'expositionmtaphysiquedel'espaced'unepart,delanotiond'intuitionformelled'autrepart).C'estpourcetteraisonquelapositiondeMerleauPontyestbeaucoupplusinconfortablequecelledeHeidegger,bienque,d'autresgards,plusintressante.

    Lesdifficultssonteneffet lessuivantes : ilyabeaucoupdevritdanscequ'nonceMerleauPonty, nous voulons dire, beaucoup de vrit sur la position du gomtre. Il est de fait que lecaractred'orientation, le rled'unesortedecorpsvirtuelvenantdonnersens laconceptualitthoriquesontinliminablesdelamathmatiquegomtrique,ycomprislaplusformelleetlaplussophistique (Daniel Bennequin nous a rcemment exprim sans ambigut l'importance del'lmentgestuelexistentieldanslacomprhensionqu'ilavaitdelanotiondesiteetdefaisceausurunsite).

    Leproblmeestdesavoirdequel corpsonparle.notresens, la cohrencede lapositiondeMerleauPontyexclutqu'onsedonneunerfrencesensiblepourlecorps,c'estbienlemoins.Lecorps portetil l'treauMonde comme corps organique, comme corps biologique ? Peutonnommercorps toutcequia traitaumouvementvirtuel,c'estdirecequis'appellespatialitapriori,imaginationtranscendantaleproductricechezKant,sanscderuncertainconfusionnisme?C'estparexemplecequefaitLakoffdanslaplupartdesesanalyses,estimantqu'ilatrouvunfondementmatrialistepositivistechaquefoisqu'ilamisenvidencelarelativitdelasignificationauxmouvementsvirtuels,etenpinglantdunomdecorpsceniveaudefondement,allgucommepositif.Maissil'onestunphnomnologuecohrentcommeMerleauPonty,nefautilpasdirequel'treauMondeestlevritableconceptgnral,etquelecorps,ausensnafdumot,n'estjamaisque la premire faon dont l'treaumonde se comprend luimme, s'interprte (touteinterprtationtantexistentielleavantqued'treverbale)?Maisalors,notredistinctionentre lesdeuxcouchesdelaprcomprhension,notredescriptiondelanaturehermneutiquedechacuneet de la relation hermneutique entre elles peut tre reprise en accompagnant le discours deMerleauPonty.Ilyaunespatialitdel'treaumonde/corps,maisilyaunespatialitdel'treaumonde/gomtrique,etilnefautpasnierl'existenced'unediscontinuitdel'unel'