Upload
review-by-bruno-thibault
View
220
Download
4
Embed Size (px)
Citation preview
Sans y toucherSans y toucher by Colette Nys-MazureReview by: Bruno ThibaultNouvelles Études Francophones, Vol. 19, No. 2 (Automne 2004), pp. 261-263Published by: University of Nebraska PressStable URL: http://www.jstor.org/stable/25701871 .
Accessed: 14/06/2014 04:44
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp
.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].
.
University of Nebraska Press is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to NouvellesÉtudes Francophones.
http://www.jstor.org
This content downloaded from 188.72.96.115 on Sat, 14 Jun 2014 04:44:05 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Nouvelles Etudes Francophones 19.2 261
Sans y toucher Nys-Mazure, Colette. Sansy toucher. Paris: La Renaissance du livre, 2004.
ISBN 2-8046-0857-3. 145pp.
On connait surtout Colette Nys-Mazure pour son oeuvre poetique. Feux dans la nuit, une anthologie qui rassemble ses grands textes poeti
ques des trente dernieres annees, a ete publie en 2003. Sans y toucher, en
revanche, est un recueil de nouvelles, le troisieme que signe Lauteur apres
Contes desperance (1998) et Battements delles (2000). Plusieurs de ces
nouvelles ont ete publiees en Belgique, en France, en Suisse ou lues a la
radio. Chacune porte en exergue une citation tiree de Feux dans la nuit,
ce qui souligne Linspiration commune de ces poemes et de cette prose
poetique. Les nouvelles de Colette Nys-Mazure sont extremement breves.
Ce sont des recits centres sur Invocation d un instant: de simples inci
sions dans le tissu du temps, comme Lindique Lauteur en quatrieme page de couverture. Certaines nouvelles decrivent un moment d'hesitation,
d'interrogation, de sideration. Dautres nouvelles evoquent au contraire
des moments de crise, de depression ou de panique. Gilles Deleuze a note
dans Mille plateaux que la nouvelle convient parfaitement a Lecriture de la
felure. En effet, le nouvelliste ne cherche pas a raconter Lhistoire dune vie
ni a retracer les peripeties d une aventure, mais plutot a cerner la douleur,
le manque ou la perte qui accompagne parfois Lexistence. Colette Nys Mazure ecrit dans le meme sens: "Est-ce que chaque existence, meme la
plus reussie apparemment, ne trahit pas sa blessure, sa faille?" (21).
A Lorigine de ces recits, il y a done une faille, une felure, une fissure.
Contrairement au roman, la question que souleve la nouvelle nest pas:
"Que va-t-il se passer?" Mais plutot: "Que sest-il passe?" Dans "Mots a LEs
caut," la nouvelle liminaire du recueil, Lauteur donne quelques elements
de reponse. Elle note: "Je t'ecris sous les yeux de la petite fille que j'ai ete,
celle de la photo prise par mon pere, la veille de sa mort" (11). Ce grand theme de la mort des parents, du deuil et de la fin de Lenfance, se reflete
dans la plupart de ces nouvelles. La hantise de la mort et Langoisse de
Labandon sont perceptibles a chaque page, notamment dans "La grande
fugue," "Le Robinson du mont," "La vieille dame qui ne lisait plus jamais" ou "Tot ou tard se dechire la soie de Lenfance." En meme temps Colette
Nys-Mazure excelle a suggerer la temporalite particuliere de Lenfance, le
regard que portent les enfants sur le monde, leurs emerveillements et leurs
apprehensions: cest le cas notamment dans "Demons et merveilles" ou
dans "Moi qui palis au nom de LAlpha," un beau recit tout en demi-teintes
This content downloaded from 188.72.96.115 on Sat, 14 Jun 2014 04:44:05 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
262 Comptes rendus critiques
qui raconte une promenade d'autrefois, en famille, le long dune riviere.
Dans d'autres recits, Pangoisse de la disparition des parents est reactivee
lors d une rupture douloureuse avec Famant: "Quand avait commence la
fin? Quand t'etais-tu depris de moi? Ai-je assez ressasse nos rencontres, en
quete de la fissure initiale?" (12).
Sans y toucher presente une grande variete de modes narratifs: du
monologue interieur au dialogue, de la scene obsedante au recit simultane.
Du point de vue de la conception narrative, certaines nouvelles se deta
chent de Pensemble par leur originalite. "Quelques elements dun temps
arrete," par exemple, relate les visites successives de parents, d'amis et de
voisins au cours dune veillee funebre. Colette Nys-Mazure brosse en quel
ques pages une serie de portraits vivants et convaincants, en soulignant a chaque fois la position sociale et le lien familial de chaque personnage. Puis elle mele a ces portraits quelques phrases en style indirect libre pour decrire le deuil et l'etat desprit de chacun, sans forcer le trait. Dune part, ce recit interroge la notion meme d'identite puisque les impressions et les
souvenirs de chaque visiteur ne s'accordent pas toujours pour former une
image coherente du defunt: "Qui done etait cet homme qu'on enterre ce
matin?" (36). D'autre part, ce recit offre une meditation sur le travail du
deuil: c est-a-dire sur les mille manieres "de manger le pain des morts, de
machonner les miettes des regrets" (33). "Marcher de nuit," en revanche,
est une sorte de monologue interieur et d'autoanalyse. Ce texte evoque avec une grande franchise le trauma de lenfance: la mort des parents.
Mais ce texte evoque aussi la scene primitive chez lenfant et Facte sexuel
chez Fadulte. Ces evocations sont doublees dune reflexion sur le corps
feminin. Lauteur souligne par exemple Fimage derisoire qu'en offrent
les magazines intimant leurs lectrices de se forger un corps de deesse et
d'etre en forme. "En forme de quoi?" (16) s'interroge l'ecrivain. Colette
Nys-Mazure discute d'autre part le mythe du corps feminin maternel. Elle
decrit la grossesse et Faccouchement comme "une equipee terriblement
physique et metaphysique" (18), conduite sous "Fexigence redoutable d'un
autre en soi qui vous rejettera comme une chrysalide inutile" (18). "Petit
matin multiple" emploie la technique du recit simultane. Cette nouvelle
decrit Fheure du reveil et la routine matinale de plusieurs locataires dans
un meme immeuble. A plusieurs reprises, l'auteur avoue etre saisie de
visions de ce type, le plus souvent d'etres a la derive: "II suffit d'un rien
pour que la digue cede, que la submergent ces histoires d'ailleurs et d'an
tan" (17). Cette porosite a Fangoisse d'autrui permet a Colette Nys-Mazure de se projeter dans plusieurs vies paralleles et anonymes, sans proposer de
This content downloaded from 188.72.96.115 on Sat, 14 Jun 2014 04:44:05 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions
Nouvelles Etudes Francophones 19.2 263
solution ni de morale: "Aucune envie de juger. Tous dans la meme galere. La gondole parfois" (24).
Sans y toucher dialogue de fac:on savante avec tout un intertexte. La
nouvelle eponyme du recueil est une nouvelle a la Maupassant: elle debute
comme un flirt sentimental filme par Eric Rohmer mais s'acheve sur le
meurtre brutal de la jeune etudiante, Lara. "La Lorelei" est une nouvelle
nervalienne qui produit son propre commentaire puisque le recit debute
par Invocation d une serie de trois conferences sur la femme, sur le mythe et sur Labime. Laure, la jeune femme qui fascine tant le narrateur de ce
recit apparait comme un collage de la Passante baudelairienne, de la Fille
du feu nervalienne et de la Lorelei de Heine. Dautres hommages litteraires
se succedent: "Reverberation" evoque la magie des noms propres et des
apres-midi de lecture chez Proust; "Tombeau" est une reecriture de La
Princesse de Cleves dans un cadre contemporain; "LEchange" temoigne de Ladmiration de Lauteur pour les recits de J. M. G. Le Clezio et de Tahar
Ben Jelloun; "Carte postale" evoque le souvenir de Marguerite Yourcenar
a la Villa Mont-Noir. Au total, la hantise du passe et la recherche spiri tuelle accompagnent la celebration du quotidien dans ces nouvelles. A
chaque page, la felure se fait sentir: tout renvoie a 1 enfance et a la douleur
de la separation. Au fond il nexiste pas "d'autre voie vers le tu perdu" (12)
que Lecriture, ce beau "silence marbre de questions a jamais sans reponse"
(12).
Bruno Thibault, Universite du Delaware
This content downloaded from 188.72.96.115 on Sat, 14 Jun 2014 04:44:05 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions