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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015 Recherches 10 El Niño aiguillonne le climat mondial © semanaeconomica.com l Niño, l’enfant terrible du Pacifique, symbolise la puissance climatique par excellence : il peut provoquer des inondations au Pérou, des séche- resses en Indonésie et en Australie, le tout de façon simultanée ! Mais peut-il être compris en considérant le Paci- fique seul ? « Le développement d’un El Niño se produit systématiquement dans l’océan Pacifique, mais il peut être influencé par l’océan Indien », répond Matthieu Lengaigne. Ce bassin orien- tal a longtemps été considéré comme inactif dans la dynamique globale du climat. Loin s’en faut : il est celui qui peut le plus affecter l’océan Pacifique. Ce jeu d’interaction entre les deux bassins prend sa source dans la plus grande « piscine » d’eau chaude du monde. Elle s’étale du centre de l’océan Indien jusqu’au centre du Pacifique et abrite des eaux de surface plus chaudes que 29 °C. « Cette marmite d’eau chaude est le chef d’orchestre de la circulation atmosphérique de grande échelle 1 », relève Jérôme Vialard. « Chaque événe- ment El Niño induit un réchauffement global de l’océan Indien, explique Takeshi Izumo. Cette hausse de tem- pérature a un effet sur les vents dans le Pacifique, et cela réduit l’intensité et la durée de l’épisode El Niño en cours. » Ainsi, sans cette rétroaction de l’océan Indien, les événements formés dans le Pacifique seraient plus intenses et plus longs ! Cette marmite peut aussi contribuer au déclenchement d’un événement El Niño. Le processus débute un peu plus d’un an avant le point culminant d’El Niño. Dans l’est de l’océan Indien, les eaux se réchauffent plus que de cou- tume le long des côtes indonésiennes. Il se produit un « El Niño » de l’océan Indien en quelque sorte. Ce réchauf- fement renforce alors les alizés, ces vents qui balayent l’équateur d’est en ouest dans le Pacifique. « Leur intensification tend à accumuler plus de chaleur que d’habitude dans l’ouest de l’océan Pacifique, poursuit-il. La fin brutale des anomalies chaudes dans l’océan Indien favorise un relâchement de ces vents de sorte que les eaux chaudes accumulées dans le Pacifique ouest refluent brutalement vers l’est, contribuant au développement d’un El Niño.» A l’heure actuelle, ces mécanismes d’interactions entre les océans Indien et Pacifique sont au cœur de nombreux travaux de recherche, menés par l’IRD notamment. « Une chose est sûre : la région équatoriale de l’indopacifique est de plus en plus considérée comme un système unique, où les anomalies d’un des deux bassins influencent l’autre », estime Matthieu Lengaigne. Partant de ce constat, mieux connaître ces processus d’interaction devient essentiel pour améliorer la prévisibilité de ces événements. 1. La circulation atmosphérique de grande échelle est la circulation de Walker, elle joue le rôle de trait d’union entre les bas- sins Pacifique et Indien. Contacts [email protected] [email protected] [email protected] UMR LOCEAN (IRD, CNRS, MNHN, UPMC) Coup de pouce de l’océan Indien El Niño, cet événement dans le Pacifique qui bouleverse le climat du monde entier, continue de surprendre. Les climatologues lui découvrent encore de nouveaux visages, de nouveaux mécanismes d’activation et la question de sa réponse au changement climatique anime leurs débats. otre climat connaît actuel- lement deux principaux bouleversements. D’un côté, El Niño, le plus important phénomène naturel, perturbe de façon irrégulière le climat du globe. De l’autre, l’activité anthropique, à travers l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, induit un réchauffement global de l’atmosphère et de l’océan… Peut-il y avoir un lien entre ces deux perturbations ? Oui, répondent les cli- matologues et il devrait conduire à une formation plus fréquente d’événements El Niño dit « extrêmes ». En consé- quence, plus de pluies torrentielles, de glissements de terrain et de pêches désastreuses seraient à prévoir sur la façade ouest de l’Amérique du Sud dès la deuxième moitié du XXI e ! L’augmentation de ces épisodes extrêmes tient au réchauffement moyen de l’océan Pacifique. « Actuellement, il faut augmenter la température de près de 6 °C pour atteindre le seuil de déclenchement des pluies torrentielles dans l’est du Pacifique équatorial et donc d’un épisode El Niño extrême », explique Boris Dewitte. Ces conditions sont rarement atteintes aujourd’hui mais probablement pas à l’horizon des prochaines décennies ! De fait, l’en- semble des modèles de prévision clima- tique simulent un réchauffement plus important dans la région équatoriale du Pacifique que dans le reste du bassin. « Selon les scénarios les plus probables d’émissions de gaz à effet de serre, les modèles simulent un réchauffement moyen à l’équateur de l’ordre de 3 °C d’ici la fin du XXI e siècle, souligne le cli- matologue Matthieu Lengaigne. Il sera donc beaucoup plus facile d’atteindre cette température seuil de 28 °C dans l’est du bassin et donc de déclencher des évènements El Niño extrêmes. » Plus précisément le nombre d’épi- sodes extrêmes en plus à l’avenir reste à déterminer. « Quantifier cette augmentation est un défi car au cours de ces 60 dernières années seuls deux épisodes extrêmes se sont produits. Nous disposons donc de peu de données pour établir des statistiques robustes à partir des observations », répond Boris Dewitte. De plus, les modèles clima- tiques ne s’accordent pas sur l’évolu- tion générale de ce phénomène dans le futur. Des difficultés que certaines équipes parviennent à contourner avec une approche originale 1 ! « Plutôt que d’étudier les indices océaniques clas- siques caractérisant le phénomène, nous nous sommes intéressés à ceux décrivant son impact atmosphérique », explique Matthieu Lengaigne. Un épi- sode extrême est ainsi caractérisé en fonction du déclenchement des pluies diluviennes dans l’est du Pacifique équatorial et sur la façade ouest du continent américain, régions normale- ment arides. Avec cette signature du phénomène El Niño, les simulations des modèles de climat s’accordent sur une augmentation robuste du nombre d’évé- nements extrêmes au XXI ème siècle. « Ils indiquent en moyenne un doublement de leur fréquence, précise ce dernier. C’est beaucoup, mais certains modèles simulent une hausse encore plus impor- tante, de l’ordre de 200 % ! Nous avons donc encore un travail important pour mieux déterminer l’ampleur de cette augmentation ». 1. W. Cai et al., Nature climate change, 2015. Contacts [email protected] UMR Legos (IRD, CNES, CNRS, UPS) [email protected] UMR Locean (IRD, CNRS, MNHN, UPMC) Variabilité climatique naturelle contre anthropique Un événement El Niño extrême se forme lorsque l’océan Pacifique équatorial se réchauffe dans l’est du bassin (en rouge à l’image). Lors d’un événement El Niño Modoki, le réchauffement de l’océan Pacifique équatorial reste confiné dans le centre du bassin. > 2.0 1.5 1.0 0.5 0.0 - 0.5 °C Inondation au Perou on nom porte à confusion : l’événement climatique El Niño 1 n’a rien d’un enfant unique ! Derrière ce terme, il se cache une fratrie de phénomènes capables de bouleverser le climat aux quatre coins du monde. « L’épisode survenu en 1997 est l’arbre qui a longtemps caché la forêt, raconte le chercheur Boris Dewitte. Les dégâts provoqués ont poussé les climatolo- gues à se focaliser sur ces épisodes aujourd’hui qualifiés d’« extrêmes ». » Pluies torrentielles sur toute la façade américaine, sécheresses en Indo- nésie et en Australie, augmentation des cyclones dans le Pacifique… l’événement avait de quoi marquer les esprits ! « Nous avons considéré ce type d’épisode comme l’archétype du phénomène. Or, depuis 1997, une série d’autres événements se sont produits et leurs impacts sont très différents », poursuit le chercheur. Ceux-ci induisent des sécheresses sur la façade ouest américaine, perturbent la mousson indienne et accélèrent la fonte des neiges dans certaines régions de l’Antarctique ! Au-delà du climat, leur signature biologique est singulière. « Ils provoquent un appauvrissement en phytoplancton dans le centre du bas- sin, souligne Marie-Hélène Radenac. Cela pose question pour les réseaux trophiques supérieurs et l’activité de pêche. » Aujourd’hui, l’existence de deux visages distincts d’El Niño commence à faire consensus. Tous deux naissent dans l’ouest du Pacifique équatorial. Ils se déclenchent suite à un affaiblis- sement des alizés, ces vents d’est qui convergent vers l’équateur. Leur relâchement induit le déplacement de masses d’eaux chaudes et pauvres en phytoplancton, confinées dans la région indonésienne, vers le centre du bassin équatorial. Elles entraînent avec elles les zones « convectives », ces amas de nuages responsables des conditions de pluies tropicales. Ce système océan-atmosphère peut rester bloqué dans le centre du bassin et induire un épisode El Niño Modoki, comme ceux survenus depuis 2000. Plus rarement, il se déplace jusque dans l’est du bassin et atteind les côtes péruviennes. Il se produit alors un El Niño Extrême, à l’image de celui de 1997. La connaissance de cette double facette d’El Niño offre de nouvelles perspec- tives de recherche. « Nous pouvons améliorer la prévision de ces événe- ments. Les épisodes post-1997 ont été mal anticipés car nous comprenons encore mal à quoi tient l’expression de l’un ou l’autre visage. » De récents travaux 2 viennent de révéler que pour le développement d’un événement du type « extrême », l’océan à proximité des côtes péruviennes doit atteindre 27,5 °C, soit près de 6 °C de plus que sa température normale en hiver aus- tral. Cette condition nécessaire n’est remplie que si des vents d’ouest se mettent en place lors de la formation de l’événement. Ces résultats permettent d’ores et déjà de mieux cerner si un épisode en formation sera Modoki ou extrême. Ils seront prochainement mise à l’épreuve avec l’événement El Niño actuel qui s’annonce comme l’événe- ment El Niño le plus intense du XXI e siècle. 1. El Niño, l’enfant Jesus en espagnol a ainsi été nommé par les pêcheurs péru- viens car il survient à la période de Noël. 2. Takahashi K. and B. Dewitte, Climate Dynamics, 2015 Contacts [email protected] [email protected] UMR Legos (IRD, CNES, CNRS, UPS) Les saveurs d’El Niño MetOffice - B. Dewitte

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Sciences au Sud - Le journal de l’IRD - n° 80 - août / septembre / octobre 2015

Recherches

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El Niño aiguillonnele climat mondial

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l Niño, l’enfant terrible du Pacifique, symbolise la puissance climatique par excellence : il peut provoquer

des inondations au Pérou, des séche-resses en Indonésie et en Australie, le tout de façon simultanée ! Mais peut-il être compris en considérant le Paci-fi que seul ? « Le développement d’un El Niño se produit systématiquement dans l’océan Pacifi que, mais il peut être infl uencé par l’océan Indien », répond Matthieu Lengaigne. Ce bassin orien-tal a longtemps été considéré comme inactif dans la dynamique globale du climat. Loin s’en faut : il est celui qui peut le plus affecter l’océan Pacifi que.

Ce jeu d’interaction entre les deux bassins prend sa source dans la plus grande « piscine » d’eau chaude du monde. Elle s’étale du centre de l’océan Indien jusqu’au centre du Pacifi que et abrite des eaux de surface plus chaudes que 29 °C. « Cette marmite d’eau chaude est le chef d’orchestre de la circulation atmosphérique de grande échelle1 », relève Jérôme Vialard. « Chaque événe-ment El Niño induit un réchauffement global de l’océan Indien, explique Takeshi Izumo. Cette hausse de tem-pérature a un effet sur les vents dans le Pacifi que, et cela réduit l’intensité et la durée de l’épisode El Niño en cours. » Ainsi, sans cette rétroaction de l’océan

Indien, les événements formés dans le Pacifi que seraient plus intenses et plus longs ! Cette marmite peut aussi contribuer au déclenchement d’un événement El Niño. Le processus débute un peu plus d’un an avant le point culminant d’El Niño. Dans l’est de l’océan Indien, les eaux se réchauffent plus que de cou-tume le long des côtes indonésiennes. Il se produit un « El Niño » de l’océan Indien en quelque sorte. Ce réchauf-fement renforce alors les alizés, ces vents qui balayent l’équateur d’est en ouest dans le Pacifique. « Leur intensifi cation tend à accumuler plus de chaleur que d’habitude dans l’ouest

de l’océan Pacifi que, poursuit-il. La fi n brutale des anomalies chaudes dans l’océan Indien favorise un relâchement de ces vents de sorte que les eaux chaudes accumulées dans le Pacifi que ouest refl uent brutalement vers l’est, contribuant au développement d’un El Niño.»A l’heure actuelle, ces mécanismes d’interactions entre les océans Indien et Pacifi que sont au cœur de nombreux travaux de recherche, menés par l’IRD notamment. « Une chose est sûre : la région équatoriale de l’indopacifi que est de plus en plus considérée comme un système unique, où les anomalies d’un des deux bassins influencent

l’autre », estime Matthieu Lengaigne. Partant de ce constat, mieux connaître ces processus d’interaction devient essentiel pour améliorer la prévisibilité de ces événements. �

1. La circulation atmosphérique de grande échelle est la circulation de Walker, elle joue le rôle de trait d’union entre les bas-sins Pacifi que et Indien.

[email protected]@[email protected] LOCEAN (IRD, CNRS, MNHN, UPMC)

Coup de pouce de l’océan Indien

El Niño, cet événement dans le Pacifi que qui bouleverse le climat du monde entier, continue de surprendre. Les climatologues lui découvrent

encore de nouveaux visages, de nouveaux mécanismes d’activation et la question de sa réponse au changement climatique anime leurs débats.

otre climat connaît actuel-lement deux principaux bouleversements. D’un côté, El Niño, le plus important

phénomène naturel, perturbe de façon irrégulière le climat du globe. De l’autre, l’activité anthropique, à travers l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, induit un réchauffement global de l’atmosphère et de l’océan… Peut-il y avoir un lien entre ces deux perturbations ? Oui, répondent les cli-matologues et il devrait conduire à une formation plus fréquente d’événements El Niño dit « extrêmes ». En consé-quence, plus de pluies torrentielles, de glissements de terrain et de pêches désastreuses seraient à prévoir sur la façade ouest de l’Amérique du Sud dès la deuxième moitié du XXIe ! L’augmentation de ces épisodes extrêmes tient au réchauffement moyen de l’océan Pacifi que. « Actuellement, il faut augmenter la température de près de 6 °C pour atteindre le seuil de déclenchement des pluies torrentielles dans l’est du Pacifi que équatorial et donc d’un épisode El Niño extrême », explique Boris Dewitte. Ces conditions sont rarement atteintes aujourd’hui mais probablement pas à l’horizon des

prochaines décennies ! De fait, l’en-semble des modèles de prévision clima-tique simulent un réchauffement plus important dans la région équatoriale du Pacifi que que dans le reste du bassin. « Selon les scénarios les plus probables d’émissions de gaz à effet de serre, les modèles simulent un réchauffement moyen à l’équateur de l’ordre de 3 °C d’ici la fi n du XXIe siècle, souligne le cli-matologue Matthieu Lengaigne. Il sera donc beaucoup plus facile d’atteindre cette température seuil de 28 °C dans l’est du bassin et donc de déclencher des évènements El Niño extrêmes. »Plus précisément le nombre d’épi-sodes extrêmes en plus à l’avenir reste à déterminer. « Quantifi er cette augmentation est un défi car au cours de ces 60 dernières années seuls deux épisodes extrêmes se sont produits. Nous disposons donc de peu de données pour établir des statistiques robustes à partir des observations », répond Boris Dewitte. De plus, les modèles clima-tiques ne s’accordent pas sur l’évolu-tion générale de ce phénomène dans le futur. Des diffi cultés que certaines équipes parviennent à contourner avec une approche originale1 ! « Plutôt que d’étudier les indices océaniques clas-

siques caractérisant le phénomène, nous nous sommes intéressés à ceux décrivant son impact atmosphérique », explique Matthieu Lengaigne. Un épi-sode extrême est ainsi caractérisé en fonction du déclenchement des pluies diluviennes dans l’est du Pacifique équatorial et sur la façade ouest du continent américain, régions normale-ment arides. Avec cette signature du phénomène El Niño, les simulations des modèles de climat s’accordent sur une augmentation robuste du nombre d’évé-nements extrêmes au XXIème siècle. « Ils indiquent en moyenne un doublement de leur fréquence, précise ce dernier. C’est beaucoup, mais certains modèles simulent une hausse encore plus impor-tante, de l’ordre de 200 % ! Nous avons donc encore un travail important pour mieux déterminer l’ampleur de cette augmentation ». �

1. W. Cai et al., Nature climate change, 2015.

[email protected] Legos (IRD, CNES, CNRS, UPS)[email protected] Locean (IRD, CNRS, MNHN, UPMC)

Variabilité climatique naturelle contre anthropique

Un événement El Niño extrême se forme lorsque l’océan Pacifi que équatorial se réchauffe dans l’est du bassin (en rouge à l’image).

Lors d’un événement El Niño Modoki, le réchauffement de l’océan Pacifi que équatorial reste confi né dans le centre du bassin.

> 2.0 1.5 1.0 0.5 0.0 - 0.5°C

Inondation au Perou

on nom porte à confusion : l’événement climatique El Niño1 n’a rien d’un enfant unique ! Derrière ce terme,

il se cache une fratrie de phénomènes capables de bouleverser le climat aux quatre coins du monde. « L’épisode survenu en 1997 est l’arbre qui a longtemps caché la forêt, raconte le chercheur Boris Dewitte. Les dégâts provoqués ont poussé les climatolo-gues à se focaliser sur ces épisodes aujourd’hui qualifi és d’« extrêmes ». » Pluies torrentielles sur toute la façade américaine, sécheresses en Indo-nésie et en Australie, augmentation des cyclones dans le Pacifique… l’événement avait de quoi marquer les esprits ! « Nous avons considéré

ce type d’épisode comme l’archétype du phénomène. Or, depuis 1997, une série d’autres événements se sont produits et leurs impacts sont très différents », poursuit le chercheur. Ceux-ci induisent des sécheresses sur la façade ouest américaine, perturbent la mousson indienne et accélèrent la fonte des neiges dans certaines régions de l’Antarctique ! Au-delà du climat, leur signature biologique est singulière. « Ils provoquent un appauvrissement en phytoplancton dans le centre du bas-sin, souligne Marie-Hélène Radenac. Cela pose question pour les réseaux trophiques supérieurs et l’activité de pêche. »Aujourd’hui, l’existence de deux visages distincts d’El Niño commence à faire

consensus. Tous deux naissent dans l’ouest du Pacifique équatorial. Ils se déclenchent suite à un affaiblis-sement des alizés, ces vents d’est qui convergent vers l’équateur. Leur relâchement induit le déplacement de masses d’eaux chaudes et pauvres en phytoplancton, confi nées dans la région indonésienne, vers le centre du bassin équatorial. Elles entraînent avec elles les zones « convectives », ces amas de nuages responsables des conditions de pluies tropicales. Ce système océan-atmosphère peut rester bloqué dans le centre du bassin et induire un épisode El Niño Modoki, comme ceux survenus depuis 2000. Plus rarement, il se déplace jusque dans l’est du bassin et atteind les côtes péruviennes. Il se

produit alors un El Niño Extrême, à l’image de celui de 1997.La connaissance de cette double facette d’El Niño offre de nouvelles perspec-tives de recherche. « Nous pouvons améliorer la prévision de ces événe-ments. Les épisodes post-1997 ont été mal anticipés car nous comprenons encore mal à quoi tient l’expression de l’un ou l’autre visage. » De récents travaux2 viennent de révéler que pour le développement d’un événement du type « extrême », l’océan à proximité des côtes péruviennes doit atteindre 27,5 °C, soit près de 6 °C de plus que sa température normale en hiver aus-tral. Cette condition nécessaire n’est remplie que si des vents d’ouest se mettent en place lors de la formation de

l’événement. Ces résultats permettent d’ores et déjà de mieux cerner si un épisode en formation sera Modoki ou extrême. Ils seront prochainement mise à l’épreuve avec l’événement El Niño actuel qui s’annonce comme l’événe-ment El Niño le plus intense du XXIe siècle. �

1. El Niño, l’enfant Jesus en espagnol a ainsi été nommé par les pêcheurs péru-viens car il survient à la période de Noël.2. Takahashi K. and B. Dewitte, Climate Dynamics, 2015

[email protected]@ird.frUMR Legos (IRD, CNES, CNRS, UPS)

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