3
Se construire par l'écrit pour penser et apprendre 1/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc Conférence de Jean-Charles Chabanne colloque de la FNAME-Rouen 2011 Professeur en sciences de l’éducation IUFM-Université de Montpellier 2 Introduction Aujourd’hui, la perte de l’écrit va du primaire à l’université, on parle de délittératie. Comment aborde-t-on traditionnellement l’écriture à l’éducation nationale ? L’approche de l’apprentissage est pyramidale et se construit à partir de manques qui ont été isolés. D’abord la graphie, puis l’orthographe, la mise en phrases, ensuite la ponctuation, la mise en texte, enfin la mise en pensée. Derrière ces choix institutionnels, il y a toute une théorie de l’apprentissage et de l’image de l’élève avec des progressions fonctionnant beaucoup sur la répétition, l’imitation, l’imprégnation avec le risque d’aboutir à des « représentations-obstacle » : des impasses cognitives qui bloquent les apprentissages d’un certain nombre d’élèves. Que faire alors pour les élèves en difficulté ? - Aller chercher les élèves où ils en sont. - Considérer que : o l’écriture n’est pas seulement un médium mais aussi un outil ; o l’écriture n’est pas seulement une technique, un savoir-faire mais aussi une activité ; o l’écriture n’est pas seulement un objet de savoir mais aussi prise de risque identitaire. Les approches anthropologiques de l’écriture. Apprendre à écrire ce n’est pas seulement entrer dans l’écrit mais également entrer dans la « culture écrite », c'est à dire d’entrer dans les usages sociaux de l’écrit liés à des procédures très lentes qui dans les sociétés humaines ont mis des milliers d’années à s’installer (on voudrait que tous les élèves fassent ce parcours très vite). Apprendre à écrire c’est apprendre à penser, c’est apprendre à se construire et cela suppose un autre regard sur les écrits des élèves ; voir les élèves en train de faire, identifier les malentendus autour de l’activité d’écriture. Pour mieux comprendre, passer par une approche anthropologique de l’écriture parait nécessaire. Quand et pour quels usages apparaît l’écriture ? - Laisser d’abord une marque, une trace (inscription sur la pierre ou des stèles mais aussi aujourd’hui les tags, les graffitis) or il y a des élèves qui écrivent et qui n’ont pas cette impression de laisser une trace. - L’écriture apparait aussi pour faire du comptage, du dénombrement, du calcul, de l’astronomie… raconter des histoires, raconter le sacré, noter le symbolique, le magique. Pour certains enfants l’expérience de ces écrits ou d’une partie de ces écrits n’est pas faite ou n’ose pas être faite. - L’écriture a également une fonction de mémorisation (les élèves en difficulté n’ont pas conscience de cette notion, ayant peu de passé, la fonction mémoire de l’écrit n’est pas évidente à percevoir par les enfants). Tout cela semble de la théorie mais dans les pratiques ordinaires des élèves on va retrouver ces éléments constitutifs de l’écrit. Il faut approcher les écrits de l’élève comme on approche les écrits d’une stèle, d’un graffiti. Il a une actualisation dans les écrits d’aujourd’hui de toutes ces fonctions anciennes de l’écrit : tags, journal intime, blogs… il a une charge symbolique, forte, affective, profonde, présente dans tout rapport à l’écrit et une hypothèse est que beaucoup de difficultés des élèves s’expliqueraient par cette charge symbolique inconsciente de l’écrit.

Se construire par l'écrit pour penser et apprendre · PDF fileSe construire par l'écrit pour penser et apprendre 3/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc rédaction

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Se construire par l'écrit pour penser et apprendre · PDF fileSe construire par l'écrit pour penser et apprendre 3/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc rédaction

Se construire par l'écrit pour penser et apprendre

1/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc

Conférence de Jean-Charles Chabanne colloque de la FNAME-Rouen 2011 Professeur en sciences de l’éducation IUFM-Université de Montpellier 2 Introduction

Aujourd’hui, la perte de l’écrit va du primaire à l’université, on parle de délittératie.

Comment aborde-t-on traditionnellement l’écriture à l’éducation nationale ? L’approche de l’apprentissage est pyramidale et se construit à partir de manques qui ont été isolés. D’abord la graphie, puis l’orthographe, la mise en phrases, ensuite la ponctuation, la mise en texte, enfin la mise en pensée.

Derrière ces choix institutionnels, il y a toute une théorie de l’apprentissage et de l’image de l’élève avec des progressions fonctionnant beaucoup sur la répétition, l’imitation, l’imprégnation avec le risque d’aboutir à des « représentations-obstacle » : des impasses cognitives qui bloquent les apprentissages d’un certain nombre d’élèves.

Que faire alors pour les élèves en difficulté ?

- Aller chercher les élèves où ils en sont. - Considérer que :

o l’écriture n’est pas seulement un médium mais aussi un outil ; o l’écriture n’est pas seulement une technique, un savoir-faire mais aussi une

activité ; o l’écriture n’est pas seulement un objet de savoir mais aussi prise de risque

identitaire. Les approches anthropologiques de l’écriture.

Apprendre à écrire ce n’est pas seulement entrer dans l’écrit mais également

entrer dans la « culture écrite », c'est à dire d’entrer dans les usages sociaux de l’écrit liés à des procédures très lentes qui dans les sociétés humaines ont mis des milliers d’années à s’installer (on voudrait que tous les élèves fassent ce parcours très vite).

Apprendre à écrire c’est apprendre à penser, c’est apprendre à se construire et cela suppose un autre regard sur les écrits des élèves ; voir les élèves en train de faire, identifier les malentendus autour de l’activité d’écriture. Pour mieux comprendre, passer par une approche anthropologique de l’écriture parait nécessaire. Quand et pour quels usages apparaît l’écriture ?

- Laisser d’abord une marque, une trace (inscription sur la pierre ou des stèles mais aussi aujourd’hui les tags, les graffitis) or il y a des élèves qui écrivent et qui n’ont pas cette impression de laisser une trace. - L’écriture apparait aussi pour faire du comptage, du dénombrement, du calcul, de l’astronomie… raconter des histoires, raconter le sacré, noter le symbolique, le magique. Pour certains enfants l’expérience de ces écrits ou d’une partie de ces écrits n’est pas faite ou n’ose pas être faite. - L’écriture a également une fonction de mémorisation (les élèves en difficulté n’ont pas conscience de cette notion, ayant peu de passé, la fonction mémoire de l’écrit n’est pas évidente à percevoir par les enfants). Tout cela semble de la théorie mais dans les pratiques ordinaires des élèves

on va retrouver ces éléments constitutifs de l’écrit. Il faut approcher les écrits de l’élève comme on approche les écrits d’une stèle, d’un graffiti. Il a une actualisation dans les écrits d’aujourd’hui de toutes ces fonctions anciennes de l’écrit : tags, journal intime, blogs… il a une charge symbolique, forte, affective, profonde, présente dans tout rapport à l’écrit et une hypothèse est que beaucoup de difficultés des élèves s’expliqueraient par cette charge symbolique inconsciente de l’écrit.

Page 2: Se construire par l'écrit pour penser et apprendre · PDF fileSe construire par l'écrit pour penser et apprendre 3/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc rédaction

Se construire par l'écrit pour penser et apprendre

2/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc

Les approches cliniques Elles s’intéressent à la dimension psychoaffective du rapport à l’écrit, cette

dimension entraine parfois un obstacle à écrire car il n’est pas anodin de noter ses émotions par une trace écrite. L’émotion peut être perceptible à travers l’écrit que l’on construit c’est un phénomène de projection mais il y a également des phénomènes contraire d’introjection où les écrits viennent en nous pour nous apporter des images, des modèles, des éclairages plus ou moins conscients. Écrire à l’école, on voit que ce n’est pas seulement « parler de », « écrire sur », c’est également faire exister, faire advenir, fixer.

A partir de là, on peut donner sens à l’expression « Écrire pour se construire », non sans difficulté, quelque soit le niveau de scolarisation ou d’études, car nous venons de voir que les difficultés peuvent être bien au-delà de la technique et que des apprentissages répétés années après années, demeurent instables. Il y a des postures de conformation qui font que des élèves vont avancer dans leur parcours scolaire parfois même jusqu’à l’université sans trop savoir ce qu’ils font. A l’extrême, il y a des non scripteurs (mutisme, refus d’écrire) comme il y a des non parleurs.

On pourrait également s’interroger sur la marque laissée par le correcteur sur l’écrit de l’élève.

La création des conditions pour que l’apprentissage se fasse est liée à la relation que l’enseignant va établir avec les textes des élèves. Ses regards sur les copies produisent des effets fortement différentiateurs qui conditionnent l’activité d’écriture de l’élève pouvant entrainer des réticences ou des malentendus.

Les approches sociologiques des difficultés scolaires

La question est de savoir ce qui est enseignable une fois que l’on a identifié les problèmes et en quoi cela concerne les enseignants.

Deux formes sociologiques opèrent : une sociologie de la détermination à la « Bourdieu » et une sociologie de la singularité qui montre la manière où l’on échappe aux surdéterminations.

Les sociologues apportent une pensée critique ; chaque individu est singulier mais il y a des invariants très forts (l’habitus), des comportements de l’élève et du maitre, socialement transmis, extrêmement puissants, qui déterminent notre relation au monde : il n’y a pas de naturel (exit, le génome de l’écrivain ou le don).

Des comportements s’immiscent dans le regard de l’enseignant envers certains élèves. Il s’agit donc d’introduire la notion de variation, par exemple :« la langue, l’écriture », ces singuliers sont trompeurs car ils sous-entendent une sorte d’uniformisation qui n’est pas la réalité. La sociologie nous apporte une réflexion sur les positionnements et les déplacements identitaires impliqués dans les pratiques sociales de l’écriture.

Conclusion de ces apports : les usages de l’écrit sont socialement surdéterminés non pas seulement au niveau technique mais surtout au niveau de l’arrière fond, par exemple de l’imaginaire : est-ce que c’est le don ou le travail qui permet de progresser, ou bien des valeurs : en quoi cela peut-il bien servir de savoir écrire, qu’elle est la reconnaissance sociale d’un professeur de lettres ?

Les approches cognitives

Les brouillons « sur-raturés » de grands écrivains montrent que l’écrit est aussi un outil pour manipuler la pensée, les graffitis de travail sur les murs d’un chantier indiquent également ce besoin de noter pour mieux réfléchir. Certains élèves n’ont pas conscience de l’apport de l’écrit comme outil cognitif pour penser, il s’agit donc d’élargir la notion de ce que l’on entend par écrire ; écrire n’est pas que la

Page 3: Se construire par l'écrit pour penser et apprendre · PDF fileSe construire par l'écrit pour penser et apprendre 3/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc rédaction

Se construire par l'écrit pour penser et apprendre

3/3 Se construire par l'écrit pour penser et apprendre.doc

rédaction d’un texte continu ; le graphique, le schéma, l’image tiennent aussi lieu d’écrits. L’écriture est vue ici comme un processus qui sert à faire avancer la pensée, mais on ne peut pas dire que l’écriture est enseignée sous cet angle.

Ce n’est pas la même chose de regarder un texte d’élève comme un processus, ou comme un objet fini. Le premier jet n’est pas un défaut mais un état intermédiaire. Les enfants (et ils ne sont les seuls !) se représentent l’écrit comme quelque chose qui devrait tout de suite être bien.

Savoir retravailler un écrit, savoir repasser par l’erreur, sont des apprentissages qui devraient être faits à l’école. « Graphier », rédiger, corriger, réviser, réécrire doivent être à enseigner. La révision est facilitée par l’ordinateur mais elle se fait avec le risque qu’à la fin, le travail achevé, n’est plus celui de l’élève, il s’est désengagé d’un texte qui n’est plus le sien.

Réécrire, c’est trouver un moyen d’améliorer les textes sans nécessairement passer par des phases de révision. La technique consiste à redonner la même consigne d’écriture quelques semaines après sans redonner le brouillon initial ou bien en faisant varier l’angle de vue ou la consigne, sur le même objet imaginaire. On assiste le plus souvent à une amélioration des textes, alors qu’il n’y a pas eu entre temps de nouvelles interventions pédagogiques.

Un autre exemple de ces écrits intermédiaires qui permettent de progresser, est la copie : citer, retravailler les écrits d’un autre, reformuler, paraphraser, plagier, ne sont pas véritablement considérer comme des travaux d’écriture, pourtant, certains élèves ont besoin de passer par cette approche.

Le texte court, comme une légende, n’est pas forcément identifié comme un écrit important, néanmoins, il est souvent plus difficile qu’un simple texte.

Conclusion : Toutes ces adaptations ne font pas des révolutions

pédagogiques car ces formes d’écritures sont déjà présentes dans les classes seulement, elles ne sont pas toujours identifiées comme des aides importantes pour les élèves en difficultés.