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SE TROUVER de Luigi Pirandello (SICILE, 1932, SOUS L’ITALIE FASCISTE DE MUSSOLINI – PRIX NOBEL DE LITTERATURE EN 1934) traduction Jean-Paul Manganaro mise en scène Stanislas Nordey Cette pièce de Pirandello est bâtie sur un paradoxe. Comment une actrice célèbre pour sa capacité à reproduire sur scène l’expression même de la vie dans toutes ses nuances peut-elle exister en-dehors de son art ? Donata Genzi est cette star du théâtre dont les feux brillent comme des diamants dans le regard de ses admirateurs. Elle est sur un piédestal. D’ailleurs on l’attend fébrilement au pied d’une volée de marches, telle une déesse descendant de l’Olympe ou une actrice au festival de Cannes. C’est Emmanuelle Béart qui joue Donata Genzi dans cette mise en scène de Stanislas Nordey reprise après son succès de la saison passée. Fidèle du TNB, dont il a dirigé l’école pendant 12 ans formant quatre promotions d’acteurs, Stanislas Nordey montre comment l’opposition entre l’art comme absolu et la vie traverse le personnage de Donata Genzi au point de se perdre. La pièce développe ce paradoxe de la comédienne qui veut aussi être une femme comme les autres. Avec au centre la question de la folie quand soudain elle ne sait plus qui elle est. Pour finalement revenir à elle-même et accepter sa situation, c’est-à-dire se trouver. Après avoir monté avec succès Hofmannsthal, Feydeau, Camus, Stanislas Nordey réussit avec cette première incursion dans l’oeuvre de Pirandello un véritable coup de maître qui a comblé les publics du TNB, du Théâtre Liberté de Toulon et du Théâtre National de la Colline à Paris pour une cinquantaine de représentations. Reprise de la pièce à Rennes et en tournée : Saint-Quentin-en-Yvelines, Vannes, Liège et Luxembourg. Emmanuelle Béart vient de recevoir le Prix du Syndicat de la Critique 2012, meilleure comédienne, ainsi que les Beaumarchais du Figaro, meilleure comédienne, décernés par le jury et le public. Jeudi 27 septembre 2012 – durée : 2h30 collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau scénographie Emmanuel Clolus lumières Philippe Berthomé son Michel Zurcher costumes Raoul Fernandez coiffures Jean-Jacques Puchu-Lapeyrade régie générale Antoine Guilloux avec Emmanuelle Béart, Claire ingrid Cottanceau, Michel Demierre, Vincent Dissez, Raoul Fernandez, Marina Keltchewsky, Frédéric Leidgens, Marine de Missolz, Véronique Nordey, Julien Polet, Laurent Sauvage construction décor atelier du Grand T – Nantes sous la direction de François Corbal ateliers costumes atelier Caraco Canezou (Paris), Julien de Caurel (Rennes), Mine Barral Vergez (Paris), atelier du TNB chaussures Pompeï Galvin, Repetto production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes coproductionCompagnie Nordey ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Théâtre de la Place/Liège ; Théâtre National de la Colline/Paris ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène Nationale Critiques http://www.lestroiscoups.com critique écrite par Jean-François PICAUT

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SE TROUVER de Luigi Pirandello (SICILE, 1932, SOUS L’ITALIE FASCISTE DE MUSSOLINI – PRIX NOBEL DE LITTERATURE EN 1934) traduction Jean-Paul Manganaro mise en scène Stanislas Nordey Cette pièce de Pirandello est bâtie sur un paradoxe. Comment une actrice célèbre pour sa capacité à reproduire sur scène l’expression même de la vie dans toutes ses nuances peut-elle exister en-dehors de son art ? Donata Genzi est cette star du théâtre dont les feux brillent comme des diamants dans le regard de ses admirateurs. Elle est sur un piédestal. D’ailleurs on l’attend fébrilement au pied d’une volée de marches, telle une déesse descendant de l’Olympe ou une actrice au festival de Cannes. C’est Emmanuelle Béart qui joue Donata Genzi dans cette mise en scène de Stanislas Nordey reprise après son succès de la saison passée. Fidèle du TNB, dont il a dirigé l’école pendant 12 ans formant quatre promotions d’acteurs, Stanislas Nordey montre comment l’opposition entre l’art comme absolu et la vie traverse le personnage de Donata Genzi au point de se perdre. La pièce développe ce paradoxe de la comédienne qui veut aussi être une femme comme les autres. Avec au centre la question de la folie quand soudain elle ne sait plus qui elle est. Pour finalement revenir à elle-même et accepter sa situation, c’est-à-dire se trouver. Après avoir monté avec succès Hofmannsthal, Feydeau, Camus, Stanislas Nordey réussit avec cette première incursion dans l’oeuvre de Pirandello un véritable coup de maître qui a comblé les publics du TNB, du Théâtre Liberté de Toulon et du Théâtre National de la Colline à Paris pour une cinquantaine de représentations. Reprise de la pièce à Rennes et en tournée : Saint-Quentin-en-Yvelines, Vannes, Liège et Luxembourg. Emmanuelle Béart vient de recevoir le Prix du Syndicat de la Critique 2012, meilleure comédienne, ainsi que les Beaumarchais du Figaro, meilleure comédienne, décernés par le jury et le public. Jeudi 27 septembre 2012 – durée : 2h30 collaboratrice artistique Claire ingrid Cottanceau scénographie Emmanuel Clolus lumières Philippe Berthomé son Michel Zurcher costumes Raoul Fernandez coiffures Jean-Jacques Puchu-Lapeyrade régie générale Antoine Guilloux avec Emmanuelle Béart, Claire ingrid Cottanceau, Michel Demierre, Vincent Dissez, Raoul Fernandez, Marina Keltchewsky, Frédéric Leidgens, Marine de Missolz, Véronique Nordey, Julien Polet, Laurent Sauvage construction décor atelier du Grand T – Nantes sous la direction de François Corbal ateliers costumes atelier Caraco Canezou (Paris), Julien de Caurel (Rennes), Mine Barral Vergez (Paris), atelier du TNB chaussures Pompeï Galvin, Repetto production déléguée Théâtre National de Bretagne/Rennes coproductionCompagnie Nordey ; Les Théâtres de la Ville de Luxembourg ; Théâtre de la Place/Liège ; Théâtre National de la Colline/Paris ; Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines/Scène Nationale

Critiques

http://www.lestroiscoups.com critique écrite par Jean-François PICAUT

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France INFO CULTURE – 17 mars 2012 :

http://www.franceinfo.fr/culture-medias/france-info-culture/se-trouver-de-luigi-pirandello-559303-2012-03-17

Nous sommes sur la Riviera dans une très belle demeure de style art déco. Les invités d’Elisa Arcuri attendent avec fébrilité de rencontrer la grande comédienne de théâtre Donata Genzi. Ils ont tous des préjugés sur le métier d’actrice.

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Ce sont d’abord ces préjugés que Pirandello met à mal : cette femme vit son art comme un sacerdoce. Sa vocation est presque religieuse. Elle n’a jamais eu d’amants, elle n’a jamais vécu que par et pour son art.

Elle est à l’image de Pirandello : l’écrivain sicilien a été marié très tôt à une femme qu’il n’aimait pas et qui va sombrer dans la folie. Il aura trois enfants avec elle et ne la quittera pas.

Et lorsque son biographe lui demande de raconter sa vie voici ce qu’il lui répond : "J'ai oublié de vivre, oublié au point de ne pouvoir rien dire (…) sur ma vie, si ce n'est peut-être que je ne la vis pas, mais que je l'écris. ( …) Si vous voulez savoir quelque chose de moi, je pourrais vous répondre : Attendez un peu, que je pose la question à mes personnages." Le personnage de Donata a oublié de vivre, sa vie se confond avec les rôles qu’elle a créé au théâtre.

Emmanuelle Béart irradie la scène, le rôle semble avoir été écrit pour elle.

Elle a puisé dans son vécu de comédienne pour interpréter ce personnage.

C’est aussi une pièce sur la solitude, l’incommunicabilité entre les êtres.

Marcel Proust disait : nous sommes tous des monades, des points de vue sur le monde mais pour que deux êtres parviennent à se comprendre, à se parler. Donata Grazi a oublié de vivre sa vie de femme et lorsqu’elle rencontre Ely Nielsen peintre et marin suédois, elle s’abandonne totalement à cet amour. C’est un être inadapté qui refuse de vivre en société et ne rêve que de partir en mer. Comme elle c’est un marginal, inadapté à la vie. Il peut faire penser à James Dean dans la fureur de vivre. Et pourtant, cet homme qu’elle a choisi ne la comprend pas. Elle est cérébrale, il est physique. Ils ne parlent pas la même langue. Il va lui demander de renoncer au théâtre. Il lui demande l’impossible.

Emmanuelle Béart nous explique comment la mise en scène parvient à montrer cette dimension de la pièce.

Ecrite en 1932 par un dramaturge sicilien issu d’une famille catholique conservatrice, la pièce aborde pourtant de manière très crue la question de la sexualité féminine.

C’est étonnant la liberté avec laquelle Pirandello s’attarde sur les déconvenues de son héroïne : Donata confie à son amant qu’elle n’a pas éprouvé du plaisir. Elle dira à son amie Elisa : "Il a fait trop attention à lui". Mais surtout, entre l’homme qui l’aime et qui lui demande de tout abandonner pour lui et le théâtre, elle choisira le théâtre. Emmanuelle Béart nous rappelle que la pièce est écrite sous l’Italie fasciste de Mussolini et pointe la modernité et l’avant-gardisme de Pirandello pour son époque.

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Le blog de Martine Silber : marsupilamima.blogspot.fr (Photos Elisabeth Carecchio)

Voilà du Stanislas Nordey 100% pur jus. Certains acteurs et même actrices vont jusqu'à adopter les tics de Nordey, attitudes fébriles, jeux de bras à peine pliés au coude, main refermée , pouce et index joints. Assez curieux, tous ces Nordey sur scène, en même temps. Autrement dit, pour ceux qui connaissent le comédien et metteur en scène, les uns vont adorer, les autres détester. Et pour ceux qui ne connaissent pas, aller voir le spectacle est un excellent moyen de se faire une opinion. En une phrase, c'est beau, parfois ennuyeux, et Emmanuelle Béart est épatante, Vincent Dissez aussi. Ce qui ne veut pas dire que le reste de la troupe n'est pas à la hauteur, mais tout simplement, on les oublie un peu. Ils s'effacent. Les gens savants et ceux qui ont lu le dossier de presse expliquent que l'origine de la pièce vient de la relation entre la comédienne Marta Alba et Pirandello:

La vie de Marta Abba est indissociable de celle du grand dramaturge et metteur en scène de théâtre sicilien, Luigi Pirandello dans la fin de vie duquel elle tint une grande place. De sa rencontre avec lui en 1923, jusqu’à la mort du “maître” en 1936, elle recevra 560 lettres à propos desquelles les historiens discutent encore de savoir s’il y eut ou non une grande histoire d’amour entre eux. On discute également de savoir si la grandeur de la star fut induite par le génie du “Maître” où si, à l’inverse, Pirandello fut illuminé par la Muse enchanteresse, lorsqu’il écrivit des textes pour elle. Au début de la pièce, place à l'esthétique: costumes en teintes douces, décors soignés, raffinés, composition précise et parfaite des déplacements des comédiens: face au public à l'antique, alignés comme des pions sur un échiquier, profils dirigés dans la même direction. Tous prêts pour une succession de plans plus photographiques que cinématographiques. On s'engourdit un peu. Du moins, moi.

Ce début permet de situer de façon assez classique et simple les personnages du drame qui va suivre. Quelques amis friqués attendent l'arrivée de Donata Genzy ( Emmanuelle Béart) , une comédienne célèbre, amie de la maîtresse de maison, qui vient chercher un refuge pour se reposer. On la dirait aujourd'hui en plein "burn out". Les invités attendent son arrivée avec impatience passant en revue tous les ragots qu'elle a pu susciter avant de pouvoir la rencontrer à leur tour.

Seule, une jeune fille, fantasque adolescente, Nina, s'inquiète. Elle sent, elle sait qu'il ne faut pas que Donata rencontre, Ely Nielsen (Vincent Dissez), l'artiste peintre, rebelle, exalté, qui ne rêve que de partir en mer. Et commencent à se poser les questions de fonds qui vont traverser la pièce, qui est la femme, qui est la comédienne, comment la même personne peut être les deux, qu'est-ce qui prime, qu'est-ce que le jeu, qu'est-ce que la création??? On s'engourdit un peu plus.

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Mais la rencontre et l'histoire d'amour qui va s'établir entre Donata et Ely est en rupture avec tout ce qui a précédé, décor et costumes simplissimes, jeu plus rapide, plus naturel des comédiens. On se réveille et on restera éveillé jusqu'à la fin. Bien sûr, Donata ne peut pas se libérer de ses contraintes, de ses engagements, de ses contrats....ni de son métier. Et la fin portée par Emmanuelle Béart transfigurée est magnifique.

http://www.laparafe.fr par F pour Inferno

Un cocktail savoureux est annoncé par l’apposition de trois noms : Stanislas Nordey met en scène Se trouver de Luigi Pirandello et fait appel à Emmanuelle Béart pour le premier rôle. Ce parfait mélange sur le papier suscite une déception à la hauteur de nos attentes – très élevées, il faut le dire. Pour l’expliquer on hésite entre la scénographie, la direction des comédiens et le texte lui-même.

Perdus dans un décor à taille inhumaine, une dizaine

de personnages sont réunis chez Elisa Arcuri dans

l’espoir de passer la soirée avec la Genzi, célèbre

comédienne que chacun s’imagine selon ses

fantasmes. Alors que Nina pressent le choc de la rencontre entre la fameuse Donata et Ely, l’excentrique navigateur et

artiste, tous discutent et débattent sur des questions de théâtre, concernant l’incarnation du personnage et la sincérité des

émotions.

Ils sont interrompus par l’arrivée de Donata Genzi, qui descend avec majesté les marches qui surplombent la scène. Dès lors,

dans cet espace géométrique créé par Emmanuel Clolus, ils sont obligés d’évoluer selon une chorégraphie pour répondre à la

symétrie du lieu. Ils se placent donc les uns par rapport aux autres grâce aux lignes qui sont tracées au sol, comme des notes

de musique sur une partition.

Le corps est également contraint par un face-public constant, souligné par une prononciation précise qui refuse les apocopes,

et une gestuelle dans laquelle on perçoit la pâte de Nordey. Les émotions puissantes exprimées par la comédienne en mal de

vivre entre ses rôles et la « réalité » sont glacées par la démesure du décor. Obligés de courir pour joindre les deux côtés du

plateau, les comédiens sont réduits à des miniatures.

Pour passer du premier au deuxième acte, de « Se donner » à « Se perdre », les régisseurs déplacent ces monstres de blocs

en musique. Cette grande machinerie, qui n’est pas sans rappeler Hollywood, crée un nouvel espace, tout aussi

disproportionné. Ely et Donata ont fui la soirée d’Elisa et ont pris la mer, malgré la tempête. Rescapés de la mort, on les

retrouve vingt jours plus tard dans l’atelier d’Ely, qui cherche à convaincre la comédienne de tout quitter pour lui.

N’aimant pas le théâtre qu’il oppose à la vie et ignorant sa renommée et ses talents, il offre un regard neuf qui séduit Donata.

Pourtant, ses hésitations la torturent et cet amour met du temps à l’emporter sur ses engagements. Alors qu’Ely va chercher

son oncle pour lui annoncer leur mariage, Donata se retrouve avec Elisa face à de multiples miroirs descendus des cintres.

Cette dernière la persuade de se montrer dans son rôle de comédienne à Ely pour plus d’honnêteté.

Une fois encore, dans cet immense atelier, la densité des personnages et de leurs échanges se dilue. Les rares meubles

présents ne les fait pas plus interagir avec cet espace qui les noie, et les corps restent irrémédiablement isolés. Même dans

les scènes les plus tendre, d’amour ou de consolation, les corps s’échappent, échouent à s’empoigner pour ne faire qu’un.

Heureusement, Emmanuelle Béart lâche l’air taciturne qu’elle s’impose depuis le début pour jouer avec plus de vigueur et

donner un peu d’humanité à toute cette froideur.

Pour le troisième tableau, « Se trouver », le plateau est moins profond, mais la hauteur des tentures de la chambre d’hôtel

qu’il figure ne l’en réduit pas moins. Donata a joué face à Ely qui n’a pas supporté et est parti au deuxième acte, avant de

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s’enfuir sans attendre son retour. Malgré sa peine, Donata déclame solennellement s’être trouvée dans le théâtre, dans le

geste de création.

Cette pièce, étonnamment introspective, n’est pas caractérisée par sa grande théâtralité : elle est davantage faite de paroles

que de gestes ou d’actions. Plutôt que de compenser, Nordey pousse cette dimension à son comble en restreignant les corps

des comédiens. Ces corps que l’on vient voir pour la vie qu’ils dégagent sont encore plus froids et inaccessibles que s’ils se

trouvaient sur un écran.

Alors que le cinéma comble avec

des gros plans, cette scénographie

a au contraire pour effet de les

réduire encore. Notre crainte était de

voir Emmanuelle Béart se

démarquer trop franchement avec le

reste de la distribution, chargée de

ses rôles cinématographique ; notre

déception relève finalement de cette

distance que le théâtre n’a pas

abolie, mais qu’il a au contraire

agrandie.

Présentation par la colline, Théâtre National, http://colline.fr

Se trouver « Il faut s’évader ! Se transfigurer ! Devenir autre ! » Se trouver (1932) est un extraordinaire portrait de femme et d’actrice. Donata Genzi, dispersée en de multiples personnages, n’arrive plus à être elle, ni même à être ; pour se trouver, elle tente une aventure sentimentale et fuit le théâtre, mais son métier d’actrice pèse sur l’être de femme qu’elle cherche : chaque geste, chaque inflexion de voix lui viennent d’une pièce qu’elle a déjà jouée ; elle ne se réalise pas plus dans la vie que dans son métier. Elle décide alors de tenter une dernière expérience cruciale: retourner sur scène en prenant le risque de fragiliser sa relation amoureuse et de se perdre définitivement. Dans l’œuvre de Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, Ce soir on improvise et Les Géants de la montagne ont parfois éclipsé Se trouver, qui débat aussi du théâtre mais sur un plan plus intime. Entre désir d’être dans la vie et passion de la créer, où se situe la vérité ? Stanislas Nordey, grand lecteur de textes contemporains, aime aussi retourner vers les classiques pour en débusquer la modernité, grâce à son travail radical sur le jeu. Après Les Justes de Camus, il s’attaque pour la première fois à Pirandello et retrouve au centre de l’œuvre un personnage de femme complexe et combattant comme il les affectionne.

http://blog.lefigaro.fr critique de Armelle Héliot 3 février 2012

Emmanuelle Béart, l'accomplissement de "Se trouver" Sous la direction de Stanislas Nordey, elle joue Donata Genzi, inspirée à Luigi Pirandello par la grande comédienne, son amour et sa muse, Marta Abba mais aussi par les questions que lui-même se posait sur son destin d'écrire...La production du Théâtre National de Bretagne est superbe et la distribution excellente.

Il n'y a pas une manière de parler de ce spectacle saisissant. Il y a mille et une manières et aucune ne sera, sinon convaincante, en tout cas satisfaisante.

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Ecrire sur l'oeuvre de Luigi Pirandello est un exercice impossible. Tout ce que l'on avance est ...d'avance, gommé par l'écrivain lui-même, par la matière même de son oeuvre. Et sans doute que ce phénomène est décuplé dans Se trouver.

Le titre le dit assez, il est ici question d'égarement...

Notons d'emblée que cette pièce, écrite pour Marta Abba est ici ravivée par la traduction nouvelle de Jean-Paul Manganaro. Et l'on entend désormais des choses que l'on ne saisissait pas aussi clairement en tout cas dans la traduction à laquelle on se reporte naturellement -elle est très bonne- de Michel Arnaud dans la Pléiade. Il y a dans cette pièce une manière brutale de saisir la réalité de l'amour et du sexe,une manière frontale qui est très étonnante. L'une des scènes entre Elisa Arcuri (Claire-ingrid Cottanceau qui est également la collaboratrice artistique de Stanislas Nordey sur ce spectacle) et Donata Genzi (Emmanuelle Béart) est à cet égard hallucinante...

Notons ensuite -et on reviendra avec plus de rigueur et de précision sur ce spectacle passionnant dans les semaines qui viennent- qu'il y a dans la pièce, étonnamment, des échos très archaïques (la Sicile de Pirandello est archaïque et d'essence grecque). Stanislas Nordey les fait affleurer d'une manière fascinante car sa façon à lui, c'est l'alignement, l'adresse au public (vraie-fausse adresse) et soudain le personnage de la jeune Nina (Marina Keltchewsky) qui lorsque commence la pièce "voit" un danger peser sur le destin d'Ely Nielsen (Vincent Dissez) . Une jeune Cassandre, une Pythie aussi, mais par-delà, Nina (et La Mouette !!!) est une Iphigénie, une Ophélie qui va sombrer dans la folie tandis que Donata et Ely manquent sombrer dans les eaux...

Lui, Ely, il est du Nord. De Scandinavie...Et l'on songe aux noyades d'Ibsen, aux revenants de Strindberg...Son père est mort en mer, sa mère est morte en lui donnant le jour...Etrange personnage impatient d'en découdre...

Mais, encore plus curieusement, il y a quelque chose de Claudel dans cette pièce et pas seulement parce que l'on songe aux interrogations de Lechy...

Bref, le premier travail remarquable de Stanislas Nordey, en s'enfonçant dans Pirandello qu'il aborde pour la première fois, c'est de montrer -sans démonstration- le feuilletage infini de cette écriture, de cette histoire complexe et vertigineuse.

Cela raconte quoi, Se trouver ? Cela raconte une femme, comédienne d'exception, belle, ultra douée, célèbre. Une femme seule. Une femme qui peut reprendre ce que disait Pirandello lui-même : "La vie, ou on vit ou on écrit"...C'est d'une autre manière la réponse au "Pourquoi écrivez-vous ?"adressé à Beckett et qui réplique : "Bon qu'à ça"...

Fatalité d'écrire pour Pirandello, fatalité de jouer et d'être une autre toujours pour Marta...et pour Emmanuelle Béart.

Il faut, pour que l'argument "prenne", pour le public -et celui de Rennes, si bien habitué à de grandes choses, de belles choses et qui est d'une attention totale 2h30 durant- une comédienne connue. Dont on puisse se dire immédiatement : et bien oui...quelle chaîne lourde que la notoriété, le jeu, le théâtre...

Emmanuelle Béart est une enfant de troupe. Elle tient la pièce mais elle ne vole jamais la vedette à ses partenaires. Elle est vraie. Sa partition est d'une complexité infinie car tout ce qu'avance Donata, tout ce que lui fait dire Pirandello, s'efface d'une moirure aussitôt. Elle reprend sans cesse ses raisonnements, ses arguments...On est comme dans ce cauchemar que décrit Blaise Pascal : on croit saisir, et tout se dérobe...

Dans un décor monumental qui évoque les années trente (splendeur et Mussolini...) imaginé par Emmanuel Clolus et que transfigurent les lumières de Philippe Berthomé, Raoul Fernandez inscrit ses costumes somptueux. Il ose des verts de vitalité, de vivacité, de sauvagerie de la nature. L'élégance d'un petit monde fortuné se déploie devant nous. La distribution est excellente : la marquise Boveno, grand-mère de Nina, est interprétée avec finesse par Véronique Nordey. Elle a l'autorité et cette fermeté très juste du personnage. le comte Gianfranco Mola est dessiné avec ce qu'il faut de sourd chagrin par Frédéric Leidgens. Il est le tuteur d'Ely.

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Salo, personnage important est joué à Rennes par Julien Polet -et que Stanislas Nordey devrait reprendre. C'est lui Salo qui dit d'entrée : "une comédienne n'est plus définissable "comme femme"". Et de préciser sa pensée : elle est "plusieurs femmes" comme comédienne. "Et pour elle, peut-être, aucune".

Il est arrivé avec Volpes,(Raoul Fernandez) qui connaît Donata et en parle, avant qu'elle n'apparaisse comme d'une "femme difficile", "Mécontente. Inquiète".

Le Docteur Giviero -lui aussi très riche, il n'exerce pas...mais fait beaucoup d'analyses psychologiques- est joué avec finesse par Michel Demierre. ...Son amie d'enfance, Elisa (Claire-ingrid Cottanceau), surgit pour corriger les avis : "C'est la créature la plus attachante et simple de ce monde".Tout ce petit monde, en une scène d'exposition, parle d'elle tandis qu'elle est là haut et va surgir, somptueuse, en haut de l'escalier monumental...Elle n'ira pas dîner. Elle rencontrera Ely...Homme aux semelles de vent, sans attaches, jeune et mélancolique, comme elle...Vincent Dissez est remarquable dans la nervosité, l'abîme intérieur, l'insatisfaction, la fascination pour la mort...

D'un baiser hâtif il a fait taire Nina et l'a conduite à la déraison. Lui aussi, personnage ambivalent, positif et négatif...Comme presque tous les personnages ambigüs, ambivalents de Pirandello. Et lorsqu'ils s'interrogent, comme s'interroge désespérément Donata, ils s'empoissonnent...

Ajoutons une femme de chambre (Marine de Missolz), et Enrico le valet de chambre d'Elisa (Olivier Dupuy).

Qu'est ce qui fait que ces 2h30 qui sont tout de même toujours dans le raisonnement, peu dans les actions, passent très vite et que l'on ne décroche pas ? Il y a du "suspens", il y a de la passion, il y a un terrible accident, il y a une artiste qui doit suspendre son activité près de trois semaines durant après ce terrible accident. Ils ont failli être engloutis par la mer, Ely et Donata. Il y a cette dramaturgie pirandellienne qui est celle d'un roman noir. Une épaisseur romanesque et uneangoisse qui monte, étreint chacun. Il y a cette folie de Donata qui ne veut plus voir son visage dans un miroir comme si seul le regard du public pouvait lui donner une consistance...

La thématique du regard, des yeux ouverts, de ceux qui ne veulent rien voir, plus voir, des va et vient du regard, tout cela est développé d'une manière très complexe dans Se trouver.

On en dira plus dans les jours qui viennent...

COMMENTAIRES de lecteurs de la critique du Figaro :

Escrivant : D'abord, la salle : comble. Est-ce Télérama qui l'a remplie ou le murmure de la rumeur ? En tout cas cette salle est là, ramassée, serrée dans une écoute attentive, curieuse et émue. On n'entend pas un souffle. Alors que le public parisien est de nature remuante. Comment faut-il écrire que j'ai aimé ce spectacle, après avoir lu qu'on le critiquait dans ses moindres détails ? Ce qui rompt avec l'habitude ? Là, au Théâtre de la Colline, je pouvais être à la Comédie Française : l'élocution, le rythme, la dimension tragique. La gestuelle des acteurs et leurs pas dansés. Ce spectacle m'a permis de réfléchir, d'écouter, de me laisser porter. Demain, les jours après j'y penserai encore. Et Emmanuelle, là, a fait du beau. Je ne doutais pas qu'elle puisse le faire. Merci de ce beau moment de vie.

viviane perduti : non, cette pièce est nulle tout simplement et arriver a écrire ce que vous écrivez sur un spectacle aussi désolant me laisse pantois. pirandello c'est avant tout une humanité. absente de par la mise en scène froide , maniéré et monoexpressive. un texte que l'on n'entend à peine. 2H45 d'un spectacle qui une fois posée, vous laisse une impression de gâchis , mais ce n'est qu'une émotion, la mienne de surcroit spectatrice et amante du theatre

Christian Pouillon : Chère Armelle Héliot, vous avez raison dans les moindres détails. C'est vraiment un très beau spectacle. J'ai seulement trouvé la scénographie un peu lourde (mais il faut bien faire quelque chose des portants du premier décor), et la mise en place du second acte un peu longue. En revanche, les modifications de tableaux de ce second acte sont ingénieuses et réussies dans leur ouverture. Et enfin, tout cela est appuyé et corrigé par les lumières, comme vous le dites. Quant aux comédiens, Emmanuelle Béart est une grande Donata, et Leidgens toujours juste. J'ai été frappé par

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un certain mimétisme entre le travail de Vincent Dissez et l'articulation / la gestuelles ordinaires de Stanislas Nordey (qui a failli prendre le rôle d'Ely, vous le savez, mais c'était trop de diriger et de jouer).

Andrée : Beau spectacle avec des acteurs excellents et des costumes d'un grand raffinement. On est dans la profondeur et la puissance d'un grand groupe des créateurs. Bravo mr. Nordey et encore merci pour ce formidable ensemble.

http://publikart.net par Amaury JACQUET

Présentation vidéo France TV : http://www.francetv.fr/culturebox/emmanuelle-beart-intense-dans-se-trouver-de-

pirandello-81046

Emmanuelle Béart intense dans "Se trouver" de Pirandello Par Odile MORAIN pour France TV

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La dernière création de Stanislas Nordey et du TNB de Rennes plonge à nouveau Emmanuelle Béart au cœur du drame. Dans "Se trouver", de Luigi Pirandello, elle incarne Donata Genzi, une comédienne qui se perd dans ses incertitudes de femme à la ville comme à la scène. Un territoire où tout se disperse, où tout se dérobe, où l'être s'échappe, s'abandonnant au dénuement total. Un répertoire émotionnel qui sied parfaitement à Emmanuelle Béart.

La mise en scène épurée de Nordey, la rectitude du jeu des comédiens, la participation du public impliquent directement celui-ci au cœur de l’intensité du drame.

Dans « le Magazine Littéraire » du 29 février 2012

Pirandello, fin des pirouettes Stanislas Nordey monte avec Emmanuelle Béart la dernière pièce de l’auteur italien, plus tourmenté et moins enclin aux jeux formels.

Portrait d’une femme vouée à son art, histoire d’une relation impossible, réflexion sur le théâtre... Dans Se trouver, Pirandello dépassait les bornes du pirandellisme. Stanislas Nordey met en scène, avec Emmanuelle Béart, cette pièce aux échos testamentaires. Trovarsi, en italien, Se trouver, en français : une finalité posée comme une question, un brin psychologique, un rien métaphysique. Lorsqu’il écrit cette pièce en 1932, à 65 ans, pour la comédienne Marta Abba, Pirandello est largement reconnu en Italie, en Europe, aux Amériques. À Hollywood, la même année, la Metro Goldwin Mayer adapte Comme tu me veux, avec Greta Garbo et Erich von Stroheim. Pirandello va recevoir le prix Nobel de littérature en 1934. Il lui reste quatre ans à vivre.

Portrait de femme

Six personnages en quête d’auteur, Ce soir on improvise : ces grandes pièces qui ont bouleversé le théâtre de l’entre-deux-guerres, tout en donnant lieu au pirandellisme, sont déjà loin Certes, Se trouver est encore une pièce de théâtre qui parle de théâtre, mais de manière peut-être moins algébrique. Le personnage principal est une comédienne célèbre, Donata Genzi, amoureuse d’un homme plus jeune qu’elle. « Je ne peux pas souffrir le théâtre », lui dit celui-ci : ni son lieu, ni sa tristesse, ni l’effort dans lequel se tiennent les spectateurs pour rester attentifs à une chose qui n’est pas vraie. Que peut-elle lui répondre, elle qui, à force de dispersion en de multiples personnages, n’arrive plus à se reconnaître, à se trouver, à se retrouver ? Peut-elle quitter le théâtre sans être rattrapée par tous les rôles qu’elle a créés ? Va-t-elle y revenir, quitte à perdre l’être aimé et à se ruiner elle-même ? Cette perspective passionnelle est l’une des raisons pour lesquelles Stanislas Nordey, qui n’a jamais monté Pirandello, a choisi Se trouver . Le metteur en scène a lu la pièce lorsqu’il a remarqué que Claude Régy l’avait créée en France, trente-deux ans après sa création napolitaine au Théâtre Antoine, en 1966, avec Delphine Seyrig, Sami Frey, Jean Rochefort, Jean-Pierre

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Marielle, Claude Piéplu, Mary Marquet.... Ce qui l’a touché, c’est la dimension autobiographique du texte, qui déplace le vertige propre à la manière dont Pirandello parle habituellement du théâtre. Pour Stanislas Nordey, Pirandello n’a pas seulement écrit pour Marta Abba ou sur elle : il a écrit Marta Abba, un peu à la manière dont Godard a pu filmer Anna Karina.

Nordey voit dans cette pièce un portrait de femme complexe et contrasté. Histoire d’une émancipation : la reconnaissance, pour la femme, d’un droit à penser, alors que l’homme la renvoie sans cesse à son corps. Histoire d’une incompréhension : une mésentente profonde et partagée sur la manière de donner du plaisir à l’autre. Histoire d’une damnation : en ce sens, une pièce testamentaire, dont l’écho retentit dans la correspondance entre Pirandello et Marta Abba, chant joyeux et désespéré pour la force de l’art, évocation de la suspension de l’artiste entre ciel et terre, réflexion sur le prix à payer pour demeurer au plus haut de l’acte artistique.

« Langue de guerre »

La question du choix entre vivre et écrire est posée ici de manière brûlante : est-il possible de ne pas sacrifier ce qui environne une exigence artistique forte ? Toute la pièce, Pirandello sait rester à la hauteur de cette abstraction sensible. Ce théâtre de l’âme est un théâtre de la chair, ce théâtre du corps est un théâtre de la pensée. Toute action possible se fond dans un travail introspectif qui devient l’action elle-même. Emmanuelle Béart parle de cette pièce comme d’un accouchement de soi-même. Le dernier acte est celui de la délivrance. En travaillant il y a deux ans avec Emmanuelle Béart et Vincent Dissez sur Les Justes de Camus, Stanislas Nordey a senti qu’il pourrait monter Pirandello avec eux. Parce qu’il a senti qu’il avait affaire à un couple de théâtre, comme il s’en rencontre, et aussi s’en perd, parfois. Parce qu’Emmanuelle Béart est une actrice reconnue, comme Donata Genzi, et que pour elle tous les thèmes de la pièce se sont révélés passionnants, ce qui crée une profondeur supplémentaire pour le public. Non que le personnage ait dans les détails quoi que ce soit à voir avec la comédienne, mais précisément parce que cette divergence crée une série de résonances qui lui permettent de construire son personnage.

Il y a dans cette pièce, dit Stanislas Nordey, quelque chose qui saigne. Il fallait le faire entendre, et retraduire une pièce que les traductions anciennes avaient coupée, simplifiée, édulcorée. Jean-Paul Manganaro s’en est chargé, et il la fait encore mieux parler d’amour. Et pourtant, pour lui, la langue de Pirandello est « une langue de guerre ».

http://www.webthea.com critique écrite par Gilles COSTAZ

Une comédienne, Donata, s’égare dans les différents personnages qu’elle joue. Elle ne sait plus qui elle est, ne parvient ni à être une autre, ni à être dans la vie. Un amour se présente. Elle renonce à tout, et part rejoindre cet homme. Mais sa nature d’actrice la pousse à faire le chemin inverse, à quitter cet homme et à tenter de

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« se trouver » enfin dans un nouveau rôle. Ceux qui l’entourent auront, face à ce retour à la scène, chacun leur vérité, pour reprendre le titre d’une autre pièce. Elle est étourdissante pour les uns, catastrophique pour les autres. Mais elle, enfin, se trouvera.

Sans la nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, la pièce dePirandello serait encore plus théorique qu’elle ne paraît. Les mots sont brûlants et sensibles, bien que la structure et le défilé d’arguments continuent de paraître prémédités, lourds et appuyés. C’est à prendre comme un moment de notre histoire du théâtre : Pirandello réinvente la conscience du personnage de théâtre, mais il l’explique trop. Face à cela, Stanislas Nordey met en pratique un style qui ne change guère depuis pas mal d’années : un dynamisme certain, mais un jeu assez systématique qui impose aux acteurs de regarder le public, de faire face à la salle, sans se tourner vers les partenaires. Cela corsète l’interprétation mais n’empêche pas Emmanuelle Béart, Vincent Dissez et Frédéric Leigdens d’imposer une présence forte et romanesque. La scénographie d’Emmanuel Clolus a de plus en plus d’allure, à mesure qu’elle se transforme. C’est un beau spectacle, un peu pesant, un peu bridé, et pourtant chatoyant dans la mémoire du spectateur qui ne l’oublie pas aisément.

http://unfauteuilpourlorchestre.com Critique de Djalila Dechache

« Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard. A y regarder de près, il y a souvent une intention d’amour sur la raison de l’existence d’un texte. Avec ce texte si peu monté, « Se trouver » (1932) n’échappe pas à cette règle érigée en manifeste de l’art du comédien. Cette thématique évolue sur plusieurs textes de Luigi Pirandello, de « Six personnages en quête d’auteur » (1921) aux « Géants de la montagne » (1936).C’est pour sa muse et comédienne Marta Abba qu’il écrivit ce splendide texte au titre si évocateur et au vertige puissant portant « sur le désir d’être dans la vie et passion de la créer ». Une diva de la scène Donata Genzi (Emmanuelle Béart), « au summum de sa gloire »qui a tout joué, toutes les émotions et tous les drames, les passions et les larmes, qui a vécu toutes sortes d’amour sur scène. Alors qu’elle s’éprend de l’artiste Ely (Vincent Dissez) tout en énergie vorace, qui voue une haine pour le théâtre, elle doit choisir : se donner, et même s’adonner à l’homme, ou poursuivre sa trajectoire qui ne lui suffit plus, toute de passions au théâtre. La vie devient alors fade si peu exaltante avec cet homme égoïste, car « il fait trop attention à lui », elle lâche l’un pour l’autre C’est qu’il faut pouvoir tout aimer, pouvoir tout faire ! Comment ?

Une scénographie monumentale, inspirée de l’architecture constructiviste des années 30, de clinquantes toilettes de la diva entourée de sa cour en émoi telle une châtelaine, une musique écrasante, un texte parfois daté sur des points de détail, donnent une tonalité lourde et pesante, demandent une attention irrégulière, qui connaît des hauts et des bas. Dans le second acte, on peut se demander pourquoi, Donata Genzi semble enlaidie et souvent vue de dos, affublée de sous-vêtements qui la gainent et la mettent à nu de manière si crue ? Parce qu’elle ne se voit plus dans un miroir et qu’elle s’enferme avec son amant, loin du regard du monde ? Et lorsqu’elle se présente « richement » habillée, elle se prend les pieds dans sa robe, semble décoiffée tout au long de la pièce. Emmanuelle Béart a affirmé dans la presse qu’elle a vu de véritables points communs avec Donata Genzi Donata : « Je connais trop mon visage ; je l’ai toujours façonné, trop façonné. A présent, ça suffit ! A présent, je le veux « mien« , tel qu’il est, sans que je le voie. » Et encore, dans la description troublante de ressemblance qu’en a faite l’auteur lui-même, cité par Léonardo Sciascia : « Elle est très jeune et d’une beauté merveilleuse. Cheveux fauves, bouclés. Yeux verts, longs, grands et brillants, qui parfois, dans la passion, se troublent comme l’eau d’un lac ; parfois, dans la sérénité, s’arrêtent en regardant, limpides et doux comme une aube lunaire ; parfois, dans la tristesse, ont la dolente opacité de la turquoise. La bouche a souvent une expression douloureuse, comme si la vie lui donnait une amertume dédaigneuse ; mais si elle rit, elle a aussitôt une grâce lumineuse qui semble éclairer et aviver toutes choses. ». «Se trouver » est une magnifique pièce qui joue sur les méandres du métier de la scène et de la vie ; en 2h20mn, L. Pirandello nous conduit dans des endroits rarement investis au théâtre et a fortiori par un rôle féminin. En trois actes, savamment étudiés et tracés par amour d’un Pirandello poétiquement méticuleux, trois temps que l’on soit sur scène et dans la vie, toute l’essence de la scène, l’essence de la vie est là, prête à prendre corps. Pour se trouver, il faut se donner et se perdre. Ce n’est qu’à partir de là que l’on devient. Que l’on devient autre. « Se trouver », un verbe que l’on ne conjuguera plus par hasard. Stanislas Nordey a réussi une belle prouesse par l’atmosphère qui règne sur le plateau : elle nous emporte loin, dans un lieu presque irréel où l’on se rend, consentant et prêt, pour ETRE enfin et se réaliser loin du vernis des conventions imposé et si lourd à porter.

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Luigi Pirandello (1867-1936) a reçu en 1934 le prix Nobel de littérature « pour son renouvellement hardi et ingénieux de l’art du drame et de la scène ».Et l’on comprend aisément pourquoi.

Magazine « Rue89 » critique de JP Thibaudat le 10 mars 2012

Nordey retrouve Emmanuelle Béart et Vincent Dissez dans « Se trouver » de Pirandello

Ils n’ont cessé de parler d’elle, de Donata, celle qui s’est donnée – comme son nom l’indique – au théâtre et à lui seul « parce qu’une comédienne n’est plus définissable comme “femme”, parce qu’elle est une femme actrice qui “vit” sur scène et non qui “joue” dans la vie » comme dit Salo l’un de ses amis et admirateurs.

Quand la star descend l’escalier

Ils ont chauffé la salle et la voici qui descend l’escalier là-bas, au fond du plateau. Et tous, spectateurs et acteurs-personnages, nous la regardons. Mais qui descend l’escalier ?

Une actrice, soit, mais plus encore une star de cinéma (que nous avons vu aussi, parfois, au théâtre) : Emmanuelle Béart. Elle n’est pas le monstre sacré du théâtre, la diva des planches à laquelle pense Luigi Pirandello en écrivant cette pièce au titre sublime : « Se trouver ». Elle est la grande actrice

du septième art qui descend l’escalier du théâtre. C’est là la féconde ambiguïté que met en scène Stanislas Nordey, celui qui, certains soirs, joue le rôle de Salo.

« Elle est pâle, son visage est altéré par un pli douloureux sur son étrange bouche tragique. Dans ses grands yeux, aux très longs cils, elle a quelque chose de fragile et d’égaré. »

Le visage et son double

Pirandello décrit ainsi l’apparition de Donata. C’est vertigineux. Car c’est exactement le visage d’Emmanuelle Béart qu’il décrit. Elle qui, naguère s’est fait refaire sa bouche et qui reconnaît que « c’est loupé » (bel entretien avec Brigitte Salino, des répliques de la pièce en guise de questions). Elle est elle-même l’écho à ce que Donata proclame dans la pièce :

« Je connais trop mon visage : je l’ai toujours façonné, trop façonné. A présent, ça suffit ! A présent, je le veux “mien”, tel qu’il est, sans que je le voie. »

Pendant tout un acte de la pièce, elle ne le verra pas ce visage puisque à ce moment où de sa vie elle se tient en retrait du monde, en compagnie de l’homme qui vient de la foudroyer, son premier homme, dans un refuge où elle a fait supprimer tous les miroirs.

Elle n’a plus la robe du soir de parade qu’elle portait en descendant l’escalier, elle est revêtue d’une atroce chose mi-guêpière, mi-mini nuisette, qui ne cache pas ses formes. Elle est là face à un homme

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entier qui la veut entière et auquel elle se donne telle qu’elle est puisque qu’il ne l’a jamais vu jouer. Qui est cet homme ?

L’acteur qui habite le théâtre

C’est Ely. Un orphelin (élevé par un oncle richissime) qui ne se supporte que lorsqu’il affronte le danger d’une mer insensée. C’est aussi un peintre, un artiste donc, comme elle, mais le contraire d’elle : il ne peint pas ce qu’il voudrait et il se fiche de tout cela devant « l’émerveillement » qu’est Donata.

Cet homme c’est aussi Vincent Dissez. Un grand acteur de théâtre. Elève au Conservatoire National Supérieur de Paris il suivait parallèlement les ateliers de Didier-Georges Gabily. Au sortir de l’école, il intégra le groupe T’chan’G fondé et dirigé par Gabily, et en reste – comme tous ses membres – marqué à jamais. Dissez a tourné quelques films mais c’est d’abord un habitant du théâtre.

Et là, la mise en scène de Stanislas Nordey redouble de malice post pirandellienne puisque cet acteur de théâtre, en tenant le rôle d’Ely, interprète un personnage qui n’a de cesse de dire sa haine, son exécration du théâtre allant jusqu’à demander à Donata à la fois de l’épouser et de rompre tous ses engagements.

Quand Donata finit par voir son visage dans un miroir, elle ne le reconnaît pas – superbe moment de mise en scène qui donne à voir au public ce regard qui se regarde dans un silence intense. Et tout bascule.

L’actrice et son public

Donata femme redevenue actrice jouera devant son public. Ely ne le supportera pas, quittera la salle, partira. Il se sent trahi, sali. Quant à Donata, tant qu’Ely est là dans la salle à la regarder, elle est exécrable, quand il s’en va, elle redevient la grande Donata et le public la retrouve. Mais cela on ne le voit pas. Cela nous est rapporté par ces témoins que sont les amis de l’actrice. Cette magie-là du théâtre, ces liens secrets qu’une actrice ou un acteur entretien avec le public, reste en coulisses comme les meurtres dans la tragédie classique.

C’est en dirigeant pour la première fois Béart et Dissez dans « Les justes » de Camus (pièce où il n’y a

aucun protagoniste) que Stanislas Nordey a eu envie de les mettre face à face. Et il a songé à « Se trouver » de Pirandello, pièce qui l’intriguait depuis qu’il avait lu que Claude Régy l’avait montée en 1966 au théâtre Antoine avec Delphine Seyrig dans le rôle de Donata.

De fait, c’est la pièce traitant du théâtre la plus nue, la plus dépouillée de Pirandello, celle qui pousse l’introspection de l’être acteur le plus loin. Le théâtre, ce lieu où il faut se perdre pour espérer trouver et se trouver, où l’acteur, même entouré, même quand il cherche une bouée de sauvetage dans les

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yeux de son partenaire, est seul, épouvantablement et merveilleusement seul, dès lors qu’il ne pactise pas avec tous les faux semblants, les trucs du métier. Ni Béart, ni Dissez ne pactisent. Ils jouent au bord du vide.

Une nouvelle traduction salutaire

Il faut ici saluer la force de la nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, non que celle de Michel Arnaud (qui figure dans le « théâtre complet » de la Pléiade paru en 1985) soit mauvaise, mais elle accuse les ans comme toute traduction. Celle de Manganaro aujourd’hui lui offre une âpreté obscure et une violence sèche qui font mouche. Dans un texte fiévreux (publié avec la pièce et fifurant dans le programme), Manganaro parlant de l’écriture du sicilien dit :

« C’est tout un art du fleuret, de l’escrime, où la langue devient une arme blessante, mortelle. »

Et poursuit :

« C’est cela qu’il fallait traduire […] laisser à la construction de Pirandello qui peut paraître déroutante, sa brûlure constante et sa brutalité. »

L’essentiel est dans la jouissance où le dire et vivre copulent dans un même geste, c’est le sens du dernier monologue de Donata, où tout se mêle, s’emmêle dans les visions, et nous embobine jusqu’aux derniers mots comme revenus d’un songe :

« Et cela est vrai…et rien n’est vrai…seul est vrai qu’il faut se créer, créer ! Et alors, seulement on se trouve. »

Une pièce des années 30

Si Emmanuelle Béart joue remarquablement la femme de plus en plus affirmée et cinglante qu’est Donata, elle peine plus à incarner « la grande actrice de théâtre », mais peut-être est-ce là le jugement du spectateur que je suis et qui a vu tout à l’heure une star du cinéma descendre l’escalier. Cette dernière en revanche (la star de cinéma), venue d’ailleurs, lui offre une fragilité de tous les instants (bien que versant hélas dans le larmoyant le soir de la première parisienne), une belle incertitude qui sied à son personnage. Dissez est cinglant et emporté comme il se doit, un bloc inentamable. C’est là sa force et sa limite.

Il y a bien d’autres personnages dans la pièce, tous bien typés. Tous bien interprétés, mais ils sont souvent là comme en carafe. C’est la construction bancale de la pièce qui veut cela : ils ne sont là que pour parler de Donata et d’Ely, ou relancer leurs répliques. C’est là où la pièce fait montre d’artères qui, avec le temps, deviennent mal irriguées. Si Donata et Ely, personnages excessifs, n’ont pas vieilli depuis les années 30, on ne peut pas en dire autant des autres personnages.

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Tout se passe alors comme si ce spectacle se souvenait d’autres spectacles (tout comme la pièce se souvient de « La dame de la mer » d’Ibsen) dont il ne reste que des images qui ont fait rêver Nordey (c’est le sens du décor – Emmanuel Clolus – qui est à la fois un espace référentiel et un espace concret qui renvoie l’être humain à sa petitesse dans l’univers, mais comme tout cela est lourd !). Le premier acte où l’on attend si longtemps Donata, m’a paru relever d’une esthétique théâtrale surannée (décors, jeu, costumes, écriture). On a parfois l’impression que Nordey s’offre un revival d’un théâtre qui n’est plus et dont sa mère (présente en scène) fut encore le témoin, comme s’il avait besoin de plonger dans le registre d’un théâtre du temps passé pour mieux foncer, comme il sait si bien le faire, dans les écritures d’aujourd’hui. Ainsi « Tristesse animal noir », la pièce de la jeune allemande Anja Hilling qu’il mettra en scène la saison prochaine.

http://www.etat-critique.com critique de Armand GIRARDIN

Se perdre / Se trouver

Pas judicieux de ne prendre aucune note pendant une pièce de théâtre. Encore moins de rédiger l’article dix jours après. Toute spontanéité a disparu. Mes impressions, comme les arômes d’un plat réchauffé, auront-t-ils eu le temps de se fixer ? Mais j’ai acheté le texte et ma paresse par la même occasion, au stand du théâtre de la Colline. Remettons à plus tard. Les meilleurs passages des chroniques sont souvent les extraits. N’est pas Luigi Pirandello qui veut: prix Nobel de littérature en 1934. Ici par exemple, acte II : « (…) nous sommes une misérable dégénérescence dérivée de l’être, restés, à un moment donné, sur le solide, à sec. Oui, oui ! c’est la vérité, crois-moi ! Je l’ai compris en un éclair un jour, dans un aquarium, en retrouvant dans l’aspect de chaque poisson les traits, les expressions de beaucoup de visages humains de ma connaissance. La marquise Boveno, famille des tanches ; mon oncle, famille des rascasses… » L’histoire. L’héroïne est une comédienne interprétée par l’émouvante Emmanuelle Béart. Divisée entre les rôles qu’elle tient au théâtre et celui qu’elle devrait (ou pas) tenir dans sa vie, elle souffre moralement. Cela dit, elle noue une passion amoureuse avec un jeune homme incandescent, assez musclé, souvent torse nu et capable de superbes envolées. Voir l’échantillon en italique ci-dessus. La mise en scène n’est pas particulièrement ambitieuse. Les décors sont grands dans ce grand théâtre aux gradins en pente raide. J’étais assis très en hauteur, comme juché sur un immense escabeau. Je voyais, de loin, les acteurs se débattre avec un texte d’une rare densité, retraçant le cheminement, circulaire, sinueux, d’une pensée qui s’élabore et se précise concomitamment. Par moment se débattaient-t-il avec des pensées plus grandes qu’eux ? Emmanuelle Béart m’a rappelé Gena Rowlands dansOpening nights, qui joue une actrice en butte avec sa conscience. Se trouver (1932) traite en profondeur du thème aujourd’hui souvent abordé, avec plus ou moins de bonheur, du partage entre vie et représentations : ex. Le dernier métro, La nuit américaine, La tournée des grands ducs, Le bal des actrices, etc. Pourquoi les grands interprètes, sortis de la scène ou du plateau de tournage, ont-t-il cet air égaré ? Auraient-ils perdu contact avec eux-mêmes? Le choix d’Emmanuelle Béart en rôle principal de cette pièce, c’est magnifique.

http://neigeautheatre.blogspot.fr

"Se trouver" est une oeuvre importante de Pirandello : cette pièce met en scène une comédienne, prise entre les réalités de son métier et ses désirs de vie. C'est un texte très dense et qui oscille entre accessibilité et obscurité. D'un côté des conversations ordinaires sur le thème être actrice et "jouer" ou "vivre" ses rôles, ressentir ou non les émotions des personnages, le défi de se "trouver" soi-même parmi le foisonnement des compositions. D'un autre côté des réflexions intenses partagées entre cette actrice et celui qui tentera de la faire exister en dehors de son art : son amour Ely. Ce thème autant philosophique qu'artistique est qui est sans doute à débattre à l'infini et à vivre d'autant de manières qu'il y a d'hommes, n'en est pas moins passionnant. Où sommes-nous quand on créée et "qui" créée finalement ? Et bien entendu comment se trouver dans tout cela, soi et par rapport aux autres ?

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Donata la comédienne (littéralement "Donnée") traverse cette recherche au cours de la pièce. Celle qui se donne entièrement à son art, à ne plus s'appartenir, ne plus avoir de vie à elle, être un objet pour les autres, une image... tente soudainement d'exister lorsqu'elle rencontre Ely, artiste peintre, libre et sans attache. Seulement celui-ci refusera son don au théâtre et souhaitera qu'elle se donne à lui. Ici la réflexion philosophique de l'art se confronte à la sociologie, comment une femme peut-elle s'émanciper (années 30, années du texte) et à la psychologie plus largement, comment exister aussi dans l'amour d'un autre ? L'amour, que cela soit d'un art ou d'un autre, rend-il libre ou aliène-t-il ?

Autant de pistes, d'envie de se triturer les méninges, à la manière d'une introspection artistique, font que l'on peut regarder la pièce en réfléchissant. Et cela comporte les défauts de ses qualités... On décroche parfois, surtout lorsque le texte devient tortueux. Du reste l'interprétation est excellente, Emmanuelle Béart correspond très bien au rôle, elle est juste dans son jeu, et la mise en scène de Stanislas Nordey, toute en frontalité comme souvent, est grandiloquente et élégante. C'est propre et presque scolaire, j'ai personnellement regretté le manque de "corps". Même si Vincent Dissez tente d'en donner et si Emmanuelle Béart est une actrice charnelle, le tout reste très intellectuel. Je m'étonne car je trouve que Stanislas Nordey est un comédien physique et qui n'hésite pas à recruter des comédiens qui le sont aussi (notamment Laurent Sauvage...) mais ici il fige le tout, comme s'il craignait que le propos ne se disperse et qu'il voulait nous concentrer sur les mots. Cela fonctionne et cela permet en effet de bien entendre l'auteur. Mais pour une pièce comme celle là, où il est tant question de vivre dans son corps, de désirer, de vouloir posséder l'autre, et même qui tente parfois des audaces sensuelles dans les mots, je trouve que c'est resté trop cérébral. C'est une frustration plus qu'une véritable critique, une envie que le travail de Nordey se "salisse" un peu, et qu'il devienne alors assez incontournable. A voir pour l'efficacité.

Sur http://www.evene.fr critique de Patrick SOURD

Remettant sur le métier le fameux ‘Paradoxe sur le comédien’ cher à Diderot, Luigi Pirandello se questionne dans ‘Se trouver’ (1932) sur la nature profonde de l’acteur en prenant pour sujet d’étude une certaine Donata Genzi. Une comédienne adulée, capable d’incarner avec une grande vérité des situations et des rôles forcément étrangers à ce qu’elle a pu expérimenter dans la vie. À travers la figure de Donata Genzi, Pirandello tire le portrait de Marta Abba, une comédienne avec laquelle il vit une liaison passionnée à l’époque où il écrit la pièce. Et l’auteur de ‘Six personnages en quête d’auteur’ agit en jaloux qui sait, comme le garde barrière, qu’un train peut en cacher en autre. Le débat proposé par Diderot n’est ici qu’un prétexte et le voici dévidant sa pelote pour poser la seule question qui le taraude : Celle qui sur la scène parvient si bien à donner le change peut-elle être sincère dans la vie ? Certains reprocheront à Stanislas Nordey la rigidité formelle d’une mise en scène qui plonge la légèreté du propos de Pirandello dans le cérémonial empesé d’une tragédie grecque. Pour sa défense, on objectera que sans l’ingratitude de la coquille de l’huître, la découverte d’une perle semblerait un miracle moins précieux. Et ce miracle a pour nom Emmanuelle Béart. Sublime dans son incarnation de Donata Genzi, celle que le cinéma a consacrée s’avère aussi une magnifique comédienne quand il s’agit de monter sur les planches. Autant dire que l’effet de réalisme fonctionne à plein et que le rôle lui va comme un gant. Emmanuelle Béart nous offre un grand moment de théâtre. Et si l’on se moque un peu des enjeux de la pièce, c’est pour mieux savourer les formidables apparitions d’une star plus talentueuse et belle que jamais.

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