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Association des juristes franco-britanniques SECRET ET TRANSPARENCE Le Vice ou la Vertu ? L’information sur les entreprises à la croisée des chemins COLLOQUE organisé le 8 décembre 2004 par le CREDA l’Ordre des avocats de Paris l’Université Paris-Dauphine en partenariat avec la Fédération bancaire française l’Association des juristes franco-britanniques Les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication dans la GAZETTE DU PALAIS Cahier de droit de la concurrence interne et communautaire (n° 196 à 200 du 15-19 juillet 2005)

SECRET ET TRANSPARENCE Le Vice ou la Vertu · Cahier de droit de la concurrence interne et communautaire ... Commissaire au Plan ... Je crois savoir que c’est au cours d’un séminaire,

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Association des juristes

franco-britanniques

SECRET ET TRANSPARENCE Le Vice ou la Vertu ?

L’information sur les entreprises à la croisée des chemins

COLLOQUE organisé le 8 décembre 2004 par

le CREDA l’Ordre des avocats de Paris l’Université Paris-Dauphine

en partenariat avec

la Fédération bancaire française l’Association des juristes franco-britanniques

Les actes de ce co l loque ont fa i t l ’ob jet d ’une publ icat ion

dans la GAZETTE DU PALAIS Cahier de dro i t de la concurrence in terne et communauta i re

(n° 196 à 200 du 15-19 ju i l le t 2005)

Secret et transparence Le vice ou la vertu L’information sur les entreprises à la croisée des chemins

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sommaire

ALLOCUTIONS D’OUVERTURE Jean-Marie BURGUBURU, Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris ...... 3 Michel FRANCK, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ................... 4

PROPOS INTRODUCTIFS Alain ETCHEGOYEN, Commissaire au Plan ............................................................................ 8

Sous la présidence du doyen Joël MONÉGER, Professeur à l'Université Paris-Dauphine

LE « BIEN INFORMATIONEL » ENTRE AUTORÉGULATION ET RÉGLEMENTATION

Gérard POGOREL, Professeur à l’École nationale des télécommunications........................... 11

LES VERTUS DE L’INFORMATION LÉGALE

Arnaud REYGROBELLET, Chercheur au CREDA, Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre. .................................................................................................. 15

L’INFORMATION LÉGALE, PAR QUI ET COMMENT ?

À L’HEURE DE L’INTERNET, FAUT-IL REPENSER LA DIFFUSION DE L’INFORMATION LÉGALE DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL?

TABLE RONDE introduite et animée par Jacques DRAGNE, Président de chambre à la Cour d’appel de Douai, ancien Directeur général adjoint de l’INPI ..................................... 20

Abraham ASSAYAG, Registraire des entreprises du Québec, Jérôme CAZES, Directeur général délégué du Groupe Coface Pierre CHAULEUR, Chef du service des Éditions économiques et financières, Direction des journaux officiels Alain FOURNIER, Conservateur des hypothèques honoraire, Président de la Commission juridique de l’Association des Conservateurs des hypothèques, Sylvie LEMERCIER–RÉGNARD, Greffier en chef au Tribunal de commerce de Paris, Jean- Gaston MOORE, Président du Syndicat national de la presse judiciaire, Directeur honoraire de la Gazette du Palais, Mariette SERRES, Conseiller juridique, Direction générale de l'INPI, Membre du Comité de coordination du RCS

Sous la présidence de Xavier DELCROS, Professeur à l'Université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), Avocat à la Cour, Directeur de l'IFC

L’INFORMATION SUR LES ENTREPRISES, POUR QUOI ET POUR QUI ?

QUELLE TRANSPARENCE POUR LA RÉGULATION DES MARCHÉS ?

TABLE RONDE introduite et animée par Joël MONÉGER, Professeur à l’Université Paris-Dauphine........................................................................................................................... 35

Michael BUTCHER, General Counsel de VEOLIA-UK, Président de l’Association des juristes franco-britanniques Bernard FIELD, Secrétaire général de Saint-Gobain, Didier KLING, Président d’honneur de la Compagnie nationale des Commissaires aux comptes, Pierre de LAUZUN, Directeur général adjoint de la Fédération bancaire française, Délégué général de l’Association française des entreprises d’investissement (AFEI) Colette NEUVILLE, Présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM), Gérard RAMEIX, Secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers, Pascal SALIN, Professeur à l’Université Paris-Dauphine.

OBSERVATIONS CONCLUSIVES

Pierre CATALA, Professeur émérite de l’Université Paris II (Panthéon-Assas)....................... 44

Secret et transparence Le vice ou la vertu L’information sur les entreprises à la croisée des chemins

ALLOCUTION D’OUVERTURE

Jean-Marie BURGUBURU Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris

Monsieur le Commissaire Général, Monsieur le Président,

L’Ordre des avocats de Paris accueille depuis plus de dix ans le colloque annuel qu’il co-organise avec le CREDA, le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.

C’est pour moi l’occasion de me féliciter de cette fructueuse coopération, et vous en remercier, au nom de l’Ordre que je préside, et d’adresser également mes remerciements aux responsables du CREDA que sont le Professeur Chaput ainsi que Monsieur Aristide Lévi.

Ils ont su aujourd’hui réunir à cette tribune et dans cet auditorium de nombreuses personnalités qui contribuent au succès de notre réunion, et auxquels je sais gré de nous apporter leur concours. Je ne saurais assez souligner l’honneur particulier que nous font Monsieur Alain Etchegoyen, Commissaire au Plan ; Madame Colette Neuville, Présidente de l’ADAM ; Monsieur Rameix, Secrétaire Général de l’AMF ; les Professeurs Pierre Catala, Pascal Salin, Gérard Pogorel. À travers eux c’est à l’ensemble des intervenants que j’adresse ma très profonde gratitude.

Cette manifestation présente un évident paradoxe : elle porte sur le secret dans l’information des entreprises et fait l’objet d’un important retentissement, comme le prouvent à la fois, le renom des institutions qui ont coopéré à sa réalisation, la qualité et le nombre des auditeurs réunis aujourd’hui.

Je veux également saluer, outre la Chambre de commerce et d’industrie de Paris que vous présidez Monsieur Franck et le CREDA que j’ai déjà cité, l’Université de Paris Dauphine, la Fédération Bancaire Française, l’Association des juristes Franco-britanniques, qui contribuent, chacun à sa manière, à la richesse intellectuelle et professionnelle de notre réunion d’aujourd’hui.

J’en viens au thème de notre rencontre « Secret et transparence : l’information sur les entreprises à la croisée des chemins », avec ce sous titre provocateur « le vice ou la vertu ? », sous la forme d’une interrogation. À vrai dire, on ne saurait préciser où se trouve le vice et où se trouve la vertu. Le vice se logerait-il dans le secret ? le secret protègerait-il le vice ? Le secret n’est-il pas, notamment pour les avocats, une vertu ?

Les avocats sont en effet particulièrement interpellés par cette interrogation, eux à qui la déontologie impose le respect du secret des informations et des révélations confiées par leurs clients.

Le droit au secret est, en outre, un élément intrinsèque de la personnalité ; une composante de la dignité. Chacun de nous a un droit imprescriptible au secret, et ce droit au secret de l’individu, dans sa vie privée, dans la détermination de sa personnalité, se transpose concernant les entreprises dans le secret des affaires.

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Quels que soient le droit à l’investigation, le droit à la connaissance, ils trouvent leur limite dans le droit au secret.

Et inversement, la transparence serait-elle synonyme de vertu ? Voyez si je suis vertueux, je n’ai rien à cacher ! La confusion ne saurait être faite entre transparence et vertu. Si l’information est indispensable, et si l’information dans un monde économique de concurrence est nécessaire à l’équité dans la compétition, elle ne saurait justifier une transparence au prix, le cas échéant, d’une inquisition.

Ainsi l’information, tant pour l’avocat que le juge, tant pour l’actionnaire que le chef d’entreprise ou le banquier, est un élément structurant de notre société, et se doit d’être la plus complète. Pour autant, elle ne saurait, au motif de la transparence, transgresser le secret qui est un droit pour tous ; et que nous, avocats, devons préserver.

Monsieur le Président Michel Franck, avant de terminer mon propos introductif, je veux vous remercier personnellement pour l’exceptionnelle coopération que vous avez nourrie depuis de nombreuses années entre la Chambre et l’Ordre que je représente.

Ce sont plus d’une vingtaine de colloques qui ont été organisés par nos deux institutions grâce au concours du CREDA et de l’IFC ; je vous en suis particulièrement reconnaissant pour la richesse des échanges qu’ils ont permis.

Michel FRANCK, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris

Mesdames, Messieurs, Monsieur le Commissaire au Plan, Monsieur le Bâtonnier, Mesdames, Messieurs, et chers amis,

Je souhaite vous dire le très vif plaisir – mais également l’émotion, dont je vous dirai la cause – que j’éprouve à me trouver aujourd’hui en cette Maison du Barreau pour ce colloque nouveau, fruit d’une vieille et féconde complicité : celle qui lie le CREDA – le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris – et le Barreau de Paris, représenté par l’IFC.

Cette complicité, à laquelle je tiens, en ce jour, à rendre hommage, nous la devons aux directeurs de ces deux organismes, qui ont multiplié depuis quelque dix ans les actions communes, et particulièrement les manifestations scientifiques de haute tenue sur des thèmes variés. Ce faisant, ils se sont révélés les pionniers, les judicieux artisans, d’une solide et très éclectique collaboration entre votre Barreau, Monsieur le Bâtonnier, et la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.

Un tel partenariat se trouve aujourd’hui enrichi – et il faut s’en réjouir – du concours éminent de l’Université de Paris-Dauphine, de la Fédération bancaire française et de l’Association des juristes franco-britanniques dont je salue très chaleureusement les représentants ici présents.

Ces institutions ont été également – en d’autres occasions – de précieux partenaires, et il s’imposait qu’elles le fussent encore autour du thème qui nous réunit présentement.

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* * *

Je me suis permis, à l’instant, de vous faire part de mon émotion. Cette émotion, je vous en livrerai le secret, en toute transparence…

Ce mercredi 8 décembre, celui qui a l’honneur de vous parler arrive au terme de son mandat de Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Et les sentiments de nostalgie qu’il ne peut manquer de ressentir en « tirant sa révérence » après 7 années passées à la tête de cette Compagnie se trouvent adoucis par le bonheur de pouvoir le faire en si amicale… compagnie.

* * *

On me pardonnera, bien sûr, de ne pouvoir saluer chacun des remarquables intervenants qui vont se succéder à cette tribune, dont certains – auxquels il faut dire notre vive gratitude – ont traversé l’Atlantique ou la Manche pour participer à nos échanges.

Je voudrais néanmoins exprimer à Monsieur le Commissaire au Plan toute notre reconnaissance pour avoir si obligeamment accepté d’honorer ce colloque de sa participation.

Je crois savoir que c’est au cours d’un séminaire, tenu il y a maintenant deux ans, que le Directeur du CREDA avait évoqué avec vous la perspective d’un tel colloque sur la transparence, thème dont chacun sait l’intérêt que vous lui portez.

Ce séminaire se tenait à Ermenonville, que les mânes d’un autre philosophe, qui passe pour un chantre de la transparence, ne cessent de hanter… « La transparence, assurait Jean-Jacques Rousseau, est la vertu des belles âmes où règne la limpidité » ( )1 .

* * *

« SECRET ET TRANSPARENCE : Le Vice ou la Vertu ? »

Telle est donc la question ? Et telle est, surtout, la question dont il va être débattu, et dont nous allons peut-être enfin connaître la réponse…

Il est vrai que le titre de ce colloque aurait pu tout aussi bien être inversé : « TRANSPARENCE et SECRET : le vice ou la vertu ? ».

Où est le vice ? Où est la vertu ? Redoutables questions auxquelles on a peine à répondre. D’autant que le vice se pare souvent des attributs de la vertu.

Gageons que le Philosophe saura nous éclairer…

(1) Cité par Jean-Denis BREDIN, Remarques sur la transparence, Colloque de l’Association Droit et Commerce, La

transparence : Rev. jur. com., numéro spécial, nov. 1993, p. 175.

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En tout cas, de telles questions sont vieilles comme le Monde : Comment pourrait–on se priver du plaisir de rappeler les propos lumineux du Doyen Carbonnier, tenus il y a onze ans, lors d’un colloque consacré à la transparence. Il y évoquait « l’histoire de Jacob, qui avait cru épouser Rachel et qui, le matin, quelle surprise ! avait trouvé Léa ». Et le Doyen Carbonnier, dont on connaît l’humour, poursuivait en observant que « cette histoire n’avait plus d’intérêt au XXe siècle, car, si c’était la nuit qui avait causé la méprise, nos mairies étaient magnifiquement illuminées. Et, si c’était le voile, comme les commentaires l’affirmaient, alors on nous rassurait : chez nous, bien sûr, la mariée porte un voile, mais il est transparent… » ( )2 .

Si elle remonte donc aux temps bibliques, la dialectique « SECRET/TRANSPARENCE » revêt aussi un caractère largement universel, sans préjudice bien sûr de ce que j’appellerais d’importants particularismes régionaux, que soulignait également le Doyen Carbonnier.

« Vérité en deçà du Channel, erreur au-delà… »

Nos amis Anglais, prenant – comme souvent – le contrepied des tendances continentales, ne sont pas loin de penser que l’obligation de transparence, quelles que soient ses vertus morales de sincérité, de justice, ne peut pas ne pas être globalement préjudiciable, particulièrement à l’économie. Au point que certains n’hésitent pas à plaider pour un devoir de non-information.

N’allons pas jusqu’à parler d’un devoir de non-sincérité… Encore que le grand Kipling écrivait : « L’Anglais ment mais il ment comme je mens, de sorte que nous nous devinons, c’est comme si personne ne mentait » ( )3 . Monsieur Butcher ne manquera pas, tout à l’heure, de nous livrer son sentiment.

* * *

J’en reviens à l’intitulé de notre colloque qui comporte le sous-titre suivant : « L’information sur les entreprises à la croisée des chemins ».

Ce sont bien sûr les dispositifs d’information légale – ou paralégale – mis en place pour les affaires qui vont être au cœur des échanges de cet après-midi.

Le sujet ainsi posé, beaucoup d’entre vous le savent, est familier au CREDA. Il a donné lieu à une recherche critique et prospective approfondie, « Publicités légales et information dans les affaires », publiée en 1992 sous la direction du regretté Professeur Alain Sayag, recherche à laquelle, Monsieur le Professeur Pogorel, vous avez apporté la contribution de vos réflexions d’économiste ( )4 .

(2) Jean Carbonnier, Propos introductifs, Colloque précité, p. 10. (3) Cité par Jean Carbonnier, Colloque précité, p. 13. (4) CREDA, Publicités légales et information dans les affaires, Litec, 1992, spéc., p. 531 sq. : Les contraintres

économiques d’une information efficiente, par G. Pogorel.

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En prolongement scientifique de cette étude avait été organisé un important colloque auquel ont pris part certains de ceux qui sont ici présents ( )5 . En particulier un très grand universitaire, Monsieur le Professeur Pierre Catala, qui a bien voulu accepter de nous présenter les observations conclusives que lui inspire ce thème de la transparence, avec toute la hauteur de vues que nous lui connaissons.

Monsieur le Professeur, soyez-en très vivement remercié.

Plus récemment, et sur la base de ses réflexions précédentes, le CREDA publiait aux « Presses de Sciences Po » un petit livre de grande qualité, intitulé « Les vertus de la transparence – L’information légale dans les affaires ». Son auteur n’est autre que Monsieur Arnaud Reygrobellet, Maître de conférences à l’Université de Paris Nanterre et chercheur au CREDA, que nous entendrons dans quelques instants.

* * *

Vous n’en serez pas surpris : au-delà des travaux menés par’ le CREDA, le sujet se trouve au cœur des préoccupations d’une institution comme la Chambre de commerce et d’industrie de Paris. Nul ne saurait contester l’importance considérable qu’il revêt pour le monde de l’entreprise.

La juste et complète information des partenaires économiques est assurément l’une des conditions majeures du fonctionnement et du développement d’une économie de marché.

Les entreprises que nous représentons doivent pouvoir compter sur un système qui garantit tout à la fois la fiabilité et la pertinence des informations transmises, de même que la rapidité de leur collecte ; mais aussi – bien sûr – l’instantanéïté de leur diffusion en tout point de la planète, ce que le « Big Bang » des nouvelles technologies a rendu possible.

Nos entreprises sont en droit d’attendre une parfaite adaptation à leurs besoins – mais aussi à leurs moyens – du dispositif de l’information légale. D’autant que la publicité légale, de plus en plus complexe et foisonnante, se traduit par des coûts considérables.

Certains diraient que la « transparence obligatoire » ou la « transparence imposée » coûte cher !

Ces modestes observations, que j’aurais scrupule à prolonger davantage, auront sans doute un écho au cours des échanges de cet après-midi puisque, tour à tour, après que Monsieur Pogorel et Monsieur Reygrobellet auront en quelque sorte campé le « décor », respectivement économique puis juridique, de l’information, deux tables rondes en réuniront les différents « acteurs ».

Sous la présidence du Doyen Joël Monéger, que nous devons remercier pour son engagement dans la conception et la réalisation de ce colloque, la première table ronde, animée par un orfèvre en ces domaines, Monsieur le Président Jacques Dragne, s’efforcera de

(5) CREDA, L’information légale dans les affaires : Quels enjeux ? Quelles évolutions ?, JCP éd. E. 1994, I, 397. Les

actes sont également disponibles (et téléchargeables) sur le site du CREDA http://www.creda.ccip.fr/colloque/.

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répondre à cette interrogation : « À l’heure de l’Internet, faut-il repenser la diffusion de l’information légale dans un contexte international ? ».

Puis, sous la présidence de Monsieur Xavier Delcros, qui sait l’amitié que nous lui portons pour son efficace et talentueuse action au service de la collaboration entre le Barreau de Paris et la Chambre de commerce, une seconde table ronde, animée par le Doyen Monéger, devrait répondre à la question « Quelle transparence pour la régulation des marchés ? ».

Mais auparavant, et sans plus attendre, nous allons écouter, avec grande attention, Monsieur le Commissaire au Plan, Alain Etchegoyen, qui nous dévoilera peut-être les secrets de… la transparence.

PROPOS INTRODUCTIFS

Alain ETCHEGOYEN Commissaire au Plan

Monsieur le bâtonnier, Monsieur le Président,

C’est une excellente idée d’organiser aujourd’hui, au siège même du barreau de Paris, une réflexion sur le thème de la transparence. Je dois dire que, dans le contexte actuel, cette réunion est même un acte de courage. En effet, la transparence est aujourd’hui érigée en vertu cardinale. Le mot vient à la bouche, plus qu’à l’esprit, ce qui ne laisse pas de m’inquiéter car malheureusement nous pensons ce que nous disons plus que nous ne disons ce que nous pensons. La force des mots est grande et quand ils deviennent obligatoires, ils entraînent notre pensée sur des voies qu’elle ne maîtrise plus. Aujourd’hui, si un homme politique ou un chef d’entreprise est accusé dans un débat télévisé ou radiophonique de n’être pas transparent, il se met immédiatement « à table » et déclare publiquement « n’avoir rien à cacher ». Mesurons un instant le chemin parcouru en quelques années, ce retournement sémantique et axiologique étonnant qui voit un défaut humain devenir une vertu ! Mes enfants ignorent même qu’il y a une quinzaine d’années, lorsque nous qualifions un homme de « transparent », c’était pour porter un jugement négatif : nous signifiions un manque de consistance, un personnage sans épaisseur, couleur muraille. Ce vice est devenu une vertu, pour reprendre le titre de votre colloque.

Il existe une réelle confusion entre l’exigence de responsabilité qui doit par exemple caractériser le rôle des administrateurs dans une entreprise et l’exigence de transparence qui est malsaine et, il faut le dire, la plupart du temps illusoire ou pharisienne.

Évidemment un tel retournement a un sens et on peut en comprendre les raisons. Nous vivons dans un monde d’infidélités croissantes, dans toutes les sphères de notre existence, privée, professionnelle, politique ou religieuse. Dans l’entreprise notamment, les infidélités des actionnaires, des clients ou des salariés induisent des peurs. Je ne saurais donner dans la nostalgie : la fidélité est plus rare mais plus chère et plus authentique. C’est le sens de l’histoire et il y a de bons aspects dans cette évolution. Mais on a peur de l’infidélité. On le voit très bien dans le couple. Si vous avez peur de l’infidélité de l’homme ou de la femme que vous aimez, vous êtes tenté par l’exigence de transparence, par l’interrogatoire policier : « Je veux tout

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savoir sur que tu faisais pendant que j’étais en train d’écouter le Bâtonnier à la Maison du Barreau ». « À 14 heures., que faisais-tu ? ».

Ce danger d’une transparence totale exigée de celui ou de celle que l’on aime et dont on craint l’infidélité se retrouve également en matière économique. Mais il y a là une contradiction conceptuelle, qui s’éclaire si l’on établit un lien avec le terme de foi, à l’étymologie très riche et qui fait référence à la confiance, à la fidélité. Il est évident que la confiance est contradictoire avec la transparence, bien que certains prétendent que seule la transparence peut engendrer la confiance. Si j’ai confiance dans l’homme ou la femme que j’aime, précisément je ne vais pas exiger la transparence ; au contraire, j’admets qu’il ou elle ait des secrets. En matière religieuse, si Dieu est à ma droite, il n’y a pas de place pour la foi. Il n’y a de foi que s’il y a révélation et dissimulation. La foi suppose toujours un certain degré de dissimulation. C’est d’ailleurs une tentation de Satan que de dire au Christ : « Jettes-toi du haut du Temple pour démontrer que tu es Dieu ». La foi, la confiance, la fidélité enveloppent cette idée que tout ne peut pas être dit, que tout ne doit pas être dit. Teilhard de Chardin avait un mot merveilleux concernant le Christ. Il disait : « Je crois en Jésus Christ malgré les miracles ».

Quels sont les enjeux principaux de la transparence ? Quels sont les principaux dangers ? Le premier danger concerne évidemment les libertés. Nos libertés résident dans les secrets professionnels qui doivent être conservés et votre Ordre, Monsieur le Bâtonnier, a bien raison de se battre sur ce thème. Mais c’est vrai aussi d’une certaine manière des commissaires aux comptes ainsi que d’un certain nombre de professions dépositaires de secrets qu’il faut à tout prix préserver car il en va du fondement même de nos libertés.

Un deuxième danger réside dans une analyse erronée des enjeux de la transparence. Deux vertus auxquelles font référence toutes les « chartes d’entreprise » apparues récemment, ces textes un peu niais sur la foi desquels les entreprises feignent de croire que l’on va croire à leur honnêteté parce qu’elles se prétendent telles. Chacun sait qu’il n’y a rien de plus inquiétant que quelqu’un qui ne cesse de répéter qu’il est honnête. Il ne faut évidemment jamais croire quelqu’un qui vous dit qu’il est transparent. S’il l’était, il ne le dirait pas. C’est un peu le principe de Fernand Raynaud : « Mon beau-frère n’est pas un imbécile, la preuve, il le dit lui-même ». Mais, curieusement – ce qui est nouveau dans toute l’histoire de la pensée – certains font croire que la proximité pourrait être une vertu. Or, cette vertu pourrait s’envisager à l’extrême limite en matière religieuse, à l’égard du « prochain ». Mais la proximité peut aussi, peut-être surtout, déboucher sur la promiscuité. Comment admettre qu’il puisse s’agir d’une vertu ? Il en va de même de la transparence, qui est une métaphore, élevée au rang de vertu transcendantale applicable en tout domaine : pour la vache folle comme pour les revenus des dirigeants. On assiste à une véritable dérive. Dans quelques années, si on raisonne ainsi, vous ne plaiderez plus pour défendre un client accusé de meurtre : il sera accusé de manque de transparence. On lui reprochera d’avoir caché son crime ou d’avoir dissimulé le cadavre, qui sera une faute plus importante que le meurtre lui-même. Il y a donc là un danger majeur. À mon sens, connaître les revenus du dirigeant n’a aucun intérêt. L’essentiel, c’est de savoir s’il mérite ce qu’il gagne. La bonne question est « mérite-t-il ce qu’il gagne ? », et non pas : « Quel est le montant exact de sa rémunération ? ». Il est malsain de chercher à se substituer, par le biais d’une transparence mal conquise, à la mission des comités de rémunération désignés à cet effet dans les grandes entreprises cotées.

En 1973 ou 1974, une loi a été votée prescrivant d’afficher dans toutes les mairies le montant de l’imposition des particuliers. Les décrets d’application, heureusement, ne sont

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jamais sortis. Mais la loi, à ma connaissance, est toujours en vigueur. Il y a là l’embryon d’un système de délation tout à fait effrayant.

Le troisième danger réside dans l’illusion qu’elle induit. Les professionnels de la grande distribution savent très bien que la transparence totale conduit inéluctablement à rendre illisibles les étiquettes et à occulter les informations utiles. Ceci ne remet pas en cause l’exigence d’informations, mais invite à en mesurer la portée au risque de rendre la démarche parfaitement illusoire. En pleine guerre économique, Napoléon ne dit pas : « à Austerlitz, je vais attaquer par la droite ! ». En principe, dans la lutte économique, on doit et, heureusement, on peut, conserver un certain nombre de secrets (secrets industriels, secrets stratégiques). C’est tout à fait essentiel.

L’illusion tourne parfois au mensonge, parce que, affirmer, comme le font trop d’entreprises : « Nous sommes transparents ! », c’est dire en fait le contraire. Je me souviens avoir, une fois, rédigé des principes d’action pour un président d’entreprise chimique, qui entendait placer au premier rang la transparence comme vertu. Je lui dis : « Vous voulez édicter un code de bonne conduite et vous commencez par mentir dès la première ligne puisque vous refusez de dévoiler à quel prix vous venez de racheter une entreprise en Allemagne ». Mais pourquoi, alors, prétendre à la transparence, si elle est impossible à réaliser ?

Au-delà de l’aspect économique, il y a des personnes à protéger, des libertés qui seraient menacées, des secrets à conserver. Dans ces conditions, autant ne pas donner dans l’illusion de la transparence et, au contraire, sélectionner les informations.

Enfin, il existe un dernier danger : la transparence est un vice. L’exigence de transparence est une perversion parce qu’elle procède de la congruence de deux perversions sexuelles majeures : le voyeurisme et l’exhibitionnisme. Il y a des gens qui aiment bien se mettre nus devant les autres. Il y en a qui aiment bien regarder par les trous de serrure.

Je pense que le danger majeur est que la transparence telle qu’elle est pratiquée – et évidemment, encore une fois, je ne fais pas d'éloge de l'opacité – conduit paradoxalement à occulter les informations utiles. Il ne faut pas confondre transparence et responsabilité. J’en ai fait l’expérience comme administrateur d’Usinor avec Francis Mer au Comité d’audit de ce même groupe. Il faut réhabiliter la responsabilité en évitant l’illusion de la transparence et le côté liberticide de la transparence. Nous vivons dans une société où, techniquement, il existe des moyens de surveillance comme on n’en a jamais eu. Il faut relire les textes de Michel Foucault, lorsque dans les années soixante-dix il mettait en garde contre la menace de quadrillage social, c’est encore plus vrai aujourd’hui du fait des progrès technologiques. Il était visionnaire en signalant ce danger du Panopticon, ce modèle de prison conçu par Bentham où on pourrait surveiller tout le monde, tout le temps. Par exemple, il me semble que, dans les conseils d’administration, il faut que les administrateurs soient réellement responsables : responsables des mauvaises décisions prises, des distributions exagérées de stock-options, du montant anormal des rémunérations au regard du travail fourni. Mais il ne faut pas exiger une transparence qui aboutit en réalité à se défausser de sa propre responsabilité.

Je terminerai donc simplement, puisqu’il faut terminer par une citation, pour dire que nos libertés sont en jeu. Je sais que beaucoup parlent de transparence en étant très bien intentionné, mais méfions-nous de ne pas nous laisser porter par des mots qui ensuite

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entraînent notre pensée dans leur cortège. Parlons de traçabilité pour la vache folle, pas de transparence ; parlons du mérite pour les revenus, pas de transparence. Évitons ce principe artificiel qui menace nos libertés. C’est la fameuse phrase de Malraux, que vous connaissez, sur la condition humaine : « L’homme est un misérable petit tas de secrets ».

Merci de m’avoir donné la parole.

Jöel MONÉGER Professeur à l’Université Paris-Dauphine

Revenons de ces hauteurs où nous sommes montés pour affronter la réalité. L’information est dite légale parce qu’elle est prévue par la loi et poursuit un but précis, de protection par exemple. La question qui se pose est alors celle de savoir si l’information est bonne, si elle est trop ou pas assez importante et peut-être même s’il faut informer.

En tout cas, aujourd’hui, la première démarche va être d’envisager, avec Messieurs Pogorel et Reygrobellet, une double approche à la fois économique et juridique. Monsieur Pogorel va notamment se demander si, finalement, l’information ne deviendrait pas une catégorie de bien, au sens en tout cas des économistes.

Le « bien informationel » entre autorégulation et réglementation

Gérard POGOREL Professeur à l’École nationale des télécommunications

L’ancienne interrogation concernant le bien informationnel, la possibilité de considérer l’information comme un bien marchand, trouve un sens nouveau après un lustre d’ exposition du public au mal informationnel, à l’information erronée ou frauduleuse. Depuis, les traumatismes enregistrés sur les marchés financiers ont provoqué de fortes réactions inspirées par la volonté de bien faire.

La voie d’une réglementation renforcée des obligations d’information auxquelles sont soumises les entreprises s’est affirmée dans la période récente. Le statu quo, voire l’absence de régulation du domaine informationnel prôné par les tenants du laisser-faire, ont été mis à mal par la perception négative du public à l’égard des conséquences financières et sociales de l’exubérance irrationnelle des marchés financiers et de l’ubris managériale de quelques dirigeants. Les considérations de surcharge et de coût des nouvelles obligations informationnelles ainsi imposées à toutes les entreprises, n’ont pu faire obstacle à ce mouvement, non plus que l’aspiration, peut-être trop tardivement affichée, des acteurs à l’autorégulation. Les idées fortes, surtout aux États-Unis, de liberté d’expression (1st Amendment), de droit à la confidentialité pour les entreprises, les référence aux principes du secret des affaires, ont dû faire place à un renforcement des règles, à l’extension des obligations et des sanctions encourues par les dirigeants, les administrateurs et les auditeurs, la peur de la sanction intervenant comme incitation économique face à un marché défaillant.

Il convient donc d’analyser ces quelques tendances récentes de l’information sur les entreprises, et de nous demander si, pour autant, nous sommes sur la voie du bien.

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La volonté de transparence, ou l’accroissement de la place faite au bien informationnel pose des problèmes conceptuels, comporte des limites, et présente un risque d’excès.

On peut distinguer trois champs de l’information sur les entreprises selon la nature conceptuelle des obligations d’information.

La zone rose, comprend ce que le public peut légitimement souhaiter connaître, sous réserve de concepts adéquats et judicieusement définis : obligations légales, obligations liées aux normes comptables.

La zone grise inclut les notions méta-comptables et opportunistes : l'EBITDA (Earning before interest tax depreciation and amortization) est ainsi le résultat opérationnel (EBIT) avant dépréciation et amortissement. Cette notion est assez proche de la notion d'excédent brut d'exploitation (EBE) dans les pratiques françaises. Elle mesure ainsi le cash flow brut (avant impôt sur le résultat) et éléments financiers. L'EBITDA est donc systématiquement supérieure à l'EBIT et est considérée comme un indicateur de rentabilité économique. Elle occulte cependant les effets de la situation financière. Quant aux « comptes pro forma », ils donnent libre cours à la créativité comptable la plus débridée Le terme est d’apparence savante, mais il n’est aucunement normalisé, et chacun peut y inclure ou en exclure ce qui l’arrange : frais financiers, dépenses de marketing, changements de périmètres non explicités. Ces termes, introduits pour mettre en valeur certaines situations, privilégient certains angles de vue, et corrélativement, en minorent ou dissimulent d’autres.

La zone obscure, quant à elle, concerne les informations touchant à l’indépassable incertitude du futur et aux risques assumés. On cherche à la cerner cependant, en particulier dans le cas des entreprises faisant appel public à l’épargne, en proposant ou imposant un inventaire des risques. Il ne faut pas ignorer les limites de l’extension des légitimes exigences de connaissance, jusque dans leur traduction comptable, à une impossible clairvoyance sur l’avenir: la transparence ne saurait inclure l’exigence de la boule de cristal. L’objectif ici n’est pas absolu, connaître l’inconnaissable, il est relatif, interdire les asymétries d’information, faire partager aux actionnaires toute la connaissance pertinente des dirigeants.

Le renforcement des obligations et sanctions pesant sur l’entreprise, ses dirigeants, ses administrateurs et ses auditeurs, a pris la forme d’obligations directes, proprement informationnelles, mais aussi indirectes. Le renforcement de la gouvernance d’entreprise intervient de façon intéressante comme garantie, complément et substitut de l’information, quand celle-ci rencontre des limites conceptuelles. Renforcer la confiance dans le management, les administrateurs, en particulier indépendants, les commissaires aux comptes et les auditeurs, dont l’indépendance doit également être assurée, va dans ce sens.

Il y a eu également un renforcement des obligations et sanctions pesant sur les intermédiaires informationnels. Les agences de notation font l’objet d’une réflexion européenne pouvant déboucher sur leur réglementation (suite en particulier à l’affaire Parmalat). Des mesures à l’étude aux États-Unis en vue d’une clarification des règles de notation, avec une éventuelle obligation de se soumettre aux contrôles de la SEC. Mais de part et d’autre de l’Atlantique, on semble s’orienter vers de simples recommandations concernant les agences de notation.

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En ce qui concerne les banques et institutions financières et les activités d’analyse, la tendance s’établit, non pas vers la séparation structurelle de l’analyse et des activités financières, mais vers une relation distanciée et sans confusion des rôles. L’expérience enseigne la prudence en la matière, particulièrement aux États-Unis : mythique muraille de Chine ou cloison de papier ?

La fourniture obligatoire, par les banques américaines, d’informations provenant de sources indépendantes, conjointement à celles émanant des banques elles-mêmes, a été esquissée.

On touche évidemment ici à la question délicate : faut-il payer, peut-on faire payer, pour l’information, pour en faire un bien économique au sens plein. Cela aurait l’avantage de clarifier la situation, y compris pour les services de recherche des établissements financiers, en instaurant une relation fonctionnelle entre le coût de l’information et les bénéfices qu’elle apporte ou est susceptible d’apporter. Pourtant, de fait, l’ information sur les entreprises ne fait l’objet que d’une valorisation faible (basée sur son coût), ou indirecte, le plus souvent dans le cadre général de l’offre de services financiers. On doit constater ici une carence ou un effacement des mécanismes de marché dans le domaine des biens informationnels, le mode dominant de fourniture restant la complémentarité, la fourniture conjointe à des services financiers. On ne peut manquer toutefois de s’interroger sur les raisons de la déficience perçue du « bouclage » des flux informationnels dans la période exubérante, autrement dit sur l’absence des sanctions économiques à l’égard des fournisseurs de mauvaise information, de contrôle effectif des offreurs de titres, le sell side, par les acheteurs, le buy side, qui est pourtant directement concerné.

Masochisme des investisseurs ? Martine ne dit-elle pas à Sganarelle (dans Le Médecin malgré lui) : « Et s’il me plait à moi d’être battue ». On écartera toutefois ce principe comme explication universelle.

Le débat sur les principes de gestion des investisseurs institutionnels apporte un éclairage. Beaucoup disent ne pas se donner pour fonction de surveiller au jour le jour la gestion des entreprises dont ils détiennent des actions. De plus, l’aversion au risque et l’ampleur des capitaux gérés conduisent naturellement à une gestion indicielle. Au final, les investisseurs institutionnels détiennent les titres ou les vendent, mais préfèrent le plus souvent ne pas intervenir dans le management : de la trilogie de A.O. Hirschmann, ils retiennent Exit ou Loyalty, mais pas Voice ( )6 . Est incriminé également le rôle, ne dit-on pas règne, des graphistes et arbitragistes, affichant des durées de détentions faibles, ce qui conduit sur les marchés boursiers à des durées de détention inférieures aux cycles d’observation de la gestion (année ou trimestre).

Il est difficile de mesurer précisément l’augmentation du coût des obligations d’information et de gouvernance résultant des nouvelles dispositions. On a pu lire dans la presse une évaluation du coût direct annuel des mesures Sarbanes-Oxley à 1 milliard de dollars. Quant aux coûts et bénéfices de l’information financière, leur évaluation globale et comparée est évidemment impossible. Il existe certainement une forte disproportion entre les coûts de l’information et le montant de la faillite Enron (35 Mds$), et plus encore avec le montant de la

(6) Albert O. Hirschman, Exit, Voice, and Loyalty. Responses to Decline in Firms, Organizations, and States, Harvard

University Press, 1970.

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valeur disparue lors de l’éclatement de la bulle Internet. Mais il est également impossible d’établir de façon méthodologiquement assurée qu’une information meilleure, plus coûteuse, aurait permis d’éviter ces phénomènes.

On pourrait penser qu’à une époque de marchés financiers globalisés, une convergence des démarches informationnelles entre grandes places serait observée de part et d’autre de l’Atlantique. Cette convergence souffre toutefois d’un contexte politique général tendu.

L’Union européenne est engagée dans une démarche d’intégration du marché européen des capitaux, qui concerne ici, directement, la transparence, les garanties financières, les normes comptables, les prospectus, etc. Le Plan d’action est proche de sa réalisation intégrale, du moins pour ce qui concerne la mise en place du dispositif, sous réserve de la vérification de son efficacité.

Les États-Unis se placent dans une perspective de régulation de portée internationale, avec une réglementation qui tend à porter des effets extraterritoriaux pour les firmes cotées sur la place de New York. On a pu ainsi parler d’une « disharmonisation » euro américaine. Faute de convergence, une équivalence (reconnaissance réciproque) pourrait être recherchée.

Quel dosage réglementation-autorégulation ?

L’alternative réglementation-autorégulation est-elle justifiée ? Ne convient-il pas plutôt d’observer que la régulation n’est pas à proprement parler un dispositif administré, mais bien un ensemble, un système qui inclut autorégulation et réglementation, les agences et les acteurs, régulés et régulateurs, entretenant des relations d’interaction et de contre-pouvoirs. Nous avons aujourd’hui un système accepté de pouvoirs compensateurs, faisant place le cas échéant à des attitudes réactives de la part des responsables éthique, conformité, appelée compliance aux États-Unis, dans les entreprises.

Pourtant, l’information n’échappe pas à l’alternative entre le bien et le mal.

Comme il est souvent rappelé, la grande majorité des sociétés faisant appel public à l’épargne n’ont jamais fait l’objet de poursuites, n’ont jamais eu de redressement comptable, n’ont pas eu de comportement répréhensible et n’ont pas fait l’objet de plaintes de leurs actionnaires (The Good). Pour autant, selon un sondage réalisé aux États-Unis, 40% des personnes interrogées considèrent que les acteurs du marché financier sont malhonnêtes (The Bad).

Il reste donc au marché et au régulateur en matière financière à jouer leur rôle de Ugly, pour établir un monde dans lequel les entreprises fournissant de la bonne information sont récompensées et les mauvaises punies.

Jöel MONÉGER

Merci de ces premiers propos. En définitive, vous revenez à une vieille idée d’Aristote qui considérait que les vices avaient cela de bon qu’ils nourrissent quantité de gens vertueux qui, sans eux, n’auraient rien eu à faire. C’est certainement le cas pour les administrations ou organismes qui sont parties prenantes dans les mécanismes d’information légale. Alors, y a-t-il autant de vertu que cela dans l’information légale ?

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Les vertus de l’information légale

Arnaud REYGROBELLET Chercheur au CREDA, Maître de conférences à l’Université Paris X-Nanterre.

Intervenant après les pénétrantes analyses développées par Messieurs Etchegoyen et Pogorel, je mesure combien la tâche qui m’est impartie s’avère particulièrement délicate. En effet, il m’incombe d’aborder des questions juridiques infiniment plus techniques et, diront peut-être certains, plus opaques.

La transparence telle que nous l’entendrons ici est celle qui résulte d’une obligation de diffusion, imposée par la loi ou par un texte réglementaire. Obligation généralement désignée sous le terme générique de publicité légale. Précisons que nous n’envisagerons la publicité légale qu’en tant qu’elle est imposée aux entreprises, et non pas lorsqu’elle concerne une administration, une juridiction, voire – mais ce serait alors un tout autre débat – le législateur lui-même. Enfin, l’entreprise dont nous parlerons désigne un professionnel, quelle que soit la structure adoptée, personne physique ou morale, et quelle que soit la nature de son activité.

De quelles vertus la transparence se trouve-t-elle donc parée, lorsque, saisie par le droit, elle s’impose aux entreprises ?

Mon propos ne visera pas tant à répondre à la question de savoir si cette transparence est légitime en soi. J’entendrai ici la notion de vertu dépourvue de tout sous-entendu moral comme la qualité ou les qualités qui rendent propres à produire certains effets. La question des vertus de l’information légale revient alors à se demander si l’institution telle qu’elle est organisée en droit positif est apte à répondre aux objectifs qui lui sont assignés.

Quels sont ces objectifs ? Comment notre droit positif est-il organisé pour y satisfaire ? Et, enfin, quels sont les défis auxquels le dispositif d’information légale devra faire face dans les années à venir ? Telles sont les trois questions auxquelles je vais essayer de répondre, en insistant sur le dernier point, évidemment le plus riche en interrogations.

I – Les objectifs

Tout système d’information légale repose sur la constatation que les acteurs de l’économie ont besoin de sécurité juridique et que l’information est un élément qui contribue à assurer cette sécurité, en tant qu’elle est un nécessaire préalable à toute transaction. Certes, on pourrait considérer qu’il incombe à chaque cocontractant de s’informer par lui-même sur la situation de son partenaire potentiel. Mais cette démarche serait difficile, aléatoire, onéreuse donc.

Ainsi, la mise en place du dispositif légal découle du postulat qu’il est plus efficient d’imposer aux opérateurs, par une règle générale uniforme, de rendre publiques certaines informations. Ce faisant, le législateur cherche à garantir au marché un degré acceptable de sécurité, dans des conditions d’égalité et de coût raisonnables tant pour l’émetteur de l’information que pour les tiers intéressés par celle-ci.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, derrière la plupart des publicités légales, existe une règle de fond, dont la formalité contribue puissamment à assurer le respect.

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Sur ces prémices, comment l’architecture du dispositif français d’information légale a-t-elle été construite ?

II – L’architecture du dispositif français d’information légale

L’originalité de l’institution procède de trois éléments combinés.

D’abord, il y a publicité légale lorsqu’un texte impose à la personne assujettie tout à la fois la nature du message à délivrer et le vecteur que cette diffusion doit emprunter. Ces deux exigences sont interdépendantes l’une de l’autre dans la mesure où la nature de l’information à transmettre commande nécessairement le choix du support de diffusion, lequel, à son tour, interfère avec ladite information. Il faut noter également que le dispositif repose sur l’interposition d’organismes officiels, chargés de contrôler l’existence et parfois la véracité de l’information ; ce, avant même que cette information soit mise à la disposition du public.

Une seconde caractéristique de la publicité légale découle de ce que, au-delà de sa vertu informative, la formalité induit, le plus souvent, des effets de droit majeurs. Un des plus connus étant l’acquisition de la personnalité morale lors de l’immatriculation au RCS. Certaines publicités légales – dites publicités notices – échappent, il est vrai, à cette règle. Car, à leur accomplissement, n’est attaché aucun effet juridique spécifique : il s’agit essentiellement des informations financières. Mais alors la sanction est tout aussi lourde quoique d’une autre nature dans la mesure où la qualité de l’information diffusée va conditionner la possibilité pour un émetteur de réaliser une opération, par exemple de faire appel public à l’épargne.

Enfin, le dernier trait caractéristique de la transparence lorsqu’elle se trouve assurée par une obligation de publicité légale est que, même en matière financière, elle s’adresse à un public indéterminé et anonyme. Dès que les destinataires d’une information sont connus, nous avons affaire à une notification et non à une publicité. Et c’est alors un tout autre régime juridique qui s’impose.

III – Les défis à surmonter

Ceci étant, il s’avère que le système d’information légale se trouve soumis aujourd’hui à une double contrainte, susceptible de perturber, voire de subvertir l’efficacité de la construction. En effet, il lui incombe à la fois d’intégrer de façon cohérente les progrès de la technologie ; et de cantonner, dans des limites raisonnables, le flux d’informations exigées des entreprises.

Autrement dit, la transparence telle qu’elle se trouve prise en charge par la publicité légale doit se garder d’une tentation qui, pour reprendre une expression empruntée à un économiste éminent, Christian de Boissieu, consisterait à obliger les entreprises à tout dire, tout le temps ( )7 . Deux écueils doivent donc être évités : le mythe de l’information permanente ; le mythe de l’information exhaustive. C’est autour de cette double problématique que je propose de développer un certain nombre de réflexions.

(7) C. de Boissieu, Faut-il tout dire, tout le temps ? in Entreprises : la transparence financière à l'épreuve : Sociétal

n° 37, 3e trim. 2002, p. 76.

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A) Pourquoi tout d’abord peut-on parler d’un mythe de la transparence permanente ?

C’est que le législateur lui-même en a posé le principe. L’exigence d’une transparence permanente est ainsi expressément affirmée par plusieurs dispositions : qu’il s’agisse des mentions portées au RCS (C. com., art. L. 123-9, al. 1er ; D. n° 84-406 du 30 mai 1984, art. 11) ; et plus encore, des obligations incombant aux opérateurs sur les marchés financiers (Règl. gén. AMF, art. 222-3).

Mais cette exigence, au demeurant fort légitime, risque de devenir diabolique dès lors qu’elle s’inscrit dans un univers, qui sera sans doute le nôtre assez rapidement : celui de la dématérialisation totale ( )8 . La possibilité, mais aussi l’obligation de communiquer au public la moindre modification intervenue à l’instant même où cette modification s’est produite, quitte d’ailleurs à devoir quelque temps après faire état dans les mêmes conditions d’un retour à la situation originelle, n’imposera-t-elle pas des contraintes démesurées aux entreprises ?

Il faut en réalité relativiser le risque. D’abord parce que le basculement vers la dématérialisation totale, à le supposer souhaitable, s’avère plus délicat que prévu. Ensuite et surtout, le désir d’une transparence permanente doit être concilié avec l’exigence, non moins légitime mais à certains égards contraire, d’une information aussi fiable que possible. Au difficile basculement vers la dématérialisation totale s’ajoute l’impossible convergence entre production et diffusion du message.

1- Difficile basculement vers la dématérialisation totale,

Je ne développerai pas plus avant cette question qui sera sans doute abordée au cours de la première table ronde. Rappelons simplement que, aujourd’hui encore, le support télématique n’est toujours pas considéré comme un substitut parfait aux modes classiques empruntant la forme du papier.

Même dans cette matière éminemment évolutive qu’est le droit boursier, l’intégration de l’outil électronique n’est pas encore pleinement achevée.

Projetons nous dans un avenir relativement proche. Il n’est pas douteux que l’Internet deviendra l’un des canaux privilégiés de l’information légale. A la fois pour produire cette information et pour la diffuser. Cette convergence attendue entre production et diffusion de l’information légale est certainement de nature à peser sur l’architecture du dispositif existant.

2- L’impossible convergence entre production et diffusion de l’information légale

D’où la question : Sera-t-il bien nécessaire d’obliger les entreprises à transmettre les informations à des organismes officiels – greffes, CFE, INPI, AMF, conservations des hypothèques –, qui eux-mêmes vont ensuite les mettre à la disposition du public ? Ne peut-on admettre que chaque entreprise puisse présenter directement l’information légale la concernant sur son site web ?

(8) Une étape vient à nouveau d’être franchie avec la parution du décret n° 2005-77 du 1er févr. 2005, qui est venu

notamment préciser les modalités d’immatriculation en ligne selon les principes fixés par le législateur à l’occasion de la loi « Initiative économique » n° 2003-721 du 1er août 2003 (L. n° 94-126, 11 févr. 1994. art. 4, III).

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Cette solution, intellectuellement et techniquement envisageable, doit être résolument rejetée.

D’abord parce qu’elle contreviendrait à l’une des exigences cardinales du dispositif légal, qui est d’assurer une information aussi fiable que possible. Il est clair que la fiabilité des publicités légales ne peut être garantie qu’au prix des contrôles réalisés par les instances habilitées, intervenant a priori.

Mais le débat va alors rebondir : combien faut-il de rediffuseurs ? Un seul ne suffirait-il pas à la tâche ? Distinguons.

La publicité portable diffusée par voie de presse (à travers le BODACC ou les journaux d’annonces légales) conserve évidemment ses atouts traditionnels de rapidité et de simplicité, même si, le flux continu d’informations qui transitent par ce média ne peut, en fait, être parfaitement maîtrisé que par des professionnels du renseignement commercial ; du moins, tant que les données seront délivrées sous forme papier. En droit, le principe de la multiplicité des supports, y compris papier, est conforme à la liberté du commerce et de l’industrie.

D’autres solutions seraient toutefois envisageables : soit remplacer ces publications par des systèmes de veille télématique, directement gérés par les greffes des tribunaux de commerce ou par les CFE, lesquels seraient alors chargés de faire parvenir au demandeur les seules informations qui l’intéressent. Soit prévoir la diffusion d'annonces légales en ligne. Sauf à préciser que, dans ce dernier cas, le jeu de l’offre et de la demande imposera sans doute des regroupements rationnels.

Quant à la publicité quérable, c’est-à-dire celle inscrite sur des registres (le RCS, par exemple), elle reposait, jusqu’ici, sur l’idée de spécialisation. Spécialisation par matière, mais aussi spécialisation géographique en fonction du siège de l’entreprise.

Dans quelle mesure l’informatisation en marche pourrait-elle remédier à la dispersion actuelle des registres ? Il est à l’évidence irréaliste de songer à regrouper l’ensemble des instances chargées de faire transiter les informations évoquées plus haut et à les remplacer par un unique organisme. Pareille solution rendrait pratiquement impossibles les contrôles pratiqués sur l’existence et, plus encore, sur la qualité de l’information légale.

Il semble donc préférable de maintenir quatre grands pôles de spécialisation : les greffes des tribunaux de commerce, associés aux CFE et chargés des informations générales sur la structure de l’entreprise ; l’INPI, s’agissant des informations sur les droits de propriété industrielle ; l’autorité des marchés financiers, en ce qui concerne les informations liées aux opérations d’appel public à l’épargne ; enfin, les conservations des hypothèques qui continueraient à centraliser localement les informations relatives au patrimoine immobilier.

L’architecture générale du dispositif étant maintenue, donc la fiabilité de l’information préservée, encore faudra-t-il veiller à maîtriser le flux des informations exigées des entreprises. Une périodicité trop importante de diffusion pourrait se révéler nocive pour l’entreprise assujettie en induisant des comportements anti-économiques. En bref, il ne faudrait pas que l’information, singulièrement l’information financière, devienne une fin en soi.

Ce qui explique qu’il faut se garder d’un autre risque de dérive, qui consisterait à imposer aux entreprises une information illimitée ; c’est l’écueil de la transparence totale.

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B) Le mythe de la transparence totale

Là encore, le droit positif doit concilier deux impératifs en partie contradictoires. Il s’agit d’assurer une information qui soit à la fois exhaustive, aussi exhaustive que possible, tout en garantissant l’intelligibilité, donc la concision du message.

1- Les contraintes de l’exhaustivité

En soi, l’augmentation du nombre des informations à publier n’est pas choquante. Pareil accroissement s’avère même, souvent, pleinement justifié.

Notamment, il est peu discutable que le législateur mette en place une nouvelle formalité de publicité légale lorsque celle-ci répond à une institution nouvelle ou à un mécanisme nouveau. Que l’on songe par exemple à la construction prétorienne du fonds libéral : la notion ne sera pleinement opératoire qu’au jour où le législateur sera intervenu pour réglementer les publicités destinées à accompagner les opérations sur ce nouvel objet de droit.

Mais, pour le reste, plusieurs critiques peuvent être adressées à l’encontre de cette exigence mal maîtrisée d’exhaustivité.

En effet, l’accumulation du nombre d’informations à diffuser met l’accent sur deux limites à l’exigence d’exhaustivité : la surabondance d’information crée un sentiment illusoire de sécurité ; illusoire donc dangereux.

Les dangers d’un excès de transparence sont bien connus. Pour l’essentiel, ils procèdent de la difficile articulation de la transparence légitime exigée sur l’activité de l’entreprise avec le nécessaire respect dû à la vie privée de l’entrepreneur.

Mais le souci d’exhaustivité s’avère aussi, à certains égards, illusoire. Pourquoi ? D’abord, parce qu’il repose sur le pari implicite suivant lequel la transparence va nécessairement générer des comportements vertueux. Pari pour le moins aléatoire, comme en témoigne la question très débattue de la rémunération des dirigeants. Plusieurs études ont démontré que l’obligation de transparence n’a guère eu l’effet modérateur espéré. En somme, il convient de ne pas prêter à l’information légale des vertus prophylactiques dont elle est largement dépourvue.

Illusoire la volonté d’exhaustivité l’est également en ce qu’elle offre à l’observateur une vision nécessairement fragmentée de l’entreprise. Ce qui rend nécessaire la mise au point de synthèses. Synthèses qui soulèvent, pour le juriste, de nouvelles interrogations.

2- Les difficultés de la synthèse

Comment réaliser cette synthèse, et à qui incombera-t-il d’y procéder ?

La mise en place d’un casier commercial électronique pourrait apporter une réponse intéressante.

Mais à qui confier la responsabilité d’un tel casier commercial ? Pour éviter que seules soient disponibles les informations concernant quelques entreprises – les entreprises pour lesquelles il existe un véritable marché –, le casier commercial doit impérativement relever du périmètre de l’information légale. Autre façon de dire qu’il ne doit pas être laissé à la seule

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initiative privée. Le cas échéant, en organisant un service universel dont les modalités restent à définir.

Ceci étant, un casier commercial n’aura évidemment de sens que si sa mise en place est, au minimum, envisagée à l’échelle de l’Union européenne.

Curieusement, même pour les créations juridiques européennes, il n’existe pas, à proprement parler, de formalités de publicités spécifiquement communautaires. C’est vrai pour le groupement européen d’intérêt économique et, plus encore, pour la société européenne.

Fort heureusement, cette étonnante lacune se trouve en partie comblée grâce au réseau mis en place, sur une base purement volontaire, par les instances responsables des registres des sociétés dans seize pays de l’Union ( )9 .

Sans vouloir contester la qualité du travail réalisé dans le cadre de ce réseau informel, il conviendrait sans doute de lui donner une assise institutionnelle. Ne serait-ce que parce que l’élargissement du champ de diffusion de l’information imposera d’adapter en conséquence la nature des informations diffusées.

En conclusion, la transparence, telle qu’elle est prise en charge par le dispositif d’information légale, remplit parfaitement son office, sauf les ajustements à la marge qui s’imposent comme partout ailleurs. La plupart des critiques qui lui sont actuellement adressées laissent perplexe, soit parce qu’elles assignent au principe de transparence un rôle qui n’est pas le sien, soit parce qu’elles pointent des dysfonctionnements qui relèvent en réalité du droit substantiel dont les publicités ne sont que le reflet.

En définitive, j’ai essayé de démontrer que ce n’est pas tant la transparence en soi qui est un mythe, mais bien certaines des vertus qui lui sont abusivement prêtées.

L’information légale, par qui et comment ?

À l’heure de l’Internet, faut-il repenser la diffusion de l’information légale dans un contexte international?

TABLE RONDE introduite et animée par Jacques DRAGNE, Président de chambre à la Cour d’appel de Douai, ancien Directeur général adjoint de l’INPI

Jacques DRAGNE.– L’information légale, par qui ? À quelques exceptions près – dont la plus connue est sans doute l’obligation faite aux commerçants et sociétés de mentionner, sur

(9) Ce réseau dit EBR, European Business Register, dispose d’un site internet, qui constitue un portail d'accès à

divers sites officiels diffusant l'information légale en provenance des registres des sociétés européennes.

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certaines pièces, leur numéro unique d’identification d’entreprise et le lieu de leur immatriculation –, l’information légale sur les entreprises met en œuvre des supports qui leur sont extérieurs. Ces supports consistent essentiellement en des journaux et registres publics, définis par la loi. Ils présentent la particularité de faire intervenir une pluralité de gestionnaires, soumis à une grande variété de statuts. En effet, des opérateurs privés (les journaux habilités à recevoir les annonces légales) côtoient à la fois des officiers publics titulaires de charges (les greffiers des tribunaux de commerce chargés de la tenue du registre du commerce pour le ressort de leur tribunal), un établissement public (l’Institut national de la propriété industrielle, qui, notamment, centralise un second original des registres locaux) et, enfin, une administration centrale (les journaux officiels en charge de l’édition du Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, c’est-à-dire le BODACC).

Une autre originalité du dispositif tient à ce que, à côté de missions et d’informations qui leur sont propres, ces intervenants vont assurer la diffusion d’informations portant sur les mêmes entreprises et qui, souvent, se recoupent, sauf à avoir été conçus pour l’être selon des modalités différentes. L’observation vaut pour les commerçants, personnes physiques (registre du commerce et des sociétés dans sa double composante greffe et INPI ; BODACC) comme pour les sociétés (annonce légale dans un journal habilité ; registre du commerce dans sa double composante ; BODACC).

Cette superposition a été voulue. Elle est apparue comme le moyen de donner aux informations concernées une diffusion à la mesure de l’enjeu. Un enjeu qui était, à l’origine, d’ordre essentiellement juridique. Il s’agissait d’assurer la sécurité des transactions : ce qui explique, d’ailleurs, certains effets de droit qui s’attachent souvent aux formalités de publicité. On pense par exemple à l’inopposabilité des faits et actes non publiés, c’est-à-dire la faculté pour les tiers qui y ont intérêt à tenir ces faits et actes pour inexistants lorsqu’ils n’ont pas été publiés. Il faut bien reconnaître que, pendant longtemps, l’efficacité voulue par le législateur restait très imparfaite. Exception faite de quelques institutionnels, rares étaient les opérateurs de l’économie qui avaient directement recours à l’information légale – sauf peut-être par le biais des annonces publiées dans les journaux d’annonces légales – pour s’informer sur leur environnement, soit qu’ils en ignoraient même la possibilité, soit que la piètre commodité d’accès les avait dissuadés.

Dans la pratique, c’est surtout a posteriori, au moment du procès, que leur avocat s’avisait d’y chercher quelques failles susceptibles de fonder un de ces providentiels moyens de procédure qui vient parfois au secours du plaideur en difficulté. Et quel merveilleux magicien que cet avocat qui peut expliquer à son client, fournisseur impayé d’un commerçant insolvable ou parti sans laisser d’adresse, qu’il va pouvoir rechercher le précédent exploitant ou propriétaire du fonds parce que la cession n’a pas été publiée et lui est donc inopposable.

Les quinze dernières années ont marqué un profond changement. La loi n’y est pas pour grand chose. On doit le changement aux nouvelles techniques de traitement et de diffusion de l’information dont les gestionnaires de la publicité légale ont très tôt tiré parti en s’engageant, soit directement dans la constitution de banques de données accessibles en ligne par voie télématique – et je pense notamment à Infogreffe pour les greffes et à Euridile pour l’INPI –, soit en favorisant la constitution de telles bases de données par des opérateurs privés auxquels étaient cédées les informations sur support électronique, comme tel a été le cas des journaux officiels.

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Assez rapidement l’interrogation de ces bases de données a pris le pas sur les modes classiques d’accès à l’information légale, c’est-à-dire les demandes d’extraits ou de copie papier des registres ou le dépouillement des journaux ou des bulletins. Elle est devenue l’acte réflexe des opérateurs de la vie économique intervenant, non plus a posteriori au stade du contentieux comme je l’évoquais tout à l’heure, mais souvent avant toute décision et avant toute action. Et, par là même, la publicité légale a, je crois, pris sa pleine signification, en même temps qu’était conférée plus de légitimité aux effets de droit qui s’y attachent. La facilité d’accès à la publicité légale, s’ajoutant d’ailleurs à l’extension de l’information obligatoire aux comptes annuels des sociétés, a conféré à la publicité légale une autre dimension, d’ordre plus économique : l’établissement d’une transparence minimale dans la vie des affaires.

Mais, parallèlement, la technique des banques de données accessibles en ligne à tout moment, sans déplacement, a transformé en une certaine redondance ce qui avait été conçu en termes de complémentarité. Le regroupement des greffiers au sein d’Infogreffe donne à leur système informatique quelques effets de registre national. Les bases Infogreffe et Euridile offrent des prestations de publicité portable, empiétant alors quelque peu sur l’objet des bulletins et des journaux d’annonces légales. Le regroupement des annonces légales autour de la désignation de l’entreprise, auquel procèdent les opérateurs privés, conduit à établir d’une certaine façon des registres, au moins partiels.

L’ensemble de ces problèmes avait été abordé il y a dix ans, à l’initiative du CREDA, lors du colloque déjà évoqué, de 1994 ( )10 . La demi-journée d’aujourd’hui doit conduire à nous interroger sur le point de savoir si quelque chose à changé depuis dix ans. À titre personnel, je ne le pense pas. Ceci étant, je suis désormais un observateur extérieur et, peut-être, mon propos est-il un peu abrupt.

Cette table ronde devrait être l’occasion de faire le point de la question en abordant successivement : la présentation des institutions et organismes gestionnaires de l’information légale, afin de préciser les enjeux juridiques de leurs interventions ; l’impact des nouvelles techniques de traitement, de stockage et de diffusion de cette information ; la question de savoir si, notamment dans la perspective de l’application de la directive du 15 juillet 2003, d’autres aspects de l’information légale ne doivent pas évoluer.

Je ne voudrais cependant pas laisser la parole aux intervenants sans saluer la présence de Monsieur Assayag, qui en sa qualité de « registraire des entreprises » au Québec, pourra nous indiquer quelle est son expérience et, peut-être, porter un jugement sur ce qui se fait dans notre pays. Interviendront également au débat, outre les gestionnaires français du système de publicités légales, un conservateur des hypothèques, qui nous rappellera quels sont les principes régissant ce dispositif particulier d’information légale, un représentant des entreprises privées, un représentant en quelque sorte des usagers de l’information légale.

Jean-Gaston MOORE, Président du Syndicat national de la presse judiciaire, Directeur honoraire de la Gazette du Palais.– La table ronde à laquelle je participe dans le prolongement du précédent colloque organisé par le CREDA le 1er mars 1994 et dont les travaux ont été publiés par la Semaine Juridique, édition entreprises ( )11 .

(10) CREDA, L’information légale dans les affaires, préc. (11) Colloque précité, note 5.

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Celui du 8 décembre 2004 tente, dix ans après, de faire le point sur l’actuelle position de l’information légale dans les affaires : Quels enjeux ? Quelle évolution ? En 2004, comme en 1994, la conclusion de ces réunions a été assurée par le Professeur Catala avec le talent, la maîtrise et l’intelligence que nous lui connaissons. L’information ou la publicité légale concerne les journaux habilités à recevoir les annonces judiciaires et légales, le Registre du commerce et le Journal officiel. Ils sont complémentaires : les journaux habilités diffusent l’information par leur publication au moins une fois par semaine tandis que le Registre du Commerce et l’INPI sont la mémoire permanente de l’information de l’entreprise. Si on y ajoute les inscriptions du Trésor et de la Sécurité Sociale, l’information sur l’entreprise et sa transparence sont ainsi assurées par :

− Ceux qui portent à connaissances (les journaux habilités) ;

− Ceux qui la mémorisent, que l’on peut consulter par tous moteurs de recherche, qu’ils soient traditionnels ou numériques.

Une étude portant sur les pays de l’Europe réalisée par Madame Régnard et Monsieur Béder, Greffiers du Tribunal de commerce de Paris, confirme que la France est à l’avant-garde de la transparence et de l’information des tiers. Nous appliquons cette obligation magistralement, voire même au-delà des exigences de la directive communautaire de 1978 en la matière.

La question posée par le colloque du 8 décembre était donc de savoir quelle était l’évolution de l’information légale depuis dix ans, en présence de l’ère du numérique et de l’Internet ? Nous pensons qu’il y a été répondu.

Globalement celle-ci était d’ores et déjà amorcée en 1994 ; les nouvelles technologies par le biais des moteurs de recherche en sont en effet un vecteur idéal à condition que la sécurité juridique de l’information recueillie soit garantie quant à son contenu et ses sources.

Pour en comprendre les enjeux, il faut préalablement rappeler les fondamentaux suivants :

− Il convient de distinguer les informations portées à connaissance (apportées), de celles recherchées. Sans celles « apportées » hebdomadairement par les journaux habilités, responsables de leur contenu, de leur validité et de leurs sources, il n’y a pas de sécurité juridique dans le domaine de l’information au quotidien et notamment dans celui de sa mise en mémoire.

− Cette sécurité est la condition de la fiabilité de l’information des entreprises : par suite, elle ne pourrait être laissée à la discrétion d’organes non reconnus et non responsables.

Certes, depuis 1994, les modes d’accès à l’information se sont perfectionnés et il est à noter que les greffes, mémoire de la transparence, ont suivi sur ce point. Ceci étant, une évolution tenant compte de ces nouvelles technologies doit être envisagée dans le mode des « portés à connaissance ».

Arnaud Reygrobellet a soulevé ce point. Une entreprise tenue d’effectuer une publicité dans un journal habilité, en vertu de la loi, ne pourrait-elle pas éditer celle-ci et la mettre en ligne sur son site Internet ou par le biais d’un site spécifique ayant pour objet même cette diffusion ? La publicité des « portés à connaissance » serait reprise par les greffes et la mise en mémoire.

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Réponse : cette suggestion d’une évolution est séduisante mais deux objections peuvent être avancées :

1) D’une part, elle installerait l’insécurité juridique de l’information et ses conséquences. En effet, des informations fausses ou inexactes portées à connaissance pourraient être de nature à mettre en péril ou à nuire aux entreprises.

2) D’autre part, même si l’origine de l’information ainsi diffusée n’est pas contestée, subsisterait néanmoins la question de la validité de son contenu et de la fiabilité de ses sources, difficultés à ce jour résolues par la responsabilité qui incombe aux journaux d’annonces légales de garantir ces aspects.

C’est pourquoi, en conclusion, l’intervenant écarte cette solution peu fiable d’évolution du porté à connaissance.

Cette problématique n’est pas propre à notre matière. Elle en préoccupe d’autres. Il en va ainsi de la dématérialisation des marchés publics qui prévoit qu’à partir du 1er janvier 2000, les collectivités territoriales seraient dans la capacité de recevoir des offres présentées sous forme électronique : présomption obligatoire, notamment en matière d’appel d’offre. « Mais s’assurer de la confidentialité de ces données, de l’identification de leurs sources, de l’intégralité de leur contenu et de la longévité des données d’archivage ne peut se faire que par l’utilisation d’un site Internet sécurisé et fiable, organisé par un professionnel spécialisé ». Cette recommandation préfectorale aux collectivités territoriales rejoint nos préoccupations.

L’évolution du porté à connaissance par les journaux habilités qui assurent la fiabilité des sources et la validité du contenu des informations, peut avoir un prolongement par le biais de l’outil Internet à condition que celui-ci se fasse au moyen d’un site sécurisé et fiable, organisé par les journaux habilités et hébergé sous notre responsabilité.

Telle est pour nous la condition nécessaire d’une publicité légale que nous souhaitons élargie, prenant en compte l’évolution des contrats affectant les entreprises – la liste en est longue à titre énonciatif et non limitatif.

Il en va ainsi des cessions de marques ou de brevets, certes publiées à l’INPI mais non au registre du commerce (or la cession d’une marque équivaut généralement à celle d’un fonds) ; des cautionnements donnés par les chefs d’entreprise qui devraient être inscrits, telles les inscriptions du Trésor ou de la Sécurité Sociale, au registre du commerce ; des nantissement de parts sociales ou d’actions (qui devraient à tout le moins être inscrits au registre du commerce) ; des contrats de leasing ; des ventes avec réserve de propriété ; ou mieux encore, les hypothèques portant sur les biens immobiliers d’une entreprise qui ne sont ni inscrites ni mentionnées au registre du commerce. N’était-ce pas une des lectures dénoncées en 1991 au Congrès des greffiers des Tribunaux de commerce d’Angoulême par les éminents Professeurs Beauchard et Croze ( ) 12 ?

La clandestinité nuit à la transparence, à la sécurité juridique et à la protection des tiers.

(12)La publicité des garanties : Gaz. Pal., 30 mai 1993, p. 4.

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Voici donc une évolution souhaitée vers une meilleure transparence en raison de l’évolution des modes de crédit de l’entreprise.

La publicité destinée aux tiers est insuffisamment adaptée à la réalité économique d’aujourd’hui, elle méconnaît les nouveaux contrats comme la réserve de propriété ou le leasing ignorés autrefois, sans oublier la généralisation du cautionnement. Rien n’a bougé de cette situation depuis 1994.

Cette regrettable constatation mériterait d’être prise en compte pour l’avenir, dans l’intérêt de la sécurité juridique des entreprise et des tiers.

Mariette SERRES, Conseiller juridique, Direction générale, INPI, Membre du Comité de coordination du RCS.– Le président Jacques Dragne vient de rappeler la permanence des acteurs. Quoi de plus naturel pour une institution qui remonte au Moyen Âge et qui s’est constituée à partir de l’organisation corporatiste des marchands pour aboutir au milieu du XXe siècle au registre tel qu’on le connaît.

Cette permanence, c’est un registre local tenu par les 191 greffes des tribunaux de commerce auxquels s’ajoutent les 35 tribunaux d’instance, tribunaux de grande instance et tribunaux mixtes statuant commercialement. On peut souligner la coexistence de greffiers, officiers publics et ministériels et de greffiers fonctionnaires. Les informations de ces 226 greffes sont centralisées à l’Institut national de la propriété industrielle qui assure la tenue du registre national du commerce et des sociétés.

Les informations que l’on trouve au registre concernent quelque 3 772 000 entreprises dont : 1 000 000 de personnes physiques commerçantes ; 1 600 000 sociétés commerciales ; 1 150 000 sociétés civiles et d’exercice libéral.

L’ensemble de ces données correspond à 65 kms d’archives vivantes consultées tant au niveau national qu’au niveau local. Ces archives, mises à jour de manière permanente, représentent plus de 5 000 mises à jour quotidiennes.

La sécurité de cet instrument déclaratif est assurée par le contrôle qu’exerce le greffier.

Sylvie LEMERCIER-RÉGNARD, Greffier en chef au Tribunal de commerce de Paris.– Le greffier est un officier public et ministériel qui est investi d’une double mission. Outre sa mission judiciaire – assurer l'authenticité des décisions rendues par la juridiction consulaire dont il conserve les archives –, il tient plusieurs registres dont le registre du commerce et des sociétés et ceux des privilèges et nantissements (nantissements sur fonds de commerce, privilège du vendeur, publicités URSSAF, etc.).

Ce faisant, le greffe collecte, contrôle, authentifie, conserve et restitue, en toute fiabilité, les informations indispensables à la transparence de la vie économique. En effet, le greffier assure, sous sa responsabilité, un contrôle juridique approfondi des déclarations faites par les entreprises au regard des pièces déposées et de la cohérence de la formalité avec l’état du dossier. Il peut également vérifier à tout moment la conformité du dossier aux lois et règlements en vigueur.

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Mariette SERRES.– En dernier lieu, pour revenir à notre propos introductif de la permanence des acteurs, il convient d’évoquer le rôle du comité de coordination du RCS créé en 1984, à l’initiative de Jacques Dragne ici présent.

Il joue un rôle « d’interface » entre pratique et règles de droit en délivrant des avis. Les avis sont largement diffusés et commentés grâce à leur publication au BRCS (Bulletin du Registre du Commerce et des Sociétés) assurée par l’INPI depuis 1998.

Jacques DRAGNE.–. Il y a quand même un point sur lequel je voudrais tempérer les propos de Mariette Serres qui fait du Registre du commerce l’héritier des registres des corporations. En réalité, il faut être beaucoup plus modeste. Lorsque le Registre du commerce a été créé, en 1919, c’est surtout pour un motif de circonstance. Au lendemain de la guerre de 14, le gouvernement a voulu confisquer les biens des entreprises allemandes ; or, il s’est trouvé dans l’incapacité de les recenser. Ceci à conduit à mettre au point un Registre du commerce, en s’inspirant de ce qui existait dans plusieurs pays étrangers et notamment en Allemagne. Passons maintenant aux journaux officiels qui, dans la période contemporaine, se sont vus attribuer un rôle qui n’a ensuite cessé de se renforcer.

Pierre CHAULEUR, Chef du service des Éditions économiques et financières, Direction des journaux officiels.– Rappelons, tout d’abord, que le BODACC est un bulletin de la Direction des journaux officiels qui, elle-même, est toujours un service du Premier ministre. Si je devais qualifier le BODACC à travers trois mots, j’utiliserai ceux de mission, de volume et également d’obligation juridique.

La mission est très claire. Le BODACC a pour fonction d’être la mémoire officielle de la vie des entreprises. C’est pour cette raison qu’il existe trois éditions complémentaires : tout d’abord l’édition A, qui reçoit la publication des annonces de créations d’entreprises (256 000 au cours de l’année 2003) ainsi que les cessions de fonds de commerce, redressement et liquidation judiciaires ; l’édition B concerne les modifications diverses et les radiations ; enfin, l’édition C assure la publication des avis de dépôts des comptes de sociétés.

C’est une mission qui a évolué depuis la loi du 17 mars 1909 prévoyant pour la première fois une publication des avis de vente et de nantissement de fonds de commerce. C’est en 1978 qu’il prend son appellation de Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales. La dernière évolution remonte au mois de mai 2004 et concerne le BODACC A : on y a intégré les avis concernant les procédures de rétablissement personnel. Il y existe trois modes de diffusion. Tout d’abord le BODACC papier. Il faut bien le dire, c’est un mode de diffusion qui est en voie de diminution très forte. Il y a à peu près 12 000 abonnés à chacune des éditions A et B. C’est donc relativement peu. Le Minitel est maintenant quasiment en voie de disparition. Reste la troisième modalité de diffusion, c’est celle des rediffuseurs. Six licenciés sont titulaires du contrat de rediffusion et récupèrent cette information, notamment pour les plates-formes comme Euridile.

Quant au volume, il est tout à fait considérable. C’est même la plus importante publication de la Direction des journaux officiels : 468 bulletins sortent par an, soit 1 900 000 annonces et 94 000 pages publiées. Les textes imposent en principe une obligation de publication à 8 jours, parfois à 15 jours ; publication qui fait parfois courir un délai d’opposition, par exemple en matière de procédures collectives.

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Alain FOURNIER, Conservateur des hypothèques honoraire, Président de la Commission juridique de l'Association des Conservateurs des hypothèques.– Je vous remercie d’avoir pensé à associer un conservateur des hypothèques à ce colloque consacré à l’information légale sur les entreprises.

En effet, à côté des instruments aussi connus que le registre du commerce et des sociétés et les journaux d’annonces légales, un autre type de publicité existe, susceptible de compléter, le cas échéant, l’information sur les entreprises : c’est la publicité foncière dont la gestion est confiée aux conservations des hypothèques.

Il est vrai que la publicité foncière ne concerne ni spécifiquement ni pour l’essentiel les entreprises, qu’il s’agisse de faire connaître la situation juridique des immeubles ou les privilèges et hypothèques dont ils sont grevés.

Mais les entreprises, comme les particuliers, sont susceptibles d’être propriétaires d’immeubles ou titulaires de droits immobiliers, d’accomplir à leur égard des actes juridiques nécessitant une publicité, de recourir au crédit hypothécaire, voire de supporter sur leurs biens des hypothèques légales ou judiciaires. Il me paraît dès lors utile de vous indiquer aussi brièvement que possible comment est organisé le service de la publicité foncière et quelles sont ses principales caractéristiques.

C’est un service du Ministère de l’économie, des finances et de l’industrie, rattaché au plan central à la Direction générale des impôts et, au plan départemental, aux Directions des services fiscaux. Il comprend 354 bureaux des hypothèques répartis sur l’ensemble du territoire national. Chaque bureau possède une compétence territoriale et c’est la localisation géographique des immeubles qui détermine le bureau dans lequel doit être accomplie la formalité de publicité.

L’ensemble des bureaux traite environ 10 millions de formalités par an se décomposant en publications, inscriptions, mentions et délivrance de renseignements, cette dernière catégorie représentant près de 60 %.

Il est important de noter que la mission des conservations des hypothèques est double : une mission civile, qui seule nous intéresse ici au regard de l’information légale ; une mission fiscale, qui concerne la perception des impôts exigibles et de la taxe de publicité foncière à l’occasion des formalités de publicité.

La mission civile consiste à accomplir les formalités de publicité, à tenir à jour le fichier immobilier et à délivrer les renseignements. Il faut également noter l’originalité du statut du conservateur : à la fois fonctionnaire indépendant, personnellement et civilement responsable dans sa mission civile, et comptable public soumis hiérarchiquement à son administration dans ses attributions fiscales.

Dans les cas les plus nombreux, la publicité est obligatoire à fin d’opposabilité aux tiers d’une vente, d’un apport en société ou d’une donation notamment. Dans d’autres cas, la publicité est facultative. Dans d’autres cas encore, facultative ou obligatoire, elle peut n’être requise que pour l’information des tiers (par exemple pour la publicité des attestations de propriété après décès ou celle des actes déclaratifs).

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Enfin, pour assurer la plus grande sécurité juridique, le contrôle du conservateur est très rigoureux quant à l’identification des personnes, à la désignation des biens et quant à la relation continue entre les formalités successives concernant un même immeuble. Un principe dit « de l’effet relatif » oblige, en effet, tout titulaire d’un droit immobilier à publier son titre. A défaut, il ne pourra requérir aucune autre publicité sur son bien.

Pour terminer, j’ajouterai que notre service de publicité foncière, qui a plus de deux siècles, est un service moderne ; tous les bureaux ont maintenant une gestion entièrement informatisée sous logiciel FIDJI (Fichier Informatisé de la Documentation Juridique Immobilière). La prochaine étape, dans un futur encore imprécis mais prochain, car les expérimentations commencent, sera la dématérialisation complète des relations avec les usagers.

Jacques DRAGNE.– Merci Monsieur Fournier. Nous allons quitter la France pour traverser l’océan et nous rendre au Québec.

Abraham ASSAYAG, Registraire des entreprises du Québec.– Merci Monsieur le Président. Je suis très honoré d’être parmi vous et flatté, également, de me trouver en si éminente compagnie. Le Registraire des entreprises du Québec est né en 2004. En fait, c’est un organisme qui est le successeur du Secrétariat et Registraire de la Province du Bas-Canada créé en 1841 et qui a subi de nombreuses transformations avec les années.

La mission du Registraire des entreprises consiste à gérer une quarantaine de lois relatives aux compagnies, aux sociétés, au courtage immobilier, ainsi que la loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales qui a été adoptée en 1994. Nous sommes l’un des quatre registres prévus par le Code civil du Québec de 1994 avec le Registre foncier, le Registre des droits personnels réels et mobiliers et, bien sûr, celui du Directeur de l’État civil, pour les personnes. En somme, nous nous occupons de « l’état civil des entreprises », pour reprendre une expression qui a déjà été utilisée par un autre intervenant.

1994 a été l’année d’une refonte complète de notre système de publicité légale. À l’occasion des travaux ayant mené à l’adoption du Code civil du Québec (qui est entré en vigueur le 1er janvier 1994), le régime de publicité légale hérité de l’ancien Code civil du Bas Canada et des principales lois adoptées entre 1849 et 1930, a été revu de fond en comble. Cet exercice s’est traduit par une réforme majeure, et l’entrée en vigueur de la Loi sur la publicité légale des entreprises individuelles, des sociétés et des personnes morales le 1er janvier 1994 (il y aura donc bientôt 11 ans).

Le régime existant jusqu’en 1994 reposait en fait sur un droit morcelé issu d’une trentaine de lois dont les plus anciennes dataient de 1849. Il se caractérisait par des systèmes multiples placés sous la responsabilité de différentes autorités administratives et une double dispersion des registres : dispersion au regard de la forme juridique des entreprises (notamment avec des registres pour les organismes à but non lucratif, pour les sociétés en commandite, pour les sociétés par actions) ; dispersion territoriale au regard du siège de l’entreprise (34 greffiers, qu’on appelait des protonotaires et qui tenaient chacun un registre des sociétés et des raisons sociales). La publicité avait donc une portée territoriale limitée à la compétence de l’autorité administrative chargée de l’appliquer, étant locale, même paroissiale parfois puisque certaines sociétés horticoles étaient constituées dans les paroisses. L’ancien régime comportait donc de multiples instruments de publicité légale tant sur le mode portable que sur le mode quérable.

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Autrement dit, il n’existait quasiment pas de publicité de portée nationale, c’est-à-dire à l’échelle du Québec.

En 1994, l’objectif a été d’harmoniser les règles en s’appuyant sur les progrès des technologies de l’information. Il existe désormais un régime unique applicable à toutes les formes juridiques d’entreprises et groupements avec ou sans personnalité morale (l’entreprise individuelle – appelée commerçant en France –, la société en nom collectif, la société en commandite, la société par actions, la coopérative, l’association ou personne morale sans capital-actions). Le régime de publicité légale est, ainsi, aujourd’hui beaucoup plus simple et de portée territoriale globale. Il n’y a donc plus qu’un seul registre. Une seule déclaration à ce registre suffit aujourd’hui en lieu et place des divers avis autrefois requis. La nécessité d’un avis écrit dans un journal n’est plus que l’exception, comme lorsqu’en vertu de la Loi sur les compagnies une société doit publier un avis d’intention de dissolution, dans un journal de la localité la plus proche de son siège.

Le registre est accessible par voie électronique à un coût très faible, parfois même nul, grâce à Internet, partout au Québec et à l’extérieur, combinant ainsi les modes quérable et portable. L’information a valeur légale sur ce support et conserve ses propriétés d’opposabilité et d’authenticité. Internet est ainsi un outil inégalé pour assurer la transparence (l’un des thèmes de ce colloque) et assurer une diffusion large et instantanée de l’information sur l’identité des entreprises. Cette technologie permet ainsi aux principes d’information légale et de publicité légale de réussir leur transition du monde papier, qui était la base de l’ancien régime de publicité légale québécois, au monde technologique, qui est à la base du nouveau régime. Cette technologie, combinée à la modernisation du régime québécois de publicité légale, offre de nouvelles perspectives pour l’avenir, dont nous aurons l’occasion de parler tout à l’heure.

Jacques DRAGNE.– Voilà une transition toute faite avec le deuxième thème : l’impact des nouvelles techniques. C’est l’INPI qui commence ?

Mariette SERRES.– Grâce à Internet et au réseau haut débit, il est devenu possible de diffuser des images et d’accéder en temps réel à des documents (400 millions de pages numérisées accessibles actuellement).

Les nouvelles technologies ont changé la donne, en favorisant la culture de l’information gratuite. C’est ainsi qu’infogreffe et Euridile permettent d’accéder gratuitement à une première identification concernant le nom, la dénomination, le numéro unique d’identification, l’adresse, la forme juridique et l’activité de l’entreprise (4 millions de visiteurs pour ces 2 sites et environ 1 600 000 actes commandés chaque année).

Le serveur Euridile, auquel on accède par le numéro d’identification de l’entreprise, son adresse, son nom ou celui d’un dirigeant ou d’une marque, permet de visualiser ou commander les informations clés. On peut, par exemple, obtenir une « fiche d’identité » qui comprend toutes les mentions portées au registre sur la situation personnelle du déclarant et de ses établissements. Celle-ci est complétée par les actes des sociétés (8 millions d’actes numérisés). Enfin, sont également accessibles les données financières résultant des comptes annuels.

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L’objectif, très proche, est désormais la dématérialisation des formalités d’entreprises. Le cadre juridique est prêt avec la loi Initiative économique du 1er août 2003 et la publication imminente des décrets d’application (D. n° 2005-77 du 1er févier 2005, modifiant le décret ,n° 84-406 du 30 mai 1984).

La mission de diffusion du registre national du commerce et des sociétés a été concédée à Coface-ORT depuis un peu plus de 10 ans dans le cadre d’une délégation de service public par l’INPI. La concession prévoit notamment que l’ensemble des fichiers, objet de la concession, puisse être mis à disposition de tiers par un contrat de licence. Ce contrat peut porter sur tout ou partie des fichiers pour un usage interne ou une rediffusion ; dans ce second cas, la société a l’obligation d’y apporter une valeur ajoutée. Le choix stratégique de ne pas entraver le développement du marché de l’information économique conduit à une tarification adaptée du prix des licences.

Sylvie LEMERCIER-RÉGNARD.– Infogreffe qui avait relevé très tôt le challenge du Minitel est, aujourd’hui accessible sur Internet. L’ensemble des greffiers des tribunaux de commence se sont regroupés au sein de ce GIE pour donner un accès uniforme à l’information. Sur Infogreffe, il est possible de visualiser et de commander l’extrait du registre du commerce – l’extrait Kbis –, les états de privilège et de nantissement, les actes et statuts déposés, les comptes annuels et de visualiser également des informations concernant les procédures judiciaires.

Pierre CHAULEUR.– Je voudrais expliquer plus largement l’expérience de la Direction des journaux officiels en matière de dématérialisation. Depuis 1999, nous nous inscrivons dans une triple démarche de dématérialisation : dématérialisation de l’acquisition de la donnée, du traitement de la donnée et également de la diffusion. Dès 2000, la possibilité a été offerte de saisir en ligne des annonces de marché public. Nous avons aussi travaillé en partenariat avec les greffes pour que les annonces du BODACC nous soient transmises de façon informatisée. L’année 2004 a été une année extrêmement importante pour la Direction des journaux officiels en termes de dématérialisation de l’acquisition des données. Le décret du 7 janvier 2004 réformant le Code des marchés publics impose dorénavant des téléprocédures pour passer des annonces au BOMP (Bulletin officiel des annonces de marché public). L’autre élément extrêmement important, qui a trait à l’acquisition de la donnée, concerne les débats parlementaires. Depuis janvier 2004, pour l’Assemblée nationale, et depuis avril 2004, pour le Sénat, l’ensemble des débats parlementaires nous sont transmis par fichiers.

Mariette SERRES.– La synergie entre le RCS et les autres bases est un outil de l’intelligence économique au service des entreprises.

En ce qui nous concerne, l’information juridique et économique du registre du commerce est enrichie par l’apport croisé avec d’autres fichiers, qui concernent principalement la propriété industrielle. Le fichier du registre des marques permet de connaître l’identité du titulaire d’une ou plusieurs marques. Cette recherche par le nom d’une marque est accessible sur Euridile.

Par ailleurs, les recherches d’antériorité effectuées par l’Institut permettent de vérifier la disponibilité d’un nom. Elles sont faites à partir du fichier national des marques et du registre national du commerce et des sociétés et s’effectuent selon différents critères : recherche à l’identique par comparaison avec l’ensemble des fichiers ; recherche de similitude phonétique, orthographique et intellectuelle ; recherche plus élaborée sur le radical.

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Enfin, un lien avec le cadastre donne une information sur le patrimoine immobilier des entreprises avec l’accès aux propriétés foncières détenues par les personnes morales.

Sylvie LEMERCIER-RÉGNARD.– Une donnée nouvelle concerne, outre Internet, la reconnaissance de la signature électronique. Les greffiers interviennent comme des autorités de certification. Leur intervention est essentielle car la tenue du registre du commerce permet de vérifier, à tout moment, si la personne a la capacité d’engager la société. Par ailleurs, le greffe du tribunal de commerce de Paris a développé un outil qui permettait de préparer, en ligne, des formalités. À peu près 70 formalités sont accessibles actuellement. Dans les jours qui viennent, ce site sera repris par Infogreffe, dans une synergie totale, pour permettre de préparer, dans toute la France, des formalités au registre du commerce et des sociétés.

La première étape impose, aujourd’hui encore, de préparer un dossier papier. On y trouve : le document CERFA, certaines pièces justificatives préremplies à partir de la saisie effectuée, la liste des pièces justificatives, des déclarations de non-condamnation. Dans les semaines qui viennent, nous pourrons transmettre le contenu de la formalité sur la plate-forme de télécollecte qui a été développée également par l’ensemble des greffiers. Bientôt, il sera possible de dématérialiser totalement la formalité, que ce soit la liasse CERFA ou les pièces justificatives.

Jérôme CAZES, Directeur général délégué du Groupe Coface.– Je représente Coface ORT, une filiale du groupe Coface. Nous avons une longue expérience de la diffusion du registre national du commerce et des sociétés que nous assurons, pour le compte de l’INPI. Nous sommes également membre de l’European Business Register, service d’accès aux informations sur les entreprises, issues des registres de 14 pays de l’Union européenne. Nous sommes par ailleurs le prestataire de diffusion des bases de données juridiques produites par l’État, bien connues à travers le site en ligne Legifrance. Je pourrais d’abord confirmer combien l’arrivée d’Internet a effectivement induit une évolution dans le comportement des utilisateurs. L’accroissement de la consultation par Internet est très significatif. Il donne accès aux données mais aussi aux documents que l’utilisateur peut imprimer à distance. Le phénomène est très net pour Euridile qui permet de consulter la copie des pièces publiées (actes, statuts, comptes annuels) soit près de 400 millions de pages. Cette évolution n’est, je pense, pas incompatible avec les méthodes traditionnelles de collecte d’information pour le registre du commerce et des sociétés. L’outil télématique permet également aux utilisateurs de faire des agrégations de données et, ce faisant, bien sûr d’effectuer des traitements sur les données. Notre participation dans l’European Business Register montre également l’interconnexion croissante des registres du commerce au niveau de l’Europe. L’usager, comme d’ailleurs les entreprises assujetties, a un besoin croissant de guichet unique, exigence assez ancienne mais délicate à satisfaire. Comment, sous un même service, assurer plusieurs modes d’accès et comment mettre en interconnexion les différents opérateurs ? Il faut concilier à la fois la sécurité juridique et la sécurité informatique. Je puis vous confirmer que, pour les bases de données du RNCS, nous n’avons jamais eu à déplorer une quelconque altération des données et je puis aussi vous assurer que, malgré Internet, les données sont extrêmement protégées. Donc, sécurité et Internet ne sont pas incompatibles. Par contre, tout cela a un certain coût.

Par ailleurs, en tant que professionnel de l’information, l’évolution vers le « tout électronique » nous a conduit à développer un certain nombre de réflexions. Notamment, il nous apparaît nécessaire – et ce n’est pas seulement l’opinion de la COFACE – de réfléchir à un identifiant unique au niveau européen. En effet, toute information sur les entreprises à l’échelle européenne suppose au préalable une identification précise et harmonisée. Or, il

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existe encore, entre les différents pays d’Europe, de très grandes différences en ce qui concerne les identifiants et des différences plus grandes encore s’agissant des données économiques accessibles. Les utilisateurs sont devenus particulièrement exigeants : ils demandent une information immédiate et directement consommable sur des données essentielles. Il nous faut donc adapter en permanence les outils technologiques pour assurer la sécurité, la fluidité et la circulation des données – je pense par exemple aux technologies XML qui permettent d’uniformiser les échanges d’information. Il faut aussi que l’interface utilisateur soit le plus convivial possible et accessible par tout le monde.

Jacques DRAGNE.– Avant de passer aux projets de l’INPI et des greffiers, un mot de Monsieur Assayag sur les projets du Québec.

Abraham ASSAYAG.– Il y a un an et demi, un gouvernement nouvellement élu a entrepris de moderniser la fonction publique à laquelle se rattache le Registraire des entreprises. La vision du nouveau gouvernement est celle d’un service public plus léger et plus flexible, un service en ligne de préférence mais pas exclusivement. J’aimerais donner trois exemples de projets auxquels participe le Registraire, et grâce auxquels il peut apporter une contribution importante à la concrétisation de cette vision.

Le premier de ces projets concerne le développement d’une signature numérique à l’usage de l’entreprise dans ses rapports avec les services gouvernementaux. À l’heure actuelle, le Registraire est dans une phase de transition vers le tout télématique. Si l’information légale peut aujourd’hui être transmise par Internet tout en conservant ses propriétés d’authenticité et d’opposabilité, il n’est pas encore possible pour les entreprises de mettre à jour, par le même canal, les informations du registre les concernant, tout en permettant que l’information ainsi transmise ou modifiée conserve ces propriétés. Ceci s’explique par des raisons de sécurité, puisque la difficulté est de s’assurer de l’identité du déclarant lorsque celui-ci agit à distance. N’oublions pas qu’il s’agit ici de modifier une fiche d’identité dans un registre qui, comme on le rappelait tout à l’heure, incarne l’État Civil des entreprises. Et que cette fiche d’identité contient des éléments aussi sensibles et importants que le nom et l’adresse des propriétaires, dirigeants principaux, administrateurs, places d’affaires etc.

En vertu du régime en vigueur la signature d’une personne dûment autorisée par la compagnie à signer des documents de modification à la fiche d’identité de l’entreprise est obligatoire. Dans cette perspective, nous devons nous doter d’une signature électronique qui offre au moins les mêmes garanties de sécurité et de confiance que la signature manuscrite. Mais, pour les PME qui ne transigent que peu avec le registre, l’investissement requis pourrait est relativement lourd.

Toutefois, il serait plus rentable pour l’entreprise de disposer d’une signature numérique qu’elle pourrait utiliser dans le cadre de la plupart de ses transactions électroniques avec les divers services gouvernementaux, pas uniquement ceux du Registraire des entreprises. C’est dans ce contexte que nous envisageons, grâce aux propriétés du registre, d’agir à titre d’agent de certification de l’identité des personnes habilitées à signer au nom et pour le compte de l’entreprise dans le cadre du projet gouvernemental de développement d’une signature numérique destinée à cette dernière.

La contribution du Registraire est fondée sur le fait qu’il dispose d’une capacité unique de faire le lien entre les propriétaires, les dirigeants et les administrateurs de l’entreprise et

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l’entreprise elle-même (l’association entre une clé personnelle obtenue par un individu – dans le cadre du développement d’une signature numérique individuelle pour des fins personnelles – et le rôle officiel de cet individu dans une entreprise donnée). En contribuant à doter le gouvernement d’un mécanisme de signature numérique destiné aux entreprises, le Registraire contribue à se doter, pour ses propres besoins, d’une signature caractérisée par un niveau élevé de confiance.

Le deuxième projet est basé sur le fait que le Registraire des entreprises est l’organisme qui émet ce qu’on appelle le numéro d’entreprise du Québec : le NEQ. Il s’agit d’un numéro d’identification unique. Ce numéro d’identification, qui est, en fait, le numéro d’immatriculation au registre, peut contribuer à faciliter et simplifier les rapports administratifs entre les entreprises et les différents ministères et organismes du gouvernement en leur permettant de n’utiliser qu’un seul numéro pour s’identifier dans leurs transactions avec les divers ministères et organismes. Par contre, les divers services publics continuent d’exiger des entreprises de nombreux autres numéros d’identification qui leurs sont spécifiques lorsque une entreprise désire transiger avec eux. Ceci représente une complication supplémentaire et un fardeau pour les entreprises. Nous avons donc eu le mandat d’aider les ministères et les organismes à implanter le NEQ dans leurs processus d’accueil et d’échanges avec les entreprises, et de sensibiliser ces dernières au potentiel du NEQ comme identifiant fiable et facile à utiliser dans leurs rapports avec le gouvernement.

Le troisième chantier qui met à profit les compétences du Registraire des entreprises est le suivant. Le gouvernement a implanté un nouveau service visant à faciliter et à alléger le fardeau que les individus ont à subir lorsqu’ils désirent aviser tous les ministères et organismes de leur changement d’adresse. Le Service québécois du changement d’adresse (SQCA) répercute ainsi tout changement aux divers ministères et organismes gouvernementaux, de sorte que la personne visée n’a pas à répéter la même information comme elle le faisait auparavant. Le gouvernement aimerait développer un service semblable s’adressant cette fois aux entreprises. Il s’est donc tourné tout naturellement vers le Registraire des entreprises, lui confiant le mandat de coordonner le développement et l’implantation d’un tel mécanisme. Il s’agira d’un service unifié de mise à jour de l’information sur l’identité et les adresses des entreprises.

Voilà trois projets qui illustrent la manière dont le Registraire des entreprises peut exploiter les avantages découlant de sa mission dans le cadre de la modernisation de sa prestation de services, non seulement pour le bénéfice de ses clientèles, mais aussi pour celui de l’entreprise comme cliente de l’ensemble des services publics.

Mariette SERRES.– Je souhaiterais maintenant aborder les enjeux contemporains de la construction européenne et la mondialisation.

Pour obtenir des informations sur les entreprises étrangères en ce qui nous concerne, un lien peut être fait avec EBR, European Business Register, réseau de connection qui permet l’accès aux informations légales des registres du commerce de 14 pays et la Grande Bretagne par minitel.

Ce réseau de connexion constitué depuis 1991 regroupe des opérateurs publics et privés. En février 2005, EBR ouvrira un service commercial.

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Sylvie LEMERCIER-RÉGNARD.– Je voulais évoquer les résultats d’une étude menée sur les registres du commerce dans le monde. L’étude, qui porte sur 36 pays, couvre l’Union européenne ainsi qu’un certain nombre d’autres pays (Australie, Canada, etc.).

Le premier enseignement de l’étude concerne les modalités de diffusion des informations portées au registre du commerce. Existe-t-il un monopole ? Dans la quasi-totalité des cas, ce monopole de diffusion existe. Quelques exceptions toutefois : la France, mais également l’Angleterre et le Pays de Galles. S’agissant ensuite du coût de l’information légale, il faut d’abord dire que le contenu des extraits du registre du commerce est très variable d’un État à l’autre. Parfois, sont uniquement communiquées les données lors de l’inscription ; parfois est délivré un état du registre du commerce au jour de la demande de l’information. Le coût de l’information apparaît peu élevé en France puisqu’il est de 2 euros. Le coût moyen d’un extrait du registre du commerce en Europe s’élève à 27 euros. Il est totalement gratuit dans certains pays mais alors la formalité d’immatriculation y est extrêmement onéreuse, de sorte que le coût de la diffusion se trouve inclus dans le coût de l’inscription. Pour Malte, par exemple, le coût de l’immatriculation se situe entre 353 et 1766 euros, en fonction du montant du capital de l’entreprise. L’Australie suit à peu près le même modèle que Malte.

Concernant les mentions portées au registre du commerce en cas de faillite, dans la grande majorité des registres des États étudiés, le jugement d’ouverture de la procédure est mentionné. Cependant, certains registres de tradition anglo-saxonne dérogent à cette pratique : l’Angleterre, le Pays de Galles et le Canada ne portent pas de mention d’office concernant les faillites, même si les greffiers sont informés de leur ouverture.

Concernant le dépôt des comptes annuels imposé par la IVème directive du 25 juillet 1978, cinq grandes tendances se dégagent. Les pays nordiques, l’Angleterre et le Pays de Galles ainsi que l’Italie exigent le dépôt des comptes annuels et le non-dépôt fait l’objet de sanctions allant de l’amende à la radiation de l’entreprise (en Grande-Bretagne). L’Algérie, la France, Malte et la Roumanie imposent le dépôt des comptes pour certaines sociétés mais l’obligation ne fait pas toujours l’objet de sanctions. La Finlande et la République Tchèque prévoient l’obligation de déposer les comptes en fonction de la taille des sociétés, au regard du nombre de salariés et du chiffre d’affaires. Gibraltar et le Maroc font obligation de déposer les comptes en fonction de l’activité de la société. Enfin, l’Australie et la Suisse n’imposent pas d’obligation de dépôt des comptes.

Enfin, les supports de diffusion sont également très diversifiés : papier, disquette, CDRom parfois, microfilms, ou même format électronique.

La dématérialisation des procédures d’immatriculation constitue un enjeu important dans le cadre de la simplification des démarches administratives. Cette problématique a trouvé un second souffle avec l’adoption en juin 2003 de la révision de la première directive européenne du 9 mars 1968 relative aux obligations de publicité de certaines formes de sociétés. Ces dispositions imposant notamment aux États membres de proposer, aux entreprises qui le souhaitent, la dématérialisation des formalités et l’information légale des entreprises au plus tard le 1er janvier 2007. Dans ce domaine capital pour les chefs d’entreprises, les situations entre les pays apparaissent très contrastées même si, sur les 36 pays étudiés, 31 sont dotés de sites diffusant les informations du registre du commerce. Ces sites sont uniquement accessibles dans la langue nationale mais aussi parfois en anglais.

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* * *

Xavier DELCROS, Professeur à l’Université Paris-I (Panthéon-Sorbonne), Avocat à la Cour, Directeur de l’IFC.– La question est ici celle de savoir quelles sont les informations nécessaires à une efficace régulation des marchés. Il s’agira de s’intéresser à la fois aux entreprises assujetties, au marché et aux destinataires des informations (actionnaires et investisseurs).

L’information sur les entreprises, pour quoi et pour qui ?

Quelle transparence pour la régulation des marchés ?

TABLE RONDE introduite et animée par Joël MONÉGER, Professeur à l’Université Paris-Dauphine

Joël MONÉGER.– L’idée de transparence de Monsieur Etchegoyen n’est pas tout à fait celle qui va nous préoccuper. Car l’information financière existe et s’avère nécessaire. Néanmoins, s’est opéré depuis peu un « basculement structurel » en raison de l’élévation du niveau de formation des opérateurs, lesquels font beaucoup moins confiance aux informations diffusées sur les marchés.

Cette mutation structurelle sera d’abord évoquée avec Monsieur Butcher, qui vient de Grande-Bretagne.

Michael BUTCHER, General Counsel de VEOLIA-UK, Président de l’Association des juristes franco-britanniques.– Merci Monsieur le Président. Je vais parler ici en mon nom personnel et les propos que je vais tenir ne représentent pas le point de vue de VEOLIA Environnement.

Les entreprises sont soumises aux règles et à l’environnement culturel des pays dans lesquels elles opèrent. Mais, sous la contrainte de la mondialisation, les règles et habitudes culturelles sont en train de changer. Un consensus relatif existe autour de trois grandes idées : la démocratie, les droits de l’Homme et l’État de droit. Bien que la mise en œuvre effective de ces trois concepts doive prendre en compte les « traditions » locales, la transparence est essentielle. En effet, la transparence a pour conséquence de disperser le pouvoir détenu par les élites pour en faire bénéficier un cercle beaucoup plus large de personnes, soit parce que les élites ont peur de se voir reprocher de mauvaises décisions, soit parce que, quand les faits sont connus, il est possible d’agir pour redresser la situation. La globalisation des marchés est aussi en train d’accentuer l’exigence de transparence. Mais tout le monde n’est pas d’accord pour considérer que cette évolution est positive. En général, les cultures anglo-saxonnes sont favorables à la transparence alors que les pays romano-germaniques y sont plutôt hostiles.

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Ainsi, la transparence est un phénomène universel qui touche à la fois le fonctionnement des marchés et la sphère politique et qui tend à redistribuer le pouvoir du sommet vers la base..

Permettez-moi, Monsieur le Président, d’oser dire que, en France, je ne suis pas du tout sûr que les structures historiques vont s’adapter facilement à ces contraintes nouvelles.

Joël MONÉGER.– Merci beaucoup. Quand chacun sait ce que l’autre peut faire, les stratégies d’entreprise deviennent très compliquées, un peu comme un jeu d’échec. Dans ces conditions faut-il vraiment informer ?

Pascal SALIN, Professeur à l’Université Paris-Dauphine.– Bien sûr, il faut informer dès lors que toute l’activité humaine est une activité d’information et même, de création d’information. Par conséquent, il faut informer parce que, spontanément, nous informons. Le problème est de savoir qui doit informer. De ce point de vue là, je voudrais rappeler que l’information est toujours coûteuse, à la fois pour celui qui produit l’information mais aussi pour celui qui la reçoit parce qu’il faut du temps pour comprendre l’information.

Il ne s’agit donc pas uniquement d’un coût marchand, mais aussi du coût en temps qui est un bien de la plus grande rareté. Par ailleurs, les besoins en information sont très variables d’une entreprise à l’autre, d’un investisseur à l’autre. C’est une erreur profonde, me semble-t-il, de penser que la qualité de l’information peut être décidée de manière objective et a priori. À la limite, cela m’amène à douter même de la signification de cette fameuse idée de la transparence de l’information. Je serais tenté, pour ma part, de dire que la transparence de l’information n’existe pas, parce qu’il est absolument illusoire de penser que l’on puisse définir a priori un optimum d’informations à transmettre. Or, il existe une offre et une demande, non pas d’information, mais de toute sorte d’informations variées : par conséquent, il y a un marché de l’information. Dès lors, l’information légale ne devrait pas exister – je prends la position extrême – parce que le marché, par lui-même, peu à peu, arrive à savoir quels sont les besoins en matière d’information, quel est le coût de l’information pour ceux qui la produisent. Le problème n’est donc pas de chercher à avoir, à un moment donné, une information prétendument parfaite mais de disposer d’un processus qui permette, peu à peu, à chacun de produire l’information qui est considérée par les autres comme la meilleure. Il n’y a pas d’information parfaite, il y a simplement des processus qui sont plus ou moins bons. C’est la raison pour laquelle je pense que l’information légale est une mauvaise manière de donner l’information ; parce qu’on ne peut pas savoir à l’avance quelles sont les informations qui sont utiles aux uns et aux autres. Et je crois, en plus, que l’information légale a un défaut considérable, c’est qu’elle ne permet pas bien de corriger les erreurs. L’inflation du volume des informations légales est un phénomène que je trouve extrêmement dangereux. Le cas Enron, de ce point de vue là, est tout à fait intéressant. Pour moi, il ne s’agit pas d’une catastrophe. Bien au contraire, c’est une leçon formidable pour le marché. Et nous savons bien que, par exemple, les firmes d’audit ont modifié leur pratique à cause d’Enron.

Joël MONÉGER.– Je retiens qu’il existe une irréductible asymétrie d’information, aussi bien du côté de l’offre que du côté de la demande. Je voudrais me tourner vers Madame Neuville et lui demander quelle est, finalement, pour les adhérents de l’ADAM ou plus généralement les actionnaires, la nature de ce besoin d’information ?

Colette NEUVILLE, Présidente de l'Association de défense des actionnaires minoritaires (ADAM).– Quel est l’enjeu de l’information ? Pourquoi l’information légale existe-t-elle ? Dans la

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mesure où certaines sociétés font appel public à l’épargne, on ne saurait admettre que des investisseurs ou des épargnants apportent leur argent sans disposer d’un minimum d’information. Penser que la confiance dans les capacités du chef d’entreprise, résultant d’un lien intuitu personae, puisse à elle seule suffire n’a pas de sens.

Dans les grandes entreprises, le lien personnel entre l’associé et le mandataire légal doit être remplacé ou, en tout cas, conforté par un lien matériel s’appuyant sur une obligation légale de délivrer un certain nombre d’informations. Parce que les entreprises sont des organisations complexes qui réalisent des opérations elles-mêmes de plus en plus complexes, l’information délivrée est devenue très difficile à appréhender. Mais simplifier est particulièrement délicat car tout effort de simplification risque d’altérer la qualité de l’information. En toute hypothèse l’information légale demeure indispensable.

Joël MONÉGER.– Je me tourne vers Monsieur Field. Pour vous, cette information, il en faut ? Il y en a trop ? Laquelle faut-il, s’il en faut ?

Bernard FIELD, Secrétaire général de Saint-Gobain.– Pour répondre à une question aussi simple : je vais dire tout simplement que je crois profondément qu’il en va de la transparence et du secret comme il en va de l’usage des médicaments. Tout est une question de posologie, en l’occurrence de dosage entre la nécessité de transparence et la nécessité de confidentialité. Autrement dit, si la transparence excessive devient nocive, la transparence raisonnable est utile et nécessaire. Je ne conteste pas cette nécessité à l’égard des investisseurs, des actionnaires, du régulateur, du public, etc. à condition toutefois que le champ de cette transparence soit dûment et clairement répertorié. À cet égard, je crains que le torrent actuel de directives et de réglementations européennes qui déferle en matière d’information n’aboutisse à un flou remarquable en ce qui concerne les obligations pesant sur les sociétés. Par ailleurs, il existe un certain nombre de domaines où la confidentialité, voire le secret, demeure essentiel pour les entreprises, singulièrement à l’égard de leurs concurrents. Il est extrêmement important que les exigences d’informations soient comparables d’un pays à un autre, de telle sorte que les sociétés agissant dans le même secteur d’activité se trouvent à égalité les unes par rapport aux autres. Pour prendre un autre exemple, il est remarquable que, dans le domaine de la recherche, beaucoup d’entreprises préfèrent ne pas breveter un procédé dont elles sont l’inventeur pour éviter la divulgation du procédé. Elles prennent le risque de ne pas recourir à cette protection pour pouvoir l’utiliser et espérer tirer le maximum d’avantages de l’avance technologique qu’elles ont réussi à prendre.

En bien des domaines, il existe un risque d’exiger trop d’informations des sociétés cotées. Le risque est accentué par deux facteurs. D’abord la vitesse de communication des informations s’est considérablement accrue : la même information accessible instantanément sur l’ensemble de la planète peut induire des conséquences imprévisibles selon la manière dont elle sera perçue. L’entreprise lorsqu’elle est interpellée est donc obligée de réagir en temps réel. Rien n’est plus difficile que de réagir en temps réel pour pouvoir mesurer exactement ce que l’on doit dire ou ce qu’il faudrait ne pas dire, parce que la décision implique, de la part de l’entreprise, un effort immédiat de hiérarchisation de l’information. La difficulté est accentuée en raison de l’augmentation du volume d’informations véhiculées de surcroît par de nombreux médias.

Joël MONÉGER.– Je me tourne vers Didier Kling, Président d’honneur de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, et toujours commissaire en exercice. Comment le

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commissaire aux comptes, qui est à la fois dans l’entreprise et extérieur à elle, vit-il cette obligation de fiabilité de l’information ?

Didier KLING, Président d’honneur de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.– La transparence n’exclut pas la fiabilité, bien au contraire. Observons d’ailleurs que, si on parle de transparence, on postule qu’il n’y a pas d’accès direct à l’information, qu’il existe un corps intermédiaire.

Mais si nous sommes tous partisans a priori de l’information et de la transparence issue de l’information légale, il est peu douteux que cette transparence puisse être trompeuse, voire dangereuse. Elle peut être trompeuse car l’information légale a – et c’est heureux – des limites. Une partie de l’information est diffusée par l’entreprise spontanément, hors de toute obligation légale : il ne faudrait pas que cette information libre vienne contredire ce qui est prévu par la loi. Par exemple, le chef d’entreprise a le droit de s’exprimer dans une interview ou à l’occasion d’une réunion publique. Si les propos sont tenus à l’occasion d’une réunion à laquelle le commissaire aux comptes n’assiste pas, il n’a pas à intervenir même si ces propos sont éventuellement repris dans la presse. En revanche, lorsque le même chef d’entreprise tient des propos qui ne correspondent pas à la réalité, en présence du commissaire aux comptes – par exemple, à l’occasion d’une assemblée générale –, celui-ci a un devoir d’intervention. Il ne s’agit pas de se substituer au chef d’entreprise mais de lui demander respectueusement d’amender ce qu’il a pu indiquer de manière à éviter qu’un tiers puisse être induit en erreur.

Une autre interrogation a trait au rôle des commissaires aux comptes face aux multiples informations produites par l’entreprise. Il pourrait être utile qu’un auditeur puisse indiquer si ces informations sont exactes ou non, et plus encore, puisse les analyser, les traiter, en faire la synthèse. Ensuite, les analystes financiers, les journalistes spécialisés pourraient plus sérieusement interpréter ces données afin de les expliciter au public. La question qui se pose est donc celle de savoir si on peut dire la même chose à tout le monde et immédiatement.

Bien sûr, il faut respecter le principe d’égalité. Tout le monde a droit à la même information, à ceci près que la même information ne sera pas comprise de la même manière selon le degré de technicité et de professionnalisme de l’interlocuteur. La difficulté se pose notamment à propos du rapport sur le contrôle interne : ce qu’on peut dire au conseil d’administration ou à un comité d’audit n’est pas nécessairement ce qu’on peut dire à une assemblée générale. D’autant que, en tant que commissaire aux comptes, nous avons accès à des informations qui touchent directement au secret des affaires, à la confidentialité, à l’intelligence économique. Il faut veiller donc à ce que l’information portée sur la place publique soit exacte, sincère mais que, pour autant, elle respecte les droits légitimes de l’entreprise.

Gérard RAMEIX, Secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers.– Je voudrais surtout essayer de cerner la portée de mon désaccord avec l’argumentation développée avec talent par Monsieur Pascal Salin. Je suis d’accord avec lui sur le fait que l’information n’est pas parfaite et que chacun ne la reçoit pas de la même façon. En revanche, j’ai un désaccord assez radical, et cela ne surprendra personne, sur le fait qu’il ne faille pas définir de règle. Je crois que le marché, lui-même, met très longtemps avant de fixer des règles satisfaisantes obligeant chaque émetteur à informer correctement le public sur sa situation. Certes, le marché sanctionne celui qui informe mal mais il le sanctionne tard, parfois de façon erronée. C’est précisément une des missions dévolues à l’Autorité des marchés financiers – avec les autres

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régulateurs mondiaux – que de définir des règles d’information et de sanctionner ceux qui ne les respectent pas.

Toute information sensible, c’est-à-dire qui pourrait avoir une influence sur les cours, doit être divulguée. La seule exception admissible réside dans la double démonstration d’un intérêt légitime et de la capacité à en conserver le secret. Quand y a-t-il intérêt légitime, pour le chef d’entreprise, à garder une information secrète et comment s’assurer qu’il a réellement la capacité à garder ce secret ? Bernard Field a donné quelques exemples. Il est évident qu’il y a d’assez nombreuses circonstances mais elles doivent être documentées de façon précise. Un marché doit donner un prix et doit garantir la liquidité. Les deux objectifs ne peuvent être atteints que parce qu’un ensemble indéterminé de personnes, des spécialistes comme des profanes, des imbéciles comme des gens très intelligents achètent ou vendent. C’est l’ensemble de cette collectivité qui est informée, et non tel ou tel individu. Il est vrai qu’il existe deux difficultés qui ont déjà été signalées. La première découle de la surabondance de l’information, donc de son coût. On peut légitimement hésiter sur le volume pertinent de l’information obligatoire. Une seconde difficulté, directement liée à la précédente, réside en ceci qu’il est souvent très délicat de définir a priori l’information essentielle, celle qui compte, celle qui devrait être prise en compte dans l’évolution du cours. Bien souvent, ce n’est qu’un ou deux ans, parfois quatre ans après la survenance d’un événement qu’il est possible d’identifier une faille dans l’information diffusée.

Cela a été le cas, par exemple, au moment de la crise immobilière à propos des provisionnements à opérer dans les comptes des sociétés concernées. Nous avons dû déterminer si, à l’époque, le montant des provisionnements, à cet instant là, avait été évalué correctement par rapport à la valeur des actifs. Mais, entre temps, le marché avait tellement évolué, faisant plusieurs demi-tours, que au moment où on a jugé l’affaire, la réponse était quasiment impossible à donner. En revanche, il existe des cas beaucoup plus simples où la volonté de tromper le public est évidente. Il n’y a alors qu’une solution : l’intervention du juge ou du régulateur pour sanctionner après enquête et respect du principe du contradictoire.

Joël MONÉGER.– Je voudrais interroger Monsieur de Lauzun en tant que gestionnaire, direct ou indirect, des comptes de ses clients qui ont investi sur le marché. Quelle information vous paraît pertinente pour votre client, au-delà de l’extrême confiance qu’il vous accorde nécessairement ?

Pierre de LAUZUN, Directeur général adjoint de la Fédération bancaire française, Délégué général de l’Association française des entreprises d’investissement (AFEI).– Nous avons un besoin d’information et j’ai tendance à penser qu’il faut un minimum de règles légales pour que, non seulement, l’information qui apparaît adéquate soit donnée, mais que les investisseurs sachent qu’elle est donnée. L’information légale obligatoire a l’avantage de rassurer. En même temps, je ne poserais pas abstraitement la transparence comme une priorité absolue et exclusive dans la mesure où elle me paraît un mythe. En effet, si la transparence signifie que la totalité des informations disponibles sur une entreprise – sauf ce qui est vraiment secret – doit être donné, il faut multiplier les obligations légales par 1 000. En réalité la question est de savoir comment « fabriquer » l’information, fabriquer ne voulant pas dire l’inventer, mais la constituer comme information nécessaire pour que le marché puisse prendre ses décisions de manière appropriée. Il faut donc avant tout définir l’information appropriée. Cette information ne doit pas être excessive pour plusieurs raisons, sans même parler de son coût, évident. En premier lieu, l’information n’est pas utilisable pour toute une partie des intervenants, y compris pour les analystes financiers

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professionnels disposant de moyens importants. Leur capacité d’analyse est incomparablement plus faible que celle dont nous disposons comme intermédiaire. C’est pourquoi une bonne partie de l’information actuellement accessible reste totalement indigeste. Il faudrait penser à la redimensionner. Un second inconvénient, imputable à l’excès d’information, est qu’il porte atteinte au principe d’égalité entre les investisseurs. Quant le petit investisseur prend conscience qu’il n’aura pas accès à l’information réelle parce qu’il ne saura pas la traiter, il y a rupture d’égalité. Il y a aussi rupture d’égalité au détriment du petit émetteur. Ces excès s’expliquent en partie par l’influence délétère d’une culture de supposée transparence et que l’on importe des États-Unis. En matière financière, cela se traduit par une masse colossale d’informations dont on a vu, avec l’affaire Enron, que la quantité n’avait rien à voire avec la qualité.

En matière d’information, la notion de la hiérarchisation des données est centrale à la fois pour les petits émetteurs et pour les petits investisseurs. Il est certain que les contraintes actuellement imposées constituent un obstacle majeur à l’introduction en bourse. En somme, on est en train de construire un marché hyper-vertueux, sur lequel n’interviendra qu’un petit nombre de grandes entreprises pour un petit nombre de grands investisseurs. Ce n’est certainement pas le but poursuivi. Il est donc essentiel de donner l’information appropriée dont les gens ont réellement besoin.

En outre, il ne suffit pas d’avoir une information sur les émetteurs, il faut aussi disposer de l’information sur le marché lui-même. C’est l’importante question de la transparence du marché dont on a énormément discuté dans la directive sur les services d’investissement. Faute d’information sur le fonctionnement du marché, il est impossible de réaliser des transactions de façon pertinente.

Michael BUTCHER.– L’information légale est devenue un très beau marché pour les cabinets d’avocats. Les honoraires demandés pour vérifier certains prospectus d’entreprise à Londres peuvent avoisiner 1 million d’euros. Je crois qu’il serait préférable d’abandonner cette régulation complexe et d’introduire un principe général de responsabilité pénale. Si un dirigeant est vraiment malhonnête, il faut punir ce dirigeant et non la société qu’il dirige, quitte à allouer les dommages aux victimes.

Colette NEUVILLE.– Il faut arriver à trouver un équilibre entre la régulation a priori et la responsabilité a posteriori parce que, finalement ce qu’on cherche, c’est la vérité. En ce sens, j’apprécie la politique de sanction de l’AMF qui, depuis peu, sanctionne les personnes physiques parce que sanctionner une personne morale revient, en réalité, à sanctionner les actionnaires donc les victimes elles-mêmes. Ceci fait partie des coûts d’agence et il faut que les coûts d’agence soient compensés par une responsabilité personnelle. Il est nécessaire que, à un moment donné, la réglementation laisse la place à la responsabilité.

Pascal SALIN.– Le thème de l’information de nature contractuelle n’a pas été suffisamment souligné. Par exemple, il est possible de s’engager dans un document diffusé aux actionnaires, par lequel on s’oblige à donner certaines informations spécifiques : si l’engagement n’est pas respecté, il sera possible de sanctionner ce manquement. Il me semble que, dans ce débat, nos divergences ne sont pas d’ordre pratique mais, finalement, philosophique. Je crois fermement que tout le monde n’a pas droit à la même information. Parce que dire que tout le monde a le droit à la même information, c’est dire que tout le monde a des droits sur cette information. Or, seul le propriétaire d’une entreprise est propriétaire des informations qu’il produit : il peut les donner ou les vendre à qui il veut de manière inégalitaire. On a le droit de

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vendre des informations à certains et pas d’autres. C’est pourquoi, aussi, je ne suis absolument pas scandalisé qu’il y ait des asymétries d’informations. Elles sont dans la nature des choses.

Didier KLING.– Sur les dangers de l’information, je voudrais apporter deux éléments de réponse. D’abord, il n’est pas toujours facile de déterminer le niveau de détail de l’information qui doit être communiquée. Par exemple, une entreprise se trouve assignée en justice. L’actionnaire de cette entreprise a-t-il le droit de connaître le montant de la provision qui a été constituée, c’est-à-dire, l’estimation que l’entreprise fait du risque qu’elle court dans ce contentieux ? Si le montant de la provision constituée est rendu public, le danger est que le contradicteur connaissant cette provision puisse en tirer argument et demande une condamnation à un montant au moins égal à la provision. La transparence est donc dangereuse.

Ensuite, je voulais revenir sur la question de savoir quel devait être le degré de contrainte exigée par l’information légale : n’est-il pas préférable de laisser une certaine marge de liberté aux entreprises ? Je suis très libéral par philosophie mais il existe un certain nombre de principes à respecter. Par exemple, le principe de l’égalité d’accès à l’information. Tous les actionnaires, puisque l’entreprise leur appartient, ont un droit d’accès à l’information. Pour le reste, tout est question de nuance et d’appréciation au cas par cas, notamment en matière de data room. Quelqu’un n’est pas actionnaire, ou détient une participation très faible dans la société ; il a l’intention d’augmenter sa participation et, pour ce faire, souhaite accéder à des informations qui ne sont pas communiquées en séance publique. La pratique des data room n’est pas régie par la loi : c’est le régulateur qui, de manière très spontanée, a recherché quelle était la solution de place la plus acceptable alors pourtant qu’elle induit une rupture du principe d’égalité. Et il n’est pas souhaitable que, demain, le législateur s’en empare, car ce serait de nature à figer une pratique qui doit garder une certaine souplesse de manière à répondre éventuellement à une évolution.

Gérard RAMEIX, Secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers.– Je suis en désaccord assez radical avec les principes que Monsieur Pascal Salin a énoncés et qui, à mon avis, nous ramèneraient au début du XIXème siècle. D’abord il faut distinguer entre les entreprises cotées et celles qui ne le sont pas. Même pour une entreprise non cotée, nous n’en sommes plus au point où on peut dire que le propriétaire de l’entreprise a un droit plein et entier à disposer de son bien et, notamment, de l’information que génère l’activité de son entreprise. Il y a des textes qui l’obligent, par exemple, à publier des comptes et à les déposer au greffe du tribunal de commerce. Pour une société cotée, les exigences sont d’autant plus importantes que l’on considère – comme Monsieur Salin – que, effectivement, l’information est un bien produit par l’entreprise. Il faut alors admettre que, en cotant l’entreprise, l’entrepreneur renonce en grande partie à ce droit sur l’information. C’est le fondement même du droit de la régulation et pas seulement en France, pas seulement en Europe, également aux États-Unis, dans tous les grands pays. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher comment, raisonnablement, placer le curseur entre l’information obligatoire et ce qui relève de la libre responsabilité de l’entreprise. Au fond, il existe deux modèles : le système continental, qui consiste à avoir des textes définissant a priori la teneur des obligations, et le système anglo-américain, fixant quelques principes généraux et reposant sur la sanction a posteriori du droit de la responsabilité. Je ne suis pas sûr du tout que le curseur de l’information soit toujours idéalement placé sur tous les points. Mais ce dont je suis certain c’est qu’on ne peut pas faire l’apologie du droit au secret.

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Pierre de LAUZUN.– Un investisseur ayant eu l’information supposée adéquate et voulant acheter ou vendre, selon le cas, un titre, a besoin de connaître concrètement l’état du marché. Il a besoin aussi de pouvoir accéder aisément à ce marché. Il y a donc deux exigences cumulatives : à la fois une information et un accès. Une grande partie du débat qui a eu lieu sur la directive « Services d’investissement » consistait à savoir quel est le degré de transparence optimal qu’il faut imposer. On a admis, de façon générale, l’idée d’une transparence après transaction, en ce sens que chacun doit avoir dans des délais les plus bref possibles – qui sont actuellement l’objet d’une négociation délicate –, l’information sur les transactions réalisées. À la limite, il est plus important d’avoir une information sur les transactions déjà intervenues et sur la possibilité d’y intervenir. On est arrivé à un compromis entre une vision qui était plutôt défendue par la place de Londres et les pays scandinaves, consistant à laisser les intermédiaire mis en concurrence offrir le meilleur service, les clients sélectionnant le meilleur service ; et une conception plus continentale – que nous défendions –, qui consistait à rendre accessible à tout le monde l’information sur l’état des offres et des demandes, notamment sur les ordres à prix déterminé. Ce principe, qui était celui des Bourses traditionnelles, tend plutôt à reculer. Néanmoins, la SEC aux États-Unis développe actuellement une réflexion que, pour notre part, nous partageons pleinement et qui consiste à essayer d’encourager la confrontation maximale des offres et des demandes sur les marchés financiers.

Joël MONÉGER.– De part et d’autre de l’Atlantique, un grand débat est en cours : faut-il une norme d’information comptable unique ? Est-il possible de maintenir une dualité de normes, l’une qui serait une norme US, l’autre qui serait une norme UE ? Quel est votre sentiment Didier KLING ?

Didier KLING.– Je ne serais pas compétent si le débat est très technique ! Théoriquement le problème est simple. On disait dans le passé que la comptabilité était l’algèbre du droit : les opérations réalisées par les entreprises répondent à une qualification juridique et elles sont traduites sur un plan comptable. Il y avait la séquence suivante : l’économie, le droit, la comptabilité.

La difficulté était que chaque pays ou chaque région avait son système juridique propre de sorte qu’il y avait plusieurs systèmes comptables rendant les comparaisons impossibles ou en tout cas très difficiles. Deux méthodes étaient envisageables pour remédier à ce problème. La première consistait à rapprocher puis fusionner les systèmes juridiques. L’ambition est évidemment hors d’atteinte. L’autre méthode, plus simple – celle qui a été retenue – a consisté à harmoniser l’information financière indépendamment des règles juridiques. Ceci a abouti aux normes IAS devenues IFRS. Autrement dit, on est passé des normes comptables aux normes d’informations financières. Celles-ci sont élaborées au sein d’un organisme international de normalisation, où la présence anglo-saxonne est forte. Mais, le paradoxe est que nos confrères américains n’appliquent pas chez eux les normes dont ils imposent la teneur sur le plan international. Ils ne les appliquent pas parce qu’ils ont leurs propres normes comptables Je pense malgré tout que les marchés vont, assez rapidement, imposer une convergence. La difficulté sera alors de délivrer une information financière sur une base harmonisée (par exemple, les comptes consolidés) et de délivrer une information juridique en fonction des règles prescrites par la législation du siège social (par exemple, les comptes annuels sur la base desquels sera déterminée la distribution des dividendes). Il faudra certainement que les comptables et tous les acteurs de la place financière interviennent pour que ce problème soit résolu au mieux de l’intérêt des entreprises et de leurs actionnaires.

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Pierre de LAUZUN.– L’idée d’avoir des normes internationales et que ces normes cherchent, autant que possible, à se centrer sur l’information financière est pertinente. Le problème est que l’organisme chargé d’élaborer des normes prétendument internationales, l’IASB, comme Monsieur Kling l’a rappelé, est, pour l’essentiel, une émanation d’un certain nombre de grandes firmes anglo-saxones. Or, paradoxalement, c’est cet institut peu représentatif qui a été choisi par l’Union européenne pour élaborer les normes comptables. Il faudrait que l’IASB accepte de rendre des comptes et accepte de prendre en considération ce qui est réellement le mode de fonctionnement des entreprises et les besoins des investisseurs.

Joël MONÉGER.– Vous faites merveilleusement la transition vers la responsabilité civile. Je vais donner d’abord la parole à Madame Neuville qui a mené depuis plusieurs années des actions assez remarquées sur ce terrain.

Colette NEUVILLE.– En matière de responsabilité civile, je n’en ai pas engagé beaucoup parce que je sais d’avance que l’action n’aboutira pas. J’ai introduit, depuis maintenant deux ans, une action en responsabilité civile aux États-Unis qui n’a également pas encore abouti.

En France, il est certain que les juges ont une espèce de réticence à infliger des sanctions civiles – je ne parle même pas des sanctions pénales – à l’encontre de dirigeants dont les fautes sont démontrées. Et ce, même lorsque la faute invoquée consiste non pas en de simples erreurs, mais résulte d’un véritable manquement. Ce qu’on cherche avec l’information légale, c’est à donner confiance : en matière d’appel public à l’épargne, il s’agit d’établir un lien de confiance entre l’émetteur et l’investisseur. Je pense que l’on ne peut pas avoir confiance si les fautes ne sont pas sanctionnées par le biais de la responsabilité. La liberté va de pair avec la responsabilité et c’est la responsabilité qui inspire confiance.

Je pense aussi qu’il faudrait que les victimes puissent se servir des décisions de sanction de l’AMF, pour, éventuellement, obtenir réparation. Il faudrait donc que l’ouverture d’une enquête de l’AMF interrompe la prescription. En effet, lorsqu’une enquête est ouverte, un certain délai s’est nécessairement écoulé par rapport à la date de commission des faits. La prescription étant de trois ans, si l’enquête commence au bout d’un an et dure deux ans, la prescription sera acquise. C’est arrivé dans un cas où l’ordonnance de renvoi a constaté la prescription des faits. C’est la raison pour laquelle, dans une autre affaire, j’ai porté plainte immédiatement au lieu de laisser l’enquête AMF se dérouler. Une réforme, simple et efficace, consisterait à prévoir que la prescription soit interrompue par l’ouverture d’une enquête.

Gérard RAMEIX.– Il y a peu de problème de principe, il y a beaucoup de problème de pratique ou de preuve. Il y a peu de problème de principe car le droit français est orienté principalement vers la répression s’agissant tant des sanctions pénales que des sanctions dites administratives, c’est-à-dire des amendes prononcées par la Commission des sanctions. Ce sont des amendes qui ont un but répressif et n’indemnisent pas les victimes. Les victimes peuvent toutefois utiliser les informations publiques qui sont données à travers les décisions de sanction administrative avant d’engager une action en responsabilité contre les dirigeants. Mais il leur faut prouver la faute, le dommage et le lien entre la faute et le dommage.

Joël MONÉGER.– Puisque l’on parle de responsabilité, il est de la mienne de mettre un terme à notre débat. Je voudrais remercier chacun des participants d’avoir joué le jeu du dialogue et donner la parole à Monsieur le Professeur Pierre Catala, qu’il est superflu de

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présenter et qui a bien voulu accepter de présenter des observations conclusives pour clore ce colloque. Nous lui en sommes très reconnaissants.

OBSERVATIONS CONCLUSIVES

Pierre CATALA, Professeur émérite de l’Université Paris II (Panthéon-Assas)

Je tenais ce même office il y a dix ans lorsqu’un premier colloque du CREDA sur la publicité légale s’est tenu à l’initiative de notre excellent ami et regretté Alain Sayag avec Aristide Lévi comme metteur en scène. Je redoutais un peu ce second rendez-vous, que j’ai accepté par amitié envers les organisateurs du colloque, tout en me demandant s’il fallait prendre le risque de remettre ses pieds dans ses pas. Je l’ai pris.

Plutôt que de me livrer à un classique rapport de synthèse – exercice périlleux et finalement lassant, dans la mesure où l’on essaie de dire en quelques mots ce que les gens ont dit auparavant et beaucoup mieux –, je me laisserai aller à quelques divagations qui me sont venues à l’esprit à propos de ce thème riche et récurrent.

Peut-on, d’abord, élargir un peu le sujet et essayer de percer quelques-unes des raisons qui, incontestablement, aboutissent à une inflation de la transparence et à une régression du secret ? Je ne sais si l’inflation de la transparence est un vice ou une vertu mais c’est une réalité. Quand j’ai vu votre titre, je me suis dit que c’était un défi à la mémoire de Sade car s’il eût été capable de faire le plus magnifique éloge du vice et le plus sévère réquisitoire contre la vertu, il serait bien en peine de dire aujourd’hui où siège le vice et où siège la vertu.

Une des causes, non la seule mais sans doute la principale, de cette inflation de la transparence, vient de ce que l’on aspire à protéger le cocontractant. C’est une démarche qui s’apparente un peu à celle des militaires qui voudraient faire une guerre à zéro mort : on cherche à faire un contrat à zéro risque et, au cœur de cette évolution, trône l'obligation de renseignement. Création de la pratique, car l’obligation de renseignement et la sanction de la réticence nous viennent du contrat d’assurance, cette obligation a été largement développée en jurisprudence.

Lorsque Monsieur SARGOS a inventé l’obligation de résultat d’informer qui pèse sur le médecin, on a vu se répandre les formulaires chirurgicaux qu’il faut signer à l’instant d’entrer dans la salle d’opération et d’où il ressort que l’on a peu de chance d’en ressortir vivant. Mais il faut signer, à peine de ne pas être opéré. La loi sur la responsabilité des produits défectueux, qui nous est venue de l’Europe, a aussi développé une prose pharmaceutique incomparable. Achetez le médicament le plus anodin qui soit et lisez la littérature qui vous met en garde contre le traitement prescrit par le médecin. Une bonne dose de fatalisme est nécessaire pour absorber la pilule qui peut conduire à la mort, dans des cas rares, certes, mais constatés.

Or, la période précontractuelle, ce qui constitue l’avant-contrat, si importante aujourd’hui que les notaires lui ont consacré un congrès annuel, est absente du Code civil. L’offre, l’acceptation, la formation du contrat, le moment et le lieu de cette formation, ne sont pas traités dans le Code civil ; tout a été construit par la doctrine et la jurisprudence jusqu’au mois de juin 2004. À cette date, on a vu apparaître à la fin du titre III des obligations – sur la base d’une

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directive de Bruxelles –, un chapitre VII intitulé « Des contrats sous forme électronique » où, cette fois, on nous parle de la formation du contrat. « Quiconque propose, à titre professionnel, par voie électronique, la fourniture de biens ou la prestation de services, met à disposition les conditions contractuelles applicables d’une manière qui permette leur conservation et leur reproduction… » (article 1369-1). « L’offre énonce en outre :

1°) Les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique ;

2°) Les moyens techniques permettant à l’utilisateur, avant la conclusion du contrat, d’identifier les erreurs qu’il a pu commettre dans la saisie des données et de les corriger ;

3°) Les langues proposées pour la conclusion du contrat ;

4°) En cas d’archivage du contrat, les modalités de cet archivage par l’auteur de l’offre et les conditions d’accès des contrats archivés ;

5°) Les moyens de consulter par voie électronique les règles professionnelles et commerciales auxquelles l’auteur de l’offre entend, le cas échéant, se soumettre ».

La loi du 22 juin 2004 a inséré deux autres articles de la même facture et une ordonnance est en préparation au ministère de la Justice, lequel nous promet quatre articles additionnels qui deviendront les articles 1369-4 à 1369-8. Voilà bien de l’information, mais réservée aux contrats sous forme électronique proposés à titre professionnel.

Il est évident qu’une version rénovée du titre III des obligations impliquera que l’on traite, en termes généraux dans le Code civil, la période précontractuelle avec l’offre, l’acceptation et la promesse de contrat. Ce faisant, l’obligation d’information deviendra partie intégrante de la période précontractuelle.

Cet appétit de transparence dans la naissance de l’acte juridique se rit un peu de la distinction entre l’information publique et l’information privée. Je prends l’exemple du contrat de vente, le plus simple qui soit, a priori, et qui tenait autrefois sur une dizaine de pages. Aujourd’hui, si la moindre vente d’immeuble comporte toujours des informations administratives comme l’état hypothécaire, le certificat d’urbanisme, la purge des droits de préemption, elle s’alourdit de plus en plus d’informations étrangères aux fichiers publics à la charge du vendeur : la surface « loi Carrez » du bien vendu, les termites, le plomb, l’amiante, etc.

Ces obligations de renseignement ou de divulgation qui améliorent la transparence de l’acte et sa sécurité impliquent-elles nécessairement une régression des secrets ? A priori non car on pourrait supposer qu’il y ait un territoire croissant de la transparence mais que subsiste, à côté, un territoire solide du secret. Or, il me semble que le secret en soi, indépendamment des obligations d’informer, est en régression. Par exemple, le primat de la sécurité publique, donc de la répression du banditisme, a entraîné la trop fameuse déclaration de soupçon dont le bâtonnier Burguburu nous a parlé dans son exorde. Cette obligation incommode beaucoup les avocats car elle est attentatoire à leur tradition la plus ancienne. Dans le même temps, les scandales liés à la pédophilie ont menacé le secret de la confession. De même encore, les progrès de la recherche scientifique mettent à mal une partie du secret médical. Les lois relatives à la bioéthique prévoient que, lorsque la santé publique est en jeu, on peut lever l’anonymat sur des populations de malades dont l’étude identifiée est nécessaire afin de les suivre pendant plusieurs années et de voir comment évolue leur mal. On demande leur accord

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aux patients concernés, mais, en principe, l’accord du patient ne lève pas le secret médical. À l’encontre de ce principe, la loi autorise les populations concernées à lever le secret médical pour le plus grand intérêt de la recherche scientifique. Et dans un proche futur, on nous promet le dossier médical stocké sur une carte, moins protecteur de l’intimité des personnes que ne l’était jusqu’à présent la confidentialité des données touchant à la santé des individus.

La valeur marchande des informations nominatives crée un marché potentiel qui, aux États-Unis, ne soulève en général aucun état d’âme. Sensible aux lois du marché, l’Europe a édicté une directive qu’une loi du 6 août 2004 vient d’intégrer au droit français. Ce texte, qui modifie la loi du 6 janvier 1978, affaiblit la protection des données nominatives. Faut-il dire pour autant que les secrets sont en voie de disparition ? Sans aller jusque là, une tendance très nette à leur régression s’affirme, qui n’est pas uniquement liée aux progrès de la transparence ; elle provient de causes plus amples que la seule sécurité des opérations contractuelles ou financières, thème de cette journée.

Si, jusqu’ici, je suis à peu près resté dans le sujet, mes derniers mots en sortiront quelque peu.

Le droit que j’ai appris était fondé sur le croire plus que sur le savoir. Le croire est le ressort étymologique du crédit. Sa sœur jumelle est la bonne foi sur laquelle repose la confiance légitime. Dans le vocabulaire de la preuve, on ne dit pas que la preuve exprime la vérité ; on dit que l’instrument de preuve fait foi. D’où, tout un système de présomptions autour desquelles étaient organisés nos systèmes juridiques : présomption de bonne foi dans le contrat, où la mauvaise foi n’est jamais présumée ; présomption d’innocence en droit pénal, plus ou moins mise à mal mais qui existe encore ; présomption de paternité pour les hommes mariés. Le croire explique aussi les effets reconnus à l’apparence : la possession d’état de l’enfant ; l’apparence dans le mandat, dans la gestion d’affaire.

Or, le vent turbulent venu de la science a pour conséquence de dissiper les brumes du doute dont s’enveloppait volontiers le droit. La présomption de paternité ne résiste pas à l’ADN. Le détecteur de mensonge menace la sincérité du témoin. L’intime conviction qui régnait sur le droit pénal, et en particulier sur les verdicts de cours d’assises, devient suspect en l’absence de preuve scientifique ; il est dès lors logique que l’on puisse faire appel des arrêts de ces cours. La boulimie d’information exprime une fringale de vérité, vérité dangereuse qui peut détruire des familles notamment dans le cas de l’accès au secret des origines. Le ministre Mattéi a réglé la difficulté d’une façon intelligente, en s’efforçant de concilier deux aspirations contraires très fortes : le maintien de l’accouchement sous X d’une part ; la volonté de certains enfants – non adoptés souvent, adoptés quelquefois –, de savoir de qui ils descendent. Un équilibre a été ainsi trouvé entre le respect du secret de la mère biologique et l’aspiration de l’enfant à découvrir, peut-être pour son malheur, ce qui lui manquera toujours.

Sans doute ce mouvement nous vient-il de loin, probablement du Siècle des Lumières, à partir duquel on a vénéré le progrès scientifique. La foi n’est pas sortie indemne des progrès de la science, des lumières. Pour ma part, au terme d’une longue carrière juridique, je ne suis plus certain de grand chose. Mais, je crois à la distinction des choses et des êtres. Je crois que le colloque d’aujourd’hui est un colloque bienvenu et convaincant dans la mesure où il s’applique aux choses du commerce. Je crois que la vérité des choses est un progrès en soi mais je doute fort qu’il en soit ainsi de la vérité des êtres, autrement dit que le bonheur des hommes soit dans le vrai. N’oublions pas que, selon la Genèse, ils ont perdu, dans cette quête, le paradis terrestre.

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