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1 Séquence 4 – FR20 Sommaire Objectifs & parcours d’étude Présentation 1. Aspects de la comédie au XVII e  siècle Fiche méthode : Analyser le texte théâtral Corrigés des exercices 2. Visages de la comédie : de Molière à nos jours Corrigés des exercices 3. La tragédie au XVII e siècle Corrigés des exercices 4. Autour de la tragédie classique Corrigés des exercices Lexique de la séquence Tragédie et comédie au XVII e siècle : le classicisme Séquence 4 © Cned – Académie en ligne

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1Séquence 4 – FR20

Sommaire

Objectifs & parcours d’étude

Présentation

1. Aspects de la comédie au XVIIe siècle

Fiche méthode : Analyser le texte théâtral

Corrigés des exercices 2. Visages de la comédie : de Molière à nos jours

Corrigés des exercices

3. La tragédie au XVIIe siècle

Corrigés des exercices

4. Autour de la tragédie classique

Corrigés des exercices Lexique de la séquence

Tragédie et comédie au XVIIe siècle :le classicisme

Séquence 4

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Objectifs & parcours d’étude

• Découvrir l’esthétique de la comédie et de la tragédie au XVIIe siècle ;

• Établir des liens entre le théâtre classique et le théâtre antique ;

• Acquérir des notions d’histoire littéraire en restituant la tragédie et la comédie dans leur évolution ;

• Acquérir les principales notions d’analyse du texte théâtral ;

• Apprendre à commenter un texte théâtral ;• Distinguer la notion de genre (tragédie et comédie) de

celle de registre (comique et tragique).

Objectifs

• Un groupement de textes comiques

• Un groupement de textes tragiques

• Lecture cursive : Jean Racine, Britannicus (1669)

Textes etœuvres

La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le classicisme

Objetd’étude

Présentation des objectifs Avant de commencer… quelques repères historiques

Présentation de la séquence

Aspects de la comédie au XVIIe siècle

A. Sources de la comédie classiqueB. Les différents genres de comédiesC. Les personnages de comédieD. Les ressorts de la comédieFiche méthode : Analyser le texte théâtralCorrigés des exercices

Chapitre 1

Visages de la comédie : de Molière à nos joursA. Châtier les mœurs par le rire

Texte 1 : Les Précieuses ridicules, sc.9B. La comédie du mariage

Texte 2 : George Dandin, I,4C. L’utilisation comique du quiproquo

Texte 3 : Le Malade imaginaire, I, 4D. Pour aller plus loin…E. Évolution de la comédie, du XVIIIe au XXe siècleCorrigés des exercices

Chapitre 2

La tragédie au XVIIe siècle

A. La tragédie grecque, source de la tragédie française

B. La tragédie classique et ses règles

C. Héros et héroïnes de tragédies

Corrigés des exercices

Chapitre 3

Groupement de textes n° 2. Autour de la tragédie classique

A. Cruels dilemmes Texte 1 : Corneille, Le Cid, III, 4 Texte 2 : Corneille, Polyeucte, 1643, IV, 3B. Un dénouement inhabituel

Texte 3 : Jean Racine, Bérénice, V, 7.C. Bilan : tragédie et comédieD. Le devenir de la tragédie aux XIXe et XXe sièclesFiche lecture cursive Corrigés des exercices

Chapitre 4

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PrésentationLe XVIIe siècle constitue une période très importante dans l’histoire du

théâtre. Cette séquence vous invite à comprendre la manière dont ce genre littéraire a évolué, notamment à travers ses deux grands genres, la comédie et la tragédie. Le contexte historique n’est pas étranger à l’évolution du théâtre, notamment pour la tragédie et pour la comédie.

Cette séquence a plusieurs objectifs. Il vous invite tout d’abord à com-prendre le fonctionnement de deux grands genres dramatiques, la comédie et la tragédie. Nous allons étudier la manière dont les drama-turges composent une situation comique ou tragique, à partir d’un élé-ment d’intrigue ou d’un personnage. Une approche dramaturgique vous sera proposée. La dramaturgie* désigne l’art de composer des pièces. Or les comédies et les tragédies n’obéissent pas aux mêmes principes de construction (même si elles présentent parfois certains points com-muns) et n’ont pas les mêmes effets envers le public. À partir d’exemples tirés de deux corpus constitués d’extraits de pièces, nous vous propo-sons d’approfondir votre maîtrise de la lecture analytique et de la lec-ture cursive. Il s’agira pour vous à la fois d’envisager les textes dans leur détail, mais aussi d’avoir une vue générale sur le théâtre du XVIIe siècle, en particulier celui de la seconde moitié de ce siècle qui correspond à la période classique.

Présentation des objectifs

Les objectifs de la séquence sont à la fois littéraires et méthodologiques.

E Découvrir l’esthétique de la comédie et de la tragédie au XVIIe siècle ;E Établir des liens entre le théâtre classique et le théâtre antique ;E Acquérir des notions d’histoire littéraire en restituant la tragédie et la

comédie dans leur évolution ;E Acquérir les principales notions d’analyse du texte théâtral ;E Apprendre à commenter un texte de théâtre dans le cadre d’une lecture

analytique et d’une lecture cursive (Britannicus de Racine) ;E Distinguer la notion de genre (tragédie et comédie) de celle de registre

(comique et tragique) ;

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Pour atteindre ces objectifs, nous vous proposons non seulement de vous plonger dans les textes, mais de recourir aussi à l’analyse de l’image, l’étude du théâtre étant indissociable de sa représentation. L’un des objectifs de cette séquence consiste donc à éveiller votre curiosité de lecteur, sans oublier le plaisir du spectateur.

Rappelons, avant de préciser les objectifs de cette séquence, quelques éléments d’histoire culturelle, qui vous permettront de mieux situer la question de la comédie et de la tragédie au XVIIe siècle.

Avant de commencer… quelques repères historiques

Après l’assassinat d’Henri IV, en 1610, le royaume est confié à la régente, Marie de Médicis. La vie théâtrale n’est encore soumise à aucune règle. On joue des tragédies d’inspiration antique, mais l’agitation et l’inquié-tude de l’époque (guerres de Religion, mort des derniers Valois, Henri II, Henri III, Charles IX) influent sur les intrigues : on joue des tragédies qui se terminent dans le sang. Le théâtre baroque ne se soucie pas de règles ni de convenances, favorisant plutôt l’imagination et le merveilleux. Le goût de l’action extrême (scènes de violence, viols, meurtres…) et du surnaturel (oracles, apparitions, songes) le caractérisent. Les premières pièces de Corneille appartiennent à ce courant : Mélite (1629), L’Illusion comique (1636) ou d’autres auteurs français tels Alexandre Hardy avec La force du sang (1625), Tristan Lhermite, auteur d’une Didon (1636). Les auteurs espagnols Tirso de Molina (L’abuseur de Séville ou le convive de pierre, 1630) et Calderón (La vie est un songe, 1635) illustrent aussi ce courant.

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Événements historiquesÉvénements littéraires :

théâtre et clasicisme

Période 1600- 1630

[1598 Édit de Nantes]

1589-1610 Règne d’Henri IV1610 Assassinat d’Henri IV

1610-1617 Régence de Marie de Médicis1621 Début du règne de Louis XIII

1617- 1643 Règne personnel de Louis XIII1618-1648 Guerre de Trente ans

1624 Richelieu entre au Conseil du roi

1608 Naissance de Corneille

1622 Naissance de Molière

Période 1630-1661

1631 Révolte de Gaston d’Orléans, frère du roi

1635 La France s’engage dans la guerre de Trente ans

1642 Mort de Richelieu

1643 Mort de Louis XIII. Instabilité politique.

1643-1661 Mazarin ministre1648 Paix de Westphalie : fin à la guerre de Trente ans

1648-1652 la Fronde

1659 Paix des Pyrénées et fin de la guerre franco-espagnole

1635 Fondation de l’Académie française

1636 L’Illusion comique, Corneille

1637 Le Cid, Corneille

1639 Naissance de Racine

1640 Horace, Corneille

1642 Polyeucte, Corneille

1651 Nicomède, Corneille

1659 Les Précieuses ridicules, Molière

Période 1661-1690

1661 Mort de Mazarin et début du règne per-sonnel de Louis XIV

1661-1675 Règne de Louis XIV1661 Colbert devient ministre

1664 Condamnation de Fouquet à la prison à perpétuité

1672-1678 Guerre contre la Hollande

1676-1682 Construction de la machine de Marly, ensembles hydrauliques destinés à ravi-tailler en eau le château de Versailles

1678 Paix de Nimègue : fin de la guerre de Hollande. Rattachement de la Franche-Comté à la France. La puissance française est à son apogée.1682 Installation définitive de Louis XIV à Versailles

1683 Mort de Colbert

1685 Révocation de l’Édit de Nantes

1688-1697 Guerre de la ligue d’Augsbourg

1693-1694 grande famine

1662 L’École des femmes, Molière

1664 Tartuffe, Molière – Interdic-tion de jouer Tartuffe

1665 Dom Juan, Molière

1666 Le Misanthrope, Molière

1667 Andromaque, Racine

1668 L’Avare, Molière – George Dandin créé à Versailles

1669 Britannicus, Racine

1670 Bérénice, Racine ; Le Bour-geois gentilhomme, Molière

1671 Les Fourberies de Scapin, Molière

1672 Bajazet, Racine

1674 L’Art poétique de Boileau fixe les règles du classicisme

1674 Iphigénie, Racine ; Suréna, Corneille

1677 Phèdre, Racine

1691 Athalie, Racine

1697 les Comédiens italiens sont chassés de Paris

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Chapitre

1Aspects de la comédieau XVIIe siècle

Introduction

Au XVIIe siècle, la comédie connaît une très nette évolution dans le paysage littéraire français. Son plus illustre représentant, Molière

renouvelle le genre en profondeur, en l’inscrivant à la fois dans la société de son temps et en proposant un discours sur l’Homme en général. Les genres comiques au théâtre existent depuis l’Antiquité et de nom-breuses pièces sont adaptées à partir de ces chefs-d’œuvre anciens. Mais la comédie se nourrit aussi de la farce, venue tout droit du Moyen-Âge. C’est un genre varié, qui s’inspire aussi du théâtre italien et de la commedia dell’arte. On peut donc partir de l’idée selon laquelle la comé-die est un creuset où se trouvent des influences anciennes et des préoc-cupations nouvelles.

La première fonction de la comédie est de faire rire, ou du moins de faire sourire les spectateurs. Mais ses pouvoirs dépassent le simple diver-tissement. Au XVIIe siècle, la comédie devient une arme pour dénoncer les travers et les abus. Molière peint ainsi les ridicules dans des comé-dies satiriques pour critiquer certains éléments inhérents à la société de son temps, et qui sont encore d’actualité : les mariages forcés, les abus d’autorité, l’avarice, l’hypocrisie, etc. C’est pourquoi l’un des buts avoués de la comédie consiste à « châtier les mœurs par le rire » (« cas-tigat ridendo mores »), c’est-à-dire faire prendre conscience au public de certains comportements humains et sociaux en les distrayant. Telle est l’une des stratégies de la comédie au XVIIe siècle. Avant Molière, Cor-neille a, lui aussi, écrit des comédies qui stigmatisent certains traits de caractère (Le Menteur, 1643).

Il faut donc retenir, avant de comprendre le fonctionnement de la comé-die classique qu’au-delà du plaisir qu’engendre le rire, la comédie appa-raît comme un genre subversif qui permet de montrer les défauts des hommes et les abus de la société. Certaines comédies de Molière pré-sentent cependant peu de scènes franchement comiques. Certaines de ses comédies de mœurs ou de caractère traitent de sujets graves, voire sérieux. Leur dénouement n’est pas nécessairement heureux. La comé-die aborde des sujets qui peuvent se heurter à la censure : la religion, la liberté de pensée, l’émancipation des femmes. Ainsi, l’on considère que la comédie est le genre qui provoque le plus de contestation et de secousses dans le paysage littéraire de la seconde moitié du XVIIe siècle.

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Exercice autocorrectif n° 1

Lisez attentivement la réplique suivante, tirée du Malade imaginaire de Molière :

« Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leur maladie. »

Quel est l’effet produit par une telle réplique ? Que nous apprend-elle sur le rôle de la comédie au XVIIe siècle ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Les sources de la comédie classiqueL’on peut retenir trois sources principales pour la comédie classique, et qui continueront d’influencer la pratique de la comédie aux XVIIIe et XIXe siècles :E la comédie antique (grecque et latine) ;E la farce médiévale ;E la commedia dell’arte (comédie qui apparaît au XVIe siècle en Italie).

1. Un genre apprécié depuis l’Antiquité

Dès l’Antiquité, la comédie est un genre important et reconnu. La célèbre Poétique d’Aristote qui pose les règles de la tragédie aurait dû être com-posée d’un second volet consacré à la comédie, mais le texte en a été perdu. La comédie antique, comme la tragédie, aurait une origine reli-gieuse (fêtes en l’honneur de Dionysos). Le principal représentant de la comédie classique grecque est Aristophane, dont on a conservé onze comédies, même s’il en a probablement écrit plus de mille.

La comédie antique repose sur quelques principes que réemploiera la comédie classique. Les intrigues des comédies athéniennes des Ve et IVe siècles avant J.-C., en particulier celles d’Aristophane, mettent en scène des événements de la vie de la Cité. Elle a alors une fonction sati-rique et obéit à une composition précise dont on retrouve la trace dans la comédie classique de la seconde moitié du XVIIe siècle. Les comédies grecques n’hésitent pas à recourir à des plaisanteries scabreuses ou scatologiques.

La comédie grecque évolue à partir du IVe siècle : ses décors et ses per-sonnages changent. Ainsi le lieu de l’action devient le plus souvent l’in-térieur d’une maison et l’intrigue suit une ligne plus cohérente que par le passé. Apparaissent aussi des types et des situations qui sont ceux de la comédie classique :E de jeunes héros veulent se marier mais leurs projets sont contrecarrés ;E l’esclave (ancêtre du valet) est rusé et déjoue les pièges ;

A

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8 Séquence 4 – FR20

E  des personnages de fanfaron viennent égayer la pièce (soldat, cuisi-nier, etc.).

Ménandre, principal représentant de cette comédie, influencera Cor-neille et Molière dans leurs propres comédies. La Fontaine le cite à plu-sieurs reprises dans ses Fables.

À Rome, Plaute et Térence poursuivent la veine de Ménandre. Les pièces traduites et mises en scène de ces deux auteurs de comédies remportent un très vif succès auprès des lettrés du XVIIe siècle et Molière imitera La Marmite de Plaute dans L’Avare. La comédie latine est un genre très vivant et très varié. On retiendra ses principales orientations.E  les courtes farces : elles sont jouées par des acteurs masqués et com-

portent une grande part d’improvisation. C’est l’ancêtre de la comme-dia dell’arte*.

E  les spectacles de mime : ce ne sont pas des spectacles muets mais des situations prosaïques représentées grâce à la parole et à la danse.

E  les pantomimes : spectacles dansés, ils figurent des sujets mytholo-giques.

E  les fabula : ce terme désigne des pièces de genres différents, notam-ment des comédies imitées des comédies grecques.

La comédie à Rome développe le jeu des acteurs masqués, mais aussi le goût des décors et des costumes. Au XVIIe siècle, les comédies latines n’ont pas cessé d’être représentées. Molière, quand il se produit en province avec sa troupe, « L’Illustre théâtre », donne des comédies de Plaute et de Térence.

Voici un extrait de comédie latine. Lisez-le attentivement et répondez aux questions de lecture cursive.

Document :

Plaute, La Marmite (Acte 1, scène 1)

La Marmite (Aulularia) est l’une des pièces les plus célèbres de Plaute. Euclion possède une marmite pleine d’or et craint qu’on ne la lui dérobe.

Toute l’intrigue est construite autour de cet objet. Il cherche un endroit pour la cacher, jusqu’à ce qu’on la lui dérobe et qu’il entre dans une folie furieuse. La pièce comporte de nombreuses scènes bouf-fonnes et utilise un comique souvent farcesque.

EUCLION. Allons, sors ; sors donc. Sortiras-tu, espion, avec tes yeux fureteurs ?

STAPHYLA. Pourquoi me bas-tu, pauvre malheureuse que je suis ?EUCLION. Je ne veux pas te faire mentir. Il faut qu’une misérable de ton espèce ait ce qu’elle mérite, un sort misérable.STAPHYLA. Pourquoi me chasser de la maison ?EUCLION. Vraiment, j’ai des comptes à te rendre, grenier à coups de fouet. Éloigne-toi de la porte. Allons, par là (lui montrant le côté opposé

• Découvrir l’origine antique du comique farcesque

Objectif

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à la maison). Voyez comme elle marche. Sais-tu bien ce qui l’attend ? Si je prends tout-à-l’heure un bâton, ou un nerf de bœuf, je te ferai allonger ce pas de tortue.STAPHYLA, à part. Mieux vaudrait que les dieux m’eussent fait pendre, que de me donner un maître tel que toi.EUCLION. Cette drôlesse marmotte tout bas. Certes, je t’arracherai les yeux pour t’empêcher de m’épier continuellement, scélérate ! Éloigne-toi. Encore. Encore. Encore. Holà ! Reste-là. Si tu t’écartes de cette place d’un travers de doigt ou de la largeur de mon ongle, si tu regardes en arrière, avant que je te le permette, je te fais mettre en croix pour t’ap-prendre à vivre. (à part) Je n’ai jamais vu de plus méchante bête que cette vieille. Je crains bien qu’elle ne me joue quelque mauvais tour au moment où je m’y attendrai le moins. Si elle flairait mon or, et découvrait la cachette ? C’est qu’elle a des yeux jusque derrière la tête, la coquine. Maintenant, je vais voir si mon or est bien comme je l’ai mis. Ah ! Qu’il me cause d’inquiétudes et de peines.(Il sort.)STAPHYLA, seule. Par Castor ! je ne peux deviner quel sort on a jeté sur mon maître, ou quel vertige l’a pris. Qu’est-ce qu’il a donc à me chas-ser dix fois par jour de la maison ? On ne sait, vraiment, quelle fièvre le travaille. Toute la nuit il fait le guet ; tout le jour il reste chez lui sans remuer, comme un cul-de-jatte de cordonnier. Mais moi, que devenir ? Comment cacher le déshonneur de ma jeune maîtresse ? Elle approche de son terme. Je n’ai pas d’autre parti à prendre, que de faire de mon corps un grand I, en me mettant une corde au cou.

Plaute, La Marmite.

Exercice autocorrectif n° 2

Questions de lecture cursive

Qui sont les personnages mis en scène ?

2 Quelle situation traditionnelle de la comédie découvre-t-on dans cette scène ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

2. L’influence de la farce médiévale

Une seconde forme de pièces comiques a influencé la comédie, héritée du Moyen-Âge. Il s’agit de la farce. Directement issue du théâtre gréco-romain, la farce est un genre comique qui persiste jusqu’au temps de Molière. Si l’on observe les situations et les thèmes de la farce, on peut remarquer qu’ils sont aussi ceux de la comédie classique :E ruse ;E déguisements ;

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E mensonges ;E personnages issus du peuple ;E aristocrates ridicules.

La plus célèbre des farces médiévales La Farce de Maître Pathelin (vers 1465) présentent ces caractéristiques thématiques. La pratique de la farce dure jusqu’au XVIIe siècle, mais le genre est systématiquement associé au peuple, tandis que la comédie en vers correspond aux classes moyennes (bourgeoisie) et la tragédie aux élites. Molière bouscule cette hiérarchie en combinant dans son théâtre la triple influence de la farce, de la comédie antique et de la commedia dell’arte :E lazzi, gestes et mimiques burlesques ;E plaisanteries grivoises ou scatologiques ;E quiproquos ;E bouffonneries.

Voici un extrait de La Farce de Maître Pathelin. Lisez-le attentivement et répondez à la question de lecture cursive.

Document :

La Farce de Maître Pathelin, anonyme

La Farce de Maître Pathelin, écrite vers 1460, constitue le plus célèbre exemple de farce médié-vale. Dans l’extrait suivant, on découvre certains ressorts de la farce dont Molière et les auteurs de comédie au XVIIe siècle feront profit.

Dans cette farce, les plus malins ne sont pas ceux qu’on croit. Pathelin est un avocat sans cause, mais poussé par sa femme Guillemette, il va voir un drapier pour refaire sa garde-robe. Il choisit des étoffes et dit au drapier de venir se faire payer chez lui : le drapier vient au rendez-vous, mais Pathelin et sa femme jouent aux mourants, ce qui fait fuir le drapier. Intervient alors le personnage de l’Agnelet qui demande à Pathelin de le défendre car on a égorgé ses moutons. Pour gagner le procès, Pathelin invente une ruse : le berger devra jouer au simple d’es-prit. Le stratagème fonctionne, et ils gagnent. Mais au moment de récla-mer son dû, Pathelin est dupé : au lieu de lui répondre, Agnelet se met à bêler !

Scène 10

Pathelin, le berger thibaud

Devant le tribunal.

Pathelin, au berger – Dis, l’Agnelet.le berger – Bée !Pathelin – Viens ici, viens. Ton affaire est-elle bien réglée ?

• Découvrir un exemple de farce médiévale

Objectif

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11Séquence 4 – FR20

le berger – Bée !Pathelin – La partie adverse s’est retirée. Ne dis plus « Bée ! » ce n’est plus la peine ! Ne l’ai-je pas bien embobiné ? Ne t’ai-je pas conseillé comme il fallait ?le berger – Bée !Pathelin – Eh, diable ! On ne t’entendra pas : parle sans crainte ! N’aie pas peur !le berger – Bée !Pathelin – Il est temps que je parte. Paie-moi !le berger – Bée !Pathelin – À dire vrai, tu as très bien joué ton rôle, tu t’es montré à la hau-teur. Ce qui lui a donné le change, c’est que tu t’es retenu de rire.Le berger – Bée !Pathelin – Quoi « Bée » ? Tu n’as plus besoin de le dire. Paie-moi géné-reusement.le berger – Bée !Pathelin – Quoi « Bée » ? Parle correctement ! Paie-moi, et je m’en irai.le berger – Bée !Pathelin – Tu sais quoi ? Je suis en train de te dire – et je t’en prie, cesse de bêler après moi – de songer à me payer. J’en ai assez de tes bêlements ! Paie-moi en vitesse !le berger – Bée !Pathelin – Te moques-tu de moi ? Ne feras-tu rien d’autre ? Je te jure que tu vas me payer, tu entends, à moins que tu ne t’envoles ! Allons ! Mon argent !le berger – Bée !Pathelin – Tu plaisantes ! Comment ça ? N’obtiendrai-je rien d’autre ?le berger – Bée !Pathelin – Tu fais le malin ! Et à qui donc penses-tu faire avaler tes salades ? Sais-tu ce qu’il en est ? Désormais ne me rebats plus les oreilles de ton « bée », et paie-moi !le berger – Bée !Pathelin – Ne serai-je pas payé d’une autre monnaie ? De qui crois-tu te jouer ? Moi qui devais être si content de toi ! Eh bien, fais en sorte que je le sois !le berger – Bée !Pathelin – Me fais-tu manger de l’oie ? À p a r t . Sacrebleu ! N’ai-je tant vécu que pour qu’un berger, un mouton en habit, un ignoble rustre se paie ma tête ?le berger – Bée !Pathelin – N’entendrai-je rien d’autre ? Si tu fais cela pour t’amuser, dis-le, et ne me force pas à discuter davantage ! Viens donc souper chez moi !le berger – Bée !Pathelin – Par saint Jean, tu as raison, les oisons mènent paître les oies. À part. Moi qui me prenais pour le maître de tous les trompeurs d’ici et

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d’ailleurs, des escrocs, des faiseurs de belles promesses à tenir au jour du jugement dernier, et voilà qu’un berger des champs me surpasse ! A u berger. Par saint Jacques, si je trouvais un sergent, je te ferais arrêter !le berger – Bée !Pathelin – Ah, oui ! Bée ? Que je sois pendu si je ne vais appeler un bon sergent ! Malheur à lui s’il ne te met pas en prison !le berger, s’enfuyant – S’il me trouve, je lui pardonne !

La Farce de Maître Pathelin, anonyme

Exercice autocorrectif n° 3

Question de lecture cursive

En quoi ce dénouement correspond-il bien à l’idée qu’on se fait d’une farce ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Les différents genres de comédies

Au XVIIe siècle, la comédie évolue de façon importante, notamment grâce à l’apport de Molière. En partant de sa propre production (33 pièces), on peut distinguer différents types de comédies qui n’ont pas les mêmes structures ni les mêmes buts.

Exercice autocorrectif n° 4

Reconnaître les types de comédies

À vous de jouer ! Essayez de compléter le tableau ci-dessous en vous renseignant sur l’auteur et le type de comédies de chaque pièce citée. Exemple : farce, comédie de mœurs, comédie de caractère, mélange des différents types de comédie.

B

E La farce : provoque le rire par des gestes et des situations triviales, par-fois grossières.

E La comédie de caractère : elle peint un type humain qui a un défaut particu-lier qu’il fait subir à son entourage. Elle montre les travers et les ridicules.

E La comédie de mœurs : dénonce les travers d’une époque, d’une classe sociale, d’une profession. Elle s’attaque aux valeurs figées et aux idées toutes faites.

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13Séquence 4 – FR20

Auteurs Types de comédie

La jalousie du barbouillé

Le Misanthrope

La Veuve

Les Précieuses ridicules

Les Plaideurs

L’Avare

Dom Juan

Que constatez-vous ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Les personnages de comédie

La comédie classique présente bien souvent des types de personnages aisément identifiables. Le succès des pièces classiques, et notamment de Molière, fait qu’aujourd’hui un nom de personnage est devenu un « type humain » (cf. exercice autocorrectif n° 3).

La comédie au XVIIe siècle s’appuie sur des types de personnages : chaque type correspond à un rôle précis, avec ses particularités psychologiques et dramaturgiques. Voici un tableau récapitulatif qui vous permettra de recon-naître les principales caractéristiques et les fonctions de chaque type.

Types Caractéristiques/Apparence Pièces

Le valet, la soubrette

Ruse, malice, mensonge, déguisement. Aide souvent les jeunes premiers dans leur projet de mariage.

Apparence : tenue de domestique.

Toinette dans Le Malade imagi-naire,

Toinette dans Tartuffe.

Le barbon Souvent irascible et autoritaire. Veut imposer sa loi matrimoniale. Il pense à la dot.

Apparence : habit sobre. Parfois air cacochyme (maladif) au dos voûté.

Harpagon dans L’Avare,

Gorgibus dans Les Précieuses ridicules.

Jeunes premiers,

jeunes pre-mières

Ils dépendent matériellement de l’autorité paternelle. Ils sont prisonniers d’une situation. Toutefois, ils sont capables de tromperie pour parvenir à leurs fins.

Apparence : beauté et jeunesse. Jolis habits.

La plupart de ces personnages sont issus de la comédie italienne (voir le document « Composition d’une troupe de comédie des masques » ci-après).

C

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14 Séquence 4 – FR20

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15Séquence 4 – FR20

André Degaine, Histoire du théâtre dessinée. © 1992, by Librairie A.-G. NIZET.

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16 Séquence 4 – FR20

Exercice autocorrectif n° 5

Du personnage à l’archétype

Recherchez à quel trait de caractère correspond chaque personnage type ci-dessous :

E un tartuffe ; un harpagon ; un don juan ; un matamore.

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Les différents ressorts de la comédie

1. Les types de comique

Outre les différents types de pièces et de personnages, on distingue différents types de comique. Chaque comédie comporte en général plu-sieurs formes de comique. Dans les pièces de Molière en particulier, le comique de gestes et de mots s’accompagne bien souvent d’un comique de situation, l’un n’excluant pas l’autre.

Voici une classification traditionnelle qui vous permettra d’identifier les différents types de comiques.

  Le comique de gestes : le comique provient des mimiques, des mou-vements, des attitudes physiques d’un personnage. Exemple : les bas-tonnades des Fourberies de Scapin font partie du comique de gestes, influencé par la farce.

Le comique de mots (ou de langage) : le comique provient d’une expres-sion, d’un jeu de mots, d’une façon de parler incongrue. Par exemple, dans Les Précieuses ridicules, Cathos dit de son oncle : « Mon Dieu, ma chère, que ton père a la forme enfoncée dans la matière », pour suggérer que Gorgibus est matérialiste.

Le comique de répétition : le comique est dû à la répétition d’un geste ou d’un mot ou d’une phrase. Exemple : « Bée ! » dans La Farce de Maître Pathelin ; « Que diable allait-il donc faire dans cette galère ? » dans Les Fourberies de Scapin.

  Le comique de caractère : le comique provient des manies d’un person-nage, de ses obsessions. Par exemple, dans L’Avare, Harpagon répète « dix mille écus », quand il explique à sa fille pourquoi il veut la marier à un homme riche.

Le comique de situation : l’effet comique est engendré par une situation cocasse ou inattendue. Par exemple, dans Tartuffe, Orgon est caché sous la table pendant que son épouse Elmire est séduite par Tartuffe.

D

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17Séquence 4 – FR20

2. Le quiproquo

Le quiproquo est le principal ressort dramaturgique de la comédie. Le terme signifie en latin « quelqu’un pour/à la place de quelqu’un » (qui pro quo), c’est-à-dire un « élément à la place d’un autre ». Par son étymo-logie le mot quiproquo suggère un désordre et fait intervenir un malen-tendu, source de comique.

Les différentes manifestations du comique dépendent du jeu de l’ac-teur et de la mise en scène. Mais les formes du comique sont également inscrites dans la composition des pièces. La principale est le quiproquo qui désigne une situation où des personnages ne parlent pas du même sujet, ce qui entraîne un comique de situation (voir dans le premier grou-pement de textes, la scène du Malade imaginaire).

Le quiproquo est donc un des principaux ressorts de la comédie car il intègre la complicité du public qui comprend que deux personnages se méprennent et se trompent. L’École des femmes de Molière offre un exemple de quiproquo tout à fait savoureux : Horace est amoureux d’Agnès qu’il a aperçue dans la rue et avec qui il a échangé quelques mots. Il s’en confie à Arnolphe car il sait que la jeune fille est sous l’au-torité d’un tuteur. Horace explique à Arnolphe le stratagème qu’il a mis en place pour déjouer l’attention du tuteur. Or ce tuteur est Arnolphe lui-même.

Exemple et analyse d’un quiproquo :

Molière, L’Avare (Acte II, sc. 3)

La FLèche bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon. Que veut dire ceci ? Notre maître Simon qui parle à votre père !

cLéante bas, à La Flèche. Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous trahir ?

Maître SiMon à Cléante et à La Flèche. Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous a dit que c’était céans ? (À Harpagon.) Ce n’est pas moi, Monsieur, au moins, qui leur ai découvert votre nom et votre logis ; mais, à mon avis, il n’y a pas grand mal à cela : ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer ensemble.

harpagon. Comment ?

Maître SiMon montrant Cléante. Monsieur est la personne qui veut vous emprunter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.

harpagon. Comment, pendard ! c’est toi qui t’abandonnes à ces cou-pables extrémités !

cLéante. Comment ! mon père, c’est vous qui vous portez à ces honteuses actions !Maître Simon s’enfuit, et La Flèche va se cacher.

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18 Séquence 4 – FR20

Commentaires 

Cet extrait de L’Avare dévoile le fonctionnement du quiproquo dans la comédie. Il s’agit ici d’un double quiproquo. Cléante, fils d’Harpagon, se trouve chez maître Simon, un notaire, en compagnie de La Flèche. Cléante est venu dans ces lieux pour emprunter de l’argent à un usu-rier dont il ignore l’identité. De son côté, Harpagon est venu chez maître Simon pour prêter de l’argent à un inconnu, mais en exigeant des taux exorbitants. Le quiproquo repose sur le fait que le père et le fils igno-rent qu’ils sont prêteurs et emprunteurs. Et le comique repose sur les reproches qu’ils s’adressent l’un à l’autre quand ils découvrent le pot aux roses. Rappelons qu’au XVIIe siècle, exercer l’usure est très mal perçu moralement ; d’autre part, il ne convient pas à un fils de bourgeois d’emprunter de l’argent, c’est également très mal jugé par la société. Père et fils se prennent donc en faute : derrière le comique de la sur-prise, se cache donc une véritable réflexion sur le fonctionnement d’une société, sur les plans matériel et moral.

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19Séquence 4 – FR20 19Séquence 1 – FR20 19Séquence 1 – FR20

Fic

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Chapitre

1

Fiche méthode

Analyser le texte théâtral

L’analyse du texte de théâtre implique de prendre en compte un cer-tain nombre d’éléments spécifiques. Grâce aux deux fiches ci-des-

sous, vous pourrez vous repérer et circuler à l’intérieur des scènes, pour mieux en dégager le fonctionnement.

1. Comment analyser des répliques de théâtre ?

C’est généralement un conflit (agôn, en grec) qui est au centre de l’action théâtrale. Ce conflit se manifeste par des affrontements verbaux et des crises psychologiques intérieures. L’observation et l’analyse de l’organisa-tion comme de la répartition des paroles entre les personnages permettent de comprendre quel est le personnage le plus important, quel est celui qui exerce un pouvoir sur un autre… ou qui réussit, par l’utilisation du langage, à inverser un rapport de forces lié à des conditions sociales prédéterminées.

Types de paroles

Caractéristiques Utilisation dans la comédie

Exemples Effets comiques

Dialogue

Il est composé de répliques plus ou moins longues entre deux personnages au minimum.

C’est le type d’échange le plus souvent employé.

Il permet les explica-tions mais aussi les conflits.

La première scène du Médecin malgré lui.

Le dialogue peut entraîner un quipro-quo amusant.

Stichomy-thie

C’est un dialogue composé de répliques extrêmement brèves (parfois une monosyl-labe) qui s’enchaînent très rapidement.

Conflit entre deux personnages. Urgence d’une situation.

Comique de mots et de rythme.

Tirade

Il s’agit d’une réplique longue et dévelop-pée, prononcée sans interruption.

Un personnage s’explique ou raconte un événement. Il peut aussi se confier.

Monologue

Un personnage parle seul en scène. Il s’agit d’une convention théâtrale.

Cette forme de réplique permet d’accéder à l’intério-rité d’un personnage, de comprendre ses émotions intimes, ses idées.

Première et dernière scène de George Dan-din. Seul en scène, le personnage exprime son mécontentement et ses désillusions.

Le monologue peut dévoiler les ambitions grotesques d’un personnage.

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20 Séquence 4 – FR20

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20 Séquence 1 – FR2020 Séquence 1 – FR20

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ode Types de

parolesCaractéristiques Utilisation dans la

comédieExemples Effets comiques

Aparté

Réplique brève prononcée « à part », c’est-à-dire hors du dialogue et entendue seulement par le public. C’est égale-ment une convention théâtrale.

Permet de com-prendre les vraies pensées d’un person-nage à l’intérieur du dialogue.

La Flèche dans la scène de L’Avare, quand Harpagon lui fait vider ses poches et le fouille.

Effet comique dû à la rupture dans le dialogue.

Doubleénonciation

Ce terme désigne le principe de double communication, notamment au théâtre. Sur scène, un personnage s’adresse à un autre, mais les propos sont impli-citement tenus par l’auteur (émetteur 2) et adressés aux spectateurs (destina-taire 2).

Constante à prendre en compte dans l’ana-lyse du dialogue théâ-tral, elle est encore plus perceptible dans le monologue et l’aparté.

Dans tout dialogue, tout monologue ou aparté.

Le décalage entre la perception des paroles par le public et les personnages crée le comique.

2. La structure et la progression dramaturgiques

Une pièce de théâtre répond à une organisation précise et élaborée. On appelle la structure dramaturgique la manière dont un auteur construit sa pièce et ses personnages, la manière dont il fait évoluer l’intrigue. Le tableau suivant vous rappelle les grandes étapes dans la constitution d’une pièce classique.

Caractéristiques Fonctions

Structure et type de comédie

Une comédie se compose d’actes et de scènes. La comédie classique peut comporter 3 ou 5 actes, parfois elle n’en comporte qu’un.

Selon le nombre d’actes et de scènes, on peut identifier le type de comédie. Les grandes comédies de caractère sont en 5 actes, tandis que les pièces proches de la farce n’en comportent qu’un seul.

Acte

Un acte correspond à un épisode de l’action.

Traditionnellement, dans une pièce classique, le premier acte est dévolu à l’exposition et le dernier acte au dénouement.

ScèneChaque acte est découpé en scènes. Un changement de scène a lieu quand un personnage entre ou sort de scène.

L’exposition

Elle se situe au début de la pièce, occupe les premières scènes, voire le premier acte.

Elle présente le temps et le lieu de l’ac-tion, les enjeux de l’intrigue, l’identité et la condition des principaux person-nages ainsi que leurs relations.

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21Séquence 4 – FR20 21Séquence 1 – FR20 21Séquence 1 – FR20

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Le nœud et les péripéties

Le nœud de l’action (ou partie centrale) comporte les obstacles que les person-nages doivent surmonter.

Ce sont les événements qui se pro-duisent entre le début et la fin d’une pièce, modifient son cours et font intervenir des éléments extérieurs.

Dans la comédie, les péripéties peu-vent être nombreuses, et sont souvent l’occasion de coups de théâtre ou de quiproquos.

Le dénouement

Aboutissement de l’action, il a lieu dans les dernières scènes de la pièce.

C’est le moment où les conflits sont réglés et où le sort des personnages est fixé. Le plus souvent la comédie classique se referme sur un mariage.

S’appuyant jusqu’au XXe siècle, l’action théâtrale a été structurée et pro-gressive. Mais peu à peu, au cours des siècles, la suppression du décou-page en actes et en scènes, la disparition du conflit, de l’exposition ou du dénouement bouleversent l’écriture théâtrale.

Note :

Voici  une  série  de  questions  que  vous  pouvez  vous  poser  en abordant une scène de théâtre :E  Où se trouve l’extrait étudié ? Se situe-t-il au début, au milieu ou

à la fin de la pièce ?

E  Quels sont les personnages présents dans la scène ? Quel rap-port les relie ? (maîtres/valets, père/fils ou fille, etc.)

E  Dans quel décor la scène se déroule-t-elle ?

E  À quelle forme de réplique théâtrale a-t-on affaire ?

E  Quel est l’objet de l’échange ?

Récapitulons

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22 Séquence 4 – FR2022 Séquence 1 – FR20

Chapitre

1Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Cette réplique tirée du Malade imaginaire peut s’interpréter de plusieurs manières. D’une part, c’est une réplique amusante, qui fait sourire celui qui l’entend. Elle procède en effet d’une ironie assez cinglante à l’égard des médecins. Il s’agit donc d’un trait satirique propre à la comédie de mœurs. On sait que Molière n’avait pas d’estime pour le corps médical et qu’il a dénoncé ses pratiques à plusieurs reprises, y compris dans des pièces farcesques comme Le Médecin malgré lui. La réplique résonne enfin comme une sentence, c’est-à-dire une vérité absolue. Le présent de vérité générale qu’utilise Molière apparente en effet la réplique à une maxime. Ce type de répliques est courant dans le théâtre de Molière, parfois à des fins franchement comiques. Ainsi, Mascarille dans Les Précieuses ridicules affirme que « Les gens de qualité savent tout sans jamais rien avoir appris », tandis qu’une célèbre réplique de L’Avare pré-tend qu’ « il faut manger pour vivre, et non pas vivre pour manger ».

Corrigé de l’exercice n° 2

Il s’agit d’une scène d’exposition qui présente un maître (Euclion) et sa servante (Staphyla).

2 Sans qu’on sache pourquoi (on l’apprendra après), le maître s’en prend à sa domestique et veut la mettre dehors. On trouve ici un schéma traditionnel de la comédie, qui montre que le rapport maître/valet dans la comédie du XVIIe siècle est issu du théâtre antique. Cette situation de comédie entraîne des éléments comiques, mais provoque aussi l’intrigue : la servante, rusée comme il se doit, se vengera de ce maître violent et querelleur. L’on voit également dans cette scène que la servante est l’alliée de la jeunesse, comme ce sera souvent le cas dans les comédies de Molière.

Cet extrait de La Marmite de Plaute met donc bien en place des situations qui deviendront des schémas traditionnels de la comédie au XVIIe siècle. Il a donc un statut exemplaire.

Corrigé de l’exercice n° 3

Le dénouement de La Farce de Maître Pathelin reflète bien l’idée qu’on se fait d’une farce pour plusieurs raisons. Tout d’abord on assiste à un renversement de situation. Le personnage qui avait trompé les autres est

Conclusion

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23Séquence 4 – FR20

devenu la victime d’un nouveau personnage, plus rusé que lui : comme le dit le proverbe, « à trompeur, trompeur et demi ».

Ensuite la farce repose sur un comique de mots souvent trivial. La répé-tition de l’onomatopée « Bée ! » qui imite le bêlement d’un mouton ne peut que faire rire. Le personnage du berger se moque ouvertement de l’avocat qu’il ridiculise. Ce dernier, en réitérant sans cesse sa demande d’argent, ne fait que se ridiculiser davantage.

Enfin, on notera que derrière ce comique se cache aussi une satire sociale : c’est le berger, homme de condition modeste, qui a le dernier mot sur un avocat, personne qui est censée maîtriser le langage et ses prestiges… Le dénouement montre aussi la victoire des plus faibles, ce qui est dans l’esprit même de la farce. Comique de langage et de situa-tion se conjuguent donc ici pour faire rire le public et le faire réfléchir.

Corrigé de l’exercice n° 4

Auteurs Types de comédieLa jalousie du barbouillé Molière Farce

Le Misanthrope Molière Comédie de caractère et de mœurs

La Veuve Corneille Comédie de caractère

Les Précieuses ridicules Molière Comédie de mœurs (éléments de farce)

Les Plaideurs Racine Comédie de mœurs (éléments de farce)

L’Avare Molière Comédie de caractère, de mœurs et éléments de farce

Dom Juan Molière Comédie de caractère et de mœurs

L’on constate qu’une comédie peut comporter plusieurs influences et par conséquent être hybride. Une même pièce peut en effet combiner des effets de la farce, tout en s’appuyant sur un caractère et en procé-dant à une satire sociale. C’est le cas, par exemple, du Malade imagi-naire de Molière. La pièce se fonde sur un caractère (Argan, hanté par la maladie), mais dénonce aussi les pratiques des médecins et de la méde-cine. À cet égard, il s’agit bien d’une comédie de mœurs qui procède à la satire d’un corps professionnel particulier. Dans cette comédie, on trouve enfin certaines scènes issues de la farce, notamment les allusions scatologiques aux lavements que s’impose Argan… Enfin, cette dernière pièce de Molière est une comédie-ballet, c’est-à-dire qu’interviennent des passages dansés à l’entracte et au dénouement. Cet exemple nous

Le dénouement de La Farce de Maître Pathelin souligne donc bien la double visée de la comédie  : faire rire tout en proposant une satire de la société qui éclaire le spectateur.

Conclusion

Constats

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24 Séquence 4 – FR20

montre que la comédie peut difficilement se cantonner à un système fermé, mais qu’elle admet des influences diverses dans sa composition.

Corrigé de l’exercice n° 5

E Un tartuffe est un homme hypocrite, qui dissimule ses véritables intentions ;E Un harpagon désigne une personne avare ;

E  Un don juan s’affiche comme un séducteur cynique (à noter le pl. : des don juan, ou des dons juans) ;

E  Un matamore est un faux brave, un vantard (nom issu du personnage traditionnel de comédie du soldat fanfaron, né de la comédie de Plaute, Miles gloriosus).

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25Séquence 4 – FR20

Chapitre

2Visages de la comédie :de Molière à nos jours

Vous allez maintenant lire et analyser le genre qu’est la comédie à tra-vers ce premier groupement de textes. Vous allez étudier trois textes de Molière en lecture analytique et découvrir en lectures cursives d’autres auteurs du XVIIIe siècle au XXe siècle afin de percevoir l’évolution du genre.

Châtier les mœurs par le rireTexte 1 Les Précieuses ridicules, scène 9

Les Précieuses ridicules est l’une des premières comédies qui a valu à Molière un succès à la cour, à Paris. La pièce est une satire de la précio-sité, mouvement littéraire et artistique qui se développe dans les années 1650. La préciosité littéraire se caractérise par la recherche langagière et par une attention marquée aux convenances et aux situations roma-nesques. Deux jeunes provinciales, Cathos et Magdelon, passent leurs journées à lire des romans de style précieux. Elles rêvent de rencontrer des amoureux qui ressembleraient aux héros de leurs fictions. Mais leur père, Gorgibus, leur propose un bon mariage bourgeois qu’elles refusent. Pour se venger d’avoir été éconduits, La Grange et Du Croisy envoient un faux précieux, leur valet Mascarille, pour les séduire. Elles tombent sous le charme… Molière signe ici une de ses comédies sati-riques les plus drôles et les plus cruelles.

MaScariLLe. Il est vrai qu’il est honteux de n’avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine ; je veux établir chez vous une académie de beaux esprits, et je vous promets qu’il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m’en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les belles ruelles de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes, et plus de mille madrigaux1, sans compter les énigmes et les portraits.

1. Sonnets, épigrammes et madrigaux sont des formes poétiques brèves. Le sonnet comporte deux quatrains et deux tercets. L’épigramme est un petit poème satirique, alors que le madrigal exprime une pensée ingénieuse et galante.

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26 Séquence 4 – FR20

MagdeLon. Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits : je ne vois rien de si galant que cela.MaScariLLe. Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas.cathoS. Pour moi, j’aime terriblement les énigmes.MaScariLLe. Cela exerce l’esprit, et j’en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai à deviner.MagdeLon. Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés.MaScariLLe. C’est mon talent particulier ; et je travaille à mettre en madri-gaux toute l’Histoire romaine.MagdeLon. Ah ! certes, cela sera du dernier beau ; j’en retiens un exem-plaire au moins, si vous le faites imprimer.MaScariLLe. Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition, mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires, qui me persécutent.MagdeLon. Je m’imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé.MaScariLLe. Sans doute. Mais à propos, il faut que je vous dise un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les impromptus.cathoS. L’impromptu est justement la pierre de touche de l’esprit.MaScariLLe. Écoutez donc.MagdeLon. Nous y sommes de toutes nos oreilles.MaScariLLe. Oh ! oh ! je n’y prenais pas garde : Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde, Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur, Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !cathoS. Ah ! mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier galant.MaScariLLe. Tout ce que je fais a l’air cavalier, cela ne sent point le pédant.MagdeLon. Il en est éloigné de plus de deux mille lieues.

Questions de lecture analytique

Qui sont les personnages présents dans cette scène ? Quel type de situation scénique cela engendre-t-il aux yeux du spectateur ? (Conseil : pour répondre à cette question, vous pouvez vous aider d’une encyclopédie ou d’un dictionnaire des œuvres).

2 Au fil de l’échange, quel est le lien qui se tisse entre les personnages malgré tout ?

3 Qu’est-ce qu’un « impromptu » ? Que pensez-vous de la qualité littéraire de celui que prononce Mascarille ? Quel effet produit-il sur les précieuses ?

4 Question d’ensemble : Expliquez comment fonctionne le comique dans cette scène. Vous vous appuierez sur les différents ressorts de la comédie.

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27Séquence 4 – FR20

Réponses

Dans cette scène, Magdelon et sa cousine Cathos échangent avec Mascarille, un domestique qui s’est déguisé en précieux et qu’elles prennent pour un marquis. Il a été en réalité envoyé par deux préten-dants éconduits, La Grange et Du Croisy. La scène repose donc sur un quiproquo dont le public est complice ; il sait en effet qui est chaque protagoniste.

2 L’échange de répliques montre que c’est l’admiration qui anime les deux précieuses qui écoutent avec beaucoup d’attention leur hôte : « Ah ! mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier galant. ». Mais on peut voir aussi qu’un lien intellectuel et culturel rassemble ces personnages. Dans le dialogue, il est en effet question de littérature à travers l’emploi des termes « impromptu », « énigme » ou « portrait » qui sont des formes poétiques appréciées par les précieux du temps de Molière. Chaque forme poétique donne ici lieu à une réplique de Cathos ou de Magdelon, par exemple : « Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits ; je ne vois rien de si galant que cela », « Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés. ».

3 Comme l’étymologie du mot l’indique (latin in promptu, en évidence, sous la main), un impromptu est une pièce poétique brève et impro-visée qui traite d’un sujet du moment. C’est une forme libre poéti-quement, dans laquelle le poète doit montrer toute la vivacité de son esprit et son sens de l’à propos.

Or l’impromptu prononcé par Mascarille est plutôt ridicule, pour plu-sieurs raisons :

E  d’abord les deux exclamations « Oh ! Oh ! » n’ont rien de très poé-tique, mais sont plutôt deux marques d’étonnement assez pro-saïque.

E  la suite de l’impromptu reste prosaïque, voire triviale. Le vers « Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur » est le plus cocasse des quatre car outre l’emploi du terme « tapinois » qu’on utilise habituellement pour désigner l’attitude d’un chat qui surveille une souris, la répé-tition de la forme possessive « me » et « moi » entraîne une faute syntaxique, ou du moins une lourdeur dans le style.

E  enfin le dernier vers qui répète quatre fois l’exclamation « Au voleur » trahit le peu d’imagination du poète qui, par une analogie maladroite, craint qu’on ne lui vole son cœur, c’est-à-dire le secret de ses sentiments.

Ainsi, l’impromptu de Mascarille relève de la parodie d’impromptu précieux. Pourtant les précieuses se laissent berner par l’impromptu qu’elles applaudissent. La dernière réplique de l’extrait (« Il en est éloigné de plus de deux mille lieues. ») montre en effet que Magdelon souscrit entièrement à l’improvisation du faux marquis.

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28 Séquence 4 – FR20

4 La situation de départ repose déjà sur le quiproquo, un des ressorts traditionnels de la comédie : deux jeunes précieuses reçoivent un faux marquis qu’elles prennent pour un galant homme et un poète. Le développement du quiproquo notamment dans la première réplique de Mascarille est savoureux pour le spectateur. Le faux-précieux joue le jeu et feint d’avoir une vie littéraire et mondaine très bien remplie. La réplique « il faut que je vous dise un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter » doit leur montrer à la fois le talent du personnage à inventer des impromptus sur le vif, mais aussi qu’il fréquente le meilleur monde. Le duc et la duchesse sont en effet les titres nobiliaires parmi les plus élevés dans l’aristocratie française.

La situation est comique pour plusieurs raisons :

E  d’abord parce que les précieuses se leurrent sur la réelle identité de leur invité (quiproquo et satire des mœurs à travers la mise en scène de ces précieuses ridicules comme l’indique le titre de la pièce).

E  ensuite parce que Mascarille joue au précieux en imitant leur lan-gage, et en utilisant notamment un grand nombre d’hyperboles, tel l’adverbe « diablement ». Il y a ainsi du comique de situation, mais aussi de mots.

E  l’impromptu est parodique du style précieux.E  enfin, après avoir prononcé son impromptu, Mascarille fait acte de

fausse modestie, tout en se vantant : « Tout ce que je fais a l’air cava-lier, cela ne sent point le pédant. » En demandant l’assentiment des précieuses, il engendre une situation comique.

Plan possible

I. Le quiproquo, un ressort traditionnel à la base de cette scène comique.

II. La satire des mœurs des précieux et précieuses.

Conclusion

Ainsi, la parodie d’impromptu prononcée par un valet et sa réception par les deux précieuses en admiration ressortissent du comique de situation tout en participant de la comédie de mœurs. Cette pièce de Molière relève en effet de cette catégorie de comédies qui fait la satire d’une mode ou du comportement d’un groupe social. Rappelez-vous d’autres comédies de mœurs de Molière : Tartuffe dénonçant l’hypocrisie religieuse, Le Bourgeois gentihomme qui se moque des roturiers singeant les aristocrates ou encore Les Femmes savantes qui ridiculisent les pédants.

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La comédie du mariage

Texte n° 2 : Molière, George Dandin (Acte I, sc.4)

George Dandin (1668) est l’une des comédies les plus noires de Molière. Dandin, un paysan enrichi, a épousé Angélique de Sotenville, une jeune aris-tocrate ruinée. Ce mariage a permis à Dandin d’acquérir la noblesse, il est devenu Monsieur de la Dandinière. De leur côté, les Sotenville, Angélique et ses parents, ont pu renflouer leur situation grâce à l’argent de Dandin. Ce mariage n’est pas heureux, Angélique se refuse à faire un enfant à son mari et a un amant, Clitandre. Or, Dandin s’en est aperçu. Il s’en plaint à ses beaux-parents qui refusent de le croire. Malgré le caractère dramatique de cette situation, les dialogues comportent un certain nombre d’éléments comiques.

Monsieur de Sotenville. Que veut dire cela, mon gendre ?George Dandin. Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu’une femme vive, et qu’elle fait des choses qui sont contre l’honneur.Madame de Sotenville. Tout beau ! prenez garde à ce que vous dites. Ma fille est d’une race trop pleine de vertu, pour se porter jamais à faire aucune chose dont l’honnêteté soit blessée ; et de la maison de la Pru-doterie il y a plus de trois cents ans qu’on n’a point remarqué qu’il y ait eu une femme, Dieu merci, qui ait fait parler d’elle.Monsieur de Sotenville. Corbleu ! dans la maison de Sotenville on n’a jamais vu de coquette, et la bravoure n’y est pas plus héréditaire aux mâles, que la chasteté aux femelles.Madame de Sotenville. Nous avons eu une Jacqueline de la Prudoterie qui ne voulut jamais être la maîtresse d’un duc et pair, gouverneur de notre province.Monsieur de Sotenville. Il y a eu une Mathurine de Sotenville qui refusa vingt mille écus d’un favori du roi, qui ne lui demandait seulement que la faveur de lui parler.George Dandin. Ho bien ! votre fille n’est pas si difficile que cela, et elle s’est apprivoisée depuis qu’elle est chez moi.Monsieur de Sotenville. Expliquez-vous, mon gendre. Nous ne sommes point gens à la supporter dans de mauvaises actions, et nous serons les premiers, sa mère et moi, à vous en faire la justice.Madame de Sotenville. Nous n’entendons point raillerie sur les matières de l’honneur, et nous l’avons élevée dans toute la sévérité possible.George Dandin. Tout ce que je vous puis dire, c’est qu’il y a ici un cer-tain courtisan que vous avez vu, qui est amoureux d’elle à ma barbe, et qui lui a fait faire des protestations d’amour qu’elle a très humainement écoutées.

George Dandin, Acte I, sc.4 (1669)

B

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Questions de lecture analytique

Quels sont les personnages présents dans ce dialogue ? Quel lien les unit ? Quelle est la situation dramatique ? Quel est son intérêt ?

2 Commentez les noms propres cités dans cet extrait. Quel est l’effet produit ?

3 Étudiez le langage et l’argumentation des Sotenville. Quelles conclu-sions pouvez-vous tirer de ces deux personnages ?

4 Quel est l’objet de l’échange ? Comment George Dandin tente-t-il de faire comprendre ses inquiétudes aux Sotenville ? Y parvient-il ?

5 Question d’ensemble : Comment la satire se met-elle en place dans la scène ? Proposez un plan bâti en trois parties à partir des réponses que vous avez élaborées pour les questions précédentes.

Réponses

Les personnages présents dans cette scène sont George Dandin, héros de la pièce, et ses beaux-parents, monsieur et madame de Sotenville.

Dandin est venu se plaindre à eux du comportement de leur fille. La situation dramatique est intéressante à plusieurs titres :

E  elle montre tout d’abord le rapport qui unit Dandin à ses beaux-parents : le mariage entre les deux familles s’est conçu sur des bases matérielles et financières.

E  l’expression « elle s’est apprivoisée depuis qu’elle est chez moi » nous renseigne sur le statut d’Angélique. En épousant Dandin, elle est passée sous sa dépendance. Mais l’autorité des parents demeure puisque le héros y recourt. C’est donc tout un système social et familial qu’on peut deviner dans cette scène.

E  en outre, on comprend pourquoi Dandin s’adresse aux parents d’An-gélique. Ces derniers sont très soucieux des convenances sociales, comme l’indique l’expression « Nous n’entendons point raillerie sur les matières de l’honneur ». Très sourcilleux sur leur réputation et celle de leurs filles, les Sotenville semblent a priori des interlocu-teurs privilégiés face aux accusations de Dandin.

2 Les noms propres présents dans l’extrait relèvent tous du comique de mots :

E  le nom de Dandin fait sourire car il rappelle le verbe « dandiner » qui désigne une manière de marcher comme un canard. Le nom renvoie à l’extraction paysanne du personnage qui manque d’élégance dans sa mise comme dans son apparence.

E  les Sotenville ont également un nom de famille comique. Il est aisé d’identifier dans ce nom l’adjectif « sot » qui décrit assez bien

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ces deux personnages. Le suffixe « -ville » pourrait les rattacher à la Normandie, puisque de nombreuses familles portent ce suffixe. On notera d’ailleurs qu’existe une ville nommée Sotteville près de Rouen. On peut dire que d’emblée les personnages sont décrédibili-sés par leur nom de famille.

E  les noms cités dans le dialogue ont également une signification comique : le nom « de la Prudoterie » évoque un trait de caractère, la pruderie, et même la pudibonderie qui désignent une vertu exces-sive et ridicule.

L’on voit ici comment Molière dessine le ridicule des personnages grâce à l’onomastique (science des noms propres). Même si son pré-nom n’est pas cité dans la scène, rappelons enfin que l’épouse de Dandin se prénomme Angélique. Là encore, le jeu de mots est patent : Angélique se révèle en effet un personnage plutôt diabolique, et son prénom correspond donc à une sorte d’antiphrase : il dit le contraire de ce qu’elle est… Molière utilise donc l’onomastique pour renforcer la portée satirique du passage.

3 Les Sotenville sont des aristocrates qui sont très pointilleux sur les valeurs de leur caste. On le voit très bien dans le lexique qu’ils emploient pour parler de leur fille. L’hyperbole « notre fille est d’une race trop pleine de vertu » indique la confiance aveugle qu’ils ont en leur progéniture, dès lors qu’elle est issue d’une « race » honnête. Ils ne raisonnent pas en fonction du caractère de leur fille, mais selon leur appartenance sociale. Tout l’argumentaire qu’il développe repose sur une tradition de vertu : « dans la maison de Sotenville on n’a jamais vu de coquette, et la bravoure n’y est pas plus héréditaire aux mâles, que la chasteté aux femelles. ». L’expression « depuis trois cents ans », qui fait sourire par son caractère excessif, montre bien que les Sotenville sont irréductiblement attachés à leurs valeurs et fondent leur réputa-tion sur leur passé familial. L’énumération d’anecdotes qui sont arri-vées à des membres de leur famille relève de l’héroïsme burlesque. Ainsi la réplique « Il y a eu une Mathurine de Sotenville qui refusa vingt mille écus d’un favori du roi, qui ne lui demandait seulement que la faveur de lui parler » décrédibilise la démonstration des parents, tant celle-ci est outrée et partiale. L’énumération est donc cocasse et ne répond guère aux inquiétudes de Dandin. Elle a plutôt pour fonction de ridiculiser les Sotenville, personnages étriqués dans leurs prin-cipes et enracinés dans leur tradition, incapables d’observer les faits objectivement.

4 L’objet de l’échange est l’un des thèmes privilégiés de la comédie de mœurs et par conséquent de la satire. Il s’agit de l’infidélité d’une femme envers son mari. George Dandin utilise une formule euphé-mistique pour ne pas aborder de front la question avec ses beaux-parents : « votre fille ne vit pas comme il faut qu’une femme vive, et qu’elle fait des choses qui sont contre l’honneur ». Bien qu’il reste quelque peu flou en employant le terme « chose », Dandin fait com-prendre à ses beaux-parents la gravité de sa situation. Il est un mari

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trompé, schéma traditionnel de la farce et de la comédie. Au fil du dialogue, George Dandin se montre de plus en plus précis dans ses accusations, jusqu’à expliquer, dans la dernière réplique de l’extrait, certains faits concrets. Le terme « courtisan » qui signifie « faire la cour » est une preuve de son cocuage qu’il donne à ses interlocuteurs. Finalement l’échange porte sur un sujet sérieux (la fidélité dans le mariage), mais il est traité de manière quelque peu grotesque grâce aux réactions des Sotenville.

5 Question d’ensemble : Voici une proposition de plan pour une lecture analytique. Dans chacune des trois parties, vous pouvez réinvestir les observations et analyses menées précédemment.

Plan possible

I. La satire repose d’abord sur les caractères des personnages.

II. La satire repose ensuite sur le langage des Sotenville et sur leurs valeurs.

III. La satire repose enfin sur la situation : un mari cocu se plaint à ses beaux-parents.

Conclusion

George Dandin ou le Mari confondu, comédie-ballet de Molière, hésite pourtant entre tragédie sociale et comédie farcesque, par le fait que le personnage du mari, accablé non seulement par sa femme, l’est également par ses beaux-parents. En ayant voulu s’élever au-dessus de sa condition, il ne s’est attiré que le mépris de sa femme et de la famille de celle-ci. La pièce finit mal et certains metteurs en scène le font se suicider, ce qui en fournissant un éclairage tragique, montre que ce personnage dont on se moque sans arrêt est pathétique.

L’utilisation comique du quiproquoTexte n° 3 : Le Malade imaginaire (Acte I, sc.5)

Dernière pièce de Molière, Le Malade imaginaire est une comédie-ballet en trois actes (musique de Marc-Antoine Charpentier), représentée en 1673. Contrairement à la légende, Molière qui interprète le rôle d’Argan n’est pas mort en scène, mais quelques heures après la représentation. Argan est atteint d’hypocondrie, c’est-à-dire qu’il craint les maladies et recourt constamment aux médecins. Son obsession de la médecine est telle qu’il a décidé de marier sa fille Angélique avec Thomas Diafoirus. Mais Angélique aime Cléante et le conflit éclate. Toinette, domestique de la famille, incarne le bon sens et intervient dans le conflit entre le père et la fille. Argan vient d’annoncer à sa fille qu’il l’a promise, il lui dépeint son futur, alors que celle-ci croit l’avoir déjà rencontré.

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Scène V – argan - angélique - toinette

(…)

argan. Fort honnête.

angélique. Le plus honnête du monde.

argan. Qui parle bien latin et grec.

angélique. C’est ce que je ne sais pas.

argan. Et qui sera reçu médecin dans trois jours.

angélique. Lui, mon père ?

argan. Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?

angélique. Non, vraiment. Qui vous l’a dit, à vous ?

argan. Monsieur Purgon.

angélique. Est-ce que monsieur Purgon le connaît ?

argan. La belle demande ! Il faut bien qu’il le connaisse puisque c’est son neveu.

angélique. Cléante, neveu de monsieur Purgon ?

argan. Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.

angélique. Eh ! oui.

argan. Eh bien, c’est le neveu de monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère le médecin, monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas Cléante ; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, monsieur Purgon, monsieur Fleurant et moi ; et demain ce gendre prétendu doit m’être amené par son père. Qu’est-ce ? Vous voilà tout ébaubie !

angélique. C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une per-sonne, et que j’ai entendu une autre.

toinette. Quoi ! monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et, avec tout le bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?

argan. Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?

toinette. Mon Dieu ! tout doux. Vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter. Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?

argan. Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je le suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d’être à même des consultations et des ordonnances.

toinette. Eh bien, voilà dire une raison, et il y a du plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, monsieur, mettez la main à la conscience ; est-ce que vous êtes malade ?

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Questions de lecture analytique

Quels sont les personnages présents dans cette scène ? Quel est le but de chacun d’eux ? Qu’est-ce qui fait apparaître le quiproquo ?

2 Quels sont les arguments d’Argan ? Sont-ils rationnels ?

3 Pourquoi Toinette intervient-elle dans cette scène ? Que pensez-vous de son langage ? Diffère-t-il de celui d’Argan et d’Angélique ?

4 Question d’ensemble sur le texte : Quelles sont les fonctions du qui-proquo dans une scène de comédie ?

Réponses

Cette scène confronte Argan et Angélique, le père et la fille, en pré-sence d’une domestique, Toinette. Ce schéma scénique est assez classique dans la comédie moliéresque.

Argan a décidé de donner un mari à sa fille, ce qu’on apprend dans la plus longue réplique d’Argan qui explique que Purgon est le père de Thomas Diafoirus, l’homme qu’il destine à sa fille. Le but d’Argan est de faire épouser le fils de son médecin à sa fille. Tout autre est l’objectif d’Angélique qui est la victime d’un quiproquo, puisqu’elle pense que son père lui parle de Cléante, alors qu’il est question d’un autre. Angélique, de son côté, veut épouser Cléante et abonde dans le sens de son père.

Le quiproquo apparaît par l’incompréhension des interlocuteurs, qui se manifeste au moyen des phrases interrogatives (quatre pour Angé-lique, deux du côté de son père). On voit que le dialogue s’embrouille dès lors qu’Angélique perçoit des éléments qu’elle ignorait jusqu’alors : Cléante parlerait « bien latin et grec », qu’il « serait reçu médecin dans trois jours », qu’il connaîtrait monsieur Purgon, etc. Son but et sa quête évoluent donc au cours de l’échange. Après s’être rendu compte de la méprise (« C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une personne, et que j’ai entendu une autre. »), elle ne dit plus un mot, lais-sant la parole à Toinette dont le but est de faire changer Argan d’idée en lui montrant le ridicule de son projet. Les termes « burlesque » ou la question « êtes-vous malade ? » qui referme l’extrait suggèrent que Toi-nette veut montrer à son maître qu’il fait fausse route et qu’il déraisonne.

2 Les arguments d’Argan sont logiques, mais pas rationnels. Ils sont surtout égoïstes. Hanté par son corps et par la crainte d’être malade au point de se voir déjà « infirme et malade comme je le suis », Argan estime qu’il est judicieux d’avoir un médecin à demeure chez lui. Or le meilleur moyen de l’obtenir consiste à faire épouser un homme de l’art à sa fille, moyen le plus rapide de s’assurer un suivi médical comme le matérialise la conjonction de coordination « et » : « je veux me faire un gendre et des alliés médecins ». Cette logique est décrite dans la réplique qui justifie la nécessité de pouvoir bénéficier des secours de la médecine sous son toit. Les expressions « me voyant infirme et malade » et « m’appuyer de bons secours contre ma maladie (...),

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d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont néces-saires, et d’être à même des consultations et des ordonnances » tra-hissent le projet égocentrique et fou du personnage. L’accumulation ternaire des trois verbes à l’infinitif le martèle même. En même temps, sa réplique obéit à une parfaite logique (une raison unique,« ma rai-son », dit-il), si égoïste soit-elle. Elle dévoile en même temps toute la folie du personnage, qui, se sentant menacé par la maladie, en oublie le bonheur de ses proches.

3 Comme le constate lui-même Argan, Angélique est « ébaubie », c’est-à-dire qu’elle est assommée par la surprise. Il s’agit d’une didasca-lie interne (c’est-à-dire à l’intérieur d’une réplique) qui nous informe sur l’attitude physique d’Angélique et sur sa réaction psychologique. Devenue muette par la surprise, Angélique ne sait quoi répondre et Toinette prend en quelque sorte le relais de sa jeune maîtresse.

Toinette défend immédiatement la situation d’Angélique dont on comprend qu’elle est menacée. Comme souvent dans le théâtre de Molière, les soubrettes font preuve de bon sens et d’esprit d’à-pro-pos. Toinette ne déroge pas à cette règle et tient tête à son maître. Mais plutôt que d’attaquer frontalement Argan, elle choisit une straté-gie rhétorique originale. Elle s’en prend à la forme du débat, mais pas immédiatement au fond. Ainsi, elle emploie des termes qui renvoient à la manière de parler et au ton de la dispute, tels que « Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ». En vérité, le rôle de Toinette consiste ici à « calmer le jeu », afin d’apaiser Argan dans sa folie, et de gagner du temps pour élaborer une autre stratégie. Toinette parle donc d’une manière tout à fait sensée et rai-sonnable. Elle organise sa pensée et prépare ses arguments, sans se mettre en colère. Elle témoigne ainsi d’une plus grande lucidité que son maître. On voit, dans la dernière réplique de Toinette, qu’elle connaît bien son maître, lorsqu’elle tente de lui faire avouer qu’il n’est pas véritablement souffrant. Elle utilise une attitude et une métaphore « juridiques » : « mettez la main à la conscience ». Par cette formule, elle tente d’obtenir un changement d’attitude de la part d’Argan.

4 Question d’ensemble :

Plan proposé :

I. Le quiproquo crée une situation comique qui rend le public complice

Le public sait qu’Argan ne parle pas de Cléante mais de Thomas Dia-foirus. Il compatit avec l’enthousiasme naïf de Marianne qui se confie à son père.

II. Le quiproquo révèle souvent la vérité des personnages

Dans cette scène du Malade imaginaire, le quiproquo permet de révé-ler la vérité des personnages présents sur scène. Les véritables des-seins d’Argan se font jour, tandis qu’on apprend que Marianne aime Cléante et qu’elle a pour elle une alliée de taille, Toinette.

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III. Le quiproquo entraîne des conflits, des explications ou des récon-ciliations

Le quiproquo a en effet une fonction dramaturgique. Dans la scène étu-diée, il révèle un conflit matrimonial, nœud traditionnel des comédies classiques. La méprise des personnages entraîne ici des explications.

Conclusion

Le quiproquo, véritable ressort dramatique, apporte ici toute sa richesse à la comédie de caractère qu’est Le Malade imaginaire. Argan incarne une idée fixe – la hantise de la maladie – qui est révélée par l’intrigue et crée la satire. Dans d’autres circonstances, le quiproquo permet de dénouer une crise. Ainsi, à la fin du Malade imaginaire, c’est Argan qui sera l’objet d’un quiproquo car il prendra Cléante déguisé pour un vrai médecin… et lui accordera la main de sa fille.

Pour aller plus loin…

1. Le théâtre, un texte destiné à être représenté

Exercice autocorrectif n° 1

Analyse d’image

Observez attentivement cette photographie tirée du Malade imaginaire, repré-senté à la Comédie-Française en 2007, avec Michel Bouquet dans le rôle titre.

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Michel Bouquet dans le rôle d’Argan du Malade imaginaire, mise en scène.« La Dépêche du Midi », photo : Roger Garcia.

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Décrivez l’apparence du personnage incarné par Michel Bouquet. Que fait-il ? Où se tient-il ?

2 Au vu de la didascalie suivante extraite de la scène 1, que pensez-vous du choix du metteur en scène ?

« ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apothicaire avec des jetons, il fait en parlant à lui-même, les dialogues suivants. »

Que pensez-vous de l’expression de l’acteur ? Que traduit-elle ? Qu’ap-porte-t-elle au jeu attendu de l’acteur dans cette scène ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

2. Bilan sur le corpus 

Relisez les textes constituant le corpus (lectures analytiques 1 à 3) avant de répondre aux questions ci-dessous.

Exercice autocorrectif n° 2

Questions de synthèse

À quelles formes de comique a-t-on affaire dans les extraits du grou-pement ?

2 Avez-vous identifié des types de personnages comiques ? Si oui, lesquels ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

3. Le théâtre, un texte destiné à être édité

Exercice autocorrectif n° 3

Analyse d’image et entraînement à l’écriture d’invention

Une agence de graphisme vous demande une synthèse sur trois cou-vertures d’éditions différentes du Malade imaginaire. Après avoir décrit rapidement ces couvertures, vous direz laquelle vous semble la plus pertinente, en tenant compte de vos goûts personnels et du contenu de la pièce de Molière. Vous veillerez à organiser votre réponse et à vous appuyer sur la pièce de Molière pour justifier vos choix.

Conclusion

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Pour vous aider, rendez-vous sur un site consacré à Molière. Vous y trou-verez non seulement l’intégralité

de la pièce, mais aussi des éléments relatifs à la biographie de l’auteur. Rendez-vous sur http://www.comedie-francaise.fr/ puis cli-quez sur l’onglet « Histoire et patrimoine », puis sélectionnez « Molière » pour avoir accès aux différentes pages constituant sa biogra-phie.

Lisez la pièce dans son intégralité, ou du moins de larges extraits. Observez bien les trois cou-vertures :– Quel support visuel les éditeurs choisissent-ils (tableau, dessin, photographie, graphisme moderne, etc.) ?– Quel lien explicite apparaît entre l’image et la pièce ?– À quelle lecture plus symbolique de la pièce les couvertures invitent-elles ?

Méthodologie

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

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Évolution de la comédie,du XVIIIe au XXe siècle

La comédie est un genre bien vivant qui continue de se développer après le XVIIe siècle, accentuant parfois la portée satirique de son contenu. Ainsi, on considère souvent la comédie de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784), comme la préfiguration théâtrale de la Révolution fran-çaise. Nous vous proposons de poursuivre la réflexion avec quelques extraits centrés autour des rapports du couple dans la comédie. Nous vous proposons de lire ces extraits en lecture cursive, et de répondre aux questions de synthèse qui figurent à la fin du corpus.

Exercice autocorrectif n°4

Questions de lecture cursive sur un corpus

Lisez le corpus d’extraits de pièces de théâtre du XVIIIe siècle au XXe siècle proposés ci-dessous avant de répondre aux questions suivantes :

E Sur quel type de comique ces extraits reposent-ils ?E Voyez-vous des liens avec la comédie classique ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

E Marivaux, Les Fausses confidences (1737), Acte I, sc.2

E Beaumarchais, Le Barbier de Séville (1775), Acte I, sc.1

E Musset, On ne badine pas avec l’amour (1834), Acte I, sc.3

E Feydeau, Feu la mère de Madame (1908), Acte I, sc.2 (extrait)

Corpus

Marivaux, Les Fausses confidences (Acte I, sc.2)

dorante, DUBOIS (valet de Dorante)

Dubois, entrant avec un air de mystère.

dorante. Ah ! te voilà ?

duboiS. Oui, je vous guettais.

dorante. J’ai cru que je ne pourrais me débarrasser d’un domestique qui m’a introduit ici, et qui voulait absolument me désennuyer en restant. Dis-moi, Monsieur Remy n’est donc pas encore venu ?

duboiS. Non, mais voici l’heure à peu près qu’il vous a dit qu’il arriverait. (Il cherche et regarde.) N’y a-t-il là personne qui nous voie ensemble ? Il est essentiel que les domestiques ici ne sachent pas que je vous connaisse.

E

Extrait 1 :

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dorante. Je ne vois personne.

duboiS. Vous n’avez rien dit de notre projet à Monsieur Remy, votre parent ?

dorante. Pas le moindre mot. Il me présente de la meilleure foi du monde, en qualité d’intendant, à cette dame-ci dont je lui ai parlé, et dont il se trouve le procureur ; il ne sait point du tout que c’est toi qui m’as adressé à lui, il la prévint hier ; il m’a dit que je me rendisse ce matin ici, qu’il me présenterait à elle, qu’il y serait avant moi, ou que s’il n’y était pas encore, je demandasse une Mademoiselle Marton. Voilà tout, et je n’au-rais garde de lui confier notre projet, non plus qu’à personne, il me paraît extravagant, à moi qui m’y prête. Je n’en suis pourtant pas moins sen-sible à ta bonne volonté, Dubois, tu m’as servi, je n’ai pu te garder, je n’ai pu même te bien récompenser de ton zèle ; malgré cela, il t’est venu dans l’esprit de faire ma fortune : en vérité, il n’est point de reconnais-sance que je ne te doive !

duboiS. Laissons cela, Monsieur ; tenez, en un mot, je suis content de vous, vous m’avez toujours plu ; vous êtes un excellent homme, un homme que j’aime ; et si j’avais bien de l’argent, il serait encore à votre service.

dorante. Quand pourrai-je reconnaître tes sentiments pour moi ? Ma for-tune serait la tienne ; mais je n’attends rien de notre entreprise, que la honte d’être renvoyé demain.

duboiS. Eh bien, vous vous en retournerez.

dorante. Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances ; et tu crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?

duboiS. Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que je vous considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolu-ment infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de Madame.

dorante. Quelle chimère !

duboiS. Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la remise.

dorante. Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.

duboiS. Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.

dorante. Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?

duboiS. Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?

dorante. Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !

duboiS. Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! un

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peu de confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos actions, toutes nos mesures sont prises ; je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera, toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués, poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.) À propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L’Amour et moi nous ferons le reste.

Beaumarchais, Le Barbier de Séville (Acte I, sc.2)

dorante, à part. Cet homme ne m’est pas inconnu.

Figaro. Eh non, ce n’est pas un abbé ! Cet air altier et noble…

Le coMte. Cette tournure grotesque…

Figaro. Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva.

Le coMte. Je crois que c’est ce coquin de Figaro.

Figaro. C’est lui-même, Monseigneur.

Le coMte. Maraud ! si tu dis un mot…

Figaro. Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré.

Le coMte. Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…

Figaro. Que voulez-vous, Monseigneur, c’est la misère.

Le coMte. Pauvre petit ! Mais que fais-tu à Séville ? Je t’avais autrefois recommandé dans les bureaux pour un emploi.

Figaro. Je l’ai obtenu, Monseigneur ; et ma reconnaissance…

Le coMte. Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être inconnu ?

Figaro. Je me retire.

Le coMte. Au contraire. J’attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. Eh bien, cet emploi ?

Figaro. Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire.

Le coMte. Dans les hôpitaux de l’armée ?

Figaro. Non ; dans les haras d’Andalousie.

Le coMte. riant. Beau début !

Figaro. Le poste n’était pas mauvais, parce qu’ayant le district des panse-ments et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes méde-cines de cheval…

Le coMte. Qui tuaient les sujets du roi !

Extrait 2 :

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Figaro. Ah ! ah ! il n’y a point de remède universel ; mais qui n’ont pas laissé de guérir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.

Le coMte. Pourquoi donc l’as-tu quitté ?

Figaro. Quitté ? C’est bien lui-même ; on m’a desservi auprès des puis-sances.

L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…

Le coMte. Oh ! grâce ! grâce, ami ! Est-ce que tu fais aussi des vers ? Je t’ai vu là griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.

Figaro. Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapporté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bou-quets à Chloris, que j’envoyais des énigmes aux journaux, qu’il courait des madrigaux de ma façon ; en un mot, quand il a su que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique et m’a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible avec l’esprit des affaires.

Le coMte. Puissamment raisonné ! Et tu ne lui fis pas représenter…

Figaro. Je me crus trop heureux d’en être oublié, persuadé qu’un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.

Le coMte. Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu’à mon service tu étais un assez mauvais sujet.

Figaro. Eh ! mon Dieu, monseigneur, c’est qu’on veut que le pauvre soit sans défaut.

Le coMte. Paresseux, dérangé…

Figaro. Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?

Musset, On ne badine pas avec l’amour (Acte I, sc.3)

Camille et Perdican doivent être présentés l’un à l’autre pour être mariés. Le baron, père de Perdican, a tout prévu et tout réglé. Mais ses plans sont réduits à néant car les jeunes gens ont chacun leur propre conception du mariage. Camille, dont Dame Pluche est la gouvernante, sort du cou-vent et rêve d’un amour idéal. Dans la scène suivante, Dame Pluche et le Baron viennent d’assister à un échange assez désagréable entre Camille et Perdican : le mariage semble mal engagé. Dame Pluche dévoile son caractère face au baron.

Le baron. rentrant avec dame Pluche. Vous le voyez, et vous l’entendez, excellente Pluche ; je m’attendais à la plus suave harmonie ; et il me semble assister à un concert où le violon joue Mon cœur soupire, pen-dant que la flûte, joue Vive Henri IV. Songez à la discordance affreuse qu’une pareille combinaison produirait. Voilà pourtant ce qui se passe dans mon cœur.

daMe pLuche. Je l’avoue ; il m’est impossible de blâmer Camille, et rien n’est de plus mauvais ton, à mon sens, que les parties de bateau.

Le baron. Parlez-vous sérieusement ?

daMe pLuche. Seigneur, une jeune fille qui se respecte ne se hasarde pas sur les pièces d’eau.

Extrait 3 :

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43Séquence 4 – FR20

Le baron. Mais observez donc, dame Pluche, que son cousin doit l’épou-ser, et que dès lors...

daMe pLuche. Les convenances défendent de tenir un gouvernail, et il est malséant de quitter la terre ferme seule avec un jeune homme.

Le baron. Mais je répète... je vous dis...

daMe pLuche. C’est là mon opinion.

Le baron Êtes-vous folle ? En vérité, vous me feriez dire... Il y a certaines expressions que je ne veux pas... qui me répugnent... Vous me donnez envie... En vérité, si je ne me retenais... Vous êtes une pécore, Pluche ! je ne sais que penser de vous. (Il sort).

Feydeau, Feu la mère de Madame (Acte I, sc.2)

Feu la mère de madame « décortique » une situation de couple. La pièce s’ouvre sur une scène de ménage. Annette, la domestique au fort accent alsacien, est prise à témoin dans l’échange qui suit.

Yvonne, sautant à bas du lit à l’entrée d’Annette et courant à elle. - Oui, venez un peu ! Vous ne savez pas ce que dit monsieur ?

annette, dans un bâillement. - Non, mâtâme.

Yvonne. - Il dit que j’ai les seins en portemanteau.

annette, indifférente et endormie. – Ah ?... pien, mâtâme !

Lucien, ironique. - C’est pour lui raconter ça que tu fais lever la bonne ?

Yvonne. - Parfaitement, monsieur ! Je veux qu’elle te dise elle-même ce qu’elle en pense, de ma poitrine, pour te prouver que tout le monde n’est pas de ton avis ! (À Annette.) Qu’est-ce que vous me disiez, l’autre matin, justement à propos de ma poitrine ?

annette, ouvrant péniblement les yeux. - Ché sais pas, mâtâme.

Yvonne, appuyant chacun de ses membres de phrase d’une petite tape sur le bras ou la poitrine d’Annette. - Mais si, voyons ! j’étais en train de faire ma toilette ; je vous ai dit : « C’est égal, il n’y en a pas beaucoup qui pourraient en montrer d’aussi fermes que ça ! » Qu’est-ce que vous m’avez répondu ?

annette, faisant effort sur soi-même. – Ah ! oui, ch’ai tit : « Ça c’est vrai, mâtâme ! quand che vois les miens, à gôté, on dirait teux pésaces ! »

Yvonne. – Là ! tu l’entends ?

Lucien, saisissant brusquement Annette par le bras droit et la faisant pas-ser. - Eh bien ! Quoi ? Quoi ? Qu’est ce que ça prouve ? Je n’ai jamais contesté que tu eusses une gorge rare ; mais entre le rare et l’unique il y a encore une marge.

Yvonne, tandis qu’Annette, en attendant la fin de leur discussion, est allée s’asseoir et somnoler sur le siège près de la cheminée. – Ah ! Vraiment ? Eh ! bien ! désormais, tu pourras en faire ton deuil de ma gorge !

Extrait 4 :

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44 Séquence 4 – FR2044 Séquence 1 – FR20

Chapitre

1Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Le cliché représente Argan seul, assis dans un fauteuil. Il est vêtu d’un bonnet de nuit (rouge) et d’une chemise de nuit de coton blanc d’où dépassent deux espèces de mitaines tricotées. Une couverture cha-marrée est posée sur ses jambes. La position du personnage sur la photo est celle d’un malade ou d’un convalescent. Le pompon de son bonnet suspendu à un long cordon ridiculise quelque peu le person-nage. Argan semble compter sur ses doigts comme le ferait un enfant. Son front est plissé et sa bouche entr’ouverte traduit une sorte de peur.

2 Le geste du personnage nous permet de situer vraisemblablement la photographie à la scène 1 de l’acte I, lorsque Argan fait ses comptes et établit ce qu’il a dépensé pour ses médecins et ses traitements. Comme le précisent les didascalies de la scène 1 : « ARGAN, seul dans sa chambre assis, une table devant lui, compte des parties d’apo-thicaire avec des jetons, il fait en parlant à lui-même, les dialogues suivants. ». Son geste est donc réaliste et renvoie à un jeu de scène précis, indiqué par Molière.

Cependant, le jeu de l’acteur qui incarne le rôle, Michel Bouquet, dévoile également un personnage inquiet, et même soucieux, per-ceptible par ses traits tendus et sa bouche entr’ouverte voire grima-çante. Le cliché montre ainsi la double nature d’Argan. Certes c’est un personnage comique qui nous amuse par sa crainte constante d’être malade, mais le metteur en scène a sans doute également voulu expri-mer l’inquiétude de chaque homme face à la maladie et face à la mort.

Corrigé de l’exercice n° 2

Le groupement de textes propose plusieurs types de comiques. Le comique de gestes n’est pas directement précisé par des didascalies, mais il est implicitement décrit dans le dialogue. Le comique de mots est présent dans chaque extrait. Ainsi, dans l’extrait des Précieuses ridicules, l’impromptu que récite Mascarille relève du mauvais pas-tiche et même de la parodie. Le terme « tapinois » prête à rire. Dans George Dandin, le comique de mots repose sur l’onomastique, c’est-à-dire sur les noms propres choisis par Molière. Mais pas seulement. La manière dont les Sotenville s’expriment relève également du ridi-cule, car Molière donne à entendre le ton à la fois présomptueux et exagéré qu’ils emploient. Enfin, dans l’extrait du Malade imaginaire, l’onomastique procède également du comique de mots (Purgon et Dia-

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foirus ont des connotations nettement scatologiques, puisque Purgon rapppelle le mot « purger » et Diafoirus le verbe « foirer » qui signifie au XVIIe siècle avoir la diarrhée). Le comique de mots est ici l’héritier de la farce.

2 Plusieurs types de personnages comiques peuvent être identifiés dans les extraits étudiés. Les premiers d’entre eux sont les valets et les sou-brettes, qu’on rencontre dans Les Précieuses ridicules et Le Malade imaginaire. Tous font preuve d’une certaine habileté, y compris Sgana-relle qui, malgré ses superstitions, parvient à pousser son maître dans ses retranchements. Mascarille illustre de manière emblématique la ruse du valet de comédie et sa capacité à adopter le comportement qui correspond à son déguisement. La filouterie des valets est une des caractéristiques de la comédie au XVIIe siècle. Dans le cas de Toinette du Malade imaginaire, on constate que la domesticité vole souvent au secours de la jeunesse qui subit l’injuste autorité paternelle. On relève donc dans le groupement la présence de trois types de valets : l’habile manipulateur (Mascarille), le révélateur de la vérité du maître et le bon sens en action (Toinette). On notera d’ailleurs que ces valets ne sont pas seulement identifiables par leur langage ou leurs actions, mais aussi par leur nom. Mascarille est un nom inspiré de valets de la commedia dell’arte, tandis que Toinette, diminutif d’Antoinette est un nom usuel pour une domestique d’origine paysanne. Outre les valets, les extraits présentent aussi le type du Barbon à travers le personnage d’Argan. Ce dernier possède en effet les traits carac-téristiques du type auquel il appartient : égoïste, il pense d’abord à son intérêt et ménage ses intérêts à travers le mariage qu’il arrange. Les époux Sotenville, bien que d’une autre catégorie sociale qu’Argan, appartiennent comme lui à la catégorie des « fous » du théâtre de Molière, c’est-à-dire des personnages enfermés dans leurs lubies et dans leurs obsessions. Angélique appartient au type de la jeune pre-mière, amoureuse et charmante mais soumise à l’autorité paternelle. Elle n’est pas sans rappeler Mariane dans L’Avare qui, elle aussi, est promise à un mariage auquel elle ne consent pas. On le voit, la classi-fication des types ne permet pas de catégoriser tous les personnages. Ainsi, Cathos et Magdelon sont également des jeunes premières en butte à l’autorité de leur père, mais le ridicule de leur prétention les distingue des jeunes filles à marier du théâtre de Molière.

Corrigé de l’exercice n° 3

Proposition de rédaction

Plan adopté :

I. Étude comparative des couvertures.

II. Formulation et justification d’un choix personnel.

Les trois couvertures soumises à notre attention sont issues de trois édi-tions de poche, dont deux sont à destination d’un public scolaire (docu-

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ments 1 et 2), tandis que la troisième s’adresse à un lectorat de lycéens ou de lecteurs avertis (document 3).

La première couverture est la photographie d’un collage en trois dimen-sions réalisé spécialement pour l’éditeur. Elle représente, à l’intérieur d’une scène de théâtre miniature, Argan assis sur son fauteuil, signalant qu’il a mal à la tête au médecin qui se trouve à sa droite. Le graphisme met donc en lumière la faiblesse d’Argan qui semble recroquevillé et soumis au pouvoir des médecins sur sa vie.

La deuxième couverture reprend une photo de mise en scène. Il s’agit du Malade imaginaire de la Comédie-Française avec Michel Bouquet dans le rôle-titre. Argan est dans sa chaise de malade et paraît effrayé par le mouvement qu’un personnage (probablement Toinette) fait vers lui. Cette couverture propose donc une image mobile et vivante de la comédie puisqu’elle choisit une représentation théâtrale récente pour illustrer la pièce.

La troisième couverture est plus énigmatique mais non moins intéres-sante. Il s’agit d’un tableau contemporain qui représente une robe de chambre qui fait penser à une mosaïque. La robe de chambre peut indi-quer la convalescence, les personnes souffrantes restent en effet en robe de chambre lorsqu’elles sont malades. Pourtant les couleurs bario-lées de la robe de chambre n’inspirent ni l’inquiétude ni la tristesse. Au contraire, cette tenue rappelle celle d’un clown et suggère tout le poten-tiel comique de la pièce.

Personnellement, la couverture qui me semble la plus intéressante est la première. Elle permet en effet une lecture symbolique de la pièce et révèle son enjeu, voire sa portée satirique. La présence d’un médecin sur la couverture rappelle, en effet, que l’un des principaux objectifs de la comédie de mœurs consiste à dénoncer certaines pratiques ou certains comportements en société. On voit ainsi l’importance des médecins pla-ner sur toute la comédie : c’est leur pratique que dénonce Molière. Le graphiste choisit de représenter un personnage de médecin au centre de la scène miniature, debout, arborant le costume et le chapeau de sa profession, sur une toile tendue en arrière-plan pour symboliser le décor, à savoir les appartements d’Argan. Une connotation théâtrale, de faux-semblant, émane de cette représentation. Cette vision n’est pas inexacte quand on la compare au contenu de la pièce. Dans la comédie, les personnages de médecins et d’apothicaires sont présentés comme des rapaces qui tirent un grand profit matériel de leur pratique. En outre, le personnage d’Argan est représenté seul, en proie à ses douleurs ou son obsession de la maladie. Cette vision du personnage est pertinente. On se rappellera en effet qu’Argan apparaît seul dans la première scène. Bien qu’on ne prenne pas au sérieux ses maladies, Argan se sent lui-même réellement atteint d’un mal. Cet élément rappelle qu’Argan est à la fois un personnage comique et dramatique : c’est cette image qui est fournie par la couverture : un homme seul dans son fauteuil, face à ses angoisses. Il s’agit en outre de la dernière comédie de Molière dont on sait par ailleurs qu’il redoutait les médecins. C’est donc peut-être aussi une vision de Molière qui est fournie sur cette couverture.

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Corrigé de l’exercice n° 4

Les quatre extraits reposent sur un comique de situation. Dans la scène entre Dorante et Dubois, le comique est discret mais la situation montre qu’un stratagème se prépare. En revanche la situation est plus fran-chement comique dans l’extrait de Beaumarchais puisqu’il s’agit d’une scène de reconnaissance extraordinaire entre un maître et son valet. Quant à l’extrait de Musset, il est cocasse car le baron témoigne d’une maniaquerie ridicule face à dame Pluche, vieille fille revêche, égale-ment grotesque. Enfin, dans la scène tirée de Feu la mère de madame, le comique de situation est à son comble : un couple se trouve dans sa chambre et prend la bonne à témoin. Ainsi chaque extrait crée du comique grâce à une forme de décalage entre les personnages. Chez Marivaux, Dubois est l’informateur de Dorante et les autres l’ignorent. Chez Beaumarchais, Figaro et le comte Almaviva se surprennent mutuel-lement dans une posture inhabituelle. L’un est déguisé, l’autre chante. Chez Musset, les deux personnages n’ont pas le même objectif : le baron veut marier Camille avec Perdican et dame Pluche préserver Camille du mariage pour faire d’elle une religieuse. Enfin, chez Feydeau, la dispute du couple crée une situation incongrue puisque la bonne se trouve au lit des époux.

Dans chaque situation, le comique provient d’un décalage entre le désir des personnages et la manière dont ils apparaissent aux spectateurs.

Certains aspects de la comédie classique se font jour dans ces quatre extraits, au premier rang desquels le rapport maître/valet que l’on rencontre souvent dans le théâtre de Molière. La satire des mœurs est également au cœur de ces quatre extraits, et à l’image de Molière, les dramaturges tentent de châtier les mœurs par le rire. Toutefois, on note aussi un certain nombre de divergences liées à l’époque d’écriture des comédies. Chez Marivaux, le comique est plus subtil et moins direct que chez Molière.

On comprend par conséquent que  la comédie est un genre qui s’adapte aux époques et aux questions qui la traversent. Si les enjeux sont toujours matrimoniaux, ils sont réactualisés en fonc-tion d’un contexte social et esthétique.

Conclusion

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Chapitre

3La tragédieau XVIIe siècle

IntroductionAux origines, le théâtre grec

C’est en Grèce, au VIe siècle av.J.-C., que naît le théâtre, à l’occasion de cérémonies religieuses en l’honneur de Dionysos.

« Le théâtre grec, fête à laquelle participe la cité entière, est un spec-tacle complet dans lequel le chant, la musique, et la danse occu-pent une part aussi large que la déclamation. Les représentations théâtrales ont lieu dans la Grèce antique, deux fois par an, pour les fêtes de Dionysos. Les spectacles se déroulent pendant trois jours, sous la forme d’un concours où rivalisent trois auteurs dramatiques qui présentent chacun dans une même journée, trois pièces suivies d’un drame satirique. Les citoyens rassemblés viennent chercher au théâtre l’écho des questions politiques ou métaphysiques qu’ils se posent. Elles sont abordées tantôt par le biais des malheurs qui arri-vent à des personnages mythiques, comme les tragédies d’Eschyle, de Sophocle ou d’Euripide, tantôt directement comme le fait Aristo-phane dans ses comédies. »

M.-C. Hubert, Le Théâtre

Les dramaturges du XVIIe siècle n’ont pas oublié le rôle prépondérant que tient la tragédie dans la vie de la Cité.

La tragédie grecque, selon Aristote dans son traité La Poétique, est « l’imi-tation d’une action de caractère élevé… qui suscite terreur et pitié et opère la purgation des passions (catharsis) et propres à de telles émotions. »

Au Ve siècle avant Jésus-Christ, trois grands tragiques, Eschyle, Sophocle, Euripide, ont chacun à leur manière fait évoluer le genre de la tragédie. Ils ont dans leurs pièces fait intervenir de plus en plus de personnages : d’abord, un seul acteur sur scène (le protagoniste), puis Sophocle intro-duisit un deuxième (le deutéragoniste), puis Euripide un troisième (le tritagoniste). En alternance aux parties dialoguées, les parties dansées et chantées du chœur et les interventions du coryphée, le chef de chœur, dans les épisodes (actes) font du théâtre grec un spectacle complet, entre notre opéra et notre théâtre.

Plus précisément, après un prologue servant d’exposition, a lieu l’entrée du chœur (parodos) ; puis les spectateurs assistent à une alternance de d’épisodes dialogués et de chants du chœur ; la tragédie se termine par la sortie du chœur (exodos).

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André Degaine, Histoire du théâtre dessinée. © 1992, by Librairie A.-G. NIZET.

Exercice autocorrectif n° 1 :

Recherche préalable

Rendez-vous sur le web pour consulter le site http://www.clioetcallipe.com. Cliquez dans le menu de droite sur « Articles », puis sur « Le théâtre à Athènes » et « article complet ».

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Après avoir lu intégralement l’article, vous répondrez aux questions suivantes : Donnez l’étymologie du mot « théâtre » à partir du terme grec « thea-

tron ». Quelles sont les fonctions de l’orchestra, du theatron, du pros-kenion, de la skènè ?

2 Qu’apportaient les parties chantées du chœur au spectacle ?3 Recherchez quelles sont les dates de naissance et de mort des trois

dramaturges grecs les plus célèbres : Eschyle ; Sophocle ; Euripide. Que constatez-vous ?

4 Pour chacun d’entre eux, cherchez quelques titres de tragédies. Choi-sissez une des tragédies que vous aurez trouvées, et recherchez les principaux éléments de l’intrigue.

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Le théâtre grec, que ce soit dans ses textes comiques ou tragiques, a aussi fait entrer en résonance le propos de l’intrigue et les préoccupa-tions de la Cité. Dès l’origine, la tragédie s’est dotée d’une fonction morale et didactique : en montrant au public des destins de héros hors du commun, confrontés à la dureté du destin ou à leurs propres démons, les tragédies grecques ont été les premières à utiliser le théâtre comme un « miroir du monde ». Racine et Corneille, et d’autres dramaturges moins connus, se sont inspirés de leurs pièces.

La tragédie grecque, source de la tragédie française

Les auteurs classiques ont souvent imité les pièces antiques. Voici deux versions du mythe de Médée. La première est d’Euripide, la seconde de Corneille.

Exercice autocorrectif n° 2 

L’inspiration antique et le choix du sujet tragique

Après avoir observé les deux extraits, vous direz ce que Corneille a conservé de la pièce antique. Pour répondre à cette question, vous cher-cherez qui est Médée et à quoi correspond son mythe.

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

Euripide, Médée (dernière scène)

JaSon. Pourquoi les as-tu tués ?Médée. Pour faire ton malheur.JaSon. Hélas ! Je veux embrasser les lèvres chéries de mes fils, malheu-reux que je suis !

A

Extrait 1 :

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51Séquence 4 – FR20

Médée. Maintenant tu leur parles, maintenant tu les chéris ; tout à l’heure tu les repoussais.JaSon. Laisse-moi, au nom des dieux, toucher la douce peau de mes enfants.Médée. Impossible. C’est jeter en vain tes paroles au vent. (Le char dis-paraît.)JaSon. Zeus, tu entends comme on me repousse, comme me traite cette femme abominable qui a tué ses enfants, cette lionne. Ah ! puisque c’est tout ce qui m’est permis et possible, je pleure mes fils et j’en appelle aux dieux, les prenant à témoin qu’après avoir tué mes enfants tu m’em-pêches de toucher et d’ensevelir leurs corps de mes mains. Plût aux dieux que je ne les eusse pas engendrés pour les voir égorgés par toi ! (Il sort.)Le corYphée. De maints événements Zeus est le dispensateur dans l’Olympe. Maintes choses contre notre espérance sont accomplies par les dieux. Celles que nous attendions ne se réalisent pas; celles que nous n’attendions pas, un dieu leur fraye la voie. Tel a été le dénouement de ce drame.

Euripide, Médée (Trad. Henri Berguin)

Corneille, Médée (1635)

Ce passage est issu de la scène 6 de l’acte V, avant-dernière scène de la pièce.

Médée

Va, bienheureux amant, cajoler ta maîtresse :À cet objet si cher tu dois tous tes discours ;Parler encore à moi, c’est trahir tes amours.Va lui, va lui conter tes rares aventures,Et contre mes effets ne combats point d’injures.

JaSon

Quoi ! tu m’oses braver, et ta brutalitéPense encore échapper à mon bras irrité ?Tu redoubles ta peine avec cette insolence.

Médée

Et que peut contre moi ta débile vaillance ?Mon art faisait ta force, et tes exploits guerriersTiennent de mon secours ce qu’ils ont de lauriers.

JaSon

Ah ! c’est trop en souffrir ; il faut qu’un prompt suppliceDe tant de cruautés à la fin te punisse.Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison ;Que des bourreaux soudain m’en fassent la raison.Ta tête répondra de tant de barbaries.

Extrait 2 :

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Médée, en l’airdans un char tiré par deux dragons.Que sert de t’emporter à ces vaines furies ?Épargne, cher époux, des efforts que tu perds ;Vois les chemins de l’air qui me sont tous ouverts1 ;C’est par là que je fuis, et que je t’abandonnePour courir à l’exil que ton change m’ordonne.Suis-moi, Jason, et trouve en ces lieux désolésDes postillons pareils à mes dragons ailés.Enfin je n’ai pas mal employé la journéeQue la bonté du roi, de grâce, m’a donnée ;Mes désirs sont contents. Mon père et mon pays,Je ne me repens plus de vous avoir trahis ;Avec cette douceur j’en accepte le blâme.Adieu, parjure : apprends à connaître ta femme,Souviens-toi de sa fuite, et songe, une autre fois,Lequel est plus à craindre ou d’elle ou de deux rois.

(À l’issue de cette tirade, Jason prononce un monologue désespéré et se tue.)

La tragédie classique et ses règlesOn évoque souvent les règles de la tragédie classique, mais comment ont-elles été instaurées ? La première réponse qu’on peut apporter est la suivante : les dramaturges et les théoriciens, dès le XVIe siècle, ont relu la Poétique d’Aristote, texte théorique écrit au IVe siècle avant Jésus-Christ. Ce texte analyse les règles de composition de la tragédie grecque. Les intellectuels de l’époque moderne ont relu et interprété ce texte fon-dateur, en l’adaptant aux nécessités de l’époque. Ainsi, au fil des décen-nies, les préceptes d’Aristote ont-ils été prolongés et repensés par les écrivains et les penseurs occidentaux.

Des principes d’Aristote, la tragédie française retient principalement trois éléments :E  l’unité d’action ;E  la supériorité de l’intrigue sur les événements spectaculaires ;E  la purgation des passions par l’exemple d’une grande douleur.

La tragédie classique française repose sur trois règles dramaturgiques qui dépendent les unes des autres, théorisées par les dramaturges fran-çais à partir des années 1630. Elles sont les suivantes :E   l a règle des trois unités n’est pas de mise dans la tragédie grecque ;E   la règle des bienséances ;E   la règle de vraisemblance.

1. Médée s’enfuit pour toujours dans un char emporté par des dragons ailés.

B

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1. La règle des trois unités

La règle des trois unités a pour but de créer une cohérence au niveau de l’action et des personnages. Elle obéit donc à des règles précises. L’ac-tion doit se dérouler dans un lieu unique (l’antichambre d’un palais dans la tragédie, une maison bourgeoise dans la comédie). L’unité de temps implique que l’action s’inscrive dans une durée qui n’excède pas vingt-quatre heures. Plus la durée de l’action se rapproche du temps de la représentation, plus on estime que la règle est parfaite car la proximité entre le temps de la représentation et le temps de la fiction augmente l’effet de vraisemblance.

Comment les dramaturges parviennent-ils à faire entrer l’intrigue dans l’unité spatio-temporelle ?

E  Les personnages se croisent dans un lieu unique mais ouvert (anti-chambre d’un palais, lieu « neutre »).

E  Tout n’est pas représenté : le dramaturge recourt aux récits, c’est-à-dire à des tirades qui racontent ce qui s’est passé.

E  Le dramaturge recourt à des ellipses : certains événements sont briève-ment évoqués, mais permettent de faire avancer l’intrigue.

E  Les dramaturges adaptent les événements historiques aux nécessités de la fiction.

Exercice autocorrectif n° 3

Les raisons d’un scandale

Renseignez-vous sur l’intrigue du Cid de Corneille : consultez un résumé de la pièce dans un dictionnaire des auteurs ou sur une encyclopédie en ligne. Pourquoi lui a-t-on reproché d’être invraisemblable dans son traitement de l’unité de temps ?

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Les dramaturges classiques se fixent pour règle de ne développer qu’une seule action, c’est-à-dire une intrigue unique qui est le moins possible parasitée par des éléments secondaires. L’intrigue est donc construite autour d’une action principale et, quand des éléments interviennent au cours de l’histoire, ils doivent être rattachés à l’intrigue principale. On a reproché à Corneille, par exemple, d’avoir multiplié les actions secon-daires dans Le Cid, notamment dans les intrigues amoureuses (histoire d’amour non réciproque entre l’Infante et Rodrigue, entre Chimène et Don Sanche). À l’inverse, Bérénice de Racine présente une simplicité d’action extrême et très peu d’éléments secondaires interviennent : Titus, empereur de Rome, épousera-t-il Bérénice, reine de Palestine ? Telle est l’intrigue de cette tragédie.

© Cned – Académie en ligne

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54 Séquence 4 – FR20

2. La règle des bienséances

Parallèlement aux règles qui régissent l’action, la dramaturgie classique fait intervenir d’autres restrictions qui concernent l’esthétique de la représentation théâtrale et la morale par la règle des bienséances.

Les bienséances désignent tout ce que le dramaturge et le spectateur doivent juger convenable sur la scène : on ne doit pas choquer le public. Les principales conséquences du respect des bienséances portent sur les éléments suivants :

Visuellement : Moralement :

E Pas de violence en scène

E Pas de sang répandu

E Le corps ne doit pas être dénudé, même par-tiellement

E Pas de représentation « érotique » du corps (baisers, sexualité, etc.)

E Pas d’allusion aux choses matérielles (nourri-ture, argent, etc.)

E Pas de blasphème ni de sacrilège

E Pas d’atteinte directe à la personne du Roi

E Pas d’allusions politiques directes

Ce souci d’ordre moral correspond à l’évolution de la société. Sous le règne de Louis XIII, le cardinal de Richelieu impose une autorité poli-tique forte : celle-ci doit aussi s’exercer dans le monde des lettres (cf. la création de l’Académie française en 1635). Par ailleurs, les bienséances correspondent aussi à la recherche du raffinement dans les spectacles, dans la langue employée et dans les pratiques artistiques. Ce prin-cipe caractérise le classicisme, l’élégance s’accordant à son sens de la mesure et de la sobriété.

3. La règle de vraisemblance

Les règles d’unité, de bienséance et de vraisemblance ont des consé-quences immédiates sur la composition des pièces, sur le langage et sur la représentation.

La notion de vraisemblance dans ce système est centrale, c’est-à-dire qu’elle requiert des actions qui peuvent être admises comme vraies sans être nécessairement réalistes. Il ne s’agit pas d’imiter la réalité (historique ou culturelle) mais de créer toutes les conditions pour que les actions et le comportement des personnages soient crédibles pour le public. C’est pourquoi de nombreux éléments de la dramaturgie classique sont des conventions, c’est-à-dire des éléments admis par le public. Parmi elles, retenons les plus importantes :E le récit ;E le monologue ;E la parole en vers.

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Héros et héroïnes de tragédie

Contrairement à la comédie qui met en scène des personnages proches du public (bourgeois, paysans, petite noblesse, corps de métiers, domes-ticité), la tragédie ne met en scène que des héros de haute lignée, qui parfois appartiennent à la mythologie gréco-latine. On retiendra deux types de héros et d’héroïnes :

E les héros inspirés de l’histoire grecque ou romaine (rois, reines, princes et princesses) ;

E les héros inspirés de la mythologie gréco-latine (personnages légen-daires).

Ces héros sont conduits à leur perte par les dramaturges pour les besoins de la tragédie. Racine définit ainsi le héros tragique : « Il faut que ce soit un homme qui par sa faute devienne malheureux, et tombe d’une féli-cité et d’un rang très considérable dans une grande misère. » (Œuvres complètes).

Ces personnages se caractérisent donc par leur grandeur, ce qui les oblige, dans n’importe quelle circonstance, à conserver un langage sou-tenu et ils se doivent de rester dignes face à l’adversité. Ils sont animés par de grandes passions qui souvent opposent leurs désirs personnels (passion amoureuse) à des éléments extérieurs (contrainte politique, fatalité divine, hérédité monstrueuse).

Face à ces exigences contradictoires, les héros tragiques se trouvent pla-cés devant ce qu’on appelle un « dilemme » : ils doivent faire un choix entre deux solutions, souvent extrêmes.

 Exemples de dilemme « cornélien » :

E  Dans Cinna de Corneille (1642), Auguste est tiraillé entre sa volonté de vengeance et la clémence, qualité d’un grand souverain. Il apprend que tout son entourage, à l’exception de sa femme Livie, souhaite sa perte. Cinna a été poussé par Émilie qui souhaite tuer Auguste, ce der-nier ayant fait exécuter son père. Mais Euphorbe révèle tous ces projets criminels à Auguste qui se trouve alors face à un dilemme : tuera-t-il ses ennemis ou leur pardonnera-t-il, comme l’y encourage Livie ? Au moment où l’on pense que l’empereur va faire tuer tous les ennemis qui en veulent à sa vie, il accorde un pardon général et redonne à cha-cun ses anciennes prérogatives.

E  Dans Andromaque de Racine (1667), Pyrrhus hésite entre sa fidélité aux Grecs qui réclament la mort d’Astyanax, fils d’Andromaque, sa cap-tive, et son amour pour cette dernière, qui l’incite à la pitié.

C

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Andromaque de Racine, mise en scène Muriel Mayette (avec Cécile Brune et Eric Ruff), 2010.

© Christophe Raynaud de Lage : Comédie-Française.

L’action est donc centrée sur un conflit, généralement entre l’intérêt géné-ral et leur bonheur personnel. Les personnages de tragédie, par leurs excès ou par leur affrontement à des forces supérieures, sont ainsi les relais de la terreur et de la pitié. À travers les épreuves qu’ils subissent, ils peuvent engendrer la catharsis, c’est-à-dire la purgation des passions. Dans l’idéal classique, la tragédie doit donc servir d’exemple au public pour le rendre meilleur.

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57Séquence 4 – FR20

Le récit de tragédie et les formules d’atténuation

Le théâtre classique doit respecter le goût du spectateur, ne pas heurter sa sensibilté, ni les codes de bonnes manières ; on considère que la tra-gédie est donc destinée à un public civilisé. Les actions les plus violentes doivent être réservées aux coulisses ou rapportées par un personnage. C’est pourquoi le récit fait partie des conventions les plus essentielles de la tragédie classique : un personnage relate un événement qu’on ne peut montrer sur scène.

La proscription de toute forme de violences spectaculaires a des consé-quences sur le style d’écriture des tragédies. Pour ne pas choquer la morale, les dramaturges recourent souvent à des formules euphémis-tiques (qui atténuent la force des propos), à la litote (qui exprime beau-coup en disant peu), à la périphrase (qui ne désigne pas un élément directement, mais à travers une expression), à la métaphore (une image permet d’exprimer un sentiment violent irreprésentable)

Exercice autocorrectif n° 4

Identifier des formules d’atténuation

Voici un tableau qui comporte des vers tirés de diverses tragédies clas-siques. Vous remplirez la colonne de droite en disant pour chacun d’eux s’il s’agit d’un euphémisme, d’une litote, d’une périphrase ou d’une métaphore. Vous justifierez votre réponse en fournissant une explication (les mots en gras vous y aident).

Extraits Procédés d’écriture

Andromaque à Hermione :« Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque

jour,Madame, pour un fils jusqu’où va votre

amour. »(Racine, Andromaque, III, 4)

« Va, je ne te hais point. »(Chimène à Rodrigue, Le Cid, III, 4)

« La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! »(Racine, Phèdre, II, 5)

« Avant la fin du jour je ne le craindrai plus. »(Néron à Burrhus à propos de Britannicus, Bri-tannicus, IV, 3).

« La mère de César veille seule à sa porte ? »(Albine à Agrippine dans Britannicus, I, 1)

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58 Séquence 4 – FR2058

Chapitre

1Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Le mot « théâtre », du terme grec « theatron », est dérivé d’un verbe signifiant regarder, contempler (le theatron est le lieu d’où l’on regarde). C’était donc la partie réservée aux spectateurs. Les théâtres grecs étaient extérieurs, des gradins à flanc de colline étaient aménagés avec des escaliers et passages transversaux.

L’orchestra, aire circulaire de terre, voyait l’évolution du chœur (en deux demi-chœurs de sept choreutes) et du coryphée. En son centre, se trou-vait l’autel de Dionysos.

La skènè, construction en bois derrière l’orchestra, au départ pour per-mettre les changements de costumes, deviendra peu à peu un élément du décor.

Sur le proskénion, avancée surélevée au-dessus de l’orchestra et à l’avant de la skènè, ont lieu les évolutions des acteurs.

Preuve de l’énorme influence du théâtre grec, ces mots ont donné nos termes « orchestre » et « scène ».

2 Le chœur intervenait séparément des acteurs, évoluant de manière délimitée dans l’orchestra sous forme de parties chantées et dansées au son d’une flûte (aulos) ; ces parties s’avéraient capitales dans le spec-tacle. Il avait plusieurs fonctions : annoncer l’arrivée des personnages, donner des indications scéniques, commenter les interventions de per-sonnages et l’action, mais surtout éclaircir le sens de la pièce.

3 et 4   Eschyle (vers 526-456 avant J.-C.).

Principales pièces : Les Perses, Les Suppliantes, Les Sept contre Thèbes, L’Orestie, Prométhée enchaîné (sept pièces ont été conservées sur envi-ron cent pièces écrites).

Les Perses est une tragédie qui s’inspire d’un fait historique. Eschyle y relate la célèbre bataille de Salamine ayant opposé les Perses contre les Athéniens (- 480 av. J.-C.). L’originalité de la tragédie, c’est qu’Eschyle se place du point de vue des perdants, les Perses.

  Sophocle (vers 496-406 avant J.-C.)

Principales pièces : Antigone, Œdipe roi, Électre, Œdipe à Colonne (qua-torze pièces ont été conservées sur cent-vingt-trois écrites).

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59Séquence 4 – FR20

Œdipe roi relate la célèbre aventure d’Œdipe, enfant abandonné, qui sur une route a tué son véritable père sans le savoir, est devenu l’époux de Jocaste, sa mère, et le roi de Thèbes. La tragédie de Sophocle insiste sur le poids du destin, et sur la révélation progressive de la « machine infer-nale » inventée par les Dieux.

  Euripide (vers 480-406 avant J.-C.)

Principales pièces : Médée, Andromaque, Les Troyennes, Iphigénie, Électre, Oreste, Les Bacchantes (dix-neuf pièces ont été conservées sur environ quatre-vingt-dix composées).

Corrigé de l’exercice n° 2

Sur le mythe de Médée :

Médée est une magicienne, fille d’Eétès, nièce de la célèbre Circé, qui ensorcela Ulysse. On associe souvent Médée au mythe d’Hécate, déesse de la mort. Jason tombe amoureux de Médée qui l’aide à conquérir la Toison, en tuant son frère cadet. S’ensuivent une série d’exils et de meurtres. Le couple est recueilli par Créon, roi de Corinthe. Mais Jason tombe amoureux de la fille du roi, Créuse. Il répudie Médée et épouse la jeune corinthienne. Folle de jalousie et de douleur, Médée élimine sa rivale en lui offrant une robe empoisonnée, puis tue les deux enfants qu’elle avait eus de Jason. Elle fuit sur un char et poursuit ses méfaits dans d’autres contrées. L’histoire de Médée a inspiré de nombreuses tragédies aux XVIe et XVIIe siècles.

Comparaison Euripide/ Corneille :

Les deux extraits présentent une situation similaire. Jason vient d’ap-prendre que Médée, son ancienne épouse, a éliminé leurs deux enfants. Ce geste infanticide est rappelé dans les deux cas, ce qui accroît l’ef-fet d’horreur aux yeux du public. Dans les deux extraits, le désespoir de Jason est visible, tandis que la cruauté de Médée est dévoilée. Le même recours au merveilleux apparaît également : la fuite dans les airs sur un char ailé fait partie des épisodes incontournables du mythe. L’on voit cependant une différence très nette dans le « message » que les drama-turges souhaitent faire passer.

E  Dans la tragédie grecque, le coryphée commente l’événement en en tirant une dimension morale, propre à faire réfléchir le public.

E  Corneille privilégie l’action dramatique. Certes, sa pièce ne se referme pas sur l’envol de Médée, mais sur un monologue de Jason avant son suicide, mais aucun regard extérieur ne vient commenter les tragiques événements qui se déroulent sous les yeux des spectateurs, pour des raisons de vraisemblance tragique (voir ch.3. B.3. La règle de vraisem-blance).

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60 Séquence 4 – FR20

Corrigé de l’exercice n° 3

Parmi les griefs adressés à Corneille lors de la « Querelle du Cid » (1636) figure l’invraisemblance de l’unité de temps. En effet, la tragédie de Corneille multiplie les actions qui ne sont pas de simples événements, mais des actions graves et importantes. En vingt-quatre heures, Rodri-gue tue Don Gormas en duel, écrase l’armée des Maures, se bat en duel contre don Sanche qu’il désarme, rencontre Chimène à plusieurs reprises, s’éloigne de l’Infante, se fait haïr puis pardonner de Chimène, avant qu’un mariage avec elle soit décidé au dénouement de la pièce. On le voit, l’accumulation des événements en un laps de temps si étroit a fourni des armes aux ennemis de Corneille…

Corrigé de l’exercice n° 4

Extraits Procédés d’écriture

Andromaque à Hermione :« Mais il me reste un fils. Vous saurez quelquejour, Madame, pour un fils jusqu’où va votreamour. »(Racine, Andromaque, III, 4)

Litote : Andromaque, tout en refusant Pyrrhus, prévoit qu’Hermione l’épousera et en aura un fils. Elle comprendra alors (« quelque jour ») ce qu’être mère signifie.

« Va, je ne te hais point. »(Chimène à Rodrigue, Le Cid, III, 4)

Litote : Chimène ne peut dire frontalement à Rodrigue, qui est l’assassin de son père, qu’elle l’aime.

« La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte ! »(Racine, Phèdre, II, 5)

Périphrase : « La veuve de Thésée » désigne Phèdre. La situation est tellement indécente (elle aime son beau-fils) qu’elle ne peut dire son pré-nom d’où le recours au détour par la périphrase.

« Avant la fin du jour je ne le craindrai plus. »(Néron à Burrhus à propos de Britannicus, Bri-tannicus, IV, 3).

Euphémisme : Néron atténue une action crimi-nelle. Il va très bientôt faire assassiner Britanni-cus.

« La mère de César veille seule à sa porte ? »(Albine à Agrippine dans Britannicus, I, 1)

Périphrase : « La mère de César » désigne Agrip-pine. Cette périphrase, située dans la scène d’exposition, permet de situer qui est Agrippine : elle est la mère de l’Empereur (César désigne l’empereur de Rome), et donc impératrice elle-même. La périphrase permet de préciser le rapport familial et politique des protagonistes.

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61Séquence 4 – FR20

Chapitre

4Autour de la tragédie classique

Ce deuxième groupement de textes va vous permettre de découvrir la tragédie classique grâce à trois lectures analytiques complétées de

quatre autres textes tragiques du XIXe siècle et du XXe siècle en lecture cursive. Les trois lectures analytiques d’extraits de pièces de Corneille et de Racine, les plus grands dramaturges tragiques du XVIIe siècle, vous permettront d’analyser le fonctionnement de deux dilemmes de nature différente, mais mettant à chaque fois en jeu l’amour, et le traitement d’un dénouement de tragédie inattendu et inhabituel.

Cruels dilemmes

Texte n° 1 : Un dilemme moral - Corneille, Le Cid

Le Cid (1637) constitue un événement littéraire dans l’histoire du théâtre. Corneille a osé un nouveau genre de tragédie, même s’il a déjà plusieurs pièces à son actif. Rodrigue aime Chimène et cet amour est réciproque. Mais une altercation oppose Don Diègue, le père de Rodrigue, et Don Gomès, le père de Chimène, qui oblige le fils à provoquer en duel le père de celle qu’il aime. Il le tue. Chimène peut-elle décemment aimer le meurtrier de son père ? Telle est l’expression du fameux dilemme « cornélien » qui place le personnage dans une situation où il doit faire un choix douloureux.

Dans cette scène, c’est la première fois que Rodrigue et Chimène se trou-vent en présence devant le public. Pire, Rodrigue se présente l’épée à la main, arme qui a servi à tuer Don Gomès.

Acte III, scène 4

Chimène, don rodrigue

chiMène

Cruel ! à quel propos sur ce point t’obstiner ?Tu t’es vengé sans aide, et tu m’en veux donner !Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de couragePour souffrir2 qu’avec toi ma gloire se partage.

2. Permettre.

A

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62 Séquence 4 – FR20

Mon père et mon honneur ne veulent rien devoirAux traits de ton amour, ni de ton désespoir.

don rodrigue

Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse, Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?Au nom d’un père mort, ou de notre amitié, Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.Ton malheureux amant3 aura bien moins de peineÀ mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.

chiMène

Va, je ne te hais point.

don rodrigue

Tu le dois.

chiMène

Je ne puis. don rodrigue

Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?Quand on saura mon crime, et que ta flamme4 dure,Que ne publieront point l’envie et l’imposture !Force-les au silence, et, sans plus discourir, Sauve ta renommée en me faisant mourir.

chiMène

Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ; Et je veux que la voix de la plus noire envieÉlève au Ciel ma gloire et plaigne mes ennuis, Sachant que je t’adore et que je te poursuis5.Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrêmeCe qu’il faut que je perde, encore que6 je l’aime.Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ ; Si l’on te voit sortir, mon honneur court hasard7.La seule occasion qu’aura la médisance, C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence : Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu.

don rodrigue

Que je meure !

chiMène

Va-t’en.

don rodrigue

À quoi te résous-tu ?

3. Amoureux.

4. Ta flamme = métaphore pour « ton amour ».

5. Chercher à faire condamner en justice.

6. Bien que.

7. Danger.

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chiMène

Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère, Je ferai mon possible à bien venger mon père ; Mais, malgré la rigueur d’un si cruel devoir, Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.

don rodrigue

Ô miracle d’amour !

chiMène

Mais comble de misères.

Questions de lecture analytique

Quels éléments du dialogue montrent que les deux personnages sont proches ? Étudiez pour cela l’énonciation et le contenu des échanges.

2 Quels sont les champs lexicaux qui dominent dans cette scène ? Justi-fiez votre réponse à l’appui des répliques de Chimène et de Rodrigue. En quoi expriment-ils un dilemme ?

3 Étudiez les temps verbaux de la scène. Que constatez-vous ?4 Quelle est la spécificité de ce conflit ? Observez notamment le rôle des

connecteurs logiques.5 Question d’ensemble : proposez trois axes de lecture pour un com-

mentaire de texte écrit de cette scène.Pour vous aider : cherchez ce qui fait la force de cette scène du point de vue dramatique pour le spectateur.

Réponses

Plusieurs éléments trahissent une certaine proximité entre les deux protagonistes. Le premier d’entre eux est le tutoiement. Dans une tragédie, les personnages se vouvoient la plupart du temps. Or dans cette scène, Chimène et Rodrigue emploient la deuxième personne du singulier. Cet aspect de leur dialogue dévoile une relation proche, et même intime. Ensuite, le ton sur lequel se parlent les personnages marque leur proximité. La colère de Chimène s’exprime notamment grâce aux modalités exclamatives « cruel ! ». Mais surtout, ce sont les confidences auxquelles les personnages se livrent qui nous indi-quent clairement la passion qui les unit. Ainsi, certains vers résonnent comme des aveux : « Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême/ Ce qu’il faut que je perde, encore que je l’aime. ». Ces deux vers mon-trent en effet dans quelle contradiction se trouve Chimène qui enjoint à son amant de partir alors qu’elle l’aime. À trois reprises, Rodrigue lui demande de mourir (au dernier vers de ses trois premières répliques), à trois reprises Chimène lui enjoint de partir (« Va », « Va-t’en » x 2).

2 Les champs lexicaux de la souffrance, du devoir moral et de l’amour se mêlent dans ce passage. Dans la première réplique de l’extrait,

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Chimène emploie tour à tour les termes « cruel », « tu t’es vengé », « désespoir », mais aussi plus loin « mes ennuis », « ma douleur extrême » ou « la rigueur d’un si cruel devoir ».

L’expression de l’amour, si elle apparaît bien dans les échanges des deux amoureux, l’est de manière atténuée, indirecte parce qu’elle ne convient pas aux règles de la bienséance, à la morale. Dans sa deuxième réplique, Chimène se laisse aller à un aveu de son amour pour Rodrigue sous forme d’une litote (devenue célèbre) : « Va, je ne te hais point. » ou encore l’évoque de manière métaphorique par un pluriel poétique « des feux si beaux » (le feu symbolisant la passion). À Rodrigue qui lui demande plutôt de mourir par sa main que de vivre haï d’elle, elle avoue par une phrase laconique de modalité négative « Je ne puis. » qui trahit la force de son amour et son bouleversement affectif. Alors qu’il lui propose à nouveau d’accomplir sa vengeance, elle réitère son ordre « Va-t’en » (troisième occurrence), pour ne pas avoir à décider de son sort : « Mais, malgré la rigueur d’un si cruel devoir,/Mon unique souhait est de ne rien pouvoir ».

En opposition au champ lexical de l’amour, figurent des termes relevant du devoir moral : « je suivrai ton exemple », « mon père et mon honneur », « ce qu’il faut que je perde » (= elle doit renoncer à l’homme qu’elle aime), « je ferai mon possible à bien venger mon père ». Cette dualité du lexique exprime clairement le dilemme dans lequel se trouve la jeune femme, le paroxysme étant atteint dans la proximité de l’impératif du départ « Va-t’en » et de la seule formula-tion de son amour sous forme d’hyperbole « je t’adore ».

Enfin, les répliques de Rodrigue font écho au dilemme vécu par Chimène : « Punis-moi par vengeance », « ton malheureux amant aura bien moins de peine / À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine. » Notez la litote « aura bien moins de peine » employée pour signifier qu’il souffrira davantage à vivre l’amour de Chimène. Il ne souffre pas moins qu’elle puisqu’il vit la même situation en parallèle.Ainsi, tout au long du passage, ces formules contradictoires trahissent le dilemme dans lequel se trouvent les protagonistes et dévoilent la passion amoureuse qui les brûle.

3 L’emploi des temps verbaux montre que la situation n’est pas sans issue. On observe en effet l’emploi du présent de l’indicatif et de l’impératif à plusieurs reprises (« Elle éclate », « je veux », « Va-t’en » x 2). Il indique que les personnages ancrent leur propos dans le moment du dialogue, qu’ils vivent intensément cet instant de déchirement. Parallèlement, on remarque un nombre important d’occurrences du futur simple (« je suivrai », « Que ne publieront point l’envie et l’imposture ! », « la seule occasion qu’aura la médisance », « je ferai mon possible ») qui suggère que les personnages ont un avenir, que la décision de Chimène ne sera pas sans conséquence. On remarque que Chimène clôt son argumen-tation sur une formule au présent de l’indicatif avouant la vérité de ce qu’elle ressent au-delà du moment présent : « Mon unique souhait est de ne rien pouvoir. », à savoir préférer son bonheur personnel à l’ac-

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65Séquence 4 – FR20

complissement de son devoir. Le vers est intéressant car il combine le présent et le futur. En effet Chimène formule un souhait et par consé-quent se projette dans l’avenir dont elle rêve. Mais elle le formule au présent (« est ») devant celui qui est directement concerné. Ce vers cor-respond donc à une sorte d’aveu solennel.

4 Nous avons vu que Chimène et Rodrigue sont confrontés à un dilemme, comme le montrent plusieurs éléments stylistiques (lexique, temps ver-baux, construction des vers). Chimène fait à la fois comprendre à Rodri-gue qu’elle l’aime mais qu’elle ne peut l’aimer : le conflit se situe donc moins au niveau des personnages entre eux que dans leur for intérieur. C’est la raison pour laquelle les répliques de Chimène comportent un certain nombre de connecteurs logiques qui expriment l’opposition (« mais ») ou la concession (« encore que », « malgré » x 2). Ces éléments montrent que le personnage se débat avec sa conscience. L’on comprend cependant que le conflit moral ne l’emportera pas sur la passion amou-reuse grâce à la réaction finale de Rodrigue « Ô comble d’amour ! ». La formule exclamative et hyperbolique indique que le héros a compris qu’à travers ses reproches et ses précautions, Chimène lui avoue sa passion.

On peut donc dire que dans cet extrait le conflit est formel, visible dans le vers et dans certaines expressions ou tournures : « Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir/Aux traits de ton amour, ni de ton déses-poir. ». L’opposition devoir/ amour est ici bâtie sur deux vers. Mais dans le fond, la passion est réciproque et irrésistible, et d’une réplique à l’autre, le conflit entre l’honneur et l’amour s’amplifie : « Sachant que je t’adore et que je te poursuis. ». Enfin, les deux formules finales se complètent pathétiquement « Ô miracle d’amour ! »/« Mais comble de misères. » et ponctuent de manière hyperbolique (« miracle », « comble de ») l’expression commune de la souffrance des protagonistes.

5 Question d’ensemble :

Voici une proposition de plan pour un commentaire de texte.

I. L’importance de cette scène Rodrigue/Chimène dans la pièce

1. Une scène-clé du point de vue dramatique (première rencontre sur scène)

2.Le dilemme de Chimène fonde le nœud tragique

3. Une scène à l’encontre des règles de la bienséance (un scandale)

II. Une scène d’aveu et un duo d’amour

1. L’aveu d’amour de Chimène

2. L’expression des sentiments de Rodrigue

3. Mais un duo de l’amour impossible

III. Le conflit intérieur et son aboutissement

1. L’impossible choix (champs lexicaux contradictoires) de Chimène

2. L’argumentation de Rodrigue

3. Le devoir moral (honneur familial) semble céder face à la passion

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Texte n° 2 : Un dilemme religieux - Corneille, Polyeucte

Polyeucte (1643) est la première tragédie religieuse écrite par Corneille. Elle relate un épisode inspiré de l’histoire romaine, au moment des per-sécutions des premiers chrétiens. Polyeucte, grand seigneur arménien, que Pauline, fille de Félix, un sénateur romain et gouverneur d’Arménie, a dû épouser au lieu de Sévère, un Romain trop obscur au goût de son père, a été peu à peu aimé de celle-ci. Polyeucte s’est récemment converti au christianisme naissant. Mais Pauline est polythéiste. Il tente de lui faire embrasser sa religion, mais elle s’y refuse, appuyée par son père. Félix fait exécuter Néarque, un chrétien, et espère faire abjurer Polyeucte qui est allé au temple briser les idoles. Pauline est persuadée qu’il court à sa mort, et lui a réaffirmé son amour.

Dans la scène suivante, Corneille montre le conflit qui oppose les deux époux : face à Pauline, il réaffirme sa foi, celle-ci lui reproche de l’aban-donner. À la fin de la pièce, après que Polyeucte aura choisi le martyre plutôt que la vie, Pauline et Félix seront touchés par la grâce divine et se convertiront.

Acte IV, scène 3

Pauline, PolyeuCte

pauLine

Que dis-tu, malheureux ? Qu’oses-tu souhaiter ?

poLYeucte

Ce que de tout mon sang je voudrais acheter.

pauLine

Que plutôt…

poLYeucte

C’est en vain qu’on se met en défense :Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense.Ce bienheureux moment n’est pas encor venu.Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu.

pauLine

Quittez cette chimère, et m’aimez.

poLYeucte

Je vous aime,Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.

pauLine

Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.

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poLYeucte

Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas.

pauLine

C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?

poLYeucte

C’est peu d’aller au ciel, je vous y veux conduire.

pauLine

Imaginations !

poLYeucte

Célestes vérités !

pauLine

Étrange aveuglement !

poLYeucte

Éternelles clartés !

pauLine

Tu préfères la mort à l’amour de Pauline !

poLYeucte

Vous préférez le monde à la bonté divine !

pauLine

Va, cruel, va mourir ; tu ne m’aimas jamais.

poLYeucte

Vivez heureuse au monde, et me laissez en paix.

Questions de lecture analytique

Dans quelle mesure la disposition des vers rend-elle le conflit visible ?2 À quel domaine appartiennent « éternelles clartés », « célestes vérités » ?3 Quelles sont les significations du verbe « séduire » ? Pourquoi Pauline

l’emploie-t-elle dans ce contexte ?4 Quelles sont les différentes étapes qui structurent l’attitude de Poly-

eucte dans la scène ?5 Question d’ensemble : comment le conflit se développe-t-il dans

cette scène ?

Réponses

La disposition des répliques rend compte de l’antagonisme qui oppose Polyeucte et Pauline. On constate en effet que les répliques sont dis-posées de manière équilibrée (un vers répond à un vers). Cet emploi de la stichomythie permet de montrer une rivalité ouverte grâce au

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68 Séquence 4 – FR20

langage. Mais ce qui frappe aussi, c’est que Polyeucte et Pauline emploient les mêmes formules grâce à un système de reprises ana-phoriques. Ainsi les expressions « Au nom de cet amour » ou « C’est peu de » sont répétées par les deux personnages. Ce choix rhétorique nous apprend que Polyeucte et Pauline parlent le même langage mais ne se comprennent pas. La reprise anaphorique dévoile la grande proximité amoureuse des amants, mais aussi leur incapacité à s’en-tendre. L’un et l’autre, bien qu’ils reprennent mutuellement leurs for-mules, restent dans leur idée et n’en sortent pas. Ce conflit apparaît de façon encore plus nette dans la succession d’hémistiches avec changement de locuteur (ce qui crée des vers de six syllabes) qu’ils prononcent chacun leur tour. Le vers est coupé en deux, ce qui indique que la rupture entre les amants est consommée. À la lecture de la scène, on peut donc percevoir visuellement le climat agonistique (du grec agôn, qui signifie conflit) qui règne entre les deux héros.

2 Les expressions « éternelles clartés » et « célestes vérités » appartien-nent au domaine religieux, et plus précisément à celui de la foi chré-tienne que professe Polyeucte. Elles indiquent non seulement la foi irréductible du personnage pour « ce Dieu » (la formule restrictive du démonstratif « ce » indique que Polyeucte n’a qu’un seul dieu, celui des Chrétiens, contrairement aux Romains qui sont polythéistes). Plus précisément ces expressions évoquent l’au-delà et le Ciel, au sens religieux du terme, c’est-à-dire le lieu où vont les morts dans la doc-trine chrétienne. Les deux expressions indiquent la présence d’une lumière divine venue d’en haut qui éclaire la pensée et le destin de Polyeucte. On pourrait même considérer que Polyeucte, en employant ces images du Ciel, connaît déjà sa fin, celle d’un martyre. Le terme « éternelles » au pluriel suggère en effet la survivance de l’âme après la mort, au royaume éternel de Dieu. Ces expressions montrent enfin que le personnage ne raisonne plus selon des sentiments terrestres (amour pour Pauline, réussite matérielle, statut social), mais selon sa foi qui l’illumine… ou qui l’aveugle. Ces expressions s’opposent à l’amour terrestre que lui offre Pauline, ce qui leur donne une force symbolique supplémentaire dans la scène.

3 Le verbe « séduire » est polysémique. Dans notre langue actuelle, il désigne une attitude qu’on adopte pour plaire à quelqu’un et l’atti-rer à soi. Mais dans la langue classique, le verbe a une toute autre signification. Il signifie « induire en erreur, tromper, abuser de la confiance ». C’est dans ce sens que Pauline emploie ce verbe fort, d’autant plus fort qu’il est placé à la fin du vers et rime avec le verbe « conduire » (au royaume de Dieu). La séduction est donc un acte grave et répréhensible. Or, dans le contexte de la scène, ce verbe prend une connotation biblique intéressante. La séduction est en effet l’un des apanages de Satan qui séduit Ève pour lui faire croquer la pomme du jardin d’Éden. Grâce à un renversement intéressant, et bien que Pau-line ne soit pas chrétienne, elle utilise un verbe dont les connotations sont religieuses et renvoient au contexte culturel dans lequel écrit

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Corneille. Ses contemporains en effet connaissent la signification biblique du verbe « séduire » et en comprennent le sens. Il est inté-ressant ici que Pauline assimile Polyeucte à un séducteur (une figure diabolique), alors qu’il prêche le contraire. Le mot possède donc un impact très fort sur le plan sémantique, psychologique et symbolique.

4 Polyeucte a la foi chevillée au corps et à l’âme : tous les arguments qu’il avance à Pauline sont en lien avec sa croyance. Si l’on suit la logique de la scène, on constate tout d’abord que Polyeucte tente d’expliquer à Pauline que ce nouveau Dieu qu’elle ignore agira malgré elle : « Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense », et que la foi pro-vient d’une révélation. Il exhorte donc Pauline à la patience, persuadé qu’elle se convertira le moment venu : « Ce bienheureux moment n’est pas encor venu. / Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu. ». Les temps et modes des répliques de Polyeucte (indicatif présent et futur simple) montrent qu’il est sûr de sa pensée et de cet avenir. Au fil de la scène, Polyeucte avoue son dessein : il veut convertir Pauline, comme l’indique l’expression « c’est peu d’aller au ciel, je vous y veux conduire. ». La fin de la scène dévoile l’antagonisme entre les deux amants, Polyeucte indiquant clairement qu’il se coupe du monde des hommes (« Vivez heureuse au monde ») et choisit sa foi (« et me lais-sez en paix »).

5 Voici une proposition de plan pour traiter la question d’ensemble :

I. Un couple amoureux

II. Un couple en désaccord (le conflit religieux)

III. Une situation tragique ?

Un dénouement inhabituel

Texte n° 3 : Jean Racine, Bérénice

L’intrigue de Bérénice (1671) est simple. Reine de Palestine, Bérénice aime Titus, empereur de Rome et est aimée de lui ; le bruit court de leur mariage prochain. Mais les lois romaines interdisent à un empereur romain d’épouser une reine étrangère : le sujet tragique est tout entier dans le conflit entre le devoir politique et les sentiments personnels des protagonistes. Titus, prêt à renoncer à l’Empire et au pouvoir politique, se laisse finalement fléchir par Bérénice qui prend la décision de le quit-ter, bien qu’elle l’aime également passionnément. Chacun menace tour à tour de se suicider - Bérénice si elle n’épouse pas Titus, Titus si Bérénice n’accepte pas de consentir à leur séparation -, mais la pièce se termine sans mort, choix esthétique audacieux pour une tragédie.

B

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70 Séquence 4 – FR20

Dans cette dernière scène de l’acte V, Antiochus, roi de Commagène et ami du nouvel empereur, amoureux secret de la reine, vient de prendre le risque d’avouer à Titus qu’il était son rival silencieux tout en réaffirmant son désir de partir. Bérénice trouve dans son amour pour Titus la force de renoncer à son bonheur et d’accepter la séparation, elle retournera seule en Palestine, loin de Titus et sans Antiochus.

Acte V, scène 7 (et dernière)

BÉRÉNICE, TITUS, ANTIOCHUS

bérénice, se levant.

Arrêtez, arrêtez8. Princes trop généreux,En quelle extrémité me jetez-vous tous deux !Soit que je vous regarde, ou que je l’envisage9,Partout du désespoir je rencontre l’image,Je ne vois que des pleurs, et je n’entends parlerQue de trouble, d’horreurs, de sang prêt à couler.

(À Titus.)Mon cœur vous est connu, Seigneur, et je puis direQu’on ne l’a jamais vu soupirer pour l’empire :La grandeur des Romains, la pourpre des Césars,N’a point, vous le savez, attiré mes regards.J’aimais, Seigneur, j’aimais, je voulais être aimée.Ce jour, je l’avouerai, je me suis alarmée :J’ai cru que votre amour allait finir son cours.Je connais10 mon erreur, et vous m’aimez toujours.Votre cœur s’est troublé, j’ai vu couler vos larmes.Bérénice, Seigneur, ne vaut point tant d’alarmes,Ni que par votre amour l’univers malheureux,Dans le temps que Titus attire tous ses vœux,Et que de vos vertus il goûte les prémices11,Se voie en un moment enlever ses délices.Je crois, depuis cinq ans jusqu’à ce dernier jour,Vous avoir assuré d’un véritable amour.Ce n’est pas tout : je veux, en ce moment funeste,Par un dernier effort couronner tout le reste :

8. Elle s’adresse à Antiochus qui est sur le point de sortir.

9. Envisager = regarder le visage de quelqu’un.

10. Je connais, au sens de « je reconnais ».

11. Premiers effets.

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Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus.Adieu, Seigneur, régnez ; je ne vous verrai plus.

(À Antiochus.)Prince, après cet adieu, vous jugez bien vous-mêmeQue je ne consens pas de quitter ce que j’aimePour aller loin de Rome écouter d’autres vœux12.Vivez, et faites-vous13 un effort généreux.Sur Titus et sur moi réglez votre conduite :Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte.Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers14.Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’universDe l’amour15 la plus tendre et la plus malheureuseDont il puisse garder l’histoire douloureuse.Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.

(À Titus.)Pour la dernière fois, adieu, Seigneur.

antiochuS

Hélas !

Questions de lecture analytique

À quel type de scène assistons-nous ? Quel(s) registre(s) domine(nt) dans ce dénouement ?

2 Comparez la longueur des paroles adressées à Titus et à Antiochus. Que constatez-vous ?

3 Quels conseils Bérénice donne-t-elle aux deux protagonistes ? En quoi contribuent-ils à la grandeur du personnage ?

4 Comment peut-on interpréter le « Hélas ! » final d’Antiochus ? Selon vous, pourquoi Racine ne donne-t-il pas le dernier mot à Titus ?

Réponses

Le dénouement de Bérénice est marqué par les registres pathétique, lyrique et tragique. La situation est d’abord pathétique puisqu’il s’agit d’une scène d’adieux (le terme est d’ailleurs répété plusieurs fois). Bérénice fait ses adieux à Titus qu’elle aime. La scène est donc émouvante car elle implique le sacrifice d’un amour réciproque :

12. Prières d’amour.

13. Faites sur vous-même.

14. Les fers désignent, dans le vocabulaire galant, les chaînes de l’esclavage amoureux.

15. Amour est au féminin, selon l’usage assez fréquent du XVIIe siècle.

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72 Séquence 4 – FR20

E  Plusieurs expressions traduisent le caractère pathétique de la situa-tion. Le vers « Adieu, Seigneur, régnez : je ne vous verrai plus. » exprime la fin d’une histoire, et Bérénice donne l’ordre à son amant de vivre.

E  Outre le caractère pathétique de la scène, se déploie le registre lyrique qui a même ici un aspect élégiaque. Le rythme et la musica-lité des vers prononcés par Bérénice augmentent en effet le lyrisme douloureux des adieux. Le célèbre vers « Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte » repose sur un rythme scandé en quatre temps, ce qui donne encore plus de force au propos. Des métaphores employées par Bérénice participent aussi au lyrisme de la scène.

E  Enfin, on peut interpréter ce dénouement dans une perspective tra-gique. En effet les héros doivent se séparer, soumis à la prépondé-rance de la politique sur les relations amoureuses. Leur situation est tragique car ils n’ont pas vraiment la liberté de choisir. Titus doit assumer son rôle d’empereur, ce qui lui interdit d’aimer une reine étrangère. Finalement, c’est peut-être le registre pathétique qui domine dans le passage, mais il est étroitement dépendant des registres lyrique et tragique.

2 Ce sont les didascalies qui nous permettent de distinguer à qui Béré-nice s’adresse le plus longuement. Cette répartition de la parole obéit à l’importance quantitative et qualitative des deux protagonistes masculins de la tragédie. Titus se voit accorder la plus grande atten-tion de la part de Bérénice car c’est l’homme qu’elle aime mais qu’elle doit quitter pour des raisons politiques. Par conséquent l’explication qu’elle fournit pour justifier son départ est plus développée quand elle s’adresse à Titus. Le registre et les termes qu’elle emploie sont d’ailleurs chargés d’émotion. C’est essentiellement le champ lexical de l’amour qui structure la tirade qu’elle adresse à Titus (répétition du verbe « aimer »). Quand elle parle à Antiochus, c’est avec respect et compassion. Antiochus aime en effet Bérénice, mais ces sentiments ne sont pas réciproques. On voit cependant la grandeur d’âme du personnage de Bérénice dans le fait qu’elle ne néglige pas ce soupi-rant malheureux. Elle lui prodigue une sorte de consolation par ses paroles, en l’exhortant à l’apaisement. Mais si l’on observe la struc-ture pronominale des mots qu’elle adresse à Antiochus, on constate qu’en réalité Bérénice continue à s’adresser indirectement à Titus, qu’elle évoque à la troisième personne du singulier « il ».

3 Bérénice prodigue des conseils différents aux deux personnages mas-culins présents sur scène. Quand elle s’adresse à Titus, son discours porte à la fois sur le domaine sentimental et politique. D’une part, elle l’incite à s’apaiser et d’autre part, elle prend un engagement solennel, malgré sa douleur, comme en attestent les vers :

« Ce n’est pas tout : je veux, en ce moment funeste,Par un dernier effort couronner tout le reste :Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus. »

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Mais elle réitère un conseil aux deux, sous une modalité impérative : « Vivez ». Cet élément laisse supposer que Titus et Antiochus ont songé au suicide, voyant leur passion amoureuse leur échapper (c’est en effet le cas au cours de la tragédie).

4 On qualifie souvent Bérénice de tragédie des « hélas ». Cette exclama-tion finale que prononce Antiochus peut s’interpréter de différentes manières. On peut d’abord penser qu’il s’agit d’un soupir de déses-poir. Le personnage n’a plus les mots pour exprimer sa douleur. Le terme « hélas » indique également le regret de quelque chose qu’on perd ou qu’on a perdu. C’est donc l’expression d’une déploration que traduit cette dernière réplique. On notera d’ailleurs que c’est Antio-chus, le mal-aimé, qui prononce cette réplique, tandis que Titus, encore plus concerné par l’amour de Bérénice ne répond rien. Son silence peut indiquer que sa souffrance ne peut plus s’exprimer par les mots : elle est incommensurable.

Bilan : tragédie et comédie

Comédie Tragédie

Personnages

Ce sont souvent des bourgeois, ou bien des personnages de basse extraction sociale. Leurs préoccupations sont maté-rielles. Il est question de dot, d’héritage, de mariage.

Rois, reines, empereurs et impéra-trices. Uniquement des personnages issus des plus hautes castes. Parfois présence de dieux ou de demi-dieux.

Lieux de l’action

Dans une maison, en ville. Parfois à la cam-pagne. On observe plusieurs lieux dans une même pièce. L’unité de lieu n’est pas nécessairement respectée.

Lieu unique. L’antichambre d’un palais, le plus souvent. Un lieu « neutre » où peuvent se croiser tous les person-nages.

Niveau de langue

Plusieurs niveaux de langue : soutenu, courant, familier. Le plus souvent, c’est le langage courant qui domine dans l’échange, sauf quand le dramaturge recourt à des jurons farcesques. Dans la comédie en vers, le langage est également soutenu.

Langage soutenu. Pièces en alexan-drins.

But visé

Faire rire, divertir le public. Mais aussi, selon la formule « castigat ridendo mores», faire prendre conscience au public de la satire morale. Finalement, la comédie fait évoluer l’esprit critique du spectateur.

Susciter la terreur et la pitié pour obte-nir la purgation des passions. Moraliser le public en lui montrant l’exemple d’une grande souffrance.

C

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74 Séquence 4 – FR20

Le devenir de la tragédie aux XIXe et XXe siècles

1. Histoire littéraire

La tragédie ne disparaît pas du paysage théâtral français après Racine et Corneille. Bien au contraire, on continue d’écrire des pièces sur le modèle racinien. Ainsi, Voltaire, auteur de Candide, est l’auteur de nom-breuses tragédies néoclassiques qui puisent leurs thèmes dans l’his-toire antique. Toutefois, le genre s’épuise à force d’être imité. À l’aube du XIXe siècle, le public commence à se lasser des tragédies néoclassiques qui semblent fades à côté des modèles de Racine et de Corneille.

Le romantisme et la tragédieLe Romantisme naît - comme tout mouvement littéraire et culturel – d’une rupture, d’une réaction à d’autres mouvements qui l’ont précédé. De ce point de vue, il est en réaction contre le classicisme et contre le rationa-lisme des Lumières (XVIIIe siècle). Cette réaction se traduit par la remise en cause de règles formelles établies. Dans les années 1820-1840, le romantisme part en guerre contre les tragédies classiques en vers, esti-mant que la société issue de la Révolution française a désormais besoin d’autres spectacles, et d’un théâtre nouveau. Le drame romantique se construit donc en révolte contre la tragédie, tout en conservant certains de ses aspects. Il est en fait hérité du drame bourgeois, qui s’est déve-loppé à la fin du XVIIIe siècle, et prend pour modèle Shakespeare (1564-1616) alors que Racine représente, pour les romantiques, un modèle qui a fait son temps. C’est ce que traduit Stendhal dans un pamphlet demeuré célèbre, Racine et Shakespeare (1823-1825), dans lequel il milite pour un théâtre en prose, idée appliquée par Musset quelques années plus tard dans Lorenzaccio (1834).

Victor Hugo, qui apparaît comme le chef de file de l’école romantique, écrit en 1827 une pièce de théâtre, Cromwell, dont la préface fera figure de Manifeste. Dans la « Préface » de Cromwell, Victor Hugo explique que le drame est un genre hybride, qui mêle la comédie et la tragédie. Sans exclure la tragédie, les dramaturges romantiques renouvellent en pro-fondeur ses structures : certaines pièces abandonnent l’alexandrin ; les règles d’unité de lieu et de temps ne sont plus respectées, la règle de bienséance non plus. Ainsi, dans son drame Lucrèce Borgia (voir grou-pement de textes ci-après) qui est une réécriture du mythe des Atrides, Hugo fait voyager les spectateurs de Venise à Ferrare dans une pièce en prose, et montre un matricide sur scène. Bien qu’il ne respecte pas les règles de la tragédie classique, Victor Hugo donne à sa pièce un souffle tragique, puisqu’il montre comment l’ironie du sort devient une fatalité sur le destin des personnages. Ce ne sont plus les Dieux qui gouvernent le sort des hommes, mais leurs propres erreurs ou leur aveuglement.

D

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Victor Hugo défend la rime et le vers qu’il veut aptes à incarner le mélange des genres et des registres par lequel se caractérise le drame romantique.

Documents – Victor Hugo, extrait de la Préface de Cromwell

La société, en effet, commence par chanter ce qu’elle rêve, puis raconte ce qu’elle fait, et enfin se met à peindre ce qu’elle pense. C’est, disons-le en passant, pour cette dernière raison que le drame, unissant les quali-tés les plus opposées, peut être tout à la fois plein de profondeur et plein de relief, philosophique et pittoresque.

Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, tu es com-posé de deux êtres, l’un périssable, l’autre immortel, l’un charnel, l’autre éthéré, l’un enchaîné par les appétits, les besoins et les passions, l’autre emporté sur les ailes de l’enthousiasme et de la rêverie, celui-ci enfin toujours courbé vers la terre, sa mère, celui-là sans cesse élancé vers le ciel, sa patrie » ; de ce jour le drame a été créé. Est-ce autre chose en effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de tous les ins-tants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans la vie, et qui se disputent l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe?

La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète, est dans l’harmonie des contraires.

Victor Hugo, préface de Cromwell, 1827.

Si nous avions le droit de dire quel pourrait être, à notre gré, le style du drame, nous voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pru-derie, tout exprimer sans recherche ; passant d’une naturelle allure de la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque : tour à tour positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond et soudain, large et vrai ; sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d’alexandrin ; plus ami de l’enjambement qui l’allonge que de l’inversion qui l’embrouille : fidèle de la rime, cette esclave reine, cette suprême grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre ; inépuisable dans la variété de ses tours, insaisissable dans ses secrets d’élégance et de facture ; prenant, comme Protée1, mille formes sans changer de type et de caractère, fuyant la tirade ; se jouant dans le dialo-gue ; se cachant toujours derrière le personnage ; s’occupant avant tout d’être à sa place, et lorsqu’il lui adviendrait d’être beau, n’étant beau en quelque sorte que par hasard, malgré lui et sans le savoir ; lyrique, épique, dramatique, selon le besoin ; pouvant parcourir toute la gamme poétique, aller de haut en bas, des idées les plus élevées aux plus vul-gaires, des plus bouffonnes aux plus graves, des plus extérieures aux plus abstraites, sans jamais sortir des limites d’une scène parlée ; en un

Document 1

Document 2

1. Dieu grec capable de prendre mille formes insaisissables

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76 Séquence 4 – FR20

mot, tel que le ferait l’homme qu’une fée aurait doué de l’âme de Cor-neille et de la tête de Molière. Il nous semble que ce vers-là serait bien aussi beau que de la prose.

Victor Hugo,préface de Cromwell (1827).

Exercice autocorrectif n° 1

Questionner l’apport du drame romantique

D’après le texte 1, expliquez « le caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. »

2 Exprimez en une phrase la qualité essentielle que doit présenter le vers pour Hugo.

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

La tragédie au XXe siècle

Après les revendications du théâtre romantique de mêler genres et registres, au XXe siècle, les codes sont plus encore mis en cause ou pervertis. Au lendemain de la première Guerre mondiale, la société est bouleversée. On cherche des moyens artistiques pour exprimer les enjeux de la condition humaine. Une véritable renaissance de la tra-gédie antique se produit alors, qui dure au-delà de la seconde Guerre mondiale. Les dramaturges comme Jean Cocteau (Orphée, La Machine infernale) Jean Giraudoux (La Guerre de Troie n’aura pas lieu), Jean-Paul Sartre (Les Mouches) ou encore Camus (Caligula) adaptent les mythes gréco-latins pour mieux représenter le monde contemporain. En réac-tualisant les mythes antiques, les dramaturges questionnent les grands problèmes du monde contemporain : quelle est la place de l’Homme dans la société ? Quelle est sa part de libre-arbitre ? Avons-nous le choix de nos actes ?

Antigone d’Anouilh, écrite sous l’Occupation allemande, est souvent considérée comme un symbole de la Résistance, son héroïne refusant de se plier aux règles qu’on lui impose. Mais les repères ne sont plus aussi simples pour le spectateur ; le théâtre d’Anouilh est classé en « pièces noires », « pièces brillantes » ou encore « grinçantes », « costumées »… pour trouver des catégories identifiables.

À partir des années 1950, le théâtre de l’absurde propose lui aussi une nouvelle forme de tragique. Le destin de l’homme ne se manifeste pas sous forme d’événements menaçants, mais sous celle d’une impuis-sance absolue à modifier le cours de sa vie et à lui trouver un sens. Cette absence d’espoir fonde un théâtre très pessimiste, déroutant, qui utilise

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aussi bien la farce, la dérision voire l’humour noir tout en renouvelant aussi le genre tragique.

Pour le théâtre de Samuel Beckett, écrivain irlandais dont les œuvres ont été rédigées en français, on parle de « farce tragique » ; on mesure l’évolution depuis l’époque classique où ces deux termes étaient incom-patibles !

Document – Samuel Beckett, En attendant Godot (1953)

Samuel Beckett, En attendant Godot, © 1952, Les Éditions de Minuit.

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Exercice autocorrectif n° 2

Questionner le théâtre de l’absurde

Que reconnaissez-vous des genres et des registres comique ou tra-gique dans ce dénouement ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

2. Corpus : l’évolution de la tragédie (du XIXe au XXe siècle)

Voici un dernier corpus que vous allez découvrir en lecture cursive :

E Victor Hugo, Hernani (1830)

E Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833)

E Jean Cocteau, La Machine infernale (1934)

E Jean Anouilh, Antigone (1944).

Corpus

Question d’ensemble

Lisez le corpus avant de répondre à la question suivante :

Quels aspects du tragique ces extraits mettent-ils en lumière ?

Texte 1 : Victor Hugo, Hernani (1830)

Hernani est une pièce importante dans l’histoire du théâtre. On l’associe en général à la victoire du romantisme sur les planches. Le projet de Vic-tor Hugo consiste à rivaliser avec la tragédie en vers, et pour ce faire, il compose un drame en alexandrin. Mais contrairement à la tragédie clas-sique, Hugo ne respecte ni les unités ni les bienséances. L’intrigue d’Her-

On constate donc que les questions qui traversent la tragédie clas-sique ne disparaissent pas des pièces ultérieures. Certes, les dra-maturges abandonnent progressivement l’écriture en vers et les règles. Mais la tragédie ne meurt pas pour autant, elle prend de nouveaux visages.

Conclusion

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79Séquence 4 – FR20

nani repose sur une triple rivalité amoureuse. Doña Sol aime Hernani, et réciproquement. Mais elle doit épouser Don Ruy Gomez. Le roi Don Carlos la courtise également et menace ses rivaux. Les personnages sont animés de sentiments violents, à l’image d’Hernani qui se révolte contre lui-même et contre le monde entier.

Acte III, scène 2

HERNANI.

Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure !Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure !J’ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords,Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne !Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne,Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,Et s’ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu !Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?Dona Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour vienne,Car je dois être seul. Fuis ma contagion.Ne te fais pas d’aimer une religionOh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-êtreUn homme comme sont tous les autres, un êtreIntelligent, qui court droit au but qu’il rêva.Détrompe-toi ! je suis une force qui va !Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !Une âme de malheur faite avec des ténèbres !Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond,Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond !Cependant, à l’entour de ma course farouche,Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !Oh ! Fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !

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Texte 2 : Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833)

Lucrèce Borgia est un des plus gros succès de la scène romantique. Dans ce drame, Hugo raconte l’histoire d’un jeune homme qui cherche déses-pérément sa mère. Or le public comprend très vite que cette femme est Lucrèce Borgia, dont la réputation sanglante fait frémir l’Italie. Lucrèce a retrouvé ce fils qu’elle cherchait, mais n’ose lui avouer qu’elle est sa mère, de crainte de susciter sa haine. Après bien des péripéties et des renversements, la mère et le fils se retrouvent enfin seuls, dans la der-nière scène du drame.

Acte III, scène 3

gennaro. Vous êtes ma tante. Vous êtes la sœur de mon père. Qu’avez-vous fait de ma mère, Madame Lucrèce Borgia ?

dona Lucrezia. Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis, si je te disais tout, je ne ferais peut-être que redoubler ton horreur et ton mépris pour moi ! écoute-moi encore un instant. Oh ! Que je voudrais bien que tu me reçusses repentante à tes pieds ! Tu me feras grâce de la vie, n’est-ce pas ? Eh bien, veux-tu que je prenne le voile ? Veux-tu que je m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons, si l’on te disait : cette mal-heureuse femme s’est fait raser la tête, elle couche dans la cendre, elle creuse sa fosse de ses mains, elle prie Dieu nuit et jour, non pour elle, qui en aurait besoin cependant, mais pour toi, qui peux t’en passer ; elle fait tout cela, cette femme, pour que tu abaisses un jour sur sa tête un regard de miséricorde, pour que tu laisses tomber une larme sur toutes les plaies vives de son cœur et de son âme, pour que tu ne lui dises plus comme tu viens de le faire avec cette voix plus sévère que celle du juge-ment dernier : vous êtes Lucrèce Borgia ! Si l’on te disait cela, Gennaro, est-ce que tu aurais le cœur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue pas, mon Gennaro ! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir ! Aie quelque compassion de moi ! Enfin cela ne sert à rien de traiter sans miséricorde une pauvre misérable femme qui ne demande qu’un peu de pitié ! - un peu de pitié ! Grâce de la vie ! - et puis, vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour toi, ce serait vraiment lâche ce que tu ferais là, ce serait un crime affreux, un assassinat ! Un homme tuer une femme ! Un homme qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne voudras pas ! Tu ne voudras pas !

gennaro, ébranlé. Madame...

dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce. Cela se lit dans tes yeux. Oh ! Laisse-moi pleurer à tes pieds !

une voix au-dehorS. Gennaro !

gennaro. Qui m’appelle ?

La voix. Mon frère Gennaro !

gennaro. C’est Maffio !

La voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !

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gennaro, relevant le couteau. C’est dit. Je n’écoute plus rien. Vous l’enten-dez, madame, il faut mourir !

dona Lucrezia, se débattant et lui retenant le bras. Grâce ! Grâce ! Encore un mot !

gennaro. Non !

dona Lucrezia. Pardon ! écoute-moi !

gennaro. Non !

dona Lucrezia. Au nom du ciel !

gennaro. Non !

Il la frappe.

dona Lucrezia. Ah !... tu m’as tuée ! - Gennaro ! Je suis ta mère !

Texte 3 : Jean Cocteau, La Machine infernale (1934)

La Machine infernale, créée en 1934 est une adaptation moderne du mythe d’Œdipe, et de la pièce de Sophocle, Œdipe roi. Le jeune homme arrive à Thèbes, dévastée par le Sphinx qui, chaque soir, pose une énigme que personne ne parvient à trouver. Celui qui sortira vainqueur de l’épreuve épousera la Reine Jocaste et deviendra roi. Un soir, Œdipe croise le Sphinx qui pose sa question… Œdipe répond… la machine infer-nale est enclanchée ! Dans l’extrait suivant, le Sphinx décrit sa puissance sur les Hommes grâce à un langage poétique et imagé qu’on retrouve dans les films de Jean Cocteau.

LE SPHINX. Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne qu’un œuf, plus ingé-nieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le ser-pent qui humecte sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagineras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’amputerait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du sang des statues, un fil qui te ligote avec la volu-bilité des arabesques folles du miel qui tombe sur du miel.

« La Machine infernale » de Jean Cocteau, © Éditions Grasset&Fasquelle, 1934.

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Texte 4 : Jean Anouilh, Antigone (1944)

Dans l’extrait suivant, Antigone vient d’être arrêtée car elle a osé braver les ordres de Créon : elle a rendu un hommage funèbre à son frère Poly-nice en couvrant son corps de terre. Créon veut d’abord étouffer l’affaire, mais Antigone se révolte et réclame la mort. Créon se sent obligé de faire appliquer la loi, et Antigone est condamnée à mort. Bien qu’elle exprime sa douleur dans ce passage, Antigone est face à elle-même et le garde n’a aucune compassion pour elle.

antigone, lui dit soudain.Écoute... Le garde

Oui.antigone

Je vais mourir tout à l’heure.Le garde ne répond pas. Un silence. Il fait les cent pas. Au bout d’un moment, il reprend.Le garde

D’un autre côté, on a plus de considération pour le garde que pour le sergent de l’active. Le garde, c’est un soldat, mais c’est presque un fonc-tionnaire.antigone

Tu crois qu’on a mal pour mourir ?Le garde

Je ne peux pas vous dire. Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils avaient mal. Moi, je n’ai jamais été blessé. Et, d’un sens, ça m’a nui pour l’avancement.antigone

Comment vont-ils me faire mourir ?Le garde

Je ne sais pas. Je crois que j’ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre sang, ils allaient vous murer dans un trou.antigone

Vivante ?Le garde

Oui, d’abord.Un silence. Le garde se fait une chique.antigone

O tombeau ! O lit nuptial ! O ma demeure souterraine !... (Elle est toute petite au milieu de la grande pièce nue. On dirait qu’elle a un peu froid. Elle s’entoure de ses bras. Elle murmure.) Toute seule.

Antigone de Jean Anouilh, © Éditions de La Table ronde, 1946.

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Réponses

Deux aspects du tragique apparaissent dans ces quatre extraits : la révolte des personnages humains face au destin qui leur est promis et la menace d’une mort inéluctable.

1. L’homme révolté face à sa destinée

Cet aspect est visible dans le monologue délibératif d’Hernani. Le héros interpelle Doña Sol, mais pas seulement. Il décrit le sentiment de fatalité qui semble régir sa vie. Le grand nombre d’exclamations, la répétition du réseau lexical du malheur confirment l’idée selon laquelle Hernani est un maudit – du moins se présente-t-il comme tel. Dans une certaine mesure, l’idée de fatalité est également présente dans le monologue du Sphinx (La Machine infernale), puisque le personnage hybride semble tenir le fil de la vie des hommes et agir sur leur destinée par ses pouvoirs. Ici, ce n’est pas à proprement parler la révolte qui est décrite, mais plutôt l’asservissement de l’Homme au pouvoir des Dieux. La dimension fan-tastique participe au contenu inquiétant du monologue. Lucrèce Borgia et Antigone expriment la révolte sur un autre plan, en mettant en scène des personnages proches de la mort. Dans Lucrèce Borgia, la révolte vient du personnage de Lucrèce qui n’ose avouer qui elle est à Gennaro. La révolte de Gennaro intervient une première fois lorsqu’il entend la voix d’outre-tombe de son ami Maffio. Cet élément déchaîne sa colère et provoque le geste irréparable : le matricide. Toute la force de ce dénoue-ment, c’est que Victor Hugo ne montre pas la réaction du personnage. C’est à l’acteur de l’inventer, ou au lecteur de l’imaginer… Le dénoue-ment d’Antigone, contrairement à celui de Lucrèce Borgia, comporte peu de violence. Le dialogue est presque banal, et l’héroïne reste calme. On perçoit cependant sa révolte sous-jacente qui apparaît dans les derniers mots de la scène, d’un grand effet pathétique : « toute seule ».

On voit donc que la révolte s’exprime de manière plus ou moins osten-sible dans les quatre extraits, mais qu’elle se construit toujours dans un rapport avec la mort.

2. La mise en scène du caractère inéluctable de la mort

Dans la plupart des cas, les héros de tragédies classiques sont voués à un destin funeste. On retrouve une thématique similaire dans les extraits ci-dessus. Chacun des extraits présente en effet un ou plusieurs person-nages confrontés à la mort. Dans les deux tirades, celle du Sphinx et celle d’Hernani, la mort est envisagée comme inéluctable, ce qui souligne son caractère tragique. Hernani, hanté par l’idée qu’il est soumis à un destin funeste, ressent la certitude d’une mort prochaine. Quant au Sphinx, il explique la manière dont il tire les fils de la vie de ceux qui viennent l’in-terroger. Dans le mythe d’Œdipe en effet, le Sphinx décime la jeunesse de Thèbes, avant qu’Œdipe ne résolve l’énigme. Dans Lucrèce Borgia, la mort est spectaculaire. Victor Hugo semble retarder le moment du geste fatal où

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Gennaro va éliminer sa mère. L’assassinat se fait dans la fureur et dans la démesure, à l’image de celle qu’on pouvait rencontrer dans les tragédies grecques ou dans le théâtre de Shakespeare. On voit avec l’extrait d’Anti-gone que la représentation du tragique a évolué. La condamnée apprend qu’elle va être enterrée vive, mais ses réactions ne sont ni violentes ni démesurées. Elle semble intérioriser l’événement, cherchant un peu de compassion chez un interlocuteur distant et presque indifférent. Ainsi, chacun des extraits montre à sa manière le rapport étroit qui unit le registre tragique à la représentation de la mort.

Le théâtre, « miroir du monde »

Le théâtre, c’est évidemment d’abord le plaisir d’un texte et d’un spectacle, mais nous avons pu découvrir combien ce genre lit-téraire était particulier, dans sa forme et ses évolutions. Les héritages esthétiques de l’Antiquité grecque ont influencé pour longtemps le théâtre français. Les innovations formelles, qui ont touché l’écriture théâtrale à l’époque romantique, ont ouvert la voie au théâtre du XXe siècle qui se caractérise en particulier par le mélange des registres.Plus encore que les autres genres, le théâtre est en prise avec la société : ses fonctions politique, sociale, philosophique, sont évi-dentes, et ce depuis ses origines grecques jusqu’à nos jours. L’homme met en scène, représente, joue à tout moment de son histoire les problèmes de la cité (tyrannie, conflits, choix idéologiques), les diffi-cultés ou les bonheurs de ses rapports avec autrui, les valeurs ou les ridicules d’une époque, ses certitudes comme ses interrogations sur le sens de l’existence… C’est à cette quête de sens que sert le théâtre, au-delà du divertissement qu’il peut constituer en mettant en scène nos peurs, nos vices, nos vanités et nos misères.

Et maintenant  ?... Aujourd’hui encore les crises que traverse notre société inspirent les auteurs, tel Jean-Louis Bauer avec Le roman d’un trader, mis en scène par Daniel Benoin. Dans cette pièce événement de la rentrée 201016, Lorànt Deutsch jouait le rôle du trader. L’intrigue est la suivante : alors qu’il croit pouvoir passer un tranquille week-end, le directeur général d’une grande banque découvre qu’un jeune trader a joué de manière frauduleuse avec 25 milliards d’euros à la bourse… assez pour faire couler la banque. Sa pièce librement inspirée de la célèbre affaire Ker-viel nous offre une satire du capitalisme, comme Molière déjà en son temps dénonçait des abus. De telles démarches artistiques montrent bien que le théâtre demeure encore et toujours un art citoyen.

Conclusion

16. Pour vous informer sur ce spectacle : http://culturebox.france3.fr et tapez dans l’onglet « Recherche » « Lorànt

Deutsch sur les planches dans la peau d�un trader ».

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Lecture cursive :Jean Racine, Britannicus

Britannicus est une tragédie politique écrite en 1669 par Racine au faîte de sa notoriété et de sa reconnaissance à la cour. Admiré par Louis XIV qui apprécie ses tragédies, Racine est un auteur en vue quand il fait jouer sa pièce. Il faut ainsi tenir compte du contexte pour mieux saisir la signi-fication de cette tragédie qui mêle intrigue politique et amoureuse. Bri-tannicus est inspiré d’un épisode de l’histoire romaine que Racine cite en préambule de sa tragédie. Il s’agit du moment où le jeune empereur Néron s’affranchit du joug maternel de sa mère Agrippine et devient pro-gressivement le tyran qui a laissé un souvenir sanglant dans l’Histoire.

Conseils de méthode pour la lecture cursive

Lire une tragédie en vers exige une certaine concentration et une atten-tion lors de la lecture car on est plus facilement habitué à lire de la prose. Contrairement à certaines idées préconçues, lire une tragédie en vers n’est pas difficile. Les termes de lexique vous sont expliqués par des notes, et l’appareil critique qui figure dans votre édition de la pièce vous fournit tous les renseignements qui peuvent vous manquer.

Je vous conseille cependant une lecture en trois temps :

E  Une première lecture pour découvrir l’œuvre, l’apprécier pour son ori-ginalité et sa force.

E  Une seconde lecture, crayon à la main, pour prendre des notes relatives aux éléments suivants : personnages, péripéties, passages importants.

E  Une troisième lecture, visuelle cette fois, en vous connectant sur cer-tains sites qui montrent des extraits de la pièce (vous pouvez saisir « Britannicus, mise en scène » dans la barre de votre moteur de recherche).

Exercice autocorrectif n° 3

Questions de lecture cursive

Les questions qui vous sont proposées suivent le déroulement de la pièce. Si vous ne parvenez pas à répondre à une question, replongez-vous dans l’acte qui y renvoie.

Acte I

Quand se situe l’action de Britannicus ? À quel épisode de l’histoire correspond l’intrigue de la tragédie ?

2 Où se déroule la première scène ? le choix de Racine est-il conforme aux principes de la tragédie classique ?

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3 Quels liens unissent les principaux personnages de la pièce ? Quel est le rôle de l’exposition à cet égard ?

Acte II

4 Quand Néron apparaît-il dans la pièce ? Commentez le choix de Racine

5 Dans quelles circonstances Néron découvre-t-il Junie pour la première fois ?

Acte III

6 De qui Narcisse est-il le confident ? Que pensez-vous du choix de Racine ?

7 Comment peut-on définir le caractère d’Agrippine ?

Acte V

8 Pourquoi, à votre avis, Néron ne répond-il pas aux violentes impréca-tions de sa mère à la scène 3 de l’acte V ?

9 Comment se termine la pièce ? Racine a-t-il voulu faire passer un mes-sage ?

➠ Veuillez vous reporter à la fin du chapitre pour consulter le corrigé.

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87Séquence 4 – FR20 87

Chapitre

1Corrigés des exercicesCorrigé de l’exercice n° 1

Le drame se veut le reflet de la réalité, en particulier de la dualité de la nature humaine, à la fois sublime et grotesque : une série d’an-tithèses des lignes 5 à 9 développe cette opposition inhérente à l’homme entre un être tourné vers la terre (la bassesse ou la laideur, ce qui fait rire : le grotesque) et l’autre vers le ciel (la noblesse des sentiments, la grandeur des situations : le sublime). Ceci aura pour conséquence une grande diversité des niveaux de langue.

2 Pour rendre compte de ces « contraires », Hugo préconise l’emploi d’un vers libéré des contraintes et pouvant s’adapter à tous les tons et tous les sujets.

Le drame romantique abolit en quelque sorte la distinction ancienne entre comédie et tragédie.

Corrigé de l’exercice n° 2

Le dénouement ne correspond en rien à la solution du conflit ni à la clô-ture de l’action : « Allons-y. Ils ne bougent pas. ». Pas de fin heureuse, comme dans la comédie, pas de mort ou de désespoir comme dans la tragédie. « La fin est dans le commencement et cependant on continue », constate Hamm dans une autre pièce de Beckett, Fin de partie. Les per-sonnages sont vivants, velléitaires comme au début de la pièce, ce qu’ils disent n’a aucun sens puisque rien ne s’est passé. « Quoi faire ? » se demandent Vladimir et Estragon qui passent leur vie à attendre que quelque chose se passe, errant comme des pantins ou comme des clowns. Les spectateurs ont attendu comme eux, désespérément. Ainsi (Beckett) juxtapose-t-il souvent le tragique et le comique. Ceux-ci, comme dans l’existence, se mêlent en alternant sans loi ni régularité. L’humour, l’illogisme et la dérision viennent briser l’émotion chaque fois qu’elle paraît sur le point de naître à la vue des images d’une société humaine désespérée. Le comique paralyse, chez les spectateurs, tout processus d’identification et de compassion vis-à-vis des bouffons mis en scène. Le bouleversement subsiste. (Itinéraires littéraires XXe siècle, éd. Hatier) C’est le théâtre de l’absurde, qui traduit et veut transmettre le désarroi contemporain devant l’absurdité de la condition humaine dans une forme nouvelle de tragique, désespéré et désespérant.

L’homme n’étant plus sûr de rien, tout se mêle dans la même dérision. Et ce sont les différentes formes de comique (mots, gestes, situation et

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personnages, la corde qui casse, le pantalon qui tombe…) qui mettent clairement en évidence cette situation tragique. « Rien n’est plus drôle que le malheur. », affirme Nell dans Fin de partie. Car c’est bien de mal-heur qu’il s’agit. Désespérés, les personnages songent dans ce dénoue-ment à se suicider. Ils ont conscience que leur vie n’a aucun sens, que leur seule raison de vivre est d’attendre Godot et que celui-ci ne vient pas (existe-t-il, ce Dieu tant attendu ?) et pourtant ils choisissent finalement de continuer à avancer : « Alors, on y va ? – Allons-y. »

Corrigé de l’exercice n° 3

Acte I

Quand se situe l’action de Britannicus ? À quel épisode de l’histoire correspond l’intrigue de la tragédie ?

On peut dater assez précisément le moment où se déroule l’intrigue puisque Racine fournit dans la préface certains éléments relatifs au contexte historique. Il s’agit du début du règne de Néron, né en 37 et qui devient empereur en 54, à l’âge de dix-sept ans. Il est le neveu par sa mère de l’empereur Caligula, également célèbre pour ses crimes. Les débuts de son règne sont placés sous l’influence du grand philosophe Sénèque, qui lui servit à la fois de guide intellectuel et de conseiller. Il en est rapidement question dans la tragédie de Racine. L’épisode que choisit de relater Racine dans sa tragédie coïncide donc avec les débuts du jeune empereur. Si cette vérité historique sert de base à la tragédie de Racine, ce dernier s’en éloigne cependant car il privilégie le conflit drama-tique à la véracité des faits. Au début de son règne, Néron est un empe-reur admiré et aimé ; les historiens s’accordent sur l’efficacité politique de ses décisions. Il possède de nombreuses qualités politiques et intel-lectuelles. Ce n’est que plus tard qu’il sombrera dans la folie tyrannique. La chronologie de la pièce ne correspond donc pas à celle de la réalité biographique : au début du règne de Néron, Britannicus n’a en effet que treize ans ! Mais Racine resserre les événements et utilise la détestable réputation de l’empereur romain pour créer une tension tragique supplé-mentaire et représenter « la naissance d’un monstre ». Quand Racine fait jouer Britannicus en décembre 1669, il a déjà écrit plusieurs tragédies. Protégé par Louis XIV, le dramaturge choisit pour la première fois une intri-gue inspirée de l’histoire romaine. Dans cette nouvelle tragédie en cinq actes et en vers, il veut montrer les débuts de Néron, empereur qui s’est rendu célèbre par ses débauches, ses crimes et sa folie. Sous le règne de Néron de nombreux crimes ont été commis, les chrétiens ont été persé-cutés et Jésus-Christ crucifié. C’est donc un parfait contre-exemple que Racine montre au roi Louis XIV à travers la vie de Néron.

2 Où se déroule la première scène ? le choix de Racine est-il conforme aux principes de la tragédie classique ?

Les didascalies de la première scène fournissent le décor de l’ensemble de la tragédie : « La scène est à Rome, dans une chambre du palais de

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Néron ». Ce choix n’est guère étonnant quand on sait que Racine applique très scrupuleusement la règle de l’unité de lieu. L’espace est en effet très important dans Britannicus, dans la mesure où il représente la sphère du pouvoir où vont s’affronter les deux principaux protagonistes, Agrippine et Néron.

3 Quels liens unissent les principaux personnages de la pièce ? Quel est le rôle de l’exposition à cet égard ?

Les quatre personnages principaux ont des liens de sang et des liens politiques. Néron est le fils d’Agrippine, veuve de l’empereur Claude qui avait adopté Néron de son vivant, comme l’autorisent les lois romaines. On soupçonne l’impératrice d’avoir fomenté l’empoisonnement de Claude, ce qui crée d’emblée un contexte familial « monstrueux » et criminel. Le rapport entre le fils et sa mère est au cœur de la pièce de Racine, c’est même son principal moteur psychologique et dramatur-gique. Racine montre le conflit qui grandit entre les deux personnages qui rivalisent de violence dans la recherche du pouvoir. Certaines lec-tures plus psychanalytiques de la pièce ont vu dans la tragédie de Racine la recherche de l’affranchissement du fils à l’égard d’une mère à la fois possessive et violente. Dans la tragédie, on constate à plusieurs reprises que Néron s’adresse à Britannicus en l’appelant « mon frère ». Britanni-cus est le fils de l’empereur Claude et de Messaline, et par conséquent le frère adoptif de Néron. Néron et Britannicus n’ont donc pas de véritable lien de sang, pas plus que Britannicus et Agrippine. Britannicus est en effet utilisé par Agrippine pour créer un contre-pouvoir, empêcher Néron de devenir omnipotent. Britannicus est en effet le fils légitime de l’empe-reur et, à ce titre, il peut prétendre accéder au trône. Junie n’a pas de lien direct avec ces trois personnages. Mais elle se trouve entre Britannicus et Néron. L’intrigue sentimentale rejoint donc ici l’intrigue politique.

L’exposition de Britannicus pose d’emblée les enjeux de l’intrigue et établit clairement les liens qui unissent les personnages. En présence d’Albine, dans la première scène, Agrippine rappelle « l’historique » des événements qui viennent de se produire.

Acte II

4 Quand Néron apparaît-il dans la pièce ? Commentez le choix de Racine.

Comme souvent dans les tragédies classiques, le personnage principal n’intervient pas dans l’acte I de la pièce. Ainsi Néron ne fait son entrée en scène qu’à la scène 2 de l’acte II. Ce choix est stratégique de la part de Racine. Tout d’abord, il ménage le suspense autour du principal pro-tagoniste de l’intrigue. En effet, le titre de la tragédie ne doit pas faire illusion : Britannicus n’est pas le personnage principal, même s’il est important. Mais parfois les auteurs choisissent de donner comme titre le nom d’un personnage de second rang. Néron entre concrètement dans l’action au second acte, mais sa présence plane sur tout l’acte I qui cor-

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respond à l’acte d’exposition. Le spectateur attend donc avec une cer-taine impatience qu’il intervienne. C’est donc après avoir posé certains enjeux politiques et amoureux de la pièce que Racine fait apparaître l’empereur. Cette entrée en scène est d’ailleurs spectaculaire sur le plan psychologique car on apprend que Néron est subitement tombé amou-reux de Junie. On peut considérer ce choix comme un coup de théâtre, puisque loin de se nouer autour d’une question politique, on devine que le conflit va s’organiser autour d’une rivalité amoureuse dont Junie est l’enjeu.

5 Dans quelles circonstances Néron découvre-t-il Junie pour la première fois ?

L’une des originalités de Britannicus, c’est que Racine ne montre pas la rencontre entre Junie et Néron, mais la décrit et la raconte par la bouche de l’empereur même. Néron relate ainsi la découverte nocturne de la jeune femme dans une tirade de la scène 2 de l’acte II. Cette descrip-tion de première rencontre montre d’emblée que la relation est univoque (elle ne va que dans un sens). Néron regarde Junie dans une position de « voyeur » et décrit dans un premier temps les éléments qui l’ont fasciné, puis dans un second temps les effets d’une telle vision, jusqu’à avouer que cette rencontre est un « coup de foudre amoureux ».

Acte III

6 De qui Narcisse est-il le confident ? Que pensez-vous du choix de Racine ?

Au début de la pièce, dans la liste des personnages, Racine précise que Narcisse est le « confident de Britannicus » (tandis que Burrhus est celui de Néron). Quand on lit la pièce, ce choix devient particulièrement inté-ressant car Narcisse n’a que très peu d’échanges avec Britannicus, tan-dis qu’il apparaît souvent en compagnie de Néron. Ce constat dévoile la nature et le type de personnage que Racine cherche à créer. Narcisse est un traître, vendu à la cause de Néron. Dans la plupart des scènes où il apparaît, le personnage manœuvre en faveur du futur empereur, et même avec un certain cynisme. Sa duplicité éclate dans la scène qui oppose Néron et Agrippine et dans laquelle l’impératrice dévoile au grand jour la trahison du confident : « Poursuis Néron, poursuis avec de tels ministres/Par des faits glorieux tu te vas signaler. » (V, 3). L’ironie méprisante d’Agrippine que suggère l’expression « tels ministres » renvoie Narcisse à ce qu’il est : un traître qui finira par mourir tué par la foule.

Sur le plan dramaturgique, Narcisse est un personnage pivot de l’intri-gue. Il est d’abord un faire-valoir pour Néron, et c’est grâce à ses ques-tions que le jeune empereur dévoile ses véritables intentions à l’acte II, et notamment sa passion pour Junie, aperçue la nuit.

7 Comment peut-on définir le caractère d’Agrippine ?

Agrippine est, après Néron, le personnage le plus important dans la pièce. Cette importance s’explique par le double statut qu’elle occupe :

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mère et impératrice. Mais c’est d’abord une femme de pouvoir dont le passé plus ou moins noir plane sur la tragédie. L’un des enjeux de la tragédie repose en effet sur la succession de Claude, époux d’Agrippine. Cette dernière, ayant fait adopter son fils Néron, est d’accord pour lui laisser prendre le pouvoir, tout en dirigeant l’Empire. On voit, au fil de l’intrigue, qu’Agrippine est animée par une forte volonté de pouvoir, au point d’utiliser Britannicus comme élément de conflit sur l’échiquier politique. Mais son attitude à l’égard de Néron est complexe, car il est aussi son fils. Les liens du sang sont perceptibles dans son discours, malgré les conflits qui l’opposent à Néron. L’intrigue de Britannicus n’est pas seulement la naissance d’un monstre : c’est aussi la chute annoncée d’une impératrice et la préfiguration d’un terrible matricide.

Acte V

8 Pourquoi, à votre avis, Néron ne répond-il pas aux violentes impréca-tions de sa mère à la scène 3 de l’acte V ?

Dans cette scène, l’attitude de Néron est passionnante à observer. Il est presque silencieux et toute son attitude est à imaginer ou à construire par le lecteur. Ce silence énigmatique peut révéler plusieurs éléments et s’interpréter de différentes façons. Soit Néron prend acte et écoute ce que sa mère a à lui dire, cette dernière ne lui laissant guère le loisir de rétorquer. Soit, retenant sa colère et sa haine, il prépare intérieure-ment sa vengeance. Mais un autre élément intervient : c’est Narcisse qui brise l’hypocrisie de la situation, après que Néron a feint de ne pas être informé de la mort de Britannicus ni d’en être le responsable. Une fois le crime avoué implicitement par Narcisse, Néron ne peut qu’écouter sa mère fondre sur lui en reproches. La réplique qui referme la scène, « Nar-cisse, suivez-moi » est une manière indirecte de répondre à Agrippine. Il lui indique par là qu’il a choisi son camp et qu’il fait fi de la longue tirade qu’elle vient de prononcer.

9 Comment se termine la pièce ? Racine a-t-il voulu faire passer un mes-sage ?

Comme souvent dans la tragédie, l’intrigue se termine mal, même si dans le cas précis de Britannicus, le nombre de morts est relativement peu élevé par rapport à d’autres pièces de Racine. Tout d’abord Néron fait assassiner Britannicus. Comme l’exigent les bienséances, ce crime n’est pas montré mais relaté dans un récit de Burrhus (acte V, scène 5). Narcisse est ensuite lynché par la foule qui, informée de ses traîtrises et de ses manigances, lui fait subir l’opprobre collective (acte V, scène 8). Ces deux actions qui se produisent hors scène dénouent la pièce : Junie se réfugie dans le temple des Vestales et devient inaccessible à Néron, alors qu’elle est proche de lui physiquement (les Vestales sont des reli-gieuses qui se retirent du monde et font vœu de chasteté). C’est donc un sort cruel pour Néron qui a sous les yeux l’objet de son désir sans pou-voir l’atteindre. Comme l’indiquent les vers suivants (« Il marche sans dessein, ses yeux mal assurés /N’osent lever au ciel leurs regards éga-

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rés »), Néron accuse le coup et se renferme dans sa noirceur. Le dénoue-ment s’achève sur cette triple image : mort, fuite de Junie et désespoir sombre de Néron. Il ne s’agit cependant pas d’un dénouement « fermé », puisque le spectateur devine qu’Agrippine sera la prochaine victime de son fils.

Pour approfondir votre lecture…

Dans quelle mesure peut-on dire que la tragédie de Racine illustre la formule : « la naissance d’un monstre » ?

L’intrigue de la tragédie se construit autour de la figure de Néron. Dans la première préface de Britannicus, Racine s’en explique : « Je l’ai tou-jours regardé comme un monstre. Mais c’est ici un monstre naissant. ». D’abord aimé du peuple et soumis aux ordres de sa mère, Néron apparaît en effet au moment où il se transforme. Racine montre comment l’amour maladif qu’il porte à Junie et la haine latente qu’il voue à sa mère révèlent sa monstruosité. Hanté par Junie, Néron est dominé par une passion qui le pousse au crime. Par effet de contraste, Britannicus semble la victime parfaite : honnête, fidèle et innocent, il s’oppose en tous points à Néron, son frère adoptif. Dominé par son désir pour Junie, rival de Britannicus, Néron laisse sa passion monstrueuse dominer sa raison. Britannicus décrit le désir violent qu’un jeune empereur a de dominer le monde. Au fil de l’intrigue, sa rivalité avec sa mère ne cesse de grandir, avant d’ex-ploser dans le dernier acte, illustrant l’un des vers de la pièce « l’impé-tueux Néron cesse de se contraindre ». Néron cesse d’être soumis. On a pu interpréter cet antagonisme entre le fils et la mère comme un désir de libération de la part de Néron qui jusqu’alors avait subi le joug maternel. Certaines approches psychanalytiques ont vu dans le conflit la tentative de Néron pour résoudre son « complexe d’Œdipe ». Peut-on appliquer à leur relation l’expression proverbiale « telle mère tel fils » ? Toutefois, le conflit cache des enjeux politiques : Agrippine sent que le pouvoir se dérobe et cherche à le garder. Dans Britannicus, Racine montre aussi un épisode crucial de l’histoire romaine : l’accès au pouvoir de Néron, mar-qué par un crime, préfigure la chute de l’empire romain.

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Lexique de la séquenceau théâtre, ce qui se passe sur scène.

réplique dite « à part » par un personnage, censée être entendue seule-ment par les spectateurs en échappant aux autres personnages.

comédie italienne apparue au XVe siècle. Les acteurs y portent des masques pour incarner des personnages types (tel Arlequin). Ils improvi-sent des lazzis et des saynètes sur des canevas bien connus.

c’est-à-dire la purgation des passions (selon l’étymologie grecque « pureté »), fonction théâtrale par laquelle le spectateur se retrouve « purgé » de ses vices ou défauts en assistant au spectacle du malheur des héros mis en scène. Dans l’idéal classique, la tragédie doit servir d’exemple au public pour le rendre meilleur.

mouvement culturel et littéraire du XVIIe siècle, qui considère comme beau ce qui est fondé sur l’alliance de la raison et du sentiment, le respect de la vraisemblance et des bienséances. Les thèmes sont souvent inspirés de l’Antiquité. En art, la ligne droite et la symétrie sont privilégiés.

chef du chœur dans la tragédie grecque. Il dialogue avec les acteurs.

résolution finale de l’intrigue qui met fin à la crise.

indication scénique donnée par l’auteur aux acteurs, fixant les noms des personnages, l’intonation des répliques, les gestes, les déplacements, ou encore les décors.

conflit intérieur vécu par un personnage lui imposant de choisir entre deux intérêts opposés, l’amour et l’idéal politique ou la gloire, la famille ou la cité.

nature de l’énonciation au théâtre qui prend en compte deux destina-taires, le(s) personnage(s) et les spectateurs.

(étymologiquement « action »). Genre théâtral du XIXe siècle, mêlant les registres comique et tragique.

figure de style visant à atténuer l’effet abrupt d’une réalité ou d’une idée.

genre théâtral reposant sur un comique trivial, des effets grotesques ou bouffons.

figure d’amplification ou d’exagération qui souligne ou met en relief une idée.

jeux de scènes, jeux de masque ou de mots improvisés pour faire rire dans la commedia dell’arte.

Action :

Aparté :

Commedia dell’arte :

Catharsis :

Classicisme :

Coryphée :

Dénouement :

Didascalie :

Dilemme :

Double énon-ciation :

Drame :

Euphémisme :

Farce :

Hyperbole :

Lazzi(s) :

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expression retenue qui dit le moins pour suggérer le plus. Ex : « Va, je ne hais point ». (Corneille, Le Cid)

registre littéraire qui vise à émouvoir le lecteur ou le spectateur au spec-tacle de la douleur physique ou morale.

unité de base de pièces du théâtre classique. Elle se définit par l’entrée ou la sortie d’un personnage.

longue réplique dans un dialogue de théâtre.

registre qualifiant un texte où l’enchaînement des faits voue le héros au malheur et à la mort, sans autre issue possible.

n

Litote :

Pathétique :

Scène :

Tirade :

Tragique :

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