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TRAVAUX et DOCOIIENTS de 1a COMMISSIO:N DE TERMINOLOGIE Série: TEX"rES FOHDA"l'EORS DE L'HYDROLOGIE

Série - Hydrologie.org · Castelli est connu pour avoir effectué de nombreuses ex périmentations et observations tant en astronomie, qu'en physique en particulier sur la chaleur,

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TRAVAUX et DOCOIIENTSde 1a

COMMISSIO:N DE TERMINOLOGIE

Série: TEX"rES FOHDA"l'EORS DE L'HYDROLOGIE

INTRODUCTION

L'hydrologie se cherche depuis des années, l'hydrologiedoute d'elle même et se pose la question de savoir s'il elleest une science. Dans ces cas là quoi de plus réconfortantque de rechercher, de retrouver ses racines?

C'est une des raisons qui nous pousse aujourd'hui à tenterde (re)découvrir les textes fondateurs des sciences de l'eauet à présenter un texte rare, peu connu d'un des péres denotre science, Benedetto CASTELLI, moine bénédictin,mathématicien d'Urbain VIII, ami et disciple de Galilée,qui, le premier, introduisit la vitesse dans le calcul dudébit des rivières.

Le texte de Castelli dont on appréciera toute la saveur,n'a, à notre connaissance, jamais été republié en totalitéen français, depuis sa première traduction de l'italien en1664. Il permet de se rendre compte de la "manière depenser" de nos ancêtres et de leur désir (déjà) de fonderscientifiquement l'hydrologie sur des bases mathèmatiques;on sera sensible aussi à l'aspect "opérationnel" de ladémarche de Castelli qui développe sa théorie dans le but derésoudre des problèmes bien concrets, ceux entre autres, dela distribution et de la répartition de l'eau entre les com­munautés et les individus. Il agit en "ingénieur" autantqu'en "scientifique" doublé d'un fin expérimentateur etn'est-ce pas encore là notre vocation?

Ce traité est issu d'une polémique entre Castelli etl'Architecte Jean Fontana, on en appréciera là aussi le ton,la perfidie et les rosseries qui ne seraient pas exotiquesdans un contexte moderne ...Déjà il était de bon ton defustiger les "experts" et les architectes. En un motCastelli est déjà un vrai Moderne.

Je vous invite donc à redécouvrir ensemble la modernité denos Anciens.

J.P.Carbonnel

Benedetto CASTELLI(dessin de R.Carbonnel 1996)

Notice biographique sur Benedetto CASTELLI

Benedetto Castelli est né à Brescia (Italie) en 1577 ou 1578et mort et enterré au monastère bénédictin de Montecassinoen avril 1643 ou 1644.

Il se fait moine à Brescia en septembre 1595 puis va aumonastére de Santa Giustina à Padoue en 1604 où il étudieavec Galilée dont il restera toujours le disciple et dont ildéfendra toujours vigoureusement les théories quand cellesci furent attaquées.

Il se consacra aux mathématiques qu'il étudia aux univer­sités de Rome et de pise. Dans cette dernière ville il oc­cupa la chaire de mathématique de 1613 à 1626. Il eut commeéléve Evangelista Torricelli, Giovanni Alfonso Borelli,Bonaventura Cavalieri et le propre fils de Galilée, vincen­zio.

Il devint le mathématicien attitré du pape Urbain VIII.C'est ce dernier qui lui confia la tâche "d'appliquer sonesprit au mouvement des eaux des Rivieres". Il en résulta lepetit livre dont nous présentons ci après la traductionfrançaise et qui dans sa version originale s'intitulait"Della misura dell'acque correnti". Ce traité fut publié lapremière fois en italien en 1628, eût plusieurs éditions enItalie avant d'être traduit en anglais en 1661 et enfrançais en 1664.

Il dit avoir été aidé dans sa tâche par les conseils du"sieur Chiampoli, Secretaire des brefs secrets du Pape" quialla même jusqu'à financer les expériences devant justifiersa théorie. Mais c'est évidemment à son maitre Galilée qu'ildoit le plus, ce dernier admiratif du travail de Castelliqualifia même son livre de "livre d'or"

Ce livre qui restaurait le principe de continuité de façontrès convainquante lui valu d'être considéré comme le pèrede l'école italienne d'hydraulique.

Les experts se battent toujours pour savoir si le travail deCastelli est un travail original ou s'il n'est que leplagiat de celui de Léonard de vinci aux notes manuscritesduquel il aurait pu avoir accés au vatican. Il semble qu'enabsence de preuves formelles le travail de Castelli puisseêtre considéré comme une contribution originale à la nais­sance de l'hydrologie moderne.

Déjà aux alentours du début de l'ére chrêtienne, Herod'Alexandrie avait décrit une méthode pour déterminer ledébit d'une source et mis en évidence le lien entre vitesseet débit mais il ne semble pas que Castelli en ait eu con­naissance et on peut dire qu'il redécouvrit de façon in­dépendante ce principe.

Castelli est connu pour avoir effectué de nombreuses ex­périmentations et observations tant en astronomie, qu'enphysique en particulier sur la chaleur, sur l'absorption etla transmission de chaleur des corps noirs et blancs .

Castelli aurait ainsi fabriqué et expérimenté vers 1639 lepremier pluviomètre utilisé en Europe. On en veut pourpreuve une lettre qu'il écrivit à Galilée et dont nous don­nons ici la version française à partir d'une traductionanglaise:

" ...étant retourné à Pérugia, une pluie nous suivait, pastrès forte mais constante et elle dura même une période de 8heures ou environ; et il me vint à l'idée d'examiner, étantà perugia, de combien le Lac (Thracimeno) avait augmenté ets'était élevé graçe à cette pluie, supposant (comme il étaitprobable) que la pluie avait été générale sur tout le Lac;et identique à celle qui tombait sur Perugia; et dans cedessein je pris un verre de forme cyclindrique, d'environune palme (environ 0,25 m.) de haut et d'une demi palme delarge; l'ayant placé dans l'eau suffisamment pour couvrir lefond du verre, je l'ai ensuite exposé à l'air libre pourrecueillir l'eau de pluie qui tombait dedans; je l'ai laisséainsi d'espace d'une heure; et ayant observé que durantcette durée l'eau s'était élevée de la hauteur de la lignesuivante (Castelli a tracé une ligne d'environ 10 mm de hautreprésentant la profondeur) je considère que si j'avais ex­posé à la même pluie un tel autre récipient iderttique àcelui ci, l'eau se serait élevée dans celui là selon la mêmemesure ..."

Là aussi les historiens des sciences ne sont pas tousd'accord et certains considérent que Castelli n'est pas lepremier à avoir fait des mesures de hauteur de pluie; lesJuifs de Palestine l'auraient devancé au cours du premiersiècle après J.C.

Quoiqu'il en soit, nous avons certainement là la toutepremière description d'une mesure pluviomètrique dans uncontexte d'étude hydrologique.

Il semble que Castelli ait fait d'autres mesurespluviomètriques mais apparemment pas de façon systématique.On a retrouvé aucune mesure ou série de mesures quiproviendrait de ses expériences.

C'est à un pionnier des sciences expérimentales et del'hydrologie en particulier que nous avons affaire ici. Onpeut donc considérer le texte présenté ci après comme un"texte fondateur" des sciences hydrologiques.

J.P.Carbonnel

Notes sur le texte original en français

Le texte présenté ci après est la copie d'un petit fasciculese trouvant à la Bibliothèque du Muséum National d'HistoireNaturelle de Paris sous la référence Ch.2887 (Fond Chev­reul). Il se présente sous un format 18,5 x 14 cm. et com­porte Vlllp. et 87 pages numérotées.

Il est composé de plusieurs parties

- "A Messeigneurs les Commissaires deputez par le Roy, pourla ionction des mers" (p.l-VI1)- Une dédicace "au TRES-SAINCT, TRES-BON ET TRES-GRAND PAPEURBAIN VIII" (page VIII)- Le "TRAICTE DE LA MESURE DES EAUX COURANTES", p.1 à 42,suivi par "Démonstration geometrique de la mesure des eauxcourantes", p. 42 à 55.- Le "Traicte du mouvement des eaux d'Evangeliste TOR­RICELLI, mathematicien du Grand Duc de Toscane. Tiré duTraicté du mesme auteur du mouvement des corps pesans quidescendent naturellement & qui sont iettez", p. 58 à 87.

Le texte présenté ici est uniquement le Traité de Castellicorrespondant aux pages 1 à 55.

Il a été copié au plus proche de l'original. Cependant pouren faciliter la lecture,un certain nombre d'aménagements ontété pris :- L'orthographe (y compris les fautes) a été conservée àl'exception des i quand ils figuraient des j et des u et vquand ils sont intervertis pour nOUSj par exemple "iour" aété transformé en "jour", "dv" en "du", "euident" en "evi­dent", "vn" en "un" etc ...j certains trémas sur les e finauxde verbes ont été supprimés, par exemple on a noté "con­tinue" au lieu de "continuê"j certaines lettres entreparenthèses sont indubitablement des oublis que nous avonscorrigésj les parenthèses commençant par a:, b:, correspon­dent à des notes de bas de page du document original, lesautres parenthèses figurent dans le texte originalj- la ponctuation, en particulier les nombreux point­virgules, virgules et &, souvent placés de façon curieuse,ont été conservés afin de rendre plus aisés la lecture et ledécoupage des phrases très longuesj- des espaces ont été ajoutés entre certains paragraphespour aérer le texte qui n'en contient pasj- certains mots apparaissent dans le texte même sous deuxorthographes différentes sans qu'on sache s'il s'agit d'une"faute de composition typographique ou d'une négligenceorthographique de l'époque, par exemple "list" et "lit","egalellet "esgalell,elles ont été conservéesj de même lesaccents sont souvent fantaisistes, ils manquent souvent surla préposition "àlljils sont aigus quand nous aurions misdes graves, nous leur avons gardé leur originalité.

- "Cane" (ou canne) est une mesure de longueur employéeprincipalement en Italie valant 2,23 métres; ainsi il estparlé de "dix canes quarrées" ce qui équivaudrait à environ50 métres cubes.- "Paulme" (ou paume) est une mesure de longueur qui a servià mesurer la hauteur des chevaux et qui serait équivalant àla hauteur d'un poing fermé; comme on sait qu'une paume vautun huitième de canne, la paume vaudrait 0,28 mètre.- "Quinaire" représente en hydraulique ancienne l'écoulement·de 5 pouces cubes (soit environ 2 litres si on prend lepouce à 25 mm) .- "Pouce" : * le Pouce d'eau ou Pouce du Fontainier étaitégal à la quantité d'eau qui s'écoule par une ouverture cir­culaire et verticale, d'un pouce de diamètre, faite à l'undes cotés d'un réservoir, à un pouce au dessous du niveau del'eau;

* en tant que mesure de longueur, on distingue:+ le "pouce français" valant 0,027 m.+ le "pouce anglais" valant 0,02539 m.

Enfin certains mots doivent être précisés:

- "blot" (d'où est venu se blottir: ramener son corps en untas) peut être traduit par "tas", "ensemble"- "cheute"est évidemment "chute" (d'eau)- "escouloir" est "écoulement", "ravine d'écoulement"- "debord" qu'on peut traduire par "crue"- "jetter" est employé pour "débiter", "couler, écouler"- "mesure" est employé pour "les mesures d'une section"(largeur et profondeur) d'une riviére, d'un canal; dans letexte il peut paraitre y avoir ambiguité entre largeur, sec­tion et débit d'une rivière , en réalité il faut distinguerentre la "mesure ordinaire" qui celle utilisée traditionnel­lement avant le travail de Castelli et en particulier parJean Fontana dont il pourfend les travaux, et la "mesure del'eau courante" qui est celle de Castelli dans laquelle ilintroduit la vitesse du courant.- "vaisseau" est employé pour "récipient"- "viste" est donné pour "rapide"

On notera que le mot "Riviere" est toujours écrit avec un Rmajuscule comme si l'auteur personnifiait son sujet d'étudeou l'élevait au rang d'entité absolue.

TRAICTE'DELLA MESVRE DESEAVX COVRANTES DE

BENOIST CASTELLI R ELI­GIEVX DV MONTCASSIN ET

Mathematicien du PaDe Vrbail1 VIII.~

TR.ADVIT D'ITALl'EN-EN FRANCOIS.

Auec vn diCcours de la ionétion des Mers t adrcaè a M~f.

féigncurs les Commi!faircs dcputcz par Sa Majdté.

Ellftmblt YrJ TrttifU d" ltf.ulltmel:t des tILU:: d'EI":'l1gelifie Te,rÎrclii

Mlf.thtT4(ltie.im du GrIL/Ill pue ,de TOfCll7lt, .4 "/' ' lit f's-I.S!'.64!4JIt;'-'f·.ht-.~:u.p~I&.-ls"l)l~u,'('Î.,,<~.n:"It,:p.._.I'::1".u<- 'p's".t: ',.~. TraJulc de Latlll Cil Fr:lll}ols.

A CASTRES,

Par' BER NA RD BAR C 0 V DA, Irnp=ime~r du Re,:" de 1:1

Cb"nJbrc de rEdiét~ de bdite Ville ~ Dio;cfe, 16'';.

TRAITE DE LA MESURE DES EAUX COURANTES

par Benoit CASTELLI

TRAICTE DE LA MESURE DES EAUX COURANTES de Benoist CASTELLIreligieux du Montcassin et mathématicien du Pape UrbainVIII.

Traduit d'italien en françois

Avec un discours de la ionction des mers, adressé à messeig­neurs les Commissaires deputez par Sa Majesté.

Ensemble un traicté du mouvement des eaux d'Evangeliste Tor­ricelli, Mathématicien du Grand Duc de ToscaneTraduit du Latin en François.

A CASTRES,par Bernard BARCOVDA, imprimeur du Roy, de la Chambre del'Edict, de la dite ville et Diocese. 1664

TRAICTE DE LA MESURE DES EAUX COURANTES

La recherche du mouvement dans les choses naturelles estdigne d'une si grande consideration que le Prince desperipaticiens a prononcé dans son Eschole cette Sentence sicommune que le mouvement n'estant point cogneu, la nature nel'est point aussi. Et c'est pour cela que les veritablesPhilosophes se sont si estudiés à la contemplation desmouvements celestes, & à la speculation des mouvements desanimaux qu'ils sont arrivéz à une merveilleuse sublimité, &subtilité d'esprit. Il faut comprendre soubs la mesmescience du mouvement tout ce que la Mecanique nous enseignedes Machines qui se meuvent d'elles mesmes, des Machines àvent, & de celles qui servent pour remuer avec peu de forcedes poids & des corps d'une grandeur extraordinaire. On peutdire qu'il appartient à la cognoissance du mouvement tout cequi a esté escrit de l'altération non seulement de noscorps, mais mesme de nos esprits, & en un mot cette amplematiére du mouvement est si estendue, qu'il y a peu dechoses qui tombent soubs nostre cognoissance, qui ne soientjointes avec le mouvement, ou qui ne dependent de luy, ouqui n'ayent du rapport a la science que nous en avonsj detoutes ces choses, il y a des docte~ traictés qui en ontesté escrits & composez par de très-grands esprits, maisparce que ces années passées j'ay eu l'occasion par ordre duPape Urbain VIII d1apliquer mon esprit au mouvement des eauxdes Rivières (qui est une matière difficile, très­importante, & qui a esté traictée par peu de personnes,) &j'y ay remarqué quelques particularitez que l'on avoit pasbien éxaminées n'y considérées jusques ici, bien qu'ellessoient de grande importace pour le public, & pour les par­ticuliers, j'ay creu qu'il estoit necessaire de les publier,afin que les plus grands esprits ayent l'occasion de traic­ter avec plus d'exactitude que l'on n'a encore fait d'unematière si utile & si necessaire, & qu'ils puissent suppleeraux defaux que j'auray fait dans ce petit & difficiletraicté. Je dis qu'il est difficile, parce qu'il est certainque ces cognoissances, bien que ce soit des choses qui nesont pas esloignées de nos sens, sont quelquesfois plus ab­struses & plus cachées que les cognoissances que nous avonsdes choses les plus esloignées . Car il ne faut point douterque nous ne cognoissons mieux les mouvements des Planetes, &le cours des Etoiles, que nous ne cognoissons le mouvementdes Rivieres & de la Mer, ainsi que le grand Philosophe denotre temps mon maistre, le docte & incomparable GaliléeGalilei a tres-bien remarqué dans son traicté des taches duSoleil.

Mais pour proceder avec l'ordre qui est convenable auxsciences, j'establiray quelques suppositions, & quelquescognoissances assez claires, desquelles je tireray de con­clusions principales: Et afin que ce gue j'ay escrit a lafin de ce discours, avec une méthode demonstrative et geom­etrique, puisse estre entendue, mesme par ceux qui n'ontjamais appliqué leur esprit à la Geometrie, j'ay taschéd'expliquer ma pensée par un exemple, & par la considérationdes mesmes choses naturelles, & avec le mesme ordre precise­ment avec lequel, je commencay de douter sur cette matiere.J'ay mis ce particulier traicté icy au commancement aveccette advis, que celuy qui veut avoir une plus ample & plusparfaite cognoissance des veritables & solides raisons, peuts'il veut, passer tout ce discours, & considerer seulementles demonstrations qui sont a la fin de ce traicté, & apresil peut revenir pour considerer ce gui est contenu dans lesCorollaires, & dans les appendices, toutes-fois cesdemonstrations pourroient encore estre laissées par celuyqui n'aurait pas veu les six premiers livres d'Euclide,pourveu qu'il entende bien ce gui suit.

Je dis dongues qu'ayant ouy souvent parler en diverses ren­contres de la mesure des eaux, des Rivieres, & desFontaines, & que l'on disoit, une telle Riviere a deux mille& trois mille pieds d'eau, & qu'une telle Fontaine a vingt,trente ou quarante pouces d'eau, bien que par ce moyen jerecogneusse gue tous ceux gui traictoient de ces choses par­loient & escrivoient de mesme façon & sans aucune diversité,mesme jusques aux plus sçavans & aux Ingenieurs : comme sic'estoit une chose gui ne peut recevoir aucune difficulté,toutesfois je me trouvois tousjours envelopé dans uneobscurité, qui me faisoit bien recognoistre que jen'entendois rien du tout, de ce dont les autres pensoientavoir une claire et parfaite cognoissance. Et ce doubte mevenoit d'avoir souvent observé plusieurs fossés et canauxqui conduisent l'eau pour faire moudre de Moulins, danslesquels fossés et canaux si l'on mesuroit l'eau, on latrouvoit assez grosse, mais si l'on mesuroit apres la mesmeeau en la cheute qu'elle faisoit pour faire tourner la rouedu Moulin, elle estoit beaucoup moindre, puis que souventelle n'arrivoit pas a la dixiesme, ny quelquesfois a lavingtiesme partie de la premiere mesure, en telle sorte quela mesme eau courante avoit une plus grande ou une pluspetite mesure en diverses parties de son lit, & c'est pourcela que la façon ordinaire de mesurer les eaux courantesestant vague & indeterminée, me semble justement estresuspecte d'erreur, puis qu'il faut que la mesure soit une,egale & determinée, & icy je suis obligé d~advouer ingenue­ment que le sieur Chiampoli Secretaire des brefs secrets duPape m'a donné de grandes lumières pour resoudre cette dif­ficulté, par la façon tres-exquise et tres-subtile avec la­quelle il raisonne sur cette matiere, de mesme que surtoutes les autres, mais encore outre cela il a fait

genereusement toute la depense necessaire pour me donnermoyen ces années passées de descouvrir par des exactes expe­riences toutes les particularités de cette observation.

Mais pour expliquer tout cecy plus clairement par un ex­emple, il faut supposer un vaisseau plein d'eau, tel queseroit un tonneau, lequel demeure toujours plein, bien quel'eau en sorte continuellement, & supposons que l'eau ensorte par deux robinets d'égale grosseur, dont l'un soit mis.au haut du tonneau, & l'autre en bas, il est certain quedans le mesme temps, dans lequel il sortira du robinet plushaut une certaine mesure d'eaui du plus bas il en sortiraquatre, cinq & davantage des mesmes mesures d'eau, selon quela différence de hauteur des robinets sera plus grande, &selon l'eloignement du robinet superieur de la surface & duniveau de l'eau qui est dans le tonneau & cela seratoujours ainsi, bien que, comme il a esté dit, les robinetssoient esgaux, & que l'eau en sortant remplisse toujoursleur canal. D'ou il faut remarquer premierementi que bienque la mesure des robinets soit esgale, neantmoins dans untemps egal il sort & passe par leurs trous une quantité in­egale d'eau. Et si nous considerons cecy plus attentivement,nous trouverons que l'eau qui sort par le robinet inferieurpasse avec beaucoup plus de vitesse que ne fait celle quisort par le robinet superieur, qu'elle qu'en soit la cause.Si doncques nous voulons qu'il sorte du robinet superieur lamesme quantité d'eau que de l'inferieur en un temps egal,qui ne voit qu'il faudra multiplier les robinets en lapartie superieure, & mettre au haut du tonneau un plus grandnombre de robinets, & d'autant plus grand que le robinetd'embas sera plus viste que celuy d'en-haut, ou bien fairele robinet superieur d'autant plus grand que l'inferieur,est plus viste que le superieur. Et ainsi en un temps egalil sortira une egale quantité d'eau du robinet superieur &de l'inferieur. Et partant supposé ce raisonnement, nouspourrons dire que toutes les fois que deux robinets dedifférente vistesse jetteront une egale quantité d'eau entemps esgaux, il faudra que le robinet moins viste soit plusgros, & ait le trou plus grand que le robinet plus visted'autant que le robinet le plus viste surpasse en vitesse lemoins viste, & pour exprimer la proposition en termes pluspropres, nous dirons, que si deux robinets d'inesgalevistesse jettent en temps esgaux une esgale quantité d'eau,la grandeur du premier a la grandeur du second, aura la pro­portion reciproque de la vitesse du second, a la vitesse dupremier, comme par exemple, si le premier robinet est dixfois plus viste que le second, il faudra que le second soitdix fois plus grand, & plus ouvert que le premier, & par cemoyen les ropinets jetteront en temps esgaux une esgalequantité d'eçU, & c'est le point principal, & le plus impor­tant dont il se faut tousjours bien souvenir, parce que decestuy-cy bien entendu dependent plusieurs choses tres­utiles, & qui meritent qu'on les entende.

Maintenant pour appliquer a notre dessein tout ce que nousavons dit jusques icy, je considere qu'estant tres-certainqu'en diverses parties d'une mesme Riviere, ou canal d'eaucourante, il passe toujours en temps esgaux, une esgalequantite d'eau (ce qui est encore demontré dans notrepremiere proposition) et estant encore vray qu'en diversesparties de la mesme Riviere, il peut y avoir diversesvistesses, il s'ensuivra par necessaire consequence, que laou la Riviere aura moins de vistesse, elle aura plus demesure, & aux endroits ou elle aura plus de vistesse, elleaura moins de mesure, & pour le dire en peu de mots lesvistesses des diverses parties de la mesme Riviere auronteternellement la proportion reciproque avec leurs mesures,ce principe estant estably pour fondement, que la mesme eaucourante va changeant la mesure, suivant qu'elle change devistesse, c'est a dire qu'elle diminue de mesure lorsqu'elle augmente en vitesse, & que lors qu'elle augmente enmesure, elle diminue en vistesse. Je passe a la considera­tion de divers accidens particuliers qui sont merveilleux encette matiere, & qui dependent tous de cette seule proposi­tion, la force de laquelle j'ay repeté plusieurs fois afinqu'elle fut bien entendue.

COROLLAIRE PREMIER

Et premierement de cecy il faut conclurre que les mesmesdebordemens d'un torrent, c'est a dire ces debordemens quiportent esgale quantité d'eau en temps esgaux, ne font pasla mesme hauteur ou mesure dans la Riviere, dans laquelleils rentrent, si ce n'est lors qu'en entrant dans la Riviereils acquierent ou pour mieux dire ils conservent la mesmevistesse, parce que si la vitesse qu'ils acquierent dans laRiviere est diverse, la mesure aussi sera diverse & par con­sequent la hauteur, ainsi qu'il a ete demonstre.

COROLLAIRE SECOND

Et parce qu'en mesme temps que la Riviere grossitd'avantage, il arrive aussi ordinairement qu'elle augmente aproportion de vistesse, de la vient que les mesmes debor­demens du torrent qui entre dans la Riviere font tousjoursleur mesure & leur hauteur plus petite, d'autant plus que laRiviere se trouve plus grosse, parce lors que l'eau du tor­rent est rentrée dans la Riviere, elle va toujours aug­mentant de degrés de vistesse, & à mesme temps elle diminued'autant de mesure & de hauteur.

COROLLAIRE TR.oISIESME

Il faut encore observer, que lors que la Riviere principaleest basse, s'il survient une pluye médiocre, elle ne laissepas de faire tout a coup un grand accroissement qui enfle laRiviere mais lors est desja grosse, bien qu'il survienne unegrosse et forte pluye, toutefois la Riviere ne croit pastant qu'elle aurait fait au commencement à proportion de lagrosse pluye qui est survenue : Surquoy nous pouvons direque cela depend particulierement, de ce qu'au premier caspendant que la Riviere est basse, elle se trouve assezlente, & partant le peu d'eau qui y entre va lentement, &passe avec peu de vistesse, & par consequent occupe beaucoupde mesure, mais lors que la Riviere est desja grosse, lanouvelle eau qui arrive la rendant encore plus viste, est lacause que la grande quantite d'eau qui survient, a moins demesure & ne fait pas une si grande hauteur.

COROLLAIRE QUATRIESME

De ce qui vient d'estre demonstré il est manifeste, que lorsqu'un torrent entre dans une Riviere, quand elle est basse,alors le torrent se meut avec une telle vistesse, qU'ellequ'elle soit, passant par ses dernieres parties, parlesquelles il communique avec la Riviere, & si l'on mesurele torrent en ces parties là, il aura une telle mesure, maislors que la Riviere croist, & qu'elle s'enfle, alors lesmesmes parties du torrent viennent à croistre de grandeur, &de mesure, encore qu'en ce temps là le torrent ne donne pasplus d'eau qu'il en donnoit auparavant, de sorte que lorsque la Riviere aura grossi, il nous faudra considerer deuxbouches du mesme torrent, l'une plus petite avant que laRiviere fut enflée, l'autre plus grande aprés qu'elle a étéenflée, lesquelles bouches déchargent une esgale quantitéd'eau en temps esgaux, doncques la vistesse sera plus grandepar la petite bouche, que n'est la vistesse par la grandebouche, & ainsi le torrent sera retardé de son cours or­dinaire.

COROLLAIRE CINQUIESME

De cette opération de la nature procede un autre effet dignede consideration, qui est que le cours d'eau estant retardé,comme il a esté dit en cez dernieres parties du torrent,s'il arrive que le torrentdevienn.e trouble, et que son eausoit retardée, en tellé sorte cm.' f;=].J~ ne puisse pas emporterces parties terrestres'qui la rendent .t+o~~~, a,~orsle tor­rent deviendra clair, en laissant tomber ces petites partiesqui rehausseront le fond de son lict à l'endroit des

dernieres parties de son cours dans la Riviere, & ce rehaus­sement & residence des parties terrestres sera aprèsemporté, lors que la Riviere s'abaissant le torrentreprendra sa premiere vistesse.

COROLLAIRE SIXIESME

Puis que nous avons demonstré que la mesme eau courante adiverses mesures dans son canal, selon que sa vistesse estdiverse, en telle sorte que tousjours la mesure de l'eau estplus grande, là ou la vistesse est moindre, & au contrairequ'il y a moins de mesure, là ou il y a plus de vistesse ;de là nous pouvons fort bien rendre la raison du proverbevulgaire, garde toy des eaux dormantes, car si nous consid­erons la mesme eau d'une Riviere aux endroits ou elle estmoins viste, a cause de quoy elle est appelée coye oudormante, elle aura necessairement plus de mesure, qu'auxendroits ou elle est plus viste, & pourtant elle sera aussiplus profonde & plus dangereuse à passer à gué, & c'est pourcela que l'on dit fort bien, garde toi des eaux coyes &dormantes, laquelle façon de parler a esté apres appliquéeaux choses morales.

COROLLAIRE SEPTIESME

NouS pouvons aussi conclure de ce que nous venons dedemonstrer, que les vents qui souflent dans l'embouchured'une Riviere, & qui retardent son cours & sa vistesse or­dinaire, sont essentiellement cause que la mesure de lamesme Riviere devient plus grande, & par consequent ilscausent principalement, ou plustost si vous voulez ils con­tribuent puissamment à causer les inondations extraordinaires que les Rivieres ont accoustumé de faire. Et c'est unechose tres-asseurée, que toutes les fois qu'un vent fort &continuel souflera contre le courant d'une Riviere, & qu'ilretardera son cours, en telle sorte que dans le temps danslequel elle faisoit auparavant cinq mille, elle n'en fassequ'un seulement, une telle Riviere croistra cinq fois plusde mesure, bien qu'il ne luy survienne d'autre eaud'ailleurs; ce qui merveilleux, mais pourtant tres­veritable, car telle proportion que la vistesse de l'eau aavant le vent, avec la vistesse apres le vent, telle propor­tion reciproque a la mesure de la mesme eau apres le vent, ala mesure devant le vent, & parce que nous supposons en casicy que la vistesse soit cinq fois moindre, doncques lamesure sera augmentée cinq fois plus qu'elle n'estoitauparavant.

COROLLAIRE HUICTIESME

Nous pouvons tirer vray-semblablement de là la cause des in­ondations du Tybre qui arriverent à Rome soubs Alexandre VI& Clement VII lesquelles arriverent en temps beau & serein,& sans que l'on en peut attribuer la cause aux neiges fon­dues, ce qui donna beaucoup a parler aux esprits de ce tempslà. Mais nous pouvons asseurer avec beaucoup de probabilitéque le Tybre vint a cette hauteur & deborda de cette sorte,par le retardement de ses eaux, causé par les vents violens,& continuels, qui soufflerent alors contre son courant,ainsi que remarque l'Histoire de ce temps là.

COROLLAIRE NEUFIESME

Puis qu'il est manifeste que par la grande abondance d'eaules torrens peuvent croistre, & qu'eux seuls peuvent ensuitefaire enfler les Rivieres extraordinairement, & puis quenous avons demonstré qu'une Riviere sans y adjouster aucunenouvelle eau, mais par le seul retardement de son cours,peut grossir & deborder, & qu'elle augmente d'autant plus demesure, qu'elle diminue de vitesse, de là il est manifesteque chacune de ces causes estant assez puissante elle seule,& séparement, de faire enfler une Riviere, lors que parhazard toutes les deux se rencontreront ensemble, ellescauseront alors de tres-grandes & tres-dommageables inonda­tions.

COROLLAIRE DIXIESME

Par mesme raison on peut facilement resoudre la difficulté,qui a travaillé, & qui travaille encore tous les jours lesplus diligens, mais peu advisés observateurs des Rivieres,lesquels mesurant les Fleuves & les torrens qui entrent dansune autre Riviere; comme par exemple, ceux qui entrent dansle Po, ou ceux qui entrent dans le Tibre, & ayans assemblétoutes ces mesures, & comparans les mesures des Rivieres &des torrens qui entrent dans le Tibre, avec la mesure duTibre mesme, & les mesures de ceux qui entrent dans le Po,avec la mesure du Po mesme, ne les trouvent pas esgales,comme il leur semble qu'elles devroient estrel & celai parcequ'ils n'ont jamais pris garde au point tres-important de ladiversité de la vistesse, & qu'elle est une cause tres­puissante pour changer merveilleusement la mesure des eauxcourantes; mais nous resolvons tres-aisement la difficulté,nous pouvons dire que ces eaux diminuent de leur mesure, désqu'elles sont entrées dans la Riviere principale, parcequ'elles augmentent de vistesse.

COROLLAIRE ONZIESME

Pour n'avoir pas compris la force de la vistesse de l'eau, &qu'elle change de mesure, & devient plus grande, lors que lavistesse diminue, & moindre, lors que la vistesse augmente:l'Architecte Jean Fontana se resolut de mesurer & de fairemesurer par un de ses nepveus, tous les fossez, & toutes lesRivieres, qui deschargerent leurs eaux dans le Tibre, autemps de l'inondation qui arriva a Rome en l'année 1598 & ilfit imprimer un Livret, dans lequel, apres avoir amassé lamesure de l'eau extraordinaire, qui entre dans le Tibre, iltrouve son compte, qu'il y en avait environ cinq cens canesplus que de l'ordinaire; & à la fin de ce traicté, il con­clud que pour délivrer entierement Rome des inondations duTibre, il seroit necessaire de faire deux autres canaux,egaux a celuy qui y est a present, & que moins suffiroit; &trouvant apres, que toute l'eau du debordementestoit passéesous le pont de Quatro Capi (l'ouverture duquel a beaucoupmoins de mesure que cinq cens canes) il conclud que sous cePont estaient passées Cent cinquante une canes d'eau pressée(j'ay mis precisement le terme d'eau pressée, dont s'estservi Fontana) en quoy je remarque plusieurs erreurs.

La premiere desquelles est, d'avoir creu que la mesure deces eaux prise dans les canaux de ces fossez, & de cesRivieres, dut se conserver la mesme dans le Tibre; ce qui,sous son support, est tres-faux, toutes les fois que ceseaux estant dans le Tibre, ne conservent pas la mesmevistesse, qu'elles avoient dans les canaux, dans lesquelsFontana & son nepveu les avoient mesurées, & tout cela estmanifeste par les choses que nous avons expliquées cy­devant, parce que si ces eaux lors qu'elles sont dans leTibre augmentent en vitesse, elles diminuent de leur mesure,& si elles diminuent de leur vistesse, elles augmentent enmesure.

Pour un second je considere que les mesures de ces fossez ouRivieres, qui entrerent dans le Tibre au temps del'inondation, ne sont pas entre elles reellement les mesmes,toutes les fois que leurs vistesses ne sont pas esgales, en­core bien qU'elles ayent le mesme nom de canes ou depaulmes; d'autant qu'il se peut faire qu'une ernboucheurededix canes quarrées de l'un de ces fossez, aura porté dans leTibre au temps de l'inondation, quatre, dix & vingt foismoins d'eau, qu'une autre ernboucheure esgale à la premiereen grandeur n'en aura dégorgé, ce qui sera arrivé lors quela premiere bouche aura esté, quatre, dix ou vingt foismoins viste que la seconde. Là ou lors que Fontana ramasseles canes, & les paulmes des mesures de ces fossez, &rivieres en un blot, il fait la mesme faute que feroit celuyqui blotteroit ensemble diverses monnoyes de differente

valeur, & de differens pais, mais qui seroient appelléesd'un mesme nom, comme si lIon disoit que dix escus de mon­noye de Rome, quatre escus d'or, treize escus de Florence,cinq escus de Venise & huit escus de Mantoue fissent en toutquarante escus d'or ou quarante escus de Mantoue.

Pour un troisiesme, il se pouvait faire que quelque Riviere,ou fossé, aux endroits les plus proches de Rome, au temps dudébordement du Tibre, n'y jettoit pas plus d'eau qu'à sonordinaire: & certes c'est une chose claire, que si les eauxqui causoient le debordement venoient des parties super­ieures, un tel fossé, ou Riviere auroit augmenté de mesure,de la maniere que nous avons remarqué au quatriesme corol­laire de sorte que Fontana auroit accusé une telleRiviere, ou fossé, comme s'il eut esté cause de l'inondationqui neantmoins n'y auroit rien contribué.

Pour un quatriesme, il faut remarquer qu'il pouvoit arriver,que non seulement une telle Riviere ne fut pas cause del'inondation, encore qu'elle eut augmenté de mesure, maismesme qu'elle eut servy a diminuer l'inondation, en crois­sant de mesure dans son canal; Ce qui est assez evident,d'autant que, supposé que cette Riviere au temps du déborde­ment n'eut pas d'elle mesme & de sa propre source, plusd'eau qu'a l'ordinaire, il est certain que lleau du Tibrecroissant & s'enflant dailleur, cette Riviere pour se mettrea niveau avec l'eau du Tibre, auroit retenu ses eaux propresdans son lit, sans les décharger dans le Tibre, où plutostelle en auroit receu dans son canal de celles du Tibre; & decette maniere au temps de l'inondation, une moindre quantitéd'eau seroit allée a Rome, & neantmoins la mesure de cetteRiviere auroit esté augmentée.

pou+ un cinquiesme Fontana se trompe lors qu'il conclud quepour delivrer Rome des débordemens du Tibre, il seroitnecessaire de faire deux autres canaux de la Riviere quifussent aussi larges que celuy qui y est maintenant, & quemoins suffiroit: je dis qu'il se trompe, & pour le con­vaincre aisement de son erreur, il suffit de dire que toutel'eau de debordement estant passée soubs le pont de QuartoCapi ainsi que luy mesme asseure, il ne faudroit qu'un canalqui fut aussi large que l'ouverture du Pont, pourvu quel'eau y coulat avec la mesme vistesse, qu'elle couloit soubsce pont, au temps du debordement du Tibre, & au contrairevingt canaux aussi larges que celuy du Tibre ne suffiroientpas, si l'eau couloit dans ces vingt canaux vingt fois pluslentement qu'elle ne couloit au temps de l'inondation.

Pour un sixiesme, il me semble que c'est une grande foi­blesse de dire qu'il passoit cent cinquante-une canes d'eaupressée soubs le Pont de Quarto capi, car je ne comprendspas que l'eau soit comme le coton, ou la laine, qui sont de

matieres qui peuvent estre serrées & pressées, comme il ar­rive aussi a l'air, lequel peut estre comprimé en tellesorte, que si une certaine quantité d'air est selon la con­stitution naturelle dans un lieu déterminé, & qu'il leremplisse tout, on peut par force & violence le presser entelle façon, que l'on le resserrera dans un lieu beaucoupplus petit, & que l'on mettre dans le premier lieu quatre &six fois plus d'air, qu'il n'y avoit auparavant, comme il sevoit par l'experience en l'Arcquebuse à vent, qui a esté in­ventée de notre temps par vincenzo Vincent d'Urbin, & cettemesme compression de l'air se voit aux fontaines portativesdu mesme vincent, qui jettent en haut l'eau par la force del'air comprimé, lequel cherchant à reprendre sa naturelleconstitution, & à se dilater fait cette violence contrel'eau. Mais je ne sçache point que l'eau se puisse presser,en telle sorte qui si avant la compression elle occupe uncertain espace, estant en sa constitution naturelle: je disque je ne pense pas qu'il soit possible en la comprimant delui faire occuper un plus petit espace, car si cela sepouvoit faire, il s'ensuivroit que deux vaisseaux d'esgalemesure, mais de hauteur inesgale seroient d'une capacite in­esgale et celuy qui seroit plus haut contiendroit plusgrande quantite d'eau, & par mesme raison un Cylindre ouautre vaisseau plus haut que large pourroit une plus grandequantité d'eau estant debout que s'il estoit couché, parcequ'estant debout, l'eau qui seroit mise dedans seroit pluspressée.

Et pourtant en notre cas, nous dirons suivant nos principes,que l'eau de ce débordement passa toute soubs ledit Pont,parce qutestant la tres-viste, elle avoit par consequentmoins de mesure, il faut remarquer dela, dans quelles er­reurs lIon tombe par ignorance d'un veritable & reel fonde­ment, qui apres estant cognu, & bien entendu dissipe toutesles doubtes & resout aisement toutes les difficultez.

COROLLAIRE OOUZIESME

La mesme errreur de ne prendre pas garde a la diversite desvistesse, en la mesme eau courante; est cause que les in­genieurs & autres qui se meslent des eaux; font souvent degrandes fautes; & fort importantes (& j'en pourrois rap­porter des exemples que je passe soubs silence par de bonnesconsiderations) lors quIils pensent, ou qu'ils proposent,qu'en tirant de nouveaux canaux des grosses Rivieres, ils endimineront la mesure de l'eau, & qu'ils la diminueront àproportion, selon la mesure de l'eau qu'ils font passer parle nouveau canal, comme par exemple, s'ils font un canal quisoit large de cinquante pieds, dans lequel on fasse coulerl'eau de la Riviere de la hauteur de dix p?-eds,ils pensentde diminuer la mesure de l'eau de la Riviere de cinq censpieds, ce qui pourtant ne reussit point suivant leur pensée,

& la raison en est toute preste, dautant que ce canal estantfait, l'eau qui reste dans la Riviere principale, diminue devistesse, & par consequent elle retient plus de mesurequ'elle n'avoit, auparavant que le canal eut esté tiré: &outre cela, si l'eau de ce nouveau canal ne conserve pas lamesme vistesse, qu'elle avoit auparavant dans la Riviereprincipale, &" que la vistesse diminue, il faudra qu'elle aitplus de mesure qu1elle avait dans la Riviere principale, &par consequent à bien compter, l'on n'aura pas tiré dans lenouveau canal si grande quantité d'eau, qui fasse diminuerla Riviere, a proportion de la mesure de l'eau qui est dansle canal, ainsi que l'on pretendoit.

COROLLAIRE TREIZIESME

Cette mesme consideration me donne occasion de des couvrirune erreur fort commune, & que j'ay remarqué en l'affairedes eaux de Ferrare, lors que je fus en ces quartiers là, auservice de Monseigneur de Corsini, qui, par la sublimité deson esprit m'a grandement aidé en ces contemplations; il estvray que j'ay esté long temps en doubte si je devois mettremon sentiment sur le papier, ou si je devois le tenir soubsle silence, parce que j'ay aprehendé que l'opinion communeconfirmée par plusieurs personnes, par une experience qui ade l'apparence, ne put pas seulement faire estimer fausse lapensée que j'ay sur cette matiere, mais encore discrediterauprés de tout le monde, tout le reste de ce Traibté. J'aipourtant enfin resolu de ne manquer point a moy-mesme, ny ala vérité en cette matiere, qui d'elle-mesme, & parplusieurs autres considerations est tres-importante, & il neme semble pas raisonnable, qu'aux matieres difficiles commeest celle-cy, nous nous laissions aller au sentiment du vul­gaire, parce que ce seroit une grande merveille, si en tellerencontres la multitude trouvoit la vérité, & il ne faudroitpas croire que ce fut une chose facile, si le peuple estoitcapable d'en descouvrir & la verité & la bonté : mais encorej'espere de declarer cette matiere de telle sorte, que lespersonnes d'un jugement solide seront entierement persuadés,pourveu qu'ils ayent bien dans l'esprit le principal fonde­ment de tout ce Traicté & bien que ce que je veuxproposer, soit une chose particuliere, comme j'ay desja dit,& qui ne regarde que l'interest de Ferrare; toutesfois sicette doctrine particuliere est bien entendue, l'on pourrafaire un jugement general & universel en tous les cas sembl­ables.

Je dis doncques pour une plus claire intelligence de toutcecy, qu'environ treze milles au dessus de Ferrare, prochede Stellata le grand Po se divise en deux branches, dontl'une va du coste de Ferrare & qui pour cela est appelée lePo de Ferrare, & la encore de nouveau il se divise en deuxautres branches, celle qui va a la main droite s'appelle le

Po d'Argenta & de Primaro, & celle qui va a gauche le Po deVolana, mais parce que le lit du Po de Ferrare est fortrelevé, il arrive qu'il est tout a fait vuide des eaux duGrand Po, si ce n'est lors qu'il est le plus enflé, caralors le Po de Ferrare estant bouché avec une chausséeproche de Bodeno, qui empesche que l'eau du grand Po ne peutpas y rentrer lors mesme qu'il est gros, les Seigneurs deFerrare ont accoustumé, lors que le Po menace de crever, defaire rompre cette chaussée, & par cette ouverture l'eau sejette avec tant de furie, & d'irnpetuosité,que l'on a remar­qué, que le grand Po en l'espace de peu d'heures diminued'environ un pied de hauteur. Par cette experience, tousceux avec lesquels j'ay parlé de cette matiere, ont témoignéqu'ils sont persuadés, qu'il est tres-utile d'entretenir cecanal, pour servir de décharge, lors que le Po devient groset enflé. Et certes à considerer la chose simplement, & à cequi paroit d'abord, il semble qu'on ne puisse pas doubter ducontraire, principalement que plusieurs examinans cecy plussubtilement, mesurent ce corps d'eau, qui coule par le canaldu Po de Ferrare, & ils font ainsi leur compte, que le corpsde l'eau du grand Po est diminué de toute la grosseur ducorps de l'eau, qui coule par le Po de Ferrare. Mais si nousretenons bien dans notre esprit, tout ce qui a esté dit aucommencement de ce Traicté, & combien est considerable ladiversité de la vistesse de la mesme eau, & qu'il est neces­saire d'en avoir une exacte cognoissance, pour conclurequ'elle est la veritable quantité de l'eau courante, noustrouverons manifestement, que l'advantage de cette des­charge est beaucoup moindre, que l'on ne pense en general, &de plus nous trouverons, si je ne me trompe, qu'il en arrivetant d'incommoditez, que j'inclinerois fort à croire, qu'ilseroit plus advantageux de boucher entierement ce canal quede l'entretenir. Toutesfois je ne suis pas si passionné pourmon sentiment, que je ne sois prest à changer d'advis, lorsque quelqu'un me fera voir de meilleures & de plus fortesraisons, principalement s'il a plutost bien compris le prin­cipe de ce Traicté, ce que je repete plusieurs fois, parcequ'il est absolument impossible, sans avoir bien entendu ceprincipe de traicter avec certitude de cette matiere, & nepas tomber dans de grandes erreurs.

Je considere doncques, qu'encore qu'il soit veritable, quesi, pendant que l'eau du grand Po est la plus haute, l'onromp la chaussée du Po de Ferrare, alors l'eau qui est plushaute, ayant une grande cheute dans le canal de Ferrare, yentre avec tres-grande impetuosité & vistesse; & qu'ainsi aucommencement elle court avec la mesme vitesse ou un peumoindre, vers le Po de Volona & d'Argenta dans la mer;toutefois quelques heures aprés, le canal du Po de Ferrareestant remply & l'eau du grand Po n'ayant plus tant de penteqU'elle avoit au commencement de l'ouverture, elle ne sedescharge plus avec tant de vistesse qu'auparavant, mais

avec beaucoup moinsr & par consequent il commence a sortirune beaucoup moindre quantité d'eau du Grand Po. Et si nouscomparons exactement la vistesse de l'eau au commencement del'ouverture de la chaussée; avec la vistesse que l'eau àquelque temps apresr & lors que le Po de Ferrare est remplYrnous trouverons peut estrer que celle la est quinze ou vingtfois plus grande que celle-cy. Et par consequent l'eau quisortira du grand POr apres que cette premiere impetuositésera passéer sera seulement la quinziesme ou la vingtiesmepartie de celle qui sortoit au commencement; & par mesmemoyenr l'eau du grand Po retournera dans peu de tempsrpresque à sa premiere hauteur. Et icy je veux prier ceux quine seroient pas entierement satisfaits de ce que je viens dedirer que pour l'amour de la veritér & pour le bien publicrils daignent prendre la peine d'observer exactementr lor­squ'au temps de quelque grand debord d'eaur l'on romp lachaussée au Bodenor & que dans quelques heures aprésr l'eaudu grand POr se diminue d'environ un piedr ainsi que nousl'avons dit cy-devantr qu'ils observentr dis-jer si aprés unjour ou deux l'eau du grand Po ne retourne presque a lapremiere hauteurr car si cela estoitr il seroit assez evi­dentr que l'utilité qui vient de cette descharger n'est passi grande que l'on pense universellement. Je dis qu'ellen'est pas si grande que l'on pretendr parce quer encore bienqu'il soit vraYr que l'eau du grand Po diminue de hauteurrau commencement de la descharger neantmoins ce bien n'estque pour un temps & mesme pour peu d'heures. Si les debor­demens· du Po & le danger qu'il y a de rompre la chausséeestoient de peu de duréer comme il arrive ordinairement auxdebordemens des torrensr en tel cas l'utilité de cette des­charge seroit de quelque considerationr mais parce que lesdebordemens du Po durent trente et quelquesfois quarantejoursr à cause de celar l'advantage de cette descharge estfort peu considerable.

Il reste maintenant que nous considerions les dommagesnotables qui arrivent de cette mesme descharger afin quefaisant reflexion sur celar & balançant les commoditez & lesincommoditezr l'on puisse juger adroitement & choisir lemeilleur party. La premiere incommodité doncques qui vientde cette descharger estr que les canaux de Ferrarer Primaro& Volana se remplissans d'eaur toutes les Rivieres qui sontdepuis Bodeno jusques a la merr sont en danger de creverr &il faut mettre de gens pour y prendre garde. Secondementrles eaux du Po de Primario ayans l'entrée libre dans leshautes valéesr elles les remplissent avec grand dommage detoute la campagne alentourr & empeschent les escouloirsd'eaur qui sont ordinairement dans ces valéesr en tellesorte que toute la diligencer la depense & le soin que l'onprend pour bonifier les valées superieures & pour les tenirvuides d'eaur sont perduesr vaines & inutiles. Pour unTroisiesmer je considere que ces eaux ayant pris leur coursembasr vers la merr par le Po de Ferrarer au temps que le

grand Po est le plus haut & le plus enflé; il est manifestepar experience, que lors que le grand Po diminue, alors ceseaux, qui vont par le Po de Ferrare, commencent a se retar­der en leur cours, & enfin elles tournent leur courant enhaut vers Stellata, demeurans premierement dans llentre-deuxdu temps, coyes & dormantes; & partant, laissant tombertoute l'ordure qui les rendoit troubles, elles comblent lelit de la Riviere & le canal de Ferrare. Pour un quatriesme& dernier, de cette mesme décharge, il arrive un autre dom­mage considerable qui est semblable a celuy qui arrive,·apres qu'une Riviere a crevé & rompu les bords; car au des­sous de l'endroit qui a esté crevé, il se forme dans lecanal de la Riviere, un certain dos, c'est a dire, que lefond de la Riviere se hausse, comme il est assez cognu parl'experience; aussi en mesme façon la chaussée, estantrompue a Bodeno, il arrive la mesme chose que si la Riviereavait crevé, dlou s'ensuit apres le rehaussement aux partiesinferieures du grand Po, aprés que l'on a passél'emboucheure de Panaro. De la je desire que toutes les per­sonnes qui entendent ces matieres, jugent quel dommage celaapporte. Et partant l'utilité estant si petite & les dom­mages si grands & si considerables, qui arrivent de ce quelIon entretient ce canal & cette décharge, je croirois qu'ilvaudroit mieux que l'on tint cette chaussée en bon estat, &bien bouchée a Bodeno, ou en autre endroit propre, & nepermettre point que les eaux du grand Po allassent jamais ducosté de Ferrare.

COROLLAIRE QUATORZIESME

L'on observe aux grandes Rivieres, qui entrent dans la mer,comme font en Italie le Po, l'Adige & l'Arne, qui, à causede leurs debordemens sont defendues par des levées de terre,qu'aux endroicts, qui sont esloignez de la mer, elles ontbesoin de levées, qui soient d'une hauteur considérable,laquelle va toujours diminuant, a proportion que les canauxde ces Rivieres, sont plus proches de la mer, de sorte quele Po estant esloigné cinquante ou soixante milles de lamer, ainsi qu'il est aux environs de Ferrare, il a deschaussées qui ont vingt pieds de hauteur sur l'eau or­dinaire, mais n'estant seulement esloigné que de dix oudouze mille de la mer, les levées n'ont pas douze pieds par­dessus l'eau ordinaire, bien que la largeur de la Rivieresoit esgale, d'ou il paroit que le mesme debordement abeaucoup plus de mesure, loin de la mer, qu'il n'en a, lorsqu'il est plus prés, & toutesfois il semble, que la mesmequantité d'eau passant par tous les endroits du canal, ilfaudroit aussi, que la Riviere eut par tout besoin de lamesme hauteur des levées: Mais nous pouvons par nos princi­pes rendre raison de cet effet, & dire que l'excez, oul'accroissement de la quantité d'eau, par dessus l'eau or­dinaire, va tousjours en prenant de nouveaux degrez de

vistesse, tant plus l'eau s'approche de la mer,& par cemoyen elle diminue de mesure, & par consequent de hauteur:Et ça esté peut estre la principale raison, pour laquellependant l'inondation de l'année 1598. le Tibre ne sortit pasde son lit au dessous de Rome jusques à la mer.

COROLLAIRE QUINZESME

Par la mesme doctrine l'on peut rendre clairement la raison,pourquoy les eaux tombant en bas deviennent plus subtiles &plus deliées en leur cheute, de sorte que la mesme eaumesurée au commencement-de la cheute, est plus grosse, & aplus de mesure, & aprés en descendant elle diminue demesure, à proportion qu'elle s'eslo(i)gne du commencement desa cheute. Ce qui ne depend d'autre chose, que de ce qu'entombant elle acquiert plus de vistesse, veu que c'est uneconclusion tres cognue parroyles Philosophes, que les corpspesans tombans en bas, tant plus ils s'esloignent du com­mencement de leur mouvement, tant plus ils acquierent devistesse, & par consequent un fil d'eau, comme un corpspesant, augmente de vistesse en tombant, & à mesme tempsdiminue de mesure & de grosseur.

COROLLAIRE SEIZIESME

Et pour une raison contraire les jets d'eau qui montent enhaut, font un effet tout contraire, c'est à dire, qu'au com­mancement ils sont plus déliés, & à mesure qU'ils montent,ils deviennent plus gros, & la raison en est manifeste,d'autant qu'au commencement leur mouvement est assez viste,mais apres il se ralentit peu à peu, & par cette raison cesjets d'eau sont déliés à l'issue du tuyau, & puis enmontant, ils se font plus gros, ainsi que l'on voit,

Dependance premiere

Pour n'avoir pas consideré, combien la diverse vistesse, quela mesme eau coulante a en diverses parties de son canal,est puissante pour changer la mesure de la mesme eau, & pourla faire tantost plus grande, tantost plus petite, je pensesi je ne me trompe, que Julius Frontinus celebre & ancienescrivain peut estre tombé dans cette erreur, dans le secondLivre qu'il a fait des Acqueducts de la ville de Rome, en ceque, ayant trouvé la mesure de l'eau ln commentaris (a:c'est à dire dans les registres publics) moindre qu'ellen'estoit ln errogatione (b: c'est à dire au lieu ou elleestoit distribuée) , de 1263 Ouinaires (c: La quinaire estun tuyau dont le diametre, est d'un doigt, & d'un quart dedoigt, ainsi appelée à cause qu'elle a cinq quarts de doigtde diametre), il creut que cette si grande diversité,

procedoit de la negligence de ceux qui avoient mesuré l'eau,mais lors qu'aprés il mesura luy mesme avec soin la mesmeeau au commencement des Acqueducts, la trouvant plus grandede dix mille quinaires ou environ, qu'elle n'estoit in com­mentariis, il pensa que l'excez, & ce qu'il y avoit de plus,avoit esté usurpé par les Officiers, & par ceux qui avoientdroit, de prendre partie de ces eaux; ce qui pouvoit estreen partie, parce qu'il n'est que trop vray, que le publicest presque tousjours mal servi: mais outre cela, je penseencore, à prendre la chose absolument, que outre la fraudedes Officiers, la vistesse de l'eau, au lieu ou Frontin lamesura, pouvoit estre differente de la vistesse qui setrouvoit aux autres lieux, ou elle avoit esté mesuréeauparavant par les autres, & par consequent la mesure del'eau pouvoit, ou plutost devoit estre necessairement dif­ferente, veu que nous avons demonstré que les mesures de lamesme eau courante, ont entre elles la proportion reciproquede leurs vistesses, ce que Frontin ne considerant pas bien,& trouvant l'eau in commentariis de 12755 quinaires, inerogatione de 14018. & par la mesure qu'il avoit fait luymesme ad capita ductuum (a:c'est à dire au commencement desAcqueducts) de 22755 quinaires ou environ, il creut qu'ences lieux icy il passat une difference quantité d'eau, c'està dire plus grand ad capita ductuum, qu'elle n'estoit in er­rogatione, & il creut que celle-cy estoit plus grande, quecelle qui estoit in commentarits.

Dependance Seconde

Un erreur semblable fut faite il n'y a pas longtemps enl'Acqueduct de l'eau de Paul, laquelle devoit avoir 2000pouces, & veritablement les Seigneurs de Bracciano endevoient, & en avoient donné autant a la Chambre Apostoli­que, & on la mesura au commencement de l'Acqueduct, maisapres cette mesure se trouva beaucoup moindre , estant faite& considerée dans Rome, & dela s'ensuivirent de grands mes­contentemens, & desordres, & tout cela parce que l'onn'entendit pas bien cette proprieté de l'eau courante, quiconsiste en ce qu'elle croit de mesure lors qu'elle diminueen vistesse, & qu'elle diminue de mesure lors que augmenteen vistesse.

Dependance Troisiesm.e

Il me semble que la mesme erreur a esté commise par tous cesexperts, lesquels pour empescher, que l'on ne detournat leReno de Bologne dans le Po des valées, ou il courtmaintenant; jugerent que le Reno estant, lors qu'il est leplus gros, d'environ deux milles pieds, & le Po estant larged'environ mille pieds, ils jugerent dis-je que mettant leReno dans le Po, il feroit monter l'eau du Po de de~x pieds,

de laquelle elevation d'eaux ils concluoient en suite degrands desordres[ & des inondations extraordaires[ ou bienune tres-grande depense[ & insuportable au peuple[ laquelleil faudroit faire pour relever les chaussée du POl & duReno[ & par de semblables raisonnemens foibles on troublebien souvent inutilement les esprits des interessez[ maismaintenant [ parce que nous avons demonstré[ il est manifesteque la mesure du Reno[ dans le Reno, sera differente de lamesure du Reno[ dans le Po; toutes les fois que la vistessedu Reno dans le Po, sera differente de la vistesse du Reno[dans le Reno [ comme il est determiné plus exactement dans laquatriesme proposition.

Dependance Quatriesme

Ces Ingenieurs, & ces experts se sont aussi trompés[ qui ontasseuré que mettant le Reno dans le POl il ne causeroitaucun accroissement de l'eau du Po: parce qu'il est vray[que mettant le Reno dans le POl l'eau monteroit tousjours[mais tantost plus[ tantost moins[ selon qu'il trouvera le Poplus[ ou moins rapide en sa course; de sorte que lors que lePo ira fort viste[ l'eau s'eslevera peul & lors que le mesmePo sera fort lent[ alors l'accroissement de l'eau seraremarquable.

Dependance Cinquiesme

Et icy il ne sera pas hors de propos de donner advis[ queles mesures, partages & distributions des eaux de fontaine[ne se pourront jamais faire justement [ si outre la mesure [on ne considere encore la vistesse de l'eau[ lequel poinctn'ayant pas esté pleinement & parfaitement entendu [ estcause tous les jours de plusieurs chagrins[ & deplaisirs ende semblables affaires.

Dependance Sixiesme

Il faut faire la mesme consideration, avec d'autant plus desoin & de diligence[ aux choses ou l'erreur aporte un plusgrand prejudice, je veux dire[ que ceux-la y doivent ydoivent prendre garde qui partagent & divisent les eaux[ quiservent pour arroser les campagnes [ ainsi qu'il se pratiqueaux terroirs de Bresse[ de Bergame, de Creme, de Parme[ deLodige[ de Cremone & autres lieux[ parce que si l'on n'a pasesgard au point tres-important de la diversité de lavistesse de l'eau[ mais seulement à la simple mesure or­dinaire[ il en arrivera tousjours du desordre[ & un tres­grand prejudice aux interessez.

Dependance Septiesme

Il semble que l'on peut remarquer, que tandis que l'eaucourt par un canal, ou par un tuyau, elle est retardée &retenue par l'attouchement des bords ou des costez du canal,lesquels estant immobiles, n'aydent point au mouvement del'eau, & interrompent sa vistesse: de cecy supposéveritable, comme je pense qu'il est tres-certain, nouspouvons descouvrir une erreur tres-subtile, en laquelle tom­bent ordinairement ceux qui divisent les eaux de fontaine,laquelle division a accoustume d'estre faite, au moins commeje l'ay veu pratiquer a Rome, en deux façons, ·la premiereavec de mesures de semblables figures, comme seroient decercles ou de quarrez, ayant fait divers trous dans une lamede metail, representans de cercles ou de quarrés, l'un dedemy pouce, llautre d'un pouce, de deux, de trois, dequatre,&c. avec lesquels ils adjoustent aprés les tuyauxpour dispenser l'eau. L'autre maniere de diviser l'eau defontaine, est avec de parallelogrames rectangles de la mesmehauteur, mais de diverses bases, en telle sorte semblable­ment, que un parallelograme soit de demy pouce, l'autre d'unpouce, de deux, de trois, &c. suivant lesquelles façons demesurer, & de diviser l'eau, il a semblé, que les tuyauxestans mis sur un mesme plan esgalement eslo(i)gné duniveau, ou surface superieure de l'eau du reservoir, & lesmesmes estant exactement faites, il faut aussi par con­sequent que l'eau soit divisée selon la mesme proportion,qu'ont les mesures entre elles. Mais si nous consideronsbien toutes choses, nous trouverons, que les plus grandstuyaux jettent tousjours plus d'eau, qu'ils ne devroient, encomparaison du plus petit, c'est a dire pour parler plusproprement, que l'eau qui passe par un plus grand tuyau, aplus grande proportion, à celle qui passe par un plus petit,que n'a le grand tuyau, au petit. J'explique cela par un ex­emple, prenez pour une plus facile intelligence deux quarrez( le mesme peut estre entendu de deux cercles, & de toutesautres figures semblables entre elles) que le premierquarré soit quadruple de l'autre, & que ces deux quarrezsoient les bouches des deux tuyaux, l'un estant de quatrepouces, l'autre d'un seulement. Il est manifeste par ce quenous venons de dire, que l'eau, qui passe par le plus petittuyau, est retardée en sa vistesse par la circonferance dutuyau, & ce retardement doit estre mesuré par la circon­ference mesme, il faut maintenant considerer, que si nousvoulions que l'eau, qui passe par le plus grand tuyau, futseulement quadruple a celle, qui passe par le plus petit, entemps esgaux, il seroit necessaire que non seulement letrou, & la mesure du plus grand tuyau, fut quadruple a lamesure du plus petit, mais encore que le retardement fut lequadruple au plus grand, de ce qu'il est au plus petit:

D []Or en ces cas icy, il est bien vray que la bouche &l'ouverture du tuyau est quadruple, mais le retardement nel'est pas, n'estant seulement que double, d'autant que lacirconference du grand quarré est seulement le double de lacirconference du petit quarré, veu que le plus grande cir­conference contient huict parties, de celles dont la pluspetit circonference en contient quatre, comme il est evidentpar les figures icy descrites, & par consequent, il passerapar le grand plus du quadruple de l'eau, qui passe par lepetit.On commet la mesme erreur, en l'autre façon de mesurer l'eaude fontaine, comme l'on peut comprendre aisement, de ce quenous avons dit & observé cy-dessus.

Dependance Huictiesme

Cette mesme contemplation descouvre l'erreur de ces Ar­chitectes , lesquels, lors qu'ils veulent bastir un Pont deplusieurs arches sur une Riviere, considerent seulement lalargeur ordinaire de la Riviere, qui estant par exemple, dequarante canes, & le Pont devant estre de quatre arches, illeur suffit que la largeur des quatre arches prise touteensemble, soit de quarante canes, ne considerant pas quedans le canal ordinaire de la Riviere, l'eau n'a seulementque deux empeschemens, qui retardent sa vistesse, à sçavoirles deux costez de la Riviere, que l'eau touche & frotte enpassant, mais la mesme eau, en passant sous le Pont, dontnous avons parlé, trouve huict semblables empeschemens, entouchant les deux costez de chaque arche, Je ne parle pointde l'empeschement de fond, parce qu'il est de mesme dans laRiviere que sous le Pont. Et pour n'avoir pas pris garde àcecy, il arrive de grands inconveniens, ainsi que la prati­que ordinaire le fait voir.

Dependance Neuviesme

Il faut encore considerer la grande, & merveilleuse utilité,que recoivent les campagnes, qui ne se vuident que dif­ficilement des eaux de pluye, a cause de la hauteur des eauxqui sont dans les principaux fossez, car en ce cas là lesbons mesnagers ont accoustumé de couper les herbes, & les

roseaux, qui sont dans les fossez, par ou l'eau passe, oul'on remarque que des aussitost que lIon a coupe les herbes/& les roseaux, le niveau de l'eau s'abaisse sensiblementdans les fossez, en telle sorte que l'on a remarquéquelquefois, qu'aprés cela l'eau s'est diminuée d'un tiers,& davantage, de ce qu'elle estoit auparavant. Il sembled'abord que cet effet depend, de ce que ces plantes occupentde la place dans le fossé, & que c'est pour cela, que l'eauest plus haute en son niveau, mais qu'aprés que ces plantessont ostées, l'eau abaisse, & qU'elle occupe la place,·qu'elles occupoient auparavant; laquelle pensée, bienqu'elle soit probable, & que d'abord elle semble satisfaire,elle ne suffit pourtant pas, pour rendre tout à fait laraison de ce notable abaissement, dont nous avons parlé :Mais il faut recourir à notre consideration de la vistessedu cours d'eau, qui est la cause principale, & veritable dela diversité de la mesure de l'eau courante, d'autant quectte multitude de plantes, herbes, ou de roseaux qui sontdans le courant de l'ea~, retarde sensiblement le cours del'eau, & par consequent la mesure de l'eau croit, & cesempeschemens estant ostez la mesme eau acquiert de lavistesse, & ainsi elle diminue de mesure, & par consequentde hauteur.

Et peut estre que ce point bien consideré pourroit grande­ment ayder, à dessecher les campagnes, qui sont autour desmarets de Pontine, & je ne doute point, que si l'on avaitsoin de bien nettoyer la Riviere de Ninfa, & les autres fos­sez de ce terroir, des herbes qui y naissent, ces eauxdeviendroient beaucoup plus basses, & par consequent les es­couloirs des champs s'y deschargeroient plus promptement,car il faut tousjours tenir cela pour une chose indubitable,que la mesure de l'eau, avant que le fossé soit nettoyé, ala mesure de lleau aprés qu'il est nettoyé, a la mesme pro­portion, que la vistesse aprés le nettoyement, lia a lavistesse avant le nettoyement, & parce que ces plantesestant ostées, le cours d'eau croist sensiblement, il fautaussi necessairement, que la mesme eau diminue de mesure, &par consequent qu'elle devienne plus basse.

Dependance Dixiesme

Puisque nous avons remarqué quelques erreurs qui se com­mettent en la distribution de l'eau de Fontaine, & de cellequi sert pour arroser la campagne, il semble qu'il soitnecessaire, pour finir ce discours, de remarquer, en quellefaçon ces divisions se peuvent faire utilement, & sans er­reur. Je croy doncques, que l'on peut diviser exactementl'eau de Fontaine en deux façons. La premiere, en examinantpremierement avec soin, qu'elle quantité d'eau jette toutela fontaine, en un certain temps & determiné, comme par ex­emple, tant de barrils, ou de tant de tonneaux, en ce mesme

temps: & de cette façon, ceux qui ont part a l'eau auroientponctuellemnt, ce qui leur appartiendroit, & ainsi iln'arriveroit jamais, que l'on dispensat une plus grandequantité d'eau, que ce qu'il faudroit, eu egard a lafontaine principale, comme il arriva à Julius Frontinus &ainsi qu'il arrive souvent aux Acqueducts modernes, avec ungrand prejudice du public, & des particuliers.

L'autre façon de partager la mesme eau de fontaine, qui estfort utile, & fort aisée, ce seroit d'avoir une seule mesurede tuyau, qui fut, par exemple, d'un pouce, ou d'un demypouce, & lors qu'il faut donner deux ou trois pouces d'eau,il faut mettre autant de tuyaux de la mesme mesure, qui jet­tent l'eau qu'il faut dispenser, & neantmoins s'il faut met­tre un seul tuyau plus grand, & que nous devions le mettrequi jette, par exemple, quatre pouces d'eau, il faudra puisque nous n'avons que cette premiere mesure d'un pouce, faireun tuyau, qui soit plus grand, que le tuyau d'un pouce; maisnon pas simplement en proportion quadruple, parce qu'il jet­teroit plus d'eau, qu'il n'en faudroit, comme nous avons ditcy-devant, mais il faut examiner exactement quelle quantitéd'eau jette le petit tayau, dans une heure, & aprés eslargirou resserrer le grand tuyau, jusques à ce qu'il jette quatrefois plus d'eau que le petit, dans le mesme temps, & par cemoyen on evitera l'inconvenient qui a esté remarqué à laseptiesme dependance. Il seroit pourtant necessaire,d'accomoder les'tuyaus du reservoir, en telle sorte, que leniveau de l'eau y demeurat tousjours, a une certaine marque& hauteur au dessus du tuyau; Autrement les tuyaux jet­teront, tantost plus, tantost moins d'eau, & parce qu'il sepeut faire, que la mesme fontaine a une fois plus d'eau, &une autrefois moins, il seroit bon d'ajuster le reservoir detelle façon, que ce qu'il y a d'eau, plus que d'ordinaire,versat dans les fontaines publiques, afin que les particu­liers eussent tousjours la mesme quantité d'eau.

Dependance Qnziesme

La division des eaux, qui servent pour arroser lescampagnes, est beaucoup plus difficile, parce l'on ne peutpas si aisement remarquer, qu'elle quantité d'eau coule dansun fossé, en un temps determiné, ainsi ce que l'on peutl'observer aux fontaines, toutesfois si l'on entend bien laseconde proposition, dont nous baillerons la demonstrationcy dessoubs; on en pourra tirer une façon assez asseurée, &assez juste pour distribuer les eaux de cette nature. Laproposition doncques que nous avons demonstrée est telle,s'il y a deux sections c'est à dire deux ernboucheures deRiviere, la quantité de l'eau qui passe par la premiere, acelle qui passe par la seconde, a la proportion composée desproportions de la premiere section, a la seconde, & de lavistesse par la premiere à la vistesse par la seconde. Ce

que je declare par un exemple en faveur de ceux qui nesçavent que la pratique, afin qu'il puisse estre entendu detous, en une matiere si importante. Qu'il y ait deux

1 A. 32.

32.8.4.

emboucheures de Riviere a & b & que l'emboucheure a aittrente deux paumes de mesure, & l'emboucheure b huictpaumes, il faut'icy remarquer qu'il n'est pas tousjoursveritable, que l'eau qui passe par ai aye a l'eau qui passepar bi la proportion, qu'a l'emboucheure a a l'emboucheure bsi ce n'est en cas (que) la vistesse de l'eau des deux em­boucheures fut egalei mais si la vitesse est inesgale, il sepeut faire, qu'il passera, par ces ernboucheures, une egalequantité d'eau en temps esgaux, bien que les mesures de cesemboucheures soient inesgales, & il peut estre encore, quela plus grande jettera plus grande quantité d'eau, & enfinil se peut faire, que la plus petite emboucheure jetteraplus d'eau, que la grandei & tout cela est manifeste, parceque nous avons remarqué au commencement de ce discours & parla seconde proposition.Maintenant pour examiner la proportion qu'a l'eau, qui passepar un fossé, avec l'eau qui passe par un autre, afin quececy estant cognu, nous puissions apres ajuster les mesmeseaux ou emboucheures des fossez, il faut que nous prenionsgarde, non seulement à la grandeur des emboucheures del'eau, mais encore à la vistesse, & nous ferons cela, entrouvant deux nombres, qui ayent entre eux la proportion,qu'ont les ernboucheures, tels que sont les nombres 32.& 8.en cas iCYi apres il faut examiner la vistesse de l'eau, parles ernboucheuresa & b (ce qui se pourra faire en remarquantl'espace par lequel une boule de bois, ou d'autre matiere,qui nage sur l'eau, sera portée par le courant, en un tempscertain, comme par exemple, en cinquante battement d'artere)& que l'on fasse apres, par la regle de trois, comme lavistesse par a à la vistesse par b ainsi le nombre 8. a unautre nombre, qui soit 4. Il est manifeste par la secondeproposition, que la quantité d'eau, qui passe parl'ernboucheurea, à celle qui passe par l'emboucheure b, aurala proportion que a 8. à 1 : telle proportion estant com­posée des proportions de 32. à 8. & de 8. à 4. c'est à direde la grandeur de l'emboucheure a à la grandeur del'ernboucheureb, & de la vistesse par a à la vistesse par b.

Aprés avoir fait cette consideration, il faut resserrerl'emboucheure qui jette plus d'eau qu'il ne faut ou eslargirl'autre qui en jette moins, ainsi qu'il sera plus commodedans la pratique, laquelle sera fort aisée a celuy, qui auraentendu ce peu de choses que nous avons remarquées.

On peut encore tirer plusieurs autres cognoissances de lamesme doctrine, lesquelles je passe soubs silence, parcequ'un chacun les peut facilement entendre de IUYffiesmepour­veu qu'il aye premierement bien estably cette maxime, qu'ilest impossible de prononcer rien de certain touchant laquantité d'eau courante, en considerant seulement la simplemesure ordinaire de l'eau, sans la vistesse, comme aussi aucontraire celuy qui ne considereroit seulement, que lavistesse sans la mesure tomberoit dans de tres-grandes er­reurs. D'autant que en traitant de la mesure de l'eaucourante, puisqu'elle est un corps, il est necessaire, pourformer une conception de sa quantité, de considerer en elle,toutes les trois dimensions, la largueur, la profondeur & lalongueur, les deux premieres dimensions sont obtenues partous, en la façon ordinaire de mesurer l'eau courante, maispour la troisiesme dimension qui est la longueur on lalaissée là. Et peut-estre que cela a esté fait ainsi, parceque l'on a creu, que la longueur de l'eau courante, estoiten quelque façon infinie, d'autant qu'elle ne met jamais finà son cours, & entant qu'infinie, on a creu qU'elle estoitincomprehensible, & par consequent qu'on ne pouvoit pas enavoir une cognoissance certainel & determinéel & c'est laraison pour laquelle l'on ne la pas determinée.Mais si nous faisons reflectionl avec plus d'attentionl surnotre consideration de la vistesse de l'eau, nous trouveronsqu'en la considerant & l'examinant, nous considerons aussi &examinons la longueur: d'autant que lors que l'on dit, quel'eau d'une fontaine coule avec une telle vistessel qu'ellefait mille, ou deux milles cannes par heure, ce n'est aufonds dire autre chose, sinon qu'une telle fontaine jette enune heure une quantité d'eau, qui a mille ou deux millecannes de longueur; de sorte que bien que la longueur totalede l'eau courante soit incomprehensible, comme estant in­finie, elle peut neantmoins estre comprise par ces parties,en sa vistesse, les advis que je viens de donner sur cettematiere suffiront maintenant, dans le dessein que j'ay dedecouvrir, en quelque autre occasion, plusieurs autres par­ticularitez plus cachées 1 & plus curieuse sur ce subjet.

DemonstrationGEOMETRIQUE DE LAmesure des eaux

courantes

'Ir 'Ir'Ir

SuppositionsI

Je suppose que les costez des Rivieres, desquelles on parle,soient a angles droits, avec le plan de la surface super­ieure de la Riviere.

IIJe suppose que le plan du fond de la Riviere, dont on parle,soit à angles droits avec les costez de la Riviere.

III

Je suppose que nous parlons des Rivieres lors qu'elles sontbasses, dans leur plus grande bassesse, ou lors qu'ellessont hautes, dans leur plus grande hauteur, & non lorsquelle passent de leur bassesse, a la hauteur, ou de lahauteur, a la bassesse.

Declaration des termes

I

Si une Riviere est coupée par un plan, qui soit a anglesdroits avec la surface de l'eau, & avec les costez de laRiviere, ce plan coupant de la sorte, sera apellé la sectionde la riviere, & cette section par les suppositions cy­devant faites, sera un parallelograme rectangle.

IIOn appelera section esgalement vistes, celles par lesquellesl'eau court avec une egale vistesse, & on apellera une sec­tion plus, ou moins viste qu'une autre, celle par laquellel'eau court 1 avec plus ou moins de vistesse.

-,

Axiomes

I

.Les sections esgales, & esgalement vistes jettent une esgalequantité d'eau, en temps esgaux.

IILes sections esgalement vistes, & qui jettent une esgalequantité d'eau en temps esgaux, seront esgales.

IIILes sections esgales, & qui jettent egale quantité d'eau, entemps esgaux, sont esgalement vistes.

IV

Lorsque les sections sont inesgales, mais esgalement vistes,la quantité d'eau, qui passe par la premiere section, a lamesme proportion, à la quantité d'eau qui passe par laseconde, que la premiere section à la seconde. Ce qui estmanifeste, parce que la vistesse estant la mesme, la dif­ference de l'eau qui passe sera selon la difference des sec­tions.

V

Si les sections sont egales, & d'inesgale vistesse, laquantité d'eau qui passe par la premiere, aura la mesme pro­portion, a celle qui passe par la seconde, que la vistessede la premiere section, a la vistesse de la seconde section: ce qui est evident, parce que les sections estant egales,la difference de l'eau qui passe, depend de la vistesse.

Demande

Une section de Riviere estant donnée, que l'on en puisse im­aginer une autre, qui soit egale a la donnée, de differentelargeur, & hauteur, & encore de differente vistesse.

Proposition premiere

Les sections de la mesme Riviere jettent esgale guantitéd'eau. en temps esgaux. bien que les mesmes sections soientinesgales.

Qu'il y ait deux sections a & b, en la Riviere c, gui couled'a vers b, je dis qu'elles jetteront esgale guantite d'eauen temps esgaux, d'autant que si une plus grande quantitéd'eau passoit par a qU'il n'en passe par b, il s'ensuivroitque l'eau croistroit tousjours dans l'espace de la Rivieregui est entre a & b, ce qui est manifestement faux; mais siune plus grande quantité d'eau passoit par la section b,qu'il n'en passe par a, l'eau dans l'espace d'entredeuxdiminueroit continuellement 1 & s'abaisseroit tousjours, cegui pourtant est faux; doncques la quantité d'eau qui passepar la section b, est esgale a celle qui passe par a. Cequ'il faloit demonstrer.

proposition seconde

S'il Y a deux sections de Riviere, la guantité d'eau guipasse par la premiere, a à la guantité d'eau gui passe parla seconde, la proportion composée de la proportion de lapremiere section a la seconde; & de la vistesse par lapremiere, à la vistesse par la seconde.

Qu'il y ait deux sections a & b de deux Rivieres, je dis quela quantité d'eau qui passe par al à celle gui passe par bla à la proportion composée des proportio(n)s de la premieresection a à la section b, & de la vistesse par a à lavistesse par b. Supposons une section egale en grandeur à lasection a, mais qui soit esgale en vistesse à la section b,& qui soit gl & faisons que comme la section a à la sectionb, ainsi la ligne f à la ligne dl & comme la vistesse par aà la vistesse par b, ainsi la ligne d à la ligne rI doncquesl'eau qui passe par a à celle qui passe par g ( à cause queles sections a & g sont egales en grandeur, mais inesgalesen vistesse) sera comme la vistesse par a à la vistesse parg ainsi est la vistesse par a à la vistesse par bl c'est adire la ligne d à la ligne r, doncques la quantité d'eau quipasse par a à la quantité d'eau qui passe par g, sera commela ligne d à la ligne r.

G

A

F

D

R

Mais la quantité qui passe par g à celle qui passe par b ( àcause que les deux sections g & b sont esgalement vistes)sera comme la section g à la section b, c'est à dire commela section a à la section b, c'est a dire comme la ligne f àla ligne d : doncques par la proportionalité egale, &troublée, la quantité d'eau, qui passe par a, à celle quipasse par b, aura la mesme proportion qu'à la ligne f à laligne r. Mais f a r a la proportion composée des des pro­portions de f à d, & de d à r, c'est à dire de la section aà la section b" & de la vistesse par a à la vistesse par b:doncques encore la quantité d'eau qui passe par la section aà celle qui passe par la section b, aura la proportion com­posée de la section a à la section b, & de la vistesse par aà la vistesse par b : & par consequent, s'il y a deux sec­tions de Rivieres, la quantité &c ... ce qu'il faloitdemonstrer.

Corollaire

Le mesme s'ensuit, bien que la quantité de l'eau, qui passepar la section a soit egale à la quantité d'eau, qui passepar la section b comme il est evident par la mesmedemonstration.

Proposition Troisiesme

S'il Y a deux sections inesgales, par lesquelles passe es­gale quantité d'eau en temps esgaux, ces sections ont entreelles la proportion reciproque de leur vistesse.

Qu'il y ait deux sections inesgales, par lesquelles passeesgale quantité d'eau en temps esgaux, a soit la plusgrande, & b la moindre, je dis que la section a aura à lasection b la mesme proportion reciproque qu'a la vistesse

par b, a la vistesse par a, d'autant que comme l'eau quipasse par a est a celle qui passe par b, ainsi la ligne esoit a la ligne f, doncques pour estre la quantité d'eau,qui passe par a, egale a celle qui passe par b, aussi laligne e sera egale a la ligne f.

B

E

G

F

Supposons encore, comme la section a à la section b, ainsila ligne f à la ligne g, & parce que la quantité d'eau quipasse par la section a a à celle qui passe par la section b,la proportion composée des proportions de la section a à lasection b, & de la vistesse par a à la vistesse par-b:doncques la ligne e a la ligne f aura la proportion composéedes mesmes proportions, c'est à dire de la proportion de lasection a à la section b, & de la vistesse par a à lavistesse par b, mais la ligne e a la ligne g, à la propor­tion de la section a à la section b, doncques la proportionqui reste de la ligne g à la ligne f, sera la proportion dela vistesse par a à la vistesse par b, doncques la ligne g àla ligne e, sera comme la vistesse par a à la vistesse parb, & par conversion, la vistesse par b à la vistesse par a,sera comme la ligne e à la ligne g i c'est à dire comme lasection a à la section b. Et partant s'il y a deux sections&c.... ce qu'il faloit demonstrer.

Corollaire

De la il est manifeste que les sections de la mesme Riviere(lesquelles ne sont autre chose que la mesure ordinaire dela Riviere) ont entre elles la proportion reciproque de leurvistesse, d'autant que, en la premier proposition, il a estédemonstré, que les sections de la mesme Riviere, jettent es­gaIement quantité d'eau en temps esgaux, doncques, par ceque nous venons de demonstrer, les sections de la mesmeRiviere, auront la proportion réciproque de leurs vistesses,& par consequent la mesme eau courante, change de mesure,quand elle change de vistesse, c'est à dire augmente demesure, lors qu'elle diminue de vistesse, & diminue demesure, quand elle augmente de vistesse.

De cela, principalement depend tout ce que nous avons dit,cy-devant dans les discours, & dans les Corollaires, &dependances que nous avons remarquées, & partant c'est unpoint qui merite d'estre bien entendu, & consideré.

Proposition quatriesme

Si une Riviere entre dans une autre Riviere. la hauteur dela premiere dans son propre lit. aura a la hauteur. gy'ellesera dans le second lit. la proportion composée des propor­tions de la largeur du lit de la seconde Riviere. à lalargeur du lit de la premiere. & de la vistesse acquise dansle lit de la seconde. a celle qu'il avoit dans son propre. &premier lit.

Supposons que la Riviere ab haute autant que ac & largeautant que cb, c'est à dire avec la section abc, entre dansune autre Riviere, large autant que la ligne ef, & qu'ellela fasse hausser de la hauteur de, c'est a dire que la sec­tion dans la Riviere, dans laquelle elle est entrée, soitdef : je dis que la hauteur ac à la hauteur de, a la propor­tion composée des proportions de la largeur ef, à la largeurcb, & de la vistesse par df a la vistesse par ab.

1

GÎIH

lLCB

D1EF

Supposez une section g esgale en vitesse à la section ab, &de largeur esgale à ef, & qu'elle jette une quantité d'eauegale à celle que jette la section ab en temps esgaux, & parconsequent egale à celle que jette df : qu'on fasse aprescomme la largeur ef à la largeur cb, ainsi la ligne h à laligne i, & cornela vistesse de df à la vistesse de ab, ainsila ligne i a la ligne l, doncques parce que les deux sec­tions ab & g sont egales en vistesse, & jettent egalequantité d'eau en temps esgaux, ce seront de sectionsegales, & partant la hauteur de ab à la hauteur de g, seracomme la largeur de g à la largeur de ab, c'est à dire commeef a cb, c'est à dire comme la ligne h à la ligne i. Maisparce que l'eau qui passe par g est egale a celle qui passepar def, partant la section g aura à la section def, la pro­portion reciproque de la vistesse par def à la vistesse parg : mais encore la hauteur de g a la hauteur de, est commela section g à la section def, doncques la hauteur de g est

a la hauteur de, corne la vistesse par def à la vistesse parg, c'est à dire comme la vistesse par def à la vistesse parab, c'est à dire finalement comme la ligne i à la ligne 1,doncques par la proportion esgale, la hauteur de ab c'est àdire ac, sera à la hauteur d, comme h a 1, c'est à dire com­posée des proportions de la largeur ef à la largeur cb, & dela vistesse par df a la vistesse par ab, & partant si uneRiviere entre &c ... ce qu'il faloit demonstrer.

proposition cinquiesme

Si une Riviere jette une certaine quantité d'eau dans uncertain temps, & gu'aprés il surviennent un debord d'eaux,la quantite qui se décharge en autant de temps, pendant ledebord, a à celle qui se déchargeoit auparavant, pendant quela Riviere estoit basse, la proportion composée des propor­tions de la vistesse du debord, à la vistesse de la premiereeau; & de la hauteur du debord, à la hauteur de la premiereeau.

Supposons une Riviere, laquelle pendant qu'elle est basse,coule par la section af, & apres il survienne un debordd'eaux, & qu'elle coule par la section df, je dis que laquantité d'eau qui se descharge par df a à celle qui se des­chargoeit par af, la proportion composée des proportions dela vistesse par df à la vistesse par ef, & de la hauteur dbà la hauteur ab. Posons que comme la vistesse par df à lavistesse par af, ainsi la ligne r soit à la ligne f, & commela hauteur db, à la hauteur ab, ainsi "la ligne f a la lignet, & posons une section lmn esgale à df en hauteur, &largeur, c'est à dire que lm soit egale à db, & mn esgale àbf, mais qu'elle soit esgale en vistesse à la section af,doncques la quantité d'eau, qui court par df, sera à cellequi passe par lm, comme la vistesse par df à la vistesse parln, c'est à dire à la vistesse par af, & d'autant que laligne r est à la ligne s, comme la vistesse par df à lavistesse par af,

~-------------,B-----F

R

S

T

I~--IM------N

doncques la quantité qui passe par df aura a celle qui passepar ln, la proportion de r a f, mais la quantite qui passepar ln, a celle qui passe par af, (à cause que les sectionssont egalement vistes) aura la proportion, qu'a la section

ln, a la section af, c'est à dire db, a ba, c'est à dire def a t, doncques par la proportion egale, la quantité d'eauqui passe par df, aura a celle qui passe par af, la propor­tion de r a t, c'est à dire composée des proportions de lahauteur db, à la hauteur ab, & de la vistesse par df, a lavistesse par af, et partant une si Riviere &c.... ce qu'ilfaloit demonstrer.

Annotation

L'on pourroit demonstrer la mesme chose par la secondeproposition cy-dessus demonstrée, ainsi qu'il est manifeste.

Proposition sixiesme

Si deux debords esgaux d'un mesme torrent entrent dans uneRiviere en divers temps, les hauteurs de la Riviere causéespar le torrent, auront entre-elles la proportion reciproquedes vistesses acquises en la Riviere.

Supposons deux debords esgaux du mesme torrent, a & b,lesquels entrant dans une Riviere, en divers temps, fassentles hauteurs cd & fg: c'est à dire que le debord a fasse lahauteur cd, & le debord b fasse la hauteur fg : c'est à direque leurs sections dans la Riviere, dans laquelle lesdebords sont entrez, soient ce, fh, je dis que la hauteur cdaura à la hauteur fg, la proportion reciproque de lavistesse par fh, à la vistesse par ce, d'autant que iaquantité d'eau qui passe par a, estant egale à la quantitéqui passe par b, en temps esgaux, aussi la quantité quipasse par ce, sera egale à celle qui passe par fh, & partantla proportion que la section ce a à la section fh, sera lamesme que de la vistesse par fh, est comme cd à fg, parcequ'elles sont de mesme largeur,

1

AB

1

:1

lE

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'H

doncques cd a fg aura la proportion réciproque de lavistesse par fh à la vistesse par ce, & partant si deuxdebords d'un mesme torent, &c....Ce qu'il faloit demonstrer.

FIN