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Introduction L’oxygène est avant tout le comburant indispensable à la vie animale et la source d’énergie indispensable à tous les hétérotrophes, c’est-à-dire les êtres vivants ne pouvant utiliser directement l’énergie solaire comme le font les végétaux chlorophyl- liens. L’apport d’oxygène doit être finement régulé, car les insuffisances sont domma- geables comme le sont les excès : l’hypoxie met en danger la vie cellulaire par défaut d’apport énergétique, et certaines formes réactives de l’oxygène, les ROS (Reactive oxygene species) la mettent également en danger en raison de leur toxicité. Afin d’in- former l’organisme des risques d’hypoxie ou de stress oxydatif, une signalisation peut être mise en œuvre, dont l’étude est l’objet de ce chapitre. En liaison avec le stress oxydatif, une forme spéciale oxydée de l’azote, l’oxyde nitrique, est un véritable messager intracellulaire, aux effets multiples, qui sera également étudié ici. La cellule tumorale est très sensible aux effets de l’hypoxie comme à ceux du stress oxydatif : elle réagira à la première en stimulant la vascularisation tumorale (angio- genèse), la production d’énergie indépendamment de l’oxygène, ou encore l’épargne de la synthèse protéique ; elle réagira à la seconde en mettant en œuvre des voies de signalisation encore incomplètement connues. Les formes réactives de l’oxygène apparaissent comme une épée à double tranchant, impliquées dans la cancérogenèse, mais peut-être utilisables pour lutter contre les cancers. L’hypoxie La principale signalisation mise en place en réponse à l’hypoxie est liée à l’activation d’un facteur de transcription, l’HIF (Hypoxia-inducible factor), qui induit l’expression d’un ensemble de gènes destinés à remédier à cette situation. C’est la quantité d’oxy- gène disponible qui est elle-même le signal permettant l’activation de l’HIF ; l’oxy- gène apparaît ainsi comme une véritable molécule de signalisation, un messager induisant la mise en place de réponses appropriées. Chapitre 16 Signalisation par l’oxygène et l’oxyde nitrique

Signalisation cellulaire et cancer || Signalisation par l’oxygène et l’oxyde nitrique

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Page 1: Signalisation cellulaire et cancer || Signalisation par l’oxygène et l’oxyde nitrique

Introduction

L’oxygène est avant tout le comburant indispensable à la vie animale et la sourced’énergie indispensable à tous les hétérotrophes, c’est-à-dire les êtres vivants nepouvant utiliser directement l’énergie solaire comme le font les végétaux chlorophyl-liens. L’apport d’oxygène doit être finement régulé, car les insuffisances sont domma-geables comme le sont les excès : l’hypoxie met en danger la vie cellulaire par défautd’apport énergétique, et certaines formes réactives de l’oxygène, les ROS (Reactiveoxygene species) la mettent également en danger en raison de leur toxicité. Afin d’in-former l’organisme des risques d’hypoxie ou de stress oxydatif, une signalisation peutêtre mise en œuvre, dont l’étude est l’objet de ce chapitre. En liaison avec le stressoxydatif, une forme spéciale oxydée de l’azote, l’oxyde nitrique, est un véritablemessager intracellulaire, aux effets multiples, qui sera également étudié ici.

La cellule tumorale est très sensible aux effets de l’hypoxie comme à ceux du stressoxydatif : elle réagira à la première en stimulant la vascularisation tumorale (angio-genèse), la production d’énergie indépendamment de l’oxygène, ou encore l’épargnede la synthèse protéique ; elle réagira à la seconde en mettant en œuvre des voies designalisation encore incomplètement connues. Les formes réactives de l’oxygèneapparaissent comme une épée à double tranchant, impliquées dans la cancérogenèse,mais peut-être utilisables pour lutter contre les cancers.

L’hypoxie

La principale signalisation mise en place en réponse à l’hypoxie est liée à l’activationd’un facteur de transcription, l’HIF (Hypoxia-inducible factor), qui induit l’expressiond’un ensemble de gènes destinés à remédier à cette situation. C’est la quantité d’oxy-gène disponible qui est elle-même le signal permettant l’activation de l’HIF ; l’oxy-gène apparaît ainsi comme une véritable molécule de signalisation, un messagerinduisant la mise en place de réponses appropriées.

Chapitre 16Signalisation par l’oxygène et l’oxyde nitrique

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Activation et rôle de l’HIF

L’HIF est un complexe hétérodimérique composé d’une sous-unité α sensible à l’oxy-gène et d’une sous-unité β insensible à l’oxygène. Il existe trois sous-unités α et deuxsous-unités β distinctes. En présence d’une concentration suffisante en oxygène, il existeune hydroxylation post-traductionnelle de certains acides aminés de la sous-unité α quila conduit vers l’ubiquitinylation et le protéasome (voir Annexe C). Une diminution dela disponibilité en oxygène entraîne une diminution de cette hydroxylation et unemigration vers le noyau de la sous-unité α qui peut alors, associée à la sous-unité β,exercer ses fonctions sur la transcription de ses gènes cibles. Il existe de nombreusesvoies de signalisation qui activent la transcription des HIF, en particulier les voies deprolifération ouvertes par les MAP kinases et la PI3 kinase (chapitres 2 et 3) ; denombreux facteurs de transcription induisent ainsi la synthèse des messagers de HIF,comme MYC ou NFκB.

Les sous-unités α possèdent un domaine ODDD (Oxygen-dependent degradationdomain) contenant deux résidus proline hydroxylés par une prolyl-4-hydroxylase(PHD), et un domaine C-terminal contenant un résidu asparagine hydroxylé par uneprotéine appelée FIH (Factor inhibiting HIF). Ces deux enzymes sont des dioxygé-

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Fig. 16-1 – La signalisation de l’hypoxie.En présence d’oxygène (A), le facteur de transcription HIF1α est hydroxylé dans le cytoplasmesur deux résidus prolines ; cela permet sa reconnaissance par la protéine VHL, qui fait partied’un complexe E3 qui le dirige vers le protéasome. En outre, HIF1α est hydroxylé dans le noyausur une asparagine, ce qui empêche sa reconnaissance par l’activateur de transcription CBP quipermet l’acétylation des histones.En absence d’oxygène (B), ces hydroxylations ne peuvent avoir lieu ; HIF1α est stabilisé et peutmigrer dans le noyau, reconnaître son partenaire HIF1β et initier la transcription via la fixationde l’activateur de transcription CBP.

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nases non héminiques utilisant comme substrats l’oxygène moléculaire et l’α-céto-glutarate, et comme cofacteur le fer ferreux Fe2+. C’est le défaut de leur substrat O2

qui est l’origine de la diminution de leur activité au cours de l’hypoxie. Les prolineshydroxylées sont reconnues par la protéine VHL (de von Hippel-Lindau disease), quifait partie d’une ubiquitine ligase E3 appelée VBC (VHL-elongin B-elongin C), quipermet au HIFα d’être conduit vers le protéasome. L’hydroxylation de l’asparagine,quant à elle, empêche la fixation sur HIFα d’un co-activateur de son activité trans-criptionnelle, CBP (CREB-binding protein), qui joue le rôle d’une histone acétyl-transférase (voir Annexe B).

Une fois dans le noyau, les sous-unités HIFα et HIFβ s’associent par l’intermé-diaire de leurs domaines N-terminaux et se fixent sur l’ADN via un site HLH (Helix-loop-helix, Annexe B) sur une séquence HRE (Hypoxia responsive element)appartenant au promoteur des gènes cibles. C’est au niveau C-terminal que se trouvele domaine de transactivation (TAD), dédoublé pour les HIF1α et HIF2α en un N-TAD indépendant de l’hydroxylation et un C-TAD inhibé par hydroxylation d’unrésidu asparagine par FIH. Quant à la sous-unité HIF3α, elle pourrait jouer un rôledominant négatif sur la transcription induite par les autres sous-unités α. Le gènecible le mieux connu des protéines HIF est celui du VEGF (Vascular endothelialgrowth factor, chapitre 1). Les HIF apparaissent ainsi comme des régulateurs fonda-mentaux de l’angiogenèse. Plusieurs dizaines de gènes cibles sont en outre sous ladépendance des HIF, impliqués en particulier dans le métabolisme énergétique, l’éry-thropoïèse, la vasodilatation, l’autophagie, toutes opérations pour lesquelles la dispo-nibilité en oxygène est capitale.

Conséquences de l’hypoxie sur l’angiogenèse tumorale

L’hypoxie représente le signal le plus important de promotion de l’angiogenèse.L’angiogenèse est indispensable à la croissance des tumeurs au-delà d’une taille dequelques millimètres, car les vaisseaux peuvent seuls apporter à la tumeur l’oxygèneet les nutriments nécessaires. En absence de vascularisation, les zones profondes destumeurs ne disposent pas de ces apports et deviennent rapidement nécrotiques, limi-tant la croissance tumorale. La néo-angiogenèse représente l’un des facteurs majeursde l’oncogenèse et son ciblage, suggéré de longue date comme pouvant apporter unearme thérapeutique importante, a permis effectivement des approches originales detraitement des cancers.

Une surexpression d’HIF est communément rencontrée dans les cancers humains,parfois associée à un pronostic défavorable. S’il n’existe pas de mutations activatricesconnues des gènes codant pour les diverses sous-unités des HIF, une mutation de type« perte de fonction » peut survenir au niveau du gène VHL, tout particulièrementdans les cancers du rein où elle est fréquente. En absence de l’activité de l’E3 ubiqui-tine ligase correspondante, la stabilisation des sous-unités α des HIF est augmentéeet son incidence sur la croissance tumorale majorée. Les agents anti-angiogéniquescomme le bévacizumab, un anticorps anti-VEGF (chapitre 1), ont fait la preuve deleur activité dans cette pathologie tumorale et dans d’autres.

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Conséquences de l’hypoxie sur le métabolisme énergétique tumoral

Parmi les gènes cibles des HIF figurent des gènes impliqués dans le transport et lemétabolisme anaérobie du glucose. Rappelons que, pour fournir de l’énergie sousforme d’ATP, le glucose peut être pris en charge par une voie principale, nécessitantde l’oxygène, la phosphorylation oxydative mitochondriale, et par une voie générale-ment secondaire, la glycolyse anaérobie cytosolique. Cette dernière est certes moinsrentable sur le plan énergétique (deux molécules d’ATP formées par molécule deglucose au lieu de trente-huit), mais elle peut avoir un grand intérêt pour les cellulesen situation hypoxique. En favorisant l’uptake du glucose et son engagement vers laglycolyse, les facteurs HIF permettent la survie des cellules hypoxiques. Il est connudepuis fort longtemps que les cellules tumorales ont un taux de glycolyse anaérobieélevé, même en situation de normoxie (effet Warburg) ; cela peut représenter unepréadaptation au risque d’hypoxie, sélectionnée génétiquement au cours d’épisodesrépétés d’hypoxie suivis de réoxygénation.

S’il n’existe pas, actuellement, de moyens de cibler les tumeurs par des agents quitueraient sélectivement les cellules privilégiant la glycolyse anaérobie par rapport à laphosphorylation oxydative, cette particularité des cellules tumorales est mise à profiten cancérologie dans le cadre d’une technique d’imagerie tomographique utilisant unémetteur de positons, le 2-désoxy-2-18F-glucose, un dérivé non métabolisable duglucose marqué au fluor 18.

Autres conséquences de l’hypoxie

Parmi les nombreux gènes régulés par les HIF figure le gène DDIT4 (DNA-damage-inducible transcript 4) codant pour la protéine REDD1/RTP801 (Regulated in deve-lopment and DNA damage responses). Cette protéine active le fonctionnement ducomplexe TSC1-TSC2, lui-même inhibiteur de l’activation, par la petite protéine GRHEB, de la protéine MTOR, que l’on sait être impliquée dans la synthèse protéique,la croissance cellulaire et l’autophagie (chapitre 3). L’hypoxie est donc pour la celluleun moyen de réduire la synthèse protéique de la cellule et de protéger sa survie par lapratique de l’autophagie.

D’autres cibles potentielles des HIF sont des gènes impliqués dans le déclenche-ment de l’apoptose (chapitre 18), via l’ouverture du pore de transition permettant lasortie du cytochrome c de la mitochondrie : des protéines de la famille BNIP (BCL2-interacting protein) interagissant avec BCL2 sont en effet induites par les HIF. Ilsemble que cette induction de l’apoptose puisse être mise en œuvre lorsque la celluleen état d’hypoxie ne peut envisager de survie.

Enfin, de nombreuses protéines jouant un rôle fondamental dans l’adhésion et lamigration cellulaires sont également induites par les HIF : vimentine (VIM), fibro-nectine (FN), kératines (KRT), métalloprotéinases (MMP), cathepsines (CTS).Indirectement, la E-cadhérine (CDH1, chapitre 7), qui joue un rôle majeur dans larépression de la transition épithélio-mésenchymateuse, est réprimée elle-même lors

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de l’activation des HIF. L’hypoxie est donc impliquée de façon importante dans lesphénomènes métastatiques.

Le stress oxydant

Génération des formes réactives de l’oxygène (ROS)

Les ROS sont produits de façon endogène à partir de l’oxygène moléculaire, au niveaude plusieurs organelles, tout particulièrement la mitochondrie qui est le lieu privilégiéd’utilisation de l’oxygène. Ils sont représentés principalement par trois espèceschimiques, le radical superoxyde O2

–�, le radical hydroxyle OH� et la molécule deperoxyde d’hydrogène H2O2. L’ion superoxyde est formé par réduction mono-élec-tronique de l’oxygène moléculaire lors d’une réaction catalysée par des enzymes aupremier rang desquelles figurent les oxydoréductases de la chaîne de transport d’élec-trons mitochondriale et les NADPH oxydases membranaires (NOX) :

NADPH + O2 � O2–� + NADP+

L’ion superoxyde est détoxiqué par les superoxyde dismutases (SOD), la Cu2+-Zn2+-SOD, localisée dans l’espace intermembranaire de la mitochondrie et la Mn2+-SOD, localisée dans la matrice mitochondriale. Cette dismutation génère le peroxyded’hydrogène selon la réaction :

2 O2–� + 2 H+ � H2O2 + O2

Le peroxyde d’hydrogène est lui-même détoxiqué par l’action de diversesenzymes : catalases (CAT) et peroxyrédoxines (PRDX). Toutefois, en présence decertains ions métalliques, comme le fer ferreux, mais aussi le cuivre, le chrome ou lecobalt, le peroxyde d’hydrogène peut entrer dans une réaction générant le radicalhydroxyle OH�, la réaction de Fenton :

H2O2 + Fe2+ � OH– + OH� + Fe3+

La réaction d’Haber-Weiss est également susceptible de générer le radical OH� :O2

–� + H2O2 � OH– + OH� + O2

Cette réaction combine en fait la réaction de Fenton avec la réduction du ferferrique par l’ion superoxyde :

Fe3+ + O2–� � Fe2+ + O2

Le radical hydroxyle est une espèce chimique très réactive, avec une demi-vie enmilieu aqueux de moins de 1 ns. Il réagira donc instantanément très près de son lieude formation et attaquera indifféremment toutes les régions moléculaires riches enélectrons, lipides, protéines et acides nucléiques, d’autant plus qu’il n’existe aucunmécanisme de détoxication de ce radical. Il s’ensuit la formation, au niveau de cesmolécules, de radicaux peroxydes ROO�. Ces derniers peuvent être détoxiqués par lesperoxyrédoxines, la thiorédoxine (TXN) et d’autres enzymes, comme les glutathionperoxydases (GPX) qui catalysent la réaction (fig. 16-2) :

G-SH + ROO� � 1/2 G-SS-G + ROH

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Les ROS peuvent également être à l’origine d’oxydations plus ménagées desprotéines, au niveau desquelles ils peuvent créer des ponts disulfure que glutathionou thiorédoxine peuvent également détoxiquer (fig. 16-2).

Rôle des ROS dans la cancérogenèse et la thérapie anticancéreuse

Au niveau des acides nucléiques, les ROS sont à l’origine de nombreux produitsd’oxydation des bases puriques et pyrimidiques, le plus fréquent étant la 8-hydroxy-guanine (voir Annexe A). Les ROS apparaissent ainsi comme des agents mutagènes etcancérogènes et la protection contre les ROS comme une voie de prévention descancers. De nombreux antioxydants comme l’acide ascorbique ou le β-carotène et des« scavengers » des ROS comme le resvératrol, la N-acétylcystéine ou la quercétine ontété proposés comme thérapie parallèle des cancers sans le moindre succès jusqu’à

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Fig. 16-2 – Détoxication des oxydations provoquées par les ROS.A. Les ROS peuvent attaquer les fonctions thiol de résidus cystéine de protéines P et former desponts disulfure. Le glutathion réduit G – SH est capable de réduire ces ponts disulfure en fonc-tions thiol en formant du glutathion oxydé G – S – S – G. Le glutathion réduit est régénéré grâceà une flavoprotéine à NADP réduit, la glutathion réductase GR. La thiorédoxine peut jouer lemême rôle que le glutathion ; elle est régénérée par une thiorédoxine réductase TR. La forma-tion de ponts disulfure sur certaines protéines, y compris la thiorédoxine, peut être le point dedépart d’une voie de signalisation. B. Les ROS peuvent oxyder des fonctions hydroxylées portées par des protéines P pour formerdes peroxydes. Le glutathion peroxydase GPx est capable de réduire les peroxydes en oxydant leglutathion réduit G – SH en glutathion oxydé G – S – S – G.

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présent. Les ROS sont également formés par l’action des radiations ionisantes sur lamolécule d’eau. Ils sont considérés comme un des modes majeurs de la cytotoxicitégénérée par la radiothérapie. L’effet des radiations ionisantes est grandement majorépar l’oxygénation des tissus irradiés (« effet oxygène »), et la potentialisation de laradiothérapie par une meilleure oxygénation des tumeurs a fait l’objet de nombreuxtravaux. Des agents générant spécifiquement des ROS au niveau des tumeurs sontégalement proposés en thérapeutique.

Rôle des ROS dans la signalisation cellulaire

Les ROS, en dehors de leur action délétère, peuvent agir en tant que molécules designalisation et contrôler de nombreux processus physiologiques : prolifération, diffé-renciation, adhésion, migration, apoptose. En amont, divers facteurs de croissance etcytokines sont susceptibles d’entraîner la formation de ROS en activant la transcrip-tion des NADPH oxydases. En aval, les ROS réalisent l’oxydation, au niveau de résiduscystéine, de kinases et de phosphatases diverses, modulant ainsi leur activité. Un autreniveau de régulation est assuré par les protéines de détoxication prenant en charge lesROS, comme les SOD. Un premier exemple est founi par l’activitation par les ROS dela MAP3K nommée ASK1 (Apoptotic signal - regulated kinase 1) qui est en amont desvoies JNK et p38 (chapitre 2). Cette kinase est maintenue inactive par une liaison avecla thiorédoxine. Cette dernière est activée par les ROS au niveau des fonctions thiolde deux cystéines pour former un pont disulfure, ce qui libère ASK1 et lui permetd’initier la cascade des MAP kinases. Un deuxième exemple est fourni par les facteursde transcription NFκB (chapitre 11), qui sont désactivés par oxydation par les ROSde thiols de résidus cystéine en ponts disulfure. Un autre groupe de facteurs de trans-cription, FOXO (Forkhead box class O, chapitre 3), sont spécifiquement activés par leperoxyde d’hydrogène et induisent la mort cellulaire ou un état de quiescence carac-térisé par une tolérance au stress oxydatif. Les peroxyrédoxines et la thiorédoxine sontcapables de réduire ces protéines oxydées et participent ainsi à la régulation de cesvoies de signalisation cellulaire.

Il se pose évidemment le problème de la spécificité dans ce rôle de signalisationde molécules très réactives ; si l’on peut concevoir, en raison de leur durée de vie, unecertaine spécificité de l’ion superoxyde ou du peroxyde d’hydrogène, cela n’est paspossible pour le radical hydroxyle. La signalisation via les ROS reste très controversée.Les bactéries ont développé de véritables systèmes de réponse aux ROS avec desrécepteurs de haute affinité qui sont maintenant bien individualisés. Il ne semble pasen être de même pour les mammifères, chez lesquels les réponses aux ROS semblentplus diffuses et moins spécifiques, s’exerçant au niveau de quelques facteurs de trans-cription comme MYC, NFκB, FOXO, p53 et un coactivateur du PPAR (chapitre 14)appelé PGC1 (PPAR gamma coactivator). Les données actuelles sont insuffisantespour donner une vue globale et bien systématisée de la signalisation par les ROS chezles mammifères.

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L’oxyde nitrique ou monoxyde d’azote

Génération du NO�

L’oxyde nitrique NO� est un composé radicalaire gazeux, très diffusible, de faiblepoids moléculaire, de demi-vie limitée à quelques secondes en milieu aqueux, toutescaractéristiques qui ont longtemps fait douter de sa qualité de messager intracellu-laire. Il est produit par les NO synthases (NOS), qui sont au nombre de trois : laneuronale (nNOS), l’endothéliale (eNOS) et l’inductible (iNOS), à partir de l’argininecomme donneur d’azote, de l’oxygène moléculaire et du NADPH comme donneurd’électrons. Ces enzymes sont des protéines héminiques, partageant une certainesimilarité avec les cytochromes, et agissent sous forme de dimères. Elles sont l’objetde modifications post-traductionnelles (acylation, phosphorylation, Annexe C). Ellessont activées par le Ca2+ par l’intermédiaire de la calmoduline (chapitre 15) et parcertaines kinases comme AKT. L’iNOS est induite en réponse à divers stimulus trans-criptionnels, comme certaines cytokines ou le NFκB (chapitre 12), et au contraireréprimée par d’autres facteurs de transcription comme p53.

Le NO� est produit en réponse à diverses stimulations endothéliales ou nerveuses ;il est capable de diffuser rapidement et exerce donc des effets paracrines, sur lescellules immédiatement voisines de celles où il est produit, fréquemment des cellulesmusculaires lisses. Le NO� joue de nombreux rôles physiologiques au niveau vascu-laire (flux, perméabilité, angiogenèse, etc.) et dans la transmission neuronale. Il estcytotoxique à forte concentration et exerce des effets pro- et antiprolifératifs selon lecontexte. Il est capable de réagir avec l’ion superoxyde pour donner l’ion peroxyni-trite ONOO–, très réactif et toxique, selon la réaction :

NO� + O2–� � ONOO–

ainsi qu’avec des protéines héminiques comme les guanylyl cyclases (voir ci-après) :

Fe2+ + NO� � Fe2+ – NO,sur lesquelles il peut entrer en compétition avec un autre ligand des hèmes, le

monoxyde de carbone CO. Il est enfin capable de provoquer la nitrosylation deprotéines au niveau de résidus cystéine, pour former un adduit –SNO.

Réponses cellulaires au NO�

La cible principale du NO� est la guanylyl cyclase cytoplasmique (GUCY), uneenzyme qui, à l’instar de l’adénylyl cyclase (chapitre 6), est capable de convertir leGTP en GMP cylique (cGMP), lui même dégradé en GMP par une phosphodiesté-rase. Les GUCY sont des hétérodimères αβ, et il en existe sept isoformes, dont uneseule cytoplasmique. L’oxyde nitrique se fixe sur le fer ferreux de l’hème et active l’en-zyme.

Le cGMP est capable de contrôler le fonctionnement de canaux cationiques, deprotéines kinases, ainsi que de certaines phosphodiestérases. Il existe une petite

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famille de sérine/thréonine kinases, les PKG ou PRKG, qui sont spécifiquement acti-vées par le cGMP. Les effets du cGMP sur la relaxation du muscle lisse, la neuro-transmission, l’inhibition de l’adhésion et de l’agrégation plaquettaires sontmaintenant bien répertoriés et sont depuis longtemps utilisés en pharmacologie : latrinitroglycérine, capable de générer l’oxyde nitrique, est utilisée depuis plus de centcinquante ans comme vasodilatateur coronarien et le sildénafil, un inhibiteur dephosphodiestérase, est utilisé depuis quelques années comme vasodilatateur des tissusérectiles.

Un autre mode d’action du NO� est à rechercher au niveau de la nitrosylation deprotéines, un phénomène encore relativement mal connu. La nitrosylation de lacaspase 3 inhibe son activité, alors que la nitrosylation de RAS entraîne une activa-tion de la cascade des kinases. Signalons également que la nitrosylation du facteurHIFα entraîne sa stabilisation, mimant ainsi les effets de l’hypoxie.

L’oxyde nitrique dans la cancérogenèse et la thérapeutique anticancéreuse

Du fait de la localisation endothéliale d’une des NOS, le NO� est un médiateurimportant de l’angiogenèse. Par l’intermédiaire du cGMP et des PKG, il est capabled’activer la prolifération des cellules endothéliales via la voie des MAP kinases(chapitre 2) en activant la protéine RAF. Par l’intermédiaire de la nitrosylation deRAS, il est également capable d’activer les voies de prolifération.

Au niveau des cellules tumorales, l’expression de la NOS inductible peut avoir lesmêmes conséquences sur la prolifération et la migration cellulaires que l’expressionde eNOS dans les cellules endothéliales. Toutefois, des résultats contradictoires ont étéobtenus et il paraît difficile de faire de la voie du NO� une voie pro-oncogénique.

Deux types d’approche pharmacologique ont été développés : le premier vise àdiminuer la production du NO� par des inhibiteurs des NOS ; il existe plusieurs voiespossibles, en particulier des peptides mimant la structure de la cavéoline. Le secondvise à générer des concentrations intratumorales élevées de NO� afin de profiter deson effet cytotoxique.

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