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D ans une réunion, lors d’une soirée ou d’une simple rencontre, on les remarque en raison de leur aplomb et de leur capacité à s’im- poser. Ils ont une façon caractéris- tique d’aller vers l’autre, un physique qui séduit ou impressionne, voire écrase. Les individus dominants, nous le verrons, occupent souvent des postes à responsabilité, ont plus de succès amoureux, et sans donner l’impression de faire des efforts particuliers pour y parvenir. Les sciences du comportement et la neuroendocri- nologie révèlent que les hormones et le déve- loppement naturel des qualités physiques et cognitives sont des éléments essentiels de la dominance physique et sociale. Mais comment identifier les individus dominants en société, au travail, voire dans le couple ? L’observation peut porter sur trois niveaux : le visage, le corps et le comportement « non verbal », cette asso- ciation de mouvements, de postures ou d’atti- tudes en jeu lors des échanges avec autrui. Grand, le menton carré, des épaules larges (taillé en « V »), le corps et le visage symétri- ques : un tel individu est perçu comme domi- nant. Ainsi Ken, le compagnon de Barbie est l’archétype physique du mâle dominant, par- faitement symétrique. De nombreuses études ont montré que lorsqu’on retouche des photo- graphies d’hommes et de femmes de façon à ce que les deux moitiés de leur visage soient iden- tiques, on modifie la perception du niveau de dominance et de pouvoir de ces personnes. Dans le même temps, comme l’a montré l’étho- logue Karl Grammer, de l’Institut d’éthologie urbaine Ludwig Boltzmann à Vienne, cette manipulation s’accompagne d’une augmenta- tion de l’attirance envers ces personnes. Le physique du dominant Enfin, cette dominance perçue se traduit par une dominance sociale. Le psychologue américain Bryant Furlow, de l’Université du Nouveau-Mexique à Albuquerque, a montré un lien entre symétrie et intelligence : les indi- vidus les plus symétriques ont statistiquement les QI les plus élevés, et les personnes les moins symétriques les plus faibles. Or ceux ayant les meilleures capacités cognitives ont aussi plus de chances d’occuper des postes de pouvoir, impliquant de fortes responsabilités et des revenus élevés, en bref, d’être les « dominants » des sociétés modernes. Quels sont les facteurs déterminant le degré de symétrie d’une personne ? En partie, du moins chez les hommes, la testostérone. On sait que la production de testostérone modèle les caractéristiques morphologiques du visage, notamment la symétrie, la largeur des mâchoi- Nicolas Guéguen est enseignant-chercheur en psychologie sociale à l’Université de Bretagne-Sud et dirige le Groupe de recherche en sciences de l’information et de la cognition, à Vannes. 30 © Cerveau & Psycho - n° 43 janvier - février 2011 Menton carré, regard direct, voix grave et corps musclé : les mâles dominants se reconnaissent à leur physique, mais pas seulement. D’autres signes plus discrets reflètent la capacité d’un homme à occuper des positions hiérarchiques élevées. Et à jouir de multiples privilèges… Signe distinctif : mâle dominant En bref Les hommes dominants se distinguent par leur physique, mais aussi par certains comportements, par leur regard ou les expressions de leur visage. Ils ont plus de succès amoureux en raison de leur « qualité génétique » et de leur capacité à occuper des positions hiérarchiques enviées. Les femmes peuvent être plus ou moins dominantes : elles ont plus de testostérone et donnent plus souvent naissance à des garçons. La psychologie au quotidien

Signe Distinctif Male Dominant

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Dans une réunion, lors d’une soiréeou d’une simple rencontre, on lesremarque en raison de leuraplomb et de leur capacité à s’im-poser. Ils ont une façon caractéris-

tique d’aller vers l’autre, un physique qui séduitou impressionne, voire écrase. Les individusdominants, nous le verrons, occupent souventdes postes à responsabilité, ont plus de succèsamoureux, et sans donner l’impression de fairedes efforts particuliers pour y parvenir. Lessciences du comportement et la neuroendocri-nologie révèlent que les hormones et le déve-loppement naturel des qualités physiques etcognitives sont des éléments essentiels de ladominance physique et sociale. Mais commentidentifier les individus dominants en société,au travail, voire dans le couple ? L’observationpeut porter sur trois niveaux : le visage, le corpset le comportement « non verbal », cette asso-ciation de mouvements, de postures ou d’atti-tudes en jeu lors des échanges avec autrui.

Grand, le menton carré, des épaules larges(taillé en « V »), le corps et le visage symétri-ques : un tel individu est perçu comme domi-nant. Ainsi Ken, le compagnon de Barbie estl’archétype physique du mâle dominant, par-faitement symétrique. De nombreuses étudesont montré que lorsqu’on retouche des photo-graphies d’hommes et de femmes de façon à ce

que les deux moitiés de leur visage soient iden-tiques, on modifie la perception du niveau dedominance et de pouvoir de ces personnes.Dans le même temps, comme l’a montré l’étho-logue Karl Grammer, de l’Institut d’éthologieurbaine Ludwig Boltzmann à Vienne, cettemanipulation s’accompagne d’une augmenta-tion de l’attirance envers ces personnes.

Le physique du dominantEnfin, cette dominance perçue se traduit

par une dominance sociale. Le psychologueaméricain Bryant Furlow, de l’Université duNouveau-Mexique à Albuquerque, a montréun lien entre symétrie et intelligence : les indi-vidus les plus symétriques ont statistiquementles QI les plus élevés, et les personnes les moinssymétriques les plus faibles. Or ceux ayant lesmeilleures capacités cognitives ont aussi plusde chances d’occuper des postes de pouvoir,impliquant de fortes responsabilités et desrevenus élevés, en bref, d’être les « dominants »des sociétés modernes.

Quels sont les facteurs déterminant le degréde symétrie d’une personne ? En partie, dumoins chez les hommes, la testostérone. On saitque la production de testostérone modèle lescaractéristiques morphologiques du visage,notamment la symétrie, la largeur des mâchoi-

Nicolas Guéguenest enseignant-chercheuren psychologie sociale à l’Université de Bretagne-Sud et dirige le Groupe de recherche en sciences de l’information et de la cognition, à Vannes.

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Menton carré, regard direct, voix grave et corps musclé : les mâles dominants se reconnaissent à leur physique,

mais pas seulement. D’autres signes plus discrets reflètent la capacité d’un homme à occuper des positions

hiérarchiques élevées. Et à jouir de multiples privilèges…

Signe distinctif :mâle dominant

En bref• Les hommes dominants se distinguentpar leur physique, maisaussi par certains comportements, par leur regard ou les expressions de leur visage.

• Ils ont plus de succèsamoureux en raison de leur « qualité génétique » et de leurcapacité à occuperdes positions hiérarchiques enviées.

• Les femmes peuventêtre plus ou moinsdominantes : elles ontplus de testostérone et donnent plus souvent naissance à des garçons.

La psychologie au quotidien

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res, le côté menton carré ou la saillance desarcades sourcilières. Autant de caractéristiquesliées à la dominance masculine. Les biologistesJohn Swaddle et Gilian Reierson, de l’Univer-sité de Williamsbourg dans l’État de Virginie,ont présenté à des étudiantes des photogra-phies d’hommes âgés de 18 à 21 ans. Ces pho-tos avaient été retouchées de manière à ce queles visages présentent des caractéristiques asso-ciées à des concentrations faibles, moyennes ouélevées de testostérone. Les étudiantes devaientdésigner l’individu le plus dominant parmiceux qui leur étaient présentés : plus le mentonétait carré et le visage symétrique, en bref plusl’individu présentait des caractéristiques reflé-tant de fortes concentrations de testostérone,plus les jeunes filles le jugeaient dominant.Selon les auteurs de cette étude, la dominancesociale favoriserait la production de testosté-rone, et conférerait ces caractéristiques duvisage qui traduisent la dominance.

La largeur d’épaules : une cléD’autres paramètres physiques interviennent

dans la perception de la dominance. Les largeursrelatives des épaules, de la taille et des hanchesjouent un rôle important : ainsi, les psycholo-gues Pieternel Dijkstra et Bram Buunk, del’Université de Groningue aux Pays-Bas, ontmontré que des hommes ayant les épaules pluslarges que la taille, et la taille plus large que leshanches, sont jugés les plus dominants.

Les hommes les plus grands sont perçus de lamême façon. Petit clin d’œil au monde des pou-pées, souvenons-nous que Ken, déjà men-tionné, est très grand. La différence de tailleavec sa compagne est telle que sa taille estimée àl’échelle humaine serait de 2,31 mètres ! De fait,les travaux de recherche semblent indiquer quele fait d’être grand procure des avantages, et queles femmes recherchant des hommes domi-nants sont sensibles aux grandes tailles. Le psy-chologue Boguslaw Pawlowski, de l’Universitéde Wroclaw en Pologne, a ainsi montré que leshommes grands ont plus d’enfants que lespetits, trouvant plus facilement une partenaire.Selon une perspective d’analyse évolutionniste,ici encore, les femmes rechercheraient plus dequalité génétique pour leur progéniture et doncprivilégieraient les hommes grands.

En outre, elles sont également sensibles àl’environnement matériel pour leurs enfants,car le confort matériel permet de bien les édu-quer et d’assurer leur survie. Or à l’Institut des

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1. Mâle dominant ? Grand, épaules larges, mâchoirecarrée… Seuls des tests psychologiques et son

comportement pourraient le confirmer.

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sciences du comportement de La Jolla enCalifornie, Ralph Keyes a montré que les indivi-dus de plus haute taille dans la société nord-américaine occupent plus fréquemment despostes à responsabilités. R. Keyes a étudié ledevenir d’un groupe d’hommes homogènes (demême origine sociale, de niveau d’études et dechoix professionnels comparables...) et perce-vant sensiblement le même salaire au début deleur carrière. Il a observé que 26 ans après, lesplus grands étaient également ceux quigagnaient le plus d’argent et qui occupaient despostes à plus haut niveau de responsabilité et depouvoir hiérarchique : des postes de domi-nants. Ces travaux ont été confirmés à de mul-tiples reprises, notamment chez les jeunes offi-ciers de l’école militaire de West Point auxÉtats-Unis, où il a été montré que la progres-sion de carrière était plus rapide pour les indi-vidus de grande taille. Napoléon a décidémenteu de la chance...

Comment expliquer que les grands accèdentà plus de responsabilités ? Par le fait que lesgens changent, sans le vouloir, de comporte-ment en leur présence. Une expérience, menéepar les psychologues Mark Caplan et MortonGoldman, de l’Université du Missouri à KansasCity, a consisté à observer le comportement deviolation ou de respect de « l’espace person-nel » d’un individu, en fonction de sa taille.L’espace personnel est une bulle virtuelle quientoure chacun d’entre nous, et où les gens nepénètrent habituellement pas, sauf pour desgestes socialement admis comme le fait de seserrer la main. Chacun en a l’intuition :lorsqu’une personne s’approche un peu tropprès, nous sommes gênés, et le ressentonscomme une intrusion.

Le viol de l’espace personnelDans cette expérience, des membres du labo-

ratoire, de tailles variées, se tenaient debout aumilieu du couloir d’une gare. À l’aide de discrè-tes bandes de marquage placées au sol, leurscollègues postés un peu plus loin pouvaientmesurer la distance à laquelle les passants setenaient quand ils croisaient ou dépassaientleurs compères. Comme la distance entre lesdeux bandes était celle de l’espace personnel del’expérimentateur, on observait aisément si lespassants avaient ou non respecté cet espace.

Les résultats ont ainsi révélé qu’un hommede grande taille voit son espace personnel violédans 31 pour cent des cas, alors que cette pro-portion atteint 69 pour cent pour un individude petite taille, soit plus du double. Les résultatssont similaires pour les femmes, avec 34 pourcent de violation de l’espace personnel pourune femme petite, et 66 pour cent pour unegrande. On peut donc se faire une bonne idéede la dominance d’une personne d’après la dis-tance à laquelle des étrangers s’en approchent.

Les dominants subissent moins d’intrusionsdans leur espace personnel, mais ils ne segênent pas pour violer celui des autres. Ainsi,une expérience menée par les psychologuesMike Patteron et Lee Sechrest, de l’Université del’Illinois, a montré qu’un individu qui se placeplus près (1,20 mètre) d’une personne incon-nue est perçu comme plus dominant qu’unindividu se plaçant à 1,80 mètre. Le fait de s’ap-procher des gens est généralement interprétécomme un signe de dominance sociale ou phy-sique, ce dont il est possible d’user pour « for-cer » son statut : ainsi, certaines personnes bri-sent l’espace personnel d’autrui pour asseoirune hiérarchie. S’il s’agit d’une démarche calcu-lée, on peut alors difficilement conclure quant àla réelle dominance de cette personne.©

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2. Ken, le compagnonde Barbie, a tous

les attributs du mâledominant : forme

du visage, largeurd’épaules, musculature

et... taille. Cette dernièrea été estimée sur certainsmodèles à 2,31 mètres,

si Ken devait exister dans le monde réel. On sait

que la taille est un élément essentiel

de dominance physiqueet sociale.

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Évidemment, à force de s’approcher dequelqu’un, on finit par le toucher. En la matière,la dominance joue aussi un rôle. Les psycholo-gues Michael Goldberg et Barry Katz, del’Université St-Louis du Missouri, ont montréqu’un individu qui en touche un autre est perçucomme le plus dominant des deux – et celui quise laisse toucher est perçu comme le dominé.Ainsi, le fait d’initier le contact physique seraitun privilège du dominant et, quand on se serrela main, c’est effectivement le dominant qui asouvent le léger temps d’avance.

Les rapports de domination n’épargnent ni lecercle des intimes, ni celui de la famille ou ducouple. Même en amour, les rôles sont rare-ment symétriques : les psychologues RicherBorden et Gorden Homleid, de l’UniversitéPurdue, ont observé des couples d’amoureux setenant par la main dans la rue. Ils n’ont retenudans leur étude que les couples composés d’undroitier et d’une droitière (les plus nombreux).Ils ont observé que, si l’un utilisait sa mainhabile (la droite chez un droitier), qui est aussicelle qui procure le plus de confort et est consi-dérée comme la main dominante, l’autre mem-bre du couple devait donner sa main gauche,c’est-à-dire chez un droitier, la main non domi-nante et procurant le moins de confort. Dans95 pour cent des cas environ, c’est l’homme quia le privilège d’utiliser sa main droite, contrecinq pour cent des cas pour la femme.

La façon de placer sa main dans celle de l’au-tre apparaît aussi très différente. Ainsi, MarkChapell, de l’Université de Temple à Philadelphie,a étudié la façon dont les amoureux se tenaientla main, et constaté que l’un des protagonistesenserre la main de son ou sa partenaire avec lasienne. Selon M. Chapell, le dominant enserre etle dominé est enserré. Or dans la majorité des

cas (88 pour cent), c’est l’homme qui enserre lamain de sa compagne, cette dernière n’ayant cerôle que dans 12 pour cent des cas.

Toutefois, certains paramètres peuvent chan-ger cette répartition. Ainsi, lorsque l’homme etla femme sont de même taille, ce rapport n’estplus que de 76 pour cent pour l’homme et24 pour cent pour la femme. Enfin, dans lescouples où la femme est plus grande quel’homme, le rapport n’est plus que de 53 pourcent pour les hommes et 47 pour cent pour lesfemmes. Lorsque, par sa taille, la femme gagneen dominance, elle bénéficie des prérogativesdu dominant. De plus, M. Chapell a observéque dans les sociétés patriarcales, ce comporte-ment consistant à enserrer la main de sa com-pagne s’observe plus souvent que dans les paysà structure plus matriarcale. À travers ce typede comportement anodin et en apparenceempreint de réciprocité entre les deux parte-naires, les différences de statut s’expriment defaçon implicite.

Indice révélateur : le regardL’analyse du regard peut également révéler le

degré de dominance sociale. Le regard de face,soutenu, est généralement associé à une posi-tion supérieure. Le psychologue américain JohnDovidio et ses collègues de l’Université de l’Étatde New York ont présenté à des personnes desextraits de films de trois minutes, dont le sonétait coupé, montrant deux personnes enconversation. Le visage d’un seul des protago-nistes était visible de face. Ce protagonisteregardait directement son interlocuteur pen-dant 25, 40 ou 55 pour cent du temps. Les spec-tateurs de ces extraits devaient estimer le niveaude dominance et de pouvoir de cette personne

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3. Les grandshommes sont souvent

de grande taille.François 1er était un géant

pour son époque (deuxmètres) ; Abraham Lincoln

est encore à ce jour leplus grand des présidents

américains avec1,93 mètre, tout comme

Charles de Gaulle.

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dont ils avaient pu observer le visage. Selon lesrésultats de cette enquête, plus la proportion deregards directs sur l’interlocuteur était impor-tante, plus la personne était jugée dominante.

Ces expériences livrent un enseignement pra-tique : il est possible de donner une impressionde dominance en « fixant » ses interlocuteurs.Le port de lunettes a-t-il une importance ? Leslunettes engendreraient plutôt une impressionde soumission, si l’on en croit les travaux dupsychologue Allan Mazur, de l’Université deSyracuse : ce dernier a montré que les hommesqui portent des lunettes sont perçus commemoins dominants que ceux qui n’en portentpas. Cette association serait héritée d’un passélointain, où une vue perçante était associée àdes capacités supérieures d’exploration et dechasse, et donc de statut social. Dès lors, toutsigne traduisant une relative faiblesse de lavision serait perçu comme un handicap.

Surtout ne pas sourire !Autre signe caractéristique : les dominants

sourient peu. En toute occasion, ils conserventun visage impassible. Ils vous regardent fixe-ment sans signe d’amitié particulier. Le lienentre dominance et absence de sourire serait liéà des effets hormonaux : James Dabbs, del’Université d’Atlanta, a évalué la tendance àsourire chez des membres d’une association étu-diante, et mesuré leurs concentrations de testos-térone. Il a constaté que ceux qui sourient lemoins souvent sont également ceux qui ont leplus de testostérone. On sait que de fortes

concentrations de cette hormone sont associéesà des comportements et des traits physiques dedominance. En outre, jusqu’à la puberté, gar-çons et filles sourient dans les mêmes propor-tions en prenant la pose sur des photos et, c’està partir de cette période que les jeunes hommessourient moins que les jeunes filles, et ce jusqu’àun âge avancé comme l’a montré Mark DeSantisà l’Université de l’Idaho. C’est aussi à la pubertéque les hormones androgènes (dont la testosté-rone) sont sécrétées en abondance. La diminu-tion du sourire serait liée à la production decette hormone associée à la dominance.

Si la perception de la dominance varie selonun certain nombre de caractéristiques morpho-logiques ou comportementales, c’est aussi pourpermettre de repérer les dominants qui semblenttrès recherchés par les femmes… Dans la nature,les individus dominants bénéficient d’un certainnombre d’avantages. Chez certains animaux, ils’agit du droit de manger le premier, de se repro-duire, mais aussi d’obtenir la meilleure placepour dormir, la prérogative d’initier le jeu, devociférer le premier… Chez l’homme, il sembleégalement que de tels privilèges existent aussi.

Ainsi, le sociologue Allan Mazur, del’Univer-sité de l’État de New York, a fait éva-luer des photographies d’adolescents en termesde dominance. Ces adolescents avaient égale-ment rempli pendant trois ans des question-naires destinés à mesurer leur activité sexuelle :existence ou non de rapports sexuels, fré-quence, type d’actes sexuels, d’attouchementsou autres pratiques érogènes. Les résultats decette enquête ont révélé que les jeunes hommesjugés les plus dominants étaient égalementceux qui avaient eu les relations sexuelles lesplus précoces. De tels effets seraient liés à deuxfacteurs : d’une part, ces individus présente-raient plus d’attraits pour les jeunes filles enraison des avantages génétiques et sociauxassociés à la dominance ; d’autre part, ces jeu-nes hommes dominants seraient davantagemotivés par les relations sexuelles en raison deleurs concentrations élevées de testostérone ;ils se montreraient plus insistants, et parvien-draient d’autant plus rapidement à leurs finsque les jeunes filles seraient plus attirées par lesgarçons dominants.

Plus de fils pour les femmes dominantes

Qu’en est-il des femmes ? Elles aussi expri-ment différents degrés de dominance sociale,qui ont une influence sur leur activité sexuelle.Jusqu’à déterminer en partie le sexe de leursenfants. Cette observation est bien connue chezles macaques, où les femelles dominantes don-

Un parfum de puissance…

Outre les caractéristiques morphologiques présentes chez les indivi-dus dominants, ces derniers seraient également repérables à

l’odeur… Les plus douées pour détecter cette odeur sont les femmes, sur-tout lors de la période fertile de leur cycle ovarien. Pour le montrer, lebiologiste Jan Havlicek, de l’Université de Prague, a fait porter à deshommes, sous leurs aisselles, des boulettes de coton devant recueillirleur sueur. Les participants avaient préalablement rempli des échellesd’évaluation de dominance. Les boulettes de coton étaient ensuite distri-buées à des femmes qui devaient en évaluer le caractère sexuellementattirant, ainsi que le degré de « masculinité ». À l’issue de ces mesures,on a constaté que les hommes auxquels les femmes attribuaient un plusfort niveau de masculinité et qu’elles jugeaient sexuellement attirantsd’après l’odeur étaient aussi ceux dont les scores de dominance évaluéspar les questionnaires étaient les plus élevés.

Toutefois, cet effet de reconnaissance par l’odeur n’a été observéqu’en période d’ovulation. J. Havlicek en conclut que durant cettepériode, les femmes sont particulièrement sensibles aux signes de domi-nance chez les hommes.

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nent naissance à plus de mâles. Dans l’espècehumaine, un effet similaire, moins prononcé, semanifeste. Ainsi, la psychologue néozélandaiseValérie Grant, de la Faculté de médecine del’Université d’Auckland, a fait passer une sériede tests à des femmes afin de mesurer certainstraits de dominance. Les femmes interrogéesdevaient indiquer à quel point elles se recon-naissaient dans des descriptions de caractèresplutôt soumis, dans le fait de s’imposer ensociété, d’accepter ou non les directives d’unsupérieur, etc. Ce test a permis de repérer leniveau de dominance de ces femmes.

Quand ces femmes ont passé ces tests, ellesn’avaient pas encore eu d’enfants. Quand elles enont eu ultérieurement, on enregistrait le sexe del’enfant que l’on comparait au score de domi-nance de la mère évalué avant la grossesse. Il estapparu que les femmes les plus dominantes onteu statistiquement plus de garçons et les femmesles moins dominantes plus de filles.

V. Grant a également observé que le score dedominance chez une femme est, comme chezl’homme, relié à la concentration de testosté-rone, ce qui laisse entrevoir un lien entre la tes-tostérone, la dominance de la femme et la déter-mination du sexe de ses enfants, lien qui reste à

préciser par d’autres études. Ainsi, la domi-nance de certains individus dans les sociétésmodernes, même si elle ne se manifeste généra-lement pas par la contrainte physique, sembles’exprimer de diverses façons par l’aspect physi-que ou les comportements.

Quel sens donner aux rapports de domination ?

Même si nos relations sociales ne ressem-blent plus guère à celles de nos cousins prima-tes, l’importance de la dominance, la capacitéà la repérer et le comportement que nousadoptons à l’égard des dominants restent pro-ches de ce que l’on observe dans le règne ani-mal. Il semble que la présence de dominants etde dominés soit une composante non négli-geable, et peut-être nécessaire à la vie sociale.Petite nouveauté dans ce programme évolu-tionniste : la connaissance de plus en plus pré-cise de ces signes extérieurs de dominancedevrait permettre une identification plus facileet une meilleure compréhension des réactionsdes individus que nous côtoyons, d’après leurrang et leur pouvoir, et des comportementsqu’ils nous inspirent. �

Bibliographie

F. Lorenzi-Cioldi,Dominants et dominés,

Presses Universitaires de Grenoble, 2009.

V. J. Grant et al.,Dominance and

testosterone in women,in Biological

Psychology, vol. 58,pp. 41-47, 2001.

R. Keyes, The Height ofyour Life, Warner Books,

1982.

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