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Simone Weil · par Gustave Thibon]. 17 La deuxième chute sera davantage de nature poli - tique. Les évènements en Allemagne au cours des années 1930, avec la montée du nazisme,

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Simone Weil Lutter avec la force

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Vincent Guéquière

Simone Weil Lutter avec la force

éditions de l’école de guerre

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© Les Éditions de l’École de Guerre, tous droits réservés, 2019

CollectionFeux croisés

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Note de l’éditeur

L’École de guerre est un lieu d’étude et de réflexion où se forment les chefs de demain : ceux de la prochaine guerre de Troie, de cent, de trente ou de sept ans… Mais nos com-bats ne se mènent plus dans la lice, entre les palissades d’un terrain clos. Ils ne concernent pas seulement les mili-taires dévoués à leur pays, quelques mercenaires égarés ou les enfants perdus de tristes tropiques. Ils sont une responsabilité collective de nos démocraties. L’étude et la réflexion ne peuvent être le seul fait d’officiers dévelop-pant leur pensée dans ce quadrilatère hors du temps que serait l’École militaire si elle ne s’ouvrait sur le monde.

Là réside la vocation des Éditions de l’École de Guerre : susciter l’intelligence, encourager l’écriture et publier au profit de la réflexion et du dialogue de tous, civils ou militaires.

Cette maison d’édition ne diffuse pas la doxa offi-cielle qui a pour s’exprimer d’autres organes. Elle ne représente pas même les doctrines de l’École de guerre. Elle souhaite simplement rendre publics des ouvrages qui, polémiques ou non, n’engagent que leurs auteurs mais contribueront à la pensée militaire, géopolitique et stratégique française.

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Elle repose pour cela sur quatre collections :– la collection « Champs de bataille » traite d’histoire,

de géopolitique et de stratégie ;– la collection « Ligne de front » illustre cette néces-

sité de « penser autrement » qui est l’un des leitmotivs de l’École de guerre ;

– la collection « Feux croisés » aborde des réalités et des problématiques parallèles ou au contraire diver-gentes ;

– la collection « Honni soit qui mal y pense » publie en langue anglaise des textes porteurs d’une certaine pensée française ;

– la collection « Citadelle » réédite des grands textes de la littérature militaire.

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Les positions exprimées dans cet ouvrage sont celles de l’auteur. Elles n’engagent ni ne reflètent

celles des autorités françaises ou européennes.

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Lors d’une visite du cuirassé « Bretagne », en 1930, en compagnie de Suzanne Gauchon, future Madame Aron, et sous la conduite d’un jeune officier : « Tu tâcheras de ne pas faire de réflexions désagréables !

— Tu ne me connais pas, quand on est chez l’ennemi, on se tait. »

SIMONE PÉTREMENT

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Introduction

La Lutte est aussi une histoire d’équilibre. Regardez l’Ange et Jacob, ce sont deux forces égales agissant en sens contraire. Cette peinture est fondée sur le principe de la composition des forces, autrement dit l’équilibre.

— Non, mais vous admettrez qu’ils sont en équilibre instable. En réalité, c’est l’Ange qui fait le boulot. Tout repose sur lui.

— Mais vous ne pouvez pas limiter cette peinture à une histoire d’équilibre…

— Bien sûr que non ! Jacob affronte cette épreuve seul. Il a tout écarté autour de lui : sa famille, ses serviteurs, ses troupeaux. Il va franchir un passage.

JEAN-PAUL KAUFFMANN1

Croiser le chemin de Simone Weil provoque une césure. Il émane de sa personnalité et de sa vie une intensité telle qu’elle attire, comme l’éclat d’un phare à l’horizon. La philosophe est, au sens littéral, un personnage extraordinaire, qui bouleverse et déséquilibre.

1. Kauffmann (J.-P.), La Lutte avec l’Ange, La Table Ronde, 2002.

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Sa vie est aussi dense que courte. Une vie digne d’une héroïne romantique. Son destin aurait pu inspi-rer un roman à Stendhal, un comble pour elle qui était un parangon de sobriété. Fille d’un médecin militaire, Simone Weil naît en 1909, au sein d’une famille juive non pratiquante, trois ans après son frère André, futur mathématicien génial de renommée mondiale. Agrégée de philosophie, elle est à Henri IV l’élève du philosophe Alain, dont la pensée l’influence profondément. Après quelques années d’enseignement, elle réalise un vœu émis de longue date, devient ouvrière, et fait à cette occasion l’expérience réelle, totale et traumatisante du travail en usine. Pendant la guerre d’Espagne, elle franchit les Pyrénées pour rejoindre un groupe combat-tant, et ne doit son salut qu’à sa maladresse légendaire – elle se brûle gravement le pied dans une bassine d’huile bouillante, blessure qui l’éloigne des combats. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle suit ses parents à Marseille, se fait ouvrière agricole puis vendangeuse en Ardèche, avant de quitter la France pour New York. Elle rejoindra ensuite la France Libre, à Londres, où elle occupera un poste de rédactrice, à son grand désarroi, elle qui avait conçu le projet d’être engagée comme infirmière sur le front. Elle meurt en 1943, à 34 ans ; un peu plus âgée que le Christ, certes, mais à peine plus jeune que Mozart, et surtout, un peu comme lui, usée par son don.

Un don porté par son sens de l’absolu. Il s’incarnait en une volonté inébranlable, une rigueur intellectuelle hors du commun et une inépuisable soif de vérité.

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Mais si à l’image du roi Midas il lui conférait le pouvoir de transformer tout ce qu’elle touchait en or, ce don avait un revers : Simone Weil était dotée d’une empathie, voire d’une sympathie extrême, au sens étymologique2, qui la conduisit à développer une véritable pulsion du malheur. Comme Cassandre, pourvue du don de prophé-tie, mais maudite par la surdité de ses contemporains à son égard, sa punition fut de ressentir dans sa chair les imperfections et les souffrances universelles : « J’enviais un cœur capable de battre à travers l’Univers entier » dit à son propos Simone de Beauvoir.

Simone Weil a énormément écrit, essentiellement des articles, des lettres et des cahiers, mais peu publié. Sa rigueur et son exigence portèrent son écriture à un degré de perfection tel qu’au crépuscule de sa vie elle écrivait au fil de la plume, avec une maîtrise absolue de son style et de sa pensée.

Peut-être était-elle sur le point de rassembler sa « doctrine » quand sa vie touche à sa fin, alors que, malgré la fatigue, les privations et les maux de tête, qui l’auront accablée toute sa vie, elle écrivait à un rythme effréné.

C’est Albert Camus qui, bien que ne l’ayant pas connue de son vivant, la sortira de son relatif anonymat, en orchestrant des éditions et rééditions de son œuvre, notamment la publication de L’Enracinement, son requiem inachevé. La « connexion » entre ces deux géants litté-raires, au-delà de leur goût immodéré pour la justice,

2. Participer à la souffrance d’autrui.

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semble cohérente : la fascination de l’auteur du Mythe de Sisyphe pour Simone Weil semble logique ; elle, qui déclarait « préférer les montées aux descentes », a poussé sa pierre toute sa vie, dans un effort gigantesque consis-tant à abolir la « différence entre savoir et savoir de toute son âme »3. Et comme pour Sisyphe, il arriva que la pierre roule, mue par la pesanteur.

Anticonformiste, indifférente aux conventions, Simone Weil est une syndicaliste ardente et milite aux côtés de l’extrême gauche. Jalouse de sa liberté d’opi-nion et de réflexion, elle refuse toutefois d’adhérer au parti communiste, estimant que le fonctionnement des partis était incompatible avec la démocratie. Lorsqu’elle rencontre Trotski au début des années 1930, elle se fait un devoir de le mettre face à ses contradictions et se paye alors le luxe d’une dispute. Intransigeante, elle se fait toujours un devoir de demeurer fidèle à ses convictions profondes.

Son expérience en usine est d’une certaine manière le pivot de son existence, l’apparition de la pesanteur, la première chute de la pierre. Elle confesse d’ailleurs, après cette épreuve, concrète, totale et sans accommo-dement, l’impossibilité définitive d’une certaine forme de légèreté. Alors ouvrière à part entière, elle ressentit l’humiliation, la sensation d’être écrasée par la cadence, les machines, et fut horrifiée d’être contrainte de ne plus penser pour tenir ce rythme infernal.

3. Weil (S.), La Pesanteur et la Grâce, Plon, 1947 [anthologie publiée par Gustave Thibon].

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La deuxième chute sera davantage de nature poli-tique. Les évènements en Allemagne au cours des années 1930, avec la montée du nazisme, lui inspirèrent beaucoup de pessimisme. Un pessimisme qui l’entrave et sonne le glas de son action en tant que militante. Elle ne manque cependant pas d’ardeur et choisit de poursuivre son engagement, avec la même intensité, mais cette fois sur le terrain de la pensée.

L’expérience de la guerre et son atrocité la pour-suivront, ne cesseront de la hanter sa vie durant. Le conflit qui éclate en Espagne se révèle être, à l’image de ce qu’elle a pu éprouver quelques années plus tôt, une inépuisable source d’amertume. Elle y fait l’expérience de la transformation des hommes au contact de la force dans la guerre, et ressent en son for intérieur les effets de la violence sur son propre jugement. Effrayée, elle partage alors son sentiment avec Georges Bernanos dans une lettre restée fameuse, réponse aux Grands cimetières sous la lune. Une lettre que, paraît-il, ce dernier conser-vera toujours sur lui.

Simone Weil a traversé la première moitié du XXe siècle telle une comète, en se consumant. Marraine de guerre d’un soldat à sept ans, témoin éclairé de la montée des totalitarismes, spectatrice malgré elle de la Seconde Guerre mondiale, elle fait partie de cette génération de penseurs, de Camus à Hannah Arendt, en passant par Raymond Aron, dont l’œuvre porte la flétrissure engendrée par ce siècle de conflits.

Czeslaw Milosz, prix Nobel de littérature, a écrit à son sujet : « En la personne de Simone Weil, la France

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a offert un rare présent au monde contemporain. Qu’un tel écrivain pût apparaître au XXe siècle défiait toute pro-babilité – mais parfois c’est justement l’improbable qui arrive. »4 L’improbable est donc survenu dans l’un des moments les plus sombres de l’humanité, déchirée par deux guerres dont Simone Weil ne connaîtra pas l’issue.

La fin de la vie de Simone Weil sera « mystique ». Malgré un intérêt de longue date pour le christianisme, « religion des esclaves par excellence »5, elle demeurera toujours au seuil de l’Église. Elle n’accepte pas le bap-tême pour de multiples raisons. D’abord parce qu’elle ne s’en estime pas digne, par réticence envers la chose sociale que sont l’Église et son patriotisme catholique, mais aussi et surtout face à l’horreur que lui inspire l’idée d’abandonner la masse des incroyants en accep-tant le baptême. Son expérience chrétienne est pourtant sincère et, ici encore, une expérience totale, et même « physique »6.

Cette dimension physique est omniprésente dans la vie de la philosophe et détermine en quelque sorte son rapport, intime, à ce et ceux qu’elle observe, donne à son œuvre certainement sa force et sa profondeur, sa

4. Milosz (C.), « L’importance de Simone Weil (1960) », dans Sagesse et grâce violente, Bayard, 2009.5. Weil (S.), Cahiers, dans Œuvres complètes, sous la dir. d’André A. Devaux et Florence de Lussy, Gallimard, 1988, t. VI.6. « Le Christ est descendu et m’a prise. » Simone Pétrement, sa biographe, estime qu’à l’aune de sa vie, cette sensation physique ne peut être taxée d’insincérité.

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sensibilité aussi. Pendant la guerre, elle ressentit dans sa chair la douleur de ne pas partager le malheur de ses compatriotes. Elle souffrit profondément de ne pouvoir jouer un rôle actif, au plus près des évènements. Ce sera la dernière chute, et celle-ci lui sera fatale.

La journaliste Leili Anvar a dépeint la philosophe d’une façon juste et merveilleuse, à l’occasion d’une émission sur Radio France7. Empruntant une image lumineuse, pour elle, Simone Weil, « c’est Jacob qui lutte en permanence avec l’Ange ».

Au cours de cette réflexion consacrée à Simone Weil, l’Ange prendra les traits de la guerre, ou plus exactement ceux de la force dans la guerre. Jean-Paul Kauffmann, dans le prologue de La Lutte avec l’ange, en esquisse la problématique : « Delacroix a représenté l’un des passages les plus incompréhensibles de la Genèse. Quel est cet adversaire que Jacob empoigne avec tant d’impétuosité ? Un ange ? Non seulement l’inconnu ne se défend pas, mais il oppose au fils d’Isaac un sang-froid désarmant. Un comportement de vainqueur. »

Il ne s’agit pas ici d’établir un manuel d’éthique, mais plutôt de laisser une impression, comme la « Vue du Havre » que renomma Claude Monet, à la faveur d’un itinéraire personnel dans la pensée de Simone Weil. Ce parcours sera nécessairement partiel et partial. Et avant de l’emprunter, il sera nécessaire d’évoquer d’abord ce

7. Entretien avec Jacques Julliard, « Simone Weil, la femme revoltée », dans l’émission Les Racines du ciel, France culture, 15 juin 2014.

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que Simone Weil entend par force. La « force », terme générique, elliptique, a nécessairement occupé une place centrale dans sa courte vie, et elle a pensé sa primauté avec amertume, et lucidité. Il s’agira ensuite, et surtout, de considérer celui que l’on retrouve sous les armures : l’homme.

Qui donc fait face à la force dans la lutte ? Dans l’univers weilien, l’homme est la mesure de toute chose, par opposition au collectif. Il s’agit donc de se placer à sa hauteur, et d’accompagner les trois figures qui ne peuvent échapper à l’emprise de la force dans la guerre : le combattant, l’ennemi, et le stratège8.

Tout à la fois helléniste, internationaliste et mys-tique iconoclaste, Simone Weil offre un éclairage peu conventionnel et édifiant sur les interactions inévi-tables de ces figures allégoriques de la guerre. Elles ne peuvent se soustraire à la danse macabre dans laquelle la force les entraîne, avec pour principale cible « l’âme du combattant ». Comme une injonction, un maître mot irrigue la réflexion de Simone Weil : l’attention. Entendons donc ce cri.

8. Au sens grec pour ce dernier : chef, homme politique, et combattant.