25
Gallimard Robert Chenavier Simone Weil, une Juive antisémite ? ÉTEINDRE LES POLÉMIQUES

Simone Weil, une Juive antisémite

  • Upload
    others

  • View
    15

  • Download
    1

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Simone Weil, une Juive antisémite

Gallimard

Robert Chenavier

Simone Weil, une Juive antisémite ?

É T E I N D R E L E S P O L É M I Q U E S

gemppt
Rectangle
Page 2: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 3: Simone Weil, une Juive antisémite

simone weil, une juive antisémite ?

Page 4: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 5: Simone Weil, une Juive antisémite

Robert Chenavier

Simone Weil, une Juive antisémite ?

éteindre les polémiques

Gallimard

Page 6: Simone Weil, une Juive antisémite

© Éditions Gallimard, 2021.

Page 7: Simone Weil, une Juive antisémite

Grâce à Marie-Noëlle, sans qui ce livre ne serait pas ce qu’il est.

Page 8: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 9: Simone Weil, une Juive antisémite

Avec Simone Weil se termine le chapitre de l’anti­judaïsme chez les Juifs.

alex derczansky,« Lettres à Wladimir Rabi », Cahiers Simone Weil,

III 2, juin 1980, p. 145.

J’aimerais bien déchristianiser Simone Weil et retrouver en elle la Juive qu’elle a refoulée.

ruth klüger,Refus de témoigner, Paris, Viviane Hamy, 2003, p. 285.

Page 10: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 11: Simone Weil, une Juive antisémite

avertissement

Longtemps, comme le fit Gilbert Kahn lors du colloque sur Simone Weil tenu à Cerisy, en 1974, on a pu dire que les « neuf dixièmes de ce qu’elle écrivit sur les Juifs concernent l’Ancien Testament ; sur le reste, la question reste ouverte1 ». Il existait déjà, à l’époque, des études consacrées à l’interprétation weilienne de l’Ancien Testament. Sur le « reste », c’est-à-dire sur l’attitude de la philosophe face à sa judéité, à la judaïcité et au judaïsme2, les études se sont multipliées depuis quarante ans, souvent dans un seul sens, celui de la critique, voire celui de la vitupération ou de la vocifération.

C’est la raison pour laquelle j’avais cru nécessaire, déjà en 2006, en tant que président de l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil, d’organiser une journée ouverte3 consacrée au thème que reprend et développe le présent ouvrage4. Cette journée, j’en avais suggéré la tenue à plusieurs reprises, et j’étais systématiquement mis en garde par beaucoup de lecteurs de Simone Weil qui trouvaient que ce n’était jamais le « bon moment », en raison de l’actualité quasi permanente du conflit qui oppose Palestiniens et Arabes à l’État d’Israël, conflit réputé empêcher de traiter sereinement la question de la relation de Simone Weil à la « question juive ». Cependant, à trop reporter le moment d’aborder publiquement ce sujet, il me semblait que nous risquions de donner le spectacle offert par certains disciples de Heidegger lorsqu’il s’est agi pour eux de prendre

1. Au cours d’une discussion reproduite dans le collectif Simone Weil. Philosophe, histo-rienne et mystique (G. Kahn Éd.), Paris, Aubier Montaigne, 1978, p. 140.

2. « La judéité est le fait et la manière d’être juif ; la judaïcité est l’ensemble des per­sonnes juives » (A. Memmi, Portrait d’un Juif, Paris, Gallimard, coll. « Idées », 1962, p. 28).

3. « Simone Weil antisémite ? Un sujet qui fâche ? » (Paris, 2 mars 2006). Les actes ont été publiés dans les Cahiers Simone Weil, XXX 3, septembre 2007.

4. On ne trouvera donc pas ici un examen de l’interprétation weilienne de l’Ancien Testament.

Page 12: Simone Weil, une Juive antisémite

position sur l’adhésion au nazisme de leur maître à penser : ils n’ont ni reconnu les faits, ni cherché à en tirer des conséquences sur le plan de la pensée. Ils ont fourni l’« exemple même de ce qu’il faut éviter de faire1 ».

Ajoutons une remarque –  à nos yeux capitale  – qui devrait rester ou revenir à l’esprit du lecteur choqué par tel ou tel des propos cités de Simone Weil. Il se trouve qu’un mois avant sa mort elle a donné une méthode de lecture de ses écrits. Il convient de rappeler ce qu’elle confiait à ses parents, le 18 juillet 1943 :

J’ai moi aussi une espèce de certitude intérieure croissante qu’il se trouve en moi un dépôt d’or pur qui est à transmettre2. […]

C’est un bloc massif. Ce qui s’y ajoute fait bloc avec le reste. À mesure que le bloc croît, il devient plus compact. Je ne peux pas le distribuer par petits morceaux.

Pour le recevoir, il faudrait un effort. Et un effort, c’est telle­ment fatigant !

Certains sentent confusément la présence de quelque chose. Mais il leur suffit d’émettre quelques épithètes élogieuses sur mon intelligence, et leur conscience est tout à fait satisfaite. Après quoi, quand on m’écoute ou me lit, c’est avec la même attention hâtive qu’on accorde à tout, en décidant intérieurement d’une manière définitive, pour chaque petit bout d’idée à mesure qu’il apparaît : « Je suis d’accord avec ceci », « je ne suis pas d’accord avec cela », « ceci est épatant », « cela est complètement fou » (cette dernière antithèse est de mon patron3). On conclut : « C’est très intéressant », et on passe à autre chose. On ne s’est pas fatigué (OC VII 1, p. 296­297).

Ces recommandations et cette mise en garde s’appliquent à tous ses écrits. On ne peut pas retirer du « bloc massif » les commentaires que donne Simone Weil de tel livre de l’Ancien Testament, les interpréta-tions de l’hébraïsme dans les Cahiers, ou encore le texte qu’elle a écrit à Londres sur un rapport de l’Organisation civile et militaire, au sujet du statut des minorités non chrétiennes après la libération de la France4. On le pourrait d’autant moins qu’elle évoque explicitement, dans la lettre citée, les textes qu’elle remettait à sa hiérarchie à Londres.

Parmi les lecteurs et les « spécialistes » de Simone Weil, combien

1. D. Pinkas, Santayana et l’Amérique du Bon Ton, Genève, Éd. Metropolis, 2003, p. 90.2. « Si personne ne consent à faire attention aux pensées qui, je ne sais comment, se sont

posées dans un être aussi insuffisant que moi, elles seront ensevelies avec moi » (Lettre au père Perrin du 26 mai 1942, Attente de Dieu, Paris, Albin Michel, 2016, p. 89).

3. S. Weil occupait la fonction de « rédactrice » au service du commissariat national à l’Intérieur dirigé par André Philip (1902­1970).

4. Nous reviendrons longuement sur ce texte dans la Ire et la IIIe partie.

Avertissement14

Page 13: Simone Weil, une Juive antisémite

de fois a-t-on entendu que leur admiration pour son œuvre butait sur l’ensemble de ce qu’elle a écrit sur les Juifs1 ? Dans le monde juif, même parmi ceux qui éprouvent pour elle cette « amitié véritable » que demande Simone Weil, il y a un refus de mettre sur le même plan l’essentiel de ses écrits et les passages concernant ce que nous appellerons ici, provisoirement, le « judaïsme ». Parmi ceux qui haïssent Simone Weil – d’une haine qu’il conviendra de qualifier – ou qui combinent admiration pour l’écri-vain spirituel et accusation d’antisémitisme, il y a un souci variable de cohérence. Tous, cependant, découpent, dépècent, trient, conservent, jettent, louent ceci, condamnent cela avec grandiloquence et « on passe à autre chose ». Le pari que nous faisons dans cet essai, risqué comme l’est tout pari, est de ne pas amputer Simone Weil de certains de ses écrits, des passages les moins « défendables » ou les plus « insoutenables ».

La principale difficulté tient à la méthode d’exposition du sujet. Il faut bien commencer par détacher, avant de les rapprocher, les passages de l’œuvre qui traitent spécifiquement des Juifs et du judaïsme, afin de les interpréter. Il ne faut pas pour autant traiter le produit de cette opération comme un tout qui se suffirait à lui-même2, car il fait réel-lement « bloc avec le reste ». C’est donc au sujet de l’ensemble cohérent de la pensée de Simone Weil qu’il faut se donner de la peine afin d’en recevoir le « bloc massif 3 ». « Recevoir » n’a pas ici le sens d’accepter ou d’approuver, mais simplement de donner audience. Il s’agit d’écouter ou, selon une notion centrale dans la pensée de Simone Weil, de prêter attention à ce qui est dit.

1. Nous écrivons le substantif « Juif » avec une majuscule lorsqu’il signifie « du peuple juif », et avec une minuscule pour désigner l’adepte de la religion juive. Lorsque nous citons, nous respectons l’orthographe des auteurs.

2. Gustave Thibon a d’emblée brouillé la question en regroupant, dans le chapitre « Israël » de La Pesanteur et la Grâce (Paris, Plon, 1947), des citations isolées de tout contexte.

3. Renvoyons à l’Introduction de notre étude Simone Weil. Une philosophie du travail, Paris, Éd. du Cerf, coll. « La nuit surveillée », 2001.

Avertissement 15

Page 14: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 15: Simone Weil, une Juive antisémite

avant­propos

Rien de plus facile que de s’offrir, en toute occasion, la jouissance de sa propre excellence morale ; c’est sur­tout facile à propos de morts.

karl marx ,Cahiers d’études 1839-1840, in Œuvres, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », vol. III, 1982, p. 852.

Tu ne pourrais pas désirer être née à une meilleure époque que celle­ci, où on a tout perdu.

simone weil,Cahiers, in Œuvres complètes, t. VI, vol. 1,

Paris, Gallimard, 1994, p. 118.

Il est courant d’entendre dire que Simone Weil fut une per­sonnalité ardente, un personnage de dimension hors norme qui a atteint le sublime, mais qu’elle fut « parfois péremptoire voire injuste, dans ses jugements sur les juifs notamment1 ». Wla­dimir Rabi, un des rares auteurs, dans le monde juif, à porter une « amitié fraternelle » à Simone Weil, malgré des désac­cords fondamentaux, souligne son « malaise devant certains de ses textes », l’« abomination de certaines de ses formulations », et qualifie même un écrit rédigé à Londres de « texte insoute­nable2 ». Ces reproches vont bien au­delà de ceux qui ont été

1. N. Weill, « Nizan, Weil : des lucidités perdues », Le Monde des livres, 4 juillet 2014, p. 7.2. W.  Rabi, « Simone Weil entre le monde juif et le monde chrétien », Sens, no  7,

1979, p. 169, 171 et 173. Le « texte insoutenable » est le commentaire sur le rapport de l’Organisation civile et militaire.

Page 16: Simone Weil, une Juive antisémite

adressés à Simone Weil d’un point de vue purement religieux, qu’il soit juif ou chrétien, au sujet de sa lecture de la Bible. Reproche d’avoir fait preuve d’un « aveuglement » et d’un « parti pris à peine imaginables », selon Jacques Madaule1 ; constat, par Emmanuel Levinas, que des « abîmes qui nous séparent d’elle2 » et qui constituent chez elle un bloc de ce qu’il y a de plus indé­fendable, deux sont « infranchissables » –  la haine de l’Ancien Testament et l’horreur du peuple juif –, seul l’amour de Dieu pouvant nous relier à elle.

Nous rencontrerons bien pire dans l’opprobre et dans la détes­tation. Paul Giniewski a instruit avec rage un procès contre Simone Weil, notamment dans une « judéo­biographie3 » qui soutient la thèse de l’« alignement serein » de la philosophe sur certaines positions antisémites les moins « excusables ». Il trouve chez elle une « curieuse assonance avec le dogme des nazis », l’accuse d’une indifférence à l’« ethnocide du peuple juif ». Abor­dant le terrain de la psychologie, Giniewski regarde Simone Weil comme un « cas pathologique de haine de soi4 ». Toutes les interprétations qui vont dans le sens d’un antisémitisme de la philosophe puisent leurs arguments dans cet essai. Ni Léon Poliakov, ni George Steiner, ni Francis Kaplan ne sont allés plus loin que Giniewski dans la dénonciation de son « antisémitisme hystérique ». George Steiner, qui reprend les accusations d’an­tisémitisme « politiquement orienté », croit lire chez Simone Weil une « série de commentaires approbateurs sur Hitler » et lui reproche de tenir dans ses Cahiers, « en pleine nuit des fours à gaz5 », des propos inadmissibles sur les Hébreux dans sa lecture de l’Ancien Testament. C’était déjà l’argumentation d’Arnold Mandel qui, dans un compte rendu élogieux du livre de Giniewski, écrivait que l’« antijudaïsme spirituel d’essence et de tradition gnostiques » manifesté par Simone Weil n’est « d’aucune originalité », avant d’ajouter : « Mais sont bien d’elle – et à elle – la sombre violence du ton, la passion de sa dictée, le noir flamboiement des volutes de son inimitié. S’y ajoute, comme circonstances des plus aggravantes, le millésime de cette

1. J. Madaule, « Le choix de Simone Weil », Sens, no 7, 1979, p. 176.2. E.  Levinas, « Simone Weil contre la Bible », Difficile liberté, LGF, « Le Livre de

Poche Biblio », 1984, p. 189.3. P.  Giniewski, Simone Weil ou la haine de soi, Paris, Berg, 1978. Nous empruntons

l’expression « judéo­biographie » à S. Epstein, Un paradoxe français. Antiracistes dans la Col-laboration, antisémites dans la Résistance, Paris, Albin Michel, 2008, p. 18.

4. Citations tirées du livre de Giniewski, p. 25, 29, 47­48, 73 et 267.5. G. Steiner, « Bad Friday », The New Yorker, 2 mars 1992 (voir infra, p. 102 sq.).

Avant-propos18

Page 17: Simone Weil, une Juive antisémite

malédiction, la saison de la mort des Juifs d’Europe […]. C’est hic et nunc qu’elle écrit qu’en Israël tout est abominable, à partir d’Abraham inclusivement, tandis que, dans Paris, les Juifs raflés du Vél’ d’hiv’ sombrent dans le total désespoir et que de Drancy s’acheminent les convois vers les fours crématoires1. »

En résumé, nous serions tentés de dire au sujet de Simone Weil ce que Daniel Pinkas exprime on ne peut mieux à propos du philo­sophe et homme de lettres George Santayana (1863­1952) : « Les pages qui suivent sont consacrées à un aspect de la personnalité et de la pensée de Santayana qui trouble la plupart de ses admi­rateurs actuels. Il s’agit de ses rapports au judaïsme et aux Juifs. Sur ce point, la pénétration et la lucidité habituelles du penseur, ainsi que sa capacité d’adopter par l’imagination des perspectives autres que les siennes, cèdent la place à des préjugés et à un mépris conventionnels2. » Le rapprochement des deux philosophes n’est pas seulement de circonstance. On trouverait chez l’une et chez l’autre des positions voisines face à la modernité, une façon d’être sinon « antimodernes », du moins « modérément modernes3 ». Cependant, dès qu’il s’agit de la réflexion sur la religion, il faut reconnaître qu’une des constantes de leurs écrits est la « tentative de purger le christianisme de tout ce qui tirerait son origine du judaïsme4 ». Ainsi se pose au sujet de Simone Weil le problème soulevé par la pensée du philosophe américain : comment tracer la frontière entre antisémitisme et antihébraïsme ? Est­ce un même problème ? L’un des éléments est­il déterminant ?

Il nous paraît inutile de consacrer un développement préalable à la notion d’antisémitisme, pour des raisons exprimées dans l’Avant­propos d’un excellent ouvrage de Renée Poznanski5. L’au­teur observe que le « terme d’antisémitisme prête souvent à une grande confusion et, compte tenu de sa charge normative, son usage protéiforme nuit à l’intelligence des phénomènes lorsque réquisitoire et plaidoyer en viennent à occuper tout l’espace ». Suit cette précision :

L’ampleur et la légitimité des débats autour du « problème juif » me paraissent ici plus pertinentes que la distinction entre

1. A. Mandel « Le dibbouk en Simone Weil », Le Monde, 19 avril 1978.2. D. Pinkas, Santayana et l’Amérique du Bon Ton, op. cit., p. 89.3. Tel est le titre d’un essai de Rémi Brague, Modérément moderne, Paris, Flammarion,

2014.4. D. Pinkas, Santayana et l’Amérique du Bon Ton, op. cit., p. 94.5. R. Poznanski, Propagandes et persécutions. La Résistance et le « problème juif », 1940-1944,

Paris, Librairie Arthème Fayard, 2008.

Avant-propos 19

Page 18: Simone Weil, une Juive antisémite

ceux qui étaient antisémites et ceux qui ne l’étaient pas. Il ne s’agit certes pas d’encourager l’amalgame, ni de nier la malfaisance des courants antisémites, mais une démarche qui privilégie la culture par rapport à l’idéologie permet de recréer un climat socio­culturel et de reconstituer l’environnement cognitif de l’époque, de retrouver les prismes à travers lesquels les Juifs furent généra­lement « pensés » dans les années 1930 puis […] durant la guerre elle­même et au plus fort de la persécution1.

Nous nous inspirerons de cette sage précaution méthodolo­gique. Le présent essai doit être conçu comme une tentative de sortir des limites dans lesquelles George Steiner et tant d’autres enferment le débat sur l’œuvre de Simone Weil  : « Révérence dénuée d’esprit critique d’un côté, exaspération et dégoût de l’autre, […] hyperboles à la fois de la louange et du rejet2. » L’auteur a beau remarquer à ce propos qu’une « bonne partie de ce “dialogue de sourds” […] naît du refus, conscient ou refoulé, d’explorer le problème central du judaïsme de Simone Weil et son rejet du judaïsme », sa propre contribution se limite à liquider la « question Simone Weil » de traits assassins. S’il y a « fort à faire pour une intelligence scrupuleuse qui se refuse à l’hagiographie », comme le suggère Steiner3, il y a autant à faire pour une intelligence attentive et studieuse qui se refuse à la contemption.

Lors de la journée consacrée à « Simone Weil antisémite ? Un sujet qui fâche ? », en 2006, Martine Leibovici a exprimé d’em­blée les préoccupations de tous les participants en multipliant les questions : Simone Weil parle­t­elle des Hébreux des temps bibliques ou des Juifs victimes de l’antisémitisme des temps modernes ? Comment a­t­elle pu n’avoir aucune conscience de la façon dont pouvaient résonner certaines de ses formulations dans le contexte où elle les écrivait ? Elle qui savait si bien reconnaître la faiblesse, pourquoi ne reconnut­elle pas que les Juifs étaient détruits par une persécution organisée4 ? Il ne saurait toutefois être question d’entrer brutalement dans ces domaines sans avoir examiné les différentes périodes de la pensée de Simone Weil, en relation avec les conditions politiques et historiques de l’époque,

1. Ibid., p. 14.2. G. Steiner, « Sainte Simone : Simone Weil », dans De la Bible à Kafka, Paris, Bayard,

2002, p. 103.3. Ibid., p. 111.4. Voir M. Leibovici, « Simone Weil et les Juifs : une contrainte à ne pas voir », CSW,

XXX 3, septembre 2007, p. 239­240.

Avant-propos20

Page 19: Simone Weil, une Juive antisémite

afin de restituer le contexte dans lequel elle exprime ses positions sur la « question juive » ou le « problème juif » – nous laissons de côté les débats autour de cette distinction. C’est l’objet de la première partie de notre essai. Nous pourrons alors, pris entre douleur et épouvante, traverser le champ de la polémique dans la deuxième partie, avant d’entrer dans l’interprétation proprement philosophique. Celle­ci constitue le nécessaire aboutissement de cette étude, la raison principale pour laquelle elle a été entre­prise. Nous fournirons des éléments pour trouver les sources de la position de Simone Weil, indépendamment de la prétendue explication par la « classique haine de soi juive1 » à laquelle certains réduisent sa pensée.

1. G. Steiner, art. cit., p. 110.

Avant-propos 21

Page 20: Simone Weil, une Juive antisémite

sigles utilisés et conventions d’édition

• Œuvres complètes de Simone Weil (Gallimard). OC suivi du tome en chiffre romain et du volume.

OC I Premiers écrits philosophiques, 1988.OC II 1 Écrits historiques et politiques. 1. L’Engagement syndical (1927-

1934), 1988.OC II 2 Écrits historiques et politiques. 2. L’expérience ouvrière et l’adieu à

la révolution (1934-1937), 1991.OC II 3 Écrits historiques et politiques. 3. Vers la guerre (1937-1940), 1989.OC IV 1 Écrits de Marseille. 1. Philosophie, science, religion, questions politiques

et sociales (1940-1942), 2008.OC IV 2 Écrits de Marseille. 2. Grèce, Inde, Occitanie (1940-1942), 2009.OC V 1 Écrits de New York et de Londres. 1. Questions politiques et religieuses

(1942-1943), 2019.OC V 2 Écrits de New York et de Londres. 2. L’Enracinement (1943), 2013.OC VI 1 Cahiers (1933-1941), 1994.OC VI 2 Cahiers (1941-1942), 1997.OC VI 3 Cahiers (1942), 2002.OC VI 4 Cahiers (1942-1943), 2006.OC VII 1 Correspondance. 1. Correspondance familiale, 2012.

• Œuvres de Simone Weil (autres éditions utilisées)

AD Attente de Dieu, Albin Michel, coll. « Spiritualités vivantes », 2016.

EHP Écrits historiques et politiques, Gallimard, coll. « Espoir », 1960.

Page 21: Simone Weil, une Juive antisémite

EL Écrits de Londres et dernières lettres, Gallimard, coll. « Espoir », 1957.

Œ Œuvres, Gallimard, coll. « Quarto », 1999.PSO Pensées sans ordre concernant l’amour de Dieu, Gallimard, coll.

« Espoir », 1962.

• Autres ouvrages ou publications cités

CSW Cahiers Simone Weil. Revue trimestrielle publiée par l’Associa­tion pour l’étude de la pensée de Simone Weil (depuis 1978).

SP Simone Pétrement, La Vie de Simone Weil, Paris, Fayard, 1997.

• Les références aux écrits de Simone Weil et à la biographie due à Simone Pétrement sont entre parenthèses dans le corps du texte. Les références à d’autres auteurs et à la littérature secondaire sont renvoyées dans les notes.

Sigles utilisés et conventions d’édition 23

Page 22: Simone Weil, une Juive antisémite
Page 23: Simone Weil, une Juive antisémite

histoire

Une Juive non judaïsée dans une époque « où on a tout perdu »

Page 24: Simone Weil, une Juive antisémite

ROBERT CHENAVIER

Simone Weil, une Juive antisémite ? Éteindre les polémiques

Une polémique insistante poursuit la mémoire de Simone Weil à propos de l’« antisémitisme » présumé dont témoignerait sa pensée. Il est de fait que, dans le cadre de l’évolution spirituelle qui a conduit Simone Weil à se rapprocher du christianisme, elle a tenu des propos très durs sur la religion des Hébreux, puisque son projet était de purger la religion chrétienne de son empreinte juive au profit de sa composante grecque. Pareil antihébraïsme est-il assimilable à un quelconque antisémitisme ? La question continue régulièrement de faire couler de l’encre. Robert Chenavier, qui a dirigé l’édition des derniers volumes parus des Œuvres de Simone Weil, reprend méthodiquement le dossier, sur la base de sa connaissance intime de la pensée de l’auteure, afin de dissiper une bonne fois les sophismes et les interprétations biaisées qui alimentent cette accusation. Il examine en par-ticulier, dans cette perspective, le texte de Simone Weil considéré comme le plus « antisémite », qu’elle rédigea à Londres, dans le cadre de son travail au sein des services de la France libre.

La mise au point qui fera durablement autorité sur le sujet.

Robert Chenavier a dirigé l’édition des derniers volumes des Œuvres complètes de Simone Weil.

gemppt
Rectangle
Page 25: Simone Weil, une Juive antisémite

Simone Weil, une Juive antisémite ?Robert Chenavier

Cette édition électronique du livreSimone Weil, une Juive antisémite ? de Robert Chenavier

a été réalisée le 15 septembre 2021 par les Éditions Gallimard.Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage

(ISBN : 9782072951985 - Numéro d’édition : 397495).Code Sodis : U39366 - ISBN : 9782072952012.

Numéro d’édition : 397498.

Gallimard

Robert Chenavier

Simone Weil, une Juive antisémite ?

É T E I N D R E L E S P O L É M I Q U E S