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Pierre LascDumes,
Patrick Le Gales
SOCIOLOGIEDE L'ACTION
PUBLIQUE
so us la directionde Franltois de Singly
ARMANDCOUN
Sommaire
4. Les acteurs des sommets de l'Etat
et la coordination de l'action publique .Conclusion .
4. Problemes publics: des controverses aux agendas .
1. Construire un probleme politique : definir,interpreter, revendiquer .
2. Les enjeux de categorisation .3. La mise en politique .4. Approches en termesde mise sur l'agenda gouvememental .
5. Institutions, normes et instruments de "action publique .
1. Les normes de l'action publique .
2. Les contraintes budgetaires : gouvemer,c'est heriter .3. Comment les acteurs utilisent les institutions
pour faire des politiques publiques .
4 ..Instruments et instrumentation de l'action publique :vers un gouvemement automatique ? .
Conclusion '" .
Bibliographie , , .
Index .
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Introduction
Politiques publiques,
action publique, gouvernance
Dans les societes contemporaines, les politiques publiques sont omnipresentes: politiques d'emploi, reglementation europeenne sur lesOGM, reforme de l'assurance-chomage, plan d'urgence pour les banlieues, nouvelles regles de concurrence de l'Organisation mondiale ducommerce, etc. Nous sommes satures d'informations sur les politiquespubliques et de discours affichant Ie volontarisme des gouvemants oumontrant chiffres a l'appui les resultats de leur action. Dans tous ces
cas, parler de pohtique pubhque c'est designer l'action menee par une\autorite publique (seule ou en partenariat) afin de traiter une situation~omme posant un probleme. Mais au~dela du traitement au cas 'par cas des enjeux sociaux, les politiques publiques sont une actioncollective qui participe a la creation d'un ordre social et politique, a ladirection de la societe, a la regulation de ses tensions, a !'integrationdes groupes et a la resolution des conflits.
Cependant, ce qui fait aujourd'hui l'interet et en meme temps ladifficulte de ce domaine, c'est que Ie modele classique des politiquesmenees a titre principal ar un Etat centrahse sur des secteurs bien. e lmites est depasse. Et ce a ans trOls grandes directions. Toutd'abord, les echelles d'action spatiale se sont inultipliees, vers le hautet vers Ie bas: l'Union Europeenne, les regions, les departements, lesvilles. On observe ensuite une proliferation de sources d'influencedepassant Ie cadre national: les alliances de regions transfrontalieres,!'integration europeenne et le role croissant des organismes intemationaux. Les processus de mondialisation en fin s'accompagnent du
Introduction
developpement des grandes firmes et institutions financieres, de consultants et de juristes qui contribuent a introduire dans les politiquespubliques des mecanismes de marche, des privatisations, des partenariats publics-prives ou des methodes de gestion des entreprises. C'estpourquoi Ie terme « politique publique » est aujourd'hui delaisse auprofit de la notion « d'action pubTIqtre-» pour prendre en comptel'ensemble des interactions qui sur Cles sujets comme Ie developpement industriel, l'immigration ou l'alimentation sont necessairementtraites a des niveaux multiples. Et plus loin, nous montrerons comment la notion de «gouvernance» s'efforce de rendre compte desituations ou se melent acteurs publics et prives et ou l'Etat n'est plusen position dominante dans unjeu devenu tres collectif. L'enchevetrement des niveaux, des formes de regulation et de reseaux d'acteurs ontconduit a reviser les conceptions etatistes de l'intervention publiqueau profit de systemes d'analyse beaucoup plus ouverts. C'est ce mondedes politiques publiques, de l'action publique et de la gouvernance quifait l'objet de cet ouvrage. Nous proposerons une selection des principaux outils intellectuels qui permettent d'en rendre compte, de lesexpliquer et, si possible, de les interpreter.
1'7"~.:~." ;.'.,,,
Une sociologie politiquede I'action publique« Boucles etrangeset hierarchies enchevetrees » I
Historiquement, il est difficile d'identifier precisement Ie point dedepart des politiques publiques. La creation de formes de pouvoirpolitique institutionnalisees dans l'Antiquite s'est generalement traduite par des imp6ts, un embryon d'administration, la mobilisation deressources pour faire la guerre, Ie developpement des approvisionnements, la construction de villes, Ie contr6le des populations. La stabilisation de formes de gouvernement s'est traduite par des ensemblesd'actions volontaristes pour diriger et reguler les societes en question.
Dans Ie cas europeen, les formes modernes d'action publique et degouvernement voient Iejour dans les communes du Moyen Age creusetde la modernite europeenne etudiees par Max Weber (995). Ledeveloppement des statistiques, d'une bureaucratie, de politique commerciales, d'armement ou d'extension urbaine emergent progressivement dans les villes medievales, avant que ces modes d'action ne soientprogressivement mobilises par les Etats en formation. L'apport originalde Michel Foucault a la science politique est de s'etre attache aux multiples pratiques d'etatisation de la societe a partir du XVIl< siecle. C'esta-dire Ie developpement de diverses actions- de cadrage de la societepar une autorite politique centralisee (la « gouvernementalite ») et Ie
1. «Boucles etranges, hierarchies enchevetrees ~: \' expression est tiree de
D.Hofstadter, chapitre XX, dans Godel, Escher, Bach, Les brins d'une guirlandeetemel!e, Fugue metaphorique sur les esprits des les machines inspirees de LewisCarol!, Paris, Masson, 1985.
1Une lociologie politi que de "action publique
developpement symetrique de doctrines sur l'art du bon gouvernement(les sciences camerales). Les politiques publiques sont toujours situeeshistoriquement dans des societes donnees, organisees par des rapportssociaux, des formes de capitalisme ou de socialisme, des pratiques politiques qui varient dans Ie temps et dans l'espace. Cela n'empeche pasde tester des modeles d'analyse transversaux, mais a condition de prendre en compte les contextes historiques dans lesquels ils s'inserent.
Ces contextes ont aussi des effets sur la production de connaissance. La lu art des modeles d'analyse sont profondement marquespar les societes de reference e eurs auteurs . L'analyse es politiquesjmbliques est essentiellement celle des s6(jetes nationales et industrielles qui ont suivi les trajectoires de la modernite occidentale et ontete pilotees par une forme politique particuliere, l'Etat (Dyson, 1980).Aujourd'hui, ces societes subissent de profondes transformations, uncycle de l'Etat s'acheve, et Ie capitalisme s'impose sous des formes differenciees dans toutes les parties du globe (en Chine ou en Inde)adaptant les formes occidentales de regulation tout en inventant lessiennes. L'analyse des politiques publiques participe a la comprehension des changements de toutes les societes contemporaines et de leurregulation. Elle s'inscrit ainsi dans les grands paradigmes des sciencessociales.
I. Les politiques publiques,
un domaine des sciences sociales
Les concepts et methodes d'analyse de l'action publique ne releventpas d'une epistemologie particuliere, ils reprennent les grands paradigmes des sciences sociales. La sociologie, la sociologie politique,l'economie, l'histoire, Ie droit contribuent a l'analyse des politiques
1. Ainsi I'analyse magistrale des trois mandes de I'Etat-Providence de Gasta
Esping-Andersen demeure par exemple marquee par son origine scandinave,tout camme de nombreux modeles d'analyse des palitiques publiques dam ilsera fait etat sam marques par leur origine americaine, anglaise au franr;aise.
Une lociologie politique de I'action publique 1
publiques. En sociologie, l'apport d'Emile Durkheim reste majeurpour l'analyse des representations et des normes, et la contributiondes politiques publiques a la regulation de la societe; celui de Weberpour son analyse de la bureaucratie, de l'individualisme methodologique et de la comparaison historique.
D'autres paradigmes sont couramment mobilises. Ainsi, depuis lesannees 1960, les theoriciens d~ix rationnel ont multiplie les travaux critiquant les programmes d'interventi~ de l'Etat (politiquessociales et militaires, en particulier) en mettant en evidence les strategies de maximisation des interets des fonctionnaires, a savoir l'accroissement de leur domaine d'intervention et de leurs budgets. Les auteursd'inspiration marxiste ont utilise Ie paradigme de la lutte des classespour expliquer l'evolution des politiques sociales ou la dynamique despolitiques urbaines. D'autres travaux classiques ou contemporains desciences sociales sont utilises regulierement, comme ceux de sociologiedes organisations, la sociohistoire, la sociologie des mouvementssociaux et de l'action collective. Si les politiques publiques sont plutOtune maniere de regarder Ie social a travers des groupes organises, lesinstitutions ou des acteurs proches des elites, l'heritage pragmatique deJohn Dewey est aussi utilise pour mettre en evidence les problemespublics, l'experimentation et la production de connaissance.
La sociologie de l'action publique mobilise aussi la sociologie dudroit pour apprehender la production et la diffusion des normes. Ellepeut egalement s'inspirer de Pierre Bourdieu sur les trajectoires etl'habitus des hams fonctionnaires ou la formation de champs d'intervention domines ou dominants. D'autres travaux portent sur la production des categories, des statistiques, la mise en forme des problemeset des representations du monde social. La sociologie de l'action publique est souvent une sociologie politique qui s'interesse a l'articulationde regulations sociales et politiques, aux dmflits, aux ressources, auxactivites politiques et aux questions de legitimite des acteurs et en premier lieu de l'Etat, des gouvernements et des gouvernants. Enfin, cedomaine reprend de la sociologie des sciences et des techniques l'attention aux technologies (statistiques, indices, cartes) et des outils de gesction (instruments budgetaires, systemes d'information).
1Une lociologie politi que de I'action publique
La majorite des travaux contemporains sur l'action publique prennent en compte les actions des acteurs, leurs interactions et Ie sens
qu'ils leur donnent, mais aussi les institutions, les normes, les procedures qui gouvernent l'ensemble de ces interactions, ainsi que lesrepresentations collectives. Nous sommes proches de ce que PeterHall a appele Ie modele « des trois i ~ qui prend en compte: les interets, les institutions et les idees (1997). Dans cet ouvrage, nous nepourrons presenter que les modeles analytiques et theoriques et lesmethodes d'analyse qui nous semblent les plus significatifsl.
2. les definitions de I'action publique
La definition initiale a ete donnee par un auteur americain HenryLaswell en 1936: Who gets what, when and how? Qui obtient quoi,quand et comment? Les politiques publiques sont d'abord pour luides choix de clienteles, et par contrecoup de victimes. 11a d'entreeaborde ce type d'analyse comme une science de l'action qu'il intitulaPolicy Science. 11s'agissaitde comprendre par des approches multidisciplinaires, quels sont les problemes publics qui doivent etre traitespar l'autorite politique et comment. Cette Policy Science se devait d'etrenormative, c'est-a-dire degager de bons modeles de regulation. Pendant la premiere partie du xx' siecle, l'analyse des politiques publiquesprend sa source dans l'universite americaine avec une volonte de
mobilisation des sciences sociales en vue d'une organisation plusrationnelle et plus efficace de la societe. Les premiers grands travauxont ete realises en contact etroit avec les gouvernements afin d'ameliorer les politiques existantes, en les evaluant afin de les changer. Lespolitiques publiques ont ete run des elements centraux du mythemoderniste de l'ingenierie sOciale, de la rationalisation devant organi-
1. Dans ce domaine, comme dans d'autres, environ 95% de la production intellectuelle est en langue anglaise. La litterature fran<;:aiseest relativemem recememais ce champ de recherche est fon dynamique. NallS ferons aussi referenceaux travaux allemands, italiens, britanniques, neerlandais, scandinaves. Cedomaine de recherche est bien structure au niveau international par des revues.
Une lociologie politique de I'action publique 1
ser la societe selon des principes d'efficacite. Aujourd'hui encore, lestravaux soit de Policy Analysis, soit de Public Administration, melentexperience concrete, expertise et analyse de l'action, dans une visionutilitariste des recherches I. Ces travaux tres empiriques s'inscriventpeu dans les debats theoriques - mais il y a de brillantes exceptions-,elles sont peu enracines dans l'histoire ou les contextes sociaux et politiques plus macro.
Depuis, et en Europe tout particulierement, les approches se sontdiversifiees. Les definitions classiques partent des activites gouvernementales et de leurs processus, une politique publique est un programme d'action gouvernemental (def. 1 et 2). Ou comme Ie suggeraitT. Dye (1976) tout ce que les gouvernements choisissent de faire oude ne pas faire. L'accent est mis sur l'ensemble des decisions prises parun (ou des) acteur (s) politique (s) pour effectuer Ie choix des objectifset les moyens de les atteindre Oenkins, 1978). D'autres auteurs reinserent ces activites gouvemementales dans un ensemble cognitif pluslarge (def. 3 et 4).
1. Richard Rose: « un programme d'action gouvernementale est unecombinaison specifique de lois, d'affectations de credits, d'administrations et de personnel diriges vers la realisation d'un ensembled'objectifs plus ou mains clairement de finis » (Rose, Davies, 1994,p.54).2. J.-C Thoenig:« Ie concept de politi que publique designe lesinterventions d'une autorite investie de la puissance publique et dela legitimite gouvernementale sur un domaine specifique de lasociete ou du territoire. Ces interventions peuvent prendre trois formes principales : les politiques publiques vehiculent des contenus,se traduisent par des prestations et generent des effets. Elles mobilisent des activites et des processus' de travail. Elles se deploient atravers des relations avec d'autres actl~urs sociaux collectifs au individuels. »
1. Aujourd'hui encore, une grande panie des formations et des travaux surI'action publique sont organises soit dans Ie cadre des Business Schools (gestionpublique et gestion privee), soit des master en public affairs au public policy ql,lis'inscrivem dans cette tradition de Policy Analysis.
1Une lociologie politique de I'action publique
3. E. Page: Une politique publique est la combinaisonde quatre elements: 1) des principes - une representationgeneralesur la manierede gerer les affairespubliques ; 2) des objectifs- des prioritesspecifiques definies par rappon a un enjeu paniculier; 3) des mesuresconcretes- des decisions,des instrumentset 4) des actionspratiques,des componementsdes fonctionnaireschargesde mettreen a:uvre lesmesuresprises (E. Page,2006, p. 213,4. PierreMuller: « Lespolitiquespubliquessont la plupan du tempsune forme d'institutionnalisationde la division du travail gouvernemental... toute politiquepubliquecorrespondd'abord a une operationde decoupagedu reela traverslaquellevaetre decoupeeet formateelasubstancedes problemesa traiterou la nature des populationsconcernees. (in Dictionnaire, p. 405) »
De nombreuses autres definitions mettent chacune l'accent sur
des dimensions plus specifiques: l'heterogeneite des sequencesd'action, leur combinaison aleatoire et leur rationalisation (March,1991) ; un espace de negociation des interets sociaux (Commailles,Jobert, 1999), Ie produit d'activite de mise en a:uvre (Lipsky, 1980),les interactions entre acteurs et institutions (Considine, 2005), uneregulation des failles du marche (Lindblom, 1968), des discours deconviction (Dryzek, 2006), etc.
Apres J. Dewey nous retiendrons Ie principe selon lequel une politique publique n'est souvent qu'une hypothese de travail. n ne s'agitpas d'un programme strict et rationnel mais d'une experimentation aoDserver lors de la mise en a:uvre. les politiques publiques sont despuzzles a resoudre compte tenu de l'incertitude des fins et de celleinherente a l'importance des jeux d'acteurs dans la mise en a:uvre.
En pratique, les travaux de politique publique sont caracterises parles elements suivants :
- une observation precise des programmes et des bureaucraties enaction:
- une approche sectorielle ;
- une analyse fine des acteurs et des systemes d'action ;
- une approche en termes de sequence chacune etant un espaced'action specifique avec son systeme d'acteurs, ses dynamiques, sesparadoxes;
Une lociologie politique de I'action publique 1
- une tension entre des travaux empiriques decrivant la dynamique des interactions, et la conceptualisation de modeles donnant lacoherence de l'action.
Des analyses sont centrees sur la definition des problemes a traiteret des fa\;ons de les conceptualiser, d'autres sur la mise en perspectivehistorique des jeux d'acteurs et des institutions.
2.1 Le pentagone des politiques publiques
Dans les chapitres qui vont suivre, il nous semble utile de presenter un modele d'analyse pour l'etude de l'action publique qui reprenddes elements presentes precedemment. Dne politique publique comprend selon nous cinq elements, relies entre eux. l'analyse de chacunet de leurs interactions est un passage oblige:
~ Acteurs _
",p,_"tio~ ~n>titution;Processus ------ Resultats
les acteurs peuvent etre individuels ou collectifs,ils sont dotesde ressources, ont une certaine autonomie, des strategies, ont lacapacite de faire des choix, SOntplus ou moins guides par leurs interets materiels etlou symboliques.
Les representations sont les cadres cognitifs et normatifs quidonnent un sens aux actions, les conditionnent mais aussi les refletent.
Les institutions sont les normes, reglljs, routines, procedures quigouvernement les interactions.
les processus sont les formes d'interaction et leur recompositiondans Ie temps, ils rendent compte des multiples activites de mobilisation des acteurs individuels et collectifs
les resultats, les outputs sont les consequences, les effets de l'actionpublique.
1 Une lociologie politique de I'aclion publique
3. l'action publique comme articulation
entre regulation sociale et politique
L'analyse des politiques publiques s'est peu a peu eloignee de l'approche pragmatique initiale de la Policy Analysis. EUes'attache aujourd'huia repondre a quelques grandes questions: comment s'organise, segouveme une societe? QueUe est la division du travail entre des regulations politiques, sociales, economiques ? Les sociologues et les politistes apportent des reponses contrastees mais il5 s'accordent sur un
ensemble de points qui constituent l'appon principal des analyses entermes de politique publique.
3.1 Perspectives politiste et sociologique
L'analyse des politiques publiques est traversee depuis l'originepar une tension entre deux perspectives (Musselin, 2005). La premiere, que l'on retrouve pour simplifier plutot du cote de la sciencepolitique donnp 1m r.;,lp rrppminent a l'Ft"t. <I"Y eOllVprn"'1tsdansl'organisation et 11' pilotage de la societe. Elle prend pour point dedepart l'Etat et ses interventions dan; la societe. Rappelons que dansles annees 1970, les conceptions de l'Etat etaient tres influencees parIe droit et les institutions politiques et privilegiaient une vision tres
rationneUe et hierarchique. Dans la science politique, les politiquespubliques n'etaient qu'un element de reflexion marginal sur Ie politique, et les quelques travaux marxistes donnaient une image tres integree et assez fonctionnaliste de l'Etat et des politiques publiques. DansceUe perspective, on raisonne top down (par Ie haut) pour montrer lesdecisions centrales et leurs effets. Les politiques publiques sont vuessoit du cote de la redistribution par l'Etat et des conflits d'acteurs quiy sont associes, soit a partir de la volonte de changer la societe parl'Etat, par Ie voloritarisme des leaders politiques au nom de valeurs etde buts. La question de la regulation politique et du changement dela societe par la politique etroitement associee a ceUe de l'Etat privilegie les raisonnements en termes de configuration et de hierarchie des
Une lociologie polttique de I'action publique 1
acteurs publics (de l'Etat et ses composantes, a l'Union europeenne etaux autorites locales).
La seconde perspective est ponee par les sociologues qui etudientles'individus en mteractlOn, les echanges, les mecanismes de Eoordination, la formation de groupes, Ie jeu de normes, les conflits. Elle estpaniculierement attentive aux facteurs de changement, aux groupesd'interet et aux mouvements sociaux qui sont de puissants acteurs detransformation des politiques publiques et de contestation de l'ordrepolitique. Le plus souvent l'Etat, les acteurs publics et leurs decisionsne sont qu'un facteur parmi d'autres. La specificite de la regulationpolitique est minimisee au profit de la coordination. n s'agit d'unesociologie de l'action collective au sein des organisations et desreseaux publics ou prives. Elle privilegie les raisonnements bottom lip(par Ie bas) partant des modes d'echange et d'agregation entre acteursindividuels et collectifs.
Cette tension est toujours structurante pour la recherche. Cespoints de vue inverses ont un impact direct sur Ie choix des problematiques. Les premiers veulent d'abord comprendre la ponee del'action politique, et les effets des processus accomplis a un niveaucentral. Les seconds donnent la priorite aux· interactions entre desacteurs multiples au sein desquelles se noie Ie politique. Les politiquespubliques sont-elles determinees par de robustes institutions sedimentees dans Ie temps, poursuivant leur propre logique ? Ou bien par dessystemes sociaux autonomes qui definissent progressivement leurspropres regles d'action ?
Sans qu'il soit besoin de reifier ces categories, les termes de « politique publique » et « d'action publique » permettent de resumer cesdeux perspectives. Cependant, compte tenu de la restructuration del'Etat contemporain, la perspective la plus stato-centree des politiquespubliques s'efface desormais au profit de ce que nous appellerons une
. sociologie politique de l'action publique, notion largement reprise par laplupart des auteurs actuels. Tout en prenant en compte une grandediversite d'acteurs et de formes de mobilisation, elle n'en reconnaIt pasmoins !'importance de la dimension politique et s'interroge sur larecomposition de l'Etat, un point souvent aveugle de la sociologie,notamment en France.
1Une lociologie politique de I'action publique
3.2 Les trois ruptures decisives
de I'analyse des politiques publiques
Elles sont marquees par
- une rupture avec Ie volontarisme politique : Ie risque de fascination par les hommes politiques, les elites bureaucratiques, les choixfondes et justifiables en termes de bien commun, d'interet general, delogique politique partisane, est fort. Or les travaux ont montre que cen'est pas parce que les lois se succedent qu'une politique se transforme, Ie volontarisme politique se revele regulierement impuissant.Les exemples abondent de successions de decisions qui ne produisentpas d'effets1 Les effets du volontarisme politique varient grandementen fonction de la mise en ceuvre qui revele toujours des acteurs inattendus, des processus chaotiques et des consequences inattendues. Levolontarisme politique est souvent une fa<;ade,parfois une mise enscene qui n'explique pas ce qu'est l'action publique ;
- une rupture avec l'unicite de l'Etat: Ie mythe de l'ETAT enmajeste, homogene et impartial a fait son temps. II a ete mis a.bas parles travaux inspires par la sociologie des organisations qui ont montrela diversite des groupes et des strategies au sein de l'Etat. Les elites,les groupes professionnels, les reseaux d'acteurs, les niveaux hierarchi
ques montrent une tres forte heterogeneite, des logiques de specialisation, et ils s'affrontent regulierement sur leurs objectifs et moyensd'action. De plus, l'Etat n'est pas toujours au-dessus des interets particuliers, il a ses clienteles. Les politiques publiques sont influenceespar les groupes d'interets qui promeuvent leurs interets (materiels etJou symboliques) aupres des bureaucraties (par exemple, les grandscorps de l'Etat, les syndicats, un bureau de ministere, une agence... ).
- une rupture avec Ie fetichisme de la decision; alors que les politiques publiques etaient souvent analysees en termes de choix, les travaux de recherche ont montre !'importance de ce qui se passe en amontet en aval, les processus contradictoires, les suites dispersees, tant et
1. L'exemple Ie plus ancien est la cascade d'edits royaux sur la repression duvagabondage qui ne purent emp~cher I'emigration rurale et une forte circulationdes populations du xIV' au Xlx' sitcIe. Le plus recent, Ie epE.
Une lociologie politique de I'action publique 1
si bien que la decision se dissout dans l'action collective. Les non-decisions, les scenes invisibles et les acteurs caches sont apparus aussiimportants dans l'action publique que les grands gestes visibles et misen scene.
Si la sociologie de l'action publique a rompu avec les visions hierarchiques et etatiques, il est cependant errone selon nous de fairel'impasse sur la question politique. La demarche feconde consiste a.travailler sur les articulations entre regulation sociale et regulationpolitique, entre ce qui est gouveme par les politiques publiques et cequi ne l'est pas.
3.3 Regulation sociale, regulation politique
Commel'indiquent les definitions precedentes, l'action publiquecontribue au changement social, a.la resolution de conflits, aux ajustements entre differents groupes et interets, mais elle vise egalement a.repartir des ressources, a.creer ou compenser des inegalites. L'interaction entre autorites publiques et acteurs sociaux plus ou moins bienorganises est donc centrale pour les politiques publiques. En proposant une sociologie politique de l'action publique, nous ne pre tendonspas que la societe est forcement structuree par Ie politique1, mais ellel'est en partie, notamment via les politiques publiques.
La « Polis * ce sont les affaires de la Cite, les debats sur les finalitescollectives, l'agregation de demandes et d'interets divers et l'arbitragequi est fait entre eux. Historiquement, une sphere d'activite particuliere de la societe s'est differenciee. Selon Lagroye, la specialisation dupolitique est une affirmation de roles. Elle est aussi une question depouvoir et de domination au sens de Weber, c'est-a.-dire d'exerciced'autorite, de mobilisation de ressources et de capacite de sanction.Les sociologues et notamment Talcott Parspns insistent davantage surune definition du politique en termes de capacite de mobilisation etde coordination d'acteurs sociaux autour de buts discutes collectivement.
1. Le terme • politique • est ambigu. L'anglais distingue : politics (\a vie parti
sane, partis, elections), polity (Ie systtme politique, les fondements theortquesde I'Etat), policy (politiques publiques).
1Une sociologie politique de I'action publique
Us rejoignent les politistes pour souligner !'importance des modesde definition des finalites collectives. Le choix des priorites socialesest l'objet de debats contradictoires entre acteurs et interets, d'ou!'importance des logiques d'agregation et des ressources legitimesmobilisables.
Par consequent, Ie politique n'est pas' un isolat. Comme ecritB.Jobert ; « la regulation politi que est donc soumise a un defi permanent, celui de concilier la construction d'un ordre politique legitimeet de contribuer a celIe d'un ordre sociaL.. forcement complexe etcontradictoire » (1999, p. 125).