169
Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 2: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

QUE SAIS-JE ?

Sociologie du couple

JEAN-CLAUDE KAUFMANN

Directeur de recherche au CNRS

Sixième édition

32e mille

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 3: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Introduction

Le couple n’est plus ce qu’il était. Il se transforme avecrapidité et en profondeur. Parallèlement, tout ce quitouche à la vie quotidienne et à la vie privée, autrefoistransmis par la tradition, est mis en questionnementgénéralisé. Chacun veut savoir le pourquoi du moindredétail, et le comment lui permettant d’améliorer sonexistence.

Ceci explique la floraison de livres pratiques sur lesujet et leur succès éditorial ces dernières années  [1].Leur analyse montre qu’ils sont presque tousconstruits sur le même schéma, mêlant desobservations concrètes souvent justes et parlantes, quisoulignent en particulier la difficulté de compréhensionentre hommes et femmes, et une absenced’explications de fond, réduites à quelques argumentsqui se résument en réalité à un seul : la différence denature entre hommes et femmes. Or, la naturen’explique pas l’essentiel des différences, et aller troploin en ce sens conduirait à désespérer de l’évolutiondu couple. Prenons un seul exemple. Nous verronsdans ce livre que si les hommes et les femmes neparlent pas de la même manière, c’est parce qu’ilsn’occupent pas la même position dans le couple : lesfemmes sont obligées de parler plus et plus fort parce

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 4: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

qu’elles sont en première ligne, alors que les hommess’expriment plus rarement et de façon plus neutreparce qu’ils sont moins engagés. Si à ce moment onfait une irm du cerveau des deux partenaires, onconstate qu’effectivement les aires cérébrales activéesne sont pas les mêmes  [2]. Mais cela ne signifie pasqu’ils ont deux cerveaux différents ! Cela signifie qu’ilsne jouent pas le même rôle dans le couple, et cettedifférence-là reste à expliquer.

Une telle erreur d’analyse n’est cependant pasimputable aux seuls auteurs de ces livres. Elle est eneffet rendue possible par l’insuffisance des recherchesscientifiques sur le couple (souvent de qualité, maispeu nombreuses et éparses), en décalage avec la fortedemande sociale de savoir sur le sujet. Le présentouvrage répond donc à une urgence et tend à comblerun vide, au moins pour regrouper ce qui existe et lerendre plus visible.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 5: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre I

Le choix du conjoint

I. – L’homogamie

Le couple commence avec le choix du conjoint. Pourle sens commun, ce choix, hier opéré par les familles,est devenu libre, ouvert, incertain. Effet du hasard desrencontres, de l’imprévisibilité du sentiment amoureux,ou d’un calcul d’intérêt mûrement réfléchi. Événementmajeur qui enferme l’avenir en sélectionnant entreplusieurs destins possibles, il justifiait que ce flou dela connaissance soit levé.

En 1959, l’Institut national des études démographiques(ined) mène une vaste enquête, dirigée par Alain Girard [1]. Les résultats, devenus célèbres, sont publiésen 1964. Ils peuvent se résumer en deux formules :n’importe qui n’épouse pas n’importe qui ; qui seressemble s’assemble. Vingt-cinq ans plus tard,Michel Bozon et François Héran mettent en chantierune nouvelle enquête (auprès de 3 000 personnes)pour vérifier les hypothèses et approfondir l’étude desmécanismes du choix. La conclusion est nette : « La

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 6: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

“foudre” quand elle tombe, ne tombe pas n’importe où :elle frappe avec prédilection la diagonale. »  [2].Diagonale qui traverse d’un coin à l’autre un tableau àdouble entrée croisant profession du père de la femmeet profession du père de l’homme (cf. tableau). L’onconstate que (taux supérieurs d’au moins 50 % à lamoyenne) les artisans associent leurs enfants avecdes enfants d’artisans, les commerçants avec descommerçants, les ingénieurs avec des ingénieurs, lesinstituteurs avec des instituteurs, les ouvriers qualifiésde type industriel avec des ouvriers qualifiés de typeindustriel, les ouvriers qualifiés de type artisanal avecdes ouvriers qualifiés de type artisanal, les ouvriersnon qualifiés de type industriel avec des ouvriers nonqualifiés de type industriel, etc. L’homogamie estparticulièrement forte aux deux extrémités de l’échellesociale  [3]. Vingt-cinq ans après l’enquêted’Alain Girard, l’endogamie (le fait de choisir unconjoint de même origine géographique) est un peumoins forte, ceci étant logiquement lié audéveloppement de la mobilité résidentielle. Mais il estremarquable que l’évolution soit très lente : près d’unefois sur deux, l’homme et la femme formant un couplesont encore aujourd’hui nés dans un mêmedépartement  [4]. Quant à l’homogamiesocioprofessionnelle, si elle tend à diminuer trèslégèrement  [5], il est vraisemblable qu’il s’agisse d’unsimple glissement de critères  [6], le métier devenantmoins discriminant que le niveau de revenu, la position

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 7: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

sociale, les affinités culturelles.

La pertinence du concept d’homogamie est donc toutà fait vérifiée. L’écho de la recherche d’Alain Girard aété tel qu’il a toutefois produit un « effet d’impositionsavante » plaçant l’homogamie comme « cadre deréférence obligée pour la plupart des travaux sur lechoix du conjoint »  [7]. Au-delà du mondeuniversitaire, elle est devenue une catégorie de penséeusuelle ayant « force de loi »  [8]. Ce « succès » duconcept a eu des conséquences négatives : il aconduit à le simplifier et à le rigidifier dans sesapplications les plus larges, et à le globaliser alors queles diverses composantes de l’homogamie(géographique, professionnelle, culturelle) renvoientchacune à une analyse spécifique. Par glissementssuccessifs, une association d’idées s’est faite entrehomogamie et stabilité conjugale, se traduisant,notamment aux États-Unis, par des conseilsconjugaux privilégiant la ressemblance des futursconjoints. Or, la corrélation entre les deuxphénomènes n’a pu être prouvée de façon satisfaisante [9]. « L’hétérogamie du statut social ne semblefavoriser le divorce que dans les (rares) cas oùl’homme a un niveau sensiblement inférieur à celui desa femme. »  [10]. De même, le lien entre hétérogamieet désaccords idéologiques dans le couple n’a pu êtreétabli  [11].

L’histoire et les retombées sociales du concept

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 8: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

d’homogamie méritent qu’on s’y attarde. Pourquoi untel effet produit dans l’opinion ? Pourquoi un usage sidogmatique, notamment dans les domainesd’applications concrètes ? Sans doute parce que larévélation de l’homogamie s’oppose à la représentationdominante selon laquelle les couples sont fondés surl’amour. L’idéal amoureux, mis en scène dans lesfeuilletons et les romans, se veut libre de touteprédéfinition du futur conjoint : les princes doiventpouvoir épouser des bergères. Il est exact que raressont ceux et celles qui se laissent totalement bercerpar cet idéal. Mais là est justement la raison dusuccès du concept. Car chacun voudrait croire auchoix amoureux sans parvenir à y croire vraiment.C’est dans les failles de cette mauvaise conscienceamoureuse que l’évidence simplificatrice del’homogamie s’installe. Le sens commun peut en effetdifficilement nier le fait que « n’importe qui n’épousepas n’importe qui ». Il suffit de bien regarder autour desoi pour constater que les hasards des rencontres etles « coups de foudre » ne sortent guère des cases del’échiquier social : « On n’appareille pas un geai avecune agace » (réponse d’un agriculteur rapportée parAlain Girard)  [12].

Cette mise en perspective du concept d’homogamie neretire rien à la qualité des travaux d’Alain Girard,novateurs et ayant circonscrit un mécanisme socialimportant. Elle incite simplement, suivant la voie

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 9: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

ouverte par François de Singly (qui critiqueprincipalement le statisme et le déterminisme duconcept)  [13], à poursuivre la recherche en évitant lessimplifications réductrices. Pour commencer, il estnécessaire de distinguer les deux composantes del’homogamie (« qui se ressemble s’assemble » et« n’importe qui n’épouse pas n’importe qui »), leuramalgame brouillant les données et empêchantd’affiner l’analyse.

II – Qui se ressemble s’assemble ?

1. Semblables et différents

L’effet produit par la découverte de l’homogamie aconduit à globaliser les ressemblances entre conjoints(géographiques, sociales, culturelles)  [14] et à lesmettre en avant. Alain Girard, après avoir noté lafréquence des mariages entre sourds-muets, entrepersonnes atteintes de troubles névrotiques, entreveufs et divorcés, entre personnes de même typephysique ou de même quotient intellectuel, enconclut : « Ainsi de toutes parts apparaissent entre lesconjoints des traits de ressemblance. »  [15]. Or, si larecherche de la proximité est fréquente dans le choixdu conjoint, elle n’est pas systématique, bien aucontraire : la recherche de différences est peut-êtreaussi importante. Ces différences ne sont pas unrésultat par défaut d’homogamie, elles ne se

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 10: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

répartissent pas au hasard : elles s’inscrivent dansdes règles sociales de correspondance que lafocalisation sur l’homogamie n’a pas encore permis debien étudier.

Des dissimilitudes élémentaires ont été négligées,comme celles qui opposent hommes et femmes.François de Singly note que la fixation surl’homogamie comme opérateur du maintien de l’ordresocial a occulté les spécificités sexuelles. Or, « unhomme et une femme ne se vendent pas sur lemarché matrimonial de la même façon »  [16]. Il ledémontre en étudiant les petites annonces. Certes, ils’agit d’un « marché matrimonial parallèle »  [17], maissa particularité en fait un espace idéal d’analyse. Carles prétendants sont amenés à se présenter envalorisant les traits susceptibles de séduire lespersonnes du sexe opposé. Se dégagent ainsi desportraits masculins et féminins très tranchés. Leshommes mettent en avant leur profession et leurscapitaux économiques, les femmes leur aspectphysique et secondairement leurs compétencesrelationnelles  [18]. Plus les hommes sont riches, plusils amplifient leur demande en excellence esthétique,plus les femmes sont belles (ou considérées commetelles), plus elles amplifient leur demande enexcellence sociale  [19]. Hommes et femmesrecherchent non la similitude, mais unecomplémentarité sexuelle, socialement codée avec

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 11: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

une certaine précision. « La négociation entre lesfuturs partenaires se déroule avec pour normesimplicites deux principes : l’équivalence sociale et la“complémentarité” sexuelle. »  [20]. Ainsi, concernantles qualités personnelles, les femmes de milieupopulaire cherchent-elles un homme « travailleur etcourageux » alors que les hommes souhaitent trouverune femme « simple et soigneuse »  [21]. À y regarderde près, l’homogamie sociale n’est d’ailleurs pastotale, elle aussi étant marquée par une différencesexuelle : si hommes et femmes qui se ressemblents’assemblent, la femme épouse généralement unhomme dont le statut social est un peu plus élevé quele sien (hypergamie). Ce qui explique qu’aux deuxextrêmes la correspondance soit problématique : leshommes les plus défavorisés et les femmes les plusaisées se marient difficilement  [22].

La question des ressemblances et des différencesentre conjoints est en fait très complexe. La recherchede proximité n’est pas limitée au statut social. Dans ledomaine des positions culturelles, des goûts et desmanières, dans les détails les plus fins de la viequotidienne, les futurs partenaires découvrent lapossibilité de s’unir parce qu’ils ont un langagecommun. Mais en même temps, la recherche estaussi celle de complémentarités, donc de différences,de natures très diverses. Attente de proximité et decontraste sont souvent étroitement mêlées, point par

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 12: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

point : l’autre doit être aussi proche que possible, touten apportant une richesse particulière, faite de ce dontl’on est le moins doté. Ainsi se constitue une unitéconjugale qui n’est ni affaiblie par les dissemblancesdes deux parties ni divisée par la concurrenceprovoquée par l’affrontement de deux individualitéssimilaires. Les psychologues arrivent aux mêmesconclusions. Reprenant Jurg Willi  [23], Jean-Georges Lemaire souligne que les couples se formentautour d’une « perception inconsciente d’uneproblématique commune, avec simultanément desmanières complémentaires d’y réagir chez l’un etl’autre »  [24]. Le même auteur signale que ces« manières complémentaires » sont extrêmementvariables suivant les situations. Par exemple, celui quiadopte le rôle « protecteur » dans des circonstancesdonnées adoptera le rôle « protégé » dans d’autrescirconstances  [25]. J’ai personnellement eu l’occasiond’observer de telles variations dans une enquête sur lapeur : certains entretiens montraient comment lesconjoints avaient accentué l’écart de leurpositionnement par rapport au sentiment d’insécuritéaprès la mise en couple, l’un était devenu plus peureuxet sensible au moindre risque, l’autre minimisant lesmêmes risques dans un rôle d’idéologue de ladécontraction permettant à la famille tout entière devivre positivement l’instant présent. Chacun, puisantdans les prédispositions qui l’avaient placé plutôt dansl’une ou l’autre direction, s’était laissé glisser vers une

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 13: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

position plus extrême pour forcer le contraste etconstruire ainsi un jeu de rôles très complémentaires.Il est intéressant de remarquer que ces deux niveauxcontradictoires de positionnement par rapport à la peurdivisent tout individu : nous cherchons continuellementà la fois à oublier les risques, pour être optimistes etentreprenants, et à prendre les précautionsnécessaires. Or, toute division interne est combattuedans le processus de construction de l’identité : sansy parvenir jamais, nous cherchons à être le pluscohérent possible  [26]. La mise en couple offre lapossibilité de renforcer cette cohérence, en reportantles dissonances les plus fortes sur le conjoint dans lecadre de la formation du « moi conjugal »  [27]. Jean-Georges Lemaire signale une configurationintéressante du rapport existant entre constructionconjugale et processus identitaire. Certainespersonnes ayant des difficultés psychologiques(notamment une inhibition, des tendances à lapassivité, des attitudes dépressives) recherchent unpartenaire ayant la même difficulté, mais plusaccentuée. Cette caricature d’elles-mêmes permettantde repousser le « moi négatif » sur le conjoint et derenforcer le sentiment de leur propre valeur  [28]. Ildevient clair ainsi que la complémentarité n’est pas unsimple élément annexe, encore moins un raté del’homogamie, mais qu’elle se situe au cœur du couple.Une enquête menée sur l’entretien du linge et laformation des jeunes couples en donne un autre

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 14: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

éclairage  [29]. La mise en couple est désormaisprogressive, ce qui donne le temps d’« expérimenter »le partenaire, de vérifier que l’accord sur un certainnombre de références communes permet une ententeminimum, que l’homogamie sociale, de goûts et demanières, est plus ou moins respectée. Parallèlement,la norme dominante concernant le partage des tâchesménagères est celle de l’égalité de répartition et uneméthode fréquente, celle de la rotation (« chacun sontour »), méthode qui correspond à la supposéeharmonie des goûts et des manières. Or, l’histoire desdébuts de la vie à deux est aussi celle de ladécouverte des différences et de leurs effets. Contrel’idéologie conjugale officielle du partage égalitaire etde l’interchangeabilité, les deux partenairesaccentuent peu à peu leurs particularités. Cetteévolution est liée au partage des tâches ménagères,qu’elle facilite, chacun effectuant ce qu’il considèrecomme étant le moins pénible et le plus important.Elle est liée également à une recherche de cohérenceidentitaire. Ainsi, dans le cadre de la vérification deleur proximité, les jeunes partenaires expérimententaussi la mise au point d’une différenciation opératoire,à partir des écarts dans les dispositions acquises parl’un et l’autre au moment de la mise en couple.L’articulation ressemblances/différences est centraledans la formation du couple (l’unité complémentaireest parfois l’art d’associer la plus grande proximitéavec la plus grande différence). Il s’agit d’un processus

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 15: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

dynamique et complexe, lié à la recomposition desidentités, donc à l’histoire particulière de la personne,qui ne peut être rendu par une comptabilité séparéedes ressemblances et des différences. Des règles decorrespondance entre différences peuvent cependantêtre isolées. Si l’étude des complémentarités qu’ellessous-tendent est délicate, la simple mise en évidencede corrélations est très intéressante, bien autant quela règle homogamique.

2. Les règles de correspondance

Prenons l’exemple de l’écart d’âge entre hommes etfemmes dans le couple. Depuis plus de vingt ans, ilest très régulier (environ deux ans en moyenne). Lesenquêtes qualitatives montrent que c’est surtout lafemme qui souhaite cet écart. Pour une femme d’unâge donné, le choix du conjoint se portera donc defaçon privilégiée sur un partenaire ayant un âge définiavec une certaine précision. Le pronostic devientencore plus fiable si l’on situe la femme dans sonparcours biographique et dans un groupe social.Michel Bozon a étudié dans le détail ces variations [30]. Ainsi, plus la femme commence tôt sa vie decouple, plus le partenaire choisi est éloigné par l’âge :cinq ans et demi si elle a 17 ans, quatre ans et demisi elle en a 18. L’écart n’est plus que de neuf-dix moislorsqu’elle se met en couple à 25 ans. Plus tard, elleaccepte même l’idée d’un homme plus jeune qu’elle.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 16: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Surtout si elle est cadre, profession intermédiaire ouemployée, les ouvrières et les agricultrices sedistinguant au contraire par un écart d’âge plus élevéque la moyenne. La règle de correspondance peutencore être précisée si l’on affine les catégories. Parexemple, les femmes ayant deux unions successivespassent d’un écart de quarante mois en moyenne à lapremière à un écart de vingt-cinq mois en moyenne àla seconde. Si elles décident de se marier plutôt quede cohabiter, l’écart sera plus important, etc. En bref :le passé biographique, l’environnement social et lasituation présente permettent de diagnostiquer avecune bonne probabilité l’âge du futur élu. À demiconsciemment, la femme dessine un portrait-robot quilimite l’étendue du choix. Car l’exemple de l’âgepourrait être pris pour toutes les autrescaractéristiques de l’individu. Prenons l’écart de taille,très lié à la question de l’écart d’âge : en moyenne, lesfemmes cherchent un homme qui soit de 11 cm plusgrand qu’elles. Chiffre qui varie suivant le milieu sociald’appartenance, et même suivant la taille desintéressés : les hommes petits cherchent idéalementun écart positif, mais moins important que la moyenneet les femmes grandes un écart plus important que lamoyenne.

Dans un autre article, Michel Bozon parvient à repérerdes correspondances dans le domainesociologiquement difficile à appréhender des

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 17: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

apparences physiques  [31]. Il montre ainsi que lesfemmes « intermédiaires du secteur privé »(secrétaires de direction, comptables, rédactricesd’assurance, dessinatrices) travaillent leur silhouettepour apparaître plus minces et plus blondes que lesfemmes d’autres catégories sociales. Ce qui n’est passans rapport avec l’attente, relativement bien définie,d’un groupe d’hommes, les ingénieurs et cadres duprivé, qui, plus que les autres, souhaitent une femmegrande, mince, blonde, aux yeux bleus. Si l’onexamine les tableaux croisant les catégories socialesdes conjoints, il apparaît que les unions entre femmesintermédiaires du secteur privé et cadres du privé sontnettement surreprésentées  [32]. Les catégories deperception favorisent donc les échanges privilégiésentre certains groupes. Les caractéristiques physiquesne sont pas perçues indépendamment d’autreséléments comme la manière de s’exprimer ou la tenuevestimentaire : « Tout ceci aboutit à des jugements detype moral, psychologique ou intellectuel sur lesindividus, qui dessinent, mais de façon indirecte, lesoppositions d’un espace social. »  [33]. Les cadressupérieurs portent plus que d’autres des lunettes. Plusque d’autres également, ils se voient attribuer laqualité d’intelligence. Or, cette qualité est celle qui lesmarque prioritairement sur l’échiquier social desrencontres  [34]. Dans la perception des hommes parles femmes, le port de lunettes (associé à d’autresaspects du comportement) opère comme un indicateur

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 18: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

pour la formation des couples.

Les règles de correspondance associant hommes etfemmes selon des régularités statistiques neconstituent pas un autre versant, une simple extensionde l’homogamie. Elles renvoient en effet à un arrière-plan théorique différent. L’homogamie est étroitementliée à la question de la reproduction et de laconservation de l’ordre social par des mécanismesguidant les individus et limitant leur liberté. PourAlain Girard, « Les mécanismes qui président au choixdu conjoint tendent à maintenir les structuresanciennes »  [35], et les individus sont fortementdéterminés dans leurs choix. Les règles decorrespondance, au contraire, peuvent difficilementêtre dissociées du jeu des acteurs. Si elles peuventêtre définies avec une relative précision à un momentdonné, elles sont historiquement changeantes, enrapport avec le renouvellement des goûts et desmanières, avec l’évolution des relations entre groupessociaux. Les femmes « intermédiaires du secteurprivé », minces et blondes, ne travaillent leur silhouettepour atteindre ce résultat que parce qu’il s’agit du typede féminité actuellement le plus valorisé et qu’il estdonc, pour cette raison, mis en avant par lesingénieurs et cadres du privé. Mais il suffit que lescanons de la beauté ou les professions setransforment pour que la règle de correspondance soità reformuler. L’écart d’âge moyen entre hommes et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 19: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

femmes semble très stable depuis plus de vingt ans.Cette stabilité apparente est pourtant le résultat dedeux mouvements contradictoires : l’écart se réduitdans les unions de cohabitants célibataires alors qu’ils’élève chez ceux qui se marient d’emblée  [36]. Plusl’on s’éloigne des moyennes, plus les règles decorrespondance s’affinent et se diversifient, plus l’onse rapproche sinon de stratégies, du moins depositions particulières prises par les acteurs. Sil’ingénieur ou le cadre du privé trouve idéalement dansla case sociale adaptée la femme correspondant à sesdésirs esthétiques, c’est parce que cette dernière acompris son attente, s’y est conformée ou l’asuscitée, en suivant un régime amaigrissant et en sefaisant teindre les cheveux. Entre détermination desconduites et stratégies d’acteurs, la question qui sepose (et cela vaut tout autant pour l’homogamie quepour les règles de correspondance) est donc de savoirs’il y a simple « découverte » du conjoint ou véritablechoix.

III. - Choix ou découverte duconjoint ?

1. Statut hérité et statut acquis

Les études sur l’homogamie sont souvent liées auxévaluations de la mobilité sociale. Elles croisent doncprioritairement la profession des parents des deux

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 20: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

conjoints (statut hérité). Si l’on croise les statutsacquis, c’est-à-dire les capitaux économiques etculturels accumulés par les individus (que ce soit parhéritage social ou par leur propre effort) au moment deleur union, on constate que l’homogamie est plus forteque celle qui se rapporte à la génération précédente [37]. La proximité sociale est donc d’abord mise enœuvre par les partenaires eux-mêmes. Jean Kellerhalsconstate que le processus d’homogamie s’esttransformé au cours de l’histoire. Alors qu’il étaitautrefois le fruit d’une transmission intergénérationnellecontrôlée par la communauté, l’histoire du couples’organise désormais « autour des conjoints eux-mêmes beaucoup plus qu’elle ne s’ancre dans lestissus sociaux des aînés ». « Le couple se situe dansla courte durée de sa propre histoire. »  [38].L’équivalence posée entre homogamie et faiblesse dela mobilité sociale est donc trompeuse. Car elle estétablie sur le fait que les individus se dégagentdifficilement de leur statut hérité lorsqu’ils seprésentent au mariage, que ce dernier est un élémentcentral du mécanisme de conservation des hiérarchiessociales. Alors qu’il se limite à regrouper lesproximités sociales acquises. Il peut même êtreconsidéré comme un instrument de la mobilité.

François de Singly en donne un exemple dans sonanalyse de la « dot scolaire »  [39]. Un bon niveaud’études ouvre la voie à un « beau mariage », offrant la

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 21: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

possibilité d’une mobilité sociale ascendante. Les fillesd’ouvriers qui ont une « dot scolaire » de quinzeannées épousent des ouvriers. Celles qui disposentd’un investissement supplémentaire d’un an épousentdes employés ou des cadres moyens. Un supplémentde deux ans ouvre la possibilité de pouvoir épouser uncadre supérieur. « Ainsi, plus une fille a un capitalscolaire différent de celui des autres filles de songroupe social qui sont homogames, et plus elle a dechances que son mari s’éloigne par sa position socialede celle de son père. »  [40].

2. Les écarts à la règle

L’homogamie est donc à rapporter d’abord à lasituation des individus au moment de leur mariage, cequi introduit déjà un élément de dynamisme dansl’analyse. Mais il faut aller plus loin. Si le tableau descorrespondances sociales est impressionnant, onoublie trop facilement qu’une majorité d’unions sonthétérogames. Or, est-ce la règle de respect desproximités sociales qui est la plus intéressante àétudier, ou les écarts à cette règle, les unionshomogames ou les hétérogames ? Est-ce lamachinerie de conservation des hiérarchies ? Ou lesjeux d’acteurs, les tactiques de complémentaritésconjugales, les stratégies de mobilité ? En démontrantque les individus tentent de valoriser au mieux leurscapitaux sur le marché matrimonial, François de

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 22: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Singly indique tout l’intérêt d’une analyse portant surles écarts à la « règle » homogamique. Il analyse ainsicomment le « beau mariage », celui qui permet à lafemme une mobilité sociale ascendante, est lié à uneconception des échanges conjugaux  [41]. Car lafemme valorise alors ses capitaux par l’intermédiairede son mari, dans un statut de dépendance sociale etd’infériorité dans les rapports de pouvoir domestiques [42]. En cas de rupture conjugale, la réussite socialeassurée par le mariage ne peut être reproduite que parun nouveau placement matrimonial. La mort du mari lerévèle ; la veuve n’a plus qu’un patrimoine dévalué surle marché du travail, mais conserve un patrimoineintact sur le marché du mariage. Plus précisément,« le maintien ou l’amélioration de la valeur féminine estd’autant plus fréquent que le premier mariage étaitconclu avec un homme situé plus haut socialement » [43]. Le « beau mariage » construit donc un type derapports conjugaux et d’identité d’épouse qui ouvrentl’éventualité d’un second mariage accentuant encore lamobilité. À l’extrême opposé de l’échiquier desstratégies féminines, celle qui mise tout sur sesétudes pour réussir individuellement sur le marché dutravail risque de ne pas trouver de candidat disponiblesur le marché matrimonial, à cause du décalage descalendriers (les hommes épousent des femmes plusjeunes qu’eux). « Une bonne dot scolaire forme unevaleur ajoutée et augmente les chances d’obtenir enéchange un mari ayant une forte valeur, mais dans une

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 23: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

conjoncture matrimoniale difficile pour la femme. » [44]. Dans ce cas, l’écart à la règle homogamiquepeut se manifester sous la forme d’une impossibilitéd’union ou du choix d’un conjoint non conforme auxattentes.

3. L’hypothèse des petits marchés

Le choix du conjoint ne s’opère pas au hasard. Selonla place occupée dans la société, les probabilitésstatistiques circonscrivent les partenaires potentiels àl’intérieur d’un cercle relativement étroit. « Lescandidats ou candidates possibles en vue du mariagesont, pour un individu, en nombre extrêmementréduit. »  [45]. C’est le mérite d’Alain Girard d’avoir,pour la France, révélé cette machinerie sociale. Lescorrélations statistiques poussent toutefois à uneconclusion qui, si elle semble de bon sens, n’est pasprouvée et est sans doute fausse : le fait que lescandidats possibles soient en nombre réduit induiraitqu’il n’y ait pas ou peu choix du conjoint, mais plutôt« découverte ». La surprise serait une fausse surprise,la société tirerait les ficelles de la rencontreamoureuse. « Peut-on même parler d’un choix, tantsont étroites les limites dans lesquelles il peut sefaire ? Le vrai problème pour les futurs conjoints n’estpas tant de se choisir que de se trouver. »  [46]. Lesauteurs de la monographie sur Nouville, un villagefrançais étaient arrivés aux mêmes conclusions : « En

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 24: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

réalité, les deux partenaires du couple se sont plustrouvés que choisis. »  [47]. Dans le cadre de lasociété rurale marquée par le modèle traditionnel,l’étroitesse du choix était une réalité effective,d’ailleurs aisément observable. C’est lorsqu’est établieune continuité avec le marché matrimonial actuel quel’hypothèse d’un choix inexistant ou réduit devienterronée. Si l’homogamie reste relativement stable (ellediminue quand même un peu), elle change cependantde nature. Plus précisément : les ressemblances entreconjoints ne sont plus produites de la même manière.Soulignant les similitudes avec le choix du conjointdans la société traditionnelle, Alain Girard met enévidence l’existence d’« isolats sociaux »  [48].Reprenant une étude belge  [49], il indique que lapossibilité de choix existe seulement à l’intérieur de« petits marchés », de « marchés séparés », où« seuls des candidats en nombre restreint peuvent seprésenter »  [50]. Or, cette interprétation, pour attirantequ’elle soit, ne semble pourtant pas correspondre à laréalité. S’il est certain que le choix se fixemajoritairement dans certains cadres, cela ne signifiepas en effet que la possibilité d’autres choix,nombreux et divers, n’ait pas été envisagée. Lemarché matrimonial est en fait très large, ouvert, fluide,incertain, les hésitations sont fréquentes. Si cesdernières débouchent souvent sur l’élection d’uncandidat homogame, peut-on en conclure que le« choix » était défini d’avance ? Ce serait oublier que

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 25: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

plus d’une union sur deux n’est pas homogame. Lamajorité de choix non conforme à la règlehomogamique est en elle-même la preuve que toutn’est pas décidé d’avance dans un petit marché fermé.Elle permet également de penser que les choixhomogamiques auraient pu être différents. Plutôt quel’image statique des marchés fermés, il seraitpréférable de considérer la plus ou moins grandeproximité avec la règle homogamique. Lesmécanismes sociaux du choix du conjoint poussent àl’association des semblables et au respect decorrespondances de natures diverses. Mais lesacteurs conservent une marge de jeux. Ils peuventchoisir un type d’union ou un autre, ils doivent arbitrerentre des candidats différents. L’ampleur de cetteouverture est même à la base de l’instabilitégrandissante des structures conjugales. Le choix portesur des personnes concrètes, engageant, suivant ladécision, vers des avenirs différents. Sur l’échelle deproximité homogamique, ils se situent à une plus oumoins grande distance et non dans l’une ou l’autre dedeux catégories distinctes et figées (homogame ounon homogame). Tout écart, même minime, étantsignificatif est le résultat d’un arbitrage. L’attirancehomogamique doit être analysée comme un processusdynamique.

Seule une vision dynamique permet de comprendreque le rétrécissement du marché des candidats

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 26: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

potentiels ne produit pas automatiquement unediminution des choix possibles : lorsque certainesconditions créent la situation d’un « petit marché »apparent, les partenaires n’hésitent pas à s’éloignerencore plus des règles homogamiques et decorrespondance. Une recherche américaine en donneune bonne illustration  [51]. Les femmes arrivant sur lemarché matrimonial au-delà de 30 ans sontconfrontées au problème de la rareté des candidatspotentiels  [52]. Elles le contournent par la préférencepour la vie célibataire ou le résolvent en effectuant unchoix éloigné des règles de correspondance (écartd’âge plus important lié à la présence de divorcésparmi les partenaires choisis, niveau culturel plusfaible que celui qui aurait pu être espéré)  [53]. Lerétrécissement du marché ne limite donc pas le choix,il l’avive au contraire, en incitant à résister à l’attirancehomogamique.

La vision dynamique du processus d’attirancehomogamique a un autre intérêt : elle permet decomprendre comment changent les règles decorrespondance. Car ces dernières évoluent à partirdes stratégies de contournement, quand les choixapparemment atypiques se multiplient et définissentde nouvelles règles.

4. Comment s’opère le choix ?

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 27: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Si elle est relativement stable, l’homogamie, outre lefait que les critères et les procédures se transforment,tend cependant à diminuer légèrement. L’union libre,en développement, élargit l’éventail des possibles dansle choix du conjoint  [54]. Au niveau des idées,l’évolution est encore plus nette : Louis Roussel noteque les jeunes générations expriment une opinionmarquée par des valeurs culturelles favorables àl’hétérogamie  [55].

Une énigme reste cependant à résoudre : pourquoi, lesmarchés matrimoniaux devenant plus ouverts, l’opiniondevenant plus favorable à l’hétérogamie, l’homogamiereste-t-elle quasi stable, en diminution très lente ?Pourquoi la liberté amoureuse ne provoque-t-elle pasdavantage de bouleversements dans la grille descorrespondances sociales ? Ces questions nousamènent à nous intéresser à la façon dont s’opèreconcrètement le choix.

Un premier groupe d’explications renvoie auxconditions concrètes de la rencontre et des débuts dela formation du couple.

Michel Bozon et François Héran analysent un pointintéressant : les lieux de rencontre  [56], qui sontsocialement construits de telle manière que n’importequi ne rencontre pas n’importe qui. Le choixsocialement délimité est donc la suite logique de cemarquage des lieux de rencontre : n’importe qui

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 28: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

n’épouse pas n’importe qui parce que n’importe qui nerencontre pas n’importe qui. Les auteurs dessinent un« triangle des rencontres » entre les « lieux publics »,les « lieux réservés » et les « lieux privés ». Chaquecatégorie socioprofessionnelle est positionnée entreces trois pôles. Les membres des milieux populairesse rencontrent dans les lieux publics (fêtes, foires,bals, rue, café, centre commercial), les classessupérieures à capital intellectuel dans les lieuxréservés dont l’accès est symboliquement oumatériellement contrôlé (association, lieu d’études,boîte, animation culturelle, sport), les cadres du privé,patrons ou professions libérales dans des lieux privés(domicile, fête de famille, entre amis)  [57]. Il estdifficile de démêler ce qui est le fait d’une stratégied’élection/exclusion sociale délibérée de ce qui estnon conscient : l’ouvrière va-t-elle au bal pour trouverun ouvrier, c’est-à-dire une personne détenant unebonne probabilité de devenir un conjoint, ou bientrouve-t-elle un ouvrier simplement parce qu’elle al’habitude d’aller au bal ? Que l’un ou l’autre aspectsoit dominant, le cadre ordinaire de sa sociabilité auradessiné un cercle du choix. La fréquentation de lieuxdéfinis aura défini ce que seront ses fréquentations.

Les suites de la première rencontre s’inscriventégalement dans des cadres sociaux de contrôle duchoix du conjoint. Ainsi, derrière la façade idéologiqueobligée du libre choix laissé à l’enfant, les parents

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 29: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

tentent-ils d’intervenir sans trop le montrer, surtout si lenouveau partenaire ne correspond pas aux attentessociales justifiées par la position occupée, ou s’ildéroge par trop aux règles, apprises d’expérience, dela complémentarité conjugale  [58]. Les jeunescouples eux-mêmes éprouvent la faisabilité et ladurabilité de leur union en entrant progressivement, àpas comptés, dans la vie commune. Le refus des’engager dès le début dans un système collectifintégré est une manière de vérifier que les différencesqui les séparent sont gérables sans trop de difficultés [59]. On peut en déduire l’hypothèse suivante. Si lesunions passagères deviennent plus ouvertes, plushétérogames, les premiers temps de la vie à deux, envérifiant la capacité d’entente entre les partenaires,fonctionnent ensuite comme un filtre : une part desunions les plus atypiques disparaît (celles qui résistentfaisant preuve d’une capacité amoureuseexceptionnelle), alors que les plus homogames (ou lesplus complémentaires) se maintiennent plusfacilement. Paradoxalement, la liberté amoureuse etl’instabilité conjugale n’empêchent donc pasl’homogamie de se perpétuer. La vision dynamique estici essentielle. Car il ne s’agit pas d’une simplecontinuité. Le processus aboutissant à ce résultat esttrès différent de ce qu’il était autrefois : il est beaucoupplus fondé sur la capacité d’action et de décision desacteurs.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 30: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le deuxième groupe d’explications porte sur lescatégories à partir desquelles est opéré le choix duconjoint.

Les couples mettent très largement en avant le rôle duhasard dans la formation de leur union, y comprisquand ils se sont rencontrés sur leur lieu de travail ouqu’ils ont été présentés par des amis  [60]. Variableambiguë et insaisissable, le hasard est « nulle part etpartout »  [61], apparent si on souhaite qu’il le soit, parle seul fait de considérer un maillon plutôt qu’un autredans la chaîne des événements : celui qui aurarencontré sa future partenaire sur son lieu de travailpourra toujours invoquer le « hasard » l’ayant conduit àêtre employé à cet endroit. L’évocation privilégiée duhasard est en fait une manière de se protéger, évitantd’avoir à donner une autre explication (la complexité etl’aspect contradictoire des réponses prouvent d’ailleursqu’une autre interprétation de la rencontre est souventprésente à l’esprit, étroitement mêlée à l’évocation duhasard)  [62]. Le hasard a tous les avantages. Ilpermet de repousser l’idée que l’on aurait pu évaluer lepartenaire comme une vulgaire marchandise, penser àune stratégie d’avenir en le choisissant, défendre sesintérêts personnels. Il permet, en jouant sur le flou, devaloriser le rôle du sentiment amoureux dans larencontre. Parler de hasard laisse libre cours àl’évocation d’une naissance mystérieuse de l’amour.

Sous un angle d’analyse mettant à jour les

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 31: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

déterminations cachées, l’amour perd cependantbeaucoup de son mystère. Étudiés dans le détail, lesjugements amoureux apparaissent comme desclassements sociaux : « Les appréciations sur lespersonnes se construisent en effet à partir decatégories de perception intériorisées, qui diffèrentselon le milieu d’origine et selon le sexe. »  [63].Michel Bozon démontre comment les critèresphysiques et l’évaluation des qualités morales etpsychologiques mettent en correspondance lescandidats des deux sexes. Il n’est pas sansimportance de préférer les « minces » ou les « forts »,les blondes ou les brunes, les « intelligents » ou les« travailleurs », les « spontanées » et « séduisantes »ou les « simples » et « soigneuses »  [64] : endécodant le langage du choix amoureux, il devientévident que les candidats au mariage parlentd’homogamie sans le savoir. S’ils refusent d’évoquertrop la profession ou les ressources, ou, plusprécisément, s’ils les dissimulent dans une perceptionsynthétique de la personne mêlant traits sociaux,physiques et psychologiques  [66], cette intériorisationdu classement social ne doit pas être interprétéecomme un affaiblissement de ce dernier. Sous d’autresmodalités, il reste fortement opératoire. Cette évolutionexpliquant que, alors que le marché matrimonialdevient en apparence plus ouvert et fluide,l’homogamie se maintienne avec une certaine stabilité.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 32: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

L’intériorisation des critères sociaux du choix n’estcependant pas un processus simple, et l’analyse doitaller plus loin. Les futurs partenaires conjugaux neparviennent pas en effet à résoudre une difficulté : lescatégorisations du choix leur apparaissant (plus oumoins nettement) dans leurs dimensions sociales etévaluatives du conjoint, une contradiction se formeavec la représentation dominante, qui veut que l’amourseul soit à la base de la formation des couples.Hasard ou choix ? Hasard ou amour ? Amour ouchoix ? Ordinairement, l’ambiguïté et le flousavamment entretenus permettent de lisser lescontradictions. Mais l’analyse détaillée des opinionsrévèle qu’en profondeur, de façon plus ou moinsconsciente, la réflexion s’agite. Michel Bozon etFrançois Héran notent que « le cynisme décelabledans le discours des agents », c’est-à-dire lareconnaissance d’une stratégie explicite, « n’est pasconstant d’un bout à l’autre de l’entretien ; il peut êtreréactivé ou laissé en sommeil selon la nature desquestions posées »  [67]. La réalité d’un choixmûrement réfléchi peut difficilement être perçue etavouée par les candidats au mariage. Pour une raisonsimple : elle s’oppose à l’idéal amoureux dans ce qu’ila de plus pur, loin de tout calcul.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 33: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre II

L’amour I. – Une histoire mouvementée

1. L’amour et le mariage

L’origine de l’amour courtois, au Moyen Âge, resteobscure. Ses règles, étonnantes pour l’époque, « sontl’antithèse de celles du mariage médiéval »  [1].Amour-passion, il ne peut se vivre qu’en dehors del’institution. L’amant est prêt à se soumettre corps etâme à sa dame. Ce dévouement fusionnel prendnéanmoins la forme d’un constant travail sur soi poursurmonter les épreuves (imaginées par la belle) etréaliser des prouesses, exalter l’individualité  [2]. Noussommes donc très proches, déjà, de la contradictioncontemporaine qui agite désormais la vie conjugale :Comment devenir le plus authentiquement soi tout envivant à deux, le plus intensément à deux ? Noussommes très proches aussi de l’alchimie actuellemélangeant subtilement sexualité et sentiment :l’amour doit procéder du corps tout en le sublimant.Sur certains points, il semble même que l’amourcourtois soit en avance sur notre époque.Jean Maritale décrit ainsi la survenue de l’état

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 34: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

amoureux, qui résulte d’un patient travail sur soi. Lecode courtois explique de quelle façon il est possiblede ressentir les émotions désirées. L’exact contrairede la représentation de l’amour tombé du ciel qui vaensuite s’imposer pendant des siècles. Et dont nousne sommes pas encore vraiment sortis. Voyonsjustement comment s’est installée cette idée del’amour céleste.

La parenthèse de l’amour courtois survient dans unMoyen Âge profondément troublé par l’absence d’unedéfinition claire de la place du couple, et surtout de lasexualité, incontrôlable, qui subvertit les lois tropsèchement énoncées. Pour parvenir à établir lemariage comme sacrement (et comme normedominante), un préalable intellectuellement trèscomplexe était nécessaire : définir une doctrine ledistinguant du péché de chair. Le sexe matrimonial futainsi moralisé. Sans pouvoir atteindre la pureté deMarie, mère bien que vierge, l’idéal était de s’enrapprocher, en assurant la reproduction biologique touten évitant les affres de la volupté. L’ascétisme ou dumoins la retenue, autrefois valeurs-signes du célibat,furent introduits dans le mariage. Au xiie siècle,l’élaboration doctrinale se précipita et s’inscrivit dansune cohérence d’ensemble : le mariage est voulu parDieu, il est un sacrement, œuvre de l’amour de Dieu ;entrer en mariage c’est partager l’amour divin. L’amourmatrimonial est donc plus proche de la caritas

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 35: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

spirituelle et indéfectible que de l’amor corporel etimpulsif  [3]. L’amour permet ce miracle : se détacherdu péché malgré la conjonction des corps.

Certes tout ne fut pas simple, la sexualité débordantene se laissa pas facilement dompter et les pénitencesfurent nombreuses. Mais à la fin du Moyen Âge, lesdéfinitions semblent se clarifier en même temps que lemariage s’impose peu à peu. Hélas, au xvie siècle, lepaysage se brouille. Sur le front de la sexualitéd’abord. Dans le secret des confessionnaux, larépression s’abat contre les amours physiques« exagérés », « trop ardents » et « contre nature » : lebut de l’acte n’est pas le plaisir, mais la stricteprocréation. Le péché est encore plus grave entre mariet femme qu’en dehors des liens du mariage. Sur unnouveau front ensuite : celui du sentiment. Jusque-làtout semblait assez simple : il y avait l’amour divind’un côté, unique, positif, transcendant, qui soude àvie le groupe conjugal ; et de l’autre les plaisirs païenset paillards, qu’il s’agissait de résorber. Apparaît alorsdiscrètement une position intermédiaire, « une sorted’amour profane » qui tente de se faire admettrecomme « vrai amour », parce qu’il se veut« honneste » et « pudique »  [4]. Les théologienss’insurgent contre ce sacrilège qui conduit à préférersa femme à l’union avec Dieu. Vainement : lamodernité sentimentale avait commencé sa longuemarche.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 36: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

La clarification de la norme conjugale n’avait donc étéqu’apparente et provisoire. Le mariage semblaitsolidement installé comme institution ; mais quel étaitson contenu exact ? La conception purement divine del’amour ne parvenait pas à canaliser totalement lasexualité ni à étouffer l’émergence d’un sentiment plusinterpersonnel. Et le mariage renforçait par ailleurs safonction économique. Pour André Burguière, l’élévationde l’âge au mariage au xvie siècle est la clé de voûted’un nouveau modèle d’austérité qui permet auxménages de constituer un capital suffisant et dedévelopper l’esprit d’entreprise. « La préoccupation ducouple n’est plus simplement de fabriquer une famille,mais de savoir la gérer, de préserver et d’améliorer sonstatut social. »  [5]. Comment se combinaient cesvisées managériales avec la gestion complexe despulsions et des sentiments ? Bien des points restent àéclaircir : le mariage se fonde sur un amalgamed’éléments très divers.

2. L’amour et l’individu

Les époux, tenus de rester sobres dans leurs ébatssexuels, se devaient bienveillance et respect. Ce pacten’incluait pas la tendresse. Le xviiie siècle la vitapparaître et irrésistiblement se répandre. Elle étaitune des manifestations de ce nouveau sentimentintermédiaire entre le sexe et l’amour divin : l’amour.Mal cerné, suspecté par les autorités morales, chacun

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 37: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

essaya de l’expérimenter en contrôlant strictementses élans. Il émergea ainsi sous la forme réservéed’une « passion domestiquée », « sentiment tendre etraisonnable » proche de la vertu et même du devoir [6]. Ce début de bouleversement dans les profondeursfit à peine quelques vagues en surface : le mariagesembla continuer comme avant. Comme s’il seremplissait d’un élément nouveau facilementassimilable. Or, la personnalisation du sentiment étaitgrosse d’un séisme dont nous n’avons encore subi queles premières secousses. Car nous sommes loind’avoir rompu totalement avec la conception céleste del’amour conjugal.

Le sentiment amoureux tel qu’il est vécu aujourd’huirésulte d’un amalgame de notions disparates. Équilibreinstable structuré autour d’un couple antagonique : lapersonnalisation de plus en plus prononcée dusentiment et son caractère transcendant, héritage del’histoire. Nous sommes entraînés dans une révolutionirrésistible tout en restant intimement marqués par unpassé lointain.

Pourtant, la montée du sentiment a beaucoup changéle paysage conjugal. Il se manifesta d’abord de façonerratique, non centré sur le couple : le xviiie siècle lecanalise en le domestiquant sous la forme d’unepassion tranquille, calmement cultivée à l’intérieur del’union installée  [7]. Mais ce qui devait arriver arriva : lechoix initial du conjoint, fondateur de l’institution, fut à

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 38: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

son tour contaminé. Apparut alors ce que l’époquenomma le « mariage d’inclination » (opposé aumariage arrangé), qui connut la gloire que l’on sait authéâtre et dans les romans. Le combat fut néanmoinstrès rude, et il fallut près de deux siècles pour quel’idée s’impose dans la morale officielle (aux alentoursde la Troisième République), encore plus longtempsdans les faits.

À nouveau, la même illusion : celle de la continuité. Ànouveau cependant une rupture profonde, un autreélément dissonant dans l’amalgame conjugal-amoureux. La passion incluse dans le mariaged’inclination portait en elle le contraire de latranquillité : elle se révélera au contraire brûlante etdévorante. S’alimentant au romantisme, elle allaits’aventurer dans « l’épaisseur de la nuit et des rêves,la fluidité des communications intimes », expérimenterla « prodigieuse découverte de soi par soi, génératricede nouveaux liens aux autres »  [8], inventer le coupleparadoxal de la jouissance à distance et del’engagement émotionnel immédiat  [9]. La révolutiondu privé semblait entrée dans une phase décisive. Àcause du caractère incontrôlable et déstabilisant de cenouveau sentiment. À cause aussi et surtout del’affirmation de soi qu’il recèle. À l’inverse de latendresse en effet, l’élan passionnel ne dissimuleguère ce qu’il est avant tout : un sursaut personnel, uncoup de dé pour changer le destin. L’émotion

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 39: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

enveloppe une reformulation de soi contrôlée parl’individu. « Nous disons aimer ce que nous sommesen train de créer et qui est en train de nous recréer. » [10]. Parfois, le halo émotionnel est si fort que lechoix du conjoint est à peine perceptible ; parfois, ilest si ténu que la décision apparaît sous la lumièrecrue d’un consumérisme conjugal. Mais toujours lesentiment est associé à la réflexivité, à la montéeinexorable de l’individualisation, de la maîtrise de sapropre vie.

II. – Rêves et réalité

1. Vivre un roman

D’un point de vue sociologique, le sentiment amoureuxprésente un paradoxe. On « tombe » amoureux avanttout parce qu’on se représente ainsi. Or, ce sentimentpersonnel est devenu aujourd’hui ce sur quoi le liensocial est désormais fondé. Ce qui explique le doublecaractère du couple contemporain : à la fois plusattirant, plus intégrateur dans les relationsinterpersonnelles et plus précaire, sujet à être remisen cause du jour au lendemain.

L’amour tel que nous le connaissons aujourd’hui a étéen partie fabriqué par le roman. Il résulte largementd’une mise en scène sociale opérée par desinstruments puissants, diffusant la « propagande

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 40: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

universelle pour la romance »  [11] : pièces de théâtre,feuilletons, chansons. Et, à partir des débuts du xxesiècle, par la presse féminine spécialisée  [12]. Il est,selon l’expression de Thierry Raffin, un « mytheréalisé ». Car, au début plus histoire que réalité, il estdevenu peu à peu une histoire qui se réalise, qui entreconcrètement dans la vie de chacun d’entre nous.

Invention historique, il est désormais incorporéindividuellement selon des schémas communs àl’ensemble de la société  [13] qui nous permettent decommuniquer. Nous possédons, grâce à lui, un modede pensée et un langage pour parler de notre couple etde nos émotions. Nous prenons cependant parfoisconscience d’un décalage entre ce langage et laréalité concrète, qui nous conduit à adopter des« stratégies d’arrangement du réel »  [14]. L’amour estun mythe réalisé, mais seulement en partie.

La trame du mythe amoureux, inlassablement répétée,est très simple. C’est tout d’abord une véritablehistoire, qui a un début et qui peut se raconter. Quicommence souvent (ce sont les plus belles histoiresd’amour) par un sentiment violent, « le coup defoudre »  [15]. Qui continue par des vicissitudes lesplus imprévues, car le sentiment est insaisissable. Quipeut se terminer dramatiquement, car la passion estdévastatrice et absolue. Le plus important étant que,toujours, l’Amour est unique, sentiment homogèneconstitué comme une entité séparée sinon divine  [16].

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 41: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

2. La diversité de l’amour

Les enquêtes révèlent une réalité du vécu amoureux necorrespondant qu’en partie à ce modèle. Premièredifférence : une proportion non négligeable de couplesavouent s’être plutôt rencontrés ordinairement, d’avoircertes éprouvé des jeux de séduction  [17], uneattirance mutuelle, mais pas sous la forme del’émotion vibrante et absolue qui individualise lepartenaire, le sépare du reste du monde, d’avoircommencé à vivre ensemble « comme ça », sansmême se rendre compte que le couple s’installait, parses simples habitudes de vie commune, le sentimentprenant forme par la suite. Seconde différence :l’analyse détaillée de l’Amour lorsqu’il s’exprimepermet de mettre en évidence une très grande variétéde composantes diverses  [18], artificiellementregroupées dans la représentation unique parl’idéologie amoureuse. Les sentiments amoureux sontde natures variées : la passion n’est pas l’affection oula tendresse. Au-delà de ces formes généralementreconnues, la diversité amalgamée dans l’Amour estencore plus grande. On y trouve des émotionscorporelles, se traduisant physiquement par destroubles de l’appareil neurovégétatifs, aussi bien quede l’admiration intellectuelle ou de la satisfactioncalculée pour ce qui est reçu dans les échangesconjugaux. On peut même y trouver de la violence etde la haine dans certaines formes particulières  [19].

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 42: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Traduit dans le langage unificateur du mythe, celadevient « du sentiment », de l’Amour avec un grand A.

Deux formes essentielles du sentiment doivent êtredistinguées : le choc amoureux, l’émotion qui peut seproduire lors des premières rencontres etl’attachement.

Le choc amoureux n’est pas obligatoirement présentau début et prend des formes très variées. Il y a degrands bouleversements passionnels et de toutespetites décharges électriques. Le choc amoureux estle résultat d’une prédisposition socialement etindividuellement construite qui place le sujet dans lesconditions de pouvoir ou de devoir l’éprouver. Ainsi, leshommes qui, étant donné leur place sur l’échiquier desrègles de correspondance, prêtent attention plus qued’autres au physique des femmes, sont davantagesusceptibles de ressentir un déclenchement soudaindu sentiment amoureux  [20]. Cette prédisposition estcependant croisée avec l’imprévisibilité de la rencontrequi est à la base de la surprise émotionnelle et avec lecaractère réflexe des réactions biologiques, du troublesexuel. Le choc amoureux tient sa spécificité de cemélange complexe de biologique socialementpréconstruit, individuellement plus ou moins contrôlé,soumis au hasard des rencontres et à la force de lasurprise.

L’attachement au contraire se forge sur la longue

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 43: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

durée, de façon régulière, presque cumulative. Pourceux qui n’ont pas vécu de « vrai » coup de foudreégalement, les débuts de la vie commune sontmarqués par l’émotion qui naît de la découverte del’étrangeté intime du partenaire, du remue-ménageintérieur « des habitudes, des opinions, dessentiments, des comportements »  [21]. Puis l’autretrouve sa place dans le « moi conjugal », et l’émotionliée aux surprises disparaît. Elle est progressivementremplacée par une forme sentimentale plus discrètemais aussi plus constante, liée à l’attachement mutueldes deux partenaires. Une forme amoureuseparticulière, très différente des tumultes émotionnelsdu sexe-amour, si discrète et diffuse qu’elle se faitpresque invisible, pourtant intense et profondémentstructurante. Un amour conjugal fait d’apaisement,d’amitié affectueuse, de complicité, de soutien et degénérosité mutuelle, de tendresse  [22]. Et aussi d’unart des petits plaisirs, d’une véritable culture de cetrois fois rien qui a le pouvoir de devenir si beau et defaire tant de bien.

3. L’amour et le choix du conjoint

L’amour est une construction sociale. Il ne diffèreguère en cela de beaucoup de choses qui nousentourent et que nous prenons pour évidentes alorsqu’elles sont le résultat d’un long mouvementhistorique de mise en forme, d’élaboration d’un sens

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 44: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

particulier. L’amour est toutefois une constructionparticulière dans la mesure où existe un décalagemanifeste entre sa représentation collective et la façondont chacun le vit.

Pourquoi ? Pourquoi après la phase historiqued’invention par le roman, qui est parvenue à inscrire ennous des habitus amoureux, est-il encore nécessaireaujourd’hui de vivre à travers un rêve qui ne correspondqu’en partie à la réalité ? Parce que le mytheamoureux a une vertu essentielle ; il masque le faitque l’élection du conjoint pourrait être le résultat d’unchoix mûrement réfléchi.

Les partenaires tendent à surévaluer le rôle du hasarddans la rencontre. Explication bien commode. Maiselle ne vaut plus pour la suite, la mise en place d’unevie commune. Le hasard est alors souvent relayé parle « comme ça » : « Nous avons commencé “commeça”, sans trop nous en rendre compte. » Argument quia l’inconvénient de donner une image de soi passive.S’ils veulent se mettre en scène de façon plusresponsable et active, ils n’ont que deux lignesd’explication possibles : soit ils ont délibérémentchoisi, soit ils ont été emportés par l’Amour.Généralement, le flou des réponses (et le flou desreprésentations) permet de mélanger un peu les deux.Mais une sorte d’autocensure interdit d’aller trop loindans le sens du choix délibéré. Poussé à l’extrême, ilplacerait la personne élue dans la position désagréable

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 45: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

du produit commercial évalué par un consommateur.Elle ne serait qu’une parmi les autres, comparablepoint par point, avec des qualités et des défautsquantifiables. Au point que le choix serait très délicat,toujours incertain. L’amour est l’exact contraire duchoix. Il est un engagement de tout l’être, sans calcul,qui brise la froideur analytique.

Citant une lettre de lectrice du Petit Écho de la modede 1907 (c’est-à-dire à la période où s’expérimentaitsocialement le mariage amoureux), Thierry Raffindonne un exemple des rapports pouvant unir choix etsentiment  [23]. La lectrice se place résolument dansl’optique du choix rationnel (« Je choisis ma voie dansla plénitude de ma raison »). Résultat : il lui a étéimpossible de trouver un mari (« J’ai donc pris letemps de réfléchir, de comparer, d’observer ; mesméditations n’ont pas été favorables au mariage »).Manifestement, elle a refusé de se laisser aller auxélans de son cœur. Pourtant, dans son esprit, choix etsentiments ne font qu’un, ses phrases mélangent sanscesse les deux lignes d’explication. « Je ne voulaispas épouser le premier venu, je prétendais aimer,estimer mon mari, m’assurer que son caractère, sesgoûts fussent en harmonie avec les miens. » Elle parleen partie avec le langage de l’Amour tout en essayantd’exercer son choix de façon rationnelle.

Le sentiment amoureux est toujours lié à la questiondu choix. Il est possible de le vérifier en analysant ses

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 46: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

formes d’expression selon les contextes. Latendresse, calme et continue, fonctionne comme unrenforcement permanent de l’attachement,garantissant une non-remise en cause de l’acquisconjugal. Le coup de foudre au contraire est soudain etviolent, car il se produit au moment même du choix.Michel Bozon et François Héran établissent un lienstatistique entre « la foule et la foudre », l’émoiamoureux saisissant davantage ceux qui serencontrent dans les lieux publics, là où plusqu’ailleurs, on a « l’embarras du choix ». S’exprime decette façon l’impression que « le choix se fait sansqu’on ait à le faire, et sans qu’un tiers vienne vousl’imposer »  [24].

Le lien paradoxal entre choix et amour se vérifieégalement en comparant hommes et femmes. Lesfemmes vivent le sentiment nettement plus que leshommes. Il est même possible de dire que l’amour est« le mode féminin d’engagement matrimonial »  [25].Or, les femmes ont, beaucoup plus que les hommes, àgagner ou à perdre du mariage  [26]. Il est donclogique qu’elles soient davantage observatrices dedétails « interprétés comme les indices de propriétéspsychologiques, morales et en définitive sociales » [27] et réfléchies dans leur choix. Elles sont à la foisplus amoureuses et plus calculatrices, plusamoureuses justement pour se cacher qu’elles sontplus calculatrices.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 47: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

III. – Le contrat amoureux

1. L’élargissement de soi

Le sentiment amoureux est étroitement lié au choix duconjoint. Il est également lié à la construction del’identité personnelle. Il positive l’être considéré, et cefaisant, construit un rapport de sens positif pourl’amoureux lui-même : être amoureux de son mari oude sa femme, c’est être en accord harmonieux avec lesens de sa vie. Plus largement, l’amour pour tout cequi peuple le monde intime est inséparable de laconstruction de l’identité. Nous sommes amoureux denotre conjoint et de notre enfant, mais nous idéalisonsaussi nos amis, notre chien, notre logement. Ceregard est le même que celui qui forge l’identité : nousnous représentons à travers la fabrication de l’unité denotre personne  [28] et le filtre nécessaire de l’estimede soi. Le sentiment amoureux pour ce qui nousentoure est donc un simple élargissement de laconstruction positive d’un moi cohérent et évident. Lemonde proche devient familier parce qu’il est devenuune partie de nous-mêmes. Dans l’échange quotidienavec les personnes aimées et les objets familiers,nous éprouvons la réalité d’un moi qui dépasse lesfrontières de l’individu biologique, qui doitobligatoirement dépasser ces frontières pour existervraiment  [29].

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 48: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le sentiment amoureux s’inscrit donc dans lanormalité du processus identitaire. Mais, comme lenote Georg Simmel, la passion la plus absolue estaussi la plus fragile dans la mesure où elle se placedans une logique de fuite de la réalité  [30]. La passion« dévorante » est ambivalente : elle construit un moitout entier structuré autour d’elle, cohérent et quisemble inébranlable, tout en rendant problématique laconfrontation avec la réalité. Le passionné estcondamné à s’enfermer dans sa passion. Elle est pourcette raison très proche du dérèglement psychique,l’élargissement de soi sous forme d’ancrage obstinépouvant combler un manque intérieur. « Nousretrouvons chez les psychotiques habituels et chez lespassionnés des types comparables de fonctionnementpar rapport à la notion de frontière du soi etd’identification projective. »  [31].

2. Le renforcement mutuel de l’identité

La passion n’est pas calculée. Mais elle ne portevraiment tous ses fruits qu’en déclenchant lesentiment en sens inverse, l’amour de la personneaimée pour soi. Don D. Jackson indique que dès leurpremière rencontre, les futurs partenaires ébauchentles termes d’un marché qui réglera par la suite leurséchanges, ce que chacun donnera (biens et servicesd’une certaine nature) contre ce qu’il recevra (biens etservices d’une autre nature)  [32]. À l’intérieur de ce

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 49: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

marché, le contrat amoureux est le plus important :sentiment contre sentiment, regard positif sur l’autrecontre regard positif sur soi, refus mutuel de la critiqueet de l’agressivité  [33]. Au-delà des particularités dusentiment de l’un et de l’autre, le service échangé estidentique, il consiste à reconnaître la personne commepersonne, à l’aider par ce soutien extérieur à lapositivation et à la densification de sa réalité d’être.

Le sentiment amoureux est également lié àl’individualisation de la société  [34][34] U. Beck, « Lareligion séculière de l’amour », Comprendre,..., car ilisole la personne en tant que personne, séparée desautres  [35]. Simmel précise que l’on n’est pasamoureux de certains aspects seulement, mais de lapersonne « tout entière ». Le sentiment construitl’individualité et l’unité, la sécurité ontologique  [36] etla positivation, c’est-à-dire ce que chacun recherchepour lui-même. Il y a donc double bénéfice à êtreamoureux quand l’amour est partagé : l’élanpassionnel fixe l’identité sur un objet, la stabilisantainsi, et la personne aimée renforce en retour le travailpersonnel de construction de soi. Le « miracle » del’amour est de réaliser cet échange dans le cadre deflux émotionnels. La proximité du corps et la présencedes émotions, la liaison intime entre sentiment etsexualité font que la reconnaissance mutuelle desidentités a une densité, une concrétude, une force deréalité charnelle qui la constituent en antidote parfait

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 50: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

dans l’univers froid des relations impersonnelles etformelles de la modernité  [37].

La passion des premiers temps masque les raisons duchoix et engage dans l’aventure à deux.Francesco Alberoni a noté qu’elle est souvent suivied’un « désenchantement »  [38], retour progressif àune vision plus réaliste, grosse de nostalgie pour lestemps du début  [39]. Le désenchantement estcependant partiel. Car la mise en place initiale ducontrat amoureux a construit l’habitude d’unereconnaissance réciproque minimum. Le partenaire estinscrit dans le cercle de la familiarité, il fait partie desoi. Il est, par cette présence, reconnu dans unecertaine réalité d’être. L’institution conjugale, fondéesur le contrat amoureux des débuts, fonctionnedésormais comme un support ordinaire de l’identité.Cette reconnaissance minimum et routinière n’estcependant la plupart du temps pas suffisante. Il fautapprendre à développer l’amour-tendresse, lagénérosité et la complicité du deuxième tempsconjugal.

Il faut briser (au moins un peu) les routines pourréinventer le couple  [40]. L’individu souhaite êtreconfirmé plus concrètement, plus fortement. « Ondemande de l’authenticité permanente, seul garant dessatisfactions psychologiques et affectives. »  [41]. Lesdifficultés d’un tel exercice « conduisent bien souventles deux acteurs à reprendre des morceaux de

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 51: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

répertoire déjà joués. L’important est que se glissentau sein de la pièce des moments de surprise […], desgestes inattendus qui démontrent que malgré tout lapersonne aimée est toujours là, prête à vous séduire, àvous écouter »  [42]. Plus encore : l’autre peut vousrévéler tel que vous n’auriez pas même imaginé être [43]. L’amour est un processus vivant qui produit deseffets en profondeur.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 52: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre III

La formation du couple

I. – Le couple incertain

1. Le séisme

La structure du couple a été soudainement etprofondément bouleversée depuis la fin desannées 1960. En Europe, parti des pays du Nord, lemouvement s’est rapidement étendu au Centre puis auSud. Avec quelques années de décalage, l’évolutionparallèle des indicateurs statistiques estimpressionnante. Le nombre des divorces a augmentéfortement, pendant que celui de mariages diminuait ;l’union libre se généralise, les naissances horsmariage se multiplient, ainsi que le nombre desfamilles monoparentales et celui des personnes vivantseules. « Jamais sans doute, de mémoire d’historien,bouleversement, en ce domaine, ne fut aussi importantet aussi brusque. »  [1]. En vingt ans, le taux dedivorce est passé de 5-10 % des ménages à 20-30 %en Europe du Centre, de 10-20 % à 30-40, voire 50 %,en Europe du Nord. En dix ans (de 1975 à 1985), le

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 53: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

nombre de mariages a baissé de 30 % en France, etle nombre de naissances hors mariage a été multipliépar 2,5. La conclusion est nette : le couple est devenuune réalité à la fois moins institutionnalisée et moinsstable, les essais de vie à deux informelle et leschangements de partenaires, hier exceptionnels, sontdésormais légitimes. Moins institutionnalisé et moinsstable, le couple est également moins fréquent : àParis et dans plusieurs grandes villes de l’Europe duNord, un ménage sur deux est composé d’unepersonne vivant seule.

« Toutes ces évolutions se sont produites au détrimentdes ménages composés d’un couple marié avecenfants. Commencé plus tard, terminé plus tôt, deplus en plus rompu par le divorce, de moins en moinsreconstitué par un remariage, ce type de ménages,longtemps dominant, est devenu, en distributiontransversale, partout minoritaire. »  [2]. En vingt ans, ilest passé de 45 % à 39 % des ménages en France,de 40 % à 28 % aux États-Unis, de 37 % à 25 % enSuède.

3Contrairement aux apparences, le couple demeurecependant dans les esprits une référence centrale. S’ilest devenu plus instable et statistiquement minoritaire,c’est justement parce que les acteurs exigent plus delui, parce que chacun aspire à « une vie privéegarantissant de grandes gratifications affectives (etsexuelles) »  [3]. Paradoxalement, l’idéalisation du

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 54: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

couple est à l’origine de sa fragilité  [4], le rendant pluscomplexe à construire. Les chiffres mesurant lacomposition des ménages, pour importants qu’ilssoient, ne doivent donc pas masquer l’essentiel, latransformation du processus interne de formation descouples.

2. Deux modèles ?

Le mariage tel que l’ont connu les générations les plusanciennes (acte fondateur du couple, reposant sur lechoix personnel des conjoints, mais constitué d’unecérémonie publique de légitimation de l’union, groupéeen un temps bref marquant sans transition le passageà l’état adulte) est de construction historiquerelativement récente  [5]. Son âge d’or se situe auXIXesiècle et il perdure sous ces formes, parfoislégèrement vidé de sa substance, jusqu’auxannées 1950. Puis il amorce un changement de forme [6] et surtout de place et de fonction dans le cycleconjugal. Il fondait le couple ; il tend de plus en plus àle parachever. Il définissait un cadre de socialisation ; iltend de plus en plus à institutionnaliser le cadre desocialisation préalablement mis en place. Le mariagede type ancien marquait une rupture brutale entre letemps de la jeunesse, dans la famille d’origine, etl’entrée dans la vie adulte. Au contraire, les jeunesdans leur majorité entrent désormais progressivementen couple, à petits pas.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 55: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le changement ne touche cependant pas l’ensemblede la société. Un nombre non négligeable de jeunesménages commence sa vie à deux directement par lemariage ou après une brève cohabitation n’ayant pasvraiment été souhaitée. Michel Bozon signale que lacérémonie continue à mettre en scène de façonformalisée la transition de la famille d’origine aunouveau couple  [7]. La mise en commun du logementproduit une coupure nette, les familles sont fortementimpliquées dans l’organisation de la cérémonie, lesparents aident davantage financièrement le jeunecouple à s’installer. Enfin, la mariée, selon le rituelancien, reste au centre de la fête  [8]. Ce modèletraditionnel est surtout répandu dans les milieuxpopulaires. Olivier Schwartz montre comment lemariage et la maternité représentent pour les femmesouvrières auprès desquelles il a enquêté le seulprogramme disponible et crédible de réalisationpersonnelle. « C’est peu dire qu’elles ont investi lemariage : souvent, elles s’y sont précipitées »  [9],liant installation conjugale précoce,institutionnalisation par le mariage et abandon dutravail salarié. Il semble donc que l’évolution actuelledes formes conjugales se structure entre deux pôlescontraires : l’installation progressive et contrôlée et lemaintien du modèle matrimonial ancien dans lesmilieux populaires. Ce point mérite quelquesexplications dans la mesure où c’est justement dansle monde ouvrier que l’union libre était autrefois la plus

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 56: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

répandue.

À la fin des années 1960, alors que les classesmoyennes et supérieures découvraient la cohabitation,un quart des couples ouvriers avaient commencé leurvie commune de façon informelle et près d’un tiers deces derniers s’était maintenu durablement en unionlibre  [10], pratique vraisemblablement liée à unetradition ancienne. Puis un double mouvement traversece groupe social : le mariage est davantage recherché,mais en même temps la cohabitation comme union àl’essai, telle qu’elle s’expérimente dans les classesmoyennes, se développe également, notamment dansles couches les plus qualifiées. Catherine Villeneuve-Gokalp signale ce fait relativement récent : depuis ledébut des années 1980, les jeunes ouvriers qui ont lesmeilleures chances de promotion sociale repoussentles engagements familiaux, du moins les plusformalisés. Il est donc trop schématique de fairecorrespondre le modèle matrimonial traditionnel àl’ensemble des milieux ouvriers et populaires. Lesfranges inscrites dans une perspective de mobilitésociale éventuelle mettent en œuvre la construction ducouple « à petits pas » qui tend à se généraliser et às’imposer comme norme de comportement. Les moinsstabilisés, surtout les femmes, continuent à espérerun mariage rapide qui contraste souvent avec leursituation de fait : la précarité conjugale et les unionsinformelles sont alors des situations subies. En

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 57: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

distinguant l’analyse des faits de celle des aspirations,il devient clair que le modèle matrimonial classique neconstitue pas une référence pour l’ensemble desmilieux ouvriers et populaires, mais qu’il est le plus fortlorsque l’on s’approche des risques de marginalisationsociale, surtout pour les femmes. Car ce couplearchétypal, fondé par une cérémonie publique, confèreune place légitime dans la société, place qui à sontour définit une identité et offre une protection. S’ilexiste bien un contremodèle, il n’est donc pas tant liéà la culture d’un groupe particulier qu’aux processusde domination.

II. – Le couple à petits pas

1. Vivre au présent

Le mariage de type ancien marquait une rupturebrutale entre le temps de la jeunesse, dans la familled’origine, et l’entrée dans la vie adulte. Au contraire,les jeunes dans leur majorité entrent désormaisprogressivement en couple. La vie à deux commencedès la première rencontre qui fixe déjà un cadred’échanges. C’est souvent la régularisation desrapports sexuels qui entraîne la cohabitation. Maisl’établissement de cette dernière est lui-mêmeprogressif : le visiteur occasionnel devient invitépermanent puis partenaire à part entière. Accumulantpetites décisions et structuration d’une organisation

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 58: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

collective naissante, le couple s’installe peu à peusans même en prendre conscience. L’important dansles esprits sont le lien interpersonnel, sa qualité, sonauthenticité, la satisfaction retirée par chacun de ceque l’autre lui apporte et du système dans lequel ils’intègre, les choix d’organisation à prendre dans leprésent. L’avenir est absent du point de vue conjugal :peu de projets précis à long terme, une volonté trèsfaible de définir l’évolution future de leurs rapports.Pourquoi ce refus de regarder avec réalisme l’avenirconjugal ? Parce que la première phase du couple,celle qui va de la rencontre au début de l’installation,ne peut se vivre avec une conscience trop claire de lastructuration qui est en train de se mettre en place.Dès les premiers regards, dès les premiers mots, dèsles premiers instants passés en commun, unprocessus collectif s’est mis en branle qui poussechacun à typifier l’autre, à se conformer aux attentessupposées, à construire un marché d’échangesspécifique où les deux partenaires trouvent leur intérêt.La suite ne sera qu’accumulation, jour après jour, derègles nouvelles à l’intérieur de ce cadre, d’habitudeset d’objets donnant davantage de densité et d’ancrageà l’échange. Une vision trop précise de ce mécanismesupprimerait la marge d’action qui permetl’expérimentation conjugale des débuts. C’est parcequ’ils n’ont pas conscience d’occuper déjà despositions et de se situer dans un processus évolutif,parce qu’ils ont l’impression de vivre avec liberté et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 59: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

légèreté leurs rapports de personne à personne, d’êtreinventifs en tous domaines, que les jeunes partenairesparviennent à repousser les engagements. C’est parcequ’ils ont l’illusion de vivre dans une parenthèse, unreport de l’entrée dans l’âge adulte, qu’ils parviennent àconstituer et élargir la réalité de cette parenthèse.

2. La légèreté conjugale

Cette capacité présuppose une légèreté conjugale,tant du point de vue des engagements, du degréd’intégration, que de celui du poids de l’organisation,des habitudes, des équipements et des objets scellantl’union. Le couple est donc amené à s’installerlentement, y compris concernant les aspectsmatériels, ce qui concorde souvent avec les moyenspermettant cette installation et avec les possibilités etles attentes des parents. Ces derniers sont alorsmobilisés pour financer les études de leurs enfants oupour les soutenir dans la période difficile de recherchede leur premier emploi ; la cohabitation légère éviteune pression supplémentaire. La famille d’origine sertaussi de base de repli, pour ne pas aller trop vite dansles choix et l’intégration conjugale. En cas de rupture,elle offre un « chez-soi » que l’on n’aura pas d’ailleursvraiment quitté, un havre de secours avant de repartirpour un nouvel essai, un espace alternatif où chaquepartenaire retrouve ses réseaux et repères personnels.Où également quelques travaux ménagers peuvent être

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 60: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

traités individuellement, soulageant ainsi le couplenaissant de ces tâches, qui auraient impliqué desdécisions et une mise en commun, c’est-à-dire undegré de collectivisation que les deux partenairesn’étaient sans doute pas prêts à assumer. En ce quiconcerne l’entretien des vêtements par exemple, il estfréquent que chacun ramène son sac de linge sale àlaver le week-end. L’achat d’un lave-linge aurait en effetdes implications importantes : il leur faudrait se mettred’accord sur une conception unique de la propreté etdu rythme de lavage, sur une méthode, sur unerépartition des tâches  [11]. Il faudrait, en bref, quechacun s’inscrive à une place précise d’uneorganisation commune bien définie, dans un universconjugal davantage constitué. Le retour chez lesparents et l’offre de services de la mère ont l’avantagede maintenir le nouveau couple à un degré de légèretéménagère qui préserve la souplesse du rapportinterpersonnel et de laisser ainsi l’avenir ouvert.

3. Pouvoir se retirer

Représentée par les acteurs sous l’angle del’authenticité du lien, la légèreté conjugale a en faitdeux fonctions : freiner l’intégration pour permettre quesoient progressivement définies par chacun lespositions les mieux adaptées et évaluer la faisabilitéde l’accord, donc pouvoir aisément se retirer. Ladéfense des intérêts personnels et la reformulation de

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 61: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

l’identité de chacun sont ici centrales. Le couple mèneun double jeu dont il n’a guère conscience.Officiellement, il est lié sans arrière-pensées par lesentiment et l’attrait mutuel, dans le bonheur naïf del’instant présent. Secrètement, parfoisinconsciemment, l’un et l’autre s’épient, calculent,évaluent. À mesure que la durée de vie communes’allonge, l’évidence du lien s’installe, rendant plusdifficile le retrait. Pour combattre cette limite à leurcapacité inventive et à leur liberté individuelle, les deuxpartenaires peuvent essayer de prolonger la toutepremière phase, pendant laquelle ils jouent à vivreensemble sans le reconnaître ouvertement. S’ilss’établissent dans la vie commune, il suffira de rendreexplicite ce qui ne l’était pas jusqu’alors. S’ils jugentque l’accord n’est pas réalisable durablement, le retraitsera facilité par la non-explicitation préalable del’engagement. Michel Bozon et François Héran ontanalysé ce « langage à double entente » à propos dela danse comme première approche. Les débuts de lavie commune peuvent être décrits en des termes trèssemblables.

« La danse, en tant que rite d’interaction, est unlangage à double entente qui laisse planer le doute surle degré d’investissement réel de l’acteur. Chacun peutprofiter de cette introduction reconnue pour s’investiraussi loin que possible dans la relation ; chacun peutaussi, à l’inverse, rompre la relation entamée en se

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 62: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

réfugiant derrière sa définition institutionnelle : cen’était qu’une danse. Sous sa forme la plus simple, cedilemme revient d’abord à savoir s’il faut garder lemême partenaire d’une danse à l’autre ou en changer.La danse réussit ce tour de force qu’elle peutrapprocher les corps et échauffer les sentiments pourainsi dire “à l’essai”, sans que cela engage à rien : jeusans enjeu. Ce n’est pas tout d’aborder l’autre, il fautaussi que chacun puisse en cas de besoin se retirerdu jeu dans des formes socialement reconnues. Onnotera que cette faculté de désengagement resteintacte dans le cadre de rassemblements plus intimesque le bal traditionnel, jusque dans les réunionsprivées : la danse dans ce cadre reste une institutionsociale. C’est parce qu’elle fonctionne à la manièred’un libre-service où le visiteur peut toujours sereprendre que la danse est devenue ce qu’elle estaujourd’hui : une forme acceptable d’exploration dumarché matrimonial. Pourrait-elle encore remplir cettefonction si l’on devenait “preneur” du seul fait d’êtredanseur, comme dans ces commerces à l’ancienne oùtout client qui entre se sent tenu d’acheter ? »  [12].

Par ce langage à double entente, la danse a constitué(et constitue encore) un instrument privilégié du choixdu conjoint. Il est remarquable que ce procédéd’exploration du marché matrimonial à moindre coût etd’engagement sans risque s’élargisse actuellementaux premiers temps de la vie commune. Comme le

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 63: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

soulignent Michel Bozon et François Héran, celarésulte de l’élaboration de cette pratique en institutionsociale largement reconnue. C’est parce que lacohabitation légère est légitimée par les pairs etl’ensemble de la société pour les très jeunes gens(plus ils sont jeunes, moins la rapidité de leurinstallation est socialement impulsée) qu’il est facile àces derniers de se retirer et de multiplier les essais.Mais c’est aussi et surtout parce que lareconnaissance sociale (notamment celle des parents)porte sur la double entente de la relation. Comme pourla danse, chacun peut rompre le premier échangeconjugal en se réfugiant derrière sa définitioninstitutionnelle : ce n’était qu’un flirt.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 64: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre IV

Le cycle conjugal

I. – La force des cycles flous

1. L’arasement des seuils

Quand commence le couple ? Il est désormais difficilede répondre à cette question. Est-ce aux premiersrapports sexuels ? Aux débuts de la cohabitation ? Àla mise en place d’un système collectif de gestion duquotidien ? Non seulement il y a affaiblissement desrites de passage d’une situation à une autre dans lecycle de vie, mais les seuils sont devenus progressifset imperceptibles  [1] particulièrement en ce quiconcerne l’entrée en couple.

Le contraste est saisissant avec ce qui prévalaitencore dans la première moitié des années 1960.Certes le mariage était alors précédé d’une périodeplus ou moins longue de fréquentation des deux futursconjoints, souvent marquée par le rite intermédiairedes fiançailles. Mais aucune confusion n’étaitpossible : il s’agissait pour tous d’une simple

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 65: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

préparation, précédant l’entrée en couple véritable,clairement marquée par le mariage. Ce dernier étaitl’occasion d’une rupture franche entre deux tranchesde la vie : celle de la jeunesse et celle de l’âge adulte.Du jour au lendemain, les nouveaux conjointschangeaient brusquement de rôle domestique et derôle social. Ils passaient du rôle d’enfants habitantchez leurs parents à celui d’époux et d’épousehabitant dans leur propre chez-soi, immédiatementinscrits dans un cadre définissant les pratiques d’unménage « installé », confortés dans cette nouvelleidentité par la communauté des proches et des moinsproches ayant participé à la cérémonie.

Aujourd’hui, au contraire, les seuils sont mouvants etincertains. Dans le nouveau processus lent deformation du couple, il est devenu malaisé de définirquand ce dernier commence. À ce problème généralde définition des seuils s’ajoute le fait que pour chaquecouple pris isolément il est souvent difficile de dire àquel niveau il se situe dans ce processus. La durée devie commune n’est qu’un indicateur faible : tel couplecohabitant depuis quelques semaines seulement peutavoir franchi à pas accélérés les différentes étapes,alors que tel autre peut se révéler être depuis quinzeans un assemblage de deux individualités n’évoluantpas vers davantage d’intégration. Les modalités de lavie conjugale ne renseignent égalementqu’imparfaitement : tel couple peu organisé peut être

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 66: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

en fait à un stade avancé d’intégration, mais avoirdélibérément accepté de la souplesse, voire de laconfusion dans son système domestique, alors que telautre donnant l’apparence matérielle d’être bien établipeut s’avérer mettre en présence deux personnesfaiblement engagées dans la relation. Ce dernier caspose le problème de la solidité ou de la fragilité, del’éventuelle réversibilité du choix du conjoint.L’incertitude sur le degré de réalité de l’union estompeencore davantage les seuils. Car les étapes nonseulement ne sont plus concentrées en un uniquetemps fort, sont moins marquées et moins visibles,mais de plus sont susceptibles de retour en arrière.Alors que l’intégration ménagère est un processuscumulatif et progressif, l’attachement sentimental entreles deux partenaires est au contraire fluctuant.L’affaiblissement du sentiment peut donc conduire àrompre ce qui avait été mis en place dans le quotidiende la vie commune.

2. Réhabiliter l’analyse des cycles

L’arasement des seuils produit des cycles flous.Puisque les marques signalant les étapes ne peuventplus guère être repérées, que les changements departenaires brouillent encore plus la perception, l’idéede la complexité du monde moderne, de la diversitémultiple des situations, incite à renoncer à l’ambitionconsistant à mettre en évidence un cycle conjugal.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 67: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Cette position rompt avec une petite tradition derecherche, mettant notamment en rapport budget duménage et cycle de vie. Maurice Halbwachs  [2] ouPaul-Henry Chombart de Lauwe  [3], à des périodeshistoriques différentes, ont observé ce croisementdans les milieux ouvriers. Plus près de nous,Paul Cuturello et Francis Godard  [4] ont étudié etsitué dans le cycle de vie une conjoncture demobilisation des familles : l’accession à la propriété.

Aujourd’hui, la place des acteurs dans le cycle de viesemble ne plus être opératoire. C’est effectivement lecas sur le plan statistique : la définition d’une situationdomestique ou dans un groupe d’âge est une variableplus fiable qu’une position peu perceptible dans uncycle flou. Cette limite au niveau statistique ne doitcependant pas être généralisée : elle tient àl’instrument d’analyse et seulement à celui-ci. Leparadoxe des cycles flous est en effet d’être beaucoupplus prégnants et explicatifs d’un certain nombre decomportements quoique moins repérables. Il importedonc de ne pas se laisser arrêter par cette difficulté deperception due à l’arasement des seuils, mais aucontraire d’approfondir l’analyse. Pour ce faire, il estnécessaire de distinguer cycle de vie et cycleconjugal.

II - Le cycle de vie

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 68: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le cycle de vie est scandé par les cadres desocialisation particuliers aux divers âges del’existence : enfance, jeunesse, maturité, vieillesse.Leur suite pouvait être analysée jusqu’au XIXesièclecomme une évolution régulière : montée vers l’étatadulte puis descente vers la vieillesse. La jeunesseétait essentiellement définie négativement comme unesituation transitoire entre deux âges : l’individu n’étaitplus véritablement enfant, mais pas encore vraimentadulte. Il est probable, comme le soutientOlivier Galland  [5], que c’est l’école secondaire quiintroduisit une subdivision nouvelle : l’adolescencecomme cadre de socialisation spécifique. L’histoire duXXesiècle est ensuite celle du renforcement continu dece « nouvel âge de la vie ». Dès lors, le cycle de vieperd son caractère d’évolution régulière. Car lajeunesse ne s’inscrit pas comme une simple étapedans la montée vers l’âge adulte, et elle ne se limitepas à être plus marquée qu’autrefois. Ce qui la définitprincipalement en effet est de se situer en rupture avecce qui l’a précédée (l’enfance) et ce qui va suivre (l’âgeadulte). La jeunesse est non seulement plus visible,mais elle est devenue un moment très particulier ducycle de vie, centré autour de la construction del’autonomie individuelle  [6].

La caractéristique majeure, incontestablement liée àl’allongement du temps des études, est qu’elleconstitue désormais une période moratoire  [7], que la

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 69: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

socialité et les valeurs propres à la jeunesse sestructurent en reportant dans le temps lesengagements dans l’âge adulte. Tamara Rapoport etSharon J. Barnett remarquent que le cycle de vie peutdésormais être analysé comme un processus danslequel les ressources sont converties en rôles  [8].Cette conversion, lente et délicate, s’opèreessentiellement dans le temps particulier de lajeunesse. Olivier Galland analyse une première raisonde la lenteur du processus : l’inflation et la dévaluationdes diplômes  [9]. Alors que les attentes de réussitesociale liées à l’obtention de diplômes ne cessent decroître, l’incidence en mobilité sociale de ces derniersdiminue à mesure que leur nombre augmente. Cedécalage produit une inadéquation entre ambitions etpostes proposés. La période moratoire permetd’ajuster progressivement les prétentions au niveaupossible d’insertion. Elle permet également de testerles compétences potentielles en expérimentant diversemplois, de juger ce pour quoi on est le mieux fait. Auterme de ces essais, un rôle professionnel se dessine.

La conversion des ressources en rôles ne se limitepas au domaine professionnel : le temps de lajeunesse est aussi celui des essais conjugaux et dureport des engagements familiaux. Ce report, surtoutpour les femmes  [10], a une première justification :concentrer son temps et ses efforts sur la réussiteprofessionnelle. Mais il est également lié à la définition

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 70: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

lente de l’insertion domestique. La personnalité tellequ’elle se constitue à l’âge de la jeunesse, prise dansun cadre de socialisation particulier, ne permet guèrede savoir quelles seront les attentes dans le coupleétabli. Il convient donc de progresser à petits pas, detester le partenaire, la structuration ménagère, lesystème de valeurs mis en place par la relationnaissante, la faisabilité de l’union. Il convient de testerenfin sa propre personnalité reformulée par les débutsde la vie de couple. Le nouveau soi qui changeimperceptiblement chaque jour dans la dynamique dela relation évoluerait dans une direction différente dansle cadre d’une interaction avec une autre personne. Ils’agit non seulement de décider si nous sommes faitspour telle union, mais si cette union nous fait tels quenous souhaitons être.

Le temps de la jeunesse n’est donc pas seulementcelui d’une conversion des ressources en rôles : il estaussi l’occasion de décisions majeures dans lareformulation identitaire. La rupture avec les autresâges de la vie est sur ce point cruciale ; le report desengagements, l’incertitude des rôles, la fluidité et lecaractère provisoire des cadres de socialisationpermettent plus que jamais d’intervenir soi-même dansla définition de son avenir, de sa propre identité. Cen’est pas un hasard si les valeurs attachées à lajeunesse ont acquis aujourd’hui des positionsdominantes dans bien des domaines, stigmatisant

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 71: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

l’âge des rôles établis et encore plus la vieillesse. Carelle concentre l’essentiel des procédures parlesquelles la société dans son ensemble, ens’inventant quelque peu, se reproduit de façondifférente.

III. – De la première rencontre auconfort conjugal

1. Le temps des découvertes

Cycle de vie et cycle conjugal ne sont pas deuxphénomènes indépendants, notamment parce que lecycle conjugal s’inscrit dans le cycle de vie etcommence souvent à la jeunesse. Tous deux sontégalement caractérisés par la définition progressive denormes et de rôles. Il ne faut cependant pas se laisseremporter trop loin par les similitudes : le cycleconjugal a sa structure propre.

Le premier temps du cycle conjugal est celui desincertitudes et des découvertes nappées dans lesentiment. Le couple naissant est comme hors dutemps (il vit dans le présent d’une histoire sans passéet sans futur) et hors d’un espace qui lui soit propre (lechez-soi sera constitué ensuite, progressivement) :l’essentiel est investi dans la relation qui unit les deuxpersonnes. La faiblesse des cadres de socialisationexclusivement liés au jeune couple (l’ouverture sur le

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 72: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

groupe d’amis reste forte), la place centrale prise parle relationnel et l’angoisse liée aux reformulationsidentitaires expliquent que ce premier temps du cyclesoit immanquablement celui des émotions et dusentiment. Non que l’Amour tel qu’il se raconte dansles histoires soit toujours au rendez-vous. Mais lecorps et les pensées ne peuvent pas ne pas êtreprofondément affectés par ce qui n’est rien d’autrequ’un profond bouleversement de soi.

L’analyse des premières rencontres permet de mieuxcerner ce contexte émotionnel. La rencontre entredeux personnes est une activité des plus banales, quine cesse de se produire quotidiennement. La fonctionprincipale de ces rencontres ordinaires estgénéralement de conforter chacun dans son identité :l’un et l’autre se reconnaissent et échangent desgestes et des paroles qui sont autant de marques delégitimation de la personne qui est en face de soi telqu’un passé d’interconnaissance permet del’appréhender. La rencontre ordinaire, par la dynamiqued’interaction dans laquelle elle se place, tend doncavant tout à reproduire les codes extérieurs dedéfinition de l’identité, elle alourdit le passé hérité quifait que l’on est ce que l’on est. Cette logiquedominante explique que la rencontre ne soit pasexplosivement déstructurante du lien social, elle nousprotège des ondes de choc qui nous cernentquotidiennement. Parmi les personnes que nous

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 73: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

rencontrons, nombreuses sont celles en effet qui sontsusceptibles de redéfinir notre futur. Les unes sur unplan professionnel, d’autres sur celui des idées, d’unengagement militant, d’une activité de loisir, d’autresenfin sur notre avenir conjugal. Il suffit pour cela desortir de la définition répétitive de soi par le passéincorporé et de laisser ouverte la possibilité d’uneidentification nouvelle, d’un avenir différent. Ceretournement, qui exige de se soustraire au poidsnormatif de l’interaction, de rompre avec la logiquedominante de la rencontre, n’est possible que par unerévolution personnelle de la représentation de soi :nous pouvons devenir autre, parce que nous acceptonsde nous rêver autre dans la tourmente de l’aventurerelationnelle. Le rôle central de l’imaginaire de soi estcependant peu perceptible dans la rencontre quichange la vie, le bouleversement intérieur étantgénéralement ressenti comme un effet du chocprovoqué, de l’extérieur, par la surprise de l’interaction.Les émotions sont donc logiquement reliées à lapersonne rencontrée plus qu’à la perte des repèresanciens, aux incertitudes soudaines, aux questionsexistentielles sur le présent et l’avenir. Ces émotionsauxquelles est donné un visage fournissent idéalementla matière pour s’inventer une histoire d’amour quipermet de donner sens aux événements, de canaliserle chambardement intérieur. Histoire d’amour qui, dèslors qu’elle est mise en forme, impulse à son tour ledéveloppement du sentiment qui accompagne et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 74: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

facilite la reformulation des repères de l’existence.

Le temps des découvertes est celui de la rencontre quichange la vie. Apparemment découverte de l’autre. Enfait, beaucoup plus fondamentalement découverte d’unavenir possible et d’une identité différente.

2. Le temps de l’ambiguïté

La suite du cycle conjugal apparaît entièrementoccupée par la dynamique de la relation. L’histoire desoi s’écrit désormais à deux dans ce qui semble êtreune improvisation quotidienne, l’un et l’autre se sentantemportés ensemble vers un avenir ouvert, entraînés parl’attachement mutuel qui domine toute autreconsidération. C’est l’époque où, surtout dans lajeunesse, fusent les moqueries stigmatisant lescouples établis prisonniers de leurs petites habitudes,incapables de vivre avec intensité le rapport depersonne à personne. Moqueries indispensables pourse rassurer. Car le contexte, profondémentcontradictoire, rend en fait difficile une représentationclaire de la situation conjugale. Le début de la vie decouple à la jeunesse propulse, en effet, les deuxpartenaires dans un mécanisme de transition versl’âge adulte, une accélération des étapes du cycle devie. Le primat de la relation de personne à personnepermet de continuer à vivre (désormais à deux) lesvaleurs de la jeunesse (report des engagements, refus

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 75: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

des cadres hérités et autodéfinition de soi). D’où lestentatives pour privilégier autant que faire se peut lerapport interindividuel pur, avec toutes les illusions quecela comporte  [11], pour repousser à plus tard ladéfinition de règles et une installation du couple.Pourtant, dès les premiers échanges, cette définitionet cette installation se sont mises en marche. Laseule possibilité est de freiner l’évolution, non de lastopper. Ceci explique l’ambiguïté du deuxième tempsdu cycle conjugal qui, si elle est particulièrement forteà la jeunesse, se remarque également dans descouples se formant à un âge plus avancé. Les deuxpartenaires cherchent à vivre avant tout la relation depersonne à personne, l’aventure de la redéfinitionmutuelle des identités, idéalement sous la forme d’unehistoire d’amour. Ils sont d’autant plus justifiés à visercet objectif que la prérogative donnée à la relation, ycompris dans la représentation de ce qui se vit, ycompris dans la critique des couples installés, permetjustement de freiner l’établissement conjugal. Mais enmême temps, quels que puissent être les désirs desconjoints, un processus contraire tend, jour après jour,à enfermer davantage la relation dans des règlesd’échange.

Ce processus commence dès la première rencontre,celle qui pourtant provoque un bouleversement desrepères de l’identité. L’autre est un étrangerétrangement familier, rapidement reconnu comme un

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 76: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

intime potentiel. Cette contradiction est à la base del’ouverture de l’avenir, de l’intensité de la reformulationidentitaire (la sensation d’intimité pousse à ne pasprendre en considération les différences du partenaire) [12]. Elle est également des plus inconfortables :l’incertitude sur la définition d’une interaction estinsoutenable au-delà d’une certaine limite.Peter Berger et Thomas Luckmann  [13] analysentcomment toute personne en situation de relationsociale (surtout si cette relation n’a pas étésocialement cadrée par des expériences antérieures)est conduite à « typifier » son vis-à-vis, c’est-à-dire à leclasser dans une catégorie définissant ses attentes,son comportement, son langage, pour s’adapter à lui.L’autre fait de même, et les deux protagonistes règlentl’interaction à partir de la connaissance rapidementaccumulée de qui est l’autre, de ce qui doit être dit etde la manière de le dire. Cette « typificationréciproque » est à l’œuvre dans la rencontreamoureuse comme dans toute relation sociale. Unmode d’échange est mis en place, des attitudes sontcodifiées et tendent aussitôt à fonctionner commerepères pour l’avenir. La « pure » relation est doncstructurée par des règles qui ne cessent de seperfectionner à mesure que l’expérience s’accumule.Le poids de cette réglementation de la vie à deux quis’ébauche s’alourdit considérablement au contact dedivers objets. Le couple commence dans la légèretématérielle et ménagère. Mais ce souci de légèreté ne

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 77: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

peut parvenir à éliminer tous les objets et les manièresde faire qui s’y rapportent. Or, ces manières sontprofondément différentes d’un individu à l’autre. Cela nepose guère problème tant que la relation se dérouledans un espace public (par exemple prendre un verreau café). Les rapports amoureux ne peuvent toutefoisse satisfaire de ce seul espace. Ils sont porteurs d’unelogique d’intimité qui pousse à se retrouver dans desniches de familiarité. C’est lorsque le pas du logementde l’un ou de l’autre est franchi que le processus deréglementation conjugale commence vraiment. Prendreun verre dans l’intimité n’a plus les mêmesrépercussions qu’au café. Le verre peut être jugémaniaquement propre ou, au contraire,désagréablement sale, la façon de servirparcimonieuse. L’invité(e) peut oser une critiquegentiment ironique ou se taire et déjà préparer desconcessions ultérieures. Il (elle) peut se laisser servirou tenter de participer au travail, esquissant ainsi unschéma pour des rôles ménagers futurs. Il (elle) peutse resservir soi-même, critiquant implicitement lamesquinerie suspectée, laver les verres avec forceostentation, indiquant sans le dire une position sur lapropreté ménagère, etc. Le moindre geste lié àl’espace intime ou aux objets familiers est porteurd’une infinité de microdécisions à prendre quiinscrivent imperceptiblement les deux nouveauxconjoints dans un contexte domestique fixant peu àpeu le cadre de la relation.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 78: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le deuxième temps du cycle conjugal est ambiguparce que les partenaires n’ont pas conscience duprocessus d’installation conjugale. Ils n’ont pasconscience que les événements de la vie communevécus dans l’apparente libre inventivité de la relationnaissante dessinent en fait les premiers traits d’uncadre enfermant l’avenir.

3. Le temps du confort

Geste après geste, microdécision aprèsmicrodécision, l’histoire du couple est celle de ladéfinition progressive de deux rôles domestiques, deplus en plus clairs, de plus en plus stables. Dans lesétapes précédentes, chacun des deux partenaires acherché à se sentir en accord avec lui-même dans lemoi conjugal en formation. Ce faisant, des règlesd’interaction, des systèmes d’habitudes ont étéélaborés, aussi près que possible des comportementshérités et des attentes de l’un et de l’autre : laproduction de cadres pour les pratiques futures aépousé, dans la mesure du possible, les frontières desidentités antérieurement acquises. Dans le troisièmetemps du couple, le processus se renverse. Les rôlessont devenus en effet si bien dessinés, le contextedomestique a pris un tel poids que les individus n’ontplus qu’à se laisser porter : après avoir défini le cadrede pratiques du monde domestique, ils sont définis parce cadre de pratiques. Cette étape conjugale se

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 79: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

rapproche donc de la situation d’autrefois, quand lecouple commençait par le mariage, sans véritablerecherche de définition identitaire mutuelle  [14].

C’est le temps du confort. Du confort ménager biensûr, parce qu’objets et appareils divers se sontaccumulés dans l’univers intime. Mais surtout duconfort identitaire, parce que l’on sait désormais quil’on est, ce que l’on peut attendre et de quoi devraitêtre fait l’avenir.

Le prix à payer est celui de la perte de la libertéinventive de soi qui était celle des débuts du couple :sécurité contre liberté. L’autre grand changement parrapport aux débuts est la métamorphose du sentiment.Qui est trop souvent analysée comme un simpledésenchantement, un dessèchement de l’amour. Unetelle analyse n’est plus possible dès lors que l’onconsidère que l’amour est une réalitéextraordinairement variable suivant les contextes deson expression, notamment les étapes du cycleconjugal. Le coup de foudre est lié avec précision aumoment initial du choix. Les émotions fortes et lapassion sont liées au bouleversement des repères del’identité, période sensible où, comme l’écritBoris Cyrulnik, « l’organisme devient particulièrementapte à incorporer l’autre, en en prenant l’empreinte » [15], empreinte qui crée le lien. Le temps du confortouvre une perspective différente pour le sentiment. Lastabilité du cadre de l’existence permet même d’en

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 80: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

faire l’économie, de se laisser conduire par les seulesroutines du quotidien, voire de tolérer des sentimentsnégatifs  [16]. Généralement toutefois, la familiarité del’organisation domestique et l’intimité des interactionscréent un attachement mutuel, diffusant de labienveillance, du dévouement, de la tendresse, unamour paisible produit par l’attachement et qui renforcel’attachement. Plus rarement, un désir de surprises etde passion se maintient dans le couple établi, surtoutà certains moments de rupture des rythmes habituels(vacances, voyage). Tout est possible dans le tempsdu confort parce que le sentiment, auparavantfondateur du lien, est devenu une option libre, unecerise sur le gâteau conjugal.

4. Le quiproquo conjugal

La question se pose de savoir pourquoi les partenairesconjugaux acceptent si facilement de se laisserenfermer dans des rôles et de se contenter le plussouvent d’un petit surplus de sentiment tranquille. Lepoids des habitudes et l’attrait du confort évidemment.Cette réponse est toutefois insuffisante. L’entrée deplain-pied dans le troisième temps du cycle conjugalest liée également à un autre phénomène : ladécouverte du quiproquo conjugal. La passion desdébuts qui crée l’attachement est fondée sur unecontradiction. Elle nie ce que la société contemporainedéveloppe centralement : l’injonction à être soi, à

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 81: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

construire son individualité et à agir selon ses penséespersonnelles. Or, l’amour fondateur du lien conjugal estune dénégation de ce je, au nom du tu et du nous. Ledon de soi est d’autant plus facile qu’il est provisoire etque l’univers conjugal n’est pas encore constitué. Àmesure que les deux sphères de pratiques sedésindividualisent et que l’univers domestiques’alourdit, il devient au contraire onéreux : si l’on estvraiment amoureux, pourquoi alors refuser de faire lavaisselle en retard ou de nettoyer les wc ? Lesentiment trouve ses limites dans la mesquinerieménagère. Par ailleurs, il s’inscrit dans une logiquedont l’aboutissement serait une existence totalementfusionnelle. L’idéal fusionnel structure les débuts de larelation : dans le regard où l’on se noie, dans lesrapports sexuels, dans l’échange intersubjectif etamoureux, chacun cherche intuitivement à avancerdans le sens de l’équation improbable : 1 + 1 = 1. Puisles passagers de cet étrange voyage perçoivent lesindices leur signalant qu’ils sont toujours séparés.Plus l’élan des débuts s’affaiblit, plus les indicesapparaissent et plus les indices apparaissent, plusl’élan se ralentit : 1 + 1 = 2. Les deux partenairescommencent à marquer des seuils à ne pas dépasser,à construire et défendre des espaces personnels, às’échapper dans des pensées intimes, des projetspropres : l’individu refait surface. Il est désormaiscondamné à se partager sans cesse entre momentsplus individuels et moments plus conjugaux  [17].

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 82: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Dans les cas les plus extrêmes, qui ont cependanttendance à se développer aujourd’hui, la logiquefusionnelle se transforme même en véritable logiquefissionnelle  [18].

La réémergence de l’individu est peu compatible avecun sentiment trop passionné dans le couple établi. Cequi n’est pas obligatoirement vécu négativement : lecouple inaugure un nouveau mode d’échanges. Lesrôles tels qu’ils sont alors constitués permettent destructurer un fonctionnement à double niveau. De façonexplicite, l’individu officiel n’est pas avare d’efforts,d’idées, de sentiments, pour soutenir le moi conjugal.Sur un mode plus secret, il installe ses nichespersonnelles à l’intérieur de l’univers domestiqueinstitutionnalisé et recompose ses réseaux derelations, s’investit dans son travail  [19]. En d’autrestermes : il prend une distance avec les rôles tout enles vivant par ailleurs réellement et sincèrement. Cedouble jeu permet de résoudre le quiproquo. Mais il sepaye au prix d’une rigidification des rôles et d’unelimite mise au sentiment.

5. Passion ou confort ?

Le système de double jeu renforce généralement lecouple en lui permettant de gérer les contradictions dutemps du confort. C’est toutefois le même système quiest parfois à l’origine de l’éclatement conjugal. Pour

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 83: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

une raison simple qu’il n’est pas besoin d’exposerlonguement : dans les pensées secrètes, un autrepersonnage peut faire son apparition. L’idée d’unepassion nouvelle est alors mise en balance avec leconfort acquis.

Le cycle conjugal tel qu’il a été défini en trois tempsdoit être considéré comme un segment dans labiographie d’un individu, ne recouvrant pasobligatoirement, et ceci, de moins en moins,l’ensemble du cycle de vie. L’inscription dans des rôlesstabilisés n’est pas un aboutissement inéluctable :chacun peut choisir de rompre un couple établi pourvivre seul ou recommencer un nouveau cycle conjugal.Les causes profondes conduisant à la rupture sont àrechercher dans le processus historique d’individuationde la société : l’autonomisation progressive desindividus les incline à regarder de façon critique leurprésent et à se satisfaire moins facilement dessituations acquises. Les causes immédiates sont àrechercher dans le fonctionnement conjugal. À l’issued’une enquête menée auprès de 600 couples séparésen Italie  [20], Donata Francescato met en évidencedeux éléments distincts : les difficultés d’ajustementliées aux différences entre conjoints et l’insatisfactionliée à la routinisation de l’existence et àl’affaiblissement du sentiment. Les deux types dedysfonctionnement se manifestent par une gestion duquotidien devenue pesante et conflictuelle. Les deux

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 84: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

se résolvent souvent par une nouvelle passionextraconjugale qui déclenche la séparation. Pourtant,à l’origine, les motifs de la discorde renvoient à deuxordres de problèmes bien circonscrits (même si l’un etl’autre se renforcent mutuellement). Le premier serapporte au fait que le travail de construction conjugaleest plus ou moins difficile selon le passé et l’histoiredes partenaires mis en présence, que certainesassociations d’individus sont davantageproblématiques. Le second se rapporte àl’incompréhension et à la désillusion provoquées par ledéroulement du cycle conjugal. La routinisation del’existence fait ressortir l’incapacité nouvelled’inventivité et de surprise, d’ouverture de l’avenircomme dans les débuts du couple. Constat qui secroise avec la perception d’une communication moinsriche, surtout ressentie par les femmes  [21], unsentiment devenu simple attachement tranquille etparfois un désir physique émoussé  [22]. Les femmes,qui, dès le début de la relation, étaient davantage enattente de chaleur émotionnelle et de communicationintime, sont surtout déçues par la perte de cequ’autorisait le sentiment initial  [23]. Les hommes,qui, dès le début de la relation, étaient davantageintéressés par la sexualité, sont surtout déçus parl’affaiblissement de l’attrait physique de leur partenaire [24].

La dernière étape du cycle conjugal pose le problème

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 85: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

de la gestion de l’éventuel manque communicationnel,sentimental, émotionnel et sexuel. Une premièreréponse consiste à tenter de refuser le confort deshabitudes, à continuer à travailler la relation conjugale [25]. Ceci est rendu difficile parce que le temps duconfort est celui où l’individu se repose sur le couple etque rompre les cadres institués lui demande unpositionnement inverse. La réanimation conjugale portedonc le plus souvent sur des aspects partiels ou desmoments particuliers, par exemple les vacances. Unedeuxième réponse consiste à jouer le double jeuparadoxalement dans le sens du renforcement ducouple : en communiquant ailleurs, en rêvant ailleurs,mais pour compenser et pour diminuer l’insatisfactionconjugale. Une troisième réponse consiste à jouer ledouble jeu sous l’emprise de cette insatisfaction, enquête de nouveaux repères d’identification. Le coupleétabli est alors à la merci d’une émotion passagère,d’une corporéité imaginée ou entrevue qui donneflamme au sentiment. Dans certaines situationsl’ayant prédisposé à vivre ce qu’il va vivre, un seulregard peut propulser l’individu dans un nouveau cycleconjugal l’amenant à rompre des cadres desocialisation qui semblaient peu avant indestructibles.

IV. – Jalons d’étapes

Définir trois temps du cycle conjugal et signalerquelques jalons marquant les premières étapes doit

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 86: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

bien être compris comme un exercice pour rendreintelligible une réalité sociale qui, dans le concret, serévèle touffue et complexe : chaque histoire de coupleest toujours une histoire particulière, une adaptationqui s’écarte, plus ou moins et d’une façon spécifique,de la moyenne observable et des modèles tropparfaits.

1. La sexualité fondatrice

L’entrée en couple est désormais marquée par lesrapports sexuels qui sur ce point ont remplacé lemariage. La modification des mœurs a été profondedepuis trente ans. Dans les années 1960, les rapportssexuels avaient lieu soit au mariage, soit peu avant(après que la décision de se marier ait été prise).Depuis, une double évolution s’est produite : lemariage a perdu son importance comme moded’entrée en couple alors que les rapports sexuels ensont devenus une des premières étapes obligées. « Cerenversement donne un rôle fondateur aux premiersrapports sexuels, mais c’est un rôle fondateur faible ;la sexualité précoce indique le début de la relationplutôt que le début du couple. »  [26]. Michel Bozonanalyse le paradoxe suivant lequel la précocitésexuelle précipite la formation du lien tout enralentissant la constitution du couple. L’explication dece paradoxe tient dans le développement d’un« individualisme sexuel » sans idée d’un prolongement

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 87: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

conjugal probable. La sexualité, comme la danse,présente désormais un langage à double entente (jeusans enjeu ou débuts d’un couple : l’ambiguïté est larègle) compris et impulsé par l’ensemble de la société.Plus les partenaires sont jeunes, plus les proches etnotamment les parents ont tendance à considérer quece n’est qu’un jeu, et qu’il n’est pas temps des’engager sérieusement. Le second temps du cycleconjugal s’inaugure lorsque la relation perdure etsurtout lorsqu’elle débouche sur un début decohabitation. C’est parce qu’il y a séparation entredébut de la relation et entrée du couple dans unlogement commun que le premier temps du cycle estsi libre et si volatil. Les fragments de vie à deux sousle toit des parents ne remettent pas vraiment en causecette volatilité. Car l’établissement conjugal est liéavant tout à la mise au point d’un système domestiqueautonome. Phénomène nouveau, le départ plus tardifdu foyer familial  [27] a été analysé en rapport avec lamontée du chômage et l’allongement des études. Ilconvient toutefois d’ajouter qu’il est cohérent avec lenouveau mode d’entrée progressive en couple, marquépar une séparation entre sexualité (l’âge aux premiersrapports est de 17 ans pour les hommes et 18 anspour les femmes) et corésidence.

2. Le premier matin décisif

Le matin qui suit une première nuit d’amour est

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 88: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

généralement vécu comme un moment anodin, aupoint de ne laisser que peu de traces dans lamémoire. Il apparaît cependant important de s’yintéresser d’un point de vue scientifique, pour deuxraisons. D’abord, parce l’étude du sentiment amoureuxest rendue très problématique actuellement, à causede la normativité du discours, dominé par un modèlede récit idéalisé. La seule façon de contourner cetobstacle est de contextualiser les enquêtes avec unegrande rigueur, pour recueillir des données précises.Fixer la focale d’observation sur le moment trèsparticulier du premier matin est donc une façon decontextualiser  [28]. Par ailleurs, ce choix n’a pas étéopéré au hasard. Car, contrairement à lareprésentation des acteurs, le premier matin jouedésormais un rôle décisif dans la constitution descouples.

Il se situe de façon différente selon le modèle de latrajectoire amoureuse, trajectoires qui ont étéspécifiées en différents types par Michel Bozon  [29].Une trajectoire classique consiste à ne s’engager quetrès progressivement (avec peu de partenaires aucours de la vie), en suivant des étapes, les rapportssexuels ne devant intervenir qu’après que lessentiments aient été mutuellement et clairementexprimés. La nuit est alors perçue comme uneconfirmation de l’engagement en même temps qu’untest. Chacun est en effet convaincu que le couple est

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 89: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

dorénavant fondé sur une intimité partagée, dont lesrelations sexuelles sont à la fois le centre et lesymbole. Le matin sonne alors comme l’heure dubilan. Sans qu’il y ait jamais une analyse froide desgestes, des postures, des émotions ressenties : lasatisfaction globale suffit à créer le bonheur du matin,qui lui-même scelle l’engagement dans la vieconjugale.

Ce type de trajectoire classique tend toutefoisaujourd’hui à devenir minoritaire. Des cheminementsbeaucoup plus complexes et diversifiés sedéveloppent, notamment autour de l’articulationsentiment-sexualité. La raison profonde de cetteévolution est dans la montée du sujet moderne,autonome et réflexif, cherchant à maîtriser tous lesaspects de sa vie quotidienne. La trajectoire classiquereposait soit sur des soutiens institutionnels(notamment la famille), soit sur une représentationabstraite et inquestionnable du sentiment amoureux.L’exigence nouvelle est au contraire de définir soi-même son avenir et de valider l’authenticité dusentiment (ne plus être amoureux de l’amour, maisd’une personne bien concrète). Il en résulte une grandedifficulté à sortir de son univers pour aller vers l’autredans les premiers temps de l’expérience amoureuse :l’encadrement institutionnel est rejeté, et le sentimentne parvient que rarement à entraîner à lui seul. Desdéclencheurs, fournis par le contexte des rencontres,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 90: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

sont devenus nécessaires. Beaucoup de couplesaujourd’hui initient par exemple leur rapprochement àl’occasion d’une fête entre amis. Il faut pouvoir « selâcher » un peu pour parvenir à s’abandonner, à fendrel’amure du contrôle de soi. Le désir sexuel intervientalors comme une sorte d’énergie devenueincontournable, pour être entraîné hors de soi. Dansnotre société, la sexualité est devenue fondatrice ducouple.

Rien ne dit cependant s’il s’agira d’une histoire courte(voire strictement réduite au sexe) ou d’un engagementplus durable. C’est ici que le premier matin intervientdans son nouveau rôle décisionnel. La retombée dansla vie ordinaire (la sortie du lit, la toilette, le petitdéjeuner) déclenche en effet toute une gamme demicrosensations qui incitent ou non à prolongerl’expérience. Désirs, enchantements, rires, angoisses,malaises, agacements, voire dégoûts, se mêlent defaçon contradictoire avant de déboucher sur unedécision. Si l’issue est heureuse, la forme du futurcouple aura été marquée en profondeur par ces toutpremiers instants d’ajustement mutuel. C’est pourquoion peut résumer les nouvelles trajectoiresamoureuses-conjugales par ce double constat : lasexualité est désormais fondatrice, et le premier matindécisif.

3. Brosse à dents et lave-linge

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 91: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Le passage dans le temps véritablement conjugals’opère lorsque les premiers objets personnels sontinstallés chez le partenaire, à partir de celui qui estsouvent le premier d’entre eux : la brosse à dents. Lesobjets ne sont pas choses inertes et sans vie. Ilsrenferment une part de nous-mêmes, résultat d’unpassé d’interaction avec eux, qui les détache del’anonymat et les constitue en objets familiers. Lesobjets et les manières de les manipuler installent doncchez le partenaire une part de soi. Très peu de chosespour chaque objet pris séparément. Mais un couple quicommence à vivre ensemble est un instrumentd’accumulation quotidienne d’objets, d’habitudes, denouvelles références communes. Les deuxindividualités qui se structurent dans les espaces etdensifient l’univers domestique augmentent d’autant etconcrétisent le passé de la relation engageant l’avenir :il devient jour après jour plus difficile de se retirer. C’estencore possible au « stade brosse à dents », qui secaractérise par une accumulation d’objets restant pourl’essentiel personnels et individualisés  [30]. Lesmeubles et appareils d’usage commun (lit, table,chaise, réfrigérateur, gazinière, chaîne hi-fi) restentvaguement propriété de l’un ou de l’autre et induisentpeu d’effets de collectivisation du systèmedomestique. L’acquisition du lave-linge provoque aucontraire une accélération et un renforcement de cettecollectivisation. Le linge dont on s’occupait jusque-làsoi-même ou qui était ramené chez sa mère le week-

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 92: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

end est mélangé et traité pour la première foisconjugalement. De nombreuses décisions doiventalors être prises : qui doit faire quoi, selon quelsprocédés et quel rythme, selon quels critères depropreté ? Tout un monde nouveau structurant lesgestes élémentaires doit être mis en place dans unepériode relativement brève : les deux individus sontdésormais inscrits dans un ensemble qui les entraînepar sa logique intrinsèque, logique d’accumulation derègles d’interaction toujours plus serrées, débouchantsur les rôles constitués du temps du confort.

4. Le mariage et les enfants

Dans le modèle évolutif de constitution du couple, unrenversement de l’opinion par rapport au mariage (dansun sens favorable à ce dernier) s’opère lorsque lesystème domestique et les rôles sont stabilisés. Lemariage devient ainsi une sanction de l’aboutissementdu cycle conjugal : en l’espace de trente ans, sa placedans le cycle a donc complètement changé.

Le couple commence désormais à petits pas, dans lalégèreté insouciante du moment présent. L’importantest d’être libre, de respirer la vie à pleins poumons, deprolonger et de prolonger encore la jeunesse.L’angoisse est de s’enfermer trop vite dans l’existenceinstallée, de limiter l’horizon, de rater d’autresbonheurs possibles. Elle est aussi de se tromper dans

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 93: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

le choix de partenaire. Car l’amour ne décoche pastoujours sa flèche avec une netteté infaillible. Chacunhésite donc à trop s’engager, et prend garde à ne passe laisser saisir tout entier quand une histoirecommence. Peu de projets, de mariages ou d’enfantsdans les premiers temps : les engagements sérieuxsont repoussés à plus tard.

Le changement est radical, en l’espace d’une seulegénération. Le couple commençait autrefois par lemariage qui scellait le destin dès le début de la vie àdeux. Il était une institution, incontournable etfondatrice ; il est devenu un acte volontaire et gratuit(on peut très bien vivre en couple sans jamais semarier). Ce n’est pourtant pas une simple cerise sur legâteau conjugal. Le mariage contemporain a une forcesecrète qu’il faut savoir comprendre.

Pourquoi l’idée vient-elle un jour de se marier ?Pourquoi provoque-t-elle si vite une douce excitation ?Parce que les deux partenaires ont pris consciencequ’ils sont devenus autres. Surpris et fiers de cettenouvelle identité, ils veulent soudainement proclamerl’événement, à la famille et aux amis, très fort,officiellement. Comme pour confirmer ce changement.Si les doutes n’ont pas toujours totalement disparu, sile désir de maintenir une certaine respirationpersonnelle dans le couple reste souvent présent,l’envie de s’engager est toutefois devenue la plus forte.La légèreté du présent ne suffit plus. Il leur faut

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 94: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

s’inscrire résolument dans un avenir plein de projets,autour d’enfants rieurs et de l’idée familiale. Lemariage cristallise une mutation intérieure. Il est trèslié au projet parental  [31], au souhait de passer ducouple à la famille, de s’établir dans la durée. Il estsurtout une volonté d’enfermer l’avenir dans cetengagement, de conjurer la rupture toujours possible.Le fait de se marier est davantage corrélé à un faiblerisque de rupture que le fait d’avoir des enfants  [32].C’est justement parce que les partenaires sontconscients de la fragilité du couple qu’ils veulent tenterainsi de forcer le destin.

Quelle sorte de cérémonie organiser ? Parfois, l’idéepremière est celle d’une fête originale avec les amis,pour ne pas retomber dans les rituels dont on semoquait naguère. On s’amuse beaucoup à évoquerdes scénarios tous plus fous les uns que les autres.Mais les rêves profonds disent autre chose : l’envied’une robe de lumière, d’une communion intense, d’unévénement solennel. Le mariage est devenuaujourd’hui le marqueur symbolique d’un passage. Etles symboles ne fonctionnent vraiment qu’ens’enracinant dans une longue tradition  [33]. C’estpourquoi, bien que moderne et personnalisé surquelques détails, il reste et doit rester un vrai mariage.Ainsi seulement l’émotion sera intense, etl’événement, avec une force surprenante, marquera lechangement d’identité.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 95: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 96: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre V

Le travail domestique

I. – Faire face

1. Le chaos menaçant

L’organisation domestique d’un ménage ne peut secomprendre en dehors de la dynamique des gestesélémentaires qui sont à sa base. Observés dansl’instant, ils apparaissent évidents pour ceux qui lesdéploient, s’enchaînant les uns aux autres. Mais neprendre en considération que ce point d’aboutissementserait oublier l’histoire qui les a construits ainsi. Lespratiques constituant l’organisation domestique ont étél’une après l’autre intériorisées et transformées enautomatismes permettant au corps de se mouvoirsans se poser de questions sur le pourquoi et lecomment du moindre geste. À l’origine, chaquemouvement a été improvisé une première fois, plus oumoins réfléchi pour être inventé, généralement dansl’urgence et sous la pression des événements. Puispeu à peu répété comme allant de soi. La causemajeure de l’urgence est la menace de chaos. Cette

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 97: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

problématique est particulièrement claire en ce quiconcerne les tâches de rangement et de ménageproprement dites (elle peut cependant être élargie àl’ensemble du travail domestique, comportant aussibeaucoup d’activités relationnelles). L’ordre deschoses n’est pas une donnée objective, chacun leconstruit avant tout dans sa tête à partir d’un sens desplaces assignées aux objets  [1]. Cette construction àla fois cognitive et se traduisant dans l’ordre duconcret s’opère à partir d’une référence minimale dupropre, de l’ordonné, de ce qui doit êtreobligatoirement fait pour sauvegarder quelquesprincipes élémentaires de classement du quotidien,qui se révèlent être des fondements majeurs del’identité (être propre c’est être en propre, c’est êtresoi). L’évidence incorporée de ces quelques principesse traduit en gestes automatiques vécus sous le signedu devoir agir : on doit balayer la poussière et on le fait« spontanément », en se posant le moins possible dequestions. À l’opposé de cette dynamique d’actioninscrite dans les routines se situe l’univers du non-connu et du non-organisé, perçu comme une menacecontre ce qui a été structuré et sédimenté. Dans cegrouillement menaçant, il y a à la fois les activités quel’on a conscience d’accomplir imparfaitement et lescirconstances imprévues qui désorganisent les acquisou révèlent la nécessité d’une tâche nouvelle. Lecombat quotidien contre le risque de chaos peut êtreanalysé comme un mouvement spiroïdal : chaque jour,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 98: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

le couple semble répéter les mêmes gestes de remiseen ordre de ce qui a été dérangé, mais ce faisant, ildéplace légèrement et perfectionne le système mis enplace. Les acteurs de cette épopée discrète sesentent portés par un élan les poussant à allertoujours plus de l’avant. Au niveau des tâches les plusconscientes et représentées comme nobles (lesprojets immobiliers, l’éducation des enfants), cettedisposition d’esprit peut amener les protagonistes à sepercevoir sous les traits de chefs d’entreprisesperformants. Au niveau des tâches les plus répétitiveset les plus humbles (balayer, sortir les ordures), lesens du devoir intériorisé pousse à renforcer l’évidencedes gestes et à agir de la façon la plus automatiquequi soit. Entre les deux, pour ce qui concerne lestâches à la fois peu reconnues et requérant unetechnique complexe (cuisine, repassage), ilsressentent (malgré la plus ou moins grande pénibilitéprovoquée par la réalisation des corvées ménagères)un certain plaisir mélangé de fierté pour la compétenceacquise et pour leur capacité à maintenir et àdévelopper l’organisation.

2. Donner à faire

Le travail effectué par les familles change avec lecontexte historique. Sur une longue durée, il estpossible d’observer un mouvement continud’externalisation : des activités de plus en plus

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 99: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

nombreuses sont déléguées et socialisées sous laforme d’une prise en charge par les pouvoirs publics,des associations, des entreprises de services  [2]. Cemouvement s’est accéléré depuis trente ans, sous lapression résultant de l’essor du travail féminin et dunouveau mode d’entrée en couple. Il est l’occasiond’un changement de nature, d’une sophistication destravaux anciennement familiaux : il n’y a passeulement déplacement d’un travail pour soulager lafamille, mais restructuration et développement del’activité (les exemples de l’école et de la santépubliques suffisent à l’illustrer). La socialisationcontinue du travail familial ne libère les ménages qu’enapparence : de nouvelles activités remplacent sanscesse celles qui ont été transférées, le temps passéau travail domestique ne diminue pas.

Situé dans ce mouvement, chaque ménage doitrépondre à la question : qu’est-ce qui peut êtredélégué, qu’est-ce qui ne doit pas l’être ? En prenantces décisions, à propos du repassage ou de la gardedes enfants, les partenaires conjugaux, sans s’enrendre compte, définissent leur propre conception dece que doivent être la famille et les perspectives pourune évolution future des activités proprementdomestiques. Schématiquement, les ménages peuventêtre répartis en trois groupes. Les milieux les plusmodestes sont les objets de politiques sociales quiconstituent une forme spécifique de l’encadrement et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 100: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

de la délégation du travail familial. Les milieuxintermédiaires faiblement diplômés, dans de nombreuxcas, résistent à la délégation et favorisent au contraireun fort investissement dans leur propre systèmedomestique. Les milieux les plus dotés socialementou culturellement ont généralement une attitudedifférente, notamment à partir d’un positionnementspécifique par rapport aux usages du temps : ils enmanquent, ils courent sans cesse après, poureffectuer des activités professionnelles ou de loisir quiaugmentent en nombre à mesure que le capitaléconomique et le capital culturel se renforcent  [3].

Les activités déléguées ne sont pas toujours les pluspénibles et ingrates. Car le choix de ce qui est donnéà faire dépend en grande partie de la structuration del’offre des services et des résistances personnellesliées à l’incorporation d’automatismes. C’est pourquoi,par exemple, il est paradoxalement plus facile dedonner son enfant à garder que son linge à repasser.Quant aux nouvelles activités développées grâce autemps libéré par la délégation, il est remarquable quedes tâches ménagères diverses soient librementréintroduites, comme pour combler le vide (tâchessouvent créatives, comme la cuisine festive, maisaussi routinières, comme bêcher son jardin). Cetteobservation permet de mieux cerner le sens du travaildomestique : il ne s’agit pas seulement de corvéesdont on chercherait à se débarrasser, mais aussi d’une

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 101: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

activité essentielle concourant puissamment àconstruire quotidiennement la relation conjugale et lesidentités des individus socialisés dans le couple.

II. – Face à face

1. Les territoires personnels

L’idée de partage égalitaire des tâches domestiquesest très récente et s’oppose à des siècles d’histoireayant assigné les femmes aux travaux de la famille etde la maison. Le XIXesiècle tout particulièrement.Michelle Perrot analyse avec quelle force il dessine lafigure de la femme mère et ménagère  [4][4] M. Perrot,« Figures et rôles », in P. Ariès, G. Duby..., délimitantun rôle domestique qui ne se transformera guèrejusqu’au début des années 1960. Poussant certainschercheurs, notamment Parsons  [5], à penser que lerôle « affectif » de la femme et le rôle « instrumental »de l’homme pourvoyeur de ressources pourraientconstituer des données d’évidence.

Depuis quelques décennies, ces conceptions sontdevenues obsolètes, sous les coups d’une doubleévolution : les rôles ne s’offrent plus « prêts à vivre »,ils doivent d’abord être élaborés, et l’idée d’égalitéentre hommes et femmes bouleverse les référencesanciennes. Les jeunes qui entrent en couple n’ont pasune idée très précise de la conduite à tenir concernant

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 102: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

les questions ménagères. Ils imaginent mal ce quesera l’évolution future, l’augmentation progressive dutravail à effectuer ; ils n’ont guère une vision plus clairede ce que doivent être les principes d’organisationprésente. Ils se laissent porter par l’inspiration, sipossible créatrice et ludique, comme souvent pour lacuisine  [6]. La légèreté des débuts les incite à ne passurévaluer l’importance de ces problèmes. Pourtant,peu à peu, à mesure que le couple s’installe, desréponses doivent être données, notamment à laquestion : qui doit faire quoi ? Quelle doit être la normede répartition ? Les rôles anciens conféraient à lafemme la presque totalité de la charge du travail. L’idéenouvelle d’égalité entre hommes et femmes dans tousles domaines de la société suggère logiquement queles tâches ménagères doivent être partagéeséquitablement. Divisés entre ces deux référencescontradictoires, les nouveaux couples improvisent aujour le jour. Avec une dominante très nettementmarquée pour la référence égalitaire. Les courses, lespetites vaisselles et les coups de balai sont doncrépartis, plus ou moins équitablement, suivant uneméthode qui elle aussi est à définir. Le système« chacun son tour » permet de respecter le principed’égalité. Il est toutefois d’une application délicate, caril exige d’effectuer des comptes permanents. Enconséquence, il est généralement appliqué de façonsouple : l’alternance est modulée par la« disponibilité » de chacun. Cette souplesse constitue

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 103: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

l’une des brèches par lesquelles s’installeprogressivement un autre système : la répartition parterritoires personnels (à l’un la cuisine, à l’autre leménage, etc.). La répartition par territoires personnelsn’est pas, en théorie, incompatible avec l’égalité : ilsuffit d’évaluer vaguement qui fait quoi et de s’organiserpour que la charge de l’un ne dépasse pas (ou pastrop) celle de l’autre. Dans les faits, la réalité estpourtant souvent différente. D’abord, parce quel’évaluation mutuelle est extrêmement difficile à mettreen pratique sinon sur quelques aspects partiels. Cecipour une raison principale : l’automatisme des gestes,étant à la base de ce qui facilite la vie, doit être lemoins possible remis en cause, or l’évaluationmutuelle empêche de se laisser aller aux gestes nonconscients. Ensuite, parce que les logiques deconstruction de territoires domestiques personnels nesont pas semblables entre individus. C’est notammentà cette occasion que les deux partenaires découvrentà quel point ils ont deux histoires différentes, deuxhistoires qui ont sédimenté en eux deux patrimoinesde gestes et deux potentiels de structuration despratiques particuliers  [7]. L’un(e) pourra par exemples’engager dans la préparation des repas et effectueravec facilité des tâches qui peuvent même luiapparaître agréables et pour lesquelles il (elle) a de lamotivation, alors que repasser lui semble aussi inutileou difficile à effectuer que pénible. Pendant que l’autredécouvrira son potentiel de compétence et de quasi-

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 104: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

plaisir pour le repassage, alors qu’elle (il) ne sentaucune attirance pour la cuisine. Une longue mémoirehistorique individuellement incorporée révèleprogressivement une capacité d’inscription particulièredans des territoires personnels spécifiques. Et souventcomplémentaires avec les territoires du partenaire, cequi accélère la constitution de rôles bien délimités.Complémentarité qui n’est pas due au hasard, maisrésulte de deux facteurs : la différence de sexe, quitend à conduire, selon que l’on est homme ou femme,dans deux régions opposées du système domestique [8], et le fonctionnement conjugal, qui incite àrenforcer certains contrastes (permettant ainsi demieux marquer les territoires personnels et derenforcer la cohérence identitaire de chacun). Lemécanisme n’est toutefois pas aussi bien huilé quepourrait le laisser penser l’exemple donné. La« découverte » des territoires personnels est unprocessus lent et laborieux, évoluant au gré desajustements et des négociations quotidiens. Il s’agitd’ailleurs autant d’une construction que d’une simpledécouverte. À partir de potentiels de développementsédimentés en soi, certes, mais le résultat n’est pasdonné d’avance.

2. L’égalité problématique

Tâtonnant, chaotique, le processus bute par ailleurssur une difficulté : plus il avance, plus le projet

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 105: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

égalitaire initial semble s’éloigner. Le capitald’injonction à agir de l’un est en effet rarementéquivalent au capital de l’autre. Pour l’un(généralement la femme), beaucoup de choses sont àla fois plus faciles à faire et plus importantes, plusévidentes. Pour l’autre, beaucoup de choses sont à lafois pénibles à faire et apparaissent peu justifiées,imposées par le partenaire, dont les normes sur cepoint sont plus élevées (moins les exigencesménagères des femmes sont importantes, plus leshommes participent aux tâches)  [9]. Un desproblèmes dans un tel contexte est que les jugementscroisés s’opèrent à partir de la culture ménagère dechacun et non en se référant à une norme moyenne.Celui pour qui un travail est pénible sera donc jugécomme fainéant par l’autre pour qui le même travail estau contraire aisé. Ce qui à nouveau pousse à laséparation des territoires et même à la non-communication entre eux (pour protéger la satisfactionet la communication conjugale). Tenter d’imposer lanorme la plus élevée dans tous les domainesreviendrait à ouvrir autant de zones de conflits. Lesprotagonistes préfèrent donc souvent prendre encharge seuls ce qui leur tient le plus à cœur pour nepas avoir à critiquer le partenaire pour sesinsuffisances. La séparation des territoires personnelspermet d’économiser le coût relationnel du choc desdifférences. Or, l’évolution vers le temps du confort secaractérise par une recherche de non-conflictualité et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 106: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

de fonctionnalité de l’organisation domestique. Dansce contexte, il est difficile de résister à la constitutionde territoires personnels. Résultat : malgré la référenceégalitaire qui est dans les esprits, la répartitionconcrète plus équitable des tâches domestiques neprogresse qu’extrêmement lentement  [10].

III - L'un et l'autre

1. Identité féminine et tâches ménagères

Comment faire alors avec l’idée d’égalité ? Elledevient inapplicable à mesure que le couple s’installe [11] ; et, en même temps, il est impossible del’abandonner. L’égalité entre hommes et femmes estdevenue aujourd’hui un principe démocratiqueintangible. Les formes que doit prendre cette égalitésont cependant encore en débat : au nom de laspécificité de l’identité féminine doit-on accepter quecertains types de pratiques restent sexuellementmarqués ? Les tenants de cette position prennentrarement l’exemple des tâches ménagères. Il s’agitpourtant d’un point crucial de l’articulationproblématique égalité/identité de genre. Découvrantl’étendue des territoires domestiques personnelsqu’elle structure, la femme se sent fréquemmentintérieurement déchirée entre des principes générauxqui l’incitent à se poser des questions sur cetteévolution, à critiquer l’éloignement de l’idéal égalitaire,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 107: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

à se critiquer elle-même pour sa participation active àcet éloignement par la prise en charge de tâches(« Ah ! je suis trop bête… »), et ce que lesautomatismes incorporés la poussent à faire malgréelle (« … mais c’est plus fort que moi »)  [12]. Cettehésitation lancinante est vécue sous une formeponctuelle et concrète (à propos de tel ou tel gestequ’elle ne peut se résoudre à abandonner). Pourtant,c’est fondamentalement une question sur l’identité etl’égalité qui est posée. Chaque femme y répond à samanière privilégiant l’un (le confort conjugal etidentitaire) ou l’autre (le principe d’égalité et laréalisation personnelle), l’ensemble desmicrodécisions individuelles dessinant une figuremoyenne de ce que signifie être une femmeaujourd’hui dans notre société. C’est ainsi que semblese dégager le portrait d’une femme hésitante, diviséeet surmenée, car ne souhaitant pas ou ne pouvant pasabandonner la position occupée dans le couple aunom de la réussite professionnelle  [13]. Portrait dontles lignes se renforcent dans la mesure où leshommes sont exactement en attente de ce type defemme qui leur permet d’être en accord avec lesprincipes égalitaires généraux tout en privilégiant leurpropre réussite professionnelle. Portrait dont lestonalités négatives sont estompées par les médias,qui s’appuient pour ce faire sur un consensus trèslarge, hommes et femmes réunis trouvant intérêt àtaire ce qui pourrait troubler la tranquillité conjugale.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 108: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Dana Hiller et William Philliber constatent le décalageentre les positions générales, égalitaristes, et le refusde chacun de céder sur ses territoires concrets  [14].Ils soulignent que l’effet de réactivation des rôlestraditionnels vient surtout de la perception féminine del’attente masculine : la femme se plie à ce qu’elleimagine être le souhait de son mari. Pour les auteurs,ce jeu d’interaction renforce la spécificité de genreprincipalement dans deux domaines : le travailménager pour la femme, le rôle de pourvoyeur deressources pour l’homme  [15]. Une tâche commel’éducation des enfants est un peu plus partagée.L’éducation est un phénomène complexe sur le plandu marquage sexuel. Elle comporte un élément depouvoir, ce que Michel Glaude et François de Singlyappellent les « grandes décisions », que les hommesinvestissent avec facilité  [16]. Mais l’éducation estaussi un travail domestique au quotidien, fortementféminisé. Le fait que les hommes développent leurparticipation à certaines tâches spécifiques liées auxenfants (grandes décisions, jeux, sorties) ne doit pasmasquer que le lien à l’enfant reste un pôle d’ancrageessentiel de l’identité féminine. Christine Castelain-Meunier et Jeanne Fagnani  [17] décrivent comment celien s’instaure dès la grossesse avec la « magie »émanant du petit être vivant porté en soi. Sensationd’autant plus forte que la société soutient sonépanouissement à partir de la priorité inconditionnelleaccordée à la « qualité de la relation à l’enfant »  [18].

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 109: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Sur la scène sociale, cette question est commeséparée de l’égalité, traitée à part. Or, comme pour letravail ménager, elle occupe une position centrale dansla réactivation de l’identité de genre. La venue del’enfant, nous l’avons vu, s’inscrit souvent au momentoù le contour des rôles devient plus net. La maternitéet les soins au bébé  [19] accélèrent cette définition,sans que l’on puisse distinguer les « effets de cycle »et la charge de féminité des activités liées à l’enfant.La décision d’avoir ou non un troisième enfant peutêtre analysée dans ce contexte évolutif.Christine Castelain-Meunier et Jeanne Fagnaniremarquent qu’elle renvoie à deux « esprits de famille »différents, l’un se référant à l’intériorisation d’interditsconcernant le désir d’enfant au nom de l’affirmation desoi comme « sujet libre et autonome », l’autre à unrefus des « injonctions du modernisme » pour donnerlibre cours aux « pulsions maternelles »  [20].

2. Hommes : la tentation du pouvoir

Michael Lamb, Joseph Pleck et James Levine notentque lorsque les couples partagent le travaildomestique, une des sources importantes de conflitest la (mauvaise) qualité du travail masculin, critiquéepar les femmes  [21]. L’installation des hommes dansl’univers ménager n’est pas simple. Poussés par laréférence égalitaire et par la société qui, pour masquerle problème, met en avant l’image d’un homme

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 110: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

moderne à l’aise et joyeux dans le récurage descasseroles et les soins au bébé, les hommes essaientde s’aventurer dans ce domaine incertain avec souventune relative bonne volonté. Ils cernent progressivementleur capacité à constituer des territoires et découvrentce faisant l’importance des résistances, la difficulté àatteindre les normes de la partenaire, les critiques etles insatisfactions provoquées par leur travail. Seplaçant en position d’élèves pour apprendre davantage,ils ressentent souvent une culpabilité pour le non-respect des principes initiaux, plus égalitaires,culpabilité qui les incite à ne pas se laisser aller tropfacilement à la tentation du repli et de la reconstructionde rôles semblables aux anciens. Dans le jeuquotidien de l’interaction, dont la tendance dominanteest de renforcer les complémentarités de genre, leshommes essaient donc, plus ou moins, de guetter lesoccasions leur permettant de s’insérer. Elles peuventvenir de leur capital de manières. Par exemple un goûthérité pour les arts de la table. Le cas de figure n’estpas rare où l’homme a au début une attirance pour cedomaine simplement en tant que spectateur etconsommateur, qu’amateur de bonne chère. Cetteattirance peut toutefois constituer le fondement d’uneinjonction à agir plus productive. Progressivement,l’homme peut ainsi expérimenter quelques petits plats,puis devenir le maître d’œuvre des réceptionsfamiliales (soutenu ici par l’aspect public de lapratique), puis prendre en charge la cuisine ordinaire,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 111: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

puis l’ensemble des activités liées à l’alimentation duménage (courses, vaisselle, rangement). Cet exemplen’est pas pris au hasard, la cuisine et les coursesétant parmi les tâches d’intérêt général où leshommes parviennent à s’impliquer de façon nonnégligeable  [22]. Les hommes ont aussi leur territoiretraditionnel : bricolage, réparations, entretien del’automobile, activités qui sont pour les femmes parmiles plus pénibles quand elles ont à les effectuer, étantdonné leur marquage sexuel  [23]. L’évolution du tempspassé par les hommes et par les femmes au bricolageest intéressante à analyser. Dans les années 1970-1980, les hommes augmentent encore leur prise encharge quasi exclusive du domaine  [24]. On aurait pupenser que l’indétermination grandissante des rôlesdomestiques inciterait au mélange des genres et audéveloppement de la présence féminine, de la mêmemanière que les hommes s’introduisent dans lacuisine. Or, dans un premier temps, il n’en est rien,car le bricolage leur permet de compenser ce qu’ilsparviennent difficilement à faire ailleurs, de constituerun territoire qui soit à la fois le leur et reconnu commepartie intégrante du travail domestique. Puis, dans lesannées 1990, la tendance se renverse  [25]. Leshommes continuent à bricoler de plus en plus, maisles femmes s’introduisent en masse dans ce nouveauterritoire. Elles le font à leur manière, à partir de ladécoration, activité inscrite dans un imaginaire familial,progressant ensuite vers les aspects plus techniques.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 112: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Les hommes sont alors poussés à redéfinir leurterritoire sur des aspects plus pointus.

Les occasions de s’insérer davantage dans le travaildomestique peuvent se présenter également sous laforme de prises de pouvoir discrètes. La difficulté laplus grande pour les hommes se situe dans laresponsabilité opérationnelle d’un secteur d’activité,qui implique une charge mentale  [26] et une capacitéorganisationnelle précise. L’art masculin peut consisterà introduire un troisième niveau, au-dessus de laresponsabilité opérationnelle, celui du débatstratégique sur les grandes orientations. Séparé de lamise en application, l’homme peut retrouver del’aisance et de la compétence à moindres frais tout encompensant sa faible participation concrète  [27].Alors que la femme n’a pas tout à perdre : son conjointrisque moins de se désengager du domainedomestique, et ce troisième niveau peut réellementconstituer un enrichissement de la vie familiale.Michel Glaude et François de Singly mettent enévidence que c’est par rapport aux grandes décisionsqu’ils nomment aussi le « pouvoir d’orchestration » quel’égalitarisme a le plus progressé, alors que le« pouvoir d’exécution » et l’exécution elle-mêmerestent spécialisés  [28]. La démocratie domestique sestructure principalement à ce niveau.

3. Une évolution incertaine

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 113: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

La mise au point des rôles dans le cours du cycleconjugal est un processus extraordinairementcomplexe et mouvant, qui se joue au croisement desmanières héritées, de la dynamique spécifique del’interaction et de la force d’imposition des modèlesculturels du moment. Chaque couple est une histoireparticulière, débouchant sur une définition de rôles quilui est propre. L’ensemble des choix particulierss’inscrit pourtant dans un mouvement d’ensemble, quiconfère un sens dominant à l’évolution. Celle-cisemblait claire quoique très lente : un progrès versdavantage d’égalité  [29]. Ce progrès lent, maiscontinu, largement surévalué dans l’imaginaire collectifet associé à l’évidence du principe d’égalité, donne àpenser que la suite du mouvement est inéluctable.Rien n’est pourtant moins sûr. La petite diminution del’écart entre hommes et femmes a été due à unepuissante mobilisation sociale s’opposant à la logiqueconjugale quotidienne qui pousse au contraire aurenforcement des contrastes de rôles. Or, cettemobilisation imposant avec force l’idée d’égalité tendaujourd’hui à diminuer et à être relayée par desréflexions sur les identités de genre (identités féminineet masculine, ainsi que maternelle et paternelle) quisubrepticement peuvent déclencher des effetsinégalitaires en chaîne. Ceci d’autant plus que latendance à l’innovation dans les comportementsconjugaux tend à s’essouffler  [30]. Il n’est pasquestion d’imposer un modèle de comportement, cette

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 114: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

question privée relevant des choix de chacun. Mais ilimporte de souligner l’ampleur des clarificationsnécessaires pour que chacun prenne conscience desenjeux.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 115: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre VI

Vivre à deux

I. – Les échanges

1. La complexité des flux

Tout s’échange dans le couple, comme le signaleMichelle Perrot dans une liste à la manière deGeorges Pérec : du sperme, des baisers et descoups ; de l’argent du travail et des sentiments, ducapital économique et du capital symbolique  [1].Chaque jour, une infinité de biens et des servicesextraordinairement divers et parfois difficilementperceptibles (par exemple le soutien identitaire)circulent dans un sens et dans l’autre. Dans lesdébuts de la vie à deux, l’indifférenciation des rôlesrend encore plus floue la vision de ce que chacundonne et reçoit, la fusion amoureuse et la proximité,voire l’équivalence des positions pouvant même donnerà penser que des éléments identiques sont échangés.Pourtant, dès la première rencontre, le problème estde définir une règle de troc : l’un et l’autre sont plusparticulièrement en attente de certains biens et

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 116: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

services  [2]. Cette définition peut être très rapide, lespremiers temps de l’interaction étant alors fortementstructurants. Daniel Welzer-Lang remarque ainsi quedans ces instants émotionnellement vibrants,l’acceptation par la femme de comportements pouvantannoncer des violences domestiques futures est unpiège qui commence déjà à se refermer sur elle  [3].Elle peut au contraire être très lente. Odile Blinanalyse comment dans les jeunes couples d’artistes,la structuration des échanges dépend du fait de savoirlequel des deux réussira professionnellement mieuxque l’autre. La première phase du couple apparaît dansce cas comme une phase d’attente. Néanmoins, lagestion du quotidien n’est pas sans effet sur ladétermination de l’avenir : telle femme qui prendimmédiatement en charge le travail ménager plus queson conjoint hypothèque d’autant ses perspectivesprofessionnelles en donnant une orientation à lacirculation des échanges  [4].

2. Le sexe des flux

Des règles de structuration peuvent être mises enévidence. Selon le milieu social  [5] et surtout selon lesexe : hommes et femmes ne sont pas en attente desmêmes biens et services. François de Singly, dans sarecherche sur les petites annonces, montre que leshommes recherchent plutôt de la beauté et du soutienaffectif et les femmes du capital économique  [6]. Ce

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 117: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

résultat est confirmé par Ruth Berry et Flora Williamsaprès la mise en couple : pour les femmes mariées, leplus fort indicateur de satisfaction est corrélé avec laconsidération du conjoint comme bon pourvoyeur deressources  [7]. Les auteurs notent que les femmessont également en attente plus forte decommunication conjugale. D’autres études insistentsur l’attente sentimentale, plus féminine, généralementopposée à une attente masculine davantage portée surle sexuel  [8]. Pour résumer : recherche de l’attraitphysique et sexuel, du soutien affectif pour leshommes ; du capital économique, du sentiment et dela communication pour les femmes. Cetteclassification rudimentaire demanderait à êtreprécisée. Ainsi les hommes parlent-ils davantage dusoutien affectif parce qu’ils ont l’habitude de recevoirce type de service : ils considèrent plus que lesfemmes leur conjointe comme étant leur meilleur ami [9] et les femmes donnent plus que les hommesspontanément baisers et autres marques d’affection [10]. Mais ceci ne signifie pas que les femmes soientmoins demanderesses de soutien affectif, simplementelles formulent cette demande de façon différente,intégrée à une revendication plus vaste decommunication intime  [11]. Les hommes privilégient lesoutien affectif immédiat et égotiste parce qu’ils sontmoins impliqués dans le couple, au contraire desfemmes qui l’inscrivent pour la raison opposée dans lacommunication conjugale. Les différences ne renvoient

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 118: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

donc pas à des spécificités identitaires abstraites etencore moins à une opposition de nature homme-femme : ce sont avant tout les positions occupéesdans l’interaction qui définissent les échanges et leursjeux de complémentarité. Ainsi, le « beau mariage »,comme l’analyse François de Singly, l’union avec unepersonne fortement dotée économiquement, se paied’un devoir de compensation affective et relationnelle etd’une autolimitation de la critique et de l’insatisfaction.Au contraire, la personne « mal mariée » fait unemauvaise affaire sociale, mais une bonne affaireaffective. Dans cette équation mélangeant amour etargent, hommes et femmes ne se présentent paségaux. Nous avons vu en effet que la femme épousegénéralement un homme occupant une positionsociale qui lui est légèrement supérieure. Il est donclogique qu’elle « s’estime davantage redevable vis-à-visde son partenaire et éprouve en contrepartie plusd’affection »  [12].

3. Mesurer les gains ?

L’infinité des biens et services échangés, leursdifférences de nature et leur caractère souventdifficilement perceptible rend impossible une évaluationsérieuse de ce qui est donné et reçu. Ceci d’autantplus que l’échange ne se réduit pas à une simplecirculation de A vers B et de B vers A, mais qu’ils’insère dans une dynamique d’interaction complexe

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 119: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

produisant des pertes et des gains collectifs. Parexemple, les partenaires ne peuvent guère avoirconscience que la reformulation identitaire mutuelletransforme en capital ce qui n’était encore en euxqu’une ressource potentielle  [13]. Ils ne peuvent guèreavoir conscience que la seule intégration conjugale lesprotège mieux que les célibataires contre lapropension au suicide  [14] ou les maladies graves [15].

Dans ce paysage des échanges flou et mouvant, l’idéed’égalité cherche désespérément des marques pours’appliquer. Une évaluation sérieuse étant impossible,les comptes ne peuvent pas être sérieux. Ils sontsouvent manipulés et partiaux, armes du combatconjugal. Parfois, la mesure des flux apparaît plusfiable en se limitant à un aspect précisément délimité,chacun comptant ce qu’il donne et reçoit concernant lemême bien ou service (par exemple les tours devaisselle). Dans l’océan multicolore des échanges, detels comptes partiels ne peuvent avoir qu’une portéeréduite. Ils se développent cependant dans une sortede fuite en avant de l’idée d’égalité cherchant entâtonnant des supports d’application. Y compris là oùon les attendrait le moins, comme dans les rapportssexuels, placés désormais sous la norme du« donnant-donnant de la jouissance » quand ce n’estpas de l’orgasme simultané, qui permet de croire queles comptes sexuels sont immédiatement apurés

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 120: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

 [16].

II. – La gestion de l’insatisfaction

1. Dons et dettes

La comptabilité de ce que chacun donne et reçoit nepeut être que partielle (et souvent partiale) étant donnéla complexité des flux. Ses limites tiennent aussi àune autre raison : les deux conjoints ne se mettentque rarement en position de compter. La plupart dutemps, au contraire, ils se laissent porter par lesgestes qui vont de soi, les automatismes élaborésprécédemment. Individuellement, le geste qui va de soiest un geste fortement structuré (par le passé) etstructurant (de l’avenir). Inscrit dans les échangesconjugaux, il est en partie produit par ces derniers etles fonde en retour. C’est ainsi que l’attitudeapparemment passive consistant à ne pas se poser dequestions, à ne pas réfléchir, à ne pas critiquer, à« prendre la vie comme elle vient », constitue en fait leprocédé majeur de renforcement conjugal. Procédé quin’est pas sans lien avec le sentiment amoureux, quiest lui aussi un art du refus de la critique. L’amour nese réduit pas à cette dimension passive, il est aussiémotion et don de soi. Au niveau des gestesquotidiens, un versant davantage actif et créatif estégalement observable, quand les gestes demandentun effort, comme si l’affaiblissement de l’habitude

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 121: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

nécessitait un ajout de sentiment pour reconstituerl’échange conjugal. Dans ces circonstances chacunse donne sans compter, sans réfléchir aux tenants etaux aboutissants de ses actes, pour retrouver sesautomatismes. Et en se donnant ainsi, il incite l’autreà se donner à son tour. Dans une sorte de logique dudon, qui, dans un continuum allant de l’habitude nonconsciente au geste d’amour volontaire, tisse jouraprès jour le lien social unissant les deux.

Des grains de sable sont cependant introduits danscette belle mécanique. Quand l’identité individuelle netrouve pas sa place dans le moi conjugal  [17], etquand il y a perception d’un déséquilibre deséchanges. Dans les deux cas, le signal d’alarme est lemême : les gestes ne vont plus de soi, ils deviennentpénibles, demandent un effort supplémentaire, et unsentiment d’insatisfaction se développe. Lasatisfaction et l’insatisfaction conjugales sont desdonnées subjectives et fluides. Elles constituentpourtant le régulateur des échanges conjugaux. Bienqu’il soit impossible de mesurer les flux, lespartenaires éprouvent à un moment donné uneimpression globale intuitivement fondée sur le bilandes échanges. S’il y a insatisfaction, la logique du dondevient inopérante : les automatismes sont rompus etla motivation pour se dévouer généreusements’affaiblit. Le partenaire insatisfait peut alors changerradicalement la logique des échanges : en tentant

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 122: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

d’évaluer les dettes, ce que chacun donne et reçoit.C’est alors, et alors seulement, que le couple se meten position de compter. Tel geste du matin, le coup debalai habituel, effectué sans même y penser (ou avecun petit effort en se pénétrant du principe « qu’il faut lefaire » parce que « chacun y met du sien ») sera lesoir séparé de ce contexte et inscrit au crédit de l’unet au débit de l’autre.

2. La défection secrète

Les comptes sont relativement fréquents, car ilsconstituent un instrument privilégié pour mettre sur latable les problèmes et réformer le fonctionnementconjugal. Mais ils sont souvent très brefs et allusifs.Comme si les conjoints avaient vaguement consciencequ’ils ne peuvent être que limités et approximatifs.Comme s’ils avaient conscience qu’ils ne peuventrompre trop longtemps la logique structurante du don.

Pour cette raison, l’insatisfaction ne débouche pastoujours sur une tentative de comptabilité des dettesou d’explication sur les dysfonctionnementsconjugaux. Un procédé permet en effet d’économiserle coût de la rupture de la logique du don mutuel : ladéfection secrète. Le sentiment d’insatisfaction estressenti à un moment précis des échanges, il estdonc variable. La défection secrète consiste dans unpremier temps à enregistrer cette insatisfaction sans

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 123: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

rien dire, dans une sorte de mémoire molle, en attentedes échanges futurs. Souvent, l’insatisfaction dumoment est effacée (ou au moins tempérée) par laperception positive d’un autre élément : l’agacementprovoqué le matin par le mari qui lit son journal au petitdéjeuner est gommé par les mots tendres qu’il sait sibien le soir susurrer. Or, comme nous l’avons vu, touts’échange, dans des flux incessants ; amour, argent,travail, paroles, caresses. La défection secrète faittampon. En remettant les comptes à plus tard, ellepermet souvent de ne pas avoir à les effectuer. Cen’est pas toujours le cas ; parfois, le déficits’accumule et l’insatisfaction devient persistante etaiguë. Un deuxième niveau de la défection secrètepermet alors d’éviter une tentative d’évaluation etd’explication : en compensant l’insatisfaction par uneprise de distance individuelle. L’équilibre est ainsireconstitué en élargissant le cercle des échanges au-delà du couple. Par l’investissement dans le travail,des loisirs personnels pris plus ou moins en cachette,l’hypothèse laissée ouverte d’une rencontreamoureuse, ou simplement des rêves non conformes àla morale conjugale officielle, etc. À ce stade avancé,la défection secrète est susceptible de fragiliser, voirede rompre le lien conjugal. Il ne s’agit donc pas d’unprocédé sans risques, comme les comptes et lesexplications franches ne sont pas également sansrisques. Défection secrète ou usage de la parole pourrégler les comptes constituent en fait deux modalités

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 124: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

de gestion de l’insatisfaction que les conjoints utilisentselon les circonstances et les choix tactiques.

III. – La communication

1. Plusieurs types de messages

Contrairement à une idée reçue, il n’est pas possiblede parler n’importe comment et de n’importe quoi encouple : des règles très contraignantes structurent etlimitent les échanges communicationnels. Pour lescomprendre, il est nécessaire de distinguer différentstypes de message.

Le plus important quantitativement est ce que l’onpourrait appeler la conversation de tous les jours, lebavardage sur des thèmes futiles ou plus importants.Peter Berger et Hansfried Kellner expliquent pourquoicette conversation ordinaire est essentielle  [18].Musique de fond de la vie conjugale, elle estl’instrument principal qui permet de construire et dereconstruire quotidiennement le cadre collectif. Parlerde la famille, critiquer un ami, discuter de l’intérêt d’unfilm, ébaucher des projets pour les vacances futures,c’est tisser dans les moindres détails l’enveloppe quiunit les deux conjoints, c’est recomposer l’univers devaleurs et de significations dans lequel ils s’inscriventet qui les définit. La phrase la plus anodine ou la plusrabâchée a donc de ce point de vue une importance.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 125: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Certaines sont toutefois plus importantes qued’autres : celles qui visent à d’éventuels changementsd’orientation ou qui sont grosses de décisionspossibles. L’on glisse alors du simple bavardage dontla fonction est de renforcer la réalité du cadred’existence à un type de communication qui vise àpréparer les choix tactiques et stratégiques del’entreprise-famille. Ces deux types de communicationsont très proches. Bien que les sujets soient trèsvariés (de futilités apparentes à des éléments décisifspour l’avenir), ce n’est pas un hasard s’ils sontmélangés et s’il est possible de passer aisément desuns aux autres. Prendre des décisions constitue eneffet un « bavardage » idéal, plus riche que les phrasesroutinières. C’est pourquoi les conjoints évoquent sisouvent des projets sans suite, jouent à préparer desdécisions improbables : pour alimenter lacommunication structurante de leur relation. Et celad’autant plus que les véritables projets, quidéboucheront sur des décisions, sont issus la plupartdu temps de rêveries parlées dans des discussionsinformelles.

Le troisième type de communication, à la différencedes deux premiers, s’inscrit davantage dans un rapportde personne à personne que comme instrument del’ensemble conjugal : la parole affective, de soutien etamoureuse. Ce sont les mots tendres qui balisentl’existence du sentiment, les marques d’attention pour

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 126: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

les souffrances, la curiosité manifestée pour lesprojets personnels du partenaire.

Le quatrième type a trait à la gestion de l’insatisfactionet des conflits, paroles de colère et explications plus« à froid » sur les désaccords.

Le cinquième type enfin se rapporte aux tentativesd’analyse de la relation elle-même, de bilans,d’éventuelles réformes. C’est celui qui est le plus misen valeur par les médias spécialisés et autresinstitutions s’occupant du couple, celui qui estconsidéré comme la véritable « communicationconjugale ». Or, c’est aussi le moins répandu dans laréalité, car le plus difficile à mettre en œuvre, celui quiheurte le plus le principe de renforcement selon lequelles relations doivent aller de soi.

2. Les façons de s’exprimer

Pour la même raison, la communication la plusdélicate (les deux derniers types signalés) prendrarement la forme de grands discours, s’inscritrarement dans des négociations explicites, poséescomme telles, hors de la pression émotionnelle d’uncontexte d’urgence. L’analyse de la relation et lesexplications sur les désaccords se mènent, maisd’autant mieux qu’elles sont fractionnées etdissimulées dans une autre dynamiquecommunicationnelle. Dans la conversation de tous les

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 127: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

jours, qui, bien manipulée, peut permettre de renforcerune position face au partenaire/adversaire en lui faisantaccepter certaines notions (par exemple que le mari aun travail si dur qu’il est fatigué le soir ; sous-entendu :il ne peut donc pas participer aux tâches ménagères).Dans les grandes décisions d’orientation, qui sefondent toujours sur un système de valeurs et desintérêts plus proches de l’un ou de l’autre. Dans lapondération de la parole affective, utilisée commerécompense ou comme sanction.

Mais l’astuce principale consiste à faire passer lesmessages d’une autre façon, en s’exprimant sansparler ou en parlant le moins possible. L’essentiel de lacommunication critique ou négociatrice (les deuxderniers types) contourne l’utilisation de la paroleouverte, franche et bien construite. Grâce à desprocédés multiples qui ont en commun de s’expliquersans rompre les automatismes, à dire ou plutôt àlaisser entendre brièvement quelques petites chosessans casser la machine à faire fonctionner le couple.

Le procédé le plus courant est la communication nonverbale, par gestes significatifs ou par construction desituations d’interaction : le balai laissé en évidenceprès du sol jonché de miettes est un message qui nepeut échapper au conjoint. Lorsque la communicationnon verbale s’avère insuffisante pour régler unproblème, ou que l’agacement provoqué par une tropforte insatisfaction pousse à s’exprimer pour libérer

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 128: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

cette dernière, la parole peut encore prendre denombreuses formes camouflées. Notamment parl’ironie, le rire, la dérision, très efficaces pours’exprimer sans donner l’impression que l’on s’exprimesur le fond. Ou bien, au contraire, par une phrase decolère, apparemment incontrôlée, mais qui souvents’arrête aussi brusquement qu’elle a surgi, très brève,pour ne pas laisser le temps au partenaire de réagir etd’engager une discussion ouverte. C’est ce quej’appelle la « petite phrase », dont la signification estgénéralement complexe. Pour l’illustrer, voici unépisode de la vie de Sabine et Romain, extrait de monlivre La Trame conjugale, analyse du couple par sonlinge (p. 154-155).

La petite phrase s’inscrit dans un ensemble vaste decommunications et dans une histoire des échangesconjugaux. Son ambiguïté tient d’ailleurs souvent aufait qu’elle délivre en même temps plusieursmessages. Pour être bien comprise, elle doit être miseen situation, avec tous ses arrière-plans. Souvent, lematin, Sabine Brastignac se lève et réveille Romainpar une plainte lasse : « Ah là là, t’as vu le tas delinge, c’est pas possible ! » Petite phrase classiquepouvant rappeler la dette ou formuler une demanded’aide. Mais étudions de plus près son contexte.Sabine se couche et se lève toujours plus tôt queRomain. La petite phrase est donc agressive par lemoment où elle est prononcée. Sabine ajoute

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 129: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

généralement « qu’en plus elle a des copies à corrigertoute la journée » (Romain). La demande adressée àRomain semble manifeste, fondée sur uneinsatisfaction concernant le partage des tâches.Pourtant, elle n’explicite jamais davantage et secontente de se plaindre, parlant en apparence pourelle-même. Romain pourrait faire comme s’iln’entendait rien si la phrase n’était pas si dérangeante(parce qu’elle le réveille). Comme Sabine elle-même, ila beaucoup de difficulté à l’interpréter : l’agressiondépasse l’insatisfaction sur le partage des tâches, lesens n’est pas clair. Car en fait (mais ils n’en ont pasconscience), la petite phrase est ici surtout libératoire(d’où sa violence), déchargeant Sabine d’unagacement provoqué par le continuel affrontement deleurs divergences de conceptions et de rythmes.Sabine se lève tôt, Romain voudrait se lever tard ; elleest poussée vers l’ordre ménager, il critique sesmaniaqueries ; elle doit toujours « commencer parliquider les corvées » alors qu’il remet le travail à plustard (enfant elle faisait ses devoirs avant de jouer et luile contraire). La vue du tas de linge matinal cristallisetous les problèmes : elle sera seule à faire la lessive,de plus elle la fera alors qu’il reste au lit, qu’il persisteà vouloir prendre du plaisir avant que le droit en soitacquis par le travail. La petite phrase exprimebrutalement son désaccord global et rétablit presqueaussitôt un équilibre intérieur. Romain, bien que necomprenant pas clairement les messages, répond

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 130: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

cependant avec une certaine précision, endéglobalisant. De son lit, à peine réveillé, il lui dit decommencer par ses copies. Nouvelle petite phrase àdouble sens. Car elle mélange une éventuelleconcession sur le partage des tâches (commence partes copies, je pourrais mieux t’aider ensuite) et uneréaffirmation de ses propres conceptions et rythmes(remets donc la corvée à plus tard). Après quelquesminutes, soigneusement dosées, Romain se lève etdonne un coup de main très symbolique (carévidemment Sabine ne l’a pas écouté) en mettantdeux ou trois vêtements dans le lave-linge. Montrantainsi qu’il comprend pour le partage des tâches. Maisil ne se lève pas trop vite et n’en fait pas trop, pourmarquer son désaccord sur la divergence de manières.Au total, deux phrases brèves ont été dites, chargéesde sens bien que quantitativement peu importantes.Elles se sont inscrites dans un large faisceau decommunications gestuelles et silencieuses, véhiculantdes messages très complexes. La conversationconjugale est souvent ainsi : d’apparence franche etabondante, elle évite les problèmes les plus difficiles,d’apparence banale, elle construit les évidencesnécessaires ou porte de façon masquée lanégociation ; d’apparence précise, elle est ambiguë etcomplexe ; d’apparence brève et insignifiante, elle estintense.

3. Le sexe des phrases

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 131: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Hommes et femmes ne parlent pas de la mêmemanière. La majorité des tentatives pour introduire unthème de conversation portant sur l’intime et la familleprovient des femmes, mais la position occupée par leshommes fait que ces tentatives aboutissentfréquemment à l’échec alors que les mêmes thèmesintroduits (moins souvent) par les hommes produisentpresque toujours une conversation  [19]. Les femmesparlent plus, car elles ont plus à dire et à demander.Les hommes étant moins centrés sur le couple, ilsutilisent davantage la fuite silencieuse et la défectionsecrète. Leur conversation à l’intérieur du couple estplus neutre  [20] et porte davantage sur des faitspublics  [21]. Les femmes, qui ont davantaged’attentes strictement conjugales, sont conduites àavoir une communication moins neutre, davantageportée aux extrêmes  [22]. Extrême positif, lié à leurpropension à l’affectivité (elles rient et sourient plussouvent). Extrême négatif (récriminations), lié à leursexigences d’explication concernant leurs attentes.Pour la même raison, elles envoient des messagesplus clairs et mieux compris  [23]. Les hommes necomprennent pas leur demande de plus grandecommunication intime, et cela d’autant plus que cettedemande est forte. Car l’efficacité de la communicationdiminue à mesure qu’augmente l’insatisfaction : pluson est insatisfait moins on se comprend. Le terrain estalors prêt pour le conflit.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 132: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

IV - Les conflits

1. Les causes

Les formes du conflit conjugal sont diverses, lescauses également. Donata Francescato  [24] isoledeux motifs principaux de discorde : la difficile gestiondes différences entre conjoints et le désenchantementamoureux. La gestion des différences est une questionà large spectre en ce qu’elle rejoint celle del’homogamie. S’il est vrai que « qui se ressembles’assemble », nous avons vu que certainescomplémentarités sont également recherchées. Ladifférence n’est donc pas en elle-même problématique.Elle le devient seulement lorsqu’elle se traduit enopposition d’intérêts personnels entre partenaires, endivergences sur le projet conjugal  [25] ou enagacement ressenti dans les grincements duquotidien. L’agacement provient du fait que (quelle quesoit la proximité des milieux sociaux d’origine) chacuna un patrimoine de manières d’agir et de penser bien àlui, différent de celui du partenaire. En ce qui concerneles gestes les plus élémentaires et les plus routinisés,cette différence est autant que possible occultée, carelle affaiblirait l’évidence nécessaire des habitudes lesplus ordinaires. Or, une majorité de conflits se formejustement par révélation brusque de l’inacceptabilitédes manières de faire du conjoint : on voudrait ne pasles voir, mais elles sont tellement intolérables que ce

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 133: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

sont justement elles qui provoquent soudainement lacrise. L’extrême variabilité des effets de laconfrontation des manières de faire (de l’oubli de ladifférence à l’explosion brutale) s’explique par lecaractère contradictoire du travail identitaire. Le coupleest un élargissement du soi, une immersion du je dansun concret vécu à deux en même temps qu’un refusamoureux de la critique du partenaire (d’où la capacitéde négation de la différence). Mais l’individu ne peutpas ne pas ressurgir par la réaffirmation de sesfrontières propres  [26]. L’aspect libérateur, presqueagréable du conflit, est souvent lié à cettemanifestation simple et rassurante du soi individuel(s’associant généralement à une revendication entermes d’intérêts personnels). Qui ne peut toutefoistrop se répéter, au risque de briser le couple.L’hésitation est donc permanente, rendant trèscomplexe la gestion des contradictions conjugales.

Par contraste, le désenchantement amoureux apparaîtbeaucoup plus simple. Le cycle conjugal débouche surla définition de routines et de rôles qui portent lesidentités : c’est le temps du confort, qui reformulel’exigence de sentiment vers des formes tranquilles ;complicité, générosité, tendresse. Il peut y avoir alorsperception d’une perte sentimentale par rapport aupremier temps du couple, celui de la reformulationidentitaire mutuelle, qui ne pouvait pas se développersans un climat émotionnel intense. Les femmes

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 134: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

ressentent davantage la perte d’intimité dans l’échangerelationnel (notamment sous la forme de conversation).Les hommes plutôt la perte sexuelle (soit que lapartenaire apparaisse moins désirable, soit qu’elleéprouve moins d’intérêt et se refuse plus ou moinsexplicitement)  [27]. La déception peut néanmoins êtrecombattue par des efforts pour revivifier la relation ou,plus passivement, être compensée par l’agrément duconfort matériel et identitaire. Mais plus cettecompensation est limitée, plus le regard peutfacilement se porter sur d’autres partenaires éventuels,plus l’attirance vers un nouvel élan sentimental ou uneexpérience sexuelle extraconjugale peut s’exprimer.

La logique du sentiment incite à traiter ce derniercomme un cas à part de motifs possibles de conflits.C’est d’ailleurs ce qui se lit implicitement dans nombrede romans et de feuilletons : les recompositionsconjugales seraient surtout l’effet d’une rencontre,poussant soudainement l’homme ou la femme à selancer dans une nouvelle histoire. Si l’on suit cettegrille d’analyse, les conflits seraient de deux ordresbien tranchés : les grandes rivalités amoureuses et lesdisputes mesquines pour des banalités ménagèressans intérêt. Or, les deux sont étroitement liés. Lesvêtements laissés en tas par le mari, que la femme sesent obligée de ranger, avec le même agacementdepuis vingt ans, produisent en elle une insatisfactionqui doit être traitée d’une manière ou d’une autre. Par

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 135: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

exemple en ne faisant pas d’effort pour répondre à sesdemandes d’ordre sexuel, cette non-réponse incitant lemari à porter davantage son regard hors du couple.Dans l’autre sens, ce regard extérieur révèle à mesurequ’il se déploie l’inacceptabilité autrefois ignorée decertaines routines : l’omelette toujours trop cuite, àlaquelle l’homme avait cru finir par s’habituer, devientbrusquement objet de délit, nouveau prétexte pourdélier l’attachement conjugal, etc. Dans ce va-et-viententre amour et petites choses du quotidien, lesapparentes banalités jouent souvent un rôle trèsimportant de déclencheurs des conflits.

2. Place et forme du conflit

La place du conflit a changé depuis quelques dizainesd’années. Cela est dû au fait que les unions sontdevenues plus instables : désormais il est susceptibled’entraîner la rupture conjugale, ce qui pose unproblème nouveau. Autrefois, le conflit s’inscrivait dansune union obligatoirement stable et durable. Il pouvaitêtre violent, mais à la condition de ne pas remettre encause le choix du conjoint, il pouvait d’autant plus êtreviolent qu’il n’y avait guère de risques pour qu’ilremette en cause le choix du conjoint. Aujourd’hui, aucontraire, la violence ne peut pas se développer sansautocontrôle. Le partenaire qui déclenche un conflit setrouve placé devant la nécessité de s’inscrire dans unsystème de double personnalité : d’une part, il doit

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 136: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

laisser libre cours à la spontanéité de l’instant pour selibérer de la rancœur accumulée, d’autre part, il doitcontrôler la scène de ménage pour qu’elle ne remettepas en cause l’accord conjugal plus qu’il ne lesouhaiterait. Ceci, y compris dans les minusculesdésaccords quotidiens, car la moindre brouille estdésormais porteuse d’une rupture possible.

Ce contexte différent implique de grands changementsdans la tête des protagonistes, devenant par nécessitéstratèges observateurs de leurs propres actes. Lebouleversement est moins important en ce quiconcerne les formes du conflit, car nombre desmodalités anciennes de la guerre conjugale se trouventêtre adaptées à la nouvelle situation. Il sembletoutefois que les tactiques d’affrontement indirect et decamouflage soient de plus en plus utilisées. Ellespermettent en effet de résoudre la question : commententrer en conflit sans remettre en cause l’union ?L’affrontement ouvert pose trop le problème de l’avenirdu couple. L’art consiste au contraire à utiliser tous lesmoyens permettant de mener la guerre sans donnerl’impression de la mener, exactement comme dans laconversation lorsqu’il s’agit de dire sans donnerl’impression de parler. L’analyse du conflit doit doncs’introduire au plus fin de la trame conjugale. « Petitephrase », geste significatif, silence implicitementboudeur, ironie, allusion, etc., des escarmouchesminuscules sont omniprésentes dans les échanges

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 137: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

conjugaux.

De vraies scènes de ménage surgissent toutefois surfond de ce fonctionnement quotidien, soudaines, plusviolentes, moins contrôlées. Elles sont souventfortement ritualisées, se répétant plus ou moinsrégulièrement avec des variantes infimes. Il n’est pasrare que les acteurs finissent par connaître leursrépliques par cœur et par jouer la scène sans tropd’émotion. La ritualisation évite les risques dedérapage. Plus elle est structurée, plus elle permetd’élever le ton, de se libérer physiquement sansconséquence pour l’union conjugale. La plupart descouples construisent ainsi leurs scènes défoulatoires,parfois légères et donnant même matière à rire, parfoisplus violentes, parce que l’insatisfaction est plusprofonde. L’événement prétexte a surgi un jour, sansque les acteurs aient songé à le choisir comme motifde conflit régulier. Cette sélection ne se produitpourtant pas par hasard. L’événement prétexte est eneffet toujours situé de la même façon dans lescontradictions conjugales : en rapport avec unproblème crucial, mais positionné en décalage, soitqu’il puisse aiguiller vers une autre interprétation, soitqu’il puisse être vécu pour lui-même, sans lien avec leproblème sous-jacent. Nous retrouvons là lemécanisme de la double entente, plusieurs fois entrevudans le fonctionnement conjugal : les conjointspeuvent mettre un contenu variable (plus ou moins

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 138: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

chargé des questions les plus brûlantes) dans lascène qu’ils sont habitués à jouer. Ceci explique quel’événement prétexte soit très souvent un geste, unepetite manie particulièrement agaçante, et quel’ambiguïté ne soit pas levée pour savoir si c’est legeste en lui-même ou ce qui est derrière qui est aucentre du conflit, ceci explique également que chaquepartenaire ait un avis sur la question, avis changeantsuivant le contexte des échanges.

3. L’effet régulateur

La scène de ménage a un effet régulateurincontestable. Elle permet de « vider son sac »comme le dit l’expression. Elle permet aussi de direautre chose qu’en période de paix, même si le langageest ambigu, de pointer un problème. Plus rarement,elle peut permettre une explicitation et une réformedes comportements problématiques, quelle que soitl’intensité des conflits. Daniel Welzer-Lang soulignecet effet régulateur, situation pourtant extrême, dansles couples où l’homme exerce des violencesdomestiques  [28]. L’homme violent ne parvient pas àse faire à l’idée que la famille ne se plie pas totalementà l’idée qu’il s’en fait, il oscille entre repli sur soi etexpansion brutale de sa volonté tyrannique, ce quiproduit un cycle de la violence. L’auteur distinguequatre phases : le quotidien conjugal, avec stress,tension et contrôle ; la scène violente ; la rémission,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 139: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

avec culpabilité et excuses ; la « lune de miel » enfin,qui explique pour une bonne part que les femmesbattues aient du mal à se libérer de l’emprise del’homme violent. La scène violente doit donc êtrereplacée dans cet ensemble. L’effet régulateur (pourl’homme) s’exerce d’autant plus qu’il s’agit d’un cas oùle conflit, pourtant intense, est associé à une non-remise en cause de l’union.

La mise en évidence de l’effet régulateur, comme lemontre justement l’exemple de la violence domestique,ne doit cependant pas déboucher sur dessimplifications conduisant à dire que la scène deménage pourrait être bénéfique, sans autresprécisions. Il s’agit d’un mode de traitement del’insatisfaction, au même titre que la défection secrèteou que la parole ouverte, et qui, de la même manière,a ses limites et ses risques. Les limites sont celles del’intensité de l’insatisfaction à traiter. L’effet régulateurne se développe sans conséquence que s’il n’y a pasélargissement du conflit vers une remise en cause ducouple. Or, un motif de discorde trop grave ne permetpas de se maintenir dans l’ambiguïté, encore moins des’autoriser une distance amusée dans le conflit. Lesrisques sont ceux de la spontanéité libérée, del’émotion qui fait perdre le contrôle de soi, de laviolence qui appelle la violence dans une fuite en avantaveugle dont le principe est de se faire du bien quandon fait mal. Les risques sont ceux de parler plus qu’on

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 140: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

ne le souhaiterait, et que ces mots échappés dansl’élan de la colère laissent des traces : le couple peutse briser à cause de petites scènes de ménage malcontrôlées.

La conversation conjugale est un art très difficile, toutne peut pas être dit, dans n’importe quellescirconstances. Elle reste cependant l’instrumentprivilégié pour bien résoudre les conflits.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 141: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Conclusion

Le couple a changé. Autrefois institution dans laquelleon entrait pour la vie sans trop se poser de questions,il est devenu un système mouvant d’ajustementspermanents de la vie à deux et requiert désormais unvéritable travail et une compétence de la part de ceuxqui tentent l’expérience. C’est pourquoi desconnaissances sur le fonctionnement conjugal sont etseront de plus en plus nécessaires. Non pour que lesacteurs prennent une distance d’analyse exagéréeavec ce qu’ils vivent. Car le couple n’est jamais aussifort que lorsque « ça se passe tout seul ». Maisjustement parce que cela ne se passe plus tout seul.

La connaissance du couple d’aujourd’hui estimportante également dans la mesure où elle touche àquelques-unes des questions majeures dufonctionnement global de notre société :

Le lien social. – Alors que le lien social était uncadre imposé aux acteurs et définissait leur identité, ildevient un élément ouvert, à construire. Or, le lienconjugal représente un segment primordial du liensocial dans son ensemble. C’est pourquoi desquestions comme le choix du conjoint ou l’amour sontcentrales non seulement pour le couple, mais pour la

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 142: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

société tout entière.

L’identité. – Notre société fondée sur laresponsabilisation individuelle impose à chacund’opérer des choix les plus divers et surtout l’enjoint àconstruire sa propre identité, construction qui s’élaboredans l’échange avec les personnes les plus proches.C’est principalement cette exigence identitaire quiexplique que l’on demande tant au couple, que l’onsoit si facilement insatisfait d’une union, que le travailde mise en place et de maintien d’un couple soit sidifficile.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 143: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Bibliographie

Bozon M., Héran F., La Formation du couple,Paris, La Découverte, 2006.Brenot Ph., Les Hommes, le Sexe et l’Amour,Paris, Les Arènes, 2011.Caradec V., Le Couple à l’heure de la retraite,Rennes, Presses universitaires de Rennes,1996.Charest R.-M., Kaufmann J.-C., Oser le couple,Paris, Armand Colin, 2012.Collet B., Santelli E., Couples d’ici, parentsd’ailleurs. Parcours de descendantsd’immigrés, Paris, Puf, 2012.Duret P., S’aimer quand on n’a pas les mêmesvaleurs, Paris, Armand Colin, 2010.Kaufmann J.-C., La Trame conjugale, analysedu couple par son linge, Paris, Nathan, 1992,Pocket, 2010.– Sex@mour, Paris, Armand Colin, 2010.Lardellier P., Les Réseaux du cœur : sexe,amour et séduction sur Internet, Paris,François Bourin, 2012.Le Van C., Les Quatre Visages de l’infidélité enFrance. Une enquête sociologique, Paris,Payot, 2010.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 144: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Meyfret S., Le Couple à double carrière : unefigure qui réinvente les frontières entre vie privéeet vie professionnelle ?, Paris, Connaissanceset Savoirs, 2012.Roussel L., La Famille incertaine, Paris,Odile Jacob, 1989.Schurmans M.-N., Dominicé L., Le Coup defoudre amoureux, Paris, Puf, 1997.– Libres ensemble, Paris, Nathan, 2000, rééd.Pocket, 2009.– Séparée. Vivre l’expérience de la rupture,Paris, Armand Colin, 2011.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 145: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Notes

Introduction :

[1] Cf. notamment J. Gray, Les hommes viennent deMars, les femmes de Vénus, Paris, J’ai Lu, 1998 ; J.Gray, Mars et Vénus sous la couette, Paris, J’ai Lu,2000 ; A. et B. Pease, Pourquoi les hommesn’écoutent jamais rien et les femmes ne savent paslire les cartes routières, Paris, First, 1999 ; A. et B.Pease, Pourquoi les hommes mentent et les femmespleurent, Paris, First, 2002.

[2] A. et B. Pease, Pourquoi les hommes mentent etles femmes pleurent, Paris, First, 2002.

Chapitre I :

[1] A. Girard, Le Choix du conjoint, une enquêtepsychosociologique en France, Travaux et documentsde l’ined, Paris, PUF, 1974, 2e éd..

[2] M. Bozon, F. Héran, « La découverte du conjoint. I :Évolution et morphologie des scènes de rencontre »,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 146: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Population, 1987, no 6.

[3] Ce qui est confirmé par : C. Thélot, Tel père, telfils ?, Paris, Dunod, 1982 ; L. Roussel, Le Mariagedans la société française, Paris, PUF-ined, 1975.

[4] M. Bozon, F. Héran, « L’aire de recrutement duconjoint », Données sociales, insee, 1987.

[5] C. Thélot, op. cit.

[6] M. Segalen, A. Jacquard, « Choix du conjoint ethomogamie », Population, 1971, no 3 ; F. de Singly,« Théorie critique de l’homogamie », L’Annéesociologique, 1987, no 37.

[7] F. de Singly, op. cit., p. 203.

[8] Ibid., p. 181-182.

[9] A. Beoigeol, J. Commaille, « Divorce, milieu socialet situation de la femme », Économie et Statistique,1974, no 53.

[10] J. Kellerhals, J. Coenen-Huther, « Famillessuisses d’aujourd’hui : évolution récente et diversité »,Les Cahiers médico-sociaux, vol. XXXIV, 1990, no 1.

[11] J. Kellerhals, J.-F. Perrin, G. Steinauer-Cresson,L. Vonèche, G. Wirth, Mariages au quotidien.Inégalités sociales, tensions culturelles et organisation

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 147: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

familiale, Lausanne, Pierre-Marcel Favre, 1982.

[12] A. Girard, op. cit., p. 198.

[13] F. de Singly, op. cit.

[14] Alain Girard avait ouvert la voie à cette évolutionen construisant un indicateur global d’homogamie, op.cit.

[15] Ibid., p. 26.

[16] F. de Singly, op. cit., p. 197.

[17] F. de Singly, « Les manœuvres de séduction : uneanalyse des annonces matrimoniales », Revuefrançaise de sociologie, 25(4), 1984, p. 525.

[18] F. de Singly, op. cit.

[19] Ibid., p. 545.

[20] F. de Singly, « Théorie critique de l’homogamie »,L’Année sociologique, 1987, p. 197, no 37.

[21] M. Bozon, « Apparence physique et choix duconjoint », ined-Congrès et colloques, no 7, 1991.

[22] J.-H. Dechaux, « Les transformations de la famille.Une revue de la littérature française : 1980-1989 », LaRevue Tocqueville, 1989-1990, vol. X.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 148: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[23] J. Willi, Die Zweierbeziehung, Hamburg, Rohwolt,1975.

[24] J.-G. Lemaire, Le Couple : sa vie, sa mort. Lastructuration du couple humain, Paris, Payot, 1979, p.142.

[25] Ibid.

[26] J.-C. Kaufmann, Ego, pour une sociologie del’individu, Paris, Nathan, 2001 ; J.-P. Poitou, LaDissonance cognitive, Paris, Armand Colin, 1974.

[27] F. de Singly, « Un drôle de je : le moi conjugal »,Dialogue, 1988, no 102.

[28] J.-G. Lemaire, op. cit.

[29] J.-C. Kaufmann, La Trame conjugale. Analyse ducouple par son linge, Paris, Nathan, 1992.

[30] M. Bozon, « Les femmes et l’écart d’âge entreconjoints. Une domination consentie », Population,1990, nos 2 et 3.

[31] M. Bozon, « Apparence physique et choix duconjoint », ined-Congrès et colloques, 1991, no 7.

[32] M. Bozon, « Mariage et mobilité en France »,Revue européenne de démographie, 1991, no 2.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 149: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[33] M. Bozon, « Apparence physique et choix duconjoint », ined-Congrès et colloques, 1991, no 7, p.101.

[34] Ibid., p. 106.

[35] A. Girard, op. cit., p. 192.

[36] M. Bozon, « Les femmes et l’écart d’âge entreconjoints. Une domination consentie », Population,1990, nos 2 et 3.

[37] J. Kellerhals, J.-F. Perrin, G. Steinauer-Cresson,L. Vonèche, G. Wirth, op. cit.

[38] Ibid., p. 70.

[39] F. de Singly, « Mobilité féminine par le mariage etdot scolaire », Économie et Statistique, 1977, no 91.

[40] Ibid., p. 42.

[41] F. de Singly, Fortune et infortune de la femmemariée, Paris, PUF, 1987. »

[42] F. de Singly, « La lutte conjugale pour le pouvoirdomestique », Revue française de sociologie, 1976,vol. XVII.

[43] F. de Singly, Fortune et infortune de la femmemariée, Paris, PUF, 1987, p. 108.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 150: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[44] Ibid., p. 183.

[45] A. Girard, op. cit., p. 198.

[46] Ibid.

[47] L. Bernot, P. Blancard, Nouville, un villagefrançais, Paris, Institut d’ethnologie, 1953.

[48] A. Girard, op. cit., p. 199.

[49] C. Henryon, E. Lambrechts, Le Mariage enBelgique, étude sociologique, Bruxelles, Evo, 1968.

[50] A. Girard, op. cit., p. 18.

[51] D.-T. Lichter, « Delayed Marriage, MaritalHomogamy, and the Mate Selection Process amongWhite Women », Social Science Quarterly, vol. LXXI,1990, no 4.

[52] F. de Singly, Fortune et infortune de la femmemariée, Paris, PUF, 1987.

[53] D.-T. Lichter, op. cit.

[54] P.-A. Audirac, « Cohabitation et mariage : qui vitavec qui ? », Économie et Statistique, 1982, no 145.

[55] L. Roussel, Le Mariage dans la société française,Travaux et documents de l’ined, Paris, PUF, 1975.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 151: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[56] M. Bozon, F. Héran, « La Découverte duconjoint », I, Population, 1987, no 6, et « LaDécouverte du conjoint », II, Population, 1988, no 1.

[57] Ibid.

[58] M.-E. Cosson, Représentation et évaluation dumariage des enfants par les mères, Mémoire demaîtrise, Université de Rennes-II, 1990.

[59] J.-C. Kaufmann, op. cit.

[60] M. Bozon, F. Héran, « La découverte du conjoint »,I, Population, 1987, no 6, annexe 2.

[61] Ibid., p. 973.

[62] M. Bozon, F. Héran, op. cit.

[63] M. Bozon, « Apparence physique et choix duconjoint », ined-Congrès et colloques, 1991, no 7, p.91.

[64] M. Bozon, op. cit.

[65] F. de Singly, « Théorie critique de l’homogamie »,L’Année sociologique, 1987, no 37.

[66] F. Héran, « La cote d’amour », in Les Jeunes etles Autres, Vaucresson, Éd. du criv.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 152: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[67] M. Bozon, F. Héran, « La découverte du conjoint »,II, Population, 1988, no 1, p. 144, no 21.

Chapitre II :

[1] J.-L. Flandrin, Le Sexe et l’Occident, Paris, LeSeuil, 1981, p. 108.

[2] J. Markale, L’Amour courtois ou le couple infernal,Paris, Imago, 1987.

[3] G. Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre. Lemariage dans la France féodale, Paris, Hachette-Pluriel, 1995.

[4] J.-L. Flandrin, op. cit.

[5] A. Burguière, « De Malthus à Max Weber : lemariage tardif et l’esprit d’entreprise », Annales, 1972,nos 4-5, p. 1138.

[6] J.-L. Flandrin, op. cit., p. 88.

[7] Ibid.

[8] M. Perrot (sous la dir. de), Histoire de la vieprivée,t. IV : De la Révolution à la Grande Guerre,Paris, Le Seuil, 1987, p. 416-417.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 153: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[9] N. Luhmann, Amour comme passion, de lacodification de l’intimité, Paris, Aubier.

[10] F. Alberoni, « Énamoration et amour dans lecouple, dans M. Moulin et A. Éraly », Sociologie del’amour, variations sur le sentiment amoureux,Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 1995,p. 18.

[11] D. de Rougemont, L’Amour et l’Occident,Paris,Plon, 1956.

[12] La littérature, le cinéma et les fictions téléviséessont de plus en plus partagés aujourd’hui entre lareproduction du modèle et la description plus concrètedes sentiments, traversés notamment par l’indécision.Cf. S. Chalvon-Demersay, « Une société élective.Scénarios pour un monde de relations choisies »,Terrains, 1996, no 27. La presse féminine suit uneévolution comparable.

[13] T. Raffin, « L’amour romanesque : mythe et réalitéd’un mode féminin d’engagement matrimonial »,Dialogue, 1987, no 96.

[14] Ibid.,p. 70.

[15] M.-N. Schurmans, L. Dominicé, Le Coup defoudre amoureux. Essai de sociologiecompréhensive,Paris, PUF, 1997.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 154: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[16] S. Chaumier, La Déliaison amoureuse, Paris,Armand Colin, 1999.

[17] Y. de la Bigne, L’Homme désir. Enquête au paysdes séducteurs,Anne Carrière, 2002.

[18] A. Torres, « Amores e desamores. Para unaanálise sociológica das relaçao afectivas », Sociologia-Problemas e Práticas, 1986, no 3.

[19] J.-G. Lemaire, « Aux confins de la passion et dela psychose », Dialogue, 1987, no 96.

[20] M. Bozon, « Apparence physique et choix duconjoint », ined-Congrès et colloques, 1991, no 7.

[21] L. Roussel, La Famille incertaine, Paris, OdileJacob, 1989, p. 115.

[22] V. Caradec, « De l’amour à 60 ans », Mana, 1997,no 3.

[23] T. Raffin, op. cit., p. 75.

[24] M. Bozon, F. Héran, « La découverte du conjoint.I : Évolution et morphologie des scènes de rencontre »,Population, 1987, no 6, p. 968.

[25] T. Raffin, op. cit., p. 71.

[26] F. de Singly, Fortune et infortune de la femme

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 155: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

mariée, Paris, PUF, 1987.

[27] M. Bozon, op. cit., p. 109.

[28] J.-C. Kaufmann, Ego. Pour une sociologie del’individu, Paris, Nathan, 2001.

[29] Ibid.

[30] G. Simmel, On Women, Sexuality and Love, NewHaven, Yale University Press, 1984.

[31] J.-G. Lemaire, op. cit.,p. 20.

[32] D.-D. Jackson, « Les règles familiales : lequidproquo conjugal », in P. Watzlawick, J. H.Wealand, Sur l’interaction, Paris, Le Seuil, 1981.

[33] J.-G. Lemaire, Le Couple, sa vie, sa mort. Lastructuration du couple humain, Paris, Payot, 1979.

[34] U. Beck, « La religion séculière de l’amour »,Comprendre, 2001, no 2.

[35] G. Simmel, ibid.

[36] F. de Singly et K. Chaland, « Quel modèle pour lavie à deux dans les sociétés modernes avancées ? »,Comprendre, 2001, no 2.

[37] M. Bertilsson, « Love’s Labour Lost? A

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 156: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Sociological View », in M. Featherstone, M. Hepworth,B. Turner, The Body. Social Process and CulturalTheory, London, Sage Publication, 1991.

[38] F. Alberoni, Le Choc amoureux, Paris, Ramsay,1981 ; Le Vol nuptial, Paris, Plon, 1994.

[39] A. Torres, Casamento em Portugal, Lisbonne,Celta, 2002.

[40] P. Brenot, Inventer le couple, Paris, Odile Jacob,2001.

[41] F. de Singly, « L’amour coupable », Scienceshumaines, 1991, no 9.

[42] Ibid.

[43] F. de Singly, Le Soi, le Couple et la Famille, Paris,Nathan, 1996.

Chapitre III :

[1] L. Roussel, « Données démographiques etstructures familiales », L’Année sociologique, 1987, no37, p. 49.

[2] Ibid., p. 58.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 157: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[3] F. de Singly, « Sociologie de la famille conjugale »,Cahiers français, 1990, no 247.

[4] G. Neyrand, « Idéalisation du conjugal etfragilisation du couple », Dialogue, 2002, no 155.

[5] M. Bozon, « Le mariage : montée et déclin d’uneinstitution », in F. de Singly (éd.), La Famille. L’étatdes savoirs, Paris, La Découverte, 1991.

[6] M. Bozon, « Sociologie du rituel du mariage »,Population, 1992, no 2.

[7] M. Bozon, ibid.

[8] Ibid.

[9] O. Schwartz, Le Monde privé des ouvriers.Hommes et femmes du Nord, Paris, PUF, 1990.

[10] C. Villeneuve-Gokalp, « Du mariage aux unionssans papiers : histoire récente des transformationsconjugales », Population, 1990, no 2.

[11] J.-C. Kaufmann, La Trame conjugale. Analyse ducouple par son linge, Paris, Nathan, 1992.

[12] M. Bozon, F. Héran, « La découverte du conjoint», II, Population, 1987, no 6.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 158: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Chapitre IV :

[1] L. Roussel, La Famille incertaine, Paris, OdileJacob, 1989.

[2] M. Halbwachs, La Classe ouvrière et les niveaux devie, Paris, Alcan, 1913.

[3] P.-H. Chombart de Lauwe, La Vie quotidienne desfamilles ouvrières, Paris, Éd. cnrs, 1966.

[4] P. Cuturello, F. Godard, Familles mobilisées, Paris,Plan Construction, 1982.

[5] O. Galland, Sociologie de la jeunesse. L’entréedans la vie, Paris, Armand Colin, 1991.

[6] V. Cicchelli, La Construction de l’autonomie, Paris,PUF, 2001.

[7] E.-H. Erikson (ed.), Identity, Youth and Crisis, NewYork, Norton, 1968.

[8] T. Rapoport, S.-J. Barnett, « Youth Conception ofLife-Cycle Stages », Human Relations, 1986, vol.XXXIX, no 9.

[9] Galland, op. cit., p. 148-152.

[10] F. de Singly, Fortune et infortune de la femmemariée, Paris, PUF, 1987 ; J.-C. Kaufmann, La Femme

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 159: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

seule et le Prince charmant, Paris, Nathan, 1999.

[11] F. de Singly, K. Chaland, « Quel modèle pour la vieà deux dans les sociétés modernes avancées ? »,Comprendre, 2001, no 2.

[12] R. Weiss, Marital Separation, New York, BasicBooks, 1975.

[13] P. Berger, T. Luckmann, La Construction socialede la réalité, Paris, Masson/Armand Colin, 1996.

[14] Le temps du confort ressemble à la structureconjugale traditionnelle, avec cependant deuxdifférences. Primo : des négociations ponctuellescontinuent à redéfinir les règles d’interaction, les rôlesne sont pas aussi rigides qu’autrefois. Secundo : laréification peut produire de l’insatisfaction et débouchersur la rupture du couple.

[15] B. Cyrulnik, Sous le signe du lien, Paris,Hachette, 1989.

[16] Voir un exemple de couple uni par la haine, maisne pouvant parvenir à se séparer, celui d’André et deSimone, in J.-C. Kaufmann, La Vie ordinaire, Paris,Greco, 1989.

[17] F. de Singly, Libres ensemble, Paris, Nathan,2000.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 160: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[18] S. Chaumier, La Déliaison amoureuse, Paris,Armand Colin, 1999.

[19] D’autant plus facilement que la fusion conjugalen’est généralement pas aussi importante que lesacteurs et l’opinion publique se la représentent. DianeBrown et Lawrence Gary en donnent une bonneillustration (à partir d’une enquête portant sur lacommunauté noire) en signalant que pour seulementun tiers des femmes, leur mari fait partie des troispersonnes qui leur sont les plus proches. D.-R. Brown,L.-E. Gary, « Social Support Network Differentialsamong Married and Non-Married Black Females »,Psychology of Women Quarterly, 1985, no 9.

[20] D. Francescato, Quando l’amore finisce, Bologna,Il Mulino, 1992.

[21] Moins exigeants en communication intime, leshommes se satisfont plus facilement du sentimentconféré par des aides pratiques réciproques, le simplepartage d’activités communes… et de relationssexuelles (L.-B. Rubin, Intimate Strangers, Men andWomen together, New York, Harper & Row, 1984).

[22] Dans l’enquête de Donata Francescato, 41 % despersonnes interrogées déclarent avoir été déçues parl’évolution de la sexualité intraconjugale, marquée parla ritualisation et l’ennui, et avoir en conséquencecherché ailleurs « la passion et la joie » (op. cit.,p. 63).

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 161: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[23] L.-B. Rubin, op. cit.

[24] L. Margolin, L. White, « The Continuing Role ofphysical Attractiveness in Marriage », Journal ofMarriage and the Family, 1987, no 49.

[25] P. Brenot, Inventer le couple, Paris, Odile Jacob,2001.

[26] M. Bozon, « La nouvelle place de la sexualitédans la constitution du couple », Sciences sociales etsanté, vol. IX, 1991, no 4. Voir aussi M. Bozon,Sociologie de la sexualité, Paris, Nathan, 2002.

[27] G. Desplanques, M. de Saboulin, « Les famillesd’aujourd’hui », Données sociales, Paris, insee, 1990.

[28] J.-C. Kaufmann, Premier matin, comment naît unehistoire d’amour, Paris, Armand Colin, 2002.

[29] M. Bozon, « Orientations intimes et constructionde soi. Pluralité et divergences dans les expressionsde la sexualité », Sociétés contemporaines, 2001, nos41-42.

[30] S. Chalvon-Demersay, Concubin concubine, Paris,Le Seuil, 1983.

[31] H. Léridon, C. Villeneuve-Gokalp, « Les nouveauxcouples : nombre, caractéristiques et attitudes »,Population, 1988, no 2.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 162: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[32] L. Toulemon, « La place des enfants dans l’histoiredes couples », Population, 1994, no 6.

[33] M. Segalen, Rites et rituels contemporains, Paris,Nathan, 1998.

Chapitre V :

[1] M. Douglas, De la souillure, Paris, Maspero, 1981.

[2] M. Bonnet et Y. Bernard, Services de proximité etvie quotidienne, Paris, PUF, 1998.

[3] J.-C. Kaufmann, Faire ou faire-faire ? Famille etservices, Rennes, Presses universitaires de Rennes,1996.

[4] M. Perrot, « Figures et rôles », in P. Ariès, G. Duby(éds.), Histoire de la vie privée, t. IV, Paris, Le Seuil,1987.

[5] T. Parsons, R.-F. Bales (eds.), Family Socializationand Interaction Process, New York, The Free Press,1955.

[6] I. Garabuau-Moussaoui, Cuisine et indépendance.Jeunesse et alimentation, Paris, L’Harmattan, 2002.

[7] J.-C. Kaufmann, La Trame conjugale, Nathan, 1992.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 163: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[8] Bernard Zarca distingue un « pôle féminin »,largement dominant regroupant notamment l’entretiendu linge et les activités de ménage, un « pôlemasculin » (en vérité très faible) et des « tâchesnégociables », comme la cuisine, la vaisselle ou lescourses, effectuées principalement par le mari dans 10à 20 % des cas. Plus une tâche est marquée par lesexe opposé, plus elle est pénible à effectuer. B.Zarca, « La division du travail domestique. Poids dupassé et tensions au sein du couple », Économie etStatistique, 1990, no 228.

[9] L. Thompson, A.-J. Walker, « Gender in Families:Women and Men in Marriage, Work and Parenthood »,Journal of Marriage and the Family, 1989, vol. LI, p.859, citant un travail de Myra Ferrée.

[10] C. Brousse, « La répartition du travail domestiqueentre conjoints : permanences et évolutions de 1986 à1999 », France, portrait social, insee, 1999.

[11] Jean Kellerhals et son équipe soulignent ledécalage existant entre les aspirations égalitaristes audébut du couple et la concrétisation ultérieure. J.Kellerhals, J.-F. Perrin, G. Steinauer-Cresson, L.Vonèche, G. Wirth, Mariages au quotidien. Inégalitéssociales, tensions culturelles et organisation familiale,Lausanne, Pierre-Marcel Favre, 1982.

[12] J.-C. Kaufmann, La Trame conjugale, Paris,

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 164: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

Nathan, 1992.

[13] J. Fagnani, Un travail et des enfants, Paris,Bayard, 2000.

[14] D.-V. Hiller, W.-W. Philliber, « The Division of Laborin Contemporary Marriage: Expectations, Perceptions,and Performance », Social Problems, vol. XXXIII, no 3,1986.

[15] Sur cette opposition, cf. également J.-C. Hood,« The Provider Role: Its Meaning and Measurement »,Journal of Marriage and The Family, vol. 48, 1986.

[16] M. Glaude, F. de Singly, « L’organisationdomestique : pouvoir et négociation », Économie etStatistique, 1986, no 187.

[17] C. Castelain-Meunier, J. Fagnani, « Deux ou troisenfants : les nouveaux arbitrages des femmes », Revuefrançaise des affaires sociales, 1988, no 1.

[18] Ibid.

[19] La maladie de l’enfant est particulièrementcorrélée avec une forte prise en charge féminine.François de Singly montre que le congé pour enfantmalade constitue un indicateur prouvant que l’égalitén’est pas aussi avancée que certains voudraient lecroire : « Les pères sont, pour la plupart, pèresaujourd’hui comme hier en manifestant un fort

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 165: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

engagement dans le travail professionnel » (F. deSingly, Parents salariés et petites maladies d’enfants,Le congé pour enfant malade, Paris, LaDocumentation française, 1993).

[20] C. Castelain-Meunier, J. Fagnani, op. cit.

[21] M.-E. Lamb, J. H. Pleck, J.-A. Levine, « Effects ofPaternal Involvement on Fathers and Mothers », in R.Lewis, M. Sussman (eds.), Mens Changing Roles inthe Family, New York, Haworth Press, 1986.

[22] C. Brousse, op. cit.

[23] B. Zarca, op. cit.

[24] M. Glaude, F. de Singly, op. cit.

[25] C. Brousse, op. cit.

[26] M. Haicault, « La gestion ordinaire de la vie endeux », Sociologie du travail, 1984, no 3.

[27] R.-S. Weiss, « Men and the Family », FamilyProcess, 1985, no 24.

[28] M. Glaude, F. de Singly, op. cit.

[29] En quatorze ans, de 1986 à 1999, les hommesont augmenté leur participation quotidienne aux tâchesménagères de onze minutes, soit une augmentation

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 166: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

de moins d’une minute par an. Cf. C. Brousse, op. cit.

[30] A. Thornton, « Changing Attitudes toward FamilyIssues in the United States », Journal of Marriage andthe Family, vol. LI, 1989.

Chapitre VI :

[1] M. Perrot, « Les échanges à l’intérieur de lafamille », in F. de Singly (éd.), La Famille, l’état dessavoirs, Paris, La Découverte, 1991.

[2] D.-D. Jackson, « Les règles familiales : le quid proquo conjugal », in P. Watzlawick, J.-H. Wealand, Surl’interaction, Paris, Le Seuil, 1981.

[3] D. Welzer-Lang, Arrête ! Tu me fais mal !, Montréal,vlb Éd., 1992.

[4] O. Blin, Les Couples d’artistes, mémoire de deasous la direction de François de Singly, Université deRennes-II, 1991.

[5] J. Kellerhals, J. Coenen-Huther, « Familles suissesd’aujourd’hui : évolution récente et diversité », LesCahiers médico-sociaux, vol. XXXIV, no 1.

[6] F. de Singly, « Les manœuvres de séduction : une

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 167: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

analyse des annonces matrimoniales », Revuefrançaise de sociologie, 1984, 25(4).

[7] R.-E. Berry, F.-L. Williams, « Assessing theRelationship between Quality of Life and MaritalIncome Satisfaction: a Path Analytic Approach »,Journal of Marriage and the Family, 1987, no 49.

[8] D. Francescato, Quando l’amore finisce, Bologna, IlMulino, 1992.

[9] L.-B. Rubin, Intimate Strangers, Men and Womentogether, New York, Harper and Row, 1984.

[10] P. Blumstein, P. Schwartz, American Couples:Money, Work, Sex, New York, William Morrow, 1983.

[11] L.-B. Rubin, op. cit.

[12] F. de Singly, Fortune et infortune de la femmemariée, Paris, PUF, 1987.

[13] F. de Singly, Le Soi, le Couple et la Famille, Paris,Nathan, 1996.

[14] É. Durkheim, Le Suicide, 1897, rééd. Paris, PUF,1991.

[15] F. Trovato, G. Lauris, « Marital Status andMortality in Canada: 1951-1981 », Journal of Marriageand the Family, 1989, vol. LI, no 4.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 168: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

[16] A. Béjin, « Rationalisation et démocratisationsexuelles », La Revue du mauss, 1991, no 12.

[17] F. de Singly, Libres ensemble, Paris, Nathan,2000.

[18] P.-L. Berger, H. Kellner, « Le mariage et laconstruction de la réalité », Dialogue, 1988, no 102.

[19] P. Fischman, « Interaction: the Work WomenDo », Social Problems, 1978, no 25.

[20] C. Notarius, J. Johnson, « Emotional Expressionin Husbands and Wives », Journal of Marriage and theFamily, 1982, no 44.

[21] T. Morton, « Intimacy and Reciprocity ofExchange: a Comparison of Spouses and Strangers »,Journal of Personality and Social Psychology, 1978,no 36.

[22] L. Thompson, A. Walker, « Gender in families:Women and Men in Marriage, Work, and Parenhood »,Journal of Marriage and the Family, 1989, no 51.

[23] Ibid.

[24] D. Francescato, op. cit.

[25] J. Kellerhals, N. Languin, J.-F. Perrin, G. Wirth,« Statut social, projet familial et divorce : une analyse

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert

Page 169: Sociologie du couple - Jean-Claude Kaufmann.pdf

longitudinale des ruptures d’union dans une promotionde mariages », Population, 1985, no 6.

[26] F. de Singly, Libres ensemble, Paris, Nathan,2000.

[27] M. Bozon, Sociologie de la sexualité, Paris,Nathan, 2002.

[28] D. Welzer-Lang, op. cit.

Facebook : La culture ne s'hérite pas elle se conquiert