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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 436–442 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com ScienceDirect Chronique Soins psychiatriques sans consentement : la réduction du délai d’intervention du juge des libertés et de la détention constitue t’elle une bonne réponse ? Jean-Marc Panfili (Cadre supérieur de santé en psychiatrie adulte, Docteur en droit, Chargé d’enseignement, faculté de sciences juridiques et politiques et faculté de médecine de Toulouse) Faculté de sciences juridiques et politiques, université Toulouse-1, capitole et faculté de médecine Toulouse Rangueil, 2790, chemin de Fayence, 89000 Montauban, France Disponible sur Internet le 20 novembre 2013 Résumé En matière de soins psychiatriques sans consentement, nous avions l’occasion de délaisser une logique administrative pour une procédure exclusivement judiciaire, comme elle se pratique ailleurs en Europe. Tel n’est pas le cas, et le juge judiciaire intervient seulement de plein droit a posteriori, au titre du contrôle du fond et de la forme des décisions prises par une autorité administrative. Le législateur s’est inscrit dans la latitude d’intervention que lui octroie le juge constitutionnel 1 . Il peut « fixer des modalités d’intervention de l’autorité judiciaire différentes », dans l’exercice de sa compétence. Il doit tenir compte de la nature et de la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter. En soins psychiatriques sans consentement, une privation de la liberté individuelle d’aller et venir intervient dans un premier temps sans atteinte à la sûreté, telle que prévue à l’article 66 de la Constitution. Le contrôle du JLD vient répondre au principe de sûreté dans un deuxième temps. Ce contrôle relativement tardif, au regard des autres situations privatives de liberté, répond au caractère médical de la situation. Se pose alors la question relative au délai de première intervention du juge des libertés et de la détention, mais également de la fréquence de ses contrôles ultérieurs. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Adresse e-mail : jmpanfi[email protected] 1 Décision n o 2011-135/140 QPC du 09 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre. Hospitalisation d’office. 1629-6583/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.10.006

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 436–442

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

ScienceDirect

Chronique

Soins psychiatriques sans consentement : la réduction dudélai d’intervention du juge des libertés et de ladétention constitue t’elle une bonne réponse ?

Jean-Marc Panfili (Cadre supérieur de santé en psychiatrie adulte,Docteur en droit, Chargé d’enseignement, faculté de sciences juridiques

et politiques et faculté de médecine de Toulouse)Faculté de sciences juridiques et politiques, université Toulouse-1, capitole et faculté de médecine Toulouse Rangueil,

2790, chemin de Fayence, 89000 Montauban, France

Disponible sur Internet le 20 novembre 2013

Résumé

En matière de soins psychiatriques sans consentement, nous avions l’occasion de délaisser une logiqueadministrative pour une procédure exclusivement judiciaire, comme elle se pratique ailleurs en Europe. Teln’est pas le cas, et le juge judiciaire intervient seulement de plein droit a posteriori, au titre du contrôle dufond et de la forme des décisions prises par une autorité administrative. Le législateur s’est inscrit dans lalatitude d’intervention que lui octroie le juge constitutionnel1. Il peut « fixer des modalités d’interventionde l’autorité judiciaire différentes », dans l’exercice de sa compétence. Il doit tenir compte de la nature etde la portée des mesures affectant la liberté individuelle qu’il entend édicter. En soins psychiatriques sansconsentement, une privation de la liberté individuelle d’aller et venir intervient dans un premier temps sansatteinte à la sûreté, telle que prévue à l’article 66 de la Constitution. Le contrôle du JLD vient répondre auprincipe de sûreté dans un deuxième temps. Ce contrôle relativement tardif, au regard des autres situationsprivatives de liberté, répond au caractère médical de la situation. Se pose alors la question relative au délai depremière intervention du juge des libertés et de la détention, mais également de la fréquence de ses contrôlesultérieurs.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Adresse e-mail : [email protected] Décision no 2011-135/140 QPC du 09 juin 2011, M. Abdellatif B. et autre. Hospitalisation d’office.

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.10.006

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1. Le contrôle systématique du juge des libertés et de la détention : une avancéeprotectrice des libertés individuelles

1.1. Le cadre par la révision de la loi du 5 juillet 2011

Le juge constitutionnel2 a considéré que « la liberté individuelle ne peut être tenue poursauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Les sages se sont pro-noncés en référence à l’article 66 de la Constitution, selon lequel « nul ne peut être arbitrairementdétenu ». Le respect de ce principe est confié à l’autorité judiciaire qui est « gardienne de la libertéindividuelle » et dans les conditions prévues par la loi.

En l’occurrence, les dispositions préexistantes comme l’obligation faite à l’autorité judiciaire,de visiter les établissements périodiquement, ne suffisent pas à satisfaire à ces exigences. Pasplus d’ailleurs que les recours juridictionnels dont disposaient ces personnes pour faire annuler lamesure d’hospitalisation ou y mettre fin. De plus, les sages admettent un délai spécifique, au regarddes critères médicaux. Ils considèrent que « les motifs médicaux et les finalités thérapeutiques quijustifient la privation de liberté [. . .] peuvent être pris en compte pour la fixation de ce délai ».

Indépendamment des conditions de l’intervention, ainsi que du statut particulier du juge deslibertés et de la détention, le principe d’intervention systématique du juge s’est imposé. Son inter-vention constitue sans nul doute, une avancée majeure dans les situations de soins psychiatriquesprivatifs de liberté.

L’intervention du juge produit deux effets importants.Le premier effet est direct. Il se concrétise par la possibilité de décision de la mainlevée de la

mesure. Ces décisions sont très importantes pour les patients qui en bénéficient, mais leur nombreest cependant assez faible.

Le second effet est indirect mais tout aussi important. En effet, la perspective du contrôle sys-tématique du juge a amené tous les acteurs du soin psychiatrique sans consentement a considérerle patient sous un angle nouveau. Le « paternalisme bienveillant » prévalait jusqu’alors. Il cèdeprogressivement la place, à une reconnaissance du patient comme un citoyen titulaire de droits,dont il doit être informé. Le suivi médical formalisé par le législateur a également amené lespsychiatres à une rigueur accrue dans les modalités de prise en charge, notamment au regard del’évaluation de la nécessité de la contrainte.

1.2. La nécessité de révision et de modification législative

Le législateur a du intervenir une nouvelle fois en 20133 par une proposition de loi, poursatisfaire à la censure du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012. Le débat a porté, à cetteoccasion, sur le délai d’intervention du premier contrôle du juge des libertés. Le législateur a jugéutile de le réduire de 3 jours. Les remarques formulées par les organisations de magistrats, en vuede cette révision de la loi du 5 juillet 2011, sont de ce point de vue très éclairantes sur les enjeuxréels de cette nouvelle intervention du législateur.

2 Décision no 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. Hospitalisation sans consentement.3 Proposition de loi relative aux soins sans consentement en psychiatrie, enregistré à la Présidence de l’Assemblée natio-

nale le 3 juillet 2013 adoptée par le Parlement en CMP le 19 septembre 2013.

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2. Les effets analysés par les magistrats

2.1. Les effets bénéfiques constatés du contrôle exercé par le juge

L’Union Syndicale des Magistrats4, s’appuyant sur les chiffres officiels disponibles, relati-vise l’effet attendu d’une éventuelle intervention judiciaire plus précoce. Selon l’organisationsyndicale, la judiciarisation semble avoir conduit les psychiatres à une plus grande vigilancedans leur suivi des patients en soins contraints. En effet, avant la réforme de 2011, le nombred’hospitalisation atteignant une durée de 15 jours était estimé entre 62 000 et 68 000. Aujourd’hui,ce chiffre est de 36 051, soit près de la moitié du chiffre précédent. Il apparaît que les psychiatresdécident désormais de nombreuses levées d’hospitalisation plus précoces, en dehors de toute inter-vention judiciaire. Ces données sont fondamentales et éclairent la controverse à propos du nombre,souvent présenté comme excessif, de certificats médicaux-légaux pendant les dix premiers jours,instaurés par la loi du 5 juillet 2011.

2.2. Évaluation nécessaire de l’état du patient ou formalité administrative excessive

Ce constat d’autocontrôle par le corps médical doit être mis en lien avec l’exigence de certificatsmédicaux successifs. Ces certificats émanant dans certains cas de praticiens différents. Le nombrede certificats à produire peut certes constituer un problème en cas de pénurie de psychiatres. Enrevanche cet aspect ne peut justifier la sous-estimation de leur intérêt.

En critiquant le nombre de certificats et leur caractère de « formalité administrative », il sembleque les détracteurs occultent beaucoup trop facilement le caractère, à la fois exceptionnel etdérogatoire, des soins psychiatriques sans consentement. Ainsi, dans la mesure où le consentementdoit être régulièrement recherché pour faire cesser la contrainte, il faut reconnaître ces certificatsmédicaux, non pas comme des formalités purement administratives redondantes et inutiles, maiscomme autant de rendez-vous en colloque singulier pendant lesquels devra être réévalué le niveaude consentement, et par voie de conséquence l’opportunité de maintenir la contrainte.

2.3. Des effets contraires au but recherché

L’Union Syndicale des Magistrats critique la proposition de loi qui vient d’être adoptée. Selonl’organisation, la réduction du délai de contrôle de l’autorité judiciaire ne permettra pas uneaugmentation du taux de mainlevées. En effet, ce chiffre est déjà très faible puisque ces hospita-lisations sont le plus souvent justifiées, notamment par l’état de crise. Les magistrats considèrenten revanche que l’actualisation des éléments qui leur sont transmis serait bien plus essentielle. Eneffet, si l’on ne prévoit pas un certificat obligatoire d’actualisation, alors le juge devra s’appuyer surune expertise. Indirectement la conséquence en serait un allongement de la durée d’hospitalisation.C’est donc l’effet contraire au but recherché qui serait alors obtenu.

4 Proposition de loi relative aux soins sans consentement en psychiatrie. Observations de l’Union Syndicale desMagistrats. Paris le 6 juillet 2013.

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2.4. Entre protection des libertés individuelles ou bonne administration de la justice

Le Syndicat de la Magistrature5 considère que la privation de liberté est toujours trop longue,lorsque la mesure de contrainte est irrégulière ou bien injustifiée. Mais, en prévoyant un contrôledans un délai à peine plus court, sans pour autant modifier l’échéance du second contrôle, cettemesure est susceptible de priver ce contrôle d’une partie de son efficience. En l’occurrence, c’estmoins le délai d’intervention du premier contrôle du juge, que la fréquence des contrôles ultérieursqui est déficiente. Après le douzième jour d’hospitalisation s’ouvrira une période de six mois,pendant lesquels seul un recours facultatif et volontaire au juge sera possible. Le patient, un procheou son représentant légal s’il est protégé, pourront saisir théoriquement le juge, mais il s’agit d’unrecours facultatif dont on connaît déjà les limites.

À ce propos, le Conseil constitutionnel6, amené à se prononcer sur le délai de six mois, n’apas retenu les arguments des détracteurs. Les sages considèrent comme suffisante la possibilitéde saisine facultative à tout moment du juge des libertés et de la détention, aux fins d’ordonnerla mainlevée immédiate. Selon leur décision, le législateur a bien assuré un équilibre suffisantentre les exigences de l’article 66 de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle de« bonne administration de la justice ». Mais il n’en va pas forcément de même, au regard de laconventionnalité de ce dispositif.

Le malade mental en soins psychiatriques sans consentement n’exécute pas une peine. Lanécessité de sa détention doit être régulièrement réévaluée au regard de son état de santé. Il s’agitdu contrôle judiciaire d’une mesure médico-administrative de privation de liberté. Ce contrôle estvalide pour la situation du patient le jour où le juge statue. Mais la décision du juge ne présumepas de l’évolution de la situation du patient. Il paraît alors difficile de justifier de l’urgence de cecontrôle au douzième jour, tout en laissant s’ouvrir une période postérieure de six mois dépourvuede tout contrôle judiciaire systématique.

L’article 21 des recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe de 20047

prescrit que « toute décision de soumettre une personne à un placement ou à un traitement invo-lontaires devrait [. . .] indiquer la période maximale au-delà de laquelle, conformément à la loi,elle devrait être officiellement réexaminée ». De plus, l’article 25 de ces recommandations préciseque « les États membres devraient s’assurer que les personnes [. . .] peuvent exercer effectivementle droit [. . .] d’obtenir d’un tribunal le réexamen, à intervalles raisonnables, de la légalité dela mesure ou de son maintien ». Enfin, selon ces même recommandations, le recours facultatifest insuffisant car « si la personne concernée ou, le cas échéant, la personne de confiance ou lereprésentant, ne demande pas de réexamen, l’autorité responsable devrait en informer le tribunalet veiller à ce qu’il soit vérifié à intervalles raisonnables et réguliers que la mesure continued’être légale ».

La conventionnalité de ce dispositif apparaît très incertaine. Il n’est pas sûr que ce délai de sixmois soit conforme au « bref délai », tel qu’il est exigé par l’article 6 de la Convention européenne.Il en va de même pour le recours facultatif, considéré comme suffisant par les sages, qui répondra

5 Observations du Syndicat de la magistrature sur la proposition de loi relative aux soins sans consentement enpsychiatrie. Paris, le 11 juillet 2013.

6 Décision no 2012-235 QPC du 20 avril 2012. Association Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur lapsychiatrie [Dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement].

7 Recommandation Rec(2004)10 du Comité des Ministres aux États membres relative à la protection des droits del’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (adoptée par le Comité des Ministres le 22 septembre2004, lors de la 896e réunion des Délégués des Ministres). Conseil de l’Europe, Comité des ministres.

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difficilement aux conditions de l’article 13 de la Convention relatif au droit à un recours effectif.En l’occurrence, l’article 13 dispose que « toute personne dont les droits et libertés [. . .] ont étéviolés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même quela violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctionsofficielles ».

3. Réduire le délai d’intervention initiale du juge, une « fausse bonne idée »

Dans les situations d’urgence psychiatrique, le Syndicat de la Magistrature admet quel’hospitalisation puisse intervenir sur décision du directeur d’établissement ou bien de l’autoritéadministrative. Cependant, pour cette organisation, seule une mesure provisoire d’une duréemaximale de 72 ou 96 heures pourrait garantir au mieux les droits des personnes concernées.La contrainte ne pourrait perdurer au-delà de cette période que sur décision du juge des libertés.Cette mesure de contrainte aurait une durée de validité maximale de 25 à 30 jours et sa prolonga-tion ne pourrait intervenir que sur une nouvelle décision du juge des libertés. Cette intervention dujuge des libertés au terme d’un délai d’un mois semble se justifier au regard des chiffres officielsissus du ministère de la santé. En effet, sur les 71 746 personnes hospitalisées sous contrainte à72 heures en 2012, seulement 19 351 étaient présentes à 30 jours et environ 3000 au-delà de troismois.

En tout état de cause et à titre intermédiaire, le législateur aurait pu prévoir certaines dispositionsa minima. Ainsi, en complétant l’article L. 3211-12 du CSP, le législateur pouvait prévoir unrappel régulier et formalisé au patient de sa situation juridique au-delà du douzième jour. Cetteinformation pourrait comprendre la possibilité de recours facultatif au juge. Il reste enfin unepossibilité d’auto saisine du juge des libertés sur ces situations, à intervalle régulier. Il s’agitd’une hypothèse cependant assez peu probable au vu de leur charge de travail.

Pour le juge constitutionnel, validant l’intervention systématique du juge des libertés et de ladétention, les dispositions préexistantes de contrôle étaient insuffisantes. Les sages ne retiennentpas le même raisonnement pour les contrôles postérieurs. Leur référence explicite à une « bonneadministration de la justice », traduit plutôt une préoccupation relative aux moyens nécessaires àmettre en œuvre. Cet aspect matériel semble d’ailleurs prendre le pas sur le respect des libertésprévu par la Constitution. Il n’en reste pas moins que c’est bien la fréquence insuffisante decontrôle par le juge qui est toujours problématique. La loi n’y répondra pas cette fois, la réductiondu délai de première intervention du juge risquant d’être en définitive une « fausse bonne idée ».

Il faut donc s’attendre à une éventuelle intervention de la juridiction de Strasbourg, venantrappeler à la France le principe fondamental de l’intervention du juge à « bref délai » et du « droità un recours effectif » dans tous les cas de détention. En effet, la CEDH s’est prononcée à plu-sieurs reprises, à propos des durées excessives de détention de malades mentaux, en mettant encause la longueur des procédures. Il est légitime de penser qu’elle pourra également sanctionnerle non-respect par la France du principe de « bref délai », comme une conséquence de notre légis-lation interne. C’est notamment l’affaire Baudoin c. France8 qui a amené le législateur à déciderl’unification du contentieux de l’internement. La CEDH considérait que la double compétencedes juges administratifs et judiciaires sur les internements psychiatriques entraînait des délaisprocéduraux excessifs pour les requérants. De nouvelles hypothèses d’intervention de la CEDH

8 CEDH, 18 novembre 2010, Affaire Baudoin c. France, Req no 35935/03.

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ne peuvent être écartées au vu de la convention, mais également des recommandations prévoyantles contrôles du juge à « intervalles raisonnables » (voir supra).

Le Comité des ministres du Conseil de l’Europe recommande aux gouvernements des Étatsmembres d’adapter leur législation et leur pratique aux lignes directrices contenues dans sesrecommandations. Dans cet esprit, il est possible d’imaginer que la CEDH se prononce à l’avenir,non pas au regard du délai excessif de procédure, mais au titre de notre législation interne en tantque telle, estimant insuffisante la fréquence de réexamen des situations des malades mentaux parle juge des libertés et de la détention.

Annexe. Soins psychiatriques sans consentement : nécessité d’une vision large durecours facultatif au juge en vue de sortie immédiate.

Désormais, le juge des libertés et de la détention contrôle de plein droit les hospitalisationscomplètes en soins psychiatriques non consentis. Cependant, l’article L. 3211-12 du CSP prévoittoujours que le juge des libertés et de la détention peut être saisi à tout moment, aux fins d’ordonnerà bref délai la mainlevée immédiate d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement.La saisine peut alors être formée par la personne faisant l’objet des soins elle-même ou par lapersonne chargée de sa protection. Les proches ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêtde la personne faisant l’objet des soins ou le procureur de la République peuvent en faire de même.Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d’office à tout moment. À cette fin,toute personne intéressée peut porter à sa connaissance les informations qu’elle estime utiles surla situation d’une personne faisant l’objet d’une telle mesure.

L’article R. 3211-8 du CSP prévoit que le juge des libertés et de la détention est saisi parrequête transmise par tout moyen, permettant de dater sa réception au greffe du tribunal de grandeinstance. Lorsqu’elle émane de la personne qui fait l’objet de soins, l’article R. 3211-9 du CSPdispose que la requête peut être déposée auprès du secrétariat de l’établissement d’accueil. Lademande en justice peut également être formée par une déclaration verbale qui doit être recueilliepar le directeur de l’établissement. Celui-ci établit un procès-verbal et transmet sans délai larequête ou le procès-verbal au greffe du tribunal par tout moyen. Ce cadre juridique permet unformalisme restreint.

Ce recours facultatif se caractérise par une certaine facilité de saisine du juge, par le patientlui-même ou toute personne agissant dans son intérêt. Les libertés individuelles étant en jeu, laloi permet dans ce cas une formulation variable des réclamations. Cette approche vient d’êtreconfirmée par la CEDH dans une décision du 19 février 20139. En l’occurrence, la requéranteroumaine, internée en service psychiatrique, avait adressé plusieurs lettres de réclamation à laCEDH. Le Gouvernement roumain estimait leur contenu incohérent et ne soulevant aucun griefau vu des dispositions de la Convention européenne. En revanche, la Cour a rappelé qu’un grief secaractérise par les faits qu’il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit qui sontinvoqués. En l’espèce, les griefs de la requérante étaient suffisamment clairs pour être examinés.Le fait que ces griefs aient été présentés par la requérante en même temps que d’autres plus confusn’enlevait rien à leur sérieux. Prenant en compte la fragilité de la requérante, la Cour considèreque « dans le cas des personnes vulnérables [. . .], les autorités doivent [. . .] leur assurer uneprotection accrue en raison de leur capacité ou de leur volonté de se plaindre qui se trouventsouvent affaiblies ». Privilégiant le fond au formalisme, la Cour a retenu qu’elle était régulièrement

9 CEDH, 19 février 2013, Requête no 1285/03, Affaire B. c. ROUMANIE (no 2). Arrêt définitif le 19/05/2013.

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saisie par la requérante, en vertu de l’article 34 de la Convention. Elle s’est prononcée sur la basede l’article 8 de la même Convention au titre de la protection de la vie privée et familiale.

Ce raisonnement des juges de Strasbourg est très important car il vient clairement renforcerl’exigence d’une vision large des requêtes en vue de sorties immédiates formulées par des patientsen soins sans consentement. Il faut en retenir que dans nos procédures internes, nous devons tenircompte de la logique de fond exprimée par la CEDH, indépendamment de la forme de la requête.À ce titre, toute demande ou réclamation, émise par un patient privé de liberté et qu’elle qu’ensoit la forme, doit être transmise sans délai au juge des libertés et de la détention.