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Merci !

Nous tenions à remercier Montpellier Méditerranée Métropole et la Direction des Médiathèques et du livre sans qui ce projet n’aurait pas pu naître et perdurer.

Merci à Patrick Gilli, Président de l’Université Paul-Valéry, à Christian Belin, Directeur de l’UFR1 Lettres, à Corinne Saminadayar-Perrin, responsable du Master Métiers du Livre et de l’Édition ainsi qu’à toute l’équipe pédagogique sans laquelle nous n’aurions pas pu participer à un tel programme.

Merci à l’équipe de ce projet, qui s’est impliquée sans relâche pour proposer un contenu aussi riche que possible tout en continuant à réaliser les reportages et calendriers culturels. Merci à nos traducteurs et correcteurs sans qui nous n’aurions pas pu proposer certaines interviews.

Nous tenions aussi à souligner la disponibilité et la confiance de Juliana Stoppa, Laura Molina et Myriam Delville tout au long de ce projet.

Et enfin, merci à Lili Beuzon et son équipe de Radio Campus pour leur implication.

Introduction : p. 4

Les littératures néerlandaises et flamandes en quelques mots

Interviews : p. 8

Yanick LahensAnna EnquistHerman KochStephan BrijsFrançois-Henri DésérablePeter TerrinErwan Larher

Portraits : p. 30

Michèle LesbreAlice ZeniterPierre DucrozetJakuta Alikavazovic

Zooms sur : p. 38

Rue du mondeSabine Wespieser EditeurExposition Infinity 8

Coups de coeur : p. 44

Un certain M. Piekielny de François-Henri DésérableBain de lune de Yanick LahensQuatuor de Anna Enquist

Programme Radio Campus : p. 54

L’équipe : p. 55

Remerciem

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Quelques mots sur la littérature néerlandaise

Qu’est-ce que la littérature néerlandaise ? Elle inclut les productions de nombreux pays : les Pays-Bas, la Belgique flamande, le Suriname et les Antilles néerlandaises. On peut aussi y inclure les pays et régions où le néerlandais est parlé comme l’Afrique du Sud mais aussi la Flandre et l’Indonésie.

La littérature néerlandaise se compose de trois grandes catégories d’œuvres.

Les enracinées qui s’ancrent dans un contexte régional, historique et religieux bien déterminé. Ce sont des œuvres témoignages portées par des auteurs comme Jan Siebelink, Oek de Jong.

Les cosmopolites : majoritairement originaires des Pays-Bas, ces œuvres ne rejettent pas leurs origines mais s’ouvrent sur le monde. Elles sont écrites par des auteurs comme Cees Nooteboom, Adiraan Van Dis, Ilja Leonard Pfeijffer.

Les insaisissables : chaque roman est un nouveau laboratoire. Ces romans ne tirent pas leurs forces d’un lieu ou d’un événement historique mais de leurs situations, leurs thèmes ou encore les questions que les œuvres se posent et posent à leurs lecteurs. La langue et l’imaginaire sont mis à rude épreuve par des auteurs comme Esther Gerritsen, Stephan Enter, Pieter Frans Thomese... Ces œuvres très polyvalentes dévoilent un savoir-faire et une originalité qui les rendent inclassables.

Quelques rappels historiques

Historiquement ce n’est qu’au XVIe siècle que la littérature néerlandaise connait son âge d’or grâce à des auteurs comme Pieter Corneliszoon Hooft, Joost Van

Den Vandel ou encore Jacob Cats. Cet âge d’or littéraire n’est pas sans rapport avec l’enrichissement du pays grâce au commerce maritime. Cette ouverture sur le monde permet aux pays de s’inspirer du classicisme français. On trouve alors une littérature très moralisante à travers des publications journalistiques foisonnantes.

C’est au XVIIIe siècle que le roman devient le support dominant et que la littérature néerlandaise se renouvelle grâce à la période romantique, puis au XIXe grâce aux réalistes qui prônent la beauté de la campagne et de la vie des agriculteurs. Les auteurs osent aborder des sujets difficiles, comme l’exploitation des autochtones dans les colonies. Un grand mouvement littéraire naît alors : les quatrevingtistes qui prônent « l’art pour l’art » et l’originalité artistique.

La littérature néerlandaise a grandement été marquée par la Seconde Guerre mondiale. C’est alors que naissent les romans régionaux et futuristes des auteurs souhaitant fuir la guerre. Cette volonté est contrebalancée par des auteurs comme Gerrad Reve, W.F Herman ou Anna Blaman souhaitant dévoiler au monde les horreurs de la guerre.

La littérature néerlandaise ne devient cosmopolite qu’au cours de ces trente dernières années. Maartin Asscher dira que c’est la « passion de l’expérimentation permanente et l’esprit de curiosité dont les revues littéraires et le flot annuel des premiers romans doivent faire preuve pour assurer leur vitalité. » Selon lui, il y a trois points qui font la grandeur des romanciers néerlandais : « l’enracinement dans la langue, la culture, l’histoire, leur rapport au monde qui leur permet de s’élever au-dessus des limites nationales, leur renouvellement permanent qui fait des textes des œuvres mondes, multiples en soi ».

Introduction...

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La langue néerlandaise

Comment s’est-elle construite ? Elle représente un mélange entre plusieurs langues germaniques dont sont issues l’anglais, l’allemand et le frison. Elle possède des traits communs avec le bas-allemand. Par exemple, avec l’utilisation des verbes en fin de subordonnée.

Le terme « Néerlandais » apparait à la fin du XVe siècle. « Thiois » était précédemment employé et signifiait « langue du peuple. » Il comprenait un ensemble des dialectes moyens néerlandais parlés à partir du Moyen-Âge.

Aujourd’hui le néerlandais « algemeen » ou normalisé est la langue maternelle d’environ 22 millions de néerlandais et flamands.

Elle a aussi donné naissance à plusieurs langues comme l’afrikaans, une des langues nationales d’Afrique du Sud.

Qu’est-ce que la littérature flamande ?

Elle est issue de la Flandre, d’anciens territoires qui appartiennent aujourd’hui à la France, à la Belgique mais aussi aux Pays-Bas. Jusqu’au début du XIXe siècle, elle était étroitement associée à la littérature néerlandaise. L’indépendance de la Belgique, en 1830, lui a conféré un nouveau visage. La littérature flamande devient alors une littérature néerlandophone produite en Belgique francophone.

C’est à partir de 1918 que la littérature flamande prend réellement une importance internationale car, suite à la première guerre mondiale naît une certaine curiosité intellectuelle pour la production mondiale. Cependant, les romans du terroir trouvent encore des lecteurs. Ils sont représentés par des auteurs comme Felix Timmermans qui mettent en avant les paysages et les mentalités de la Flandre. Les autobiographies et les romans historiques trouvent toujours un grand nombre de lecteurs.

Le renouvellement de la prose flamande va être mené par des œuvres à dominante psychologique ou philosophique mais aussi, en opposition par un mouvement appelé « le réalisme magique », où l’occulte prend position dans le quotidien pour faire basculer l’équilibre des personnages.

Introduction...

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langue, est-ce une volonté ou une particularité de votre culture insulaire ?

De ma part c’était une volonté. Je me voyais difficilement parler de ce monde dans une langue où le créole serait absent. Mais il a fallu aussi faire un travail d’équilibre et d’harmonie afin de rendre le texte lisible par tout locuteur francophone.Dans la littérature haïtienne on trouve des textes fortement imprégnés de créole au début du vingtième siècle, une langue magnifique créée par Jacques Roumain où il bouleverse les codes créoles et français dans Gouverneurs de la Rosée et des textes écrits complètement en créole comme une adaptation d’Antigone au milieu des années cinquante par Morisseau-Leroy et un roman en créole par Franketienne, Dezafi sans oublier une analyse de la Révolution haïtienne de 1793 à 1804 de Michel Rolph Trouillot, Ti dife boule. Sans oublier la poésie en créole de Georges Castera.

À la lecture de votre roman Douces Déroutes, je me suis étonnée du titre, en effet, l’atmosphère me paraît aussi « amère ». Dans votre roman nous sommes confrontés à la nostalgie d’un monde antérieur face à une société inadaptée au quotidien de ses citoyens. La réaction de Cyprien face à la publicité Audi diffusée à la radio exprime ce que nous pensons, « Les publicités ont cette vertu-là, celle de rendre l’improbable tout à fait vraisemblable ».Pensez-vous qu’un roman optimiste puisse faire changer ou améliorer une société ?Trouvez-vous qu’un roman est plus efficace lorsqu’il montre une société pessimiste ?

Ce roman est un mélange d’ombres et de lumières. Et la lumière est pour moi miraculeuse presque. Elle tient la ville en éveil et en beauté. Et c’est ce que je voulais faire voir aussi. La violence n’y est pas plus forte que dans certaines villes de la Jamaïque ou du Mexique. Mais les stéréotypes construits autour d’Haïti ont la vie dure et lui collent à la peau. Quant au titre j’ai joué sur l’oxymore très suggestif !

Yanick Lahens

Dans votre roman, Bain de Lune, dès la rencontre entre Tertulien et Olmène nous réalisons la fatalité de cet événement sur la suite de l’histoire. Vous traitez les thèmes universels de la haine intergénérationnelle à travers l’amour tragique entre Tertulien et Olmène. Pour vous ce sont des thèmes essentiels ? Comment avez-vous retravaillé ces thèmes pour nous transmettre une œuvre originale ?

D’abord cette rencontre s’inscrit dans la fulgurance des premières rencontres dans toutes les littératures du monde. Avec sa part d’irrationnel et de surprise. Et sa part de prévisibilité qu’il ne faut pas non plus négliger. Tous les codes sont là. La haine intergénérationnelle est un ingrédient des tragédies et des sagas. Mais elle s’appuie toujours sur des réalités spécifiques, des contingences. Ici c’est la terre et les inégalités quant au mode de possession des terres. Elle est moins la haine que la nature des rapports de force, de pouvoir en Haïti entre les grands dons et les paysans. Et ce lien est loin de se réduire à la haine comme dans tous les rapports féodaux. C’est aussi la rencontre de deux mondes qui se côtoient sans se connaître vraiment. Quant au monde de la ville il est presque totalement étranger. Et ce hiatus est d’ailleurs un élément fondamental de cette société.Il m’a fallu revisiter l’histoire d’Haïti et lire des livres sur le mode de vie des paysans. Et surtout mettre en marche une intrigue. Car il s’agit avant tout d’un roman, pas d’un document.

En lisant vos textes j’ai ressenti un mélange de familiarité et de dépaysement. En effet, vous glissez des mots créoles en italique « bayahondes », « franginen », « son », « don », « devant-jour » qui dotent le texte d’une puissance d’évocation. La langue haïtienne, l’aller-retour entre le français et le créole crée comme une troisième

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« J’ai envie de faire monter un cri de mon ventre à ma gorge et de le faire gicler de ma bouche. Fort et haut. Très haut et très fort jusqu’à déchirer ces gros nuages sombres au-dessus de ma tête ».À l’image de cette phrase dans le premier chapitre de Bain de lune, la littérature doit-elle être pour vous un appel à l’aide, un cri de révolte ? Est-ce votre vision de la littérature francophone ?

Non. Déjà Marguerite Duras disait qu’écrire c’est hurler en silence. Il y a de tout dans la littérature et c’est cela sa force. Elle nous emmène dans des régions inaccessibles aux sciences exactes, aux sciences sociales, aux autres arts. Mais la littérature c’est aussi l’appel au plaisir. Un texte est un lieu d’échange de plaisir entre un écrivain et un lecteur. Le plaisir c’est toute la gamme des émotions que soulèvent les mots et toute la réflexion qu’ils suscitent. Écrire c’est un jeu, une demande, un cri, un bonheur aussi. Je n’ai pas de vision de la littérature francophone car il y a des littératures francophones aussi diverses les unes que les autres. Et qui n’échappent à aucune des règles que je viens d’énoncer. Leur diversité constitue les possibles non encore épuisés de la langue française.

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Avec ce retournement de situation à la toute fin de Quatuor, les diverses atmosphères qu’il développe ainsi que les différentes problématiques qu’il aborde, tous ces éléments le rendent difficile à catégoriser. Sur la quatrième de couverture on parle de « thriller », mais il est compliqué de résumer seulement le roman à cela, comment le qualifierez-vous ?

Je ne pense pas que Quatuor soit un thriller, c’est essentiellement un roman psychologique sur l’amitié, la musique et les différentes manières dont les gens réagissent à la violence.

Dans Quatuor toujours, on constate la disparition progressive de la musique dans la société, les personnages voient alors leur monde balayé sans pouvoir y faire grand-chose. On a l’impression que ce constat amer dépasse la barrière de la simple fiction et semble s’adresser au monde extérieur. Que reprochez-vous à la société néerlandaise actuelle et pensez-vous que la littérature pourrait enrayer ce processus, de quelque façon que ce soit ?

La disparation de la culture de la vie publique est tragique pour moi, un fait amer en effet. Les écoles de musique sont fermées, les orchestres abolis et la littérature à peine enseignée à l’école. Je me plais à penser que certaines personnes du gouvernement lisent mon livre mais je crains qu’ils ne pensent que la fiction n’en vaut pas la peine. Vous êtres très chanceux d’avoir comme ministre de la culture, la directrice d’une maison d’édition !

Anna ENQUIST

En France on remarque un agrandissement de plus en plus net des rayons de littérature étrangère. Dans ces rayons se trouve notamment la littérature dite néerlandaise, qui sera mise en avant pour l’édition 2018 de la Comédie du Livre à Montpellier. Étant vous-même néerlandaise, pouvez-vous nous en dire plus à propos de cette littérature et de ses auteurs qui vous ont marquée ?

Les auteurs néerlandais qui m’ont influencée sont Gerard Reve, W. Hermans et les poètes Achteberg et Vasalis. Concernant la littérature contemporaine, j’aimerais également mentionner P.F Thomese, Gerrit Kouwenaar, Menno Wigman, Eva Gerlach et Neeltje Maria Min.

Nous remarquons dans vos œuvres la présence régulière d’éléments se rattachant à votre vie personnelle, le personnage de Drik dans Les Endormeurs par exemple est psychothérapeute, ceux de Jochem, Caroline, Hellen et Hugo dans Quatuor sont tous musiciens, sans parler de la thématique du deuil qui apparaît de manière récurrente tout au long de votre œuvre. Pourquoi avoir choisi la fiction pour parler de problématiques qui vous touchent personnellement ?

L’écriture ne doit se faire uniquement sur les choses que l’on connaît – les situations, les professions, les émotions. De cette façon, le texte sera naturel. Les erreurs repoussent le lecteur. Si vous ne connaissez pas le sujet sur lequel vous écrivez, vous devez faire des recherches, comme je l’ai d’ailleurs fait lorsque j’ai écrit Le Retour.

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Herman KOCH

Dans votre dernier roman, Cher Monsieur M., vous dressez le portrait peu flatteur d’un auteur, manquant de scrupules, alors que son roman est l’adaptation d’un fait divers. C’est une thématique faisant écho à de nombreuses polémiques à ce sujet, où la question de l’éthique est au centre des débats. Or, votre roman Le Dîner est inspiré d’un fait divers espagnol et vous avez, vous-même, une pratique journalistique, puisque vous publiez des éditoriaux dans le journal de

Volkskrant. Est-ce que pour vous le travail d’auteur est intimement lié à celui de journaliste ? Dans quelle mesure votre pratique journalistique vous influence-t-elle ? Et, d’après vous, jusqu’où un auteur a-t-il le droit d’aller pour adapter ou s’inspirer d’un fait divers ?

Je ne pense pas que mon expérience journalistique m’ait influencé en tant qu’auteur de fiction. Je n’ai pas travaillé en tant que journaliste depuis 2005 et je sens que la liberté de la fiction est ce qui me plaît le plus. Or, je crois aussi que l’on peut utiliser des faits qui se sont réellement produits en les transformant en quelque chose qui corresponde mieux à l’histoire que l’on veut raconter.

Il y a de nombreuses références très contemporaines dans Le Dîner. Apparaissent tour à tour le réalisateur et acteur Woody Allen, l’émission Jackass de la chaîne de télévision MTV, le film Men in Black III, la plate-forme de vidéos YouTube, et même le fast-food Burger King. Toutes ses citations reflètent-elle votre volonté d’ancrer le récit dans le réel ? Pourquoi était-il important pour vous de distiller tout au long du roman ces références à une sorte de pop-culture ?

Je crois que l’on doit utiliser tout ce que l’on voit autour de nous lorsque l’on écrit une fiction qui a lieu à notre époque – ou à n’importe quel moment d’ailleurs. J’aime appeler les choses par leur nom. Dans la vraie vie, nous ne dirions jamais : « Ma sœur a acheté une voiture » mais plus vraisemblablement « Ma sœur a acheté une Mercedes. »J’ai vu, hier devant le Starbucks place Pigalle : « Si vous savez à quoi ressemble le monde qui nous entoure, vous devez le décrire aussi précisément que vous le voyez. »

Actuellement, trois de vos romans ont déjà été traduits et publiés en France aux éditions Belfond, alors que vous avez une bibliographie bien plus étendue. Peut-on espérer vous retrouver prochainement dans les librairies françaises avec un de vos romans/recueils de nouvelles, qui ne serait pas encore traduit, ou avec un tout nouveau projet ?

Une traduction de mon dernier roman The Dich sera publiée, au début de l’année prochaine, par les éditions Belfond.

Lors de mes recherches pour préparer cet entretien, j’ai découvert qu’il vous arrive d’utiliser un pseudonyme, Menno Voorhof, sur lequel on trouve peu d’informations. Pouvez-vous nous expliquer l’origine de ce pseudonyme, ce qui vous a incité à l’utiliser et ce que celui-ci vous apporte dans votre écriture ? Est-ce pour retrouver un certain anonymat en écrivant que vous l’utilisez, ou est-ce qu’écrire sous le nom de Menno Voorhof vous permet de vous essayer à de nouvelles pratiques littéraires et stylistiques ?

J’ai utilisé ce pseudonyme pour une émission de radio où un « mauvais écrivain » lisait ses histoires à travers différents styles. C’est très libérateur pour un écrivain comme moi de mal écrire volontairement. C’est vraiment amusant, je le recommande à tous les écrivains en herbe.

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Stephan Brijs

J’ai beaucoup aimé ce que vous avez dit dans une interview par Peter de Rick pour le webblog littéraire TZUM et qui m’a particulièrement intéressé : « Ik moest en zou de boeken schrijven die in mij zaten » ou en français « je devais écrire les livres qui étaient en moi ». Que vouliez-vous dire par là ? Avez-vous une idée générale du texte que vous voulez produire à l’avance ? Les caractères des personnages sont-ils vivants en vous ? Les thèmes que vous évoquez, ou encore

les sensations que vous voulez provoquer sont-ils présents en vous avant la démarche de l’écriture ?

Les histoires et les personnages viennent à moi. A chaque fois que je décide de commencer un roman sur lequel j’ai travaillé depuis 20 ans, j’ai une idée soudaine, qui sort de nulle part, une idée pour un autre roman, parfois juste une phrase ou une scène. C’est rare que je connaisse l’intrigue et je ne connais presque jamais la fin de mon histoire. Le roman est, à chaque fois, un puzzle dont on n’a pas d’exemple. Donc j’écris beaucoup mais je modifie beaucoup également, jusqu’à ce que les pièces s’assemblent correctement. Je ne choisis jamais de thème au préalable et ce n’est qu’après que je réalise ce qu’est réellement mon livre. Je suis guidé par les volontés de mes personnages qui m’accompagnent constamment. Ils sont dans ma tête jour et nuit.

Avez-vous l’habitude de collaborer avec vos traducteurs ? Car dans la traduction française de The Engelmaker,, nous sommes dépaysés par les surnoms des personnages ou leurs noms à consonance germanique qui ont été conservés par le traducteur. Est-ce cette sensation que vous vouliez transmettre ? Ou souhaitiez-vous que le lecteur se reconnaisse dans ce village ?

Je suis toujours d’accord pour travailler avec mes traducteurs, même si parfois ils n’ont pas forcément besoin de moi. J’ai remarqué que la traduction est meilleure lorsqu’il y a collaboration entre l’auteur et le traducteur. Dans mes livres, chaque détail est important. Ainsi, un bon traducteur pose des questions à l’auteur qui y répond. Dans mes ouvrages, la couleur locale est importante et les noms restent souvent les mêmes, à part lorsqu’ils ont illisibles ou imprononçables dans l’autre langue. Toutefois si le traducteur me donne une bonne raison de les changer, je suis toujours d’accord. Parfois le traducteur, particulièrement Daniel Cunin mon traducteur français, devient également un grand ambassadeur du livre.

Dans Le Faiseur d’anges vous plongez le lecteur dans un musée des sciences naturelles. Les décors et le lieu dans lequel vous situez votre histoire est particulièrement significatif : vous « installe[z] [l’intrigue] à Wolfheim, aux confins de la Belgique, de l’Allemagne et des Pays-Bas : une région en marge de l’Europe pour un médecin aux frontières de la science, de la morale et de la religion. » Le décor est-il significatif dans toutes vos œuvres ? Construisez-vous votre intrigue autour d’un lieu prédéfini ? Ou vous construisez-vous votre histoire indépendamment du lieu ?

L’emplacement pour moi est l’échiquier sur lequel je place mes pièces d’échecs (les personnages). Ils se déplacent dans leurs cases. Dans le cas du Faiseur d’anges, le bien et le mal se faisaient face dans un petit village - alors la bataille pouvait commencer. J’ai connu les trois pays dès mon enfance et en effet le jeu avec les limites se réfère également aux limites que Victor dépasse.

Pour Courriers des tranchées j’ai inventé des personnages placés sur des sites existants et dans des événements historiques (par exemple le Bombardement Zeppelin de Londres et Talbot House à Poperinge). L’histoire est mon imagination,

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l’environnement est réel, donnant au lecteur le sentiment d’être au centre et que tout s’est réellement passé ou aurait pu se produire. Cela nécessite beaucoup d’études et de recherches avant et pendant la rédaction.Dans mon dernier livre, Moon and Sun (bientôt traduit en français), Curaçao et son histoire jouent un rôle majeur. Une fois de plus les personnages et l’histoire ont été inventés, mais tout s’est vraiment et réellement passé, par exemple le soulèvement du 30 mai 1969.

Dans vos deux romans traduits en français : Courrier des tranchées et Le Faiseur d’anges, vous utilisez des points de vue différents. Dans The Engelmaker, vous avez tour à tour une vision extérieure et centrée sur le bar du village où circulent les rumeurs, en effet, les nombreuses voix du village forment comme un nouveau personnage. Mais par la suite vous nous faites suivre la vie « familiale » à l’écart de la société, alors que dans Courrier des tranchées vous utilisez le « je » empathique et subjectif. Pourquoi changez-vous votre rapport au texte et la place du narrateur selon les histoires que vous écrivez ?

Mes romans travaillent souvent vers une fin dans laquelle toutes les histoires coïncident. La perspective dépend donc de la courbe de contrainte et du personnage principal. À travers qui regardons-nous le lecteur ? Combien d’informations voulons-nous lui donner sans trop trahir l’intrigue ? Parce que je ne connais généralement pas l’intrigue à l’avance, je suis parfois surpris et par conséquent le lecteur aussi. Également important : comment pouvons-nous obtenir le lecteur le plus émotionnellement impliqué dans l’histoire ? Une fois en créant de la distance, comme avec la perspective dans Le Faiseur d’anges (car autrement Victor n’évoque que le dégoût). Une autre fois en s’asseyant très près de lui, comme avec la perspective du Courrier des tranchées (car les émotions de John deviennent alors les émotions du lecteur). Ou, par exemple, comme dans Moon and Sun, dans lequel un frère raconte l’histoire du personnage principal Max Tromp, permettant au lecteur de partager son émotion et celle de Max.

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À la lecture de vos œuvres, on est envahi par une sensation de retour en arrière, comme la visite guidée d’un autre siècle, d’une autre vie. Vous faites voyager le lecteur à travers l’histoire de figures emblématiques : Évariste Galois dans Évariste, Marie-Antoinette dans Tu montreras ma tête au peuple, et finalement Romain Gary dans Un certain M. Piekielny.

Or, dans votre dernier roman, vous écrivez : « Faut-il vraiment lui dire qu’en vérité c’est le sujet qui le choisit, bien plus qu’il ne choisit son sujet. Ce sentiment vous a t-il envahi pour chaque œuvre ? Comment Marie-Antoinette et Évariste vous ont-ils choisi ?

Le premier livre, Tu montreras ma tête au peuple n’est pas seulement sur Marie-Antoinette mais propose dix histoires différentes sur les derniers instants de grandes figures de la Révolution française qui ont été guillotinées. On retrouve parmi elles, bien entendu, Marie-Antoinette mais également Danton, Lavoisier, les Girondins, Charlotte Corday, etc. D’ailleurs le titre de mon livre fait allusion à la dernière phrase qu’a prononcée Danton sur l’échafaud : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine. »

Ainsi, ce qui m’intéressait dans ce livre, c’était d’essayer de saisir ce à quoi on pouvait penser dans l’imminence de la mort. Il se trouve qu’il y avait un vivier assez inépuisable pendant la Révolution française puisque plus de 3000 personnes ont été guillotinées à Paris en l’espace de quelques mois. Je trouvais cette époque tout à fait fascinante et c’est comme cela que j’ai décidé d’écrire sur ce sujet là. Pour Évariste, cela a été un peu différent. Je trouvais que ce jeune garçon avait une vie très romanesque mais

François-Henri Désérable sa biographie était pleine de trous. J’ai ainsi réalisé que seul un écrivain pouvait les combler. Ce qui m’a également porté c’est qu’Évariste, très connu de la communauté scientifique et mathématique, l’était très peu du grand public. La troisième raison pour laquelle j’ai écrit sur lui, c’est que je voulais essayer de saisir la jubilation qu’il a pu ressentir lorsqu’il a découvert les mathématiques et aussi lorsqu’il a corrigé son mémoire et écrit sa dernière lettre, sa lettre testament lors de sa dernière nuit. Enfin pour Un certain M. Piekielny, le sujet est dû au hasard comme je le raconte dans la première partie : je me promenais dans les rues de Vilnius et je suis tombé sur cette plaque commémorative. Dans votre question vous parlez de l’Histoire, or je ne suis pas historien. Alexandre Dumas disait que l’Histoire était un clou sur lequel il accrochait son tableau et il se trouve que celles que je raconte se passent effectivement dans le passé, même si dans Un certain M. Piekielny j’explore aussi le présent puisque je suis le narrateur qui mène cet enquête aujourd’hui. Romain Gary apparaît, dans Un certain M. Piekielny, comme l’auteur qui vous a fait découvrir la puissance de la littérature, et La Promesse de l’aube joue un rôle majeur dans votre vie d’écrivain. Pourquoi avoir autant attendu pour lui rendre cet hommage ? Si c’est bel et bien le sujet qui choisit l’auteur, ne vous avait-il pas choisi lorsque vous aviez 17 ans ?

Peut-être ! Mais disons que les hasards ont fait que je me suis retrouvé devant son immeuble dix ans plus tard, non pas à 17 ans mais à 27. Avant j’avais d’autres préoccupations, dont le hockey sur glace. En fait, je n’avais pas du tout pensé à écrire sur Romain Gary et c’est à travers la figure de Piekielny que j’ai pu écrire sur lui. On peut dire qu’Un certain M. Piekielny est une sorte de biographie de Romain Gary mais prise de biais. En effet, j’ai essayé de le saisir à travers les scènes lors desquelles il a pu prononcé le nom de ce mystérieux voisin de Wilno qui lui avait fait promettre de prononcer son nom devant les grands de ce monde.

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Votre roman se construit de manière très complexe : l’enquête sur M. Piekielny qui s’entremêle, au fur et à mesure, à la vie de Romain Gary ainsi qu’à la vôtre menant l’enquête. Cette idée de construction vous est-elle venue préalablement à l’enquête, ou bien est-elle apparue au fil de votre travail ? Dans ce cas, à quel moment des recherches, les éléments trouvés ont commencé à dessiner la trame de votre roman ?

Oui, vous avez raison il y a trois récits qui se superposent et s’entremêlent : l’enquête proprement dite avec les passages où je parle de moi, la partie biographique sur Romain Gary et puis le récit fictionnel de la vie de ce monsieur Piekielny. Tout cela m’est venu au fil de l’écriture du roman puisqu’à l’origine je voulais simplement raconter l’enquête que je menais. Puis cela n’est venu que progressivement : ne trouvant que très peu de pistes, de traces de ce monsieur Piekielny, j’ai commencé à imaginer ce qu’avait pu être sa vie, à imaginer les scènes lors desquelles Romain Gary a pu prononcer son nom. Ainsi, cela n’est qu’après tout cela que j’ai commencé à prendre la liberté de parler de moi puisque ce n’est qu’à posteriori que j’ai compris pourquoi La Promesse de l’aube m’avait à ce point fasciné lorsque j’avais 17 ans. Romain Gary avait une mère très exigeante, qui lui assignait en quelque sorte un destin, et cela a été mon cas aussi. Donc j’ai essayé à la lumière de ma propre expérience de comprendre Romain Gary.

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En ce qui concerne Le Gardien, il y a un autre élément à considérer : jusqu’où allons-nous pour notre sécurité ? Jusqu’à quel point pouvons-nous empêcher que quelque chose nous arrive ? Le livre a presque dix ans (publié en Belgique et aux Pays-Bas) mais lorsque j’écris ceci, rien ne semble avoir changé. Ou pire encore : c’est devenu réel.

Seulement deux de vos romans sont publiés en France, peut-on espérer que votre autobiographie, intitulée Post Mortem, paraîtra bientôt ?

Eh bien, ce serait merveilleux. Ce livre me tient beaucoup à coeur, parce que j’y raconte l’histoire de ma fille et moi (le père, l’écrivain). Quelque chose de terrible lui est arrivé quand elle avait quatre ans, et cela a eu un impact considérable sur nos vies. C’est aussi un livre sur l’écriture et le pouvoir de la fiction.

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Je vous ai entendu vous définir comme un écrivain européen. L’absurde est particulièrement présent dans votre roman Le Gardien. Alors, comment le mouvement littéraire européen absurde a influencé votre écriture ? D’ailleurs, est-ce un sujet aussi commun dans vos autres romans ou est-ce surtout celui-ci ?

Je pense que l’absurdité de la vie est, ou du moins devrait être, dans chaque roman. En disant cela, je me rends compte que cela constituait une partie majeure de mon début de carrière. Je veux dire que l’histoire des deux gardes est une sorte d’allégorie, où tout est normal bien que légèrement exagéré. Kafka a été une grande influence lorsque j’étais jeune, mais aussi Camus, Beckett. De nos jours mes intérêts sont en quelque sorte différents. Disons que j’ai mûri.

Vous avez dit que le monde dystopique dans Le Gardien est une allégorie de la guerre en Irak, et vous utilisez parfois un ton satirique dans le roman. Pour vous, est-il évident que vous utiliserez l’association de ces trois techniques littéraires (l’allégorie, la dystopie et le ton satirique) pour écrire ce roman ? Qu’est-ce qui vous a décidé à utiliser la dystopie, une littérature très célèbre pour la jeunesse, pour couvrir ce sujet ?

J’aurai presque la même réponse: le genre de la dystopie permet de percevoir l’histoire sous un angle plus vif. Il y a quelque chose en jeu. Nous voulons savoir à quoi le futur ressemblera. Comment réagirons-nous lorsque nous serons mis à l’épreuve ? Lorsque nous devrons, peut-être, nous battre pour nos vies. Comment agirons-nous les uns envers les autres ? On se plaît à imaginer ce genre de choses, selon une histoire donnée (film, roman, pièce de théâtre) qui aide à soulever ces questions.

Peter Terrin

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question (enfin !), je n’ai pas mis de symbolique particulière dans ce « Il est temps de redevenir je » ; c’était juste la fin du jeu avec l’autofiction.

Lors de la lecture, on remarque des passages où il y a un jeu avec la typographie, mais aussi avec la page elle-même notamment avec la disposition des mots et des phrases. Ce jeu est très présent notamment lorsque vous racontez l’attaque. Le sens traditionnel de la lecture est donc totalement réinvesti. Est-ce que c’est un choix qui était présent dès l’écriture ou qui est venu bien après ?

L’écriture est un processus mystérieux fait d’allers et retours entre l’action (écrire) et la réflexion (sur ce que l’on écrit, le comment et le pourquoi). Ce jeu avec la mise en page et la typographie est venu tout seul, pendant l’écriture. Mais il n’est pas venu de nulle part puisque, comme je le raconte dans le livre, j’étais obsédé par la forme, la narration, la volonté de tâcher de faire littérature à partir de mon expérience. Tout cela avait sans doute sédimenté en moi et est sorti sous ma plume sans que j’y réfléchisse. Ensuite, à la relecture, j’ai trouvé que c’était pertinent, pas une coquetterie d’auteur (c’est facile de se regarder écrire, de faire le malin). Cela faisait sens, renforçait le propos (la suspension du temps entre autres), comme l’idée de répéter les mêmes phrases avec une ponctuation différente.

Vous êtes l’auteur de plusieurs livres avant Le Livre que je ne voulais pas écrire, est-ce qu’il marque un tournant dans votre carrière d’écrivain ? Dans votre manière d’écrire ou de penser ? Ou alors apparaissait-il seulement comme un passage nécessaire pour pouvoir à nouveau penser aux livres que vous voulez écrire ?

J’étais en train d’écrire mon sixième roman lorsque j’ai décidé de voir si ce Projet B. pouvait en devenir un. Et quelques mois plus tard, il était publié. Dès que j’ai rendu les dernières épreuves corrigées à mon éditeur, j’ai replongé dans l’écriture

Interviews...

Dans votre livre nous suivons vos « mésaventures », c’est le mot qui est utilisé pour les décrire en quatrième de couverture. Ces mésaventures sont toutes liées entre elles, et l’attentat au Bataclan le 13 novembre 2015 en est à l’origine. Votre livre n’apparaît pas comme un témoignage, puisque dès le début nous suivons une voix qui parle à la deuxième personne. Mais ce n’est pas non plus une fiction

puisque nous savons que c’est vous qui parlez, on voit apparaître votre nom lorsque vous intégrez des images de conversations Facebook. Cependant, à la fin du livre le « Je » se rétablit de lui-même, tout à fait naturellement. Est-ce que cette dernière prise de parole à la première personne revêt une symbolique particulière ?

Il est question en quatrième de couverture d’une mésaventure arrivée à l’individu Erwan Larher (sa présence au Bataclan le 13/11/15), mésaventure dont le romancier Erwan Larher s’est efforcé de faire un « objet littéraire ». Ce romancier a été confronté tout au long de ce travail à l’inconfortable dualité d’être à la fois auteur et héros de son roman. C’est Erwan Larher qui écrit, mais écrit-il la vérité ? Une fiction ? Y a-t-il une seule vérité sur ce qu’il est advenu ce soir-là dans ce lieu-là ? Ce texte est je l’espère plus qu’un témoignage dans sa volonté de se détacher des faits, de les mettre en perspective, d’essayer d’inventer une langue et une narration ; et pas totalement une fiction en effet puisqu’on sait que l’auteur a vécu quelques-uns des évènements relatés dans son ouvrage. Pourquoi vouloir chercher plus loin et qualifier à tout prix ?

Erwan individu et Erwan romancier ne sont bien sûr pas étrangers l’un à l’autre, et peut-être même ne forment-ils qu’une seule et même personne. J’ignore si « Je est un autre » mais il me semble indéniable que « Je est multiple ». Donc pour répondre à la

Erwan Larher

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du roman que j’avais abandonné en route. Donc Le livre que je ne voulais pas écrire est à mes yeux un ouvrage comme les autres dans ma bibliographie, aucunement un tournant. Comme tous mes autres livres, il a enrichi ma palette (du moins l’espéré-je…), ma réflexion sur mon travail de romancier ; il est nourri de mes précédents et nourrira les suivants. Ni plus ni moins.

Interviews...

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Michèle Lesbre est née le 25 novembre 1939 à Tours. Elle est une femme accomplie : institutrice, directrice d’une école maternelle, mère de deux enfants, militante d’extrême gauche, écrivaine, femme de théâtre.

Après des études de Lettres et d’Histoire, elle se met à écrire et se fait connaître en 1991 avec La Belle Inutile, publié chez Le Rocher, et en 1993 avec Un homme assis, qui paraît chez

Manya. Le roman noir devient progressivement son genre de prédilection. Elle publie chez Actes Sud deux romans policiers : Une simple chute, en 1997, et Que la nuit demeure, en 1999.

C’est avec la publication de Nina par hasard aux éditions du Seuil en 2001 qu’elle s’oriente vers une autre thématique. Le genre policier est alors abandonné en faveur d’un récit où elle mêle l’Histoire à la vie d’un personnage. La Deuxième Guerre mondiale va donc occuper une place centrale dans son œuvre. L’auteure va s’appuyer la mémoire, l’interroger pour donner une profondeur à ses personnages. À travers une plume poétique, Michèle Lesbre entrelace fiction et expérience intime : elle s’inspire de la montre de son père pour écrire La Petite Trotteuse en 2005, roman pour lequel elle reçoit le Prix des libraires Initiales la même année, puis en 2006 le Prix Printemps du roman et le Prix de la ville de Saint-Louis. En 2007, son roman Le Canapé rouge reçoit le Prix Mac Orlan, le Goncourt polonais et le Prix des librairies Mille Pages et est traduit dans douze langues.

Michèle Lesbre devient alors l’écrivaine des origines. Elle mène le lecteur dans une quête, celle de la mémoire. Comme Annie Ernaux, elle utilise une écriture individuelle, une écriture personnelle à travers l’histoire de sa famille, pour toucher

Michèle Lesbre son lectorat. Elle déclare dans une interview pour Le Figaro en 2005 : « Parce que finalement, écrire, c’est transformer la douleur, l’émotion, les faits, les expériences, en quelque chose d’universel ». En fictionnalisant son récit, elle s’en distancie, permettant alors à son histoire de prendre une perspective universelle. Depuis 2003, ses romans paraissent chez Sabine Wespieser. Elle s’associe avec cette éditrice pour la publication de Boléro et lui fait toujours confiance aujourd’hui, notamment avec son dernier ouvrage intitulé Chère brigande publié en 2017.

Nina par hasard, Sabine Wespieser éditeur, 2010.

La petite trotteuse, Sabine Wespieser éditeur, 2005.

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Alice Zeniter est née d’un père algérien et d’une mère française. Avant de devenir romancière, elle a côtoyé le théâtre, pour lequel elle a beaucoup écrit, et collaboré à des mises en scène. Elle publie son premier livre Deux moins un égal zéro à l’âge de 16 ans ; elle reçoit pour cette oeuvre le Prix littéraire de la ville de Caen.

Par la suite, la plupart de ses publications vont être plébiscitées par la critique et récompensées par de nombreux prix littéraires. Notamment Sombre Dimanche qui reçoit le prix du Livre Inter en 2013, ou encore Juste avant l’oubli, qui obtient le prix Renaudot des lycéens en 2015.

L’Art de perdre, son dernier roman, a été finaliste du prix Goncourt face à Éric Vuillard lauréat de cette année, et a reçu le prix Goncourt des Lycéens 2017. Si l’on retrouve quelques éléments qui rappellent son histoire et celle de sa famille, Alice Zeniter écrit avant tout une saga familiale qui retrace la guerre d’Algérie et le destin des harkis. On retrouve ainsi des grands thèmes tels que l’Algérie avec son histoire teintée d’ombre et de lumière, les traces laissées par la guerre d’indépendance dans les mémoires collectives et individuelles, mais aussi la question de l’immigration et du déracinement.

Alice Zeniter est la carte blanche de cette 33e édition de La Comédie du livre. Elle propose cette année une programmation à la fois littéraire, musicale, et cinématographique autour de sept artistes et écrivains.

Alice Zeniter

L’art de perdre, Flammarion, 2017.

Juste avant l’oubli, Flammarion, 2015.

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Né en 1982 à Lyon, Pierre Ducrozet est un auteur du monde. Partagé entre Barcelone, Berlin et Paris il est chroniqueur littéraire, traducteur et collaborateur de la Société Européenne des auteurs, « un outil numérique et un réseau social multilingue dédié à la traduction entre les différentes langues du monde pour la littérature, les sciences humaines, et les arts du langage (scénario, théâtre, poésie) nécessitant une traduction humaine. »

Écrivain engagé, Pierre Ducrozet est aussi chroniqueur littéraire dans Le Magazine des Livres et écrit des articles pour La Presse littéraire ou encore The Panser. En 2017, il remporte le prix de Flore pour son œuvre L’invention des corps publiée aux éditions Actes Sud.

Cette œuvre est décrite comme un roman mappemonde car le personnage principal parcourt le globe : Amérique du sud, Canada, Etats-Unis, Hong-Kong mais aussi Paris... De plus l’auteur joue sans cesse sur les temporalités avec des héros qui héritent des crises multiples que l’Histoire transmet. Au fil des pages, réel et fiction se mêlent dans une expérimentation transhumaniste souple et écrite avec finesse.

« Mon idée est très simple. Je veux qu’on puisse baiser directement avec son iPhone. Je vous explique ». À la recherche de l’immortalité, un hacker mexicain en fuite et un caïd richissime veulent voir le monde en grand. En apparence très futuriste étant donné les techniques médicales employées, cette œuvre parle d’un XXIe siècle censé inquiéter le lecteur. Pierre Ducrozet y raconte comment internet est devenu un inquiétant outil tout en se posant des questions sur la vie, la liberté, l’amour...

Pierre Ducrozet

L’invention des corps, Actes Sud, 2016.

La vie qu’on voulait, Editions Grasset, 2013.

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Jakuta est née en 1979 d’un père monténégrin et d’une mère bosniaque. Sa famille s’installe en France à la fin des années 1970 pour fuir le conflit qui ravage l’ex-Yougoslavie d’où ils sont originaires. Élevée dans certaines traditions familiales, Jakuta apprend rapidement à parler bosnien mais blessée par les échos qui lui parviennent de cette guerre Jakuta trouve refuge dans la littérature et devient une lectrice assidue puis une auteure de renom.

En 2007 commence une collaboration avec les éditions de l’Olivier chez qui elle publie tout d’abord Corps Volatis pour lequel elle remportera le Prix Goncourt du premier roman en 2008 et dévoile des personnages entourés de mystères qui mènent les personnages dans un jeu dangereux au centre d’un Paris sombre et inquiétant. En 2010 elle publie Le Londres-Louxor qui met cette fois en place un cinéma où procédés cinématographiques et littéraires se mêlent pour présenter un personnage principal intouchable qui fait fondre les barrières entre réel et irréel. Jakuta Alikavazovic aime jouer avec les frontières des choses et c’est ce qu’elle met en avant dans son troisième roman La Blonde et le bunker qui remporte en 2012 la mention spéciale du jury du prix Wepler.

Écrivaine du flou, elle poursuit son ascension littéraire en 2017 avec son quatrième roman Avancée dans la nuit qui s’installe entre amour et guerre. Avec cette œuvre, Jakuta Alikavazovic révèle une sensibilité pour la guerre. Elle se dévoile comme une écrivaine voulant libérer ses héroïnes des clivages qui les entourent et des attentes qui les assaillent.

Jakuta Alikavazovic Femme pleine de surprises et envoûtante Jakuta Alikavazovic est à la fois enseignante, traductrice et romancière. Écrivaine sans limite, elle met à profit ses talents non seulement pour écrire des romans captivants mais aussi pour la jeunesse, à l’École des loisirs depuis 2004. Jakuta Alikavazovic s’amuse des clichés dans ses œuvres et dans sa vie pour toujours se dépasser.

La blonde et le Bunker, Éditions de l’Olivier, 2012.

L’avancée dans la nuit, Éditions de l’Olivier, 2017.

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Fondée en 1996 par Alain Serres, la maison d’édition Rue du monde souhaite « interroger et imaginer le monde » et ainsi ouvrir les enfants au monde qui les entoure. Alain Serres a su prendre le risque de tout quitter pour ouvrir une maison d’édition indépendante et convaincre les libraires avec des projets audacieux qui auraient pu effrayer de nombreux éditeurs.

Le pari s’est avéré gagnant puisque sa première publication Le grand livre des droits des enfants a été un succès. 22 ans plus tard et plus de 400 publications à son actif Alain Serres continue de publier ses textes et ceux d’une équipe fidèle qui le suit depuis de nombreuses années et qui s’engage à prendre l’enfant au sérieux et souhaitant lui faire découvrir une multitude de sujets comme le prouve la collection « Histoire d’histoires » illustrée par Bruno Pilorget ou encore la collection « Cuisine, cuisines ».

La maison d’édition Rue du monde et plus particulièrement Alain Serres ont pour ambition de faire lire la jeunesse et prend plaisir à rencontrer ses petits lecteurs dans de nombreux pays francophones.

Cette année, la Comédie du Livre accueille de nombreux auteurs publiés chez Rue du monde comme Laurent Corvaisier, Raphaële Frier, Aurélia Fronty, Bruno Pilorget, Zaü, Julia Chausson et Sandra Poirot-Chérif : « Les oiseaux ont des ailes, les enfants ont des livres ».

Retrouvez Alain Serres sur le stand de la librairie Nemo.

Rue du monde

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Sabine Wespieser Éditeur

Sabine Wespieser, lectrice invétérée depuis son enfance, a suivi une formation de lettres classiques. Après s’être rendu compte que l’enseignement n’était pas fait pour elle, elle se tourne du côté de l’édition. Elle travaillera 13 ans chez Actes Sud avant de fonder sa propre maison d’édition avec son mari Jacques Leenhardt, en 2001.

Sabine Wespieser éditeur est une maison indépendante, qui publie de la littérature française et étrangère depuis 2002. Elle a fondé sa propre maison par envie de retrouver l’aspect familial des petites structures où tout s’organise autour de quelques auteurs. En effet, la maison fonctionne avec deux salariés, en plus de Sabine Wespieser qui s’occupe surtout de l’aspect éditorial. Elle publie uniquement dix titres par an pour pouvoir contrôler l’ensemble de la chaîne de fabrication du livre. Cela lui permet non seulement de travailler sur les manuscrits avec les auteurs mais aussi de les accompagner jusqu’à la publication de leur texte.

Elle prend aussi le parti de proposer un format unique qui se distingue du format traditionnel français. Ainsi, elle présente des ouvrages en format poche, mais dont la largeur est un peu plus grande, ce qui les rend facilement identifiables. De même, les couvertures ainsi que la mise en page sont très reconnaissables : elles reposent sur un subtil mélange entre sobriété et originalité pour favoriser avant tout le confort de lecture.

La maison compte aujourd’hui plus de 130 titres et une soixantaine d’auteurs aussi bien néerlandais, vietnamiens, italiens, hébreux ou allemands. Son catalogue s’est constitué en fonction de ses inspirations, et de ses coups de cœur. La cohérence de son catalogue se retrouve donc dans la manière dont elle appréhende la littérature comme une fenêtre ouverte sur le monde. Aujourd’hui, la maison est reconnue dans le

milieu de l’édition, et de nombreux auteurs du catalogue ont été salués par la critique et récompensés par des prix littéraires. C’est le cas de Point Cardinal de Léonor de Récondo avec le prix du roman des étudiants ou encore Avant que les ombres s’effacent de Louis-Philippe d’Alembert qui a été lauréat du prix orange du livre 2017.

L’éditrice Sabine Wespieser est donc mise à l’honneur pour cette 33e édition de La Comédie du livre. Elle sera accompagnée par neuf de ses auteurs pour présenter le travail de sa maison d’édition dont Yanick Lahens, Michèle Lesbre, Léonor de Récondo, Vincent Borel, et Diane Meur.

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«On voulait bosser avec Hergé mais il était mort.» - Lewis Trondheim

Dans cette bande dessinée un peu spéciale, on embarque à bord de l’Infinity 8, un immense vaisseau de croisière intergalactique, alors que ce dernier est immobilisé par un gigantesque et mystérieux amas d’artefacts funéraires, sorte de nécropole galactique sortie de nulle part. Le principe est simple, huit tomes, huit dessinateurs, huit personnages et huit missions différentes dans une boucle temporelle à chaque fois renouvellée et générée toutes les huit heures par le Capitaine extraterrestre de l’Infinity 8.

Dirigé et scénarisé par Lewis Trondheim et Olivier Vatine, ce space opera déjanté connaîtra le jour grâce à la participation d’auteurs de talent tels que Balez, Bertail, Biancarelli, Boulet, DeFelici, Guibert, Killofer, Kris, Mourier, Trystram, Vehlmann et Zep. Dans cette saga, chaque tome explore une thématique différente, au programme : une armée de nécrophages, la renaissance d’Hitler, une invasion de morts-vivants, du fanatisme religieux, une secte psychédélique, une plante qui pense et un robot surpa-intelligent.

D’abord sortie sous forme de comics en 2016, Infinity 8 est ensuite parue en huit tomes, de janvier 2017 à mars 2018. La série est publiée par les éditions Rue de Sèvres, spécialisées dans la bande dessinée et appartenant au groupe de l’École des loisirs. La maison d’édition ne publie cependant pas uniquement des ouvrages destinés à la jeunesse mais cible aussi adolescents et adultes. Rue de Sèvres possède un catalogue varié et complet d’auteurs, en plus de ceux déjà cités, elle a aussi accueilli Joan Sfar, Hugo Pratt ou encore Jérémie Moreaux – qui remportait en 2012 le prix Jeune Talent du Festival d’Agoulême. Elle a notamment publié des ouvrages et séries tels que Le Petit Vampire de Sfar, La Forêt millénaire de Taniguchi ou Découpé en tranches de Zep.

Exposition Infinity 8 Créateur de OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle), directeur de la collection « Shampooing » chez Delcourt, réalisateur de la série d’animation Les Aventures d’une mouche et créateur de la revue Papier, Lewis Trondheim figure parmi les auteurs les plus prolifiques de la bande dessinée française. Olivier Vatine n’est pas en reste lui non plus, puisqu’il est le dessinateur d’Aquablue, une bande dessinée de science-fiction en seize albums parue aux éditions Delcourt, mais aussi scénariste et dessinateur de Niourk, aux éditions Ankama, adaptée du roman de science-fiction éponyme de Stefan Wul.

Grands amateurs de science-fiction, Olivier Vatine et Lewis Trondheim puisent dans cet univers riche pour nous proposer une bande dessinée haute en couleur, rythmée par de nombreuses scènes d’action et agrémentée d’une bonne dose d’humour. Pour nos deux auteurs, pas question de se prendre au sérieux, l’important est de faire rire, mais surtout de se faire rire explique Trondheim lors d’une interview en 2016 pour la chaîne Youtube Arts :

« J’ai pour principe de ne viser aucun public sinon moi-même ou le co-auteur avec lequel je bosse, pour le faire marrer. » - Lewis Trondheim

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La première question que l’on se pose avant de lire ce roman est : mais qui peut bien être cet homme au nom imprononçable ? Vous le savez bien sûr si vous avez lu La Promesse de l’aube de Romain Gary, sinon votre curiosité est telle que vous ne pouvez plus attendre !

Alors, présentons Romain Gary ! Ce dernier a passé son enfance à Wilno (Vilnius, dans la Lituanie actuelle) avec sa mère qui n’a jamais cessé de nourrir de grandes ambitions pour lui.

« Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! »

Mina Kacew, sa mère, alors peu crédible, va devenir sujet de quolibets. Au milieu des moqueries des voisins, il évoque l’existence d’un homme, ressemblant à une « souris triste » qui lui dit un jour « Les mères sentent ces choses-là ». Alors certain de sa future notoriété, M. Piekielny lui fait promettre une chose :

« Quand tu rencontreras de grands personnages, des hommes importants, promets-moi de leur dire : au n° 16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait M. Piekielny... »

Gary aurait toujours tenu parole et a prononcé le nom de ce voisin mystérieux face à la reine d’Angleterre, au général de Gaulle, à Kennedy et même à l’occasion d’une visite à l’ONU. C’est à partir de cette phrase que se construit le roman de François-Henri Désérable.

Invité à l’enterrement de vie de garçon de son ami, le narrateur prend l’avion

Un certain Mr Piekielny - François-Henri Désérable jusqu’à Vilnius pour ensuite rejoindre ses amis en train à Minsk, qui l’attendent là-bas. Coup du destin : il rate son train et se retrouve coincé dans la capitale lituanienne sous des trombes d’eau.

« En mai 2014, des hasards me jetèrent rue Jono Basanavičiaus, à Vilnius, en Lituanie. »

Alors, c’est l’errance, jusqu’à ce qu’il tombe face à une plaque sur laquelle est écrit : « L’écrivain et diplomate français Romain Gary a vécu de 1917 à 1923 dans cette maison qu’il évoque dans son roman La Promesse de l’aube. »

C’est alors que la phrase du voisin lui revient. Qui était cette « souris triste » ? Cette question l’obsède et il décide de partir à la recherche de cet homme. Il devient le fil rouge de la narration, le roman se construit de manière très complexe. François-Henri Désérable va entremêler l’enquête, la vie de Gary et la sienne. Un récit complexe mais tellement passionnant puisque tout semble s’enchaîner et se lie au fur et à mesure : la vie du jeune écrivain semble similaire, sur certains points, à celle de Romain Gary, notamment l’importance de la figure maternelle par exemple.

Ainsi, l’auteur nous explique que la lecture de La Promesse de l’aube, avec celle de Belle du Seigneur, a joué un rôle majeur dans sa vie. En partant à la recherche d’un fantôme, il rend hommage non seulement à Romain Gary, mais également à toutes les personnes tombées dans l’oubli. C’est une écriture de la mémoire qui insiste sur le pouvoir des mots et le pouvoir de l’écrivain. La puissance de la littérature provient de sa capacité à exhumer des noms qui n’auraient plus jamais été prononcés s’ils n’avaient pas été écrits.

À la lecture de ce livre, on est surpris. Au début on ne sait pas vraiment où veut en venir l’auteur mais au fur et à mesure on est embarqué dans cette enquête,

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entraîné par la curiosité et l’envie de connaître la fin de l’enquête. Cette enquête permet d’ailleurs de découvrir, ou de redécouvrir, Romain Gary à travers un angle inédit. De toute manière, comment peut-on s’en lasser ?

L’enquête devient un jeu littéraire, un jeu de piste mais c’est également un roman intéressant par ses aspects documentaires (photographies, extraits, archives...) et également très drôle. Cette touche d’humour nous permet de connaître davantage l’auteur. Cette manie de ne pas se prendre au sérieux instaure une complicité avec le lecteur. C’est avec ce roman que François-Henri Désérable se dévoile. Il nous présente un étudiant en droit qui préfère se plonger dans ses livres. On fait la connaissance de ce jeune passionné de littérature à travers des anecdotes farfelues, des remarques humoristiques mais surtout à travers les parallèles entre sa vie et celle de Gary.

Ce roman a vraiment été mon coup de cœur. Il est absolument incontournable pour les fans de cet écrivain à multiples facettes. Passionnant, irrésistible, et touchant : voici un portrait adapté à l’homme qu’il était. Je vous le conseille, vous les passionnés, les curieux, les amoureux de Romain Gary. Vous qui aimez être surpris, Un certain M. Piekielny doit avoir sa place dans votre bibliothèque.

Qui est François-Henri Désérable ?

Né en 1983 à Amiens, il s’engage d’abord dans l’équipe de hockey de son père : les Gothiques d’Amiens. Puis, il fait des études de droit à Montpellier, qu’il délaisse finalement pour se consacrer à la littérature. Avant Un certain M. Piekielny, il publie Tu montreras ma tête au peuple en 2013 et Évariste en 2015.

«C’est peut-être ça et rien de plus, être écrivain : fermer les yeux pour les garder grands ouverts, n’avoir ni Dieu, ni maître et nulle autre servitude que la page à écrire, se soustraire au monde pour lui imprimer sa propre illusion.»

Un certain M. Piekielny - Francois-Henri Désérable

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Cette « chronique historique et familiale » nous amène à l’autre bout du monde, sur l’île d’Haïti. Les histoires d’Olmène et de Cétoute se déroulent entre Anse Bleue, Roseaux et Port-au-Prince, entre deux époques dans « une histoire où un monde nouveau chevauche déjà l’ancien. » Deux femmes unies par le sang se construisent en parallèle au fil des pages.

Olmène, jeune paysanne en 1963 et Cétoute, jeune fille, quarante ans plus tard, évoluent entre l’« habitation », les champs et la mer d’Anse Bleue. Le récit d’Olmène est profondément lié à l’histoire des souffrances et des espoirs de son village. Au contraire, le monologue intérieur du corps inerte et blessé de Cétoute insiste sur la puissance des désirs. Tel l’ouragan Jeanne en 2004, son discours n’est qu’un flot de paroles, de souvenirs et de sensations désordonnés.

En effet, les vies des jeunes filles basculent après une rencontre avec un membre de la riche et influente famille Mésidor : Jimmy pour Cétoute et Tertulien pour Olmène. Tels des Roméo et Juliette, ils ne peuvent être ensemble, Tertulien est marié, il a cinquante ans, elle seize, et leurs familles se détestent. Bien avant leurs naissances, l’animosité entre la famille Lafleur et la famille Mésidor fait rage, leurs liens, ambivalents varient entre domination et association « contre les « colons ».

Le récit est éclairé par les bouleversements politiques. Le roman oscille entre « rester » et « partir », à l’image des frères qui incarnent le choix de la fuite, de l’errance ou de l’engagement dans la milice. Les personnages sont déchirés entre le devoir de fidélité à la terre, à la tradition, aux ancêtres et le désir de fuite à cause d’un paysage aride et expirant.

Bain de Lune - Yanick Lahens C’est d’abord un roman sur les femmes : à la fois mères, sœurs, amantes, sensuelles et divines.

Le narrateur nous offre une plongée dans leurs jardins et leurs secrets. Elles ont effectivement beaucoup d’importance dans l’histoire, dans ce monde où elles transmettent le nom de famille, ce sont elles qui entendent les cris de la terre. Cétoute, la plus jeune de la famille assume jusqu’à la fin sa filiation avec leur ancêtre, symbole d’érotisme et de séduction : « Je suis fille de Fréda ».

Olmène finit à son tour par partir, par fidélité à elle-même. Mais malgré les années, les défunts et les « exilés » sont sans cesse évoqués, rendant ces personnages omniprésents dans leur absence. Une tradition de la mémoire, du souvenir : les ancêtres et les morts sont toujours là.

La langue créole, mêlée à la langue française contribue à créer une atmosphère spirituelle (un glossaire est placé à la fin de l’œuvre pour aider à la compréhension). En effet, l’intégralité de la famille et le village se réunissent pour se connecter avec les « Invisibles » lors des cérémonies, rêves et transes.

Le roman montre un monde paysan à distance prudente de la politique. Ce rejet de la politique entraîne de ce fait une critique. Aussi, le dictateur « l’homme à chapeau noir et lunettes épaisses » parle au nom de ceux qu’il ne comprend plus. La politique est alors à mille lieues de la préoccupation des paysans, qui vivent dans un climat où plane une menace, au fur et à mesure que « ceux qui sont comme nous mais qui ne sont pas nous » envahissent les terres.

Ce roman m’a touché, il est sincère, parfois amer, profondément beau jusqu’à la tristesse. Il est écrit avec une plume tout en légèreté et poésie. On est frappé par la fatalité du destin qui touche les personnages. Yanick Lahens

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renouvelle le genre du roman paysan, grâce à des personnages auréolés de grandeur et de dignité.

Qui est Yanick Lahens?

Née en 1953 à Port-au-Prince sur l’île d’Haïti, elle a fait ses études en France. Professeur de français, intellectuelle, activiste politique, romancière, nouvelliste et essayiste, Yanick Lahens est une femme polyvalente et accomplie. Elle a remporté le RFO, le prix du Roman Français d’Outre mer, pour un ouvrage francophone de fiction. Elle remporte aussi le prix Femina en 2014 pour Bain de Lune.

«Ma mémoire est pareille à ces guirlandes d’algues détachées de tout et qui dansent, affolées sur l ’écume des vagues. Je voudrais pouvoir recoller ces morceaux épars, les raccrocher un à un et tout reconstituer.»

Bain de Lune - Yanick Lahens

Coups de coeur...

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Caroline, Jochem, Heleen et Hugo sont membres d’un quatuor. Caroline et Jochem ont perdu leurs deux enfants lors d’un accident de bus, essayant de se remettre tant bien que mal à vivre malgré l’énorme fissure laissée par leur absence, ils parviennent à trouver quelques instants de répit dans la pratique de la musique. Heleen est infirmière dans le cabinet où travaille Caroline, mariée et mère de trois garçons, elle mène une existence banale, égayée ponctuellement par ses réunions avec le quatuor. Hugo est directeur d’un centre culturel qui n’en a plus que le nom, épuisé par un travail qui lui demande une patience à toute épreuve et voyant son centre laissé à l’abandon, le quatuor devient alors le seul endroit où la musique reprend une place centrale. À ceux là s’ajoute Reinier, autrefois violoncelliste virtuose, le vieil homme dépérit progressivement dans son appartement, isolé par l’âge, la douleur aux genoux et la paranoïa.

Le roman suit le quotidien de ces cinq personnages, évoluant dans un monde oubliant de plus en plus significativement la pratique de la musique classique, ils s’érigent alors comme les derniers bastions d’une culture qui s’effrite.

Plongé à la fois dans la dépression de Caroline, la douleur sourde de Jochem, l’altruisme désespéré d’Heleen, la colère d’Hugo et les délires de Reinier, on ressent et on évolue avec ces personnages, qui paraissent sortir du papier. Si Anna Enquist dresse un portrait assez pessimiste et sombre du monde contemporain, le roman n’est pas totalement dénué de messages positifs. Reinier parvient ainsi à survivre tant bien que mal grâce à l’aide de Djamil, un enfant du quartier adjacent, tandis que Caroline tente de sortir du persistant état dans lequel l’a plongée son endeuillement. Les personnages surpassent alors leurs a priori et leurs peurs afin de vivre un peu mieux dans un monde toujours plus difficile. Entre

Quatuor - Anna Enquist récit du quotidien et critique sociale, le roman nous surprend et prend souvent des virages inattendus, change de ton pour passer du drame au thriller.

Qui est Anna Enquist?

De son vrai nom Christa Widlund-Boer, l’écrivaine naît à Amsterdam et grandit à Delft, aux Pays-Bas. Avant de prendre le surnom d’Enquist, elle fut d’abord psychanalyste et pianiste, après avoir étudié la psychologie clinique à Leyde et le piano au conservatoire de La Haye. Elle abandonne sa carrière de pianiste en 1987 pour se consacrer totalement à l’écriture, ce qui ne l’empêche pas de continuer à pratiquer la musique au sein d’un quatuor. Enquist publie d’abord des poésies avant de s’essayer aux romans avec Le chef-d’œuvre publié en 1994 aux éditions Actes Sud. Auteure prolifique, elle écrira de nombreux romans et poésies, mais seulement une partie parviendra à passer la frontière française, parmi ces ouvrages nous pouvons citer Les Endormeurs, Le Saut, Le Secret ou encore La Blessure. Quatuor est paru en février 2016 aux éditions Actes Sud. Grâce à la construction psychologique rigoureuse et très juste de ses personnages, un amour communicatif pour la musique classique et quelques éléments biographiques sincèrement touchants, Anna Enquist nous délivre un roman à la fois troublant et formateur que nous vous recommandons vivement!

«On est tellement obsédé par le verbe qu’on veut tout nommer, tout expliquer. Le son est indéfinissable. Il faut simplement l ’entendre.»

Quatuor - Anna Enquist

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Les entretiens de Radio Campus Montpellier avec les étudiants de Lettres et les volontaires de Radio Campus :

Vendredi 25 mai

15h-16h : Clément Bénech

Samedi 26 mai

Samedi 11h-12h : Fouad LaouriSamedi 14h-15h : Alexander Münninghoff Samedi 15h-16h : James Morrow

Dimanche 27 mai

Dimanche 11h-12h : Arno BertinaDimanche 15h-16h : Pascale Kramer

Radio Campus L’équipe

Interviews et textes

Anna Ruscelli : [email protected] Vautrin : [email protected]

Lisa Clairotte : [email protected] Frances : [email protected]

Solène Bonnefoi : [email protected] Laurens : [email protected]

Traductions

Laure Camail : [email protected]éphine Damstra

Camille Vautrin : [email protected]

Corrections

Laura Molina : [email protected]émence Dequeker

Graphisme

Anna Ruscelli : [email protected]

Coordination du projet

Margot Laurens : [email protected]

L’équipe...

Radio Campus...

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