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Jonathan FARENC - L’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans la Jurisprudence récente 3 SOMMAIRE PREMIERE PARTIE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° DU CODE DE COMMERCE : LA MISE EN ŒUVRE D’UNE METHODOLOGIE DE RUPTURE PERPETUELLEMENT ORIENTEE VERS LA PRISE EN COMPTE DES ENJEUX ECONOMIQUES TITRE 1 L’EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DU DISPOSITIF LEGAL Chapitre 1 L‟évolution de la notion de « relation commerciale établie » à l‟aune du concept de « relation économique » Chapitre 2 L‟assouplissement de la notion de « rupture brutale » TITRE 2 L’EVOLUTION DU REGIME Chapitre 1 La nature de la responsabilité Chapitre 2 La réparation du préjudice DEUXIEME PARTIE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° DU CODE DE COMMERCE : L’APPLICATION D’UNE METHODOLOGIE DE RUPTURE INADAPTEE AUX FLUCTUATIONS DE L’ECONOMIE TITRE 1 LA NECESSITE DE PRENDRE EN CONSIDERATION LA CONJONCTURE ECONOMIQUE DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° Chapitre 1 Les raisons imposant l‟intégration du facteur économique dans la sanction de la rupture brutale des relations commerciales établies Chapitre 2 Les conséquences de la prise en compte du facteur économique dans la sanction de la rupture brutale des relations commerciales établies TITRE 2 LES ALTERNATIVES A L’INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES ECONOMIQUES DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° : LE NECESSAIRE RAPPROCHEMENT ENTRE LA RUPTURE BRUTALE DE RELATIONS COMMERCIALES ET LES NOTIONS D’IMPREVISION ET DE RENEGOCIATION Chapitre 1 Les circonstances économiques commandant une nouvelle appréciation de la théorie de l‟imprévision par les juges Chapitre 2 La renégociation, une alternative à l‟immobilisme jurisprudentiel face aux ruptures brutales de relations commerciales en période de crise économique

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3

SOMMAIRE

PREMIERE PARTIE

L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° DU CODE DE COMMERCE : LA MISE EN ŒUVRE D’UNE

METHODOLOGIE DE RUPTURE PERPETUELLEMENT ORIENTEE VERS LA PRISE EN

COMPTE DES ENJEUX ECONOMIQUES

TITRE 1 – L’EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DU DISPOSITIF LEGAL

Chapitre 1 – L‟évolution de la notion de « relation commerciale établie » à l‟aune du concept de

« relation économique »

Chapitre 2 – L‟assouplissement de la notion de « rupture brutale »

TITRE 2 – L’EVOLUTION DU REGIME

Chapitre 1 – La nature de la responsabilité

Chapitre 2 – La réparation du préjudice

DEUXIEME PARTIE

L’ARTICLE L. 442-6, I, 5° DU CODE DE COMMERCE : L’APPLICATION D’UNE

METHODOLOGIE DE RUPTURE INADAPTEE AUX FLUCTUATIONS DE L’ECONOMIE

TITRE 1 – LA NECESSITE DE PRENDRE EN CONSIDERATION LA CONJONCTURE

ECONOMIQUE DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5°

Chapitre 1 – Les raisons imposant l‟intégration du facteur économique dans la sanction de la rupture

brutale des relations commerciales établies

Chapitre 2 – Les conséquences de la prise en compte du facteur économique dans la sanction de la

rupture brutale des relations commerciales établies

TITRE 2 – LES ALTERNATIVES A L’INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES

CIRCONSTANCES ECONOMIQUES DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 442-6, I,

5° : LE NECESSAIRE RAPPROCHEMENT ENTRE LA RUPTURE BRUTALE DE

RELATIONS COMMERCIALES ET LES NOTIONS D’IMPREVISION ET DE

RENEGOCIATION

Chapitre 1 – Les circonstances économiques commandant une nouvelle appréciation de la théorie de

l‟imprévision par les juges

Chapitre 2 – La renégociation, une alternative à l‟immobilisme jurisprudentiel face aux ruptures

brutales de relations commerciales en période de crise économique

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INTRODUCTION

1. La crise économique a été génératrice d‟un grand malaise économique et industriel qui a

surtout été ressenti par les entreprises, actrices principales de la vie économique française. Il

est aisé d‟imaginer, et a fortiori de constater, que ce processus de crise, générant un sentiment

d‟instabilité et d‟insécurité pour les entreprises, a engendré de nombreuses tensions au sein

des relations entre les différents partenaires commerciaux. Bien plus, ces mêmes relations ont

pu devenir véritablement fragiles et instables en raison des baisses d‟activité inhérentes aux

périodes de crise. L‟ensemble de ces symptômes peuvent alors conduire, au gré des réactions

obsessionnelles et compulsives des opérateurs économiques, à des ruptures des relations

d‟affaires entre partenaires, souvent brusques.

C‟est alors à ce stade que le Droit entre en scène, puisqu‟à ce titre, et ce depuis 19961, la loi

française envisage la rupture brutale des relations commerciales établies comme un fait

engageant la responsabilité civile de son auteur, au terme des dispositions de l‟article L. 442-

6, I, 5° du Code de commerce qui édictent une véritable « méthodologie » de rupture des

relations commerciales2 que les juges utilisent et adaptent dès lors qu‟ils sont confrontés à de

telles situations.

2. Si une telle mesure pouvait être vue a priori comme une décision relativement clairvoyante

de la part du législateur, car issue de la prise en compte des décisions jurisprudentielles

1 Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales (dite loi Galland)

2 Anne-Julie KERHUEL, l’efficience stratégique du contrat d’affaires, un champ d’application de la liberté

contractuelle, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, préface J. MESTRE, 2010.

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antérieures, elle s‟attira rapidement les critiques d‟une partie des auteurs de doctrine qui

percevaient plus dans ce nouveau dispositif un empiètement du droit de la concurrence sur le

droit commun des contrats qu‟une réelle avancée législative3. Au demeurant, l‟activité des

magistrats bénéficiait d‟un repère textuel des plus confortables pour qualifier et apprécier les

litiges qui allaient désormais se présenter à eux. Aussi, il ne fut pas étonnant de constater

qu‟au sein de l‟ensemble des décisions rendues en matière de pratiques restrictives de

concurrence, une convergence apparaissait à la lumière de l'intérêt porté aux dispositions de

l'article L. 442-6, I, 4° et 5° du Code de commerce concernant la rupture ou menace de

rupture brutale de relations commerciales établies. Et pour cause, un rapport de la Faculté de

droit de Montpellier indiquait que sur les cent quinze décisions rendues à l„initiative des

opérateurs économiques entre 2004 et le premier semestre 2006, quatre-vingt-dix décisions

concernaient l‟application desdites dispositions4. C‟est dire si la maniabilité du texte participa

de son succès auprès des juges. Car en effet, et ce malgré une apparente précision dans sa

rédaction, l‟article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, soufrant d‟une absence de définition

des termes de sa rédaction, laissa un vaste champ d‟interprétation à la jurisprudence qui ne

manqua pas d‟étendre le champ d‟application dudit texte.

3. Car si la sanction de la rupture brutale de relations commerciales établies fut initialement

instituée dans le but de protéger la « capacité concurrentielle des entreprises » et de « prévenir

les abus de déréférencement des fournisseurs par les grands distributeurs »5 au moyen des

mécanismes de la responsabilité civile délictuelle ou contractuelle, il a permis, via les

adaptations jurisprudentielles, d‟englober un champ d‟application beaucoup plus large6.

Or à l‟heure actuelle, et bien que les magistrats aient tenté à bien des égards de modeler

l‟esprit d‟un texte résolument prohibitif, l‟interdiction de la rupture brutale d‟une relation

commerciale établie a, de fait, instauré une véritable inertie contractuelle prolongeant la

3 Voir par exemple Karine LE COUVIOUR, « regards critiques sur la rupture des relations commerciales

établies », RTD com. 2008, n°1, page 1 ; Daniel MAINGUY, « l’esprit et la lettre du nouvel article L442-6 du

Code de commerce », JCP E. 2002 n°48, 1729, page 1914 ; Alexis MOURRE et Christine VILMART,

« Plaidoyer pour une meilleure efficacité du droit français de la concurrence dans l’économie mondiale »,

Contrats Concurrence Consommation n° 12, Décembre 2006, 23. 4 Dominique FERRE, « Bilan 2005-2006 des décisions rendues en matière de pratiques restrictives : quels

enseignements tirer des rapports présentés à la CEPC ? », Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril

2007, étude 6. 5 A. et G. DECOCQ, « Droit de la concurrence interne et communautaire », 2

e éd, LGDJ, 2004.

6 Daniel MAINGUY (sous la direction de), « Dictionnaire de droit du marché », préf. Cl. LUCAS DE

LEYSSAC, Ellipses, 2008.

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liaison des parties au-delà de leurs désirs7. Dès lors, une telle situation ne peut se concevoir, et

ce pour une raison logique de fluidité des relations d‟affaires dans l‟optique de laquelle la

sphère juridique doit être envisagée au service du monde économique. C‟est donc face à la

crise économique mondiale, dont les effets se sont fait ressentir en Europe Occidentale dès la

fin de l‟année 2007, que le carcan restrictif de l‟article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce

révèle aujourd‟hui de sérieux risques de nuisances au détriment des opérateurs économiques.

Aussi, est-il permis de se questionner sur les attitudes à adopter en de pareilles circonstances

quant à l‟utilisation et l‟interprétation d‟un tel dispositif. En effet, tant que la croissance

économique est positive, les relations commerciales ont tendance non seulement à se

maintenir mais aussi à se développer, ce qui peut expliquer qu‟un fournisseur puisse

légitimement penser que la relation se poursuivra en ce sens. En revanche, si l'économie entre

en crise, voire en récession, n'est-il pas aussi naturel de penser que les relations commerciales

vont se contracter et que les commandes vont subir une réduction comparable à celle du

marché ?8 Ne serait-il alors pas nécessaire de procéder à un assouplissement circonstancié des

conditions d‟applications de l‟article L. 442-6, I, 5° en vue de tenir compte des difficultés

économiques rencontrées par les opérateurs dans de telles périodes ?

4. Pêle-mêle, ces divers questionnements reviennent à s‟interroger plus globalement sur le

point de savoir si la jurisprudence s‟est aujourd‟hui adaptée à la nécessaire prise en compte

des fluctuations de la conjoncture économique dans l‟application et l‟interprétation de l‟article

L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Dans l‟affirmative, il serait alors indispensable

d‟analyser dans quelles mesures une telle adaptation est effectuée par le corps magistral.

On dénote aujourd‟hui un paradoxe dans l‟activité judiciaire des magistrats. En effet, si l‟on

observe une tendance jurisprudentielle à l‟extension croissante du champ de l‟article L. 442-6

I 5°, cela manifeste une nette volonté des juges de caractériser la réalité de relations d‟affaires

continues entre les partenaires commerciaux, et de tendre ainsi vers une prise en compte

accrue du facteur économique (Partie 1). Néanmoins, l‟interprétation contemporaine de la

7 Luc-Marie AUGAGNEUR, « La répercussion d’une baisse d’activité sur les fournisseurs et sous-traitants

constitue-t-elle une rupture partielle des relations commerciales établies ? Ou comment la crise révèle un cas

d’imprévision », JCP E. n°18, 30 avril 2009, page 1446. 8 Nicolas MATHEY, «La rupture de relations commerciales établies en période de crise, difficultés

d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en période de crise économique.», Contrats

Concurrence Consommation n° 2, Février 2010, étude 3.

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lettre du texte semble montrer ses limites face à la nécessité de prendre en compte les

conséquences de l‟actuelle crise économique dans l‟activité des entreprises (Partie 2).

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PREMIERE PARTIE

L’ARTICLE L. 442-6 I 5° : LA MISE EN ŒUVRE D’UNE « METHODOLOGIE DE

RUPTURE » PERPETUELLEMENT ORIENTEE VERS LA PRISE EN COMPTE

DES ENJEUX ECONOMIQUES

5. Il apparaît de manière parfaitement claire que les juges s‟attachent, depuis l‟entrée en

vigueur du texte, à étendre l‟application de l‟article L. 442-6, I, 5° à des cas n‟étant

initialement pas voués, au regard de la lettre du texte, à tomber dans l‟escarcelle d‟un tel

dispositif (Titre I). Concomitamment, l‟élargissement du champ d‟application a incité les

magistrats à faire également évoluer le régime juridique des ruptures brutales de relations

commerciales établies, ou tout au moins à préciser leur nature et les modalités de réparation

des préjudices, le tout permettant d‟adapter les dispositions textuelles à l‟économie de chaque

cas d‟espèce (Titre II).

TITRE 1

L’EXTENSION DU CHAMP D’APPLICATION DU DISPOSITIF LEGAL

6. Littéralement, la notion de « rupture brutale de relation commerciales établies » est bornée

par une délimitation précise quant aux types de cas concernés. Et pour cause, il était

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traditionnellement envisagé de ne faire bénéficier ce régime de responsabilité qu‟aux

situations où n‟étaient établies que de strictes relations dites « commerciales ». Or, bien vite la

notion s‟est vue pâtir de la rigidité de ce concept et du faisceau de valeurs surannées qu‟il

impliquait9. En effet, et bien que la règlementation ait été à la base conçue pour encadrer les

relations entre l‟Industrie et le Commerce (relations fournisseurs-distributeurs), et notamment

les hypothèses de déréférencement abusif susceptibles d‟être commises par les entreprises de

la grande distribution, les magistrats ont progressivement étendu son champ d‟application

pour permettre à des opérateurs insérés dans des relations d‟une autre nature de bénéficier du

régime protecteur établi. L‟activité jurisprudentielle tend aujourd‟hui à privilégier la notion de

« relation économique » (Chapitre 1). Dès lors, cette évolution s‟est également accompagnée

d‟un assouplissement de l‟idée de « la rupture brutale », notamment en ce que de nouvelles

formes de ruptures devaient nécessairement être appréhendées comme de véritables

comportements fautifs (Chapitre 2).

CHAPITRE 1

L’EVOLUTION DE LA NOTION DE « RELATION COMMERCIALE ETABLIE » A

L’AUNE DU CONCEPT DE « RELATION ECONOMIQUE »

7. Il apparaît dans bon nombre de décisions que le facteur économique tend à être pris en

compte afin de faire mouvoir la notion de « relation commerciale établie », et ce à deux

égards. En effet, il s‟est d‟abord avéré que le terme « établi », flou et rigide, réduisait la

possible application du texte à une multitude de situations qui, bien que non formalisées dans

un cadre contractuel classique et structuré, s‟inscrivaient dans une certaine durée (section 1).

De même, les relations dites « commerciales » ne pouvaient plus s‟entendre au sens strict du

terme, celui-ci ayant une consonance dépassée et non représentative de l‟actuel monde des

relations d‟affaires auquel est susceptible de s‟appliquer la sanction prévue à l‟article L. 442-

6, I, 5° (section 2).

9 Dominique LEGEAIS, Droit commercial et des affaires, 19

e éd. Sirey université

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SECTION 1 - LE RENOUVELLEMENT DE L’IDEE RIGIDE DE « RELATION

ETABLIE » VIA LE CRITERE DE « STABILITE » DE LA RELATION

8. Parce que le texte de l‟article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce mentionne la rupture

d‟une « relation commerciale établie » et non d‟une relation « contractuelle », la jurisprudence

se référait, pour apprécier l‟existence d‟une telle relation, à la réalité de celle-ci et non à sa

formalisation juridique10

. Aussi, à l‟origine des premiers contentieux, un triptyque traditionnel

servant à qualifier une relation d‟ « établie » guidait les juges dans l‟application du texte.

Trois critères tenant alors à l‟intensité, à la durée et à la continuité de la relation permettaient

de désigner une relation entre partenaires commerciaux comme établie. De cette solution,

conforme à l‟esprit d‟un texte instauré pour protéger les opérateurs en proie aux abus de leurs

partenaires, il en résultait, par exemple, que la rupture d‟un simple courant d‟affaires, non

formalisé par un contrat particulier, pouvait entraîner la responsabilité civile délictuelle de son

auteur11

.

9. Or à l‟heure actuelle, il semble que ces critères ne soient plus le pendant indispensable au

travail analytique des juges pour apprécier la réalité de la relation commerciale au sein de

chaque cas d‟espèce. En effet, et ce au gré des spécificités de chaque affaire, on observe tantôt

l‟occultation du critère d‟intensité, tantôt la disparition du critère de continuité.

C‟est notamment face à ce dernier référent que la Cour de cassation prend de plus en plus de

distance, en ce qu‟elle énonce elle-même que la qualification de relations commerciales

établies n'est pas conditionnée par l'existence d'un échange permanent et continu entre les

parties. Si elle avait déjà jugé par le passé que les dispositions de l‟article L. 442-6, I, 5° du

Code de commerce s‟appliquaient en présence d‟une succession de contrats12

, la Cour va

aujourd‟hui jusqu‟à déclarer qu‟une succession de contrats ponctuels peut être suffisante pour

caractériser une relation commerciale établie13

. C‟est dire si l‟analyse des juges fait fi du

critère d'intensité jusqu'à présent usité pour qualifier une relation d'établie. Bien plus, ces

derniers paraissent désormais préférer une nouvelle grille analytique basée sur les notions de

régularité et de stabilité. C‟est à l‟issue d‟une affaire opposant une société à un négociant de

10

Mémento pratique Concurrence Consommation, éd. Francis Lefebvre, 2009-2010. 11

Cass. Com. 28 février 1995, n°90-16.437 12

Cass. Com. 6 juin 2001, Bull. civ. 2001, IV, n° 112 13

Cass. Com. 15 septembre 2009, n°08-19.200

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11

vin bénéficiant, depuis dix ans, d‟une réservation d‟un stand à la Foire de Paris qu‟a ainsi pu

être jugé que la succession des contrats de stand, lors de la manifestation commerciale ne se

tenant que quelques jours par an, comportait un caractère de stabilité et de régularité propre à

qualifier la relation d‟établie, pourvu que les contrats successifs aient un objet identique. Dans

une logique identique, une relation de partenariat entre deux sociétés concrétisée par la

reconduction systématique d'année en année et l'amplification de leur courant d'affaires, sans

mise en concurrence formalisée avec d'autres distributeurs, est propre à fonder le caractère

établi de la relation d‟affaires14

. Dès lors, il est aisé de déduire du raisonnement adopté par les

magistrats de la Cour de cassation qu‟une relation établie n‟implique pas l‟existence d‟un

accord d'exclusivité, ni même plus généralement de contrats d'approvisionnement ou de

convention-cadre entre les parties. Bien au contraire, on peut légitimement penser que les

dispositions contenues aujourd'hui à l'article L. 442-6, I, 5° tentent d‟être utilisées et adaptées

par les juges afin de combler le vide entre la relation contractuelle formelle et les contrats

totalement indépendants15

. A ce titre, il convient alors d‟évoquer brièvement la notion de

« contrat relationnel » que certains auteurs estiment comme propice à parfaire l‟analyse

économique en droit français des contrats16

. En effet, c‟est à partir d'une analyse économique

du droit reprise par les juristes américains qu‟une partie de la doctrine française prône le

dépassement du strict cadre contractuel pour lui préférer un cadre dit "relationnel" en vue de

permettre la préservation de la relation contractuelle face aux imprévoyances de nature

économique17

. Il convient néanmoins à ce stade de ne pas développer d‟avantage cette notion

qui aura tout lieu d‟être étudiée plus longuement dans les développements ultérieurs.

En tout état de cause, l‟idée de stabilité de la relation entre opérateurs semble ainsi prendre le

pas sur les trois critères classiques évoqués précédemment. Bien que le terme, flou et non

défini, soit tout autant propre à créer une insécurité juridique que les notions de continuité et

d‟intensité, il n‟en demeure pas moins que les juges y paraissent à présent attachés. Aussi, en

exigeant que la relation, pour être établie, soit suffisamment stable pour que la brutalité de la

14

CA Rennes 26 octobre 2010, n°338, 09/04745 15

Nicolas MATHEY, « Une succession de contrats peut caractériser une relation commerciale établie »,

Contrats Concurrence Consommation n° 11, Novembre 2009, comm. 265 sous Cass. Com. 15 décembre 2009

n°08-20.242 16

Arnaud CERMOLACCE et Vincent PERRUCHOT-TRIBOULET, « Durée dans les contrats », JurisClasseur

Contrats-Distribution, Fascicule 70. 17

Yves-Marie LAITHIER, « A propos de la réception du contrat relationnel en droit français », Recueil Dalloz

2006, page 1003.

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12

rupture vienne contrarier les prévisions légitimes du partenaire18

, ces derniers confirment la

conception de la notion de « relation commerciale établie » exposée au sein du rapport annuel

de la Cour de cassation pour 2008. Il ressort de ce rapport que la relation commerciale devait

revêtir un caractère suivi, stable et habituel de sorte que la victime de la rupture « pouvait

raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son

partenaire commercial », flux d‟affaires qui peut être soit un contrat en cours, soit « une

pratique passée »19

. Plus précisément, cette condition de stabilité de la relation commerciale

traduit l‟exigence selon laquelle la « victime » de la rupture doit « légitimement » s‟attendre à

une telle stabilité de la relation20

. Cela suppose que cette stabilité ne relève pas d'un contrat la

fondant, et donc que les relations soient une succession de contrats qui s'étagent dans la durée,

impliquant ainsi pour les magistrats l‟obligation d‟une appréciation au cas par cas du

contentieux issu de la rupture de la relation. À partir du principe d'anticipation raisonnable

d'une poursuite ou d'une interruption des relations, en fonction du comportement de l'autre

partie, la Cour de cassation invite les juridictions du fond à forger une appréciation in

concreto de la croyance probable à la pérennité des affaires. On constate alors l‟impératif de

redécouvrir la racine du terme "établi", synonyme de "stable"21

.

10. Par suite, l‟idée de « stabilité » a notamment permis à la jurisprudence d‟intégrer les

relations et négociations précontractuelles dans le champ d‟application de l‟article L.442-6, I,

5°22

. A cette occasion, alors qu‟aucun lien contractuel n‟existait entre les parties et en

l‟absence de tout accord de volontés entre ces dernières, même tacite, de simples pourparlers

entre deux opérateurs (en l‟espèce un mandant et un agent commercial) ont été jugés comme

présentant un caractère suffisamment stable pour façonner une relation commerciale établie.

En faisant ainsi référence une énième fois au caractère stable et suivi de la relation, la Cour de

cassation écarte le fondement de la rupture fautive des pourparlers, bien que semblant plus

approprié aux circonstances de l‟espèce, pour faire application de l‟article L. 442-6, I, 5° du

Code de commerce en considération des effets économiques concrets et bénéfiques pour

18

Cass. Com. 15 décembre 2009, n°08-20.242 - Voir notamment Luc-Marie AUGAGNEUR, « L'anticipation

raisonnable de la rupture des relations commerciales. À propos d'un non-revirement de la Cour de cassation »,

JCP E 2009, 1969. 19

Rapport annuel de la Cour de cassation 2008, p. 307, www.courdecassation.fr 20

Cass. Com. 18 mai 2010, n°08-21.681 21

Daniel MAINGUY, « Quand la relation commerciale établie doit être une relation…stable ? »,

www.lexcellis-avocats.fr 22

Cass. Com. 5 mai 2009, n° 08-11.916

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13

l‟auteur de la rupture. Or, force est de constater que la différence entre relation établie et

relation stable reste toutefois bien subtile, en ce que le flou de la terminologie laisse apparaître

une forme de laxisme dans l'appréciation de cette condition d'application du mécanisme de

responsabilité23

. Au demeurant, le raisonnement des juges invite une nouvelle fois, sur un

plan théorique, à se questionner quant à l‟opportunité d‟un éventuel renouvellement tant de la

notion de « contrat » que celles de « relation » et d‟ « engagement », à la suite d‟une partie de

la doctrine contemporaine24

.

Dans le prolongement d‟une telle logique, l‟entreprise d‟extension de la notion de relation

commerciale établie au-delà du cadre contractuel formel s‟est poursuivie, en ce qu‟elle a été

étendue aux relations post-contractuelles25

. Ainsi, et peu importe que le cocontractant n'ait pu

légitimement croire à la pérennité de la relation, la question de savoir s‟il pouvait y avoir, au-

delà du contrat, une relation commerciale établie reçut une réponse positive. Cependant, il est

étonnant de constater que la Cour de cassation, pour édicter une telle solution, écarte

clairement le critère de l‟attente légitime de stabilité de la part de la victime de la rupture26

.

11. En définitive, bien loin du semblant de frein à leur politique d‟extension du champ

d‟application de l‟article L. 442-6, I, 5°27

, les juges semblent être enclins aujourd‟hui à

admettre que la notion de relation commerciale établie est beaucoup moins formelle que la

notion de contrat28

. Il ressort en effet que la notion de relation établie est indifférente au

support juridique du courant d'affaires et qu'elle est essentiellement une réalité économique.

C'est, au demeurant, ce que relevait la doctrine dont la synthèse du droit positif consistait à

considérer que la notion de relation commerciale établie « couvre même les relations non

inscrites dans un contrat-cadre et consistant simplement en un “courant d'affaires” dès lors

qu'elles sont établies »29

. Pourtant, si les anciens critères d‟intensité et de continuité, servant à

qualifier la relation commerciale d‟ « établie », créaient une nette insécurité juridique, il n‟est

pas sûr que cette dernière ait complètement disparue avec la nouvelle référence à la stabilité

23

Nicolas MATHEY, « Rupture de relation commerciale et négociation », Contrats Concurrence Consommation

n° 7, Juillet 2009, comm. 191. 24

Anne DANIS-FATOME, Apparence et contrat, LGDJ 2004, préface G. Vinet ; GRIMALDI, Quasi-

engagement et engagement en droit privé, Defrénois 2007. 25

Cass. Com. 24 novembre 2009, n°07-19.248 26

Cf. Supra, n°9. 27

Cass. Com. 16 décembre 2008, n°07-15.589 28

Marie MALAURIE-VIGNAL, « Droit de la distribution », Sirey université, 2006, n°682 29

Christophe LACHIEZE, « La rupture des relations commerciales à la croisée du droit commun et du droit de

la concurrence », JCP E 2004, 1815.

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de la relation. L‟application de ce critère avant-gardiste étant laissée au bon vouloir des juges,

on peut légitimement craindre que la jurisprudence future relative au caractère établi des

relations commerciales entre opérateurs ne s‟avère, elle…pas stable.

SECTION 2 - DU CONCEPT DESUET DE « RELATION COMMERCIALE » VERS

CELUI DE « RELATION ECONOMIQUE »

12. Outre le caractère établi de la relation, son aspect commercial a lui aussi été source d‟une

évolution récente et majeure dans l‟appréciation du champ d‟application du mécanisme de

responsabilité de l‟article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce par les magistrats. Il apparaît

en effet que la jurisprudence tende à appliquer ce dernier à un nombre croissant de relations,

quel que soit le statut juridique de la victime de la rupture, et ce même lorsque ces relations

n'ont pas a priori une nature que l‟on pourrait a priori qualifier de « commerciale ».

Aussi, et parce qu‟une partie majoritaire de la doctrine admet aujourd‟hui que le droit

commercial est devenu beaucoup trop étroit quant à son domaine d‟application et à la matière

qu‟il régie pour faire face aux problèmes juridiques contemporains, convient-il de bien

s‟entendre sur la définition même de la notion de « relation commerciale ». Si en effet une

relation entre deux opérateurs est qualifiée de « commerciale », il paraitrait dès lors légitime

de la rattacher à ce qui est traditionnellement désigné comme étant le droit commercial, ce

dernier étant la branche du droit privé qui régit un certain nombre d‟activité économiques

(l‟accomplissement d‟actes de commerce) et de personne qui s‟y livrent (à l‟origine les

commerçants) visées expressément par le Code de commerce30

. Or il est aisé de constater que

cette définition de la matière commerciale ne peut décemment pas correspondre au champ

d‟application que la jurisprudence donne à l‟heure actuelle à la rupture brutale de relations

commerciales établies. Comme le fait judicieusement remarquer le Professeur Dekeuwer-

Défossez, c‟est parce qu‟il existe « un monde économique global, obéissant au même

impératif de rentabilité, qui se moque des clivages byzantins entre droit civil et commercial »

que le domaine d‟application de ce dernier ne peut pas être pris pour référence.

30

Edith BLARY-CLEMENT et Françoise DEKEUWER-DEFOSSEZ, «Droit commercial», éd. Montchrestien,

2010, n°38

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13. Ainsi, l‟application extensive de la notion de « relation commerciale établie » amène les

juges à reconnaître aisément dans les relations dont ils ont à connaître les caractères de

commercialité nécessaires, d‟après la lettre du texte légal, à l‟application du régime. En

appliquant alors les dispositions sanctionnant la rupture brutale d'une relation commerciale

établie à une association et en approuvant qu'une relation commerciale peut naître entre un

commerçant et un non-commerçant, la Cour de cassation s'inscrit assurément dans le courant

donnant à la notion de relation commerciale un fondement économique et permettant une

analyse de celle-ci au regard de la nature de l'activité exercée par les parties31

. Loin du débat

sur la commercialité des associations, les magistrats semblent s‟attarder sur le lien et la

connexité qui unissent les partenaires et, s‟inscrivant dans un flux d'échanges durables de

biens et de services, permettent assurément de déterminer que l‟activité est économique, ce

qui donne naissance à une relation commerciale32

. De ce raisonnement adopté par les juges, il

est alors facilement déductible que ni le statut juridique, ni le mode de financement de l'entité

victime de la rupture, ni même le but qu‟elle poursuit ne sauraient avoir pour effet d'écarter la

qualification de relation commerciale dès lors que cette victime entretient des rapports

économiques avec l‟auteur de la victime. Pour autant, si une telle analyse apparaît à la lumière

des solutions citées, on ne peut occulter la volonté sous-jacente d‟encadrer ladite activité

économique. Or l'élargissement en tout sens du domaine d'application de l'article L. 442-6, I,

5° du Code de commerce ne montre-t-il pas l'intérêt que représente, dans la sphère juridique,

le concept de relation pour moraliser la vie des affaires33

? Quoi qu‟il en soit, la

caractérisation d‟une activité économique comme support de la relation commerciale semble

annoncer une probable recrudescence des invocations de l'article L. 442-6, I, 5° par toute

entité personne morale, commerçante ou non, intervenant dans le monde des affaires.

Pareillement, il a été jugé que l'article L. 442-6, I, 5° avait également vocation à régir les

effets d'une rupture subie par un architecte. La motivation retenue pour justifier une telle

solution, tendant une nouvelle fois à illustrer la généralisation de l'application de la notion de

relation commerciale établie, est à cet égard intéressante. En effet, si la Cour d‟appel avait

retenu que les prestations réalisées par un architecte, purement intellectuelles et exclusives de

toute acquisition antérieure en vue de les revendre, étaient par essence civiles, les juges de la

31

Cass. Com. 6 février 2007, n°03-20.463 32

Claude LUCAS DE LEYSSAC et Gilbert PARLEANI, « Droit du marché », PUF, coll. Thémis Droit privé,

2002, page 949. 33

Audrey CATHIARD, « L’indifférence de la qualité de la victime dans la rupture d’une relation commerciale

établie », Recueil Dalloz 2007, page 1317.

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chambre commerciale de la Cour de cassation estimèrent que « toute relation commerciale

établie, qu'elle porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service, entre dans le

champ d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce [...] »34

. Bien qu‟il ait

déjà été admis qu‟entrait dans ce dernier « toute relation commerciale établie », que celle-ci

porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de services35

, il semble toutefois

qu‟une ultime étape soit franchie vers l‟exclusion définitive de la qualité de commerçant ou

d‟industriel en tant que condition d‟existence d‟une relation commerciale. S‟il ne fait pas de

doute que la « prestation intellectuelle » entre dans la catégorie des prestations de service, la

question se posait en outre de savoir si elle s‟inscrivait dans une relation commerciale ou si

elle constituait une activité par essence civile. En édictant alors sa propre définition de la

relation commerciale, à savoir une opération portant sur la fourniture d'un produit ou d'une

prestation de service, la Cour fait usage d‟un syllogisme bien commode afin de dépasser une

fois pour toute le clivage napoléonien entre activité à caractère commercial et activité de

nature civile. Ainsi, si une relation commerciale s‟apparente à toute opération tenant à la

fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (majeure) et que, dans le même temps,

la « prestation intellectuelle » entre dans la catégorie des prestations de service (mineure),

alors une prestation intellectuelle peut constituer le support d‟une relation commerciale

(conclusion). Teinté d‟un esprit résolument proche de celui des juges communautaires, le

raisonnement des magistrats français, y compris les juges du fond36

, fournit en l‟espèce un

nouvel exemple criant du caractère déterminant de la conception d‟activité économique pour

apprécier désormais les rapports entre les opérateurs qui se prévalent des dispositions de

l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.

Pour pousser à son paroxysme la décrépitude de cette condition de « commercialité »,

normalement nécessaire à l'application de l'article L. 442-6-I, 5°, la jurisprudence est allé

jusqu‟à considérer qu‟une relation commerciale pouvait se nouer avec un établissement

d'enseignement privé général non commerçant37

, voire même avec une société exploitant une

chaîne de télévision du service public. Dans cette dernière affaire opposant la société

« France 2 » à une société de conception et de production et à une agence de presse, les juges

d‟appel considérèrent que les deux sociétés exploitant des chaînes du service public ne

34

Cass. Com. 16 décembre 2008, n°07-18.050 35

Cass. Com. 23 avril 2003, Bull. civ. IV, n° 57 36

Voir par exemple Tribunal de commerce de Toulouse, 25 septembre 2008, Lettre distrib. Octobre 2008, page

1, obs. Vertut et Mouly 37

CA Paris 29 février 2008, JurisData n°2008-357630

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pouvaient soutenir que les relations commerciales en matière de production audiovisuelle

étaient, par la nature même de l'activité, instables et insusceptibles d'être établies au sens de

l'article L. 442-6-I 5° du Code de commerce38

. En effet, c‟est au terme d‟un raisonnement

ouvertement fondé sur des considérations relatives aux enjeux économique et à l‟économie de

marché qu‟il fut décidé que la production audiovisuelle relevait non pas de la propriété

intellectuelle, mais du droit commun des relations commerciales. Assurément, le marché de la

production audiovisuelle constitue un marché en pleine extension aux enjeux économiques

particulièrement importants, bien que soumis, sur certains aspects, à une réglementation qui

lui est spécifique, à l'instar de nombre d'activités économiques en ce qui concerne leurs

domaines propres d'intervention. Bien que l‟arrêt fût par la suite cassé au motif que les juges

d‟appel auraient dû vérifier si la société de production pouvait légitimement s'attendre à la

stabilité de la relation39

, il y a lieu de constater une approche radicalement axée sur

l‟englobement des relations commerciales à toutes relations d‟ordre économique.

C‟est en fin d‟année 2010 que la Cour de cassation est certainement venue mettre une forme

de point d‟orgue à sa nouvelle approche vis-à-vis des relations commerciales en décrétant que

l‟activité des sociétés d‟assurance mutuelles est de nature civile mais n‟est aucunement

incompatible avec l'activité commerciale. La notion de « prestation de service » est alors une

nouvelle fois mise à l‟honneur, puisqu‟elle est tout à la fois le point de départ et l‟élément

déterminant de l‟argumentation des juges. En l‟occurrence, le régime juridique des sociétés

d‟assurance mutuelles ainsi que le caractère non lucratif de leur activité, ne sont pas de nature

à les exclure du champ d'application des dispositions relatives aux pratiques restrictives de

concurrence dès lors qu'elles procèdent à une activité de service.40

Or cette fois-ci, la Cour brandit l‟étendard de l‟article L. 410-1 du Code de commerce, lequel

énonce que les règles énoncées au livre IV dudit code, au nombre desquelles figurent les

dispositions de l'article L. 442-6, I, 5°, concernent toutes les activités de production, de

distribution ou de services. Ces dispositions ayant une portée générale offrent un fondement

des plus avantageux, l‟esprit de leur rédaction ayant permis à la jurisprudence antérieure de

construire sa propre définition de la notion d‟ « activité économique ». En effet, il était déjà

bien établi que le régime juridique sous lequel s‟exerçaient les activités visées par l‟article

L. 410-1, de même que leur caractère non lucratif, n‟étaient pas de nature à exclure leur

38

CA Paris 8 octobre 2008, JurisData n°2008-370476 39

Cass. Com. 18 mai 2010, n° 08-21.681 40

Cass. Com. 14 septembre 2010, n°09-14.322, F-P+B

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application dès lors qu‟il s‟agissait d‟activités économiques de production, de distribution ou

de services41

. A présent, voilà que les juges semblent vouloir entériner la déterminabilité du

champ d‟application de l'article L. 442-6, I, 5° en considération de la nature des activités des

opérateurs en cause.

Par exception, il convient d‟évoquer très brièvement que la jurisprudence a exclu l'application

du régime de la rupture brutale de relations commerciales établies lorsque, de manière

expresse, le statut professionnel ou les principes déontologiques régissant une profession

interdisaient son exercice à titre commercial. La notion de rupture brutale de relations

commerciales établies ne fut dès lors pas retenue dans le cadre d'une relation liant des

médecins à une clinique42

ni entre un notaire et son client43

.

14. En définitive, l‟existence d'une simple relation « économique » ou d'une relation

« d'affaires » semble à ce jour suffire à entraîner l'application des dispositions de l'article

L. 442-6, I, 5 du Code de commerce. De même, les juges admettent sans équivoque qu‟il n‟y

a plus lieu de distinguer entre les activités économiques de nature commerciale et celles qui

sont de nature civile, le clivage entre activités économiques et activités non économiques

tendant à supplanter la distinction traditionnelle entre activité commerciale et activité civile.

La caractérisation d'une activité économique comme clé de voûte de la relation commerciale

pourrait ainsi entraîner le rattachement d'un véritable corps de règles économiques applicables

à toutes entreprises, commerçantes ou non, intervenant dans le monde des affaires. Dans cette

nouvelle construction d'une réglementation de la rupture des rapports d'affaires, la

jurisprudence exposée enseigne que l'élément central de l'application du dispositif de l'article

L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est l'existence, non pas d'un lien commercial entre les

partenaires, mais d'une relation qui présente une certaine durée et une certaine intensité,

laissant supposer qu'elle a vocation à perdurer.

Toutefois, on ne peut décemment pas aller jusqu‟à conclure à une automaticité dans

l‟application des dispositions relatives à la rupture brutale de relations commerciales

établies44

. S‟il ne suffit pas d'observer une relation commerciale établie pour que sa rupture

41

Voir par exemple pour des mutuelles, Cass. Com. 21 octobre 1997, n° 95-14.457, Bulletin civil 1997, IV, n°

270 page 234 ; des organisations syndicales, Cass. Com. 15 janvier 2002, n° 00-13.059, Bulletin civil 2002, IV,

n° 15 page 15 ; des ordres professionnels, CA Paris, 13 novembre 2002, n° 2002/05786, 2002/05789. 42

Cass. Com. 23 octobre 2007, n°06-16.774 43

Cass. Com 3 avril 2007, n°06-10.256 44

Cass. Com. 16 décembre 2008, n°08-13.423

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soit automatiquement abusive, celle-ci doit présenter un certain degré de brutalité que les

juges apprécient avec de plus en plus de souplesse.

CHAPITRE 2

L’ASSOUPLISSEMENT DE LA NOTION DE « RUPTURE BRUTALE »

15. La brutalité de la rupture s‟analyse classiquement à deux égards. Bien entendu,

l‟engagement de la responsabilité d‟un opérateur n‟a pas lieu d‟être si aucune rupture n‟est

intervenue pour briser partiellement ou totalement le courant d‟affaires. Les juges s‟avèrent

alors assez accueillants et protecteurs vis-à-vis des « victimes » en ce qu‟ils admettent que la

« rupture » s‟apparente à une notion protéiforme (section 1). Du reste, la rupture doit se

justifier comme brutale, notamment suite à l‟identification d‟un préavis de rupture insuffisant

ou inexistant (section 2).

SECTION 1 - LA MULTIPLICITE DES FORMES DE RUPTURE

16. Alors que la raison d'être de la modification de l'article L. 442-6 était de sanctionner le

déréférencement partiel, la jurisprudence a donné une plus grande portée au texte comme l'y

autorisait d'ailleurs la lettre de celui-ci. Elle est venue à ce titre reconnaître plusieurs formes

de ruptures, parmi lesquelles la rupture dite « partielle » de relations commerciales établies est

venue embellir les contentieux. L‟observation de cette dernière comme une véritable forme de

rupture à part entière s‟avérait toutefois nécessaire dans un but premier de protection des

opérateurs économiques en proie aux comportements abusifs, prémédités et étalés dans le

temps. En effet, bon nombre d‟entreprises, hors contexte de difficultés économiques,

souffraient des agissements de certains de leurs partenaires visant à vider petit à petit les

relations de leur substance, notamment en amoindrissant les commandes et les achats.

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Toutefois, la reconnaissance de la rupture partielle de relations commerciales établies n'est

pas allée sans hésitation. M. Beauchard avait notamment exprimé sa réticence sur ce point45

.

Il avait très justement relevé qu'une diminution de commandes pouvait « tout simplement être

due à une baisse d'achat des consommateurs sur tel ou tel produit ou à un changement de goût

de la clientèle, à l'arrivée sur le marché de produits concurrents qui attirent la clientèle, au fait

qu'un produit finisse par se démoder […]». Il en déduisait qu'il était nécessaire de reconnaître

au distributeur le droit d'adapter ses commandes à la demande effective. Malgré cela, et bien

que le législateur ait consacré la rupture partielle de relations commerciales établies depuis

l‟année 200146

, les juges assimilent parfaitement aujourd‟hui la rupture partielle à une rupture

ordinaire47

. Dans l‟arrêt donnant lieu à une telle solution, les juges relevèrent que la

diminution des commandes résultait d'un changement de politique et de stratégie d'achats de

la société auteure du pourvoi qui entendait privilégier le réassort auprès de ses fournisseurs

initiaux et non plus recourir aux fournisseurs de "dépannage", telle la société victime de la

réduction des achats. Pareil raisonnement laisse ainsi entrevoir la place prépondérante

qu‟entendent donner les magistrats à la stratégie volontaire en tant qu‟élément déterminant de

la rupture partielle, et plus globalement de la rupture des relations commerciales établies. En

suggérant clairement que la rupture doit provenir d'un fait volontaire résultant d'un choix

stratégique d'achat48

, les juges marquent leur volonté de banaliser la rupture partielle et d‟en

reconnaître le caractère actuel et équivalent à la rupture totale des relations commerciales. Dès

lors, si une rupture ne peut intervenir sans agissements prémédités et conjecturés, cette

volonté de parvenir à la cessation des relations implique une modification « injustifiée » de

l'équilibre économique du contrat support de la relation49

. A contrario, il apparaît alors

possible de déduire que la rupture involontaire n'en est pas une lorsqu'il existe des

justifications économiques qui expliquent la modification des relations commerciales. Quoi

qu‟il en soit, la rupture brutale d'une relation commerciale établie semble pouvoir résulter, à

bien examiner la position des magistrats, de toutes circonstances dénotant de la part de leur

auteur la volonté de parvenir à la cessation de la relation sans nécessairement manifester cette

volonté de manière explicite.

45

Jean BEAUCHARD, « Réflexion sur le déréférencement abusif », LPA, 7 février 1997, n° 17, page 13 46

Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (dite loi « NRE ») 47

Cass. Com. 23 janvier 2007, n°04-16.779 48

Cass. Com. 23 janvier 2007, n°05-13.189 49

CA Aix-en-Provence 8 février 2007, JurisData n°2007-335031

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Par la suite, les juges ont fourni plusieurs exemples de ruptures partielles de relations

commerciales. Il résulte alors de la plupart des arrêts que les raisonnements adoptés pour

identifier la présence d‟une rupture partielle semblent s‟attacher aux détails de chacune des

situations d‟espèce. Le plus souvent, l'ampleur de la rupture dite partielle était souvent

considérable, voire quasiment totale50

. Il a ainsi pu être considéré que sur une période de huit

mois, une diminution substantielle et brutale du volume de produits passant de 11 à 91%

s‟apparentait à une rupture partielle des relations commerciales51

, tout comme une baisse du

volume total des commandes de l‟ordre de 80%52

.

17. Ainsi, en ce qu‟elle considère que la baisse de commandes est une forme de rupture

partielle de relations commerciales, même en l‟absence d‟engagement de maintenir un

volume d'affaires précis, la jurisprudence se livre sans nul doute à un élargissement de la

portée du texte de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce puisque la baisse de

commandes est assimilée à une forme de rupture partielle.

En outre, la plupart des solutions jurisprudentielles laissent souvent transparaître une analyse

faisant émaner une prise en compte tant de l‟activité de l‟auteur de la rupture que de

l‟étroitesse des liens qui unissaient les partenaires commerciaux afin de mesurer l‟effectivité

de la rupture. Une fois de plus, voilà que les juges semblent s‟attacher à faire prévaloir la

nature des activités des opérateurs en cause et le degré de connexité entre eux comme les

indices principaux d‟applicabilité de l'article L. 442-6, I, 5°. L‟utilisation de ces critères

éminemment subjectifs participent de l‟orientation vers l‟étude des enjeux économiques que

soulève chaque contentieux pour juger de l‟opportunité de l‟application du régime de la

rupture brutale des relations commerciales établies.

En tout état de cause, l'application des dispositions du Code de commerce n'est pas

subordonnée au motif de la rupture, le texte n'exigeant nullement que la rupture soit motivée.

Par conséquent, ce n'est pas la cause de la rupture qui engage la responsabilité de son auteur

mais bel et bien le caractère brutal de la fin des relations commerciales.

50

CA Nîmes, 12 févr. 2009, JurisData n° 2009-008174 51

CA Orléans 29 mai 2008, JurisData n°2008-367264 52

CA Paris, 3 juillet 2009, JurisData n° 2009-009620

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SECTION 2 - LA BRUTALITE DE LA RUPTURE ET LA DUREE DU PREAVIS

APPRECIEES AU REGARD D’UNE ANALYSE MULTIFACTORIELLE

18. En principe, la résiliation d‟un contrat à durée indéterminée ou la décision de faire échec à

un mécanisme de renouvellement d‟un contrat à durée déterminée ne dépendent d‟aucune

autre condition que le respect d‟un préavis et d‟un délai de préavis53

. Aussi, la rupture brutale

est celle qui intervient sans préavis écrit. Avant même que l'article L. 442-6, I, 5° n‟impose à

tout producteur, commerçant ou industriel de respecter un préavis écrit de rupture tenant

compte de la durée de la relation commerciale, la jurisprudence encadrait déjà, avant 1996, la

rupture des relations commerciales en appréciant et en fixant la durée du préavis54

. Si certains

critères extra-juridiques étaient alors pris en compte, il semble que la tendance ne se soit pas

inversée dans les décisions actuelles. Car si la durée du préavis est aujourd‟hui principalement

liée à la durée de la relation d‟affaires (paragraphe 1), une multitude d‟autres critères ont fait

leur apparition dans la grille de lecture des juges afin que la réalité des enjeux de chaque

situation puisse recevoir un traitement adaptée (paragraphe 2).

Paragraphe 1 - La durée du préavis liée à la durée de la relation d’affaires

19. L'exigence d'un préavis écrit ne pose pas de problème particulier au plan juridique mais

peut en revanche être source de graves difficultés du point de vue des relations commerciales.

En revanche, l'exigence d'un préavis raisonnable, liée à la durée de la relation d‟affaires, est

davantage source de difficultés en période de crise. Sans doute, lorsque la conjoncture se

dégrade, la protection du cocontractant peut se justifier dans la mesure où il peut lui être

d'autant plus difficile de se retourner vers un autre opérateur55

.

53

Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, « Droit des obligations », Ellipses, 2008, n°322 54

Marie MALAURIE-VIGNAL, « Droit de la concurrence interne et communautaire », 4e éd. Sirey université,

n°268 55

Nicolas MATHEY, «La rupture de relations commerciales établies en période de crise, difficultés

d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en période de crise économique.», Contrats

Concurrence Consommation n° 2, Février 2010, étude 3.

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Initialement, le préavis a pour objet d‟assurer la reconversion du partenaire économique, ce

qui justifie que sa durée dépende de la durée de l‟ancienneté de la relation contractuelle56

. Dès

lors, L‟exigence d‟un préavis raisonnable tenant compte de l‟ancienneté des relations s‟avère

être une règle d‟ordre public, en ce qu‟elle s‟impose de manière générale malgré toute

stipulation contractuelle57

. Le préavis peut être fixé dans le contrat, notamment lorsqu'il existe

un contrat-cadre. En principe, dès lors qu'un délai de préavis est contractuellement fixé, il ne

devrait pas pouvoir être remis en cause par les magistrats. Or dans la mesure où l‟article L.

442-6, I, 5° est un texte d‟ordre public, les magistrats se reconnaissent la liberté d‟apprécier le

caractère suffisant du préavis sans être contraints par les prévisions du contrat. Ainsi, après

avoir constaté qu‟un délai de préavis contractuel était prévu dans un contrat de transport de

marchandises et écarté l'application du contrat-type, la Cour de cassation a approuvé la

solution d‟une Cour d'appel ayant retenu que le délai de préavis d'un mois était manifestement

insuffisant58

.

Le dispositif textuel se justifiant par la nécessité de laisser au partenaire commercial le temps

nécessaire à la réorganisation de son activité à la suite de la rupture, il reste que la durée de

préavis raisonnable retenue par les juges du fond est souvent assez longue voire excessive en

temps ordinaires59

. En tout état de cause, le calcul de la durée du préavis reste une tâche non

aisée, compte tenu de la diversité des approches jurisprudentielles sur la question.

Et pourtant, il apparaît qu‟au stade même de l‟appréciation de la brutalité de la rupture, les

juges n‟aient pas fait fi d‟une analyse économique pour évaluer la durée du préavis au regard

du critère de durée. En effet, la jurisprudence la plus récente révèle une utilisation affirmée

d‟un mélange d‟appréciation juridique et économique pour jauger l‟effectivité de la rupture et

l‟insuffisance de la durée du préavis. Aux termes d‟un arrêt de la Cour de cassation du 10

novembre 2009, la Haute juridiction approuva les juridictions du fond, statuant en référé,

d'avoir ordonné le maintien d'un contrat rompu aux termes d'un préavis insuffisant60

. Il y avait

bien en l‟espèce un préavis, contractuellement fixé à six mois, mais qui fut considéré comme

insuffisant aux yeux des juges du fond. Si l'existence d'un délai contractuel de préavis devrait

56

Daniel MAINGUY et Jean-Louis RESPAUD, « Droit des obligations », Ellipses, 2008, n°318 57

Cass. Com. 6 mars 2007, n°05-18.121 58

Cass. Com. 21 septembre 2010, n° 09-15.716 59

Voir par exemple CA Orléans, 29 mai 2008, préc., préavis raisonnable de deux ans pour une relation d'affaires

vieilles de 27 ans ; CA Lyon, 6 novembre 2008, JurisData n° 2008-005813, préavis de 15 mois en tenant compte

de la durée de la relation, de la notoriété des produits et du délai de réorganisation de la victime de la rupture ;

CA Nîmes, 12 février 2009, préc., préavis de trois mois pour une relation de cinq ans représentant 9 % du chiffre

d'affaires de la victime ; CA Paris, 3 juillet 2009, préc., préavis de 9 mois. 60

Cass. Com. 10 novembre 2009, n° 08-18.337

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ne pas pouvoir être remis en cause par les magistrats, ceux-ci se reconnurent la liberté

d'apprécier le caractère suffisant du préavis sans être contraints par les prévisions du contrat.

Or le raisonnement mené par la Cour, fournissant une nouvelle illustration de cette liberté

prétorienne dans l'appréciation du délai de préavis suffisant, semble faire prévaloir des aspects

clairement économiques en ce que les juges restituèrent à l'entreprise victime de la rupture son

contrat, en tant que bien économique, afin qu'elle puisse tenter de redresser son activité.

Preuve de l'importance de l'appréciation économique de la situation, le juge donna au préavis

une durée équivalente à celle de la période d'observation, après avoir pris en compte la durée

de la relation commerciale s‟étant nouée entre les deux opérateurs pendant plus de vingt ans.

L‟analyse de la brutalité de la rupture, via la durée du préavis, sous un angle économique se

prolonge logiquement lorsque les juges vont se fier à bon nombre d‟autres facteurs entourant

la durée de la relation commerciale.

Paragraphe 2 - La durée du préavis liée à la réalité des enjeux de chaque situation

d’espèce

20. Une interprétation réaliste et concrète de la lettre de l‟article L. 442-6, I, 5° doit être

ouverte à d'autres éléments d'appréciation sur lesquels les juges pourront s‟appuyer pour faire

privilégier l‟économie de chacune des situations soumise à leur appréciation. Car quelle que

soit la situation, la partie à l'initiative de la rupture a tout intérêt à prendre en considération

d'autres facteurs en sus de la durée de la relation commerciale61

. En effet, même s'il s'agit du

seul critère expressément prévu par l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, les

magistrats ont recours de plus en plus souvent à d'autres éléments pour apprécier in fine le

caractère suffisant ou non du préavis. Il est dès lors de jurisprudence constante qu‟en fonction

des circonstances de la relation, le domaine professionnel62

, l'importance financière de la

relation commerciale63

, les possibilités de reconversion64

, l'existence d'un accord d'exclusivité

61

Etude Cahier pratique rédigé par INFOREG, Service d'information réglementaire aux entreprises de la

Chambre de commerce et d'industrie de Paris, « La rupture brutale de relations commerciales établies », Cahiers

de droit de l‟entreprise n°3, mai 2007, prat. 13. 62

Pour des collections saisonnières en matière de mode, voir CA Paris 28 juin 2004, lettre distrib. octobre 2004 63

Cass. Com. 7 juillet 2004, n° 03-11.472 64

CA Versailles 2 décembre 2004, JurisData n° 2004-267459

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entre les parties65

ou encore les investissements réalisés dans le cadre de la relation66

ont pu

entrer en ligne de compte pour guider les juges dans l‟évaluation de la durée du préavis

nécessaire aux circonstances.

Il convient de constater qu‟à l‟heure actuelle, la tendance semble s‟amplifier en raison de la

prise en compte accrue d‟une multitude de facteurs n‟ayant de lien qu‟avec les circonstances

précises de chaque situation d‟espèce. Ainsi, il ne fait nul doute qu‟aux yeux des juges, la

durée du préavis raisonnable ne dépend plus exclusivement de la durée de la relation

commerciale, mais bel et bien d‟une foultitude d‟éléments beaucoup plus subjectifs tels

l‟importance du développement donné par le distributeur à la diffusion des produits du

fabricant, la part de marché représentée par les produits dans l'activité du distributeur et, bien

évidemment, le délai nécessaire à la victime de la rupture pour retrouver un fournisseur

équivalent67

. Ces éléments d‟appréciation relèvent des éléments faisant le propre et

l‟originalité de chaque relation d‟affaires68

. Les juges semblent donc ne plus se satisfaire du

seul critère de la simple durée de la relation commerciale. En effet, en dépit de la rédaction du

texte et son caractère d'ordre public pouvant inviter à faire de la durée de la relation

contractuelle l'unique critère de détermination du délai de préavis, opinion encore partagée

par une majorité de praticiens69

, fallait-il pour autant faire de celle-là le critère exclusif de

celui-ci ? Il apparaît vraisemblablement qu‟une telle position soit un peu étroite et ne puisse

représenter un corollaire adapté au travail analytique des magistrats. Peut-être qu‟il serait

alors opportun que la Cour de cassation vienne préciser que la référence à la durée de la

relation commerciale ne doive pas conduire à une interprétation étroite, voire restrictive, de

l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Il restera alors à harmoniser la pratique

jurisprudentielle qui fait apparaître une très grande diversité selon les juridictions70

.

Récemment, la Cour de cassation a eu toutefois l‟occasion de clamer avec éloquence que la

durée du préavis pouvait être déterminée en tenant compte des circonstances qui entourent la

65

CA Douai 29 septembre 2005, JurisData n° 2005-325972 66

Cass. Com. 7 janvier 2004, n° 02-12.437 67

CA Rennes 3 novembre 2009, JurisData n°2009-018531 ; CA Versailles 19 novembre 2009, JurisData

n° 2009-019570 68

CA Lyon 7 janvier 2010, JurisData, JurisData n°2010-000383, les juges ayant ici tenu compte de la relation

commerciale, mais aussi de la rotation des collections et surtout de la qualité et de l'originalité des produits 69

Voir cependant Christian BOURGEON et VAN EECKHOUT, « La durée du préavis et rupture de relation

commerciale établie », RDC 2005, page 491. 70

Nicolas MATHEY, « Autour de la rupture brutale de relations commerciales : compétence et délais de

préavis », Contrats Concurrence Consommation n°5, Mai 2010, comm. 124 sous CA Rennes 3 novembre 2009

et CA Versailles 19 novembre 2009.

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rupture. Dans les circonstances en cause, le préavis accordé permettait de maintenir la relation

commerciale pendant la période de préavis permettant au fournisseur de mettre en œuvre, dès

le début de cette période, une solution de remplacement71

. Par cette formule, la Cour de

cassation énonce tout d‟abord et de manière très claire que le préavis a pour fonction de

permettre au contractant qui subit la rupture de la relation de réorganiser son activité72

. Il peut

ainsi trouver de nouveaux débouchés à sa production ou se reconvertir et écouler son stock.

En l'espèce, le préavis proposé était assez long (un an voire deux pour certains aspects de la

relation commerciale) au regard de la durée de la relation commerciale (cinq ans) et l'auteur

de la rupture avait offert le rachat du stock et proposé de faciliter la vente de l'outil de

production devenu inutile. Autrement dit, en tenant compte de la raison d'être du préavis, sa

durée peut être déterminée en considérant non seulement la durée de la relation commerciale,

ce qui est imposé par la lettre de l'article L. 442-6, I, 5°du Code de commerce, mais aussi les

circonstances qui entourent la rupture.

Il y a lieu néanmoins d‟ajouter à titre indicatif que la résiliation sans préavis est possible en

cas d‟inexécution des obligations ou de force majeure.73

En définitive, le délai raisonnable doit être déterminé au regard de la durée et de l'intensité de

la relation commerciale ainsi que des difficultés que le cocontractant était supposé rencontrer

pour nouer de nouvelles relations avec d'autres partenaires économiques opérant sur le marché

considéré.

21. Ainsi, l'analyse économique a semble-t-il supplanté l'analyse juridique dans

l'appréhension tant de la relation commerciale établie que de sa rupture brutale.

Indépendamment de la relation contractuelle, les juges analysent la valeur économique de la

relation pour le cocontractant victime de la rupture brutale afin d‟apprécier si l'article L. 442-

6, I, 5° du Code de commerce est applicable à cette relation. De même, le contrat est analysé

en tant que bien économique pour l'entreprise évincée. Alors que sous l'angle juridique, on

s'attache à analyser les caractères de stabilité, d'intensité et de durée de la relation

commerciale établie, donc au regard du passé, sous l'angle économique, la relation semble

s'analyser tant au regard de sa continuité dans le passé que de sa possible poursuite dans

71

Cass. Com. 9 mars 2010, n°08-21.055 72

Voir Amaury SONET, Le préavis en droit privé, Presses Universitaire d‟Aix-Marseille, 2003. 73

Cass. Com. 25 septembre 2007, n° 06-15.517 ; Cass. Com. 15 mai 2007, n° 05-19.370

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l'avenir74

. Comme le remarquaient Jacques MESTRE et Bertrand FAGES, « on prend

conscience que la rupture de relations économiques suivies ne saurait se faire en un trait de

temps, et qu'il y a un passé dont tout divorce, fût-il simplement contractuel, doit tenir compte

».

Si la prise en compte des enjeux économiques concerne pleinement le champ d‟application du

dispositif légal, le régime de ce dernier a également été teinté de cette nouvelle approche

jurisprudentielle, mais à moindre égard.

TITRE 2

L’EVOLUTION DU REGIME

22. Le régime de responsabilité issue de l‟article L. 442-6, I, 5° a également subi des

évolutions. Celles-ci ont moins porté sur la nature de la responsabilité (Chapitre I) que sur les

modalités de réparation du préjudice engendré par la brutalité de la rupture (Chapitre II).

CHAPITRE 1

LA NATURE DE LA RESPONSABILITE

23. « Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par

tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers

[…] de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans

préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée

minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords

interprofessionnels […] ». L'article L. 442-6 du Code de commerce érige la rupture brutale de

relations commerciales établies en une hypothèse de responsabilité spécifique. Le législateur

74

Kami HAERI et Marc PICHON DE BURY, « L’extension de l’application de la notion de rupture brutale de

relation commerciales établies », Contrats Concurrence Consommation n°5, Mai 2010, étude 6.

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qualifie ainsi expressément un comportement de faute, en dehors des dispositions du Code

civil, qui n'est plus la source exclusive des fondements de la responsabilité. Néanmoins le

texte ne qualifie pas la responsabilité qu'il envisage. Dès lors, le problème de la combinaison

des dispositions des deux branches du droit que sont le droit civil et le droit commercial

devient inéluctable75

.

La jurisprudence s‟est toutefois nettement positionnée pour proclamer que la rupture brutale

de relations commerciales établies relevait du domaine de la responsabilité civile délictuelle.76

La décision de la Cour de cassation était alors la première à retenir aussi clairement cette

position en application de ce texte. On pouvait alors se questionner quant à l‟opportunité

d‟une telle solution dans la mesure où l‟élément contractuel reste le support principal des

relations commerciales et que la preuve, en matière de responsabilité contractuelle, s‟avère

être considérablement moins complexe à rapporter qu‟en matière de responsabilité délictuelle,

la constatation d‟une inexécution contractuelle étant bien plus aisée que la preuve d‟une faute

délictuelle. Ce maintien d‟un régime de responsabilité pour faute par la jurisprudence

commerciale peut-il alors trouver des motivations d‟ordre économiques ?

Tour à tour, la chambre commerciale de la Cour de cassation est venue dans un premier temps

édicter une solution de principe pour permettre un éclaircissement quant à la nature du régime

de responsabilité applicable à l‟auteur d‟une rupture brutale d‟une relation commerciale

établie. Cette solution, fruit de la conjonction de plusieurs fondements issus du droit des

contrats, se justifie par la volonté de donner une réelle efficacité économique au dispositif

(section 1). Par la suite, les juges ont pu donner confirmation de leur position (section 2).

SECTION 1 – LA RESPONSABILITE POUR FAUTE JUSTIFIEE PAR LA

RECHERCHE D’UNE EFFICACITE ECONOMIQUE DU DISPOSITIF

24. A l‟origine, le texte de l‟article L. 442-6 du Code de commerce n'avait pas pour seule

vocation la protection des intérêts particuliers. Bien que ces dispositions soient relatives aux

75

Voir Muriel CHAGNY, « Droit de la concurrence et droit commun des obligations », Dalloz, 2004 76

Cass. Com. 6 février 2007, n°04-13.178

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pratiques restrictives de concurrence, qualifiées parfois de petit droit de la concurrence77

, de

nombreux auteurs ont pourtant considéré que ces dernières relevaient en réalité du droit

commun des obligations puisqu'elles visaient, selon eux, à assurer la protection d'un

contractant et non le marché78

. Or si le dispositif était uniquement animé par un esprit de

protection des intérêts particuliers des opérateurs économiques, il convient de noter que

l‟action en responsabilité ne serait ouverte qu‟au seul contractant lésé. Mais tel n‟est pas le

cas, puisque l'article L. 442-6, III du Code de commerce, dans son premier aliéna, prévoit que

le ministre de l'Économie et des Finances, mais aussi le président de l‟Autorité de la

concurrence, peuvent introduire l'action en justice, marquant ainsi clairement que l'ensemble

du dispositif législatif entend protéger l'ordre public économique. Aussi, si cela justifie la

nature quasi-délictuelle de la responsabilité aux yeux d'une partie de la doctrine79

, la Cour de

cassation a visiblement pris fait et cause d‟un tel point de vue pour retenir le caractère

délictuel de la rupture brutale de relations commerciales établies.

Dès lors, on ne peut que rallier le raisonnement adopté par les juges pour aboutir à cette

solution, et ce pour une raison logique d‟efficacité économique du dispositif trouvant elle-

même son fondement au sein du droit des obligations. En effet, à bien comparer les deux

régimes de responsabilité, il apparaît que la responsabilité contractuelle n‟aurait pour

conséquence que d‟offrir la possibilité d‟une action aux seules parties cocontractantes en

vertu du principe de l‟effet relatif des conventions. Or, et parce que la rupture brutale d‟une

relation commerciale peut légitimement créer d‟importantes perturbations dans l‟activité des

opérateurs et des retombées nocives à l‟échelle de l‟économie nationale, toute personne ayant

vu ses intérêts touchés devrait pouvoir se joindre à l‟introduction d‟une action en justice

contre l‟auteur de la rupture. Ainsi, le régime de responsabilité délictuelle semble bien plus

approprié et opportun pour permettre à quiconque s‟estimant victime de la brutalité de la

rupture d‟une relation d‟affaires de demander réparation à hauteur du préjudice subi, pour peu

qu‟il y ait eu un réel dommage. De plus, il convient de rappeler que toute relation

commerciale n‟est pas nécessairement bornée par un cadre contractuel formel, la présence

d‟un contrat-cadre de relevant pas de l‟automaticité. Aussi, considérant l‟importance de

77

Voir par exemple Jean-Claude FOURGOUX, « Inutilité du droit interne de la concurrence », RJC 1989, page

145 ; Fabrice RIEM, « La notion de transparence dans le droit de la concurrence », éd. L‟Harmattan, préface

Laurence BOY, 2002, n°9. 78

Laurence IDOT, « La protection par le droit de la concurrence » in « Les clauses abusives entre

professionnels », sous la direction de Denis MAZEAUD et Christophe JAMIN, Economica, 1998, page 55. 79

Marie-Chantal BOUTARD-LABARDE et Guy CANIVET, « Droit français de la concurrence », LGDJ, 1994,

page 249, n° 450.

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soumettre à un même régime toutes les victimes de ruptures brutales de relations

commerciales sans distinction, la responsabilité délictuelle présente l‟avantage de pouvoir

englober les cas de rupture de relations basées sur des successions de contrats.

Dans le prolongement de la grille de lecture qu'offre le droit des contrats pour expliquer la

solution retenue par la Cour de cassation, une seconde justification peut être apportée au

regard du principe de non-cumul des responsabilités. En effet, en vertu de ce principe, il n'est

pas possible de se prévaloir des règles de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle

lorsque la voie contractuelle est ouverte. La décision des magistrats n'est donc conforme à ce

principe que si l'on admet que la faute commise ne sanctionne pas une obligation, au sens d'un

lien de droit unissant deux personnes, mais une obligation légale. Ainsi, selon la Cour de

cassation, l'obligation violée n'est pas une obligation contractuelle.

Une troisième explication consiste à considérer que l'abus dans la rupture des relations

contractuelles est en réalité la sanction d'un comportement général de bonne foi et non d'une

obligation particulière liée à un contrat. Comme une partie de la doctrine l'a démontré, la

sanction est celle d'un comportement « contraire aux exigences de la morale civile, le type

général de faute auquel se rattache l'abus par déloyauté relève par nature de la sphère des

délits »80

. Dès lors l'existence d'un contrat n'est plus que l'occasion à laquelle un

comportement fautif se manifeste mais ce n'est pas une des obligations du contrat qui est

violée81

.

SECTION 2 – LA RESPONSABILITE POUR FAUTE ANCREE DANS L’ANALYSE

DES JUGES COMMERCIAUX

25. Bien que la première chambre civile semble préférer la qualification contractuelle pour la

responsabilité de l'auteur d'une rupture brutale de relations commerciales82

, les juges de la

chambre commerciale de la Cour de cassation paraissent nettement accrochés à la

responsabilité de nature délictuelle. Et pour cause la confirmation est intervenue par un arrêt

80

Philippe STOFFEL-MUNCK, « L'abus dans le contrat, Essai d'une théorie », LGDJ, page 236, n° 272 ;

PASCAL ANCEL, « Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat », RTD civ. 1999, page 771, n° 39. 81

Franck MARMOZ, « la rupture brutale de relations commerciales établies relève du domaine de la

responsabilité délictuelle », JCP G. n° 24, 13 Juin 2007, II 10108, comm. sous Cass. Com. 6 février 2007. 82

Cass. 1re Civ. 6 mars 2007, Bull. civ. 2007, I, n° 93; Cass. 1re Civ. 22 octobre 2008, n° 07-15.823

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de 2009 dans lequel la Cour est venue consacrer la responsabilité délictuelle de l‟auteur d‟une

rupture brutale, même partielle, d‟une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant

compte de la durée de la relation commerciale83

.

Dès lors, l'objectif même de l'introduction de l'article L. 442-6, I, 5° au sein du Code de

commerce, à savoir l‟importance de soumettre à un même régime toutes les victimes de

ruptures brutales de relations commerciales sans distinction, semble rester dans le champ

d‟analyse des magistrats, l'identité de situation économique justifiant dans ce cas l'identité de

traitement juridique84

.

26. Outre le sujet de la nature de responsabilité, bénéficiant au demeurant de règles claires

énoncées de manière constante par les juges de la Chambre commerciale de la Cour de

cassation, plus concrète et sujette à variation est la question des modalités de réparation du

préjudice.

CHAPITRE 2

LA REPARATION DU PREJUDICE

27. Le Code de commerce impose, à la charge de celui qui souhaite mettre fin à une relation

commerciale établie, une véritable obligation de loyauté dans la rupture avec son partenaire

économique85

. L'auteur de la rupture qui manque à cette obligation commet donc une faute

engageant sa responsabilité délictuelle et l'obligeant à réparer le préjudice subi. Aussi, un tel

préjudice doit être minutieusement évalué, et ce par une approche au cas que peinent à

effectuer les magistrats (Section 1). Ces derniers, disposant d‟un certain nombre de pouvoirs

pour aborder la réparation des préjudices, ont notamment la faculté d‟ordonner le maintien

forcé de la relation d‟affaires entre deux opérateurs, ce qui en l‟occurrence devient

problématique voire inopportun en période de crise économique (Section 2).

83

Cass. Com. 13 janvier 2009, n°08-13.971 84

Nicolas MATHEY, «Nature délictuelle de la responsabilité en cas de rupture brutale de relation commerciale

établie », Contrats Concurrence Consommation n° 3, Mars 2009, comm. 72 sous Cass. Com. 13 janvier 2009 85

www.mascre-heguy.com, fiche point de vue janvier 2009.

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SECTION 1 – L’APPROCHE LACONIQUE DES JUGES FACE A L’EVALUATION

DU PREJUDICE

28. Classiquement, le préjudice réparable résultant de la rupture d‟une relation d‟affaires

s‟étant étalée dans le temps s‟analyse en un manque à gagner pendant la période où le préavis

aurait dû courir et les pertes éprouvées résultant de son absence ou de sa brièveté86

, la victime

se trouvant privée de revenus futurs par l‟effet de la rupture87

. L‟évaluation s‟effectue alors en

tenant compte de la perte de marge88

. Les juges du fond doivent rechercher concrètement le

préjudice subi par la victime, ce qui correspond à une évaluation de la perte de bénéfices et

non d'une perte de chiffre d'affaires. Les dommages-intérêts, fixés tenant compte de la durée

hypothétique du préavis, ne peuvent ainsi être calculés que sur la base de la marge

bénéficiaire, et plus précisément sur la base de la marge brute avant imposition, puisque toute

autre méthode aboutirait à un enrichissement de la victime.

A titre d‟exemple, le préjudice en relation directe avec la faute commise consiste en une perte

de la marge de 30 % sur le chiffre d'affaires réalisé sur six mois89

.

Cette méthode de calcul est la plus adaptée à la réparation du préjudice subi à raison d'une

rupture brutale de relations commerciales établies. En effet, le préjudice réside uniquement

dans la brutalité et non dans la rupture90

. Il résulte d'une absence de préavis ou d'un préavis

insuffisant pour faire face à la fin de la relation commerciale. La perte de marge brute se

calcule sur cette période de référence qui est la seule à rendre compte du préjudice subi à

raison de la brutalité de la rupture91

. Lorsque le contrat à durée déterminée peut être résilié

moyennant un préavis ou lorsque le contrat est à durée indéterminée, la victime de la rupture

n'a aucun droit au maintien de la relation contractuelle au-delà du préavis fixé par le contrat

ou suivant les usages. Elle ne peut prétendre avoir subi une perte de revenus au-delà de ce

délai de préavis. Du point de vue pratique, les parties qui veulent limiter le risque de

responsabilité ont par conséquent intérêt à prévoir un délai de préavis et, en principe, à le

86

Christophe CARON et Georges DECOCQ, « Concurrence déloyale et Pratiques restrictives », JCP E. n°43,

25 octobre 2007, page 2303. 87

Voir par exemple CA Aix-en-Provence 25 janvier 2007, JurisData n° 2007-338415 ; CA Aix-en-Provence

8 février 2007, JurisData n° 2007-335031 ; CA Toulouse 1er février 2007, JurisData n° 2007-338119 88

Voir par exemple Cass. Com. 9 mai 2007, n° 06-11.029 89

CA Aix-en-Provence 17 avril 2009, JurisData n° 2009-007535 90

CA Montpellier 6 octobre 2009, JurisData n°2009-020365 91

Didier FERRIER, « Droit de la distribution », Litec, 2008, n° 380

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respecter. Dès lors qu'un délai de préavis est contractuellement fixé, il ne devrait pas pouvoir

être remis en cause par les magistrats92

.

Malgré certains cas d‟espèce permettant de constater sporadiquement l‟effort des juges pour

clairement délimiter le préjudice subi suite à une rupture brutale de relation commerciale, il

convient de ne pas omettre que la question de l‟évaluation du préjudice est souvent négligée,

ou tout au moins mal abordée. Pour autant, son importance pratique reste considérable et les

apports de la doctrine sur ce point, en particulier les thèses d‟Yves-Marie LAITHIER et

d‟Andréa PINNA ont tenté de combler les lacunes de l‟analyse jurisprudentielle93

.

SECTION 2 – LA POURSUITE DE LA RELATION COMMERCIALE

BRUTALEMENT ROMPUE EN PERIODE DE CRISE ECONOMIQUE : UNE

MESURE INOPPORTUNE ?

29. Il ne fait nul doute aujourd‟hui que le juge intervient beaucoup plus fréquemment que par

le passé pour sauver la relation contractuelle, et particulièrement les relations d‟affaires ayant

une assise dans le temps94

. Confronté alors aux pratiques restrictives de concurrence, le juge

commercial dispose d‟un large panel de mesures pouvant être ordonnées, notamment à travers

la procédure dite de "référé concurrence" organisée par l‟article L. 442-6 du Code de

commerce95

grâce à laquelle « le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la

cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire ». Cette procédure

spécifique ne peut être engagée qu‟à condition que le juge commercial constate d‟une part que

les agissements en cause entrent dans les prévisions de l'article L. 442-6, et d‟autre part qu'ils

soient à l'origine d'un dommage imminent ou d'un trouble manifestement illicite.

92

Nicolas MATHEY, «L’évaluation du préjudice en cas de rupture d’un contrat de distribution», Contrats

Concurrence Consommation n° 1, Janvier 2010, comm. 4 sous CA Aix-en-Provence 17 avril 2009 et CA

Chambéry 23 juin 2009, JurisData n°2009-007890. 93

Yves-Marie LAITHIER, « Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat », préface

Horatia MUIR-WATT, LGDJ collection Bibliothèque de droit privé, t. 419, 2004, n°106 et n°389 ; André

PINNA, « La mesure du préjudice contractuel », préface Pierre-Yves GAUTIER, LGDJ collection Bibliothèque

de droit privé, t. 491, 2007. 94

Marie-Eve PANCRAZI-TIAN, La protection judiciaire du lien contractuel, préface Jacques MESTRE,

Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, 1996, n°267 et suivants ; Bérangère MELIN-SOUCRAMANIEN, Le

juge des référés et le contrat, préface de Jacques MESTRE, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, 2000. 95

Catherine TIRVAUDEY-BOURDIN, JurisClasseur Encyclopédie des Huissiers de Justice, Fascicule 20,

n° 23.

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Bien plus, un des pouvoirs conféré aux magistrats permet d‟imposer le maintien d‟une

relation commerciale ayant été rompue de manière brutale, ce qui dès lors n‟est pas sans poser

de sérieuses difficultés lorsque précisément certains liens entre opérateurs doivent se distendre

face aux imprévus économiques. En effet, peut-on décemment exiger d‟un opérateur qu‟il

maintienne une relation d‟affaires alors que l‟activité au cœur de cette dernière ne correspond

plus à l‟état et aux exigences du marché ?

Les arguments théoriques en faveur du maintien judiciaire d‟une relation contractuelle ne sont

pourtant pas pour manquer, le respect des prévisions des parties et la force obligatoire étant le

plus souvent invoqués au soutien de la jurisprudence. Or, au-delà des arguments de techniques

juridiques, il est nécessaire d‟admettre que le maintien forcé du contrat est le résultat d'un

choix de politique juridique lié à une certaine conception du contrat puisqu‟il s'intègre

ostensiblement dans une théorie solidariste des relations contractuelles qu‟il y a tout lieu de ne

pas appuyer.

Au demeurant, la jurisprudence, par bon nombre de décisions de juges du fond ayant ordonné

le maintien d'un contrat irrégulièrement ou abusivement dénoncé, semble prendre clairement

position pour un maintien judiciaire de ce dernier face à des comportements irréguliers ou

abusifs des opérateurs96

. Pour exemple, le juge des référés peut ordonner à une partie de

reprendre l'exécution du contrat qu'elle a résilié de manière illicite97

ou faire injonction à une

centrale de communiquer les tarifs des fournisseurs référencés après avoir caractérisé une

rupture brutale de relations commerciales établies98

. C‟est cette tendance que la Cour de

cassation a récemment suivie et confirmée en énonçant que face à un déréférencement brutal,

un fournisseur pouvait obtenir le maintien forcé du contrat devant le juge des référés99

. De

manière péremptoire, la Cour de cassation considère que les juges versaillais s‟étant

prononcés sur le caractère brutal de la rupture des relations commerciales établies n'avaient

fait qu'user des pouvoirs que leur conféraient les articles L. 442-6, IV du Code de commerce

et 873 du Code de procédure civile en ordonnant la poursuite des relations commerciales entre

les parties. Dès lors, il ressort d‟une telle analyse que les magistrats semblent accrochés à une

volonté de faire intervenir la poursuite d‟une relation contractuelle à titre de sanction.

96

Astrid MARAIS, « Le maintien forcé du contrat par le juge », LPA, 2 octobre 2002, pages 7-8. 97

CA Paris 28 janvier 2009, RJDA 2009, n° 586 98

CA Paris 26 novembre 2008, JurisData n° 2008-376060 99

Cass. Com. 10 novembre 2009, n° 08-18.337

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35

30. Le Professeur Nicolas MATHEY observe en l‟occurrence que pareille solution en cas de

rupture brutale « est alignée opportunément sur celle retenue en matière de rupture abusive ou

irrégulière » puisque les juges du fond avaient estimé qu‟existait un trouble manifestement

illicite en raison du caractère délictuel de la faute de rupture brutale100

. Or il convient ici de

désapprouver ce prétendu caractère « opportun » d‟une telle solution. Car faut-il tout d‟abord

rappeler que l‟article L. 442-6, I, 5° vise à sanctionner la rupture inattendue qui surprendrait le

cocontractant. Ce n‟est pas la rupture abusive qui est sanctionnée par le texte mais simplement

la rupture « inattendue » qui n‟est qu‟une hypothèse de rupture abusive. Par la suite, un

maintien forcé d‟une relation d‟affaires doit-il être considéré comme « opportun » lorsque les

impératifs économiques commandent aux opérateurs de tirer des conclusions pragmatiques

quant à la modulation de leurs obligations contractuelles ? Assurément non. Certes en

présence d'une rupture brutale, l'urgence est pressante dans la mesure où la victime est

surprise dans ses prévisions. La nécessité de lui laisser le temps de se préparer à la disparition

du contrat en réorganisant son entreprise et en cherchant d'autres partenaires peut expliquer

volontiers le recours au référé101

. Mais une décision prise en référés ne doit pas

automatiquement rimer avec l‟injonction faite aux parties de s‟enliser dans des rapports

contractuels qui n‟auront pour effet que de leur faire courir un risque d‟aggravation des

difficultés économiques inhérentes aux périodes de crise. Bien que les magistrats soient

manifestement sensibles à l'imminence d'un dommage irréversible pour la victime d‟une

rupture brutale de relation commerciale, il s‟avère indispensable de jauger l‟équilibre entre

d‟un côté l‟impératif de protection de la partie en proie à la rupture et de l‟autre le besoin de

souplesse contractuelle que requièrent les opérateur face aux méfaits des fluctuations de

l‟économie.

En définitive, la prévention du risque de rupture brutale de relations commerciales devrait

préférablement s‟inscrire dans un traitement en amont de l'imprévu économique plutôt qu‟au

sein d‟un traitement judicaire conduisant à la poursuite forcée des rapports contractuels. Cette

approche en amont est possible car elle n'attente pas à la règle pacta sunt servanda (Qui a

promis ne peut se dédire) : il est vain de convoquer la force obligatoire lorsque l'imprévu

100

Nicolas MATHEY, «Le juges des référés peut ordonner la poursuite de la relation commerciale an cas de

déréférencement », Contrats Concurrence Consommation n° 4, Avril 2010, comm. 93 sous Cass. Com. 10

novembre 2009. 101

Christian BOURGEON, « Rupture abusive et maintien du contrat : observations d'un praticien », RDC mars

2005, page 109.

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Jonathan FARENC - L’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dans la Jurisprudence récente

36

frappe à côté des prévisions, créant une situation extracontractuelle. Elle est enfin nécessaire,

car il paraît contreproductif d'attendre que l'imprévu dégénère en impossibilité d'exécution102

.

102

Louis THIBIERGE, « Le contrat face à l’imprévu », préface de Laurent AYNES, Economica, 2011.

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37

DEUXIEME PARTIE

L’ARTICLE L. 442-6 I 5° : L’APPLICATION D’UNE « METHODOLOGIE DE

RUPTURE » INADAPTEE AUX FLUCTUATIONS DE L’ECONOMIE

31. Du fait de la règlementation française en matière d‟encadrement de la rupture des relations

commerciales, les périodes de baisse d‟activité, caractéristiques des cycles de crise

économique, représentent une menace majeure pour les opérateurs économiques en ce que ces

derniers courent le risque, en répercutant, à leur insu, leur baisse d‟activité sur leurs

partenaires, de se voir reprocher une rupture brutale de relations commerciales établies. Aussi

apparaît-il indispensable, à l‟heure où les tensions entre partenaires commerciaux sont plus

que palpables, d‟apprécier le contexte économique actuel à sa juste valeur et d‟en déduire la

nécessité d‟une approche circonstanciée vis-à-vis de la sanction prévue à l‟article L. 442-6, I,

5° du Code de commerce (Titre 1). Or, cette invitation à plus de souplesse dans l‟application

de la sanction des ruptures brutales de relations commerciales ne semble pas refléter la

démarche adoptée aujourd‟hui par les magistrats, ce qui pousse à s‟interroger sur les

alternatives pouvant permettre aux opérateurs économiques de contourner la rigidité de la

sanction du dispositif légal (Titre 2).

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38

TITRE 1

LA NECESSITE DE PRENDRE EN CONSIDERATION LA CONJONCTURE

ECONOMIQUE DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE L. 442-6, I, 5°

32. Le besoin de prendre en compte les fluctuations économiques dans le contentieux de la

rupture brutale de relations commerciales établies émane d‟une pluralité de causes, tant

théoriques que pratiques (Chapitre 1), et conduit en conséquence à modeler l‟approche

prohibitive vis-à-vis de toute rupture brutale d‟un courant d‟affaires, ce qui pourra amener à

envisager la justification de certaines d‟entre elles (Chapitre 2).

CHAPITRE 1

LES RAISONS IMPOSANT L’INTEGRATION DU FACTEUR ECONOMIQUE

DANS LA SANCTION DE LA RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS

COMMERCIALES ETABLIES

33. En premier lieu, c‟est suite à l‟analyse de la ratio legis qui fonde l'article L. 442-6, I, 5°

que l‟on peut justement attendre que ce dernier soit appliqué plus souplement par les

magistrats en période de crise économique (Section 1). Par suite, des considérations plus

pratiques relatives aux symptômes propres aux phases de difficultés économiques telles que la

baisse d‟activité doivent également amener les juges à tempérer les sanctions de ruptures

brutales de relations commerciales (Section 2).

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39

SECTION 1 – LES MOTIFS THEORIQUES RELATIFS A LA RAISON D’ETRE DE

L’ARTICLE L. 442-6, I, 5°

34. Il y a lieu de rappeler que l'article L. 442-6 du Code de commerce a une double finalité

puisqu'il procède à la fois de la loyauté de l'exécution des contrats et de la protection de

l'ordre économique de la concurrence.

En effet, si la rupture des relations commerciales peut dégénérer en faute lorsque sa brutalité

ne permet pas au partenaire de prendre les mesures nécessaires pour réorganiser en

conséquence son activité, la réparation correspond d‟avantage à la soudaineté de l‟agissement

de la partie ayant rompu le courant sans préavis qu‟à la perte même d‟activité. Aussi, il est

traditionnel de voir à la source de ce type de sanction la prise en compte d‟un manquement au

devoir de cohérence contractuelle103

. Car en s'abstenant de notifier ses intentions à venir,

l'auteur de la rupture a laissé légitimement croire à l'autre que les relations se poursuivraient

au moins pendant un certain temps. La rupture sans délai présume ainsi la faute puisqu‟en

application du principe de cohérence, une partie installe l'autre dans la croyance en une

situation de droit et de fait qui la détermine dans son comportement. Si certains auteurs104

déduisent cette règle, dite « d'interdiction de se contredire au détriment d'autrui »105

, de celle

selon laquelle « contre l'acte, protestation ne vaut », l'analyse moderne tend à relier ces

exigences à la règle de l‟estoppel du droit anglais, que la jurisprudence vise d'ailleurs parfois

explicitement, et qui semble devenir une véritable règle de procédure civile106

. En pratique, la

jurisprudence paraît donner effet à ces principes en sanctionnant par exemple le revirement

soudain d'un contractant qui invoque une stipulation alors que son comportement antérieur

démontre qu'il y avait renoncé107

.

En considérant alors que l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce puise son inspiration

dans la veine de la bonne foi contractuelle, il semble légitime de penser que l'auteur de la

rupture d'une relation commerciale serait recevable à apporter la preuve de son absence de

faute pour se dédouaner. Ainsi lorsque la situation de l'arrêt des commandes par ses propres

103

Denis MAZEAUD, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? », in « L'avenir du

droit », Mélanges en hommage à François TERRE, Dalloz, 1999. 104

Pierre-Yves GAUTIER, RTD civ. 2001, page 904. 105

Martine BEHAR-TOUCHAIS, « L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui », Economica, 2001,

page 3. 106

CA Orléans 10 juillet 2007, cassé par Cass. Ass. Plén. 27 février 2009, n° 07-19.841 107

Cass. Com. 8 mars 2005, n° 02-15.783

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40

clients n'était pas prévisible au regard de l'évolution économique, il ne pourrait être reproché à

l‟opérateur ayant brusquement rompu la relation commerciale d‟avoir trompé ses partenaires,

observateurs du marché au même titre que lui, sur la pérennité de leurs relations108

.

35. Parallèlement, et ce malgré son ascendance de loyauté contractuelle, il convient de ne pas

omettre que l'article L. 442-6, I, 5° est géographiquement un texte de droit de la concurrence

puisqu'il prend place dans le chapitre II du titre IV du livre IV du Code de commerce consacré

aux pratiques restrictives de concurrence. Toute la problématique de l'efficacité de la

législation sur la concurrence consiste alors à opter entre l'incrimination d'une pratique

déterminée et une incrimination générale de tous les accords ou actes unilatéraux qui ont pour

effet d'entraver le jeu normal du marché en prévoyant une exemption pour ceux qui sont en

pratique pro-concurrentiels. Si le droit européen, et dans son sillage l'essentiel du droit

français, ont fait le choix d'un droit de la concurrence réprimant tous les agissements qui ont

un effet sensible d'entrave à la libre concurrence, la rupture brutale des relations commerciales

établies est a contrario sanctionnée en ce qu'elle a pour effet d'exclure un opérateur

économique du marché. Indépendamment de toute analyse des effets de perturbation réels et

sensibles de cette pratique sur le bon fonctionnement du marché considéré, la loi la présume,

per se, néfaste pour la concurrence. Or, tel n'est pas toujours le cas. Bien au contraire, en

prêtant des habits de concurrence à un texte né de la loyauté contractuelle, le législateur

entrave dans certains cas l'efficacité économique au nom du droit de la concurrence. Bien

plus, et comme il a déjà été évoqué, il semble que le texte de l‟article L. 442-6 n‟ait pas été

inséré dans le Code de commerce uniquement pour protéger des intérêts privés mais bien, à

certains égards, pour garantir la protection de l‟ordre public économique109

. Ainsi, au nom de

l‟intérêt économique général, les pratiques condamnées audit texte peuvent être regardées

comme entravant le jeu normal du marché et donc susceptibles d‟être potentiellement

exemptées pour des motifs pro-concurrentiels. La difficulté consiste alors à se demander si

l'auteur de la rupture est recevable à apporter une justification économique, propre à la

situation du marché, qui rend la rupture conforme à la libre concurrence110

, voire sujette à

108

Luc-Marie AUGAGNEUR, «La répercussion d’une baisse d’activité sur les fournisseurs et sous-traitants

constitue-t-elle une rupture partielle des relations commerciales établies ? Ou comment la crise révèle un cas

d’imprévision», JCP E. n°18, 30 avril 2009, page 1446, n°9. 109

Cf. Supra, n°24. 110

Luc-Marie AUGAGNEUR, «La répercussion d’une baisse d’activité sur les fournisseurs et sous-traitants

constitue-t-elle une rupture partielle des relations commerciales établies ? Ou comment la crise révèle un cas

d’imprévision», Op. cit. page 2.

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41

préserver l‟harmonie de l‟ordre public concurrentiel. Car si un opérateur met fin à une relation

d‟affaires, même rapidement, pour préserver sa santé économique sur le marché, cela ne peut-

il pas être vu comme une forme d‟anticipation de graves difficultés pouvant nuire à la chaîne

de l‟ensemble de ses partenaires et déstabiliser l‟équilibre concurrentiel ?

En tout état de cause, il semble que d‟un point de vue théorique les oscillations économiques

puissent être légitimement intégrées dans la grille de lecture permettant aux juges d‟adapter la

sanction de la rupture brutale aux périodes de crise économique. Cela ne doit toutefois pas

amener à négliger d‟autres motifs d‟ordre pratiques.

SECTION 2 – LES MOTIFS PRATIQUES LIES AU RISQUE DE RUPTURE

BRUTALE SUBI PAR LES OPERATEURS

36. Il ne fait nul doute que les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° restent difficiles à mettre

convenablement en œuvre dans une période de crise telle que celle que les entreprises

connaissent actuellement. L'interprétation du texte mérite donc d'être adaptée afin de tenir

compte desdites circonstances économiques.

Ainsi, que doit faire une entreprise à l'égard de ses partenaires directs avec lesquels elle

travaille si la baisse des activités qu‟elle subit est due à une diminution drastique des

commandes de ses propres clients ? Aux difficultés économiques et sociales auxquelles elle

doit faire face en son sein, s'ajoute la menace d'une action en responsabilité civile qui risque

bien de lui coûter ses dernières forces et ses dernières économies. Car le premier risque pour

un opérateur est de se voir reprocher une rupture brutale de relations commerciales même si la

rupture ne sera pas totale mais seulement partielle afin d'adapter la relation commerciale à

l'activité réelle. Aussi, deux éléments caractéristiques de la prohibition de la rupture brutale de

relations commerciales sont essentiellement source de difficultés pratiques en cas de

ralentissement de l‟activité, à savoir le caractère sanctionnable de la rupture partielle et

l‟exigence d‟un préavis suffisant. L‟exigence d'un préavis raisonnable pose notamment des

complications majeures en période de crise. En effet, bien qu‟il représente une protection pour

les opérateurs leur permettant de se retourner vers un autre partenaire, il faut rappeler que

l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce n'est pas un dispositif de protection générale des

cocontractants. Il n'a pas pour objet de garantir le maintien de la relation contractuelle voire

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42

l'apparition d'une rente. Ainsi, lorsque les circonstances économiques exigent une réaction

rapide, un délai de préavis long peut provoquer des difficultés financières chez son auteur.

L'absence de réaction rapide peut alors avoir des conséquences graves. Si une baisse rapide et

importante d'activité ne peut être répercutée immédiatement ou, du moins, très rapidement sur

les partenaires économiques, l'auteur de la rupture peut être mis en difficulté par une forme

d'effet ciseaux et serait tenu de maintenir un certain volume d'affaires avec ses propres

fournisseurs sans pouvoir écouler ses propres stocks111

.

Si la sanction de la rupture de relations commerciales établies est fondée, au moins en partie,

sur la notion d'anticipation raisonnable ou d'attente légitime112

, l'apparition d'une crise conduit

nécessairement à réévaluer les attentes du fournisseur et leur caractère raisonnable. Dès lors, il

pourrait être possible, à l'avenir, de prévoir un délai abrégé spécifique en cas de crise, ce qui

posera en outre d'autres difficultés de définition.

37. Les raisons permettant de justifier la prise en compte du facteur relatif à la conjoncture

économique dans les contentieux de la rupture brutale de relations commerciales ne semblent

pas tarir. Aussi peut-on à présent en exposer les conséquences qui permettraient notamment

d‟envisager la justification de certaines ruptures brutales.

CHAPITRE 2

LES CONSEQUENCES DE LA PRISE EN COMPTE DU FACTEUR ECONOMIQUE

DANS LA SANCTION DE LA RUPTURE BRUTALE DES RELATIONS

COMMERCIALES ETABLIES

38. Tour à tour, il apparaît suite à l‟examen de certaines décisions récentes que la justification

de certains cas de ruptures brutales de relations commerciales pourrait intervenir pour peu que

les magistrats adoptent une attitude résolument réaliste vis-à-vis du contexte économique

actuel (Section 2). De même, et à bien y regarder, il semble qu‟un raisonnement déductif

111

Nicolas MATHEY, «La rupture de relations commerciales établies en période de crise, difficultés

d'application de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce en période de crise économique.», Op. cit. page 2. 112

Luc-Marie AUGAGNEUR, « L'anticipation raisonnable de la rupture des relations commerciales. À propos

d'un non-revirement de la Cour de cassation », JCP E. 2009, page 1969.

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43

pourrait amener à ne plus qualifier un ralentissement du courant d‟affaires en rupture brutale

de relations commerciales (Section 1). Néanmoins, ces deux abords paraissent encore relever

de l‟idéalisme, les juges n‟étant pas enclins à calmer leur soif de sanction.

SECTION 1 – L’ABSENCE DE LA QUALIFICATION SYSTEMATIQUE D’UNE

DIMINUTION D’ACTIVITE EN RUPTURE BRUTALE DE RELATION

COMMERCIALE

39. En application de la lettre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et comme

évoqué précédemment, il a été plusieurs fois jugé que la diminution immédiate et significative

des commandes est constitutive d'une rupture partielle des relations commerciales113

. Or il est

possible de découvrir au sein de ces mêmes décisions que toute diminution des commandes ne

constitue pas nécessairement une rupture partielle.

En effet, si les juges voient aujourd‟hui la stratégie volontaire et l‟effectivité d‟une activité

comme des éléments indispensables à l‟existence d‟une rupture dite partielle des relations

commerciales114

, l‟absence de ceux-ci peut légitimement amener à penser qu‟il n‟y aura pas

nécessairement une faute condamnable lorsqu‟un opérateur économique devra amortir le

ralentissement de son activité auprès de ses partenaires commerciaux.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour de cassation a pu relever qu‟une diminution

des commandes résultait d'un changement de politique et de stratégie d'achats d‟une société à

qui il était reproché d‟avoir rompu partiellement un courant d‟affaires par des

déréférencements successifs. Par cette rédaction, la Haute juridiction suggère que la rupture

doit provenir d'un fait volontaire qui résulte bien d'un choix stratégique d'achat115

. De même,

les juges du fond ont pu caractériser une rupture partielle de façon indirecte en observant

qu'en modifiant significativement sa grille tarifaire un concédant avait causé une baisse du

chiffre d'affaires de son concessionnaire. Elle en déduit une « volonté » de parvenir à la

cessation des relations par une modification « injustifiée » de l'équilibre économique du

contrat116

. A contrario, on croit comprendre que la rupture involontaire n'en est pas une

113

Cass. Com. 23 janvier 2007, n° 05-13.189 ; CA Aix-en-Provence 8 février 2007, JurisData n°2007-335031 114

Cf. Supra, n°16. 115

Cass. Com. 23 janvier 2007, n°05-13.189 116

CA Aix-en-Provence 8 février 2007, JurisData n°2007-335031

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44

lorsqu'il existe des justifications économiques qui expliquent la modification des relations

commerciales.

40. Parallèlement, l‟activité des opérateurs doit être suffisamment tangible et ne pas s‟être

substantiellement éteinte ou réduite à un point tel qu‟aucun lien ne pourrait être rompu. Or

lorsque la commande de produits ou services est destinée à satisfaire un besoin qui a

partiellement ou totalement disparu du fait de causes propres au marché, peut-on soutenir que

la relation commerciale devait se poursuivre ? Pensée en termes contractuels, la question

consiste à se demander si l'objet n'a pas disparu. Pensée en termes concurrentiels, elle revient

à déterminer si, en l'absence de demande, le donneur d'ordre est tenu de maintenir une offre ne

répondant plus à un besoin. Il est alors permis d‟alléguer que « nul ne peut être tenu à un

maintien constant de son niveau d'affaires qui peut être altéré par des éléments extérieurs

(baisse de compétitivité, effet de mode, évolution générale du marché...) »117

, ce que l'analyse

jurisprudentielle semble là encore confirmer. Il paraît en effet difficile d'exiger d'une

entreprise qu'elle soit contrainte de maintenir des commandes alors que l'activité ne répond

pas aux besoins du marché. Ce serait la contraindre à une obligation de stocker de la

production dans l'attente d'une reprise d'activité sur le marché et admettre que la

responsabilité économique de l'entreprise ne serait dictée ni par sa faute ni par la rationalité

objective de ses intérêts propres. En droit de la concurrence, un tel raisonnement serait

absurde au regard des principes de fonctionnement du marché. En maintenant artificiellement

une demande ne correspondant à aucun besoin, la règle n'encouragerait ni les gains

d'efficacité ni la performance économique des opérateurs. En soutenant des activités inutiles,

elle déconnecterait l'offre du jeu du marché118

. Ainsi, admettre que la rupture partielle des

relations commerciales doit être indemnisée en l'absence de demande du marché

correspondrait à faire de l'article L. 442-6, I, 5° un régime de protection et de garantie d'un

risque dont il ne paraît pas être à l'origine.

117

Jean-Louis FOURGOUX, JurisClasseur Commercial, Fascicule 281, n° 37. 118

Luc-Marie AUGAGNEUR, «La répercussion d’une baisse d’activité sur les fournisseurs et sous-traitants

constitue-t-elle une rupture partielle des relations commerciales établies ? Ou comment la crise révèle un cas

d’imprévision», Op. cit. Page 2.

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45

SECTION 2 – LA JUSTIFICATION CIRCONSTANCIEE DE CERTAINES

RUPTURES BRUTALES DE RELATIONS COMMERCIALES

41. Face à la sanction des ruptures partielles de relations commerciales établies, il serait

possible de suggérer de tenir compte non seulement de l'activité de l'auteur de la rupture mais

aussi de l'évolution globale du marché. En effet, si un marché subit un ralentissement

important, il devrait être assez normal qu'une entreprise du secteur subisse une baisse

d'activité comparable. Dès lors, la rupture partielle pourrait n'apparaître contestable que si elle

dépasse de beaucoup la contraction du marché.

Il est également permis de penser, et de souhaiter, qu'une simple réduction de commandes

justifiée par les circonstances économiques ne soit pas sanctionnée à l'égale d'une rupture

partielle préalable à l'arrêt total des relations commerciales, la lettre comme l'esprit du texte

de l'article L. 442-6, I, 5° permettant une telle interprétation. Ainsi, il n'y aurait guère de

raison de sanctionner la baisse temporaire des commandes en période difficile.

La Cour d‟appel de Toulouse a toutefois condamné un avionneur pour rupture brutale des

relations commerciales établies intervenue sans justification et de façon non prévisible, celui-

ci ayant laissé croire à son partenaire commercial que leur collaboration allait continuer119

.

Pourrait-on en conclure, a contrario, que la rupture justifiée et prévisible bien que brutale

puisse échapper à toute sanction ? Il semble que le caractère isolé de cette solution des juges

du fond ne puisse permettre de déduire une telle solution.

Littéralement, l'article L. 442-6 du Code de commerce ne prévoit que deux faits exonératoires

de responsabilité de l'auteur de la rupture. Il dispose que « les dispositions qui précèdent ne

font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie

de ses obligations ou en cas de force majeure ». En dehors de ces hypothèses, la partie qui

rompt, même partiellement une relation, ne peut en principe se retrancher derrière sa bonne

foi et l'absence de faute. Seule la grève a été retenue par la jurisprudence comme élément de

force majeure appliqué à l'article L. 442-6120

.

En l'état du droit, il faut par conséquent exclure que la conjoncture du marché puisse revêtir la

nature d‟un cas de force majeure. Une telle situation suppose, d'après la jurisprudence

classique, un fait extérieur, imprévisible et irrésistible. S'il est possible d'imaginer que

119

CA Toulouse 16 septembre 2009, Airbus c/ Icarelink 120

Cass. Com., 9 octobre 2007, n° 06-16.744

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46

l'effondrement d'un marché réunisse ces caractères, la force majeure exige en outre de rendre

l'exécution de l'obligation matériellement impossible et non pas seulement plus onéreuse ou

inutile pour l'une des parties121

. La jurisprudence rejette ainsi l'hypothèse d'une « force

majeure financière » qui reviendrait, pour exonérer une partie de ses obligations, à consacrer

la théorie de l'imprévision. A ce stade, et bien que cette dernière ne soit pas encore admise de

manière générale et solennelle, les juges semblent avoir tout récemment franchi quelques pas

timides vers la réception d‟une forme d‟imprévision pour motifs économiques, solution qu‟il

conviendra de développer ultérieurement.

42. Face à la nécessité de prendre en compte l‟état actuel de l‟économie et d‟en déduire

impérativement une application plus réaliste de la sanction des ruptures brutales de relations

commerciales établies, les magistrats n‟apparaissent pas prédisposés à opter pour une

approche rationnelle et pragmatique à l‟égard de celle-ci, préférant visiblement maintenir un

protectionnisme individualisé des opérateurs plutôt qu‟envisager une vision plus globale à

l‟échelle du marché, et ce même en temps de crise. Pour autant, cela n‟exclut pas

l‟intervention de possibles alternatives pouvant permettre de contourner l‟obstacle de l‟article

L. 442-6, I, 5° du Code de commerce vers de nouvelles pistes telles que l‟accueil potentiel de

l‟imprévision pour motifs économiques ou la renégociation.

TITRE 2

LES ALTERNATIVES A L’INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES

CIRCONSTANCES ECONOMIQUES DANS L’APPLICATION DE L’ARTICLE

L. 442-6, I, 5° : LE NECESSAIRE RAPPROCHEMENT ENTRE LA RUPTURE

BRUTALE DE RELATIONS COMMERCIALES ET LES NOTIONS

D’IMPREVISION ET DE RENEGOCIATION

121

Cass. Civ. 4 août 1915, DP 1916, 1, p. 22

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47

43. Ce que Anne-Julie KERHUEL nomme « la gestion contractuelle »122

implique de prendre

en considération deux concepts connexes à la rupture brutales de relations commerciales

établies. Car si l‟assouplissement du régime de l‟article L. 442-6, I, 5° doit nécessairement

s‟effectuer sous l‟influence du contexte économique, il implique a fortiori pour les juges

d‟analyser lesdites ruptures sous l‟angle qu‟impose les imprévisions économiques, ce qui

revient à relancer le débat sur la théorie de l‟imprévision, fraîchement ressurgi (Chapitre I).

La jurisprudence ne semblant toutefois pas enclin à prendre une position affirmée, il reste que

la seule alternative apparaît être le recours à la technique contractuelle, notamment à travers

l‟ensemble des techniques de renégociation (Chapitre II).

CHAPITRE 1

LES CIRCONSTANCES ECONOMIQUES COMMANDANT UNE NOUVELLE

APPRECIATION DE LA THEORIE DE L’IMPREVISION PAR LES JUGES

44. Si la doctrine et le législateur français ont toujours mis un point d‟orgue à refuser l‟entrée

de l‟imprévision dans le droit français (Section 1), il semble aujourd‟hui que cette position

doive céder quelques pas face à la nécessaire adaptabilité du droit aux enjeux économiques et

à la récente jurisprudence s‟étant semble-t-il positionnée favorablement vis-à-vis d‟une

modification contractuelle tenant compte des circonstances économiques (Section 2).

SECTION 1 - LE TRADITIONNEL REFUS FRANÇAIS FACE A LA THEORIE DE

L’IMPREVISION DANS LES RELATIONS CONTRACTUELLES

45. Si l‟absence de mise en place d'un régime de l'imprévision en droit français a clairement

conduit a une certaine rigidité du contrat, l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce a

vraisemblablement créé et accentué une rigueur excessive du contrat. Dès lors, l‟interdiction

122

Anne-Julie KERHUEL, l’efficience stratégique du contrat d’affaires, un champ d’application de la liberté

contractuelle, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, préface J. MESTRE, 2010.

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48

de rompre brutalement une relation commerciale établie instaure ainsi une inertie

contractuelle qui prolonge les liens des parties au-delà de leur souhait.123

Considérer alors que la perte d'intérêt économique du fait de circonstances exceptionnelles

puisse justifier la rupture ou l'aménagement du contrat correspond peu ou prou aux différents

avatars que la Common Law connaît sous le nom de frustration124

, que le droit allemand

désigne comme Unmöglichkeit et que le droit civil français appréhende par l'imprévision125

.

Ces différentes théories, bien que non équivalentes, trouvent à l'évidence un point commun

dans l'admission de la révision ou de la rupture du contrat lorsque son équilibre économique a

été bouleversé. A cet égard, il convient d'ailleurs de relever que le choix opéré en faveur ou

contre ces théories n'est pas une option essentialiste. Initialement, la Common Law refusait

que la rigueur du contrat soit perturbée, même par un fait « d'inévitable nécessité »126

. À

l'inverse, le droit canonique, influencé par la scolastique thomiste du juste prix et appuyé sur

le Code Justinien, connaissait la réfaction du contrat sous la théorie de la clause rebus sic

stantibus dont le bien-fondé était soutenue notamment par certains jusnaturalistes127

. Selon

cette théorie, il relevait d'un principe du droit naturel que toute obligation résultant

formellement d'un échange de consentement entre deux ou plusieurs parties n'était "viable"

que si les choses restaient en l'état. Le droit civil moderne est aujourd‟hui partagé puisque

plusieurs pays de tradition civilistes admettent l'imprévision, tels le Code civil italien ou le

Code civil et le Code de commerce colombien128

.

Ainsi, le changement même brutal et imprévisible des circonstances économiques

constituerait-il un cas de force majeure d‟ordre économique pouvant permettre aux opérateurs

de modifier le fond du contrat support de leur partenariat ?

La position traditionnelle du droit français notamment au regard de l'exclusion de la théorie de

l'imprévision conduisait jusqu‟à présent à répondre par la négative. C'était alors précisément

la déficience théorique de la position française en la matière, nourrie par l‟opinion d‟une

123

Luc-Marie AUGAGNEUR, «La répercussion d’une baisse d’activité sur les fournisseurs et sous-traitants

constitue-t-elle une rupture partielle des relations commerciales établies ? Ou comment la crise révèle un cas

d’imprévision», JCP E. n°18, 30 avril 2009, page 1446. 124

Philipp HUJO, « Force majeure et imprévision, une analyse comparatiste entre le droit français, le droit

anglais et le droit allemand », Broché, 2009, page 27. 125

A.-H. PUELINCKX, “Frustration, Hardship, Force Majeure, Imprévision, Wegfall der Geschäftgrundlage,

Unmöglichkeit, Changed Circumstances, a comparative study in English, French, German and Japanese Law” 126

House of Lords, Paradine v. Jane, 82 Eng. Rép. 897 (K.B, 1647). 127

Jean LECA, « Les techniques de révision des conventions internationales », L.G.D.J, 1961, pages 295-296. 128

Fernando MONTOYA, Université Externado de Bogota, Chaire Jean-Louis BAUDOUIN, Université de

Montréal, 18 septembre 2008.

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49

partie de la doctrine, qui limitait d'ordinaire la théorie de l'imprévision à la question de la

révision du contrat par le juge, tandis que le droit américain pose la question différemment et

permet la résiliation du contrat si celui-ci devient excessivement onéreux pour une partie129

.

46. Si la survenance d'événements imprévus lors de l'exécution d'un contrat a donné lieu

depuis le célèbre arrêt Canal de Craponne à de nombreux échanges doctrinaux130

, la crise

actuelle pourrait susciter un renouvellement de la réflexion sur ce point. Or il n'est pas

possible de répondre ici de manière définitive car le rejet de la théorie de l'imprévision a

longtemps été certain en droit français, et ce malgré de nombreuses tentatives doctrinales. Car

jusqu‟à présent, et malgré quelques arrêts épars dont l'interprétation est parfois difficile, la

jurisprudence n'a pas encore statué de manière générale sur un tel devoir de retouche

contractuelle pour motif d‟imprévision économique131

.

Toutefois, le droit civil français semblait sur le point de subir une évolution considérable eu

égard aux différents projets de réforme du droit des contrats qui envisageaient en effet

d'introduire la théorie de l'imprévision dans le droit privé français. Ainsi l'article 136 du projet

de la chancellerie prévoyait-il que « si un changement de circonstances, imprévisible et

insurmontable, rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas

accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation à son cocontractant

mais doit continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation. En cas de refus ou

d'échec de la renégociation, le juge peut, si les parties en sont d'accord, procéder à

l'adaptation du contrat, ou à défaut y mettre fin à la date et aux conditions qu'il fixe ». De

même, l'avant-projet de réforme CATALA prévoyait également un régime pour l‟imprévision,

bien qu‟un peu différent132

, tandis que le cadre commun de référence133

pour l'élaboration d'un

droit des contrats européens adopte une solution un peu plus radicale.

Pour autant, est-il possible d‟en déduire que les conditions économiques et doctrinales sont

réunies pour faire le grand saut de l'imprévision ? S‟il n‟est pas encore permis d‟être à l‟heure

actuelle aussi optimiste, il est toutefois possible de s‟interroger sur la durée pendant laquelle

le droit français résistera encore à l‟accueil d‟un régime de l‟imprévision. Pour l‟heure, le

129

Voir Yves-Marie LAITHIER, « Étude comparative des sanctions de l'inexécution du contrat », LGDJ 2004,

n° 249. 130

Cass. Civ. 6 mars 1876, in Henri CAPITANT, François TERRE, Yves LEQUETTE, « Les grands arrêts de

la jurisprudence civile », tome 2, 11e éd., Dalloz 2000, n° 163. 131

Cass. 1re Civ. 16 mars 2004, Bull. Civ. 2004, I, n° 86; Cass. Com. 3 octobre 2006, n° 04-13.214 132

Avant-projet de réforme du droit des obligations, direction Pierre CATALA, articles 1135-1 à 1135-3. 133

Draft Common Frame of Reference, III.-1:110.

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50

professeur GHESTIN livre une synthèse derrière laquelle on ne peut que se ranger:

« Moralement souhaitable, la révision ou l'adaptation du contrat devient économiquement

indispensable. L'utilité sociale commande qu'un déséquilibre excessif des prestations,

constitutif d'une trop grande injustice, soit désormais pris en considération par le droit

positif »134

.

En tout état de cause, une évolution imminente semble être appelée par la jurisprudence qui

donne des signes d'impatience en contraignant, dans certaines circonstances, à une obligation

de renégociation en cas de changement de circonstances économiques.

SECTION 2 - UNE NOUVELLE APPROCHE JURISPRUDENTIELLE VIS-A-VIS DE

LA THEORIE DE L’IMPREVISION ?

47. Il serait tentant de voir dans l‟arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du

29 juin 2010 des relents des solutions des arrêts Huard et Chevassus-Marche en ce qu‟il

s‟attache, tout comme ces dernières, à mettre sur un piédestal l‟évolution des circonstances

économiques. Or il n‟en est rien, puisque les magistrats de la Haute juridiction semblent

admettre qu'une modification des circonstances économiques bouleversant l'économie d'un

contrat et privant de toute contrepartie réelle l'engagement de l'une des parties puisse entraîner

la disparition du contrat135

. Loin d‟imposer de nouvelles négociations contractuelles aux

parties en brandissant le confortable étendard de l‟article 1134 alinéa 3 du Code civil, la Cour

paraît admettre que le bouleversement de l‟économie d‟un contrat serait à l‟origine de la

disparition d‟une contrepartie réelle à l‟engagement de l‟une des parties, et en conséquence de

la disparition même du contrat. Bien que l‟arrêt n‟ait pas les honneurs du Bulletin, une page

pourrait-elle se tourner en faveur d‟une autre s‟ouvrant vers une nouvelle perception de

l‟imprévision par la jurisprudence ? En l‟espèce, face à la question de l‟admission de

l‟imprévision et de ses conséquences, la Cour de cassation censurait sans se dérober un arrêt

d‟appel au visa notamment de l‟article 1131 du Code civil, faisant le choix souverain

134

Jacques GHESTIN, « Observations sur le projet de réforme du droit des contrats », LPA 12 février 2009,

page 30. 135

Cass. Com. 29 juin 2010, n°09-67.369

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51

d‟effacer le contrat dont l‟équilibre avait été chamboulé par la fluctuation des conditions

économiques.

En l‟occurrence, les modalités d‟appréciation de l‟évolution des circonstances économiques

s‟avéraient restreints. Les éléments macro-économiques retenus, en l‟espèce l'augmentation

du coût des matières premières et des métaux, ainsi que leur variation échappaient clairement

à la maitrise de l‟une des parties, et en devenaient imprévisibles et insurmontables. Par la

suite, en appréciant l‟incidence des circonstances sur le contenu du contrat au moyen de la

notion d‟ « économie générale du contrat »136

, voire de celle de « rentabilité » du contrat, les

juges adoptent une lecture résolument économique, à défaut d‟une approche volontariste qui

aurait eu pour effet de maintenir la contrepartie voulue par les parties même si elle n‟était plus

l‟équivalent réel de la prestation. Il est alors porté une attention particulière à l‟égard de

l‟intérêt du contrat pour la société se prévalant du jeu des circonstances économiques. Ainsi,

et bien que l'exécution d'un contrat devenu une charge excessive serait admissible au nom du

respect de la parole donnée137

, c‟est une justification économique, plutôt que morale, qui

semble prévaloir pour admettre l'imprévision138

. Pour parachever son raisonnement, la Cour

suggère la caducité du contrat en la justifiant par la disparition de la cause de ce dernier en

cours d‟exécution des prestations, reprenant par là même une décision de principe émise il y a

peu de temps et admettant la caducité d'un contrat à exécution successive pour disparition de

la cause139

.

Toutefois, et bien que la théorie de la cause soit sollicitée pour jouer un rôle déterminant lors

de l‟exécution du contrat140

, la constatation d‟une absence de contrepartie réelle n‟était-elle

pas induite d‟une vision quelque peu déformée des faits ? Car s‟il n‟est pas sûr qu‟en l‟espèce

la partie cocontractante était dépourvue de toute contrepartie réelle à ses prestations, le

raisonnement des juges paraît tout au moins contestable en pratique en ce qu‟il semble faire fi

des conséquences qu‟il engendre. En effet, suite à l‟effacement du contrat pour défaut de

cause, la société cliente était poussée à conclure un nouveau contrat avec la société prestataire

ou chercher un nouvel opérateur. Or la Cour applique une logique radicale là où le contrôle

judiciaire de l'obligation de renégocier de bonne foi aurait peut être permise une appréciation

nuancée tenant compte du comportement de chaque contractant. Peut-être aurait-il été plus

136

Sébastien PIMONT, L'économie du contrat, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, 2004. 137

Thierry FAVARIO, « La Cour de cassation révise sa perception de l’imprévision… en toute discrétion », JCP

G. n°43, 25 octobre 2010, page 1056, comm. sous Cass. Com. 29 juin 2010. 138

Hugues BOUTHINON-DUMAS, RID éco. 2001, page 339 à 373. 139

Cass. 1re Civ. 30 octobre 2008, n° 07-17.646 140

Arnaud CERMOLACCE, Cause et exécution du contrat, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille, 2001.

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efficace de considérer que l‟absence d‟exécution de la prestation était due à l‟absence

d‟exécution d‟une obligation de renégocier, sur le fondement de l‟article 1134, alinéa 3 du

Code civil, laquelle résultait de ce changement de circonstances économiques, lui-même

créant un déséquilibre contractuel141

.

48. La justification économique apparaît dès lors entérinée. La théorie économique enseigne

en effet qu'en n'admettant pas l'imprévision, et en n'autorisant pas la rupture de contrats

devenus économiquement irrationnels, on élève les coûts de transactions qui se révèlent plus

élevés que les coûts inhérents à l'organisation interne d'une entreprise142

. Dès lors on

décourage le recours au marché car ces coûts de transactions induisent des pertes d'efficacité.

D'où la nécessité d'encourager la conclusion de contrats sans crainte qu'ils constituent un lien

indéfectible lorsque survient un élément imprévisible qui ruine l'économie initiale déterminée

par la performance économique de chaque partie. Si ces théories peuvent néanmoins

apparaître discutables quant au degré d'emprise de l'économie sur le droit des contrats, elles

semblent montrer toute la nocivité pour le marché et l‟équilibre concurrentiel du maintien

forcé d'une relation commerciale lorsque les circonstances ont été profondément modifiées.

Enfin, l‟invitation à repenser la question de l'imprévision s‟est poursuivie suite à quelques

décisions récentes émanant de juges du fond ayant permis de revenir sur la question de la

prise en compte de l'évolution des circonstances économiques lors de la rupture d'une relation

d‟affaires. Ainsi put-il être jugé que la rupture de relations n'était pas fautive dans la mesure

où l'augmentation du prix, même non abusive, pouvait rendre difficile la poursuite des

relations, l'acheteur restait libre de rechercher d'autres fournisseurs lui offrant de meilleurs

tarifs143

. Dans une logique de faveur à la concurrence, les juges parisiens admirent que

l'augmentation du prix de la matière première puisse écarter toute idée d'abus dans la

résiliation d'un contrat144

.

49. Bien que le pas ait été franchi vis-à-vis de la reconnaissance de la révision pour

imprévision, les juges n‟ont pas rendu la plus exemplaire et opportune des solutions, ce qui

141

Daniel MAINGUY, « Imprévisible imprévision », www.lexcellis-avocats.fr 142

Oliver E. WILLIAMSON, « Transaction-Cost Economics: the Governance of Contractual Relations »,

Journal of Law and Economics, volume 22, octobre 1979, page 233 à 261; Eric BROUSSEAU, « L‟approche

néo-institutionnelle de l‟économie des coûts de transaction », RF éco. Volume 4, 1989. 143

CA Paris 7 avril 2010, JurisData n° 2010-014145 ; CA Chambéry 8 juillet 2010, RG n° 09/01911 144

Nicolas MATHEY, « La rupture contractuelles face aux circonstances économiques », Contrats Concurrence

Consommation n° 11, Novembre 2010, comm. 248 sous CA Paris 7 avril 2010 et CA Chambéry 8 juillet 2010.

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n‟est pas pour profiter aux stratégies des opérateurs face aux risques de sanctions pour rupture

brutale de relations commerciales établies. Sans doute est-il alors préférable d'explorer une

autre piste qui consiste à inciter les parties à renégocier le contenu de la relation contractuelle

dès lors que sa poursuite peut avoir des conséquences financières négatives à l‟égard d'une

des parties.

CHAPITRE 2

LA RENEGOCIATION, UNE ALTERNATIVE A L’IMMOBILISME

JURISPRUDENTIEL FACE AUX RUPTURES DE RELATIONS COMMERCIALES

EN PERIODE DE CRISE ECONOMIQUE

50. Les débats relatifs à la question de la révision contractuelle pour imprévision économique

débouchent de manière naturelle sur le sujet de la renégociation des relations d‟affaires entre

partenaires économiques. Bien que la jurisprudence soit souvent restée prudente à cet égard,

une esquisse d‟ouverture semble pouvoir être décelée au sein d‟un arrêt rendu récemment,

sans qu‟il s‟agisse toutefois d‟une position de principe (section 1). Or, en période de

difficultés économiques certaines, la reconnaissance d‟une obligation de renégociation doit-

elle être reconnue comme une solution opportune, propre à solutionner efficacement l‟inertie

contractuelle ? La coercition judicaire peut-elle opérer favorablement dans le sens d‟une

fluidité des rapports entre opérateurs afin que chacun d‟eux puisse traverser la conjoncture

économique avec plus de sérénité ? Rien ne semble moins sûr. Aussi, l‟enjeu pourrait-il s‟axer

sur la dialectique entre obligation et incitation à la renégociation, la seconde paraissant devoir

primer sur la première dans la mesure où le juge ne semble pas aujourd‟hui vouloir pondérer

son pouvoir de sanction face aux ruptures de relations économiques (section 2).

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SECTION 1 – L’EFFICACITE INCERTAINE DE L’OBLIGATION DE

RENEGOCIATION FACE A LA RUPTURE BRUTALE DE RELATION

D’AFFAIRES

51. Un appel à la reconsidération d‟une certaine forme d‟imprévision pour motifs

économiques a récemment été lancé par un arrêt de la Cour d‟appel de Nancy ayant imposé

une obligation de renégociation en présence d'un risque financier et concurrentiel seulement

éventuel, au profit d'un contractant dont la situation économique n'était pas en péril145

.

Décision qui confère ainsi à l'obligation de bonne foi, source de l'obligation de renégociation,

une toute autre portée.

Bien que l‟arrêt en question ait été rendu dans un contexte particulier attenant à un contrat de

fourniture d'énergie et à l‟objectif d‟intérêt général de la réduction des émissions de gaz à

effet de serre, l‟obligation de renégociation est présentée, au-delà d'une mesure de protection

du contractant lui permettant de retirer l'utilité et la contrepartie attendues, comme un moyen

de préserver le lien contractuel en tentant de pérenniser l'exécution du contrat, promise dans

un futur plus ou moins proche à l'impossibilité sans renégociation de ses termes. La Cour

d'appel de Nancy semble donc avoir franchi un pas en se démarquant clairement des solutions

antérieures rendues par la Cour de cassation lors des arrêts notoires Huard et Chevassus-

Marche146

.

Par cet activisme judicaire, la Cour d‟appel semble toutefois révéler des traces marquées de

solidarisme contractuel. Une référence expresse à la doctrine figure même au sein de la

solution, à croire que les juges auraient tenté de s‟approprier toutes les sources possibles afin

de légitimer leur entreprise d‟ingérence au sein de la relation entre les parties. Ainsi, les juges

relèvent que « la doctrine a, d'ailleurs, donné à l'obligation d'exécuter les conventions de

bonne foi une dimension nouvelle en considérant qu'au-delà des intérêts particuliers de

chacun, une recherche de l'intérêt commun, voire du bien commun, doit animer les

cocontractants et que l'éthique individualiste doit céder partiellement le pas à une justice

contractuelle, faite de solidarité »147

. Bonne foi, équité, éthique, justice contractuelle,

solidarité, intérêt général et même planétaire, tout y était. Tout sauf peut-être... l'essentiel : la

145

CA Nancy 26 septembre 2007, JurisData n°2007-350306 146

Marie LAMOUREUX, « L’obligation de renégociation en cas de changement de circonstances », JCP G.

2008, II, page 10091 sous CA Nancy 26 septembre 2007. 147

Bruno OPPETIT, « Ethique et vie des affaires », Mélanges André COLOMER, 1993, Litec, page 319.

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55

mise en évidence d'un événement justifiant que les parties aient à renégocier leur convention,

à savoir la survenance d'une situation nouvelle de nature à bouleverser durablement et d'une

façon insupportable l'équilibre du contrat148

. Madame le professeur CLAUDEL estime

d'ailleurs que la « finalité [du droit de la concurrence] n'est pas l'équilibre des conventions, ni

le respect de la parole donnée, ni la protection d'une catégorie de contractants. Elle est

l'efficience économique »149

.

52. Certes reconnaître le devoir de renégocier permettrait de faire l'économie du débat sur

l'imprévision resté enfermé dans une alternative peu satisfaisante : respect scrupuleux du

contrat ou révision par le juge. Engager des négociations en vue d'adapter la relation

commerciale aux circonstances économiques semblerait assez raisonnable. Or, cela doit-il se

faire au prix de contraindre les parties ? Peut-être qu‟une incitation à la renégociation devrait

être préférée.

SECTION 2 – L’INCITATION A LA RENEGOCIATION CONTRACTUELLE

VOLONTAIRE : LES CLAUSES DE HARDSHIP COMME POSSIBLES

ALTERNATIVES ?

53. Dans un contexte de crise économique tel que celui que connaissent les opérateurs

aujourd‟hui, la faculté d'adaptation, synonyme de flexibilité, devient parfois une question de

survie pour les agents économiques. Elle est d'autant plus nécessaire lorsqu'il s'agit de contrats

à exécution successive à moyen terme, a fortiori à long terme. Cette recherche de flexibilité

peut passer, notamment, par la mise en œuvre de clauses de rencontre et de renégociation. Des

clauses sont apparues et peuvent emprunter différentes formes et vocables : hardship,

adaptation automatique, révision, indexation, clause de sauvegarde, clause de renégociation.

Même si la jurisprudence parvient à tempérer l'absence de mécanisme général de révision, il

faut avouer que les progrès restent minimes. En revanche, tous les pays encouragent

148

Bertrand FAGES, « Invitation judicaire à adapter le contrat », RTD Civ. 2008, page 295 sous CA Nancy 26

septembre 2007. 149

Emmanuelle CLAUDEL, Ententes anticoncurrentielles et droit des contrats, thèse Paris, 1994, paragraphe 3.

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56

l'introduction dans le contrat de clauses de révision ou clauses de hardship150

. En Angleterre,

comme en France d'ailleurs, l'absence de mécanisme général de révision judiciaire pour

imprévision pourrait même s‟interpréter comme une invitation faite aux parties de prendre

leurs précautions lors de la rédaction du contrat151

. Il s'agit d'inciter « les parties à prendre en

main leur destin contractuel »152

. Ces stipulations sont devenues des clauses de style dans les

contrats internationaux. Cependant, leur rédaction est délicate et le réflexe contractuel n'est

pas toujours réel en droit interne ni même possible lorsque les parties ne sont pas sur un pied

d'égalité. Les clauses sont également très diverses et le contentieux post-contractuel fondé sur

l'interprétation de la volonté des parties n'est pas très appréciable153

. L'un des remèdes

pourrait résider dans la proposition de clauses-type rédigées par certains organismes.

Cependant, elles ne sont pas toujours précisément adaptées aux besoins des parties qui

réclament, fréquemment, une clause sur mesure154

. Enfin, le régime de ces clauses reste très

discuté. Par exemple, la négociation qui s'engage entre les parties entraîne-t-elle ou non

suspension de l'exécution du contrat ? En définitive, si prévenir l'imprévisible est une vertu

pourquoi ne pas en faire un principe plutôt qu'une dérogation à la seule disposition des parties

au contrat ? Cette interrogation est aujourd'hui, notamment en cette période de crise, dans tous

les esprits155

.

54. En tout état de cause, les opérateurs des différents secteurs économiques du monde ont été

saisis, si brutalement, et de manière si généralisée, que les clauses de hardship s'avèrent

dépourvues d'une bonne partie de leur utilité, alors même qu'elles ont pour but d'appréhender

la résolution de ce type de difficultés. Il est néanmoins possible de conclure par une mise en

perspective de ces clauses dans le contexte de crise actuel pour souhaiter une évolution du

droit français qui semble aujourd'hui en retrait des autres droits modernes et leurs évolutions

récentes. La présente crise pourrait être l'occasion de repenser l'efficacité d'un certain nombre

150

Voir Bruno OPPETIT, « L'adaptation des contrats internationaux aux changements de circonstances : la

clause de hardship », JDI 1974, page 797. 151

Voir Yves-Marie LAITHIER, « L'incidence de la crise économique sur le contrat dans les droits de Common

law », RDC 2010, page 411. 152

Bénédicte FAUVARQUE-COSSON, « Le changement de circonstances » in « Durées et contrats », RDC

2004, page 67, n° 27. 153

Gaël PIETTE, La correction du contrat, préface Michel MENJUCQ, Presses Universitaires d‟Aix-Marseille,

2004, n° 299. 154

Voir par exemple la clause type du CCI ou la clause FIEBAC. 155

Mustapha MEKKI, « Hardship et révision des contrats – Quelle méthode au service d’une harmonisation

entre les droits ? », JCP G. n°49, 6 décembre 2010, page 1219.

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de dispositions sans pour autant imaginer qu'une telle évolution puisse constituer une réponse

suffisante à limiter l'impact de la crise pour les entreprises. Les clauses de révision s‟étant tant

développées, il semble qu‟elles deviennent de fait le principe des relations économiques.

Alors pourquoi ne pas en faire aussi le principe de droit156

?

156

Fabrice MAGAR, « Ingénierie juridique : pratique des clauses de rencontre et renégociation », Recueil

Dalloz 2010, page 1959.

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CONCLUSION

55. Bien qu'à certains égards les difficultés abordées soient liées à la conjoncture économique,

elles conduisent parfois à un renouvellement de questions classiques. Elles mettent également

à l'épreuve un droit de la concurrence appliqué aux contrats d‟affaires s‟étalant dans le temps

et conçus pour des périodes de croissance économique. Si une réforme d‟ampleur de l‟article

L. 442-6 du Code de commerce ne solutionnerait pas l‟intégralité du problème que pose

l‟interdiction de rupture brutale de relations commerciales établies en période de crise

économique, il convient d'inviter les juges qui auront à se prononcer sur le contentieux qui ne

manquera pas de surgir à une application raisonnable des textes en tenant compte des

circonstances économiques. Si les juges n‟ont, pour le moment, que peu de prise sur le fait

générateur, ils peuvent en revanche, plus justement évaluer les dommages-intérêts en tenant

compte de ces circonstances.

Ainsi, une véritable question serait de savoir si l'article L. 442-6, spécificité française du droit

économique, est un texte de droit de la concurrence ou un texte de solidarité économique...

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ................................................................................................................................. 4

PREMIERE PARTIE - L’ARTICLE L. 442-6 I 5° : LA MISE EN ŒUVRE D’UNE

« METHODOLOGIE DE RUPTURE » PERPETUELLEMENT ORIENTEE VERS LA PRISE

EN COMPTE DES ENJEUX ECONOMIQUES ............................................................................... 8

TITRE 1 - L‟EXTENSION DU CHAMP D‟APPLICATION DU DISPOSITIF LEGAL ........... 8

CHAPITRE 1 - L‟EVOLUTION DE LA NOTION DE « RELATION COMMERCIALE

ETABLIE » A L‟AUNE DU CONCEPT DE « RELATION ECONOMIQUE » .............. 9

Section 1 - Le renouvellement de l‟idée rigide de « relation établie » via le critère de

« stabilité » de la relation .......................................................................................... 10

Section 2 - Du concept désuet de « relation commerciale » vers celui de « relation

économique » ............................................................................................................ 14

CHAPITRE 2 - L‟ASSOUPLISSEMENT DE LA NOTION DE « RUPTURE

BRUTALE » ..................................................................................................................... 19

Section 1 - La multiplicité des formes de rupture ..................................................... 19

Section 2 - La brutalité de la rupture et la durée du préavis appréciées au regard

d‟une analyse multifactorielle ................................................................................... 22

Paragraphe 1 - La durée du préavis liée à la durée de la relation d’affaires .. 22

Paragraphe 2 - La durée du préavis liée à la réalité des enjeux de chaque

situation d’espèce .............................................................................................. 24

TITRE 2 - L‟EVOLUTION DU REGIME ................................................................................. 27

CHAPITRE 1 - LA NATURE DE LA RESPONSABILITE ........................................... 27

Section 1 – La responsabilité pour faute justifiée par la recherche d‟une efficacité

économique du dispositif .......................................................................................... 28

Section 2 – La responsabilité pour faute ancrée dans l‟analyse des juges

commerciaux ............................................................................................................. 30

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CHAPITRE 2 - LA REPARATION DU PREJUDICE .................................................... 31

Section 1 – L‟approche laconique des juges face a l‟évaluation du préjudice .......... 32

Section 2 – La poursuite de la relation commerciale brutalement rompue en période

de crise économique : une mesure inopportune ? ..................................................... 33

DEUXIEME PARTIE - L’ARTICLE L. 442-6 I 5° : L’APPLICATION D’UNE

« METHODOLOGIE DE RUPTURE » INADAPTEE AUX FLUCTUATIONS DE

L’ECONOMIE .................................................................................................................................... 37

TITRE 1 - LA NECESSITE DE PRENDRE EN CONSIDERATION LA CONJONCTURE

ECONOMIQUE DANS L‟APPLICATION DE L‟ARTICLE L. 442-6, I, 5° ............................ 38

CHAPITRE 1 - LES RAISONS IMPOSANT L‟INTEGRATION DU FACTEUR

ECONOMIQUE DANS LA SANCTION DE LA RUPTURE BRUTALE DES

RELATIONS COMMERCIALES ETABLIES ................................................................ 38

Section 1 – Les motifs théoriques relatifs à la raison d‟être de l‟article L. 442-6, I, 5°

................................................................................................................................... 39

Section 2 – Les motifs pratiques liés au risque de rupture brutale subi par les

opérateurs .................................................................................................................. 41

CHAPITRE 2 - LES CONSEQUENCES DE LA PRISE EN COMPTE DU FACTEUR

ECONOMIQUE DANS LA SANCTION DE LA RUPTURE BRUTALE DES

RELATIONS COMMERCIALES ETABLIES ................................................................ 42

Section 1 – L‟absence de la qualification systématique d‟une diminution d‟activité

en rupture brutale de relation commerciale ............................................................... 43

Section 2 – La justification circonstanciée de certaines ruptures brutales de relations

commerciales ............................................................................................................ 45

TITRE 2 - LES ALTERNATIVES A L‟INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DES

CIRCONSTANCES ECONOMIQUES DANS L‟APPLICATION DE L‟ARTICLE L. 442-6, I,

5° : LE NECESSAIRE RAPPROCHEMENT ENTRE LA RUPTURE BRUTALE DE

RELATIONS COMMERCIALES ET LES NOTIONS D‟IMPREVISION ET DE

RENEGOCIATION .................................................................................................................... 46

CHAPITRE 1 - LES CIRCONSTANCES ECONOMIQUES COMMANDANT UNE

NOUVELLE APPRECIATION DE LA THEORIE DE L‟IMPREVISION PAR LES

JUGES .............................................................................................................................. 47

Section 1 - Le traditionnel refus français face à la théorie de l‟imprévision dans les

relations contractuelles .............................................................................................. 47

Section 2 - Une nouvelle approche jurisprudentielle vis-à-vis de la théorie de

l‟imprévision ? .......................................................................................................... 50

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CHAPITRE 2 - LA RENEGOCIATION, UNE ALTERNATIVE A L‟IMMOBILISME

JURISPRUDENTIEL FACE AUX RUPTURES DE RELATIONS COMMERCIALES

EN PERIODE DE CRISE ECONOMIQUE ..................................................................... 53

Section 1 – l‟efficacité incertaine de l‟obligation de renégociation face à la rupture

brutale de relation d‟affaires ..................................................................................... 54

Section 2 – L‟incitation à la renégociation contractuelle volontaire : les clauses de

hardship comme possibles alternatives ? .................................................................. 55

CONCLUSION .................................................................................................................................... 58