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1-59 Sommes-nous miirs pour une dutocritique ? Gaë1 de Guichen Responsable, en 1968-1969, des études ayant trait h la conservation des grottes de Lascaux, il participe depuis lors aux activités de formation scientifique au Centre international d'études pour la conserva- tion et la restauration des biens culturels (ICCROM), il occupe les fonctions d'adjoint du directeur. Spécialiste de la conse-rvation préventiyg, il a donné des cours de formation consacrés à ce problème dans une trentaine de pays. Jacqueline Maggi Titulaire d'un diplôme d'études de l'Institut des étudiants étrangers d'Aix-en-Provence (France), d'un B.A. de l'Université de Miami et d'une maî- trise de civilisationfrançaise de la Sorbonne (Paris). Responsable des pages artistiques dans une revue nationale publiée àJohannesburg (íUriquedu Sud), elle participe actuellement à plusieurs projets de recherche pour le compte de ~'ICCROM. fi r: .- d Les années qui suivront 19~0 seront des années critiques dans l'histoire des mu- sées, par suite de la reprise de la construc- tion, restée en suspens pendant la guerre ... Les années de stagmtion ont permis de faire le point, de m'tiquer les résultats obtenus et de réfléchirà l'œuvre à entre- prendre. Museum, vol. IV, n03, I~JI. Le quarantième anniversaire de Mztseum est pour nous l'occasion de revenir sur cette période de l'histoire au cours de laquellela muséologie a connu une évolu- tion considérable et qui a été marquée symboliquementpar la création même de cette revue, affirmation de la présence croissante des musées en tant que force positive influençant la vie et l'évolution des sociétés. Produits de leur temps, les musées sont le reflet des conditions économiques, sociales et politiques des sociétés qui les ont conçus. Avec l'après-guerre est née une nouvelle époque caractérisée par l'intensification des contacts internatio- naux (distanciation d'avec les traditions), la quête d'une identité par le biais de la participation communautaireet un climat général d'optimisme (volonté de forger un avenir nouveau et meilleur et foi dans la technologie). Dans le monde de la muséologie, ces caractéristiques se sont traduites par l'élargissement de la profession, qui s'est ouverte à la science et à l'industrie, par une diversification des publics et le souci croissant des musées de répondre à leurs besoins (les collections demeurant toute- fois l'objet prioritaire de leur attention), et enfin par la multiplication des nou- veaux musées. Une fois définis les objec- tifs fondamentaux, il restait à l'architec- ture moderne à concrétiser cette dynami- que en lui donnant forme et substance. Analyser ces objectifs, déterminer dans quelle mesure ils ont été atteints, de façon à permettre au lecteur de tirer les leçons des erreurs commises et de faire son profit des solutions qui se sont révé- lées viables, telle est l'ambition du pré- sent numéro de Museum, qui se veut à la fois informatif et constructif. Les différents musées retenus pour représenter la période en question ont été sélectionnés (dans la mesure du possible) sur la base des critères suivants : il s'agit dans tous les cas de musées instal- lés dans des bâtiments modernes, construits spécifiquement à leur usage, il y a de cela vingt à quarante ans. Les musées installés dans des bâtiments anciens n'ont pas été pris en considéra- tion ; le principe d'une représentation géogra- phique équitable a été appliqué ; les musées retenus sont représentatifs de la diversité des collections (ethnogra- phiques, archéologiques, picturales, collections spécialisées et diverses) ; chacun des musées retenus a fait l'objet d'au moins un article dans la revue Museum, auquel le lecteur pourra se reporter s'il le souhaite. O n a demandé aux auteurs d'analyser en toute objectivité les musées concernés, en faisant porter plus particulièrement leur étude, dans chaque cas, sur les différentes composantes que sont le bâtiment, le public, les collections et le personnel. Sur la base des articles qui figurent dans le présent numéro et des recherches documentaires que nous avons effectuées en vue de sa préparation, nous avons tenté de dégager un certain nombre de tendances afin de tenter de répondre aux questions suivantes : I. Quels objectifs les musées s'étaient-ils fixés au cours de la période considé- rée, et dans quelle mesure ont-ils été atteints ?

Sommes-nous mûrs pour une autocritique?

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Page 1: Sommes-nous mûrs pour une autocritique?

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Sommes-nous miirs pour une dutocritique ?

Gaë1 de Guichen

Responsable, en 1968-1969, des études ayant trait h la conservation des grottes de Lascaux, il participe depuis lors aux activités de formation scientifique au Centre international d'études pour la conserva- tion et la restauration des biens culturels (ICCROM), où il occupe les fonctions d'adjoint du directeur. Spécialiste de la conse-rvation préventiyg, il a donné des cours de formation consacrés à ce problème dans une trentaine de pays.

Jacqueline Maggi

Titulaire d'un diplôme d'études de l'Institut des étudiants étrangers d'Aix-en-Provence (France), d'un B.A. de l'Université de Miami et d'une maî- trise de civilisation française de la Sorbonne (Paris). Responsable des pages artistiques dans une revue nationale publiée àJohannesburg (íUriquedu Sud), elle participe actuellement à plusieurs projets de recherche pour le compte de ~'ICCROM.

fi r: .- d

Les années qui suivront 19~0 seront des années critiques dans l'histoire des mu- sées, par suite de la reprise de la construc- tion, restée en suspens pendant la guerre ... Les années de stagmtion ont permis de faire le point, de m'tiquer les résultats obtenus et de réfléchirà l'œuvre à entre- prendre.

Museum, vol. IV, n03, I ~ J I .

Le quarantième anniversaire de Mztseum est pour nous l'occasion de revenir sur cette période de l'histoire au cours de laquelle la muséologie a connu une évolu- tion considérable et qui a été marquée symboliquement par la création même de cette revue, affirmation de la présence croissante des musées en tant que force positive influençant la vie et l'évolution des sociétés.

Produits de leur temps, les musées sont le reflet des conditions économiques, sociales et politiques des sociétés qui les ont conçus. Avec l'après-guerre est née une nouvelle époque caractérisée par l'intensification des contacts internatio- naux (distanciation d'avec les traditions), la quête d'une identité par le biais de la participation communautaire et un climat général d'optimisme (volonté de forger un avenir nouveau et meilleur et foi dans la technologie).

Dans le monde de la muséologie, ces caractéristiques se sont traduites par l'élargissement de la profession, qui s'est ouverte à la science et à l'industrie, par une diversification des publics et le souci croissant des musées de répondre à leurs besoins (les collections demeurant toute- fois l'objet prioritaire de leur attention), et enfin par la multiplication des nou- veaux musées. Une fois définis les objec- tifs fondamentaux, il restait à l'architec- ture moderne à concrétiser cette dynami- que en lui donnant forme et substance.

Analyser ces objectifs, déterminer dans quelle mesure ils ont été atteints, de façon à permettre au lecteur de tirer les leçons des erreurs commises et de faire son profit des solutions qui se sont révé- lées viables, telle est l'ambition du pré- sent numéro de Museum, qui se veut à la fois informatif et constructif.

Les différents musées retenus pour représenter la période en question ont été sélectionnés (dans la mesure du possible) sur la base des critères suivants : il s'agit dans tous les cas de musées instal-

lés dans des bâtiments modernes, construits spécifiquement à leur usage, il y a de cela vingt à quarante ans. Les musées installés dans des bâtiments anciens n'ont pas été pris en considéra- tion ;

le principe d'une représentation géogra- phique équitable a été appliqué ;

les musées retenus sont représentatifs de la diversité des collections (ethnogra- phiques, archéologiques, picturales, collections spécialisées et diverses) ;

chacun des musées retenus a fait l'objet d'au moins un article dans la revue Museum, auquel le lecteur pourra se reporter s'il le souhaite.

On a demandé aux auteurs d'analyser en toute objectivité les musées concernés, en faisant porter plus particulièrement leur étude, dans chaque cas, sur les différentes composantes que sont le bâtiment, le public, les collections et le personnel.

Sur la base des articles qui figurent dans le présent numéro et des recherches documentaires que nous avons effectuées en vue de sa préparation, nous avons tenté de dégager un certain nombre de tendances afin de tenter de répondre aux questions suivantes : I. Quels objectifs les musées s'étaient-ils

fixés au cours de la période considé- rée, et dans quelle mesure ont-ils été atteints ?

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I40 Gaë1 de Guichen et Jacqueline Maggi

2. Quels sont les problèmes qui appa- raissent à la lumière de l'évolution des différentes composantes de ces musées ?

3 . Détenons-nous désormais les clés de la réussite des musées qui seront créés à l'avenir?

S'agissant des objectifs que s'étaient assi- gnés les musées étudiés, les auteurs des articles qui leur sont consacrés font état en règle générale de finalités d'ordre phi- losophique : volonté de créer un centre d'échanges et de communication dans le domaine culturel; réaffirmation de l'identité culturelle ; désir d'intégrer un musée à son environnement.

Ces objectifs semblent avoir été atteints. Dans certains cas, toutefois, des erreurs architecturales en ont rendu la réalisation impossible, ainsi qu'on le verra plus en détail dans la suite de ce numéro.

Les délais entre la conception et l'achè- vement du bâtiment sont souvent tels que les objectifs initiaux doivent être aména- gés, modifiés, voire abandonnés, si bien que le musée, une fois construit, ne cor- respond plus aux besoins théoriques ou pratiques définis àl'origine. I1 arrive aussi que la réalisation ne soit pas à la hauteur de la conception, résultat d'un optimisme excessif et d'une incapacité à donner forme concrète à une idée.

Ainsi que l'a déclaré récemment Émile Biasini (premier président de l'établisse- ment public chargé du Grand Louvre), << l'architecture pe doit pas être spectacle mais utilité' P. A l'inverse, il semble que, dans la conception des musées construits pendant l'après-guerre, la forme l'ait emporté sur la fonction. En voulant don- ner à l'architecture moderne les moyens de s'illustrer au mépris des nécessités pra- tiques propres aux musées, on a créé de nombreux problèmes : inondations et infiltrations, pollution interne, mauvaise répartition edou insuffisance des espaces, éclairage naturel non contrôlé, absence de plan d'expansion ultérieure, impré- voyance quant au coût, immédiat ou futur, de l'entretien. Ce ne sont là que quelques-uns des maux qui accablent ces musées. L'installation de systèmes de cli- matisation, censée combler les rêves de tout directeur de musée, s'est bien vite transformée en cauchemar lorsque l'on s'est. aperçu que ces systèmes endomma- geaient ou détruisaient les collections.

La volonté d'intégrer harmonieuse- ment le bâtiment dans son environne- ment est également à l'origine de certai- nes complications. Les toits plats ou les plafonds bas conçus pour tenir compte

des contraintes imposées par les bâti- ments ou le paysage environnants laissent pénétrer l'eau de pluie et réduisent l'espace destiné aux expositions. La vogue des faîtières s'est traduite par un éclairage inadapté ou que l'on ne peut contrôler.

Les effets des erreurs architecturales qui ont étécommises n'ont épargné prati- quement aucune des composantes essen- tielles des musées, dont l'efficacité glo- bale souffre du fait qu'ils consacrent l'essentiel de leurs efforts à corriger ces erreurs.

Les musées sous tutelle des pouvoirs publics appliquent un système de recru- tement de personnel rigide qui interdit de faire appel à des techniciens qualifiés pos- sédant, par exemple, des compétences rares. Les musées privés éprouvent des difficultés à équilibrer leur budget et ont vu leur autonomie financière se réduire.

Les collections permanentes ont, en règle générale, connu une évolution satis- faisante. Le problème majeur tient à l'insuffisance de l'espace disponible pour les expositions et les réserves du fait de l'accroissement imprévu des Collections. Cette insuffisance s'explique, en partie, par la mise au jour de nombreux objets archéologiques qui sont venus grossir le nombre de ceux dont disposaient déjà les musées. Mais elle tient aussi à une impré- voyance parfois tragique des architectes, qui semblent dans certains cas avoir oublié qu'un musée abrite également une collection.

Le rapport du public aux musées étu- diés est bon, mais le manque de person- nel spécialisé dans les relations publiques a empêché d'exploiter au maximum les possibilités existant dans ce domaine. I1 est intéressant de comparer l'espace consacré dans le passé aux expositions temporaires à celui que l'on prévoit de leur réserver dans les projets d'extension ou de rénovation. I1 semble parfois que le goût du public ait changé et qu'il s'inté- resse davantage aux collections perma- nentes.

Ce bilan de l'évolution des musées au cours d'un passé relativement récent a naturellement exigé que l'on fasse appel à la réflexion d'experts contemporains. Les commentaires et les avis formulés par ceux qui ont étudié les musées concernés nous ont conduits à nous poser la ques- tion suivante : <( Avons-nous acquis la maturité suffisante pour faire notre auto- critique et en accepter les résultats ? >>

Nous reconnaissons certes que toute analyse critique doit tenir compte des facteurs positifs recensés, mais la réalité

(et peut-être plus particulièrement les articles qui ont été commandés, mais qui n'ont pas été fournis) nous oblige à constater, chez les auteurs, une certaine réticence à examiner les aspects négatifs, une tendance à privilégier les développe- ments conceptuels vagues au détriment de l'observation des faits et une répu- gnance àinformer les lecteurs de ce qui va mal dans les musées. Nous avons dû, dans plusieurs cas, insister auprès de ces auteurs pour qu'ils .fondent leur ap-ilyse sur des statistiques concrètes. A cet égard, il convient de souligner le carac- tère exemplaire de l'analyse de Rosanna Maggio Serra, admirable de précision et d'honnêteté.

Il est grand temps de nous départir de l'optimisme propre à l'après-guerre et d'identifier, afin d'y faire face, les vrais problèmes, qui consistent à assurer efficacement le stockage, l'exposition et la conservation des objets ; à assurer de façon satisfaisante la gestion et le fonc- tionnement du personnel; à assurer efficacement l'entretien du bâtiment en tenant compte des coûts actuel et futur de cet entretien; à repenser la conception et le rôle du bâtiment (qui doit être non pas une enveloppe superficielle et une source de destruction mais un stimulant de l'expansion) et à assurer le fonctionne- ment du musée dans son ensemble.

Les idéaux qui ont alimenté la créati- vité et le progrès doivent s'accompagner aujourd'hui de réalisme, afin d'assurer à la muséologie des assises solides. Si le bâtiment même qui symbolise ces idéaux et qui est censé protéger les objets irrem- plaçables qui constituent notre patri- moine se révèle instable, que pouvons- nous attendre de l'avenir ?

Toute projection réaliste concernant cet avenir exige - et c'est sur cette ré- flexion que nous conclurons - un sérieux réexamen de l'ensemble de ces facteurs. La maturité suppose la capacité d'assimiler les leçons de l'expérience et d'en tirer profit. Le passé doit servir de tremplin au progrès. C'est en admettant et en reconnaissant nos erreurs que nous permettrons à la muséologie non seule- ment d'échapper au risque de stagnation, mais encore d'évoluer et de se développer pour devenir un authentique moyen de communication, d'incitation et de décou- verte.

[Texte original en anglais]

I . Le Figaro, 25-26 mars 1989.