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Souffles 03

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souffles revue maghrébine

littéraire culturelle

trimestrielle

directeur abdellatif laâbi

siège social 10 rue jouinot gambetta

rabat maroc

cep 989.79 - tél. 235-92

Comi t é d ' ac t i on : A. b o u a n a n i ; B. j a k o b i a k ; E. M. n i s s a b o u r y ;

A. s t o u k y . M. a l lou la (Algé r i e ) ; A. l aude

( E u r o p e ) .

s o m m a i r e

ahmed bouanani

abdelkébir khatibi

abdellatif laâbi

hamid el houadri

mohammed ben said

abdelaziz mansouri

abdallah stouky

andré laude

malek alloula

bernard jakobiak

el mostafa nissaboury

introduction à la poésie populaire marocaine

roman maghrébin et culture nationale

mémoire - corps

comme ça

poème

étape

où va le théâtre au Maroc ?

préface à un procès de la négritude

poèmes

anti procès-verbal

l'anachronique son sablier

position

j u s t i ce p o u r Dr i ss C h r a ï b i

extraits de correspondance

n u m é r o 3 troisième trimestre 1966

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introduction à la poésie

populaire marocaine 0 1

par ahmed bouanani

< Celui qui ignore la poésie ne connaît pas la route de l'intelligence qui conduit à la sagesse par les degrés de la science et de l'art. »

C h a n s o n d u S o u s s .

Le Maroc possède une tradition littéraire orale des plus vivantes et des plus intactes. Transmise depuis les temps reculés, cette tradition s'est enrichie d'une génération à une autre et aux contacts de nombreuses civilisations. Elle a fait, jusqu'à présent, l'objet d'un nombre très restreint de recueils et d'études destinés pour la plupart à des buts linguistiques. Toutefois, les récits qui nous sont rapportés dans ces recueils, le plus souvent dans des traductions qui laissent à désirer, sont incapables de rendre les nuances et la richesse des expressions et des images employées par le conteur, la délicatesse d'allusion et les tons spécifiquement maro­cains des contes et légendes populaires.

Plus encore que dans les contes et les légendes, la traduction des chants populaires, (les quelques fragments qu'on peut lire dans certains ouvrages) ne donne qu'une idée assez vague quand elle n'est pas fausse de ce qu'est en fait la poésie populaire en dialectes maghrébins.

Ces documents sont d'un intérêt capital pour les chercheurs, sociologues, fol-kloristes, ethnographes ou linguistes, soucieux de trouver les origines de tel rite ou de tel mot. Mais ils ne peuvent pas servir pour des études d'analyse de la littérature orale traditionnelle. Pour juger correctement de la valeur d'un poème ou d'un conte, la reconsidération du texte original s'impose. Mais la tâche n'est pas aisée. Il faudrait entreprendre un long travail de recherche pour recenser, grouper le plus grand nombre de contes et de légendes (dits par des conteurs

(1) Nous n'aborderons pas ici un des genres les plus Importants de cette poésie : le « Malhoun » ; il nécessiterait à lui seul plusieurs études distinctes.

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professionnels, car ceux-ci seuls détiennent les secrets de la narration traditionnelle riche en images et en expressions), de chants populaires, de dictons et de proverbes ,u'il est encore possible de recueillir dans différentes régions du pays. Une fois

ce travail encyclopédique réalisé, on peut se livrer à l'analyse des documents dans leur dialecte d'origine pour dégager les caractéristiques du génie populaire qui les a engendrés.

Certains auteurs ont recueilli des textes mal racontés, incomplets ou abâtar­dis, et ont conclu trop hâtivement que les berbères manquent d'imagination et que leurs contes sont pauvres et totalement dépourvus de lyrisme (cf. Henri Basset, Essai sur la littérature des Berbères. 1920). U est inutile de démontrer que leurs propos sont erronés. Un conte n'est que dans la façon dont on le dit. Puisqu'il est oral, il n'est prisonnier d'aucun langage ; seuls les thèmes qui y sont développés demeurent immuables. Chaque conteur possède un style propre, une manière de faire vivre son conte dans la halka. Il use d'artifices pour intéresser, captiver l'auditoire. L'improvisation est capitale pour parvenir à ses fins. Le conteur change parfois le nom d'un ou de plusieurs personnages, supprime à l'occasion certaines actions, en rajoute de son cru, suivant les circonstances. Car raconter n'est pas seulement rapporter le conte tel qu'il a été conçu par les anciens, c'est surtout l'enrichir d'éléments nouveaux. C'est pourquoi le conteur est aussi poète. Une étude de la littérature orale traditionnelle ne doit en aucune façon négliger le rôle créateur du conteur.

Un fait est certain : la tradition se perd quand elle n'est pas maintenue. Et la tradition orale littéraire, plus que toute autre tradition, est en voie de désagrégation pour ne pas dire de disparition. Rares sont aujourd'hui les conteurs professionnels qui savent encore les secrets de la narration traditionnelle, les chanteurs qui connaissent les poèmes du légendaire Sidi Hammou auquel la plupart des chants célèbres du Souss sont attribués. Les noms mêmes de nos poètes populaires, et à plus forte raison leurs œuvres, ne sont connus presque plus de personne. N'eût été l'ouvrage de René Euloge par exemple qui groupe un nombre assez important de chants de la Tassaout, qui aurait jamais entendu parler de la poétesse Mririda N'Aït Attik ? Les historiens et les biographes classiques jettent un discrédit sur tout ce qui n'est pas composé en arabe classique littéraire et relèguent dans l'oubli ces c poètes vulgaires et illettrés > qui, pourtant, ont exprimé les sentiments les plus profonds de la vie de notre peuple.

LES CHANTEURS AMBULANTS

Autrefois, des chanteurs ambulants, nombreux dans le Moyen Atlas et plus encore dans le Souss, sillonnaient toutes les régions du pays, à l'exemple des acrobates Ouled Hmad ou Moussa et des conteurs. Leur orchestre comprenait quatre exécutants : l'amphar ou imdiazen, qui est le chef de la troupe, le bou ghanim ou joueur de flûte, vêtu d'un costume éclatant, et deux répondants au tambourin. Dans le Souss. les chanteurs ambulants allaient parfois seuls ou accom­pagnés d'un enfant. Mais le plus souvent, ce sont des compagnies importantes qui parcouraient les villes et les villages, improvisant de leur cru des pièces poétiques ou chantant des poèmes célèbres de leur patron.

Ces chanteurs ambulants ont gagné une place de première importance dans la lutte contre les forces d'invasion colonialistes du début du siècle et sous le protectorat : c Aujourd'hui, écrit Basset, ce sont eux, ces orchestres à l'accoutre­ment barbare, toujours en marche de village en village, qui répandent dans les régions agitées, les bruits les plus extraordinaires et poussent à la lutte contre les Français. On les admire, on les écoute. Ce sont de redoutables agents de propagande ».

De nombreuses chansons se rapportent à la pénétration française, aux luttes soutenues par les tribus, aux exactions des caïds et des contrôleurs civils ; des chansons anonymes que chacun fait siennes parce qu'elles sont dites avec des mots simples et un cœur d'homme.

c Plus de châteaux démolis que de châteaux assis. plus de crasse que de savon et plus de faim que de farine et plus de souliers percés que de bons souliers. »

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Un poète des Bni Mtir s'exprime ainsi :

< le parle pour ceux qui sont assis autour de moi. Si je racontais ce que je vais dire à la source, elle se dessécherait d'émotion. Si je le racontais à Tarbre, il en perdrait toutes ses feuilles. Si je le racontais au rocher, il en branlerait sur ses bases. Si je le disais à l'obus de 75, il exploserait. SI le narrais mon récit aux pierres, je les ferais pleurer. O vous tous, qui avez vécu ces événements que mes paroles vont rapporter, Ecoutez-moi 1 Vous avez mangé le suc des grappes améres, et vos enfants en gardent les lèvres

[Irritées... > !

Ces chanteurs, aujourd'hui, 5» sont tus. Ils ne parcourent plus ni les villes ni les villages. Même sur la place de Jemaâ el Fna, à Marrakech, il n'y a vraiment plus que des charlatans, des dresseurs de singes, des charmeurs de serpents, et des Rwaïss qui ne savent pas chanter. Dans les villes, on rencontre quelquefois des chanteurs isolés que personne n'écoute plus. En de rares occasions, le vingt-septième jour du Ramadan ou à l'Achoura par exemple, des chanteurs ambulants se manifestent. Mais ces troubadours deviennent de plus en plus rares. La vie moderne les refoule vers l'intérieur du pays, dans les petites localités et dans les souks.

LES POETES

Le rôle du poète dans l'ancienne société marocaine est considérable. Il est avant tout le chroniqueur, I' € historien > de sa tribu. Il ne chante pas seulement ses amours et ses déboires propres, mais aussi et surtout les événements vécus par sa tribu ou au sein de sa tribu. Au cours d'une joute entre clans rivaux, c'est à lui que l'on fait appel pour prendre la défense des siens. Respecté et vénéré à l'égal d'un saint, sa parole est écoutée, car il possède la sagesse et le secret des mots qui vont droit au cœur.

Le nuage noir annonce la pluie ; Varrivée du guêpier. Tété ; les chants de coqs, l'aurore ; la fumée des terrasses, le feu des noyers... Mais rien n'avertit de la mort.

Ainsi parle Sidi Baaddi de Togourt. Tous ceux qui ont reçu le don merveilleux de la poésie et du chant, partout où ils vont, sont bien accueillis. Us sont aussi craints qu'aimés.

Mais le poète n'est pas seulement un troubadour, un aède qui chante pendant les fêtes, glorifie sa tribu, ou fait l'éloge d'un homme illustre ou d'un bienfaiteur. Son rôle est capital quand il s'agit pour sa tribu de combattre l'ennemi. Ibn Khaldoun signale cette fonction du poète chez les Zenata ; il écrit : c Le poète marche devant les rangs et chante : son chant animerait les montagnes solides ; il envoie chercher la mort ceux qui n'y songeaient pas ».

Pour tout le monde, l'inspiration du poète est de source divine. La croyance populaire, nourrie de mythologie, de superstitions et de merveilleux, lui attribue des dons surnaturels.

Il existe dans le pays plusieurs lieux sacrés (grottes, tombeaux saints) où l'aspirant poète se rend pour recevoir la consécration. C'est à Ifri Nkad, chez les Aït Ba Amrane de Tiznit ; à Lalla Takandout, chez les Ihahanes ; dans la région de Marrakech, ce sont deux marabouts célèbres, Sidi Jebbar et Moulay Brahim, que nombreux chanteurs et poètes reconnaissent pour patrons. L'aspirant poète fait un sacrifice, puis s'endort dans la grotte ou dans le sanctuaire du saint. Si son sacrifice est agréé, la troisième nuit il voit sortir de la caverne < la mère de l'esprit » qui l'habite ; elle l'invite à le suivre. A l'intérieur, elle lui fait boire l'eau d'une fontaine ou le lait d'une brebis. Puis, il trouve toute une assemblée de génies qui lui offrent du couscous. Autant de grains il mangera, autant de poèmes il composera.

Le poète est entouré de mythes. On croit qu'il peut entrer en contact avec les forces de la nature, les apaiser ou les déclencher contre quelqu'un ; il parle

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le langage des animaux, des plantes et des insectes. Le monde n'a pas de secret pour lui. Mais la croyance populaire n'ignore pas que le poète doit perfectionner son art auprès de poètes illustres. Il entre au service de l'un d'eux, l'accompagne partout où il va, apprend ce qu'il dit. Après une longue période d'initiation poétique, il peut alors s'exprimer par lui-même, donner un cachet nouveau et personnel à ses chants.

Les instruments de musique que le poète utilise sont variés selon les régions. En voici les principaux : — le rebab, sorte de petit violon monocorde aux incrustations de perles et de verre, dont la corde, en crin de cheval, est oblique, et l'archet en demi-cercle. — le bendir, peau tendue sur un cercle de bois (cet instrument est très employé dans les danses). — le guenbri, instrument à trois ou quatre cordes, utilisé par la plupart des troubadours du pays, (les chanteurs gnawi se servent d'un guenbri différent, dont la boite de résonance est plus allongée ; l'extrémité du bras est munie de pendentifs minuscules qui produisent des sons touffus).

Dans les plaines atlantiques (Chaouïa, Doukkala, Abda, Tadla), l'instrument le plus employé est la taréja. Ailleurs, ce sont la flûte, la derbouka, le ter, le tebel et le violon avec archet.

Dans la région de Zagora par exemple, il existe un instrument qu'on ne trouve nulle part ailleurs : c'est le deffe, peau tendue des deux côtés d'un carré de bois dont les dimensions sont beaucoup plus petites que celles du bendir.

Toutefois, il nous est impossible de donner dans le cadre de cette esquisse une liste plus complète des instruments ; ceux-ci méritent une étude à part qui rendrait compte de la variété et de la richesse de la musique populaire marocaine.

AMARG

Amarg est le mot en dialecte berbère par lequel on désigne toute poésie chantée en général (au Moyen Atlas, c'est l'Izlane). Amarg signifie aussi amour, chagrins, regrets, séances au cours desquelles on exécute les chants.

Il se compose en grande partie de courtes pièces issues de l'inspiration du moment et qui durent le temps que les événements qui les ont suggérées soient oubliés. Ces pièces sont improvisées soit au cours d'un rassemblement important de tribus ou de cérémonies traditionnelles (naissance, baptême, circoncision, maria­ge, etc. . ) ; soit au cours de joutes littéraires, véritables tournois de virtuosité opposant des personnes d'une même tribu ou de tribus rivales. Chacun fait assaut d'esprit et de verve dans ces joutes où souvent il semble bien que les femmes triomphent.

Ces séances, combinant le chant et la danse, sont connues au Maroc sous les noms d'Ahouach et d'Ahidous. Que ce soit l'un ou l'autre, il s'agit toujours de danses chantées, danses collectives et rituelles, dont les multiples figures sont réglées par le Raïss.

Un thème poétique est proposé, une phrase est lancée ; là-dessus, le thème musical se brode, le rythme aussitôt s'en empare, lui donne une forme, une contexture rigide que la danse va rendre plastique.

Les chants sont, en somme, des vers isolés qu'on appelle « tlt », un choc, une attaque, un coup de bendir, que module d'abord le raïss et que tous répètent ensuite un grand nombre de fois. Chacun d'eux est à lui seul un poème ; en voici des exemples :

c Un ami qu'on ne volt pas, — renvoyer chercher, — ce n'est pas un péché. » c L'espoir est plus vigoureux que les mules de Syrie. — On n'est jamais fatigué pour aller chez un ami. »

c L'amour qu'on ne peut assouvir est plus désolant que la période des pluies. > c Je voudrais récolter une moisson de beautés que rapporteraient chez moi les laboureurs sur les mulets. »

< Toi qui te figures avoir des amis, au sein de la prospérité, — garde bien ta fortune si tu veux garder tes amis. »

c Une main ouverte vaut mieux que plusieurs mains fermées. »

< L'amitié se maintient dans la confiance ; — elle périt dont le mensonge. >

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« Amoureux, que chacun aille avec ce qu'il aime. »

c N'est-ce pas, les gens, qu'il faut soupirer quand on est en peine ? »

Parfois, au cours de ces séances, il arrive que l'on fasse des déclarations d'amour, des allusions ironiques sur la conduite d'une femme infidèle ou d'un homme orgueilleux.

c Celui que Dieu met à cheval sur une selle, — Il doit modérer son allure, —

et ne pas faire galoper ceux qui chevauchent sur la terre et sur les pouces de leurs pieds de peur que Dieu ne le démonte et qu'il ne soit semblable à eux. »

Ces vers visent un cheikh de la tribu des Ghoujdama qui tenait à distance les gens qui venaient le saluer, de peur qu'ils salissent son burnous.

La fête, commencée un peu avant la fin du jour, se termine à l'aube. « Pour Dieu, donnez-nous congé, maître de la file. L'étoile du matin se lève et c'est le jour. »

Et sur ce vers, tous les gens se dispersent.

A côté de cette forme de la poésie caractérisée par la spontanéité et l'impro­visation de l'esprit populaire, il existe une catégorie de chants qui se rattachent à un mode de vie très archaïque et dont actuellement encore de nombreuses tribus poursuivent la tradition. Ce sont :

a) les chants des rites agraires pour demander la pluie, fêter les moissons et les récoltes ou la mutation des saisons. Les réjouissances saisonnières sont probable­ment héritées des danses que devaient déjà célébrer les fils de Sumer et les pâtres d'Homère. Rappelons que les danses dans l'Antiquité étaient associées à toutes les fêtes religieuses et politiques ; elles donnaient une forme vivante et concrète aux conceptions sacrées.

b) les chants accompagnant de leur rythme les travaux quotidiens : chants des fileuses et des cardeuses de laine, chants du hinna qu'entonnent les femmes en parant la jeune mariée, chants des artisans, chants du moulin à grain, berceuses, e tc . . Les chants du moulin à grain ne se retrouvent déjà plus que dans certaines tribus de l'Atlas comme les Aït Bougmez et chez les Ait Atta de Tazzarine et les Mgouna (ces chants sont appelés « Herro »). Leur survivance est précaire, car l'utilisation des moulins à grain se fait de plus en plus rare, et ces chants, uniques en leur genre, risquent dans un avenir très proche de n'être plus qu'un vague souvenir si des mesures ne sont pas prises à temps pour les préserver de l'oubli.

c) les chants de mariage, les chants de deuil, e t c . . d) les comptines que parfois encore les enfants des campagnes et des villes récitent dans leurs jeux ou quand il pleut. e) les chants de guerre pour enflammer les cavaliers, la marche vers la bataille, e tc . .

Les chansons du Rif — même inspiration que les chansons du Moyen Atlas — ont cependant une forme moins primitive. Les chansons de Tanger, Fès, Larache (comme celles des plaines atlantiques et du Maroc oriental) sont d'une richesse et d'une profondeur incontestables. Chanson de la poudre, chanson de baignade, chanson de la grande daya, chanson du géranium. Chansons plaisantes telle cette chanson des femmes de Tanger sur les vieux :

« Les mendiants et les vagabonds cherchent les mets délicats ; les vieux blancs et ridés aiment les jeunes filles ; le chat qui a perdu les dents veut les souris bien tendres et celui qui est édenté veut croquer des bonbons... »

Les poèmes composés par un aède racontent généralement une anecdote tirée de la légende. L'origine de celle-ci n'est autre que le Coran, la vie du Prophète ou des saints de l'Islam. Certains chants rappellent étrangement par leur sujet des mythes antiques, tel ce poème de Cabi qui raconte l'histoire d'un jeune

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homme à qui Dieu permit d'aller voir ses parents en enfer et de délivrer l'un d'eux : ni son père ni sa mère n'ayant voulu partir sans son époux, Dieu les libéra tous deux et pardonna à leur famille. Ce poème présente de grandes affinités avec cette autre chanson soussie de < Hamou Ou Namir > (recueillie par Justinard) qui rappelle le mythe d'Orphée.

Il est d'autres poèmes — et ce sont la plupart de ceux composés dans le Sous — attribués à un poète légendaire, Sidi Hammou, l'un des ménestrels les plus célèbres. Né à Aoullouz et mort chez les Iskrouzen, à des dates incertaines (son existence remonterait au XVI" siècle), patron des chanteurs, Sidi Hammou n'a pas laissé une œuvre écrite et il n'existe probablement plus personne qui saurait dire ses chants à l'heure actuelle. Toutefois, quelques-uns parmi ses longs poèmes ont été recueillis dans certains ouvrages, mais il n'est pas certain qu'ils ne soient pas modifiés, encore faudrait-il savoir s'ils ont réellement appartenu à Sidi Hammou. En tout cas, il est à signaler qu'aucune étude (à notre connaissance) n'a été entreprise pour dégager de l'oubli l'œuvre colossale de ce grand poète populaire.

Après une longue absence, Sidi Hammou se décide à revenir auprès de celle qui avait été l'objet de son premier amour. En traversant la chaîne de l'Atlas pour arriver à Aoullouz, il cherche à adoucir les fatigues du chemin par des réminiscences, et par l'expression de ses craintes et de ses espérances.

< ...Ah ! ma mère, miséricordieuse, enfin je suis arrivé à être taleb ! Avec quille fierté je me promène, mes tablettes en main. Mais la chanson descend, et mon érudition me profile peu avec les maîtresses de boucles d'oreilles. Dois-je revenir à Ouijjan, à Tiki-ouin et Ighil Mallan, là où j'ai vu ces adorables gazelles, reposant sur leurs couches ? Cest un spectacle qui vaut des quintaux d or I

Quand la caravane se fatigue, il faut qu'elle se repose. Si le moulin travaille lentement, qu'on ajoute de l'eau dans le ruisseau. Si l'amitié se refroidit, lâche-là. »

On trouve dans les paroles de Sidi Hammou un nombre infini de proverbes. Dans ce poème où il chante sa bien-aimée Fadma Tagurramt, il s'exprime cons­tamment par allusions, paraboles :

c Est-ce qu'on apporte de l'eau jusqu'au sommet de la montagne pour la faire couler à la plaine ? »

t MM tes paroles plutôt que tes richesses. »

« Est-ce que je demande au chameau la noblesse du cheval î » c Le laurier-rose me donnera-t-il de la douceur ? • c On ne cherche pas un lieu sec dans t'océan. » c Et moi, puis-je espérer une réponse a"un mort ? »

Avec sa réticence caractéristique, le poète nous laisse à la fin du poème deviner seulement que tout va bien, et que le cours de sa passion, jadis si troublé, promet à l'avenir de se dérouler à son entière satisfaction.

c Fadma, fille de Mohammed, penses-tu que, parmi les drogues de Rome, il existe un remède pour ceux qui aiment ? Quel qu'il soit, donne-le moi, mais vite. »

Il semble que l'un des thèmes préférés de Sidi Hammou dans la plupart des poèmes qu'on lui attribue soit l'amitié.

« Qu'il ne dise jamais qu'il a passé sa vie. Celui qui n'a pas d'ami, Parce que la vie, ce sont les amis qui la font passer. » « Un cœur, quand il est brisé, qui le guérira, Si ce n'est, d'un ami, la parole ou le rire ? »

c // n'est rien de plus cruel que les larmes a"un ami. » « Le laurier-rose est amer. Qui, jamais, en le mangeant, A trouvé qu'il était doux 7 Je l'ai mangé pour mon ami. le ne T ai pas trouvé amer. »

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< Que le fusil ne soit jamais loin de la balle, Et les yeux peints de Tantimoine Et le cœur loin de ses amis Jusqu'à ce qu'ils entrent sous terre. »

La sagesse, la beauté de ces vers, sont incomparables. Mais, comme le dit la chanson :

« Les propos de Sidi Hammou sont si nombreux que c'est comme la mer, on n'en voit pas le bout. »

En résumé, on distingue dans la poésie populaire marocaine :

— des petites pièces qui chantent généralement les sentiments honorés dans les tribus : l'amitié, l'amour, le courage, e tc . . Elles ressemblent plus à des proverbes, et les vers, lancés souvent à la volée au cours des danses, n'ont aucun lien entre eux ; le thème seul les unit. — des poèmes plus longs sont composés par des aèdes. Mais la plupart d'entre eux, sinon tous, se transmettent aujourd'hui encore, anonymes. Qui nous dira le nom de ces poètes ? Qui nous dira le nom de celui-là qui dit :

« Une source sortit du tombeau de Fadel. Une source sortit du tombeau ttAttouch. Elles se rencontrèrent et parcoururent le monde. » Et qui nous dira les noms de tous ceux qui ont crié contre l'oppresseur, marché devant les soldats en chantant :

« Les hommes, de l'union. Moi, je vois le fleuve. En tout endroit qu'il se disperse. Il faut qu'un chemin le traverse. >

— enfin des chants rituels dont les origines se perdent dans la nuit des temps, accompagnant des rites auxquels le paysan demeure fidèle.

Vient de paraître:

LE POLYGONE ETOILE DE

K A T E B Y A C I N E

E D I T I O N S D U S E U I L

Page 10: Souffles 03

roman maghrébin

e t

culture nationale

par abdelkébir khatibi

D e p u i s 1945, on a a s s i s t é à un d é v e l o p p e m e n t r e l a t i v e m e n t i m p o r t a n t de l a f o r m e r o m a n e s q u e d a n s l a l i t t é r a t u r e m a g h r é b i n e . Ce p h é n o m è n e n 'es t p a s i so lé : i l c o r r e s p o n d s u r le p l a n h i s t o r i q u e à la p é r i o d e de m a t u r i t é po l i t i que et à ce i ie de la lu t te i i rmec .

C'est p o u r q u o i i l faut à la fois e x p l i q u e r ce p h é n o m è n e en l u i -même e t l e r e l i e r aux c o n d i t i o n s soc io -po l i t i ques qu i l e s u p p o s e n t . De p lus , c e g e n r e l i t t é r a i r e p e r m e t d e c i r c o n s c r i r e c e r t a i n s p r o b l è m e s d e l a c u l t u r e n a t i o n a l e .

Le r o m a n est u n e e s t h é t i q u e o c c i d e n t a l e qui a sub i u n e évo lu t ion p r o p r e e t qu i , d a n s son p a s s a g e a d ' au t r e s c u l t u r e s , p r o v o q u e d e s a t t i ­t u d e s in t e l l ec tue l l e s p a r t i c u l i è r e s e t s e p lace d a n s de n o u v e a u x c a d r e s . Que veut d i r e ce t t e m u t a t i o n p o u r les p a y s du M a g h r e b ?

Né d a n s l e c a d r e d ' une soc ié té féodale e t de l a c u l t u r e a r i s t o c r a t i q u e , le r o m a n s'est d é v e l o p p é p a r a l l è l e m e n t à la m o n t é e de la bou rgeo i s i e d è s l e d é b u t du s i èc le d e r n i e r . Au jourd 'hu i , d a n s les soc ié tés de c o n s o m ­m a t i o n , l e r o m a n est d e v e n u u n p a i n q u o t i d i e n .

D i r e cela ce n 'es t p a s s i m p l e m e n t s i t u e r h i s t o r i q u e m e n t l e r o m a n , c 'est aus s i d é s i g n e r u n e t h é m a t i q u e p r o p r e à la l i t t é r a t u r e o c c i d e n t a l e . Q' i s a i t q u e L u c i e n G o l d m a n n a d é c o u v e r t u n e h o m o l o g i e r i g o u r e u s e e n t r e l a s t r u c t u r e é c o n o m i q u e du cap i t a l i sme e t l a s t r u c t u r e de l ' imag ina i r e r o m a n e s q u e . Ce t te h y p o t h è s e d e m a n d e à ê t r e c o n f r o n t é e à l ' évolu t ion : r o p r e d e s soc ié t é s a n c i e n n e m e n t co lon i sées .

Au M a g h r e b , le d é v e l o p p e m e n t du r o m a n qu i va de 1945 à 1962 c o r r e s p o n d à la p é r i o d e de la lu t te c o n t r e le s y s t è m e c o l o n i a l . On c o m ­p r e n d a l o r s q u e l a p o l i t i s a t i o n de l a l i t t é r a t u r e m a g h r é b i n e ait b rou i l l é les q u e s t i o n s s p é c i f i q u e m e n t e s t h é t i q u e s . Que res te- t - i l m a i n t e n a n t de l a p r o d u c t i o n c u l t u r e l l e de ce t t e é p o q u e ? q u e l l e est la s ign i f i ca t ion e t la p o r t é e de ce p h é n o m è n e ?

C e r t e s , i l ex i s t a i t en Af r ique du N o r d u n e l i t t é r a t u r e t o u j o u r s v i v a n t e q u i c o n c e r n e p l u s s p é c i a l e m e n t l a poés i e d e t y p e t r a d i t i o n n e l

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(la q a c i d n ) ; m a i s l a c u l t u r e a r a b e d u M a g h r e b c o m m e n o u s s a v o n s é ta i t à la fois figée de l ' i n t é r i eu r et c o m b a t t u e de l ' ex t é r i eu r p a r la co lon i sa t i on . Le m é r i t e r e v i e n t a u x é c r i v a i n s d ' e x p r e s s i o n f r an ça i s e d ' i n t é g r e r l e r o m a n en t an t q u e tel d a n s l a c u l t u r e m a g h r é b i n e .

C e r t a i n s d i sen t q u e ce t te l i t t é r a t u r e n'a r i en de m n g h r é b i n p a r c e q u ' é c r i t e d a n s u n e l angue é t r a n g è r e . Soit , t ou t e l i t t é r a t u r e n a t i o n a l e doi t s e s e r v i r d ' une l angue n a t i o n a l e . En p l u s , ce t t e l i t t é r a t u r e d ' exp re s s ion f r ança i s e étai t l e r é s u l t a t d ' une s i tua t ion a b e r r a n t e . El le é ta i t p r o d u i t e p o u r la c o n s o m m a t i o n m é t r o p o l i t a i n e e t son p u b l i c é tai t e s s en t i e l l emen t f r ança i s . Ce n 'est d o n c p a s é t o n n a n t s i Mohamed D i b é ta i t d a v a n t a g e u d a n s c e r t a i n e s fami l les o u v r i è r e s f r ança i se s q u e d a n s la soc ié té algé­

r i e n n e . Ce n 'es t p a s n o n p lus é t o n n a n t s i ce t t e l i t t é r a t u r e est p r e s q u e m o r t e a v e c la fin de la co lon i sa t i on .

C o n s i d é r o n s m a i n t e n a n t , non p lus l e p r o b l è m e de l a l i t t é r a t u r e , m a i s ce lu i des é c r i v a i n s m a g h r é b i n s . A p r è s l a d e u x i è m e g u e r r e , l a p r e m i è r e p r o m o t i o n ( F e r a o u n , D i b , M a m m e r i , Scfrioui. . .) s'est a p p l i q u é e à d é c r i r e la soc ié té loca le , à fa i re un p o r t r a i t assez p r é c i s de ses d i f f é r en te s c o u c h e s socia les , bref a d i r e « voi là ce q u e n o u s s o m m e s , voici c o m m e n t n o u s v i v o n s » , c 'est a ins i qu 'on a d i t q u e ce t t e l i t t é r a t u r e est d ' a b o r d un t é m o i g n a g e s u r u n e é p o q u e e t s u r u n e s i tua t ion d o n n é e . D a n s u n e c e r t a i n e m e s u r e , ce t te d e s c r i p t i o n é ta i t s a l u t a i r e en ce s e n s qu ' e l l e é ta i t dé jà u n e s o r t e de b i l an desc r ip t i f de la s i t ua t i on co lon i a l e . Mais à ce n iveau morne, el le é ta i t d é p a s s é e p a r les é v é n e m e n t s qu i se d é r o u l a i e n t en Afr ique du N o r d . P a r e x e m p l e , au m o m e n t où les a l g é r i e n s on t p r i s les a r m e s p o u r se l i b é r e r p a r l a v io lence , les r o m a n c i e r s s ' app l i qua i en t à d é c r i r e m i n u t i e u s e m e n t la vie q u o t i d i e n n e de q u e l q u e s v i l lages k a b y l e s e t les poè te s c h a n t a i e n t les ango i s ses de l eu r p e r s o n n a l i t é d é c h i r é e .

C o n d a m n é à s u i v r e u n e r éa l i t é t o u j o u r s en t r a n s f o r m a t i o n l ' écr iva in est « e m b a r q u é »; s'il veut s u i v r e ce t t e r é a l i t é d ' une façon c o n t i n u e , i l t o m b e d a n s l e j o u r n a l i s m e . S'il p r e n d t r o p de d i s t ance , i l r i s q u e d ' a b o u t i r à u n e l i t t é r a t u r e d é s i n c a r n é e . La « m a u v a i s e c o n s c i e n c e » g u e t t e à c h a q u e i n s t an t l ' éc r iva in m a g h r é b i n .

La s i tua t ion s'est c o m p l i q u é e avec la g u e r r e d 'Algér ie . C e r t a i n s é c r i v a i n s ( H a d d a d , Djebar , B o u r b o u n e , Kréa. . . ) on t e s saye de m e t t r e leur é c r i t u r e au s e rv i ce de la R é v o l u t i o n . A l e u r m a n i è r e ils ont fait c o n n a î t r e le p r o b l è m e a lgé r i en . M a l h e u r e u s e m e n t ce t te l i t t é r a t u r e a en g r a n d e p a r t i e fait son t emps , el le est m o r t e avec la g u e r r e . M a i n t e n a n t qu 'on se t r o u v e d e v a n t de g r a n d s p r o b l è m e s d 'éd i f ica t ion n a t i o n a l e i l faut p o s e r f r a n c h e m e n t e t s a n s d é t o u r s la ques t i on de la l i t t é r a t u r e : d a n s d e s p a y s en g r a n d e p a r t i e a n a l p h a b è t e s , c ' e s t -à -d i re où le m o t éc r i t n peu de c h a n c e s p o u r l e m o m e n t , de t r a n s f o r m e r les choses , peu t -on l i b é r e r un p e u p l e avec u n e l angue qu ' i l ne c o m p r e n d p a s ?

Je su i s p e u t - ê t r e p o u r l a m o r t p r o v i s o i r e de l a l i t t é r a t u r e e t p o u r l ' engagemen t de l ' i n te l l ec tue l d a n s l a lu t t e p o l i t i q u e ; ce lu i -c i doit fnire p r e n d r e c o n s c i e n c e aux a u t r e s d e l e u r s p r o b l è m e s f o n d a m e n t a u x , déve ­l o p p e r ce t te consc i ence . La l i b é r a t i o n r a d i c a l e du po in t de v u e d e s s t r u c t u r e s e t de l ' idéologie est le f o n d e m e n t m ê m e de la c u l t u r e n a t i o n a l e .

En fait , j ' e x a g è r e d a n s l a m e s u r e où j e su i s j u s q u ' a u bout m o n r a i s o n n e m e n t . Le b e s o i n d ' é c r i r e est l e r é s u l t a t d 'un c o m p l e x e de s e n t i m e n t s , d ' a t t i t udes , d ' é m o t i o n s , de t e n t a t i o n s e t de r ê v e s . Peu t -on i n t e r d i r e v a l a b l e m e n t à un poè t e de c h a n t e r ses p e i n e s e t ses joies m ê m e s i d e s e n f a n t s m e u r e n t de faim, p o u r r e p r e n d r e u n e e x p r e s s i o n de S a r t r e ?

A sa façon , l ' éc r i tu re est u n e p r a x i s , u n e ac t ion qu i a à j o u e r p l e ' n e -m e n t son rô le . I l suffit q u e l ' éc r iva in c o m p r e n n e q u e la c u l t u r e n 'est p a s l a vo lon t é d ' h o m m e s so l i t a i r e s , m a i s c o n s t r u c t i o n d 'un e n s e m b l e de v a l e u r s e t d ' idées au s e rv i ce d ' une p l u s g r a n d e l i b é r a t i o n de l ' homme. Dès l o r s , l e p r o b l è m e se pose en t e r m e s de r a p p o r t s de force . N o t r e c u l t u r e est e n c o r e p r i n c i p a l e m e n t t r - d i t i o n n a l i s t e ou imi tn t ive . Le p r o b l è m e est de s a v o i r c o m m e n t f a i r e é c l a t e r ce t te t r a d i t i o n , l a d é m y s ­t if ier e t t r o u v e r de nouve l l e s fo rmules ap t e s à e x p r i m e r n o t r e r é a l i t é e t à i n c a r n e r n o s d é s i r s les p lus p r o f o n d s .

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Ce texte est extrait d'un < itinéraire » en préparation, intitulé « L'Œil et la Nuit ».

I Plus lard, les livres m'ont appris.

Mais ce n'était pas ainsi au fond de cette ruelle. Et pourquoi cette caresse se mue-t-elle toujours en une vision qui dépasse un simple geste. De tendresse peut-être. Comme les premières images d'atro­cités après la déflagration d'Hiroshima. Chevelures éparses. Car­bonisées. Une poche de fiel à la place du cœur. On débouchait toujours sur une courette. A droite le sanctuaire. Au fond des ateliers de tannage. L'odeur était perceptible de loin. On voyait des muletiers emprunter Tune des voûtes avec un char­gement de peaux ruisselantes. Les heures ne pouvaient s'évaluer, se pressaient. L'odeur montait. Tournoyait. Faisait tournoyer les pyramides de tuiles, les blocs de pavés, la bouche <ïégout. L'at­traction gagnait les objets, la lumière.

Les yeux patiemment suivent hommes et bêtes. Les paraboles de gouttelettes imprimées par les peaux sur le dallage. Vieilles gouttières. On les sent à peine au-dessous des pieds. Elles semblent remonter avec les images. Continuer à elles seules Tes-talade de la nuit. Elle recevaient les premières gouttes de sang. Je serrais une main. J'en garde la moiteur. Le corps dont elle faisait partie a disparu pour toujours. Pourtant, je relevais la tête, je regardais. Je parlais à quelqu'un. Un océan m'en sépare. L'a déduit. Je lui ai arraché la main. Je l'ai emportée avec moi. J'ai dormi des années. Il en est mort. Elle en est morte. J- suis incapable de réinventer ses doigts. Mais je veux surtout me débarrasser de sa main. la courette était silencieuse. Déserte. Une marelle était tracée sur le sol avec du charbon de bois. Les murs couverts d'inscriptions d'enfants. Glorification de Tcquipe de football locale, divers attri­buts du passif, aucune allusion à la femme. Un autre royaume de gosses. J'y débouche. Encore une fois, je ne pourrais pas tout voir. Un obstacle me barre le passage. Je rentre la tête, à moitié. De cette façon, je ne peux voir que d'un ceil. Je n'ai pas de voix. Le reste du corps vagabonde. Ailleurs.

J» cogne... H cogne à un mur mitoyen qui donne sur un choc de ferraille, un cliquetis a"objets en fer blanc, une brûlure de désinfectant bleu sur le crâne.

Une fontaine publique. La main soulève le piston. La nuque s'offre au ronron glacé de l'eau. En pleine féerie. Le ghoul Ammi Boubou. Axcha Kandicha au détour de la voûte et les petits anges aux blanches ailes qui vien­dront apaiser les paupières.

Je vole très bas. Je perds insensiblement de Taltitude. L'appré­hension d'une chute, dans un endroit terrifiant. La ville s'éloigne.

Un ogre a chaussé toutes les maisons. Il court maintenant pour les noyer dans l'étang où il a élu domicile. Le soleil le rattrapera. Il sera brûlé avant le réveil des habitants.

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Les cimetières défilent. Je compte les jujubiers. Je perds de Tal-titude. | Mais il n'y a plus que les cimetières et moi. L'arabesque intangible des témoins. Quelqu'un me parle. Cette fois-ci les paroles sont nettement audibles. Il me raconte sa vie. Il termine chaque épisode par un adage a"une grande sagesse. Il me serre la main. Reprend sa place dans une tombe. Je frôle maintenant les tombes. Mes pieds sont engourdis. Je voudrais me laisser aller totalement à cet engourdissement impé­rieux. Abdiquer tout mouvement. Freiner petit à petit le rythme de ma respiration. Lentement me glisser dans mon suaire. Et la nuit envahir mes yeux.

2 La courette alors se précise. L'œil attaque les formes. Les projec­tions. S'en repait. A droite, le sanctuaire. Au fond, des ateliers de tannage. J'attendais. Seul. Les deux femmes étaient entrées. J'entendais les youyous, le fracas des tambours, les collisions de chœurs effer­vescents en un rythme dément.

Je regardais fixement l'obscurité à fentrée a"un des ateliers de tannage. Quelques rires vulgaires. La voix tfun homme. L'odeur devenue matérielle. Comme un tourbillon de haute mer. Une petite fille est venu m'appeler. Je compris que les conciliabules avaient abouti. Fêtais admis à la Hadra.

Elles avaient enlevé leurs voiles et gardé leur djellaba. Une ronde. Je m'attendais à un autre conte. Une belle légende où les enfants n'apparaissent qu'à la fin, nombreux, lorsque les deux amants, arrivant au bout de leurs peines, fêtent somptueusement leurs noces. La cour du sanctuaire devait ressembler à n'importe quelle cour de maison. Mais la vasque centrale était tarie. Les mosaïques du parterre et des colonnes ternies, comme si les visiteuses s'en servaient pour leurs ablutions sèches.

Il y avait probablement dautres enfants et on nous avait parqués ensemble derrière une grille à trois volets. Probablement les encensoirs. Les brûle-parfums. Pourtant, un corps traînait. Traîne nettement. L'attroupement empêche de voir. Un voile jaune lui cache le visage. Elle se tord. Par saccades. Un seul mot jaculatoire. Repris par le chœur.

Personne n'Interviendra. Ce corps me fait mal. Au nombril. Le même nom scandé à tous les modes. Tout scande. Les colonnes comme des tambours. La grille du plafond. Gong affolé. La même femme se tord et scande un nom. Cette fois je vois son visage. Une maison familiert. Des visages familiers. Elle ouvre les yeux. Nous regarde. Elle dit : pardonnez-moi, pardonnez-moi. Le nom la secoue de nouveau. Jusqu'à la première prière. Une interminable veillée. Plus tard, les livres m'ont appris.

3 On est venu me réveiller. Un matin de plomb. L'hiver avortait. On m'a fortement secoué. Je revenais d'une longue marche. Le front meurtri comme après des prosternations répétées. Je me surpris d'abord à bégayer tant la secousse fut brusque. Le visage

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de mon interlocuteur gardait une pesanteur de rêve. Ses lèvres articulaient de faibles jurons. Il bégayait lui aussi, réitérant ses formules d'hostilité. Ce n'était qu'une molle cadence. Le front élastique à la dimension d'un gigantesque écran. Je continuais à lire notre marche. Le pèlerinage n'a pas eu lieu. La galopade qui se produisit à l'arrivée de cette première étape fut meurtrière. Les gardes du sanctuaire durent repousser la foule qui risquait d'endommager le tombeau. Les pèlerins eurent à peine le temps de jeter sur les grilles les objets votifs qu'ils avaient dévotement préparés pour cette occasion. Le dinosaure animé de tentacule gesticulantes, criardes avait vai­nement chargé le sanctuaire. Il se replia dans un grondement de bête blessée à mort.

Le visage se regroupa. Les jurons m'atteignirent. Je vis les yeux. Les lèvres. L'ovale prognathe qui fulminait d'une colère imprécise. J'étais réveillé. Quelque part. Le sable m'entourait à perle de vue. Je me relevai. Détournai les yeux dune flaque solidifiée. Quelques chacals jappaient derrière les dunes. Ijni m'avait rejoint. Je regardais son visage contracté de rides comme des varices. Ses dents, la férocité des incisives, l'éclat démoniaque dune molaire recouverte dor. Le pays bouge, dis-tu. Tu sais, rien ne va se passer. Moi j'ai arpenté toutes ces frontières. J'y ai vécu des années. C'est un promontoire doit l'on peut observer les caravanes qui assurent le trafic dont vit toute la région. J'y ai vécu tout ce temps et personne n'est venu me demander son chemin. Un promontoire. Un carrefour de fantômes, oui. Le repaire du Ravisseur des fiancées. Mais je ne suis là que pour connaître. Rien de plus.

4 Ceci dit pour ridiculiser le silence. Tête denclave. Elle enfle. Montgolfière m entamant à ras des plantes. Ifni écrit sur des tablettes. Je tourne le dos. A intervalles réguliers je reçois le choc. Et au fur et à mesure, il s'installe en moi. Nous ne saurons plus qui parle. Qui écrit. Tête d'enclave. Cerveau ruinitique vagissant la mort de notre histoire. Le sable s'agite alentour. Nous nous débattons, le cœur dans le cœur. Comme nos tempes croassantes. Comme une nichée de cha­rognards. Nous traçons des cercles. Comme pour délimiter Tarène. Nous entretuer au sommet de la greffe. Les dunes réapparaissent. Plantation doreilles de canins incrustées de pierreries carnivores. Plus loin Veau. Nous l'entendons sourdre aux racines dun palmier condamné par la peste des caravaniers. Son faîte recueillant la foudre qui aurait pu décapiter l'oasis. La main court plus vite. Elle entaille les tablettes d'une écriture indéchiffrable. Ka Ka Ka. Le ricanement de l'autre éjaculé dun gosier indifférent. Transes qui vont nous souder. Transes qui vont nous faire par­courir ces milliers de kilomètres de frontières. Une voix dans tinsolation. Des steppes mordues d arachides. L'as­périté ressac. D'amulettes enfiévrées. La caravane passe à mille milles de distance. La croupe des dromadaires trace des créneaux sur la citadelle de mémoire. Le sang remonte dune source dont tous les caravaniers ont perdu

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le nom. Les privilégiés qui en gardent la première lettre se sont exilés. Ils refusent même aux humbles la révélation de ce premier jalon.

La flûte se cherche. Accentue ce sentiment de désert criblé de chants. Viendront les joueurs de crotales. Les affreuses trompes pour lutter contre l'aphasie. Ils souffleront dans les bols d'eau gîte nous leur tendrons. Nous boirons pieusement cette eau nouvelle. Pour un temps nous croirons au miracle des piétés. Mais le désert, lui, se répercute au-delà de nos volontés. Tourbe de géhenne. Il nous couronnera de phalanges de cactus. Plus de mirage. Lune poignardée fuyant. Perdant le sang noir des insomnies séculaires. Des hommes vont sortir pour jeter leurs rives dans les poubelles communes où se baignent les nouveau-nés. Précipices pour les condamnés qu'on aura oublié de châtrer. Les enfants ne formeront plus de ronde pour danser à la régéné­ration, à la quête de la pluie, à la délivrance de la nouvellt accouchée. Il n'y a plus de draps blancs, plus de robes vertes. Les cierges ne suffisent pas.

A mille milles la caravane s'engage dans les pistes oubliée, faussées par le sirocco, allié traditionnel des oublis. La caravane aura-t-elle raison du complot des sables ?

Mémoires décapitées. El pourtant seules présentes. Jamais nous n'en étions plus sûrs. Dans ce désert, ultime salve de clarté. A mille milles la caravane harcèle l'impossible et déjà les vautours en veilleuse accourent pour le butin. Malgré la défaite, ils se sont habitués au partage des butins faciles. La part du lion devenu vieux, rusé, mais dont les serres restent intactes. A mille milles la caravane réinvente fodyssée des temps. Traverses cancéreuses sur passé et futur. Respirer. Embarqués les uns les autres dans ce magma réservé aux parias. Nous ne sommes pas des parias. Les scribes seuls nous accusent d'irrégularité.

Nous n'irons pas nous lamenter sur notre perte. Quelque chose nous en empêche. Une certitude. Voilà que dans des clowns accourent. Ils n'ont pas la face fari­neuse. Ils ne sont pas maquillés comme des pantins. Ils n'ont pas le derrière bourré avec du kapok. Ils voudront certainement rattraper la caravane avant l'enclume du soleil. Ils ne pourraient pas la traverser tout seuls. Ils courent, éparpillant le lest des civilisations. Cithares. Dindons. Outils. Bouquins. Mais voilà qu'ils miment, dans leur course, les grands rôles de la débauche. Les duos de la lyricité. Les-je-fencule-platoniquement. Les-raisonne-sinon-je-te-coupe-la-gorge. Les-je-pense-je-suis-dieu. Souffrance. Tristesse en dragées. Emotion pygmalienne. Nus de marbre auxquels on voudrait écarter les cuisses. Puis se ressaisissant. Les clowns font un cercle en courant. Un conteur s'improvise. Mythes fulgurants. Passent les chiens. Les avortons. Les anthropophages, angelots blancs juchés sur les épau­les. Les fibules de crâniennes tintant aux chevilles. Passent les nègres-sarbacanes. Les jaunes mangeurs de fesses de cadavres à la recherche du sel. Passent les gourous, les sorciers, les griots répercutant l'amarg. Mimé. Gestes au futur.

A mille milles la caravane écarquille les yeux des montures et c'est comme si le sable, brusquement, devenait inhospitalier. L'enclume tirée à quatre tisons rince sa fureur. Il lui pousse une verge qu'elle ne cache plus. Arrière doléances. Ne passeront que ceux qui auront l'énergie de la riposte.

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Se fera la sélection. Nu passera chaque dépositaire. L'on ne pourra plus cacher ce qui dénonce. Ce qui sépare. Courent les clowns pour rejoindre la caravane. A mille milles les montures désarçonnent les cavaliers. En rut, les bêtes passent. Notre corps indéfectible. Les sables ajustent nos mains.

5 Tête d'enclave. Corps séparé. Vlà que ça démange ma curiosité ces tablettes bizarres. Encore une de ces langues mortes qu'un scribe fossile restitue sous le coup de l'illuminaion. Et moi pas foutu de mettre le nez dans le bréviaire d'Atlantide. Reconnu cependant terrifiant à cause de mes dents, de la poignée de mes mots. Une cavale de Hilaliens ayant la haine de la rosace et de Tarabesque. Bénéficiant de tous les contresens, mais lucide. A mille milles la caravane aux prises avec l'enclume. Les clowns hélant les arrière-gardes. La distance creusée entre nous. Jonchée de masques, tessons a"artillerie, angulaires <féchafaudages. Bientôt sortiront les canins. Un royaume sera délimité. Des nombres viendront grossir les nombres. Les sirènes cracheront la fin. Tête d'enclave. Atlas soulevant la race.

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hamid el houadri

comme ça où est passé le fou les crocodiles rampaient près du cadavre d'un civil chante muezzin je suis analphabète mon seul délit est que je m'appelle Hamid dans le brouillard des prostituées dansent sur les victimes je m'insurge contre le monde contre les miens l'homme de ma terre la princesse ayant couché avec moi gratis à l'hôtel des convives la chambre du prince jouissant de ma démence jusqu'à la strangulation de ce berbère je fais mes ablutions dans les entrailles du destin impur comme d'habitude ie dégoût accroupi sur le cratère d'un volcan (les barreaux de ma fenêtre sont rouilles

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le soleil les a délaissés et le souffle de la mer ne les a plus parfumés) cette araignée chiait entre ciel et terre ils l'ont reconduit à rétable l'une qui refusait l'avoine et le dieu de la ville a ramené les coffres dans ma grotte le dirham le nouveau franc le dollar la peseta etc. et même les soldats fous je n'aimerai plus la princesse qui a couché avec moi je serai ou la victime

ou le bourreau

comme la géhenne la quarantaine se dressant dans l'aphasie de la nuit elle n'était pas déguenillée ni jolie... mes habits devant le temple Je suis génial mon poing rugueux s'est abattu sur le seuil du temple nue je la voudrai nue

•*3 .£ -Ç •» «J - J •iJ* «V

le revolver l'avion supersonique la fusée... le feu chante muezzin je suis analphabète et je reste seul trébuchant comme un aveugle dans les marécages

[de mon esprit

t r a d u i t d e l ' a r a b e p a r a . l a a b i

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mohammed ben said

poème

Du pays où les plaines se sont prostituées où les alphabets se débarrassent de leur sexe avant même qu'ils naissent Du pays où l'on n'écrit plus avec Fencre mais du sang du sang pour enjoliver les visages et feuilleter la

[pluie lors de sa dernière apparition en coquillages pour boucher les oreilles de clés d'argile mais du sang qui calme les tempêtes et leur met des bouteilles de bronze sur les lèvres Debout

sur leurs lèvres In misère que nous symbolisons louve à cause du sang du tungstène ; nous nous inventerons des dents de

•yn chair pâle ; nous la couperons de nos fesses et nous [irons nous

faire STATUES SUR LES CRETES Pourquoi et nous répondrons aux arbres-fantômes et pourquoi ne serons-nous pas ces arbres-fantômes aux genoux de sable aux aisselles forestières aux traits simiesques Nous serons prêts

toujours prêts à étrangler à prendre à devenir des bouledogues de neige de feu éteint à cadavres d'érable de cigarettes encore éteintes nous changerons les hommes presque en chauve-

souris nous leur mettrons des divans de châtaignes dans

[le gosier et nos cous se couperont à l'embouchure du Mékong La pâleur de nos crépuscules nous fera dire des morceaux de papiers, des cornes, des tortues aux

[carcasses à tiroirs pneumatiques De ce pays où les amoureux collectionnent les ongles pour creuser leurs rétines, jusqu'à l'éternité, pour en faire des crabes susceptibles de faire le

[tour du monde nous excusons les générations passées

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abdelaziz mansouri

Quand personne ne me voit, je vais sous les peupliers et je pense à toi. Pas question a" imaginaire : le dehors est tout plein de ta présence. Je m'fous des autres ! C'est pour donner un sens à notre « Sois heureuse » t Tu ne m'oublieras pas ? ».

La radio a chanté, maman m'a apporté un café puis le soleil s'est couché. Mon pire est entré ; je l'ai vu boiter avec son pilon, c Pauvre papa. Quand je serai assez grand je taché... Son, je t'ai déjà acheté le pilon. Je ne peux plus rien pour toi ».

Le petit chat qui agonise dans la cour mourra dans quelques heures sans pouvoir emporter notre souvenir, nous qui ce matin déjà parlions d'en faire notre compagnon. Il n'a encore eu le temps de s'habituer à personne, pas mime aux petits.

Le souvenir de notre tite à tite massacre ma poitrine à Vimage du petit chat pour qui personne ne peut rien. Objectif, je n'ai jamais rationalisé. Revirement là aussi. Mao-Tsé-Tung veut qu'on le pleure. A bas les ruines ! Je brûle de désir ! Un dua­lisme de sentiments tiraille ma poitrine où je t'ai toujours aimée. Une bouche d'aveugle, sa façon d'avaler. J'ai essayé combien de fois ; mais mon désir ne sait pas délecter. Et moi je crache sur tobjectivité, j'en fais une saloperie de bien-être qui me crive les yeux, les assèche. Pas même une larme. Etape, je te vivrai dans les boulevards déserts. Et quand le hasard nous... Thème de poèmes. Scleté de chat : pas même capable d'agoniser à plein gosier. Ce que je veux, c'est l'embrasser. Vois-tu ? le fou désir ! Tout à l'heure mes mains n'ont pas su te caresser. Je pensais à ma grosse tête, je me suis vu ridicule et mes mains posées sur tes épaules n'ont pas bougé.

c Sortez !— laissez-nous ». Qu'avais-tu à l'asseoir sur la chaise... Muraille de Chine, pleureuses. Je ne pourrai jamais danser comme Zorba et j'ai vu distribuer du pain bon-marché et des figues sèches pour le repos des âmes. Et les cas d'holocauste se multi-

étape

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plient au Viet-Nam... Le petit chat mourra seul. Sacrée chaise. As-tu pensé un instant que je faurais voulue sans dossier ? Mais c'est vrai ! c'est moi qui t'y ai fait asseoir. Qu'importe, je ne pourrai pas danser. Et puis merde ! Mes mains ont serré fort, puis ma tête est venue se loger à côté de la tienne. Délicieux contact que celui de ta joue bronzée mouillée de larmes. Tes larmes délicieuses m'ont fait comprendre que tu m'aimais et j'ai pensé aux orages qui font déborder les fleuves. Tout d'un coup tu m'es apparue avec tes seins et ton corps de femme que la muraille m'interdisait. Je l'ai dressée contre ma propre faiblesse.

Il ne me faut plus lutter contre ma faiblesse, comprimer mes élans, cajoler le scrupule. Et toi, tu m'as privé d'un instant d'ivresse. Elle couvait déjà chez moi depuis quelques jours. Il ne fallait pas me priver. Il fallait me donner f occasion de t'embras-ser. de pavoiser ma lande de mirage, de poursuivre mon anéan­tissement dans ma quête du leurre... m'ajotiter au nombre des guerriers tombés en plein milieu des batailles... la dignité, la grandeur, tout ça.

Et moi attendant que tu reviennes après que tu fus partie me laissant appuyé à la chaise, mes mains serrant le vide. Les atomes errants, les étoiles filantes, les âmes en peine...

Ma poitrine craquelée, vomit des grimaces, subit avec des plaintes de chameau agonisant les coups du marteau pilon. Et quand il y aura assez de logique dans le monde, je me ferai sauter le crâne.

Maintenant, couché sous les peupliers, je ne peux pas rai­sonner. Trop tard. Mais je suis toujours heureux sous les peupliers. Pas question de refleurir, mais il y a toujours de l'ombre et puis je ne vois guère comment accuser la mer de traîtrise. 22

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où va le théâtre au Maroc ?

par abdallah stouky

« Le théâtre est fart qui consiste à as. sembler des hommes pour exposer et débat­tre devant eux leur propre destinée en ce quelle a de problématique, et cela par le moyen d'un microscome central en état de crise où le conflit vital d'un petit nombre de personnages incarne, réfléchit, comme un miroir et rend présent à fesprit et aux sens, par son action, la condition du ma-crocosme humain dont il est le délégué provisoire et le représentant. >

£. Souriau

Le public marocain n'a pas été très gâte en spectacles cette année. La saison théâtrale a été, en effet, la plus pauvre de la première décennie de l'indépendance. Fort peu de pièces ont été montées. Le festival de théâtre amateur, après une courte interruption, a repris cette année, pour illustrer la médiocrité de l'amateu­risme. Aucun effort de renouvellement dans la création dramatique. Le chômage sévit parmi les comédiens et les techniciens qui traînent dans les cafés de Casa­blanca et de Rabat. Quant à la production de la Radiodiffusion Télévision Marocaine, tout le monde s'accorde à constater qu'elle n'est ni plus ni moins qu'une production alimentaire.

Bref, il est manifeste que le théâtre connaît dans notre pays une crise grave. Il est même certain qu'une certaine conception du théâtre, en divorce avec les besoins populaires, est en train de mourir d'inanition. Et c'est tant mieux. Toute­fois, il s'agit de comprendre les raisons de cette crise, de faire le bilan de l'expé­rience théâtrale nationale et d'essayer de trouver des chemins nouveaux.

Au Maroc, le théâtre, quoi qu'en disent certains spécialistes, n'est pas apparu avec le colonialisme. Des siècles avant la consommation du viol colonial franco-espagnol, existaient dans notre pays des formes diverses et vivantes d'expression dramatique. Partout, aussi bien dans les souks ruraux hebdomadaires que sur les places publiques des grandes cités. Mûrissaient les différents types de conteurs, Maddaha, Immediazen et autres, qui réunissaient autour d'eux sur la place Jamaa l'fna, à Bab Guissa ou dans les moussems, des dizaines d'auditeurs fidèles, avides d'écouter les aventures de Jha, de paysans finauds ou mal dégrossis, les épopées de Seif Ibn di Yazan (Al Azaliate) et parfois de tendres amourettes de princesses et de princes charmants. Puisant tour à tour dans le riche répertoire populaire national ou dans la littérature arabe (Mille et une nuits, épopée d'Antar...), ces

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véritables émanations du génie populaire racontent... Non, ils ne racontent pas, ils miment, ils vivent, ils créent devant les spectateurs les personnages les plus divers. Lyriques, amusants, didactiques, menaçants, implorants. Et soudain, ils rompent le cours du récit à un moment particulièrement pathétique — comme les romans feuilletons et les films à épisodes — pour demander le salaire de leurs efforts. Et le public, même le plus nécessiteux, n'est jamais avare de ses sous.

Toutes les techniques modernes du récit — suspense, coup de théâtre, renver­sement de la situation, quiproquo... — sont judicieusement utilisées par ces con­teurs, dont les plus célèbres survivent très longtemps dans la mémoire populaire.

D'autre part, l'art de la mise en scène n'était pas en 1912 inconnu dans notre pays. Des exemples de mise en scène pensée existent dans les danses collec­tives surtout berbères (ahouach, ahidous...), dans les spectacles des fameux sal­timbanques Hmad-Ou-Moussa, dans les cérémonies civiles (mariages, circoncisions...), rituelles, liturgiques ou d'exorcismes (prières collectives, séances de confréries, etc...).

Mais là où le génie populaire marocain donne toute sa mesure, c'est sans conteste dans le phénomène de la halka (cercle). Spontanément, le peuple marocain a trouvé ce vers quoi tendent actuellement les tentatives les plus audacieuses du théâtre occidental. C'est-à-dire le théâtre en rond où la communicabilité entre le public et les comédiens est autrement plus importante que dans les salles dites à l'italienne.

Certains continuent à vouloir considérer la halka comme un spectacle mineur, tout juste c bon à divertir la populace ». Or tout indique, au contraire, que nous sommes en présence d'un théâtre authentiquement marocain. Et de se deman­der jusqu'à quand on s'obstinera à n'appeler théâtre que les formes occidentales.

Entourés de quelques dizaines de spectateurs, dont la première rangée est généralement accroupie, les comédiens incarnent chacun un personnage déterminé et brodent avec beaucoup d'esprit autour d'un synopsis sommaire. Les costumes, ainsi que les accessoires, sont très hétéroclites, et font fi de tout souci de vraisem­blance. La troupe, généralement composée de quatre à sept personnes, ne comporte aucun élément féminin. Les rôles de femmes sont tenus par des hommes affublés de robes mais dont le maquillage laisse à désirer. Les comédiens font eux-mêmes leur bruitage et leur musique.

Certains comédiens qui ont pu camper des types de bouffons et de pitres particulièrement originaux sont célèbres dans toute leur région et même au-delà, tel Bak'Chich à Marrakech.

Toutefois, ce théâtre en rond ne va pas sans poser certains problèmes techni­ques que les comédiens sont arrivés à résoudre assez rapidement. Ainsi, lorsque certains comédiens font face à une certaine partie du public, ils tournent le dos au reste. C'est pour cela que les comédiens se tiennent rarement au milieu du cercle formé par les badauds. Ils évoluent plutôt près des spectateurs de façon à avoir en face d'eux la majorité du public. Quant à ceux qui se trouvent derrière eux, ils n'ont même pas besoin de voir leurs visages tellement ils les sentent près d'eux.

Aucun décor ou accessoire fixe ; tout se déplace selon les besoins de l'action. Dans la halka, le comédien utilise des procédés plus efficaces que la rupture

pure et simple de l'action à un moment pathétique pour avoir son public en main. Parmi ces moyens divers, citons : l'intégration d'un ou de plusieurs specta­teurs dans le spectacle, ordres ou simples demandes d'agrandir ou de rétrécir le cercle, de bénir la mémoire du prophète ou de saints locaux, e tc . . Et le public obtempère de bonne ou de mauvaise grâce. Le but recherché est de créer chez le spectateur un certain état de disponibilité pour qu'en fin de compte il puisse sans regimber mettre la main dans la poche et donner de l'argent.

De toutes manières, nul n'est tenu de payer s'il n'a pas d'argent ou si le spectacle ne lui a pas plu. Belle leçon d'honnêteté artistique que bon nombre de directeurs de salles de théâtre, qui s'empressent de filer avec la caisse par la sortie de service quand le public demande le remboursement des places, feraient bien de méditer.

Le Maroc n'a donc jamais été un pays vierge de formes d'expression théâtrale, mais a connu dans la période pré-coloniale et continue de connaître dans une certaine mesure une vie artistique intense.

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En 1912, lorsque notre pays fut introduit de force dans le monde technicien de l'Occident, certaines salles de théâtre furent construites et différentes compagnies dramatiques commencèrent à inclure le Maroc dans leurs programmes de tournées. Mais ces salles ne devaient pas être, dans l'esprit de leurs administrateurs, à l'usage des autochtones. Construites sur son propre sol, le marocain s'en voyait interdire l'accès. Seuls y paradaient des hommes de troupes français ou espagnols, ainsi que les employés des administrations coloniales. Ce théâtre était d'ailleurs essentiellement boulevardier. Etaient envoyées au Maroc les pièces ne pouvant plus tenir l'affiche, ni à Paris ni en province. Toutefois, malgré leur médiocrité, elles plaisaient au pied-noir, lui donnant l'impression d'accéder aux divertissements bourgeois de la métropole.

Mais l'histoire de ce théâtre-là n'offre aucun intérêt pour nous.

Les premières manifestations théâtrales modernes eurent lieu dans les collèges marocains. Des troupes de théâtre, dont la plupart des animateurs sont des per­sonnalités politiques en vue aujourd'hui, se formèrent. D'autre part, dans les établissements scolaires nationalistes, où se faisait sentir l'influence du renouveau littéraire qui s'opérait au Proche-Orient arabe, commençait à se dessiner un impor­tant mouvement, animé par des militants istiqlaliens ou démocrates qui, s'emparant des traductions orientales de Molière, entreprirent de donner un contenu politique aux représentations théâtrales. Mis à part Molière, on jouait très peu de théâtre occidental. Jorji Zaydane, avec ses pièces tirées des mille et une nuits, offrait un répertoire très riche, quoique peu intéressant.

Ce théâtre, qui avait au début des allures de < saine distraction d'adoles­cents », tourna bien vite en de véritables manifestations nationalistes.

Des nationaux se mirent à traduire et à adapter — rarement à écrire — des pièces puisées dans le répertoire molièresque. Un des plus brillants et des plus fervents animateurs de ce mouvement fut l'intellectuel fassi, Al Korri, ardent nationaliste, mort sous la torture colonialiste.

L'épicertre de ce mouvement se trouvait naturellement coïncider avec les hauts lieux de la lutte anti-colonialiste, donc surtout à Fès. Sa base sociale se trouvait circonscrite dans les classes moyenne et petite bourgeoise.

La Résidence ne devait d'ailleurs pas s'y tromper, puisqu'elle entreprit une sévère répression contre ces troupes. La présentation de i Al Mounaffiq », adapté du Tartuffe de Molière, fut interdite, car le personnage principal offrait trop de ressemblance avec le traitre Abdelhayy AI Kettani, chef de la zaouia tijania.

La lutte nationale prenant de jour en jour plus d'acuité, au cours de la seconde guerre mondiale, pour finalement aboutir à l'insurrection armée du peuple marocain, le théâtre ne fut plus chose permise. En dehors de sa portée en tant que théâtre, la Résidence trouvait aberrant de permettre à quelques centaines de marocains de se trouver réunis dans une même salle, ne serait-ce que pour assister à un spectacle anodin. Période d'éclipsé donc, qui devait durer jusqu'à la moitié des années cinquante.

Avec l'indépendance politique, le Maroc devait connaître le phénomène cul­turel le plus extraordinaire de son histoire.

Dans l'euphorie de la souveraineté retrouvée et du roi rétabli sur son trône, un raz de marée théâtral d'une ampleur inégalée déferla sur le pays. Le peuple cherchait à s'exprimer. Et tout naturellement adopta le théâtre, art éminemment social, qu'il pouvait directement appréhender.

Dans les lointains douars, dans les sections du jeune syndicat UMT, dans les rues des cités plusieurs fois centenaires et dans les artères industrielles de Casablanca, surgissaient des tréteaux de fortune. Tout le monde était en même temps acteur, dramaturge, metteur en scène, souffleur, décorateur, e tc . .

On jouait de tout : des improvisations, des farces avec force coups de bâtons, de grandes tragédies, ainsi que des pièces d'un doux manichéisme. Ce théâtre fut essentiellement moralisant. Mais sa morale était celle du combat.

Les masses populaires s'emparant du théâtre en firent une arme puissante pour exprimer leur enthousiasme, leurs espoirs et leurs revendications. Molière encore une fois se vit porté en triomphe.

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En Algérie, également, on a pu, à un certain moment, constater cet engouement pour Molière. Ce qui a fait dire à l'un des piliers du théâtre algérien, Mustapha Kateb : c Molière en Afrique du Nord est le plus apprécié. Il y a là un merveilleux anachronisme... L'homme qui avait soutenu les premiers pas du théâtre français et qui l'avait conduit à sa maturité, allait retrouver sa jeunesse dans une société qui n'était guère différente de celle qui refusait à Jean-Baptiste Poquelin la dérisoire consécration d'un corbillard officiel. Pour le peuple algérien, Molière n'est pas un étranger, il n'a rien à voir avec la puissance colonisatrice, il nous apporte au contraire la douloureuse expérience de sa propre persécution et il nous enseigne que le premier ennemi c'est l'ennemi intérieur : le seigneur et le féodal qu'il avait su démasquer en France et qui, en Algérie, tendait les bras aux conquérants,.. » Et Kateb de conclure : « On ne peut intégrer un peuple, mais le peuple algérien a intégré Molière. >

Ce phénomène exceptionnel dura, on s'en doute, fort peu de temps. Sitôt l'euphorie passée, des problèmes cruciaux se posèrent au pays et mobilisèrent tout le monde.

Néanmoins, les troupes théâtrales les plus organisées et dont les animateurs ont pu persévérer dans leur tâche, survécurent et se développèrent grâce à l'aide efficace des services de la Jeunesse et des Sports. Cette aide se concrétisait par des subventions, mais surtout par des stages périodiques de formation dramatique et technique.

D'un autre côté, les services de la Jeunesse et des Sports créèrent un centre permanent de formation dramatique, dirigé par des instructeurs plus ou moins compétents. Ce centre s'appliqua à former — pendant une durée de trois ans — de jeunes éléments que recrutait automatiquement la troupe nationale marocaine naissante.

De tout cela découla un fait nouveau et très important : la création d'un énorme public — énorme par rapport à l'époque coloniale — avide de spectacle. Un public en friche, un public exploitable.

Et il fut exploité. Des artistes dits populaires, tels feu Bouchaïb Al Bidaoui, Abdeljabar Laouzir. Hammadi Amor et d'autres, s'appliquèrent à lui présenter de pauvres pièces à l'intrigue stéréotypée et aux effets médiocres.

L'essentiel était d'aller dans le sens du public et de le rendre de moins en moins exigeant. Il suffisait de mettre en scène un bon type de marrukchi ou de fassi, une caricature de chleuh avare ou de juif crasseux pour faire rire ce < bon public » (1). Mais il faut quand même rendre hommage à ces hommes pour leur lucidité. Tablant sur les travers du public et les exploitant à fond, ils n'ont jamais cru véritablement en la pérennité de leur succès. Ils se sont tous hâtés d'investir leurs bénéfices dans des affaires de bâtiments ou de bijouterie par exemple.

L'influence de ce théâtre a été particulièrement néfaste. Il a tout d'abord grandement contribué à la déformation du goût du public. D'autant plus qu'il était largement diffusé par la radio et la télévision. Par ailleurs, ce théâtre a figé la pièce qui ne devenait plus que prétexte à coups de bâtons, à jeux de mots grivois, e tc . . D'où une se c rose complète du sujet.

Aucun effort n'était fait dans le sens d'une recherche quelconque dans le costume ou dans le décor. La bâtardise et le manque de soin régnaient en maîtres.

Mais tout était justifié par un didactisme et une morale de bon aloi. Que de pièces médiocres ont été présentées portant en sous-titre — comme pour couper court à toute critique malintentionnée — < pièce populaire, sociale et humanitaire > !

Ce théfitre, comme nous l'avons déjà dit, occupait — et occupe encore — une place de choix dans les programmes de la RTM, où sévit d'ailleurs la production-fleuve indigeste de M. Abdajlah Chakroune.

Nous pouvons concevoir que des commerçants véreux essaient de faire fortune sur le dos du public, mais il est intolérable que ces gens-là se trouvent dans un organisme étatique qui se veut avant tout éducateur du peuple.

( I ) c Le mariage sans permission », pièce type de ce genre de théâtre a reçu le premier prix au 4' festival de théâtre amateur et a été jouée plus de 300 fois au Maroc (chiffre record).

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Beaucoup de troupes amateurs tombèrent dans le plagiat de ce théâtre. Néan­moins un certain nombre de formations dramatiques firent de réels efforts pour essayer de trouver la voie du théâtre marocain. Que ce soit à Fès, à Casablanca ou à Marrakech, nombre de jeunes gens consacrèrent tous leurs moments de loisirs au théâtre. Rarement d'ailleurs, leurs efforts furent reconnus et sanctionnés par des récompenses. Les différents jurys — peu compétents — des festivals de théâtre amateur préféraient aux entreprises audacieuses celles plus conformistes.

Il n'en reste pas moins qu'un mouvement amateur très important ftorissait au Maroc. Aidé plus ou moins efficacement par les services de la Jeunesse et des Sports et par les municipalités locales, il arrivait à s'imposer parfois par des Œuvres dignes d'intérêt. La vitalité ou le dépérissement de l'amateurisme sont pour nous fort symptomatiques. Car la santé du théâtre amateur est le signe de la vitalité du mouvement théâtral entier. II n'est donc pas étonnant que la crise du théâtre que nous vivons actuellement ait été précédée par la baisse du niveau de l'amateu­risme.

L'Etat a certes encouragé le théâtre. Du moins à un certain moment. Des moyens appréciables ont été mis à la disposition des animateurs du Centre des Recherches Dramatiques (école de formation), dont le rôle était de fournir à la troupe nationale des techniciens et des comédiens.

Ce centre, malgré ses faiblesses, a rempli ce rôle. Il a péché peut-être par trop d'occidentalisme. Les principaux animateurs — européens du reste — ont toujours eu tendance suivant leurs conceptions politiques à osciller entre Brecht et Molière. Etaient laissées dans l'ombre toutes les traditions populaires maro­caines.

Mais sitôt un certain nombre de comédiens et de techniciens fournis à la troupe nationale, on se hâta, à la faveur de certaines circonstances, de fermer ce centre et de le liquider juridiquement.

La troupe nationale, pour sa part, a eu une influence déterminante sur l'évolution du théâtre marocain. Elle a permis — avec des hauts et des bas — de tenter des expériences et a cristallisé tous les efforts. C'est par elle que le Maroc a été représenté et apprécié plusieurs fois à l'étranger. Mais, là encore, l'aide de l'Etat n'a pas été efficiente. Et très tôt, la troupe s'est désagrégée et ses éléments sont partis vers des horizons divers.

Malgré tout cela, l'Etat ne répugne pas à remettre sur le tapis la question de la recréation de la troupe nationale à l'approche de manifestations officielles diverses.

Nous ne sommes pas contre tout théâtre de circonstance. Car le véritable théâtre a toujours été un art de circonstance. Le théâtre grec, les festivals d'Avignon ou de Hammamet, les moussems au Maroc, e t c . . Mais pour nous, ces circonstances doivent être intégrées dans la vie du peuple. Elles ne doivent pas répondre à un besoin de propagande stérile.

Or, pour que ce théâtre réussisse, il lui faut des conditions telles qu'il puisse s'épanouir : liberté d'expression, moyens financiers...

Des expériences marginales ont été tentées, soit par certains hommes, soit par certaines organisations de masses.

La plus belle expérience fut patronnée par l'Union Marocaine du Travail (UMT) : celle du Théâtre Travailliste. La centrale syndicale permit à un certain nombre de jeunes éléments formés au Maroc ou à l'étranger de monter des pièces de leur choix pour les représenter en premier lieu aux masses ouvrières et paysannes affiliées à l 'UMT. Malgré T'enthousiasme de certains, le manque de cohésion de cette troupe ne lui permit pas de résister longtemps. L'expérience avorta et l 'UMT n'insistant pas, l'affaire fut classée.

L'Union Nationale des Etudiants Marocains (UNEM), pour sa part, se vit offrir de patronner la jeune troupe du Théâtre Universitaire Marocain. Résolument progressiste et très engagé politiquement, le T U M monta une pièce de Brecht et une pièce d'Arrabal. En butte à des difficultés financières et autres tracasseries, le T U M cessa d'exister. Pour sa part, l 'UNEM sut mal faire la part d'un combat politique quotidien et d'une expérience qui devait être de longue haleine.

L'échec de ces deux expériences prouve que seule une troupe de théâtre jouissant d'assez d'autonomie par rapport à toute organisation syndicale ou politi-

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que peut, dans la cohésion et l'enthousiasme, œuvrer pour un théâtre marocain moderne.

Paradoxalement par rapport au foisonnement de comédiens de talent, il existe très peu d'animateurs de troupes théâtrales .Farid Ben Barek a été un des premiers jeunes metteurs en scène qui, bénéficiant d'une formation technique moderne, tant au Maroc qu'à l'étranger, ont rompu le monopole molièresque et ont introduit des conceptions avant-gardistes dans le théâtre marocain. Le nom de Ben Barek, qui a monté dans le cadre de la troupe nationale plusieurs pièces marocaines, notamment de Laalej, n'est pas tant à retenir à cause d'un souci de refonte et de reformulation du patrimoine artistique national qu'à cause de son effort d'adapta­tion et de mise en scène d'un répertoire international qui sort des chemins battus. Tayeb Seddiki, autre metteur en scène, eut, pourrait-on dire, plus de bonheur. Servi par une bénéfique ambition et par un certain talent, il est devenu un peu après 1956 un des piliers du théâtre marocain. Principal animateur de l'expérience du Théâtre Travailliste et de la compagnie du Théâtre Municipal de Casablanca, il se révéla très tôt comme un excellent adaptateur. Son oeuvre a permis de démontrer que le public marocain est capable d'apprécier à sa juste valeur le meilleur du répertoire international. Là réside la portée de l'œuvre de la compa­gnie du Théâtre Municipal de Casablanca. Non sans un certain courage, il sut dépasser le stade molièresque et présenter le théâtre élisabéthain, russe... Il alla jusqu'à adapter < En attendant Godot > de Beckett. Ses spectacles ont toujours été un exemple de sérieux sur le plan technique. Quoique ses recherches n'aient jamais été particulièrement audacieuses, on peut constater chez lui un réel souci de recherche esthétique.

Sur le plan du langage, l'apport de Seddiki est également positif. Rompant avec la tradition qui voulait que tout théâtre d'un niveau « sérieux > emploie l'arabe classique, difficilement compréhensible pour le peuple, il opta une fois pour toutes pour le dialectal. II sut l'enrichir de manière à lui faire véhiculer les idées les plus complexes. Toutefois, il ne put éviter certaines facilités, tel l'emploi abusif de jeux de mots primaires et d'expressions frisant une obscénité de mauvais goût. Mais Seddiki présente des contradictions plus graves. La vacuité qui existe dans le domaine du théâtre au Maroc met dangeureusement en relief les quelques noms disponibles. Noms qui imposeront une optique étriquée au détriment d'un mouvement de recherche qui ne trouve pas les structures nécessaires à son élaboration. De là une adéquation de l'article à la commande au lieu de la poursuite d'une aventure créatrice personnelle. L'artiste adopte finalement un opportunisme payant et prostitue son talent jusqu'à devenir un simple amuseur officiel. Là encore, nous nous devons de préciser que nous ne sommes pas contre tout artiste qui participe à une cérémonie officielle. Mais nous sommes contre toute systématisation et contre l'excès dans la propagande.

Seddiki se trouve être, par la force des choses, le représentant du théâtre marocain à l'extérieur. Il est le seul auquel on reconnaît la complète représen­tativité, c'est pour cela qi -• nous estimons de notre devoir d'être intransigeant envers lui et son œuvre.

Seddiki est un artist: talentueux, non pas tellement comme acteur mais comme animateur. Il est de ces hommes autour desquels se cristallise un mouvement. Mais a-t-il rempli son rôle ? Non, car le théâtre est une entreprise collective, une entreprise de groupe. Une forte personnalité comme Seddiki ne peut être efficiente que dans la mesure où elle réunit autour d'elle une équipe homogène et enthou­siaste. Ce qui est tout à l'opposé de la politique de Seddiki qui a l'air de con­sidérer que le théâtre est une affaire où l'on n'emploie à plein temps que sa famille. Jamais des artistes professionnels qu'on réduit à l'état de mercenaires d'occasion, corvéables à merci.

Dans ces conditions, aucune œuvre de longue haleine ne peut être entreprise. Là est le défaut de la cuirasse seddikienne.

Actuellement un tournant semble s'opérer chez Seddiki qui entreprend — avec bonheur ? — d'écrire. Il est malgré tout trop tôt pour essayer de parler du Seddiki dramaturge. Toutefois la décision de Seddiki de commencer à écrire est révélatrice. Indéniablement la nécessité d'avoir des dramaturges nationaux se fait sentir. Le public a soif de production nationale et ne trouve pour sa con­sommation que les fort mauvaises pièces dont nous avons parlé tout à l'heure.

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Or il n'existe actuellement, ou du moins il ne s'est imposé jusqu'à présent, qu'un seul dramaturge marocain : Ahmed Taïeb Laalej. Les œuvres d'un Al Badoui, d'un Abdallah Chakroune ou d'un Al Masbahi par exemple sont tellement indi­gentes sur le plan littéraire qu'il ne serait pas sérieux de considérer leurs auteurs comme des dramaturges. Aziz Seghrouchni manque décidément d'originalité. Quant à la nouvelle génération, qui se veut être dans la lignée du théâtre occidental de l'absurde, elle n'a pas encore assez produit pour permettre de faire parler d'elle. De toutes manières, ce théâtre se trouve être beaucoup plus parabolique qu'autre chose.

Le théâtre d'expression française (Kaddour ben Ghabrit, Farid Faris) est sans aucune profondeur. Il est complètement déphasé par rapport à la réalité linguis­tique du pays qui devient intolérante lorsqu'il s'agit d'expression théâtrale.

Reste alors le seul Taïeb Laalej. Véritable homme du peuple et mémoire extraordinaire, Laalej est un des moments les plus importants du théâtre national. N'ayant au départ été handicapé par aucun apport étranger, il a d'emblée essayé de puiser son inspiration dans la riche tradition orale. Lui-même d'ailleurs se défend d'être un créateur et ne se veut qu'un adaptateur du fond populaire. Laalej est donc essentiellement une mémoire peu commune au service d'une voix originale. Car Laalej n'écrit pas, il raconte comme ses maîtres de Bab Guissa ou de Jamaâ Lfna.

Malheureusement il s'avère qu'il ne possède pas assez de souffle pour dépasser ce stade et arriver à diluer ce fond oral pour faire œuvre moderne. Laalej ne sent pas le moisi, loin de là ; il est même pétillant de vie mais il donne l'impression de témoigner d'un autre « monde » qui n'est plus le nôtre.

Par ailleurs, la facture dramatique de ses pièces n'est pas assez musclée et ses scènes sont la plupart du temps insuffisamment travaillées. Les personnages sont généralement mal délimités et de mêmes effets abusivement exploités.

Mais malgré tous ses défauts, Laalej demeure le seul dramaturge authenti-quement marocain, le seul à contribuer réellement à la création au Maroc d'un arabe moderne et fonctionnel, adapté aux conditions spécifiques du pays. Judicieux alliage entre l'arabe classique et le dialectal, la langue de Laalej — malgré des imperfections — est un bel exemple à présenter à ceux qui nous assomment avec des formules stéréotypées venant tout droit des moua'llaqat anté-islamiques.

Des hommes valables et des exemples à suivre sont donc là sous nos yeux. N'empêche que tout le monde s'accorde à constater un état de crise dans notre théâtre.

Or le public existe. Comme nous le remarquions plus haut, l'indépendance a opéré un tournant radical dans la mentalité marocaine. Depuis 1956, nous assistons à un rush des marocains vers les loisirs. Ce rush a été et continue d'être exploité par des gens malhonnêtes. Néanmoins, des expériences intéressantes ont été tentées et nous semblent indiquer le chemin à suivre (le Théâtre Municipal de Casablanca).

La demande populaire se fait grandissante mais cela n'est pas une garantie de qualité. Ce n'est donc que par une politique d'aide intelligente que l'Etat peut élever le niveau général du théâtre marocain. Créer une troupe nationale valable et subventionner les théâtres les plus dynamiques, obligerait les médiocres à dis­paraître devant la concurrence.

Malheureusement on semble considérer le théâtre — et en général tout art — comme un parent pauvre. Dès qu'on commence à parler austérité, on songe à asphyxier entre autres le théâtre. Etat de fait regrettable qui empêche la tenue, par exemple, du festival de théâtre amateur.

Nous sommes d'ailleurs heureux que l'état de crise actuel ait été mortel pour un certain théâtre alimentaire. Actuellement il s'agit de repenser notre théâtre en fonction de nos besoins et du devenir de notre pays. Il ne faut pas que les services de la Jeunesse et des Sports se croient obligés de mettre dans une circulaire : « Présenter pièce parlant du barrage de l'Oued Ziz >. Le danger est grand de tomber dans un dirigisme inintelligent. Si notre théâtre se fait populaire, il ne peut qu'être le reflet agissant de notre lutte pour un Maroc meilleur.

Pour l'instant, des tâches semblent devoir se poser à tout artiste. D'abord lutter pour constituer des cellules de travail, c'est-à-dire des troupes homogènes

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qui ne seraient pas des instruments entre les mains d'apprentis dictateurs. Faire des recherches pour retrouver et nous imprégner de rotre patrimoine national, pour aboutir à l'élaboration d'un théâtre original et authentiquement marocain. C'est dans cette seule mesure que nous pourrions nous targuer de contribuer à l'enrichissement de la culture mondiale.

De son côté. l'Etat doit contribuer à l'élargissement du public théâtral, actuellement circonscrit dans les grandes villes (1) en construisant des salles de spectacles, ou en trouvant les moyens de porter le théâtre — d'une manière régulière et non pas épisodique — jusque dans les plus lointains douars.

Car si le public actuel est énorme p.ir rapport à celui d'avant 1956. il ne représente à peu près rien comparativement au public potentiel. Ajoutons à cela que l'Etat se doit de contrôler l'emploi de ses subventions et de son aide. Est-il normal que Tayeb Seddiki, directeur du théâtre Municipal de Casablanca, emploie l'argent du contribuable marocain à présenter des spectacles boulevardiers (Galas Karsenty) et des chanteurs yé-yé. Le Théâtre de Casablanca appartient à ceux qui le financent, c'est-à-dire aux marocains et non à une minorité de privilégiés étran­gers.

Nous trouvons donc tout à fait normal que dans la situation où il se trouve (divorce d'avec le vrai public), le théâtre marocain connaisse une crise grave. Elle peut être bénéfique dans la mesure où responsables et artistes opèrent un changement radical et s'appliquent à aller dans le sens de la demande populaire.

Au contact de son véritable public qui l'irriguera, le théâtre marocain retrou­vera sa vitalité et occupera une place de choix sur les scènes internationales.

(1) Et même dans les grandes villes, la situation n'est pas brillante. Marrakech, ville de 250.000 habitants, pas de théâtre. Casablanca, ville d'un mil ion a"habi-tants, une salle plus les arènes (en ville moderne).

X

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préface à un procès

de la n é g r i t u d e

par andre laude

André LAUDE né le 3 mars 1936 à Paru. Découvre très tôt la poésie et la révolte.

A 16 rédacteur au < libertaire »-Rencontres avec André Breton, Benjamin Péret. Adhère passionnément au surréa­lisme. Entre 16 et 20 ans plusieurs plaquettes de poèmes pleines de mythes, d'hommes libres, de planètes et a"ani­maux : nomades du soleil, couleur végétale...

De 1954 à 1962 vies parallèles : militant de la révolution algérienne, poète, amoureux.

Ecrit de nombreux articles consacrés au combat pour le socialisme, au * tiers monde ».

1963-1965 journaliste en Algérie révolutionnaire. Parti­cipe à la création de c Révolution africaine ». Voyages. La poésie ne s'écrit. Elle est devenue vie.

Edition d'un recueil : entre le vide et l'illumination.

Se livre à des activités multiples et désordonnées. Retour en France. Collaboration à JEUNE AFRIQUE, COMBAT, LE MONDE. ESPRIT. Nostalgie de l'Afrique, de l'Améri­que latine, des peuples soleils. Commencé à haïr l'Europe des cadavres. Espère ardemment que les hommes du tiers-monde camperont un jour sur les places de Paris. Lit et relit Franti Fanon, Rimbaud, Kateb Yacine, Miguel Angel Asturias.

Prépare plusieurs livres : Le Péril blanc, vivre sa nuit...

Le t P r e m i e r Fes t i va l m o n d i a l d e s a r t s n è g r e s » s 'est vou lu u n e « dé f ense et i l l u s t r a t i on de la n é g r i t u d e ». La n é g r i t u d e , p lus p e r s o n n e n e l ' ignore d o r é n a v a n t , r e c o u v r e l e m o u v e m e n t c u l t u r e l no i r d o n t les b a s e s fu ren t j e t ées au c o u r s d e s d i x a n n é e s qu i on t p r é c é d é l a g u e r r e de 1930-1945, p a r t r o i s p o è t e s a u j o u r d ' h u i c h a r g é s de r e n o m m é e e t de g l o i r e : Léopo ld S e d a r S e n g h o r , Aimé Césa i r e e t L é o n - G o n t r a n D a m a s .

Vingt a n s on t pa s sé d e p u i s la c r é a t i o n de ce mot voué à la cé l éb r i t é . L ' u n i v e r s s'est p r o f o n d é m e n t modi f ié . Le v ieux c o n t i n e n t e u r o p é e n n d é c o u v e r t l ' ex i s t ence d 'un « t i e r s m o n d e » , e m p ê t r é d a n s les t r a g é d i e s e t les farces d ' une c i n d é p e n d a n c e » r a r e m e n t a r r a c h é e p a r l ' ex-colonisé m a i s o c t r o y é e p a r l ' ex -co lon i sa t eu r qu i se s o u v e n a i t du p r o v e r b e < i l faut a c c e p t e r q u e q u e l q u e c h o s e c h a n g e p o u r q u e tout d e m e u r e c o m m e a v a n t >.

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P o u r la p r e s q u e to ta l i t é d e s p a y s du « t i e r s m o n d e », l ' i n d é p e n d a n c e a s ignif ié a v a n t tout , l a p r i s e du p o u v o i r p o l i t i q u e p a r les c o u c h e s b o u r ­geoises n a t i o n a l e s d é c h i r é e s p a r les lu t t es de c l a n s , e t l a s a u v e g a r d e de l a m a i n - m i s e p a r les p u i s s a n c e s cap i t a l i s t e s o c c i d e n t a l e s s u r les écono­mies de ces p a y s , don t on s ' acco rde à r e c o n n a î t r e qu ' i l s ne cessent de s ' enfoncer d a n s la p a u v r e t é , à m e s u r e q u e les < n a t i o n s r i c h e s » s ' enr i ­c h i s s e n t

Si p o u r les p a y s du « t i e r s m o n d e » r e c o u v r e r l ' i n d é p e n d a n c e veut d i r e de p lus en p lus : c o m b a t c o n t r e l ' exp lo i ta t ion d e s r i c h e s s e s na t io ­na l e s au prof i t d e s t r u s t s i n t e r n a t i o n a u x , c o m b a t p o u r l 'égali té socia le c o n t r e l ' a p p r o p r i a t i o n de l 'nDpareil d 'E ta t p a r l a m i n o r i t é en voie de t r a n s f o r m a t i o n en c las se cap i t a l i s t e , r e c o u v r e r l ' i n d é p e n d a n c e signifie aussi : r e c o n q u ê t e de la p e r s o n n a l i t é p r o f o n d e , l i bé ra t ion de la c u l t u r e , des m o d e s de p e n s é e i m p o s é s p a r l e co lon ia l i sme .

Du po in t de v u e l a r g e m e n t c u l t u r e l le * t i e r s m o n d e » n'a p r o d u i t jusqu ' ic i q u ' u n e seu le « idéologie » : la n é g r i t u d e . De n o m b r e u x in te l ­lec tue ls o c c i d e n t a u x , a m o u r e u x du < t i e r s m o n d e » lui on t c o n s a c r é d e s an tho log ies , d e s é t u d e s en f o r m e de p l a i d o y e r s : Ull i Beier , Gernld Moore , Ly l ian Kes te loo t . L e u r s t r a v a u x font a u t o r i t é e t ont r e çu l ' i m p r i m a t u r de p l u s i e u r s r e p r é s e n t a n t s de l a n é g r i t u d e . De tou t ce flot de l i t t é r a t u r e c r i t i q u e , un t ex t e é m e r g e : O r p h é e n o i r , de J . P . S A R T R E .

Au jourd 'hu i , où s e p o s e avec u n e p a r t i c u l i è r e acu i t é , l e p r o b l è m e du d e v e n i r du c t i e r s m o n d e » , e t p l u s p a r t i c u l i è r e m e n t de ce g r a n d m o r ­ceau du t t i e r s m o n d e » , le m o n d e n o i r : au j o u rd ' h u i où m a n i f e s t e m e n t sont r e t o m b é e s les f l a m m e s de l ' exa l ta t ion e t de la m y s t i q u e , p o u r f a i r e p l ace au d o u t e , à l ' angoisse , à la q u o t i d i e n n e t é , i l n 'es t d o n c p a s inu t i l e de t e n t e r de d r e s s e r un b i l an de la n é g r i t u d e , de c h e r c h e r à s a v o i r s i les idées- force s u r l e sque l l e s celle-ci s'est d é v e l o p p é e d e m e u r e n t v i ta les , a u t r e m e n t dit de c h e r c h e r à s a v o i r s i la n é g r i t u d e , qu i a un passé , peu t p r é t e n d r e à un a v e n i r .

D ' a b o r d , conv ien t - i l de p a r l e r de € n é g r i t u d e » ? La n é g r i t u d e est-el le u n i q u e ? Ne vaud ra i t - i l p a s m i e u x p a r l e r de < n é g r i t u d e s », si l 'on songe aux p r o m o t e u r s du m o u v e m e n t , s i d i f fé ren ts les u n s d e s a u t r e s d a n s l e u r s d é m a r c h e s e t l e u r s q u ê t e s .

U n e e n q u ê t e de ce g e n r e nécess i t e q u ' o n r e t o u r n e à la source , l à où les eaux on t b o u i l l o n n é a v a n t de se r é u n i r en f leuve.

N o u s r e m a r q u o n s tout d ' a b o r d q u e la « n é g r i t u d e » est l 'œuv re de t ro i s h o m m e s d ' h o r i z o n s d i v e r s : Césa i r e v ient de la M a r t i n i q u e . S e n g h o r est un en fan t de l 'Afr ique, D a m a s , lui , est o r i g i n a i r e d 'un pays i nc ru s t é au f lanc de l 'Amér ique l a t i ne , où le s a n g n o i r se fond avec le s a n g i nd i en et le sang e spagno l .

Ces t ro i s h o m m e s , de p a r l e u r s o r i g i n e s soc ia les e t c e r t a i n s p r iv i lèges , c e r t a i n e s c h a n c e s auss i on t bénéf ic ié d ' une i n s t r u c t i o n p o u s s é e i g n o r é e de l a p l u p a r t de l e u r s f r è r e s de r a c e . I ls a t t e ignen t l 'âge d ' h o m m e long­t e m p s a v a n t qu 'on p a r l e de « déco lon i sa t i on ». La soc ié té co lon i a l e fait d 'eux d e s in te l l ec tue l s , d e s m e m b r e s d ' une « é l i te » qu 'e l le a ccep t e de f o r m e r d a n s la m e s u r e où e l le en a beso in .

Le c o l o n i a l i s m e a tou jours eu soin de d é v a l o r i s e r les c u l t u r e s d e s p a y s co lon i sés afin de jus t i f i e r sa p r é t e n d u e mi s s ion c iv i l i sa t r i ce , e t de f a ç o n n e r les c e r v e a u x d e s é l i tes a u t o c h t o n e s se lon ses v t r u x . D'où ce t te r a g e de l ' a ss imi la t ion cpii a e m p o r t é les < in t e l l ec tue l s » no i r s d u r a n t les p r e m i è r e s d é c a d e s du s ièc le : un R e n é M a r a n en est l e p r o t o t y p e . D ' abo rd e t a v a n t tout , l ' éc r iva in ou l ' a r t i s t e n o i r se veut d i g n e de p é n é t r e r au sein du m o n d e b l a n c , n lu i faut d o n c a b a n d o n n e r t ou t ce qu i r e s t e de « s a u v a g e » de < p r imi t i f » en lu i . Il lui faut se « b l a n c h i r » p o u r m é r i t e r de s 'asseoi r à la t ab l e d e s c m a î t r e s ». La c u l t u r e du p a y s co lon i sa t eu r , en l ' o c c u r r e n c e la F r a n c e , d e v i e n t la C U L T U R E .

Le poè t e b a m b a r a so r t i de l 'Ecole W i l l i a m P o n t y s e r êve Baude la i r e ou Ver l a ine . A l 'école f r ança i se , i l r é c u p è r e u n e c u l t u r e qui n 'est q u e le p r o d u i t d ' une m i n o r i t é coupée , du « p a y s p r o f o n d » . Ce t te c u l t u r e s 'est

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d é v e l o p p é e au long d e s s ièc les d a n s l ' o rb i t e g o u v e r n e m e n t a l e , el le r e ­f lè te les c o n c e p t i o n s d e s < c lasses » d i r i g e a n t e s . E l le na î t auss i d e s « n é v r o s e s » v é c u e s p a r les m e m b r e s de c e s c l a s se s en r ébe l l ion c o n t r e l eu r c l a s se d ' o r ig ine : B a u d e l a i r e , R i m b a u d d é c l a r e n t la g u e r r e à l ' un ive r s bou rgeo i s , à un occ iden t s c l é ro sé , dév i é de son c h e m i n pos s ibb l e p a r les b o u r g e o i s i e s f a b r i c a n t e s d ' idéo log ies d e t o u t e s s o r t e s . L a p l u s e x t r a o r ­d i n a i r e i n s u r r e c t i o n m e n t a l e de « b o u r g e o i s » c o n t r e l eu r p r o p r e c l a s se r e s t e le s u r r é a l i s m e qu i o p p o s e à un r a t i o n a l i s m e b o r n é , à un s c i e n t i s m e p r i m a i r e , le < d é r è g l e m e n t o r g a n i s é de t o u s les s e n s » af in de d é b o u c h e r s u r u n e a u t r e r éa l i t é , u n e s u r r é a l i t é e x a l t a n t e . L ' a u t o m a t i s m e v e r b a l a u r a p e r m i s à c e s a v e n t u r i e r s d ' é c h a p p e r aux m é c a n i s m e s m e n t a u x offi­ciels, de m e n e r l e u r e n t r e p r i s e c o n s i s t a n t à c c h a n g e r la vie » j u squ ' à

ce qu ' i l s d é c o u v r e n t q u e p o u r « c h a n g e r la vie » i l fal lai t auss i « c h a n g e r l e m o n d e » , u n i r R i m b a u d e t M a r x . Mais Marx , r é i n c a r n é en S ta l ine , n 'a l la i t p a s of f r i r aux s u r r é a l i s t e s l 'occas ion de s ' engager s u r l a voie r o y a l e de l a Révolu t ion . . .

< C h a n g e r la v i e >, « c h a n g e r le m o n d e », c e u x qu i o u v r i r e n t la r o u t e à la n é g r i t u d e v o u l u r e n t a s s u m e r ce t t e d o u b ' e r e v e n d i c a t i o n : E t i e n n e L e r o e t l e g r o u p e c L E G I T I M E D E F E N S E » n e v é c u r e n t p a s assez l o n g t e m p s p o u r i m p u l s e r d é f i n i t i v e m e n t l ' o r i e n t a t i o n . P o u r e u x , i l s 'agissai t p a r le r e c o u r s au « s tupé f i an t image » d ' é c h a p p e r à 'a d o u b l e a l i é n a t i o n de n o i r c o l o n i s é m e n t a l e m e n t e t soc i a l em en t , e t de s ' i n t ég re r à la va s t e a r m é e h u m a i n e — b l a n c h e , n o i r e , j aune . . . — l u t t a n t p o u r b r i s e r les fe r s de t o u t e s les o p p r e s s i o n s .

P o u r L e r o et s e s a m i s , i l n ' y ava i t p a s de < p e r s o n n a l i t é » n o i r e , i l y ava i t d e s n o i r s h é r i t i e r s de c u l t u r e s e t d ' a r t s spéc i f iques au se in d e s q u e l s i l s ' avéra i t i m p o s s i b l e d ' e n f e r m e r les h o m m e s d a n s l a m e s u r e o ù tou t e t e n t a t i v e d e c r é a t i o n a u t h e n t i q u e est t e n t a t i v e d ' é m a n c i p a t i o n , d e s u r g i s s e m e n t , d o n c d ' a r r a c h e m e n t .

A l ' excep t ion d 'Aimé C é s a i r e , on peu t d i r e q u e le m o u v e m e n t de la n é g r i t u d e s'est c o n s o l i d é en o p p o s i t i o n à la p r i s e de c o n s c i e n c e d 'un L e r o .

L e s l imi t e s de la < n é g r i t u d e » off iciel le , S e n g h o r les e x p r i m e l o r s ­qu ' i l d i t q u e l e b u t de l a n é g r i t u d e es t de h i s s e r les v a l e u r s c u l t u r e l l e s n o i r e s r a s s e m b l é e s e n u n fa i sceau d e c iv i l i sa t ion a u n i v e a u d e s g r a n d e s c u l t u r e s . U n e te l le œ u v r e s o u s - e n t e n d qu ' i l y a u n e c iv i l i sa t ion n o i r e , d e s v a l e u r s r e c o n n u e s p a r t o u s les n o i r s , d e s v a l e u r s a c c e p t a b l e s p a r tous , d e s v a l e u r s i m m u a b l e s . A u t r e m e n t d i t , tout c e q u e l ' h o m m e n o i r a p r o d u i t est r é c u p é r é , a b s t r a c t i o n fa i te de tou t j u g e m e n t c r i t i q u e . De p l u s cet h é r i t a g e s ' e n r a c i n e d a n s u n pa s sé qu i n 'a p a s c o n n u l 'un i f ica t ion du m o n d e n o i r , m a i s bel e t b ien les a n t a g o n i s m e s d ' i n t é r ê t , e t l e d é v e ­l o p p e m e n t d a n s l a d i v e r s i t é .

Mais i l est c e r t a i n q u e p o u r u n e p o i g n é e d ' i n t e l l ec tue l s , en p a r t i e a f r i c a i n s , ex i l é s d a n s u n e E u r o p e s é v è r e e t g r i se , l a t e n t a t i o n é ta i t g r a n d e d e s ' a c c r o c h e r a u m y t h e d ' u n e Af r ique f o r m a n t u n e vas t e en t i t é s u s c e p ­t ib l e d ' ê t r e o p p o s é e à l ' en t i té e u r o p é n n e . Ce t te r é c u p é r a t i o n d o n t l ' œ u v r e p o é t i q u e d e S e n g h o r t é m o i g n e a m p l e m e n t r e c o u v r e p o u r l 'essent ie l l a c n é g r i t u d e » . L 'Afr ique de S e n g h o r , t e l l e q u e n o u s p o u v o n s la d é c o u v r i r d a n s Hostie» n o i r e s , E t h i o p i q u e a est u n e Afr ique idy l l i que , p a y s a g e d ' en fan t éb lou i . O n r é c u p è r e m y t h e s e t t r a d i t i o n s s o u s l e u r s f o r m e s d e s ignes e x t é r i e u r s s a n s q u e ce la mod i f i e v r a i m e n t l e p s y c h i s m e d u p o è t e . C'est t e l l e m e n t v r a i q u e s i l 'on ô t e d e s p o è m e s s e n g h o r i e n s les t e r m e s t y p i q u e s a f r i c a in s te l s q u e Kora , b a l a f o n , i l n e r e s t e q u ' u n e é c r i t u r e p o é t i q u e d o n t l a s t r u c t u r e ne s e d i f f é r enc ie g u è r e des poè te s o c c i d e n t a u x . En ce sens , S e n g h o r a r a i s o n d ' ê t r e f ier : i l s 'est « h i s sé » au n i v e a u d ' un Claude l , d 'un S t . - John P e r s e . I l n 'a p lus a r o u g i r de sa p e a u n o i r e .

S i le t h è m e de l ' exa l t a t ion de l 'Afr ique a n c i e n n e , de l 'Afr ique g lo ­r i e u s e d e s c r o y a u m e s » , d e s c i t é s r é s o n n a n t du m e r v e i l l e u x l a b e u r des o r f è v r e s , d e s s c u l p t e u r s , d e s t a m b o u r i n a i r e s est l e t h è m e m a j e u r de l a p o é s i e de la < n é g r i t u d e >, les a u t r e s t h è m e s n ' i n f i r m e n t p a s nos d i r e s :

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c é l é b r a t i o n d ' une Afr ique d e v e n u e < i n d é p e n d a n t e > s o u s la h o u l e t t e des « b u r e a u c r a t i e s n a t i o n a l e s >, p e i n t u r e i dy l l i que d 'un a v e n i r qu i n 'est l 'as p réc i sé , exa l t a t i on de la c p e r s o n n a l i t é » n è g r e a l o r s q u e < l 'occi­den t a l i s a t i on > de l 'Afr ique ne cesse de m a r q u e r d e s p o i n t s e t impose ses m œ u r s fondées s u r l ' a rgen t e t l ' exp lo i ta t ion de l ' h o m m e p a r l ' homme, a ins i q u e les c sous p r o d u i t s c u l t u r e l s > : yé -yé , m a g a z i n e s , f i lms d 'amour . . .

Le poè t e de la « n é g r i t u d e > ne cesse de n o m m e r l 'Afr ique : A f r i q u e -Afrique.. . s e r a i t - c e q u e cel le-ci lui é c h a p p e v r a i m e n t . Mais en a l lan t p lus loin, on peu t d i r e q u e ce t t e o b s t i n a t i o n à n o m m e r , à c a c h e r sous les r a p p e l s d e s fas tes pas sés les r éa l i t é s du p r é s e n t , o u t r e qu 'e l le sa t i s fa i t les a s p i r a t i o n s c u l t u r e l l e s n a t i o n a l i s t e s d e s « é l i tes > se r t les i n t é r ê t s de ces d e r n i è r e s . E l le p e r m e t d ' év i t e r l a v é r i t a b l e r é f l ex ion o u v e r t e p a r l ' r an t z F a n o n d a n s les d a m n é a de la t e r r e . L 'Afr ique est c c o n d a m n é e » J l ' i ndus t r i a l i s a t i on . Les c o u c h e s b u r e a u c r a t i q u e s qu i se vo ien t les m a î t r e s d e m a i n , on t b e s o i n de c r é e r u n e men ta l i t é de p r o l é t a r i a t , c 'est-à -d i re u n e m e n t a l i t é qu i est l e p r o d u i t de l 'Eu rope . I l ne s 'agit d o n c p a s que l 'Africain c è d e à l ' obsess ion d e s c r a c i n e s > a u t h e n t i q u e s et s 'engage d a n s u n e q u ê t e qu i p o u r r a i t d e v e n i r d a n g e r e u s e p o u r les a u t o r i t é s c iab l ies d è s les l e n d e m a i n s d e s i n d é p e n d a n c e s .

S e n g h o r , d e v e n u c a t h o l i q u e e t m é t a p h y s i c i e n , s i t ue s a p e n s é e h o r s <!c tout c o n t e x t e r é e l . S e s d i s c o u r s e n f l a m m é s t é m o i g n e n t b ien q u e l ' aven tu r e sp i r i tue l l e de S e n g h o r , c o m m e cel le d ' un A n d r é Mal raux ou d 'un T. K. L a w r e n c e , n ' engage q u e lui , â m e en q u ê t e d 'un € abso lu > sans c o n t o u r s , l ' h o m m e n o i r p o u r lui est p u r e sp r i t . I l n 'est p a s cet

MM de c h a i r , de s u e u r e t de sang qu i s 'épuise à a r r a c h e r à la t e r r e les < m o y e n s de v iv re ». P o u r S e n g h o r , le bu t est i d e n t i q u e à ce lu i d e s v i eux l e a d e r s n o i r s des E t a t s - U n i s : p r o u v e r q u e l e n è g r e est un h o m m e , c ' es t -à -d i re qu ' i l peu t e n t r e r d a n s l e s y s t è m e o c c i d e n t a l . C o m m e S e n g h o r l u i -même qu i n ' i gno re r i e n , e t a d h è r e p a s s i o n n é m e n t a u x t h é o r i e s a v e n ­t u r e u s e s d 'un T e i l h a r d d e C h a r d i n , e t c o n n a î t Corne i l l e m i e u x q u e l ' ouvr ie r d e P a r i a .

P e r s o n n a l i t é don t l a s ens ib i l i t é ba scu l e f r é q u e m m e n t d a n s la sens i ­b le r i e , S e n g h o r a r é u s s i l e m i r a c l e de d o n n e r d a n s son œu%re u n e image du no i r qu i c o r r e s p o n d à cel le q u e le b l a n c s'est forgée : le no i r est r y t h m e , i l é c h a p p e à l ' h o r r e u r c a r t é s i e n n e , le n o i r est v i g u e u r e t s impl i c i t é , t e n d r e s s e e t b o n h o m m i e . N o u s fera- t -on c r o i r e q u ' u n e tel le image c o ï n c i d e avec les b u r e a u c r a t e s de D a k a r e t d 'Abidjan, qu i sont les m é d i o c r e s r e f l e t s de l a m é d i o c r i t é occ iden t a l e d o n t les é c r i v a i n s de la n é g r i t u d e c r o i e n t se d é t a c h e r en i so lant l 'ART de la r éa l i t é cap i t a l i s t e à laque l le , n 'en d é p l a i s e a u x e s thè t e s , la s ign i f ica t ion et la va l eu r de cet ART d e m e u r e n t i n t i m e m e n t l iées .

Il y a un d r a m e d. s c P è r e s de la n é g r i t u d e ». Déjà d é t a c h é s de p a r l eu r s i tua t ion du sec l . u r d y n a m i q u e de l eu r socié té d 'o r ig ine , in te l lec ­tue ls a f f ron tés à u n e c u l t u r e i m p é r i a l i s t e en pos i t i on de force, ils n ' ava i en t r i e n à o p p o s e r à l ' e n v a h i s s e m e n t d ' e u x - m ê m e p a r ce t te c u l t u r e q u e le s o u v e n i r d ' avo i r é té a u t r e s q u e ce qu ' i l s é t a i en t d e v e n u s : des d é r a c i n é s . I ls on t a r d e m m e n t s o u h a i t é s ' e n r a c i n e r d a n s ce t t e c u l t u r e , é t r a n g è r e b io log iquemen t , é t i nce l an t de mi l le feux. Ce t te c u l t u r e les a d é v o r é s , les a m a l a x é s , a i m p r i m é au p lus p r o f o n d de l eu r s c e r v e a u x la m a r q u e b l a n c h e , les a c o n v e r t i s à la mys t i f i ca t ion de l ' h u m a n i s m e et de l ' un ive raa l i sme , m o t s b o n s à t o u s les usages et à toutes les t r o m p e r i e s .

Un seul a t en t é de t o u t e s s e s fo rces de f r a y e r la v r a i e voie : Aimé C ê s a i r e . Césa i r e , c o m m e L e r o , a t r o u v é avec le s u r r é a l i s m e « l ' a rme m i r a ­cu l euse » c a p a b l e de tue r le c a d a v r e b l a n c c loué en lui . Avec son n m o u r « c a t h o l i q u e > Césa i r e a d é s e s p é r é m e n t lu t t é afin de ne p a s d e v e n i r un < peau nèg re , m a s q u e b l a n c > . P a r t i s a n d 'un rée l h u m a n i s m e q u ' é l a b o r e un A n d r é Bre ton et n o n les c s o r b o n n a r d s >, d 'un soc ia l i sme non t r u q u é fondé s u r l ' ana lyse de Marx , i l i n c a r n e u n e n é g r i t u d e b ien p a r t i c u l i è r e , u n e n é g r i t u d e qu i r é p o n d à l ' appe l ango i s sé des j e u n e s g é n é r a t i o n s qu i ne lui on t p a s d i s p u t é l eu r e s t ime . I l a c o m p r i s q u ' u n e v é r i t a b l e c r e -

Page 36: Souffles 03

c o n s t r u c t i o n » m e n t a l e de l ' h o m m e n o i r é ta i t néce s sa i r e , e t q u e ce t te « r e c o n s t r u c t i o n » deva i t é c h a p p e r a u x t h è m e s o c c i d e n t a u x p e r v e r t i s e t i nac ­cep t ab l e s . Du « C a h i e r du r e t o u r au p a y s n a t a l » à « F e r r e m e n t s » , C é s a i r e n'u cessé d ' e x p l o r e r les c h e m i n s de la l i be r t é , ac t iv i t é qu ' i l n'a j a m a i s c o n f o n d u e avec les p r o m e n a d e s s e n t i m e n t a l e s s u r les s e n t i e r s de l 'h is­t o i r e m o r t e , pé t r i f i ée . C é s a i r e a c o m p r i s l a néces s i t é p o u r l ' in te l lec tue l no i r de se < d é s a l i é n e r > , en r e c o u r a n t au ver t ige q u e les m o t s i n s t a u r e n t , f a i san t s a u t e r les v e r r o u s d e r r i è r e lesque ls l ' h o m m e a u t h e n t i q u e , e t n o n p a s la c r é a t u r e f a ç o n n é e p a r d e s p u i s s a n c e s e n n e m i e s , a t t e n d . I l n 'y a p a s chez C é s a i r e ce goût < pas sé i s t e > q u e t a n t de poè te s de la n é g r i t u d e n o u r r i s s e n t d é l i c a t e m e n t . I l n 'y a p a s non p l u s la c r o y a n c e en u n e Afr ique qu i n 'a p a s ex i s t é . L 'Afr ique , chez Césa i r e , c o m m e n ' i m p o r t e l ue l l e p a r t i e d e n o t r e m o n d e , d é b o u c h e s u r l ' h o m m e c o n c r e t .

La n é g r i t u d e « off iciel le » se l imi te à l 'Afr ique et p l u s p a r t i c u l i è ­r e m e n t à l 'Afr ique f r a n c o p h o n e . En effet, a i l l eu r s , u n e hos t i l i t é n ' j cessé de se d é v e l o p p e r c o n t r e l a t h é o r i e e s s en t i e l l emen t codif iée p a r l e chef d 'é ta t s é n é g a l a i s . L 'Af r ique a n g l o p h o n e est n e t t e m e n t opposée à la n é g r i t u d e d a n s l a q u e l l e el le f la i re u n e idéologie v a g u e m e n t r é a c t i o n n a i r e . A cela u n e e x p l i c a t i o n : les b r i t a n n i q u e s , à l ' i nve r se d e s f r ança i s , n 'on t p a s d i r e c t e m e n t d i r i g é les p a y s qu ' i l s a v a i e n t co lon i s é s . L e n o i r a n g l o p h o n e v ivan t d a n s un m o n d e n o i r a v e c ses po l i c i e r s , ses chefs , ses r e l e v e u r s d ' i m p ô t s n o i r s ( m a n i p u l é s d a n s l ' ombre p a r l e co lon ia l i s t e b l a n c ) n 'a p a s r e s s e n t i ce b e s o i n d ' a f f i rmer sa < n é g r i t u d e » . Sa p r i s e de c o n s c i e n c e d é b o u c h a s u r les v r a i e s q u e s t i o n s . L 'accue i l r é s e r v é p a r l 'Afr ique a n g l o ­p h o n e aux é c r i t s d e F a n o n t é m o i g n e b ien d u n iveau d e r é f l ex ion o ù el le est p a r v e n u e . I l n 'es t d o n c p a s é t o n n a n t q u e l a p l u s i m p o r t a n t e r e v u e de poés ie n o i r e , Black O r p h e u a soit n é e à I b a d a n e t q u e la poés i e du Nige r i a éc l ipse l a p o é s i e - é d i t o r i a u x m i s en v e r s d o n t l 'Afr ique f r a n c o ­p h o n e est s i p r o l i x e .

Que les c l a s se s b o u r g e o i s e s a f r i c a i n e s a i e n t r é c u p é r é la « nég r i ­t u d e » au p o i n t de f a i r e du fes t iva l u n e œ u v r e i n t c r - E t a t s , ne doi t p a s é t o n n e r . La n é g r i t u d e d o n n e l ' i l lus ion à l ' h o m m e n o i r d ' avo i r r e n o u é a v e c s e s r a c i n e s , t ou t c o m m e l e fai t d e r e v ê t i r l 'habi t t r a d i t i o n n e l d o n n e au d i p l o m a t e a f r i ca in h a b i t u é d e s b o i t e s de nu i t e u r o p é e n n e s l ' i l lus ion de r e t r o u v e r sa « spéc i f ic i t é » . On r e t r o u v e ici la r é c u p é r a t i o n d e s s ignes e x t é r i e u r s é v o q u é s p l u s h a u t .

De m ê m e q u e les p o è t e s a n g l o p h o n e s , les p o è t e s n o i r s de C u b a , d 'Haï t i , ( e x c e p t i o n fa i te de c e u x q u i sont l iés au p o u v o i r du d i c t a t e u r F . Duva l l i e r , l eque l a f ondé sa p e n s é e s u r l a n é g r i t u d e , u n e n é g r i t u d e , s o y o n s f r a n c s , qu i n 'a r i e n à vo i r avec ce l le de S e n g h o r , e t qu i a r é u s s i à p a r t i c i p e r au F e s t i v a l de D a k a r à l a c o l è r e de n o m b r e u x a f r i ca ins ) é c h a p p e n t à ce m o u v e m e n t de p e n s é e qu i d ' a i l l eu r s n 'eu t peu t - ê t r e p a s d u r é sous s a f o r m e p r e m i è r e s i l 'un de ses p r o m o t e u r s n ' ava i t p a s b é n é ­ficié de l a t r i b u n e qu 'o f f r e l e pos t e de chef d 'E ta t . I ls r e fu sen t de se l a i s se r e n f e r m e r d a n s ce c e r c l e o b s e s s i o n n e l n o i r . I ls saven t q u e l e sa lut de l ' h o m m e n o i r s e j o u e a i l l e u r s , p l u s p r o f o n d é m e n t , au n i v e a u de l a m a t i è r e l a p l u s i n t i m e du c e r v e a u du n è g r e , e t au n iveau d e s s t r u c t u r e s é conomico - soc i a l e s .

P e r s o n n e l l e m e n t , j ' a i e u l 'occas ion d e l i re d e n o m b r e u x m a n u s c r i t s de j e u n e s é c r i v a i n s n o i r s : d 'Af r ique e t d ' a u t r e s c o n t i n e n t s . Un ton n o u v e a u se fait e n t e n d r e , u n e r e v e n d i c a t i o n n o u v e l l e c h e r c h e à s ' e x p r i m e r . Les v e r t i g e s de l ' i n d é p e n d a n c e son t r e t o m b é s , le « soc i a l i sme a f r i ca in > n 'a p a s c o n v n i n c u les e s p r i t s luc ides , les y e u x qu i s aven t v o i r . Ces j e u n e s é c r i v a i n s n ' on t g u è r e d é p a s s é v ing t a n s . I ls p r e n n e n t l a p a r o l e , a l o r s q u e c e u x qu i o n t e n t r e 30 et 35 a n s , e t qu i c o n t e s t a i e n t la « n é g r i t u d e », n 'on t p a s m e n é l e p r o c è s à t e r m e . I l s e m b l e q u e ces j e u n e s g é n é r a t i o n s von t de p lus en p l u s f e r m e m e n t s ' oppose r à u n e « t h é o r i e » , qu i , s i e l le a é t é f é c o n d e d a n s la m e s u r e où e l le a p e r m i s a l 'Afr icain i n s t ru i t de r e t r o u v e r l a f ie r té e t l e s e n s de lu d ign i t é , n ' a p p o r t e p a s de so lu t ion v i a b l e a u x p r o b l è m e s c r u c i a u x qu i s e p o s e n t d o r é n a v a n t . L e m o t r e s t e r a peu t -ê t re m a i s i l n e r e c o u v r i r a p l u s les m ê m e s r éa l i t é s .

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Oran le 28.7.66

// est fini le temps du poète maghrébin exilé au sein d'une langue française. Exil de mauvaise foi. Exil reposant sur une idée des plus fausses sur la véritable poésie. ¡1 est fini le temps d'apitoyer en attirant les yeux de la métropole sur c cet orphelin de lecteurs » : jouisseur aux remords plus ou moins grassement payés. Peur ma part je pense que nous devons franchir ce marécage où nous risquons de dépenser vainement nos forces.

Les jérémiades sont infamantes, nos oreilles en bourdonnent enco­re : ce bruitage il est de notre urgent devoir de le faire cesser si nous ne voulons pas en être assourdis. Toutes hypothèques levées je crois fermement qu'il pourra exister une poésie maghré­bine digne de ce nom et Sou «Je» en est déjà le signe annonciateur vibrant de hardiesse. D'autre part je crois à une poésie essentiel­lement révolutionnaire donc à une poésie qui change la vie. Ici plusieurs voies (ou voix) sont possibles : celle de « SoaUlts • m'est très proche elle parle si près de nos hantises et de nos obsessions les plus enfouies. Cest là son authenticité déchirante et en même temps éclairante. Beaucoup de poèmes de la revue me bouleversèrent par leur âpreté sans concession et une certaine promesse de tendresse contenus en filigrane. Il n'est de force que tremblante. Toute autre force est despotisme aveugle.

A propos des poèmes de la revue je retrouve un aphorisme de René Char qui peut exprimer dans quel climat spirituel fai reçu (au sens viscéral du terme) les textes. Cet aphorisme est le suivant : c Un mètre a"entrailles pour mesurer nos chances ».

roalek alloula

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Les problèmes généraux concernant la poésie doivent être certai­nement les mêmes dans tout le Maghreb mais à côté d'eux existent quelques problèmes particuliers, propres à la situation de chaque pays. C'est ainsi que nous sommes en Algérie encore sous le coup de notre Révolution qui a donné naissance à une poésie essentiellement militante et tournée vers le témoignage immédiat. Après la Révolution beaucoup de poètes se sont tus ou bien ont vu leur production diminuer du fait qu'ils n'ont pu procéder à une reconversion. Cette reconversion était d'autant plus dure que la poésie militante à laquelle ils se sont livrés fut uniquement polarisée par l'événement. Chez de nombreux poètes il n'y eut aucune ouverture vers l'humain en général (je crois à une poésie aux frontières de fhomme) . D'autre part chez ces mêmes poètes aucune réflexion sur la poésie ne sous-tendait leur écriture. Une grande facilité les caractérisait.

Facilité qu'ils présentaient en toute mauvaise foi comme étant l'antidote d'un intellectualisme qui n'existait que dans leur ima­gination. De nos jours encore cette poésie facile en ce sens qu'elle est soit alignement de mots, soit recherche iïune musique soit énonciation d'une vérité trop générale existe encore et dans un certain sens risque d'être dangereuse.

Le problème de l'analphabétisme est chez nous aussi tragique qu'ailleurs et cette situation est idéale pour favoriser les déma­gogues de la poésie.

Les problèmes d'impression sont parfois insolubles surtout lors­qu'il s'agit d'une poésie sortant des chemins battus.

Néanmoins nous restons quelques-uns à croire à la défaite, à plus ou moins longue échéance, de ce chant falsifié qui prévaut cyni­quement de nos jours.

Four ce qui est de la voie que j'ai choisie je dirai qu'il s'agit avant tout pour moi d'une interrogation reprise de poème en poème et qui débouche sur une autre interrogation. Cette inter­rogation est la suivante : pourquoi écrire dans cette nuit qui nous environne au milieu de la précarité la plus grande ? Interrogation pour moi vitale et qui à long terme ne doit rien solutionner.

Cest certes là une voix différente de celle qui s'exprime dans • SouHIts • mais qui comme celle-ci porte témoignage d'une authenticité vécue.

m. a.

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• p o è m e s

I

lineaments du jour

Jusqu'à son terme le plus haut la nuit sijbilline, menée le long du sentier par poussées successives, s'aiguise sur la meule granulaire qui fuse sous nos pas.

Le bivouac maintenant est au faite ouvert aux souffles les plus contraires. Lieu du guet il convenait de s'y tenir. Eveillés ! . .

poème I Le jour non hypothéqué quand résonnera l'enclume du soleil sera notre force et notre péril noués en clair dessin.

Le seuil n'était plus lieu bas mais pic exacerbé nous résumant dans sa flèche. L'accès qui en avait été gagné ne donnait d'autre droit que d'attendre la déchirure de l'imminente parole.

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II

Nous voici à présent sur le chemin fourchu sans autre guide que le roseau docile sous les caprices du vent et sans autre souvenir que celui de notre soif présente dès la lisière. Nos seuls compagnons avaient choisi le silence de l'obstination émue et nous-mêmes

n'espérions plus gagner la halte tant la marche était nouvelle.

poème

III

Le poème porté à l'incandescence par le souffle mental se vrille dans la chair et l'esprit se faisant chair et esprit. En nouant les grandes forces partagées il lance à travers la crémation poème vers la recherche cassée d'une illuminante histoire. Le chemin toujours le même ne cesse d'être nouveau et si la retombée du poème écartelé s'accompagne de cendres il n'est jamais question de nostalgie au plus fort de l'épuisement.

Ces poèmes sont extraits a"un recueil de Malek Alloula, intitulé < Vertu de raride ».

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Bernard jakoblak

anti-procès verbal

/

/• constate je n'en bâtis pas un système ou sommet duquel je NOUS place je constat»

mais qu'un chol me prenne pour un chat pis encore une chatte qu'un chien veuille pour mon bien m'iraposer sa vue de chien qu'une grenouille me reproche mes poils qu'un corbeau me vante la charogne ou un lion les entrailles chaudes d'une antilope NON Et pourtant voilà où nous en sommes dans les manuels scolaires les cénacles les tables rondes les

[programmes de n'importe quel parti /1 n'y eut jamais

que la prise du pouvoir par une certaine façon d'éprouver par une certaine espèce dans celle physiolog'aue espèce qu'on dil

[• humaine • fl n'y «ni

U n'y a pas d'- humanisme -

qui ne soit ce despotisme Alors ? eh bien alors c'est la sauvage sauvegarde contre foute emprise

de re • le ne sais quoi » ou • ...pas > c'est pareil — qui donnerait à tous les révolutionnaires raison s'il était accompagné de la force native Mans quoi il avorte le ne reproche rien aux avortés sont-ils des avortés ou des victimes d'un modèle des séparés d'eu--

[mêmes des tragmer .t des engloutis 7 le ne suis pas une compagnie de sauvetage le reproche de moins en moins Je plains de moins en moins ne verse pas une larme sur les dominicaux morts de Pâques ou

[du mois d'Août le ne suis pas chargé de Tours ni du lénia le ne suis pas chargé de l'air que je respire mais je suis pour le changement car il peut réveiller ceux qui seulement dorment ce sont les seules victimes I U T a des coriace*

des forces congénitales inavortables des vies

elles sont rares elles viennent dans n'importe quelle race clan secte langue elles absorbent loul cela contiennent tout cela ne sont pas contenues

[ne sont explicable imitables

des vies

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l'ai salué les doux Me /oul-ij un Interlocuteur Je n'ai pas ie rerflge même d Itérants mime opposés nous nous reconnaissons

quelque chose un Jn/Iux

eommr d'un même feuillage mais ce srrail d'un arbre arx mii.'e millions milliards de racines

[de troncs nous nous reconnaissons nous négligeons l'absence et le monde est peuplé mais sans aucun pardon pour intégrer les reste* cette Iraternité de mousse el d*aloès de chenilles et de ciel de

[cascade et de poux nous lâchons les béquilles

des ries elles contiennent

(oui ce qui sur Terre rit.

II

Il y a cependant les affiches qui gueulent qu'on ne voit même plus qu'on ne veut même plus

arracher n y a

la longue pompe aspirante des routes à grand tirage qui [/ont qu'on ne sait plus

s" arrêter sauf dans des Tapeurs d'huile el de gas brûlés

fi y a l'horreur à la terrasse des monuments aux morts

qu'on ne veul même plus roir sauter il y a Tartël fixe au poteau des vacancer panorama préru el

[masque à oxygène donné pour de l'air pur il y a la donxelle en short monoprix étendue dans los champs

[en gueu.'ant transistor Il y a en hiver le cinéma qu'on prend le disque qu'on rabâche le sourire chewing-gum de l'idole neuve icôno pendue au fronl

[du lit Il y a ces cervelles bourrées dis le* 6 ans de fausses certitudes 0 y a ces regards par millions satisfaits fascinés avalant sans

(en rien rejeter la voix sortie des lèvres de mannequins payés C'est à vous que le parle vous que j'ai coudoyés dans fanonymité

usante sous l'uniforme l'informe la masse accélérée en descente

[d'objets le vous ai rus ramper le détournais les yeux je vous voyais vous

[mettre en boule dans voire cota

n'être plus qu'un manche de balai une manivelle un tout ce çu'on voudra pourvu qu'on no perde pas ce qu'a pas

[le voisin vous atrocement plats devanl l'autorité des hommes el • d'un étal

[des choses • je n'avais rien à perdre

Page 43: Souffles 03

la preuve est que la vie m'a emmené au Heu où jouir et donner s'unissent en un seul mol nous n'avons rien à perdre vous haussez les épaules vous craignes de laisser paillais* pour bois dur el haricots pour lèves vous comptes votre paie votre tendresse. vos joies les voilà enterrée* verrouillées empêchées de nuire n'est-ce pas de changer quelque chose Vous mis hors-course dévalués el qui nous expulses S'il en esl parmi nous échappés par la drogue s'il en esl parmi nous tous à ¡1er s'il en est revenus comme vous résignés c'est que vous nous manques c'est que toute richesse non risquée en plein jour alrocemenl

[nous manque une harmonie se nomme elle est 1res exigeante

elle n'est pas encore née

elle vous demande.

Paraîtra en Octobre:

Un ami viendra vous voir roman de

DRISS CHRAIBI E D I T I O N S D E N O E L

Page 44: Souffles 03

el mostafa nissaboury

44 l'anachronique son sablier

Moh Moha Moha Moha dans une camisole à petites rayures. La fin du monde une affiche qu'on a collée juste en face de la boutique. Plus loin un filet rouge des yeux roulant leurs globes plus d'air de l'asphalte et l'homme debout dans la symétrie du désespoir. Si tu arrives à agiter le bras regarder quelque chose-Toutes les veines lui pendent des membres et du nez traînent au sol pendant qu'un grand hôpital brûle dans un cerveau. Le chien qui le suivait est à présent sous son bras. Le chien lui dévore les côtes et lui le regarde manger manger et sortir indéfi­niment une tête de cafard et de chameau. Le chien rivait. Lui aussi rivait d'une petite rue où chacun travaille et meurt pour son compte dans la mémoire une agence de voyage des affiches publicitaires des tracts du vent de la rougeole. La ville est une agraffeuse mais la ville reste dans une inconstance molle d'étoffe de soie qu'on déchire. Ça l'obsédait et il ne manquait jamais de citer le nom de son grand-pire chaque fois qu'il se levait chaque fois qu'il s'asseyuit chaque fois qu'il avait honte soif marre et envie de coucher avec la princesse. Ceci est juste. Ceci est vrai. Si je ne m'étais foutu cette putain de Fatima sur le dos avec ses pets de gosses oui l'offre des rougeoles les banques alors oui /"aurais certainement appris autre chose sur mon foie. Et voilà. Il ne reste plus qu'à prendre son thé froid et du kif noir pour éloigner les mauvais esprits des égouts. Je voudrais que toutes les villes ne soient que d'énormes égouts donnant sur d'autres égouts et ainsi de suite jusqu'à ce que je cesse (Titre hostile au monde. Qu'importe. Tu t'es procuré des lunettes de mer et tu as fait le voyeur avec un agenda de 1950 où un officier français tenait sa comptabilité pendant mille ans tu n'as fait que lire et relire cet agenda avec les mimes lunettes de mer et tu as dit je ne suis pas heureux si je ne suis pas heureux je suis éternel. Puis le café Mostafa. La juive fricpouilleuse qui tenait un bordel en médina. J'y suis allé avec une djellabah rouge et la choukara pleine à craquer. L'Hajja L'hamdaouia la potence des foules les

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cartes espagnoles les petits bateaux de paille. Je ne me souviens plus de rien. Elle était grosse rancunière et me disait mon amour en français. Mon amour. Où sont les nuits qui. Il manque fatale­ment le vieux qui vendait le fenugrec le sable les mouches cantha-rides venez les cons venez les impuissants. J'avais mille ans. Dans l'ombre la prostituée avec ses canouns. Donne-moi ce revolver que je puisse descendre la lune. Donne-moi des armes automati­ques et je te livrerai ma conscience dans un plat de homards. T'aurais dû l'apercevoir que tout ceci après tout n'était qu'un rive. Un rêve la mort qui promine ses gonzesses un rive elle longue fine avec des crotales. Dans le petit café maure les fils de H'mad Ou Moussa et s'ouvrir les veines dans la rue basse de plus en plus basse de telle sorte que sexe-mémoire une cons­cience lourde et pénible de passeports pour la clebomanie et le sang le sang encore plus lourd sans coriandre ni figues sèches. Mon amour. Dans un désert mon amour comme un petit oiseau atomique. Le bordel de la juive lui était là. Un vieil immeuble de deux étages sans porte volets fermés. Des tonnes de sable. Pas de soleil pas de vent un ciel gris l'immeuble gris et la juive à la terrasse agitant une queue de chien cheveux pointus. J'ai appris par la suite qu'elle était partit en Palestine. Mais la roule me monte brusquement par les pieds el je demeure immobile. Elle m'arrive à la tempe el je descends un mokaddem car je suit de la main noire. J'avais trois mille ans un thé crépusculaire par où montait le boulevard comme un champignon. C'est absurde de tenir absolument à ce qu'on vous comprenne. Moi mon C'mandarr je suis un héros je suis marocain arabe mangeur de foies ennemis. Aie avec moi la langue sucrée et tout ira bien. J'apprivoise aussi des serpents et je fous le camp en France loin de ce bled noir. Dans une main un œil et tout autour serpents et scorpions. Mon frère mon frère impitoyable. Le discophone est imperceptible le sang monte quelque part avec de gros cailloux de la vase et des mains suspendues aux branches dans une démilée de cris de gosses non je resterai de Vautre côté de la rue où le chien réapparaît tout petit dans un silence d'huile. On a enterré la grand-mire et le fkih avait des yeux rouges et larmoyants. La mire avait beaucoup pleuré et lui arrivait à peine à comprendre la mort qu'on dit pourtant belle avec des cheveux verts. Un homme à djellabah lui avait tendu une figue siche et il favait tout de suite avalée en regardant longuement sa petite sœur à côté de lui. Cette nuit-là il avait mal dormi et on lui avait préparé une mixturi spéciale contre les insomnies. De l'autre côté de la ville le cime­tière était chaud. Non je resterai derrière ce cortège d'hommes et de fc rimes qui chantent. Ils chantent chantent ils sont presque nus avec de gros poils sur le ventre et sur le dos lui se met à maudire les poteaux électriques en gesticulant. Un gosse le regar­de mais ne rit pas il a plutôt cessé de rire qu'importe d'ailleurs tu t'es placé sur la terrasse et tu as vu les balles traverser les tempes tu es devenu un homme au nez tatoué. Il s'est paraît-il saoulé une fois et dormi trois jours de suite avec une femme qu'il avait marquée de ses ongles et de son sang. Ha. Il se dit qu'il était une fois un puits avec une main la main mangea le puits qui devint une main qui redevint puits que le puits n'était plus le même quand la main redevient la main et le puits sans puits que tout cela lui importait peu qu'il était seul sans passé incapable de réfléchir oui pourquoi pourquoi ne serait-il pas sa mère son pire et leur stérilité pitoyable. Ha ha. Le fkih lui avait donné une espice de petit roseau de la dimension d'un annuaire et il avait rivé de sa mire et de sa sœur avec lesquelles il s'était marié pendant qu'une vieille femme brandissait sur sa tête une canne longue avec cinq francs de menthe à l'extrémité. Il lui a également recommandé de tenir le dos tourné au soleil. Mais puisque c'est la fin du monde soleil ou pas les roseaux sont les mimes les

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maisons les mêmes la même histoire le même vieux qui revient se suicider devant un autre vieux se grattant avec de petits rires atrophiés. Le fkih était vraisemblablement maître des esprits sou­terrains il se sentit soulagé comme après un long voyage. La ville à perte de vue. Un homme fait danser un singe. Le singe imite les vieilles femmes les officiers français les prostituées les ca'ids et les fils de H'mad Ou Moussa

c'est Kaddour que je regrette laissé mort dans la rue Allah Allah...

Le dos tourné eu soleil. Il n'y a pas de soleil. De gauche à droite des soleils avec des têtes de hibou légèrement inclinées faisant tinter de minuscules morceaux de ferraille. L'Hajja reprend sa chanson désespérée. Donne ta main au bourreau, lia. La mienne est épileptique. Je sais. Tu n'as pas mon histoire. Je sais. Pas de mal de tête. Je sais. Tu sais. Je sais. Les statistiques démontrent que lu peux rester au soleil et te multiplier me dénombrer me multiplier mourir facile je sais. Tu sais. Et les arbres. Pas ttarbres. Et Baghdad. Baghdad. Ah Baghdad. Et Damas. Oui le puits la main le puits.

la main le puits voilà oui renégat sérieux le puits profond noir blasphème j 'y suis ho ho oui hou hou hou non Sardanapale non mon vieux frère

Et à Marrakech les gens se lavent les testicules en plein public. Ah le geste sacré de l'eau de l'eau nous sommes les précurseurs de l'hygiène je sais. Marrakech la rouge. Tunis la verte. El moi donc. Qui donc. Et la danse du ventre.

I love you yé yé

La danse du ventre messieurs nous avons gagné la guerre oui nous sommes maintenant pacifiques nous aimons l'ordre les mau­solées nous avons faim mais nous nous remettons au Bon Dieu qui ne nous oublie pas qui nous donnera la Palestine. Nous frapperons. J'ai dit de toutes nos lâchetés et nos nuits andalouses. Quant à moi je vous demande de ne plus rentrer par cette porte ni de sortir par celle-là restez où vous êtes vous aurez votre fric vos babouches neuves les jours de fête ils seront à vous ceux que nous appellerons désormais les chiens. Frappez et nous frap­perons. Ceux qu'on allume dans les cierges si petits si fins si doux à la caresse ay je n'ai pas faim je suis sûr de ma longévité je parle comme les autres mais les autres ne sont pas comme moi il leur faut s'oublier s'oublier à tout prix.

Il reprend l'agenda sans oublier les lunettes de mer et se met à regarder la fenêtre d'en face. Un homme sort la tête et se met à cracher sur lui. Lorsqu'il eut fini de cracher il rentra chez lui. Autrefois on écrivait des phrases obscènes sur les murs de la nazaréenne c'est surtout à cause de ce rive que ces murs ont changé de place de couleur surtout la main du fkih qui était méconnaissable il vocalisait des parchemins oh je n'ai jamais pu lire et puis il me disait ne te mets jamais au coin mais là devant

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moi alors les petits murs de l'école coranique avait des dessins étranges moi je croyais qu'on pouvait vivre de signes uniquement de signes. Cest que j'ai couru mais je n'ai pas pu rattraper le chien et la prostituée m'a dit qu'elle m'aimait que sa matrice lui faisait mal je cours encore droit vers un homme qui a soif quelqu'un frappe du pied contre le sol un, deux-trois, un, deux-trois-quatre, un, deux-trois, traduisant à la foule les tatouages et la foule le regarde en dégustant des nèfles. Alors une veine s'ouvre. D'au­tres deviennent ocres et grandissent au fur et à mesure de la précipitation du sang qui transporte une caravane et la dépose dans un pays rocailleux. Le sang veut donner une forme humaine à la globule qui s'arrête pour regarder dans la vitrine d'une mem­brane transparente. La forme humaine se précise mais est très vite dissipée car la lymphe est chassée par le vent, le vent les mares un W.C. rempli de sable et de plumages. Il lendit une épée à la princesse boiteuse qui rêve d'un prince boiteux en lisant des versets du Coran lui le prince boiteux a un turban vert et elle la princesse une kouba de jade. O mon royaume septième aigle sixième flèche et la terre au genou. La terre m'avale dit le prince. La terre m'éjecte dit la princesse. Je reviendrai mais pas aujourd'hui je reviendrai lorsque le dôme sera pourpre lorsque le dôme sera violet. Deux siècles plus tard le prince rend Tèpèe à la globule qui a deux yeux au cou car elle voit la galaxie et le va-el-vient des brisants. Tandis que la rue reprend son aspect d'il y a mille ans le sang descend des marches cailleuses un peu usées mais sentant toujours la fraîcheur des noyades. La caravane traversa le désert. On consulta un devin chétif le corps boursouflé de piqûres d'abeilles. Le devin dit corps trois fois corps et sortit d'une valise un continent neuf avec des arbres du soleil du cactus et des régions arides. Pendant qu'il étendait cette nappe multiforme par terre la veinule se referma et celui qui dansait jeta un cri et tendit à la foule un oiseau étranglé. La foule se dispersa avec un grognement sourd et se mit à prier le soleil pendant que Moh Moha Moha Moha saignait du nez pendant que des men­diants continuent à réclamer du pain pendant que le soc fait crier la terre pendant que la vallée du Dadès disparaît pendant qu'Atlantis bégaie joue aux cartes et bégaie pendant que la tor­nade rase la terre rélève haut très haut mais oublie une mouche du cSté du Pôle Nord.

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• • • p o s i t i o n

justice pour driss chraïbi <1> par abelkébir khatibi

Un jeune Marocain en révolte publia un jour le Passé Simple. Le livre fit scandale en son temps : c'était en 1954, c'est-à-dire en pleine crise franco-marocaine.

Le livre étonna par sa violente révolte contre la famille et les valeurs traditionnelles, par cette haine liant le fils à son pire appelé symboliquement « le Seigneur ». Celui-ci représente Tordre, la loi et la permanence des valeurs alors que le fils revendique son occidentalisation conçue comme moyen de libération. On se rappelle aussi la fin du roman : le Seigneur, fatigué, ayant fait faillite, affecté par cette révolte haineuse, laisse partir son fils pour la France.

Comme de nombreux intellectuels africains, Driss Chraïbi s'est installé à Paris depuis de nombreuses années, continue à y vivre de sa plume tout en travaillant à fO.R.T.F. De temps en temps, il se trouve au Maroc quelqu'un pour lui reprocher cet exil volon­taire. Un journaliste Tattaqua en 1957 dans les colonnes du journal « Démocratie », lui reprochant son anarchisme et son inconsé­quence. Derniirement encore, on a insulté d'une façon expéditive ce romancier de talent qui demeure jusqu'à nouvel ordre notre meilleur écrivain, qu'on le veuille ou non.

Bien sûr, politiquement, la position de Chra'ibi est irréaliste. Malgré tout, c'est à tintérieur du pays qu'il convient de travailler et de lutter. La France n'a pas besoin d'intellectuels marocains, faut-il le rappeler I Cette raison est cependant insuffisante pour maltraiter Chra'ibi. Ce n'est pas parce qu'on reste dans son pays que l'on évite de trahir ou d'être utilisé. Et puis, un exil n'est jamais chose facile, parce que provoquant déracinement et mau­vaise conscience. Eloigné de son pays, plus ou moins étranger dans la nouvelle société, l'exilé vit dans une situation inconfortable et aberrante.

Que représente Chraïbi pour nous maintenant ?

A sa façon, Chraïbi a dérangé les bonnes consciences attachées à la tradition et à la défense des structures sociales conservatrices. C'était son mérite. Mais depuis son exil, Chraïbi ne sait plus bien ce qui se passe chez nous, il a perdu la réalité qui l'inspirait. D'où les incertitudes de son dernier roman, Succession Ouverte.

Séparé de sa société, Chra'ibi a choisi la solitude de fécrivain qui croit transcender les contingences. Que lui reste-t-il sinon nous décrire son déchirement et son exil, à moins de passer c d'autres thèmes n'ayant aucun rapport avec le Maroc. Le combat appartient à d'autres intellectuels. Tragiquement, même quand ils ont raison, /r» absents sont obligés de vivre le destin de l'oubli et du désaveu.

(1) «SOUFFLES» compte bientôt consacrer un dossier au « problème Chraïbi ».

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Aubervilliers le 12 juin 66

Cher Monsieur Laâhi,

Formidable ! votre lettre du 4 juin est formidable. Votre revue aussi, notamment l'éditorial.

Bien sûr, vous pouvez compter sur moi. Faites un question­naire et envoyez-le moi : je répondrai avec franchise.

Vous savez, je me suis fait avoir par une revue qui s'était présentée à moi comme une revue de combat, de gauche. Ça m'apprendra.

Rentrant d'Algérie, je trouve sur mon bureau le numéro du 2e trimestre de « Souffles » que vous avez eu la gentillesse de me faire parvenir, comme le premier numéro. Je vous en remercie vivement.

J'ai fort apprécié le Prologue du premier numéro : quelle vigueur .' Ce qui y est dit ne manque certainement pas de souffle ; c'est bien le cas de le dire. D'ailleurs tout m'a intéressé dans le numéro, comme dans le second que je feuillette et que je vais lire.

Inutile de vous dire que nous sommes heureux que cette revue paraisse et que les Marocains passent à l'action ; tous les amis souhaitent que la parole ne soit pas étouffée.

Il est bon que les jeunes parlent à leur tour, à leur manière, pour crier ce qu'ils ont sur le cœur.

Bonne chance et persévérance, malgré les difficultés sans doute...

Avec toute ma sympathie.

driss chraïbi

Paris, le 2 août 1966

jean déjeux

extraits

de

correspondance

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Rabat le 17/7 /66

J'ai lu avec grand intérêt « Souilles ». Sans connaître la < discrimination » qu'elle prendrait, je l'attendais car il était impérieux d'af/ecler à la jeunesse marocaine une tribune vivante où elle pourrait s'essayer à s'exprimer. Mais j'ai fini par croire que les marocains qui peuvent faire quelque chose n'ont pas pris conscience de cet impératif. C'est vous dire la satisfaction que j'ai ressentie en apprenant la naissance de c Souffles » qui doit être appelée à faire face aux exigences d'une grande audience.

Votre Prologue et votre article « Lisez le Petit Marocain t expriment la nécessité qu'il y a d'aller de l'avant, d'être vigilant et imperturbable si fon veut tant soit peu rattraper le retard qui accable nos consciences.

€ Souffles » peut compter sur ma modeste collaboration tant qu'elle œuvrera dans cette voie qui d'ores et déjà se présente sous le signe du programme, du travail organisé et prioritaire. Le deuxième numéro ne le cède en rien au premier en sincérité ou en volonté qui s'y trouve reformulée avec la même inflexibilité. Ceux qui l'ont lu savent déjà pourquoi il y a un problème du cinéma au Maroc.

D'autre part, « Souffles » a pris une décision méritoire sur le rôle de la langue française que les circonstances, etc.. Elle n'est pas la culture en définitive mais un moyen d'expression qui est adopté pour être à même d'incarner les diverses aspirations d'un peuple. On pense des choses et des êtres dans son être ; les textes publiés le prouvent déjà. Il faudrait donc cesser un peu de cracher sur cette langue.

Par ailleurs, pour en venir au texte que je vous envoie ci-joint, je tiens à préciser qu'il n'a pas été écrit uniquement pour répondre à l'appel mais doit montrer à ceux des lecteurs de € Souffles » qui ont lu < Suicide d'un oiseau rare » (I) que je cherche toujours...

abdelaziz mansouri

Paris le 21 Septembre 66

Chers amis de « Souffles »

Je vous remercie de m'avoir envoyé les deux premiers numéros d'une revue qui s'annonce courageuse el féconde. Votre volonté de réenvisager les problèmes de la culture maghrébine en fonction de la réalité actuellement vécue, votre désir de recherche et d'ac­tion lucide me paraissent très réconfortants. J'approuve les posi­tions de votre manifeste et j'ai lu avec beaucoup d'intérêt les textes que vous publiez. Je serais heureuse de suivre votre revue et ses réalisations.

Très bon courage donc pour rent reprise.

Jacqueline arnaud

(1) nouvelle de Abdelaziz Mansouri, publiée dans la revue < Dialogues » paraissant en France (numéro 31 . Mai-Juin 1966).

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couverture

mohammed melehi

peintures : mohammed ataâllah

imprimerie e.m.i.-tanger Prix 2,50 DH

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