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Sources anatomiques de la douleur cervicale François Rannou *, Michel Revel, Serge Poiraudeau Service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, hôpital Cochin, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, université René-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris, France Reçu et accepté le 24 mai 2004 Disponible sur internet le 28 juillet 2004 Mots clés : Cervicalgie ; Disque intervertébral ; Muscle ; Articulation interapophysaire postérieure ; IRM Keywords: Neck pain; Intervertebral disc; Muscle; Zygapophyseal joint; MRI 1. Introduction La cervicalgie est un symptôme fréquent en pratique quo- tidienne mais il n’existe pas de tableau clinique précis répon- dant à une lésion anatomique identifiable [1]. Cette situation est comparable à celle observée pour la lombalgie il y a une trentaine d’années. En dépit de ce constat, l’apport de l’ima- gerie mais également les constatations cliniques, histologi- ques et l’expérience des équipes spécialisées pourraient per- mettre d’identifier des patients susceptibles de répondre favorablement à une prise en charge thérapeutique spécifi- que. Dans cette revue seront décrites les différentes structu- res anatomiques qui pourraient expliquer une partie des ta- bleaux cliniques très polymorphes du patient cervicalgique. Les cervicalgies d’origine traumatique (entorse, fracture, luxation), inflammatoire ou tumorale ne seront pas dévelop- pées. En d’autres termes, seule la cervicalgie commune sera abordée. Plusieurs structures anatomiques pourraient expli- quer l’origine de douleurs cervicales : le disque intervertébral ; les articulations interapophysaires postérieures ; les articulations uncovertébrales ; les muscles et les structures ligamentaires. 2. Le disque intervertébral Plusieurs études se sont intéressées au rôle des fissures de l’anulus fibrosus chez des patients cervicalgiques et asymp- tomatiques. Schellhas et al., ont effectuées des discographies et des examens en résonance magnétique (IRM) dans une population asymptomatique et symptomatique [2]. La disco- graphie semble beaucoup plus sensible que l’IRM pour dé- tecter les fissures. Il semble que l’utilisation d’une technique non invasive comme l’IRM ne permette pas comme cela a été montré pour le disque intervertébral lombaire de détecter avec précision les fissures de l’anulus [3]. Tous les disques normaux à la discographie, c’est-à-dire sans fissure détectée, étaient asymptomatiques. Pour les disques symptomatiques, la discographie mettait en évidence d’importantes fissures intéressant à la fois la partie interne et la partie externe de l’anulus dans sa partie postérolatérale et uncovertébrale comme cela avait déjà été décrit [4]. La discographie semble relativement spécifique mais très peu sensible pour isoler les patients symptomatiques. Malgré l’intérêt suscité par la dis- cographie, il ne paraît pas envisageable d’utiliser cette tech- nique en pratique quotidienne pour isoler les disques symp- tomatiques. Pour l’instant, en l’absence de techniques non invasives, sensibles et spécifiques, pour mettre en évidence des fissures de l’anulus, ces études sont donc uniquement cognitives et ne peuvent déboucher sur des prises en charge spécifiques. Une voie de recherche intéressante en IRM pour- rait être d’apprécier les signaux des plateaux vertébraux pour isoler les patients ayant des anomalies Modic I ou Modic II comme cela a été décrit au rachis lombaire [5]. 3. Les articulations interapophysaires postérieures Les articulations interapophysaires postérieures ont été largement étudiées grâce aux travaux de Bogduk et de son équipe. Dans une première étude non contrôlée en 1992, * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Rannou). Revue du Rhumatisme 71 (2004) 650–652 www.elsevier.com/locate/revrhu © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2004.05.010

Sources anatomiques de la douleur cervicale

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Sources anatomiques de la douleur cervicale

François Rannou *, Michel Revel, Serge Poiraudeau

Service de rééducation et de réadaptation de l’appareil locomoteur et des pathologies du rachis, hôpital Cochin, Assistance publique–Hôpitaux de Paris,université René-Descartes, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75679 Paris, France

Reçu et accepté le 24 mai 2004

Disponible sur internet le 28 juillet 2004

Mots clés : Cervicalgie ; Disque intervertébral ; Muscle ; Articulation interapophysaire postérieure ; IRM

Keywords: Neck pain; Intervertebral disc; Muscle; Zygapophyseal joint; MRI

1. Introduction

La cervicalgie est un symptôme fréquent en pratique quo-tidienne mais il n’existe pas de tableau clinique précis répon-dant à une lésion anatomique identifiable [1]. Cette situationest comparable à celle observée pour la lombalgie il y a unetrentaine d’années. En dépit de ce constat, l’apport de l’ima-gerie mais également les constatations cliniques, histologi-ques et l’expérience des équipes spécialisées pourraient per-mettre d’identifier des patients susceptibles de répondrefavorablement à une prise en charge thérapeutique spécifi-que. Dans cette revue seront décrites les différentes structu-res anatomiques qui pourraient expliquer une partie des ta-bleaux cliniques très polymorphes du patient cervicalgique.Les cervicalgies d’origine traumatique (entorse, fracture,luxation), inflammatoire ou tumorale ne seront pas dévelop-pées. En d’autres termes, seule la cervicalgie commune seraabordée. Plusieurs structures anatomiques pourraient expli-quer l’origine de douleurs cervicales :

• le disque intervertébral ;• les articulations interapophysaires postérieures ;• les articulations uncovertébrales ;• les muscles et les structures ligamentaires.

2. Le disque intervertébral

Plusieurs études se sont intéressées au rôle des fissures del’anulus fibrosus chez des patients cervicalgiques et asymp-

tomatiques. Schellhas et al., ont effectuées des discographieset des examens en résonance magnétique (IRM) dans unepopulation asymptomatique et symptomatique [2]. La disco-graphie semble beaucoup plus sensible que l’IRM pour dé-tecter les fissures. Il semble que l’utilisation d’une techniquenon invasive comme l’IRM ne permette pas comme cela a étémontré pour le disque intervertébral lombaire de détecteravec précision les fissures de l’anulus [3]. Tous les disquesnormaux à la discographie, c’est-à-dire sans fissure détectée,étaient asymptomatiques. Pour les disques symptomatiques,la discographie mettait en évidence d’importantes fissuresintéressant à la fois la partie interne et la partie externe del’anulus dans sa partie postérolatérale et uncovertébralecomme cela avait déjà été décrit [4]. La discographie semblerelativement spécifique mais très peu sensible pour isoler lespatients symptomatiques. Malgré l’intérêt suscité par la dis-cographie, il ne paraît pas envisageable d’utiliser cette tech-nique en pratique quotidienne pour isoler les disques symp-tomatiques. Pour l’instant, en l’absence de techniques noninvasives, sensibles et spécifiques, pour mettre en évidencedes fissures de l’anulus, ces études sont donc uniquementcognitives et ne peuvent déboucher sur des prises en chargespécifiques. Une voie de recherche intéressante en IRM pour-rait être d’apprécier les signaux des plateaux vertébraux pourisoler les patients ayant des anomalies Modic I ou Modic IIcomme cela a été décrit au rachis lombaire [5].

3. Les articulations interapophysaires postérieures

Les articulations interapophysaires postérieures ont étélargement étudiées grâce aux travaux de Bogduk et de sonéquipe. Dans une première étude non contrôlée en 1992,

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Rannou).

Revue du Rhumatisme 71 (2004) 650–652

www.elsevier.com/locate/revrhu

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.rhum.2004.05.010

Aprill et Bogduk effectuèrent des blocs anesthésiques desarticulations interapophysaires postérieures chez 42 patientscervicalgiques chroniques [6]. Une réponse positive sur lesdouleurs fut observée chez 26 patients suggérant la partici-pation des articulations interapophysaires postérieures. Dansles études suivantes, les auteurs ont utilisé la réponse àl’anesthésie des rameaux nerveux postérieurs pour identifierles articulations interapophysaires postérieures susceptiblesd’expliquer les douleurs des patients. Cette technique consi-dérée comme « gold standard » pour l’identification desarticulations interapophysaires postérieures a été validée parBarnsley et al. [7] puis Lord et al. [8]. Ces travaux explora-toires ont permis ensuite de mettre en œuvre des études nonplus diagnostiques mais thérapeutiques. Dans leur premièreétude, les articulations interapophysaires postérieures identi-fiées comme source de la douleur ont été infiltrées avec de labêtaméthasone (5,7 mg) ou de la bupivacaïne (0,5 %) [9]. Àune semaine et un mois de l’injection, il n’y avait pas dedifférence sur la douleur entre les groupes bêtaméthasone etbupivacaïne. Malheureusement, en l’absence de groupe té-moin ne recevant ni bêtaméthasone ni bupivacaïne, on n’a puidentifier ou non un effet injection. Le retour à un niveau dedouleurs correspondant à 50 % de la douleur initiale étaitobservé en moyenne après trois jours dans le groupe bêtamé-thasone et 3,5 jours dans le groupe bupivacaïne. Dans unsecond travail, la même équipe a utilisé la neurotomie percu-tanée à haute fréquence des rameaux innervant les articula-tions interapophysaires postérieures identifiées commesource de la douleur [10]. Le retour à un niveau de douleurscorrespondant à plus de 50 % de la douleur initiale étaitobservé en moyenne après 263 jours dans le groupe neuroto-mie et huit jours dans le groupe témoin. Ces résultats specta-culaires sont néanmoins à tempérer pour deux raisons prin-cipales : les effectifs étaient faibles, 12 patients par groupe ;dans le groupe témoin dix sujets sur 12 étaient en conflitmédicosocial alors qu’ils n’étaient que quatre dans le groupeneurotomie. Un dernier travail a confirmé l’effet positif de laneurotomie sur les douleurs ainsi que l’absence de différenceentre un groupe en conflit médicosocial et un groupe sansconflit médicosocial. Cette étude n’avait malheureusementpas de groupe témoin pour le traitement [11]. Il est doncencore actuellement impossible de conclure sur le rôle précisdes articulations interapophysaires postérieures dans la cer-vicalgie. Au surplus, il est important de noter que toutes lesétudes thérapeutiques citées portaient sur des patients cervi-calgiques chroniques avec traumatisme initial de type coupdu lapin ou whiplash.

4. Les articulations uncovertébrales

Les articulations uncovertébrales ne sont présentes qu’àl’étage cervical et sont sollicitées principalement dans lesmouvements de flexion–extension et d’inclinaison latérale[12]. Elles sont contenues dans une capsule articulaireconfondue en dedans avec la périphérie du disque interverté-

bral. Néanmoins, il n’existe pas de communication entre lesdeux structures durant la première décade de vie. En revan-che, à l’âge adulte, il existe des communications entre ledisque et les articulations uncovertébrales probablement à lafaveur de fissures de l’anulus dans sa périphérie. Ces com-munications sont facilement détectables à la discographie.Ces articulations peuvent être le siège d’une arthrose visiblesur les clichés de face du rachis cervical. À notre connais-sance aucune étude ne s’est spécifiquement intéressée àl’étude de ces articulations dans la cervicalgie commune.

5. Les muscles et les ligaments

Le rôle des muscles et des ligaments dans la cervicalgie aété mis en évidence par Mayoux-Benhamou et al. [13]. Latonicité des muscles cervicaux et la résistance élastique desligaments postérieurs s’opposent à l’effet du poids de la têtequi tente de la faire basculer en avant. Ceci explique undéveloppement musculaire plus important, portant sur lesextenseurs par rapport aux fléchisseurs. Il est donc possibled’envisager à partir de ces constatations biomécaniques lerôle des structures musculaires et ligamentaires dans lescervicalgies posturales. Une charge excessive de travail im-posée aux muscles extenseurs en course externe entraîne unallongement de ces muscles et donc une diminution de leurforce et de leur endurance [13]. Un renforcement isométriquedes muscles extenseurs du patient est alors indiqué permet-tant une amélioration clinique. Il semble donc que certainescervicalgies soient d’origine musculaire. Néanmoins, on nepeut éliminer une cause initiale extramusculaire responsablesecondairement de la diminution de la force et de l’endu-rance des muscles extenseurs du cou.

6. Conclusion

L’apport de l’imagerie permet d’individualiser des lésionsanatomiques de plus en plus précises. Le principe du testanesthésique est un concept séduisant et valide pour lesarticulations interapophysaires postérieures. Il n’existe pasactuellement de tableau clinique spécifique et validé nid’examen complémentaire non invasif susceptible d’identi-fier les disques symptomatiques. Pour les articulations inter-apophysaires postérieures, une seule étude a montré un béné-fice pour les patients en terme de douleur mais l’existence defacteurs confondants diminue la portée des résultats [10]. Ilparaît donc nécessaire dans un premier temps de développerdes travaux de recherche clinique qui permettront d’isoler etde valider des tableaux cliniques spécifiques. Ceci permettrad’étudier plus précisément l’origine anatomique des dou-leurs et de réaliser des essais thérapeutiques de meilleurequalité sur des populations homogènes.

651F. Rannou et al. / Revue du Rhumatisme 72 (2004) 650–652

Références

[1] Bovim G, Shrader H, Sand T. Neck pain in the general population.Spine 1994;19:1307–9.

[2] Schellhas KP, Smith MD, Gundry CR, Pollei SR. Cervical discogenicpain: prospective correlation of magnetic resonance imaging anddiscography in asymptomatic subjects and pain sufferers. Spine 1996;21:300–11.

[3] Aprill C, Bogduk N. High-intensity zone: a diagnostic of painfullumbar disc on magnetic resonance imaging. Br J Radiol 1992;65:361–9.

[4] Parfenchuck TA, Janssen ME. A correlation of cervical magneticresonance imaging and discography/computed tomographic disco-grams. Spine 1994;19:2819–25.

[5] Modic MT, Steinberg PM, Ross JS, Masaryk TJ, Carter JR. Degen-erative disk disease: assessment of changes in vertebral body marrowwith MR imaging. Radiology 1988;166:193–9.

[6] Barnsley L, Lord S, Wallis B, Bogduk N. False-positive rates ofcervical zygapophysial joint blocks. Clin J Pain 1993;9:124–30.

[7] Barnsley L, Lord S, Bogduk N. Comparative local anesthetic blocks inthe diagnosis of cervical zygapophysial joint pain. Pain 1993;55:99–106.

[8] Lord S, Barnsley L, Bogduk N. The utility of comparative localanesthetic blocks versus placebo-controlled blocks for the diagnosisof cervical zygapophysial joint pain. Clin J Pain 1995;11:208–13.

[9] Barnsley L, Lord SM, Wallis BJ, Bogduk N. Lack of effect of intra-articular corticosteroids for chronic pain in the cervical zygapophy-seal joints. N Engl J Med 1994;330:1047–50.

[10] Lord SM, Barnsley L, Wallis BJ, McDonald GJ, Bogduk N. Percuta-neous radio-frequency neurotomy for chronic cervicalzygapophyseal-joint pain. N Engl J Med 1996;335:1721–6.

[11] Sapir DA, Gorup JM. Radio frequency medial branch block neuro-tomy in litigant and non-litigant patients with cervical whiplash.Spine 2001;26:268–73.

[12] Kapandji IA. Schémas commentés de mécanique humaine. Physiolo-gie articulaire Tome 3. Paris: Ed Maloine; 1982.

[13] Mayoux-Benhamou A, Wybier M, Barbet JP, Labbe S, Revel M.Relationship between force and cross-sectional area of post-cervicalmuscles in man, influence of variations in the morphology of the neck.In: Berthoz A, Vidal PP, Graf W, editors. The head-neck sensory motorsystem. New York: Oxford; 1992.

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