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18 formation dossier Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012 L a stratégie thérapeutique mise en place dans le cadre de la prise en charge d’un cancer de la prostate est adaptée à chaque situation, en fonction du patient (comorbidités, espérance de vie, retentissement symptomatique), de l’agressivité et du niveau de risque. Des recommandations récentes font le point sur cette question que l’étendue des alterna- tives rend complexe 1-3 . Cancer localisé à faible risque Afin d’éviter des traitements inutiles et source de complications iatrogènes, la stratégie mise en œuvre repose sur l’estimation de l’espérance de vie des patients, basée, en France, sur des données épi- démiologiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : un traitement curatif est proposé si l’espérance de vie excède dix ans. Les techniques mises en œuvre ont des résultats similaires et très positifs (moins de 10 % de rechutes), mais des effets secondaires différents. Prostatectomie radicale L’exérèse de la prostate et des vésicules sémina- les peut être réalisée par cœlioscopie et inclure un curage ganglionnaire, si besoin. Cette exérèse entraîne, de façon presque systématique, une incontinence urinaire postopératoire, régressant en quelques semaines à quelques mois chez 90 % des patients. L’impuissance, quasiment de règle, est moins réversible. Une radiothérapie et/ou une hormonothérapie adju- vantes peuvent être proposées 4 . Radiothérapie externe Réalisée en séances successives sur sept semai- nes, elle induit des effets secondaires différés, sur- venant deux à trois semaines après le début du traitement. Très variables en intensité, ces derniers se tradui- sent par : – une irritation cutanée ; – une fatigue parfois intense ; – une inflammation vésicale et urétrale (modérée et transitoire) ; – une rectite parfois tenace (accélération du transit, diarrhées, rectorragies). La survenue tardive d’une incontinence urinaire est désormais plus rare, mais des troubles de l’érection affectent 50 à 70 % des patients. Curiethérapie L’implantation de sources radioactives temporaires (irridium 192) ou permanentes (iode 125, technique la plus fréquente en France) à l’intérieur de la prostate (technique dite de “brachythérapie”) permet de contrô- ler des tumeurs très localisées, à faible risque, dans une prostate de masse < 50-60 g, au prix d’une irritation vésicale modérée mais souvent durable, avec cystite et hématurie, voire rétention urinaire (traitée par alpha- bloquants et anti-inflammatoires non stéroïdiens). Une rectite ou une proctite (inflammation de l’anus) sont également souvent observées, avec spasmes, douleurs hémorroïdaires, saignements, diarrhées, etc. Cette technique préserve la fonction sexuelle chez environ 70 % des patients. Elle peut être associée à une radiothérapie externe et précédée d’une hormonothérapie. Ultrasons focalisés à haute intensité Le tissu cancéreux est coagulé par la chaleur induite par les ultrasons focalisés à haute intensité (High intensity focused ultrasound, ou HIFU), délivrés par voie endorectale, sous anesthésie générale. Cette technique s’adresse à des patients dont l’espérance de vie est d’au moins sept ans, chez lesquels la tumeur, de faible volume, avec un taux d’antigène prostatique spécifique (PSA) < 15 ng/mL, évolue peu. Stratégie thérapeutique dans le cancer de la prostate Grâce aux techniques actuelles, il est désormais possible d’adapter la stratégie thérapeutique à chaque patient, en fonction de son cas personnel et de son espérance de vie. De nouveaux médicaments sont en cours d’évaluation ou de mise sur le marché, notamment le premier “vaccin” qui est d’ores et déjà disponible aux États-Unis.

Stratégie thérapeutique dans le cancer de la prostate

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

La stratégie thérapeutique mise en place dans le cadre de la prise en charge d’un cancer de la prostate est adaptée à chaque situation, en

fonction du patient (comorbidités, espérance de vie, retentissement symptomatique), de l’agressivité et du niveau de risque. Des recommandations récentes font le point sur cette question que l’étendue des alterna-tives rend complexe1-3.

Cancer localisé à faible risqueAfin d’éviter des traitements inutiles et source de complications iatrogènes, la stratégie mise en œuvre repose sur l’estimation de l’espérance de vie des patients, basée, en France, sur des données épi-démiologiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) : un traitement curatif est proposé si l’espérance de vie excède dix ans.Les techniques mises en œuvre ont des résultats similaires et très positifs (moins de 10 % de rechutes), mais des effets secondaires différents.

Prostatectomie radicale

L’exérèse de la prostate et des vésicules sémina-les peut être réalisée par cœlioscopie et inclure un curage ganglionnaire, si besoin. Cette exérèse entraîne, de façon presque systématique, une incontinence urinaire postopératoire, régressant en quelques semaines à quelques mois chez 90 % des patients. L’impuissance, quasiment de règle, est moins réversible.Une radiothérapie et/ou une hormonothérapie adju-vantes peuvent être proposées4.

Radiothérapie externe

Réalisée en séances successives sur sept semai-nes, elle induit des effets secondaires différés, sur-venant deux à trois semaines après le début du traitement.

Très variables en intensité, ces derniers se tradui-sent par :– une irritation cutanée ;– une fatigue parfois intense ;– une inflammation vésicale et urétrale (modérée et transitoire) ;– une rectite parfois tenace (accélération du transit, diarrhées, rectorragies).La survenue tardive d’une incontinence urinaire est désormais plus rare, mais des troubles de l’érection affectent 50 à 70 % des patients.

Curiethérapie

L’implantation de sources radioactives temporaires (irridium 192) ou permanentes (iode 125, technique la plus fréquente en France) à l’intérieur de la prostate (technique dite de “brachythérapie”) permet de contrô-ler des tumeurs très localisées, à faible risque, dans une prostate de masse < 50-60 g, au prix d’une irritation vésicale modérée mais souvent durable, avec cystite et hématurie, voire rétention urinaire (traitée par alpha-bloquants et anti-inflammatoires non stéroïdiens). Une rectite ou une proctite (inflammation de l’anus) sont également souvent observées, avec spasmes, douleurs hémorroïdaires, saignements, diarrhées, etc.Cette technique préserve la fonction sexuelle chez environ 70 % des patients. Elle peut être associée à une radiothérapie externe et précédée d’une hormonothérapie.

Ultrasons focalisés à haute intensité

Le tissu cancéreux est coagulé par la chaleur induite par les ultrasons focalisés à haute intensité (High intensity focused ultrasound, ou HIFU), délivrés par voie endorectale, sous anesthésie générale. Cette technique s’adresse à des patients dont l’espérance de vie est d’au moins sept ans, chez lesquels la tumeur, de faible volume, avec un taux d’anti gène prostatique spécifique (PSA) < 15 ng/mL, évolue peu.

Stratégie thérapeutique

dans le cancer de la prostate

Grâce aux techniques actuelles, il est désormais possible d’adapter la stratégie

thérapeutique à chaque patient, en fonction de son cas personnel et de son espérance

de vie. De nouveaux médicaments sont en cours d’évaluation ou de mise sur le marché,

notamment le premier “vaccin” qui est d’ores et déjà disponible aux États-Unis.

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

Le cancer de la prostate en 2012 : une indolence prolongée

Avec une tolérance globale satisfaisante, ce traite-ment peut induire des troubles de l’érection et un rétrécissement urétral et vésical. Le recul manque afin d’apprécier le bénéfice de cette technique à long terme.

Cryothérapie (cryochirurgie)

Le tissu cancéreux est détruit par congélation, au contact d’une cryosonde introduite sous contrôle échographique. Cette technique, encore en cours d’évaluation, est proposée à des patients chez les-quels la radiothérapie ou la curiethérapie n’ont pas donné de résultats satisfaisants, ou chez les patients de plus de 70 ans, atteints de tumeurs localisées.D’autres technologies font l’objet d’essais2 :– la radiothérapie à modulation d’intensité ;– la protonthérapie ;– la hadronthérapie (carbone-thérapie) ;– la photothérapie vasculaire dynamique (PDT).Si le recul manque pour en apprécier l’intérêt, les résultats publiés semblent intéressants. Dans tous les cas, l’efficacité de la technique mise en œuvre est validée par le suivi du taux du PSA.

Surveillance active

Lorsque l’espérance de vie du patient est inférieure à dix ans et que la tumeur est bien différenciée, on se contente de doser le PSA, de pratiquer un toucher rectal tous les six mois, et de réaliser une biopsie un an après le diagnostic, puis tous les deux à trois ans. Un traitement n’est mis en œuvre que si les examens révèlent une progression de la maladie.Dans tous les cas, une modification du régime ali-mentaire ralentit l’évolution de la maladie : il faut restreindre l’apport en graisses saturées (viande rouge, beurre) et augmenter la consommation de poissons gras et de légumes.

Cancer de pronostic intermédiaireLe traitement repose sur une radiothérapie externe ou une prostatectomie avec curage ganglionnaire systématique, ou sur une radiothérapie externe. Une curiethérapie, associée ou non à une hormonothéra-pie brève (six mois), peut constituer une alternative.

Cancer à haut risque, ou cancer localement avancéLe traitement de référence repose sur une radiothéra-pie externe associée à une hormonothérapie prolon-gée (trois ans). Dans certains cas, une prostatectomie totale étendue est proposée, associée ou non à une radiothérapie externe et à une hormonothérapie. Face à une tumeur avancée, la radiothérapie peut inclure tout le pelvis.

Cancer avec atteinte des ganglions pelviensLe traitement de référence est l’hormonothérapie de longue durée, mais la prostatectomie totale, la radio-thérapie externe ou l’abstention avec surveillance constituent des alternatives.

Cancer métastaséLe traitement n’est ni local, ni curateur. En revan-che, il permet d’augmenter la durée et la qualité de vie des patients. Il repose sur une hormonothérapie de longue durée ou, en cas de résistance, sur une chimiothérapie. Des soins de support sont proposés, tels que5 :– prise en charge des effets secondaires ;– traitement de la douleur ;– soutien psychologique ;– soutien social.

Phase d’hormono-sensibilité

Le cancer de la prostate étant initialement hormono-sensible, le traitement vise à empêcher le récepteur aux androgènes de remplir sa fonction5,6. Dès 1941, le physiologiste américain Charles B. Huggins (1901-1997, prix Nobel de médecine 1966) a montré qu’un traitement anti-androgène induisait une régression des tumeurs prostatiques primaires ou métastatiques tout en observant, rapidement, que la castration avait ses limites : le cancer finissait par reprendre sa pro-gression en devenant hormono-résistant. Quoi qu’il en soit, le traitement anti-hormonal améliore signifi-cativement la qualité de vie du patient4.

© B

SIP

/Chassenet

Traitement localisé du cancer de la prostate par ultrasons focalisés à haute intensité.

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Stratégie thérapeutique dans le cancer de la prostate

Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

La castration chirurgicale (pulpectomie ou orchidec-tomie), psycho logiquement mal vécue et irréversible, est désormais rarement employée. Il lui est préféré une privation androgénique pharmacologique, la cible des traitements, double, portant sur7 :– la composante extracellulaire, avec suppression de la sécrétion de testostérone par les testicules par blocage de l’axe hypothalamo-hypophysaire (production de luteinizing hormon-releasing hormon, ou LH-RH) ;– la composante intracellulaire avec inhibition de la transformation de la testostérone en dihydrotesto-stérone – DHT – (inhibition de la 5-alpharéductase) et blocage des récepteurs aux androgènes.L’administration d’un agoniste de l’hormone hypo-thalamique LH-RH (luteinizing hormon-releasing hormon ou GnRH, gonadotrophin-releasing hor-mon) bloque la production hypophysaire de gonado-trophines : LH (hormone lutéïnisante) et FSH (hor-mone folliculo-stimulante). Elle constitue une option désormais classique de réalisation d’une privation androgénique : ces médicaments sont faciles à employer (injection sous-cutanée), actifs sur un à six mois (libération prolongée) et la réversibilité de leur action permet un usage adjuvant ou intermit-tent (busé réline, Bigonist® et Suprefact® ; goséréline, Zoladex® ; leuproréline, Eligard® et Enantone® ; tripto-réline, Décapeptyl® et Gonapeptyl®). Ils sont moins cardiotoxiques que le diéthylstilbestrol (Distilbène®), également indiqué dans le cancer de la prostate. Les agonistes de la LH-RH induisent d’abord une élévation sérique de la LH (et dans une moindre mesure de la FSH) et, partant, un pic sérique de testostérone (effet flare-up), avant que cette dernière ne s’effondre : le retard à la castration chimique, d’environ deux à trois semaines, explique que la prescription d’un anti-androgène soit initialement associée, pendant un mois, à leur administration7.Option plus récente, l’administration d’un antago-niste de la LH-RH permet de supprimer cette diffi-culté : il inactive immédiatement le récepteur de la LH-RH. Le seuil de privation androgénique est atteint en trois jours, sans recourir à l’administration initiale d’un anti-androgène7. L’unique spécialité commercia-lisée est le dégarélix (Firmagon®, administré par voie sous-cutanée tous les mois), un analogue du ganirélix (Orgalutran®) et du cétrorélix (Cétrotide®), indiqués en gynécologie.À plus long terme, le traitement ciblant la LH-RH peut demeurer complété par l’association à un anti-andro-gène inhibant l’action du récepteur aux androgènes, qu’il s’agisse d’une molécule non stéroïdienne (bica-lutamide, Casodex® ; flutamide, Eulexine® ; niluta-mide, Anandron®) ou stéroïdienne (cyprotérone,

Androcur®)3. L’emploi de ces androgènes en mono-thérapie est délicat en clinique3.L’hormonothérapie induit des effets indésirables variables selon le patient. Parmi ses conséquences les plus fréquentes, il faut citer5,8 :– la survenue de bouffées de chaleur ;– une diminution de la libido avec troubles de l’érection ;– une prise de poids ;– des troubles métaboliques (dyslipidémie, diabète) ;– une gynécomastie ;– de l’ostéoporose ;– une réduction de la taille des organes génitaux ;– des troubles de l’humeur avec dépression et irritabilité ;– des troubles cardiovasculaires (infarctus, angor, etc.).L’intérêt d’une hormonothérapie de privation andro génique séquentielle fait l’objet d’études cliniques3,8.

Transition vers la résistance

Le taux de réponse à l’hormonothérapie est élevé (> 80 %). Malheureusement, cette réponse ne dure pas dans le temps : elle est d’environ une année et demie à deux ans9, voire trois ans, chez les patients porteurs de métastases, et bien plus longue en l’absence de métastases.Il existe plusieurs mécanismes distincts expliquant la résistance (indépendance androgénique), certains impliquant le récepteur aux androgènes, d’autres non. Il faut y ajouter les mécanismes à l’œuvre dans tous les processus d’extension néoplasiques6 :– prolifération cellulaire ;– néo-angiogenèse ;– métastases ;– échappement immunitaire.Une progression tumorale sous analogue de la LH-RH, se traduisant par une augmentation du PSA, invite à contrôler sans tarder la testostéronémie :– si elle est élevée (> 0,50 ng/mL), il faut soupçonner une insuffisante observance du traitement ;– si elle est effondrée, cela signifie que le cancer est devenu résistant.Un schéma séquentiel d’administration de l’hormono-thérapie permettrait, selon certains spécialistes, de retarder l’apparition d’une résistance à la privation androgénique : il améliore, de plus, la qualité de vie des patients, réduit la toxicité du traitement et le coût de la thérapie8.

Phase de résistance

Même retardée, la survenue de cette phase n’en est pas moins inéluctable. Elle constitue une rupture

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

Le cancer de la prostate en 2012 : une indolence prolongée

dans l’évolution de la maladie puisqu’à partir de ce moment, le risque de mourir du cancer l’emporte sur les autres causes de décès. Il n’existe, à ce stade, que peu d’alternatives thérapeutiques. Toutefois, un grand nombre de médicaments se trouvent en phase d’expérimentation10,11.

ChimiothérapieLa mitoxantrone (Novantrone®), associée à la predni-sone, a apporté la preuve de son efficacité dans les années 19909,11. L’estramustine (Estracyt®), une mou-tarde azotée, reste peu employée. Le standard actuel dans le traitement par chimiothérapie du cancer de la prostate métastasé est le docétaxel (Taxotère®, une injection intraveineuse/trois semaines), qui a prouvé sa capacité à augmenter la survie versus la mitoxantrone en 20049. Constituant le traitement par chimiothérapie de première ligne dans ce contexte, il peut parfois s’administrer en deuxième ligne lorsque la réponse initiale avec ce même produit a été satis-faisante : il est alors possible d’obtenir une réponse chez plus de la moitié des patients sur une durée médiane d’environ six mois. Les effets iatrogènes à types de nausées, d’alopécie et de neutropénie restent modérés – voire absents – et la toxicité retar-dée se traduit surtout par5,9,12 :– des paresthésies ;– un œdème des chevilles ;– des lésions unguéales.Ce traitement connaît cependant des limites liées au développement d’une résistance tumorale.Le cabazitaxel (Jevtana®) est un taxane spécifiquement conçu pour contrecarrer la résistance des cellules can-céreuses au docétaxel13. Commercialisé en France depuis début 2012, il est prescrit par les oncologues ou les hématologues. D’une puissance analogue à celle du docétaxel, ce taxane améliore significativement la survie globale versus la mitoxantrone (+ 2,4 mois). Il est indiqué en seconde ligne de chimiothérapie, associé à la prednisone ou à la prednisolone, chez des patients précédemment traités par docétaxel. Ce médicament nécessite une surveillance particulière pendant le trai-tement : plus de 57 % des patients subissent des évé-nements indésirables de grade ≥ 3 (troubles hémato-logiques, gastro-intestinaux à types de diarrhées et de vomissements, asthénie…).

Hormonothérapie de seconde ligneUne situation d’échec de l’hormonothérapie de pre-mière ligne ne doit pas faire renoncer à agir sur les androgènes ou la voie de signalisation androgénique. En effet, il est acquis que la voie de signalisation du récepteur aux androgènes reste fonctionnelle et sen-sible aux androgènes surrénaliens, aux androgènes

produits par les cellules de la tumeur prostatique elle-même (stéroïdogenèse intracellulaire à partir des lipides membranaires), à des ligands physiolo-giques divers ayant une activité androgénique faible mais suffisante, etc.8,14. Plus encore, le récepteur aux androgènes des cellules cancéreuses peut muter et se transloquer dans le noyau afin d’y activer des gènes, sans présence d’androgène7,8. Le passage d’une régulation androgénique endocrine à une régu-lation paracrine, cause de la résistance à la castra-tion chimique, justifie l’intérêt porté aux médicaments bloquant la voie de signalisation du récepteur des androgènes dans la cellule cancéreuse ou bloquant la voie de synthèse intracellulaire des androgènes : la diversité de ces nouvelles cibles thérapeutiques témoigne de celle des mécanismes de résistance à l’œuvre dans la cellule tumorale prostatique6-8,14,15.L’inhibition de la synthèse intracellulaire des andro-gènes, permettant d’obtenir une privation plus complète que celle obtenue par les analogues de la LH-RH/anti-androgènes, constitue une cible théra-peutique nouvelle, développée grâce à l’application d’observations anciennes faites sur un antifongique imidazolé, le kétoconazole, à la conception d’un médi-cament anticancéreux innovant : l’abiratérone7,14.Longtemps, cette approche s’est limitée à l’admi-nistration hors autorisation de mise sur le marché (AMM) de kétoconazole (+ hydrocortisone pour pallier l’inhibi tion de la synthèse des glucocorticoï-des physio logiques), un inhibiteur réversible et peu spécifique du CYP17. Sa toxicité et sa cinétique rendaient son usage systémique délicat, avec arrêt du traitement chez 20 % des patients, et la durée médiane de réponse n’était que de trois à sept mois. De plus, il n’a jamais été démontré qu’il améliorait la survie des patients11,14. Le kétoconazole destiné à l’usage systémique (Nizoral®) n’est plus disponible en France depuis 2011.L’abiratérone (Zytiga®) a renouvelé le regard porté sur cette approche thérapeutique14. Cet inhibiteur puis-sant (dix à trente fois supérieur au kétoconazole), irré-versible et sélectif de la synthèse des androgènes, bloque le cytochrome CYP17A1 qui assure conjointe-ment l’activité enzymatique 17-alpha-hydroxylase et 17,20-lyase au niveau des testicules, de la cortico-surrénale et des cellules tumorales prostatiques. Cette inhibition provoque l’arrêt de la synthèse intracellulaire des androgènes (testostérone, dihydrotestostérone). Ce traitement est assez respectueux de la synthèse des glucocorticoïdes et des minéralocorticoïdes car l’abiratérone inhibe moins les CYP11B1 et 11B2 que le kétoconazole (il faut tout de même compenser le déficit en cortisol par l’administration de prednisone ou de prednisolone) ; elle augmente la synthèse de

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Stratégie thérapeutique dans le cancer de la prostate

Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

l’aldostérone, d’où la survenue d’un hyperminéralo-corticisme corrigé par administration d’éplérénone11. L’abiratérone est estérifiée sous forme d’acétate afin d’améliorer sa biodisponibilité orale.Face à une situation d’échec après chimiothérapie par docétaxel, l’abiratérone (1 g/jour + 10 mg de prednisone) a augmenté la durée de survie versus placebo + prednisone. Elle est indiquée, associée à une faible dose de prednisone ou de predniso-lone, dans le traitement du cancer métastatique de la prostate hormono-résistant lorsque la maladie a progressé pendant ou après une chimiothérapie à base de docétaxel. La prescription initiale, hospi-talière et annuelle, est réservée aux spécialistes en oncologie ou aux médecins compétents en cancé-rologie ; le renouvellement du médicament n’est pas restreint.

Si l’intérêt de l’abiratérone dans la stratégie de traitement du cancer de la prostate est acquis, le positionnement de ce médicament devrait évoluer très prochainement au vu des travaux actuels et il sera probablement administré plus précocement dans l’évolution de la maladie (y compris au stade d’hormono-sensibilité) compte tenu d’un index thé-rapeutique très satisfaisant. La question des asso-ciations éventuelles (à d’autres traitements hormo-naux, à la chimiothérapie, etc.) fait notamment l’objet d’études. L’émergence possible de résistances à l’abiratérone explique également l’intérêt porté à la prochaine génération d’inhibiteurs du CYP17 faisant l’objet d’expérimentations cliniques et à celle d’anti-androgènes empêchant la translocation du récepteur aux androgènes dans le noyau de la cellule7,14…

Traitement des complications osseusesLe traitement des complications osseuses limite l’incidence des douleurs, des fractures et de la com-pression médullaire.La perfusion intraveineuse, toutes les quatre semai-nes, d’un biphosphonate (un inhibiteur de la résorp-tion ostéoclastique doté de propriétés antitumorales), l’acide zolédronique (Zométa® 4 mg), bénéficie d’une bonne tolérance : le traitement n’induit guère qu’un syndrome pseudo-grippal lors de la première injec-tion. Il requiert cependant une surveillance particulière de l’état dentaire en raison du risque, rare, d’ostéo-nécrose de la mâchoire5,16.Le dénosumab, un anticorps monoclonal inhibant la cytokine RANKL, stimule l’activité et la survie des ostéoclastes. Il est indiqué dans l’ostéoporose post-ménopausique (Prolia®), mais également dans la pré-vention des pertes osseuses au cours du cancer de la prostate, sans que son efficacité soit démontrée dans la prévention des fractures symptomatiques. Cet anticorps monoclonal bénéficie, à dose plus éle-vée, d’une AMM dans la prévention des complications des métastases osseuses (Xgeva®). Le recul manque pour apprécier la place qu’occupera cet anticorps en cancérologie dans l’avenir.

Immunothérapie, les vaccinsIl y a deux ans que la Food and drug administration (FDA) américaine a agréé la commercialisation de Sipuleucel-T®, le premier vaccin thérapeutique indiqué dans le traitement du cancer de la prostate résistant aux anti-androgènes, sans métastases viscérales12,18. Ce vaccin cellulaire est obtenu avec des cellules mononucléées autologues du patient, sensibilisées in vitro avec une protéine de fusion associant la phos-phatase acide prostatique (PAP) couplée au Granulo-cyte-macrophage colony stimulating factor (GM-CSF),

Traitement du cancer de la prostate,

quelles perspectives d’avenir ?

réductase couramment prescrits dans le traitement de

croissance des tumeurs peu agressives. La piste des

inhibiteurs de la 5-alpha-réductase pourrait donc se révéler

intéressante dans la prévention de ce cancer8,17. Pour autant,

ce traitement n’est pas dépourvu d’effets secondaires

des cancers de haut grade8,17. Une prescription de “masse”

d’essais dans le cancer de la prostate9-11,15,16 :

– bévacizumab (anticorps monoclonal anti-vascular

endothelial growth factor

– aflibercept (protéine de fusion recombinante inhibitrice du

dans le traitement du mélanome, constitue une piste dans le

traitement du cancer de la prostate10-12,16.

(satraplatine, etc.), thalidomide, lénalidomide, etc.4,16.

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Actualités pharmaceutiques n° 519 Octobre 2012

Le cancer de la prostate en 2012 : une indolence prolongée

permettant le recrutement de cellules myéloïdes et leur différenciation en cellules dendritiques. Deux bras ont été étudiés : l’un traité par le vaccin, l’autre traité par des cellules mononucléées sans antigène.La réduction du risque de mortalité s’est avérée significative : trois ans après le début du traitement, quelque 32 % des patients vaccinés vivaient encore contre 23 % pour le bras placebo (amélioration de la survie globale de 4,1 mois). Ce résultat peut sembler faible, mais il porte sur une population de patients

résistants à tout type de chimiothérapie. Le succès de cet essai est lié à la population recrutée : les patients étaient indemnes de métastases, que l’on sait asso-ciées à une résistance à l’immunothérapie. Toutefois, ce vaccin reste extraordinairement coûteux (environ 31 000 dollars/injection) et difficile à fabriquer.D’autres approches immunothérapeutiques sont développées16,18,19. Certains vaccins thérapeutiques utilisent la cellule cancéreuse entière comme source antigénique : la réponse obtenue est ainsi dirigée simultanément contre un bouquet d’antigènes. Cette immunothérapie dite GVAX a été associée au docétaxel, mais n’a pas encore donné de résultats probants actuellement. n

Lorène Girault

Praticien hospitalier, médecin,

Service de gériatrie,

Centre hospitalier Henri Laborit, Poitiers (86)

[email protected]

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir

de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Quelques documents destinés

aux patients

de longue durée n° 30 : la prise en charge du cancer de la

de longue durée n° 30 : la prise en charge du cancer de la

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clinical practice guidelines for diagnosis, treatment and follow-up.

Ann Oncol. 2010;21(suppl.5):v129-v133.

2. Heidenreich A, Bellmunt J, Bolla M et al. EAU Guidelines on

prostate cancer. Part 1: Screening, diagnosis and treatment of

clinically localised disease. Eur Urol. 2011;59:61-71.

3. Mottet N, Bellmunt J, Bolla M et al. EAU Guidelines on prostate

cancer. Part II: Treatment of advanced, relapsing, and castration-

resistant prostate cancer. Eur Urol. 2011;59:572-83.

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du Praticien. 2010;60:113-20.

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Références