9
Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone Kamilia Ksouda 1 , Vanessa Bloch 1 , Jean Dugarin 1 , Gaël Dupuy 1 , Xavier Laqueille 2 , Jean-Pierre Lépine 1 , Florence Vorspan 1 1. APHP, hôpital Fernand-Widal, CSAPA Espace Murger, service de psychiatrie, Paris, France 2. Centre hospitalier Sainte-Anne, service d’addictologie Moreau-de-Tours, Paris, France Correspondance : Florence Vorspan, APHP, hôpital Fernand-Widal, CSAPA Espace Murger, service de psychiatrie, 200, rue du Faubourg Saint-Denis, Paris, France. [email protected] Disponible sur internet le : 28 mai 2012 Reçu le 29 décembre 2011 Accepté le 2 avril 2012 en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com Presse Med. 2013; 42: e28e36 ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. e28 Revue systématique Summary When and how to detoxify clients from methadone maintenance treatment? Background > Methadone is prescribed in France as a main- tenance treatment for heroin dependence since 1969. Never- theless, the optimal duration of methadone maintenance treatment and how detoxification from methadone at the end of the treatment should be performed is still discussed. Objective > To conduct a literature review on when and how detoxify clients from methadone maintenance treatment and to collect the opinion of experts in the field. Documentary sources > We searched the PubMed, Embase, Cochrane Library and PsycINFO databases on the 19662011 period using the keywords ‘‘methadone’’, ‘‘maintenance’’, ‘‘detoxification’’, ‘‘tapering’’, ‘‘cessation’’, ‘‘withdrawal’’. We also searched data in other addictive journals in French that are not available in those databases. We also collected the opinion of the physician in charge of the oldest methadone program in France (1969). Studies selection > We excluded studies that used methadone as short time treatment of heroin withdrawal and thus selected 23 articles. Résumé Contexte > La méthadone est utilisée en France dans l’indica- tion de traitement de substitution de la dépendance aux opiacés depuis 1969. Néanmoins, la durée pendant laquelle ce traitement doit être maintenu et ses modalités d’arrêt sont imprécises. Objectif > Conduire une revue de la littérature sur le moment et les stratégies d’arrêt du traitement de substitution par métha- done et recueillir des opinions d’expert. Sources documentaires > Nous avons conduit une recherche PubMed, Embase, Cochrane Library et PsycINFO sur la période 19662011 en utilisant les mots clés methadone, mainte- nance, detoxification, tapering, cessation, withdrawal et dans des revues d’addictologie françaises non indexées. Nous avons également recueilli l’opinion du médecin responsable du centre de soins ayant la plus longue expérience de prescription de méthadone en France (depuis 1969). Sélection des études > Nous avons exclu les études qui envisa- geaient la méthadone comme traitement bref du sevrage en opiacés et retenu 23 articles. Résultats > Il existe un consensus sur le moment l’on peut arrêter le traitement par méthadone, déterminé par le volon- tariat du patient, l’appréciation par le clinicien que le patient tome 42 > n81 > janvier 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.04.011

Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone

Embed Size (px)

Citation preview

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

Presse Med. 2013; 42: e28–e36� 2012 Elsevier Masson SAS.

Tous droits réservés.

e28

Re

vue

syst

ém

ati

qu

e

Summary

When and how to detoxifymaintenance treatment?

Background > Methadone is pretenance treatment for heroin detheless, the optimal duration

treatment and how detoxificatend of the treatment should beObjective > To conduct a literatudetoxify clients from methadoneto collect the opinion of expertsDocumentary sources > We searCochrane Library and PsycINFO

period using the keywords ‘‘m‘‘detoxification’’, ‘‘tapering’’, ‘‘calso searched data in other addicnot available in those databasesof the physician in charge of the

France (1969).Studies selection > We excluded

as short time treatment of heroin23 articles.

Stratégies d’arrêt du traitementde substitution par méthadone

Kamilia Ksouda1, Vanessa Bloch1, Jean Dugarin1, Gaël Dupuy1, Xavier Laqueille2,Jean-Pierre Lépine1, Florence Vorspan1

1. AP–HP, hôpital Fernand-Widal, CSAPA Espace Murger, service de psychiatrie,Paris, France

2. Centre hospitalier Sainte-Anne, service d’addictologie Moreau-de-Tours,Paris, France

Correspondance :Florence Vorspan, AP–HP, hôpital Fernand-Widal, CSAPA Espace Murger,service de psychiatrie, 200, rue du Faubourg Saint-Denis, Paris, [email protected]

Disponible sur internet le :28 mai 2012

Reçu le 29 décembre 2011Accepté le 2 avril 2012

clients from methadone

scribed in France as a main-pendence since 1969. Never-of methadone maintenanceion from methadone at the

performed is still discussed.re review on when and how

maintenance treatment and in the field.ched the PubMed, Embase,databases on the 1966–2011ethadone’’, ‘‘maintenance’’,

essation’’, ‘‘withdrawal’’. Wetive journals in French that are. We also collected the opinionoldest methadone program in

studies that used methadone withdrawal and thus selected

Résumé

Contexte > La méthadone est utilisée en France dans l’indica-tion de traitement de substitution de la dépendance auxopiacés depuis 1969. Néanmoins, la durée pendant laquellece traitement doit être maintenu et ses modalités d’arrêt sontimprécises.Objectif > Conduire une revue de la littérature sur le moment etles stratégies d’arrêt du traitement de substitution par métha-done et recueillir des opinions d’expert.Sources documentaires > Nous avons conduit une recherchePubMed, Embase, Cochrane Library et PsycINFO sur la période1966–2011 en utilisant les mots clés methadone, mainte-nance, detoxification, tapering, cessation, withdrawal et dansdes revues d’addictologie françaises non indexées. Nous avonségalement recueilli l’opinion du médecin responsable du centrede soins ayant la plus longue expérience de prescription deméthadone en France (depuis 1969).Sélection des études > Nous avons exclu les études qui envisa-geaient la méthadone comme traitement bref du sevrage enopiacés et retenu 23 articles.Résultats > Il existe un consensus sur le moment où l’on peutarrêter le traitement par méthadone, déterminé par le volon-tariat du patient, l’appréciation par le clinicien que le patient

tome 42 > n81 > janvier 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.04.011

Re

vue

syst

ém

ati

qu

e

Results > There is a consensus on when methadone mainte-nance treatment should be stopped, defined by the client’s willto stop, the judgement from the physician that the client hasbeen stable for a period of time that is long enough, but also theclient’s motivation to live his life without maintenance treat-ment. There is also a majority, among articles on how metha-done treatment should be stopped, recommendingambulatory, practical approaches using slow tapering of thedose, with the ability to go back to the previous dose if needed,namely in case of relapse to heroin use, heavy withdrawal orpsychiatric symptoms.Limits > There are few articles addressing the subject, espe-cially comparing prospectively different cessation strategies.Conclusion > Methadone maintenance treatment should notnecessarily be maintained all life long and can be stoppedwithin its prescription setting, including medical, psychologicaland social evaluation.

est stable depuis une durée suffisante mais aussi la motivationdu patient et sa capacité à concevoir sa vie future sanssubstitution. De même, il existe une majorité d’articles prônantdes modalités d’arrêt fondées sur des approches pragma-tiques, utilisant des décroissances progressives, en ambula-toire, avec possibilité de retour en arrière en cas d’apparition deconsommations d’héroïne, de symptômes de sevrage, ou desymptômes psychiatriques.Limites du travail > Le nombre d’article est limité et nous avonstrouvé peu d’études prospectives comparant différentes straté-gies d’arrêt.Conclusion > La substitution n’est pas forcément un traitementà vie pour tous les patients et son arrêt peut être envisagé ausein du cadre de prescription c’est-à-dire accompagné d’unsuivi médical, psychologique et social.

Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone

Le développement de l’usage médical de morphine au XIXe

siècle s’est rapidement accompagné de cas de dépendance,définis par une tolérance et des symptômes de sevrage àl’arrêt. Ces cas, même s’ils étaient numériquement peu nom-breux, ont obligé les médecins à définir des prises en chargesde la dépendance aux opiacés principalement fondées sur lescures de sevrage. C’est avec le développement massif et rapided’une épidémie d’héroïnomanie dans les pays occidentauxdans les années 1960 que la question de la prise en chargemédicale de la dépendance aux opiacés est devenue uneurgence de santé publique. Cette épidémie a été massivedes années 1960 à 1990 en France, où les estimations deprévalence de la dépendance à l’héroïne variaient de 60 000 à300 000, avant de connaître une décrue [1]. Les études les plusrécentes estiment à 150 000 les sujets dépendants aux opiacésen France [2], ce qui comprend à la fois les sujets dépendants àl’héroïne, à la morphine, aux antalgiques opiacés et aux traite-ments de substitution détournés.Dans ce contexte et à partir de 1970, plusieurs thérapeutiquesont été proposées, se fondant sur des conceptions théoriquesdifférentes de la maladie « dépendance aux opiacés ». Plusieursauteurs ont théorisé que la dépendance à l’héroïne pourraitêtre une maladie liée à un déficit biochimique et qui ne seraittraité que par d’autres opiacés [3,4]. Cette conceptualisations’appuie sur l’observation empirique des échecs de la prise encharge fondée sur les sevrages, lesquels s’accompagnent trèsfréquemment de rechutes et maintiennent les patients dansdes situations où ils prennent des risques sanitaires liés à laprise de drogue le plus souvent par voie veineuse, mais aussi

tome 42 > n81 > janvier 2013

dans des conduites délictueuses pour se procurer les produits.Les stratégies de substitution se sont donc imposées parétapes. Elles ont commencé par la dispensation de morphineet d’autres opiacés sur des durées brèves avec des stratégies dedécroissance rapide puis remplacés par la méthadone à partirde 1963 avec des stratégies de décroissance de plus en pluslongues, jusqu’à ce que la substitution au long cours fassepreuve peu à peu d’une meilleure efficacité. Ainsi, la métha-done était initialement proposée comme traitement de sev-rage opiacé sur des durées inférieures à 3 semaines, là aussiavec de nombreuses rechutes au décours des cures. Sonutilisation par Dole et Nyswander aux États-Unis à viséesubstitutive au long cours [5,6] a servi d’exemple aux pre-miers programmes français de traitements par méthadone, àl’hôpital Fernand-Widal et à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, quiont publié leurs premiers résultats en 1974 et 1975 [7–9]. Ladurée de suivi étudiée dans ces premières publications nedépassait pas 6 mois. L’efficacité du traitement par métha-done était jugée sur l’arrêt des consommations d’héroïne etune certaine stabilisation sociale. Par la suite, il a étédémontré que ce traitement était également efficace entermes de morbi-mortalité, notamment en termes dedécès par overdose d’héroïne et de primo-infections par levirus de l’immunodéficience humaine (VIH) [6,10]. Ce sontenviron 35 000 patients qui sont actuellement traités parméthadone dans des centres de soins en France, sans comp-ter les patients bénéficiant d’une prise en charge en méde-cine de ville [2]. Dans la perspective d’un traitement desubstitution prolongé, la question de l’arrêt de la méthadonepeut se poser de trois façons. D’une part, elle peut être

e29

e30

K Ksouda, V Bloch, J Dugarin, G Dupuy, X Laqueille, J-P Lépine, F Vorspan

exclue. C’est le cas quand la perspective théorique desmédecins et des patients est que la maladie « dépendanceaux opiacés » est une maladie acquise à vie. L’analogie la pluscommunément utilisée est celle du diabète insulinodépen-dant dont le traitement ne peut être interrompu sous peinede décès. On peut également utiliser l’analogie avec l’hyper-tension artérielle dont le traitement n’est que suspensif etne doit pas être interrompu. Cette conception est partagéepar plusieurs auteurs francophones, responsables de pro-grammes méthadone en Suisse et en Belgique [11,12].La deuxième façon d’envisager l’arrêt du traitement de sub-stitution par méthadone est « l’arrêt imposé ». C’est notam-ment le cas dans des pays qui ne disposent pas de système desécurité sociale développé et où les programmes de soins sontfinancés sur des bases administratives. Le traitement de sub-stitution a alors une durée définie. Il s’achève par une sortie deprogramme à date fixe, définie dès l’entrée, pour permettre àun autre patient de bénéficier du programme, par exemple aubout de 6 mois.La troisième façon est plus empirique. Elle conçoit le traitementde substitution comme devant avoir une durée prolongée,souvent de l’ordre de plusieurs années, mais pas nécessaire-ment à vie et fixe cette durée de façon individuelle en fonctionde l’évaluation faite par le médecin et le patient. C’est notam-ment ce qui est préconisé par la Haute Autorité de santé (HAS)dans la conférence de consensus sur les stratégies thérapeu-tiques pour les personnes dépendantes des opiacés (2004)[13]. Celle-ci stipule qu’il n’y a pas de durée optimale detraitement de substitution et qu’aucun critère ne permet deprédire le succès ou l’échec d’un arrêt de traitement de sub-stitution. La conférence de consensus insiste sur la nécessitéque le patient soit volontaire pour arrêter son traitement, ce quiest le cas de la majorité des patients. Dans une étude aus-tralienne portant sur 856 patients sous traitement de substitu-tion par méthadone, 70 % se disaient très intéressés par unsevrage vis-à-vis de ce traitement [14]. Face à ces différentesconceptions théoriques de l’arrêt du traitement de substitutionpar méthadone chez des patients héroïnomanes, nous avonsvoulu documenter dans la littérature dans quelle mesure unconsensus sur les stratégies d’arrêt de la méthadone pouvait sedégager.

ObjectifNotre objectif était de réaliser une revue de la littératureportant sur les stratégies d’arrêt de la méthadone conçuecomme un traitement de substitution prolongé de la dépen-dance aux opiacés dont la fin n’était pas programmée à datefixe. De plus, nous voulions récapituler dans cette revue lesdifférentes modalités d’arrêt de traitement par méthadoneainsi que les circonstances et les facteurs prédictifs de réussitede ce sevrage. Enfin, nous avons voulu recueillir l’expérienceclinique d’un praticien français.

MéthodeLa revue de la littérature a été réalisée dans les bases dedonnées PubMed, Embase, Cochrane Library et PsycINFO de1966 à 2011 avec les mots clés suivants : methadone, main-

tenance, detoxification, tapering, cessation, withdrawal.Nous avons également procédé à une recherche dans lessommaires de deux revues francophones non indexées : LeCourrier des Addictions (Edimark Santé) et Le Flyer (RéseauSynergie Ville Hôpital).Nous avons trouvé 774 articles. En limitant ces mots clés au seultitre, nous a avons trouvé 111 articles que nous avons lus endétail. Nous avons ensuite exclu les articles qui traitaient de laméthadone utilisée comme traitement de sevrage à l’héroïnepour des durées brèves de quelques semaines. Il restait alors23 articles consacrés à la fin des traitements de substitution parméthadone.Pour le recueil de l’expérience clinique, nous avons choisid’interroger Jean Dugarin, médecin responsable de l’EspaceMurger, qui a monté puis dirigé le programme de dispensationde méthadone à l’hôpital Fernand-Widal de 1969 à 2011. À cetitre, il a une des plus longues expériences de prescription deméthadone en France.

RésultatsÀ l’issue de la recherche bibliographique et de l’élimination desarticles inappropriés, le nombre d’articles finalement retenusétait de 23.Les informations qu’ils fournissent sont des résultats d’étudescliniques ou à défaut l’opinion de leurs auteurs sur quatre sujets :� quand arrêter le traitement de substitution par méthadone ?� comment arrêter le traitement de substitution par

méthadone ?� comment définir le succès de l’arrêt de la méthadone ? À

l’inverse quand réintroduire le traitement par méthadoneaprès l’échec d’une tentative d’arrêt ?

� existe-t-il des facteurs prédictifs de la réussite ou de l’échecdes arrêts programmés de méthadone ?

Quand arrêter le traitement de substitution parméthadone ?

Moolchan and Hoffman [15], ont bien décrit leur expérienceconcernant les différentes phases du traitement par métha-done dans la perspective de traitement de substitution de ladépendance aux opiacés. Ils décrivent 4 phases successivesd’engagement dans les soins. Seuls les patients ayant atteint la4e phase dite de maintenance, soit au minimum après un an detraitement, peuvent envisager d’arrêter le traitement parméthadone. Ils passent alors par une phase de décroissancede la dose puis par une phase de renforcement et de préventiondes rechutes après l’arrêt complet du traitement. Ces dif-férentes phases ont été schématisées sur la (figure 1).

tome 42 > n81 > janvier 2013

Re

vue

syst

ém

ati

qu

e

20

40

60

100

80

Point de déci sion

Phase 1 stabilisa tion inten sive (1-3 mois)

Phase 2 eng agement (3-9 mois)

Phase 3 réhabilita tion (duré e

indéfin ie)

Pha se 4-A mainten ance et entretien (indéfinie)

Phase 4- B décroissan ce des doses de méthad one

Phase 4-C préventio n de rechutes (3 -12 mois)

Dose moyenne

Poursuite de s soins

0

Rechute

Figure 1

Les différentes phases de traitementpar méthadone

D’après Moolchan et Hoffman, 1994[15].

Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone

La question du moment où la décision d’entamer la phase dedécroissance des doses de méthadone doit être prise (pointd’inflexion de la courbe ou decision point sur la figure 1 devraitse fonder selon les auteurs sur des critères de stabilité médi-cale, psychologique, professionnelle et sociale). Ces critèressont réunis après un temps variable par les patients.Ces auteurs proposent 10 critères permettant d’identifier cetétat de stabilité :� arrêt de la consommation de toutes les drogues pendant au

moins une année ;� arrêt de toute consommation problématique d’alcool ;� avoir des conditions de vie stable ;� absence d’autres problèmes de santé sévères ;� avoir un emploi ou une formation ainsi que des ressources

financières adéquates et stables ;� avoir un soutien de la famille et des amis ;� absence de toute activité illégale, de comportements violents

ou de comportements sexuels dangereux ;� stabilité psychiatrique et capacité à faire face au stress

quotidien ;� absence d’utilisation de drogue comme un loisir ;� participation à des activités telles que des groupes de soutien

(de type narcotiques anonymes).Si les cliniciens estiment que c’est le cas, le choix est alorsproposé au patient de maintenir ou de diminuer progressive-ment sa dose de méthadone, c’est la tapering phase. Lesauteurs insistent pour dire que le choix du patient doit êtreéclairé par l’équipe soignante. Dans le cas contraire, l’arrêt de laméthadone peut être repoussé pendant plusieurs années et nedevrait en tout cas jamais être guidé par les impératifs finan-ciers des programmes méthadone. Lenné et al. ont quant à eux

tome 42 > n81 > janvier 2013

proposé 6 critères qui doivent être réunis avant de débuter unsevrage progressif de méthadone [14].Il s’agit de :� l’absence d’usage régulier d’héroïne ;� l’absence d’usage régulier ou d’abus d’autres substances

(alcool, benzodiazépines, psychostimulants. . .) ;� le fonctionnement psychosocial satisfaisant (défini comme

une score supérieur à 60 % sur l’échelle de fonctionnementglobal EGF qui inclut les domaines sanitaire, professionnel,familial. . .) ;

� l’absence de trouble somatique ou psychiatrique actuelqui contre-indiquerait ou compliquerait le sevrage deméthadone ;

� l’absence de grossesse ou d’allaitement actuel ;� la durée de substitution par méthadone de plus de 6 mois.Sur 547 patients suivis dans différents centres australiens quiétaient évalués, les auteurs trouvaient une proportion 31,3 %de patients répondant à cette définition opérationalisée.Parmi eux, la moitié (54 %) s’était dit intéressée par un sevragedu traitement de substitution et pensait pouvoir maintenir uneabstinence d’opiacés au-delà de trois mois après ce sevrage.La moitié des patients (51 %) estimait qu’il y avait de forteschances qu’ils puissent maintenir une abstinence d’opiacés au-delà de trois mois après un sevrage de méthadone. Enrevanche, les médecins estimaient que seuls 19,5 % despatients pourraient maintenir une telle abstinence ; les équipessoignantes estimaient ce pourcentage à 17 % (la différenceavec l’opinion des patients était statistiquement significative)[14].Le caractère long du traitement par méthadone et la néces-sité du volontariat des patients pour entamer la phase de

e31

e32

K Ksouda, V Bloch, J Dugarin, G Dupuy, X Laqueille, J-P Lépine, F Vorspan

décroissance sont également soulignés dans la revue de lalittérature de Kornor et Waal [16]. Même si ces auteursn’expliquent pas la variabilité du « quand arrêter laméthadone », ils donnent des critères de choix de « quandne pas arrêter la méthadone » en décrivant qu’il ne faut ni seprécipiter pour sevrer les patients de la méthadone ni lesforcer à entamer cette phase.

Comment arrêter le traitement de substitution parméthadone ?

Une fois que la décision est prise par le patient et son médecind’entamer la phase de décroissance de la dose, différentesmodalités et schémas peuvent être suivis. Elles se fondent surdes décroissances progressives, parfois suivies d’un relais parbuprénorphine à haut dosage.Moolchan et Hoffman [15] ont ainsi proposé une décroissanceprogressive par paliers avec possibilité de retour au palierantérieur en cas de réapparition de consommation d’héroïneillicite. L’importance de cette possibilité de retour en arrière àtout moment à la demande du patient est également soulignéedans la revue de Kornor et Waal [16].Payte et Khuri [17] ont proposé de façon plus précise unediminution qui ne dépasse pas 10 % de la dose d’entretien etun intervalle de 10 à 14 jours entre chaque palier.Une autre équipe [18] a montré qu’une dégression de 3 % de ladose initiale de la méthadone toutes les semaines est mieuxtolérée qu’une dégression de 10 % de la dose. Une autremodalité de sevrage proposée par Breen et al. [19] consistaità abaisser progressivement la dose de méthadone de 2,5 mgtoutes les semaines jusqu’à 30 mg puis de substituer à laméthadone de la buprénorphine par voie orale pour effectuerle dernier palier de 30 mg en ambulatoire. Les auteurs propo-saient de commencer par 4 mg de buprénorphine. Cette dosepeut être augmentée en fonction de l’état du patient. Aprèsavoir atteint une dose stable de buprénorphine, le patient doitrester à cette même dose pendant au moins 2 semaines. Par lasuite, cette dose peut être baissée de 2 mg toutes les semainesjusqu’au sevrage complet.D’autres auteurs ont proposé une modalité de changement dela méthadone pour de la buprénorphine en ambulatoire enpartant de doses plus élevées de méthadone (entre 60 et100 mg par jour) [20]. Après 12 heures d’abstinence, les pa-tients recevaient un patch de 35 mg de buprénorphine puis2 mg par voie sublinguale à 48 heures et 60 heures, puis 8 mgde buprénorphine par voie sublinguale à 72 et 84 heures. Lespatients finissaient à 24 mg par jour à partir du jour 5, dose quiest autorisée dans les recommandations suisses (au contrairedes recommandations françaises de l’AFSSAPS qui limitent lesdoses journalières maximales à 16 mg) [21]. Cette stratégieconsidère que le sevrage ultérieur de buprénorphine estplus facile que celui de méthadone du fait de son activitéagoniste partielle sur les récepteurs opioïdes m. De plus, la

buprénorphine a une haute affinité pour les récepteurs opioïdesm et une dissociation lente, ce qui permettrait d’atténuer lessymptômes de sevrage [22].Dans une autre étude [23], une fois la décision de diminuerle traitement par méthadone prise, la baisse de la dose étaitfaite en simple aveugle pour le patient. Ils finissaient leur phasede décroissance par un mois de placebo. Cette dernière moda-lité de décroissance n’est pas sans poser des problèmeséthiques.Après une décroissance du traitement par méthadone jusqu’à20 mg par jour, une étude comparait de façon prospectivel’utilisation pour le dernier palier de décroissance de deuxstratégies : soit des paliers de méthadone de 1 mg ou soit dela clonidine en ambulatoire pour des patients ayant déjà baisséleur traitement jusqu’à 20 mg par jour. Cette étude ne trouve pasde différence entre les deux groupes en termes de maintiend’abstinence à 6 mois, atteinte par environ 13 % des patients[24]. On peut noter qu’une autre étude propose de réaliser lesevrage en milieu hospitalier en utilisant également de laclonidine. Cette étude qui comparait sur 9 jours clonidine, lefe-tamine (un psychostimulant doté de propriétés analgésiques) etbuprénorphine pour le dernier palier de décroissance de métha-done trouvait une supériorité de la buprénorphine [25].

Définition du succès de l’arrêt de la méthadone

La définition du succès de la phase de décroissance des dosesde traitement par méthadone est plus ou moins stricte selon lesauteurs. Pour certains, dont, Eklund et al. [26], le succès sedéfinit par une stricte abstinence, c’est-à-dire un arrêt completde consommation de tout type de drogue et d’alcool. C’estégalement le cas de Déglon, responsable d’un programmesuisse de substitution, qui souligne que l’apparition d’unedépendance à l’alcool est un risque à l’arrêt de la substitutionpar méthadone [11]. Pour d’autres auteurs [27], le succès del’arrêt de la méthadone ne nécessite que l’abstinence dedrogues illicites. Pour plusieurs autres auteurs [17,18,23,26],le succès du sevrage se définit par le non retour au programmede traitement par méthadone et l’absence de dépendance àune autre drogue après la décroissance, ce qui autorise l’usagede drogue sans dépendance. La durée d’abstinence est variabledans les définitions du succès des arrêts de méthadone. Eneffet, Byrne [28] déterminait le succès de l’arrêt de la métha-done sur l’absence de consommation d’opiacés pendant les3 mois consécutifs au sevrage. D’autres auteurs, tels Eklundet al. [26] exigeaient pour parler de succès de l’arrêt de laméthadone une année entière d’abstinence.À l’inverse, la définition de l’échec est nettement plusconsensuelle. La plupart des auteurs considèrent l’absencede succès comme un échec [23,28,29]. Ceci correspond le plussouvent à la rechute dans des consommations d’héroïne et lanécessité de reprendre un traitement par méthadone. Cesmêmes auteurs soulignent la fréquence des échecs et les

tome 42 > n81 > janvier 2013

Re

vue

syst

ém

ati

qu

e

Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone

risques en cas de rechute de contamination par le VIH et le VHC.Néanmoins, la possibilité de re-consommation occasionnelled’héroïne sans avoir les critères de dépendance, de même quela rechute vers d’autres dépendances que ce soit d’alcool ou dedrogues illicites en l’absence de consommation d’héroïne sontpeu traitées dans la littérature, y compris sous forme de cascliniques. La question de la prise en charge des situationsd’échec avérées est abordée dans quelques articles. Calsynet al. [30] estiment que tout patient ayant un échec pendant laphase de décroissance tapering phase doit être remis à unedose de méthadone qui dépasse celle du dernier palier où il aéchoué. Des auteurs australiens ont préconisé que la ré-intro-duction de la méthadone pour les patients ayant rechuté aprèssevrage complet devait se faire pour une période minimale de28 mois [27]. Cette nécessité d’un deuxième traitement parméthadone plus long en cas d’échec préalable d’une premièretentative d’arrêt est également soulignée dans la revue de lalittérature de Kornor et Waal [16].

Facteurs prédictifs de la réussite du sevrage enméthadone

Quelques études ont cherché à déterminer les facteurs prédic-tifs de la réussite ou de l’échec de l’arrêt de la méthadone. Cettedifficulté de prédiction a été soulignée dans la conférence deconsensus de 2004 [13].Ainsi, Calsyn et al. [30] ont réalisé une étude rétrospective,entre 1997 et 2002, sur 30 patients ayant participé à unprogramme ambulatoire de décroissance de dose de métha-done après avoir rempli plusieurs critères de stabilité (absencede consommation récente de drogues, stabilité financière etsociale). Aucun de ces patients n’a pu aboutir à un sevragecomplet pendant la durée de l’étude. Parmi ces patients, 20 sur30 ont arrêté la décroissance du fait de symptômes de sevrageinvalidants, de tests redevenant positifs aux opiacés ou del’apparition de symptômes psychiatriques. Ces 20 patients ontpoursuivi le programme de traitement par méthadone. Les10 autres, après la décroissance de méthadone, ont été passéssous traitement par buprénorphine. Un de ces dix patients aréussi à être sevré de buprénorphine ultérieurement.Par ailleurs, une équipe californienne a réalisé une étuderétrospective sur 19 patients [29]. Parmi ces patients, 9 ontréussi à devenir abstinents, 7 ont rechuté et 3 n’ont pas fini ladécroissance de la dose de méthadone.De cette étude, les auteurs ont proposé de tirer trois facteurs desuccès potentiels. Ils recommandent que ces facteurs soientprésents avant le début de la décroissance de méthadone. Cestrois facteurs de succès seraient : l’absence d’usage d’héroïnedepuis au moins un an, peu ou pas d’héroïne et d’autresdrogues dures utilisées lors du traitement de maintenance,la volonté du patient d’arrêter la méthadone et la participationrégulière aux programmes de soins post-arrêt. Ces programmesde soins comprennent un suivi médical, des approches

tome 42 > n81 > janvier 2013

psychothérapiques de type counselling, des groupes d’entraidede patients et parfois des traitements médicamenteux de typenaltrexone, à l’image de ce que certains auteurs proposentdans les suites des sevrages d’héroïne [31].Une autre équipe américaine de la ville de New York, rapporteles résultats obtenus de façon rétrospective chez 18 sujets [32].À l’issue de cette étude, 6 patients parmi les 18 avaient réussileur sevrage, 5 patients avaient échoué et 7 avaient finalementrefusé d’entamer cette phase de décroissance. Les auteurs ontcomparé l’âge de début de la consommation d’héroïne, ladurée moyenne de consommation d’héroïne avant le débutdu traitement par méthadone et la durée moyenne de traite-ment par méthadone entre le groupe réussite et le groupeéchec. En étudiant ces variables, il n’y a aucune différencesignificative entre les 2 groupes. Mais il faut souligner que vu lefaible échantillon par groupe et donc la faible puissance decette comparaison, seule une différence massive aurait pu êtredétectée. Cependant, même en l’absence de résultats issus deleur étude, les auteurs ont émis l’hypothèse qu’une plus courtedurée de consommation d’héroïne endommage moins la viesociale, psychologique et physique du patient et reste le facteurle plus susceptible de prédire la réussite de l’arrêt du traitementpar méthadone.À Stockholm, le devenir des 38 premiers patients inclus dans leprogramme méthadone dans les années 1970 a été évalué defaçon rétrospective après 15 ans d’évolution [33]. Parmi eux,6 patients sont décédés dans l’intervalle et 32 ont donc pu êtreévalués. Les auteurs ont réparti ces 32 patients en 4 groupes :� groupe 1 : 6 patients ont été exclus du programme méthadone

du fait d’une mauvaise compliance aux exigences duprogramme (notamment irrégularité dans le suivi) ;

� groupe 2 : 13 patients étaient toujours dans le programme aubout de 15 ans et n’avaient pas entamé de décroissance de ladose de méthadone ;

� groupe 3 : 7 patients avaient entamé une décroissance et ontréussi à être sevré de la méthadone ;

� groupe 4 : 6 patients avaient entamé un sevrage et échoué.Les auteurs décrivent que ces deux derniers groupes, quireprésentent les patients qui ont entamé volontairement laphase de décroissance, étaient caractérisés par une vie socialeet professionnelle plus stable que les autres. De plus, ils ontnoté l’existence d’une consommation d’opiacés et d’autresdrogues illicites significativement plus importante dans legroupe qui a été exclu du programme méthadone.Une étude américaine [34] rapportait l’opinion de 60 patientsqui recevait de la méthadone provenant de différents centresde soins dans la région de San Fransisco, dont un tiers recevaitde la méthadone depuis au moins trois ans, ainsi que l’opinionde 30 membres du personnel de ces mêmes centres sur lesfacteurs du succès ou de l’échec de l’arrêt de la méthadone.Parmi les patients qui avaient déjà fait une tentative d’arrêt etavaient échoué, les facteurs d’échec cités étaient, outre la

e33

e34

K Ksouda, V Bloch, J Dugarin, G Dupuy, X Laqueille, J-P Lépine, F Vorspan

rechute dans l’héroïne (que nous aurions plutôt tendance àconsidérer comme la définition de la rechute plutôt que commesa cause), des difficultés physiques (48 % des patients),psychologiques (48 %) et des causes sociales et environne-mentales (32 %). Une analyse qualitative des entretiens sou-lignait que l’anxiété et le stress interféraient avec les tentativesd’arrêt. Dans cette étude, la moitié des patients (52 %)connaissait quelqu’un qui avait réussi un arrêt complet deméthadone. D’après eux, ces personnes se caractérisaientpar leur motivation et leur désir de vivre sans produit.L’opinion des membres du personnel était également rap-portée dans cette étude. Ils étaient 83 % à connaître au moinsun patient qui avait réussi un arrêt de méthadone. D’après eux,ces patients ayant réussi leur arrêt se caractérisaient parplusieurs facteurs :� avoir entamé la décroissance à un moment où ils étaient prêts

(readiness) ;� être motivés pour arrêter ;� profiter parfois de changements de vie (déménagement,

nouveau travail, nouvelle relation amoureuse) ;� avoir un bon support social ;� avoir de bonnes capacités d’introspection (selfinsight),

implication de l’équipe soignante dans l’arrêt (facteur lié àl’offre de soins).

Il est à noter que dans cette étude, les membres du personnelavaient des attitudes équilibrées vis-à-vis du traitement parméthadone, puisque 93 % se disaient contre l’idée que laméthadone était un traitement à vie et en même temps70 % étaient contre l’idée qu’il fallait l’arrêter au plus vitedans l’intérêt du patient [34].La revue de Kornor et Waal [16] résumait les facteurs demauvais pronostic à : une plus longue durée de dépendanceà l’héroïne avant mise sous traitement, une plus grandesévérité de la dépendance (même si la définition de cettesévérité n’est pas consensuelle), des antécédents de polytox-icomanie, de problème social et d’incarcération.

L’expérience d’un clinicien français

À côté des facteurs trouvés dans la littérature, nous avons vouluégalement publié l’expérience d’un clinicien français, JeanDugarin, prescripteur de méthadone depuis 1969, sur lesstratégies d’arrêt de la méthadone1.« Notre philosophie à l’Espace Murger est en accord avec ce quiest le plus souvent rapporté dans la littérature, c’est-à-dire qu’iln’y a pas de règle univoque à appliquer pour garantir la réussitede l’arrêt de la méthadone. De même, il n’existe pas de règleunivoque concernant le moment pour entamer la phase d’arrêtde la méthadone. Cependant, il est logique de ne proposer unedécroissance de la dose et un sevrage de méthadone qu’aux

1 Cet entretien a été réalisé en mai 2011.

patients qui ont réussi à devenir stables. Cette stabilité secomprend en termes de consommation de produits illicitesmais aussi sur les plans somatique, psychologique, social etrelationnel. Mais cette notion de stabilité dans les consomma-tions ne suffit pas à elle seule à déterminer le momentd’entamer une stratégie d’arrêt. Il faut bien entendu avoirnon seulement l’accord mais aussi la motivation du patient.Il faut de plus interroger le patient sur le statut qu’il donne à laméthadone. S’il considère la méthadone comme une droguelégale récréative, il est illusoire d’entamer un arrêt. Si le patientconsidère la méthadone comme un médicament palliatif et seconsidère toujours comme dépendant des opiacés, même s’ilest motivé pour l’arrêt, les chances de succès de son sevragesont faibles. Enfin, si le patient considère la méthadone commeun médicament curatif et donc que sa « pathologie » estguérissable, la probabilité de succès du sevrage de méthadoneest plus élevée.Face à toutes ces situations, nous proposons une approchepragmatique de la décroissance avec la possibilité de retour à laméthadone devant toute rechute en cours de sevrage ou àl’issue de celui-ci. Si la rechute a lieu lors d’un palier dedécroissance, nous proposons de reprendre à une dose unpeu plus élevée que la dose à laquelle le patient a échoué.Notre stratégie de diminution de la dose se fait par paliers debaisse de 5 % de la dose à laquelle le patient était stabilisé,avec un rythme de succession des paliers à définir avec lepatient, sans jamais être inférieur à 15 jours.Certains de nos patients qui ont réussi leur sevrage ont basculédans une dépendance à l’alcool illustrant l’adage « l’alcool est lasubstitution de la substitution ». D’autres ont maintenu une viestable et équilibrée que ce soit en termes de consommation ouen termes socio-familiaux. Enfin, un certain nombre d’autrespatients ne sont plus suivis en post-sevrage et nous ne dis-posons donc pas pour eux de données de suivi ».

DiscussionLe problème de l’indication et des modalités d’arrêt des traite-ments de substitution prolongée par méthadone s’est rapide-ment posé après la mise en place des traitements desubstitution dans les années 1960 ou 1970 selon les pays.Dans ce contexte, on peut regretter le faible nombre d’étudescontrôlées randomisées comparant les moments et les straté-gies de sevrage. Cependant, plusieurs points de consensus sedétachent à la fois de la revue de la littérature et de l’opiniondes cliniciens qui suivent des patients dépendants des opiacés.Sur la question de « quand arrêter ? », même s’il existe unegrande variabilité concernant la durée du traitement, tousinsistent sur le fait que l’arrêt nécessite « le volontariat dupatient » [14,15], « l’appréciation par le clinicien que le patientest prêt ou stable » [13,14] (ce qui englobe souvent à la foisl’arrêt complet des drogues illicites et une certaine stabilitémédicale, psychiatrique et socio-familiale), « depuis une durée

tome 42 > n81 > janvier 2013

Re

vue

syst

ém

ati

qu

e

Stratégies d’arrêt du traitement de substitution par méthadone

suffisante » [13–15] mais aussi « la motivation du patient » [15]et sa « capacité à concevoir sa vie future sans substitution »

mais aussi sans drogue.Sur la question de « comment arrêter ? », les auteurs recom-mandent le plus souvent des « approches pragmatiques »,fondées sur des « décroissances progressives ambulatoires »

[14–16] suffisamment espacées dans le temps, « avec possi-bilité de retour en arrière » [14,15,23,26] en cas de réapparitionde consommations d’héroïne ou de symptômes de sevragestrop intenses, ou d’apparition de symptômes psychiatriquesinvalidants.Sur la question des « facteurs prédictifs d’un arrêt réussi », lesdonnées de la littérature sont assez décevantes. Elles se résu-ment à dire que « le taux de réussite des arrêts de méthadoneest faible » et que « les patients les moins sévères » (ce qu’onpeut définir par une durée de consommations d’héroïneavant mise sous traitement plus courte, une durée de traite-ment de substitution moins longue, une meilleure stabilitésous traitement, une meilleure insertion socio-familiale)[14,28,30,32] sont ceux qui « ont le plus de chance de menerà bien l’arrêt de la méthadone ». D’autres auteurs insistentsur la nécessité de « limiter au maximum les symptômesphysiques et psychologiques » de l’arrêt [15], ce qui pose laquestion à la fois de réaliser des paliers très progressifs voirede traiter de façon symptomatique les signes de sevrage,mais aussi de dépister et traiter les conditions psychiatriquessous-jacentes et de différer les tentatives d’arrêt en cas defacteurs de stress externe. Par ailleurs, le « maintien dessoins après l’arrêt » [15,28] semble un facteur de réussite,mais pourrait n’être qu’un marqueur de la bonne complianceaux soins des patients qui se sèvrent. On peut d’ailleurs

Références[1] Dugarin J, Nominé P. Toxicomanie : histori-

que et classifications. Hist Econ Soc 1988;7:549-86.

[2] Dupuy G, Vorspan F, Lépine JP. Épidémiologiedes usages de substances addictives : résul-tats d’études réalisées en France et per-spectives internationales. Ann Med Psychol(Paris) 2009;167:498-503.

[3] Goldstein A. Heroin addiction and the role ofmethadone in its treatment. Arch GenPsychiatry 1972;26:291-7.

[4] Leshner AI. Addiction is a brain disease, andit matters. Science 1997;278:45-7.

[5] Dole VP, Nyswander M. A medical treatmentfor diacetylmorphine (heroin) addiction. Aclinical trial with methadone hydrochloride.JAMA 1965;193:646-50.

[6] Kleber HD. Methadone maintenance 4 deca-des later: thousands of lives savedbut still controversial. JAMA 2008;300:2303-5.

[7] Fournier E, Gorceix

Dugarin J. Les toxicoopiacés, essai de thépar chlorhydrate de

Interne (Paris) 1974;1[8] Deniker P, Lôo H,

Essais préliminaires

le traitement desopiacés. Ann Med

125:459-62.[9] Deniker P, Lôo H, Z

propos d’une expérméthadone. Encepha

[10] Ward J, Mattick RPmaintenance treatmreplacement therapwood Academic Publ

[11] Touzeau D, DéglonTémoin et acteur d

des traitements par

des Addictions, 4. 20

tome 42 > n81 > janvier 2013

regretter l’absence de détails dans la plupart des étudesconcernant les prises en charge non médicamenteuses dontbénéficient les patients. Enfin, le facteur pronostic crucial desuccès de l’arrêt de la méthadone semble la « motivation etles capacités d’auto-analyse (insight) » [14,15] du patient,concepts difficiles à mesurer et difficiles à susciter, mais bienexprimés par Jean Dugarin dans sa typologie du patient quiconçoit la méthadone comme un traitement curatif dont il n’aplus besoin.

ConclusionLes données de la littérature sur les modalités et facteurspronostics de l’arrêt des traitements de substitution par métha-done sont assez peu nombreuses. Elles permettent néanmoinsde dégager un consensus qui recoupe tout à fait l’expériencedes cliniciens qui prennent en charge ces patients. La substitu-tion est certes un traitement conçu pour durer plusieurs années,mais n’est pas forcément un traitement à vie pour tous lespatients. Son arrêt peut être envisagé chez des patientsvolontaires, stables depuis suffisamment longtemps à la foisen termes de consommations de produits licites et illicites et entermes socio-familiaux, en l’absence de trouble psychiatriqueactuel ou de facteur de stress particulier. Les modalités del’arrêt sont l’utilisation de paliers dégressifs avec possibilité deretour en arrière. Les taux de réussite sont faibles. Les facteurspronostics restent encore à préciser et mériteraient de vérita-bles études prospectives, pour préciser le rôle de la motivationet de l’insight.

A, Bmanrapemét25:4Zari

de la toInter

arifiaiencele 19, Haent

ies.

isher JJ,

uneméth03. p

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflitsd’intérêts en relation avec cet article.

e35

ourdon P, Piva C,ies anciennes auxutique substitutivehadone. Ann Med47-52.

fian E, Cuche H. méthadone dansxicomanies auxne (Paris) 1974;

n E, Cuche H. À française de la75;1:1975-91.ll W. Methadoneand other opioidAmsterdam: Har-s; 1998.Arnold-Richez F.

révolution celleadone Le Courrier. 133-8.

[12] Jacques, JP. De l’opportunité d’arrêter ounon, la methadone. Le Flyer 2004;16:5–12.www.rvh-synergie.org/.

[13] HAS. (Haute Autorité de Santé) : stratégiesthérapeutiques pour les personnes dépen-dantes des opiacés : place des traitementsde substitution, 2004. http://www.hassan-te.fr/portail/upload/docs/application/pdf/TSO_court.pdf.

[14] Lenné M, Lintzeris N, Breen C, Harris S,Hawken L, Mattick R et al. Withdrawal frommethadone maintenance treatment: prog-nosis and participant perspectives. Aust N Z JPublic Health 2001;25:121-5.

[15] Moolchan ET, Hoffman JA. Phases of treat-ment: a practical approach to methadonemaintenance treatment. Int J Addict1994;29:135-60.

[16] Kornor H, Waal H. From opioid maintenanceto abstinence: a literature review. DrugAlcohol Rev 2005;24(3):267-74.

e36

[17] Payte J, Khuri E, Parrino M. Principles ofmethadone dose determination. Statemethadone treatment guidelines: a treat-ment improvement protocol. Rockville,Maryland, USA: Diane Publishing; 1993.

[18] Senay EC, Dorus W, Goldberg F, Thornton W.Withdrawal from methadone maintenance.Rate of withdrawal and expectation. ArchGen Psychiatry 1977;34:361-7.

[19] Breen CL, Harris SJ, Lintzeris N, Mattick RP,Hawken L, Bell J et al. Cessation of methadonemaintenance treatment using buprenorphine:transfer from methadone to buprenorphineand subsequent buprenorphine reductions.Drug Alcohol Depend 2003;71:49-55.

[20] Hess M, Boesch L, Leisinger R, Stohler R.Transdermal buprenorphine to switchpatients from higher dose methadone tobuprenorphine without severe withdrawalsymptoms. Am J Addict 2011;20:480-1.

[21] AFSSAPS (Agence Française de sécuritésanitaire des produits de santé). Indicationet suivi du traitement substitutif de lapharmacodépendance majeure aux opiacéspar buprénorphine haut dosage. Mise aupoint. 2011. http://www.afssaps.fr/Infos-desecurite/Recommandations/Initiation-et-suivi-du-traitement-substitutif-de-lapharma-codependance-majeure-aux-opiaces-par-

buprenorphine-haut-dosage-BHD-Miseau-point/(language)/fre-FR.

[22] Jones HE. Practical considerations for theclinical use of buprenorphine. Sci PractPerspect 2004;2:4-20.

[23] Berger H, Schwegler MJ. Voluntary detoxi-fication of patients on methadone main-tenance. Int J Addict 1973;8:1043-7.

[24] Kleber HD, Riordan CE, Rounsaville B, KostenT, Charney D, Gaspari J et al. Clonidine inoutpatient detoxification from methadonemaintenance. Arch Gen Psychiat ry1985;42:391-4.

[25] Janiri L, Mannelli P, Persico AM, Serretti A,Tempesta E. Opiate detoxification of metha-done maintenance patients using lefeta-mine, clonidine and buprenorphine. DrugAlcohol Depend 1994;36(2):139-45.

[26] Eklund C, Melin L, Hiltunen A, Borg S.Detoxification from methadone mainte-nance treatment in Sweden: long-term out-come and effects on quality of life and lifesituation. Int J Addict 1994;29:627-45.

[27] Riordan CE, Mezritz M, Slobetz F, Kleber HD.Successful detoxification from methadonemaintenance. Follow-up study of 38 patients.JAMA 1976;235:2604-7.

[28] Byrne A. Nine-year follow-up of 86 consecu-tive patients treated with methadone in

general practice, Sydney, Australia. DrugAlcohol Rev 2000;19:153-8.

[29] Wermuth L, Brummett S, Sorensen JL.Bridges and barriers to recovery: clinicalobservations from an opiate recovery pro-ject. J Subst Abuse Treat 1987;4:189-96.

[30] Calsyn DA, Malcy JA, Saxon AJ. Slow taperingfrom methadone maintenance in a programencouraging indefinite maintenance. J SubstAbuse Treat 2006;30:159-63.

[31] Tucker T, Ritter A, Maher C, Jackson H.Naltrexone maintenance for heroine depen-dence: uptake, attrition, and retention. DrugAlcohol Rev 2004;23(3):299-309.

[32] Capone CT, Haggerty EL, Acer K, MelchiondaR, Holley E, Adams H et al. Client variablesassociated with selection and outcome in amethadone tapering program. Int J Addict1994;29:387-94.

[33] Hiltunen AJ, Eklund C, Borg S. The first38 methadone maintenance treatmentpatients in Stockholm: 15-year follow-upwith a main focus on detoxification frommethadone. Nord J Psychiatry 2011;65:106-11.

[34] Gold ML, Sorensen JL, McCanlies N, Trier M,Dlugosch G. Tapering from methadonemaintenance: attitudes of clients and staff.J Subst Abuse Treat 1988;5:37-44.

K Ksouda, V Bloch, J Dugarin, G Dupuy, X Laqueille, J-P Lépine, F Vorspan

tome 42 > n81 > janvier 2013