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LA TERRE BRÛLE TRAGEDIE EN 4 TABLEAUX CONSACREE A L’ENVIRONNEMENT Suivie de L’EAU : ENIGME OU SANG DU FUTUR Théâtre - Environnement

Suivie de L’EAU : ENIGME OU SANG DU FUTUR … · Ce mouvement veut utiliser des ... Tu as égorgé le Présent (Roulements de tambour) Homme€! ... Il m’étouffe. Je vou-drais

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LA TERRE BRÛLE

TRAGEDIE EN 4 TABLEAUXCONSACREE A L’ENVIRONNEMENT

Suivie de

L’EAU : ENIGME OU SANG DU FUTUR

Théâtre - Environnement

2

Du même auteur :

– Mêhinto ou les dieux étranglés (Nouvelle),NEA-Lomé, 1988.

– La mâchoire et le ventre (Recueil de poèmes),Les Éditions du Flamboyant, Cotonou, 2000.

– Facture de sang (Roman), Les Éditions duFlamboyant, Cotonou, 2000.

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Eugène Codjo KPADÉ

LA TERRE BRÛLE

(Tragédie en 4 tableaux consacrée à l’environnement)

Suivie de

L’EAU : ÉNIGME OUSANG DU FUTUR

Les Éditions du Flamboyant08 BP 271 – Tél. (229) 31 02 20

Cotonou - Bénin

Théâtre - Environnement

4

Couverture : A. R. DIGITAL PHENIXTél. (229) 33 65 73

ISBN 99919-41-22-3© Les Éditions du Flamboyant, 2001

5

En mémoire de :

Eloi ASSOGBAMichel OUASSA

A mon père Akakpo Logozo GUITCHANA mon grand-père Togbé Akpossoude Glotomey (Avakpa)A mon grand-père maternel

GBOGLO TOGBEDJI

Vous avez chacun joué sa partitionQue votre nom demeure

A Daniel Tara TINDJILEQui m’a incité à écrireces deux textes, devenusmatière à quelque chose.

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PREFACE

Me voici flatté d’avoir à écrire ma premièrepréface à une pièce de théâtre, après seulementdeux décennies d’activités. Flatté parce que lapièce en question est écrite par un homme quiavait déjà un parcours littéraire au moment oùmes camarades de PROMETHEE et moi-mêmenous étions mis à rechercher dans la générationde nos « aînés », des personnes qui écrivent, quidisent ou qui font. Mais flatté aussi parce qu’unepréface n’a jamais été qu’un prétexte, n’a jamaisété qu’une prière à la beauté qui tremble.

La terre brûle d’Eugène Codjo KPADEm’offre l’occasion d’une telle prière. D’abord,parce qu’il aborde un sujet sensible : celui del’écosystème et de l’équilibre écologique, aumoment où, du monde entier, on s’inquiète duréchauffement de la planète. Ensuite parceque l’auteur lui-même l’a appelé « théâtre-environnement ».

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Il s’agit d’un concept nouveau pour répon-dre à un problème nouveau. Mais il s’agit, avanttout, d’un genre théâtral.

Tel qu’écrit, ce « théâtre-environnement »offre de multiples possibilités à sa mise en scène.D’abord, il est bref et apparaît sous la forme d’unsystème.

Il permet ainsi, dans la communication scé-nique, d’initier des développements divers, d’in-terpréter, de s’approprier le discours, de le sen-tir, avant de le resservir. Il permet aussi de cer-ner rapidement le propos et de se rendre comptede l’essentiel.

Ensuite, il est écrit en quatre tableaux avecune recommandation de l’auteur à puiser dansle folklore local pour habiller le discours. Cettedivision en tableaux implique, dans l’espacepublic, un déploiement d’actions que l’enchaî-nement des péripéties ne permet pas, à premièrevue, de déceler. C’est-à-dire que le folklore in-tégré crée de nouvelles péripéties et devient ac-tion. Enfin, la conception des personnages quine sont point des caractères pour des lecteursnon avisés de la culture fon, mais de simples pré-textes, requiert une grande créativité chez lestechniciens purs et les metteurs en scène qui sepencheront sur cette pièce.

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Cette force d’écriture consacre le mouve-ment de « théâtre-forum » qui se développe danscertains pays francophones d’Afrique, et lui con-fère une valeur littéraire. Ce mouvement veututiliser des arguments de théâtre, pour « sensi-biliser » la population sur certains problèmescontemporains.

Eugène Codjo KPADE qui est à la fois jour-naliste et travailleur dans l’humanitaire (SIDA,Environnement) ne surprend donc pas en em-pruntant à ce mouvement ses arguments. Peut-être même l’ignorait-il ! En tout cas, ce ne seraitque la preuve de l’universalité progressive de cegenre de pédagogie.

Camille AMOUROEcrivain-Dramaturge

11

LA TERRE BRÛLE

13

RESUME

La Terre, ce vieil ancêtre de l’homme, a

existé avant toute chose. (GENESE Chapi-

tre 1, verset 1 et 7). Les êtres vivants, l’eau,la lumière, le feu, les monts, les animaux, les

oiseaux, vinrent après.

L’homme, rendu « Maître » de cette multi-

tude d’abondances sombra dans unhégémonisme et une exploitation aveugles de

la terre et de ses « abondances ». Il domptases lois, apprivoisa ses créatures et tenta

même de la rendre « esclave », à sa seule

volonté.

Dans cette course effrénée de domination,

l’homme se mit à tout « violer », à transgres-

ser les principes et lois de la terre. La terre

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reçût de part en part de terribles coups, bles-

sures et des plaintes. Elles gémit, saigne,

souffre et pleure. Mais généreuse, elle conti-

nua dans un immense amour maternel à gra-

tifier l’homme et sa descendance :

* de pluie pour féconder les semences ;

* d’air pour rafraîchir et purifier l’exis-

tence ;

* de l’oxygène pour entretenir et prolon-ger la vie ;

* et tant d’autres bienfaits.

Malgré tout, les agressions de l’homme con-

tre la « terre bienfaitrice » se poursuivent,s’amplifient et se raffinent à la mesure de

son pouvoir et de l’intensité de sa soif de

domination. Aujourd’hui, la catastrophe est

au cœur de la cité et l’apocalypse au seuil

de la demeure.

Fatiguée de subir, la terre décide de hausserle ton et de sonner l’hallali. Elle convoque

une rencontre pour faire part à ses alliés de

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sa colère face aux mauvais traitements dont

elle est quotidiennement l’objet de la part

de l’homme. Sont invités à ce face-à-face,

l’eau, le feu, l’air, la forêt, respectivement

représentés par :

* MAMI WATER, la sirène, déesse des

eaux ;

* DAN AÏDO HOUÊDO, le grand maître

des Firmaments

* HÊBIOSSO, le grand artificier de la

nature ;

* AGUÊ, le grand génie des forêts, lesanimaux et naturellement l’homme,

principal bénéficiaire de la terre et vé-ritable cheval de TROIE.

L’homme, accusé, se trouve au premier rang

à la barre. Ce face à face est tumultueux.

Qu’adviendra-t-il ? … La question reste

entière.

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Pour la terre agressée et transgressée, cetterencontre constitue l’ULTIME APPEL ausursaut salutaire sinon c’est l’apocalypseet... « La terre brûle ».

Ce psychodrame comporte quatre (04)

grands tableaux et fait l’inventaire des pro-

blèmes environnementaux et des dégâts oc-casionnés par l’homme dans sa course peut-

être « légitime » vers un certain modernisme.

Cette fresque éducative met en avant :

v le problème et sa cause,

v le responsable (l’agent qui en est lacause)

v la solution possible et se termine par

v un appel au changement de comporte-ment vis-à-vis de l’Environnement.

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PERSONNAGES

FF La Terre

FF L’Homme

FF Le Silure

FF La Mer

FF Hêbiosso, Grand artificier dela Nature

FF Aguê, Grand Génie des Forêts

FF Mami Water (Sirène), Déessedes Eaux

FF Dan Aïdo Houêdo, GrandMaître des Firmaments.

FF Le fou.

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Scène 1

Un homme déguisé, sans visage récite

un poème qui expose les différents griefs

et le macabre panorama des dégâts que

l’homme cause à la nature.

Dans les coulisses, un chœur murmure un

air qui rythme avec des cris d’angoisse. La

Terre gémit. L’homme avance sans visage

et déclame. (D’une voix apeurée, inquiète et ferme)

il doigte le public

.

TABLEAU PREMIER

20

Regardez…

Regardez derrière vous

Le Ciel crache du feu

Et l’apocalypse est à nos portes

(silence)

Regardez

Regardez autour de vous

La Nature craque dans un déluge de feu…

Tout dévale sous nos pieds

Regardez !

Regardez le Ciel traumatisé par vos boli-

des sordides

Partout la soif du Pouvoir

Soif de détruire …

(silence)

Regardez … Regardez

Comment tout est sens dessus dessous

Tout ronge...

Et tout rougit …(Il se dresse sur la pointe des pieds et regardepartout)

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Ma voix de solitaire

Parcourt vos chairs insensibles(Grands bruits de tambours – Emoi – jeux delumière. Puis subitement, la lumière s’éteint)

(silence)

Moi, je descends de la Lune

De la Lune

Où la Couche d’Ozone

A péri dans la Catastrophe causée par …

Des promeneurs insolites enferraillés venus

de la Terre …

Là-bas, tout se meurt

Oui vos mains assassinent le temps … et

l’avenir …(Roulements de tambour, la voix se calme et

baisse)

Regardez

Regardez la Terre en deuil

Et la Nature qui tousse …

(Il hausse la voix)

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Inondation et Déforestation

C’est toi qui égorge le futur

(Roulements de Tambour)

Erosion et enfouissement de déchets toxi-

ques

C’est toi qui as laminé le passé

Et compromis l’avenir

(Roulements de tambour)

Invasion des sachets plastiques

Péril de déchets toxiques et humains

Explosions … et autres essais nucléaires

(Roulements de Tambour)

C’est toi, Homme !

C’est toi qui assassine le futur

(Roulements de tambour)

Tu pollues l’air … et l’eau

(silence)

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Regardez comme des laves d’un volcan...

Tes effluents de la mort dessinent sur nos

villes des sarabandes horribles … qui inon-

dent la terre ...

Puissance fragile … et éphémère …

(silence)

A tes bottes fleurissent

Des stigmates

(Roulements de tambour)

Flétrissures

Et tout craque

Déchirure

C’est toi Homme

(Roulements de tambour et silence)

Je reviens du Cieloù tout pleure, victime des désastres de la

Terre

(Roulements de tambour)

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La Terre brûle …

Elle me brûle dans ma chair

Et calcine mes espoirs

(Roulements de tambour)

Les herbes meurent

Les Oiseaux

Les Animaux

Tout crève

(Roulements de tambour)

Le vent s’assèche … aussi

Tout

Tout brûle

Et me brûle

(Roulements de tambour)

(silence)

Je viens du Ciel

D’où les vacarmes de vos cruels engins

m’ont chassé

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Je viens du Ciel

D’où les nuages ont péri dans les mirages

de plomb

Au milieu des ferrailles diaboliques

Domptées par des mains capricieuses

Là-bas le Désert … avance … aussi …

sauvage

(Roulements de tambour)

Comme une rivière qui coule … sans fin

Il pleut là-bas … des ferrailles immondes

Fumantes

(Roulements de tambour)

Je viens du fond des Mers

Où des torrents de « merde » dévalent les

récifs

Et répandent la peste dans les ondes mari-

nes

Là-bas aussi… des mastodontes sèment la

désolation

(silence)

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Homme !

En tes mains coule … chaud

Le sang du Futur

Homme !

Tu as égorgé le Présent

(Roulements de tambour)

Homme !

Ouvre les yeux …

Et regarde

(Roulements de tambour)

Regarde où tu mènes l’Humanité …

(Roulements de tambour forts - Cris - Lumière)

Ouvre les yeux

Et regarde …

Regarde(La scène est noire et les dernière paroles serépandent en échos dans la salle)

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Scène 2

(La scène s’éclaire et dévoile un homme debout et

pensif)

Des initiés entrent en scène presque en

transe et endiablés. Ils exécutent la danse

SAKPATA (dieu de la variole) en hommage

à la Terre pour sa patience et les souffran-

ces endurées.

DANSE SAKPATA

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Scène 1

Le rideau s’ouvre sur des personnages

étranges. Autour de la Terre, sont réunis

tous les protagonistes. Ils se concertent.

L’ambiance est lourde. Les temps sont gra-

ves. Une voix rompt le silence.

MAMI WATER

(la Sirène ou Déesse des eaux)

Hier nuit, alors que je dormais paisiblement,

deux grosses épaves de ferrailles sont tom-

bées avec un grand fracas sur mon lit. Tout

a été réduit en poussière. J’ai eu la vie sauve

seulement en recourant à mes pouvoirs

DEUXIEME TABLEAU

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surnaturels. Majesté la Terre, voilà le plus

récent exemple de la bêtise de l’homme. Sur

terre, dans les airs, l’homme est dégât.

Maintenant … ils déversent des engins

diaboliques de toutes sortes au fond

des eaux. Partout le désastre s’annonce.

Je proteste … Je proteste …

DAN AÏDO HOUÊDO

(l’Arc-en-ciel)

Moi, chaque jour, l’homme m’agresse avec

ses ferrailles immondes. Il m’étouffe. Je vou-

drais dire une seule chose. Que l’homme

cesse de détruire mon beau tapis d’ozone

sinon, il aura du feu sur la tête.

LE SILURE(un poisson)

C’est bien grave ce qui arrive aujourd’hui.

L’homme déverse dans mes lagunes, mes

rivières, au fond des mers, quantité de pro-

duits toxiques. Mes petits avalent tout cela ;

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s’ils ne meurent pas, ils changent de cou-

leur. Le noir devient blanc et le blanc de-

vient blafard. Nombreux sont mes frères qui

sont morts après avoir avalé des sachets

plastiques. Ma tête a perdu cent fois de son

volume. Certains de mes cousins, espèces

rares et utiles, ont totalement disparu par la

faute de l’homme …

AGUÊ(le génie des forêts)

C’est si vrai que je suis moi, un des der-

niers rescapés de ce génocide de masse.

Mes cheveux jadis touffus et longs ont brûlé

par la faute de l’homme. Il est puissant dans

sa folie ruineuse. Rien ne l’arrête. Il est gour-

mand. C’est un criminel.

(Les protagonistes en chœur)

– C’est un criminel …(La parole est donnée à l’Homme.

Il parle … se justifie)

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HOMME

Majesté, Terre, vous m’avez convoqué. Jesuis venu par respect pour vos cheveuxblancs. J’accepte de parler mais à une seulecondition (surprise de l’assistance. Tout lemonde dresse l’oreille). Je dis à une seulecondition (silence). Je veux que tous cesbatraciens cessent de coasser. (L’assis-tance scandalisée)

DAN AÏDO HOUÊDO

(crie sa colère)

Vaniteux, tu oses encore poser de condi-

tion. Tu nous paieras l’injure. Mangeur demerdes.

HOMME

Taisez-vous (vocifère l’homme). On m’ac-cuse de tout. Partout on dit que j’ai mis lefeu à la terre. Partout on dit que la terre brûle.

Partout on dit que c’est ma faute. Mais on

ne parle jamais de mes bienfaits.

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UNE VOIX

Langue mielleuse. Ta parole est un fleuve

de mensonges. Cite tes bienfaits, or-

gueilleux.

HOMME

Moi orgueilleux. Mais qui donc, refroidit la

terre, lorsque les volcans se saoulent et

vomissent des torrents de braises ? Qui ?

Qui ? Qui donc a construit des digues pour

ramener sagement les eaux en furie dans

leur lit. Qui donc envoie aux poissons de

quoi vivre au fond des mers ?

Qui donc a défriché la terre pour la rendre

belle. Qui donc a construit les belles ave-

nues, classé les forêts, permis aux animaux

de se reproduire … J’ai fait de très belles

choses et on en parle jamais …

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LA MER

Tais-toi là-bas. Qui a mis le feu à la grandeforêt où vivait Aguê paisiblement avec sesenfants ? Qui a coupé les arbres pour fairele feu ? Qui a fait des brûlis pour semer ?Qui va jeter ses déchets dans les lagunes ?Qui va mettre ses armes de guerre et lesproduits toxiques au fond des mers. Qui ?

Qui ?

(Silence)

MAMI WATER

L’homme est fou. Il se croit savant mais ilse tue à petits feux. Il va prendre du sable àla plage et fais un grand trou. Mais qu’iltrouve un autre moyen pour construire sesmaisons ! L’érosion sur la côte c’est d’abordlui le responsable. Mais il va nier. La déser-tification c’est encore lui. Nous avons trop

de choses à dire de cet homme-là. Il est fou

mais sa folie de grandeur le tuera. Et le jour

n’est pas loin.

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LA TERRE

Je comprends vos douleurs. Moi qui abriteles eaux des lagunes et des mers oùl’Homme déverse toutes sortes de déchets,je sais ce qui se passe. Ce sont mes en-trailles que l’homme creuse pour ensevelirses engins diaboliques qui explosent etme font saigner. Aujourd’hui, il parle de« volcans soûlards ». L’homme fend tous lesjours ma tête et mon dos pour y réaliser seschambres à gaz, assouvir sa soif de domi-nation, et montrer simplement sa supréma-tie sur les autres. L’homme a rendu toute laterre esclave de ses désirs, esclave de ses

fantasmes et de sa vanité.

HÊBIOSSO

Majesté, il faut maintenant châtier l’homme.Cinq jours de pluie et cinq nuits d’orage suf-fisent. Moi, je suis prêt à déverser sur sa

tête un torrent de foudre. Ça suffit mainte-

nant.

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LA TERRE

Patience ; l’homme ignore aujourd’hui que

la nature, fatiguée de ses excès, se prépare

à l’engloutir. Quand Dieu a dit « Va et

domine la terre », il n’a pas dit « Va et

détruis la terre ». La soif de puissance a

aveuglé l’homme. Il faut l’aider à retrouver

la vérité et le droit chemin.

MAMI WATER

Majesté, est-ce que celui-là, qui est si fier

de lui-même peut-il encore entendre rai-

son ?

LA TERRE

Il doit entendre raison sinon il disparaîtra.

Tenez ! Le jour où les lagunes engorgées,

l’ozone et les nuages éliminés, l’ air pollué,

le ciel énervé et les eaux des mers excé-

dées décideront ensemble de quitter leurs

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lits pour punir l’homme ; moi Terre, je me

verrai sous un déluge de feu ou d’eau et ce

sera le dernier quart d’heure de sa vie.

(L’homme debout écoute ce réquisitoire. Il se met à

trembler).

RIDEAU

37

Scène 1

HOMME

(Inquiet) Majesté, quelle chance me reste-t-il

maintenant ?

LA TERRE

Ta vanité t’a fait perdre la tête, ton égoïsme

te mène droit à la perte. Tu ne penses qu’à

toi, à toi seul. Tu oublies les générations

futures. Tes bombes à neutrons. Tes fusées

sol-sol, sol-air, tes mirages et autres engins

meurtriers, ta bombe H. Qu’as-tu fait de ta

puissance éphémère ? Carnage et désola-

tion.

TABLEAU TROIS

38

HOMME(Debout, triste et pensif)

Puissance ! ARGENT ! Puissance encore !

Honneur ! Grandeur ! Folie ! Hier ! Aujour-d’hui ! Demain ! Ce sera l’APOCALYPSE.

Oui l’APOCALYPSE. (Chaque mot fait écho. Le

temps est lourd, funeste. Silence. Il se tait, baisse latête puis éclate en sanglots). Mais le créateur m’adit « Va et domine la terre ». Oh Dieu !

LA TERRE

(Enchaîne)

Non, tu n’as pas dominé la terre, tu l’as dé-

cimée. Tu as commis trop de crimes et tessanglots ne peuvent plus émouvoir. Cepen-dant, je demanderai à tous ceux que tu asoffensés de t’accorder une dernière chance.

A toi de jouer.

HOMME

Ah pourquoi le destin s’acharne-t-il contre

moi ?

39

LA TERRE

Non ce n’est pas le destin. Tu as mis tonintelligence au service d’une puissance illu-soire. Va, domine la terre mais ne la détruispas ! Voilà la parole de Dieu. Toi tu as miston avenir derrière toi …

HOMME(Suppliant)

Majesté, j’avoue que j’ai tout perturbé sur laterre … Je ne recommencerai plus…

HÊBIOSSO

Majesté ! Terre ! Ce bipède est un menteurindécrottable. Il recommencera la même

chose.

LA TERRE

(Déclare solennellement)

Nous avons tous les yeux rivés sur toi

Homme. Il faut maintenant des actes

40

concrets et sensés. Sinon le péril est grand

sache que tu seras le premier à récolter le

fruit de tes mauvaises semences.

DAN AÏDO HOUÊDO(Les alliés exigent de l’homme, un dernier et solen-nel engagement)

Majesté, personne ici ne croit à ce que dit

l’Homme. Personne. Pour cela, nous exi-

geons qu’il s’engage ici et maintenant. Ici et

devant tous. Voilà notre position …

L’homme hésite … Un objet explose quelque part.

Le bruit est fort. Il y a de la fumée partout. Cris et

débandade. Tout rentre dans l’ordre peu de temps

après …)

LA TERRE

(Irrité mais toujours conciliante)

Homme, pendant que nous y sommes, tu

as encore donné la preuve éclatante de ta

déraison. Maintenant que dis-tu ?

41

HOMME

(Confus, baisse la tête et nasille)

Oui c’est vrai. C’est mille fois vrai. Je suis

coupable. Je rêve d’égaler Dieu, et je som-

bre dans une déraison totale. C’est vrai je

suis coupable mais donnez-moi encore une

chance de rebâtir le monde et de panser de

mes mains les blessures que je vous ai fai-

tes. C’est vrai. J’ai péché. Je promets …

oui … je promets …

(Silence)

L’homme se retrouve seul sur la scène, éperdu. Ilregarde partout, à droite, à gauche, devant, derrièreil ne voit plus personne. Il est seul face à son destin,à son avenir. Il court partout, cherchant quelqu’un ouquelque chose. Une explosion se produit à nouveau.Cris et vacarme. L’homme sur la scène mi-éclairée.

Peur. Bruits sourds et divers …

L’Homme debout demeure ahuri … le regard évasif.

RIDEAU

42

Scène 2

La scène s’éclaire. Une ombre balaie. On entend un

ricanement fort... Un homme dévêtu, debout dans un

coin de la scène est éclairé.

UNE VOIX

Il a promis (ah ! ah ! ah !) Il a promis. Sur-

veillez-le de près. Il triche …

(effets scéniques). Le tonnerre gronde. Le tempsdevient lourd. Il fait du vent. La pluie arrose la terre.Signe d’une nouvelle alliance entre l’homme et laterre. La pluie féconde la terre. Au milieu de ce tinta-marre émerge une lueur rouge. Des lumières se croi-sent. L’espoir naît et repousse l’angoisse sans fairedisparaître la menace. Le tableau s’achève sur unedanse qui magnifie la rédemption et l’espoir. Elle rap-pelle à l’homme, la menace, la promesse et la voiedu salut. Une danse de production, (paysans auchamp, pêcheur à la pêche et autres activités signifi-

catives) ferme le tableau.

43

Le décor est rapidement reconstitué d’arbres. Une

ou deux cases y figurent.

La scène s’éclaire après la danse. L’homme apparaît

en marchant à reculons. Au milieu de la scène, il

s’arrête et fixe le public. Il joint ses mains et reste

muet. La scène reste mi-éclairée. Les acteurs se

mettent en place pour la présentation finale des ac-

teurs, en formant la lettre V comme Verdure et

Voyage. Chaque acteur tient un arbre. Aujourd’hui

commence une nouvelle croisade.

TABLEAU QUATRE

47

L’EAU : ENIGME OU

SANG DU FUTUR

49

Ouverture de scèneUn monstre bizarre monte sur la scène, toisel’assistance, interpelle.

Que faites-vous ici citoyens du royaumede la Parole ?Vous voilà, une fois encore réunis autourde la jarre à palabres !Parlez ! parlez donc ! Allez-y !Moi, je viens du royaume des eaux.Là-bas, tout est calme...Chez nous, l’eau est une divinité.Là-bas, nous avons appris que les hom-mes ici, s’entre-tuent à cause de l’eau.Mais quels sauvages ! Ah ces humains !

TABLEAU UNIQUE

50

Qu’ils sont malheureux avec leur tech-nologie sans âme et sans raison.

Malheureux (Il ricane)

Tenez, la déesse des Eaux a appris quevous êtes ici. Elle a décidé de vous en-voyer un messager. Le voici (il pointe le

vide). Ecoutez-le… Cela vous rendra service.Moi je retourne au pays.

(Tam-tam et cris. Puis silence)

Séquence 2

Un homme avance sur scène et s’installe avecdes calebasses, gourdes et autres ustensilescontenant de l’eau. Il exécute tous les gestesusuels (boit sans cesse de l’eau, se lave, lave lesassiettes etc.).

Il varie les gestes mais les répète sans cesse. Ilessaie de miner la vie quotidienne. Les femmesvont chercher de l’eau au marigot. Battementsde tambour.

Les gens montent sur la scène en courant danstous les sens dans un vacarme. Silence. Un

51

homme déguisé arrive, scrute l’horizon, dévi-sage, puis… parle.

Il est rejoint par deux ou trois autres personna-ges. Il déclame :

Recueillir et récupérer !Produire et distribuer !Consommer et conserver !Voilà l’énigme de l’eau ...L’EAU : authentique sang du futur

EAU (Il reste silencieux et méditatif)

(Chaque mot est repris avec échos)(silence)

Séquence 3

L’homme bouge et fixe l’assistance

Pourquoi êtes-vous ici et d’où venez-vous ?(silence)

Moi, je viens d’ici Mon pays, oui mon pays, … est iciMon pays repose ses pieds dans lesondes sereines de l’océan atlantique …

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Et loge sa tête dans les douces et fraîchesprofondeurs du fleuve NigerMon pays est un paradis d’écosystèmes …Faunes et flores fleurissent. Tout foi-sonne …

Séquence 4

Les houles d’une mer splendide, aux plages mer-veilleuses alimentent ma respiration et bénissentles vagissements des êtres qui naissent ici etsignent le livre d’or de la postérité ici…

Regarde-moiRéjouis-toi ...

(silence)

Et loue le ciel ...Car ici, plus qu’ailleurs …Tout vient de l’eauTa respiration est faite d’Eau …Et ta chair, tissée d’EAUMais que fais-tu pour rendre éternellecette richesse … Unique ...

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Exceptionnelle ?Ici, tout est beau comme l’eau

(silence)

Ici, mon nom est Alibori …Le Mono coule dans mes veinesL’Ouémé draine mon souffle

Et le Zou irrigue les palpitations de moncœur

Le Couffo et l’Okpara forment les deuxprécieuses loges de mon poumon

Ici, tout respire l’EAU ...

L’Atlantique, comme une belle nappe éta-lée à la façade de ma splendide cité despanthéons, inonde de ses brises purifica-trices le ciel de notre cité tragiquementpolluée.

Ici, tout est EAULimpide et sereineIci, tout a une vertu : celle de l’EAU.Ô !(silence)

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DahomeyReligieusement incrusté dans le Béninlaboure l’eau comme des sillons de sangSur cette terre tissée d’espérance ...

Réveille-toi,Réveille-toi, béninoisRéveille-toi et regarde !La source tarit

silencele tam-tam bat fort et cesse brusquementsilence et tam-tamvariation des danses rituels SAKPATA ou

GBADEHOUN

Réveille-toi

(A dire par des voix individuelles au moins cinq

voix avec des tonalités variables)

Réveille-toi (une voix)

Car la source tarit (une autre voix)

55

Réveille-toi (ensemble, attaque vive)

Réveille-toi (voix unique)

tam-tam

Silence

Séquence 5

De ton comportement (Voix unique – Parolesreprises dans les coulisses)

Tu dois proscrire (Trois fois répétées dans lescoulisses)

Le gaspillage (une voix)De l’eau (une autre voix)

La pollution (une voix)De l’eau (une autre voix)

Tu dois proscrire (une voix)Toutes les pratiques qui provoquent etaccélèrent l’épuisement de l’eau ...Ici... sur la terre de tes aïeux

Ici ...

(silence)

56

IciBeaucoup d’eau coule sous ce pontDepuis des millénaires …Un Océan d’eau laboure nos terresEt sillonne nos hameauxMais ces eaux, couleront-elles toujours ?

tam-tam

silence

L’EAU qui coule charrie une bombecachée...Et ménace toutes vos certitudesDemain s’annonce incertain...Oui... incertain

(tam-tam)

Dans l’eauSur l’eauAutour de l’eauMille guerresMille conflits meurtriers couvent ...

57

Et les Peuples se dresseront les uns con-tre les autres ... la prophétie avance ...

(silence)

Réveille-toiEnfant du Bénin

(tam-tam)

Ici réunis, aujourd’hui, vous croyez êtrela conscience… (silence) du pays(silence)

Non ! Mille fois Non... (silence)

Vous n’êtes qu’une étincelle…Oui, une étincelle… face à l’espoir àforger... une étincelle...Rien de plus

tam-tam

silence

Ici, le pouvoir est resté au village sur lespistes qui mènent au marigotIci ...Ici, dans les mains de la femme ...Se trouve l’avenir ... de l’eau.

58

Elle est source d’eau ...Source de vie, et le temple qui fertilise lavie au cœur de l’eauIci, face à l’eau ...La raison est dans le partage … éclairéLe partage pacifié de l’eau ...Une goutteChaque goutte dans nos regards, nosémotions, nos palpitations.Ici ...La raison est dans l’intelligence du futurDans la clairvoyance

tam-tam

silence

Ici,Nous devons construire l’eau…

(tam-tam)

Ici,Nous devons construire l’avenir de notreEAU

tam-tam

silence

59

Séquence 6

Construire l’EAU ?

tam-tam

silence

OuiConstruire l’EAU ?Quel merveilleux voyage initiatique !

tam-tam

silence

Education de tous ! (tam-tam)

Action et altruisme (tam-tam)

Unité et utilitéNous voilà dans le pacte de l’EAU…Autour de l’EauDans l’eau

(tam-tam ou chants)

Face à l’eau ...

IciPartager l’eau doit devenir un devoir

sacré …

60

IciUn devoir divinL’eau est le sang de notre avenir humainIci, l’eau est la demeure de DieuLe sanctuaire des dieux …

Réveille-toi (hurle)

tam-tam

silence

Réveille-toi …Et sauvons l’EAUSauvons notre existenceIci ... et maintenant ...

tam-tamChantDanse HêviossoRituel de la pluie

63

POSTFACE

La poésie est un genre que l’auteur decette œuvre affectionne pour s’adresser

aux hommes, en parlant à leur cœur, àleurs émotions, pour ouvrir dans leur être,

comme il le dit lui-même « les portes deleur raison, une raison à construire ».

Ici, le spectacle commence par un poème

qui évoque les dégâts commis sur la terre

nourricière. Ses blessures multiples. Cette

déclamation est accompagnée de quelques

effets scéniques, d’ombres et de lumière.

Un chœur en coulisse rythme « cris d’an-

goisse et murmures ». Un grand hommage

est rendu à la terre à travers la danse

SAKPATA, dieu de la terre.

Dans le deuxième tableau, tous les prota-

gonistes sont présents : Mami Water, Dan

Aïdo Houêdo, Hêbiosso, l’Homme et tous

les autres. La terre expose cas par cas, tous

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les actes de provocation, de mauvais traite-

ments subis de la part de l’homme. Elle cite

des exemples comme :

* l’inondation ;

* la déforestation, les feux de végétation ;

* l’érosion ;

* la « sahélisation » ;

* l’engorgement des lagunes ;

* le déversement de déchets humains

et toxiques dans les eaux ;

* l’invasion des sachets plastiques etc.

La parole est donnée aux alliés. Ils inter-

viennent pour renchérir avec des exemples

précis. Chacun expose ses déboires, sesblessures, ses déchirures.

Ces exemples constituent un douloureux ré-

pertoire des dégâts quotidiens que l’homme

commet consciemment ou inconsciemmentsur l’environnement. Ils sont cités pour per-

mettre d’exhorter à la sauvegarde et à la

protection de l’environnement.

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Dans le troisième tableau, la terre intervient

et donne la parole à l’homme (sifflé par l’as-sistance et interrompu de temps à autre par

les protestations).

L’homme parle. Il se justifie, tente des’amender. Il promet désormais respect et

soin à la terre. Prise de conscience del’homme qui présente des excuses à la terreet à ses alliés ?

La terre remercie l’homme de sa prise deconscience, évoque les conséquences à

venir si …

Mais dans l’air, persistent quelques signes

de doute ...

On s’achemine vers la fin du spectacle dansle quatrième tableau ...

Le décor est remis pour recréer l’idéed’une réhabilitation, d’un renouveau.Des arbres et deux cases y figurent.La scène s’éclaire. Tout annonce unnouveau départ.

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Achevé d’imprimer sur les presses de :IMPRIMERIE MINUTE

03 BP 1354 Cotonou (Bénin)Dépôt légal : N° 1743 du 2e trimestre 2001 (BN)

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Quelque part au fond des mers, un engin venu, on nesait d’où explose et cause d’énormes dégâts. L’homme,une fois encore a frappé fort. La nature est blessée.Ses habitants sont en émoi. Tout grince. La terre brûle.Qui donc est coupable ? Les dieux sont en colère.

Chacun de son diocèse intervient, indexe l’homme...ingénieux, dominateur et vaniteux...

Véritable touche à tout littéraire,Eugène Codjo KPADE, a écritces lignes dans des conditionsinsoupçonnées, à l’occasion dulancement en novembre 1996 del’Agence béninoise pour l’envi-

ronnement et du forum national de l’EAU del’année 2000.

La Terre brûle a déjà valu à son auteur, une boursed’Excellence du Gouvernement français et unerésidence d’écriture à Limoge en 1998.

Ce texte est unique dans le paysage littérairenational. Le théâtre environnemental. Spécialistede l’éducation relative à l’environnement (ERE),KPADE Codjo Eugène travaille à assembler lesmatériaux d’une communication environnementalevéritable. La Terre brûle existe sous forme dedocumentaire filmé de 26 minutes.