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Sujet et objectifs Le syntagme nominal est un domaine d’étude vaste qui peut s’aborder selon plusieurs axes de recherche. Il se compose d’un noyau représenté par un substantif ou son équivalent, à savoir un infinitif, un adjectif substantivé ainsi que des formes adjectivales du verbe substantivées. Il peut être accompagné de déterminants ou de modificateurs (adjectifs, participes, formes relatives, etc.). Tous ces moyens offrent un champ de recherches considérable 1 . Dans le cadre de notre thèse, nous nous sommes orientée plus particulièrement vers l’analyse de la détermination, de la possession et du changement de genre. Il apparaît que ces thèmes ou certains aspects de ces thèmes ont été peu ou pas du tout étudiés. S’il est vrai que le système des articles définis et indéfinis a déjà été abordé en égyptologie à plusieurs reprises, notamment en ce qui concerne leur évolution 2 et leurs emplois 3 , plusieurs points d’analyse restaient à envisager. Par exemple, si certains scientifiques traitent de l’absence de déterminant ou encore de « bare nouns 4 », ils n’accordent pas de place à un déterminant zéro au sein du paradigme des articles. Dans le cadre de nos recherches relatives à la détermination, c’est donc l’étude de l’article zéro qui représentera l’originalité de notre chapitre. Quant à la possession, bien qu’elle ait également été traitée auparavant 5 , nous offrons ici une nouvelle perspective d’examen de la question. Il s’agira de proposer une classification des moyens mis en œuvre en néo-égyptien pour exprimer la possession non prédicative (attributive). Quant au changement de genre, il a été mentionné par quelques spécialistes, mais n’a jamais reçu de traitement approfondi 6 . Notre recherche sur ce sujet offre donc de renouveler certaines problématiques sans prétendre à l’exhaustivité. Nous 1 L’intérêt peut également se porter sur l’émergence et/ou l’évolution du syntagme nominal ainsi que ses combinaisons avec d’autres syntagmes. On citera, par exemple, J. Winand qui s’est intéressé récemment à la coordination exprimée par Hna et irm, cf. sa communication « When and meets with » lors du Workshop « New Directions in Egyptian Syntax » (Liège, 12-14 mai 2011). De même, les recherches peuvent s’intéresser à une langue en particulier ou être d’ordre typologique et reposer sur un corpus plus ou moins étoffé. 2 On citera notamment B. Kroeber, Neuägyptizismen, p. 1-30 et A. Loprieno, Sviluppo dell’articolo, p. 1-27. 3 A. Erman, NÄG 2 , § 159a-170, § 176-178, § 183-185, § 188-191 ; M. Korostovtsev, Grammaire, p. 51-52 ; J. Černý, S. I. Groll, LEG, p. 53-55, 69-74 ; F. Junge, NÄG, p. 55-60. 4 Cf. J. Čern, S. I. Groll, LEG, p. 69-74. 5 A. Erman, NÄG 2 , § 107, § 164-169, § 208-209 ; M. Korostovtsev, Grammaire, p. 95-96 et 132-133 ; J. Černý, S. I. Groll, LEG, p. 13-20, 31, 43, 59-66, 74-76, 113-114 et 395 ; F. Junge, NÄG, p. 50, 53, 59-60, 62-64 et 94 ; F. Neveu, La langue des Ramsès, p. 237-241. Nous renvoyons également à la contribution de L. Depuydt, Genitive Particle. 6 K. Sethe, Verbum, 6 ; A. Erman, NÄG 2 , § 131 ; F. Lexa, Substantifs démotiques, dans Mélanges Maspéro, I, p. 401-411 ; J. Winand, Morphologie, §211, a.

Sujet et objectifs Le syntagme nominal est un domaine d'étude vaste

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Sujet et objectifs

Le syntagme nominal est un domaine d’étude vaste qui peut s’aborder selon plusieurs axes

de recherche. Il se compose d’un noyau représenté par un substantif ou son équivalent, à

savoir un infinitif, un adjectif substantivé ainsi que des formes adjectivales du verbe

substantivées. Il peut être accompagné de déterminants ou de modificateurs (adjectifs,

participes, formes relatives, etc.). Tous ces moyens offrent un champ de recherches

considérable1.

Dans le cadre de notre thèse, nous nous sommes orientée plus particulièrement vers

l’analyse de la détermination, de la possession et du changement de genre. Il apparaît que ces

thèmes ou certains aspects de ces thèmes ont été peu ou pas du tout étudiés. S’il est vrai que le

système des articles définis et indéfinis a déjà été abordé en égyptologie à plusieurs reprises,

notamment en ce qui concerne leur évolution2 et leurs emplois3, plusieurs points d’analyse

restaient à envisager. Par exemple, si certains scientifiques traitent de l’absence de

déterminant ou encore de « bare nouns4 », ils n’accordent pas de place à un déterminant zéro

au sein du paradigme des articles. Dans le cadre de nos recherches relatives à la

détermination, c’est donc l’étude de l’article zéro qui représentera l’originalité de notre

chapitre. Quant à la possession, bien qu’elle ait également été traitée auparavant5, nous

offrons ici une nouvelle perspective d’examen de la question. Il s’agira de proposer une

classification des moyens mis en œuvre en néo-égyptien pour exprimer la possession non

prédicative (attributive). Quant au changement de genre, il a été mentionné par quelques

spécialistes, mais n’a jamais reçu de traitement approfondi6. Notre recherche sur ce sujet offre

donc de renouveler certaines problématiques sans prétendre à l’exhaustivité. Nous

1 L’intérêt peut également se porter sur l’émergence et/ou l’évolution du syntagme nominal ainsi que ses combinaisons avec d’autres syntagmes. On citera, par exemple, J. Winand qui s’est intéressé récemment à la coordination exprimée par Hna et irm, cf. sa communication « When and meets with » lors du Workshop « New Directions in Egyptian Syntax » (Liège, 12-14 mai 2011). De même, les recherches peuvent s’intéresser à une langue en particulier ou être d’ordre typologique et reposer sur un corpus plus ou moins étoffé. 2 On citera notamment B. Kroeber, Neuägyptizismen, p. 1-30 et A. Loprieno, Sviluppo dell’articolo, p. 1-27. 3 A. Erman, NÄG2, § 159a-170, § 176-178, § 183-185, § 188-191 ; M. Korostovtsev, Grammaire, p. 51-52 ; J. Černý, S. I. Groll, LEG, p. 53-55, 69-74 ; F. Junge, NÄG, p. 55-60. 4 Cf. J. Černỳ, S. I. Groll, LEG, p. 69-74. 5 A. Erman, NÄG2, § 107, § 164-169, § 208-209 ; M. Korostovtsev, Grammaire, p. 95-96 et 132-133 ; J. Černý, S. I. Groll, LEG, p. 13-20, 31, 43, 59-66, 74-76, 113-114 et 395 ; F. Junge, NÄG, p. 50, 53, 59-60, 62-64 et 94 ; F. Neveu, La langue des Ramsès, p. 237-241. Nous renvoyons également à la contribution de L. Depuydt, Genitive Particle. 6 K. Sethe, Verbum, 6 ; A. Erman, NÄG2, § 131 ; F. Lexa, Substantifs démotiques, dans Mélanges Maspéro, I, p. 401-411 ; J. Winand, Morphologie, §211, a.

proposerons plusieurs hypothèses concernant les flottements de genre qui ouvriront la voie à

une recherche plus détaillée.

Notre recherche s’intègre dans le cadre du projet Ramsès. Le but de cette thèse est ainsi

d’apporter sa contribution à la réalisation du dictionnaire et de la grammaire de néo-égyptien

qui découleront de la base de données Ramsès7, sur laquelle le service d’Égyptologie de

l’Université de Liège travaille depuis la fin de l’année 2006.

Plan de travail

Les trois sujets envisagés dans le cadre de cette thèse – la détermination, la possession

attributive et le changement de genre – seront abordés dans trois chapitres successifs. Le

chapitre I, consacré à la détermination, nous amènera à étudier les déterminants des

substantifs. Pour les définir, il existe différents procédés. De manière générale, les articles

définis et indéfinis représentent les éléments traditionnels de la catégorie déterminants8.

Plusieurs spécialistes y ajoutent les démonstratifs, les possessifs et ce qu’ils nomment les

adjectifs indéfinis (quelques, plusieurs, etc.)9. Dans notre recherche, nous nous concentrerons

sur les articles définis, indéfinis et zéro. Le second chapitre s’intégrera parfaitement à sa suite

puisqu’il se concentrera sur la possession attributive. Enfin, dans le dernier chapitre, des

arguments tels que l’article défini et l’article possessif nous permettront d’étudier le genre des

substantifs et ses variations.

Dans un premier temps, l’étude des articles définis et indéfinis nous conduira à explorer un

contexte plus large prenant en compte les différents systèmes de définition existant pour les

langues du monde. Nous tenterons alors d’intégrer le système égyptien dans un de ces

modèles généraux. Ensuite, nous donnerons un aperçu de l’origine et de l’évolution des

articles en égyptien. Nous étudierons l’article défini et l’article indéfini en mettant en exergue

leurs emplois en tenant compte de ceux qui ont été peu traités jusqu’à présent. Cette analyse

7 Pour l’explication de la base de données Ramsès, cf. infra, p. 8-11. 8 Originellement, les articles définis et indéfinis forment la classe des Articles. Les grammairiens ont tendance à élargir cette classe par l’ajout d’autres éléments tels que les démonstratifs, les possessifs et les indéfinis et de la qualifier de classe des Déterminants. Pour la langue française, G. Guillaume, Le problème de l’article, reste la référence de base. On citera également M. Goyens, Syntagme nominal en français. Pour des études plus récentes accordant une place à la typologie, nous citerons : C. Lyons, Definiteness. 9 Le critère principal de l’extension de la catégorie à ces éléments repose sur des caractéristiques syntaxiques et paradigmatiques. Les spécialistes démontrent que les démonstratifs, possessifs et indéfinis ont un même comportement que les articles stricto sensu et peuvent commuter avec ces derniers.

nous permettra d’aborder l’opposition absence d’article – article zéro. Nous nous

intéresserons plus précisément à certains cas pour lesquels l’absence d’article est porteuse de

sens. Nous voulons montrer que celle-ci, outre le fait de noter la non-détermination d’un

substantif, peut conférer au mot un sens particulier ou, à tout le moins, une orientation

sémantique différente. Le groupe ø + substantif est alors significatif et c’est ce qu’il convient

d’appeler cas d’article zéro. Un tel sujet a été peu étudié en égyptologie10 et n’est pas sans

manquer d’intérêt. Si J. Winand en parle dans un article consacré aux zéros en égyptien

ancien11, la visée de son étude s’écarte de la nôtre dans la mesure où il s’intéresse à toute une

catégorisation de zéros. Dans notre travail, nous nous occuperons plus spécifiquement des

zéros au sein du syntagme nominal tout en proposant d’élargir le corpus de textes –

jusqu’alors fondé exclusivement sur le Récit d’Ounamon12. Cependant, l’étude de J. Winand

nous servira de base pour l’analyse de l’article zéro. Nous partirons des catégories de

substantifs définies dans son travail.

Nos recherches dans Ramsès concernant ce chapitre seront réalisées parmi les textes de la

pratique (lettres, textes administratifs et textes juridiques), ainsi que les récits narratifs de

fiction. En effet, seuls ces textes font un usage systématique de l’article défini. Outre les

diverses formules figées, les autres catégories de textes présentent des archaïsmes à différents

degrés, raison pour laquelle ils ne peuvent être pris en compte13. Notre étude se réalisera en

deux temps. Un premier cas d’étude prendra en compte les constructions mises en exergue par

les grammaires du néo-égyptien et dans lesquelles le substantif est sans déterminant. Nous

tenterons de répartir ces cas entre absence d’article et article zéro. Dans notre deuxième cas

d’étude, nous examinerons les zéros potentiels parmi les substantifs répartis selon des groupes

qui correspondent à ceux établis par J. Winand dans son article sur les zéros14. Il s’agit des

noms comptables, des noms propres, des noms de fonction, des noms de masse, des noms

collectifs et des noms abstraits. Nous étudierons chaque catégorie spécifiquement. Nous

séparerons ensuite les exemples significatifs des exemples non significatifs. Quelques cas

particuliers seront traités en profondeur afin d’illustrer au mieux notre propos.

10 On citera tout de même les travaux de A. Shisha-Halevy concernant l’article zéro en copte : A. Shisha-Halevy, Coptic Syntax (voir index « Zero Article » et « Zero vs. Nil Determination »). Nous renvoyons également à l’étude de J. Winand sur l’effacement de l’objet direct et du 2e argument, cf. J. Winand, Non-expression de l’objet direct, p. 205-234. Et plus récemment, la présentation faite par P. Vernus lors du Workshop « New Directions in Egyptian Syntax » (Liège, 12-14 mai 2011), consacrée essentiellement à l’effacement du 1er argument. 11 J. Winand, Zeroes in Egyptian, p. 319-339. 12 Notre corpus de textes est défini dans la partie réservée à la délimitation du corpus, cf. infra, p. 14-22. 13 Nous prendrons toutefois en considération les chants d’amour et les textes éducatifs. 14 J. Winand, Zeroes in Egyptian, p. 319-339.

Une telle analyse doit se fonder sur plusieurs critères. Pour pouvoir parler d’exemples

pertinents, il faut tout d’abord que le substantif dépourvu d’article s’intègre dans une

commutation paradigmatique, c’est-à-dire qu’il entre dans un système d’opposition avec

l’article défini et l’article indéfini. Il trouve alors sa place au sein du paradigme des articles.

Ensuite, l’ensemble doit s’incorporer dans un environnement syntaxique commun et, dès lors,

offrir une variation de sens. Notre but sera de fournir une catégorisation des cas d’absences

d’article, c’est-à-dire les cas où ø + substantif n’est pas commutable avec wa/pA + substantif et

est indifférent à toute variation sémantique. Cela posé, nous étudierons les cas potentiels

d’article zéro. Nous tenterons de démontrer que ø + substantif peut alterner avec wa/pA +

substantif tout en étant significatif.

Nous avons évoqué le fait que certains possessifs pouvaient aussi marquer la

détermination. À l’instar de l’article défini, l’article possessif entre progressivement dans la

langue en moyen égyptien, c’est-à-dire en égyptien du Moyen Empire non littéraire, pour

connaître un plein emploi en néo-égyptien. Puisque certains procédés exprimant la possession

peuvent servir à déterminer un substantif, il conviendra de s’intéresser à l’étude de la

possession non prédicative dans le chapitre II. Si l’étude de l’article se concentre sur les textes

de la pratique, l’étude de la possession impose l’analyse de notre corpus dans sa totalité. En

effet, le choix du texte, ou même du registre, peut être révélateur d’un procédé plus ou moins

archaïque ou plus ou moins moderne. Par exemple, on peut supposer qu’un document royal

fera un usage plus fréquent du pronom suffixe tandis qu’une lettre utilisera davantage l’article

possessif. Nous étudierons ces divers procédés (le pronom suffixe, l’article possessif

pAy.i/tAy.i/nAy.i, les génitifs direct et indirect, le pronom indépendant ainsi que la préposition

m-di) à travers une analyse structurée en trois points principaux :

1) L’environnement syntaxico-sémantique : nous nous poserons la question du rôle du

sémantisme d’un substantif ou de l’influence de la catégorie lexicale, de l’opposition

aliénable vs. inaliénable, de l’emphase, de la définition du possesseur et du possédé ;

2) Le type de texte et/ou de registre ;

3) L’évolution diachronique des constructions.

Notre objectif pour ce chapitre est d’établir une classification des moyens d’expression de la

possession attributive en fonction de leur emploi et de leur signification.

Le chapitre III sera consacré au changement de genre. Nous nous attacherons à démontrer

que certains substantifs ont connu un changement, voire un dédoublement de genre, qu’il soit

significatif ou non. L’intérêt d’un tel sujet s’est présenté alors que nous abordions les articles

définis. Nous avons découvert un exemple de substantif féminin accompagné d’un article

masculin. D’emblée, l’erreur de scribe nous a paru difficilement concevable. En effet, ce

texte, le papyrus Turin 197115, montre un usage tout à fait régulier des articles, démonstratifs

et possessifs. De plus, c’est à deux reprises que le terme wp.t est noté avec l’article

masculin16. En tentant d’approfondir nos recherches sur le sujet, nous nous sommes aperçue

qu’il avait été peu traité et souvent de façon sommaire17. L’étude du genre s’est révélée être

un point important dans une étude consacrée aux substantifs. L’explication est simple : en

ancien et moyen égyptien, les marques de genre sont d’abord placées sur les substantifs eux-

mêmes. L’apparition de l’article et la chute des terminaisons de genre déplacent le poids des

marques de genre et de nombre sur l’article ou l’un de ses substituts. L’étude du genre, et plus

particulièrement de ses variations, s’articule bien avec les deux chapitres précédents. En effet,

nous verrons que l’article, ou son substitut, peut jouer un rôle18 dans le processus de

changement ou de flottement de genre. Nous prendrons également en compte la totalité de

notre corpus pour réaliser cette recherche19. Même si nos principaux arguments résident dans

l’usage de l’article défini ou de l’un de ses substituts, nous utiliserons aussi les terminaisons

du pseudo-participe ainsi que le pronom de rappel comme critères utiles pour déterminer le

genre d’un substantif. Le critère de l’article, comme nous l’avons souligné plus haut, demande

de se fonder principalement sur le néo-égyptien complet. En revanche, le critère du pseudo-

participe réclame un corpus qui s’étend également aux textes plus conservateurs, textes dans

lesquels les désinences auront tendance à se maintenir. Avant toute chose, il nous faudra

définir des arguments solides qui nous permettront d’établir le genre d’un substantif. Nous

détaillerons chacun de ces moyens et nous les classerons selon leur degré de pertinence. Nous

émettrons ensuite nos hypothèses en envisageant tous les cas possibles de changement de

genre ou de dédoublement de genre. Nous délimiterons des schémas théoriques en nous

fondant principalement sur la contribution de M. Roché20 concernant les variations de genre

15 J. Černỳ, LRL, p. 31-33 ; E. Wente, Letters, p. 192-193, n° 314. 16 iw.i (Hr) rdi.t.s n sAw X r pA wp ( ) n niw.w « je l’ai donnée au gardien X pour le travail des lances »

(P. Turin 1971, v° 1 = LRL 32, 6-7) ; iri.i pA wp ( ) n niw.w « j’ai accompli la tâche des lances » (P. Turin 1971, v° 2-3 = LRL 32, 8-9). 17 Nous renvoyons aux références citées en note 6. 18 Cf. infra, p. 285-286. 19 Nous ferons également référence à quelques textes qui ne sont pas compris dans notre corpus initial. 20 M. Roché, Variation non flexionnelle.

en langue française. Finalement, nous tenterons d’illustrer au mieux ces cas par des exemples

en néo-égyptien, mais nous examinerons aussi brièvement l’évolution des termes dans les

phases postérieures de la langue, c’est-à-dire en démotique et en copte21.

La base de données Ramsès

La description de notre démarche rend nécessaire la présentation de l’outil que nous avons

utilisé lors de nos recherches : la base de données Ramsès22. Elle a été développée au sein du

service d’Égyptologie de l’Université de Liège23, à la suite d’une table ronde « Informatique

et Égyptologie », qui eut lieu à Oxford en 2006. L’objectif de ce projet est de rassembler,

d’encoder et d’analyser tous les textes rédigés en néo-égyptien et, à terme, de prendre en

compte tous les documents datés de la 18e à la 25e dynastie.

La mise en forme de cet outil informatique a nécessité plusieurs phases de travail. La

première tâche fut l’encodage d’un lexique provisoire, lequel fut modifié au fur et à mesure de

l’avancement du projet. Nous avons intégré le contenu du dictionnaire néo-égyptien de

L. H. Lesko24 qui fut complété et enrichi par l’ajout des nouveaux mots rencontrés durant

l’encodage. Les traductions des lemmes ont été ajustées par la suite et font toujours l’objet

d’un travail régulier. Ensuite, la documentation a été répartie entre les membres du projet

selon les types de textes (contes, lettres, textes administratifs, textes juridiques, etc.). Chaque

texte à encoder a fait l’objet d’une translittération, d’une traduction, de l’encodage des

graphies et d’une analyse morphologique.

Ramsès comprend un éditeur de textes, un éditeur de lexique, un outil de recherches et un

module de bibliographie. Une analyse syntaxique est en cours de développement25.

Actuellement, des requêtes sur les graphies, les lemmes ou la morphologie sont réalisables.

Les recherches de type grammatical permettent des interrogations sur les catégories du

discours et de la narration, les substantifs, les pronoms, les verbes, avec une description assez

précise de ce que l’on vise. Des requêtes plus complexes sont également possibles. Il est dès

lors facile de combiner de diverses manières toutes ces requêtes. Celles-ci peuvent être

21 Nous consulterons uniquement les ouvrages généraux tels que les grammaires et les dictionnaires. 22 Pour cette partie, nous renvoyons à J. Winand, S. Polis et S. Rosmorduc, Ramses. 23 La partie informatique de ce projet a été développée sous la direction de S. Rosmorduc. 24 L. H. Lesko, DLE. 25 Nous renvoyons à la communication de S. Rosmorduc lors de la table ronde « Informatique et Égyptologie » (Liège, juillet 2010) et lors du Workshop « New Directions in Egyptian Syntax » (Liège, 12-14 mai 2011) : The Syntactic Layer in Ramsès.

réalisées à travers tout le corpus de textes encodés. Cela signifie que tous les textes de chaque

genre, mais également de chaque époque sont pris en compte. La base de données permet

aussi de sélectionner des documents selon leur appartenance à une sous-catégorie et de

restreindre la recherche à une période de temps délimitée (fig. 1). Chaque texte fait l’objet

d’une description comprenant notamment la catégorie littéraire. À ce jour, les groupes

suivants ont été définis : les contes26, les documents royaux, les hymnes et poèmes, les lettres,

les textes administratifs, les textes éducatifs, les textes juridiques et les questions oraculaires.

Fig. 1: Sélection d’une catégorie de textes

Enfin, l’utilisateur peut encore choisir un ou plusieurs texte(s) à l’intérieur du corpus (fig. 2).

Le cadre de gauche reprend tous les textes encodés dans la base ; il suffit dès lors de faire

glisser dans le cadre de droite le ou les texte(s) sur le(s)quel(s) porte la recherche :

26 Nous les nommerons « récits (narratifs) de fiction ». Cf. A. Loprieno, Defining Egyptian Literature, p. 43 : « I define ‘fictionality’ as the textual category whereby an implicit mutual understanding is created between author and reader to the effect that the world presented in the text need not to coincide with the real world and that no sanctions apply in case of discrepancy. ».

Fig. 2 : Sélection de textes particuliers

Les apports et les bénéfices d’une telle base de données sont évidents, surtout en

comparaison avec d’autres bases de données plus générales ou plus limitées comme le TLA.

Tout d’abord, elle permet des recherches précises et rapides à travers un vaste corpus de

textes. Par ailleurs, elle peut actuellement servir à un travail comme le nôtre, qui traite du

substantif. Si cette base de données offre de nombreux avantages, à l’heure actuelle elle

présente toutefois certaines limites. En effet, Ramsès est toujours en cours d’élaboration27 et

chaque jour, de nouveaux textes y sont encodés. La sélection de textes opérée dans le cadre de

ce travail a été arrêtée à l’été 201028. Or, les recherches effectuées sur la base de données

prennent en compte les nouveaux textes encodés après cette date. Il n’est pas possible de

sélectionner les textes selon un critère de date d’encodage. De plus, à ce jour, seules des

recherches concernant les graphies, les lemmes ou la morphologie sont réalisables. Celles-ci

sont déjà très utiles, mais l’outil de recherche n’a pas encore atteint toutes ses capacités. Un

module d’analyse syntaxique permettant des requêtes plus complexes est en cours de

développement29. Même si les avantages de la base de données Ramsès sont importants, il

nous semblait indispensable d’exposer les conditions dans lesquelles ce travail a été réalisé.

27 Cette remarque vaut aussi pour d’autres bases de données telles que le TLA (qui a récemment ajouté un certain nombre de textes à ceux déjà répertoriés). D’une manière générale, l’encodage dans des bases de données de ce type n’est jamais terminé. En effet, de nouveaux textes, mais également de nouvelles analyses viennent l’enrichir fréquemment. 28 Une liste complète des textes utilisés dans cette thèse se trouve en annexe. 29 Suite à la table ronde « Informatique et Égyptologie » de Liège en 2010, un article de S. Polis et S. Rosmorduc est à paraître : S. Polis, S. Rosmorduc, Syntactic Layer. À terme, le module de requêtes intégrera tous les niveaux d’analyse.

Notre sujet de thèse s’intègre parfaitement dans le projet Ramsès. En effet, outre

l’encodage des textes datant du Nouvel Empire et de la TPI ainsi que leurs diverses analyses,

Ramsès vise la création d’un dictionnaire de néo-égyptien en ligne. Ainsi, les conclusions de

notre étude seront utiles à la continuation du projet.

Le corpus30

Il nous semble important de rappeler ce que le mot « corpus » signifie lorsqu’il s’applique

à l’égyptien ancien. L’égyptien, comme nous le savons, n’est plus une langue parlée ; cela

implique que notre corpus repose exclusivement sur des sources écrites, et ce, avec les

difficultés que cela suppose. Premièrement, il existe un décalage linguistique entre la langue

parlée et la langue écrite ; cette dernière est davantage soumise à des règles normatives31 et,

de ce fait, évolue moins rapidement que la langue parlée. En effet, même les textes de la

pratique tels que les lettres ou les documents administratifs ou encore juridiques, bien que

proches de la langue parlée, sont soumis à certaines règles de rédaction et structurés par

certaines formulations. Il y a donc toujours un décalage par rapport à la langue parlée. Comme

le dit très justement P. Vernus :

« Les documents “profanes” donnent au sermo quotidianus un accès qui n’est pas

nécessairement tout à fait immédiat, car le fait même de les consigner par écrit en déforme

les productions originales. Même si les dépositions des truands laissent passer quelques mots

d’argot (…) elles portent aussi, néanmoins, la marque de reformulations effectuées par les

greffiers chargés de les enregistrer pour le procès-verbal. Quant au style épistolaire, et plus

encore quant au style administratif, ils comportent inévitablement un cortège de

formulations, de tournures ou de mots étrangers aux expressions spontanées de la vie

quotidienne. Cela posé, demeure une masse documentaire reflétant, ou, à tout le moins,

fortement influencée par le vernaculaire. » 32

Et D. Sweeney d’ajouter :

30 Pour quelques références concernant la linguistique de corpus en général : M. Bilger, Corpus ; A. Lüdeling, M. kytö (éds), Corpus Linguistics, HSK 29, 2 vol. 31 D. Sweeney, Correspondence, p. 19. 32 P. Vernus, Diglossie, p. 556. On citera également J. Winand qui a traité de manière détaillée du problème de la reformulation des dépositions dans les Tomb Robberies : J. Winand, Words of Thieves.

« Although non-literary Late Egyptian is sometimes described as an attempt to reduplicate

the spoken language, we should not envisage non-literary texts simply as transcripts of

conversations. Late Egyptian non-literary texts are probably much closer to the

contemporary vernacular than other contemporary texts, but an ancient Egyptian speaking

would nonetheless structure his or her utterances rather more loosely than in writing. » 33

Deuxièmement, le contexte dans lequel s’inscrit un document n’est pas toujours clair. Nous

pensons particulièrement à la documentation épistolaire. En effet, il est rare de posséder à la

fois une lettre et la réponse qui lui correspond34 ; même lorsque cela se produit, le contexte

n’est pas toujours aisé à définir. De plus, les textes conservés, à tout le moins ceux du Nouvel

Empire, sont déséquilibrés géographiquement. La majorité d’entre eux provient du sud de

l’Égypte et, plus particulièrement, de Deir el-Médineh. En effet, 90% de la documentation

répertoriée dans notre corpus est originaire du sud de l’Égypte contre seulement 10% pour le

nord du pays.

L’établissement d’un corpus doit prendre en compte divers critères. Il faut tout d’abord

choisir une langue ou un état de langue en rapport avec le sujet présenté. Il doit ensuite être

délimité temporellement (dimension diachronique) et défini géographiquement (dimension

diatopique ou dialectale). Enfin, il est nécessaire d’effectuer une séparation des textes par

genres et une mise en exergue des registres de langue employés (dimension diaphasique).

33 D. Sweeney, Correspondence, p. 19-20. 34 On connaît tout de même certains exemples de lettres avec leur réponse. Une lettre datant d’Amenemhat III (= P. Berlin 10016) est rédigée en colonnes et la réponse à cette missive est écrite entre les colonnes et, dans un souci de clarté, en rouge : cf. U. Luft, Briefe aus Illahun, p. 29-33 et pl. 1. Dans son édition, le texte se trouve en ligne horizontale, mais la planche hiératique montre bien que le texte est en colonnes et que la réponse se situe dans l’intercolonne. De même, plus proches de nos préoccupations, deux lettres du corpus des LRL semblent former une lettre et sa réponse : il s’agit de la LRL n° 3 (= P. BN 199,5-9+196,V+198,IV ) et de la LRL n° 8 (= P. Genève D 407). Dans la première, le scribe Djéhoutymose demande au scribe Boutehamon de lui rendre service et de s’occuper des tâches agricoles qui lui incombent, mais également de prendre soin de la chanteuse d’Amon Shedemdouat et de ses enfants ainsi que de Hemetsheri et de sa fille. La seconde missive comporte la réponse aux requêtes agricoles et donne des nouvelles de Shedemdouat, Hemetsheri et leurs enfants. Ainsi, Djéhoutymose dit dans sa lettre : xr m-di tm nni <n> sHn nb ink nty m sx.wt m nA it r skA.w r dgA n.i nA wAD.w m-mitt mtw.k di.t Hr.k <n> Sd-m-dwA.t nAy.s aDd.w Sri.w Hm.t-Sri tAy.s aDd.t Sri.t « et ne néglige aucune des tâches agricoles qui m’incombent, à savoir semer les grains et planter les légumes à ma place. De même, prends soin de Shedemdouat et de ses enfants ainsi que de Hemetsheri et de sa fille » (P. BN 199,5-9+196,V+198,IV, 11-14 = LRL 5,15-6,3). Et Boutehamon lui répond : Hna-Dd ir pA hAb i.ir.k r-Dd m iri nni m md.t nb.t ink sHn nb nty m sx.wt nA it r skA r dgA nA wAD.w m-mitt in.k di.i [ ] nA wAD.w st dgA nA it bw iri.i rwi rd.wy im mtw.k di.t Hr.k n Smay n imn Sd-m-dwA.t nAy.s aDd.w Sri.w Hm.t-Sri tAy.s aDd.t Sri in.k iry.i sp-sn pA nty nb iw.i (r) rx iri.f n.w y A st anx m [pA hrw] dwAw <Hr> a.wy <n> pA nTr « quant à ce que tu as écrit : ‘ne néglige aucune de mes affaires, aucune tâche agricole, (à savoir) les grains à semer et planter les légumes de même’, ainsi as-tu dit. J’ai fait en sorte [ ] (quant aux) légumes, ils sont plantés, (quant aux) grains, je n’arrive pas à m’en dépêtrer. ‘Et prends soin de la chanteuse d’Amon Shedemdouat et de ses enfants ainsi que de Hemetsheri et de sa fille’, ainsi as-tu dit. Je ferai vraiment tout ce que je pourrais faire pour eux. En vérité, ils sont vivants aujourd’hui, mais demain est dans les mains du dieu » (P. Genève D 407, 9-15 = LRL 14,10-15,1).

Le choix de la langue et la délimitation géographique et temporelle

Le néo-égyptien s’est imposé de manière évidente. Plusieurs raisons justifient le choix de

cette langue. Comme nous l’avons déjà dit, le service d’Égyptologie de l’Université de Liège

travaille sur une base de données s’intéressant, dans un premier temps, aux textes rédigés dans

cet état de langue. Par ailleurs, pour que notre investigation sur la détermination soit la plus

pertinente possible, il nous fallait utiliser un corpus dans lequel les informations nécessaires à

notre analyse pouvaient être trouvées et le néo-égyptien est le premier état de langue à utiliser

systématiquement l’article.

La répartition géographique de notre corpus – et du corpus néo-égyptien en général – est,

nous l’avons évoqué, inégale. Il ne sera donc pas tenu compte de ce facteur dans nos

recherches. Toutefois, nous en reparlerons dans le chapitre consacré au genre et ses variations.

Dans le cadre de notre travail, nous avons essentiellement pris en compte les textes du

Nouvel Empire. Plus exactement, nous avons choisi comme point de départ les textes

conservés à partir de la 18e dynastie et nous avons sélectionné la 21e dynastie comme limite

ultime de nos recherches. Ce choix ne repose pas sur des considérations linguistiques. Il s’agit

d’une décision en partie conditionnée par l’état d’avancement de Ramsès. Si ce n’est le corpus

des Oracular Amuletic Decrees, la base de données ne comprend guère de textes postérieurs à

la 21e dynastie35. Précisons d’emblée que cette délimitation temporelle, qui couvre environ six

siècles, constitue une fourchette chronologique suffisamment longue pour nous permettre

d’étudier des phénomènes linguistiques en tenant compte de leur évolution au sein d’un même

état de langue. En outre, cette période contient un nombre impressionnant de textes qui

dépasse en quantité et en variété tout ce qui existe pour les périodes antérieures. Afin de

donner une perspective diachronique à nos recherches, nous ne pouvions négliger les périodes

limitrophes ; c’est pourquoi nous nous intéresserons aussi occasionnellement au moyen

égyptien ainsi qu’au démotique et au copte36, sans toutefois les aborder de manière

approfondie.

35 Rappelons que nous faisons référence à l’état de la base de données au moment où nous avons clôturé notre corpus. En effet, Ramsès est en perpétuelle évolution, et des textes postérieurs à la 21e dynastie y ont été ajoutés depuis lors. 36 Il faut rappeler ici que le copte comporte 5 dialectes majeurs (l’akhmimique, le bohaïrique, le fayoumique, le lycopolitain et le sahidique). Sur la variation dialectale du copte et sa classification, la littérature spécialisée est abondante. Une bonne synthèse se trouve dans les articles de R. Kasser dans, Coptic Encyclopedia, p. 74-101.

Les catégories de textes

Le choix des documents dépend, une fois de plus, des textes encodés dans Ramsès au

moment de la clôture de notre corpus. Signalons dès à présent que tous ces textes ne reflètent

pas le même état de langue. La langue varie selon le genre textuel. Ainsi, une lettre, un texte

juridique ou un texte administratif seront rédigés dans un néo-égyptien complet37. En

revanche, les documents royaux, par exemple, demeurent fort imprégnés de la langue

ancienne et utilisent ce que P. Vernus a nommé « égyptien de tradition »38. En outre, ces

textes ne sont pas répartis uniformément dans le temps.

Voici la liste des types de textes disponibles39 :

- Les documents royaux : parmi ces textes se trouvent principalement des décrets. Ce

sous-corpus est certainement le plus conservateur quant à la langue utilisée. Il s’agit de

textes rédigés en grande partie en « égyptien de tradition », mais comportant des traits

néo-égyptiens. Ces documents traitent de la construction ou de l’érection d’un

monument (temple, statue, obélisque, etc.), de l’organisation d’une fête, du

creusement d’un canal, de l’ouverture d’une carrière, de la donation d’offrandes

divines, de jubilés royaux, de victoires sur les ennemis, de restaurations ou

constructions de monuments, etc. Plusieurs documents contiennent le récit des

mariages hittites de Ramsès II. Pour la 18e dynastie, notre corpus comprend

notamment les textes suivants : la Stèle Caire CG 34006 (Thoutmosis I), la Stèle Caire

CG 34012 (Thoutmosis III), la Stèle Caire CG 34019 (Amenhotep II), les Stèles

frontières d’Amarna (Akhénaton) ; pour la 19e dynastie : la Stèle Louvre C57 (Ramsès

I), la Stèle BM 1189 (Séthi I), le Décret de Nauri (Séthi I), la Statue JE 72000

(Ramsès II) ; pour la 20e dynastie : la Stèle du Fayoum (Ramsès III), le Papyrus Caire

ESP B (Ramsès IX). Les documents royaux ont une place à part dans notre corpus.

Lorsque nous traiterons du copte au sein de ce travail, il s’agira du bohairique et du sahidique, qui représentent les deux dialectes les plus importants. 37 Pour la définition de « néo-égyptien complet », de « néo-égyptien mixte » et de « néo-égyptien partiel », cf. infra, p. 23-24. 38 P. Vernus, sA-mw.t, p. 139 et n. 136 : il définit l’égyptien de tradition comme une « langue artificielle, mimétique du moyen égyptien à partir de la fin de la XIIe dynastie » et ajoute que « le terme ‘égyptien de tradition’ s’applique à un ensemble de langues artificielles ayant en commun l’intention chez celui qui les utilise d’imiter le moyen, voire l’ancien égyptien.». 39 Nous ne traiterons pas des questions oraculaires, qui ne représentent souvent qu’une seule ligne et ne sont donc pas suffisamment informatives dans le cadre notre étude.

Nous ne les exploiterons pas pour l’analyse de la détermination. En revanche, ils

seront nécessaires pour les analyses de la possession et du genre.

- Les lettres : nous avons placé dans cette catégorie aussi bien les lettres réelles, parmi

lesquelles nous trouvons des lettres isolées ou des groupes de lettres (LRL, LRLC, les

lettres d’el-Hibeh)40 que les lettres fictives ou modèles que l’on retrouve notamment

dans le corpus des LEM41. La documentation découverte nous a livré un corpus de

lettres assez étoffé pour les différentes époques. Il permet une étude intéressante du

syntagme nominal.

- La poésie amoureuse, les éloges et les prières42 : cette documentation est

particulièrement bien attestée à la 19e dynastie (plus de 90% des cas). À cette époque,

la poésie amoureuse est illustrée notamment par le papyrus BM EA 10060/papyrus

Harris 500, à la 19e-20e dynastie par l’ostracon Borchardt 1, l’ostracon DeM 1266 +

ostracon Caire CG 25218, et à la 20e dynastie par le papyrus BM EA 10681/papyrus

Chester Beatty 1. Les éloges à la ville, aux dieux, au roi, etc. se rencontrent

principalement dans les LEM. Ils se répartissent de la 18e à la 21e dynastie bien que,

dans notre corpus, la 18e dynastie ne nous en offre que deux (O. Nakhtmin 87/173,

Graffito TT 63) et la 21e dynastie un seul (P. Rainer 53/LEM 137-138). Les prières

sont attestées pour les 19e (tous les documents recensés pour notre corpus proviennent

des LEM) et 20e (O. Turin 57002) dynasties. Bien que le système nominal n’y évolue

pas aussi rapidement que dans les textes de la pratique, ces documents nous seront

utiles notamment dans l’étude du générique.

- Les récits narratifs de fiction : il s’agit de quatre textes datés de la 19e dynastie (Vérité

et Mensonge = P. BM EA 10682, Prince Prédestiné = P. BM EA 10060, Prise de

Joppé = P. Harris 500 verso, Deux Frères = P. BM EA 10183), d’un texte de la 20e

40 Pour les LRL, nous renvoyons à l’édition de Černý : J. Černý, LRL, et pour la traduction : E. F. Wente, LRL et E.F. Wente, Letters. Pour les LRLC, nous renvoyons pour l’édition et la traduction à J. J. Janssen, LRLC. Enfin, pour les lettres d’el-Hibeh, nous renvoyons à la thèse de doctorat de D. Lefèvre pour l’édition et pour les traductions : D. Lefèvre, Les papyrus d’‘el-Hibeh’, II et III. 41 Pour l’édition, nous renvoyons à : A. H. Gardiner, LEM ; et pour la traduction : R. A. Caminos, LEM ; N. Tacke, Verspunkte. Comme son nom l’indique, l’étude de N. Tacke se fonde sur les textes ponctués. 42 Pour une édition des chants d’amour : B. Mathieu, La poésie amoureuse ; et pour une traduction : B. Mathieu, La poésie amoureuse ; P. Vernus, Chants d’amour. Pour une édition des éloges : C. Ragazzoli, Éloges ; A. H. Gardiner, LEM. ; pour une traduction : C. Ragazzoli, Éloges ; R. A. Caminos, LEM. Enfin, pour l’édition des prières : A. H. Gardiner, LEM. ; et pour une traduction : R. A. Caminos, LEM.

dynastie (Horus et Seth = P. BM EA 10681) et d’un texte de la 21e dynastie (Récit

d’Ounamon = P. Moscou 120). En raison de leur longueur, ces textes sont d’un grand

intérêt pour l’étude du syntagme nominal.

- Les textes administratifs : notre corpus ne comprend aucun texte pour la 18e dynastie

ni pour la 21e dynastie. On dénombre 17 textes pour la 19e dynastie, principalement les

documents repris dans les RAD43. Pour la 20e dynastie, nous avons encore quelques

textes cités dans les RAD (P. Turin 1880, P. Turin 1888, P. Turin 1895+2006). Bien

qu’ils soient encore peu nombreux dans la base de données Ramsès, ils nous

permettent, par leur longueur et leur contenu, un relevé intéressant des informations

concernant le syntagme nominal.

- Les textes éducatifs (enseignements, recueils de prohibitions, etc.)44 : parmi ces textes,

les enseignements conservés sont, en règle générale, des versions diverses d’un seul et

même texte. Celles-ci sont inscrites sur papyri ou ostraca et sont de longueur variable.

Ce genre de document est bien représenté aux 19e et 20e dynasties. Pour la 19e

dynastie, notre corpus contient l’enseignement d’Ani45, dont la version la plus

complète est conservée sur le papyrus Caire CG 58042 (= P. Boulaq) 446, mais qui

connaît d’autres versions sur ostraca (9 ostraca47) et sur papyri (3 papyri48).

L’enseignement d’Amennakht, quant à lui, s’inscrit dans la 20e dynastie et est conservé

sur 16 ostraca49. L’enseignement d’Aménémopé50, qui pourrait dater de la 20e dynastie,

voire de la 21e dynastie et dont la version principale est le papyrus BM 10474, est

conservé sur un ostracon (O. Caire CG 1840), sur un papyrus (P. MM 18416) et deux

tablettes (T. Moscou I 1 D 324, T. Turin 58005). L’exemple le plus célèbre des textes

éducatifs est sans doute le papyrus Anastasi I51 qui emprunte la forme d’un document

43 Pour l’édition des RAD : A. H Gardiner, RAD. 44 Pour une traduction des sagesses : P. Vernus, Sagesses. 45 Pour une édition et une traduction : J. F. Quack, Ani. 46 Il faut toutefois être prudent car il s’agit d’une copie de la 21e dynastie. 47 O. DeM 1063, O. DeM 1257, O. DeM 1258, O. DeM 1259, O. DeM 1639, O. DeM 1658, O. DeM 1659, O. DeM 1660 et O. Gardiner 357. 48 P. BM EA 10685, P. DeM 1 et P. Louvre E 30144. 49 O. BM EA 41541, O. Caire CG 25770, O. Caire s. n., O. DeM 1036, O. DeM 1248+O. Bruxelles E 6444, O. DeM 1249, O. DeM 1254, O. DeM 1255, O. DeM 1256, O. DeM 1596, O. DeM 1599, O.Grdseloff, O. KV 18/3.614+627, O. Lacau, O. Munich 396 et O. Turin 57436. 50 Pour une édition et une traduction : V. P.-M. Laisney, Aménémopé. Voir également P. Vernus, c.r. de Laisney, p. 532-557, qui revient sur certaines traductions proposées par V. P.-M Laisney. 51 Pour une édition : H.W. Fischer-Elfert, Satirische Streitschrift ; pour une traduction: H. W. Fischer-Elfert, Satirische Streitschrift et E. F. Wente, Letters, p. 98-110.

épistolaire. Bien que le système nominal n’y évolue pas aussi rapidement que dans les

textes de la pratique, ces documents nous seront utiles, notamment dans l’étude du

générique.

- Les textes juridiques : ils sont attestés de la 18e à la 21e dynastie. Le décret

d’Horemheb est le seul document juridique répertorié pour la 18e dynastie. Ce texte est

particulier car il s’agit d’une production royale, mais son contenu est juridique52. La

plupart des documents juridiques datent de la 20e dynastie (93 textes)53. En effet, le

hasard des découvertes et de la conservation des documents a fait qu’ont été préservés

les grands textes juridiques de la 20e dynastie, comme ceux de la conspiration du

harem ou des pillages de tombes (papyrus judiciaire de Turin, Tomb Robberies)54. La

21e dynastie comporte trois textes plus spécifiques puisqu’il s’agit de décrets

oraculaires à contenu juridique : Texte oraculaire de Djéhoutymose, Décret oraculaire

pris en l’honneur de Henouttaouy et Décret oraculaire pris en l’honneur de

Maâtkarê55. Les documents juridiques sont attestés pour chaque période et les 19e et

20e dynasties comportent des textes parfois assez longs. Ces documents sont donc

intéressants pour l’étude du syntagme nominal.

Le tableau suivant reprend le nombre de textes et de mots formant notre corpus classés par

catégorie littéraire et par dynastie. Le premier nombre correspond aux textes et le second aux

mots :

52 Un argument supplémentaire pour l’insertion de ce texte dans la catégorie juridique est la langue employée. Malgré un certain conservatisme linguistique, les traits néo-égyptiens sont bien plus présents que dans les autres documents royaux de la même époque. Pour une étude détaillée du décret d’Horemheb : J.-M. Kruchten, Décret d’Horemheb. 53 Le nombre total de textes juridiques utilisés dans notre corpus est de 133. 54 Pour une édition : KRI VI, 468-516 et 743-837. Pour une traduction : T. E. Peet, TR ; voir aussi, A. J. Peden, Historical Inscriptions, p. 225-280 ; J. F. Quack, P. Rochestert MAG 51.346.1, p. 219-232. 55 Pour une édition et une traduction du texte oraculaire de Djéhoutymose : J.-M. Kruchten, Djéhoutymose. Pour une édition et une traduction des décrets oraculaires pris en l’honneur de Henouttaouy et de Maâtkarê : J. Winand, Décrets oraculaires.

Dynastie Documents

royaux Lettres

Poésie, Éloges,

Prières

Récits de

fiction

Textes

administratifs

Textes

éducatifs

Textes

juridiques

18e 37/19952 21/2422 2/227 Ø Ø Ø 1/1880

19e 40/16861 174/23128 32/5609 4/7566 17/2541 41/11268 29/6067

19e-20e Ø 15/374 14/1630 Ø Ø 13/955 Ø

20e 13/2184 165/25042 8/3034 1/4941 14/8689 29/3990 93/39279

20e-21e Ø Ø Ø Ø Ø 5/3782

Ø

21e Ø 71/4269 1/120 1/2997 Ø 1/2864 10/7825

Totaux 90/38997 446/55235 57/10620 6/15504 31/11230 89/22859 133/55051

Totaux généraux

852/209496

Tab. 1: Récapitulatif des textes

Comme illustré dans ce tableau, les lettres représentent le groupe de documents le plus

important du corpus (soit plus de la moitié) tandis que les textes administratifs et les récits de

fiction n’en constituent qu’une part infime. Le nombre de textes n’est cependant pas le seul

critère à prendre en compte. En effet, si les lettres sont fortement représentées, contrairement

aux récits de fiction, elles sont souvent très brèves. Par contre, ces derniers, par leur longueur,

peuvent également fournir des renseignements précieux. C’est ce que révèlent les effectifs de

mots. Concernant les textes juridiques, il suffit de les comparer au nombre de lettres

répertoriées pour la 20e dynastie. Ils en représentent un peu plus de la moitié : 93 textes

juridiques contre 165 lettres et pourtant le nombre de mots dans les documents juridiques est

plus élevé que dans la documentation épistolaire.

De même, on notera que la répartition chronologique des catégories de textes est loin

d’être uniforme. Les 19e et 20e dynasties comptent des exemples pour chaque catégorie tandis

que la 18e dynastie ne comprend aucun texte administratif, aucun texte éducatif et aucun récit

de fiction. Pour la 21e dynastie, on dénombre principalement des documents épistolaires. À

côté des lettres, nous n’avons qu’un seul récit de fiction, un éloge et un texte éducatif. La

richesse de la documentation épistolaire de la 21e dynastie s’explique par une étude récente

des lettres d’el-Hibeh56. On notera que la nature du corpus varie considérablement en fonction

des découvertes et des publications. Il est important de souligner que la prédominance de la

56 Cf. D. Lefèvre, Les papyrus d’‘el-Hibeh’. L’origine de ces lettres est discutée par M. Müller qui conteste la provenance d’el-Hibeh et suggère comme lieu d’origine el-Ahaiwah, cf. M. Müller, The „el-Hibeh“-Archive.

documentation de Deir el-Médineh joue un rôle particulier. Comme nous l’avons dit

précédemment, la majeure partie de notre documentation provient de cette région. De plus,

bien qu’il soit difficile de préciser la période d’occupation du site, nous savons que le village

a principalement été habité durant les 19e et 20e dynasties. En effet, c’est Horemheb qui, le

premier, fait agrandir le village et celui-ci n’était plus habité dès la fin de la 20e dynastie57.

Certains textes ne peuvent être datés avec précision. Dans ce cas, nous avons regroupé sous

les dénominations 19e-20e dynastie et 20e-21e dynastie les textes pour lesquels il y a une

hésitation entre deux datations58. Nous signalons par cette indication que le texte date de la fin

de la 19e dynastie (20e dynastie) voire du début de la 20e dynastie (21e dynastie).

Il est nécessaire d’apporter une remarque supplémentaire pour les textes éducatifs : nous

avons comptabilisé chaque version d’un même enseignement. Par exemple, la 20e-21e

dynastie comporte huit textes dans la catégorie « textes éducatifs », mais il s’agit dans tous les

cas de l’enseignement d’Aménémopé. En effet, les enseignements qui nous sont parvenus pour

le Nouvel Empire comportent généralement plusieurs versions. De même, Ramsès ne

dénombre pas moins de quatorze versions sur ostraca de L’enseignement d’Amennakht, neuf

versions sur ostraca et quatre versions sur papyri de l’enseignement d’Ani59. Les statistiques

devraient donc être affinées pour distinguer les textes uniques des copies.

Observons ces deux graphiques suivants, qui présentent les données en tenant compte

respectivement du nombre de textes et du nombre de mots :

57 D. Valbelle, Les ouvriers de la Tombe, p. 1. 58 Cependant, pour les LRL ou les LRLC nous avons décidé de les incorporer au sein de la 20e dynastie (et plus spécifiquement sous le règne de Ramsès XI) et non de la 21e suivant en cela les éditions utilisées. 59 Nous tenons à préciser que ce fait n’est pas le propre des enseignements. Le récit de la bataille de Qadech de Ramsès II, est un exemple très connu. La base de données Ramsès contient 6 versions du bulletin et 11 versions du poème.

1

1

1

1

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19e 1

19e

Fig. 3

Fig. 4

19e-20e 20

Dynasties

19e-20e 2

Dynastie

3 : Effectif de

4 : Effectif de

0e 20e-21e

s

20e 20e-21

es

textes

e mots

e 21e

e 21e

DocumLettresPoésieRécitsTextesTextesTextes

DocumLettrePoésieRécitsTexteTexteTexte

ments royause, Éloges, Ps de fictions administras éducatifss juridiques

uments royauese, Éloges, Ps de fiction

es administres éducatifses juridiques

ux

rières

atifs

ux

Prières

ratifs

s

Plusieurs remarques s’imposent à la lecture de ces deux schémas : les lettres, pour les 19e

et 21e dynasties, représentent la catégorie la plus élevée en nombre de mots. Cependant, il faut

tenir compte des nombreuses formules contenues dans la documentation épistolaire. En effet,

les lettres débutent très souvent par une adresse suivie de formules de salutation60 plus ou

moins développées selon le destinataire61.

Il faut également accorder une place au problème de la datation. En effet, outre les documents

royaux, juridiques et administratifs qui comportent très souvent, avec toutefois des

exceptions, la mention d’une date, les autres textes en sont généralement dépourvus. D’autres

moyens doivent donc être mis en œuvre pour dater les textes : le contexte archéologique62, la

paléographie63, la prosopographie64, et, plus récemment, la grammaire65. Cependant, une

datation précise n’est jamais facile à établir. Nous prendrons pour exemple les LRL ainsi que

les récits narratifs de fiction. Au Nouvel Empire, la documentation épistolaire n’est pas datée,

contrairement à l’Ancien Empire66. Les LRL sont soit classées à la fin de la 20e dynastie, soit

au début de la 21e dynastie67. Toutefois, il est vrai que pour une étude de type linguistique

60 Des formules de clôture existent aussi, mais sont souvent plus courtes et presque limitées à nfr snb.k ou encore ix-rx.k sw. De même, les adresses que l’on retrouve aussi bien au début qu’en fin de lettre, bien que cela ne soit pas systématique. 61 Parfois, les textes ne conservent même que l’adresse suivie des formules de politesse, cf. le papyrus BM EA 10104 et l’ostracon Leipzig 5. 62 Cf. Lettres de Lahun. 63 Parmi les études qui ont pris en compte la paléographie comme moyen pour déterminer la date d’un texte, on citera celles de J. Černý et S. Sauneron, OHNL ; J. J. Janssen, Handwriting, p. 161-163 ; S. Wimmer, Palaeography, dans LingAeg 9, p. 285-292. 64 Cf. M. Collier, Dating. 65 Nous pensons particulièrement ici à l’article de J. Winand, Datation des textes. Ce dernier se propose de traiter de la datation des textes non littéraires du Nouvel Empire. Il met en exergue plusieurs critères pris en compte par les auteurs pour attribuer une date à un texte qui en est dépourvu. Ces critères sont : l’étude prosopographique (il renvoie à l’ouvrage de M. Gutsegell, Datierung), la paléographie, l’étude du contenu, l’étude formulaire (il renvoie à l’ouvrage de A. Bakir, Epistolography). Bien qu’estimant ces critères utiles, il les juge néanmoins trop vagues ou insuffisants. Il s’intéresse dès lors aux critères grammaticaux (les formes morphologiques et les examens des graphies) et les applique à plusieurs textes pour lesquels il suggère ensuite une datation : l’O. BM EA 5631 (Ramsès II ou Mineptah), le P. Bankes I (entre Ramsès V et Ramsès IX), l’O. DeM 554 (Ramsès II), l’O. DeM 587 (Ramsès II) et l’O. Prague 1826 (entre Mineptah et Séthi II). J. Winand insiste sur le fait que le texte doit présenter une certaine longueur pour que l’application de ces critères soit pertinente, sans quoi l’analyse pourrait être difficile et incertaine. Quant à la tentative de datation d’un texte en particulier, nous pensons à l’article de P. Vernus, Étude sur la diglossie I, p. 153-208. Dans cette étude, il s’intéresse au Rituel de repousser l’agressif et plus particulièrement à l’adaptation du texte conservée sur le P. BM EA 10252, qui comporte une version en ‘égyptien de tradition’ et une traduction. P. Vernus examine plusieurs critères linguistiques afin de définir la langue de cette traduction. Selon lui, cet état de langue est ancré dans une structure néo-égyptienne, mais comporte des traits évolutifs dont la majorité est bien postérieure à la fin du Nouvel Empire. Partant de cette conclusion, il propose comme terminus a quo la 25e dynastie, mais laisse suggérer une date plus récente encore, à savoir le début de la dynastie saïte. 66 R. A. Caminos, s. v. Briefe, dans LdÄ I, 857. On notera que les lettres du Moyen Empire ne sont pas davantage datées ; c’est ainsi que le corpus des lettres d’Heqanakhte est tantôt daté de la 11e dynastie, tantôt de la 12e dynastie, cf.infra p. 51. 67 En réalité, le corpus est probablement délimité sur quelques années et cela dépend principalement de la chronologie retenue pour la fin du Nouvel Empire et notamment de la place accordée à l’ère de la

comme la nôtre, les conséquences n’ont pas le même enjeu que pour les recherches des

historiens. En effet, la précision chronologique est plus importante pour l’historien que pour le

linguiste. Le premier doit avant tout tenter de replacer des événements dans leur contexte,

mais également de leur procurer une datation la plus précise possible. Le travail du linguiste

exige également une certaine rigueur, cependant un laps de temps aussi court ne remet pas en

cause l’étude de la langue.

Les récits de fiction posent également problème68. La datation de la prise de Joppé, par

exemple, fait l’objet d’une controverse. Si ce texte raconte un « épisode imaginaire des

guerres de Thoutmosis III »69, ce n’est pas pour autant que sa rédaction remonte à la 18e

dynastie. Il s’agit bien évidemment du terminus a quo, mais la rédaction du document peut lui

être postérieure. Le Récit d’Ounamon a fait couler beaucoup d’encre, dans un premier temps,

à propos de sa classification (véritable rapport administratif ou texte littéraire empruntant la

forme d’un rapport administratif?70) et, dans un second temps, à propos de sa datation (les

avis allant de la 20e dynastie à la 22e dynastie) 71.

Les registres de langue

La question du registre de langue a suscité un certain intérêt en linguistique générale72.

R. Hasan le définit de la manière suivante :

« Register is a variety of language differing at any or all levels of form from other varieties

of the same language, ‘distinguished according to use’ (Halliday et al., 1964). A particular

register is said to be characterized by reference to some syntactic, lexical or phonological

patterns ; that is to say, register varieties differ language-internally by virtue of distinctive

Renaissance (wHm msw.t) ; Pour une discussion sur cette problématique, nous renvoyons aux articles de A. Thijs, End of the Twentieth Dynasty, dans GM 170, 173 et 181. 68 Le colloque de Göttingen montre l’importance accordée au problème de la datation des textes littéraires : « Dating Egyptian Literary Texts » (Göttingen, 9-12 juin 2010). 69 P. Grandet, Contes, p. 85. 70 Pour une idée plus détaillée, cf. J. Winand, Report of Wenamun, p. 541-543. 71 J. Winand, L’ironie dans Ounamon, p. 106 ; J. Winand, Encore Ounamon, p. 304. Dans le premier article, J. Winand nous informe que le texte date du début de la 21e dynastie au plus tôt et affirme, dans le second article, que les traits grammaticaux permettent de soutenir la thèse que le document n’est pas antérieur à la 21e dynastie. W. Helck est partisan de la 22e dynastie : W. Helck, s. v. Wenamun, dans LdÄ VI, 1216. 72 On citera notamment : A. Davies, Register ; J. Ellis, J. N. Ure, Language varieties. Et plus récemment : D. Biber, Register. On notera que pour l’égyptien ancien cette question a suscité également un grand intérêt. Nous pensons notamment à : F. Junge, Sprachstufen und Sprachgeschichte, dans ZDMG, supplément 6 (1985), p. 17-34 et K. Jansen-Winkeln, Diglossie und Zweisprachigkeit in alten Ägypten, dans WZKM 85 (1995), p. 85-115.

formal patterns, such that the totality of distinctive patterns for one particular register is not

identical with that of any other register.»73

Si tous les textes de notre corpus utilisent le néo-égyptien, celui-ci diffère en fonction de la

période de référence ; le néo-égyptien de la 18e dynastie n’est pas identique à celui de la 21e

dynastie, de même que le néo-égyptien d’une lettre ne correspond pas à celui d’un document

royal. Pour se faire une idée plus précise, on peut notamment observer l’évolution du système

verbal. En se fondant essentiellement sur l’évolution morphologique des paradigmes verbaux,

J. Winand délimite trois périodes : « de la 18e dynastie à Ramsès II », « de Mineptah à la 21e

dynastie » et, enfin, « de la 22e à la 25e dynastie »74. La première phase se caractérise par la

présence récessives de formes anciennes, principalement la sDm.n.f dans certains emplois, de

la graphie ancienne du conjonctif en parallèle avec la graphie récente (Hna ntf sDm vs. mtw.f

sDm), et par la rareté des formes auxiliées. La deuxième phase, quant à elle, voit la disparition

des formes du moyen égyptien, un renforcement des graphies propres au néo-égyptien, ainsi

que l’apparition encore timide de certaines constructions périphrastiques. Enfin, la troisième

phase est délimitée par le renforcement des caractéristiques de la deuxième phase, ainsi que

par l’apparition de formes nouvelles. Cette troisième phase, la plus importante

chronologiquement, se laisse à son tour diviser en sous-phases75.

Il convient également d’aborder les registres d’expression. Comme le souligne très bien

J. Winand :

« Il existe à l’intérieur d’une langue, terme abstrait, plusieurs registres d’expression, qui

partagent une base linguistique commune, mais que distingue une série de traits dont la

nature peut être très diverse : choix du vocabulaire et de ses expressions, utilisation de

certaines constructions, orthographe ou même, dans certains cas, prononciation. » 76

Dans son ouvrage sur la morphologie verbale, il répartit ces registres en trois groupes77 :

- le néo-égyptien complet : les textes utilisant ce registre contiennent les constructions

communes au moyen égyptien et au néo-égyptien ainsi que les traits de langue propres au néo-

égyptien ;

73 R. Hasan, Code, p. 271. 74 J. Winand, Morphologie, p. 16-17. 75 Ibidem, p. 16-22. 76 Ibidem, p. 11. 77 Ibidem, p. 13.

- le néo-égyptien mixte : les textes utilisant ce registre contiennent le stock commun ainsi que

les moyens propres au néo-égyptien tout en utilisant encore ceux qui relèvent du moyen

égyptien ;

- le néo-égyptien partiel : les textes utilisant ce registre contiennent les traits communs aux deux

langues, mais n’utilisent qu’une partie du stock propre au néo-égyptien et continuent

d’employer des tournures spécifiques au moyen égyptien.

Selon J. Winand, le néo-égyptien complet est principalement utilisé dans les textes de la

pratique, le néo-égyptien mixte dans les récits de fiction ou dans certains textes juridiques et

le néo-égyptien partiel dans les documents royaux78. Bien que les récits de fiction emploient

encore certaines tournures propres au moyen égyptien, nous avons décidé de les traiter en

parallèle avec les textes de la pratique. En effet, ils montrent un usage régulier des articles.

D’autres types de documents sont à classer dans le registre du néo-égyptien mixte ; il s’agit

notamment de la poésie amoureuse. Ces textes utilisent une langue qui se veut proche du

moyen égyptien, ce que P. Vernus qualifie de « néo-égyptien littéraire »79.

Il faut également souligner qu’un document n’est pas toujours limité à un registre particulier

mais peut comporter différents registres d’expression80.

La répartition de J. Winand concerne essentiellement le système verbal. Puisque notre sujet

traite du syntagme nominal, il serait intéressant de voir si des différences de registres y sont

également perceptibles81. Les textes conservés se répartissent généralement entre deux

grandes catégories : les textes non littéraires (ou documentaires) et les textes littéraires (ou

non documentaires). La première catégorie comprend les textes de la pratique, à savoir les

lettres, les textes administratifs et les textes juridiques. Ces documents utilisent le registre du 78 J. Winand, Morphologie, p. 13 79 P. Vernus, Chants d’amour, p. 49, n. 19. 80 J. Winand, Morphologie, p. 12. Nous renvoyons à deux contributions qui se sont intéressées à la présence de différents registres dans un même texte. Il s’agit de l’étude de O. Goldwasser, Choice of Registers, p. 200-240 et de celle de J. Winand, S. Gohy, P. magique Harris. O. Goldwasser étudie les registres présents dans le papyrus Anastasi I. Selon elle, le texte se constituerait d’un registre principal (littéraire) divisé en trois sous-registres. Elle se fonde sur les différences linguistiques entre les constructions anciennes/classiques et les constructions spécifiques au néo-égyptien littéraire. Elle conclut que les deux premiers sous-registres sont davantage influencés par la langue ancienne, tandis que le troisième fait apparaître les marques typiques du néo-égyptien. J. Winand et S. Gohy s’intéressent aux registres au sein du papyrus magique Harris. Ils reprennent la division thématique en deux grandes parties établies par leurs devanciers. Ils examinent successivement les graphies et le syntagme nominal, la prédication non-verbale, la prédication verbale et les relations syntaxiques. Ils concluent que la première partie est imprégnée de l’« égyptien de tradition », tandis que la seconde regorge de traits néo-égyptiens. 81 Une analyse plus approfondie de l’évolution de l’article défini (et indéfini) et de l’article possessif sera réalisée dans le chapitre spécifique à ces diverses questions.

néo-égyptien complet. Toutefois, ils contiennent des formules figées appartenant à une

phraséologie dictée par la forme du document. Ainsi, dans l’adresse des lettres, l’emploi du

pronom suffixe comme marque de la possession est fréquent, laissant la place à l’article

possessif dans le corps de la lettre. Malgré les diverses formules rencontrées dans les textes de

la pratique, l’usage des articles définis ainsi que de l’article possessif pAy.i/tAy.i/nAy.i ou du

démonstratif pAy/tAy/nAy y est régulier. Si ce n’est dans les sections figées, aucune différence

réelle de registre n’est constatée dans le corps de ces documents. Bien que considérés comme

appartenant aux documents littéraires, nous avons décidé de placer les récits de fiction dans le

même groupe que les documents de la pratique.

Au sein de notre corpus, la documentation dite littéraire rassemble la poésie amoureuse, les

hymnes, les éloges, les textes éducatifs et les inscriptions royales. Certains textes appartenant

à cette catégorie, outre le fait d’utiliser le registre du néo-égyptien complet, utilisent

également le registre du néo-égyptien partiel ou contiennent même des passages en égyptien

de tradition. C’est principalement le cas des documents royaux.

Pour illustrer notre propos de la manière la plus précise, nous veillerons à ne prendre en

considération que des exemples clairs. Par conséquent, notre étude ne retiendra pas ceux qui

se trouvent dans des lacunes ou semi-lacunes82, ni dans les restitutions proposées par les

éditeurs, même si parfois celles-ci peuvent être établies avec certitude. Nous tenterons

également de diversifier le choix de nos exemples. Nous effectuerons nos recherches en

essayant d’intégrer au mieux les critères de datation et de genre de textes.

Nous accorderons une place à la typologie avec toutefois une certaine prudence83. Nous

pensons que l’étude de phénomènes linguistiques dans une langue est d’autant plus

enrichissante qu’elle peut être envisagée dans un cadre plus large, c’est-à-dire en comparaison

avec d’autres systèmes84. Cependant, nous avons deux remarques à formuler :

82 Nous tiendrons toutefois compte des semi-lacunes si la partie de proposition conservée est suffisamment longue et/ou claire pour expliciter notre propos. 83 Il nous serait difficile d’explorer en détails les autres langues que l’égyptien ancien, c’est pourquoi nous nous en tiendrons principalement à des considérations d’ordre général. 84 De nombreux travaux de linguistique tiennent compte de la typologie. Pour citer quelques exemples en rapport avec notre thèse : G. G. Corbett, Gender. L’auteur y traite du système du genre dans plus de 200 langues.

- Nous n’envisageons pas de comparer l’égyptien ancien avec un corpus de langues

étoffé, mais de limiter la comparaison à quelques langues dont la principale sera le

français. La raison de ce choix est simple. Tout d’abord, il s’agit de notre langue

maternelle et donc cela favorisera notre compréhension des phénomènes linguistiques

qui y sont internes. De plus, le français est éloigné à la fois temporellement et

génétiquement de l’égyptien ancien puisque ces deux langues appartiennent à deux

familles distinctes. Cet argument nous semble intéressant dans la mesure où il permet

de comparer l’évolution de deux langues qui n’ont pu s’influencer.

- Rappelons que notre objectif premier demeure une étude du syntagme nominal en néo-

égyptien et non une étude typologique de celui-ci au sein d’un corpus de langues plus

large. C’est pourquoi l’intérêt accordé à ces idiomes sera souvent d’ordre général.

Nous laissons le travail de l’analyse approfondie aux spécialistes de la question. Notre

but est principalement de dégager les grands systèmes existant dans les langues du

monde (systèmes des articles, des possessifs et du genre) et d’intégrer l’égyptien

ancien dans l’un de ces modèles théoriques.

Pour conclure, lorsque nous sélectionnerons des exemples provenant d’autres ouvrages,

nous conserverons notre propre translittération ainsi qu’une traduction en français.

J. Rijkhoff, quant à lui, traite du syntagme nominal à travers un échantillon de 52 langues : J. Rijkhoff, Noun Phrase.