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SUR LA MBTHODOLOGIE DU CALCUL DES PROBABILITgSl par Ferdinand GONSETH, Lausanne (Suisse) La geometrie et sa methodologie en tant que science de l’espace peut servir de preambule a une etude plus generale visant la metho- dologie des sciences naturelles dites exactes. Cependant, si l’on se bornait a la geometrie, ce preambule resterait trop unilateral. I1 est une autre discipline qui se revele de plus en plus inseparable de toutes les sciences experimentales(c’est-a-dire de toutes les disciplines inalienablement likes a un moment experimental) : c’est la science de l’aleatoire, la science de la statistique et du calcul des probabilites. Elle met en lumiere un tout autre aspect de la saisie du reel que la geometrie. Cet aspect n’est pas moins fondamental et son etude apporte un complement necessaire aux conditions que l’etude de la geometrie suggere. Nous n’avons naturellement pas a rendre compte ici des progrhs de la stastistique et du calcul des probabilites qui n’interessent pas les fondements de la discipline. Comme pour la geometrie, c’est la methodologie de la discipline prise dans son integrite, envisagee a la fois sous l’angle pratique et sous l’angle thkorique, que nous entendons specialement examiner ici. h u cours des dernieres annees, la notion m6me de probabilite a fait l’objet d’assez vives et nombreuses discussions. On consultera par exemple van der Waerden 2, les comptes rendus du colloque de Bruxelles3 et les comptes rendus des Quatriemes Entretiens de 1 Extrait de La Philosophie au milieu du XXe sitcle, Chroniques, Tome : Philosophie des sciences, Article : Vue d’ensemble, pp. 21 1-224, avec l’accord de l’Editeur, La Nuova Italia Editrice, Florence, auquel nous exprimons notre vive reconnaissance (1958). a WAERDEN, B. L. van der, Der Begriff Wahrscheinlichkeit, Studium Generale 4, 65-68 (1951). ThCorie des probabilitks : ExposCs sur ses fondements et ses applications, SociCtC belge de logique et de philosophie des sciences, Collection de logique mathkmatique, Louvain & Paris 1952.

SUR LA MÉTHODOLOGIE DU CALCUL DES PROBABILITÉS

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S U R LA M B T H O D O L O G I E D U CALCUL D E S P R O B A B I L I T g S l

par Ferdinand GONSETH, Lausanne (Suisse)

La geometrie e t sa methodologie en tan t que science de l’espace peut servir de preambule a une etude plus generale visant la metho- dologie des sciences naturelles dites exactes. Cependant, si l’on se bornait a la geometrie, ce preambule resterait trop unilateral. I1 est une autre discipline qui se revele de plus en plus inseparable de toutes les sciences experimentales(c’est-a-dire de toutes les disciplines inalienablement likes a un moment experimental) : c’est la science de l’aleatoire, la science de la statistique et du calcul des probabilites.

Elle met en lumiere un tout autre aspect de la saisie du reel que la geometrie. Cet aspect n’est pas moins fondamental e t son etude apporte un complement necessaire aux conditions que l’etude de la geometrie suggere.

Nous n’avons naturellement pas a rendre compte ici des progrhs de la stastistique et du calcul des probabilites qui n’interessent pas les fondements de la discipline. Comme pour la geometrie, c’est la methodologie de la discipline prise dans son integrite, envisagee a la fois sous l’angle pratique et sous l’angle thkorique, que nous entendons specialement examiner ici.

h u cours des dernieres annees, la notion m6me de probabilite a fait l’objet d’assez vives e t nombreuses discussions. On consultera par exemple van der Waerden 2, les comptes rendus du colloque de Bruxelles3 et les comptes rendus des Quatriemes Entretiens de

1 Extrait de La Philosophie au milieu du X X e sitcle, Chroniques, Tome : Philosophie des sciences, Article : Vue d’ensemble, pp. 21 1-224, avec l’accord de l’Editeur, La Nuova Italia Editrice, Florence, auquel nous exprimons notre vive reconnaissance (1958).

a WAERDEN, B. L. van der, Der Begriff Wahrscheinlichkeit, Studium Generale 4, 65-68 (1951).

ThCorie des probabilitks : ExposCs sur ses fondements et ses applications, SociCtC belge de logique et de philosophie des sciences, Collection de logique mathkmatique, Louvain & Paris 1952.

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Zurich l. Certains points de ces discussions s’eclairent si l’on prend l’klementaire precaution de bien distinguer entre les trois notions que l’exemple de la geometric a d6jA permis de preciser.

Dans l’int6gritC de sa signification, le calcul des probabilites n’est pas une science purement rationnelle (bien que le terme calcul le suggbre). Elle comporte un aspect intuitif, un aspect theorique et un aspect experimental qui ne doivent pas Ctre confondus.

L’aspect intuitif, celui de notre vision naturelle de l’espace, informe et guide l’edification de la gkometrie elementaire. Pour ce qui concerne la science de l’aleatoire, notre information natu- relle est relativement faible. Les notions de chance e t de risque ne sont pas de celles dont le bon sens sait user avec securite. La pau- vrete du vocabulaire A cet egard en est un signe. Certaines vues aussi tenaces que fausses sur les jeux de hasard et les chances qu’ils offrent en sont un autre. C’est cependant dans l’horizon de notre intuition naturelle que, par intermediaire des jeux de hasard, la discipline s’est tout d’abord esquissee. Presentons cette genese en conformite avec la procedure des quatre phases.

1. La pratique des jeux de hasard pose certains problemes aux- quels le simple bon sens ne donne pas de solution immediate: le problbme, par exemple, des chances egales ou inegales, le probleme des paris justes e t injustes. (Par exemple: comment repartir les enjeux lors d’une partie interrompue prematurement ? Le Chevalier de Mere hCsitait entre deux solutions Bgalement vraisemblables, mais toutes deux fausses.)

Ce problbme se pose au niveau de l’experimentation. Pour l’bnoncer, il faut cependant constituer un vocabulaire adequat e t d6jh preciser les facons de parler: le probleme est donc repris du cat6 de 1’6nonciation. Mais on ne pourrait rien faire des mots s’ils Btaient vides de sens. 11s designent des notions et expriment des idCes suggkrees par l’expkrience. Ce sont ces notions et ces id6es qui mettent en rapport l’dnonciation du probleme et l’experimen- tation dont il sort.

Quatrikmes Entretiens de Zurich : Sur le fondernent du calcul des pro- babilitb, Dialectica 7 (4), 303-348 (1953) ; 8 (1/2), 31-144 (1954) ; La connais- same probable, Dialectica 3 (1/2), 5-172 (1949).

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2. La seconde phase de la procedure apporte A titre d’hypo- these les idCes qui doivent conduire 51 la solution du probleme. Ces idees se presentent ici sous la forme d’une theorie. Le fait 51 sou- ligner est que cette theorie est de caractere mathematique. Comme telle, elle n’analyse pas le coup de des, le choix au hasard d’une bode dans une urne, le tirage sans preference d’une carte etc. Tout au contraire, elle renonce a parler directement de ces evenements reels. Pour dkgager les choses mathematiques )) qui feront l’objet de son discours, elles simplifiera, schbmatisera, typifiera. Elle mettra en face des objets e t des evenements reels des objets sche- matises e t des evenements typifies qu’elle prendra la liberte de mettre en relation conformement a certaines procedures A la fois imaginaires e t precises. Une fois dkgagkes, ces notions ont leur realite, une fois e‘nonce‘es, ces proce‘dures ont leur e‘vidence : c’est 18 le caractere fondamental du mathematique en face du reel dont il alors, par exemple, que l’un de six cas Cgalement possibles.)

Comment la theorie concilie-t-elle les deux exigences suivantes : a ) tous les cas (d’un certain groupe de cas) sont a tenir pour egalement possibles, e t b ) seul l’un de ces cas se produira? Elle le fait par l’intermediaire de la notion de probabilite. Comment? - Aucune explication ne peut remplacer la theorie elle-mCme : elle est a elle-mCme sa propre explication. (C’est le cas de toute theorie de caractere mathematique.)

E n bref, la theorie est toute dans l’horizon de l’knonciation, dans un horizon d’enonciation approprik. Elle y jouit de l’autono- mie specifique qui caracterise le mathernatique en face du reel - mCme en face du reel que le mathematique schematise.

3. La troisikme phase de la procedure est celle de l’engagement de la thCorie, de son essai, de son kpreuve. Elle revient de l’horizon de l’knonciation vers l’horizon de l’expkrimentation pour y faire l’essai d’une interprktation de la theorie. Cette troisikme phase etablit une liaison explicite entre la theorie e t l’experience. Elle doit donc apporter un complement de caractere experimental a 1’6dification de la theorie : la theorie ne s’appliquant pas A tous les cas concrets, il faut donner des criteres pratiques delimitant plus ou moins exactement les cas oh elle s’applique. (La theorie du coup de des ne s’applique pas au de (( ma1 fait D. Les d6s peuvent &re

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pip6s. I1 faut donc donner des indications sinon parfaites du moins relativement precises pour confectionner des dCs (( bien faits *. Certaines conditions d’homogeneite ou de symetrie peuvent 6tre invoquees.)

Le fait capital, a la fois pour le progrks de la connaissance scien- tifique et pour l’approfondissement de toute theorie de la connais- sance, c’est que le nombre et l’ampleur des applications possibles depasse toute prevision : rien dans le bon sens ne permettait de le pr esumer .

On sait d’autre part quel est le point essentiel de la procedure d’application (ou des regles d’interpretation) : ce qui est, du c8tC de l’knonciation, la probabilite d’un cas par rapport a un ensemble d’autres cas avec lesquels il entre en concurrence ne trouve pas d’interprbtation immediate dans l’horizon experimental pour tel ou tel cas individuellement realise. L’aspect experimental de la probabilite est la frequence relative, le cas examine et les cas concur- rents devant et pouvant se repeter un grand nombre de fois dans des conditions qu’on puisse tenir pour pratiquement kquivalentes. La probabilite est individuelle (sur le plan theorique), la frequence est statistique (sur le plan expbrimental).

I1 est un autre point de la liaison entre le theorique et l’expb rimental qui merite d’&tre souligne: a elle seule, la theorie est incapable de fixer, pour tel ou tel groupe d’kvenernents, la probabilitk au-dessous de laquelle l’eventualitk de l’evene- ment doit &re pratiquement exclue. Cette decision appartient a l’expkrience.

4. La quatrikme phase de la procedure est celle du rejaillisse- ment du succes de l’hypothkse sur les positions de depart. Dam notre cas, toutes les perspectives du sens commun en sont rnodi- fiees. Disons plut8t que la science de l’alkatoire est crkatrice d’un sens commun tout nouveau auquel s’intkgrent tout naturellernent des notions telles que celle de risque individuel all% A une stabilite ou a une securite collective.

Ainsi se reforme au niveau du sens commun un horizon inte- grant, dans lequel l’horizon theorique et l’horizon experimental de la discipline de l’aleatoire apparaissent comme deux zones complb mentaires de precision et d’eficacite.

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Mais le retentissement du progres de la discipline ne s’arrste pas la. D a m le domaine de la connaissance scientifique, il se marque par un certain (( imperialisme H de l’aleatoire, c’est-a-dire par une tendance du calcul des probabilitks e t des procedures de la statis- tique a prendre pied dans toutes les autres disciplines exphimen- tales pour y jouer un r61e de plus en plus fondamental.

Dans le domaine methodologique et philosophique, l’action en retour du progres de la discipline aleatoire descend jusque dans les lieux communs de la recherche scientifique (dans la doctrine prea- lable de la connaissance scientifique) et jusqu’aux vues les plus fondamentales sur le reel et sur les moyens de le connaitre.

Dans sa simplicitit, l’exposk qui pritcede montre comment la science de l’aleatoire peut 6tre ldgitimement fondke dans l’inte- grit6 de sa signification par l’appui que se pr6tent mutuellement I’enonciation theorique et l’activitk expdrimentale. Fondee selon la procedure que nous venons d’indiquer, la discipline aleatoire n’est ni plus ni moins problematique que la gitometrie envisagke elle aussi dans l’intkgrite de sa signification. Cet expose permet d’eclairer les objections qu’on avait cru devoir faire a l’introduc- tion de la notion de probabilite elle-m6me et, pensons-nous, de les ecarter.

On trouvera l’expose de ces discussions entre autres dans l’article deja cite de van der Waerden et dans celui de Jecklin a.

En gros, trois conceptions s’affrontent. L’une, plus ancienne, part d’une definition dite (( classique H de la probabilite qui se for- mule ainsi : La probabilite‘ d’un e‘ue‘nement est donnte par le rapport entre le nombre des cas fauorables a cet e‘ue‘nement et le nombre total des cas possibles Cquiprobables. C’est cette condition d’equiproba- bilite qui a soulevit les plus vives objections : on y a vu une petition de principe, car on y ditfinit le probable par le probable.

Si l’on reste dans l’univers de l’enonciation, la definition clas- sique est correcte et sufisante : mathematiquement, on a toujours le droit de poser des cas comme equiprobables e t d’imaginer des

WAERDEN, B. L. van der, Der Begriff Wahrscheinlichkeit, Studium

a JECKLIN, H., IIistorisches zur Wahrsclieinlichlieitsdefinition, Dialec- Generale 4, 65-68 (1951).

tics 3 (1/2), 5-15 (1949).

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expkriences combinant ces cas. Mais elle devient insuffsante et incorrecte si l’on veut en faire un jugement sur des evenements expkrimentaux : il ne suf i t pas de poser qu’aucune face d’un de ne doit $tre privilegike pour qu’il en soit ainsi dans l’horizon expe- rimental.

On ne doit cependant pas exiger de la definition classique ce qu’elle ne peut pas donner. Derriere les reproches qu’on lui fait, il y a souvent cette illusion tenace qu’une (( preuve ontologique k)

est possible, qu’on peut, par la seule raison, demontrer des pro- prietes du monde expkrimental. On voudrait que la definition de la probabilite force la nature A suivre les lois que prescrit la thkorie, ce qui est dvidemment impossible. La definition est une procedure interne de l’horizon de l’enonciation ; elle ne permet de tirer aucune conclusion sur l’horizon de l’expkrimentation.

Cette distinction necessaire entre les deux horizons n’a malheu- reusement pas toujours B t B observke. On a reproche a la definition classique de ne pas montrer quels sont les cas expkrimentaux qu’on pourra considerer comme equiprobables. Et on a cherche a Bchap- per, par differentes voies, au cercle vicieux qu’on croyait avoir reconnu.

La premiere de ces voies consiste a revenir A une definition intuitive, de bon sens, de la probabilite, en ramenant celle-ci A une mesure de la certitude avec laquelle nous faisons une prevision. C’est ainsi qu’on a souvent appele les theories subjectivistes. On echappe ainsi au cercle vicieux, mais cette definition ne peut pas suffire pour construire une theorie mathkmatique. TBt ou tard on devra revenir a ce rapport entre les cas favorables e t les cas pos- sibles, sinon on ne pourra chiffrer numeriquement aucune proba- bilite.

Une autre tendance consiste a axiomatiser e t A formaliser la theorie des probabilites. Mais cette procedure, si elle purifie et affine l’enonciation, ne permet evidemment pas d’ancrer la theorie dans le reel ; la relation entre la thborie e t I’experience y reste tout aussi problematique que dans la definition classique.

Une troisicmc tendance veut partir de l’experience et echapper au cercle vicieux en ramenant toute probabilite A une probabilite a posteriori. Cette tentative a 6te conduite avant tout par von

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Mises 1, qui fait prkceder la notion de probabilite de celle de collectif, ensemble suppose de resultats d’experiences. Mais, comme le dit Weyl : (( Verdeckt diese durch die erkenntnistheoretische Haltung des strengen Empirismus bedingte , objektive Begrundung ’ der Statistik nicht lediglich die a priori-Wahrscheinlichkeit hinter der dogmatischen Fassung eines fingierten Haufigkeitslimes, der an die unsinnige Vorstellung der unendlichen Versuchsfolge geknupft ist ? ))

A notre avis, toute methodologie qui pretend se fonder dans l’un seulement des horizons ne peut &re qu’insuffisante e t donc erronke.

Cette remarque s’adresse aussi a l’essai de R. Carnap de dCfinir la notion de probabilitk directement a partir du reel en supposant que l’ensemble des evenements reellement possibles comporte a priori une structure conforme A la logique des classes. (Cette prC- supposition est d’ailleurs en desaccord avec les exigences de la physique moderne.)

Aussi bien la tentative classique ou moderne de faire de la thCorie des probabilites une science purement rationnelle que la tentative de von Mises d’en faire une science purement empirique devaient echouer. Comme la geomktrie, elle doit &re a double trarne, c’est-&-dire qu’elle doit distinguer un horizon theorisant d’un hori- zon experimental e t intkgrer ces deux horizons en une synthese dialectique ou ils se complktent e t se verifient mutuellement. La probabilite a priori peut &re consideree comme une idealisation de la frkquence relative et celle-ci peut a son tour &re considkrke comme une realisation de la probabilitk a priori.

A partir des objections soulevkes par la faqon dont la notion de probabilitk s’introduit dans la theorie, on a cru devoir poser a nouveau le probleme du fondement de la discipline. On a emis l’opinion que la solution definitive de ce probleme pouvait &re apportee par une axiomatisation ou une algebrisation de la theorie

MISES, R. von, Wahrscheinlichkeitsrechnung und ihre Anwendung in der

WEYL, H., Philosophie der Mathematik und Nafurwissenschaft, Munchen

CARNAP, R., Logical Foundations of Probability, Chicago 1950 ; repr.

Stalistik und fheoretischen Physik, Leipzig 1931.

1927, p. 152.

London 1951.

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(Kolmogoroff l, Tornier ; B ce propos, les remarques suivantes peuvent Btre faites :

1. Nous l’avons dit, le calcul des probabilites et la statistique mathdmatique (en tant qu’aspect theorique de la science de l’alka- toire) existent en toute legitimit.6 sans qu’il soit nkcessaire de les axiomatiser. I1 en est de mCme de toute autre theorie mathema- tique. La forme axiomatique n’est pas la forme obligee du discours deductif. L’arithmetique classique et la geometric elementaire en fournissent d’indeniables exemples.

2. Le probleme se pose cependant de conferer a l’expression mathematique d’une theorie le plus d’autonomie possible (d’auto- nomie rationnelle, c’est-&-dire deductive) par rapport aux inter- pretations possibles de la theorie du cbte du reel experimental. C’est un probleme d’organisation e t d’epuration que l’activite enonciatrice est capable de se poser. L’analyse de l’activite mathe- matique a degage les moyens susceptibles d’&tre mis en ceuvre B cet effet : ce sont les procedures axiomatisantes et formalisantes.

I1 peut arriver que l’axiomatisation ou la formalisation d’une theorie represente un progres decisif dans l’enonciation de cette thkorie. I1 doit cependant &re clair que ce progres n’augmente ni ne diminue en rien la validit6 d’une -theorie quant aux interpre- tations dont celle-ci est susceptible du cbte de l’horizon experimen- tal. L’axiomatisation ni la formalisation ne sont donc capables de fonder la thkorie en tan t que theorie eficace, mais seulement en tant que theorie coherente.

E n un mot, l’axiomatisation et la formalisation sont des pro- cbdures dont le lieu propre est l’horizon d’enonciation.

3. I1 est cependant un cas ou l’axiomatisation d’une theorie peut renouveler le rapport de celle-ci avec ses applications e t mCme avec les notions de sens commun. La procedure d’axioma- tisation comporte en effet une certaine liberte dans le choix des notions primitives. Or il peut arriver que, dans la reorganisation axiomatique d’une theorie, les notions fondamentales de cette

KOLMOGOROFF, A,, Grundbegriffe der Wahrscheinlichkeitsrechnung, Erg.

a TORNIER, E., Wahrscheinlichkeifsrechnung und allgemeine Integrations- der Math. 2, Heft 3, Berlin 1933.

fheorie, Leipzig 1936.

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derniere puissent Ctre exprimees, definies A l’aide de notions encore plus simples. Si celles-ci trouvent une interpretation proche du sens commun, l’axiomatisation a donc le pouvoir d’operer une jonction plus naturelle et plus etroite entre les zones precises et eficaces que reprksentent l’horizon de l’enonciation e t l’horizon de l’experimentation d’une part, et l’horizon du sens commun ou elles doivent Ctre intkgrkes d’autre part l.

Les reserves qui precedent ne concernent pas les extensions et les generalisations dont la theorie est susceptible, m&me si ces extensions et ces generalisations sont purement formelles (c’est-A- dire relatives A la seule enonciation). Un exemple en est fourni par l’extension du calcul des probabilites aux probabilites continues. De pareilles extensions peuvent suggerer e t trouver des applica- tions elles-mCmes plus Ctendues. Dans ce qui precede, nous avons surtout ktudie les rapports de la theorie a l’experience sous l’angle de l’efficacite. L’analyse de ce rapport peut Ctre cependant faite dans une intention philosophique plus accentuee.

Parlant de la realisation eventuelle de plusieurs evenements kgalement probables, la theorie parle par exemple d’un choix fait au hasard ou plus generalement d’un evenement arrivant au hasard.

L’idke du hasard, dans son interpretation surtout, ne donne- t-elle pas lieu A de graves difficultes? Pour eclairer la discussion, il convient a nouveau de distinguer entre l’activite enonciatrice (et sa libert6 relative) d’une part, e t I’activite experimentale (et ses donnees A respecter) d’autre part.

Dans l’horizon mathematique de l’enonciation, l’id6e de hasard n’est pas une idee secondaire, une idee eliminable. C’est l’une des idees dominantes de la theorie, une idee A laquelle l’edification de la theorie donne ses contours precis. La theorie se donnera mCme comme but d’enoncer les lois du hasard. Comment y parviendra- t-elle ?

Elle devra creer son materiel d’enonciation, c’est-A-dire les notions et les idees convenant a son projet. De sa propre autorit6, elle definira par exemple ce que sont deux evenements independants

1 VIETORIS, L., Zur Axiomatik der Wahrscheinlichkeitsrechnung, Dialec- tics 8 (1)’ 37-47 (1954).

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ou deux kvknements dkpendants. Voici la dkfinition de l’indk- pendance : (( Deux kvknements sont independants si la probabilitk d’arrivke de chacun d’eux se dkfinit sans Bgard au fait que l’autre est ou non arrive. o

C’est par la faqon m6me dont le mathkmaticien imagine ces notions fondamentales qu’il se confbre A lui-m6me les libertks et qu’il s’impose les nkcessites qui caractkrisent et gouvernent sa pensbe. I1 en est ainsi dans toute discipline mathematique. C’est dgalement ainsi que, dans le calcul des probabilitks, le theoricien se trouve en mesure de degager les lois du hasard - du hasard tel qu’il l’imagine. Les premibres de ces lois seront celles qui president (dans son imagination) A l’arrivee de deux evenements indepen- dants: la rbgle de l’addition des probabilitks convient alors A l’arrivke soit de l’un, soit de l’autre, la rbgle de la multiplication des probabilitks A l’arrivee de l’un et de l’autre des deux evknements. (Avec les retouches convenables, ces regles pourront d’ailleurs 6tre ktendues A l’arrivee de deux kvknements dependants, leur dependance ayant kt6 elle-m6me formulee en termes de probabi- litk.)

C’est avec les m6mes libertks et les m6mes necessites (d’ordre mathematique) que le theoricien imagine la repetition d’un choix au hasard ou de l’arrivke au hasard d’un kvenement de probabilitk determinee, qu’il arrive A formuler la loi fondamentale (dite (( loi des grands nombres 1)) selon laquelle il suffit de repkter l’kpreuve assez souvent pour rendre aussi petite que l’on veut la probabilite n (n= probabilitb pour que I p - u I > E ) pour que l’kcart entre la probabilitk p de l’evenement et la frequence relative observke u reste plus grand qu’un ecart E fix6 d’avance (de faqon d’ailleurs quelconque). I1 nous faudra dans un instant examiner la significa- tion que cette loi prend dans l’horizon de l’expkrimentation.

C’est encore selon le m&me mode mathematique que le theori- cien imagine une distribution de probabilites relative A toutes les valeurs que peut prendre une certaine variable 2, distribution fixant la probabilitk pour que cette variable tombe dans tout intervalle qu’on lui dksignerait - que le thkoricien est en parti- culier capable de dkduire par un passage A la limite a partir d’une epreuve indkfiniment repetbe la loi normale (dite aussi ctloi de

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Gauss )) ou (( loi de Laplace ))) de la distribution des Ccarts 2 - a entre une variable 2 et sa valeur moyenne a.

I1 est inutile de passer en revue toutes les considerations aux- quelles le mathkmaticien peut se livrer, une fois ces notions fonda- mentales adoptees. Pour ce que nous avons en vue, ce qui vient d’6tre dit peut suf€ire.

I1 nous faut maintenant passer A l’horizon de l’experimentation. La question du hasard s’y pose sous un tout autre angle. I1 ne s’agit plus de I’imaginer de faqon assez precise pour que l’activitb enonciatrice puisse l’engager dans une spkculation mathematique. Ce n’est plus l’activite imaginative et deductive qui est la maitresse du jeu, mais bien l’observation des circonstances reelles. Oui ou non, cette observation s’inscrit-elle en faux contre les imagina- tions du theoricien? La rkponse est Claire : I1 est hors de doute que la vision mathematicienne se revde de plus en plus largement applicable. Quelles en sont les consequences ‘?

a) Ne faut-il pas en deduire que l’idke d’un determinisme integral (dans l’ordre du reel) doit 6tre abandonnke?

La trajectoire d’un de qu’on lance, dira-t-on, est parfaitement determinee, m6me si l’on ne connait pas les circonstances qui la determinent. La position finale du de n’est donc pas le fait du hasard. Dks lors, comment peut-il se faire que le coup de des repetk obCisse aux lois du hasard?

Le fait est que le jet d’un de normal obkit (avec des Ccarts admissibles) A ce que le theoricien appelle une loi du hasard. Le fait de pouvoir connaitre la trajectoire du dk avec une certaine precision, le fait m6me de connaitre d’avance exactement la posi- tion finale du de ne suspendrait pas la validit6 de cette loi. Celle-ci est une loi statistique qui s’applique independamment de notre plus ou moins grande connaissance de l’evknement, independam- ment m6me des causes qui determinent par le detail l’evolution de tel ou tel evenement, pourvu que celui-ci puisse &re saisi globa- lement par certains caractkres typiques et assimile a un cas entre d’autres cas analogues selon le modkle propose par la theorie.

En d’autres termes, en tan t que loi statistique, la loi du hasard nous assure une previsibilite qui n’est pas le fait de notre ignorance du detail de l’kvenement, mais qui nous reste assuree en depit de

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cette ignorance. L’existence de cette forme de previsibilite n’est pas le fait de la theorie ; elle se revble par l’experience. La decou- verte de sa validite quasi universelle ouvre des voies nouvelles A la connaissance autant que des vues nouvelles sur la connaissance.

En bref, la validite des lois du hasard (Bquivalente A la possi- bilite d’une prevision statistique) ne parle ni pour ni contre l’exis- tence d’un determinisme integral decelable dans une saisie plus fine de l’evenement. Elle demontre en revanche l’eficacite quasi universelle de la saisie schdmatisante ou typifiante de l’objet ou de l’kvenement.

b ) Comme il vient d’6tre dit, la procedure aleatoire entiere comporte trois temps : 1. poser (imaginer) une probabilite theo- rique ; 2. ddgager (observer, calculer) une frequence relative ; 3. assimiler (avec des kcarts admissibles ou m6me obliges) la fre- quence a une probabilite.

Cette procedure n’a rien d’un schema ne variefur. Par exemple, la frequence relative d’un evenement peut se degager de la repe- tition de l’epreuve dans le temps, aussi bien que de la multipli- cation d’epreuves (( equivalentes entre elles o effectuees en m&me temps.

Le point 1 de la procedure ne precbde pas obligatoirement le point 2 ; il peut arriver qu’ayant observe une frequence, on ait a faire l’hypothbse d’une probabilite.

C’est dire que le point 3 peut se poser lui-m&me en probleme, le probleme 6tant d’assimiler de la fagon la plus plausible la frC- quence A une probabilitd.

En degageant les valeurs moyennes probables ou plausibles, la statistique superpose a la rdalite des epreuves individuelles une certaine realit6 de l’ensemble de ces Bpreuves - qui se traduit en une realit6 moyenne de 1’6preuve individuelle. L’id6e de la proha- bilite a pour effet de (( projeter o la realite de l’ensemble sur la rea- lit6 individuelle. Faut-il dire que celle-ci seule est veritablement reelle tandis que la premibre n’est qu’une apparence construite artificiellement? Rien ne nous semble l’autoriser ni du c8t6 de la thborie ni du c8te de l’experience.

Du cat6 theorique, l’objet ou l’evenement individuel est un objet ou un evenement ideal resultant d’une schematisation, d’une

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typification de l’objet ou de l’kvbnement. experimental. Sur le mCme plan, l’evknement ou l’objet affect6 de leur probabilite representent aussi des typifications de la realite globale.

Sur le plan de l’experimentation, un effet global ou d’ensemble n’est pas moins constatable, n’offre pas moins de prise ou d’appui qu’un effet individuel; c’est souvent le contraire qui est vrai: il peut arriver qu’un phenomene ne soit pas constatable (paraisse ou soit desordonnk) a l’echelle de l’individu et qu’il ne se nianifeste qu’h une echelle superieure. (( L’echelle d’observation Cree le phe- nomene )), dit Guye l. L’analyse du reel faite avec les moyens de la statistique distingue et superpose ainsi deux etages de realite : l’etage sous-jacent est plus finement structure, le desordre y regne ou semble y rkgner ; l’etage superieur est a plus grosses mailles, un certain ordre y devient apparent.

A ce propos, la question se pose de savoir si le desordre de l’etage sous-jacent doit Ctre consider6 comme primaire ou s’il peut Btre envisage comme secondaire. Un desordre primaire serait un desordre indkterministe, obeissant aux lois du hasard sans intervention d’un determinisme qui resterait valable dans l’individuel. Un desordre secondaire, au contraire, serait le fait de causes determinees, agis- sant au niveau sous-jacent. Cette question joue un r6le de premier plan dans la physique moderne : nous l’y retrouverons.

Un theoreme de Laplace (enonce selon le mode thkorique) peut s’interpreter de faqon a sauvegarder l’eventualite d’un desordre secondaire (deterministe). Le voici : (( Si une grandeur se fixe en subissant un grand nombre d’actions independantes les unes des autres dont aucune ne predomine mais dont chacune est de peu d’importance, si d’autre part la probabilite d’un kcart positif est la mCme que celle d’un kcart egal et de signe contraire, les valeurs ainsi fixees se repartissent selon une loi normale de Gauss-Laplace. En d’autres termes, ses valeurs se fixent comme au hasard. R

Ce resultat reserve l’eventualite d’un determinisme sous-jacent, il ne l’impose pas. I1 inspire et domine la procedure generale de la mesure en physique classique (par repetition et application de la methode des moindres carrks).

GUYE, Ch.-E., L’duolution physico-chimique, 2@ Cd., Paris 1942, p. 147.

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I1 n’exclut cependant pas 1’6ventualit6 d’un desordre primaire e t d’une probabilite primaire correspondante. C’est cette eventua- lit6 avec toutes ses consequences qu’une majorit6 de physiciens modernes disent avoir des raisons de preferer.

En bref, l’idke de la realit6 qui ressort de l’application des mCthodes statistiques e t de leur evident succes est celle d’une realite etagee a propos de laquelle la science de l’aleatoire n’est pas en mesure de decider : 1. si elle se fonde sur un &age ultime ; 2. ce que devraient 6tre les caracteres d’un etage ultime eventuel e t 3. si les hypotheses conjointes d’un desordre primaire e t de pro- babilite primaire correspondante ne s’imposeront pas fatalement h partir de tel ou tel horizon de realitb.

c) Indiquons encore un autre aspect de la connaissance pro- babilitaire qui la place avec une certaine evidence A mi-chemin entre l’objectif e t le subjectif. (L’exemple de la connaissance pro- bahilitaire ne fait d’ailleurs que rendre manifeste un fait que l’on retrouve a tous les etages e t A toutes les articulations de la connais- sance du reel.)

L’evenement dont traite la theorie, a-t-il et6 deja dit, n’est pas l’evenement brut, mais l’kvhement saisi aux fins de la thkorie par l’intermediaire d’une certaine typification ou d’une certaine schematisation. Deux evhements du mBme type sur le plan de l’enonciation peuvent eventuellement se rkaliser par deux evene- ments fort differents dans l’horizon de l’experimentation. Ainsi, pour le theoricien, le jet d’un di! et le tirage au hasard de l’une de six boules diffkrentes sont deux evenements du mBme type.

Ce qui doit Ctre cependant souligne, c’est qu’a l’inverse, un 6vCnemenls brut peu donner lieu A des typifications differentes selon ce qu’on en connait ou selon ce qu’on en retient.

(Je tire une boule blanche d’une urne: on demande que cet evenement se repete. S’agira-t-il de tirer la mCme boule blanche, de tirer une boule blanche quelconque, ou enfin de tirer une boule quelconque au hasard? I1 est clair que je suis libre d’en decider selon les circonstances. L’Cnonce de l’evknement : (( on a tire une boule blanche 8 ne specifie pas cet evenement de fagon univoque. I1 reste possible de le specifier plus etroitement. Seule, la derniere

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des trois specifications precedentes correspond aux intentions du calcul des probabilites.)

I1 peut arriver qu’un evenement sommairement enonce puisse donner lieu A differentes specifications aleatoirement admissihles, A des specifications successives ou paralleles auxquelles des pro- babilitks differentes devront 6tre attribukes. Le fait peut paraitre paradoxal : les compagnies d’assurances en tiennent cependant journellement compte par l’emploi de differentes tables de morta- lite correspondant A diverses categories d’assures.

Nommons collectif (dans l’horizon de l’enonciation et en un sens different de celui de von Mises) l’ensemble des evenement d’un certain type avec lesquels un evknement determine entre en concurrence dans la fixation de sa probabilite: celle-ci peut alors &re envisagee comnie un caractere de 1’evCnement dans son col- lectif. Du ccite de l’experimentation, la probabilitk se rkalise par la frequence relative d’une certaine categorie d’kvenements au sein d’une categorie plus ample, au sein du collectif pratiquement fixe des kvhements a envisager. I1 n’y a pas de contradiction dans le fait que tel ou tel evenement puisse &re objectivement attribuk (selon ce qu’on en sait ou selon ce qu’on en retient) a des categories differentes au sein du meme collectif. Selon cette attribution, 1 ’ 6 ~ 4 nement envisage figurera de bon droit dans des series d’evenements differentes donnant objectivement lieu a des frequences relatives differentes.

Pour la connaissance aleatoire, il n’y a donc pas d’evenements bruts, mais seulement des Cvenements typifies. On pourrait dire aussi qu’il n’y a que des evenements incomplets, puisqu’une typification renonce a &re une description complkte de l’evene- ment. En principe, d’ailleurs, aucune typification n’est par elle- m6me achevCe : il apparait ainsi clairement que l’idee de l’6vCne- ment qui est a la base de la science de l’aleatoire est une idke ouverte.

I1 en est de m6me dans toute enonciation ; la science de l’alea- toire amene cependant ce fait en pleine lumikre.

d ) Ce qui precede met en evidence la dificulte qu’il y a a parler de la probabilite en soi d’un evhement sans explicitation d’un collectif dans lequel il sera integre.

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Rien ne s’oppose cependant A l’essai de cette id6e dans des conditions oh l’evenement semble pouvoir &re 6nonc6 hi-mCme sans allusion A un collectif intbgrant, dans le cas, par exemple, oh l’bv6nement prend figure d’Cv6nement 616mentaire (nue exis- tence ou pure prhsence, par exemple). L’id6e semble d’ailleurs trouver sa justification dans le succbs de l’essai qu’on en fait en physique moderne.

Nous avons par16 de la port6e quasi universelle de l’activite typificatrice. La science de l’akatoire en est une illustration. Elle met le rale du mathkmaticien en singulibre 6vidence.

I1 faut souligner encore que le domaine oh les vues alkatoires developpent A la fois leur efficacite explicative et leur eficacite pratique semble devoir s’6largir A nouveau considerablement par la constitution de la theorie des jeux dits sfrafiggiques. D’autre part, l’analyse des idkes conjointes de l’ordre et du hasard et des circons- tances o h elles s’appliquent peut 6tre poussCe plus loin et plus audacieusement que ne l’exigent les conditions de validite du thkorbme de Laplace citk plus haut l.

ERISMANN, Th., Wahrscheinlichkeit im Sein und Denken, Dialectica 7 (4), 331-346 (1953).