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Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Les promesses de l’innovation durable 2014 Dossier

sur la Terre Regards

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Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Jean-Yves GROSCLAUDE, Rajendra K. PAChAURi et Laurence TUbiAnA (dir.)

Les promesses de l’innovation durable

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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quel est le rôle des autorités nationales et infranatio-nales (locales) dans la production et la diffusion des innovations ? Les décisions sur la nature et le type

de technologies à développer dans le pays doivent-elles être prises dans les salles de réunion d’une entreprise multinationale plutôt qu’au ministère de la Science et de la Technologie du pays ? Ce focus s’intéresse à l’intégra-tion de l’Inde dans le mouvement de mondialisation de l’innovation, à l’heure où les entités étrangères produisent une part croissante de la recherche et du développement (R&D) industriels menés dans ce pays. Depuis l’entrée de l’Inde dans la division internationale du travail dans le domaine de la R&D, les autorités indiennes ne cessent d’encourager les entreprises à investir davantage dans la R&D, en mettant à leur disposition une multitude d’instruments et d’institutions d’appui à la technologie et à l’innovation locales. Les politiques publiques dans ce domaine portent-elles leurs fruits en Inde et quelles sont leurs lacunes ? L’Inde est-elle devenue un pays innovant ?

Cette analyse identifie trois grandes difficultés que devront résoudre les autorités indiennes si elles veulent renforcer le potentiel d’innovation de leur pays, difficul-tés qui viennent s’ajouter à d’autres défis mis en évidence dans la littérature sur l’innovation, comme l’amélioration de la qualité et de la quantité des innovations. Premiè-rement, les politiques publiques de promotion de l’inno-vation réduisent souvent cette dernière à la seule R&D. Or, l’innovation passe par bien des voies autres que la R&D, en particulier par l’acquisition de nouvelles géné-rations de biens d’équipement. Deuxièmement, les auto-rités indiennes devront faire en sorte que les opérations des multinationales et des centres de R&D étrangers pro-duisent des retombées positives pour le système natio-nal d’innovation (SNI) de l’Inde. C’est un problème, car, actuellement, ces centres semblent n’avoir que peu de connexions, voire aucune, avec le SNI. Troisièmement, il faudra que l’innovation émane d’un éventail plus vaste de

Le rôle des autorités nationales dans la production et la diffusion de l’innovation : l’expérience indienne

Sunil MANI, Centre for Development Studies, Inde

secteurs. Aujourd’hui, elle se concentre en effet dans trois secteurs industriels seulement.

Promouvoir l’innovation dans une Inde mondialiséeJusqu’en 1991, l’économie indienne était relativement fer-mée, importait des matières premières et des capitaux et imposait de sévères restrictions sur les services, y compris techniques. Des droits de douane élevés et des restric-tions quantitatives la coupaient plus ou moins du reste du monde. À cette époque, l’Inde était l’un des pays les moins internationalisés de la planète1. Tout a changé en 1991 avec la libéralisation économique qui a progressive-ment gagné quasiment tous les secteurs de l’économie. L’intégration de l’Inde dans l’économie mondiale s’est poursuivie au cours des deux dernières décennies, bien que de manière non structurée et sporadique, certains secteurs affichant une croissance extraordinaire, comme les services liés aux technologies de l’information (TI). De fait, en 2005, l’Inde était devenue le premier exporta-teur mondial de services de TI.

La libéralisation économique a également trans-formé le SNI indien. Le secteur des entreprises appa-raît aujourd’hui comme le cœur du SNI, alors qu’en 1990 et 1991, l’innovation était quasi exclusivement le fait d’entités publiques. Actuellement, les entreprises repré-sentent 30 % du total des dépenses de R&D de l’Inde. Une proportion croissante, près de 30 % en 2011 (repère 1), de la R&D menée par les entreprises est aujourd’hui effec-tuée par des multinationales, contre moins de 9 % en 2001. Cette tendance atteste de l’importance de l’Inde

1. L’économie indienne ne cesse de se mondialiser, comme en attestent deux indicateurs : l’intégration des échanges (la somme des exportations et des importations exprimée en pourcentage du PIB), qui est passée de 19,6 % à 37 % du PIB entre 1998-1999 et 2010-2011, et l’intégration finan-cière (la somme des entrées brutes courantes et de capitaux), qui elle est passée de 44 % à 109 % du PIB sur la même période [Rao, 2011].

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comme site d’innovation pour les multinationales. Au cours de la dernière décennie (2000-2010), nombre des actifs fondés sur le savoir créé en Inde provenaient de branches ou de filiales de multinationales. Durant cette période, beaucoup d’entreprises indiennes sont elles-mêmes devenues des multinationales (le conglomé-rat Tata en est une parfaite illustration), investissant à l’étranger pour avoir accès à des technologies de pointe, à des marchés, voire à des ressources naturelles essen-tielles. Depuis 2000, l’Inde investit dans des actifs indus-triels à l’étranger par le biais d’investissements directs étrangers (IDE), dont le volume représente près de 60 % des entrées d’IDE en Inde. Cette croissance des sorties d’IDE permet aux entreprises indiennes d’acquérir à la fois des ressources naturelles et du savoir, tout en déve-loppant des marchés pour leurs biens et leurs services à l’étranger. En outre, cette acquisition de savoir étranger permet à certaines entreprises de progresser sur l’échelle des capacités technologiques.

L’importance grandissante des entreprises étrangères dans la production d’innovations d’origine indienne peut avoir des effets positifs pour le pays. Par exemple, l’Inde est devenue une plateforme de l’« innovation fru-gale » (cf.  chapitre 12, p. 305-315), qui est aujourd’hui bien implantée à grande échelle dans le secteur des appa-reils médicaux. Un certain nombre d’appareils sophisti-qués, comme les électrocardiogrammes et les scanners, ont été développés par des centres de R&D étrangers. Ces instruments présentent le potentiel de réduire spectacu-lairement le coût des diagnostics et des services de santé en Inde, où les dépenses de santé sont essentiellement financées par les paiements directs des patients. Ainsi,

les canaux traditionnels du transfert de technologies depuis les multinationales vers les entreprises indépen-dantes indiennes ayant quasiment disparu, la croissance des multinationales peut jouer un rôle positif en tant que source de technologies pour l’économie indienne. Enfin, les entreprises locales peuvent aussi bénéficier de retom-bées. L’automobile est l’un des secteurs où ce phéno-mène est le plus manifeste. Depuis l’arrivée d’entreprises étrangères, par le biais de la concurrence, les entreprises locales ont amélioré leurs capacités technologiques et progressé sur la chaîne de valeur.

En Inde, l’essentiel de la R&D industrielle reste réali-sée par des entreprises locales (72 % du total), mais cette proportion recule rapidement, à un rythme qui s’accélère avec la croissance des entreprises étrangères de ce pays. La part des entreprises étrangères qui font de la R&D en Inde a enregistré une hausse significative en 2009, immédiatement après la crise financière. Peut-être jus-tement en raison de la crise financière, de plus en plus de multinationales externalisent davantage de leurs acti-vités de R&D vers l’Inde. La plupart des multinationales répartissent leurs activités de R&D sur plusieurs pays, et lorsqu’elles choisissent un site, leur motivation première réside surtout dans la disponibilité et le coût des res-sources humaines, auxquels viennent s’ajouter d’autres facteurs de facilitation, comme la solidité du régime de propriété intellectuelle dans ce pays, l’existence d’incita-tions fiscales à la R&D, etc.

Les autorités indiennes se sont montrées très actives pour la promotion de l’innovation et l’évolution du SNI. Les généreuses incitations fiscales constituent le principal instrument utilisé pour intensifier l’investissement dans la R&D (repère 2). Près d’un quart de la R&D industrielle effectuée en Inde bénéficie de ces incitations, et le taux de subventionnement a progressé à l’heure où la création de technologies se mondialise. De plus, les autorités ont engagé une série de mesures ciblant l’économie dans son ensemble, comme la politique de la science et de la tech-nologie de 2003 (Science and Technology Policy) ou, plus récemment, la politique de la science, de la technologie et de l’innovation de 2013 (Science, Technology and Inno-vation Policy). Les pouvoirs publics cherchent à améliorer à la fois la qualité et le nombre de scientifiques et d’in-génieurs auxquels peut recourir l’industrie, et prennent des mesures pour renforcer l’investissement dans la recherche scientifique. Ils ont défini des politiques secto-rielles qui ciblent des secteurs particuliers : automobile, biotechnologie, équipement électrique, électronique,

Les multinationales de plus en plus présentes dans la R&D industrielle en Inde

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Durant la dernière décennie, le nombre de multinationales étrangères présentes et actives dans la R&D a beaucoup progressé en Inde.

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Générosité des régimes fiscaux pour la R&DR

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L’Inde possède l’un des régimes d’incitations à la R&D les plus généreux : près d’un quart de la R&D industrielle réalisée en Inde bénéficie de ces incitations fiscales. Le subventionnement par l’État des dépenses de R&D des entreprises par les incitations fiscales en faveur de la R&D est passé de 15 % en 2006-2007 à 26 % en 2011-2012.

services de TI, produits pharmaceutiques, télécommuni-cations et semi-conducteurs.

forte concentration de l’activité d’innovation dans quelques secteurs et régions en IndeLe processus de libéralisation et l’ensemble des mesures mises en œuvre par les autorités indiennes ont permis de multiplier les activités de R&D dans ce pays. Les dépenses qu’y consacrent les entreprises ont enregistré une solide croissance, supérieure à 15 % par an en termes nominaux [Mani, 2013c], et l’intensité moyenne de la recherche des entreprises du pays a de fait progressé, passant de 0,65 % en 1996 à 0,82 % en 2010.

Néanmoins, environ deux tiers des dépenses de R&D des entreprises proviennent de trois secteurs seulement : les produits pharmaceutiques, l’informatique et l’auto-mobile ; tous les secteurs ne font pas de R&D. En réa-lité, la distribution des dépenses de R&D se concentre, ce qui signifie que les subventions n’ont pas réussi à soute-nir la diffusion d’une culture de la R&D auprès des entre-prises manufacturières. En outre, même au sein de ces trois secteurs, les efforts d’innovation sont essentielle-ment concentrés dans un nombre restreint d’entreprises. En d’autres termes, la majorité des secteurs et de leurs entreprises ne prennent pas l’innovation suffisamment au sérieux pour consacrer une part considérable de leurs recettes à la R&D.

Derrière la belle image des multinationales censées être une source de technologie pour l’économie natio-nale, et la possibilité de retombées pour les entreprises locales, tous les secteurs ne s’en sont pas aussi bien sortis

que celui de l’automobile. L’Inde n’est pas devenue inno-vante, mais elle est devenue un pôle important d’activités d’innovation. Très peu de retombées ont été enregistrées. Pour ce qui concerne la propriété des brevets, il appa-raît que la part qui revient aux entreprises étrangères a augmenté de manière assez significative ces dernières années. L’essor des dépôts de brevets par les entreprises indiennes aux États-Unis est à porter au crédit de centres de R&D étrangers [Mani, 2009]. Dans le secteur des technologies de l’information et des communications (TIC), presque toutes les sociétés qui déposent des bre-vets depuis l’Inde sont originaires des États-Unis. Dans le secteur pharmaceutique, la seule entreprise implan-tée en Inde à avoir breveté le produit de ses recherches est Ranbaxy, à l’époque indienne, mais qui, depuis 2008, a intégré la multinationale pharmaceutique japonaise Daiichi Sankyo. Même si l’Inde respecte pleinement les dispositions de l’Accord sur les aspects des droits de pro-priété intellectuelle qui touchent au commerce de l’Or-ganisation mondiale du commerce (OMC) depuis le 1er janvier 2005, l’externalisation en Inde de projets de R&D générateurs de brevets par des multinationales reste à développer. Certes, un certain nombre de groupes pharmaceutiques internationaux externalisent des pans de grands projets de R&D à des entités indiennes, mais le plus souvent, ce sont les essais cliniques qu’ils externa-lisent en Inde.

La concentration géographique de l’innovation en Inde est la troisième difficulté mise en lumière dans ce focus. Bien que l’activité manufacturière et industrielle s’opère en de nombreux endroits du pays, elle a tendance à être concentrée dans quelques zones spécifiques (repère 3). Cela signifie que l’essentiel du pays ne participe pas signi-ficativement à la création d’innovations. Cette situation est apparue malgré les efforts incessants de l’État central pour disperser géographiquement les industries, en par-ticulier dans les régions réputées en retard, par le biais de divers instruments, et notamment de la politique de délivrance de licences industrielles. Cette concentration reflète simplement la disponibilité de l’infrastructure physique et du capital humain. En réalité, les différents États du pays rivalisent pour attirer des investissements substantiels, en proposant divers avantages fiscaux ou autres.

Il existe une forte corrélation des rangs entre les entrées d’IDE et les brevets, car en Inde, ce sont les multi-nationales qui déposent la plupart des demandes de bre-vets. En étudiant les données, on est surpris de constater

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que le Gujarat affiche un faible niveau d’IDE, alors qu’il se range en deuxième position pour la valeur ajoutée manu-facturière (VAM). Le Gujarat est souvent présenté comme un État accueillant pour les entreprises, mais pour on ne sait quelle raison, les multinationales évitent d’y investir. En fait, la forte concentration des activités de production et d’innovation dans le pays montre que, bien que nombre des mesures engagées dans ce domaine soient décidées au niveau national, c’est à l’échelon local qu’elles sont mises en œuvre, si bien que la volonté et la capacité des autorités locales ou des États sont déterminantes.

Néanmoins, la promotion de l’innovation demeure dans une large mesure centralisée au niveau fédéral. Même si des mesures explicites de décentralisation ont été prises via la création des conseils de la science et de la technologie (State  Councils  of  Science  Techno-logy) au niveau des États en 1971, seuls quelques États sont dotés d’un conseil opérationnel et actif. La plupart de ces conseils s’occupent en priorité d’encourager la recherche du secteur public et ne collaborent pas direc-tement avec les entreprises du secteur privé, lesquelles, nous l’avons vu plus haut, sont pourtant en train de devenir le cœur du SNI du pays. En bref, la politique d’innovation reste globalement centralisée au niveau national. On envisage certains efforts pour la décen-traliser à l’échelon des États et des villes, mais le seul domaine dans lequel on observe des progrès tangibles, c’est la diffusion de la culture du brevet, et peut-être la promotion d’une partie de la recherche fondamentale, avec la mise en place d’instituts de recherche publics au niveau des États.

La politique d’innovation indienne semble coupée des autres stratégies de développement économique importantes, telles que le plan national pour le chan-gement climatique (National Plan for Climate Change). Les pouvoirs publics encouragent la production d’élec-tricité dans le cadre de divers programmes sur les éner-gies renouvelables, comme l’énergie solaire et éolienne, la biomasse et les petits systèmes hydroélectriques. Ils ont introduit un ensemble d’incitations fiscales et financières, ainsi que d’autres mesures, notamment de nature réglementaire, destinées à attirer les investis-seurs privés2. Là encore, toutes ces initiatives sont prises

2. On peut citer les subventions sur le capital et les intérêts, l’amortis-sement accéléré ainsi que des droits de douane ou d’accise préférentiels ou nuls. La loi sur l’électricité de 2003 (Electricity Act 2003) contraint les autorités de réglementation du secteur de l’électricité des États à fixer le pourcentage minimum d’électricité achetée auprès des sources renouve-

au niveau de l’État central (seuls trois États indiens, le Gujarat, le Rajasthan et le Karnataka, ont adopté leur propre politique pour l’énergie solaire) et sans grand lien avec le développement industriel.

vers une nouvelle stratégie de l’innovation en Inde ?Ces dernières années, et plus précisément depuis 2010, on observe un changement de paradigme en Inde s’agis-sant de la promotion de l’innovation. Plusieurs signes témoignent d’une nouvelle volonté de promouvoir la croissance économique par un regain d’innovation : l’annonce d’une décennie de l’innovation (2010-2020), le lancement d’une nouvelle politique de la science, de la technologie et de l’innovation en 2013 et l’aug-mentation du budget alloué à la science et à la tech-nologie, porté à 28 milliards de dollars dans le 12e plan quinquennal. De plus, la proposition de mettre en place 50 centres d’excellence au sein des universités publiques et privées existantes, ainsi que l’adoption d’un certain nombre de nouvelles mesures de promo-tion de l’innovation, comme le programme Innova-tion in Science Pursuit for Inspired Research (INSPIRE), attestent de cette nouvelle orientation. Toutefois, la grande nouveauté réside dans la mise en œuvre de poli-tiques ciblant spécifiquement certains secteurs, motivée par le mécontentement suscité par la politique univer-selle appliquée jusque-là. L’Inde s’est donc dotée d’une politique de l’innovation spécifique pour les secteurs de l’automobile, de la biotechnologie, de la chimie, de l’équipement électrique, de l’électronique, des TIC, des produits pharmaceutiques, des semi-conducteurs et des télécommunications.

La politique nationale indienne pour le secteur manu-facturier (National Manufacturing Policy), publiée à la fin de 2011, fait explicitement référence aux licences obliga-toires délivrées par les pouvoirs publics pour la techno-logie verte lorsque les titulaires des brevets exigent une redevance excessive ou ne répondent pas de manière satisfaisante à la demande nationale. Par ailleurs, le fonds indien pour l’énergie durable (Indian Fund for Sus-tainable Energy), qui est un fonds de capital-risque unique en son genre, s’emploie à investir dans les start-ups qui

lables, en fonction des conditions locales. Dans la plupart des États, un tarif préférentiel est consenti autant que possible aux producteurs d’électricité renouvelable raccordés au réseau, en vertu des dispositions de la politique nationale de l’électricité (National Electricity Policy) de 2005 et de la poli-tique nationale sur les tarifs (National Tariff Policy) de 2006.

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se créent dans le secteur de l’énergie durable et à les accompagner.

Il est évident que les pouvoirs publics jouent un rôle croissant dans la promotion de l’innovation en Inde, rôle qui s’articule plus clairement à l’heure où la pro-duction de technologie dans le pays se mondialise. Tou-tefois, la mise en œuvre des politiques de promotion de l’innovation n’a guère été décentralisée. Les auto-rités des États n’y tiennent qu’une place minime, sauf pour la promotion des industries reposant sur les nou-velles technologies, comme les TI et la biotechnologie. Les autorités de certains États ont appris à mieux proté-ger leurs droits de propriété intellectuelle sur les nou-velles inventions, ce qui commence à porter ses fruits, puisque l’on note une progression des dépôts de brevets au niveau des États.

ConclusionCet article met en évidence les trois grandes difficultés auxquelles se heurtent les autorités chargées de promou-voir l’innovation. Tout d’abord, elles ont besoin de mieux

comprendre par quelles voies passent les innovations. En Inde, un nouveau courant préconise d’encourager l’inno-vation ne passant pas par la R&D. Toutefois, un examen de la politique de l’innovation récente, et plus précisé-ment de la politique de la science, de la technologie et de l’innovation de 2013, montre que la R&D reste considérée comme la voie royale vers l’innovation. La quasi-totalité des instruments de l’action publique servent donc exclusi-vement à encourager la R&D. La deuxième difficulté tient à l’absence de mesures destinées à générer des retom-bées positives depuis les multinationales vers les entre-prises locales. Seules des mesures visant à encourager l’IDE ont été prises, et les États se font même concurrence les uns les autres sur ce front. Toutefois, il semble que la troisième difficulté ait été résolue avec la formulation de dispositions efficaces ciblant spécifiquement certains secteurs. Ces dispositions peuvent stimuler les activités d’innovation dans ces domaines, lesquels regroupent un assez grand nombre d’entreprises technologiques. Il ne reste plus aux autorités qu’à établir un lien plus clair entre les deux premières difficultés énoncées. ■

Mani S., 2013a, “Evolution of the Sectoral System of Innovation of India’s Aeronautical Industry”, International Journal of Technology and Globalization, vol. 7 (1-2): 92-117.

Mani S. et  al., 2013b, “TRIPS Compliance of National Patent Regimes and Domestic Innovative Activity, The Indian experience”, in Mani S. et Nelson R. (eds.), TRIPS Compliance, National Patent Regimes And Innovation, Cheltenham, Edward Elgar Publishing.

Mani S., 2013c, “Policy Spree or Policy Paralysis, An Evaluation of India’s Efforts at Encouraging Innovations at the Firm Level”, presentation à venir lors de la Conférence

India’s industrialization: How to overcome the stagnation, 19-21 décembre 2014, New Delhi, Institute for Studies in Industrial Development.

Mrinalini N. et  al., 2010, Impact of FDI in R&D on Indian R&D and Production System, rapport préparé pour le TIFAC, département de Science et Technologie, gouvernement indien.

Rao Subba D., 23 juin 2011, “India and the Global Financial Crisis: What Have We Learnt ?”, K.R. Narayanan Oration, South Asia Research Centre of the Australian National University, Canberra.

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Malgré les efforts de l’État fédéral, les activités et les investissements restent concentrés dans quelques régions d’Inde avec peu de retombées pour le reste de l’économie.

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La première partie dresse le bilan de l’année 2013 : retour sur les dates, les lieux et rapports clés qui ont structuré les débats et l’action en faveur d’un développement plus durable ; analyse des événements marquants, identification des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives dans les domaines du développement, de l’agro-écologie, de la biodiversité, du climat, de la gouvernance, etc.

Le Dossier 2014 a pour ambition de décortiquer et analyser les rouages de l’innovation, considérée comme la nouvelle clé du développement durable. Véhicules électriques, agriculture biologique, énergies renouvelables, e-learning : l’essor de ces technologies émergentes et modèles alternatifs génère l’espoir d’un développement plus décentra-lisé, frugal, flexible et démocratique, que les modèles déployés au cours du xxe siècle. L’innovation s’impose comme mot d’ordre des organisations internationales, gouver-nements, entreprises, universités et de la société civile pour répondre aux défis écono-miques, sociaux et environnementaux de la planète. Quel est le véritable potentiel de ces innovations ? Comment et où se diffusent-elles ? Comment bousculent-elles les modèles conventionnels, dans l’agriculture, l’approvisionnement en eau et en énergie, les transports, l’éducation ? Leur ascension fulgurante, dans toutes les régions du monde, tient-elle ses promesses d’avènement d’une société plus durable et inclusive ? Au-delà de la technologie, quelles innovations institutionnelles sont-elles nécessaires pour atteindre cet objectif ?

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

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26 € Prix TTC France6228092ISBN : 978-2-200-28957-7

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’Outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le Gouvernement français. Présente

sur quatre continents où elle dispose d’un réseau de 70 agences et bureaux de représentation dans le monde, dont 9 dans l’Outre-mer et 1 à Bruxelles, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agriculteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2012, l’AFD a consacré près de 7 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en déve-loppement et en faveur de l’Outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 10 millions d’enfants au niveau primaire et de 3 millions au niveau collège, et à l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 1,79 million de personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 3,6 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transversa-lement autour de cinq programmes thématiques – Gouvernance, Climat, Biodiversité, Fabrique urbaine, Agriculture – et d’un programme transver-sal – Nouvelle Prospérité. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin

de traiter les enjeux du développement durable, de l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Jean-Yves GROSCLAUDE, directeur exécutif en charge de la stratégie à l’Agence française de développement (AFD), est agronome et Ingénieur général des Ponts, des Eaux et des Forêts. Après une carrière d’expertise dans les secteurs des infrastructures, de l’eau, de l’envi-ronnement, de l’agriculture au sein de sociétés d’amé-nagement régionales françaises, Jean-Yves Grosclaude a

successivement occupé au sein de l’Agence française de développement les fonctions de chargé de mission « Agriculture et infrastructures rurales », directeur-adjoint de l’agence de l’AFD à Rabat (Maroc), secrétaire général du Fonds français de l’Environnement mondial, directeur technique des opérations, directeur exécutif en charge des Opérations. Depuis août 2013, il est en charge de la direction exécutive de la stratégie et, à ce titre, gère les fonctions « Programmation stratégique, études et recherche, redevabilité et formation ». Par ailleurs, il est membre du Comité ministériel COP 21 et anime les réflexions internes pour la mie en œuvre de la stratégie « Climat » de l’AFD.

Laurence TUbiAnA, économiste, a fondé et dirige l’Insti-tut du développement durable et des relations interna-tionales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po et à l’université Columbia (États-Unis). Elle est membre du comité de pilotage du débat national français sur la transition

énergétique et du Conseil consultatif scientifique des Nations unies ; elle est également co-présidente du Leadership Council du Réseau des solutions pour le développement durable des Nations unies. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions d’environnement de 1997 à 2002, elle a été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute à l’université Columbia, Oxford Martin School). Elle est également membre du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PAChAURi est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

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Dossier

9 782200 289577