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Patrick Letessier Page 1
Sur le Fil de ma vie
Patrick Letessier
Juin 2014
Patrick Letessier Page 2
Cordon Ombilical
Sur le fil de ma vie, j'ai accroché des souvenirs, des petits bouts d'envie, des instants
d'émotion, des morceaux de moi, des rêves, des émois, des indignations. Aujourd'hui je les décroche,
qu'ils soient beaux, qu'ils soient moches ; je leur colle des mots pour leur donner une vie, pour vous
dire qui je suis, pour vous dire comme ils sont. Poésies libres, rimes, proses ; des cris des sons qui
prennent la pose.
Depuis mon premier cri
Depuis ma tendre enfance Vinrent les premiers conflits
J’ai toujours voulu faire entendre ma voix. Où la voix devient cri ;
La première seconde de ma naissance Des cris contre ma mère
Que fut mon premier cri… Des cris contre mon père
Je ne saurais le dire Contre la société
Mais ma mère en a ri. Contre l'autorité
Puis il y eu : Des cris de révolté.
Des rires, des larmes S'ensuivit l'âge de raison ;
Des jeux, des drames Est-ce une raison
Mais toujours Pour être raisonnable.
Chaque jour Aujourd'hui si je crie
Le son de ma voix C'est moins avec ma voie
Pour conter mes déboires Que part quelques écrits
Pour exprimer mes joies Pas toujours raisonnables
Aux yeux amoureux Jetés sur une feuille
Aux sourires protecteurs Comme sur un porte-voix.
De ma mère
De mon père. P Letessier
Il a fallu apprendre
Il a fallu comprendre
Puis exprimer les choses
Des choses pas toujours drôles
Au moyen de cette voix
Souvent avec joie
Parfois, la peur au ventre
Noyé de désarroi.
Ma voix tremblait un peu
Au bord du désespoir ;
Ah ! Le fichu tableau noir…
Puis il y eu les premières filles
Ces instants infinis
Où, planté devant elles
On écoute son cœur
On se torture l’esprit
On cherche quoi leur dire
Et l’on reste sans voix
Face à leur joli minois
Et on se sent mourir
A force de rougir.
Patrick Letessier Page 3
Oui ! Ma mère en a ri, le jour de ma naissance, de mon premier cri. Elle venait d'oublier les
souffrances. Les femmes ont une force qui leur est propre et leur permet d'occulter toutes les
turpitudes de la grossesse pour ne conserver dans leur mémoire que la joie de ces moments
extraordinaires où elles donnent la vie. Leur visage s'illumine au premier contact avec le bébé et les
yeux mouillés de bonheur, elles s'étonnent de ce qu'elles viennent de réaliser.
Je suis né un dimanche de Décembre, on m'a rapporté qu'il neigeait ce jour-là. J'avais bien
pris un peu d'avance sur la pendule de la vie, mais l'accouchement se déroula sans complication. Je
vis donc le jour dans une petite clinique de la belle ville Franc-comtoise de Besançon. Mes parents,
Tout comme nous l'avons fait plus tard ma femme et moi à la venue de notre première fille, s’étaient
certainement questionnés sur cet enfant : Qu’avaient-ils à lui offrir ? Qu’allait-il leur apporter ?
Une seule certitude, cette naissance allait engendrer beaucoup d’amour.
Un Enfant.
Un enfant
C'est un moelleux et joli ventre rond
Une pomme éclairée par le rai de Cupidon
Un cri extirpé des entrailles d'une mère
L’avènement sublime d'une vie à la lumière.
Un enfant
C'est le regard complice et lumineux d'un père
Une larme irisée des couleurs du bonheur
Un être fragile comme un souffle de verre
La cause d'indicibles et nouvelles frayeurs.
Un enfant
Ça tend la main pour t'attraper le cœur
Ça cache au fond de ses yeux d’envoûtantes lueurs
Ça cogne dans ta poitrine quand s'exprime sa douleur
Ça dessine sur tes lèvres des sourires enchanteurs.
Un enfant
Ça tombe, ça roule, ça écorche ses genoux,
Le jour où petit d’homme, il veut marcher debout.
Ça te tend les bras pour t'offrir son amour
Ça se nourrit de câlins, la nuit comme le jour.
Un enfant
C'est à toi de l'aider à construire sa vie,
Tu dois également éduquer ses envies ;
S'il te fait pleurer, c'est parce qu'il souffre trop ;
A toi de le consoler, d'inventer les bons mots.
Patrick Letessier Page 4
Un enfant
C'est le passage de témoin entre générations
L'espoir d'une future et brillante civilisation
L'accomplissement possible de rêves inassouvis
L'étoile qui illumine le fil de ta vie.
Un enfant
C'est celui qui continue ton chemin
Celui qui doucement te fermera les yeux
Le jour où tombera le grand clap, de fin ;
Alors, apaisé, fier de lui, tu partiras heureux.
P Letessier
Les mères sont des fées qui veillent en permanence sur la chair de leur chair, sur ceux qui
toute leur vie seront d'une manière ou d'une autre leurs bébés. Elles ont toujours un œil protecteur
qui se promène, l'air de rien, au-dessus de leur progéniture et quand tout se passe bien, elles sourient
et songent que la vie est un bonheur.
Imaginez : Un pré d'herbe tendre ; Quelques fleurs ébahies de couleurs ; De jolis papillons
dans la brise légère ; Un soleil un peu fier et l'ombre accueillante d'un tilleul. Un pique-nique
improvisé dans une nature apprivoisée.
Papillons
A l’abri sous l’ombre du tilleul
L’enfant repose nu sur l’herbe tendre du pré.
Une nuée de papillons s’envole vers le ciel ;
Il se lève et court pour les attraper.
La fée en bonne mère veille et lui donne conseil:
« Assieds-toi! ».
Il s’assoit, immobile ;
Les papillons se posent,
Caressent la peau du petit être fragile.
L’enfant s‘esclaffe d’un éclat de couleurs ;
La bonne mère sourit
L’enfant est habillé des ailes du bonheur.
Existe-t-il une technique infaillible pour éduquer un enfant ? Nul ne le sait, sauf à le dire,
quelques grands théoriciens de l'éducation qui se targuent souvent de détenir la vérité sur le sujet,
mais n'ont, vus les résultats obtenus en appliquant leurs théories, jamais révolutionné le système, ni
réalisé de miracles particuliers en la matière. Il existe certainement quelques règles universelles de
base à respecter, mais avant tout, il faut et j'en suis sûr, lui prodiguer beaucoup d'amour. Pour ma
part j'ai une petite recette toute simple à vous proposer.
Patrick Letessier Page 5
Recette
Pour bien élever un enfant,
Il faut appliquer cette recette ;
Elle mijotera au moins vingt ans,
J'en livre ici toutes les facettes.
Tout d'abord choisir une jolie fleur
Toute de rose vêtue au printemps,
Lui accorder tendresse et ferveur,
La pomme est un fruit bien tentant.
Le jour où paraît le fruit,
Le cueillir délicatement,
Alors toute peine s'enfuit,
La vie se croque dès maintenant.
Entourer le fruit nuit et jour
D'une pâte pétrie d'amour ;
Le réserver sur un lit de prévenance,
Parfumer ensuite d'esprit de tolérance.
Surtout, réduire à feu doux l'ignorance
Sinon le plat serait indigeste ;
Éviter, blessure, pépin, marque de souffrance,
Pour qu'il n'y ait pas de reste.
Pour éviter amertume et fatuité
Saupoudrer d'un peu d'humilité,
Le goût en sera plus fin, plus fruité.
Ensuite, y mêler une goûteuse amitié.
Rectifier d'un zeste d'amour
Pour équilibrer la recette,
Alors jusqu'à la fin de vos jours,
Votre fierté ne connaîtra pas la disette.
P Letessier
Mes parents se sont montré assez bon cuisinier ; ils ont souvent cherché de nouveaux
ingrédients pour améliorer la recette. Il ne leur a pas toujours été aisé de faire mijoter le tout à feu
doux, parfois quelques éléments ont brûlé ; oh ! Pas très longtemps, juste le temps de l’adolescence
ou lors de révoltes sporadiques.
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Une plongée dans le temps, un grand coup d’œil dans le rétroviseur ; Des Images du passé
transparaissent comme dans un songe, caresses douce de la vie ; le cœur qui se gonfle des fraîcheurs
de l'enfance, le regard de ma mère, jeune et jolie ; Le charme de sa voix douce ; une larme sur un
cil ; mais non, je ne pleure pas ; il me reste tant et tant de choses à faire revivre : Les meilleures ;
Elles sont le plus souvent appelées à reparaître à se projeter dans la lumière. Les pires sont prêtes à
te faire encore et encore souffrir en se délogeant du fond de ta mémoire.
Une légère brise de nostalgie s’évertue alors à disperser se voile ténu qui recouvre nos
souvenirs et c'est au cœur d'une rêverie douce ou parfois douloureuse qu’apparaissent les images
des êtres aimés, souvent trop tôt disparus, ou celles d'instants qui ont marqués nos vie. .
Joli ennui.
Paresser…
Ce mot sonne comme une poésie suave et me caresse l’esprit ; il a le charme d’une île de
l’ennui. Une pointe de mélisse, l’ennui devient délice .Lorsque l’ennui devient songe et qu’au-delà
du silence, il murmure le doux froufrou du temps, où à peine sorti des langes ma mère me
chantonnait avec amour, le message de jolies berceuses que chante depuis toujours toutes les
mamans du monde ; Alors, je la vois à l’abri d’une ombrelle dans la campagne ensoleillée, penchée
sur moi, susurrant à mon oreille les mots de l’amour.
Malheureusement avec la fuite du temps, la vie coule comme une pierre qui roule, nous
dispensant de lumineux instants aussi bien que d’atroces moments et le temps passe indifférent ; il
continue sa course quoi qu’il se passe, sans prendre un instant pour comprendre ce que vivent les
gens. Aussi faut-il savoir s’arrêter, savoir prendre le temps, savoir se rappeler. Nourrir ses
souvenirs au fil des jours, savoir les retenir, éviter de les escamoter.
A l’ombre de quelques arbres lorsque l’ennui me prend, lorsque la lassitude m’engourdit
l’esprit et me pousse à paresser ; je goûte, tombant de la ramure, le doux massage du vent qui me
caresse le visage et m’apporte à l’oreille des messages d’antan ; alors, dans le silence se crée une
passerelle entre le nouveau et l’ancien temps. Il me vient à l’esprit le moelleux souvenir de mon lit
d’enfant couvert d’un duvet blanc et celui d’un coffre à jouets au charme désuet qui contenait une
micheline en fer de couleur rouge, toute cabossée d’avoir trop roulé dans l’allée du jardin. Je revois
également « monsieur Hippo », cet énorme hippopotame en peluche sur lequel je posais ma tête à
l’heure de la sieste pour mieux m’endormir et les longues antennes noires terminées par deux
grands yeux bleus d’une chenille en tissus jaune, dont la tête fendue du grand sourire de deux lèvres
bien rouges dépassait toujours du coffre et semblait épier telle une sentinelle mes faits et gestes.
Elle était la gardienne de ma chambre ; elle veillait sur moi, prête à réveiller « monsieur Hippo »
dont la corpulence rassurante était censée protéger le petit univers de mes jeux enfantins.
Ce sont là des moments où l’ennui s’enrichit des errances de l’esprit, instants délicieux où,
tel une fresque, se dessinent au plus intime de la mémoire des images du passé qui réveillent en
nous les plaisirs du temps où nous étions enfant.
P Letessier
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Les errances de l'esprit : Voyage au hasard de la pensée ou voyage bien orchestré dans les
arcanes de la mémoire ; l'esprit s’arrête au long du parcours dans des gares « souvenir »,
destinations d’événements localisés au fil du temps à un endroit bien précis de la vie.
C'est toujours avec tendresse que j'évoque l'histoire de ce vieux chat jaune qui fut longtemps
le compagnon des nuits de ma tendre enfance. Ainsi, ma mère constatant l'état de ce jouet, me
demanda simplement si elle pouvait le jeter. J'avais alors répondu : « Pas de problème, maintenant
je suis trop grand pour continuer à le prendre avec moi le soir dans mon lit ; De plus, il est tout
abîmé. » J'avais joué le fanfaron pour montrer que j'avais bien grandi, mais la première nuit sans
cette vieille peluche fut un véritable enfer et j'en garde un douloureux souvenir. En fait, seules la
première nuit et les deux ou trois qui suivirent furent vraiment difficiles ; les suivantes, je dormis
profondément comme un grand ; les démons qui peuplaient mes nuits avaient disparus ; je m'étais
endurci...
Le chat jaune.
Je me souviens d'un chat,
D'un chat jaune,
D'un chat jaune et moche
Mais que j'aimais bien.
Je me souviens d'un chat,
D'un chat jaune,
D'un chat jaune et borgne
Mais que j'aimais bien.
Je me souviens d'un chat,
D'un chat jaune,
D'un chat jaune et mité
Mais que j'aimais bien.
Je me souviens d'un chat,
D'un chat jaune,
D'un chat jaune le ventre crevé
Mais que j'aimais bien.
Un jour, ce chat,
Ce chat jaune,
Parce qu'il était moche
Ma mère l'a jeté
Alors j'ai pleuré ;
Car ce chat
Dans la nuit noire
Je ne voyais pas,
Qu'il était jaune,
Qu'il était jaune et moche ;
Et le soir contre mon cœur
Il me faisait des câlins.
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Mon enfance fut heureuse sans être luxueuse ; mes grands-parents habitaient la campagne,
mes parents étaient assez proche de la nature. Ma mère avait vécu les vingt premières années de sa
vie dans une ferme et mon père, pêcheur invétéré, s'était occupé pendant la guerre d'améliorer
l'ordinaire en pêchant aux engins avec son frère et son père dans la petite rivière bourguignonne qui
mouillait les pieds de leur village. Il était également mycologue, mycophage et appréciait les bonnes
choses. Il travaillait durement, mais ses jours de repos, il les passait à taquiner de belles farios dans
une magnifique rivière « La Loue ». Il m'emmenait avec lui et m'enseignait avec passion l'Art de la
pêche à la truite. Nous arpentions également de long en large, à la recherche de diverses espèces de
champignons, les magnifiques forêts du Doubs ainsi que de verdoyantes pâtures, la plupart du
temps habitées par de majestueuses Montbéliardes ; il nous arrivait de trouver cette petite reine des
bords de chemin qu'est la morille noire. Ma mère était un véritable cordon bleu et possédait le don
de pouvoir accommoder avec bonheur tous ces trésors que nous offrait la nature. Que de souvenirs
autour de cette magnifique vallée de la Loue, un écrin de verdure entre de hautes falaises calcaires
qui veillent sur le lit d'une rivière de caractère, par endroit inaccessible et mystérieuse. La mémoire
des arbres retient au fil du temps les événements qui ont marqués les bords de la rivière ; Au grès
du vent ces vénérables végétaux en délivrent ensuite le contenu à qui sait saisir le sens de leurs
paroles.
La mémoire des arbres.
Le réveil avait reçu la veille au soir son allocation journalière de bruit ; il était dressé pour
nous avertir dès cinq heures ; le moment venu, il trépignait soudain d’impatience dans un
tintamarre infernal, vibrant de partout ; il arrivait parfois qu’il se déplaçât sur la table de nuit pour
finalement choir au sol, les pattes en l’air, émettant un horrible bruit de crécelle qui durait jusqu’à
ce que le ressort ce fut complètement détendu ; Souvent mon père après avoir avec habileté réussi à
le retrouver, le faisait taire d’un virulent coup de poing sur la tête. En observant bien l’engin, on
pouvait se rendre compte que ses deux bras lumineux formaient dans un mouvement digne d’un
contorsionniste, un angle obtus, qui nous intimait l’ordre de nous lever. Lors de ces accidents de
réveil, toute la famille était bien entendu arrachée à son sommeil ; la caravane dans laquelle nous
logions, pendant nos week-ends de villégiature passés au camping municipal du petit village de
Vuillafans, formait un espace confiné ; personne parmi ses occupants n’échappait aux facéties de
l’engin. Souvent, l’alerte passée, Je me glissais au plus profond de mon lit ; je remontais les draps
au-dessus de ma tête afin de goûter encore quelques instants une douce et rassurante chaleur. Mon
père me secouait gentiment pour m’inciter à me lever.
Une bonne odeur de café flottait sous le auvent de la caravane. Nous le buvions ensemble ;
je dévorais à belles dents de grandes tartines de miel ou de confiture, tranchées dans une grosse
miche de pain de campagne que le boulanger du village faisait cuire au feu de bois. Après un petit
déjeuner qui tenait au ventre, nous sortions, musette sur le dos, canne à la main, impatients de
pouvoir enfin taquiner les belles farios, cachées au fond de la rivière située en contrebas du
camping.
Aussitôt un pied dehors, je levais le nez pour appréhender l’allure du ciel. Je découvrais
alors, lors des plus belles nuits, une voûte céleste magnifiquement étoilée ; je m’ingéniais à trouver
ou se cachaient la petite et la grande ourse dans la myriade d’astres qui composent notre galaxie,
la voie lactée. L’étoile du berger, la belle Vénus, n’avait plus de secret pour moi. Je la retrouvais
toujours facilement ; c’était la plus brillante, la plus envoûtante ; elle ouvrait à mon imagination
des univers fantastiques. Je rêvais d’autres planètes habitées, de rencontres magiques avec des
peuples pacifiques et sages, qui à bord de vaisseaux grandioses traversaient le cosmos.
Patrick Letessier Page 9
Me tirant de mes rêveries, mon père m’invitait à le suivre. Il prenait le chemin de la rivière
sous l’éclairage attentif d’une grosse lune jaune au sourire enjôleur, dont le visage poupin nous
surveillait du haut de la colline. Plus nous approchions de la berge située en contrebas du camping,
plus l’angoisse gonflait au sein de ma poitrine ; des ombres noires étirées vers le ciel, plantées là
au garde à vous, paraissaient tel de fiers soldats armés de pics et autres armes terrifiantes, veiller
sur le lit de la rivière. Je me souviens avoir hurlé de terreur le jour ou une flèche griffue, décochée
par l’une de ces ombres malfaisantes, m’avait ouvert le doigt. Cependant, l’excitation que je
ressentais à l’approche de l’eau, due à l’imminence de l’action de pêche, surpassait ma frayeur. Je
m’appuyais contre l’un de ces grands arbres responsable quelques instants auparavant de ma peur.
Je ressentais alors pour ce puissant végétal beaucoup de respect. Au contact de l’écorce, je
comprenais combien cet être était vivant ; je me blottissais contre la peau dure et rugueuse de ce
géant, cela me rassurait. Le bruissement d’une légère brise dans la ramure excitait mon
imagination ; je pensais que ce froufrou pouvait être leur langage ; ils conversaient entre eux ; Eole
par son souffle était leur messager. Oh ! Combien d’histoires avaient à raconter ces sentinelles
impassibles aux pieds baignés par une eau nourricière, source de leur force, de leur allure
majestueuse.
Personne ne se méfie jamais du regard d’un arbre, ni les amoureux qui s’embrassent à
l’ombre de son feuillage, ni les curieux promeneurs du dimanche après-midi et encore moins le
pêcheur à l’affût d’une prise ; pourtant, ces vénérables saules, témoins de tant d’événements,
deviendront au fil du temps les sages détenteurs des secrets du bord de la rivière.
Apaisé, à l’affût du moindre bruit, j’essayais de percer les mystères de la nuit, les mystères
de la nature encore endormie, de surprendre la conversation des arbres, de comprendre le
murmure des flots. Cette musique qu’orchestrait dame nature, je la disséquais dans la pénombre
comme un anatomiste du bruit ; cela me permettait de saisir le souffle de l’eau ; il me semblait que
ma propre respiration se calait sur celle de la rivière ; j’entrais en osmose avec elle, me glissais
dans son lit, remontais son cours, repérais chaque cailloux, chaque buisson pouvant abriter une
truite. La truite ! Un poisson aux dimensions démesurées que je me voyais combattre des heures
après avoir leurré sa méfiance.
Il fallait attendre l’heure d’ouverture de la pêche, légalement une demi-heure avant le lever
du soleil. Nous en prenions connaissance en consultant de petits calendriers, spécialement édités
pour renseigner les pêcheurs sur les heures d’ouverture et de fermeture ; ces petits cartons bien
utiles nous avaient été remis lors de l’achat de notre permis. L’attente me semblait toujours
interminable. Mon père me conseillait de tendre l’oreille et de compter, porté par le vent, le nombre
de coups lâchés par la pendule du clocher du village, moyen simple mais efficace d’appréhender
l’heure. Au moment où les cloches tintaient le nombre de fois désiré, je me précipitais, le temps était
venu de commencer la traque.
L’aube commençait à chasser la noirceur nocturne, blanchissant d’une aura laiteuse les
crêtes des collines environnantes. Puis, petit à petit, au-delà de la route qui longeait la berge d’en
face, dégoulinant le long de majestueuses falaises calcaires, les premiers rayons du soleil
éclairaient la roche de fins pinceaux de lumière. Ensuite, ils se regroupaient en une timide cascade,
pour finir en un flot continu qui dévalait les pentes, révélant tout d’abord, rangés comme une armée
à la parade, tordus et noirs, casqués de vert, des ceps de vignes accrochées sur des coteaux
abrupts ; ces vignes donnent encore aujourd’hui un vin blanc sec, marqué par le goût d’un terroir
très particulier ; « le goût de la sueur de ceux qui les exploitent » disait un ancien du village.
Belle image, car sur ces pentes raides, il est encore absolument impossible à ce jour d’y amener
une quelconque machine, tout est transporté à dos d’homme et le travail effectué uniquement à la
main.
Sous les vignes apparaissaient de souriantes pâtures où paissaient tranquillement de
gaillardes Montbéliardes jusqu’alors invisibles. Gravissant hardiment les collines, des forêts de
sapins aux allures sauvages semblaient totalement inaccessibles. Beaucoup plus proche, les
feuillus reprenaient pied dans la vallée.
Patrick Letessier Page 10
La nature s’éveillait ; les merles sifflaient dans les buissons d’épineux, voletant de branche
en branche, le bec jaune des mâles prêts à donner l’alarme à l’apparition de la moindre intrusion
sur leur territoire. Le lit de la rivière commençait à devenir visible ; seul un léger voile de brume
flottait au-dessus de l’eau ; quelques rochers au crâne noir coiffés d’une mousse d’écume,
montraient leur tête au milieu de courants bouillonnants. Enfin, la lumière chaude de l’astre du jour,
après avoir mangé la brume, agissant comme un révélateur photographique, dévoilait les mystères
enfouis sous une eau claire et pure comme du cristal de roche ; tout contre la berge, immobile au-
dessus des graviers qui garnissaient le fond, sous l'onde claire, se chauffant aux premiers rayons du
soleil, on pouvait avec un peu de chance découvrir une magnifique fario, avec sa grosse caboche et
son corps doré parsemé de points rouges. En redoublant d’attention, il était possible de percevoir le
minuscule mouvement des nageoires, juste suffisant pour assurer la stabilité de la belle et le léger
battement des ouïes qui rythmait la respiration de l’animal.
Attention ! Tout observateur doit se rendre invisible et éviter les mouvements trop amples
pour espérer surprendre la fière princesse de la rivière, sous peine de la voir disparaître d’un trait
dans les profondeurs.
C’était l’instant magique où se déclenche parfois la folie carnassière de ces beaux poissons ;
on observe se comportement le plus souvent en été, à la fraîche ; pendant environ une heure, ils
attaquent, vairons, chabots, pour se nourrir ; le reste de la journée étant consacré à paresser au
soleil. Je me souviens que je pêchais alors avec beaucoup d’assiduité afin de profiter pleinement de
ce moment béni pendant lequel on pouvait espérer éviter de rentrer bredouille. J’explorais avec
mon leurre tous les recoins de la rivière. Tout d’abord, le milieu de son lit au plus fort du courant,
tous les sens en éveils ; je ressentais les vibrations dues à la puissance du flux et les soubresauts du
leurre roulant sur les graviers. Ensuite, il fallait le manier en bordure de berge sous laquelle
existaient de profondes caches, sans oublier gros et petits rochers, où il était nécessaire d’œuvrer
avec art et finesse, ainsi que les tas de bois mort, noyés en ces lieux depuis les dernières crues ; il
n’était point facile de passer entre les branches immergées sans y rester accroché. La canne se
comportait comme une antenne ; elle me renseignait sur l’architecture, sur l’âme de la rivière. Pour
espérer attraper du poisson, il fallait comme le disaient les anciens : « Savoir lire l’eau, savoir
sentir la rivière ».
L’attaque d’une truite de belle taille est toujours surprenante et violente. Un choc qui
résonne dans le bras, la canne se courbe, le cœur cogne fortement dans la poitrine, le poisson
prend le courant pour tirer plus fort, puis il saute au-dessus de l’eau tentant de la sorte de se
décrocher, plonge à nouveau au plus profond, ensuite il cherche à se réfugier sous un rocher, mieux
encore, dans un tas de bois où il deviendra impossible de le déloger. Pendant tout le combat, il se
passe quelque chose d’étrange, d’irrationnel, le pêcheur se fond avec sa proie ; une indicible
émotion coule dans l’homme, transmise par le fil qui le relie à sa prise ; fil d’Ariane qui guide son
esprit jusque dans le ventre de la rivière ; lien ténu qu’il craint en permanence voir se rompre,
risque permanent à l’origine d’un trouble subtil et complexe, cause première de son intense
excitation. En sueur, la poitrine chamboulée, il peut laisser éclater sa joie lorsque le poisson
ruisselant, enfin sorti de l’eau, repose sur l’herbe verte de la berge. Après l’avoir admiré, mesuré,
soupesé, le pêcheur l’enveloppe dans un morceau de tissus blanc et le dépose avec respect au fond
de sa musette.
Aux alentours de neuf heures, je retrouvais mon père, nous prenions une pause. Nous nous
donnions rendez-vous toujours au même endroit, près d’un gros rocher en forme de pain de sucre.
Assis sur le tronc abattu d’un vieux chêne, nous annoncions tout d’abord nos prises respectives.
Mon père était un fin pêcheur, il avait surtout beaucoup d’expérience. Cependant, j’étais rarement
ridicule et me souviens avoir pu quelquefois présenter des poissons de taille fort respectable.
Ensuite, adossés au rocher, goûtant un repos bien mérité, en effet nous marchions beaucoup et
parfois dans des chemins forts escarpés ; nous nous réchauffions quelques instants sous le soleil qui
nous arrosait le visage de ses premières ardeurs. Parfois, entre les paupières de nos yeux mi-clos,
nous surprenions la présence d’un ou deux écureuils roux, qui par curiosité s’aventuraient jusque
sous notre nez et s’enfuyaient soudain au moindre mouvement de notre part. Délassé, nous
Patrick Letessier Page 11
déballions le casse-croûte préparé par ma mère ; souvent elle y ajoutait à mon attention quelques
friandises et une ou deux bananes. Nous mangions tranquillement ; puis tiré d’une bouteille
thermos, nous buvions un café encore chaud avant de reprendre la traque. Nous faisions le chemin
en sens inverse ; parfois nous croisions un vieux pêcheur aigri et asocial qui ne supportait pas de
voir : « des étrangers sur les berges de sa rivière » ; Au « Café des Tilleuls », c’était en ces termes
qu’il fustigeait les pêcheurs venus de la ville ; il se gardait bien de nous saluer et passait à côté de
nous en bougonnant, vexé surtout par l’adresse dont nous faisions preuve pour attraper les belles
farios, le surpassant souvent dans la technique de pêche ; nous étions bredouille bien moins souvent
que lui. Au moment où tintaient les douze coups de midi, conditionnés par une horloge interne
infaillible, nous arrivions généralement aux portes du camping. Nous nous arrêtions alors de
pêcher pour rentrer déjeuner.
Ma mère guettait notre venue. Elle comprenait rapidement si la pêche avait été bonne ou
non. Si nous nous présentions, sourire aux lèvres, la mine radieuse, cela signifiait que nos musettes
bien rebondies abritaient de nombreuses prises ; sinon, « ça sent la bredouille », disait-elle en
voyant nos regards pavés de mines qui ne demandaient qu’à exploser, surtout lorsque nous avions
eu la malchance dans la matinée de décrocher prématurément un ou plusieurs beaux poissons qui
nous avaient ainsi échappés. Si par un heureux hasard nous avions attrapé un nombre de truites
suffisant, elle les préparait tout de suite et nous les mangions le midi même. Les truites étaient si
fraîches qu’elles formaient en cuisant à feu doux dans le beurre, un arc de cercle ; la queue
cherchait à rejoindre la tête ; pour qu’elles puissent cuire correctement, la cuisinière était obligée
d’appuyer dessus avec une spatule après les avoir retournées. Une truite fario sauvage, cuite de la
sorte, accompagnée d’un verre de vin blanc des coteaux de vuillafans ; parfois au printemps, nous y
ajoutions cueillies sur le bord des chemins, une poignée de morilles fraîches subtilement odorantes.
Cachées au milieu des épines, il n’était pas toujours simple de les découvrir, mais ces perles noires
valaient bien quelques égratignures. Un mets de roi disait mon père. A l’époque, j’étais trop jeune
pour boire du vin, mais pour avoir depuis essayé le mariage entre le plat et le breuvage, je puis
vous assurer que c’est un repas divin, surtout s’il est pris dans cette superbe vallée, avec vue sur la
Loue, la magnifique rivière qui l’a façonnée, entouré de collines verdoyantes et boisées, sous
quelques falaises abruptes, accompagné du souffle tiède d’une douce brise, messagère infatigable
du chuchotement des arbres. Courbés sur la rivière, ces géants impassibles, témoins intemporels
des choses de la vie, réveillent chaque fois en moi la nostalgie de l’enfance ; puis, comme un écho,
le murmure de la rivière, où se mêlent, la voix douce de ma mère, la voix tendre de mon père et,
éclatant sous le soleil, leur sourire porté par le fil de l’eau. Alors, venu du plus profond des belles
années de mon enfance, monte en moi une onde qui me réchauffe le cœur.
P Letessier
Patrick Letessier Page 12
C'est aujourd'hui avec tristesse que je songe à ce magnifique cours d'eau dont la richesse
halieutique attirait à une époque encore peu lointaine toute une faune de pêcheurs, amoureux
inconditionnels de sa beauté et de ses poissons ; Pêcheurs aux leurres, au toc, à la mouche,
remplissaient les hôtels de la vallée ; mais le développement d'un tourisme beaucoup moins
respectueux et l'augmentation des pollutions dues à l'agriculture sont la cause d'une agonie lente de
cette magnifique rivière. Écoutez cet appel au secours de la nature ; ce cri de désespoir qu'elle me
lance lorsque je retourne sur les berges de mon enfance. Je suis tellement lié à cette jolie vallée, je
me sens tellement impuissant. Comment répondre à cet appel...
L’appel de la rivière.
Je t’ai dit :
« Écoute la musique de ton pays, de tes racines ;
Délecte-toi des sonorités du passé.
Rappelle-toi les vibrations de l’air à l’aube au bord de la rivière,
Sa présence perceptible dans la laitance de la nuit.
Réveille en toi toutes ces choses jusqu’alors endormies.
Écoute au fil de l’eau le murmure doux et clair qui berça ton enfance,
Mais entend aussi ce cri. »
L’entends-tu ?
La voix de la rivière ;
Elle t’appelle à son chevet.
L’entends-tu ?
La voix de la rivière ;
Elle a besoin que tu la protèges ;
Elle a besoin de se sentir aimée.
Tends l’oreille !
Écoute sa voix !
Elle souffre…
On l’a délaissée ;
On l’a vendue aux marchands de soleil.
Elle souffre…
Les hommes ne la respectent plus ;
Ils souillent depuis trop longtemps les draps de son lit.
Elle proclame à grands cris, dans l’écume jaunie de ses colères,
Que les hommes auront bientôt raison d’elle.
Elle dit : « Veux-tu assister sans bouger à mon hallali ? »
Écoute ce message : « Agis ! Sauve ce petit bout de nature,
Qu’il puisse dans l’avenir encore nous émerveiller, garder un charme éternel.
Protège-moi ! Je suis la mère de cette jolie vallée, qui pour l’heure encore te
sourit.»
P Letessier
Patrick Letessier Page 13
Rivière, rivière, source mystérieuse et fière, toi si belle, ta liberté sauvage et lumineuse me
fascine encore ; Quel rêve caches-tu ? Mère nourricière de la vallée, ma dame de nature. Le matin à
l'aube lorsque lentement dans le silence qui précède le réveil des oiseaux, adolescent rêveur, je
scrutais tes profondeurs avec l'espoir d'y découvrir un incroyable secret ; Sous les premiers rayons
du soleil, je l'avais ce jour-là découverte dans l'onde de tes charmes, cette entité sauvage et pure que
je cherchais, entre réalité et histoire séculaire, fruit de mon imagination ou songe fantastique ; Était-
ce là la preuve tangible de cet amour que je te vouait et te voue encore ?
Chimère.
Patrick Letessier Page 14
Après une nuit sans sommeil,
Sous les premiers rayons du soleil,
La rivière s’enfume
D’un léger voile de brume.
Des rochers au crâne noir
Rongés de désespoir,
Coiffés d’une mousse d’écume,
Dans le courant s’enrhument.
Apportée par le vent
Il y a plus de cent ans ;
Ils murmurent cette histoire
A ceux qui veulent les croire.
Dans le ventre de la rivière
Habite une nymphe aux yeux verts
Qui dévore les hommes
Si de sa couleur ils s’étonnent.
Sur une plage de sable,
Semée de galets blancs,
Qui semble bien aimable
Au soleil levant ;
Au pied d’un arbre mort,
Je la surprends, elle dort
Étendue sur le flanc.
Je m’approche hésitant.
Elle a pour toute parure
Une longue chevelure
Qui sous la brise s’éveille
Et flamboie au soleil ;
Habille de cuivre et d’or
Un magnifique corps,
Aux lignes pures,
Lascif et sensuel,
Fruit sublime de la nature.
Sa peau couleur bleu ciel
Plutôt que me surprendre
En tout point m’émerveille.
Mon cœur se fait entendre,
J’ai peur qu’elle ne s’éveille ;
J’aimerais la toucher
Tout au moins l’effleurer ;
Trop de timidité
Pour troubler son intimité.
Elle ouvre les yeux,
Ils scintillent de mille feux ;
Ce sont ceux d’un félin
En quête d’un festin.
Son regard émeraude
Semble être en maraude.
Elle me fixe intensément,
Je suis sous hypnose,
Dans ce bref instant,
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Bouger, je n’ose.
Elle sourit gentiment
Quel délicieux moment.
Dans sa bouche divine
Soudain, je devine
Quatre énormes canines ;
Faut-il que je dessine
Les desseins de la belle.
Cela est-il réel ?
Tout à coup, elle bondit,
De frayeur je crie,
M’enserre dans ses bras,
Me bloque entre ses cuisses ;
Je m’abandonne sans combat,
Crains un terrible supplice,
Vois l’instant de ma mort ;
Mon épaule, elle mord
Avec grand délice ;
Je deviens complice,
Ne fait pas d’effort,
Ni ne me débat,
Me satisfait de mon sort,
Accepte les ébats.
Sur un lit de mousse,
Je caresse sa peau douce
Dont la chaleur
Excite mes ardeurs ;
Sans aucun remord,
Je sens dans mon corps
Grandir mon émoi ;
Elle attend de moi
Beaucoup de bonheur
Je le lis dans son cœur.
Au moment le plus fort
Je pénètre son corps ;
En symbiose totale,
Cette étreinte peu banale,
Fruit d’un heureux hasard
A quelque chose d’animal.
Je perçois dans son regard
Une âme pure,
Incapable de parjure.
De jolis papillons verts
S’envolent de ses paupières.
Nous restons quelques peu
A nous regarder,
Nous épier,
Surprendre nos pensées,
En cet instant insensé.
Soudain, au fond de ses yeux,
Un orage d’éclairs verts
Explose jusqu’aux cieux,
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Une pluie douce et légère
M’inonde de son soleil ;
Je l’accompagne d’un rai de lumière
Qui m’emporte jusqu’au ciel.
Épuisés, repus et fier,
Nos deux corps
A la frontière de la mort
Se reposent enlacés ;
Puis lassée,
Elle me repousse,
Se dresse sur la mousse
Et disparaît dans l’onde pure.
Aujourd’hui, les rochers murmurent
La naissance future
D’une fille de la nature.
Une princesse à peau bleue
Régnant sur les cieux.
Ou est tu Chimère d’antan
Évanescente allégorie d’adolescent
P Letessier
La plupart de mes souvenirs d'enfance tournent autour de cette vallée indomptée et de ce
ruban argenté qui scintille dans le fond sous le soleil d'été. Elle représente le fil d'Ariane qui
conduit ma pensée au tréfonds de ma mémoire pour en extirper les joies et les émotions que nous
avons partagées mon père et moi. En effet, c'était au bord de ses eaux joyeuses que nous nous
retrouvions tout deux lors de nos belles parties de pêche à la truite. C'étaient là des moments
privilégiés d'échange ; les autres jours, il travaillait et j'occupais mon temps sur les bancs de l'école ;
nous nous voyions alors très peu.
Vers la fin de sa vie lorsqu'il eut contracté une grave maladie, les derniers bons moments que
nous passâmes ensemble se déroulèrent sur les bords de Loue. Était-ce la douceur de cette journée
ou le plaisir que nous soyons ensemble, mais il avait retrouvé un peu de force ce qui lui permit de
profiter sans trop se fatiguer de cette partie de pêche. Nous avons peu parlé, nous nous comprenions
d'un simple regard ; l'eau, si pure et si claire, était le fil directeur de nos émotions. Elle fut
généreuse en ce jour et nous avons eu la chance de capturer quelques beaux poissons.
Ma femme, mes enfants et moi-même, nous habitions à cette époque dans la région
parisienne ; trois semaines avant son décès, nous nous étions rendu à Besançon, entre autre pour lui
présenter la petite dernière, née depuis peu. Nous avions encore projeté de réaliser quelques futures
pêches à la truite au cours des prochaines vacances d'été. Il semblait aller mieux, mais ce n'était
qu'une illusion due peut être à la joie que lui procurait la présence de sa nouvelle petite fille.
Malheureusement après notre départ, la maladie s'aggrava rapidement et malgré son esprit combatif,
en effet, il ne s'était jamais plaint de quoi que ce soit au sujet de son état et avait toujours fait preuve
d'un courageux optimisme ; malgré cela, elle eut raison de lui ; il avait pu au moins serrer dans ses
bras la dernière de ses petites filles.
Livrer ses sentiments et écrire au sujet d'une personne proche, que l'on aime et de plus
disparue, est un exercice douloureux ; Il m'a fallu attendre quinze ans pour pouvoir m'exprimer à ce
sujet ; un jour les mots viennent te bousculer et tu les déposes simplement, là sur une feuille,
comme ils sortent de tes sentiments. Mon père voulait être incinéré et que ses cendres soient
répandues dans la Loue ; ce que nous avons fait. L'un de mes plus grands regrets fut de ne pas avoir
pu l'embrasser une dernière fois avant qu'il ne ferme les yeux. J'étais dans l'Oise lorsqu'il nous a
quittés.
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A mon père
C'est l'heure où les oiseaux sortent des arbrisseaux.
Une hulotte hulule au bout du ruisseau ;
La pendule de l'église agite sa cloche,
Alerte, le jour à pas de velours approche.
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Un linceul livide enrobe la vallée ;
La nuit s'agenouille au chevet de la rivière,
S'infiltre lentement au cœur de quelques pierres,
Une bouche noire tente de l’avaler.
Des vasques semblables à de grands bénitiers
Où la lune s'est mystérieusement baignée,
Ouvrent béatement de grands yeux indignés,
Face au divin soleil, implorent sa pitié.
Gommant les mystères oubliés par la nuit,
L'aube arrive furtive, s'installe sans bruit,
Communion de lumière entre ciel et terre,
Offrande consacrée, aube de la sphère.
La nature engourdie sort de son sommeil
Encore toute émue de songes mystérieux,
Paresse sous les premiers rayons du soleil,
Comblée par la douceur de ses premiers feux.
Des draps brodés de brumes légères s’effilochent,
Dévoilent un joli sourire « d'entre roches »,
Éternel et figé au fond d'une vallée
Que les siècles passés ont patiemment creusée.
Une onde claire et pure s'y est alitée,
Sève de la nature, source enchantée ;
Sur un sable doré tranquille elle murmure
Intimidé par l'ombre d'une haute ramure.
Soudain sur des galets, elle roule, sévère,
Dans son lit, en furie, bouillonne de colère ;
Puis saute de roche en roche, crie et postillonne,
De rage elle écume, de l'inconnu s'étonne.
Soudain, elle se tait, tout semble facile,
Devant elle une grande baie, un miroir fragile,
Prend un air détendu, elle attend le soleil,
Immobile, plonge dans un nouveau sommeil.
Cette surface lisse et son air fort paisible
Abrite en coulisse de grandes profondeurs,
A leur sujet circulent nombreuses rumeurs ;
Ces lieux seraient hantés d'une faune invisible,
Ni homme, ni bête, enfin plutôt chimère ;
On parle également de nymphes aux yeux verts
Et même la vouivre avec son corps de vipère,
Ses ailes fantastiques et son œil pervers,
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Au cœur de ces abysses se serait endormie.
Beaucoup de ces croyances tel une endémie,
Jadis alimentaient autour du feu le soir
Des récits de sorcière lus dans un grimoire.
Lors de mes flâneries, je me plais à croire,
En suivant dans les airs quelques formes fugaces,
Qui s'échappent et s'élèvent tout droit dans l'espace,
A cette légende, cette drôle d'histoire.
Parfois, mon ombre libérée trop indiscrète,
Tire brutalement de sa cache secrète,
Dans un éclat, l'âme argentée d'une truite,
Qui aussitôt à mon approche prend la fuite.
Fasciné, ému, je scrute l'onde profonde ;
La rivière se fige partout à la ronde,
Alors transparaît le visage de mon père
Où nous pêchions accompagnés de mon frère.
Ses cendres sur l'eau claire, aux quatre vents semées,
Reposent en liberté sans linceul et sans bière,
Dans le lit, près du ventre de cette rivière
Qu'il avait si souvent vantée et tant aimée.
Quand la nostalgie sur ses berges me porte,
Qu'un songe fabuleux en frêle esquif m'emporte ;
Je retourne en enfance, un rêve me vient, j'espère,
Un voile dans le regard, je pense à mon père.
Les pieds dans la rosée, je longe une rive,
Bordée d'épineux noirs où babille une grive ;
De légères fumerolles sortent de l'eau
Tombent une à une en gouttes fraîches sur ma peau.
Envahis par une troublante sensation,
Je frissonne, étreint part une folle émotion.
Il me semble que dans la blancheur du matin,
Toujours habile, une canne à mouche à la main,
Geste ample, taquinant la belle mouchetée,
Sauvage et noble truite tant convoitée ;
Au détour de ce long et tortueux chemin,
Hissé sur un rocher, musette sur les reins...
Plus vite, mon cœur s’emballe, mon cœur se serre ;
Cours...Cours...Il reste encore un virage à passer ;
Oui ! Là-bas, je vais enfin retrouver mon père
Et pouvoir une dernière fois l'embrasser.
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Après sa disparition, il me sembla que tout un chapitre de ma vie s'était fermé ; j'ai bien
essayé de fréquenter encore quelque temps cette vallée en traquant les belles farios, mais je n'y pris
plus aucun plaisir et depuis un peu moins de vingt ans, je n'y suis plus jamais retourné pêcher ;
cependant, il m'arrive encore d'errer sur les berges de la Loue avec mélancolie et de cueillir dans le
courant, çà et là, des émotions au fil de mes souvenirs .
Cette vallée est la vallée d'un roi qui n'est autre que mon père ; tout au fond luit un long
ruban argenté sur lequel est gravé le film de mon enfance et de mon adolescence. Rivière, ou plutôt
entité vivante qui m'abreuve en permanence de souvenirs ; aussitôt que mon esprit s'envole dans le
passé ; elle surgit, repère incontournable ; tel un cordon ombilical me reliant à travers le temps aux
êtres qui m'étaient les plus chers. On peut mieux comprendre mon attachement à cette jolie dame,
chaque fois, elle réveille en moi les vibrations du passé. J'y retrouve en particulier une présence
paternelle à travers une sensation subtile et intemporelle ; elle hante toujours les berges de ce
mystérieux cours d'eau. Dans l'onde transparaît une foule d'images accompagnées de toutes les
émotions et de tous les sentiments associés à chacune d'elles, puis un visage aux lignes pures aux
traits si doux, un rappel aux premières douceurs, aux premiers émois de l'adolescence ; visage
illuminé d'un magnifique sourire avec deux grands yeux bleus et malicieux, le premier à m'avoir
décroché le cœur.
Rivière: Rivière : Tu vis dans mon cœur comme un être cher, je t’aime!
Pur miroir où ma mémoire se démène.
Rivière : Tu baignes une vallée aux senteurs d’hier.
Son sourire bleuté scintille entre les pierres.
Sors de ton lit, viens donc agiter mon sommeil
Susurrer à mon oreille jusqu’au réveil.
Étanche ma soif de ta gelée royale
De cette liqueur claire à la saveur loyale.
Fais rouler tes cailloux dans tes sillons profonds
Dans ton ventre s’écoulent mes amours fripons.
Les arbres un peu voûtés penchés sur ton lit
Sont les gardiens armés qui veillent sur tes nuits.
Rivière: Lanterne d‘or, guide de mon adolescence
Mon esprit a besoin de ta luminescence.
Je m’effrayais des arbres la nuit sur la berge
Ils piquaient le cul du ciel tendus tel des verges.
Un grand bloc calcaire s’enfonçait dans ton corps
Statue immuable d’un grandiose décor.
Ton courant s’amusait en frissons polissons
Caressant les galets qui faisaient le dos rond.
Là où le courant devenait un peu flemmard
Quelques farios s’accoudaient au sable du bar
Et dans le soleil derrière le miroir d’eau
La lumière m’offrait ce merveilleux cadeau
Ton sourire délicieux au fil de l’eau claire
Apportant son amour avec tous ses mystères. P Letessier
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Ma mère était une maman formidable. Elle fut l'organisatrice de nos vies d'enfants. Je dis
nos car j'ai un frère un peu plus jeune que moi. Elle veillait toujours sur nous, nous remplissait
d'amour, réglait nos problèmes. Elle a tout fait pour nous éduquer le mieux possible, nous inculquer
certaines valeurs. Elle nous a soigné, s'est inquiétée pour nous sans rien en faire paraître. Elle ne
s'est jamais plaint de quoi que ce soit. C'est elle qui nous a aidés chaque jour à grandir. La maladie,
elle l'avait vaincue ; opérée à cœur ouvert, elle avait souffert en silence pour ne pas nous inquiéter ;
elle nous avait assuré que tout allait bien se passer et ce fut le cas. Elle partit sur la table d'opération
en nous répétant avec conviction qu'elle allait revenir et elle revint et cela sans jamais geindre.
Elle ne survécu que huit ans à mon père. Il y a un peu plus de dix ans, elle partit entre Noël
et nouvel an, nous étions tous présents. Avait-elle attendu que nous soyons réunis pour s'endormir
sans bruit…Sans bruit, comme elle avait traversé la vie. Il me sembla que l'on m'avait arraché
quelque chose, une partie de moi même s'en était allée avec elle, quelque chose d'intangible que l'on
ne peut pas expliquer ; mais je sais qu'elle veille toujours sur moi ; dans les instants difficiles, je fais
appel à ce qu'aurait été son bon sens, à ce qu'aurait été son courage. Les yeux de ma mère me
guident encore en silence comme ils me guidèrent toujours au cours de sa vie.
Les yeux de ma mère.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Légers papillons aux douces ailes de velours, Irisés d’étoiles où brillait le mystère D’une source intarissable aux couleurs de l’amour.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Serrés contre mon cœur, sous l’aile du sommeil; Après que la fatigue me jetait à terre, Leur fraîcheur m’abritait des affres du soleil.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Ruisselant d’éclatantes perles de rire, Lorsqu’un petit clown fou, les yeux pleins de lumière, Les frappait soudain de mille éclats de rire. Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Agenouillés, inquiets, au chevet de mon lit, Avec dans la prunelle une ombre de prière, Chasseurs inlassables des fièvres de la nuit.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Refuge intemporel de mes grandes terreurs, Lorsque abusé par une effrayante chimère, D’un cri, je leur confiais le fardeau de mes peurs.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Douloureux, éteints par une sourde souffrance ; Nulle plainte, à peine visible, une larme fière Tremblotait sur un cil, pudiquement, en silence.
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Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Fiers combattants, brûlant cette chambre blanche; Vainqueurs par KO de cette première manche, Où la dame en noir pensait gagner la guerre.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Fermés sur l’infini une nuit de décembre, Jour où l’on arracha un morceau de ma chair Et où l’on me rendit une jarre de cendres. Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Attentifs et précieux, juste au-dessus de moi, Aura limpide, deux sentinelles de roi, Étoiles guides, sans elles, vraiment que faire.
Je n’oublierai jamais les yeux de ma mère, Sur ma peau roule toujours une larme amère; Comme une épitaphe, elle trace sur ma joue… « Maman, comme hier ; Viens…Viens avec moi et joue…» P Letessier
La perte d'un être cher est ressentie tout d'abord comme une incroyable déchirure. Tout explose à l’intérieur...l'esprit, le cœur... L'espace, le temps, semblent t’échapper ; tu es emporté dans une tourmente de sensations, une tourmente d'émotions, dans un orage de douleurs. Puis vient le temps de se rappeler ; Les images affluent, apportent avec elles quelques lueurs de bonheur ; tu trouves un fil directeur tout droit en direction du passé avec tout au bout une étoile ; l'étoile des souvenirs. Elle restera toujours un guide ; guide des valeurs apprises, source de force et de volonté, refuge ou l'esprit se trouve apaisé. Cette étoile, c'est ce que les disparus t’ont laissés et c'est à travers les souvenirs qu'ils continuent vraiment de vivre dans un coin de ton cœur.
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Enfance et adolescence Nous habitions Besançon, dans un immeuble comptant une vingtaine de logements, situé dans
une impasse un peu éloignée du centre-ville. Nous y occupions un petit appartement bien agencé
avec cave et garage. La plupart des autres habitations étaient composées de maisons individuelles.
Je passais la plupart de mon temps à l’extérieur où je retrouvais mes copains ; nous jouions dans le
quartier, plus particulièrement dans le jardin qui agrémentait la villa de l'un de mes meilleurs amis.
Nous faisions preuve d'une imagination débordante et quel que soit le temps ou les moyens dont
nous disposions, nous trouvions toujours matière à nous occuper. Nous étions capables de créer des
univers fantastiques construits de bric et de broc où s'animaient une multitude d'êtres que nous
mettions en scène dans des scénarios improbables. C'est ainsi que nous construisîmes un imposant
château fort qui fut le lieu de combats et autres actions mémorables. Cela nous permettait de réviser
notre histoire ; parfois nous l'arrangions un peu à notre convenance pour qu'elle puisse coller aux
différents personnages, de plomb, d'acier ou de plastique, que nous avions en notre possession.
Le jardin résonne encore des cris d'êtres fantasques qui écumèrent à l'époque ces lieux ; et la
tortue « Caroline » pourrait en raconter des histoires incroyables auxquelles, malgré elle, elle fut
parfois mêlée.
Le château fort de mon enfance.
A l’ombre du cerisier tout au fond du jardin,
Au plus fort de l’été sous un soleil malin,
Illuminé d’une chaude lumière blanche
Qui tombe d’une trouée à travers les branches,
Au sommet d’une butte de gravas et de terre,
Trône un château fort qui domine les lieux,
Entouré de ses douves, où brille sous les cieux,
Le reflet bleu de l’eau dans le cœur du verre
Des plus belles billes que l’on gagne à l’école.
Quelques pinces à linge, deux bouts de ficelle,
Voilà qu’un pont-levis enjambe la rigole,
Équipé d’une minuscule manivelle
Destinée à lever ou descendre l’ouvrage.
Un colosse musclé veille avec courage
Sur l’entrée du château. Il surveille la plaine,
Se doit de protéger la vie de la reine.
Le jeu consiste à jouer ce drame,
Tenter d’enlever la noble dame ;
Pour cela combattre toute la garnison,
En vainqueur pénétrer au sein du donjon.
Beaucoup d’hommes défendent le château fort,
Prêts à combattre l’ennemi jusqu’à la mort.
Hallebardiers, archers, sur le chemin de ronde,
Dont le courage est reconnu partout à la ronde.
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La mort pour compagne, sombre et froide ;
Hauberts scintillants, heaumes fermés,
Gantelets enfilés sur des mains armées,
Vêtus d’une armure lourde et roide.
Autour du château, de preux chevaliers,
Une épée à la main sur de fiers destriers,
Rangés devant le fossé en ordre de bataille,
Sont prêts à en découdre avec la pire canaille.
Soudain, une sentinelle de garde sur une tour
Crie, des ennemis sont visibles alentour ;
Sorti d’une vallée encaissée au milieu du jardin,
S’avance en ordre de marche une armée de romains.
Du château part un groupe d’éclaireurs
Désireux d’espionner ces belliqueux visiteurs.
Les numides devant avancent dispersés,
Les autres légionnaires marchent en rangs serrés.
Dévorant la distance entre elle et la butte,
Toute cette armée avance avec aisance,
Marche au pas, dégage une forte puissance,
Excitée par l’imminence de la lutte.
Tout d’abord en tête, monté sur un cheval noir,
Scipion l’africain ; A ses côtés, beau à voir,
Figure d’un autre siècle, sur un cheval blanc,
César de Rome, plus fier qu’un paon.
Là-haut dans le château, entourée de la garde,
Sous protection du roi, vit la belle Hildegarde.
César craint Roland, sa légendaire Durandal
Et le talentueux courage de ce neveu idéal.
En vue du château, l’assaut se précise,
Il faut attaquer, la décision est prise ;
Soudain un cri que le vent apporte,
Ma mère nous appelle sur le pas de la porte.
La tarte vient juste d’être défournée ;
Il est l’heure de s’en aller goûter.
Le temps s’arrête, la bataille est ajournée,
Tout reste en l’état, rien ne doit bouger.
C’est ainsi que nous jouions les grands stratèges ;
Lieu rêvé, le jardin devenait notre manège.
La légende des siècles par nos jeux revisitée
Où nous mêlions moyen âge et antiquité.
Nous nous improvisions, ménestrel, fou du roi ;
L’histoire pour nous n’avait pas force de loi.
César et Charlemagne pouvaient s’affronter
Dans une chanson de Roland nouvelle à conter. P Letessie
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Enfance, adolescence, on glisse lentement de l'une à l'autre, du sourire protecteur de ses
parents à la liberté frondeuse de l'adolescent. C'est l'époque où l'on se met en danger, un tourbillon
qui éveille les sens. On flirt avec quelques jeux interdits ; premières filles, transgressions, quelques
peurs aussi. Une âme de géant dans une coquille fragile. Mais toujours là pour veiller, les yeux de
maman.
Tarot fantasmagorique.
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Le film revient en arrière,
Lumières de l'enfance ;
Reflet sur un éclat de verre,
Intrigue de l’adolescence.
Je suis un enfant sage,
Dans la main, une image,
Celle qu'on donne à l'école ;
Je danse une farandole.
Image d'une maison de pierre,
Un toit rouge, un jardin,
La maison de ma grand-mère,
J'entre caméra à la main.
Tout d'abord, la cuisine,
Sur la table, œufs et farine ;
Une silhouette en contre-jour
Pétrit une pâte d'amour.
Derrière, le feu à bois,
Celui qui brûle les doigts ;
Grand-père gronde doucement ;
Attention ! Garnement !
Au-delà la huche à pain,
La porte de la grand-salle,
Je fais signe de la main,
Entre, m’assois et m'installe.
En face, un buffet massif
Sculpté d'ornement lascifs ;
Aphrodite y danse nue,
Les dieux sortent de la nue.
Autour de la table, imagine !
Nous jouons, cousins, cousines,
Au tarot, cartes divines ;
Je m'excuse, Mélusine.
Toi la plus jolie voisine
T'as petits et grands atouts.
Nous sommes tous, fou, fou,
De toi belle rouquine.
Un cavalier me la pique
Aidé par le roi de cœur ;
Allons, pas de panique
Elle a une jolie sœur.
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Je trouve une chaussure de vair,
L'emporte en éden, fier ;
Là, une citrouille, un carrosse,
Elle a peur de fée Carabosse.
Il est minuit, cendrillon
Doit rentrer à la maison ;
Blanche neige fume de l'opium
Pendant qu’Ève croque la pomme.
Les nains s'agitent au jardin ;
Prof rit, bat des mains ;
Demain au tableau noir
Il causera mon désespoir.
Sur le chemin, des yeux rouges,
Terrorisé, je ne bouge,
Devant les bottes de sept lieues
De l'ogre sorti des banlieues.
Alors, je cours, deviens fou,
Tombe soudain dans un trou,
Chute dans un puits sans fin ;
Ce film a-t’ il une fin ?
Un baiser sur le front,
J'ouvre de grands yeux ronds,
Vois le sourire de ma mère,
Ouf ! Je suis sur la terre. P Letessier
Souvenirs d'adolescence, amourette de vacances dans un lieu enchanteur. Une maison qui
ne nous voyait jamais ; un paysage tout en rondeur, tout en douceur, comme toi. Une cascade fière
comme tes yeux verts ; et le ciel, notre témoin muet. Je ne saurais plus dire l'endroit mais près de
quarante ans plus tard, j'ai gardé de ce séjour un merveilleux souvenir.
Je me souviens.
Je me souviens du murmure d'une rivière,
D'un élégant paysage tout en rondeur,
D'une coquette et riante maison de pierre,
Du chant des cigales, d'une douce langueur,
D'un bref instant sur cette sente ombragée
Où, tel deux éclairs nos regards s'étaient croisés ;
Je me souviens, ton air rieur, ta bonne humeur,
M'avaient tout aussitôt emprisonné le cœur
Et cet éclat brûlant au fond de tes prunelles,
Cette fierté à la fois hautaine et cruelle
Et ta fragilité, ta jolie candeur,
Me promettaient de futurs moments de bonheur.
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Tu passais tous les jours assez tôt le matin ;
Nous partions alors tout deux, main dans la main
Au long d'un tortueux et sauvage chemin
Où sonnait juste et clair ton rire cristallin.
Je me souviens de cet éclatant lit de fleurs,
De leurs souriantes et pimpantes couleurs ;
Pour tes cheveux, je cueillis un bouton de rose,
Alors, le temps d'une photo, tu pris la pose.
Je me souviens encore de ces clairs obscurs,
De ta silhouette épinglée sur l'azur
Et tes cheveux libres affolés par le vent
Qui flamboyaient sous l'ardeur d'un soleil brûlant.
Je me souviens de tes incroyables yeux verts,
Pétillant de malice, parfois si sévères,
De ce regard soudainement assassin
Lorsque nos jeux devinrent moins enfantins.
Je me souviens de cette jolie cascade
Où nous transportaient nos joyeuses escapades ;
Là nous nous baignions le plus souvent nus
Avec comme seul témoin le bleu de la nue.
Tu ne portais alors pour toute parure
Que ta longue et éclatante chevelure ;
Fruit sublime et divin, déesse de la nature
Sous l'onde claire et pure, tu avais fière allure.
Tu me rejoignais alors sur un lit de mousse,
Te faisais tout d'abord distante, puis farouche,
Ensuite tu devenais câline et très douce ;
Enfin, tu m'embrassais longuement sur la bouche.
Oh ! Nous échangions de timides caresses,
Quelques paroles, des gestes de tendresse ;
Nos peaux tendres frémissaient à fleur de nos lèvres,
Nos regards s’enflammaient sous de nouvelles fièvres.
Alors que nos corps nus s'enlaçaient sous les cieux
Se produisait un sortilège merveilleux
Un bonheur inconnu nous inondait les yeux
Où se mêlait un instant le vert et le bleu.
Je me souviens d'un paysage coloré,
Un ciel ardoise, l’automne pointait son nez ;
Nous étions tous deux, sur le perron, enlacés;
Les yeux rouges d'avoir trop, beaucoup trop pleuré.
Ta mère s'évertuait à sécher nos pleurs ;
Une indicible douleur dévorait nos cœurs.
Je me souviens d'une grande berline noire,
De mes yeux dans tes yeux crevés de désespoir.
Patrick Letessier Page 29
Et soudain, des cris, des mains qui s'agitent,
Un souffle, un baiser, ton visage prend la fuite ;
Mon esprit s'envole aussitôt à sa poursuite ;
Puis une nuit sans sommeil dans un triste gîte.
Vacances terminées, il nous fallut rentrer ;
Sans toi les journées me semblait sans saveur
Et je traînais partout une très mauvaise humeur ;
Je fermais ma chambre à clé pour mieux me cloîtrer.
Je hélais le facteur du haut des ruelles
Espérant de ta part de ferventes nouvelles,
Mais nos serments crachés sur une croix de fer
Se sont vite consumés au seuil de l’enfer.
Ensuite, il y eu d'autres filles à aimer
Mais après tant de longues années passées,
J'ai gardé enfoui dans un coin de mon cœur
La douceur d'un été aux couleurs du bonheur
Et le souvenir de tes pétillants yeux verts.
P Letessier
Souvenirs, souvenirs de délicieux moments ou les images s'estompent, rappelées
par un cliché de carte postale. Vacances d'adolescence, ouverture sur la vie, où le corps frémit, où
l'esprit retient les sensations d'un monde un peu déformé, où l'émotion fige un regard enfoui au plus
profond du cœur.
Il y avait bien longtemps que je n'avais traversé cette bourgade. La première chose que l'on
découvre en entrant dans un village en campagne, c'est le pic de son clocher que l'on peut voir de
toute part ; comme un phare, il guide le promeneur vers un îlot de vie. Pour cette fois, il fut
l'aiguillon qui piqua dans mes souvenirs pour les ramener à mon attention et reconstruire une
histoire faite de petits brins d'émotion où se mêlent de fugaces sensations ; tout au bout, un regard.
La campagne dans tous ses états.
Une route en lacets, un panneau, le village,
Une aimable campagne, une douce image ;
Un clocher paratonnerre s’ennuie de l’orage
Sous un soleil rieur qui se joue des nuages.
De jolies demoiselles pétillantes de charmes,
Place de la mairie à l’ombre de beaux charmes
Écoutent, sortant du pavillon en corne d’abondance
D’un vieux phono, une musique qui danse,
Qu’on a dans la peau, qui chante, qui démange,
Qui emporte vers l’enfer ou le paradis des anges.
Sur des fils en clé de sol, une portée d’hirondelles,
Do ré mi fa sol, une partition pour tourterelles.
Patrick Letessier Page 30
Juchées sur de basses branches,
Elles roucoulent oiselles blanches
Cherchant jeunes hobereaux,
Beaux seigneurs des passereaux.
Une maison coquette en pierres grises
Coiffée d’un lierre fou, affolé par la brise ;
Elle a un toit en belles tuiles rouges
Habité par nuit noire de cruels peaux rouges ;
Ils ont le bec courbe, de grands yeux jaunes,
La fierté d’un grand-duc, l’allure d’un faune ;
Créatures fantasques voleuses de sommeil,
Peuple hantant mes nuits, chassé par le soleil.
L’air suffisant et grande allure bourgeoise
Dans la cour un coq, crête levée, pavoise
Devant une bassecour de plumes affriolantes
Qui gloussent en jouant les grandes élégantes.
Il y a passant sous la fenêtre au petit matin
Le son clair de clochettes qui tintinnabulent,
Me réveillent, me pressent, me bousculent,
Vite, j’ouvre la fenêtre, te fais signe de la main.
Puis, nous déjeunons face à face, silencieux.
Oh ! Quels mystères cachent tes jolis yeux ;
Tu te lèves, me prend la main en souriant ;
Envoûté, je suis ton petit air charmant ;
La porte est grande ouverte, le ciel est bleu ;
Dehors, nous marchons sur un sentier de feu ;
Puis sur un ruban où il pleut des étoiles d'argent,
Juste à côté un totem en forme de serpent ;
Nous l'empruntons, agrippé à ses écailles d'or
Brûlés par le soleil corps contre corps ;
L’esprit fou, emporté dans un tourbillon
Nous nous aimons dans un maelström de sensations.
Lorsque je m'égare aujourd’hui dans ces lieux
Qu'un passé hagard me trouble les yeux
Alors, devant moi comme de lointains mirages
Surgissent de mon adolescence de fugaces images.
Seuls tes yeux, source d’un bleu très pur
M’apparaissent encore sans aucun voilage
Illuminant le sourire de ton doux visage,
Souvenirs éternels épinglés sur l’azur.
P Letessier
Patrick Letessier Page 31
Regards de femmes
Comme de nombreux camarades, j’ai dû honorer mon devoir de citoyen et répondre à la conscription qui m’expédia un temps sous les drapeaux ; à l’époque, j’avais un travail que je dus quitter pour me soumettre à cette obligation. J’en garde un bon souvenir, non pas de la vie militaire, mais de la rencontre que j’ai pu faire à cette occasion. En effet, j’ai eu la chance durant cette période d’être présenté à une charmante jeune femme que j’ai ensuite fréquentée pendant toute une partie de mon service. Elle vivait dans un petit mais confortable appartement ; cela nous permettait de nous retrouver assez souvent. J’étais sous- officier et jouissais ainsi de quelques privilèges ; je pouvais quitter la caserne presque tous les jours après dix-sept heures et j’avais quartier libre le week-end, hormis les jours où j’étais de garde. Je me souviens tout particulièrement d’un soir d’été ; elle avait eu la gentillesse de m’inviter au restaurant. (Eh oui en tant que bidasse appelé, je n’étais pas riche.)La journée très chaude avait cédé la place à une soirée douce ; une légère brise caressait doucement le paysage. Nous nous rendîmes à pieds dans un petit établissement du centre-ville réputé pour son accueil et la qualité de sa table ; elle avait réservé en terrasse. Le dîner fut excellent, la soirée se passa calmement, en amoureux. Un peu avant minuit nous quittâmes l’établissement encore occupé par de nombreuses tablées ; l’air était si doux que les différents clients tardaient à partir. Nous marchions lentement serrés l’un contre l’autre. Sur notre chemin se trouvait un jardin public qui embellissait la ville d’un joli îlot de verdure. Arrivé à sa hauteur, mon amie me tirant avec force m’invita à courir en direction du parc ; puis en bordure d’une allée de graviers blancs, elle s’assit sur un banc de bois et m’attira vers elle. Enlacés, immobiles, en silence, nous observions le ciel traversé de temps à autre par une étoile filante qui rayait la voûte céleste d’une signature flamboyante et mystérieuse. Sur notre droite une grosse lune un peu joufflue jouait avec les ombres du parc et nous inondait d’une pâle lueur jaune. _Regarde_ me dit-elle _ Les deux amoureux là-bas de chaque côté du chemin. _ Et elle me désignait en riant deux statues sous l’œil de la lune._ Ils semblent vouloir s’embrasser. _ Sous les jeux de lumière, les deux sculptures de marbre s’étiraient l’une vers l’autre. Nous restâmes longtemps à les observer ; soudain elle m’embrassa. __ C’est mieux ainsi ! S’écria-t-elle en riant.__Les pauvres ! Ils ne peuvent même pas se toucher. _ Alors blottis dans les bras l’un de l’autre, nous nous assoupîmes jusqu’au petit matin ; nous fûmes réveillés par le piaillement de petits oiseaux qui voletaient aux alentours.
Nuit au jardin public.
Ils l’ont posé là…
Ils l’ont posé là…
De l’autre côté
Au bord du chemin
Juste à ses côtés
A la fois si prés
A la fois si loin.
Elle en rêvait…
Elle le regarde…
Il est beau
Corps parfait
Un dieu Grec ;
Allure majestueuse
Patrick Letessier Page 32
Fort, musclé
Muscles longs et fins
Visage bien dessiné
Cheveux bouclés.
Nu sous la lune
Dont le halo doré
Dans une arcane suprême
Joue les alchimistes
Avec la luminescence de son corps
Et le met en scène
Dans le théâtre de la nuit.
Il la regarde…
Immobile, fasciné
Elle est si belle
Corps modelé
Par un artiste suprême.
Elle a l’allure
D’une déesse antique
Visage d’Ange
Sourire romantique ;
Le sein fier et arrogant
Téton dressé défiant le ciel.
Une lourde tresse
Dévale sur son flan
Et s’en vient mollir
Sur le haut de ses fesses.
Quelques feuilles
Lui caressent le front
Et lui font une couronne.
La couronne d’une reine ;
Une reine de la nuit
D’une blancheur virginale
Portée par le jeu
D’ombres et de lumières
D’une lune coquine
Perchée à hauteur de tête
Comme un nimbe dans le ciel.
Lentement, elle se tourne vers lui
L’allure féline
Prête à s’élancer, à bondir
A le saisir, le capturer ;
Tout son être
Toute sa silhouette
Est tendu vers l’autre côté
L’autre côté du chemin.
Elle l’interpelle
D’un geste souverain.
Et lui
Dont le corps musclé
S’étire
En d’infinies souffrances
Il aimerait tant la serrer
Patrick Letessier Page 33
La prendre dans ses bras
Pouvoir cette nuit
Sous le clair de lune
L’enlacer
L’emmener de l’autre côté du chemin.
Il tend la main
Une main pâle
Une main d’homme
Une main forte
Paume ouverte
Doigts écartelés.
Elle tend la main
Une main pâle
Une main de femme
Une main fragile
Paume ouverte
Doigts écartelés.
Ils tendent la main
De toute leur volonté…
Aujourd’hui vont-ils
Dans un geste ultime
Enfin pouvoir se frôler.
Non ! Cette nuit encore
Ils ne pourront pas se toucher ;
La lune
Soudain s’est éclipsée
Craintive ;
L’aube l’a chassée
Annonçant le soleil.
Ils se sont reculés
Ont pris une pose
Plus réservée
Plus sage.
Timides
Mais toujours sensuels
Le visage tourné l’un vers l’autre
Ils se regardent, encore et encore
Une main levée
Figée dans le geste furtif
D’une timide invite.
Quelques oiseaux piailleurs
Volent de l’un à l’autre
Sous une pluie de lumière
Qui tombe
En cascade émerveillée
D’un soleil taquin et joueur.
Mais…
Elle le sait
Il le sait
Le corps attentif
Patients
Patrick Letessier Page 34
Ils attendront tout excités
Les jours de pleine lune
Et dans le théâtre de la nuit
Ils joueront encore ce drame
Mis en scène par la lune
Sans jamais pouvoir se toucher. P Letessier
Cette jeune femme ensoleilla ma vie de sa présence pendant tout le temps que dura mon
passage sous les drapeaux. Aussitôt libre je la rejoignais chez elle. Elle était fort jolie, brune avec de
long cheveux soyeux qui dégringolaient jusqu’à sa taille ; deux diamants d’un noir intense,
incandescents, enflammaient ses prunelles et lui donnait un regard pénétrant et fier qui s’insinuait
en toi, t’embrasait à l’intérieur tout en t’envoûtant le cœur. Regard dans regard, elle te brûlait les
yeux. Elle avait du caractère, de la générosité ; Méditerranéenne, Je me souviens encore des instants
torrides que nous avons partagés. Elle incendia mes nuits de folles voluptés ; elle tenait ce
tempérament volcanique certainement de ses origines italiennes et elle croquait la vie à se faire
exploser le cœur, totalement, sans hypocrisie, profitant de chaque instant comme s’il était le dernier.
Je puisais en elle, folie, chaleur, mais aussi amour et douceur et toute une énergie qui me permit de
traverser avec bonheur cette période ; Elle représentait un refuge sûr, splendide et merveilleux, au
sein duquel je pouvais oublier les rigueurs de la vie militaire. J’aurais sans nul doute pu lui écrire ce
poème ; il l’aurait bien fait rire, d’un grand rire franc et ensuite elle m’aurait embrassée…
Je puise
Dans le volcan de ton corps
Je puise l’essentiel de ma force ;
Chaque nuit sa lave me dévore
Avec l’appétit d’une bête féroce.
Dans les sourires charmeurs
Que dessinent tes lèvres farouches,
Je puise les brûlantes saveurs
Que distille l’ardeur de ta bouche.
Dans la douce chaleur de ta peau
Je puise les frissons du désir ;
Ils filent comme des perles d’eau
Emportées par un délirant plaisir.
Dans l’éclat flamboyant de tes cheveux
Je puise les couleurs de nos amours sauvages ;
Nos étreintes ne pourront jamais être sages
Tant nos corps comme des torches embrasent les cieux.
Dans les braises ardentes au fond de tes prunelles
Je puise des mystères qui m’enflamment le cœur ;
Ils nous entraînent dans des tourmentes charnelles
Où nos sens explosent en gerbes de mille couleurs.
P Letessier
Patrick Letessier Page 35
Nous ne nous étions rien promis ; trop jeune pour nous enfermer dans une relation durable,
nous nous sommes séparés comme nous nous étions connu, après un regard. Nous restâmes il est
vrai longtemps les yeux dans les yeux pour nous échanger nos adieux. Il n’y eu ni pleur, ni tristesse,
quelques lueurs dans nos prunelles qui racontaient combien nous avions été heureux et exprimaient
bien d’autres choses encore ; des choses que nous étions seuls à comprendre… Mais restait-il
encore quelques secrets à percer au fond des prunelles incandescentes de la jolie demoiselle ; Je ne
saurais le dire. Ce fut notre dernière rencontre ; elle eut lieu à peine quelques temps après que j’ai
été libéré de mes obligations militaires. Nos routes se sont ainsi gentiment séparées.
Les yeux dans les yeux ; les yeux d’une femme cachent toujours des secrets
insaisissables ; il nous manque peut-être à nous les hommes quelques subtilités pour pouvoir les
percer.
Les yeux d’une femme.
Patrick Letessier Page 36
Les yeux d’une femme
Sont une porte ouverte
Sur les méandres de son âme.
Sans se compromettre,
On peut y découvrir,
De l’amour,
Du plaisir,
L’ironie ou l’humour,
La haine,
La compassion,
De la peine,
De l’émotion,
L’ombre d’une souffrance,
Une pointe de méfiance,
L’histoire d’une vie,
Des éclairs d’envie.
Mais on y trouvera toujours,
De nuit comme de jour,
Dans la joie ou les tourments,
Déjouant les caprices du temps,
Enfouie dans un recoin discret ;
Une pierre précieuse
Dont la lueur mystérieuse
Cache un insaisissable secret,
Incompréhensible des hommes,
Qui les attire, les étonne ;
Ce pour quoi ils se damnent ;
Essence même du charme
De la plupart de ces dames ;
Ce qui fait ;
Qu’une femme
Est une femme.
P Letessier
Patrick Letessier Page 37
Les yeux des femmes sont parfois des rêves ou l’on aimerait s’égarer ; un regard que l’on
croise subrepticement, où l’on plonge comme dans un songe, un sourire, une allure, un parfum, une
silhouette qui disparaît, à peine vue. Un soir d’été devant la gare de Besançon, j’ai croisé un ange
trop vite envolé ; elle avait les yeux bleus, si bleu.
Des yeux si bleus
J’ai croisé son regard
Sur le parvis de la gare ;
Deux diamants d’un bleu très pur
Aussi profond que l’azur ;
Des étoiles sur l’iris
Y pétillaient de malice ;
D’un long sourire éclatant
Elle illumina ce bref instant.
Je devinai sous sa robe bleue
De quoi attiser le feu,
D’un homme,
Soudainement amoureux. P Letessier
Malheureusement, les yeux de ces dames peuvent cacher aussi d’obscurs mystères. J’en
ai trop souvent croisé dont les regards noirs et tristes, assombris par la misère, se révèlent être de
véritables miroirs à souffrances où s’ expriment les vies devenues dérisoires de femmes qui n’ont
même plus une ombre de rêve dans le regard ; leur vie se résumant alors à un long tunnel sombre
parsemé d’embûches cruelles. Je me souviens de cette fille, jeune et jolie, le regard vide et sans
envie, qui m’était apparue au coin d’une rue pavée de Lille. Quel espoir avait-elle ? Quel espoir
donnait-elle ?
Patrick Letessier Page 38
Femme obscure
Sur le pavé d’une rue
Soudain, elle apparût.
Silhouette gracile
A l’allure fragile ;
Égérie nocturne ;
Petite sœur de la lune
Chasseresse de noctambules
Cherchant bonne fortune.
Je croisai son regard
Par un pur hasard.
Ces yeux d’un noir obscur
Racontaient une vie trop dure.
En fuseaux de résille noire
Elle arpentait le trottoir
S’évertuant de tout cœur
A réveiller les ardeurs
D’un badaud en peine de cœur.
Pourquoi céder à ce leurre
Pourtant si appétissant ;
Peut-on trouver le bonheur
En un si bref instant ;
Peut-être un peu de chaleur
Contre un corps compatissant.
P letessier
Les femmes… S’il est vrai qu’elles n’ont pas toujours eu et n’ont toujours pas la place
qu’elles méritent dans notre société, possèdent souvent tous les atouts nécessaires pour obtenir ce
qu’elles désirent. Timides, fragiles, merveilleuses ; lorsqu’elles vous kidnappent le cœur ; la rançon
à payer peut être élevée.
Patrick Letessier Page 39
Gentille rouquine.
Elle paraissait si fragile ma timide voisine ;
Elle semblait si douce cette gentille rouquine
Qui, d’un geste furtif de la main
Me faisait signe chaque matin.
Je me plaçais face à elle,
Saluais d’une révérence
Avec une grande élégance,
Faisait rire la demoiselle.
Elle avait de grands yeux verts
Un regard sauvage et fier
Un visage aux traits si doux, si doux
Que mon cœur devenait fou, fou.
Elle paraissait si fragile ma timide voisine ;
Elle semblait si douce cette gentille rouquine
Qui, d’un geste furtif de la main
Me faisait signe chaque matin.
Un frais matin de feuilles mortes
Elle ouvrit gentiment sa porte ;
Elle, si envoûtante, si sensuelle,
Si mystérieuse, qu’elle était belle.
Je me suis perdu dans les flammes
De ses doux et soyeux cheveux ;
Au diable, j’ai vendu mon âme
Pour le prix de son corps de feu.
Elle paraissait si fragile ma timide voisine
Elle semblait si douce cette gentille rouquine
Qui, d’un geste furtif de la main
Me faisait signe chaque matin.
A la fois pleine de tendresse,
A la fois jolie tigresse,
Parfois, gentiment fleur bleue,
Souvent, prédatrice en feu ;
Elle a fait de moi l’esclave de ses jeux
Dans un amour subtil et délirant ;
Elle a fait de moi l’esclave de ses yeux ;
Je ne peux vivre sans eux et pourtant…
Elle paraissait si fragile ma timide voisine ;
Elle semblait si douce cette gentille rouquine
Qui, d’un geste furtif de la main
Me faisait signe chaque matin. P Letessier
Patrick Letessier Page 40
Ils ou Elles
Deux être se croisent sous la houlette du hasard ; un hasard bien orchestré ; l’œuvre du
rossignol ; Ce petit oiseau qui au fil du temps ourdit des rencontres parfois tellement improbables.
Quelles ondes mystérieuses tissent les liens qui font que soudainement deux êtres se rendent compte
qu’ils existent l’un pour l’autre ; on peut se le demander, tout du moins s’en étonner.
Le rossignol.
Patrick Letessier Page 41
Le rossignol.
Le soleil sourit, distribue ses rayons;
Les arbres égrènent une jolie chanson;
C’est le vent du sud qui l’a apportée,
C’est le vent du sud qui l’a enfantée.
Il chantonnait tôt ce matin,
Tout essoufflé, tout excité,
Il venait d’en écrire le refrain ;
Les arbres l’ont aussitôt colporté.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
En bas, dans la tour d’ivoire des fées,
Au fond de la vallée des arlequins,
Les demoiselles sont enfin arrivées ;
Le soleil lance de brefs rayons taquins.
Elles vont faire frissonner dame nature,
Faire murmurer dans la haute ramure,
Égayer follement les lumières dans les pins,
Animer de leur joie les tortueux chemins.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
Sur le bord de la rivière mystérieuse,
Assises sur les herbes folles ;
Espiègles, elles se taquinent rieuses,
Enfin, dansent des farandoles.
Elles ont dans leur panier en osier
Des rêves fous pour se tracer un chemin ;
Sous de grandes perches de noisetier,
Elles rêvent d’un illusoire destin.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
Il y a la flamboyante Marie
Avec sa longue chevelure rousse ;
Pétulante, souvent la plus chipie,
Elle sait aussi se montrer très douce.
Patrick Letessier Page 42
La plus sérieuse, sa sœur Estelle,
A l’allure d’une déesse antique ;
Timide blonde, pourtant si belle,
C’est sans nul doute la plus romantique.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
La benjamine, la fière Sophie,
Assurément, elle est la plus jolie ;
Dans ses yeux brille une lueur sauvage,
L’éclat d’une griffe de chat sauvage.
Harceleur, le soleil pousse ses ardeurs ;
Au diable, elles laissent leur prude pudeur ;
Les trois muses sont bientôt nues,
Seul le rossignol les a vues.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
Curieux, les arbres penchent leur crinière ;
Légères, les demoiselles entre dans l’eau douce ;
Soudain, un feu enflamme la rivière;
Rapidement, il se propage jusqu’à sa source.
Sur les berges en fête des papillons heureux
Tourbillonnent ; Des arlequins les yeux trop fiévreux
Chantent ; les clowns pleurent des larmes de diamant ;
Le rossignol admire les corps frémissant.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol.
Soudain lui vient une idée folle,
Alors, le rossignol s’envole ;
Sur le sein rond de Sophie, il ose ;
Sur le sein rond de Sophie, se pose.
Sophie caresse le joli oiseau ;
Elle lui ouvre son cœur ;
Ravi, l’oiseau pénètre à l’intérieur
Et chante avec bonheur.
Do ré mi fa sol
Siffle ! Gentil rossignol
Do ré mi fa sol
Vole ! Gentil rossignol. P Letessier
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Rencontre, amour, passion dévorante entre deux personnes. Le rossignol a choisi et ce n'est
pas un rêve. Ils sont de tous les sexes ; ils s'aiment. Aujourd'hui, Ils s'aiment dans la lumière : Un
homme et une femme ; un homme et un homme ; une femme et une femme. Ils ne sont plus obligés
de se terrer. Mais hier, dans un proche passé, un et un, une et une, étaient regardés comme des
monstres voués aux flammes de l'enfer.
Deux visages
Sans peur dans la lumière, il peignait en couleur
Couleurs insensées, radieuses, couleurs libres ;
Il y avait en lui, du malheur, du bonheur
Avec l'autre, il avait beaucoup de mal à vivre.
Souvent sur ses toiles figuraient deux visages ;
Il peignait tout d'abord l'un et ensuite l'autre ;
Oui ! L'un au féminin n'était autre que l'autre;
Dans les miroirs, il voyait l'une et l'autre image.
Cela ne plaisait pas, il fallait qu'il soit l'un
Mais sûrement pas l'autre ; on le lui fit comprendre.
On l'injuria ; que ne lui fit-on pas entendre...
Les miroirs de l'autre, on les brisa un à un.
Ensuite, on lui demanda de n'être plus qu'un ;
Un, bien sûr ! Mais avant tout, soyez : Un sans l'autre ;
Mais il ne pouvait choisir entre l'un et l'autre.
Comme il ne pouvait pas se confier à quelqu'un
Alors, il peignit comme il l'avait toujours fait
Se servant des miroirs pour faire son portrait.
Miroirs où l'un et l'autre ne faisaient plus qu'un ;
Pour le punir de l'autre on lui coupa les mains.
P Letessier
La société a évolué, s'est humanisée ; un peu d'intelligence, moins d’intolérance ou est-ce
simplement pour se donner bonne conscience. Mariage pour tous, attention les secousses, certains
parmi les hommes sont restés figés, la tête toujours enfouie dans l'obscurité. Pourtant il est si simple
de voir les autres s'aimer et de se réjouir de leur bonheur. Bon ! On a légiféré pour que les miroirs
ne soient plus brisés. On a fabriqué un peu d'espoir en donnant de la légitimité aux familles gay ;
mais combien de murs se dressent encore.
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Mariage
Face à la mer
Une maison de pêcheur
Un chien un peu cabot
Des volets clos.
Elle ouvre les volets de ses yeux
Ses jolis yeux bleus
Comme un morceau de ciel
Au-dessus des vagues.
De son regard
Elle écume la mer ;
Elle gonfle la poitrine ;
Elle respire la mer ;
Elle est comme la mer
Aujourd’hui calme et fière
Demain, tourmentée, en colère ;
Méditerranéenne.
Brune aux cheveux noirs
La peau couleur caramel ;
Elle a les lèvres qui chantent
Comme le vent du sud ;
Elle tourne, rit, étincelle
Elle a croqué les rayons du soleil.
Les hommes se retournent sur elle
Quand elle passe, ils rêvent…
D’elle.
Elle est indifférente.
Elle ! Elle aime une femme ;
Une femme aime une femme !
Une fille aime une fille!
Quoi de plus normal
Ça devrait être banal.
Elle aime une jolie rousse
Née au bord de la mer
Une mer farouche
Une mer mystérieuse
Une mer frileuse
Houleuse et fière.
Comme elle
Fille du nord
Aux cheveux flamboyant
Avec de grands yeux verts
Une peau douce et claire.
Mais attention !
Aux regards des envieux
Aux regards des trop vieux
Aux regards des trop pieux
A ceux qui épient
Patrick Letessier Page 45
A ceux dont les yeux racontent
A ces yeux qui dénoncent
A ces yeux qui jugent…
Ils sont des milliers
Grands, écarquillés.
Mais elle ! Elle s’en fou…
Demain monsieur le maire
S’en viendra les marier.
Aujourd’hui, le grand jour !
Des hommes sont venus
Des garçons du village
Des garçons de leur âge
Soit par amitié
Soit par curiosité.
Il y a aussi Pierre et Jean ;
Bientôt au printemps
Ils vont se marier ;
Depuis bien longtemps
Ils attendaient ;
Maintenant ça se fait.
Elles arrivent, elles sont belles
Se tiennent par la main.
L’une a une robe blanche, une rose bleue piquée dans les cheveux ;
L’autre a une robe bleue, une rose blanche piquée dans les cheveux.
Elles s’embrassent d’un furtif baiser
Un baiser sur la bouche
Un baiser trop pudique.
Elles restent longtemps les yeux dans les yeux
Beaucoup d’amour dans les yeux verts
Beaucoup d’amour dans les yeux bleus
Des yeux follement amoureux.
On crie : « voila monsieur le maire ! »
Le curé n’est pas venu
Il les a maudites
Il les maudit encore
Comme la vielle Ursuline
Qui joue de l’harmonium
Le dimanche à la messe.
Vielle grenouille de bénitier
La tête coincée dans l’aquarium
L’aquarium des préjugés
Étouffée par l’eau bénite.
Elle est jalouse vengeresse
Elle pense à son amour volé
Elle songe à la belle Isabelle
Qui venait se blottir sous ses draps
Dans la chambrée du pensionnat.
Elle en frissonne encore ;
Elle rêve des douces caresses
Patrick Letessier Page 46
Qui la faisait s’envoler
A cette bouche pleine de tendresse
Aux plaisirs inavoués.
Le surveillant les a pincées
Puis il les a humiliées...
Il a fait rire toute la chambrée.
Isabelle fut jetée à l’Asile
Traitée de folle et de débile
Quand a elle Ursuline
On l’enferma
Entre les murs de l’église ;
Réfugiée dans la prière
Elle pria qu’on l’exorcise
Qu’on lui arrache cette douleur
Toujours figée dans le cœur.
Elle garda toute sa vie
Comme une lointaine envie
Une lueur à l’intérieur ;
Les yeux de la belle Isabelle
Qui lui dévoraient chaque jour le cœur.
Alors elle s’est desséchée
De l’extérieur de l’intérieur ;
Elle a beaucoup prié
Espérant le bonheur.
Soudain lui monte…
Elle en frissonne effrayée
Comme une rancœur ;
Elle doit voir le curé
Elle doit tout avouer
Elle doit se confesser
Elle veut tuer le curé.
Il arrive
Elle se confesse
On l’entend crier
On l’entend pleurer
Elle ne l’a pas tué
Elle n’en a cure.
Elle casse l’harmonium
Jette le bénitier
Brise les vitres de l’aquarium ;
Les préjugés s’écoulent
Emportés par l’eau bénite
Engloutis par l’égout
Cette eau est maudite ;
Elle fait une grimace
Grimace de dégoût.
Elle court au jardin
Au grand jardin des amoureux ;
Là, elle cueille, une rose blanche, une rose bleue
Puis des larmes plein les yeux
Elle s’en va embrasser
Les deux jeunes mariées.
Patrick Letessier Page 47
Que l'on se pose des questions sur la cosmogonie ou sur toutes les flammes qui embrasent
nos cœurs, nos esprits, les seules qui brûlent constamment à l'intérieur sont celles de l'amour.
Pendant toute ton existence comme un phare elles te guident ; elles te rappellent que tu existes et
t'évitent de sombrer dans le néant. As-tu quelqu'un à aimer quelque part ou quelqu'un qui t'aime, te
reste-t-il encore dans le cœur une petite flamme qui t’ordonne d’aimer la vie ; quand tu n'as plus
rien et que tout va mal ; quand tu n'as plus la santé et que tu as mal, ce sont les flammes de l'amour
qui te permettent de te battre pour vivre.
Flammes
Flammes de l’univers
Big-bang de lumière
Barrière du temps
Mystères envoûtants.
Flammes de la terre
Entrailles de notre mère
Orgasmes crevant les cieux
De geysers brûlants.
Flammes de l’enfer
Chasse aux sorcières
Ombres écartelées
Sur des bûchers ardents.
Flammes meurtrières
Jouets de guerre
Mascarade d’une élite
Aux jeux effrayants.
Flammes de la haine
Dictature inhumaine
Autodafé délirant
Holocauste terrifiant.
Flammes des croyants
Phobie du vide
Espoir d’une autre vie
Réconfort des mourants.
Flammes de l’âtre
Confort bourgeois
Existence douce et lisse
De gens indifférents.
Flammes de la chair
Rencontres adultères
Étreintes éphémères
Entre les portes du temps.
Patrick Letessier Page 48
Flammes du désir
Torrides caresses
Éruption de plaisir
Mourir un bref instant.
Flamme de l’amour
Quintessence de l’âme
Ta puissance profane
Nous sauve du néant.
P Letessier
Coups de gueule
La vie, ses bonheurs, ses horreurs, pavée d'injustices ; parfois on a le cœur tellement gros
devant ce qu'elle nous offre à voir, que l'on voudrait crier. Un cri ; le cri comme cette œuvre de
Munsch. Après avoir eu l'occasion de revoir il y a peu cette toile du peintre Norvégien, il m'est
venu un cri, le mien, avec tous ses échos ; je me suis permis de le mêler aux couleurs du cri du
peintre. Écoutez...
Le cri.
Le cri : Une vibration qui vient de l’intérieur,
Subite, irraisonnée, indomptable, sans pudeur ;
L’expression d’une émotion, d’un instant de terreur,
Un souffle qui s’échappe subitement du cœur.
Le cri…Le premier son du nouveau-né ;
Un cri…Il est vivant ! L’enfant est né;
Un cri…Il a déjà faim ce gourmand ;
Un cri… Aïe ! Il lui pousse une dent.
Il y a rappelez-vous ce cri effrayant
Qui nous terrorisait quand nous étions enfant,
Lorsque en lisière de la forêt, des ombres
Dansaient autour de nous d’infernales rondes.
Nous imaginions quelques bêtes immondes
A l’affût d’une proie au milieu des sous-bois ;
Nous inventions alors d’incroyables mondes
Qui nous terrorisaient comme cerfs aux abois.
Il y a des cris heureux, des cris de bonheur,
Le cri d’une mère retrouvant ses enfants,
Le cri fou de plaisir de deux jeunes amants,
Le cri d’un sportif à l’allure de vainqueur.
Douloureux est le cri du malade qui souffre
Dont la vie vacille juste au bord du gouffre.
Anonyme, le cri de la mort, dans le chaos
De la guerre ; il résonne en lugubres échos.
Patrick Letessier Page 49
Il existe des cris jamais exprimés ;
Cris à tout jamais retenus prisonniers,
Tel le cri de ces enfants rongés par la misère,
Figé dans leurs yeux, comme une troublante lumière.
Sans force, incapables simplement de crier,
Épuisés par la faim, rejetés par la vie,
Alors…Il ne leur reste plus qu’un espoir, prier,
Puis appeler la mort presque comme une envie.
Également prisonnier de trop de douleur,
Le cri de ces millions d’êtres innocents
Qui périrent dans la cruauté des camps ;
Leurs cris se sont tus écrasés par la terreur ;
Cris muets imprimés sur leur corps, leur visage,
Éternellement figés, terrifiante image ;
Un rappel à l’ordre à l’humanité,
Témoins des monstrueuses atrocités
Commises par ceux-là, qui paraissaient être des hommes
Ou était ce justement parce qu’ils étaient des hommes.
Des marais tel un cri monte une chanson,
Chanson où les hommes ont perdu la raison.
Et ce cri dans l’église en ruine d’Oradour ;
Il pénètre en toi tout d’abord tel une rumeur,
Il Enfle, sort du passé, rode aux alentours,
Puis te dévore à l’intérieur, t'explose le cœur.
Pourtant, dans l’église, pas un bruit,
Les enfants sans comprendre, soudain se taisent.
Les oiseaux depuis longtemps ont fuit ;
Tu ressens en toi monter un grand malaise.
Tu perçois les cris des enfants, les cris des femmes,
L’ombre de leur corps tordus au milieu des flammes ;
Leurs cris hantent chaque jour les ruines du village,
Résonnent à l’infini ; suprême témoignage,
Pour ne pas qu’ils tombent dans l’oubli ;
Pour ne pas qu’ils tombent dans l’oubli.
Leurs cris aujourd’hui sont devenus des cris de rage ;
Leurs cris se sont gravés dans les pierres du village.
Il y a le cri de tous les cris ;
Le cri comme Munch l’a décrit.
Il glisse, se déplace sur la toile,
Étrangement, flotte comme une voile.
Muet, sans qu’une onde ne sonne ;
Pourtant, dans ton corps, il résonne ;
Il te chamboule à l’intérieur,
Te paralyse de stupeur.
Patrick Letessier Page 50
Tu reçois alors en plein cœur
Ce cri de toutes les douleurs
Ce cri de toutes les frayeurs
Un cri de toutes les couleurs.
Oui ! Notre vie, tout simplement
N’est-elle pas le cri d’un instant ;
Une vibration passagère du temps
Dans l’infinie continuité du temps.
P Letessier
Le cri, le premier son du nouveau-né, annonciateur de futurs grands moments de bonheur.
Un enfant naît et tout un avenir s'ouvre à lui ; tout un enchantement s'offre à ses parents. Seulement,
ça ne se passe pas toujours de cette façon ; les hommes ont construit un univers pervers ; des
enfants y meurent de faim ; un toutes les cinq secondes, plus particulièrement en Afrique. Ce
continent aux richesses incontestables et variées devrait pouvoir les nourrir sans difficulté. Mais
depuis des années, le pillage sans scrupule de la plupart des états africains par les pays occidentaux
et depuis peu par certains pays émergents, désireux également de profiter du gâteau, les laisse
exsangues ; seuls les détenteurs du pouvoir, souvent quelques dictateurs au service de ceux qui les
ont mis à la tête du pays qu'ils gouvernent, profitent un peu d'une manne qu'on leur redistribue pour
s'assurer de leur fidélité. Trésors volés, trésors envolés, sous-sol curés pour de précieux minerais, or
noir, main- d’œuvre à la limite de l’esclavage ; des revenus si faible que les populations sont dans
l’impossibilité d’acheter de quoi se nourrir, les prix des denrées alimentaires sur les marchés
internationaux étant beaucoup trop élevés, maintenus à des tarifs prohibitifs par une spéculation
éhontée organisée par des financiers sans moralité guidés simplement par une cupidité infâme. La
plupart du temps, les peuples africains n'ont pas la possibilité de produire eux même de quoi se
nourrir, soit à cause de conditions climatiques déplorables où la sécheresse domine, soit parce qu’ils
n'ont pas les moyens techniques et financiers de le faire.
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Enfants de la faim.
Enfant d'Afrique au corps d’ébène,
Le sang qui bouillonne dans tes veines
Raconte un peuple que l'on malmène.
Les larmes amères de tes peines,
Sous l’ardeur de l'astre de lumière,
Conjuguent une sombre misère.
Tu marches mains tendues, susurre une prière,
Rare ici-bas, l'eau est le sang sacré de la terre.
Depuis des temps immémoriaux,
Sous la tutelle des drapeaux,
Noirs et cupides charognards, de cruels corbeaux
Croassent sur tes sanglots des hymnes coloniaux.
Sans scrupules, à l'affût d'un nouveau festin,
Sur de grandioses plateaux d'ocres et de vermeils,
Ils étouffent de leurs ailes tes premiers éveils,
Te façonnent à leur guise un funeste destin.
Sur cette terre aux lumières safranées
Où l'humain s'érigea, où Lucy est née ;
Tu erres sous l’œil du soleil, enfant en souffrance,
Fantôme au ventre gonflé par trop d'indifférence.
Pantelant dans les bras décharnés d'une mère,
Sous le regard hagard et impuissant d'un père,
Image d'un passé, où nuits et brouillards
Voyaient les enfants mourir comme des cafards.
Au fond de tes prunelles, une vive lueur
Crie son droit à la vie, son droit au bonheur.
Là, tu n'as même plus la force de haïr,
A peine t'en reste-t-il assez, pour mourir.
Soudain, un soubresaut, un regard qui se glace,
Elle pose sur l'ocre rouge le corps face au soleil ;
Tranquillement assis, les corbeaux regardent vers le ciel ;
La mort est dans l'écran, pour eux point de menace.
Alors pourquoi pleurer la mort d'un enfant noir,
Autour de la corbeille, on danse, il pleut de l'or,
Partout, on thésaurise, on accroît son trésor ;
On a laissé aux cieux, le reflet du miroir.
P Letessier
Patrick Letessier Page 52
L’Afrique…Je me souviens de mes rêves d'adolescent qui se nourrissaient de lectures
sauvages où je vivais au fil des pages de somptueuses aventures sur des territoires inconnus et
parfois à peine explorés. Ainsi, j'embarquais aux côté des Mahuziers et traversais cet immense
continent à travers le regard de cette famille d'explorateurs pacifiques et désireux de s'enrichir
intellectuellement de tout ce qu'ils pourraient découvrir au cours de leur périple. Alors, je
m'imaginais au milieu de la savane ; j'y croisais quelques bondissantes gazelles de Thompson qui
s’égayaient autour de moi en un ballet gracieux ou quelques impalas, plus grands, plus forts, mais
tout aussi légers ; puis je m'approchais silencieusement d'un troupeau de gnous, ces vaches sauvages
de la savane ; au passage, je dérangeais une bande de zèbres, qui apeurés, détalaient à mon approche.
Coupant la ligne d'horizon un troupeau d’éléphants se déplaçait majestueusement au milieu de
vapeurs tremblotantes, qui semblaient s’échapper de la terre, fruits d'une chaleur écrasante où l'air
surchauffé générait des phénomènes mystérieux, semblables à des spectres qui pour moi n'étaient
autre que des fantômes venu hanter les grandes herbes rousses de la savane. Beaucoup plus proches,
deux ou trois buffles me faisaient frissonner de peur, la charge d'un de ces animaux pouvant se
révéler dévastatrice, leur vitesse de pointe et leur poids ne laissant aucune chance à l'individu visé
par l'animal. Au-delà de ces grands herbivores, une famille de lions faisait la sieste sous un énorme
baobab. Des vautours planaient dans le ciel et s'abattaient les uns après les autres sur une vieille
carcasse dont se régalait déjà une paire de marabouts centenaires à la tête toute pelée.
Le soir, alors qu'un magnifique couché de soleil ensanglantait le ciel, la température se
faisait plus douce ; assis sur une pierre autour d'un feu de camp, je dévorais un repas bien mérité.
La nuit tombait vite; le foyer entretenu par de nombreux apport de bois me rassurait ; C'était un
rempart contre d'éventuels prédateurs. Les bruits devenaient terribles ; il me semblait que tous les
animaux de la région s'étaient donné rendez-vous autour du bivouac et attendaient patiemment de
pouvoir dévorer tous ceux qui s'éloigneraient du feu. Le rugissement des lions m’emballait le cœur
et le ricanement lugubre des hyènes me glaçait le sang ; mais comme tout bon héros, je surpassais
mes peurs.
Les jours suivants, je m'invitais au bord du merveilleux lac Victoria pour admirer le fabuleux
panorama qui s'offrait à moi et découvrir les crocodiles et les mastodontes que sont les
hippopotames, ces animaux si gauche sur terre et tellement agiles dans l'eau. C'était là aussi le
domaine des oiseaux avec une multitude d'échassiers dont les flamands roses. Ensuite mes
pérégrinations m'emmenaient au royaume des gorilles. Je rencontrais alors dans la luxuriante
végétation de la forêt équatoriale, un dos argenté, maître et défenseur de sa petite famille. Devant
notre intrusion il chargeait, prenant l'air le plus menaçant possible afin de nous faire déguerpir.
Cet animal si impressionnant est en fait peu dangereux, son manège d'intimidation n'étant le plus
souvent qu'un bluff destiné à éloigner les curieux.
Je me voyais également saluer de nouveaux peuples aux mœurs inconnus, comme les grands
et fiers Massaï, à la fois pasteurs et guerriers courageux, le peuple zoulous, sans oublier les dogons
ou les pygmées, peuplade des grandes forêts équatoriales. J'apprenais avec eux à chasser l'antilope
mais aussi les grands fauves, à manier la sagaie et à tirer à l'arc ; je passais facilement tous leurs
rites initiatiques, m'entrais dans la peau et le cœur les rythmes de leurs danses.
Dans mes rêves d'adolescent, je ne m'imaginais pas les dégâts causés par le colonialisme,
l'usure au fil du temps de leur culture, la disparition programmé de leurs croyances, toujours
respectueuses de la nature, remplacées au moyen de manipulations honteuses par le dieu des blancs,
destructeur et intolérant, ainsi que l'exploitation infâme des richesses cachées dans le ventre de leurs
terres, sans parler de l'esclavage qui fut l’une des plus grandes hontes de l’humanité. Puis naquit
une petite lueur d'espoir lorsque ces pays obtinrent leur indépendance face à leur colonisateur.
Espoir de courte durée tant le néocolonialisme empêcha par la suite un développement sain de ces
derniers comme si on avait voulu leur faire payer leur indépendance. Aujourd'hui où en est le
continent africain. Complètement gangrené par la misère ou la guerre, parfois les deux ; les pays
riches s'y affrontent par populations locales interposées. Quel dictateur mettre en place pour pouvoir
profiter de tel ou tel richesse.
Patrick Letessier Page 53
La révolte de certains peuples semble cependant parfois porter ses fruits ; ainsi la Tunisie a-
t-elle peut être réussi sa révolution ; le soulèvement de la population a projeté une lueur d'espoir sur
un chemin menant à la démocratie.
Le plus souvent des forces tapies dans l'ombre attendent l'occasion de prendre le pouvoir,
manipulées par d'autres pays ou par les adeptes de religions obscures qui habités par un dogmatisme
sévère prétendent agir au nom de dieu mais en fait utilisent cette supercherie pour asservir les
peuples et asseoir leur pouvoir.
Ce qui m'a frappé, en particulier en Libye, pays riche de ses trésors pétroliers, c'est la vitesse
à laquelle le dictateur peut passer du statut de fréquentable à celui de paria, la vitesse à laquelle on
décide d’ intervenir pour protéger les sources d'or noir et la façon dont ensuite lorsque tout rentre
dans un ordre économiquement correct, on peut se foutre de l'avenir des habitants, seul l'avenir des
richesses revêt une importance capitale ; il faut que le pétrole coule, peu importe ce que deviendront
les peuples. Quel que soit le pouvoir en place, pourvu qu'il collabore aux desseins des pays les plus
riches ; en fait la moralité des dirigeant est jugée par les riches démocraties proportionnellement aux
paquets de dollars qu'ils peuvent rapporter ; celles-ci se targuent la plupart du temps d’agir dans le
but d’établir la démocratie ; une illusion, tant il est irréaliste de vouloir y imposer un concept qui
bien souvent est totalement étranger aux populations locales, leurs us et coutumes étant
complètements différents de ceux des pays occidentaux ; mais ainsi, ces derniers peuvent-ils
justifier certaines interventions armées et faire passer plus facilement la pilule aux yeux du monde
ainsi qu’obtenir l’assentiment de leur propre peuple .
Démocrates et dictateur
Ils soutiennent le dictateur
Il est de bonne humeur.
Ils soutiennent le dictateur
Il leur rend les honneurs.
Ils soutiennent le dictateur
Il fait des cadeaux de valeur.
Ils soutiennent le dictateur
Son fric n’a pas d’odeur.
Ils soutiennent le dictateur
Il a le riche sous-sol d’un orpailleur.
Ils soutiennent le dictateur
Sa politique colle à la leur.
Ils lâchent le dictateur
Son peuple est en fureur.
Ils lâchent le dictateur
Il faut sortir de la rumeur.
Ils lâchent le dictateur
Les journalistes leur font peur.
Patrick Letessier Page 54
Ils lâchent le dictateur
Le peuple semble être vainqueur.
Ils lâchent le dictateur
Il n’est plus utile à cette heure.
Ils lâchent le dictateur
Maintenant il leur fait horreur.
Mais une question reste à l’honneur,
Quel autre dictateur
A placer en primeur
Fera maintenant le bonheur
De ces démocrates sans honneur
Dont l’idéal, le fil directeur,
Se compose à toute heure
De vénales valeurs
P Letessier
Un premier cri pour les enfants perdus d’Afrique. Espérons qu’un nouveau soleil se lèvera
dans l’avenir sur ce continent martyrisé.
Un deuxième cri pour dénoncer le retour de doctrines infâmes qui précipitèrent l'Europe
dans les pires moments de son histoire. C'est tout ce que le poète peut faire... Quoique ?
J’hallucine.
J’hallucine! Dois-je me taire?
Ah!…En moi monte la colère
Oh! Regarde-toi pauvre fou !
Cerveau ? Mue de crabe mou!
Pauvre erre, l’ombre de la misère
Te tend comme une drogue amère
Les mots d’un discours envoûtant,
Relent terrifiant et puant
D’un vil passé pas si lointain
Dont les morts à peine enterrés
Crient, crèvent le ciel du poing,
Alors qu’à peine libérés,
Des nuages noirs et hideux
Marchent au pas au-dessus d’eux.
Bruits de botte et bruits de haine
Pourvoyeurs de la mort en peine.
Attention! Un nouveau visage,
Une fausse et troublante image
Habille de haute couture
Des esprits tout prêts au parjure.
Patrick Letessier Page 55
Résonne, ce n’est pas la haine
Qui te guérira de ta peur ;
Aucune, mais aucune peine
Ne s’apaise dans la terreur.
La liberté est en danger ;
Crie avec moi à l’unisson
Plus haut que toutes les prisons
Contre ces diables enragés.
Souviens-toi des photos jaunies
Où, hommes, femmes et enfants,
Pour une étoile, réunis,
Mourraient dans des camps effrayants.
Ne brûle pas la liberté
Sur le bûcher de la bêtise ;
Tu pourrais bien le regretter
Car longue sera leur emprise.
P Letessier
Oui !la planète se remet à peine des pires horreurs que l'humanité eut à subir. L'être le plus
abject que l'on eut à connaître a été vaincu, en partie par le combat d'hommes qui avait dans le cœur
un sang rouge de l'oxygène que donne la liberté et tout au fond de l'âme, une lueur qui survivait
dans un monde détraqué.
Le voleur de lumière.
Hier
Un magicien machiavélique
A volé la lumière.
La Lumière de nos vies
De nos désirs, de nos folies.
Aujourd’hui
Interdits les désirs
Proscrites les folies
Tout est noir
Tout est nuit.
Mais nous trouverons bien
Quelques éclats de lumière
Quelques éclairs de vie
Pour réaliser nos folies
Pour assouvir nos envies.
S’il le faut, nous les cacherons
Tremblant de peur
Dans l’un des recoins secrets de la nuit.
Patrick Letessier Page 56
Hier
Un magicien machiavélique
A volé la lumière.
Lumière qui éclairait
Les pages de nos livres.
Aujourd’hui
Devenues
Pages blanches
Pages noires
Pages vides
Pages sans histoire
Pages sans espoir
Pages rongées par l’ennui
Pages figées dans la nuit.
Mais il reste au poète
A l’intérieur, tout au fond de lui
Une lueur qui luit.
Lueur de révolte, lueur de vie
Qui lui sort du cœur
Comme une envie de bonheur ;
Et il rit ; et il pleure…
Guidé par cette petite lueur
Il écrit quelques vers
Des vers qui échappent au voleur de lumière.
Des vers sur une page
Des vers de courage
Des vers qui racontent une histoire
Une histoire pleine d’espoir
L’espoir d’une autre vie.
Enfin
Le magicien machiavélique
A rendu la lumière.
Il s’est évaporé dans le noir
S’est perdu dans la nuit.
Il a perdu
Contre la vie
Contre nos désirs
Contre nos folies
Contre l’espoir
Contre les lueurs de l’esprit
Contre des vers sur une page
Qui écrivaient une histoire
Une histoire pleine de courage
Un courage qui rend les hommes libres.
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Bien sûr, les poètes ne contribuèrent que de façon infime à ce combat ; cependant certains y
laissèrent la vie, tel Robert Desnos qui fut déporté au camp de Terezin. Il y mourut le Huit juin mille
neuf cent quarante-cinq.
Je me souviens encore de mes retours d'école, une fourmi sous le bras ; elle faisait bien dix-
huit mètres et juste derrière moi un char plein de pingouins et de canards et ce cher Jonathan qui me
suivait avec son beau pélican ; tous ces petits morceaux de rêve qui entraient dans la maison,
devenaient récitations ; c'était dans ces moments que j'apprenais bien mes leçons. Enfin un dernier
rêve : Avec le beau pélican j'arrache Desnos à ce camp.
A Robert Desnos.
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Une fourmi de dix-huit mètres
Avec un chapeau sur la tête
Ça n’existe pas, ça n’existe pas.
Une fourmi traînant un char
Plein de pingouins et de canards
Ça n’existe pas, ça n’existe pas...
Et pourquoi pas !
Je l’ai croisée
Un jour d’ennui
Un jour triste, un jour gris
Elle m’a donné un peu d’espoir
M’a apporté un grand soleil
Comme à tous les enfants
A Tous ceux qui s’émerveillent ;
Les tout petits, les très grands
Les enfants de dix ans
Les enfants de cent ans
Tous les enfants rêvant
La tête dans les nuages
Les yeux remplis d’images
Les cheveux dans le vent.
Suis-je encore un enfant ?
Je ne connais plus mon âge
Ce drôle de personnage;
Mais aujourd’hui, je suis capitaine
Je m’appelle Jonathan
J’ai capturé un pélican
Né d’un œuf, tout blanc, tout blanc
Venu lui-même d’un pélican né d’un œuf tout aussi blanc
Venu lui-même d’un pélican né d’un œuf encore plus blanc ;
De pélican en œuf
D’œuf en pélican
Je remonte le temps ;
J’arrache Desnos aux barbelés de ce camp
Où les rêves ne peuvent pas entrer
Où la mort, seule, occupe toute la scène
Où la haine est une reine.
Ensemble nous sautons
Sur le splendide oiseau blanc
Né d’un œuf tout blanc, tout blanc
Puis nous nous envolons
En direction du soleil
Caressés par la douce lumière
De ses rayons éternels ;
Le ciel est tout bleu
L’air est si pur, l’air est si clair
Nous sommes tellement heureux.
Pour ajouter à notre bonheur
Ils sont tous là…
A nous faire une haie d’honneur
Patrick Letessier Page 59
L’escargot, le lama
La tortue, le coucou
La baleine, le kangourou
Le crapaud, le gnou
Le papillon, le homard
Le zèbre, le léopard
Enfin ! Tous sans exception ;
Alors comme une clameur
Montent les histoires
D’un monde bien vivant
Histoires d’un monde hors du temps.
Et
Tout en souriant
Le cœur assoiffé de bonheur
Tous les enfants du monde
Petits et grands
Les yeux envahis de soleil
Applaudissent en rêvant.
Patrick Letessier
Qui sera le prochain voleur de lumière. Attention ! Soyons vigilant, la misère est
mauvaise conseillère ; elle engendre facilement la haine, qui peut se transformer aux yeux des gens
qui souffrent en un illusoire moyen de défense, comme un rempart contre la réalité. Attention !
Cette haine peut devenir ensuite l’outil de prédilection de guides malveillants.
Danger.
Lorsque la misère appauvrit les esprits
La haine s’enrichit ;
C’est là un temps béni
Pour la démagogie.
Quel monstre va-t-elle enfanter ?
La liberté est en danger.
Réagissons !
Demain, il sera trop tard ;
Il nous restera plus qu’à pleurer
Et à gratter le fond de la jarre
De l’envoûtante Pandore.
P Letessier
La misère, elle s'en donne à cœur joie sur notre vieille planète ; Elle s'est alliée à une partie
de l'humanité pour en faire souffrir le reste. Au vingt et unième siècle dans les pays riches, des
hommes meurent de froid. Parfois aux prémices de la nuit, sur le pas de ma porte, quand l’hiver
forcit, je songe avec tristesse que des êtres humains dorment dans la rue comme des chiens alors
que mes propres animaux s'effraient d'une goutte d'eau et aboient à la porte dès les premières
froidures du soir. Sortez de chez vous bonnes gens, lorsque l'air est glacé, lorsque la terre est gelée,
sous la pluie, dans l'humidité ; Imaginez-vous quelques instants allongé, sur l’herbe ou le béton, à
peine protégé par quelques cartons ou quelques plastiques de récupération ; mieux encore :
Couchez-vous à même le sol, restez-y quelques temps et laissez le froid vous envahir ; puis
imaginez simplement ce que sera votre nuit et ce que pourrait devenir votre vie. Si vous avez en
vous quelques lueurs d'humanité, tout comme moi, vous vous trouverez lâche, lâche d'accepter que
cela puisse exister.
Patrick Letessier Page 60
Un dimanche sans tracas.
La mort est noire
La mort porte une cape noire
Tout le monde peut le croire.
Mais aujourd’hui en ce dimanche
La mort a mis une robe blanche.
Un homme allongé sur un grabat
Au milieu de la rue blanche
Sur un grabat vert et rouge
Dans une poudre froide et blanche
Un homme rongé de mille tracas
Est là couché et ne bouge.
Il fait si froid, tout est gelé
La lune aux cieux est toute rouge
Les joues rougies par l’air glacial
Elle descend parler à l’oreille
De l’homme sur le grabat
__ Il ne faut pas que tu dormes__
Dit la lune de ses joues rouges
__Ne fait pas entrer le sommeil
C’est un voleur, il est fourbe
Il veut te voler ton soleil.__
L’esprit engourdi par la misère
L’esprit engourdi par le froid
L’homme ferme les paupières
Le sommeil entre comme un roi
La mort jusque-là invisible
La mort n’a pas le choix
Cela était prévisible ;
Cachée derrière le sommeil
Engourdie un peu las
Elle lui emboîte le pas ;
Le lendemain tout raidi
D’avoir beaucoup trop dormi
Dans la blancheur infinie ;
L’homme se trouve mort sur son grabat
Son grabat vert et rouge.
__Tu ne m’as pas écoutée !__ dit la lune
__Maintenant tu es mort
Avec pour toute fortune la robe blanche
De la mort ;
Sa robe du dimanche.__
__Oui !__ dit l’homme
__Mais un dimanche sans tracas.__
P Letessier
Patrick Letessier Page 61
Des cris pour dénoncer pour s'indigner. S'indigner ; c'est là au moins un minimum.
S’indigner
On s’indigne le matin quand le réveil sonne
On s’indigne sous les coups de pioche qui résonnent
On s’indigne devant une vieille insultée sous l’abri bus
On s’indigne quand on brûle de précieux papyrus
On s’indigne de voir un gosse qui crève de faim
On s’indigne de voir un malheureux se jeter sous le train
On s’indigne d’une loi qui tranche les mains
On s’indigne d’une foi qui n’a rien d’humain
On s’indigne devant un pays qui lapide les femmes
On s’indigne devant l’inégalité entre hommes et femmes
On s’indigne de voir que d’autres ne voient pas
On s’indigne de ne pouvoir lui rendre ses pas
On s’indigne parce que le musicien joue trop fort
On s’indigne parce qu’ils ne font pas d’effort
On s’indigne parce que les pauvres sont tristes à voir
On s’indigne parce qu’il n’y a plus d’espoir
On s’indigne quand les enfants souffrent
On s’indigne quand les herbes folles poussent
On s’indigne devant les massacres de la guerre
On s’indigne en pensant aux va-t’en guerres
On s’indigne quand un vieil arbre est abattu
On s’indigne lorsqu’un bon chien est battu
On s’indigne devant un enfant qui fond en larmes
On s’indigne quand un enfant s’effondre sous les armes
On s’indigne de l’explosion du chômage
On s’indigne de ne pas leur rendre suffisamment hommage
On s’indigne des parachutes dorés de patrons incompétents
On s’indigne à la vue de vaniteux trop pédants
On s’indigne de voir des salauds, sans moralité, s’enrichir
On s’indigne de voir des enfants, privés de soins, mourir
On s’indigne parce que d’autres ne s’indignent pas
On s’indigne parce qu’on pense qu’il faut s’indigner. N’est-ce pas ?
On s’indigne également pour une multitude d’autres choses
Mais en fait! Cela suffit-il pour faire changer les choses ?
P Letessier
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S'indigner, preuve d'une certaine prise de conscience, première étape pour ensuite se
révolter. Le plus souvent se sont les arts ; la littérature ; le rappel historique ; enfin tous les
composants de la culture qui éveillent la prise de conscience. C'est pourquoi tout doit être divulgué
tout doit être exposé ; rien ne peut être censuré. Reprenons ce cri ; ce cri de Munsch ; toute son
œuvre faillit bien être détruite par l'obscurantisme nazi qui la qualifiait de décadente ; heureusement
leur cupidité permit de la sauver ; ils préférèrent la vendre plutôt que la détruire.
Ce cri ; ce cri de tous les cris, vous le voyez résonner sur sa toile ; vous l'entendez bondir
hors du tableau ; il vous harponne l'esprit ; il n'a pour sens d'exister que pour vous tenir éveillé.
Mais d'autres dangers actuellement menacent ces œuvres, en tête au hit-parade de l’investissement.
Elles ont atteint des prix que l'on ne saurait imaginer et leur valeur spéculative depuis longtemps a
remplacé toute leur splendeur artistique. Ainsi peut-on voir disparaître de grands tableaux de
maître ; ils finissent au sein de coffres sécurisés ; Ils quittent la lumière, ne peuvent plus s'exprimer,
une perte pour l'humanité ; le plus grave serait d'oublier le sens profond de ces œuvres et de les
transformer uniquement en une quelconque marchandise. Ainsi je pense à l'un des cris de Munch
vendu il y a quelques années un prix si indécent qu'on ne peut le citer. Heureusement, l'artiste en
avait peint plusieurs de ces cris, avec le même talent ; peut-être voulait-il les faire se répondre. Je ne
peux m’empêcher de penser à une toile qui m'est chère : « les tournesols de van-Gogh », vendue il y
a déjà bien longtemps, une montagne de dollars ; chaque toile de Van Gogh met celui qui la regarde
dans une situation où il se retrouve branché en direct avec le cœur, les tripes, l’esprit du peintre ;
enfermer ses toiles équivaudrait à couper ce lien invisible qui les relie pour l’éternité à l’âme de
l’artiste, à faire disparaitre le sens propre de ses œuvres en les réduisant à l’état de simples
marchandises ; A l'époque, j'avais été choqué, la belle allait être occultée ; elle ne pourrait plus faire
vibrer le moindre spectateur .
Œuvre cachée, œuvre perdue.
Un rai de lumière crève la nuit bleutée
Et s’en vient enflammer d’harmonieuses rondeurs
Un bronze où s’alanguit en reine de beauté
Le rêve secret du roi des maîtres fondeurs.
Juste à ses côtés une statue d’albâtre,
Deux chiens, gueules ouvertes, tout prêt à combattre,
Une poupée brune au regard effaré
Et mille objets dans un capharnaüm doré.
Puis, juste au milieu un espace dégagé
Avec tentures, soie, décor de palace,
Depuis mon chevalet je domine l’espace,
Enfermé dans ce luxe, je me sens piégé.
Après un cri strident la porte de la salle
S’éventre puis vomit un long serpent d’argent
D’où s’échappent de vieux chenus ventripotents,
Qui s’affalent sur leur séant, puis dans un râle,
S’agacent d’être hors de vue et fort mal assis.
Soudain, comme un chef d’orchestre, il entre et salue ;
Voici venir le maître de la plus-value.
Il progresse ; après quelques acrobaties
Patrick Letessier Page 63
Se retourne, marteau levé ; face à la foule
Ouvre les enchères, comme une litanie.
Des mains se lèvent, quelle nouvelle manie
Agite ces gens disséminés dans la foule.
Bruit mat, l’ivoire frappe le bureau de bois,
« Adjugé à monsieur ce grand cerf aux abois ! »
A ses côtés, craintive, les yeux pleins de larmes,
La reine de beauté vit un terrible drame:
Finir sur le bureau tristement poussiéreux
D’un banquier fortuné à la fois laid et vieux.
Voilà bientôt la fin, je sens venir mon tour ;
Ils m’ont bien encerclé ; ils sont là tout autour
A m’observer, tous, mais ce n’est pas par amour.
Leurs yeux s’animent de bêtes calculatrices,
En eux vibre une fibre spéculatrice ;
L’art un placement tout à fait sûr à ce jour.
Tout à coup tombe le couperet, adjugé!
On me saisit, m’enchaîne, je suis prisonnier ;
On m’emporte, m’entraîne, sans être jugé,
Avec douceur, sans trop durement me manier,
Dans une énorme caisse aux poignées nacrées,
Toute capitonnée ; un cercueil peu banal,
Le tout sécurisé par des codes sacrés.
Il faut préserver, protéger le capital.
Voilà, je ne suis plus qu’un simple numéro,
Un graffiti vulgaire, un chèque à six zéro.
Pour unique décor, du noir encor du noir,
Me reste-t-il encore une lueur d’espoir.
Pas une poussière, pas un grain de lumière,
Cette lumière, cette jolie coquine,
Elle avec qui depuis toujours je m’acoquine.
Oh lumière, lumière, divine matière
Souffle sacré, essence même de mon âme,
Pour toi, soumise ou sauvage, que dieu me damne.
Soudainement, j’entends des portières claquer
Quelques soubresauts, nous venons de démarrer.
Le temps, cette longue maladie incurable,
Ne cesse de me hanter d’une langueur infinie.
Ce voyage, cette grotesque ignominie,
Est l’œuvre d’un insensible et cupide diable.
Tout au bout de la nuit, tout au bout de l’ennui,
Enfin un bruit, on daigne ouvrir mon sarcophage.
Des gardiens tout autour, je n’ai pour seule image
Que celle d’un lieu sécurisé ; rien n’y luit.
Patrick Letessier Page 64
Ici ne vit qu’une lumière tamisée ;
Seule une ombre pourrait y être apprivoisée.
L’un des croque-morts sort alors du décor,
Me saisit doucement maîtrisant son effort,
Puis me dépose avec beaucoup de précautions
Au fond d’un coffre, au milieu d’une collection
De diamants et de dollars, trésor incroyable
Amassé sans remord dans ce coffre inviolable.
La lourde porte se referme, je frissonne ;
Il fait si froid, tout est glacé, on m’abandonne.
Le temps se fige. Je prie à crever les cieux
Pour qu’un voleur intelligent et audacieux
Viole cette forteresse et d’un coup, m’emporte
Très loin de cette triste vie de cloporte.
Hors de toute vue, sous cette sombre voûte,
C’est sûr! Je vaux beaucoup moins qu’une vielle croûte
Qui elle, peut être caressée au hasard
Des rencontres, par de curieux et doux regards,
Peut-être l’intérêt de quelques discutions,
Peut donner lieu à quelques brèves émotions.
Avec nostalgie, je songe aux temps bénis
Où je trônais, charmeur, sous les yeux éblouis
De gens de tous âges et de tous horizons
Dans de nombreuses expositions de renoms.
Sous un lumineux et vertueux éclairage,
Fier, je présentais à tous mon plus beau visage ;
Les enfants, leurs parents, s’arrêtaient face à moi,
Les yeux friands, me contemplaient avec émoi.
Ils échangeaient entre eux des petits bouts de rêve,
M’inventaient une vie ; et aujourd’hui je crève.
On me rendait honneur, on me rendait hommage,
Me voici devenu un vulgaire fromage.
Quel outrage, mon maître avait trop de talent ;
Son œuvre escamotée sous trop, trop d’argent,
Quel béotien peut m’assassiner de la sorte ;
Sans âme, une œuvre cachée est une œuvre morte.
Je suis né pour être regardé, admiré,
Pour procurer d’insoupçonnables sensations,
Pour saisir les cœurs, au comble d’une émotion
Qui brûle l’esprit d’un maelström coloré.
Mais au fond de ce sordide garde-manger,
Trop inutile, je n’ai plus rien à offrir ;
Sans espoir, il ne me reste plus qu’à mourir.
Je prie pour que l’on daigne m’euthanasier.
Patrick Letessier Page 65
Soudain, il me vient des idées de suicide
Mais quel moyen trouver pour pouvoir me détruire
Une, une seule idée, pour que je me trucide
Mourir, oh mourir si je ne peux plus séduire.
Maintenant, il ne me reste plus qu’à pleurer ;
Je pleure, je pleure de toutes mes couleurs,
Désespéré, craquelé par trop de douleurs ;
Au fond des mémoires je m’en irai errer.
Mes larmes se mêlent dans un balai étrange,
Jaunes, bleus, rouges, blanches, toutes se mélangent,
Rageuses, sur la palette du désespoir.
Elles dansent sous une lumière amère et noire.
Tout à coup une vie, une ombre, une lueur,
Un diable à deux pattes vient d’ouvrir la nuit.
Ma cote a augmenté au fil de son humeur
Et pour lui il est temps d’en récolter le fruit.
Entrevoir son trésor, pouvoir me regarder,
D’un geste, il me saisit, d’un geste, il me retourne;
Les yeux exorbités, il hurle comme un loup ;
Son cœur trop affolé vient d’exploser d’un coup.
Il vient de découvrir que ma toile s’est parée
Après avoir bien oh bien trop longtemps pleuré,
De noir ; un noir profond, la couleur de la mort
Et il peut dire adieu à son fichu trésor.
L'art…Des formes d’expression où l’on peut se mettre à nu tout en conservant une certaine
pudeur ; une manière détournée d’offrir aux autres ce que l’on a de plus intime, de partager des
sentiments, de communiquer des émotions ; il doit également faire rêver, emporter le spectateur,
l’auditeur, dans un autre monde. L’œuvre doit être spontanée, sortir du cœur, des tripes, pour
infiltrer les âmes ; peintures, sculptures, musique ou danse...etc. ; toute composition artistique doit
surgir de l’intérieur pour être livrée sans arrières pensées. Alors, chaque individu face à ce que
l’artiste a enfanté pourra à sa manière s’approprier ce qu’on lui présente pour en modeler une image
qui découlera directement de sa sensibilité et générera une émotion particulière qui ne peut être
universelle mais est propre à chaque individu. Malheureusement sur les chemins de l'art, on croise
de plus en plus d'intellos, qui sous le couvert d'une certaine notoriété pensent détenir la vérité sur ce
qui est bien ou ne l'est pas, sur la manière d’appréhender, de ressentir, de définir un chef d’œuvre.
Sous peine de passer pour un Béotien, il faut suivre leur jugement. Parfois il se montre pertinent,
mais souvent se trouve influencé par l'air du temps et un certain snobisme ; En fait, il est de bon ton
de donner l'impression de faire partie du cercle un peu narcissique d'une certaine élite qui tout du
moins se fait passer pour tel.
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Des yeux d’enfant
S’immerger dans l’Art…
Elle en rêvait!
Depuis qu’une sculpture lui avait piqué le cœur
Depuis qu’une peinture l’avait illuminé de bonheur;
Pour cela, il fallait au moins devenir docteur
Pour savoir déceler l’invisible
Pour savoir expliquer l’indicible
Pour juger, élaborer les canons de l’Art.
Le parcours initiatique fut difficile.
On lui ôta lentement le cœur
On le remplaça par une farce sans saveur
Cuisine d’une élite sans humilité.
On l’invita dans de somptueux vernissages
Avec champagne, costards et caviar ;
Là se retrouvaient tous les intellectuels de l’Art
Petit cercle narcissique et vantard.
On lui présenta des artistes de renom
Avec une signature qui leur barrait le visage
Des tableaux peints uniquement en dollars.
Elle dut en escalader des veaux d’or
À en avoir mal dans tout le corps ;
Elle en inaugura des concepts à cent balles
Vu comme des trésors incommensurables.
Elle perdit son regard d’enfant
Où scintillaient jadis des étoiles d’argent.
Elle perdit son sourire
Oublia ses émotions.
Au fil du temps
Elle ne supporta plus cet Art caviar ;
Un été, lassée, elle s’enfuit loin de la ville et de ses snobinards
Elle partit se reposer, se ressourcer
Dans un village inconnu avec des maisons de pierre
Des toits rouges, des rues pavées, du lierre sur les murs
Des fontaines d‘eau claire
Des parterres de primevères
Des odeurs de thym et de romarin ;
Village perdu au milieu de nulle part.
Alors qu’elle flânait avec nonchalance
Sous un bel éclairage, au milieu d’une ruelle
Elle aperçut un chevalet un tant soit peu bancale
Rafistolé de morceaux de ficelle.
Debout juste à côté se tenait le peintre ;
Il était nu, un masque blanc lui couvrait le visage ;
Surprise, elle observa la scène…
Soudain elle recula.
Qui osait cet outrage?
Curieuse, malgré son effroi, dans un élan de courage
Elle avança pour voir la toile sur le chevalet.
La toile lui sauta au visage.
Patrick Letessier Page 67
Elle n’avait jamais rien vu de pareil ;
Submergée par l’émotion
Elle reçut, comme un coup de poignard
Une onde de bonheur en plein milieu du cœur;
Alors, des étoiles s’allumèrent dans ses yeux
Tout comme à l’époque où elle était enfant.
Elle essaya de saisir le peintre et la toile
Mais ils lui échappaient comme s’échappe une anguille ;
Rapidement ils disparurent
Après avoir tourné au coin de la rue.
Troublée, elle abandonna tous ses ministères.
Elle enseigna l’Art aux enfants
L’Art, l’Art avec un grand A
Celui qui te brûle l’âme
Te fait rêver, t’envahit de bonheur
Te chamboule à l’intérieur
T’arrache des pleurs
Sous de subtiles ou de trop fortes émotions.
Elle enseignait…
Un bien grand mot disait-elle
J’aide à faire briller les yeux des enfants
Des tout petits et des très grands
Des enfants de six ans, des enfants de cent ans
De tous ceux qui s’émerveillent
Ceux qui attrapent les rêves
S’en font une paire d’ailes
Pour mieux pouvoir s’évader.
Un jour, elle retourna au village
Y retrouva le peintre au masque blanc.
Émerveillée, le cœur battant
Elle entra dans le tableau du grand maître
On ne la vit plus jamais reparaître
On dit qu’elle y vit maintenant.
Elle a enfin réalisé son rêve…
Le rêve du temps où elle avait des yeux d’enfant.
P Letessier
L'art et la beauté ; certain vous dirons que l'art doit avant tout être beau. Il ne faut certes pas
en oublier la dimension esthétique ! La beauté : Une impression bien subjective qui diverge d’un
individu à l’autre lorsque sa perception n’est pas conditionnée par un battage excessif qui a pour but
d’imposer des critères bien ciblés. Elle peut normalement revêtir une infinité de formes. Ce qui peut
paraître magnifique à un aborigène de Nouvelle guinée nous laissera nous autres occidentaux
complètement indifférents et vice versa. La perception que l'on en a est la plupart du temps fonction
de la culture dans laquelle on a baigné. Mais pourquoi ne pas apprendre la beauté d’autres cultures ?
Aujourd'hui, on veut occidentaliser la beauté, l'enfermer dans un moule prédéfini, lui allouer des
critères simplistes et vendeurs, l'identifier à une certaine image du luxe et cela par l’intermédiaire
des médias qui font la pluie et le beau temps en matière de style. Heureusement la beauté peut
encore se montrer imprévisible et surprendre en dehors de toute mode ;
Patrick Letessier Page 68
Bien sûr, je parle de la beauté en général, pas seulement de celle qui concerne la mode
vestimentaire ; cependant, ce fut après avoir eu connaissance du scandale de ces femmes
mannequins complètement anorexiques présentées comme un modèle à suivre pour correspondre
aux canons de l’esthétique, qu'il me vint l'idée d'écrire ce texte sur la beauté, dont la perception est
heureusement beaucoup plus subtile que ce que l'on veut généralement nous présenter.
Beauté.
Le jour où la beauté apparut sur terre,
Elle était brute et naturelle,
Vierge, sans artifice.
Elle se voulait différente
D’un coin à l’autre de la planète.
Les hommes ne la connaissaient pas ;
Elle était une étrangère.
Tout d’abord, ils durent la découvrir,
Lentement, apprendre à l’apprécier,
Doucement, l’apprivoiser,
Chaque jour, s’en émerveiller.
Aujourd’hui!
La beauté est en danger ;
Ils veulent la domestiquer,
L’emprisonner dans une cage
Qu’elle ne puisse pas leur échapper ;
Mais la beauté est sauvage,
Imprévisible, elle surgit subitement
Dans un orage de sensations,
Dans une tempête d’émotions.
Elle est plus pure,
Plus précieuse qu’un diamant.
Au fil de ta vie,
Si tu en croises l’image,
Elle t’envahit le cœur
Te fait frissonner de bonheur.
Surtout, ne cherche pas à comprendre
Cette seconde d’éternité
Qui vient d’illuminer ton âme ;
La beauté ne peut pas être expliquée.
Elle a plus de mille visages…
Ne tente jamais de l’enfermer
Dans une seule et unique image,
Sinon, elle pourrait bien s’envoler ;
La beauté est insaisissable ;
La beauté…
Elle a besoin de liberté.
P Letessier
Patrick Letessier Page 69
Il était temps.
Une seconde d'éternité : N'avez-vous jamais vécu un instant incroyable, incroyable de
sensations, incroyable dans l'intensité de l'émotion, incroyablement extraordinaire ; un instant si
bref qu'il n'a pas marqué le temps mais semble cependant durer une éternité tant il vous a
impressionné ; une sensation ou le temps prend une dimension en rapport avec la richesse ou la
force de ce que l'on vient de vivre ; il semble soudain s'être arrêté, être suspendu, stoppé sur une
image précise qui restera gravé en soi durant toute la vie.
Le temps, ce grand mystère qui nous fascine ; on souhaiterait l'apprivoiser, l'accompagner, le
contrarier, mais surtout, comme on aimerait pouvoir le dompter ; pouvoir voyager à l’intérieur, se
regarder dans le futur, corriger son passé, un rêve inassouvi de l'homme.
Cela me rappelle une petite promenade matinale sur une brocante dans une ville du nord.
Les exposants avaient étalés devant eux tout un bric à brac et au milieu de tout ça, un étal, un stand
tout à fait différent, venu d'ailleurs, peut-être d'un autre temps ; il avait la forme d'une horloge avec
à l'intérieur, assis sur un tabouret un peu surélevé, un homme hors d'âge ; il est vrai qu'on ne pouvait
pas lui en attribuer un, d'âge. Il réparait les montres à mouvement mécanique, en achetait et en
vendait aussi. Juste à ses côtés, un vieux coucou suisse lançait de temps à autre en bondissant hors
de son chalet montagnard, un cri vif et clair ; il faisait sursauter le chaland qui s'approchait un peu
trop près et se laissait surprendre par l’engin. Juste derrière, on apercevait une vieille bicyclette
appuyée contre un arbre ; elle était équipée de trois gros phares ; une pancarte accrochée au guidon
indiquait qu'il s'agissait d'un vélo prévu et équipé pour voyager dans le temps. Je me suis alors mis à
rêver d'un voyage au fil du temps ; Je me voyais, pédaler en avant, pédaler en arrière, revoir le
passé, rencontrer le futur.
Délire temporel.
Aujourd’hui, j’avais le temps…
Je suis allé à la brocante
Chiner des objets sur le temps ;
Ça se passait dans une horloge,
Là se trouvaient les exposants ;
Ainsi j’ai trouvé une passoire,
Une passoire pour passer le temps,
Avec un trou noir et un trou blanc,
Mais aussi une vieille pétoire,
Un vieux fusil pour tuer le temps ;
Avec, se trouvait un coucou suisse,
Il s'égosillait constamment
Et rabâchait tout le temps :
« Tue le temps ! Mais attention,
Tu n’auras plus jamais le temps
De rien faire
Et rien faire
C’est important ! »
J’ai acheté :
Un ensemble de premier ordre
Tracé à l’aide de fonctions du temps ;
Elles occupaient la place
Patrick Letessier Page 70
Sur un morceau de tableau noir,
Se transformaient
Pour s’intégrer plus facilement
Dans un petit espace du tableau ;
Et celui-ci riait de cette farce,
Cette farce pour potache.
Mais aussi :
Un grand cube de verre blanc,
Avec à l’intérieur
Un énorme cerveau,
Avec dans chaque pli
Des livres et des écrits,
Des morceaux de vie ;
Des hommes armés d’outils
Fouillaient les méandres du cerveau,
Puis entassaient sur un lobe
Les livres et les écrits trouvés.
De temps à autre, ils faisaient une pause.
Alors, je leur ai demandé ce qu’ils faisaient là-dedans.
« Là !__ M’ont-ils dit. __ Nous passons notre temps…
« A la recherche du temps perdu. »
C’est un travail pour notre ami Marcel. »
Aussitôt après, ils fouillaient à nouveau.
J’ai rapporté une bouteille
Avec Paris au-dedans ;
Des gens couraient à l’intérieur
Pour y attraper le temps ;
On leur avait dit :
« Le temps ! C’est de l’argent ! »
Les gens couraient à sa poursuite,
Le temps s’enfuyait par le goulot;
Les gens couraient tout le temps,
De nuit, de jour, de nuit, de jour
Toujours, chaque jour,
Sans jamais rattraper le temps.
J’ai rapporté un peu de printemps ;
Un bouquet de fleurs éclatant
Dans un grand panier d’osier blanc.
Mais aussi le temps des cerises
Avec son merle moqueur
Qui chantait à tue-tête
Le temps de l’espoir et du bonheur.
J’avais aussi un grand écran
Traversé par la mitraille,
Celle d’une guerre pleine de tourments,
Où la mort ne prend pas son temps
Où la mort accélère
Pour ne pas perdre de temps.
Mais le plus beau des objets
Était une bicyclette,
Prévue pour voyager dans le temps.
On pouvait pédaler,
Patrick Letessier Page 71
Pour aller en avant,
Pour aller en arrière,
Il n’y avait pas de frein ;
Sur le guidon trois cadrans…
Le premier comptait le temps passé,
Le second, le temps présent
Et le troisième le temps futur,
Il fallait relativiser…
Leur résultat n’était pas sûr.
Devant s’y trouvaient trois gros phares
Pour éclairer la nuit des temps.
Je l’ai posé au fil du temps,
Me suis assis sur la selle.
J’ai pensé :
Je suis maintenant dans le présent,
Demain, je pédalerai vers le futur
Qui deviendra alors mon présent
Et le présent d’aujourd’hui
Sera demain mon passé ;
Si je dépasse ce futur présent,
Il deviendra mon passé,
Que cela semble compliqué.
De futur présent en futur présent,
Je peux avancer dans le temps.
J’arrive à l’instant de ma mort,
Mort, je peux encore pédaler ;
C’est normal,
Je fais partie du décor,
Au fil du temps j’ai existé.
Voilà qu’apparaît la fin des temps
Ou devrais-je dire la fin du temps;
Même si je sais qu’il y a un temps pour tout.
Mais le temps ne peut pas s’arrêter,
Sinon, il ne serait pas le temps ;
Et il disparaîtrait.
Alors, il se retourne sur lui-même,
Il s’en retourne en arrière ;
C’est dur de pédaler à l’envers
Et de devoir surveiller tout le temps
Que le temps est bien derrière
Pour ne pas avoir d’accident.
J’arrive le jour ou la vie m’a quitté ;
Me voilà ressuscité;
Je renais de ma belle mort,
Puis je passe en revue,
Tous les futurs,
Tous les présents,
De mon passé;
J’arrive à l’instant où je suis né,
Le dépasse un tout petit peu ;
Alors, je suis annihilé.
Je n’existe plus,
Patrick Letessier Page 72
Je n’ai jamais existé.
La bicyclette, seule, continue
A remonter le temps ;
Elle arrive à l’origine du temps,
Origine qui n’est pas zéro
Puisque le temps ne peut pas s’arrêter;
Il vient seulement de recommencer
A avancer dans l’autre sens ;
La bicyclette est entraînée
Arrive à l’instant où je suis né ;
J’enfourche à nouveau la bicyclette
Puis continue au fil du temps ;
C’est plus facile
De pédaler en avant.
Soudain ma montre au poignet
Me pique de ses aiguilles acérées ;
Elle est complètement affolée,
Ne sait plus à quel temps se vouer
Depuis le commencement
De ce voyage dans le temps.
Quel est le bon temps ?
Quel est le mauvais temps ?
Elle, la montre de luxe,
La montre des beaux « Cartiers »,
Elle n’a pas le droit de se tromper,
Elle doit donner l’heure
Juste à temps.
Il faut que cesse ce délire,
Ce n’était qu’un voyage pour rire,
Mais je dois sauver ma montre
Qui vient de tenter de se suicider
De peur d’être à contre temps. P Letessier
Le temps, ce paramètre incontrôlable. On le regarde, on s'en méfie et le voilà qui file sans un
regard derrière lui ; on se trouve dans l'obligation de le suivre ; il nous tire jusqu'au bout de notre
vie. Faut-il le craindre, vouloir s'en accommoder. C'est le compagnon de la mort, c'est également
l'un des éléments qui donne un sens à notre existence, l'ennemi de l'ennui ; on peut compter sur lui
pour bousculer notre quotidien ; réaliser ses envies avant que ne surgisse la fin ; bouger, aller au
bout de ses rêves ; le temps nous est compté, il faut en profiter.
Cocteau, dont on commémore cette année les cinquante ans de la mort, avait une relation un
peu particulière avec le temps mais également avec l'idée de la mort. Voilà ce que son poème « la
minute m'a dit » m'a inspiré. J'en ai gardé le premier et le dernier vers.
Patrick Letessier Page 73
Minute.
La minute m'a dit : « Presse-moi dans ta main.»
Oui! Le temps est un fruit où mûrit ton destin.
Exprime toute seconde, n’en oublie aucune,
Elles sont le jus de la vie, doivent une à une
Remplir ton existence, combler ton espace ;
Le temps est un rapace, fais en ton ami,
Ne le regarde pas comme un vil ennemi
Sinon il fondra sur toi et cette menace,
Cette insaisissable maladie incurable
Te deviendra alors bien trop insupportable.
Le temps est infini, la vie ne l’est pas ;
Rapide, il défile quand toi tu marches au pas.
Indompté, il s’enfuit comme un train dans l’espace
Et toi tu le regardes immobile, qui passe ...
Sans jamais pouvoir tirer le signal d’alarme ;
Tu agites la main et tu sèches tes larmes.
Sur un bout de chemin vois-tu, tu l’accompagnes ;
Tu lui files le train partout de gare en gare ;
Un jour soudain tu stoppes en rase campagne ;
C’est le terminus, tout s’arrête entre deux gares.
La vie est trop courte, l’avenir incertain,
Exprime tout le jus que te donne le temps;
Vis la seconde, profite de chaque instant;
La minute m’a dit : « Presse-moi dans ta main
Patrick Letessier Page 74
Carnaval.
Bien ! Il est temps de passer à autre chose. Je vais maintenant vous parler de carnaval, du
beau carnaval de Dunkerque. En effet pour des raisons personnelles j'ai dû m'expatrier dans cette
ville située au nord du Nord. Ce ne fut pas trop difficile ; c'est une cité facile à vivre, avec une
histoire, des racines et de la chaleur humaine ; de plus, on ne s'y ennuie pas ; elle est vivante,
sportive, éveillée culturellement et je m'y sens bien.
Lorsque je suis arrivé à Dunkerque, je ne m’imaginais pas ce que pouvait être son carnaval.
Quelques roulements de tambour s’étaient bien fait entendre jusqu’aux frontière de l’Oise, en
Picardie, mais sans plus, rien d’exceptionnel.
Tout d’abord, je me suis étonné de l’augmentation significative de la gent féminine les trois
premiers mois de l’année. J’avais d’ailleurs croisé quelques demoiselles assez viriles qui se
tordaient les chevilles dans des souliers à haut talon, bien trop poilues et moustachues à mon goût.
__ Pourtant ! On n’est pas chez Michou m’étais je écrié, à moins que son cabaret n’ait fait des
émules.__
C’est pour le carnaval, me confièrent des amis ; si tu veux y participer, tu devras te déguiser en
femme.
__Pas même dans vos rêves !__ Avais-je répondu.
Puis j’ai sauté le pas, j’ai mis une jupe, enfilé des bas- résilles, revêtu un chemisier, je me
suis maquillé. J’ai cependant gardé la moustache pour marquer la différence, on ne sait jamais, cette
tradition nous vient d’une époque où la marine était encore à voile et à vapeur. En fait, j’ai pris du
plaisir à construire mon Clet ‘Che, qui s’il n’est pas tout à fait abouti, il changera encore, m’a
permis de faire mes premier pas dans un univers que je ne connaissais pas.
Ensuite, on m’a soufflé : « Tu devrais faire chapelle. »
« Chapelle, qu’est-ce cela ? »
J’imaginais des individus agenouillés devant un autel improvisé pour prier ou se recueillir,
éclairés par quelques cierges aux lumières tremblotantes. En fait pas du tout, « faire chapelle », cela
ressemble plutôt à un rite païen ou les fidèles communient à la bière et au saucisson. Les chants
Grégorien sont remplacés par des chansons paillardes, le tout dans la joie et la bonne humeur.
Le carnavaleux se doit également d’effectuer son chemin de croix. Ainsi, sous la houlette du
tambour major, devra-t-il résister au chahut, survivre au Rigaudon. Ce ne fut pas toujours choses
faciles pour le novice que j’étais.
J’ai même rencontré des adeptes qui faisaient du prosélytisme. En particulier un certain
Benoît F grand pape du carnaval et le nonce Patrice de St Pol, deux figures charismatiques de
l’événement qui n’ont pas leur pareil pour convertir les nouveaux arrivants ; de plus, ils sont les
détenteurs des objets du culte : Autocollants, badges, affiches, ainsi que ces fameux calendriers sur
lesquels figurent les principaux événements, bandes, bals, qui règlent la vie carnavalesque. L’une
des dates les plus importante, est celle où l’on peut observer la plus grande concentration de fidèles,
réunis au pied du temple que représente l’hôtel de ville de Dunkerque ; là, le nez en l’air, dans un
chahut indescriptible de couleurs chamarrées, ils attendent avec impatience le lancer de hareng,
comme une offrande bénie des dieux servie du haut de l’édifice par quelques privilégiés honorés
d’avoir été choisis par le maître des lieux. Celui qui réussira à en saisir un, dans la houle du chahut,
le conservera telle une relique comme preuve de son courage et de son habileté. Ensuite, tout le
monde s’agenouille et par-dessus les rues de la capitale des Flandres, monte d’une seule voix,
l’hymne à la gloire de Jean Bart, protecteur de la cité, âme et conscience du carnaval, grand
fédérateur des carnavaleux.
Chaque année et cela depuis cinq ans, je fais chapelle à la bande de Fort-Mardyck, l'une des
bandes qui ouvre le carnaval, j'invite mes amis à passer à la maison, pour boire, manger, rire et
chanter ; cela nous permet de nous retrouver dans une ambiance conviviale. Je prépare à cette
occasion un texte carnavalesque que je lis à mes invités. Je vous livre à la suite celui qui me semble
être le plus représentatif de l’événement et explique ce que peut signifier pour un Dunkerquois cette
manifestation ; vous y trouverez la perception que j'en ai, moi qui ne suis qu'un Dunkerquois
d'adoption.
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Carnaval, pour un essai à transformer.
Flirtant avec le royaume de Belgique
Souvent soumise à d’injustes critiques ;
Une histoire, des hommes forts.
Là où la mer dévore
De ses crocs blancs d’écume
Un ciel gris nimbé de brume ;
Là où un vent retors
Vous fouaille, vous mord,
Vous ploie sans effort,
Écorche le décor
Des basses terres du Nord ;
J’ai découvert Dunkerque
Ici, ils disent « Dunkeque »,
Depuis longtemps le R
Est tombé dans la bière.
Pour chasser l’air sévère
Que lui confère l’hiver,
De la ville jusqu’au port
Elle recèle un trésor ;
Un tentaculaire animal,
Son fantastique carnaval ;
Esprit libre de la cité
Âme de ceux qui y sont nés ;
Parmi eux des amis
A leur passion m’ont converti ;
Ils m’ont pris sous leur aile
M’ont expliqué les règles.
Un klet’che tu dois choisir,
Le construire, le bâtir,
Lui confier tes fantasmes
Sans craindre les sarcasmes.
Tu peux singer les filles
Sans souffrir de railleries ;
Personne pour te médire
Si tu te fais plaisir.
Il sera ton avatar
Affrontera les regards.
Sur le chemin d’une autre vie
Tu lui dévoileras tes envies.
Ainsi sous ses oripeaux
Le laid devient beau,
Le timide s’affiche,
La timide s’en fiche,
Elle a jeté sa vertu,
Aujourd’hui s’est vêtue
Patrick Letessier Page 76
Pour faire briller les yeux
Rendre les hommes envieux.
Elle a crevé la bulle
De ce monde ridicule
Qui étouffait sa vie,
Réprimait ses envies.
La bourgeoise s’encanaille
Sans que personne ne raille
Ses désirs, ses frasques
Ou sa tenue fantasque.
Oubliées les conventions
D’un monde lourd d’inhibitions.
Quant à lui le bourgeois
Pour l’heure, il se fait grivois.
Chaque année les plus vieilles
D’un sourire s’émerveillent,
D’être toujours là,
De marcher d’un bon pas,
De pouvoir suivre la bande
Jouir de la sarabande,
Chanter, rire aux éclats,
Avant que sonne le glas.
Elles jurent tout bas
Demain être encore là.
Elles songent au temps passé
Où plus jolies, moins fanées,
La frimousse ravie,
Elles rêvaient d’une autre vie.
Du plus jeune au plus vieux
De tous les carnavaleux
Et cela sans médire
Je puis te le dire ;
Ils caressent l’espoir
De pouvoir avant le soir,
Du plus mignon au plus chenu,
Peloter un joli cul ;
Sans faire parler la poudre
Ni s’attirer les foudres
De celle pour qui ce geste
Exécuté d’une main leste,
Semblerait dans l’autre vie
Être une vile infamie ;
Mais d’avatar à avatar
Différent est le regard,
Bien des choses sont permises
Sans déclencher de crise ;
Comme un baiser volé,
Un zôt’che à partager
Avec une jolie fille,
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Dont les yeux, pétillent
De bulles de malice
Et se rendent complice
D’un bref instant d’impudeur
Aux douces saveurs du bonheur.
Il n’est pas toujours facile
Pour un esprit fragile,
De changer ses coutumes,
D’enfiler son costume.
Deux ou trois verres d’alcool,
Quelques bières sans faux col,
Un gramme dans chaque œil
Tu marches sur des écueils ;
Voilà tu es en transe
Tu peux entrer dans la danse.
Tu dois pour perpétuer le mythe
Te plier à certains rites ;
Apprendre moult chansons
Aux accents polissons.
Prêt pour le rigodon
Où tous à l’unisson
Au rythme des tambours
Du kiosque font le tour.
Ballotté sous la houle
Insufflée par la foule,
Dans le chahut, tu pousses,
Parfois tu as la frousse.
C’est le grand final,
Une chaleur animale,
Distillat de sueurs adipeuses
Monte en colonnes fumeuses,
Mêlée à l’odeur âcre et musquée
Des masquelours aux bras enchevêtrés,
Chaîne humaine dont l’effort
Est réglé par le tambour major.
Du plus pauvre au plus riche
Là, personne ne triche.
Du plus grand au plus petit,
Ensemble, tous unis,
Vaillants et fiers dans leurs habits,
Tel une mêlée de rugby
Qui jamais ne mollit
Ne cède ni ne faiblit,
Ils dégagent une belle énergie,
Une salutaire folie,
A la gloire de Jean-Bart
Dieu païen des avatars,
De cet univers parallèle,
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Bien vivant, bien réel ;
A l’opposé du monde artificiel
De ces communautés virtuelles,
Qui fleurissent sur la toile,
T’envoient chercher dans les étoiles
Matière à rénover ta vie,
A assouvir tes envies ;
Dans une hypothétique existence,
Allégorie dont l’apparence,
En occultant la réalité
Conforte en fait ta vanité.
Ces images dont tu t’enivres
Que l’écran te délivre
Sont subtilement addictives ;
Dangereusement elles te privent
D’une franche convivialité,
De grandes et réelles amitiés.
Derrière le clavier
Dont tu es prisonnier,
Cette existence si tu l’acceptes
En idéalisant son concept,
N’est en fait qu’un succédané
De bien piètre qualité ;
Trop simplement elle se résume
A une vie qui se consume
En une sombre solitude,
En de mornes habitudes.
« Rejoins plutôt le carnaval ! »
Il peut soigner ton mal,
Chaque année il fleurit,
Se pare de joyeux coloris,
Prêt à combattre l’ennui
De tes trop longues nuits.
Bien sûr, aux prémices du printemps
Viendra malheureusement le temps,
De ranger ton avatar
Aux tréfonds d’un placard,
De reprendre une existence
Aux tristes exigences ;
Mais à la prochaine saison
Dès les premières chansons,
Ton avatar s’éveille
Sort de son long sommeil ;
Il t’invite à le suivre
Pousse à te laisser vivre ;
Enfin, tous deux réunis
Vous retrouvez vos amis
Pour partager quelques demis ;
Alors, carnaval vous sourit
M’as-tu prêté grande attention ?
Ai-je répondu à tes questions ?
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Sinon, en plongeant ton regard
A l’intérieur de la Jarre
Que Poséidon remit à Jean-Bart ;
Tu y trouveras, la lumière du phare
Qui habillait de folles et pimpantes couleurs,
Le corps, l’esprit, le cœur,
De courageux pêcheurs,
Éloignait d’eux la peur,
Allumait dans leurs yeux
Mille lampions de feux,
Nourrissaient d’espérance
Ces marins en partance ;
Puis confiait au divin
Leur fragile destin,
Où ils bravaient la mort,
Fille des mers du nord,
Qui, au sortir de la fête
Tapie dans la tempête
Sans aucun remord
Décidait de leur sort.
Tu découvriras alors,
Trop souvent fustigé à tort,
Que cette entité peu banale
Que l’on surnomme Carnaval,
Pour tout Dunkerquois, dans son moi profond,
Est ce qu’il subsista jadis tout au fond
De l’antique jarre de Pandore.
P Letessier
Pourquoi
Le carnaval, ce soleil chamarré du Nord ; Il délivre une chaleur qui vient naturellement
réchauffer les premiers mois de l'année. Ne croyez pas pour autant qu'il ne fasse jamais beau, qu'il
ne fasse jamais chaud à Dunkerque. Les mois qui suivent s'accompagnent souvent d'un climat
clément. Petites soirées entre amis, sur terrasses ou pelouses, fleurissent ici en juin, juillet et août.
Je me souviens tout particulièrement d'un barbecue un soir de juin ; grillades, poivrons et
quelques salades aussi, nous avaient bien sustentés ; le tout accompagné, d'une blonde légère, d'une
fine et jolie ambrée et d'une belle brune. C'est de bières que je vous parle, de bières Belge, avec leur
goût marqué, leur subtilité et ce petit goût de caramel que vous offre la brune. La Belgique est à la
bière ce que la France est au vin.
Lorsque la nuit est survenue ; l'un de mes amis présent, passionné d'astronomie, est allé
chercher un petit télescope qu'il trimbalait toujours dans le coffre de sa voiture. Le ciel était ouvert à
toutes les intrusions ; il présentait un spectacle grandiose où scintillaient des myriades d'étoiles ; on
se sentait aspiré par cet univers fantastique qui s'offrait à nos yeux. La nuit peu polluée par des
luminosités parasites, l'éclairage publique ne fonctionnait pas, se prêtait à des explorations de
qualité. Mon ami emporté par sa passion nous décrivait la carte du ciel ; d'un doigt, il traçait des
lignes imaginaires entre les étoiles pour nous faire découvrir les différentes constellations.
Beaucoup avait des noms issus de la Grèce antique; la plus âgée de mes filles, passionnée de
mythologie, nous racontait à l'énoncée du patronyme de tel ou tel dieu ou héros grec les aventures et
les mythes liés à ces fabuleux personnages. Emporté par les récits de ces deux passionnés, je
m’envolai rapidement dans leur univers extraordinaire.
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Pierre de lune.
Zébrée de météores brûlants, bleus vert,
La nuit se blottit, craintive, au creux de la dune ;
Je m’enfuis dans le lit d’une pierre de lune
Tombée un jour de pluie au milieu du désert ;
Un cheval venu de l’espace, Tout flamboyant,
Soudain s’arrête à mon chevet ; ce noble géant
Porte une pesante selle en pierres de lune,
Des fers de diamants, une robe couleur prune.
Cheval de lune, clarté stellaire, éclats d’étoiles ;
Ce serviteur loyal par Zeus remercié
Dans le vent sidéral, libre, a hissé les grands voiles
Au milieu des constellations courroucées.
Après avoir emprunté l’épée de Persée,
Fils adoptif, sauvé des eaux, du généreux Dictis,
J’enfourche avec hardiesse ce beau cheval ailé,
Pégase, fils de Méduse, père de Céleris.
Nous filons tout droit comme un long trait de lumière
Sous des vents plus puissants que ne l’est l’aquilon.
Plus forts que la grande ourse, plus vifs que le lion,
A travers le feu d’extravagantes chimères.
Direction Andromède, la belle est en danger,
Victime de l’orgueil de sa mère Cassiopée.
La princesse à nouveau offerte sur un rocher,
A un monstre marin, pour y être sacrifiée.
Agrippé fortement à la crinière du temps,
Ballotté en tous sens par la puissance des vents,
Je frôle les étoiles, traverse l’espace
De l’Aigle à la Colombe, tel un rapace ;
Au-delà du très joli oiseau de paradis,
Nous croisons le Loup, puis le Lynx et la licorne ;
Une super Nova d’un souffle nous écorne,
Une naine blanche timidement nous sourit.
Pour passer le grand nuage de Magellan,
Nous devons monter sur l’échiquier de l’univers,
Faire alliance avec le fou, ourdir un bon plan,
En moins de trois coups, mettre en échec ce roi pervers
Qui coordonne le mouvement des astres,
Sinon nous subirons de terribles désastres.
Enfin, on nous ouvre le grand passage,
Celui qui mène à la voie du sage.
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La princesse est entravée sur l’autel du ciel,
Sa chevelure d’or lui fait comme des voiles,
Éternelle beauté aux deux cent mille soleils,
Attachée par une ceinture d’étoiles.
Je combats Cetus avec l’arme de Percée ;
D’un geste, l'hideuse baleine est transpercée ;
Sous l’écume stellaire, Andromède est libre,
Toute Tremblante, chancelante, un peu ivre,
Sur le bon Pégase, elle monte en amazone ;
Nous rentrons, nous avons bien mérité.
Autour de Cassiopée, Enfin dans cette zone,
Un trou noir que nous venons d’éviter
Dévore la lumière au fil des temps présents.
La princesse retrouve bientôt Percée
Dans une étreinte brûlante et effrénée.
Ils sont heureux comme deux jeunes amants.
Je rends la tête de la gorgone méduse,
Sans oublier l’invincible épée magique
Qui hardiment maniée avec courage et ruse
Évita à Andromède une fin tragique.
Pégase s’engage sur le chemin du retour ;
Nous arrivons bientôt à la pierre de lune,
Des étoiles folles scintillent tout autour.
Nous trouvons Bérénice au sommet d’une dune ;
Elle ne porte plus sa belle chevelure
Mais se présente toujours avec fière allure.
Elle a coupé ses longs et merveilleux cheveux
Avant mon départ elle en avait fait le vœu. P Letessier
Voilà, un peu de rêve, de l'amitié, une belle convivialité et de la passion ; l'art et la manière
pour deux passionnés de faire vibrer les choses, de faire partager une partie de ce qui les anime, leur
fait battre le cœur. Toute personne a en elle, un ensemble de choses ou quelque chose de particulier
de singulier qui la porte, l’enthousiasme, la tient éveillée ; cela peut être un sport, une activité
littéraire, un art particulier ; plusieurs disciplines à la fois.
Pour ma part, c'est au grand bal du printemps que m'est venue l'envie de jouer un peu avec
les mots ; de partager un peu de moi ; de livrer mes émois. Bien sûr sans prétention ; je ne suis
qu'un tout petit ouvrier de la poésie. J'ai voulu à travers ces écrits vous faire partager quelques brins
de ma vie. Au grand bal du printemps, il était là à m'observer, j'étais timide et emprunté. Alors, il a
tout organisé, avec facilité, s'était clair, s'était beau, les mots s'accordaient les uns avec les autres,
naturellement, divinement.
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Au grand bal du printemps.
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Au grand bal du printemps
J’ai trouvé un sourire
Et je l’ai ramassé.
Au grand bal du printemps
J’ai trouvé un fou rire
Et je l’ai ramassé.
Au grand bal du printemps
J’ai trouvé une larme
Et je l’ai ramassée.
J’ai posé le tout devant moi
Je ne savais qu’en faire.
Alors, je l’ai vu ;
Il était là à mes côtés
Le regard malicieux
La tête un peu penchée
Avec sa gapette
Une clop au bec
Et il me regardait.
Il a pris le sourire
A saisi le fou rire
S’est emparé de la larme
Puis il a tout mélangé.
Après avoir emprunté une jolie plume
A un oiseau lune
Il se plaça,
Face au sourire
Face au fou rire
Face à la larme
Charmeur, agitant sa plume
Tel un chef d’orchestre
Il les organisa
Les mit en musique
Leur donna, couleurs et saveurs
Puis l’un après l’autre
Il les mit à l’honneur.
Tout d’abord, le sourire
Ironique, malicieux
Charmant et lumineux
Un éclat de bonheur.
Ensuite le fou rire
Avec son costume de clown
Sa perruque, son nez rouge
Son saxo tout en cuivre
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Ses godasses comme des bateaux
Pour marcher sur l’eau
Fou à ne savoir que dire
Fou à ne savoir que rire
Fou mais sans camisole
Fou à mourir de rire
Fou à ne pas se retenir.
Enfin ce fut la larme
Au milieu du théâtre
Avec le premier rôle
Un rôle pas du tout drôle
Là où ce joue un drame
Un drame antique
Un drame romantique
Un drame d’aujourd’hui
Un drame de la nuit
Un drame de l’amour
Un drame de la misère
Un drame plein de mystère.
J’en ai pris plein les mirettes
J’en ai pris plein le cœur
L’esprit chamboulé
De petits instants de bonheur
J’ai aussi pleuré
De trop de sensations
De trop d’émotions.
Alors, il m’a regardé
A rendu la plume
Au joli oiseau lune
Puis, après un signe de la main
Il est monté sur la queue de l’oiseau
Et il s’est envolé dans la nuit
Tout droit
En direction de la lune.
P Letessier
J'aimerais bien avoir un peu de son talent ; les mots avec lui sont tous intelligents. Il les fait
danser dans un ballet extraordinaire sans la moindre fausse note sans rien qui ne dénote. Moi, je ne
suis qu'un chasseur d'échos qui tente d'apprivoiser les mots que je réussis à saisir ; mais comme il
est difficile de les dresser; ils n'en font qu'à leur tête.
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Chasseurs d’échos
Une voix
Je ne la connais pas
Je ne peux rien en dire
Est-ce la mienne
Une autre ou la tienne
Alors je crie…
Je cours après l’écho
L’écho de tous les mots
Cherche à l’attraper
On dit que je suis fou
Je suis chasseur d’écho
De l’écho de ma voix
Ou de celle des autres
Si j’attrape un écho
Alors j’en fais mot
A mon amie la feuille
Elle s’habille de ces mots
Ces mots que je recueille
Moi le chasseur d’échos
Pour conter aux autres
Mes joies et mes maux.
P Letessier
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