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GALLIMARD SYLVAIN TESSON SUR LES CHEMINS NOIRS

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16-X A 14637 ISBN 978-2-07-014637-6 15 €

Sylvain TeSSon

Sur les chemins noirs

il m’aura fallu courir le monde et tomber d’un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j’ignorais les replis, d’un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides.

la vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs.

là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre.

S. T.

Sylvain Tesson a publié aux Éditions Gallimard Une vie à coucher dehors (Goncourt de la nouvelle, 2009), Dans les forêts de Sibérie (prix Médicis essai, 2011) et S’abandonner à vivre.

GALLIMARD

SYLVAIN TESSON

SUR LES CHEMINS

NOIRS

G A L L I M A R D

SYLVAIN TESSON

SUR LES CHEMINS NOIRS

Tesson_Chemins_noirs_CV_BAT.indd 1 26/08/2016 15:25:57

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DU MÊME AUTEUR

Aux Éditions Gallimard

UNE VIE À COUCHER DEHORS , (Folio no ). Goncourt de la nouvelle etprix de la Nouvelle de l’Académie française .

HAUTE TENSION. DES CHASSEURS ALP INS EN AFGHANISTAN (avec

les photos de Thomas Goisque et les illustrations de Bertrand de Miollis), .

DANS LES FORÊTS DE S IBÉRIE , (Folio no ). Prix Médicis essai .

S IBÉR IE MA CHÉRIE (avec les photos de Thomas Goisque et les illustrations de Bertrand de

Miollis), .

S ’ABANDONNER À VIVRE , (Folio no ).

Chez d’autres éditeurs

ON A ROULÉ SUR LA TERRE (avec Alexandre Poussin), Robert Laffont, . (Pocket.)

HIMALAYA (avec Alexandre Poussin), Transboréal, .

LA MARCHE DANS LE CIEL (avec Alexandre Poussin), Robert Laffont, . (Pocket.)

LA CHEVAUCHÉE DES STEPPES (avec Priscilla Telmon), Robert Laffont, . (Pocket.)

NOUVELLES DE L ’EST , Phébus, .

CARNETS DE STEPPES (avec Priscilla Telmon), Glénat, .

L ’AXE DU LOUP , Robert Laffont, . (Pocket.)

SOUS L ’ÉTOILE DE LA L IBERTÉ (avec les photos de Thomas Goisque), Arthaud, .(J’ai lu.)

PETIT TRAITÉ SUR L ’ IMMENSITÉ DU MONDE, Éditions des Équateurs, .(Pocket.)

ÉLOGE DE L ’ÉNERGIE VAGABONDE, Éditions des Équateurs, . (Pocket.)

L ’OR NOIR DES STEPPES (avec les photos de Thomas Goisque), Arthaud, . (J’ai lu.)

APHORISMES SOUS LA LUNE ET AUTRES PENSÉES SAUVAGES ,

Éditions des Équateurs, . (Pocket.)

LAC BAÏKAL , V IS IONS DE COUREURS DE TAÏGA (avec les photos de Thomas

Goisque), Transboréal, .

VÉRIF ICATION DE LA PORTE OPPOSÉE , Phébus, . (Libretto.)

Suite des œuvres de Sylvain Tesson en fin de volume

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SYLVAIN TESSON

SUR LESCHEMINS NOIRS

G A L L I M A R D

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© Éditions Gallimard, .

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à L.

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Je vais sortir. Il faut oublier aujourd’hui les vieuxchagrins, car l’air est frais et les montagnes sontélevées. Les forêts sont tranquilles comme le cime-tière. Cela va m’ôter ma fièvre et je ne serai plusmalheureux dorénavant.

,Confessions d’un mangeur d’opium

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Carte de la France hyper-rurale établie par les auteurs du rapport sur l’hyper-ruralité. L’enclavement, la faible densité de population, le manque d’équipement, de services etde ressources sont les critères retenus pour classer dans l’hyper-ruralité 250 « bassins de vie » (zones foncées de la carte). © Inra UMR CESAER / M. Hilal.

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Mon itinéraire à pied.

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L’année avait été rude. Longtemps, les dieux avaient favo-risé la famille, nous avaient baignés de leur douceur. Peut-être se penchent-ils sur certains d’entre nous, comme les féesdes contes ? Puis leur sourire se crispe en grimace.

Nous ne savions rien de ces choses mais nous goûtions cetteamabilité du sort avec une désinvolture énergique. Elle nousaffranchissait de la moindre gratitude mais nous contraignaità une épuisante légèreté. La vie ressemblait à un tableau deBonnard. Il y avait du soleil sur les vestes blanches, des com-potiers sur les nappes, des fenêtres ouvertes sur un verger oùpassaient des enfants. Dehors, les pommiers bruissaient : ledécor idéal pour un bon coup de massue.

Cela n’avait pas tardé. Mes sœurs, mes neveux, tout lemonde avait été atteint de l’un de ces maux qui s’infiltrentpar les remparts dans les fables médiévales : une ombre rampedans les ruelles, atteint le cœur de la ville, gagne le donjon.La peste avançait.

Ma mère était morte comme elle avait vécu, faisant fauxbond, et moi, pris de boisson, je m’étais cassé la gueule d’untoit où je faisais le pitre. J’étais tombé du rebord de la nuit,

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m’étais écrasé sur la Terre. Il avait suffi de huit mètres pourme briser les côtes, les vertèbres, le crâne. J’étais tombé surun tas d’os. Je regretterais longtemps cette chute parce queje disposais jusqu’alors d’une machine physique qui m’autori-sait à vivre en surchauffe. Pour moi, une noble existence res-semblait aux écrans de contrôle des camions sibériens : tous lesvoyants d’alerte sont au rouge mais la machine taille sa routeet le moindre Cassandre à gueule d’Idiot qui agite les bras entravers de la piste pour annoncer la catastrophe est écrasémenu. La grande santé ? Elle menait au désastre, j’avais priscinquante ans en huit mètres.

On m’avait ramassé. J’étais revenu à la vie. Mort, je n’auraismême pas eu la grâce de voir ma mère au Ciel. Cent milliardsd’êtres humains sont nés sur cette Terre depuis que les Homosapiens sont devenus ce que nous sommes. Croit-on vraimentqu’on retrouve un proche dans la cohue d’une termitière éter-nelle encombrée d’angelots ?

À l’hôpital, tout m’avait souri. Le système de santé françaisa ceci de merveilleux qu’il ne vous place jamais devant vosresponsabilités. Dans une société antique régie par un principed’éthique, on ne devrait pas s’occuper d’un soûlographe avecles mêmes égards que ceux dispensés aux vrais nécessiteux. Onne m’avait rien reproché, on m’avait sauvé. La médecine de finepointe, la sollicitude des infirmières, l’amour de mes proches, lalecture de Villon-le-punk, tout cela m’avait soigné. Il y avaitsurtout eu la sainteté d’un être venu chaque jour à mon chevet,comme si les hommes de mon espèce méritaient des fidélités debête. Un arbre par la fenêtre m’avait insufflé sa joie vibrante.Quatre mois plus tard j’étais dehors, bancal, le corps en peine,avec le sang d’un autre dans les veines, le crâne enfoncé, le

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ventre paralysé, les poumons cicatrisés, la colonne cloutée devis et le visage difforme. La vie allait moins swinguer.

Il fallait à présent me montrer fidèle au serment de mesnuits de pitié. Corseté dans un lit, je m’étais dit à voix presquehaute : « Si je m’en sors, je traverse la France à pied. » Je m’étaisvu sur les chemins de pierre ! J’avais rêvé aux bivouacs, jem’étais imaginé fendre les herbes d’un pas de chemineau. Lerêve s’évanouissait toujours quand la porte s’ouvrait : c’étaitl’heure de la compote.

Un médecin m’avait dit : « L’été prochain, vous pourrezséjourner dans un centre de rééducation. » Je préférais deman-der aux chemins ce que les tapis roulants étaient censés merendre : des forces.

L’été prochain était venu, il était temps de régler mes comptesavec la chance. En marchant, en rêvassant, j’allais convoquer lesouvenir de ma mère. Son fantôme apparaîtrait si je martelais lesroutes buissonnières pendant des mois. Pas n’importe quelleroute : je voulais m’en aller par les chemins cachés, bordés dehaies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliantles villages abandonnés. Il y avait encore une géographie detraverse pour peu qu’on lise les cartes, que l’on accepte le détouret force les passages. Loin des routes, il existait une Franceombreuse protégée du vacarme, épargnée par l’aménagement quiest la pollution du mystère. Une campagne du silence, du sor-bier et de la chouette effraie. Les médecins, dans leur vocabulaired’agents du Politburo, recommandaient de se « rééduquer ». Serééduquer ? Cela commençait par ficher le camp.

Des motifs pour battre la campagne, j’aurais pu en aligner desdizaines. Me seriner par exemple que j’avais passé vingt ans àcourir le monde entre Oulan-Bator et Valparaiso et qu’il était

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absurde de connaître Samarcande alors qu’il y avait l’Indre-et-Loire. Mais la vraie raison de cette fuite à travers champs, je latenais serrée sous la forme d’un papier froissé, au fond de monsac.

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Dans le train

Pourquoi le TGV menait-il cette allure ? À quoi servait-ilde voyager si vite ? L’absurdité de laisser filer à à l’heurele paysage qu’il faudrait ensuite remonter à pied, pendant desmois ! Pendant que la vitesse chassait le paysage, je pensaisaux gens que j’aimais, et j’y pensais bien mieux que je nesavais leur exprimer mon affection. En réalité je préféraispenser à eux que les côtoyer. Ces proches voulaient toujoursque « l’on se voie », comme s’il s’agissait d’un impératif, alorsque la pensée offrait une si belle proximité.

Le août, à la frontière italienne

C’était mon premier jour de marche, depuis la gare de Tendeoù m’avait mené le train de Nice. Je montai à pas faibles vers lecol. Des graminées blondes balayaient l’air du soir. Ces révé-rences étaient une première vision d’amitié, de beauté pure.Après des mois si tristes, même les moucherons au soleil

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offraient d’heureux présages. Leur nuage dans l’or tiède adressaitun signe à la solitude. On aurait cru une écriture. Peut-être nousdisaient-ils : « Cessez votre guerre intégrale contre la nature » ?

Des cèdres se tenaient sur le bord du chemin, sérieux :leurs racines enserraient les talus – l’arbre a souvent l’air sûrde son bon droit. Un berger descendait d’une foulée plushardie que la mienne, il apparut, noueux, dans le virage, avecl’allure d’un héros de Giono. Un homme d’ici. Moi, j’avaistoujours eu l’air d’un mec d’ailleurs.

— Salut, tu vas à la ville ? dis-je.— Non, dit-il.— Il y a le troupeau, là-haut ? dis-je.— Non.— Tu descends te reposer ?— Non.J’allais devoir me débarrasser de cette habitude de citadin

de vouloir lier conversation.Le col de Tende marquait un ensellement de la ligne de crête

duMercantour. Il séparait l’Italie de la France. J’avais décidé decommencer là, dans le coin sud-est du pays, et de rejoindre lenord du Cotentin. Les Russes, par tradition, avant de partir envoyage, s’asseyent quelques secondes sur une chaise, une malle,sur la première pierre venue. Ils font le vide en eux, pensent àceux qu’ils quittent, s’inquiètent de savoir s’ils ont fermé le gaz,caché le cadavre – que sais-je encore ? Je m’assis donc, manièrerusskoff, le dos contre un oratoire de bois où une Vierge médi-tait devant le paysage d’Italie. Soudain je me levai et je partis.

Sur les talus, mes yeux abîmés prirent les vaches pour despierres rondes roulées dessus les pentes. Les crêtes hérissées depins noirs faisaient penser aux collines que j’avais vues, à vingt

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Sur les chemins noirsSylvain Tesson

Cette édition électronique du livreSur les chemins noirs de Sylvain Tesson

a été réalisée le 6 septembre 2016 par les Éditions Gallimard.Elle repose sur l’édition papier du même ouvrage,

(ISBN : 9782070146376 – Numéro d’édition : 269753).Code Sodis : N64259 – ISBN : 9782072559457.

Numéro d’édition : 269755.