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Sur l’histoire du climat en France depuis le XIV e siècle Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau, Jean-Pierre Javelle

Surl’histoireduclimatenFrance depuisleXIV siècle · 2017. 7. 26. · Surl’histoireduclimatenFrance depuisleXIV esiècle EmmanuelLeRoyLadurie,DanielRousseau, Jean-PierreJavelle

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Sur l’histoire du climat en Francedepuis le XIVe siècle

Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau,Jean-Pierre Javelle

Maquette, impression : Météo-France7, rue Teisserenc de Bort - CS 70558 - 78197 Trappes CedexISBN 978-2-95563121-8 - Dépôt légal : 2e trimestre 2017 - © SMF 2017

Édité par :

Avec le soutien de :

MeteoetClimat@MeteoetClimat

Réunissant une série d’articles publiés de 2009 à 2016dans la revue scientifique La Météorologie, ce fasciculeretrace les principales fluctuations du climat en Franceentre les XIVe et XIXe siècles, leur impact sur la société et surplusieurs événements historiques.

À l'aide d'exemples et d'illustrations, il aborde différentesméthodes élaborées par les historiens et les climatologuespour reconstituer les climats passés, en particulier lorsqueles séries de mesures météorologiques quantitativesn’existaient pas encore.

Les auteursEmmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émériteau Collège de France, spécialiste de l'histoire du climatDaniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologieJean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie

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SOMMAIRE

Sur l’histoire du climat en FranceEmmanuel Le Roy Ladurie, Jean-Pierre Javelle et Daniel Rousseau

Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

le XIVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

le XVe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

le XVIe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

le XVIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

le XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

le XIXe siècle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20

Impact du climat sur la mortalité en France,de 1680 à l’époque actuelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25Emmanuel Le Roy Ladurie et Daniel Rousseau

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Sur l’histoire du climat en France :introduction

Les premières mesures de température en France datent de 1658. Afin de reconstituer une chroniquedu climat pour des époques plus anciennes, d’autres quantités, liées aux aléas du climat, sont utilisa-bles. C’est ainsi que les dates de vendanges, qui ont été relevées et conservées de façon quasi conti-nue (en Bourgogne en particulier depuis la fin du XIVe siècle), sont particulièrement utiles car elles sontbien corrélées aux températures d’avril à septembre. La figure donne les températures annuellesd’avril à septembre depuis 1658 et leur moyenne sur 11 ans, ce qui met bien en évidence des suc-cessions de séquences d’années chaudes (indiquées en rouge en haut de la figure) et d’années fraî-ches (en bleu). Les moyennes sur 11 ans des dates de vendanges à Beaune, Salins, sur le plateausuisse et à Argenteuil fluctuent généralement en concordance avec les températures. Avant 1658,les moyennes sur 11 ans des seules dates de vendanges disponibles permettent l’identification deséquences d’années à vendanges précoces (chaudes) et de séquence d’années à vendanges tardi-ves (fraîches).D’après Rousseau D., 2014. Fluctuations des dates de vendanges bourguignonnes et fluctuationsdes températures d’avril à septembre de 1378 à 2010. Compte rendu du XXVIIe colloque del’Association internationale de climatologie, 2-5 juillet 2014, Dijon, France.

N ous avons entrepris de publierune série de brefs articles surl’histoire des fluctuations du cli-

mat entre les XIVe et XIXe siècles, à rai-son d’un article par siècle. Nous nousconcentrerons sur la France, en abor-dant l’impact de ces fluctuations sur lasociété et sur certains événements histo-riques. Le début de cette série coïncidepresque exactement avec le commen-cement de ce que l’on appelle le petitâge glaciaire, marqué par une succes-sion d’avancées des glaciers alpins. Ilcorrespond aussi à une époque où lessources documentaires, directes ou indi-rectes, sur le climat et ses conséquencesdeviennent plus nombreuses.

Nous signalerons des événementsmétéorologiques significatifs par leurampleur et leurs conséquences humai-nes et nous mettrons en évidence,quand c’est possible, les fluctuationsclimatiques pluridécennales.

À l’aide d’exemples et d’illustrations,nous évoquerons différentes méthodesmises en œuvre par les historiens etpar certains météorologistes pourreconstituer les climats passés, en parti-culier avant l’existence des séries demesures météorologiques quantitatives.Celles-ci n’apparaissent qu’aprèsl’invention du baromètre et du thermo-mètre au XVIIe siècle et ne deviennentrelativement nombreuses qu’à partir dela seconde moitié du XIXe siècle.

Les lecteurs désireux d’en savoir pluspourront se reporter aux référencescitées en bibliographie des articles et,de façon plus générale, aux ouvragesd’Emmanuel Le Roy Ladurie : Histoirehumaine et comparée du climat en troistomes et Les fluctuations du climat del’an mil à aujourd’hui, en collaborationavec D. Rousseau et A .Vasak.

Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 1. Canicules et glaciers XIIIe–XVIIIe siècles.Fayard, Paris, 746 p.

Le Roy Ladurie E., 2006. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 2. Disettes et révolutions 1740-1860.Fayard, Paris, 616 p.

Le Roy Ladurie E., 2009. Histoire humaine et comparée du climat. Tome 3. Le réchauffement de 1860 à nos jours.Avec le concours de G. Séchet. Fayard, Paris, 462 p.

Le Roy Ladurie E., Rousseau D., Vasak A., 2011. Les fluctuations du climat de l’an mil à aujourd’hui. Fayard, Paris,324 p.

Bibliographie

La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle2

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date

mètres

1000

1000

0

2000

3000

3300

1100 1369 1859/60

20001500

1666/67

Extension maximale

Retrait

Avan

cée

Petit âge glaciaire

Figure 1. Évolution de l’extension du glacier d’Aletsch (Suisse) au cours du dernier millénaire d’aprèsHolzhauser et al. (2005). La position de la langue terminale est estimée par un ensemble de métho-des glaciologiques, historiques et archéologiques : observations directes depuis 120 ans, sourceshistoriques (cartes, photographies, peintures, chroniques, études scientifiques) pour remonter jus-qu’à environ 1550, techniques dendrochronologiques et analyses de traces d’occupation humaine(fondations, chemins, etc.) pour remonter jusqu’au Moyen Âge.

Sur l’histoire du climaten France : le XIVe siècle

Emmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2

1 Collège de France,11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 05

2 Conseil supérieur de la Météorologie, Toulouse

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXIVe siècle, considéré comme le débutdu petit âge glaciaire, et aborde leurimpact sur la société et sur certainsévénements historiques.

AbstractAbout history of climate, France,14th century

This paper briefly presents the clima-tic fluctuations in France during the14th century, considered as the begin-ning of the Little Ice Age, and theirimpact on society and some historicalevents.

L a notion de petit âge glaciaire(PAG) est un peu exagérée quant auvocabulaire par comparaison avec

les grands âges glaciaires qui projetaientles glaciers alpins jusque dans la valléedu Rhône au sud de l’actuelle ville deLyon. Mais elle est généralement retenuepar les climatologues et il nous est com-mode de l’utiliser. Le PAG s’étend, nonsans fluctuations internes, de 1300 à 1855environ avec une avancée des glaciersalpins consécutive à un temps plus frais,notamment en Suisse pour ceux deGorner et d’Aletsch (figure 1).

Pour Christian Pfister, la période 1303-1328 marque le début d’un rafraîchis-sement par rapport à ce que fut le petitoptimum climatique du IXe au XIIIe siè-cle (Pfister et al., 1996). Les indiceshivernaux proposés par cet auteur(figure 2) sont presque tous négatifspour le XIVe siècle, notamment pendantson premier quart. On notera en parti-culier les hivers très rudes de 1306 etde 1323.

Le PAG se signale dès l’abord pardes situations dépressionnaires au

La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 3

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Figure 3. Prix du blé à Douai de 1329 à 1500 d’après Mestayer (1963). Douai, ville située au cœurd’une riche région agricole a été un centre important de commerce des céréales à partir du MoyenÂge. Les prix du blé et de l’avoine étaient relevés le 1er octobre, date à laquelle la récolte de l’annéearrivait sur le marché. Ils reflétaient donc bien l’abondance des récoltes. Les prix sont exprimés enlivres parisis par rasière (unité de mesure de volume).

Figure 2. Indice de rigueur des hivers au XIVe siècle pour une zone géographique s’étendant sur l’Europecentrale, l’Europe occidentale et le nord de l’Italie (d’après Pfister et al., 1996). L’indice peut prendresept valeurs entre –3 (hiver très froid) et +3 (hiver très doux). Il est établi à partir de sources documen-taires (annales, chroniques locales et textes officiels). L’hiver est défini suivant les conventions climato-logiques habituelles : l’hiver de l’année N regroupe décembre N – 1, janvier N et février N.

printemps et en été, notamment unepériode humide de 1314 à 1322, maissurtout marquée par de grands abatsd’eau de 1314 à 1316 avec des mois-sons très endommagées, une désas-treuse récolte de 1315 responsabled’une famine en Europe occidentale etcentrale (Jordan, 1996 ; Le RoyLadurie, 2004). Les historiens y voientvolontiers la fin du beau Moyen Âgeroman puis gothique (XIe-XIIIe siècles) :la ferveur religieuse – processions,prières en vue d’obtenir de bonnesrécoltes – se déploie très largementjusqu’au retour du beau temps et del’abondance frumentaire.

Les pluies trop abondantes reviendrontpendant la décennie 1340-1349.L’indice pluviométrique très fort decette décennie, compilé par PierreAlexandre (1987), retrouve son niveautrès élevé des années 1310-1319. Enraison de ce temps dépressionnaire quilimite l’ablation des glaces et peut-êtreaussi à cause d’hivers neigeux, le gla-cier d’Aletsch avance et passe par unmaximum de longueur et d’épaisseurautour de 1370. Même remarque pourle glacier de Gorner dont la crues’étale de 1350 à 1375. Ces phéno-mènes s’accompagnent en 1342d’inondations en France, Toscane,Bohême, et en 1343 de déluges enBavière, Alsace, Suisse, Italie du Nord,Autriche. Suite aux mauvaises mois-sons de 1342-1343, les prix du blétriplent durant ces deux années(Mestayer, 1963). Ils retomberont àleur valeur habituelle en 1344(figure 3). Les vendanges rhénanessont très éprouvées par des gelées enseptembre 1343. Nouvel épisodesuperaqueux et gélif dans la moitiénord de la France en 1345-1346-1347.La peste noire de 1347-1348 est atrocemais n’a pas d’origine climatique.Aletsch et Gorner sont en progrès àpartir de 1350 (Holzhauser, 1985).Une fois de plus, c’est le défautd’ablation qu’il faut mettre en cause.Les maxima glaciaires intègrent lesfraîcheurs de 1342-1347 et de 1349 à1370. Après 1380, un certain nombred’étés chauds reviennent en force. Pardelà la peste de 1348, on note les petitscoups de chaleur des années 1351 et1360. Une crise de subsistance avectriplement des prix du froment inter-vient en 1351-1352. Pour une fois, lespluies et le froid ne sont pas en cause,mais c’est un coup de chaleur et desécheresse, une manière d’échaudage,qui a affecté les moissons de 1351. De1358 à 1360, le déficit des récoltesinduit une très forte hausse des prixagricoles. Les causes tiennent à la

chaleur et à la sécheresse du moisd’août 1360 et, incidemment, onsignale une gelée de printemps sur lesvignes en mai 1360. Ces néfastescoups d’échaudage, ou sécheresses, serencontrent en 1351, 1360 et 1361(Alexandre, 1987).

L’allongement des glaciers obéit à desphénomènes très différents à savoir leshivers très froids de 1355 et surtoutl’hiver glacial de 1364, ce dernier étantl’un des sept hivers les plus rigoureuxdu PAG (van Engelen et al., 2001).On décompte selon les cas quinze à

vingt semaines de gel, avec gel desgrands fleuves Rhin, Loire, Rhône. Leglacier de Gorner opère une nouvelleprogression avec des étés frais pres-qu’une année sur deux de 1356 à 1378.On note un doublement voire un triple-ment des prix du blé en 1369-1370.Le printemps 1370 très sec est suivid’un épisode froid et de pluies abon-dantes ; les céréales subissent doncde multiples facteurs météorologiquesagressifs. Tout ceci se produit dansun contexte de dépopulation post-pesteuse qui n’a pas grand-chose àvoir avec le climat mais qui doit

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supporter de surcroît les mortalitésdues au complexe mauvais climat-mauvaises récoltes.

La famine franco-italienne de 1374-1375 dérive des sécheresses d’hiver de1374 ; ce contexte sec fait placeensuite à des pluies torrentielles d’avrilà juin 1374, néfastes pour les récoltes.De ces mauvaises récoltes à la révolteantipapale de 1375 il n’y a qu’un pas.L’année 1374 est donc traumatiquenotamment dans le Midi de la France.Les prix frumentaires augmentent

d’environ 30 %. Ces pluviosités post-sécheresse de 1374 provoquentl’inondation de la Seine et on relève defortes pluies automnales enLanguedoc. L’an 1374 apporte son lotde grandes inondations rhénanes enjanvier-février. Cette détestable annéeatteint même, outre la France etl’Italie, l’Angleterre. Les inondationset autres accidents de la traumatiqueannée 1374 attirent très fortementl’attention des compilateursd’intempéries (Weikinn, 1958). ÀToulouse, le biennat 1374-1375 ouvre

une série d’années noires avec unevraie famine qui est donc plus accuséedans le Midi que dans la France duNord. La pointe majeure des prixdu blé à Toulouse dans ce contexte n’apas d’équivalent pendant toute unelongue période (Wolff, 1954). On peutparler d’un épisode méridional au senslarge puisque l’Aquitaine est frappéemais aussi l’Italie du Nord. La chertédes céréales secondaires est bien plusforte que celle du froment avec unehausse de 500 % du prix du millet.La trajectoire des dépressions est deve-nue nettement plus méridionale qu’àl’ordinaire.

Bien sûr, la peste de 1348 marqueune rupture : à une France surpeupléesuccède une France dorénavant dépeu-plée par les pestes et par les guerres.Mais les crises de subsistance quiétaient nombreuses avant 1348 ledemeurent, quoique peut-être à unmoindre degré, dans une Francedépeuplée mais qui reste pauvre etmalheureuse du fait des conflits guer-riers. La dépopulation ne provoqueraenf in l’élévation du niveau de viepopulaire que progressivement à partirdu deuxième tiers du XVe siècle.

Au cours des vingt dernières années dusiècle, la sécheresse du printemps et del’été 1384 à Paris et l’hiver très froidde 1399 n’ont aucune incidence sur lesprix agricoles. L’une des raisons estque la population ayant assez forte-ment diminué par suite des pestes etdes guerres, la conjoncture du blédevient moins sensible.

Le grand hiver de 1364L’hiver glacial de 1364 est remarquable par sa longueur et son intensité. Le très richecatalogue critique des événements météorologiques en Europe de 1000 à 1425, éta-bli par Pierre Alexandre (1987), relève des indications convergentes tirées de plu-sieurs sources narratives ou documents (registres de comptes, de délibérationscommunales, etc.) dont on trouvera ci-dessous quelques exemples (dates corrigéesselon le calendrier grégorien).Chronique de l’hôtel de ville de Montpellier (1330-1412) : grand gel continuel du8 décembre 1363 au 15 mars 1364, entrecoupé par d’abondantes chutes de neige àtrois reprises ; gel du Rhône ; eaux gelées entre Sète et Mèze ; vignes, oliviers,figuiers et autres arbres détruits par le gel.Chronik de Jacques de Koenigshofen (1346-1420), chanoine de Saint-Thomas deStrasbourg : hiver long et rude ; grand gel continuel du 29 décembre 1363 au20 mars 1364 ; gel du Rhin jusqu’en mars ; gel de la Brüsch à trois reprises, notam-ment le 1er mars 1364 ; les cigognes qui d’habitude reviennent vers le 1er mars nereviennent qu’à partir du 20 mars ; arbres et vignes gelés en hiver ; cherté du bois àStrasbourg en hiver.Chronique rouennaise (1363-1423) : grand gel à partir du 25 décembre 1363 ; gelde la Seine du 4 janvier 1364 au 15 février 1364 ; ensuite dégel très lent, sans pluie,jusqu’au 20 mars 1364 ; pas d’inondation lors du dégel.

Alexandre P., 1987. Le climat en Europe au Moyen Âge. Contribution à l’histoire des variations climatiques de 1000 à 1425, d’après les sources narratives de l’Europeoccidentale. Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, Paris, 827 p.

Holzhauser H., 1985. Neue Ergebnisse zur Gletscher- und Klimageschichte des Spätmittelalters und der Neuzeit. Geographica Helvetica, 40, 168-185.

Holzhauzer H., Magny M., Zumbühl H.J., 2005. Glacier and lake-level variations in west-central Europe over the last 3500 years. The Holocene, 15, 789-801.

Jordan W.C., 1996. The great famine. Northern Europe in the early fourteenth century. Princeton University Press, Princeton, États-Unis, 328 p.

Le Roy Ladurie E., 2004. Histoire humaine et comparée du climat. Canicules et glaciers XIIIe-XVIIIe siècles. Fayard, Paris, 746 p.

Mestayer M., 1963. Prix du blé et l’avoine de 1329 à 1793. Revue du Nord, 45, 157-176.

Pfister C., Schwarz-Zanetti G., Wegmann W., 1996. Winter severity in Europe: the fourteenth century. Clim. Change, 34, 91-108.

van Engelen A.F.V., Buisman J., F. IJnsen, 2001. A millenium of weather, winds and water in the Low Countries. In: Jones P.D., A.E.J. Ogivie, T.D. Davies et K.R. Briffa : Historyand climate : Memories of the Future ? Kluwer Academic, New York, 101-124.

Weikinn C., 1958. Quellentexte zur Witterungsgeschichte Europas von der Zeitwend bis zum Jahre 1850. Akademie, Berlin.

Wolff P., 1954. Commerces et marchands de Toulouse (1350-1450). Plon, Paris, 711 p.

Bibliographie

La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle 5

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6 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 1. Dates de vendange à Beaune de 1378 à 1500 (écart au 20 septembre, valeur moyenne de ladate de vendange). D'après Labbé et Gaveau (2013).

Sur l’histoire du climaten France : le XVe siècleEmmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2

1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 052 Conseil supérieur de la météorologie, Toulouse

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXVe siècle et aborde leur impact sur lasociété et sur certains événementshistoriques.

AbstractAbout history of climate, France,15th century

This paper briefly presents the clima-tic fluctuations in France during the15th century and their impact on thesociety and on some historical events.

On dispose à partir du XVe siècle, et mêmede la fin du XIVe, de séries de dates devendanges (figures 1 et 2). Ces donnéesquantitatives constituent un bon indica-teur des conditions météorologiquesentre la formation des bourgeons et lafructif ication, ce qui correspond enmoyenne à la période avril-septembre,même si des facteurs économiques etsociaux peuvent aussi influencer la fixa-tion de la date des vendanges. Les sériesvendémiologiques sont donc largementutilisées depuis les années 1960 pourreconstituer l’histoire du climat (Le RoyLadurie, 1967), après le travail pionnierd’AlfredAngot (1883) prolongé par Mar-cel Garnier (1955).

Mais parlons des glaciers d’abord :depuis 1385, les glaciers alpins sontentrés en modeste récession. PourAltesch et Gorner et vraisemblablementles autres glaciers alpins, après un maxi-mum d’extension vers 1380, s’est imposéce recul modéré mais qui n’est pas dutout comparable à l’immense reculamorcé à partir de 1855-1860 et surtoutmarqué depuis 1935. Vers 1455, le gla-cier d’Aletsch est plus court qu’il ne l’esten 1920 alors que le recul glaciaire du XXe

siècle est déjà nettement amorcé ; néan-moins il demeure nettement plus longqu’il ne l’est de nos jours dans ses dimen-sions très rétrécies. En d’autres termes, il

s’agit d’une position médiane entre lepetit âge glaciaire en majesté de 1850 etl’appareil actuel, extrêmement réduit versl’aval. Aletsch conserve au Quattrocentodes positions respectables mais qui ontcessé provisoirement d’être maximales etqui ne le redeviendront qu’à partir desannées 1570 et surtout 1590-1610 (LeRoy Ladurie, 2005).

À l’échelle d’un an ou tout au plus dedeux ou trois ans, on note évidemmentdes millésimes remarquables du point devue des subsistances. Comme dans nosprécédents développements, ils abou-tissent essentiellement à des moissonsdiminuées porteuses de famines, en parti-culier pendant les époques de guerres trèsintenses, ou parfois génératrices d’unecertaine abondance frumentaire du restetrès relative.

Guerres, climat,épidémies et faminesÉvoquons d’abord la première moitié duXVe siècle, très fortement marquée par laseconde portion de la guerre de Cent Ansqui se termine vers 1450 et définitivementen 1453, date de l’évacuation deBordeaux,dernier point d’appui de la domination

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7La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 2. Extrait de la page correspondant aux travaux de vendange du 30 septembre au 2 octobre1399 dans le livre de comptes tenu, en latin, par le cellérier de la collégiale Notre-Dame de Beaune.Les chanoines possédaient un grand nombre de parcelles de vignes sur le territoire de la commune.Les livres de comptes de la collégiale ont été utilisés par Labbé et Gaveau (2013) pour reconstituerles dates de vendanges à Beaune aux XIVe et XVe siècles, en retenant la date de la première parcellevendangée. (Archives départementales de la Côte-d’Or / G2918, ©CG21/F. Petot/2014)

anglaise dans le sud-ouest de la Franceactuelle. On peut d’abord mentionner legrand hiver de 1408, indice 9 de maxi-mum du froid dans la grande série de vanEngelen et al. (2001), avec des consé-quences sur les vergers et les cultures :destructions partielles d’arbres fruitiers,de vignes et doublement du prix descéréales sur le marché de Douai représen-tatif du nord du Bassin parisien (Mestayer,1963). C’est dans la deuxième moitié dumois de novembre 1407 que sont appa-rues les rigueurs qui vont s’instaurerdurant l’hiver 1408. Le sud de la France aété semble-t-il épargné. La cherté descéréales, qui n’est pas catastrophique dureste, viendrait d’une raréfaction de cel-les-ci du fait vraisemblablement de cethiver assez rude et d’une fin d’été 1408pluvieuse néfaste à la bonne maturationdes grains dans les gerbes dressées sur leschamps. La guerre a pu jouer un rôle enraison de l’incursion des troupes du ducde Bourgogne, en particulier lors de labataille d’Othée près de Liège.

De 1417 à 1435, interviennent une séried’étés un peu plus tièdes. L’année 1420est particulièrement dure du point de vue

des conflits militaires et des guerres civi-les, alors que règnent encore sur la Francefort éprouvée à l’époque le roi fouCharles VI et la reine Isabeau de Bavièredont la mauvaise réputation n’est plus àfaire. L’été 1420 est très chaud, avec desvendanges très précoces, en avance d’unmois sur leurs dates usuelles. Il figuredans la liste des étés brûlants (indice 9,maximal) signalés par van Engelen, quisont au nombre de neuf pendant le petitâge glaciaire entre 1326 et 1846 (1326,1420, 1422, 1473, 1540, 1556, 1781, 1783et 1846) et de trois pendant la phase deréchauffement contemporain jusqu’en

Chaleur et sécheressede l’année 1420

Le printemps et l’été 1420 sont marquéspar la chaleur et la sécheresse. Quelquesexemples d’observations contenues dansdes sources narratives et d’autres docu-ments, recueillies par Pierre Alexandre(1987) ; les dates sont corrigées selon lecalendrier grégorien.

Journal d’un bourgeois de Paris (œuvred’un clerc parisien, chanoine de Notre-Dame, 1410-1426)Floraison précoce des roses, du 16 avril au24 mai ; cerises mûres au mois de mai ;blés mûrs à la fin du mois de mai « commeà la Saint-Jean » (24 juin) ; vendanges àpartir de la mi-août.

Chronique deMetz (1333-1407)Temps beau et chaud au printemps.Muguet fleuri le 10 avril. Maturation pré-coce des fruits ; fraises mûres à Metz le19 avril ; cerises mûres à Metz le 9 mai ;fèves et pois mûrs le 10 mai ; seigle nou-veau le 15 mai ; verjus nouveau le19 mai ; raisins presque mûrs à Metz le1er juillet ; vin nouveau à Metz le 31 juillet.

Documents d’Albi (1345-1420)Les mois de mars, avril et mai sont trèssecs ; aucune pluie en mai, sauf à deuxreprises. Maturation précoce des fruits àAlbi ; cerises mûres à Albi le 16 avril ;récolte de seigle à partir du 25 mai. Ventd’Autan continuel pendant deux mois etdemi, dévastant les vignes et détruisantles récoltes.

TranscriptionItem soluto cuidam homino qui fuit in vinea clausi dicti

Thoheret 20 denarii (d.)Item soluto pro dieta unius equi qui adduxit dictam

vindemiam de dicto clauso 3 solidi (s.) 4 d.Item pro una vectura facta in dicto clauso per quemdam

quadrigam 20 d.Item dicta die soluto cuidam homino qui fuit in partagio

vinee des Turons cum Hugues Niquel 20d.Item soluto tribus hominibus asinariis qui quadrigaverunt

dictam vindemiam 15 d.Item pro ferratura duorum pedum equi que equitabatur

dictus celerarius tempore vindemiarum 20 d.Die mercurii sequentem in vinea de Cisie 3 hominibus,

5 mulieribus qui vindemiaverunt in dicta vinea,cuilibet homino 15 d. et cuilibet mulieri 10 d., valent 7 s. 11 d.

TraductionItem payé à un homme qui fut dans la vigne du clos dudit

Tholeret 20 deniers (d.)Item payé pour la nourriture d'un cheval qui apporta ladite

vendange dudit clos 3 sols (s.) 4 d.Item pour une charretée faite dans le clos

par un charretier 20 d.Item le même jour, payé à un homme qui fut au partage

de la vigne des Teurons avec Hugues Niquel 20 d.Item payé à trois âniers qui transportèrent

ladite vendange 15 d.Item pour le ferrage de deux sabots d'un cheval que montait

le cellérier à ce moment 20 d.Le jour suivant mercredi, pour trois hommes et

cinq femmes qui vendangèrent dans la vigne de Cisie,à chaque homme 15 d. et à chaque femme 10 d., valent 7 s. 11 d.

2000 (1859, 1868 et 2000). L’impact decette canicule se traduit par un double-ment du prix des céréales dans la Francedu Nord tandis qu’à Toulouse une trèsforte inflation des prix céréaliers se faitsentir, due à une mauvaise récolte régio-nale et peut-être à des phénomènesmonétaires. Sur le marché de la villerose, les prix du carton de froment pas-sent de 13 sous en 1419 à 26 en 1420 et à56 en 1421. Le grand historien toulou-sain Philippe Wolff a insisté sur l’impactde cette très sévère crise de subsistancesur la morbidité et la mortalité (Wolff,1954).

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8 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 3. Variations du prix du froment à Paris et à Douai au XVe siècle. À Paris, le prix du sétier de fro-ment est exprimé en livres tournois : de 1431 à 1478, moyenne pour l’année civile, de 1479 à 1499,prix à la Saint-Martin (d’après Baulant, 1968). À Douai, le prix de la rasière de froment est exprimé enlivres parisis (d’après Mestayer, 1963). Le setier et la rasière sont des mesures de volume. À partir de1479, les prix parisiens sont reconstitués à partir de documents lacunaires et incertains, ce qui peutexpliquer l’absence de pointe en 1481-1482.

résultat d’une des pires configurationspour les récoltes de céréales : fortespluies pendant l’été 1480 provoquant deterribles inondations du Rhin et de laMoselle (Champion, 1858), hiver 1481glacial suivi d’un printemps et d’un étépourris. En Bourgogne, les dates de ven-danges sont très tardives : à Beaune,elles s’établissent au 4 octobre en 1481.À Douai, le prix de la rasière de blépasse de 1,7 livre en 1480 à 3,2 en 1481et atteint 6,7 livres en 1482, valeurrecord pour le XVe siècle, accentuée parles guerres qui ont suivi la mort du ducde Bourgogne, Charles le Téméraire, en1477. Face au désastre de la famine,Louis XI ne reste pas inactif. Mais sapolitique est bizarrement contradictoire.D’une part, il introduit en janvier 1482la libre circulation des grains, peut-êtreen vue d’importations, mais surtout ilinterdit le stockage des céréales etl’exportation. On est en plein dans lapolitique dirigiste qu’on appellera mer-cantiliste de la monarchie française etqu’on retrouvera à partir de Colbert jus-qu’au XIXe siècle.

RemerciementsNous remercions Thomas Labbé quinous a fourni la transcription et la tra-duction de la page du livre de comptesde la collégiale Notre-Dame de Beaune,et les archives départementales de laCôte-d’Or pour la reproduction de cedocument.

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Bibliographie

L’hiver 1432 est très rude, van Engelenlui attribuant l’indice 8 sur une échellequi va jusqu’à 9. Il est suivi, jusqu’enjuillet, par une période fraîche et très plu-vieuse qui fait figure d’exception dans laséquence d’étés chauds qui va de 1417 à1435 et qui débouche sur une mauvaisemoisson. À Paris et à Douai, les prix dublé s’envolent en fin d’année 1432 etdurant la première moitié de 1433 (figure2), provoquant une disette. La France duSud (Toulouse et Languedoc) est logée àla même enseigne, ainsi que l’Europe duCentre et du Nord-Ouest (Allemagne,Belgique, Angleterre). Un mois d’aoûtchaud et sec explique la relative précocitéde la vendange dijonnaise qui débute le18 septembre 1432.

Dans le Bassin parisien et en Norman-die, la désastreuse famine de 1438-1439fait suite à un printemps et un début d’étéfroids et humides, responsables d’unemauvaise récolte qu’aggravent encoreles malheurs des dernières décennies dela guerre de CentAns. À Paris, le prix dusetier de froment passe de 1,68 livre en1436 à 5,95 en 1438, avant de redescen-dre à un prix compris entre 1 et 2 pourles années 1440 à 1445 (f igure 2).L’Angleterre, l’Allemagne et les Pays-Bas connaissent aussi une mauvaiserécolte frumentaire. C’est une périodecatastrophique à cause des disettes. Lesfléaux principaux sont la peste, deve-nue quasi annuelle, et la guerre contrel’Angleterre. La situation est telle que lespillards anglais, après avoir tout détruitsur leur passage, meurent de faim.

Une France apaiséemais qui subit encoredes crisesde subsistanceLa seconde moitié du XVe siècle est unepériode, relativement pacifique, de recons-truction après la guerre de Cent Ans.Quelques groupes de beaux étés chauds,avec des vendanges précoces et de bonnesmoissons qui favorisent des prix bas decéréales, contribuent à la renaissanceéconomique. C’est le cas en 1457-1458,1461-1462, 1464, 1471-1473 et enfin1494-1495. Plusieurs séquences d’étésfrais n’ont pas de conséquences biengênantes sur le ravitaillement céréalier, enparticulier 1453-1456, 1465-1468, 1474,1477, 1485, 1488-1491 et 1496-1498.

Néanmoins, en 1481-1482, la Franceconnaît une grave famine qui concerneaussi l’Allemagne et la Suisse. C’est le

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La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Sur l’histoire du climaten France : le XVIe siècleEmmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2

1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 052 Conseil supérieur de la Météorologie, Toulouse

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXVIe siècle, qui est marqué par lecontraste entre la tiédeur des soixantepremières années et la fraîcheur desquarante dernières. Il aborde l’impactde ces fluctuations sur la société et surcertains événements historiques.

AbstractAbout history of climate, France,16th century

This paper briefly presents the cli-matic fluctuations in France duringthe 16th century, characterized by acontrast between the first sixty mildyears and the last forty cool years,and their impact on society and somehistorical events.

L e XVIe siècle dans son entier estcaractérisé par un contraste entreles soixante premières années, plus

douces, avec une légère régression desglaciers alpins, et les quarante dernièresannées marquées par un rafraîchissementdu climat français, suivi au bout de sept àdix ans par une progression spectaculairedes glaciers alpins.

En hiver, le rafraîchissement ainsi illustrépourrait être de l’ordre de 0,5 °C oumême moins, ce qui est suffisant étantdonné l’extraordinaire sensibilité des gla-ciers. Les tiédeurs de la première moitiédu XVIe siècle seraient spécialement nota-bles lors des décennies 1520-1529 et1550-1559. Par rapport à la période1901-1960, les printemps seraient un peuplus frais en général pour le XVIe siècledans son entier, surtout pour la décennie1520-1529 et bien sûr à partir de 1560.Les étés des soixante premières annéesmanifesteraient quelques tiédeurs surtoutde 1500 à 1506, avec une décennie 1521-1529 rafraîchie, surtout pendant lesannées 1526-1529. On notera une fraî-cheur des automnes de 1509 à 1520, puisune certaine tiédeur automnale jusqu’à lami-temps des années 1560 (Pfister et al.,1999).

Le beau XVIe siècle,vendanges etmoissonsAu cours des soixante premières annéesdu XVIe siècle, la Bourgogne connaîtplusieurs séries de vendanges précoces(Rousseau, 2014), conséquences deprintemps-étés chauds :– 1500-1504 : l’année 1504 est mêmel’une des douze années les plus chaudesdu dernier millénaire pour l’hémisphèreNord, d’après les données dendro-climatologiques (Briffa et al., 2004) ;– 1516-1525 : la vendange du 4 septem-bre 1516 à Beaune est la plus précocedepuis la très chaude année 1473. ÀParis, le prix du blé augmente fortementen 1516, 1521 et 1524-1525, à la suite derécoltes diminuées par échaudage ou

sécheresse prolongée. La sécheresse duprintemps 1524 est responsable de ladisette de 1524-1525, l’une des quatregrandes crises de subsistance des années1520-1560 (Baulant et Meuvret, 1962) ;– 1530-1540 : la canicule estivale de1540, avec des vins excellents, a été étu-diée en détail par Pfister (1999) dans sesimportantes réflexions historiques sur leclimat. Les prix du blé à Paris et à Douairestent bas, résultats de belles moissonsqui bénéf icient du beau temps. EnEurope centrale, chaleur et sécheressesont extrêmes. On traverse à pied rivièreset fleuves, en particulier le Rhin.

La canicule de l’été 1556 provoque unevendange très précoce en Bourgogne, le6 août à Beaune, avec des vins de grandequalité. En revanche, à cause de la séche-resse, la moisson est médiocre. Cettesécheresse favorise des incendies de forêtjusqu’en Normandie, comme le signaledans son livre de raison le gentilhommenormand Gilles de Gouberville (1993).L’année 1559 est aussi une année chaudeavec des vendanges et des moissons pré-coces, mais les prix du grain ne montentpas, signe d’absence d’échaudage.

Le beau XVIe siècle n’est pas exemptd’années, ou de séquences de plusieursannées, humides et fraîches, avec desconséquences fâcheuses.Ainsi, c’est pro-bablement la persistance d’un tempsdoux et très pluvieux de l’automne 1520jusqu’au printemps 1521 qui cause unemauvaise récolte de blé, avec un quasi-doublement du prix du setier de fromentà Paris pendant l’année post-récolte1

1521-1522, et donc une disette, suivid’un effondrement des prix à partir dejuillet 1522 lors de l’arrivée sur le marchéde l’excellente moisson de 1522.

À partir de 1526, une séquence fraîche etpluvieuse provoque une véritable crisemétéorologique qui se déclenche à partirde l’année post-récolte 1528-1529 etculmine en 1531-1532. À Paris, le prixdu setier de froment grimpe de 1,51 livre

1. L’année post-récolte va du mois d’août del’année de la moisson à juillet de l’annéesuivante.

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Figure 1. Fluctuations de la longueur du glacier des Bossons de 1580 à 2005 (Nussbaumer etZumbühl, 2012). L’origine de l’axe des ordonnées correspond à la longueur maximale, observée en1818. Les points noirs ont été établis à partir de sources historiques écrites, cartographiques ou ico-nographiques. La courbe continue noire a été tracée par interpolation entre ces points. Les courbesen traits pointillés correspondent aux incertitudes sur l’estimation. On constate une bonne cohérenced’ensemble avec la courbe verte, établie par Mougin dans son ouvrage précurseur sur l’histoire desglaciers dans les Alpes françaises (Mougin, 1912).

tournois en 1526-1527 jusqu’à 4,67 livrestournois en 1531-1532, soit un triplementtout à fait remarquable. Dès avril 1529, lemécontentement social se fait sentir àLyon avec la fameuse Grande Rebeyne(révolte), quand les stocks de grain com-mencent à s’épuiser au printemps(Gascon, 1971). Le mécontentementpopulaire est dirigé contre les spécula-teurs qui constituent des stocks pourmieux profiter de la hausse des prix. EnAuvergne, province spécialement pauvre,la crise de subsistance de 1529 est trèsmarquée (Charbonnier, 1980). La haussedu prix du blé, qui concerne vraisem-blablement tout l’Ouest-européen, durejusqu’en 1530 et même au-delà. EnAngleterre, les lois féroces d’Henry VIIIcontre les pauvres, les mendiants voués àêtre fouettés et mutilés, révèlent que ledéficit céréalier est devenu sensible àtous et spécialement aux plus défavorisés.

Nouvelle pousséeglaciaireLes années 1560-1600 sont passion-nantes pour l’historien du climat puisquemarquées par une intensification du petitâge glaciaire avec une avance généraledes glaciers de Chamonix : mer deGlace, glacier des Bossons, glacierd’Argentière, glacier du Tour (figure 1).À partir des années 1590, le glacier desBois, nom de la pointe terminale de lamer de Glace dans sa partie inférieure,culbute des maisons. Le glacier d’Argen-tière détruit lui aussi des habitats. On envient même à craindre que la mer deGlace ne barre le cours de la rivièred’Arve, ce qui semble ne s’être jamaisproduit au cours des derniers millénaires(Le Roy Ladurie, 1967).

Cette période rafraîchie connaît de fortescrises de subsistance dues simultané-ment aux météorologies défavorables dupetit âge glaciaire, pluie et fraîcheur, etaux guerres de religion qui prennent uncaractère désastreux de 1560 jusqu’à lapacification enfin obtenue par Henri IVen 1596. Parker (2013) a beaucoupinsisté sur l’impact désastreux de lacombinaison d’une météorologie néga-tive et d’une guerre importante, soit parravages directs de la guerre soit par fis-calité excessive. Pendant les guerres dereligion de 1560 à 1596, on assiste à cinqcrises de subsistance importantes de cetype. Aucune de ces crises ne s’expliquepar des phénomènes d’échaudage ou desécheresse. C’est toujours le grand froidet l’excès de pluviosité qui s’attaquentaux moissons.

L’avancée des glaciersà Chamonix

Un texte issu des archives de la Chambredes comptes de Savoie démontre qu’àpartir de 1600 la vallée de Chamonix asubi une avancée catastrophique des gla-ciers, résultat des fraîcheurs des années1590.« Dès la réformation des tailles [c’est-à-dire dès 1600 (la réformation des taillesen Savoie a été opérée par l’édit du1er mai 1600)] les glaciers rivière d’Arveet autres torrens ont ruyné et gasté centnonante cinq journaulx de terre en diversendroictz de la dicte parroesse[Chamonix] et particullierement nonantejournaulx et douze maisons ruyn’s auvillage du Chastelard auquel n’est restéque la douzième partie du terroir, levillage des Bois à cause desd. Glassiers ;au village de la Rozière et Argentier septmaisons couvertes des susd. Glassiers,dont le ravaige continue et faict de jour àaultre progrès… deux autres maisons ruy-nés au villaige de la Bonneville… àl’occasion desd. Ruynes la cense dudisme est grandement diminuée ».Cette archive est capitale car elle indiqueque, dans des hameaux anciens, des mai-sons ont été « recouvertes » par des gla-ciers en progression constante. Il ne s’agitdonc pas seulement de dégâts provoquéspar des chutes de glace. Par ailleurs, ladiminution de la dîme est significative dela disparition de champs cultivés dans desterroirs soumis à l’avancée du front gla-ciaire.Texte des archives communales de Chamonix CC 1, piècen° 19, texte du 2 mai 1605 publié par Letonnelier (1913) etreproduit par Le Roy Ladurie (1967).

La famine de 1562-1563 est causée parun hiver et un été très pluvieux, avec degrosses inondations dans les bassins de laLoire et de la Seine. On constate ensuiteun doublement des prix du blé de 1565 à1566 en raison du grand hiver de 1565,caractérisé par la valeur maximale 9 del’indice défini par van Engelen et al.(2001), qui agit négativement sur larécolte de 1565 et sur l’année post-récolte. La révolte des Pays-Bas de 1566,première révolution de l’âge moderne, ades causes profondes, religieuses et poli-tiques, mais elle est provoquée sur unmode événementiel par les troublessociaux des années 1565-1566, suite à unplus que doublement du prix du blé dansla France du Nord et les Pays-Bas.

La crise de subsistance de 1573 est aussiprovoquée par une forte augmentationdes prix du blé à Paris, conséquence d’unhiver long et rigoureux suivi par un prin-temps et un été frais et humides, avecune vendange tardive en Bourgogne.Surtout, la remarquable crise agricole,urbaine, politique et religieuse de 1586-1588 est due à un presque triplement duprix du blé à Paris. Les années 1585,1586 et 1587 constituent un triod’années fraîches et humides, avec unhiver froid et d’importantes inondationsde la Seine, de la Loire et du Rhône en1586. Cette fois-ci, l’environnementidéo-logique n’est pas protestant commeen 1566 aux Pays-Bas mais hyper-catholique, dans l’esprit des ligueurs trèscontestataires. C’est le grand déclen-chement des troubles de la Ligue, notam-ment parisiens, culminant en mai 1588sur la base d’une conjoncture de violent

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mécontentement populaire et bourgeois.L’intérêt idéologique et littéraire portéaux crises de subsistance s’affirme dansla dramaturgie de Shakespeare avecd’importantes allusions à ces phéno-mènes dans Coriolan.

Dans le contexte climatique froid ethumide de la décennie 1590 (figure 2), ladernière crise de subsistance du sièclese produit en 1597. Le déficit de céréalesest responsable d’une forte mortalitéet d’un effondrement de la natalité.Les vendanges sont très tardives en

Bourgogne et, dans le pays de Bade, ellesproduisent des vins peu abondants etde mauvaise qualité (Müller, 1953).

À partir de 1599, les prix du blé baissentpresque de moitié. C’est évidemmentla fin des guerres de religion qu’il fautmettre en cause, avec la belle périoded’Henri IV, mais les deux bons étés 1598et 1599, l’un normal et l’autre chaud,y sont probablement pour quelque chose.La combinaison guerre-climat, avec enl’occurrence un retour à la paix, est àl’œuvre.

Livres de raison et journaux,sources d’informations climatiques

Les livres de raison, registres de compte assortis de commentaires qui étaient tenus parles chefs de famille, et les journaux individuels peuvent contenir des informations météo-rologiques et phénologiques précieuses pour la reconstitution des climats passés.Ainsi, les archives départementales de La Manche conservent un ensemble de manuscritsdu livre de raison du gentilhomme normand Gilles de Gouberville (v. 1521-1578), quicouvrent les années 1549 à 1562. Gouberville fait état, par exemple, des dégâts provoquésdans le Cotentin par la chaleur et la sécheresse du printemps et de l’été 1556. Cetépisode, avec une moisson précoce mais médiocre en quantité dans les environs de Paris,est aussi mentionné dans le journal de Claude Haton (1534-v. 1605) qui documente lapériode 1553-1582. Ce journal d’un prêtre catholique intransigeant, qui a passé la plusgrande partie de sa vie à Melun, constitue un témoignage important sur l’époque desguerres de religion. Signalons enfin le journal que le magistrat Pierre de l’Estoile (1546-1611)a rédigé pendant les règnes d’Henri III et d’Henri IV, de 1574 à 1610. Pierre de l’Estoile ydonne de nombreux détails sur la crise de subsistance de 1586-1587.Les écrits de Gilles de Gouberville et de Claude Haton, publiés à la fin du XIXe siècle, ont étéréédités récemment de façon plus complète (Gouberville, 1993 ; Haton, 2001). Leséditions du journal de Pierre de l’Estoile se sont succédées depuis 1621 jusqu’à nos jours.Sur la bibliothèque numérique Gallica (http://gallica.bnf.fr), on trouve les éditions duXIXe siècle des journaux de Gouberville et Haton, ainsi que le manuscrit de Pierre del’Estoile.

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Bibliographie

Figure 2. Le mois de janvier, tableau peint en 1592 par le Flamand Abel Grimmer (v. 1570-1619)représentant le mois de janvier et un thème religieux, le songe de Joseph et la fuite en Égypte. Pourles peintres hollandais de la fin du XVIe et du XVIIe siècle, le paysage hivernal devient un genre pictural,avec ses sols enneigés et ses cours d’eau gelés, sous l’influence de Bruegel l’Ancien (Metzger,2012). Photo reproduite avec l’aimable autorisation de la mairie de Montfaucon-en-Velay.

RemerciementsLes auteurs remercient Samuel Nussbau-mer et la mairie de Montfaucon-en-Velaypour avoir fourni respectivement lafigure 1 et le cliché du tableau d’AbelGrimmer, ainsi que les autorisations dereproduction correspondantes.

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Date de vendange à Beaune Température avril-septembre à Paris

Figure 1. Fluctuations du climat au cours du XVIIe siècle détectées par les dates de vendange àBeaune (nombre de jours après le 31 août), de 1600 à 1657, et par la température moyenne d’avril àseptembre à Paris (°C), de 1658 à 1700. En rouge et bleu, les séquences chaudes et froides citéesdans cet article. Pour chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal.

Sur l’histoire du climaten France : le XVIIe siècleEmmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2

1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 052 Conseil supérieur de la Météorologie, Saint-Mandé

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXVIIe siècle et aborde l’impact de cesfluctuations sur la société et sur cer-tains événements historiques. LeXVIIe, à tendance fraîche, est caracté-risé par la poussée glaciaire qui, àChamonix, culmine vers 1644. Il setermine par l’une des plus grandesfamines qu’ait connues la France, en1693-1694.

AbstractAbout history of climate, France,17th century

This paper briefly presents the clima-tic fluctuations in France during the17th century and their impacts onsociety and some historical events.The rather cool 17th century is cha-racterized by the progression of gla-ciers, which in Chamonix culminatesaround 1644. At the end of the cen-tury, France suffered one of its grea-test famines in 1693-1694.

P our le printemps et l’été, le XVIIe

siècle débute par une séquencerelativement tiède de 1602 à 1616

(f igure 1), avec une date moyennede vendange à Beaune qui s’établit au16 septembre (Rousseau, 2014). Dansl’esprit de Parker (2013), pour quil’étude du climat est inséparable desconsidérations sur l’état de paix et deguerre, notons que, depuis la fin desguerres de religion en 1598, la Franceconnaît une époque paisible pendantla seconde partie du règne d’Henri IV(1600-1610) et sous la régencede Marie de Médicis (1610-1614), sou-vent dépeinte sous des couleurs tropsombres. On reste dans une période depetit âge glaciaire, mais, sous l’effet desprintemps-étés relativement tièdes de1602 à 1616 et avec un retard d’unedizaine d’années, le front terminal de laMer de Glace recule de 314 mètresentre 1610 et 1624, après avoir pro-gressé de 1125 mètres depuis 1570(Nussbaumer et al., 2007). Van Engelenattribue l’indice 8, sur une échelle de 9,

au grand hiver 1608 qui est suivi par unété médiocre (van Engelen et al., 2001).Les prix du blé augmentent, mais lacrise de subsistance reste modérée cetteannée-là.

Une série d’années fraîches se déroulede 1617 à 1635, avec bien sûr desinégalités dans ces fraîcheurs. Alors queles famines sont beaucoup plus raresdans les îles britanniques que sur lecontinent, on signalera quand mêmeune des dernières famines anglaisesdans l’histoire, celle de 1622, suite àdeux années froides ou fraîches, avec en1621 un hiver très rude et un été pourri,et en 1622 un hiver plutôt froid et unété frais (van Engelen et al., 2001).L’ensemble de ce quatuor a eu, à destitres divers, des conséquences défavo-rables sur les récoltes. À Paris, les prixdes céréales connaissent une nettehausse, moins marquée toutefois qu’enAngleterre : le prix du sétier de fromentpasse de 8,98 livres en 1619-1620 à9,88 en 1620-1621, puis à 12,43 en

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1621-22 et atteint un maximum de14,09 en 1622-1623 (Baulant etMeuvret, 1962).

On aura aussi une année très difficile enFrance à partir de la récolte de 1630.Dans le Val de Loire, le Sud-Ouest, laBretagne et le Nord, les pluies conti-nuelles de l’automne 1629, de l’hiver etdu printemps 1630 provoquent lagrande famine de 1630-1631 : « Aumois de May 1630 et durant icelluy ilpleust en abondance desquelles pluyesfurent noyez les fruicts de la terre, etdelà s’en suivit la grande famine quicommença à l’este et dura depuis lemois d’Aoust 1630 jusques a la fin dumois de May 1631. » (Journal desMalebaysse, cité par Couyba, 1902).On signale des émeutes de subsistance àLyon, à Dijon et à Caen et des paysansmorts de faim dans l’Agenais ; indica-tion très importante, car on pense tou-jours aux épidémies de typhus,dysenterie et fièvre proliférant sur lasous-alimentation, mais on oublie quedes personnes meurent directement defaim. La mortalité française de 1631 estl’une des plus fortes connues. Comptetenu du creux de natalité, le déficitdémographique national s’élève à plu-sieurs centaines de milliers d’âmes(Dupâquier, 1991).

La séquence fraîche de 1617-1635 pro-voque, avec un décalage de sept à huitans, une poussée impressionnante de laMer de Glace, jusqu’à un maximumhistorique vers 1644 avec un front gla-ciaire plus avancé que lors des futursmaxima de 1821 et 1852.

Séquence tièdemais meurtrièresépidémiesUne séquence un peu plus tiède s’étendde 1636 à 1647. Trois années de suite,les vendanges dijonnaises sont remar-quablement précoces : 4 septembre1636, 3 septembre 1637 et 9 septembre1638. Paradoxalement, en 1636, alorsque la récolte de blé est excellente, laFrance connaît un très important pic demortalité, de l’ordre du demi-million dedécès supplémentaires. La peste ne suf-fit pas à expliquer cette hécatombe. Enfait, durant les fortes chaleurs de l’été1636, la baisse du niveau des rivièresfacilite la pollution de l’eau et provoqueune épidémie meurtrière de dysenteriedans le nord de la France. La sécheressede l’été et du début de l’automne 1639

provoque une nouvelle épidémie dedysenterie en Anjou et en Bretagne (LeRoy Ladurie, 2004).

Au milieu de la séquence tiède de 1636-1647, les quatre années de 1640 à 1643sont fraîches et humides, avec des ven-danges tardives en Bourgogne. Les prixdu blé augmentent fortement dans leBassin parisien et ne baissent qu’aprèsla récolte de 1644. Le Sud-Ouest et laBretagne connaissent les mêmes diffi-cultés et des révoltes de la faim éclatenten 1643, en particulier en Aveyronoù les Nouveaux Croquants parvien-nent à s’emparer temporairement deVillefranche-de-Rouergue en y entrant« tambour battant et mèche allumée ».

Les désastresde la FrondeLa séquence fraîche de 1648-1658débute par trois années très pluvieuses,en coïncidence avec les violents mouve-ments populaires et bourgeois contreAnne d’Autriche. C’est la Fronde duparlement, accompagnée de révoltespopulaires dont certaines pour les sub-sistances comme en 1649, année remar-quable par son hiver long et rude suivid’un printemps et d’un été frais et plu-vieux. La mauvaise moisson de 1649explique la forte hausse du prix du fro-ment à Paris pendant l’année post-récolte 1649-1650. Ensuite, la Frondedes Princes, à partir de 1650, persévèredans le désastre jusqu’en 1653. Le prixdu seigle connaît des pointes très fortes.Comme Ernest Labrousse l’a remarqué,le seigle, céréale populaire par excel-lence, est plus sensible à la hausse desprix que le froment (Labrousse, 1933).Le cas est très net au moment de laFronde, mélange de causalités météoro-logiques et de guerre civile. La récoltede 1658 est gravement affectée par despluies et des inondations. À Paris, lacrue de 1658 est comparable sinon pireque celle de 1910 et à Pontoise, l’égliseNotre-Dame est inondée.

Débuts des sériesthermométriquesen Franceet en AngleterreÀ partir de juin 1658 pour l’Île-de-France (Rousseau, 2013) et à partir de1659 pour l’Angleterre (Manley, 1974),

on dispose de deux séries fondamen-tales de températures mensuelles quivont durer jusqu’à nos jours.

Quelques années après le début de laséquence tiède de 1659-1671, les pluiesexcessives sur la moitié nord de laFrance en janvier, puis d’avril à septem-bre 1661, affectent les moissons, occa-sionnant la famine de 1661-1662(Lebrun, 1975). Sur le marché parisien,le prix du sétier de froment, quis’établissait à 12 livres tournois en1654, grimpe presque incroyablement à40 livres tournois ou davantage d’avril àjuillet 1662, quand les stocks de grainsont épuisés. Face à cette énorme dis-ette, l’État central intervient en faisantvenir des grains de Bordeaux, deBretagne et de la Baltique. Bossuetprêche contre l’avarice des riches auxdépens des pauvres. Néanmoins, les 5 et6 juin 1662, au plus fort de cette tragé-die frumentaire, le jeune roi Louis XIVdonne une fête splendide dans la courdes Tuileries à Paris, le GrandCarrousel.

Indépendamment de ces phénomènestragiques de courte durée (une ou deuxannées), les printemps-étés de 1659 à1671 sont relativement tièdes, avec desdates de vendanges précoces enBourgogne, sauf en 1663. Le prix du blébaisse progressivement lors des annéesde relative abondance de 1663 jusqu’en1672. C’est la belle époque colber-tienne.

Une séquence fraîche, brève mais biencaractérisée, marque les années 1672 à1675, avec à Dijon une vendange tar-dive le 5 octobre 1673 et très tardive le14 octobre 1675. Dans la vallée duRhône, des pluies ininterrompuess’abattent à partir du début du mois denovembre 1674. Le Rhône connaîtsa plus forte crue du XVIIe siècle et, le16 novembre, la ville d’Avignon estenvahie par les eaux (Pichard etRoucaute, 2014). Le 24 juillet 1675, auvu de la fraîcheur, Madame de Sévignése demande dans une lettre à sa fille si« le procédé du Soleil et des saisons esttout changé ». C’est en effet l’époquedu minimum de Maunder (1645 à1715), période au cours de laquelle lestaches solaires ont cessé d’être visibles.Il est possible que la marquise ait puobtenir des informations à ce sujet de lapart des astronomes de l’Observatoirede Paris. Une pointe modérée des prixdu blé est enregistrée à Paris en 1675sous l’effet d’une récolte vraisembla-blement amoindrie par les intempéries.Mais on ne peut pas parler d’une impor-tante crise de subsistance.

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En écart à la température moyenne dela période 1801-1900, les moyennesd’avril à septembre à Paris sont de+0,3 °C de 1659 à 1671, de –0,8 °C de1672 à 1675 et enfin, pour la séquencetiède de 1676 à 1686, de +0,6 °C (LeRoy Ladurie, 2012). Cette tiédeur est

L’ère de la météorologie moderne commence au XVIIe siècleavec l’invention en Italie des principaux instruments demesure des grandeurs physiques de l’état de l’atmosphère :le baromètre, le thermomètre et l’hygromètre.Peu après l’invention, vers 1650 à Florence, du thermomètre àtube scellé contenant un liquide, plusieurs thermomètres iden-tiques, munis d’une échelle à 50 degrés, furent envoyés par leGrand Duc Ferdinand II de Toscane à des correspondantssitués en Italie et dans quelques autres pays européens,accompagnés d’instructions pour effectuer des mesures coor-données (figure 2). Le premier réseau météorologique aumonde était né. Comprenant 11 points de mesures, il a fonc-tionné à partir de 1654 jusqu’à la dissolution en 1667 del’Accademia del Cimento (Académie des expériences) pourdes raisons religieuses (Camuffo et Bertollin, 2012). Ayant reçuun de ces thermomètres, l’astronome Ismaël Boulliau a réaliséles premières mesures de température à Paris de mai 1658 àseptembre 1660, ce qui a permis de constituer une série detempératures à Paris remontant à 1658 (Rousseau, 2013).

Les premières observations régulières de précipitations ontété réalisées en France par Pierre Perrault pendant troisannées disjointes, entre 1668 et 1674, dans le but de savoir sila quantité annuelle de précipitations est suffisante pouralimenter les rivières (Perrault, 1674). On dispose d’une sériepluviométrique à Paris, à partir de 1688, grâce à l’installation,par Philippe de la Hire, d’un pluviomètre sur la terrassede l’Observatoire de Paris (Garnier, 1974). Mais il est difficilede considérer une mesure ponctuelle de pluie comme un

indicateur climatique pertinent, en raison de la variabilité spa-tiale des précipitations nettement plus marquée que celle dela température.

Les premières séries de mesuresde température et de précipitations

Figure 2. Exemplaires du thermomètre à alcool utilisé par IsmaëlBoulliau. Le tube de verre comporte 50 graduations. Grâce àl’extraordinaire habileté de Mariani, le souffleur de verre du Grand DucFerdinand II de Toscane, ces thermomètres donnaient des mesurescomparables (Middleton, 1969). Museo Galileo, Florence, PhotoFranca Principe et Sabina Bernacchini.

Les grands hivers du XVIIe siècleDe 1659 à 1700, on recense dix hivers (décembre à février) pour lesquels la tem-pérature moyenne à Paris a été inférieure de 2 °C ou davantage par rapport à latempérature hivernale moyenne du XIXe siècle (1801-1900). Dans le tableau 1, onindique pour chacun de ces hivers l’anomalie négative de température à Paris ainsique la valeur de l’indice hivernal de van Engelen (van Engelen et al., 2001) graduéde 1 à 9. De 1601 à 1658, on ne dispose pas de mesures de température. La sérieest complétée en retenant les hivers les plus rigoureux, pour lesquels l’indice prendla valeur 8 (la valeur 9 n’a été attribuée à aucun hiver de cette période). Neuf aut-res hivers dont l’indice vaut 7 (1601, 1618, 1620, 1624, 1635, 1646, 1649, 1655,1658) sont susceptibles d’avoir une anomalie de température inférieure à –2 °C(Rousseau, 2013). Parmi ces derniers, on retiendra l’hiver 1649, long et rude dansla moitié nord de la France, en Angleterre et aux Pays-Bas, et l’hiver 1658 pourlequel Boulliau, cité par Arago (1858), signale des épisodes de froid intense à Parisen janvier-février et le gel de la Seine suivi d’une énorme débâcle qui emporte lePont-Marie.

Les rudesannées 1690Pour la séquence fraîche de 1687 à1701, la température moyenne d’avril àseptembre à Paris s’établit à –0,5 °C, enécart à la référence calculée pour leXIXe siècle. L’énorme famine françaisede 1693-1694 (figure 3), trouve sonexplication dans la combinaison de lasituation de guerre dite de la Ligued’Augsbourg (1688-1697) et de cesannées remarquablement fraîches etpluvieuses (Lachiver, 1991), en particu-lier 1692. Fénelon proteste contre lapolitique fiscalement très coûteuse deLouis XIV. La France, pratiquementdans ses limites actuelles, comptait22 250 000 habitants fin 1692. Lespertes humaines dues à la famine(1,3 million sur 22 millions) sont enproportion bien supérieures aux pertesciviles et militaires de la guerre de1914-1918. De 1685 à 1695, les baisses

Hiver 1608 1621 1649 1658 1660 1663 1672 1677 1679 1681 1684 1692 1695 1697

Anomaliede température (°C) –4,1 –2,0 –2,2 –2,7 –3,5 –2,9 –4,1 –2,7 –4,2 –3,6

Indice 8 8 7 7 7 8 7 7 7 7 9 7 8 8

Tableau 1. Les 13 grands hivers du XVIIe siècle (d’après Rousseau, 2012).

illustrée par quelques millésimes remar-quables : canal du Midi à sec durantl’automne 1679, grosses crises agricolesdue à la sécheresse en Languedoc, en1676, 1678, 1679, 1681 et 1684, maisces étés très chauds sont favorables auxmoissons dans le nord de la France.

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de population sont de 26 % dans leMassif central, région très pauvre, 5 %dans le Sud-Ouest, 6 % dans l’Est, 8 %dans le Sud-Est, seulement 2 % dansl’Ouest et quasi nulles dans la régionNord (Dupâquier, 1991). Dans le nordde l’Europe, la fraîcheur de la séquence1687-1701 est spécialement marquée enScandinavie, en Écosse et en Finlandelors de la grande famine de 1696-1697.

Figure 3. Évolution des nombres de décès, denaissances et de mariages à Beauvais de 1692 à1696, pour six paroisses sur douze (Goubert,1952).

1000

900

800

700

600

500

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1692 1693 1694 1695 1696

Sépultures

Baptêmes

Mariages (x2)

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Figure 1. La vallée de Chamonix, vue du Planet, près d’Argentière (1780). Sur cette gravure admira-blement précise de Hackert, le glacier d’Argentière est tout proche de l’église du village (Le RoyLadurie, 1967). Aquatinte, gravure colorée à la main. British Museum, Londres. © The trustees of theBritish Museum.

Sur l’histoire du climaten France : le XVIIIe siècleEmmanuel Le Roy Ladurie1, Jean-Pierre Javelle, Daniel Rousseau2

1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 052 Conseil supérieur de la Météorologie, Saint-Mandé

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXVIIIe siècle et aborde l’impact de cesfluctuations sur la société. Le XVIIIe sesignale d’abord par le grand hiver de1709, responsable de la dernièregrande famine française, et se ter-mine par les années prérévolution-naires et révolutionnaires pendantlesquelles de mauvaises récoltes ontété suivies d’émeutes de subsistance.

AbstractAbout history of climate, France,18th century

This paper briefly presents the clima-tic fluctuations in France during the18th century and their impact onsociety and some historical events.The 18th century is at first marked bythe great winter of 1709, responsiblefor the last French great famine, andit ends with the pre-revolutionaryand revolutionary years, with badharvests followed by subsistence riots.

À partir du milieu du XVIIIe siècle,on commence à disposer de sour-ces iconographiques qui complè-

tent les sources écrites pour déterminerles fluctuations du front des grandsglaciers alpins (f igure 1). Ceux-cioccupent au cours du XVIIIe des posi-tions avancées, sans atteindre lesmaxima des XVIIe et XIXe siècles.

Selon la périodisation proposée parDaniel Rousseau (Le Roy Ladurie et al.,2011), qui concerne le printemps etl’été, une séquence relativement tièdes’étend de 1702 à 1708 (figure 2). Ellese fait remarquer par des printemps-étés(avril à septembre) plutôt tièdes, notam-ment de 1705 à 1707, avec de fortesmortalités par canicules provoquant desdizaines voire des milliers de morts,notamment enfantines. Les moissonssont relativement bonnes (le blé a euchaud) avec des prix du froment plutôtbas.

1709, dernière grandefamine françaiseÀ propos de la première séquencefraîche (1709-1717), on ne manquerapas d’évoquer le grand hiver de 1709 ausujet duquel Saint-Simon écrit : « Il [lefroid] prit subitement la veille des Rois,et fut près de deux mois au-delà de toutsouvenir. En quatre jours, la Seine ettoutes les autres rivières furent prises,et, ce qu’on n’avait jamais vu, la mergela à porter le long des côtes. Lescurieux observateurs prétendirent qu’ilalla au degré où il se fait sentir au-delàde la Suède et du Danemark. Les tribu-naux en furent fermés assez longtemps.Ce qui perdit tout, et qui fit une annéede famine en tout genre de productionde la terre, c’est qu’il dégela parfaite-ment sept ou [huit] jours, et que la geléereprit subitement, aussi rudementqu’elle avait été : elle dura moins ; mais,

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jusqu’aux arbres fruitiers et plusieursautres fort durs, tout demeura gelé »(Saint-Simon, 1984). Van Engelenet al. (2001) attribuent l’indice 8 surune échelle de 9 à cet hiver qui estmarqué par un mois de janvier parti-culièrement rigoureux (–3,7 °C à Parisd’après Rousseau, 2013). En l’absenced’une couche de neige protectrice,le froid détruit les jeunes poussesde blé quelques mois après l’époquedes semailles. En région parisienne,le prix du blé atteint des recordsdurant l’automne 1709 (f igure 3).Essentiellement à partir de l’été1709 et jusqu’à la récolte conve-nable de 1710, ce désastre cause unexcès de mortalité de 630 000 per-sonnes qui procède en grande partied’épidémies aggravées par la sous-alimentation, mais qui concerne aussides personnes directement mortesde faim (Dupâquier, 1991). Dans les

régions méditer ranéennes de laFrance, le froid provoque la destruc-tion massive des oliviers et la mort denombreux ceps de vigne. L’oliveraiefrançaise ne se remettra jamais toutà fait de cette catastrophe. Intro-duite par l’hiver 1709, la séquence1709-1717 est fraîche et pluvieuse,avec de nombreuses inondationsen 1710, 1711 et 1712. La tempé-rature moyenne annuelle à Parisest de 10,7 °C, alors qu’elle vaut11,4 °C pour la séquence tiède 1702-1708.

On retrouve une séquence tiède de1718 à 1739. Les récoltes de blé sontabondantes en 1718 et 1719, mais desépisodes caniculaires (températuresmoyennes de 21,3 °C en août 1718et de 20,9 °C en juillet 1719 à Paris)causent des centaines de milliers demort (Lachiver, 1991). En 1725,

des précipitations abondantes enrégion parisienne sont néfastes pourles moissons. La hausse du prix dublé (28,5 livres le sétier à Paris) donnelieu à des émeutes populaires, maisles importations de grains depuis lesud-ouest de la France et l’Angleterrelimitent la gravité de la disette. Lesannées 1730 sont particulièrementremarquables avec des prix du blé trèsbas qui atteignent un minimumen 1735, à 12,8 livres le sétier àParis (Labrousse, 1944). De 1727 à1735, les vendanges sont précoceset la qualité du vin de tout premierordre dans le pays de Bade en 1727,1728, 1729, 1731, 1733 et 1735(Müller, 1953). On assiste même àune surproduction de vins avec uneffondrement des prix. Le gouverne-ment de Louis XV limite les planta-tions de vignes à partir de 1729, puisles interdit en 1731. On peut faire unrapprochement entre cet écroulementdes prix du vin et la considérablesurproduction de 1904-1906 suivieen Languedoc par de puissantes mani-festations de vignerons en 1907, donton ne trouve toutefois pas l’équivalentdans les années 1730.

L’année 1740, avec un hiver glacial,un printemps et un été pourris, ouvrela séquence fraîche de 1740-1746.À Paris, la température moyennede l’année 1740 (décembre 1739 ànovembre 1740) est de 8,3 °C, valeurla plus basse de la période qui s’étendde 1659 à nos jours. La mauvaisemoisson de 1740 provoque danstoute l’Europe une crise de subsistancejusqu’à l’été 1741 (Post, 1985). EnFrance, la disette et les épidémiescausent une mortalité supplémentairede l’ordre de 100 000 morts. C’estla dernière crise de subsistanceimportante que connaîtra la France.Aux XVIe, XVIIe et jusqu’au débutdu XVIIIe siècle, une pénurie frumen-taire de même ampleur aurait pro-bablement entraîné cinq fois plusde victimes. On a changé d’époqueà la suite de l’amélioration de lasituation économique, du dévelop-pement des routes et de la diminu-tion des impôts après la fin des guerresde Louis XIV. On passe d’annéesde famine, comme en 1693 et 1709, àdes années de restrictions quis’accompagnent néanmoins de pous-sées de mécontentement populaire.Ainsi, en septembre 1740, l’attitude ducar-dinal Fleury, Premier ministre,assiégé par la foule dans son carrosse,inspire des réflexions ironiques : « Lepeuple mourait de faim, le cardinalmourait de peur » (Nicolas, 2008).

Figure 3. Évolution du prix du sétier de froment (en livres tournois) en région parisienne aux quatremarchés traditionnels (Pâques, Saint-Jean, Saint-Martin et Noël) de 1708 à 1710 (d’après Dupâquieret al., 1968). Les prix montent de 10 livres tournois au début de 1708 à un maximum de plus de50 livres à la fin de 1709, après la mauvaise récolte de l’été 1709. Ils reviennent à un niveau d’unequinzaine de livres après la bonne récolte de 1710.

Figure 2. Fluctuations du climat au cours du XVIIIe siècle détectées par la température moyenne d’avril àseptembre à Paris (°C). En rouge et bleu, les séquences chaudes et froides citées dans cet article. Pourchaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal.

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Après 1740,l’apaisement relatifdes crisesde subsistanceViennent ensuite dans le registre de latiédeur les années 1747-1762, avec unepointe de mortalité en 1747 dont lesraisons sont vraisemblablement épidé-miques (Le Roy Ladurie, 2006).Pendant cette séquence de printemps-étés chauds, qui pour les étés s’étendmême jusqu’en 1764, les moissonssont bonnes, en tout cas convenables,à tel point que, sous l’impulsion deChoiseul, le gouvernement royallibère, en 1764, les contraintesqui pesaient sur le commerce du bléet en vient à une sorte de libéralismefrumentaire.

Pendant la période fraîche suivante,1763-1774, l’année 1770 est parti-culièrement remarquable par denombreuses inondations tout au longd’un hiver doux et pluvieux suivipar un printemps et un été frais etpourris (Champion, 1858-1864). À lasuite de la mauvaise moisson de 1770,les prix du grain connaissent une aug-mentation marquée, sans être catas-trophique. Malgré la disette, la mor-talité n’est pas très importante enraison une fois de plus des progrèséconomiques accomplis par la nation.La vision pessimiste d’HippolyteTaine (2011) à propos de la famineguettant sans cesse le bas peuple fran-çais semble quelque peu excessive,même si des difficultés de subsistancese produisent encore de temps àautre. Mais, comme plus tard en 1789,quoiqu’avec moins d’ampleur,l’agitation sociale est très importante,à tel point que le Premier ministreChoiseul est limogé en 1770. Lesvieilles contraintes médiévales, quipara-lysaient plus ou moins le négocedu blé selon les économistes du temps,sont remises en place sous les auspicesde l’abbé Terray, contrôleur généraldes finances.

Les années tièdes 1775-1781 ont étérendues célèbres dans le petit milieudes historiens par la thèse d’ErnestLabrousse (1944) relative à la criseéconomique de ces années-là et de ladécennie 1780 qui, les unes et lesautres, préluderaient par causalitémaléf ique au déclenchement de laRévolution française en 1788-1789.En fait, la vraie crise économiquepréludant à la Révolution ne com-mence qu’en 1788-1789 ; les années

De 1732 à 1740, Réaumur f it desobservations météorologiques chez luià Paris et au cours de ses déplace-ments. Après s’être contenté depublier les extrêmes de chaque mois, ilinsère, à partir de 1735, les tableauxcomplets de ses relevés quotidiensdans le volume annuel de l’Histoire del’Académie royale des sciences.« Depuis que l’on sait faire des thermo-mètres dont les degrés sont compa-rables, depuis qu’on en peut voir dontles degrés ont des valeurs fixes, il m’aparu qu’on serait bien aise de savoir unpeu plus sur les degrés de froid et dechaud de chaque année, que ne nousen apprennent les résultats dont jeviens de parler : qu’on verrait avec plai-sir des comparaisons du plus grandfroid et du plus grand chaud dechaque mois, qui nous apprendraient àcombien de variations est sujet l’étatde l’air dans lequel nous vivons : qu’onserait bien aise, et qu’il nous serait pasinutile de pouvoir comparer ces chan-gements de l’air de notre climat avecceux de l’air de différents climats. C’estce qui me détermina à donnerquelques résultats des observations duthermomètre pour chaque mois del’année ; savoir, une observation duplus grand froid du matin, une obser-vation de plus grand froid de l’après-midi, une observation du plus grandchaud du matin, et une observation

Les premières publicationsde relevés météorologiques

Figure 4. Extrait du Journal de Paris du 1er février 1784 indiquant les données météorologiquesde la veille (encadré) observées à Paris ainsi que la hauteur de la Seine. Sous le titreBienfaisance, le premier article expose les mesures prises par le gouvernement royal enfaveur des plus pauvres durant les grands froids de l’hiver 1784. (Image Hathi Trust DigitalLibrary)

du plus grand chaud de l’après-midi ;et de les disposer dans des tables où lacomparaison des plus grands degrésde froid et de chaud de tous les moisde l’année se pourrait faire d’un coupd’œil. Lorsque je lus la première de cestables à l’Académie, quelques-uns denos Messieurs, et M. de Mairan entreautres, pensèrent qu’il n’en fallait pasrester-là, qu’il convenait de donner lasuite complète des observations duThermomètre pour tous les jours dechaque année. La crainte de grossirnos volumes par des tables, qui sem-blent n’offrir rien d’agréable au lecteur,m’empêcha d’être de leur avis ; mais j’ysuis revenu quand j’ai eu fait plusd’attention aux utilités qu’on pourraretirer de ces sortes de tables, surtoutdepuis que j’ai vu que le nombre desobservateurs du thermomètre se multi-pliait, et que nous avons lieu d’espérerd’avoir des observations faites dans tou-tes les parties du monde et dans leursdifférents climats » (Réaumur, 1735).Par la suite, des séries d’observationsmétéorologiques quotidiennes à Parisparaissent dans deux publications men-suelles, le Journal oeconomique, à par-tir de 1753, et le Journal de médecine àpartir de 1762. Et, depuis ses débuts en1777, le Journal de Paris, plus ancienquotidien français, publie en premièrepage les observations météorologiquesde la veille à Paris (figure 4).

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1778-1781, avec de fortes tiédeursprintanières et estivales, ne sont pasparticulièrement prérévolutionnaires,mais elles sont le théâtre de quatremillésimes de surproduction viticole etde bas prix céréaliers. Ces quatreannées ont des printemps ou des étésplutôt chauds. La surabondance desvendanges de ce quadriennat fait bascu-ler les prix du breuvage vers la baisse.

La séquence fraîche qui suit duredix-huit années, soit de 1782 à 1799.La température moyenne d’avril àseptembre présente un écart négatifde –0,4 °C par rapport à la moyenne1676-2010. Pour les températureshivernales (septembre à mars),cet écart est de –0,8 °C. L’éruption duLaki en 1783 provoque des phéno-mènes de pollution naturelle, avec uneaugmentation de mortalité par lesvoies respiratoires bien entendu enIslande et en Scandinavie et, dans unemoindre mesure, en France et enAngleterre. Elle est suivie par un hiver1784 très froid, avec de graves inonda-tions. La sécheresse de 1785, particu-lièrement marquée en hiver et auprintemps dans le nord-ouest dela France, ne correspond pas à unecanicule, ce qui en limite les dégâts.

Annéesprérévolutionnaireset révolutionnairesPar la suite, le phénomène prérévolu-tionnaire et révolutionnaire devient parlui-même intéressant, c’est évident,indépendamment d’analyses portantsur des périodes plus longues. Lecouple d’années 1787-1788, prépa-ratoire dès avant les États généraux augrand événement révolutionnaire,présente des caractéristiques intéres-santes : pluies excessives durantl’automne 1787, sécheresse au prin-temps et à l’automne 1788, échaudageet canicule de f in de printemps etd’été 1788, violents orages de grêle enjuillet 1788 (Garnier, 2013). La récoltedes grains est médiocre sans êtrecatastrophique. La mortalitén’augmente pas contrairement aux cri-ses de subsistance précédentes (1740),mais les peuples sont dans la rue parmécontentement devant la cherté enville et même à la campagne, sur labase d’une mauvaise récolte, 1788, quise répercute sur l’ensemble de l’annéepost-récolte 1788-1789. La populationdoit aussi subir un hiver 1788-1789

très rude ; le mois de décembre 1788est glacial, avec une températuremoyenne à Paris de –6,8 °C, ce quiconstitue un record de froid pour unemoyenne mensuelle à Paris. Mais cegrand hiver n’aggrave pas la crisefrumentaire bien présente depuis lamoisson de 1788.

En ce qui concerne la causalité de laRévolution française, en 1787-1788,on est en quelque sorte devant ledéclic, la gâchette qui actualiseviolemment les causalités étalées surplusieurs décennies (montée de labourgeoisie et d’une noblesse libéraleet suicidaire). Suivant un mécanismeanalogue, en 1794, un coupd’échaudage lors de l’été achève dedéclencher une mauvaise récolte aumoment même (thermidor) de la chutede Robespierre. Le déficit alimentaireprovoque la classique émeute du prin-temps suivant, parce que le pain estdevenu très cher, d’autant plus qu’endécembre 1794, en pleine période dedisette, les Thermidoriens ont commisl’erreur d’abolir la limitation auto-ritaire du prix des grains. En 1795,l’agitation de prairial (mai) est dure-ment réprimée par la bourgeoisierépublicaine et royaliste de Paris.

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Sur l’histoire du climaten France : le XIXe siècleJean-Pierre Javelle, Emmanuel Le Roy Ladurie1, Daniel Rousseau2

1 Collège de France, 11 place Marcelin Berthelot, 75231 Paris Cedex 052 Conseil supérieur de la météorologie, Saint-Mandé

RésuméCet article présente brièvement lesfluctuations du climat en France auXIXe siècle et aborde l’impact de cesfluctuations sur la société. Le XIXe estmarqué par les dernières crises de sub-sistance qui ont d’importances consé-quences sociales en contribuant auxrévolutions de 1830 et 1848. Le rapiderecul des glaciers alpins après le maxi-mumatteint dans les années 1850 signela fin du petit âge glaciaire.

AbstractAbout history of climate, France,19thcentury

This paper briefly presents the clima-tic fluctuations in France during the19th century and their impact onsociety and some historical events.The19th century is marked by the last foodshortages with serious social conse-quences for French revolutions of 1830and 1848.The retreat of the alpine gla-ciers after the 1850s maximum cor-responds to the end of the Little IceAge.

P our le printemps et l’été (moisd’avril à septembre), le XIXe sièclecommence par une séquence tiède

de 1800 à 1808, avec un écart de 0,3 °Cau-dessus de la température moyenne àParis calculée sur la période 1801-1900(figure 1). Néanmoins, la récolte de bléde 1802 est déficitaire, conséquence del’enchaînement d’un automne 1801 trèspluvieux, avec d’importantes crues de laSeine, du Rhin, de la Saône et de laGaronne en décembre 1801 et janvier1802, d’un mois de janvier froid et d’unprintemps sec. Grâce aux mesures diri-gistes prises par Bonaparte et auximportations, la disette provoquée par lahausse des prix du froment reste limitée(Le Roy Ladurie, 2006). Ainsi, le prixmoyen national de l’hectolitre defroment atteint un maximum de25,19 francs en 1802, contre 20,34 en1800. De 1804 à 1808, les chaleursestivales et printanières favorisent lesbelles récoltes. Le prix de l’hectolitre defroment reste constamment en dessousde 20 francs (Labrousse et al., 1970)

Les conséquences del’éruption du TamboraLa série d’années 1809-1817 connaîtdes printemps-étés nettement plusfrais. À Paris, la température moyenned’avril à septembre se situe 0,9 °C au-dessous de la séquence précédente1800-1808 et 1 °C au-dessous de lasuivante 1818-1835. En revanche, lamoyenne des températures hivernalesest très proche de celle des séquencesprécédente et suivante. L’année 1811se distingue nettement par ses tempé-ratures élevées au printemps, enautomne et, dans une moindre mesure,en été. Ainsi, avec 12,7 °C, le prin-temps 1811 est le plus chaud enregis-tré à Paris des 30 années 1782 à 1821.Les vendanges à Dijon sont précoces(12 septembre). Mais, pour les céréa-les, cet épisode chaud n’a pas deconséquences bénéf iques, bien aucontraire, à la suite de dégâts provo-qués par les orages dans le nord de laFrance et par l’échaudage dans le sud.Les mesures dirigistes n’empêchent pasle prix du froment de doubler à Parisentre novembre 1811 et avril 1812. Lesépidémies frappent les populations défa-vorisées, affaiblies par la sous-alimenta-tion. La crise agricole a des répercussionsdémographiques importantes : hausse desdécès (environ 60 000 morts supplémen-taires en 1811-1812), baisse des mariageset des conceptions (Rollet, 1970). Lesémeutes qui affectent les grandes villesau printemps 1812 sont brutalementréprimées en Normandie. Ainsi, à Caen,six révoltés sont fusillés, dont deux fem-mes (Le Roy Ladurie, 2006). L’hiver1813-1814 est un des plus rigoureux duXIXe siècle, avec un écart de températuremoyenne de 2,3 °C au-dessous de la tem-pérature moyenne des hivers du siècle.

L’éruption volcanique du Tambora dansl’île indonésienne de Sumbawa, le10 avril 1815, est probablement la plus

Figure 1. Fluctuations du climat au cours du XIXe siècle détectées par la température moyenne d’avril àseptembre à Paris (d’après Le Roy Ladurie et al., 2011). En rouge et bleu, les séquences chaudes etfroides. Pour chaque séquence, la moyenne est indiquée par un trait horizontal. Certaines annéessignalées dans le texte sont repérées sur le graphique.

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forte et la plus meurtrière du derniermillénaire. Elle a des conséquences surl’ensemble de la planète, les années 1816et 1817 étant particulièrement fraîchesavec des crises de subsistance dans devastes régions de l’hémisphère Nord(Post, 1977). À Londres, on observe deslevers et couchers de soleil très colorésdès la fin juin 1815 et, dans le nord-estdes États-Unis, un brouillard sec persis-tant au printemps et en été 1816. EnEurope et en Amérique du Nord, l’année1816 est restée dans les mémoires popu-laires comme « l’année sans été »(Stothers, 1984). À Paris, la températuremoyenne des trois mois d’été juin, juilletet août (15,3 °C) est la plus basse de lapériode pour laquelle on dispose demesures thermométriques (1658-2015).Les vendanges sont très tardives, le25 octobre 1816 à Dijon, et les récoltesde blé sont déficitaires. Le prix moyennational annuel de l’hectolitre de blégrimpe de 19,53 francs en 1815 à 26,17en 1816 pour atteindre un maximum de36,16 francs en 1817. L’augmentation desdécès reste limitée, mais la diminution dunombre de mariages et de naissances estnettement plus sensible (Le Roy Ladurie,2006). On peut noter que les informa-tions sur l’éruption du Tambora mettentplusieurs mois pour atteindre la France,contrairement à ce qui se passera pourune autre éruption importante d’un vol-can indonésien, le Krakatoa en 1883,connue quelques jours après grâce autélégraphe électrique, bien qu’elle soitnettement moins violente. On ne réaliseral’importance de l’influence des éruptionsvolcaniques sur le climat qu’au début duXXe siècle (Stothers, 1984).

Cette séquence fraîche 1809-1817 pro-voque, avec un délai de quelquesannées, un fort maximum des glaciersalpins. Ainsi, après un net recul à la findu XVIIIe siècle, de 400 m entre 1778et 1795, la mer de Glace connaît uneavancée, très accentuée au cours de laseconde moitié des années 1810, pourculminer en 1821 à 560 m au-delà de laposition atteinte en 1795. Dans la valléede Chamonix, les villages d’Argentièreet des Bois sont alors menacés(Mougin, 1912).

Disettes et révolutions1818-1835 est une période tiède avec desprintemps-étés chauds et secs favorablesaux céréales, dans laquelle on distingueune phase plus fraîche et plus humide de1827 à 1831. D’après Garnier (1974),de 1827 à 1831 les pluies annuelles àParis avoisinent ou dépassent 600 mm,

nettement plus que les groupes d’annéessuivantes et précédentes. Les très médio-cres moissons de 1827, 1828, 1830 et1831 favorisent une agitation populaireparticulièrement marquée à Paris enjuillet 1830 : Trois Glorieuses, chute deCharles X et avènement de Louis-Philippe (Clément, 2015). L’hiver 1829-1830 est celui dont la températuremoyenne à Paris est la plus basse enregis-trée sur la période 1658-2015. La Seineest gelée du 28 décembre au 6 janvier etdu 5 au 10 février. La révolte lyonnaisedes canuts en 1832 s’inscrit aussi dans cecontexte de cherté du blé à la suite d’unesérie de mauvaises récoltes. Le prix dufroment chute ensuite, grâce aux bellesrécoltes des étés chauds de 1832, 1834et 1835. Et, avec un décalage dequelques années sur la période tiède1818-1835, le front de la mer de Glacerecule de 359 mètres entre 1822 et 1842.

Pendant la séquence fraîche 1836-1856,l’importante pluviosité de l’année 1839,particulièrement au mois de juin, sembleêtre responsable de la récolte de blé défi-citaire qui a été suivie d’émeutes de sub-sistance dans l’ouest et le centre de laFrance, de l’automne 1839 jusqu’au prin-temps 1840. Fin octobre et début novem-bre 1840, une crue exceptionnelle duRhône et de la Saône cause des dégâtsconsidérables, en particulier à Avignon(Champion, 1862).

En 1845, année très fraîche et plu-vieuse, le rendement du froment chute ànouveau. Comme le note le grand histo-rien de la Monarchie de Juillet Paul

Thureau-Dangin (1892), la médiocrerécolte de 1845 n’avait pas laisséd’excédent de grains, ce qui a aggravé leseffets économiques, sociaux et politiquesde la très mauvaise récolte de céréales en1846 provoquée par un phénomèned’échaudage qui a frappé la plupart despays d’Europe centrale et occidentale. Eneffet, 1846 est une année chaude, avec unété sec et caniculaire qui se classe, pourl’hémisphère Nord, parmi les douze étésles plus chauds des 600 dernières années(Briffa et al., 2004). À Paris, la tempéra-ture du mois de juin 1846 se situe à3,5 °C au-dessus de la moyenne 1801-1900. Circonstance aggravante, la pro-duction de pommes de terre baisse deplus d’un tiers à cause de la maladie quifait des ravages dans toute l’Europe duNord. Par ailleurs, la Loire et sesaffluents connaissent des inondationscatastrophiques en octobre 1846(Champion, 1861). En dépit d’un ensem-ble de mesures gouvernementales, le prixdu blé augmente fortement pour atteindre29,01 francs en moyenne annuelle en1847, soit 50 % de plus qu’en 1845. Lesémeutes qui se multiplient dans l’ouest etle centre de la France sont sévèrementréprimées et trois condamnations à mortsont prononcées dans l’Indre. EnBourgogne, les déficits des récoltes decéréales, de maïs et de pommes de terresont aggravés par des phénomènesd’accaparement et de spéculation(Lévêque, 1983). La disette provoque unecrise monétaire, à cause des importationsde blé depuis la Russie et d’autres pays, etse transforme en une crise économiquequi touche différents secteurs comme la

Figure 2. La vallée de Chamonix vue du Chapeau. Au premier plan, séracs de la langue terminale de lamer de Glace. On distingue aussi le glacier des Bossons. Cette photo des frères Bisson date de 1860, huitans après le début de la décrue et une dizaine d’années après les premières photographies de la mer deGlace (Nussbaumer et al., 2012). Photo : Digital image courtesy of the Getty’s Open Content Program.

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L’examen de l’évolution des glaciersalpins met en évidence une croissancequi a débuté vers 1300, pour atteindredes valeurs maxima vers 1370, puis ànouveau vers 1665 et enfin dans lesannées 1850. Depuis lors, on assiste àun retrait généralisé des glaciers. Lapériode qui s’étend du XIVe au milieudu XIXe siècle a été dénommée petitâge glaciaire (PAG), bien que les posi-tions maximales occupées par les gla-ciers alpins pendant le PAG soient trèsloin des positions atteintes pendant ledernier âge glaciaire. Si les fluctua-tions de l’avancée des glaciers cor-respondent plus ou moins, avecquelques années de retard, aux fluc-tuations multidécennales des tempéra-tures moyennes (Rousseau, 2013), ilest beaucoup plus difficile de caracté-riser le PAG du point de vue clima-t ique. En ef fet, les élémentsclimatiques conditionnant l’évolutiondes glaciers sont nombreux, parmi les-quels la température, les précipitationset l’ensoleillement. Ils interviennentnon seulement par leur valeur, maisaussi par leur répartit ion dans letemps.

Concernant la relat ion entrel’extension des glaciers et la tempéra-ture, l’examen des moyennes men-suelles des températures relevées àParis depuis 1658 permet une compa-raison entre les températures durant lapériode du PAG, que l’on suppose seterminer en 1856, année qui cor-respond à la fin d’une séquence fraî-che (Le Roy Ladurie et al., 2011), et lespériodes suivantes. Les moyennes destempératures mensuelles à Paris ontainsi été calculées pour troispériodes : 1658-1856, période incluse

dans le PAG, 1857-1987, période in-termédiaire, et 1988-2015, périodependant laquelle les effets du réchauf-fement climatique sont clairementdétectables.

La période 1, 1659-1856, comportehuit f luctuations successives deséquences d’années plutôt chaudes etplutôt froides. La période 2, 1857-1987, comporte trois fluctuations suc-cessives. La période 3, 1988-2015, necomporte qu’une séquence chaude.

La figure 3 fournit les différences destempératures moyennes de chaquemois entre la période 1 (PAG) et lapériode 2, ainsi qu’entre la période 3(réchauf fement cl imatique) et lapériode 2. Entre la période 2 et lapériode 1, aucune différence impor-tante de température n’est constatéed’avril à septembre, durant la périodevégétative conditionnant les récoltes.Les relevés des dates de vendangesconfirment d’ailleurs les données desthermomètres. Ainsi, la moyenne desdates de vendange à Beaune est prati-quement la même pour la période 1(25 septembre) et la période 2 (27septembre). L’expression petit âge gla-ciaire est donc assez peu adaptée à ladescription d’une grande partie del’année. En plein PAG, on a mêmeconnu des étés caniculaires, commecelui de 1540 qui a pu être comparé àl’été caniculaire de 2003 (Wetter etPfister, 2013).

Ce n’est que pour le mois de janvier etle mois de mars que les moyennesmensuelles des périodes 1 et 2 dif-fèrent de plus de 0,5 °C. Pour cesdeux mois, les figures 4 et 5 indiquentla distribution des températures. La

1. Retour sur le petit âge glaciaire

Figure 3. En bleu, écart (en °C) de la température moyenne mensuelle 1658-1856 à Paris à la tempé-rature moyenne mensuelle 1857-1987 (en marron). En rouge, écart (en °C) de la températuremoyenne mensuelle 1988-2015 à la température moyenne mensuelle 1857-1987.

construction des chemins de fer etl’industrie textile. Parmi les causes com-plexes de la révolution de 1848, la criseéconomique née de la mauvaise récoltede 1846 a joué un rôle certain (Thureau-Dangin, 1892). Pour la France, il s’agit dela dernière crise de subsistance de grandeampleur causée par un aléa climatique.Par la suite, l’impact sur la vie socialed’une mauvaise récolte devient beaucoupmoins important grâce aux importationsde céréales facilitées par le chemin de feret, pour le blé américain, par la naviga-tion à vapeur.

En mai et juin 1856, les inondationscatastrophiques de la Loire sont les plusimportantes qui se soient jamais produi-tes en aval du confluent avec l’Allier(Dacharry, 1996) et le Rhône connaîtaussi une crue extrême qui détruit denombreuses digues et cause de trèsimportants dommages (Pichard etRoucaute, 2014).

La fin du petit âgeglaciaireAprès une phase de retrait, une nouvelleavancée de la mer de Glace se déclencheà partir de 1842 pour culminer en 1852,ce maximum étant presque aussi impor-tant que celui de 1821, à quelques dizai-nes de mètres près. Quant au glaciersuisse de Grindenwald, il atteint en 1855un maximum un peu plus marqué quecelui de 1821. On considère générale-ment que les années 1850 marquent la findu petit âge glaciaire (figure 2).

La séquence tiède 1857-1876 débute parune succession de beaux étés 1857, 1858et 1859 qui favorisent de bonnes récoltesde blé et des vins de qualité. Mais la cani-cule de 1859 et l’épidémie de dysenterieassociée provoquent 100 000 morts sup-plémentaires. En septembre 1866, laLoire connaît une nouvelle crue histo-rique, particulièrement importante danssa partie amont. La chaleur de l’été 1868favorise une abondante récolte de céréa-les et des vins de qualité exceptionnelle.En décembre 1871, le froid intense(–0,7 °C de température moyenne) faitsouffrir les Parisiens assiégés par lesPrussiens. En juin 1875, causée par defortes pluies s’ajoutant à la fonte des nei-ges, une crue historique de la Garonneprovoque des centaines de morts etdétruit des milliers de maisons.

La séquence fraîche 1877-1891 cor-respond à l’arrêt du recul des glaciersalpins constaté vers 1880, stabilisationqui durera jusqu’aux années 1930. Avec

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Figure 6. Les Glaçons est l’un des tableaux exécutés par Claude Monet à Vétheuil en observant ladébâcle sur la Seine, à la fin de la longue période de froid intense de l’hiver 1879-1880. University ofMichigan, Museum of Art, tableau acquis grâce à la générosité de Russell B. Stearns (ancien élève,1916) et de son épouse Andree B. Stearns, Dedham, Massachusetts.

une température moyenne de 8,8 °C,l’année 1879 est la plus fraîche obser-vée à Paris de 1741 à nos jours. La pro-duction végétale de 1879 est déficitairesuite à un printemps et un été frais,Pendant l’hiver glacial 1879-1880, laSeine reste gelée du 9 décembre au2 janvier (figure 6). Une température de–25,6 °C est relevée le 17 décembre1879 à Paris, mois qui, avec une tempé-rature moyenne de –6,5 °C, se situe au2e rang des mois les plus froids à Parisaprès décembre 1788. En janvier, lesdébâcles de la Loire et de la Seine pro-voquent des dégâts considérables,notamment la destruction d’une partiedu pont des Invalides à Paris. L’hiver1890-1891 est aussi très rigoureux. Ilest très précoce dans le nord de laFrance, la température à Paris restantnégative presque sans discontinuer du26 novembre 1890 au 15 février 1891.

Figure 4. Distributions des moyennes mensuelles de température du mois de janvier pour les troispériodes étudiées. Le trait rouge vertical correspond à 0 °C.

Figure 5. Distributions des moyennes mensuelles de température du mois de mars pour les troispériodes étudiées. Le trait rouge vertical correspond à 8 °C.

fréquence d’occurrence des mois dejanvier avec une moyenne négativedes températures illustre bien ces diffé-rences entre les trois périodes (figure4). La période 1 compte 41 mois dejanvier à température moyenne infé-rieure à 0 °C sur 198, soit 22 % desmois de janvier. La période 2 compte12 mois de ce type sur 131, soit 9 %des mois de janvier. La période 3 necompte aucun mois de janvier detempérature moyenne négative.Concernant la distribution des tempé-ratures, la période du PAG se distinguedonc de la période suivante par uneproportion plus importante de mois dejanvier glacials (de l’ordre d’un hiversur cinq).

La faible fréquence de mois de marsdoux pendant le PAG est mise en évi-dence sur la figure 5 en examinant lafréquence des mois de températuremoyenne supérieure à 8 °C. Dans lapériode 1 appartenant au PAG, seule-ment 17 % des mois de mars sont dansce cas, alors que la fréquence est de32 % pour la période intermédiaireet qu’el le s’élève à 77 % dans lapériode 3.

Plus grande fréquence de vagues defroid intense en janvier et prolonge-ment très fréquent des températuresbasses jusqu’au mois de mars sontainsi les particularités du PAG décela-bles sur les relevés des températures.Par contre, pour les autres mois, les dis-tributions des températures durant lePAG sont très proches des distributionsdes températures de la période qui vade 1857 à 1987. Au-delà de 1987, unréchauffement généralisé de tous lesmois de l’année est constaté.

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Le froid est particulièrement marqué enjanvier dans le sud de la France. Ainsi, àArles, le Rhône est pris par les glacesdu 8 janvier au 2 février. Le gel pro-longé, sans couche de neige protectrice,endommage les semis, ce qui conduit à

À partir des années 1850, l’extension duréseau télégraphique permet l’échangerapide des observations météorologiqueset la diffusion d’avertissements et de pré-visions. En France, l’astronome Urbain LeVerrier (1811-1877) met en place àl’Observatoire de Paris un service demétéorologie télégraphique, conçud’emblée à l’échelle de l’Europe, quifonctionne quotidiennement à partir de1857. Dans le domaine de l’étude du cli-mat, Le Verrier accomplit aussi uneœuvre considérable en installant unréseau d’observation pérenne, alors queles initiatives des siècles précédents,comme l’Academia Del Cimento au XVIIe,le réseau de l’Académie de médecine etcelui dela Société météorologique pala-

tine au XVIIIe n’ont pas duré plus d’unedizaine d’années. Il s’appuie sur les éco-les normales d’instituteurs, auxquellessont fournis des instruments de préci-sion, et crée les commissions météorolo-giques départementales chargées decoordonner les observations bénévolesd’orages. Les observations sont publiéeschaque année, sous la forme de tableauxet de cartes, dans les Atlas météorolo-giques de l’Observatoire de Paris. Sousl’impulsion d’Alfred Angot (1848-1923),le Bureau central météorologique(BCM), créé en 1878, développe les obs-ervations et les études climatologiquesqui paraissent dans les Annales duBureau central météorologique deFrance, en intégrant notamment les obs-

ervations du réseau pluviométrique misen place par l’administration des Ponts etChaussées à partir de 1871. Il lance aussiun grand programme d’observationsphénologiques (développement desplantes et migrations des oiseaux) dansles stations météorologiques.

En 1900, pour la France métropolitaine,le service de climatologie du BCM reçoitmensuellement les données fournies par19 observatoires, dont 4 observatoiresde montagne, 83 écoles normales,31 sémaphores, 21 phares et 45 stationsfaisant au moins trois observations parjour, ainsi que les relevés de précipita-tions effectués par 2032 stations pluvio-métriques (Bouquet de la Grye, 1902).

2. Le développement des réseaux climatologiquesà la fin du XIXe siècle

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Bibliographie

une moisson déficitaire. Mais, grâceaux importations, les prix des céréalesn’augmentent pas.

Le XIXe siècle se termine par une sé-quence tiède qui va de 1892 à 1901,

avec une série de beaux étés accompa-gnés de moissons abondantes et de vinsde qualité, mis à part des dégâts causésaux céréales par la sécheresse et lachaleur pendant l’été 1893.

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Impact du climatsur la mortalité en France,de 1680 à l’époque actuelleEmmanuel Le Roy Ladurie1 et Daniel Rousseau2

1 Institut de France, 75270 Paris2 Conseil supérieur de la météorologie

RésuméGrâce aux témoignages historiques,aux estimations des démographes et àdes mesures météorologiques éparses,les principales anomalies climatiquesintenses depuis 1680 ayant eu desconséquences sur la mortalité fran-çaise sont identifiées et commentées.De grands froids et des canicules, parleurs effets directs, mais aussi desconditions météorologiques défavora-bles aux récoltes et des étés trèschauds et secs favorables aux épidé-mies ont été à l’origine d’excédentsde décès durant l’Ancien Régimepouvant dépasser 100 000 victimes etallant même jusqu’à 1 300 000 lorsdes famines de 1693-1694. Pour leXXe siècle et le début du XXIe, grâceaux données météorologiques etdémographiques mensuelles pourl’ensemble de la France, les relationsentre les fluctuations des tempéra-tures et celles des décès peuvent êtremises en évidence plus précisément.Tous les hivers et occasionnellementdes canicules exceptionnelles sontencore responsables d’excédents dedécès dépassant la dizaine de milliers.

AbstractClimatic impact on mortality inFrance from 1680 up to now

We have used historical data, demo-graphers’ estimates and variousmeteorological measurements toidentify and to comment the mostintense climatic anomalies, the onesthat had visible consequences onFrench mortality. We were particu-larly interested in severe winters andheat waves and their direct conse-quences on humanmortality.We havealso looked at indirect effects such asweather unfavourable to cereal har-vests causing mortality through grainscarcity, famines and collateral epide-mics due to malnourishment. For theperiod before 1850 we have onlyconsidered mortalities above 100,000persons. For the period 1850 to 2007,monthly meteorological and demo-graphic data were available and so weobtained a more precise relationshipbetween fluctuation of temperaturesand mortality. All winters and somesevere heat waves are still responsiblefor yearly excesses of mortality grea-ter than 10,000 people.

À vue d’historien, le climat ni lamort ne se peuvent regarder fixe-ment, pourrait-on dire en para-

phrasant La Rochefoucauld(1). La mortpour les raisons que chacun connaît. Leclimat, parce que son histoire, en termesd’historiographie justement, a été long-temps négligée, et qu’elle présentemaintes embûches et difficultés spéci-fiques. D’où, incidemment, la susditenégligence.

Nous voudrions ici nous en tenir au pro-blème des grandes ou parfois moinsgrandes mortalités d’origine météorolo-gique intervenues de 1680 à nos jours ;soit mortalités caniculaires, ou encorehivernales ; ou liées à la disette voire à lafamine, les subsistances céréalières ayantfait défaut pour cause de médiocres mois-sons, elles-mêmes induites par lesattaques d’un grand hiver (1709) oucelles de la pluie (1692-1693) ; ou encorecelles de la canicule avec sécheresse etéchaudage (1846) et puis les événementsde 2003, soit 15 000 victimes en Francepour cause de mois d’août excessivementbrûlant, confèrent quelque actualité ànotre entreprise.

La surmortalité sousl’Ancien RégimeSous l’Ancien Régime, notammentl’Ancien Régime économique, hérité duMoyen Âge et qui prend fin vers 1860, larelation du climat et en général des condi-tions météorologiques (le temps qu’il fait,inévitablement variable), vis-à-vis de lamortalité, peut prendre deux formes :

– relation directe, les conditions météoro-logiques peuvent tuer sans ambages paraction de la canicule (1719) ou du gel(1684), autrement dit du grand froid ; lapluie enfin ne joue qu’un faible rôle dansce genre de relation directe, si l’on met àpart le cas spécial des inondations, certestueuses d’hommes elles aussi ;– relation indirecte par la médiation dessubsistances ; en Europe, il s’agit descéréales ; du « blé », lui-même étant unnom générique pour le froment et aussipour d’autres grains panifiables (seigle,etc.). L’action négative des conditionsmétéorologiques, quand elle est contraireaux intérêts agricoles et humains, pro-voque la famine, ou la simple disette quipeut tuer elle aussi.

Cela se joue non point à deux (grand hiverou canicule, d’où morts assez nombreu-ses), cas de la relation directe, mais à trois,en fonction des ennemis du blé qui sont :– l’excès de pluie (exemple : disette de1740) ;– le gel long et rude (exemple : 1709) ;– l’échaudage(2)-sécheresse (exemple :1846).

Le tout pouvant se prêter à des combinai-sons variées ; les plus fréquentes étant« grand hiver plus énormes pluies deprintemps et d’été, éventuellement froi-des » (1740) ; ou encore « échaudage-sécheresse de fin de printemps et dedébut d’été, le tout suivi ou accompagnéd’intempéries estivales » (1811).

(1) La Rochefoucauld : « Le soleil ni la mort ne sepeuvent regarder fixement ». Maximes et pensées.Éditions André Silvaire, Paris, 1991.(2) Accident de croissance des grains de céréalesprovoqué par un excès de chaleur lorsque le grainn’est pas encore mûri.

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La famine de 1693Commençons par la famine de 1693 ;c’est pour l’essentiel une disette pous-sée à l’extrême, due à la pluie (1692-1693) et au froid avec quand même unpetit coup d’échaudage (1693) par-dessus le marché. Elle se situe dans lecadre du minimum de Maunder (1645-1715), et plus spécialement du LateMaunder Minimum ou LMM (1675-1715). « Grève » des taches solaires àla surface de notre étoile, à laquelle uncertain nombre de climatologues attri-buent la baisse des températures à lasurface de notre globe, notamment enEurope, France incluse (Bard et al.,1997).

Les séries thermométriques de Manley(Hulme et Barrow, 1997) et Legrand(Legrand et Le Goff, 1992), en particu-lier, enregistrent les fraîcheurs et lesfroidures de la f in du XVIIe siècle(1687- 1700) avec beaucoup de force(figure 1), et les dates de vendangesdijonnaises prennent une douzaine dejours de retard pendant les années1690, par contraste avec les années1680 dont les récents travaux deValérie Daux (Le Roy Ladurie etVasak, 2007) montrent que certainesannées y furent très réchauffées parrapport à ce qui surviendra aucontraire dans le registre du froid etparfois du glacial, postérieurement à1687. Les causes immédiates de lacatastrophe de 1693-1694 tiennent auxtrès fortes pluies par temps frais oufroid de l’été et de l’automne 1692 ;récolte des grains 1692 abîmée déjà ;surtout semailles ratées dès l’automne1692. Les charrues n’entrent plus dansles terres excessivement détrempées.La série noire, si l’on peut dire, conti-nue en 1693, pluies au printemps etdébut d’été avec un petit coupd’échaudage en août pour compléter letableau. C’est « la cerise sur legâteau ». D’où gros déf icit de la

récolte de 1693 : manque de grain etde pain. Un certain nombre de person-nes meurent directement de faim ; mais,pour l’essentiel, ce sont les épidémies,favorisées par la sous-alimentation, quiaggravent considérablement la morta-lité, vraisemblablement typhus, dysen-terie, fièvres diverses, puisque la pestea disparu du territoire national (sauf unpeu plus tard, localement, à Marseilleen 1720). Les bandes de mendiantspromènent l’infection contagieuse toutau long des routes et des villes duroyaume. Les pauvres sont évidem-ment les principales victimes ; mais lesriches ou les aisés ne sont pas néces-sairement épargnés par les épidémies,et parfois du fait de la sous-alimenta-tion, elle aussi. Au terme de calculsbasés sur les données de l’époque etsur les travaux de l’Institut nationald’études démographiques (Ined),Lachiver (1991) évalue le nombre desmorts supplémentaires en 1693 et 1694(c’est-à-dire notamment pendant la

diff icile année post-récolte 1693-1694) à 1 300 000 personnes, soit5,8 % de la population française dansle cadre virtuel de l’Hexagone contem-porain, lui-même matriciel de nos sta-tistiques démographiques (figure 2).C’est de très loin la plus grande cata-strophe démographique qu’ait éprou-vée la France depuis les années 1680jusqu’à nos jours ; une France, rappe-lons-le, qui comptait 20 à 22 millionsd’habitants selon les années àl’époque ; un désastre mortel pire queceux qu’engendreront les guerres de laRévolution et de l’Empire, celles de1870, de 1914-1918 et de 1939-1945.Les meilleurs esprits de l’époque,Vauban, Fénelon…, en même tempsque l’opinion publique, ont sévèrementaccusé le coup. Sévèrement à l’encontredu Roi Soleil, ce qui était quelque peuinjuste, car la guerre de la Ligued’Augsbourg (1688-1697) qu’il menaitenvers et contre tout, était loin d’être laseule responsable du malheur public.

Morin Renou13

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Moyenne annuelle des températures de 1681 à 1710

Tem

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atu

rem

oyen

ne

en°C

Figure 1 - Des températures moyennesrelativement basses sont observées

entre 1687 et 1700, tant dans la série de Manley(en Angleterre centrale) que dans celle de Morin

reconstituée par Legrand (pour Paris).

Figure 2 - Évaluationdu nombre de décès annuelsen France de 1680 à 1719.

À noter en particulier les pointesinitiées par des aléas climatiques.

1 700 000

1 600 000

1 500 000

1 400 000

1 300 000

1 200 000

1 100 000

1 000 000

900 000

800 000

700 000

600 000

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1700

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1712

1714

1716

1718

Nombre de décès en France de 1680 à 1719(D'après M.Lachiver)

1693-1694

1709-1710

1705-1706-1707

1719

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27La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Le grand hiverde 1708-1709L’hiver glacial et mortel de 1708-1709est préparé, peut-être, par quatre érup-tions volcaniques, Vésuve et Santorin enzone proche (méditerranéenne) ;Fujiyama, au Japon, et piton de laFournaise, dans l’île de la Réunion. Ceséruptions, qui se prolongent éventuelle-ment jusqu’en 1708 inclusivement, sont-elles largement responsables del’empoussiérage de l’atmosphère régio-nale et terrestre, ainsi qu’éventuellementde la baisse des températures enregistréedès 1708 lors du grand hiver de 1708-1709 ? Marcel Lachiver (1991) dénom-bre sept vagues de froid hivernalde 1708-1709 : les premiers gels du19 au 27 octobre 1708 ; puis du 18 au25 novembre ; ensuite du 5 au 12 décem-bre ; l’épreuve cruciale, la plus destruc-trice, du 5 au 24 janvier 1709 ; puis du4 au 10 février ; ensuite du 22 février1709 au dernier jour de ce mois et enfinla septième fois du 10 au 15 mars. Le20 janvier 1709, on plonge à -20,5°(minimum) à Paris. La récolte des blésd’hiver est fortement amputée ; lessemailles d’orge de printemps permet-tront, si l’on peut dire, de parer au grain ;ce qui n’empêchera pas une véritablefamine avec à la limite un quintuplement(sic) des prix du froment. Le déficitdémographique calculé par Lachiver(1991) selon les mêmes méthodes qu’en1693 est de 600 000 personnes décédéesen plus de la normale.

Les étés caniculairesdu XVIIIe siècleL’hiver de 1709 s’intercale lui-mêmeentre deux phases caniculaires. D’abordles années 1705,1706 et 1707. Elles sontmarquées, à des degrés divers, pendantl’été, par de très fortes poussées calori-fiques, d’où grosse moisson, prix du blétrès bas, dont se félicitent les populationsmalgré la guerre de succession d’Espa-gne. Mais les canicules tuent : à l’échellefrançaise, sur la base des travaux deLachiver, on peut estimer les pertes à200 000 personnes environ en trois ans(1705, 1706 et 1707). Cet excédent dedécès résulte d’épidémies meurtrières,dont on peut penser que certaines (dysen-terie en 1706 et 1707 notamment) ont étéfavorisées par les épisodes de très fortesécheresse et chaleur estivale, parl’infection des rivières et des nappesphréatiques devenues trop basses et tropsensibles à l’invasion des germes patho-gènes.

Dans le même esprit, arrêtons-nous,parmi ces groupes d’années surchauf-fées, sur un couple brûlant, un véritablethermocouple : le biennat estival chaudet sec de 1718-1719 ; vendanges préco-ces, les plus précoces en duo (depuis lequatuor de 1683-1686), avec sauterellesafricaines jusqu’en Languedoc. Cemême biennat torride provoque en1719 la pollution des eaux devenuestrop rares et d’autant plus sales, et lesdéshydratations infantiles et autres. Ilest générateur d’une terrible épidémiede dysenterie qui contribue à l’énormemortalité du moment, soit plus de400 000 morts supplémentaires en laseule année 1719 ; les maxima mortelsse situant de mars à novembre, avecculmination, bien sûr, pendant l’été, enjuillet, surtout août et quelque peu lorsdes semaines ultérieures (Le RoyLadurie, 2004).

On retrouvera une autre canicule consi-dérable, quoique moins marquée etmoins meurtrière, mais pas négligea-ble, en 1747, avec un excédent morteld’environ 200 000 personnes ; onn’atteint pas à la gravité des grandesfamines louis-quatorziennes ni de ladysenterie de 1719, mais on est assezproche des chiffres de 1704-1707 surune seule année et non pas sur trois ans.Les causes de cette très forte pointe demortalité sont variées ; mais l’essentielsemble venir d’une dysenterie canicu-laire recensée comme telle quant à sescaractères et à ses causes, cela en liai-son avec la chaleur et la sécheresse,elles-mêmes installées sur l’Hexagoneet sur la Belgique, de la mi-août 1747jusqu’au mois d’octobre. Épidémie dedysenterie de grande ampleur ! (Le RoyLadurie, 2006).

Après deux années de chaleur, notam-ment estivale et automnale, 1778 et1779, les épidémies de dysenterie sedéclenchent, à force d’ardeur solaire, àpartir du début septembre 1779, daterepérée dans le nord de la France ; lenombre des morts s’établit à environ200 000 personnes au-dessus des chif-fres normaux moyens annuels desmorts de la décennie 1770-1779. Or iln’y a aucune crise de subsistance envue ; jamais le blé n’a été aussi bonmarché et les agriculteurs s’en plai-gnent même. C’est bien un phénomènede pure météorologie tueuse, la chaleuragissant directement de façon létale surla santé publique.

Le XVIIIe siècle serait-il ainsi essentiel-lement caniculaire ? En fait, il y a éga-lement de grandes mortalités dues audéficit frumentaire(1) (1693-1694) que

provoque l’excès des pluies tel qu’enre-gistré en 1692-1693. On est là dansdes famines de type classique depuisle Moyen Âge et depuis l’époque« moderne », famines de 1315 et de1661, extrêmement agressives. En1740 (grand hiver plus pluies ultérieu-res) et en 1770 (forte pluviométrie), onest en présence d’un véritable assautaqueux contre la production du blé avecdes conséquences mortalitaires assezimportantes, même si l’on n’en est plusau million de morts des années 1693-1694.

1740 et 1770 :vent, froidure,pluie et disette1740 : un très grand hiver, très froid ;un printemps très froid lui aussi ; unété très frais, très pluvieux sur le tard ;enf in en automne un déluge. Uneannée agricole désastreuse, avec demauvaises conséquences démogra-phiques.

Bilan : 100 000 morts supplémentaires(ordre de grandeur) en 1741, l’annéequi a suivi les mauvaises récoltes de1740 et au cours de laquelle la disettes’est fait le plus sentir, par comparai-son avec les chiffres encadrants de1740 et 1742, (Le Roy Ladurie, 2006) ;rôle des épidémies collatérales, donc àbase de sous-alimentation et de dénu-trition également. Il y a un progrès(2)

par rapport à l’époque de Louis XIV(100 000 morts au lieu d’un million),mais l’impact est encore assez impor-tant, moins grave pourtant que dans lecas des canicules susdites.

1770 : une année froide et fraîche, ven-danges très tardives ; 196 jours depluie, de décembre 1769 à novembre1770 ; mauvaise récolte céréalière ;prix des grains très élevé ; on estobligé de renoncer à la liberté du com-merce des grains, c’est la chute deslibéraux, en particulier de Choiseul,remplacé au ministère par Maupéou etTerray, qui remettent en place lescontrôles frumentaires ; et au total unredémarrage de la mortalité en 1770 et

(1) Relatif au froment et aux céréales panifiablesen général.(2) Cause de ce progrès : légère augmentation dela productivité agricole, construction de routesqui permettent de ravitailler les régions déficitai-res, transports maritimes plus efficaces, circula-tion de monnaies d’or et d’argent et de crédit plusintense, etc.

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28 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 3 - Durant la période relativement tièdede 1787 à 1811, on observe un maximum relatif

de température moyenne annuelledans les années 1788, 1794 et 1811,

marquées par des canicules,dans la série de Manley (Angleterre centrale),

comme dans celle de Renou (Paris).À noter aussi le minimum relatif de température

en 1816, l’année « sans été ».

surtout 1771 ; mais il n’est plus ques-tion de famine ultramortalitairecomme au temps de Louis XIV.L’économie française a beaucoup pro-gressé depuis le « Roi Soleil » (Le RoyLadurie, 2006).

Prérévolution,révolutionet première moitiédu XIXe siècleNous en arrivons maintenant à lapériode immédiatement prérévolution-naire, puis révolutionnaire, enfin impé-riale (Premier Empire). Nous disposonsalors, sur les courbes thermiques deManley (1974) et de Renou (1887),d’une série d’années plutôt tièdes, entout cas pas trop fraîches, de 1787 à1811 (figure 3). D’où occurrence dequelques remarquables canicules :1788, 1794 et 1811. Canicules de prin-temps-été-automne (il y a des varia-tions), avec intempéries estivales, letout étant dangereux pour l’agricultureet pour les humains, avec impact morta-litaire, le cas échéant.

Canicule sèche d’abord (d’où échau-dage) plus intempéries estivales : ils’agit de 1788 ; mauvaise récolte céréa-lière, mais pas ou peu de morts – laFrance a beaucoup progressé – maiscrise de subsistances donnant lieu à desémeutes prérévolutionnaires, puis révo-lutionnaires en 1788-1789.

1794 : canicule plus intempéries d’été,idem (voir 1788). Mauvaise récoltecéréalière, mortalité forte, surtout dansles villes, mais non mesurable entermes démographiques. Formidablesémeutes de subsistances, du prin-temps 1795 (révoltes parisiennes de« Prairial »).

1801-1802 : la mauvaise récolte de 1802est liée à un hiver 1801-1802 extraor-dinairement humide (inondation centen-nale à Paris en décembre-janvier).Les déficits céréaliers et la crise de

subsistances corrélative ont pu inaugu-rer un cycle de mortalité devenantensuite purement épidémique, qui cul-mine en 1803 avec 150 000 morts et1804 avec 190 000 morts (Dupâquier,1988 ; Le Roy Ladurie, 2006).

1811 : canicule, crise de subsistance,émeutes, dure répression, mais pousséede mortalité insignifiante (sauf pour laGrande Armée en Russie !)

Quelques années plus tard, avec 1816,l’année sans été, nous sortons entière-ment de l’orbite caniculaire. L’éruptionindonésienne du Tambora, en avril1815, est-elle à mettre en cause ? De cefait, année pourrie en 1816. Mauvaiserécolte en France, agitation sociale maissurmortalité insignifiante.

Enfin, l’ultime et complexe canicule de1846. D’abord la maladie de la pommede terre en 1845, fungus infestans, sporepataticide importée d’Amérique par voiemaritime. Puis canicule-sécheresse trèsviolente de 1846, en France et ailleurs enEurope. Ce double impact (fungus etcanicule-sécheresse) induit misère et chô-mage intense du textile et du bâtiment en1847 par report du pouvoir d’achat popu-laire sur le pain devenu très cher. Onachète beaucoup moins les tissus et lesservices des maçons. Mévente du textile.Hyper-paupérisme du prolétariat, soit80 000 morts de plus en 1846 (pour desraisons directement caniculaires égale-ment) et 110 000 décès additionnels en1847. Au total près de 200 000 mortssupplémentaires environ. Et au bout detout cela la révolution de 1848 avec sesinnombrables causalités, le climatn’étant qu’un simple instrumentisteparmi d’autres dans un immense orches-tre « causalitaire » en effet (Le RoyLadurie, 2006).

Au total, nous ne donnons ici que desordres de grandeur obtenus à l’aide deméthodes flexibles : différences de mor-talité d’une année sur l’autre (quand lesursaut est extraordinairement specta-culaire), ou par rapport à l’annéed’avant et à l’année d’après. Utilisationparfois de la deuxième année après unemauvaise récolte : ainsi 1741, bien plustraumatisée que la première année quipourtant a lancé la crise dès 1740 ; oubien comparaison avec le chiffredécennal ; enfin utilisation d’un bloc dedeux années malheureuses (1846 et1847, voire 1803 et 1804), etc.

Nous n’avons exposé, dans ce qui pré-cède, que la ligne de crête et nous avonslaissé de côté la mortalité hivernale ordi-naire, laquelle est, comme chacun sait,considérable. Nous ne nous intéressonsqu’à l’extraordinaire, comme par exem-ple en 1709 et en 1740. Nous avons peut-être trop « exemplifié » les canicules, carau Moyen Âge et jusque vers 1600 etmême au-delà, les années pourries ouglaciales et pourries, paraissent essentiel-les à notre thème, davantage peut-êtreque les canicules. Mais il y a là pourtant,dans notre texte, avant même que soientobtenus ultérieurement des chiffres plusprécis et plus exacts, une premièreapproximation qui donne à tout le moinsune idée sur l’air du temps, « du tempsqu’il a fait », éventuellement ultramor-tel, depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’enpremière moitié du XIXe siècle inclusive-ment. Il s’agit essentiellement, répétons-le, d’ordre de grandeur (tableau 1).

Il y a eu certainement un changementde vitesse depuis la terrible époquelouis-quatorzienne jusqu’à un XVIIIe

moins meurtrier, sans parler ultérieure-ment d’un XXe siècle, nettement assagi,notamment après 1911.

Morin Renou13

12

11

10

9

8

7

1781

1783

1785

1787

1789

1791

1793

1795

1797

1799

1801

1803

1805

1807

1809

1811

1813

1815

1817

1819

Moyenne annuelle des températures de 1781 à 1820

Tem

pér

atu

rem

oyen

ne

en°C

1788

1788

1794

1794

1811

1811

1816

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29La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 4 - Nombre moyen de décès journaliersen France de 1901 à 2007.

Fin du XIXe siècleLes pointes du nombre de décèsannuel de la fin du XIXe siècle sont alorsle plus souvent liées à des épidémies età la guerre ( 1870-1871) et non à desévénements climatiques. C’est ainsique les épidémies de choléra, qui ontfait leur apparition en France en 1832(100 000 victimes), ont été égalementmeurtrières en 1849, 1854 et 1855. Onremarque également une épidémie degrippe meurtrière en 1834 (Dupâquier,1988).

On notera cependant dans cette périodela canicule meurtrière de 1859(100 000 décès excédentaires, avec dansce total sinistre un excédent de décès de60 000 enfants de moins de cinq ans dejuillet à octobre). Les fortes tempéra-tures de juillet 1859 relevées à Paris(22,6 °C de moyenne) n’ont été dépas-sées en juillet, depuis cette date, qu’en1983, 1994 et 2006.

Au XXe siècle etau début du XXIe sièclePour cette dernière période nous pou-vons disposer des données quantitativesprécises établies par les organismesnationaux de statistiques et de météoro-logie, tant pour la démographie quepour le climat.

Les sources de donnéesPour étudier les relations entre le climatet la mortalité, nous utiliserons des don-nées moyennées temporellement sur lemois et moyennées spatialement surl’ensemble du territoire français.

Pour les décèsLes données sur le nombre de décès ontété extraites des publications de laStatistique générale de la France(Mouvement de la population), puis del’Institut national de la statistique et desétudes économiques, Insee, (bulletinsmensuels de statistiques et site Internetde l’Insee). Les données entre les deuxguerres et depuis 1946 concernentl’ensemble de la France (Hexagone etCorse). Afin de disposer de donnéescomparables, une évaluation pour cemême ensemble a été faite (proportion-nellement à la population des départe-ments concernés) pour les périodes oùles statistiques n’étaient pas disponiblessur la totalité des départements. En effet,de 1901 à 1913, de 1939 à 1942 et en1945, le Bas-Rhin, le Haut-Rhin, laMoselle, n’étaient pas inclus dans lesstatistiques françaises. À ces départe-ments s’est ajoutée la Corse, située pro-visoirement hors statistiques en 1943 et1944. Par ailleurs, de 1914 à 1919, lesstatistiques publiées concernent lesseuls soixante-dix-sept départementsqui n’étaient pas dans la zone des com-bats. Les pertes civiles et militairesoccasionnées expressément par la

première guerre mondiale sont doncabsentes du décompte des décès dansces statistiques. À l’opposé, une partiedes pertes civiles dues à la secondeguerre mondiale (bombardements,résistance, libération) est incluse dans ledécompte des décès. Il est en consé-quence difficile d’évaluer l’impact duclimat durant cette dernière période.

La figure 4 montre, de 1901 à 2007,l’évolution du nombre de décès. Onconstate que deux évènements majeurs,non liés au climat, ont perturbé de façonimportante la mortalité civile : la grippeespagnole et la seconde guerre mondiale.

Afin de mettre en évidence les fluctua-tions des décès liées aux aléas clima-tiques, une référence lissée du nombre dedécès mensuels et annuels a été calculée.Elle est obtenue pour une année A com-prise entre 1906 et 2002 en effectuant lamoyenne sur les onze années de A-5 àA+5 et en ignorant dans les moyennes lespériodes de la seconde guerre mondiale

Mauvaises récoltes 1692 et 1693 par excès de pluies. Famines et épidémies.

Sécheresse et chaleur estivale.

Grand hiver 1709. Mauvaise récolte. Disette 1709-1710.

Étés très chauds. Dysenterie 1719.

Grand hiver 1740. Excès de pluies. Mauvaise récolte. Disette 1741.

Été très chaud. Dysenterie.

Été très chaud. Dysenterie.

Mauvaise récolte 1802 par excès de pluie. Épidémies.

Été très chaud et mauvaise récolte céréalière1846. Maladie des pommes de terre.

Été très chaud. Dysenterie.

Tableau 1 - Années dans la période 1680-1900 où des aléas climatiquessont à l’origine d’un excédent d’au moins 100 000 décès.

1693-1694

1705-1706-1707

1709-1710

1718-1719

1740- 1741

1747

1779

1803-1804

1846-1847

1859

*Les évaluations sont établies sur les estimationsde décès publiées par l’Ined (Blayo, 1975) etl’Insee (1961).

Ordre de grandeur de l’excédent de décès*

1 300 000

200 000

600 000

400 000

100 000

200 000

200 000

300 000

200 000

100 000

2 400

2 300

2 200

2 100

2 000

1 900

1 800

1 700

1 600

1 500

1 400

1901

1906

1911

1916

1921

1926

1931

1936

1941

1946

1951

1956

1961

1966

1971

1976

1981

1986

1991

1996

2001

2006

Moyenne annuelle des décès journaliers

Moyenne lissée

Annuelle brute

Grippe espagnoleGuerre 1939-1945

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30 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 5 - Nombre moyen de décès journaliers en France en hiver et en été de 1901 à 2007.

et de la grippe espagnole. Pour lesannées proches de 1901 et de 2007,l’intervalle sur lequel s’opère lamoyenne est progressivement réduit. Deplus, un lissage est opéré, éliminant lesfluctuations de période égale à deux ans.On observe une diminution assez régu-lière du nombre de décès, bien que lapopulation se soit accrue durant cettepériode.

La figure 5 montre pour les quatre moisd’hiver (de décembre à mars) et les qua-tre mois d’été (de juin à septembre) lenombre de décès et les références lisséescorrespondantes. On note une prépondé-rance constante des décès hiver-naux sur les décès estivaux,cette différence ayantn o t a b l e m e n tévolué au coursdu siècle, pouratteindre une plusfaible valeur rela-tivement constantede 1976 à 2007.

On verra plus loin quela plupart des écartsconstatés entre les cour-bes brutes des décèshivernaux et estivaux et lescourbes lissées de référencecorrespondent à des années degrands froids (décès hivernaux)ou de canicule (décès estivaux).

Pour les températuresPour les températures, nous avons uti-lisé un indicateur thermique mensuel,calculé par Météo-France.

Cet indicateur a été construit sur lapériode 1899-1946 en moyennant lesanomalies mensuelles de 32 séries« homogénéisées » de températurejournalière moyenne (moyenne de latempérature maximale et de la tempé-rature minimale) régulièrement répar-ties sur la France (f igure 6). Cette« homogénéisation » des données,

1907

1909

19141917

19191929 1940

1953

1956

19631970

19851986

19041905

1908 1911

1918

19211923

19281929

193019321934

1937

19471949

1952 1959

19761982

19831994

19952003

2006

Grippe espagnoleGuerre 1939-1945

Annuelle lisséeHiver lisséHiver brutEté lisséEté brut

2 9002 8002 7002 6002 5002 4002 3002 2002 1002 0001 9001 8001 7001 6001 5001 4001 3001 2001 100

1901

1906

1911

1916

1921

1926

1931

1936

1941

1946

1951

1956

1961

1966

1971

1976

1981

1986

1991

1996

2001

2006

Moyenne annuelle des décès journaliers

Figure 7 - Stations utilisées de 1947 à 2007.

réalisée selon la procédure définie parMoisselin et al. (2002), permet, parcomparaison avec des observationsvoisines, de rectifier des données bru-tes qui pourraient être entachéesd’erreurs dues à des modif icationsd’emplacement des mesures ou desmodifications de la procédure instru-mentale, le tout pour les rendre compa-rables aux mesures actuelles. Pour lapériode 1947-2007, l’indicateur a étéconstruit en moyennant les anomaliesde trente séries brutes, elles aussi régu-lièrement réparties (f igure 7).

Figure 6 - Stations utilisées de 1899 à 1946.

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31La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 8 - Anomalie des températures moyennes d’été de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la températuremoyenne de la période de référence 1971-2000).

Figure 9 - Anomalie des températures moyennes d’hiver de 1901 à 2007 (anomalie par rapport à la températuremoyenne de la période de référence 1971-2000).

Figure 10 - Évolution, mois par mois, du nombre moyen de décès journaliers de 2001 à 2007. Courbe rouge : décèsconstatés de l’année A. En bleuté, moyenne, mois par mois, des décès de l’année A-5 à l’année A+x, avec x = 5jusqu’en 2002 ; puis x = 2007-A. Les mois de canicules de juin à août 2003 et de juillet 2006 ont été ignorés dans lamoyenne. Toutes les pointes majeures sont hivernales ; en 2003 s’est ajoutée une forte pointe estivale.

L’anomalie est évaluée par rapport auxtempéra-tures mensuelles moyennes dela période 1971-2000. Les figures 8 et9 fournissent, pour l’été et l’hiver, lachronologie des températures moyen-nes ainsi qu’une moyenne glissante destempératures établie selon le mêmeprincipe que la référence utilisée pourles décès. Ainsi sont mises en évidencesur ces figures les années de fortesanomalies chaudes en été et de fortesanomalies froides en hiver.

Analysede la chronologie mensuelledu nombre de décèsAfin de mieux appréhender les relationsexistant entre le nombre de décès et lesaléas du climat, une analyse plus fineque l’échelle saisonnière est très utile.À titre d’illustration, la figure 10 four-nit, mois par mois, la moyenne desdécès journaliers comparée à une réfé-rence mensuelle lissée, c’est-à-direconstituée de façon analogue aux réfé-rences annuelles et saisonnières décritesprécédemment.

Cette chronologie du début de XXIe siè-cle montre des caractéristiques, que l’ontrouve de la même façon pendant tout leXXe siècle :– une variation annuelle avec systémati-quement un maximum pendant l’un desmois d’hiver. La valeur de ce maximumfluctue largement d’hiver en hiver. Onremarque en particulier, sur les périodeshivernales, une forte anomalie positive(des décès) en févier-mars 2005, cor-respondant à un hiver rigoureux et tardifqui augmente d’environ 10 000 la sur-mortalité hivernale systématique ;– un minimum en été, sauf pointesexceptionnelles correspondant à descanicules. Celle de juin à août 2003 cor-respond à un excédent total de décès deprès de 20 000, et celle de juillet 2006correspond à un excédent sensible, maisbeaucoup plus modeste d’environ 3 000(Rousseau, 2006).

Évaluationdu nombre des décèsliés aux caniculesLa confrontation des années où se pro-duisent des pointes estivales sur les dia-grammes chronologiques des décèsmensuels avec les statistiques des ano-malies mensuelles de températureindique que ces pointes sont presque tou-tes liées à des mois qui furent marqués

-3

-2

-1

0

1

2

3

4

1901

1906

1911

1916

1921

1926

1931

1936

1941

1946

1951

1956

1961

1966

1971

1976

1981

1986

1991

1996

2001

2006

Anomalie des températures d'été (juin à septembre) de 1901 à 2007

Anom

alie

dest

empé

ratu

rese

n°C

1911

1921

19471949

19591973

197619821983

2003Moyenne lissée sur 11 ansDonnées brutes

-4

-3

-2

-1

0

1

2

1901

1906

1911

1916

19091907

1917

1918

1929

1932

1935

1941

1942

1947

19531956

1964

1963

1971

1986

19871985

2005

2006

1921

1926

1931

1936

1941

1946

1951

1956

1961

1966

1971

1976

1981

1986

1991

1996

2001

2006

Anomalie des températures d'hiver (déc. à mars) de 1901 à 2007

Anom

alie

dest

empé

ratu

rese

n°C

Moyenne lissée sur 11 ansDonnées brutes

1 900

1 800

1 700

1 500

1 600

1 400

1 200

Janv

-01

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-02

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-03

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-04

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-05

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-06

Avril

Juill

et

Octo

bre

Janv

-07

Avril

Juill

et

Octo

bre

1 300

Nombre de décès journaliers comparés à une référence moyenne de janvier 2001 à décembre 2007

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32 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 11 - Relation entre le rapport à la moyenne glissante des décès estivaux (en %) et l’anomalie de températureestivale (juin-juillet-août-septembre). Les années de forte canicule avec forte surmortalité sont datées en bleu.

par une période caniculaire, période qu’ilest possible éventuellement de préciserpar l’examen des données météorolo-giques journalières. Grâce aux seulesdonnées mensuelles, un bon ordre degrandeur de l’excédent de décès lié à cescanicules peut être obtenu par différenceentre le nombre de décès constatés et unnombre fictif de décès d’une référencepeu sensible à l’anomalie climatique.Nous avons utilisé quatre méthodes pourétablir cette référence :– la méthode 1 évalue les décès men-suels de référence de l’année A en utili-sant les données de l’année A-5 àl’année A+5 selon la méthode exposéeplus haut ;– la méthode 2 utilise comme référencela moyenne du nombre des décès demême mois lors des deux années précé-dentes et des deux suivantes ;– la méthode 3 utilise le même principe,mais le choix des années n’est pas sys-tématique. Les années sont choisiespour ne pas utiliser des années elles-mêmes perturbées par une anomalie ;– la méthode 4 évalue la pointe de décèsobservable sur la courbe des décès men-suels à partir d’une interpolation desdécès du mois précédent et du mois sui-vant l’anomalie de la courbe.

1983

19491976

1921

1982

2003

1911

1917

1947

Relation entre anomalie de température et de mortalité en été(étés 1918 et1940 à1945 exclus)

Pour

cent

age

dela

mor

talit

ém

oyen

ne

120%

115%

110%

105%

100%

95%

90%

85%-1,4 -1,2 -1,0 -0,8 -0,6 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 1,4 1,6 1,8 2,0 2,2 2,4 2,6

Anomalie de température en °C

Tableau 2 – Bilan des canicules de 1901 à 2007.

* Les excédents de décès portent sur le ou lesmois dont l’anomalie mensuelle de tempéra-ture est en rouge dans le tableau. Les quelquescas où des mois sont comptabilisés alors quel’anomalie moyenne mensuelle de températureest faiblement positive ou même négative, cor-respondent à des mois où les fortes chaleursn’ont concerné qu’une partie restreinte dumois ou du territoire, mais occasionné desexcédents de décès.Nota : En raison de l’importance des pertesciviles liées à la guerre 1939-1945, il n’a pas étépossible d’évaluer les décès imputables auxcanicules de 1944 et 1945.

Le tableau 1 fournit, pour les annéesprésentant une anomalie de décès (enété) identifiable par une pointe dans lachronologie des décès, les valeurs desanomalies mensuelles des quatre moisd’été (juin, juillet, août, septembre)ainsi qu’une évaluation de l’excès dedécès, avec une marge d’incertitude

calculée à l’aide de la dispersion desrésultats fournis par les quatre métho-des. On peut constater, qu’en dehors despériodes correspondant respectivementà la grippe espagnole et à la secondeguerre mondiale, toutes les années oùune anomalie estivale a été observéedans le nombre des décès sur la figure 5se retrouvent dans le tableau 2 : lesexcédents de décès en période esti-vale au XXe siècle et en ce début deXXIe siècle sont étroitement liés auxanomalies positives de température etplus précisément aux canicules.

Relation entrela température moyenneet les décès en étéLa figure 11 met en évidence que lasurmortalité ne s’écarte significative-ment de la valeur de référence que pourles années d’anomalie de températurepositive élevée. La surmortalité estd’autant plus intense que l’anomalie estforte, sauf pour les années 1917 et 1947qui seront évoquées plus loin.

1904

1905

1906

1911

1921

1923

1928

1929

1930

1932

1934

1947

1949

1952

1959

1976

1982

1983

1990

1994

1995

1997

2003

2006

Juin

0,3

0,5

0,2

-0,1

0,6

-2,8

-0,1

0,1

1,3

-0,9

0,7

1,6

0,2

1,4

0,4

3,0

1,5

0,9

-0,2

0,8

-0,3

0,2

4,9

2,1

Juil.

1,8

1,2

-0,5

2,0

1,5

0,9

1,5

0,3

-1,7

-1,9

1,2

1,3

1,3

1,1

1,2

1,3

1,3

3,2

0,6

2,5

2,2

-0,4

1,9

4,1

Août

0,0

-1,1

0,5

2,4

-1,2

0,0

0,2

-0,9

-0,9

1,4

-1,7

2,0

0,5

0,0

-0,3

-0,2

-1,1

0,4

1,5

1,2

1,2

2,6

4,6

-1,2

Sept.

-1,6

-1,2

-0,1

1,9

1,1

-0,9

0,0

2,6

0,1

1,2

1,3

1,7

3,2

-2,7

1,3

-1,2

1,7

0,6

0,0

-0,8

-1,5

1,2

0,7

2,7

Arrondi au millier

13 000

2 900

14 600

40 000

11 300

5 200

5 400

4 400

2 500

3 500

1 800

1 200

2 000

1 800

1 000

5 700

2 300

6 400

1 700

2 600

2 300

2 200

17 500

3 000

Arrondie au millier

2 400

600

2 600

6 000

3 200

2 800

2 400

1 900

800

700

400

500

900

600

700

800

1 400

400

600

600

1 100

1 100

4 000

1 700

Anomalie de température Excédentde décès*

Incertitude+ ou -

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33La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

Figure 12 - Évolution du rapport mortalitéd’hiver/mortalité moyenne annuelle et du rapport mor-talité d’été/mortalité moyenne annuelle.

Parmi les canicules, deux ont été parti-culièrement intenses et meurtrières :2003 et 1911. La canicule de 2003 s’estcaractérisée par son intensité et sonétendue ; les 35 °C ont été dépassés surles deux tiers des stations météorolo-giques en France, les 40 °C sur 15 %,(Bessemoulin et al., 2004). Le nombrede décès ainsi causés sur une périodetrès concentrée (du 3 au 13 août, avecun paroxysme en région parisienne le12 août) a mis en évidence la mécon-naissance assez généralisée, jusqu’àcette date, des risques des fortes cha-leurs, en particulier pour les personnesâgées. Cette tragédie a depuis permisune meilleure connaissance du rôlenéfaste des fortes chaleurs et la mise enplace d’actions de sensibilisation et demesures préventives qui commencent àporter leurs fruits. C’est ainsi que lebilan de la canicule de 2006 a été atté-nué (Fouillet et al., 2008) et quel’espérance de vie s’accroît plus rapide-ment depuis 2003 (Pison, 2008).

Située dans une décennie où les tempé-ratures estivales moyennes étaientd’environ 2 °C inférieures à celles de ladécennie actuelle, l’année 1911 a connuune anomalie relative de températurepour tout l’été d’environ 2,5 °C, supé-rieure encore à l’anomalie de 2003 (voirfigure 8). À la différence de 2003, plu-sieurs pointes de chaleur d’amplitudecomparable se sont succédées de juilletà septembre et les excédents de décèsont été moins concentrés dans le temps.Ils ont néanmoins atteint le chiffre de40 000 décès, parmi lesquels la moitiéenviron étaient des décès d’enfants âgésde moins d’un an, contrairement à lacanicule de 2003 qui a essentiellementconcerné des personnes âgées (Le RoyLadurie, 2009).

On peut s’étonner que l’été 1947, qui aété le plus chaud du XXe siècle, avecune période caniculaire de fin juillet etdébut août au cours de laquelle,comme en 2003, les 40 °C ont étédépassés en particulier à Paris, n’aitpas connu de pointes importantes dedécès. Peut-être est-ce dû au fait queles durs hivers de guerre (1940, 41, 42,44, 45), accentués par les privations, etl’hiver 1946-1947 avaient déjà « fau-ché » précocement les personnes lesplus fragiles qui auraient pu succom-ber lors de cet été 1947 caniculaire. Lasous-mortalité de l’été 1917 est aussivraisemblablement à mettre en relation

avec l’hécatombe des populations civi-les de l’hiver 1917, compte non tenudes très nombreux décès militaires noninclus dans les statistiques officiellesde l’époque.

Surmortalité hivernaleet évaluation du nombredes décès des hiversles plus froidsÀ la différence de l’été, où l’on observedes excédents de décès uniquement lesannées de fortes canicules, tous leshivers donnent lieu à une surmorta-lité importante par rapport à la morta-lité moyenne des trois autres saisons etde l’année en général. L’étude de lamortalité hivernale ne peut dès lors passe limiter à l’examen des anomalies dedécès par rapport à la moyenne desdécès hivernaux. Elle doit concernerégalement la variation moyenneannuelle des décès, qui se caractérise ànotre époque, en France, par un maxi-mum marqué de mortalité en hiver. Leprofil de la variation saisonnière desdécès diffère selon les pays et évolue aucours du temps (Rau, 2007). Comme lemontre la figure 12, cette surmortalitépar rapport à la moyenne, qui a fluctuéen France dans les sept premièresdécennies du XXe siècle entre 13 % et19 %, a subi une rapide diminutionentre les années 1960 et 1980, maisplafonne encore autour de 9 %, ce quicorrespond à un excédent de décèshivernaux d’environ 15 000 chaqueannée, du même ordre donc que lebilan de la tragédie d’août 2003.Pourtant ces décès excédentaires hiver-naux sont encore malheureusementconsidérés comme « normaux », alorsqu’une meilleure adaptation de lapopulation au climat pourrait vraisem-

blablement atténuer ce bilan, commesemblent l’indiquer en particulier descomparaisons entre les pays européens(Healy, 2003).

Relation entrela température moyenneet les décès en hiver

Selon les conditions hivernales, le bilanhivernal fluctue largement. La figure 13montre, malgré une certaine dispersion,une nette relation entre l’écart à la nor-male de la température moyenne hiver-nale et le rapport entre le nombre dedécès hivernaux d’une année donnée et lenombre de décès hivernaux moyens(moyenne glissante définie précédem-ment). On constate que des hivers rigou-reux entraînent une augmentation de lasurmortalité hivernale. À l’opposé, lamortalité est la plus faible durant leshivers les plus doux. Les hivers les plusrigoureux du siècle, 1963 et 1917, onteffectivement entraîné de très fortes sur-mortalités. Cependant, on note que septannées d’hiver rigoureux échappent à ceschéma. Cinq de ces sept années, 1918,1964, 1971, 1987, 2006, suivent desannées 1917, 1963, 1970, 1986, 2005 degrands froids ayant déjà entraînéd’importants excédents de décès. Ledécès des personnes les plus vulnérableslors de l’hiver précédent pourrait expli-quer le moindre nombre de décès l’hiversuivant. Bien que les années 1931 et 1933n’aient pas été des plus rigoureuses, ungrand excédent de décès y fut enregistré,ce qui expliquerait aussi les bilans modé-rés des deux autres années hivernalesfroides s’écartant néanmoins de notreschéma : soit 1932 et 1934. Par ailleurs,on observe aussi que 1949 et 1990s’écartent du schéma général, avec desanomalies positives de température et une

1,25

1,2

1,15

1,1

1,05

1

0,95

0,9

0,85

0,8

0,751901-1910 1911-1920 1921-1930 1931-1940 1941-1950 1951-1960 1961-1970 1971-1980 1981-1990 1991-2000 2001-2007

Moyenne décennales des mortalités hivernales et estivales (sans 1919 ni 1940-1945)

Rapp

ort

mor

talit

ésa

ison

nièr

e/m

orta

lité

annu

elle

1,13

1,16

1,191,18

1,19 1,15

1,09

1,09 1,09 1,09 1,09

HiverEté

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34 La Météorologie - Sur l'histoire du climat en France depuis le XIVe siècle

surmortalité supérieure à la moyenne.Une épidémie de grippe en est sans doutel’explication principale pour 1949. Ledéveloppement de la pratique des vacci-nations contre la grippe depuis les années1970-1980 a permis de diminuer lesdécès dus à la grippe, qui a été longtempsmise en avant comme cause de la sur-mortalité hivernale. Pour 1990,l’épidémie de grippe n’explique sansdoute qu’en partie l’excédent de décèsobservé.

Le tableau 3 fournit quantitativement lebilan des hivers froids : la « surmor-talité hivernale » et l’excédent dedécès par rapport à la moyenne desdécès hivernaux. La « surmortalitéhivernale » est définie ici comme lenombre de décès en excédent durant lesquatre mois d’hiver par rapport au nom-bre moyen de décès les quatre mois pré-cédents et des quatre mois suivants. La« surmortalité hivernale » a dépassé100 000 en 1929, 60 000 en 1963 et

encore 32 000 durant le récent hiverrelativement froid de 2005. L’excédentde décès est calculé par rapport à lamoyenne lissée sur onze ans des décèshivernaux. Cet excédent par rapport à lamoyenne lissée des décès hivernauxatteint 50 000 pour un hiver très rigou-reux comme 1929. Dans les trentedernières année, la dépendance de lamortalité vis-à-vis des rigueurs del’hiver s’est atténuée, mais la « surmor-talité hivernale » oscille encore selonles hivers dans une fourchette de10 000 à 30 000.

ConclusionOn voit que la situation, ce n’est pas unscoop, est allée en s’améliorant. De1692 à 1719, on tourne autour dumillion de victimes (1693) ou du demi-million (1709) ou du tiers de million demorts (1719).

De 1739 à 1848, on s’en tient aux100 000, parfois 200 000 morts oudavantage selon les cas : selon qu’ils’agit de crises de subsistance enra-cinées dans le froid et dans l’humide(1740) ; ou encore s’agissant d’uneforte canicule, elle-même compliquéed’agression fongique contre les pom-mes de terre (1846-1847) ; ou encore onpeut avoir affaire à des hypercanicules,telles qu’en 1719, 1747 et 1779.

Quant au XXe siècle, disons plus large-ment toute la période qui va de 1850 ànos jours, le chiffre des pertes tourne au-dessous, voire très au-dessous, de labarre des 100 000 personnes, àl’exception de l’hiver particulièrementmeurtrier de 1929. La canicule la plus« tueuse », celle de 1911, monte « seule-ment » à 40 000 victimes, ce qui esténorme selon nos critères contempo-rains, mais nettement moins grave quelors des gigantesques massacresd’origine estivale et solaire qu’on avaitenregistrés au XVIIIe siècle. Quant auxcrises de subsistances d’origine météo,

Figure 13 - Relation entre le rapportà la moyenne glissante des décès hivernaux (en %)et l’anomalie de température hivernale(décembre-janvier-février-mars).Les années d’hiver particulièrement froidavec forte surmortalité sont datées en noir.

* Les hivers rigoureux 1940, 1941, 1942, 1944,1945 ont été inclus dans ce tableau, bien que lecalcul de la surmortalité hivernale soit perturbépar la répartition de pertes civiles dues à la guerre.L’excédent à la moyenne n’a pas été calculée, lamoyenne étant perturbée par ces pertes civiles.

Tableau 3 – Bilan des années de grands froids de 1902 à 2007.

1907

1909

1911

1917

1918

1929

1932

1934

1940

1941

1942

1944

1945

1947

1953

1956

1963

1964

1970

1971

1985

1986

1987

2005

2006

Déc.

A-1

-3,1

-1,2

1,2

-0,5

-4,7

-1,3

-2,4

-5,5

-2

-4,4

-1,9

-1,5

-1,5

-3,4

-1,1

1,6

-3,7

-3,6

-3,7

-2,6

-0,3

0,6

0,3

-0,8

-2,1

Janv.

-1,6

-2,4

-3,2

-3,2

-0,4

-3,8

0,7

-0,6

-5,3

-3,4

-4,6

0,8

-5,5

-3

-3,5

0,5

-5,4

-2,8

0,4

-0,8

-5,1

0,2

-5

0,5

-1,1

Fév.

-3,1

-3,2

-0,8

-3,9

0,2

-4,9

-4,1

-2,1

0,2

-0,4

-5,4

-3,3

2

-3

-2,3

-9,4

-5,1

0,6

-0,1

-0,8

-0,5

-5,2

-0,9

-2,2

-1,5

Mars

-0,9

-2,5

-0,7

-3

-0,8

-0,3

-1,2

-1

0,1

0,2

1,2

-2,6

0,7

0,6

0,1

-0,4

-0,4

-1,4

-2,7

-3,7

-1,8

-1

-2,1

0

-0,3

Arrondi au millier

75 000

65 000

68 000

74 000

34 000

102 000

48 000

50 000

97 000*

49 000*

77 000*

60 000*

55 000*

60 000

82 000

51 000

61 000

26 000

39 000

26 000

28 000

31 000

16 000

32 000

18 000

Arrondi au millier

50 000

20 000

15 000

30 000

-13 000

50 000

-9 000

-2 000

3 000

34 000

12 000

30 000

-11 000

22 000

-2 000

9 000

13 000

-6 000

8 000

-5 000

Anomalie de température Surmortalitéhivernale

Excédentà la moyenne

Relation entre anomalie de température et de mortalité en hiver(hivers 1919 et1940 à1945 exclus)

Pour

cent

age

dela

mor

talit

ém

oyen

ne

-3,2

Anomalie de température en °C

120%

115%

110%

105%

100%

95%

90%

85%

80%-2,8 -2,4 -2,0 -1,6 -1,2 -0,8 -0,4 0,0 0,4 0,8 1,2 1,6 2,0 2,4

1963

1917

19291907 1953 R2 = 0,3239

1970

19091956 1986

200519471985

19342006

1987

1971 1932

1964

1949

1990

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Bibliographie

tellement fréquentes et tellement clas-siques au Moyen Âge et sous l’AncienRégime, elles ont pratiquement disparu,sauf pendant les deux guerres mondiales.Une autre victoire, enfin, concerne ladisparition de la mortalité infantile partemps de canicule, si prégnante encoreen 1911 et qui disparaît au cours des épi-sodes analogues en phase ultérieure,même les plus vifs comme ceux de 1921ou de 1976.

Les conditions de vie et les progrès dela médecine ont considérablementdiminué l’impact des maladies infec-tieuses. De ce fait, les fluctuations

d’origine essentiellement épidémiqueont pratiquement disparu etl’amplitude des fluctuations de morta-lité a diminué. En conséquence, etparadoxalement, les aléas climatiques,pourtant beaucoup moins meurtriersqu’autrefois, sont devenus un facteurtrès important pour la compréhensiondes fluctuations de mortalité en géné-ral. En hiver, un excédent de décès parrapport à la moyenne annuelles’observe chaque année, modulé par laplus ou moins grande rigueur del’hiver. En été, des surmortalitéss’observent encore lors des années decanicule très intense.

RemerciementsLes auteurs remercient Jean-MarcMoisselin, Michel Schneider et laDirection de la climatologie de Météo-France, qui ont mis à leur disposition,pour cette étude, la série des indicateursthermiques mensuels sur la France ;Michèle Muria de la direction régionaleMidi-Pyrénées de l’Insee, le service dedocumentation et Laurent Toulemon del’Ined, pour leur aide dans le recueil desdonnées démographiques et les deuxréviseurs anonymes pour leurs remarqueset suggestions.

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Sur l’histoire du climat en Francedepuis le XIVe siècle

Emmanuel Le Roy Ladurie, Daniel Rousseau,Jean-Pierre Javelle

Maquette, impression : Météo-France7, rue Teisserenc de Bort - CS 70558 - 78197 Trappes CedexISBN 978-2-95563121-8 - Dépôt légal : 2e trimestre 2017 - © SMF 2017

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Réunissant une série d’articles publiés de 2009 à 2016dans la revue scientifique La Météorologie, ce fasciculeretrace les principales fluctuations du climat en Franceentre les XIVe et XIXe siècles, leur impact sur la société et surplusieurs événements historiques.

À l'aide d'exemples et d'illustrations, il aborde différentesméthodes élaborées par les historiens et les climatologuespour reconstituer les climats passés, en particulier lorsqueles séries de mesures météorologiques quantitativesn’existaient pas encore.

Les auteursEmmanuel Le Roy Ladurie, membre de l'Institut, professeur émériteau Collège de France, spécialiste de l'histoire du climatDaniel Rousseau, ancien directeur de l'École nationale de la météorologieJean-Pierre Javelle, membre du comité de rédaction de La Météorologie