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7/23/2019 Survivances Païennes dans le monde chrétien http://slidepdf.com/reader/full/survivances-paiennes-dans-le-monde-chretien 1/34 A LA M~E LIBP~IRIE DU [email protected] AUTEUR Cléopfitre. Sa vie et son temps. In-S, avec 5 croquis, et 8 gravures hors texte. de Il faut féliciter 1~. Artl~ur'W~igall, éminent ég~yptologuae~ fr.  nous avoir révëlé la v6ritable Cléop~tre, autrement plus belle que sa légende, en un ouvrage passionnant, 6crit avec autant de sfireté que de noblesse ; c'est là un ouvrage définitif. Gdigoirê. Néroll. In-8, avec 8 gravures hors texte ....... 30 fr. M. Weigall avec une remarquable autorité et une interpré- tation personnelle des textes et des témoignages fait revtvre dans ces pages le r~gne de Néron, ainsî que les murs, le mi- lieu, l'dpoque, les 6vénements et les personnages. Le Journal des Ddbats. Sappho de Lesbos Sa vie et son époque. In-8, avec tous les 25 ff fragmenta connus de l'époque de S appho, et.3 croquis.: Que cavez-vous de Sappho ? Feu de choses exactes, peut-être rien du tout Lisez donc ce beau livre, il ne s'agit pas de « vie romancée » mais bien d'un ouvrage de haute érudition rendue accessible au grand public par un savant qui parle la langue de tout le monde et qui est aussi un artiste amoureux de la vie sous toutes ses formes. Il ressuscite Sappho, sa personne et son existence passionnée, il nous fait goûter et admirer avec une ferveur communicative l'oeuvre de la poétesse mytiléenne et son éternelle beauté, victorieuse des siècles. La Revue du Centre. Maro-Antoine. 3a vie et son temps. In-8, de 544 pages. 36 fr. L'uvre d'un historien scrupuleux, clairvoyant et abondam- ment rehseîgnd. Une solide érudition a rendu l'auteur marre de son sujet. Il discute les événements comme un témoin, avec une compétence et une force de rdalitd qui donnent à son récif la vie et l'a'ttrait d'un émouvant roman... Ce large tableau d'histoire romaine, revue, éclaircie et remise au point par la sagacité et l'érudition de M. Weigall, forme une évocation d'une vdrité illusionnante. Le Jiurnal des Ddbat«.  30 ff. Mexandre. In-S, avec une carte hors texte.  W ail est infi- 'Alexandre le Grand que nous campe M. ëig niment plus vrai, plus humain et plus touchant que l'image conventionnelle imposée par la ldgende ou par l'enseignement scolaire; c'est un merveilleux adolescent~ mal pondéré certes, mais irradiant d'une séduction nouvelle et irrésistible l'enthou- siasme créateur d'une jeunesse éternelle et quasi divine. Le P,'ogrks Mddical. ° slsI~orl-lSOuE SrsroRxQrJE ARTHUR WEIGALL BX-~NSPgCTgUR'D~S ANT~QU~T@-S Dt) GOUV~R~/gMgmT ~GYFT~~~ SURVIVANCES PAÏENNES DANS LE MONDE CHRÉTIEN TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR ARIANE FLOURNOY PRÉFACE D'ËDOUARD CLAPARËDE PROFESSEUR A L'UNIVERSITË DE GENËVE t USP- FF~ PAYOT, PARIS |06, Boulevard St-Germaln t934 You droit~ r~s rv~

Survivances Païennes dans le monde chrétien

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7/23/2019 Survivances Païennes dans le monde chrétien

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A L A M ~ E L I B P ~ I R I E

D U M @ . M E A U T E U R

Cléopfitre.

Sa vie et son temps.

In-S, avec 5 croquis, et 8 gravures

hors texte.

de

Il faut féliciter 1~. Artl~ur'W~igall, éminent ég~yptologuae~ fr.

 nous avoir révëlé la v6ritable Cléop~tre, autrement plus belle

que sa légende, en un ouvrage passionnant, 6crit avec autant

de sfireté que de noblesse ; c'est là un ouvrage définitif.

Gdigoirê.

Néroll. In-8, avec 8 gravures hors texte ....... 30 fr.

M. Weigall avec une remarquable autorité et une interpré-

tation personnelle des textes et des témoignages fait revtvre

dans ces pages le r~gne de Néron, ainsî que les murs, le mi-

lieu, l'dpoque, les 6vénements et les personnages.

Le Journal des Ddbats.

Sappho de Lesbos

Sa vie et son époque.

In-8, avec tous les

25 ff

f r a g m e n t a c o n n u s d e l ' é p o q u e d e S a p p h o , e t . 3 c r o q u i s . :

Que cavez-vous de Sappho ? Feu de choses exactes, peut-être

rien du tout Lisez donc ce beau livre, il ne s'agit pas de « vie

romancée » mais bien d'un ouvrage de haute érudition rendue

accessible au grand public par un savant qui parle la langue

de tout le monde et qui est aussi un artiste amoureux de la vie

sous toutes ses formes. Il ressuscite Sappho, sa personne et son

existence passionnée, il nous fait goûter et admirer avec une

ferveur communicative l'oeuvre de la poétesse mytiléenne et son

éternelle beauté, victorieuse des siècles. La Revue du Centre.

Maro-Antoine. 3a vie et son temps. In-8, de 544 pages. 36 fr.

L'uvre d'un historien scrupuleux, clairvoyant et abondam-

ment rehseîgnd. Une solide érudition a rendu l'auteur marre de

son sujet. Il discute les événements comme un témoin, avec une

compétence et une force de rdalitd qui donnent à son récif la

vie et l'a'ttrait d'un émouvant roman...

Ce large tableau d'histoire romaine, revue, éclaircie et remise

au point par la sagacité et l'érudition de M. Weigall, forme une

évocation d'une vdrité illusionnante.

Le Jiurnal des Ddbat«.

  30 f f .

Mexandre. In-S, avec une carte hors texte.

  W ail est infi-

'Alexandre le Grand que nous campe M. ëig

niment plus vrai, plus humain et plus touchant que l'image

conventionnelle imposée par la ldgende ou par l'enseignement

scolaire; c'est un merveilleux adolescent~ mal pondéré certes,

mais irradiant d'une séduction nouvelle et irrésistible l'enthou-

siasme créateur d'une jeunesse éternelle et quasi divine.

Le P,'ogrks Mddical.

°

s ls I~or l - lSOuE SrsroRxQrJE

ARTHUR WEIGALL

BX-~NSPgCTgUR'D~S ANT~QU~T@-S Dt) GOUV~R~/gMgmT ~GYFT~~~

SURVIVANCES PAÏENNES

DANS

LE MONDE CHRÉTIEN

T R A D U I T D E L ' A N G L A I S P A R A R I A N E F L O U R N O Y

P R É F A C E D ' Ë D O U A R D C L A P A R Ë D E

P R O F E S S E U R A L ' U N I V E R S I T Ë D E G E N Ë V E

t

USP- FF~

P A Y O T , P A R I S

|06, Boulevard St-Germaln

t934

You d ro i t~ r~s rv~

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I 0 0

L ' A S C E N S I O N

dans l'idée que cet avènement glorieux était immi-

nent--on se préparait au moment suprême, on

l'attendait d'heure en heure, espérant contre toute

espérance, les yeux fixés au ciel pour y trouver

le signe qui jamais ne parut.

BIBL OTEc4

11lSTO~la. FFI.¢J~.

OSp :.

C H A P I T R E X I

L'INFLUENCE D'ADONIS ET DE

QUELQUES AUTRES DIVINITÉS PAIENNES

Lorsque les disciples eurent compris que Jésus

était le Messie, et que ce Messie n'était pas le héros

triomphant de la foi populaire, mais l'Homme

de Douleurs prédit par Isaïe, ils en vinrent à penser

que cette crucifixion à la veille de P~tques n'était

autre chose que le sacrifice suprême qui, selon

la tradition, devait avoir lieu chaque année en ce

jour. Jésus devint pour eux l'Agneau pascal, dont

le sang versé devait effacer leurs fautes. Comme

il s'était offert lui-même pour racheter les péchés

du monde, toute la tradition mystique des fils

sacrifiés parleurs pères se fit j our dans leur nou-

velle interprétation de la mort du Christ et de sa

résurrection. Mais dans le développement de cette

conception, il est naturel que l'esprit des premiers

chrétiens et de leurs adeptes ait été influencé par

les croyances religieuses de l'époque.

Antioche fut l'un des premiers foyers du chris-

tianisme ; or, on célébrait chaque année dans

cette ville la mort et la résurrection du dieu Tham-

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I 0 2 L ' IN FLU ENCE D 'ADONIS

muz ou Adonis (I), ce dernier nom signifiant « le

Seigneur ». Ce culte avait exercé de tous temps

une influence sur la pensée juive, et le prophète

Ezéchiel lui-même intervint pour morigéner les

femmes de Jérusalem qui pleuraient la mort de

Thammuz ~ la porte même du temple (Ezéchiel,

VIII, I4). A Bethléhem la place choisie par l es

premiers chrétiens comme lieu de naissance de

Jésus (car, de fait, on ignorait ce lieu), se trouvait

être un ancien sanctuaire de Thammuz, ainsi

que saint Jérôme (2) le découvrit avec effroi.

Ceci montre que Thammuz ou Adonis fut en fin de

compte confondu avec Jésus-Christ dans l'esprit

des hommes. On croyait que ce dieu avait subi une

mort cruelle, qu'il était descendu aux enfers,

qu'il en ~tait revenu pour monter au ciel ; su jour

anniversaire de sa mort, tel qu'il était célébré en

divers pays, une effigie de son cadavre était pré-

parée pour les funérailles ; on la lavait et on l'oignait,

et, dès le lendemain, son retour ~ la vie était com-

mémoré par de grandes réjouissances. On employait

 sans doute la formule" ~ Le Seigneur est ressuscité. »

L'Ascension en présence des fid~es était l'acte final

de la fête (3). Dans diverses contrées, ces festi-

vités avaient lieu en ét~, mais dans les environs

(~) AMmE~ M~RCS~X~, XXlI, 9.

(z) JgRo~m, Latws, 58, ad Paulinum.

(3) LucmN, D,-Dea Syri«, 6; J~ROME, Comment. ,ur E,dd~id

viii, x4.

ET DE Ç~UELQUES

DIVINITÉS PaïENNES

Io 3

de la Palestine elles semblent s'ëtre passées au

moment de Pâques. Adonis était, sous certains

aspects, le dieu de la végétation, et sa résurrection

symbolisait le réveil de la nature au printemps.

A Antioche, selon Frazer (I), cette cérémonie

semble avoir cadré avec l'apparition de la planète

Vénus, comme Étoile du Matin. Ces fêtes cor-

respondaient si étroitement avec l'anniversaire

de la mort et de la résurrection de Jésus, que la

coïncidence n'a guère pu échapper aux premiers

chrétiens. Dans diverses parties de l'Europe, les

cérémonies actuelles du Vendredi Saint et de

Pâques semblent continuer les rites d'Adonis.

En Sicile, par exemple, et dans certaines parties

de la Grèce, une effigie du Christ mort est préparée

pour les obsèques, au milieu des lamentations du

peuple. Celles-ci se prolongent jusqu'au samedi

à minuit, heure o~ le prêtre annonce la résurrection

du Seigneur et où la foule éclate en bruyants cris

de joie.

Ces analogies ont naturellement conduit beau-

coup de critiques à déduire que l'histoire de la

sépulture et du retour à la vie de Jésus ne fut qu'un

mythe emprunté à la religion d'Adonis. Mais,

comme nous avons essayé de le démontrer dans les

chapitres précédents, le récit des Êvangiles est sans

doute véridique. Si la crucifixion a eu lieu à Piques.

(X) FRAZER. Adoni, s, At~is, Osi~s, p. x57.

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1 0 4 L ' I N F L U E N C E D ' A D O N I S

c'est-à-dire au moment des universelles fêtes du

printemps, cela ne prouve pas que l'histoire fut

tirée du paganisme, mais cela explique que Jésus

fut en réalité exécuté à cette date, à l'occasion du

sacrifice du Bar A bbas. Et il est écrit que sa

résurrection eut lieu peu aprfis, non parce qu'Adonis

et d'autres divinités eurent une même destinée,

mais parce qu'en fait il revint à lui et sortit vivant

du sépulcre. Ce fut sans doute en grande partie

grAce ~ ces deux coïncidences que la foi chrétienne

attira sur elle une attention si générale. Si Notre-

Seigneur avait mis fin à son mi nistère de quel-

que autre manière, si les idées générales au sujet de

la mort des divinités incamées n'avaient pu lui être

attribuées, la croyance en sa suprématie n'aurait

. pas été si rapidement, ni si généra/ement établie.

Il y a pourtant un trait de l'histoire évangé-

lique qui semble avoir ~té directement emprunté

la religion d'Adonis et ~ d'autres mythes païens,

c'est la descente aux enfers. Le « Credo des Apbtres »

et le « Credo d'Athanase » déclarent que du vendredi

soir au dimanche matin Jésus descendit aux enfers,

mais la chose est omise dans le Credo de Nicée.

L'évêque Pearson a montré que ce détail fut

souven~ passé sous silence dans d'autres credos

primitifs, et l'évêque Goodwin (I) estime que cet

article pourrait être mis de cété.

(X) GOODWIN, Foundaio.s o/ tha ~racd, p. x72.

E T D E Q U E L Q U E S

D I V I N I T É S

P A ï E N N E S 1 0 5

Il n'a pas de fondement biblique si ce n'est dans

les paroles ambiguës de la première épître de

Pierre (I, Pierre,

ni,

19, IV, 6), et n'apparut dans

l'Eglise, comme une doctrine chrétienne, que vers

le IV« siècle (I), On retrouve son origine païenne

non seulement dans la légende d'Adonis, mais

aussi dans celles d'Hèraclès, Dionysos, Orphée,

Osiris, Hermès, Krishna, Balder, etc., etc. Au

sujet d'Orphée, entre autres, le rapport existant

dans les esprits des chrétiens primitifs, entre cette

divinité et Jésus, se révèle par l a fréquence de

l'effigie d'Orphée dans les fresques des catacombes.

Hérodote

(II,

I22), décrit une cérémonie qui avait

lieu chaque année en Êgypte, pour commémorer la

descente aux enfers et le retour sur terre d'un

certain dieu ou roi mal identifié, nommé Rhampsi-

nitus. Lors de cette cérémonie qui semble avoir

eu un lien de p~renté avec le culte d'Osiisi les

prëtres enveloppaient un homme d'un linceul, et

le conduisaient au temple d'Isis, hors de la ville,

où ils l'abandonnaient, n était alors ramené par

deux prêtres qui jouaient le réle des deux divins

guides des morts. Un trait significatif de ce récif

est que l'homme, à son retour, devait porter un

suaire qu'on supposait lui avoir ét~ donné dans

l'au-delà. On se rappelle l'histoire relatée unique-

ment par saint Jean, où les deux compagnons

(x) lqxcol~s, Le Symbol 6 das Apat re~ , pp. ~ 2t , 364.

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I 0 6 L ' I N F L U E I ~ C E D ' A D O N I S

de Jésus venus au sépulcre y trouvèrent le suaire

plié dans un coin, et le linceul ailleurs, tandis

que deux figures célestes parurent à leurs yeux.

L'incident égyptien permet de jeter un doute sur

l'histoire du suaire dans saint Jean. Mais ceci

n'a guère d'importance si ce n'est pour montrer

avec quelle circonspection il convient d'examiner

les récits évangéliques.

A coté du culte d'Adonis existaient d'autres

croyances païennes qui, par leur similitude, ont dû

influencer les esprits des gentils convertis au chris-

tianisme ; entre autres le culte de Dionysos, dont

il sera parlé au chapitre XXII. Une autre religion

qui eut son influence sur la nouvelle foi fut le culte

du dieu ou divin héros spartiate, Hyacinthe, qui

fut tué accidenteUement (I). Sa fête qui durait

trois jours avait lieu chaque année au printemp~

ou au commencement de l'été. Le premier jour,

on pleurait sa mort ; le l endemain, on célébrait

sa résurrection par de grandes réjouissances ;

et le jour suivant, il semble que l'on commémorait

son ascension. Les sculptures de son sépulcre le

représentaient lors de son élévation, avec sa sur

vierge, en compagnie d'anges ou de déesses.

Le culte d'Attis était aussi très populaire et

dut influencer les premiers chrétiens. Attis était

« le bon berger », tant6t fils de Cybèle, la Grande

( I ) FRAZERI Adonis, At t is, Osi~ ' is, p. x78, zo4.

E T D E ~ U E L O U ~ S D I V I N I T É S P A I ' ~ E N N E S X O 7

Mère (Magna Mater), tant6t fils de la vierge

Nâna, qui le conçut sans s'être unie à un être

mortel, comme dans l'histoire de la Vierge Marie.

Jeune homme, il se blessa et mourut au pied de

son arbre sacré, le sapin. A Rome, l'anniversaire de

sa mort et de sa résurrection était célébré chaque

année du 22 au 25 mars (I). Le rapport de cette

religion avec le christianisme est visible dans le

fait qu'en Phrygie, en Gaule, en Italie, et dans

les autres pays où le culte d'Attis régnait, les

chrétiens adoptèrent la date du 25 mar s pour

anniversaire de la Passion (2).

Lors de la fête d'Attis, le 22 mars, un sapin était

abattu, et on y attachait une effigie du Dieu, Attis

étant ainsi « tué et pendu au bois » selon le texte

biblique (Actes V, 30). Cette effigie était ensuite

ensevelie dans un tombeau. Le 24 mars ~tait le

jour du sang. Ce jour-là, le Souverain-Sacrificateur,

qui personnifiait Attis, faisait jaillir du sang de

son bras et l'offrait à la place d'un holocauste

humain. De cette façon, il s'immolait lui-même,

ce qui fait revenir à l'esprit c es mots de l'Êpître

aux Hébreux : « Le Christ est apparu; comme sou-

verain sacrificateur.., offrant non pas le sang des

boucs et des veaux, mais son propre sang.., et il

nous a acquis une rédemption éternelle. » (Hébr.

( ~ ) F a A z ~ a , A d o n i s , A l t i s , O s i r i s , p . x 6 6 , n o t e 4 .

(z) Ibid, p. ~ 99, no te 3 .

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L ' I N F L U E N C E D ' A D O N I S

IX, II, 12.) Cette nuit-là les prêtres venaient

au sépulcre et le trouvaient illuminé à l'intérieur,

et vide, car la divinité était ressuscitée d'entre les

 morts le troisième jour. Le 25 du mois, cette résur-

.rection était célébrée par de grandes festivités ;

après un repas sacramentel, on baptisait les initiés

avec du Sang par lequel leurs péchés étaient effacés

on les disait « nés de nouveau ».

Aucun doute que ces cérémonies et croyances

n'aient beaucoup coloré l'interprétation que les

premiers chrétiens donnèrent aux faits historiques

de la Crucifixion, de la mise au tombeau et du

retour à la vie de J ésus. De fait, le passage du

culte d'Attis au culte du Christ s'effectua presque

sans transition' ces cérémonies pa]'ennes avaient

lieu sur la colline du Vatican, dans un sanctuaire

qui fut plus tard repris par les chrétiens, et à la

place duquel s'élève aujourd'hui l'dglise m~re

de Saint-pierre de Rome (I).

( x ) Beaucoup d ' i nsc r i p t i ons concernant ces cérémoni es ont e t~

trouvé~s sous J'égl ise de Sa£ut-Piorro. HXPDING» Ati is.

C H A P I T R E X I I

L'INFLUENCE D'OSIRIS ET D'ISIS

La religion populaire, très répandue, d'Osiris

et d'Isis, exerça une influence considérable sur le

christianisme primitif. Ces deux grandes divi-

nités égyptiennes, dont le culte avait passé en

, Europe, étaient adorées à Rome et dans les autres

centres où se développèrent les communautés chré-

tiennes.

Selon la légende (I), Osiris et Isis étaient à la

fo is f rère et sur et mari et femme. Osir is fut

assassiné et l'on jeta son corps dans l e Nil. Peu

après, Isis veuve et exilée mi t au monde un fils,

Horus. Un jour, le cercuei l d 'Osir is fut re jeté

sur le rivage de Syrie, et s'introduisit miraculeu-

sement dans le tronc d'un arbre, de sorte que

l'on put dire d'Osiris, comme des autres dieux

immolés, qu'il fut « tué et pendu au bois ». Le

hasard voulut que cet arbre soit abattu et trans-

formé en un pilier du palais de Byblos, où Isis

finit par le reconnaître. Elle en fit détacher le

(1) PLUTARgUE, I .ç~$ et Osi~$, 1 I8 .

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L ' I N F L U E N C E D I O S I R I S E T D ' I S I S

cercueil puis elle couvrit de voiles le pilier lui-

m~me, qu'elle fit placer dans le temple. Elle ramena

ensuite le corps d'Osiris en Égypte. Il y fut décou-

vert par de mauvais génies qui le taill~rent en

pièces, mais les morceaux furent rassemblés et le

dieu revint à la vie (I). Plus tard, Osiris retourna

dans l'au-delà pour régner à perpétuité sur le

Royaume des Morts. Et pendant ce temps Horus,

devenu homme, régnait sur terre, et devint par

la suite le troisième personnage de cette fameuse

trinité égyptienne.

Hérodote (2) établit que la fête de la mort et

de la résurrection d'Osiris avait lieu en Êgypte

chaque année, mais il n'en donne pas la date.

Il raconte que le peuple pleurait le dieu mort, et

que vers le soir on all umait des lampes devant

les maisons, et qu'elles brûlaient toute la nuit.

Plutarque cite également la fête annuelle d'Osiris et

précise qu'elle durait quatre jours ; il en donne

comme date le dix-septième jour du mois égyptierl

Ha~hor, ce qui, d'après le calendrier alexandrin

employé en ce temps-là, correspond au 13 novem-

bre (3)- D'autre part, nous savons par d'anciennes

archives égyptiennes qu'une fête en l 'honneur

de tous les morts avait lieu le dix-huitième iour

(x) ER~A~, H~~dbooh Egyp. Relig. p. 31.

(2) H~I~O~OTe, II, 62.

(3) FR&ZER, Ado~is, Attis, Osîris, p. 257.

L IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D * IS IS

I I I

du premier mois de l'année, et qu'on y allumait

les lampes (I) ; l'année commençait originaire-

mênt vers

le

~.I octobre ; cette fête devait donc

tomber vers le 8 novembre, et, d'après l'ajuste-

ment du ~:alendrier, ilse peut bien qu'elle ait été

la m~me que celle décrite par. Hérodote.

En d'autres termes, la fête d'Osiris fut primi-

tivement identifiée ~ la f~te des lampes, commé-

morant les morts en général, et elle avait lieu au

début de novembre (2). Le Jour des Morts des

chrétiens tombe aussi à cette mëme date, et dans

beaucoup de contrées des lampes et des cierges

brûlent toute la nuit en cette occasion. Cette

fête fut reconnue pour la première fois par l'Eglise

en l'an 998 ; mais Frazer (3) a démontré que, par

cette reconnaissance, le clergé ne faisait que régu-

lariser une coutume païenne aussi vieille que répan-

due qu'on n'avait jamais pu supprimer. Il y a peu de

dOutes que cette coutume ne fût identique ~ la

cérémonie égyptienne. A la Réformation cette

commémoration fut abolie dans l'Êglise d'Angle-

terre, bien que les Anglo-catholiques l'aient con-

servée ; la fête de la Toussaint qui a lieu ~ la veille

du Jour des Morts, et qui fut reconnue par l'Êglise

en 835, s sans doute la même origine. Cette fête

(x) B~~,AST~D, Anoia,at R«o~ds o/Egy t I. sec. 555.

(2) M. MURRAT, TI~a Osiraion at Abydos, p. 35.

(3) FI~AZXR, Adonis, A~tis, Osiri, s, p. 255.

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I I 2 L ' I N F L U E N C E D ' O S I R I S E T D ' I S I S

a élé conservée dans le calendrier ecclésiastique

et, de cette façon, les chrétiens perpétuent incons-

ciemment le culte d'Osiris et le souvenir de ses

sujets dans le Royaume des Morts.

Le Père chrétien Firmicus Maternus (I), écri-

vant au Ive siècle, raconte que les adorateurs

d'Osiris pleuraient la mort de l eur dieu pendant

un certain nombre de jours, et qu'ensuite ils se

réjouissaient, disant E Nous l'avons retrouvé. »

Le même auteur ajoute que, lors de la commé-

moration de la mort du dieu, on avait la coutume

de construire une image d'Osiris et de l a placer

sur un sapin coupé à cet effet ; et là encore, comme

.dans le cas du dieu Attis, il était « tué et pendu au

bois ».

De même que le récit de la mort et de la résur-

rection d'Osiris dut influencer la pensée des pre-

miers chr4tiens quant à la crucifixion et au retour

à la vie de Notre Seigneur, de mëme les mythes

d'Isis eurent une influence directe sur l'élévation

de Marie, mère de Jésus, à la position divine qui lui

est assignée dans la th6ologie catholique-romaine (2).

Le culte d'Isis fut introduit à Rome au premier

siècle de notre ère, et vers l'an 8o, S ulla fonda

dans cette cité un collège « Isaac ». On lui éleva

bientSt des temples à Pompéi, à Bénévent, à Malce-

(~) FI~xcus MAT~rmus, D~ errore pro/anarum rdigionum, II, 3.

(2) W. ROSC~~R, L~ikon gr~¢ch, ~. r~m. Myth. II, 428.

L ' IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS IS I I 3

sine sur le lac de Garde, et en rnaints autres lieux ;

depuis Vespasien, ce culte s'implanta progressi-

vement dans toute l'Europe occidentale, certaines

contrées étant « pénétrées de la folie d'Isis », ainsi

que le déclare un auteur chrétien primitif (T).

Il y eut un temple d'IsiS jusqu'aux environs de Lon-

dres. A Rome, la dernière fête qui lui fut consacrée

semble avoir eu lieu vers 394, mais ce culte sur-

vécut jusqu'au ve siècle, et fut une des dernières

croyances paiennes qui se maintinrent en face du

christianisme.

Les deux attitudes dans lesquelles on présentait

le plus souvent Isis à ses adorateurs étaient celle

de l'épouse affligée pleurant la mort d'Osiris, ou

celle de la mère divine, allaitant Horus, son royal

enfant. Sous son premier aspect, elle était identifiée

à la grande déesse maternelle, Dérnèter. Le trait

principal des mystères d'Eleusis consistait dans les

lamentations de Démèter pleurant Perséphone ;

elle avait aussi un lien étroit avec cette autre

Mater Dolorosa, la déesse Cybèle. On commé-

morait chaque année à Rorne la mort de son fils

Attis, et son sanctuaire était placé sur la colline

du Vatican, à l'endroit o~ se trouve actuellement~

Saint-Pierre, l'Eglise où l'on adore de nos jours

la « Mère de Dieu ».

Sous son aspect maternel, Isis était représentée

( I ) A C T A , S . S . X X . ~ a $ , p .

4 4 .

S U R V I V A N C E 8 P A ï E N I ~ ~ ~ S D A N S L E M O N D E C H R É T I E N

8

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L~ IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS IS

par des milliers de statuettes et de peintures, tenant

dans ses bras l'enfant divin. Lorsque le chris-

tianisme s'établit, ces tableaux et ces images

furent attribués, sans arrêt de continuité, à la

Madone et à son enfant ; aucun archéologue, en

fait, ne peut déterminer avec exactitude, aujour-

d'hui, à qui, de la Vierge ou d'Isis, ces objets

furent oHginairement dédiés. Le titre de « Mère

de Dieu » fut appliqué pour la première fois à

Marie, Mère de Jésus, par les théologiens d'Alexan-

drie. Cette ville était le grand centre égyptien du

culte d'Isis, vers la fin du IIIe siècle. Au IVe siècle,

comme le christianisme triomphait rapidement

du paganisme, Marie ~ut toujours plus fréquem-

ment désignée sous ce terme. Peu avant l'an 4oo,

Epiphaue dénonce les femmes de Thrace, d'Arabie

et d'ailleurs, qui adoraient Marie comme une

véritable déesse, déposant des offrandes à son

autel. Vers l'an 43o cependant, le théologien

chrétien Proclus prêcha un sermon qui lui prêtait

une sorte de divinité, en l'appelant Mère de Dieu,

et médiatrice entre Dieu. et l'homme (x). Nes-

torius, autre dignitaire chrétien, fit objection à ce

point de vue, préférant considérer la vierge à

la manière des premiers chrétiens, soit comme une

femme d'essence mortelle. En 431, Cyrille d'Alexan-

drie fit à Éphèse un discours décisi f. Il usa de

(x) I.~BB~, Cona. III, 5~.

L ' IN F LU EN C E D 'OSIR IS ET D ' IS l S

termes si exaltés à l'égard de Marie qu'il devint

enfin possible de lui faire assumer la place laissée

vacante dans le cur des hommes depuis l'aban-

don du culte d'Isis et de son égale, Diane ou Artemis,

déesse des Éphésiens. Un résultat de ce sermon

fut que, à la grande joie du peuple, Nestorius fut

déposé, et Marie devint la suprême reine du ciel.

Vers cette époque commença à se répandre une

histoire attribuée à Mélito, évêque de Sardes

au IiO siècle, mais qui eut probablement une

origine plus tardive ; c'était que Marie avait été

miraculeusement élevée au ciel par Jésus et ses

anges. Au rie siècle, la fête de l'Assomption, qui

commémore cet événement, fut reconnue par

l'Eglise. C'est de nos jours une des grandes fêtes

catho]iques-romaines (I). Elle fut mise de cSté

par l'F.glise d'Angleterre au moment de la Réforme,

et ne revient que peu à peu en faveur, sous l'in-

fluence des Anglo-catholiques. On la célèbre le

I5 août ; c'est la date du grand festival de Diane

ou Artémis, avec laquelle Isis fut identifiée, et

l'on peut donc constater comment, au cours des siè-

cles, Marie prit la place de cette déesse.

Artémis, dans une de ses représentations, a été

identifiée à Selené, déesse de la lune, et le croissant

était alors son symbole. Isis aussi fut assimilée

à la lune. Ceci explique la présence du croissant

( I ) lq IC~PHOR]~ CALL IXTE, Hist. Ecdes. XVII , 28.

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L ' I N F L U E N C E D ' O S I R I S E T D ' I S I S

dans tant de peintures de la vierge Marie. Isis

fut encore identifiée à Vénus ou Aphrodite, et son

deuil à la mort d'Osiris, assimilé à l'aflïiction de

Vénus au sujet de la mort d'Adonis. Aphrodite

~tant née de l'écume, Isis devint peu à peu déesse

de la mer et des marins. Lorsque la Madone prit

la place d'Isis, elle hérita aussi du titre de Stells

Matis, l'Etoile de la Mer, qui lui est si souvent

donné dans les pays catholiques-rornains. A cet

égard, il est intéressant de constater qu'une image

d'Isis, un vaisseau à la main, fut sculptée sur un

panneau d'ivoire d'époque païenne, et que cette

image fut, sans idée d'inconvenance, insérée au

moyen Age sur un des c6tés de l'ambon de la cathé-

drale d'Aix, o~ elle se trouve encore (i). On peut

aussi mentionner qu'une statue d'Isis fut adaptée

au moyen âge à l'un des chapiteaux de l'Eglise

de Sainte-Ursule, à Cologne (2).

Isis fut encore identifiée à la déesse Astarté,

ou Ashtoreth (l'Ashtaroth de la Bible), reine des

cieux. Et de même que nous savons par Jérémie

(Jér. XLIV, 19), que les femmes hébraïques lui

faisaient des libations, ainsi pouvons-nous constater

que jusqu'à nos jours, les femmes de Paphos, à

Chypre, font des offrandes à la Vierge Marie, en

(x) PAuL ~MEN. Ku~~std~nkm~ler dsr Rh«inprovi~, I9x6, X,

p. xx3, fig. 68.

(2) Bonn. Jah,.buch,LXXVI, 3S.

L ' IN F L UE NC E D' O S IR I S ET D' IS I S I T 7

oe

.

tant que Reine des Cieux, dans les ruines mêmes

de l'ancien temple d'Astarté.

La fête de l'Annonciation est fixée au 25 mars

dans les Êglîses romaine et anglicane. Cette date

fut choisie parce qu'elle précède exactement de

neuf mois la date du 25 décembre, adoptée par

l'Eglise pour célébrer la naissance du Christ. Mais,

comme nous le montrerons dans un autre cha-

pitre, le 25 décembre se trouvait être non l'anni-

versaire de ~ésus, mais celui du dieu solaire Mithra;

D'autre part Homs, fils d'Isis, fut primitivement

identifié avec Râ, le dieu égyptien du soleil ( I),

puis avec Mithra, de sorte que cette fête chrétienne

-commémore en réalité l'annonciation d'Isis, et non

celle de Marie.

(1) WEIGALL» History a~ the Pharaos., i. p. 208.

Page 11: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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C H A P I T R E X I I I

L ' INFLUENCE DE MITHRA

Pendant trois siècles et demi la plus puissante

rivale du christianisme fut la religion connue

sous le nom de Mithracisrne. C'était le culte du

dieu solaire Nlithra, ou Mithras, qui fut introduit

à Rome par des marins de Cilicîe, vers l'an 68

avant notre ère. Cette religion se répandit plus

tard au travers dumonde romain jusqu'au triom-

phe final du christianisme. Elle fut la plus impor-

tante croyance païenne de l'Empire. Les chrétiens

la supprimèrent en 376 et 377, mais son écroule-

ment semble ëtre dû au fait que, en ce temps-là,

une grande partie de sa doctrine et de ses rites

fut adoptée par l'Église; ainsi elle fut pratiquement

absorbée par sa rivale, Jésus ayant supplanté

Mithra dans l'adoration des hommes, sans qu'il

y eût à proprement parler aucun hiatus.

A l'origine, Mithra était l'un des dieux les moins

importants de l'ancien panthéon persan, mais

on finit par l'assimiler à un soleil spirituel, à la

lumière céleste et à la personnification même des

L * I N F L U E N C E D E M I T H R A

sept esprits divins de bonté. Déjà au temps du

Christ on en avait fait l'égal d'Ormuzd (A hum-

Mazda), l'Erre suprême et le divin médiateur (I).

Mithra aurait mené une existence terrestre et

aurait été mis à mort d'une façon ou de l'autre,

pour le bien de l'humanité. On employait une

image symbolisant sa résurrection dans les céré-

monies qui le concernaient (2). Tarse, lieu d'ori-

gine de Paul, était l'un des grands centres de ce

culte. C'était aussi la capitale des Ciliciens. Et,

comme on va le montrer, on retrouve un soupçon

de mithracisme dans les épîtres et dans les évan-

giles. Ainsi, la désignation de Notre Seigneur sous

le nom de « Soleil levant qui nous a visités d'En

Haut » (Luc, I, 78), de « lumière » (2 Cor. IV, 6.

Êph. V, 13, 14 ; I, Thess. V, 5, etc.), de « soleil de

justice » (Malach. IV, 2) et autres exPressions

analogues sont tirées de la phraséologie mithriaque.

Mithra naquit d'un rocher, ainsi qu'on le voit

sur les sculptures qui le représentent, et on l'appelle .

parfois « le dieu issu du roc » (3). Son cure était

toujours célébré dans une caverne, et la croyance

générale de l'Église primitive selon laquelle Jésus

vint au monde dans une grotte, est un exemple

direct de l'influence mithriaque. Les mots de saint

(Z) ] . M. ROBERTSON, eag~~ Ch~$t$, p. 290 ; PLUTARQUE,

Isis et Orisis, ch. 46 ; J~Lm~, In Regain Solem, ch. 9, zo et: :az.

(2) TZSXULLm~r, Praes¢r , ch. 4o .

(3) F IRMICU-~, Dn Evrore, XXI , etc.

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°._

L ' IN F LU EN C E D E M IT H R A

Paul « Ils buvaient à un rocher spiri tuel.., et ce

rocher était le Christ » (I, Cor. X, 4) sont aussi

inspirés des sculptures mithriaques. Un des actes

rnythologiques de Mithra, qu'on retrouve dans les

uvres de Moïse, le représentait frappant un rocher

pour en faire jaillir une eau que ses adeptes buvaient

avec ferveur. Justin le Martyr (I) se ptamt de c e

que les paroles prophétiques du Livre de Daniel

au sujet d'une « pierre s'étant détachée du roc

sans le secours d'aucune main » (Dan. II, 34) sont

également employées dans le rituel mithriaque. Il

est évident que la grande importance attachée par

rÊglise primitive aux paroles attribuées ~ Jésus

et concernant Pierre, -- « Sur cette pierre, je bâtir.ai

mon église » --(Matt. XVI, 18) était due à leur

parenté avec l'idée mithriaque du Theos ek .Parcs,

le « Dieu issu du roc ». En fait, il se peut que la

raison pour laquelle la colline du Vatican, à Rome,

ait ét~ consacrée par Pierre comme le « Rocher »

du christianisme, venait de ce qu'elle était déjà

sacrée pour [es adeptes de Mithra, car des restes

de ce culte furent trouvés en ce lieu. Le principal

événement de la vie de Mithra consiste en un

combat avec un taureau symbolique, qu'il finit

par vaincre et qu'il immole. Du sang de ce sacri-

fice naquit la paix du monde et sa richesse, sym-

bolisée par les cornes de l'anïmal (cornes d'abon-

(x)

Dial. contre

Tryphon, ch. 7o.

L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A

dance). Le taureau semble représenter le monde

ou l'humanité, et cela implique que Mi thra, comme

le Christ, avait vaincu le monde. Mais , dans les

écrits primitifs persans, Mithra est lui-même le tau-

reau (I), le dieu se sacrifiant ainsi lui-même, ce

qui rappelle de près la conception chrétienne.

Plus tard, le taureau devient interchangeable avec

un bélier, mais le bélier du Zodiaque, &ries, associé

à Mithra, fut remplacé par un agneau dans le

zodiaque persan (Bundahish, II, 2) de sorte que

l'on sacrifiait un agneau, comme dans la conception.

pascale de Jésus (2). Socrate, l'historien ecclésias-

tique (3), pense que des victimes hurnahles furent

sacrifiées dans les mystères mithriaques jusque

vers l'an 36o de notre ère ; il est donc clair que ces

sacrifices eurent originellement une personne pour

sujet, et que c'est de là que se développa plus tard

l'idée de la mort expiatoire.

Donc, l'idée chrétienne du sacrifice de l'Agneau

de Dieu était 'familière à tous les adorateurs de

Mithra, et, de même que NIithra était une person-

nification des sept esprits de Dieu, de même l'agneau

immolé de l'Apocalypse avait sept cornes et sept

yeux « qui sont les sept esprits de Dieu » (Ap. V, 6) ....

D'anciens auteurs racontent qu'un agneau était

(x) J. M. ROBXRTSON, P~;gan Chrias» p. 298.

(2) GARuccx, Les Mystèras du Syn. Phrygien, 13. 34.

(3) Ecclds. Hist. l i v re I I I , ch. g.

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I 2 2

L ' IN F LU EN C E D E M IT H R A

consacré, immolé et mangé à P~ques. La P~que

~tait une fëte mithriaque (I), probablement l'anni-

versaire de la résurrection de Mithra ; le parallèle

est donc absolu. A cet égard il convient d'ajouter

qu'au VlIe siècle, l'Église tenta, mais en vain, de

supprimer la représentation du Christ par un

agneau, à cause de l'origine païenne de cette cou-

tume (2).

Les cérémonies de purification qui consistaient

~t asperger les novices avec le sang des taureaux

ou béliers étaient tr~ r~pandues et on les retrouve

dans les rites de Mithra. Par le baptême, un homme

 « naissait de nouveau )) (S) et rexpression chrétienne

« lavé dans le sang de l'agneau » est évidemment

un reflet de cette idée. Le rapport est apparent

dans ces mots de l'Êpître aux Hébreux " « Il est

impossible que le sang des taureaux et des boucs

6te les péchés » (Hébr. X, 4). Dans ce passage,

l'auteur ajoute " « Puisque nous avons un libre

accès dans le lieu très saint, grâce au sang de J ésus,

par le chemin nouveau et vivant qu'il nous a ~rayé

, , "

propre chair..

à travers le voile c est-a-dxre sa

approchons-nous.., le cur purifié des souillures'

d'une mauvaise conscience et le corps lavé d'une

eau pure » (Hébr. X, I9). Quand nous apprenons

(X) MACROBE0 SaturnMes, I, xS.

(2) BXNGHAM, Chvistian A ntiq.

viii, 8.

sec. II ' :KV, 2, sec. 3.

(3) BEUGNOT, Hist. de la De,tr. du Paganisme I, p. 334.

L'INFLUEIçCE ~ DE MITHRA

que la cérémonie d'initiation mithriaque consistait

à entrer dans un mystérieux souterrain « Saint

des Saints », avec les yeux bandés, puis à être

aspergé de sang et lavé à l'eau, il apparaît claire-

ment que l'auteur de l'épître pensait à ces rites

mithriaques qu'en ce temps-là tout le monde

connaissait.

Une autre cérémonie du culte de Mithra consis-

tait à traverser un canal, les mains liées aux entrail-

les d'un oiseau personnifiant le péché et à en ëtre

« libéré » sur l'autre rive. C'est à ce rite que Paul

semble faire allusion lorsqu'il écrit « C'est pour la

liberté que Christ nous a affranchis ; demeurez

donc fermes et ne vous laissez pas mettre de nou-

veau sous le joug de la servitude » (Gal. V, I).

Tertullien (Praescr. ch. 4o) établit que les adeptes

de Mithra pratiquaient le baptëme par l'eau, grâce

auquel ils étaient délivrés du péché, et que le

prêtre faisait un signe sur le front de la personne

baptisée ; mais ceci encore était un rite chrétien,

et Tertullien estime que Satan dut être, pour

quelque but inique, l'auteur de cette coïncidence.

« Le diable », écrit-il, « imite même les traits prin-

cipaux de nos divins mystères », et « il a fait appli-

quer au culte des idoles les rites mêmes que l'on

emploie pour adorer le Christ ». Par ces mots, il

fait sans doute allusion à la fois au rite du baptême

et à l'eucharistie mithriaque que Justin le Martyr

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L ' I N F L U E N C E D E M I T H P, A

(I Apol. ch. 66) avait déjà déplorée lorsqu'il décla-

rait que Satan avait plagié la cérémonie dans

laquelle les adorateurs de Mithra recevaient le

pain consacré et la coupe. Ce rite, qui consiste à

manger le corps d'un dieu incarné et à boire son

sang, a sans doute une origine très ancienne déri-

vant des couturnes cannibales ; si vraiment, d'après

l'avis de plusieurs critiques, il ne fut pas institué

par Jésus lui-même, il pourrait dériver de sources

diverses, mais sa connection avec le rite mithriaque

est la plus apparente.

Les adeptes de Mithra étaient appelés « soldats

de Mithra », ce qui est l'origine probable du terme

« soldats du Christ » et de l'exhortation cE Revë-

tons-nous des armes de la lumière » (Rom. XIII,

I2 et Eph. VI, Il, I3). Mithra était le dieu de la

lumière. Cette religion, à l'égai du christianisme, ne

reconnaissait pas de distinctions sociales ; riches

et pauvres, hommes libres et esclaves étaient éga-

lement admis dans l'armée du Seigneur. Le mithra-

cisme avait ses austérités caractérisées par l'ini-

tiation à certains rites endurés par le « soldat

de Mithra ». L'épître à Timothée exhorte de m~me

les chrétiens ~ « souffrir comme un bon soldat de

Jésus-Christ » (2 Tire. II, 3). Le mithracisme a

aussi ses nonnes et ses prêtres (I). Un de ses prin-

cipes essentiels était le contréle sur la chair et le

( I ) TZRTULLIEN. eYaesar . ch. 4o .

L'INFLUENCE DE MITHRA. .125

mépris du monde, ce qui était symbolis é dans la

cérémonie de l'initiation. Une couronne était offerte

au novice qui devait la refuser et déclarer, comme

les chrétiens, que c'était une couronne céleste

qu'il convoitait. Nous avons même entendu parier

d'hymnes pouvant ëtre charités tant par ]es chré-

tiens que par les adorateurs de Mithra (I).

Ce culte de Mithra avait toujours lieu dans des

cavernes celles-ci étant naturelles ou artificielles.

Les chrétiens primitifs, ouvertement, et sans rai-

sons de sécurité, employaient ces cavernes sou-

terraines connues sous le nom de catacombes, s6it

pour leurs enterrements, soit pour leurs cultes

publics. Comme les antres mithriaquis, les cata-

combes étaient ornées de peintures représentant

entre autres Moïse faisant jaillir l 'eau du rocher,

ce qui, comme nous l'avons vu, a aussi son paral-

lèle dans le mithracisme. Le thème le plus souvent

représenté est celui du Christ sous sa forme de

Bon Berger. On estime aujourd'hui que l 'image

de Jésus conduisant un agneau est tirée des statues

d'Hermès Criophore (Pausanias IV, 33), dieu por-

tant un chevreau. NIithra est parfois représenté

avec un taureau sur ses épaules, et Apollon, qui

dan~s son aspect solaire et en tant que patron des

[

rochers (2) peut être identifié à Mithra, est souvent

( I ) R e v . A r d z . v o l . X V I I , z 9 I x , p . 3 9 7 .

(2) Hyml~a ~ l ' .dpol lon Ddl ian.

Page 15: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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,

I 2 6 L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A

appelé « le bon berger ». A la naissance de Mithra,

l'enfant fut adoré par des bergers qui lui appor-

tèrent des cadeaux (I).

Le sabbat hébraïque ayant été aboli par les

chrétiens, l'Eglise sanctifia le dimanche, en partie

parce que c'était le jour de la résurrection, mais

surtout parce que c'était la fête hebdomadaire

du soleil. La politique chrétienne aimait à adopter

les fêtes pa~ennes chères à la tradition populaire

pour leur donner une nouvelle signification. Le

dimanche, jour du soleil, était aussi le jour de

Mithra. Il est intéressant de noter que Mithra étant

appelé Domi~us ou « Seigneur », le dimanche

dut être appelé le « jour du Seigneur » bien avant

l'époque chrétienne.

Nous mentionnerons ici, en passant, un sujet

auquel nous avons déjà fait allusion, et dont nous

parlerons encore dans un prochain chapitre" l'ori-

gine dej Noël. Le 25 décembre était l'anniversaire

du dieu solaire, et particulièrement celui de Mithra.

Et ce n'est que depuis le Ire siècle que ce jour fut

adopté pour la date, en fait inconnue, de la nais-

sance de Jésus.

Le chef du mithracisme était appelé le Pater

Pa~~, le « P~re des Pères » et il siégeait à Rome.

De même, le chef de l'Eglise devint le pape, ou

père, et siégeait également ~ Rome. La couronne

( x ) E n r a y e . B r i t . I X e é d . v o l . X V I I , p . 6 2 3 .

L ' I N F L U E N C E D E M I T H R A

papale se nomme « tiare », ce qui est une coiffure

persane, peut-être mffhriaque. Le siège antique

conservé au Vatican et que l'on suppose avoir

été le trône pontifical de saint Pierre est en réalité

d'origine païenne ; il se peut qu'il ait appartenu

au culte de Mithra, car il est orné de certaines

sculptures qui rappellent ce dieu (I).

(I) J. M. RossRxsoN, Paga, Cht'ist, s, p. 336.

Page 16: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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C H A P I T R E X I V

L 'ORIGINE DE L 'EUCHARISTIE

Au chapitre précédent, nous avons montré que

le sacrement de l'Eucharistie faisait partie des

rites du mithracisme, et le lecteur, se rappelle que

les él6ments en étaient le pain et l'eau, et non le

vin. Nous avons maintenant l'intention d'expliquer

que, au I~~ siècle, la communion chrétienne

n'était qu'une cérémonie commémorative, au cours

d'un simple repas, et que c'était du vin et non de

l'eau, qu'on employait à cet effet; mais qu'au

n , s ièc le ce t t e cou tume dev in t un sac re -

ment, et que le vin fut remplacé par de l'eau, ce

qui semble prouver que le rite mithriaque in fluença

le rite chrétien.

L'allusion la plus ancienne à ce sacerdoce se

trouve dans la première épkre de Paul aux Corin-

thiens (I, Cor. XI, I7-34), 6crite environ vingt-

cinq ans après la Crucifixion. Il y est dit ~tui les

disciples avaient l'habitude de se réunir pour

célébrer la cène en partageant un repas commun.

Ces repas dégénérèrent bientSt en une sorte d'orgie

I.'O~mi~E DE z'EUcHA~isTm I29

où les uns se livraient à des excès au détriment

des autres. Saint Paul enjoint aux fidèles de se

restreindre et de s'attendre mutue~ement, ajoutant

que, puisqu'il s'agit d'un repas sacré dans lequel

on doit reconnaître le corps de Jésus, il convient

de prendre un premier repas chez soi, avant de se

réunir pour la cène. Il rappelle l'origine de la céré-

monie en ces termes « Le Seigneur Jésus, la nuit

qu'il fut livré, prit du pain et après avoir rendu

grâces, il le rompit et dit « Ceci est mon corps

qui est donné pour vous , faites ceci en mémoire

de moi. » De même aussi, après avoir soupé, il

prit la coupe et dit ' « Cette coupe est la nouvelle

alliance en mon sang ; faites ceci, toutes les fois

que vous en boirez, en mémoire de moi ». (I, Cor.

XI, 23, 25.)

Ailleurs, dans la même épître, saint Paul dit" « La

coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle

pas la communion au sang du Christ ? Le pain

que nous rompons n'est-il pas la communion au

corps du Christ ? » (I, Cor. X, 16-3I) et il prie les

Corinthiens de ne point participer A de semblables

cérémonies en l'honneur des dieux païens qu'il

traite de « démons ». « Vous ne pouvez boire à la

coupe du Seigneur et à la coupe des démons ;

vous ne pouvez participer à la table du Seigneur

et à la table des démons. Ou bien voulons-nous

S U R V X V A N 0 . . F o q P A ï ~ N ~ F . ~ S D A N S ~ M O N D ~ ~ I R ~ ~ I ~ ~ q Ç

Page 17: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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X3 0

L~ORIGINE DE L~EUCHARISTIE

2I, 22). L'agape était donc un rite sacré, apparenté

aux rites de certaines autres religions et peut-

ëtre inspiré du Kidd~sh, repas sacré des Juifs

la veille du Sabbat, et dans lequel le pain et la

coupe étaient bénits solennellement ; et puisqu'on

nous dit (verset I7) que tous les partici pants se

partageaient les morceaux d'un même pain con-

sacré, et que le repas se terininait en se passant

de l'un à l'autre une même coupe, nous en dédui-

ceremome avait le caractère d'un

ons que ce t t e " " "

souper en commun. Il fut conservé tel quel jusque

vers l'an 112, oh Pline en parle dans une lettre.

Ce repas est décrit, et classé par Pline (I) comme

un simple banquet, semblable k ceux d'autres

sociétés ou corporations. Il devait cependant res-

sembler plutOt aux festins sacrés du temple de

Sérapis à Alexandrie, qui, selon Aristide, établis-

saient une réelle communion avec le dieu. On a

trouvé dernièrement en Egypte une invitation

l'un de ces festins de Sérapis (2).

 Dans les Didakh~, ou « Enseignement des ApO-

tres », document datant de l'an 9° environ, on

donne certaines instructions à l'égard de cette

cène qui, nous dit-on, avait lieu le dimanche (3). On

commençait par faire circuler une coupe dont le

(I) Lettre XCVIII, dont l 'authenticité est probable.

(2) GR~NFELL AND HUNT, Pap. Ox, I, Ixo.

(3) J. E. ODGE~S, D~dache (Trad. angl. ch. IX-X.)

L*O1RIGINE DE L'EUCHARISTIE I 3 T

contenu était appelé « le vin sacré de David », sans

qu'il y soit fait allusion au sang du Christ. Puis ~

on distribuait le pain préalablement rompu, et ce

devait être le symbole de « la vie et de la connais-

sance apportées aux hommes par Jésus ». Après .

quoi les convives mangeaient de bon cur leurs

provisions communes et OE une fois rassasiés » ils

rendaient grâces pour la nourriture et la boisson

données par Dieu pour le plaisir des hommes, ainsi

que pour la nourriture et les boissons spirituelles

et la vie éternelle que Jésus leur avait faît connaître.

Dans l'évangile de Marc (XIV, 22-25) datant

à peu pr~s de la mëme époque, le récit de l'incident

qui, au cours de la vie de Jésus, fut cause de cette

cérémonie, est sensiblement pareil à celui de saint

Paul, mais avec cette différence que, au sujet de l~

coupe, Jésus aurait dit « Ceci est mon sang, le

sang de l'Alliance qui est répandu pour plusieurs ».

Dans l'évangile le plus proche en date, celui de Luc,

le récif'est similaire (XXII, 19, zo). On peut recons-

truire l'événement d'après le récit de ces deux

évangiles. C'était un jeudi soir, probablement

le 6 avril de l'an 30 (I). Ils étaient r~unis pour la

Pîque traditionnelle. Jésus savait qu'il serait

arrêté d'un moment à l'autre et que son exécution

s'ensuivrait tout naturellement. C'est pourquoi,

(I) Si c'était eu l'an 3o, la date fut le 5 avril ; mais on n'est pas

certain du chiffre de l'année.

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I 3 2 L 'OR IGIN E DE L 'EUC HARIST IE

en distribuant comme de coutume ]es morceaux

de pain qui devaient être trempés dans le jus de

l'agneau r6ti, il fit la triste remarque que son corps

serait rompu de même. Lorsque, plus tard, après

le repas, il fit, selon l'habitude, circuler le vin,

il le compara ~ son sang qui allait être versé, et il

pria ses amis de ne point oublier le sacrifice qu'il

allait faire, et d'y penser chaque fois qu'ils rom-

pràient le pain ou boiraient le vin ensemble.

Rien ne peut faire, croire que Jésus ait songé à

établir une Eglise ou ~ prescrire des lois pour de

futurs rites ecclésiastiques. Il était opposé aux

formes et aux cérémonies, le Royaume des Cieux

devant ~tre, selon lui, dans le cur de l 'homme.

Il n'y a donc rien de surprenant ~ ce que les chré-

tiens du I,~ siècle aient commémoré cet inci-

dent de la manière décrite plus haut. Niais voic i

qu'un changement eut lieu dans la cérémonie.

Dans l'Evangile de Jean (lO5 ap. J. C.) on orner déli-

bérément de relater le dernier souper, comme s'il

n'était pas la cause du nouveau sacrement, et on

insère, en lieu et place (Jean, VI, 48-58) un long

passage de prétendues paroles de Jésus. Il aurait dit

qu'il était le pain de vie, l e pain vivant, que sa

chair était véritablement une nourriture, et son

sang un breuvage ; et qu'~ moins de manger sa

chair et de boire son sang, les hommes ne pourraient

avoir la vie éternelle. Cet évangile qui n'était

L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E .

en fait pas reconnu par l'Êglise primitive comme

ayant voix d'autorité est le seul dans lequel fl soit

parié de Jésus comme étant du pain ou de l'eau.

Dans le dernier synoptique (Matthieu) datant

de Ioo à IiO ap. J. C. il se trouve qu'après les mots

« Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui est

répandu pour plusieurs », quelqu'un a ajouté

« pour la rémission des péchés » (XXVI, 28). Mais

il ne s'agit là que d'une interpolation ayant pour

but de donner à cet incident la valeur d'un sacri-

fice.

Au moment où la cène originelle fut cristallisée

en un rite, l'eau fut substituée au vin. Jusfin le

Martyr (I, Apol. ch. 65), écrivant vers I4o ap. J. C.,

d i t que les fidèles recevaient le pain et l 'eau

distribués par les diacres et que ces éléments

étaient considérés comme étant la chair et le sang

de Jésus (I). Il ajoute que le pain et l'eau étaient

aussi employés dans l'eucharistie des adorateurs

de Mithra, et il attribue ce fait aux machinations

de Satan. Il est significatif de remarquer que l e

pain était coupé en forme d'hosties, chacune étant

marquée d'une croix, comme on peut le voir sur un

bas-relief représentant une communion mithriaque

et que l'on a retrouvé dernièrement (2). Depuis

(I) Le cedex othobonionus ne mentionne que le pain et l 'eau,

mais dans d'autres textes, le terme de vin a ét6 inte~ol&

(2) CU~ONT, Les mya~re$ de Mithra.

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I 3 4

L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E

quelques années, l'eau était employée ~ la place

de vin dans plusieurs communautés chrétiennes.

Irénée (18o ai). J. C.) parle d'un mélange d'eau et de

vin, et cet usage peut avoir conduit à l ' interpo-

lation qui, dans l'évangile de Jean» établit que du

sang et de l' .eau s'écoulèrent du flanc bl essé de

Jésus (Jean X IX , 34 ) . L ' eau pu re , cependan t ,

était en usage jusque vers l'an 25o. A l'époque de la

suppression du paganisme, vers la fin du IVe siècle,

elle fut interdite de par la loi, ce qui indique que

cet u~age avait bien été emprunté aux rites pa~ens.

Nous pourrions encore ajouter que, de la foi de

certains critiques, l'eucharistîe mithriaque com-

mémorait le dernier repas de Mithrs avec Hélios,

avant son ascension (I).

Ces faits montrent c lairement que la simple

cène de Notre Seigneur fut transformée en un ri te

sacramentel, sous l'influence mithriaque et d'autres

croyances du temps, et c'est pourquoi nous devons

examiner quelle fut l'origine de ce caractère sacri-

ficatoire dans les religions primitives.

Aux époques les plus reculées, le cannibalisme

était pratiqué dans le but d 'acquérir les vertus

de la personne immolée en mangeant sa chair

ét en buvant son sang. On mangeait la v ictime

humaine ou animale identifiée à ]a divinité à laquelle

( I ) E n v o l . B r i t . I I e é d . v o l .

x v I I ,

p . 6 2 4 .

L ' O R I G I N E D E L ' E U C H A R I S T I E

X 3 5

elle était consacrée, afin d'effectuer une commu-

nion réelle avec le dieu.

Le véritable cannibalisme n'était pas complè-

t e m e n t é t e i n t d a n s l e m o n d e c i v i l i s é d u I ' ~

siècle après Jésus-Christ. Certains ri tes qui en

étaient la substitution directe, étaient pratiqués

de tous cStés. Dans les mystères de Dionysos, on

mangeait un biscuit A l' image d'un enfant. Dans

ceux d'Apollon, à Larissa, l 'oracle était rendu

par une prêtresse qui devait boire le sang d'un

agneau sacrifié afin d'être investie par le dieu.

Tertul l ien (Adv. Gnosticos 7) écrivant vers l 'an

2oo, raconte que l'on buvait encore du sang humain

au culte de Jupiter Latiaris. En fait, les premiers

chrétiens devaient être habitués à l'idée de manger

rituellement le corps d'un dieu, et l'on peut dire

que des phrases telles que celle-ci « Si vous ni

mangez la chair du Fils de l'Homme et ne buvez son

sang » ne peuvent avoir ét6 écri tes que par quel-

qu'un qui avait été élevé dans le rituel d'un can-

n iba l i sme immémor ia l e t pou r leque l l ' i dée de

dévorer un dieu était parfaitement normale.

Ayant été paganisé de cette manière, le ri te

chrétien a acquis un caractère bien défini de cauni-

balisme. L'idée de transsubstantiation, par laquelle

le pain et le vin sont censés se transformer véri-

tablement en chair et en sang de J ésus, ne t arda

pas à se développer. Tertul l ien raconte que les

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I35

L'ORI«mE DE '

 EUChARIStIE

prêtres prenaient grand soin qu'aucune miette

d'hostie ou q aucune goutte de liquide ne tombât

*

à terre, de peur que le corps "

^

de Jesus ne fût meurtri.

On prit bientSt l'habitude, dans certaines commu-

nautés chrétiennes, de donner au pain une forme

humaine, de façon à ce que chaque communiant

puisse manger, qui l'oreille du Christ, qui ses yeux,

qui ses doigts, et ainsi de suite, chacun selon son rang

social. Mais ceci fut interdff en fin de compte par

 le pape Pélage

Ier.

En 818, Paschasius était très

t

~ l

rouble à 1 ldee que le corps du Christ, ayant été

bsorbe, pourrait ëtre transforrné en excrements ;

au moyen âge» il y eut de sérieuses discussions

pour savoir ce qu'il Conviendrait de faire ai quel-

qu'un venait à vomir après avoir reçu le sacrement,

ou si un chien ouune souris goûtaient par hasard

au corps de Dieu (I). Au Ixo siècle, Huisrnar de

Reirns affirme que la seule raison pour laquelle

l'hostie gardait son apparence de pain après la

transsubstantiation était que Dieu voulait épar-

gner au communiant l'horrible spectacle de la chair

réelle, crue et sanglante, du Christ.

Dans la bulle de Pie IV, au moment du Concile

de Trente, le dogme catholique romain était ainsi

o

J

  i

onçu « Dans le sacrement de 1 Eucharistie, il y a

V F

erztablement, reellement, et en substance, la

(z) A. WAZJCSR, Popery, 2e 6d. p. z74'

voir aussi

Em, yd. Bri~. :

« Eucharist », etc.

L ' O R I G I N E D E L ' : E U C H A R I S T I E I 3 7

0

chair et le sang combinés avec l'âme et la divinité

de N. S. J.-C. et lors de cette cérémonie, l'entière

substance du pain est convertie en chair, de même

que l'entière substance du vin est convertie en

sang » (I) ; dans la Confession Helvétique de 1556 (2),

il est établi que lors de l'Eucharistie « il y a une rnas-

tication sacramentelle du corps du Seigneur ». Lors de

la Réforme, l'Eglise anglaise adopta le point de vue

selon lequel « le corps du Christ n'est mangé que

d'une façon symbolique » et elle rejeta la transsub-

stantiation comme étant idolâtre. Elle donna aussi

des orclres précis concernant les restrictions mentales

qu'il conviendrait de faire si l'on était forcé d'adorer

le sacrement à la manière romaine, comme s'il

s'agissait de la chair véritable du Christ (3).

L'ancienne idée païenne qui, comme on l'a vu,

passa dans l'Eglise au II0 siècle, tend à revenir

graduellement dans le rite anglican. Les divinités

ancestrales sont lentes à mourir et l'instinct can-

nibale est encore latent au cur du mysticisme

de la race humaine. Les protestants, en combattant

sur ce sujet les Anglo-catholiques, s'imaginent qu'ils

s'opposent à des pratiques papales ; ils ne semblent

pas s'apercevoir qu'en fait ils défendent une sorte

de rationalisme du xxe siècle contre la tradition

immémoriale de toute l'humanité primitive païenne.

(x) Con. Tri& sess. XIII ; c. IV, etc.

(2) Caput XXI, De Sacroe Ca~n¢; Domini.

(3) P~Y~R BOOK,

A rLides de

la Religion.

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C H A P I T R E X V

L ' O R I G I N E D E L ' I D E E D ' E X P I A T I O N

Il a été admis pendant si l ongtemps que la doc-

tr¤ne de l'expiation était le véritable noyau de la

foi chrétienne, que la tendance des cercles intel-

lectuels à revenir sur sa signification semble un

blasphème pour les orthodoxes. Cette doctrine,

cependant, n'est pas un des dogmes du « Credo des

Ap6tres », si l'on excepte ce que les mots « le pardon

des péchés » peuvent contenir de cett e idée.

Dans le « Credo d'Athanase » que l'on récite à

l '~g~se anglaise lors de certaines fêtes, i l n 'y a

d'autre al lusion à cette croyance que les mots

« Le Christ, qui souffrit pour notre salut ». Mais dans

les t rente-neuf « ar t ic les de re l ig ion » de la fo i

anglicane, les termes sont précis « Le Christ a véri-

tablement souffert pour nous réconcilier avec Son

Père et pour être un sacrifice, non seulement pour

le p~ch6 originel, mais aussi pour tous l es péchés

actuels des hommes ». Et « L'oblation de Jésus-

Chrisf, une fois faite, constitue une Rédemption

parfa i te , une Prop i t ia t ion parfa i te e t une Sat is -

L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N I39

faction parfaite, pour tous les péchés du monde

entier, tant pour le péché originel que pour les

péchés actuels ; et il n'y a point d'autre expiation

pour le péché que celle-là seule. »

La doctrine, ainsi qu'elle est comprise par les

chrétiens conservateurs, est la suivante Adam

ayant désobéi en mangeant le fruit défendu, le

péché et la mort entrèrent dans le monde. Chaque

être humain doit de ce fait porter le poids d'une

malédiction, et être privé de la bénédiction divine,

sauf dans certains cas privilégiés. Dieu, cependant,

pour améliorer cette situation et se réconcil ier

avec l'humanité, envoya son fils sur la terre, afin

que le sacrifice de sa mort serve au rachat du crime

d'Adam. Les chrétiens, dès lors, ne sont plus exclus

du paradis par le péché originel. Le rétablissement

des relations normales entre Dieu et les hommes

fut donc effectué par la valeur propit iatoire des

souffrances et de la mort de Jésus.

Il faut tout d'abord remarquer que depuis que

la doctrine de l'évolutionnisme a éliminé Adam et

Ève de l'histoire, pour lesreléguer dans le domaine

des légendes mythologiques, nos idées sur le péché

originel ont été modifiées. De nos jours, ce terme

exprime l ' incl ination que nous avons tous vers

le péché, grâce à ce que notre nature comporte

d'impulsif et d'inférieur. Si l'absurdité d'une légende

telle que celle du jardin d'Eden nous fait sourire,

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.

1 4 0 L ' O R I G I N E D E L " I D É E D ' E X P I A T I O N

nous n'aurons cependant pas envie de nier que

nous sommes fous entrés dans la vie chargés d'un

fardeau d'insfincts pervers, faci]ement assirnilables

au péché originel. A cet égard, la pensée moderne

n'entre pas en conflit avec les idées chrétiennes

prirnitives, mais, en ce qui concerne l'expiation,

notre point de vue a changé. Nous ne pouvons

plus accepter la répugnante doctrine théologique

qui, pour certaines raisons d'ordre mystique, récla-

mait un sacrifice expiatoire. Cette pensée est

outrageante tant pour la conception d'un Dieu tout-

puissant que pour celle d'un Dieu Amour. Le

fameux D~ Cruden (Concordance) écrit que pour

l'accomplissement de ce sacrifice « Le Christ eut à

souffrir des peines terribles, infligées par Dieu ».

Voilà qui révolte l'esprit moderne, parce qu'un tel

sentiment s'apparente trop ouvertement avec les

tendances sadiques de la nature humaine prirni-

.rive.

En réalité, cette doctrine est d'origine païenne,

et c'est peut-ëtre le reliquat le plus évi dent de

l'idolâtrie dans notre foi. Ainsi que nous le mon-

trerons dans le chapitre suivant, elle n'est basée

sur aucune parole authentique de Jésus.

Dans l'antiquité, on pensait que les souffrances

et la mort des dieux tournaient au bénéfice de

l'homme. Adonis, Attis, Dionysos, Hêraclès, Mithra,

0siris, et d'autres, étaient tous des dieux sauveurs,

L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N

dont la mort était considérée comme un sacri-

fice fait au profit de l'humanité. Dans la plupart

des cas, le dieu s'immolait lui-même, à lui-même.

L'idée d'un dieu mourant et ressuscitant pour .le

bien de l'humanité semble avoir son origine dans

le fait que la nature paraît mourir en hiver et revivre

au printemps. Ce phénomène faisait supposer

que la mort est nécessaire a la vie. Il fallait donc

que le dieu meure, pour renaître avec la. moisson.

Les sacrifices humains se trouvent dans beau- ""

coup de religions primitives, et tout fait croire que

la victime était identifiée, en cette occasion, à

l' idole à laquelle elle était immolée. Le sacrifi-

cateur était souvent conspué et injurié selon certains

rites, après avoir accompli son devoir, ce qui semble

bien démontrer que la victime était un objet sacré.

De plus, on faisait tout pour essayer de prouver

que cette victime s'offrait d'elle-même, toute oppo-

sition étant prévenue par un calmant ou par la

rupture préalable des membres.

L'idée centrale du culte d'Adonis se trouvait dans

sa mort et sa résurrection. I l était tué par un

sanglier, mais ce sanglier était sa propre incar-

nation, de sorte que le dieu était à la fois exécu-

teur et victime. Cette idée est exprimée dans

l'Epître aux I-Iébreux (IX, xE-I4, 26-28) où Christ

est décrit comme le Souverain Sacri ficateur,. qui

pour abolir le péché s'est immolé lui- même. De

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1 î4 2 L 'O RI GI NE DE L' ID ÉE D' EX PI AT IO N

m~me Mithra immole un taureau, mais ce taureau

c'est Mithra lui-mëme. Un bouc et un taureau

étaient offerts à Dionysos, et ces cieux animaux

étalent également deux aspects de la divinité.

On sacrifiait un ours à Art~mis, et cet ours était

Artémis. L'histoire des religions abonde en exemples

de ce genre.

Dans le Havamal on trouve des runes magiques

faisant allusion à un sacrifice au dieu Odîn. « Je

sais que j'ai été pendu à l'arbre agit6 par le vent,

pendant neuf nuits, blessé par la lance, offert à

Odin, moi-même à moi-même » (z) . Attis aussi

se mutila et mourut» étant à la foîs le Dieu Père

et le Fris sacrifi~.

Ainsi, l'idée d'un dieu s'offrant de lui-même pour

les péchés de l'humanité n'était pas nouvelle. Les

sacrifices humains, symbolisant directement ou

indirectement la mort rédemptrice d'une divinité,

étaient tout naturellement l'objet des conversa-

tions et des pensées. Tertullîen (Apologétique, IX)

raconte que des enfants furent encore offerts

en holocauste à Saturne, sous le proconsulat de

Tibgre. Dion Cassius (XLII, 24) cite le sacri fice

de deux soldats à Mars, au temps de Jules César.

D'autres exemples pourraient encore être cités

pour montrer combien la croyance en l'efficacité

des offrandes humaines était générale à l'époque

(x) Fm~zEI~, Ado~is, A~tis, Osi~s, liv. II0 ch. V.

L ' o R I G I N E D E L ' I D I ~ E D ' E X P I A T I O N 1 4 3

du Christ. Cette idée 6tait loin de répugner aux

Juifs. Le récit barbare d'Abraham ne les faisait

pas frissonner. Les diverses pendaisons devant

l'Etemel ; celle, par exemple, des sept princes au

temps de la moisson de l'orge (2 Samuel, XXI, 9)

leur paraissaient tout à fait naturelles. Le sacri-

fice du Bar Abbas, dont il a été question au cha-

pitre

vII,

semble avoir été une coutume généra-

lement admise.

Dans le fameux chapitre LIII d'Isaîe, le pro-

phète développe l'idée d'une figure nationale,

distincte du Messie, qui, par ses souffrances et sa

mort, rachèterait les péchés de la nation ;

plus

tard,

le judaïsme insista sur l'i dée qu'Israël rachetait

ses iniquit6s par le sang des justes. Il est certain

qu'aucun Juif orthodoxe ne pensait que le Messie

promis aurait ~ souffrir ; il devait être un héros

conquérant, un chef divin. Mais on estimait pourtant

que les maux de la nation et la mort de ses saints

innocents étalent des expiations et qu'un peuple

juste devait forcément être un peuple soumis à

des souffrances. Ces théories des Juifs au sujet de

la r6demption étaient bien établies à l'ép0que de

Jésus. On sacrifiait partout des boucs, des agnëaUx

ou quelqu'autre animal pour la rémission des.

péchés. Le bouc émissaire, chargé de toutes les

fautes de la nation et conduit dans le désert pour

~tre dévoré par les fauves, ~.tait une variante de

Page 24: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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I 4 4 L ' O R I G I N E D E ~ L ' I D É E i ) ' E X P I A T I O N

cette pratique. Voici à ce sujet les plus anciennes

'

paroles de la loi (Lévk. XVII, II) « L'âme de la

chair est dans le sang ; je vous l'ai donné sur l'autel,

pour faire l'expiation de vos ~mes; car c 'est le

sang qui fait l'expiation pour l'âme. » ~ésus apporta

donc son message d'amour et de charité en un

temps où l'esprit juif était plein de ces idées de

I

boucherie rédemptrice. Tout le monde pensait

que les dieux païens devaient souffrir et verser

leur sang pour l'humanité. Les autels fumaient

du sang des victimes humaines ou animales tor-

fur~es et mises à mort pour le rachat des iniquités.

Les premiers chrétiens étaient donc bien à même

de saisir une telle interprétation de la mort de

Jésus. Aussi, dès qu'ils curent compris que le

r61e du Messie comportait la torture et la mort aux

fins d'un sacrifice expiatoire, l'opprobre qui avait

atteint leur Maître fut changé en triomphe. Le

Messie devint l'Agneau de Dîeu immolé afin que

les péchés du monde fussent lavés dans son sang.

C'était ainsi le plus important de fous les sacri-

fices traditionnels des fils princiers par les rois leurs

p~res. Jésus était le supr%me exemple d'une divi-

nité terrestre se sacrifiant d'elle-même à son

« double » céleste. Le fait qu'il avait été crucifié

la veille de Pâques corroborait le tout pour les

Juifs convertis, Il fut l'Agneau sans tache. P our

 les néophytes d'origine païenne, Il fut l'Adonis,

L ' O R I G I N E D E L ' I D É E D ' E X P I A T I O N

symbole de jeunesse, tué par le sanglier, autre

forme de lui-même. Il fut le taureau de l~ithra

qui s'immole à lui-même. Il fut Hèraclès s'offrant

au feu du sacrifice ; Il fut Prométhée attaché au

rocher, Attis mutilant sa propre chair ; Il fut le

souverain sacrificateur s'offrant en holocauste au

Dieu dont il émane, et le Fils sacrifié par son

Père pour sauver la nation de la vengeance divine

(voir ch. VII). Le sacrifice que représentait la

crucifixion, la valeur sacrée de la Passion devinrent

de plus en plus évidents. Mais cette i nterpréta-

tion n'aurait pas été aussi vite agréée si tant de

croyances antérieures n'avaient pas préparé les

esprits à cette révélation. Jésus n'avait pas accompli

seulement les Êcritures judaïques, mais encore

celles du monde païen. Et c'est sur ce fait que repose

le grand appel du christianisme primitif. En lui

furent condensées en une réalité immédiate, une

série de divinités obscures. Par la crucif~ion, les

vieilles légendes de rachat par la souffrance et de

mort rédemptrice devinrent un fait positif et prirent

leur véritable sens.

Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que cette doc-

trine sauvage et sombre de l'expiation soit devenue

le dogme central de la foi nouvelle. M ais ce qui

peut sembler étrange, c'est qu'elle soit encore prê-

chée au xxe siècle

S U I ~ V l V A N O E S P A T E N N E S D A N S L E M O N D E C H Ê T I E N

I 0

Page 25: Survivances Païennes dans le monde chrétien

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C H A P I T R E X V I

LE Dt~VELOPPEMENT

DE LA DOCTRINE DE L 'EXPIATION

Au chapitre précédent, nous avons montré que

l'idée d'un sacrifice propitiatoire expliquant le

« scandale » de la. Croix pouvait se présenter d'elle-

même à l'esprit des premiers cgrétiens, puisqu'une

telle doctrine était familière tant aux Juifs qu'aux

tmïens. Les souffrances expiatoires et la. mort des

dieux au profit de l'humamté étaient, rappelons-le,

des lieux communs des religions primitives. Bien

que les Juifs n'aient jamais envisagé que le Messie

dût subir une peine infamante, ils croyaient cepen-

dant que les sou~r.a.nces des chefs d'Israël étaient

exigées, d'après les ~critures, pour le rachat des

péchés du peuple. C'est pourquoi la foi des disci-

ples en la divinité du Seigneur leur parut confirmée

de façon éclatante, dès qu'ils eurent compris que le

supplice du Mattre était en accord avec les pro-

phéties messianiques, et que J ésus avait réalisé

l'idée traditionnelle du sacrifice rédempteur. Une

telle expiation étant à la portée des « gentils »,

comme à celle des Israélites, les convertis fondèrent

leurs meilleurs arguments sur cette idée.

L A

D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N

]ésus, pourtant, n'a jamais rien dit qui puisse être

interprété avec certitude dans ce sens-là. Jamais il

n'a prétendu que le pardon des péchés, originels

ou autres, et la grande réconciliation entre Dieu et

l'homme seraient la conséquence de sa mort, ni que

son. supplice devait ëtre considéré comme un sacri-

fice expiatoire. La phrase « Le Fils de l'Homme

est venu.., pour donner sa vie en rançon pour plu-

sieurs » (Marc X, 45)est évidemment un commen-

taire de l'évangéliste et non une parole de Jésus.

D'ailleurs, même si ces mots furent prononcés

par Lui, ils pouvaientsimplement signifier que,

de même qu'il avait vécu pour apporter le bonheur à

autrui, de même ~tait-il pr~t à mourir seul, pour

sa cause. On a l'habitude de penser que les paroles

prononcées par le Maître, au cours du dernier

repas, indiquent la nature expiatoire de sa mort,

et sa valeur de sacrifice ; mais c'est 1~ une inter-

prétation erronée. Dans l']~vangile de Marc, J ésus

dit « Ceci est mon sang, le sang de l'alliance, qui

est répandu pour plusieurs. » D'après Luc, il dit

« Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang,

qui est répandu pour vous. » Ce n'est que dans

l'Evangile, beaucoup plus récent, de Matthieu que

se trouvent ajoutés les mots' « pour la rémission

des péchés ». Or, feu le doyen de Carlisle écrit à ce

sujet « Le critique" le plus conservateur n'hésitera

pas à considérer cette adjonction comme une glose

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LE

DÉVELOPPEMENT

explicative faite par l'auteur de l'Êvangile » (1).

Quant aux autres paroles, elles indiquent simple-

ment que Jésus était prët k donner sa vie pour ses

amis et à mourir pour sa cause.

Jésus ne s'est jamais préoccupé des mystères

de la théologie. Sa vie fut transparente de simpli-

cité. Son ensëignement fut basé sur la conception

d'un Dieu aimant, d'un père pardonnant les péch6s

à la seule condition d'une repentance sincè.re.

Jamais, sans doute, n'aurait-il admis l'idée d'un

Dieu vengeur et dont la col~re implacable ne serait

adoucie que par la torture et l'ignoble exécution

d'un messie. Mais saint Paul avait l'esprit théo-

logique, et, ayant été convaincu, par ceux qui lui

enseign. èrent la foi, que Jésus était mort pour

racheter les perversités humaines, il développa

cette doctrine avec ardeur (I , Cor. XV, 3). Du

reste, il ne dit pas que la mort d'une victime inno-

cente avait détourné la fureur divine, mais il expli-

que que « Dieu était dans le Christ, réconcili ant

le monde avec lui-m ême » (I, Cor. V, I9). Ces

mots sont diamétralement opposés à ceux qui se

trouvent dans les trente-neuf articles de la reli-

gion anglicane" « Le Christ souffrit pour réconcilier

son Père avec nous. » Cependant, la conception du

sacrifice est sans doute présente à l'esprit de saint

Paul quand il écrit" « Dieu envoya son Fils en

(~) H. RA~SDALL, Tho Idea o/A~on«msn~.

D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N

offrande pour le péché », « Nous sommes acquittés

par son sang », etc. On ne sait pas s i l'épître au

Éphésiêns est une lettre originale de Paul, mais

nous y trouvons que « Jésus-Christ s'est donné

lui-même à Dieu pour nous, en offrande et en sacri-

fice, comme un parfum d'agréable odeur » (Éph. V, 2).

L'épttre aux Hébreux, qui fut probablement

écrite non par Paul mais par un auteur inconnu,

insiste sur la Passion en tant que sacrifice..lésus,

y est-il, dit, chasse le péché par son propre sacri-

fice. Il fut le souverain sacrificateur s'immolant

lui-même, parce que, selon les Écritures, le pardon

était conditionn~ par l'effusion du sang, et que

l'expiation suprëme nécessitait la plus précieuse

des victimes. Jésus « obtint pour nous la Rédemption

éternelle, non par le sang des chèvres et des agneaux,

mais par son propre sang ».

La première épître de Pierre insiste sur les souf-

frances liées au sacrifice et sur l'efficacité du sang.

Les chrétiens sont élus « pour obéir k J ésus-Christ

et pour avoir part à l'asper sion de son sang ».

Ils sont « rachetés par le précieux sang du Christ,

comme de l'agneau sans défaut et sans tache »,

« lui quia porté lui-même nos péchés en son corps

sur le bois » (I, Pierre, I, 2, 19, et II, 24).

L'épître de Jacques contraste entièrement avec

les écrits de Paul et de Pierre. Elle donne plus de

citations ou d'allusions à l'enseignement de Jésus

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LE

DÉVELOPPEMENT

que n'importe quelle autre épître, et semble vrai-

ment inspirée par l'esprit du Maître. Il n'y est pas

parlé du sacrifice de la crucifixion, et c'est pourquoi

ceux qui croient fermement aux théories de l'expia-

tion la regardent avec dédain. Luther l'appelle

« une épître de paille ».

Quant à l'Apocalypse, il est sans doute tout

imprégné de l'idée de sacrifice. Le Christ « nous a

lavés de nos péchés par son sang ». « Tu as été

m

"

#

~mmole, et tu as racheté pour Dieu, par ton sang,

des hommes de toutes tribus, de toutes langues,

de tous peuples et de toutes nations ». Dans l'Rvan-

gile de Jean qui appartient à la même école, Jésus

est appelé « l'agneau de Dieu qui ~te les péchés du

monde ».

Dans tous les livres du Nouvèau Testament, il

est établi q.uê la mort de Jésus était une néces-

sit~, mais on ne dit nulle part d'où vint cette

nécessité ni de quelle façon sa mort avait pu tourner

au profit des p~cheurs. Le principe selon lequel

son sacrifice devait réconcilier l'homme avec Dieu,

et payer le prix de ses iniquités, laisse malgré tout

un certain doute dans l'esprit. Les divers auteurs

des livres canoniques étaient en fait si bien habitués

aux idées préchrétiennes de sacrifice expiatoire

et de rédemption qu'ils acceptèrent la théorie sans

la. vérifier. Mais ce vague n'était pas du goût des

premiers pères clarétiens. Au

IIe

siècle, Irénée et

D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N 1 5 1

après lui d'autres auteurs, établirent la « théorie

du rachat », que voici Le diable était, depuis la

chute d'Adam, le maître de l'humanitfi. Dieu

ne pouvant, avec justice, reprendre ses sujets sans

payer de rançon pour eux, offrit son propre fil s en

échange à Satan. Satan ayant exigé la mort sur la

croix s'aperçut que Dieu s'était joué de lui, car

le Christ étant immortel retourna au ciel. Ce fut

l'explication orthodoxe de la mort de J ésus pendant

près de mille ans (z).

Vers xo93, Anselme, archevêque de Canterbury,

et quelques années plus tard Ab~lard, curent le

courage de nier que Satan ait jamais eu sur l'huma-

nité un droit quelconque que Dieu eût été forcé

de respecter. Abélard paya sa témérité par la

réclusion perpétuelle ; mais son enseignement finit

par avoir gain de cause, et la doctrine d'un marché

avec le diable et du tour que Dieu lui joua passa

de mode.

L'Êglise revint alors à la théorie augustinienne

tous les hommes seraient condamnes par Dieu

aux tourments éternels ; mais Jésus-Christ ayant

prié son Père de le faire mourir à leur place, Dieu

accepta cette mort dont la valeur était supérieure

à celle de toute l'humanité et déchargea les hommes

d'uné damnation irrévocable.

Les vues des catholiques romains et des protes-

( I ) H . RA S HDA L L ,

T~$ Id«EE of Atoncrn6nt , p. 248.

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L E D É V E L O P P E M E N T

naissance ». Rappelons que dans les rites de Mithra,

la cérémonie d'initiation comportait aussi un bain

' de sang.

Les chrétiens libéraux voient aujourd'hui .dans

la crùcifixion de Notre-Seigneur le sacrifice suprême

qu'il fit pour sauver les principes de son enseigne-

tants Sont restées à peu près semblables à celles de

saint Augustin. Luther et quelques autres réforma-

teurs insistèrent notamment sur ce sujet en déclarant

que le Christ « réellement et véritablement s'offrit lui-

même au Père pour nous sauver de la condamnation

éternelle ».

De nos jours, l'enseignement de l'Armée du

Salut est particulièrement net dans son inter-

prétation de la Passion comme sacrifice expiatoire.

L'idée des pécheurs aspergés du sang de la victime

sacrifiée, lav~s dans ce sang et purifiés ainsi de leurs

péchés provoque de nos jours une frénésie éraotion-

nelle semblable à celle qui étreignait les adorateurs

de Cibèle lorsqu'ils étaient plongés dans le sang

du taureau égorgé et recevaient ainsi la OE nouvelle

l i

ment. Ce fut le couronnement de sa vie heroïque.

»: ii ~

l semble qu'il suff~e de méditer sur ce thème et

«~~

de s'inspirer de ce sublime exemple, pour entrer en

communion avec le principe fondamental de l'amour. ~~~

Au nom de ce principe mëme, nous répudions 1~

doctrine antique du sacrifice expiatoire, car elle se

rattache trop visiblement iL des croyances barbares.

D E L A D O C T R I N E D E L ' E X P I A T I O N

Le goût humain pour le sang et pour le mystère

des rites est persistant, et l'on peut craindre que la

doctrine de l'expiation ne soit encore prêchée pen-

dant bien des années. Mais il convient de se rappeler

que, bien que cette théorie fasse partie de la théo-

logie chrétienne, elle n'a à tout prendre aucune rela-

tion avec le J ésus historique.

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i9o

L 'ÉVOLU T ION D U C H R IST IAN ISM E

Dans toute la chrétienté, les lieux sacrés du

paganisme furent perpétués par l'érection de cha-

pelles chr~tiennes ou d'~lises. Il existe des cen-

taines de sanctuaires de la Madone, en des endroits

autrefois dédiés aux nymphes ou aux déesses ;

et les fontaines sacrées du paganisme sont devenues

 les sources bénites de l'Eglise. Les statues de Jupi-

ter et d'Apollon devinrent celles de saint Pierre

et de saint Pau]. Les représentatîons d'Isis, devînrent

celles de la Vierge Marie, les lys de la Madone

n'étant autre chose que les anciennes fleurs de lotus

d'Isis et d'Asta~té.

Il arriva aussi que le christîanisme sanctionna de

vieilles outumes pa~ennes, Comme par exemple celle

de manger du poisson le vendredi. Ce jour était dédié

dans beaucoup de religions ~ la déesse maternelle,

patronne des pêcheùrs. Nous verrons dans les cha-

pitres suivants d'autres exemples de ce genre.

Et voilà quelle théologie, et quélle ~glise se

développèrent au nom du fris d'un charpentier

qui avait confié sa vérité à quelques paysans.

Le christianisme est devenu une religion très lar-

gement paîenne. Et pourtant, au-delà de ses pompes

et de sa vanité, derrière ses formules absurdement

complexes, on peut toujours retrouver le Jésus

historique, et le salut du monde demeure dans ses

enseignements et son exemple. Que ne pouvons-

nous revenir tout simplement à Lui

C H APIT R E XXI

LE RESPECT DU DIMANCHE

L'Êglise chrétienne primitive n'avait pas de

jours f~riés, ni de sabbat, car, ainsi que le déclarait

Chrysostome « Chaque jour est une fête pour

les chrétiens, à cause de l'excellence des choses

qui leur ont ét~ données ». Selon Origine : « Tous

les jours sont des jours du Seigneur pour le chré-

tien parfait » (I). Socrate, l'historien ecclésiastique,

remarque que « les apStres n'eurent pas l'idée

d'organiser des réjouissances, et qu'ils n'étaient

occupés que de mener une vie irréprochable et

pieuse ».

Cependant, lorsque l'F.glise fut devenue insti-

tution d'Êtat, on éprouva le besoin de sanctifier

certaines dates, et en particulier de donner une

signification chrétienne à des fêtes d'origine paîenne

qu'on n'avait pas pu supprimer. Le clergé, par

exemple, n'avait pu emp~cher le peuple, en diverses

contrées, de célébrer le jour de P~ques en l'honneur

de la resurrection d Attl~, ou d'autres idoles. Il avait

(1) OmG,%sE, Tra¢td ~ontr$ Cds$, VIII, ~2.2o9.

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I92

L~ ~sPEcT D~ »mANCH~I

"

donc fallu consentir, dit Socrate, à perpétuer cette

vieille habitude, en lui donnant une interpré-

tation chrétienne, et, de même, beaucoup d'au-

tres coutumes pa/ennes furent introduites de cette

manière dans l'Êglise. Bède (I) nous a conservé une

lettre écrite par le pape Grégoire, en l'an 6oi, dans

laquelle il est établi que la politique de FÊglise

devait consister non dans la suppression des ancien-

nes fêtes païennes, mais dans leur adaptation à des

idées chr~tiennes. En fait, l'Êglise fut très franche

au sujet de ces appropriations, mais le temps a jeté

son voile sur leurs origines, et nombre de chré-

tiens d'aujourd'hui seraient étonnés d'apprendre que

Noël et P~ues sont issus du paganisme, qu'il en

est de même pour divers autres anniversaires tels

que ceux de l'Assomption, de saint Jean-Baptiste,

de saint Georges, etc. et qu'aussi le jeûne du carëme

se trouve être d'inspiration païenne.

Au cours de ce chapitre, nous nous proposons

d'établir l'origine du dimanche, et de montrer

que Jésus ~tait tout à fait opposé à l'idée qu'un

jour de repos hebdomadaire ou « sabbat » dût

être rigoureusement respecté.

L'origine de la semaine de sept jours, employée

par les Juifs et divers autres peuples à l'exception

des Grecs et des Romains, doit provenir du cuite

primitif de la lune. Les jours de nouvelle et de

(z) B~s, Histoire 8r, d~si~t~, ch. XXX.

 L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

pleine lune étaient sacrés presque partout dans

1'antiquité, et ce fait impliquait la reconnaissance

d'un cycle d'environ I4 jours, dont une semaine

était la moitié. La véritable longueur d'une semaine

ainsi déterminée était de sept jours et trois hui-

tièmes. Les Babyloniens avaient déjà adopté ce

mode, et leurs calendriers contiennent des instruc-

tions au sujet de divers actes dont il fallait s'abste-

nir certains jours, appelés « sabbats », l esquels

semblent revenir une fois sur sept. Bien que le

sabbat juif ne puisse être directement rapporté

à l'usage ~abylonien, cette institution dérive évi-

demment du cuite de la lune et de la reconnais-

sance du nombre 7 comme chiffre sacré dans le

calendrier. Les Juifs attribuaient la sainteté du

septième jour au fait que Dieu était censé s'ëtre

reposé ce jour-là du travail de la c réation. Mais

cette légende dérive aussi de la mythologie baby-

lonienne et ce ne fut pas la raison primordiale

qui fit du septième jour un jour de r epos.

Dans l'astronomie ancienne on connaissait sept

planètes le soleil, la lune, Mars, Mercure, Jupiter,

Vénus et Saturne. La semaine de sept jours étan~

en usage, on a des raisons de croire que ces jours

étaient dédiés aux astres. Le premier jour de la

semaine fut consacré au soleil, le plus important:

des corps célestes, et le dernier à Saturne, la

 planète la plus distante du soleil. L'ancienne religion

su~vzvAz¢c~s P~N~~S DANS ~ ~O~D~ C~TZ~N. z3

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z94

Lx mZS~ECT Dr VI~ANCEE

orientale identifia cette planète avec un dieu de

mauvais augure, et c'est pourquoi le septième jour

devint graduellement un jour néfaste, pendant

lequel aucun travail ne pouvait être entrepris.

On en fit donc un jour de repos, et plus tard, l a

légende de la création fut adaptée de manière k

expliquer ce fait. Les Israëlites développèrent cette

manière de voir, et déjà du temps de Moïse les

lois étaient si strictes, qu'un homme fut exécuté

pour avoir ramassé du bois en ce jour tabou (Nom-

bres, XV, 35). Il était même interdit, sous peine

de mort, d'allumer du feu ce jour-là (Ex. XXXV, 2,

3). Telles sont les aberrations auxquelles l'esprit

humain est conduit par la superstition ]

Du temps de Jésus, les Juifs orthodoxes ne

respectaient pas moins strictement le sabbat, mais

Notre-Seigneur s'opposa nettement à cette forme

d'esclavage, et il rîsqua même sa vie (Jean, ¥, 18),

en cherchant à émanciper ses disciples des liens

de cette coutume, et en en violant lui-même les

lois. L'effort de J ésus dans ce sens dut impres-

: "

t

sionner conszderablemen les premiers chrétiens.

On remarque dans l'Êvangile que le Christ omit

de citer au jeune homme riche le quatrième com-

mandement " « Souviens-toi du jour du Repos »

(NIatth. XIX, zS, I9) Saint Paul le passe égale-

ment sous silencë (Rom.

XlII, 9),

et reproche aux

Galates de vouloir s'assujettir de nouveau à des

L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

jours fériés. (Gal. IV, 9, Il). L'épître aux Colos-

siens confirme cette attitude (Col. II, zé). Au iie

siècle, Irénée (x) dit expressément que Jésus avait

interdit l'usage du sabbat. Tertullien (2), au IIIe

siècle, écrit que « aux chrétiens les sabbats sont

inconnus ». Au zve siècle, Victorinus (3) répète

que Jésus abolit « l'observation du sabbat ». Justin,

Clément, Origène, Eusèbe, Êpiphanê, Cyrille, J éréme

et autres Pères de l'Êglise, confirment la chose en

termes expressifs.

Cependant, tandis que le sabbat des Juifs, le

samedi, était aboli par les premiers chrétiens, et

qu'il n'était permis à aucun autre jour de le r em-

placer comme jour férié, l'habitude fut prise dès

le

Ier

siècle de considérer le dimanche comme

un jour spécialement approprié aux réunions des

fidèles, apparemment parce que J ésus dtait res-

suscité ce jour-là. Nous apprenons qu'~ Troas

(Act. XX, 7), les disciples s'assemblaient chaque

dimanche pour s'entretenir et communier. D'après

les Didakh8 (ch. XIV), les chrétiens se réunissaient

le « jour du Seigneur » et nous savons par Justin

le Martyr et Tertullien que ce terme signifiait

dimanche, jour de la résurrection du Seigneur.

Tertullien (4) insiste sur l'illégalité de tout culte

(z ) IRgNgE. Tr«itd ¢o~tt~'~ les héfd$ies.

(2) TxRzv~mN, Rdpons6 au» Ju~Is.

(3) Vzc, oar~us, A nte/Vice,~a, 1. XVlII.

(4) TERT~JLLU~N, De Corona.

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I 9 6

L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

particulier ce jour-l~, mais Ignace (I) établit que

les chrétiens donnaient en fait au jour du Seigneur

un caractère spécial. Denys de Corinthe (2) en

parle comme d'un jour sanctifié, tandis qu'Irénée et

Tertullien vont jusqu'à dire que le dimanche devrait

être consacré au repos des fidèles. Pline (3) écrîvit

en l'an II~ que les chrédens avaient coutume de se

réunir avant l'aube, un certain jour de la semaine,

pour chanter des hymnes et manger un repas en

COITImUII .

En définitive, bien que les chrétiens eussent

refusé d'observer un sabbat quelconque, le dimanche

fut graduellement adopté par eux pour leurs

réunions hebdomadaires, et plus tard, jusqu'à

un certain point, comme jour de repos. Mais l'idée

de faire de cette journée un véritable équivalent

de l'ancien sabbat, et de s'y tenir avec une même

rigueur, ne leur serait jamais venue.

Or le dimanche, dédié au soleil, était sacré depuis

longtemps pour beaucoup de religions paîennes.

C'était en particulier le jour sanctifié par les ado-

rateurs de Mithra, qui le désignaient sans doute

aussi sous le nom de « jour du Seigneur » (4). Le

fait que Jésus soit ressuscité un dimanche ne sem-

ble pas avoir été la raison véritable pour laquelle

(x) ION~,CE, Ad Magn. IX .

(2) DENYS, ci té par Eus~BE, Hist . Ect . IV, 23.

(3) P r rN~ , L e U r e X C V I I I .

(4) I" M. RO, BERTSON, P~~~n C~~'{$tS, p. 429.

L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

les Chrétiens révéraient particulièrement ce jour-l~.

Ils auraient eu tout autant de raisons de choisir

le vendredi, anniversaire de la mort du Seigneur.

Il semble qu'ils furent influencés ---dans ce domaine

comme dans d'autres--par la coutume païenne,

et que le dimanche fut adopté parce que les adora-

teurs de Mithra et d'autres divinités solaires con-

sidéraient que ce jour était sacré, et qu'il était

impossîble de supprimer cette habitude ancestrale.

En l'an 32I, l'empereur Constantin qui n'était

pas encore un chrétien déclaré, mais qui louvoyait

déjà entre le paganisme et la nouvelle foi, pro-

mu]gua un décret faisant du dimanche un jour

de repos obligatoire. Il en parle comme du t« véné-

1-able jour du soleil », ce qui prouve qu'il pensait à la

fête païenne traditionnelle, tout en voulant en

faire un jour férié chrétien. Le décret n'eut que peu

de succès et il fut finalement révoqué au IXe siècle

par l'empereur Léon. Charlemagne, à l'Occident,

interdisait aussi tout travail dominical, et en Angle-

terre les rois anglo-saxons Ina, Athelstan et Ethelred

prohibèrent les marchés et certains sports pendant

ce jour. Plus tard, le dimanche fut obser vé en

Europe comme il l'est encore de nos jours par les

catholiques romains, c'est-à-dire comme un jour

semblable au Noël angla~, où les fidèles se rendent

le matin à :',église, et s'adonnent le reste du temps

au repos, au sport, ou à diverses réjouissances.

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"

I 9 8

L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

. . . .

C'est sans doute l'attitude qui se rapproche le plus

de celle des premiers chrétiens. Au moment de la

Réformation, Luther (I) s'attaque aux rigoristes,

et engage ses disciples à danser et à se réjouir le

dimanche pour protester contre ce caractère sacré.

Zwingli, le réformateur suisse, écrit « Chaque

homme a le droit de poursuivre ses travaux, le

jour du Seigneur, après le service divin », et John

Knox, faisant allusion aux sabbats, explique que

OE les chrétiens ne devraient rien avoir à faire avec

l'observation superstitieuse des jours ». Cependant,

les puritains anglais du XVlIe siècle retournèrent à

l'ancienne conception juive que Jésus avait com-

battue, de sorte que le roi Jacques Ier exaspéré

par leur attitude, publia un « Livre des Sports

dominicaux » enjoignant à ses sujets de se livrer

à divers jeux ce jour-là. Plus tard on publia, sous

l'influence puritaine, un certain nombre d'arrêts,

et l'opinion publique s'écartant toujours plus de

l'enseignement authentique du Christ, maintint

l'observation rigoureuse du dimanche.

Aujourd'hui les anglicans recommencent à en

faire un jour de vacances, et bien qu'agissant

ainsi sans l'approbation des pasteurs, ils pourraient,

s'ils voulaient, trouver de bonnes raisons pour

défendre leur point de vue. Ils pourraient même

défier n'importe qui de trouver dans l'Êvangile

(x) LVTHER, Propos de,table.

L E R E S P E C T D U D I M A N C H E

I ç ç

un seul mot justifiant l'adoption du commande-

ment de Moïse « S0uviens-toi du jour du Repos »,

alors que Notre Seigneur l'avait si manîfestement

mis de cSté.

Les scrupules religieux qui privent certaines

personnes en Angleterre de travailler ou de s'amuser

le dimanche sont dus à une superstition si anti-chré-

tienne et si grossière, qu'ils peuvent ~ bon droit

étonner les honn~tes gens, et il est vraiment

stupéfiant que le commandement mosaïque relatif

à ces restrictions soit encore lu, en chaire, par

les représentants de Celui qui avait osé l'abolir

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